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Éric Denécé : États-Unis, les vraies raisons de l’expulsion des diplomates russes

Wednesday 4 January 2017 at 01:31

Source : CF2R, Eric Denécé, 01-01-2017

Le président américain Barack Obama a ordonné vendredi 30 décembre l’expulsion de trente-cinq diplomates russes accusés d’être des « agents de renseignement » de Moscou en poste à l’ambassade de Russie à Washington et au consulat russe de San Francisco. Sans apporter de détails, la Maison-Blanche les accuse d’avoir « agi d’une manière qui ne correspond pas à leur statut diplomatique » et leur a donné 72 heures pour quitter le pays. Par ailleurs, le département d’Etat a décrété la fermeture de deux bâtiments appartenant à la Russie dans les Etats du Maryland, près de Washington, et de New York, au motif qu’ils étaient « utilisés par des responsables russes à des fins de renseignement ». 

Harcèlement ou cyberattaques ? Que reprochent les États-Unis à la Russie ?

La Maison-Blanche a précisé que ces représailles constituaient « une réponse au harcèlement croissant, ces deux dernières années, contre le personnel diplomatique [américain] en Russie par les forces de sécurité et de police ». Un harcèlement qui serait allé« bien au-delà des règles de comportement diplomatiques internationales ». Barack Obama a ajouté que ces actions font suite « aux avertissements que nous avons adressés de manière répétée au gouvernement russe, en privé et en public. Elles sont une réponse nécessaire et adaptée aux actions visant à nuire aux intérêts américains en violation des normes de comportement internationales établies ».

Le président américain a également annoncé que des sanctions étaient prises contre « neuf entités et individus », parmi lesquels deux services de renseignement russes, le GRU (renseignement militaire) et le FSB (service de sécurité intérieure) et leurs responsables. Le premier est accusé par la Maison-Blanche d’avoir, grâce à ses agents et ses moyens techniques, « falsifié, altéré (…) des informations avec l’objectif ou l’effet d’interférer dans le processus électoral américain en 2016 ». Quant au FSB, il est accusé d’avoir aidé le GRU. Mais curieusement, il n’est pas fait état du SVR, pourtant principal service de renseignement extérieur russe présent à l’étranger.

De plus, trois entreprises russes soupçonnées d’avoir apporté un « soutien matériel » aux opérations de piratage informatique vont être également juridiquement et financièrement sanctionnées par l’administration américaine. « Les sanctions ne s’arrêteront pas là » a ajouté Barack Obama, prévenant que les Etats-Unis prendront d’autres mesures « au moment que nous choisirons, y compris des opérations qui ne seront pas révélées au public ».

En réalité, cette expulsion d’officiels russes – la plus importante depuis 2001[1] – vient sanctionner la supposée ingérence de Moscou dans la campagne présidentielle américaine, pendant laquelle le Parti démocrate aurait été victime de cyberattaques qui auraient favorisé l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Selon un rapport publié le 29 décembre par le département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security/DHS) et le FBI[2], deux groupes de hackers qui seraient liés au renseignement russe – dénommés APT 28 ou Cozy Bear et APT 29 ou Fancy Bear – sont présentés comme responsables « de piratages ayant ciblé un parti politique américain » pendant l’été 2016. Selon les autorités américaines, le premier serait réputé proche du FSB, tandis que le second serait une émanation du GRU[3].

Ces attaques contre les serveurs et ordinateurs du Parti démocrate ont mené à la publication de plusieurs milliers d’e-mails et documents internes du mouvement, plus tard mis en ligne sur Wikileaks, jetant une lumière crue sur les manœuvres du clan Clinton afin d’écarter la candidature de Bernie Sanders et révélant nombre de magouilles et d’irrégularités internes. Ces actions auraient largement contribué à affaiblir la campagne d’Hillary Clinton. Mais, pour le moment, le gouvernement américain a donné peu d’éléments liant les diplomates déclarés persona non grata aux cyberattaques supposées de l’été dernier.

Outre ces supposés piratages informatiques destinés « à influencer l’élection présidentielle », Washington accuse Moscou de plusieurs cyberattaques contre des établissements financiers, des universités et d’autres institutions américaines.

Fin décembre, des responsables du DHS, du FBI et du Bureau du directeur du renseignement national (DNI) ont communiqué les codes des logiciels malveillants Grizzly Steppe[4] aux responsables de la sécurité des infrastructures critiques nationales (secteur financier, services publics, transports, énergie, etc.). Les responsables des services publics du Vermont ont alors aussitôt réagi, affirmant avoir identifiéun de ces codes dans les systèmes de contrôle du réseau électrique. Cette découverte à immédiatement été médiatisée, provoquant la peur dans les structures gouvernementales que les « pirates informatiques liés aux services russes tentent activement de pénétrer les infrastructures critiques du pays pour conduire des attaques destructrices ».

Des réactions outragées d’élus politiques locaux proches de l’administration Obama n’ont pas tardé à avoir lieu : le 30 décembre, le gouverneur démocrate du Vermont, Peter Shumlin, déclarait que « tous les Américains devraient être à la fois alarmés et scandalisés que Vladimir Poutine, un des plus grands voyous du monde, ait tenté de briser notre réseau électrique, sur lequel nous comptons pour soutenir notre qualité de vie, notre économie, notre santé et notre sécurité (…). Cet épisode devrait mettre en évidence le besoin urgent que notre gouvernement fédéral poursuive vigoureusement et mette fin à ce genre d’ingérence russe ». Un peu plus tard, le sénateur démocrate du Vermont, Patrick Leahy, renchérissait, jetant encore un peu plus d’huile sur le feu : « cela va au-delà des piratages informatiques classiques : il s’agit maintenant d’essayer d’accéder aux services publics pour manipuler le réseau électrique et l’arrêter au milieu de l’hiver ».

Une étonnante absence de preuves

Que penser de accusations américaines et des mesures qui ont été prises par la Maison-Blanche tant les affirmations de l’administration Obama sont véhémentes mais aussi confuses ?

Concernant le supposé hacking des ordinateurs du Parti démocrate, pour le moment, personne n’a pu avoir accès aux informations réunies par la CIA qui « prouveraient » l’implication russe dans cette affaire. En conséquence, il est probable que des renseignements parcellaires aient été extrapolés pour conclure au hacking russe des ordinateurs du Parti démocrate. Mais ce ne sont pas là des preuves. Pourtant, dès le 7 octobre, un communiqué commun du DHS et du DNI affirmait « avoir la conviction que cette opération venait de Russie et ne pouvait avoir été lancée qu’avec l’accord des plus hautes autorités[5] ».

D’ailleurs, au sein même de la communauté américaine du renseignement, les accusations font débat : une partie de la CIA n’est pas d’accord avec l’interpréation donnée et la majorité du FBI – même si certains de ses dirigeants ont fait une étonnante volte-face le 29 décembre – considère qu’il n’y a que des ragots dans le dossier mais en aucun cas des éléments judiciaires à charge. Sans exclure la « piste russe », les membres du Bureau se montrent beaucoup plus prudents que Langley sur le sujet, affirmant tirer des « conclusions très différentes de celles de la CIA ».

Plusieurs médias, comme The Intercept, indiquent également que les sources anonymes de la CIA s’exprimant dans les colonnes du Washington Post pour accuser Moscou n’apportent pas d’éléments probants afin de soutenir les accusations qu’ils émettent. D’autres observateurs considèrent que les preuves techniques présentées – comme l’utilisation d’un traitement de texte configuré en russe – ou le fait que les piratages ont majoritairement eu lieu pendant les heures diurnes du fuseau horaire de Moscou, sont insuffisantes pour incriminer la Russie. Enfin, Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, a déclaré lors d’une interview que la source des e-mails que son site avait révélés n’était pas la Russie[6].

Concernant les cyberattaques « identifiées » dans le Vermont, les dirigeants de la société Burlington Electric, en charge de la gestion du réseau électrique local, ont déclaré que le code malveillant avait été détecté « dans un ordinateur portable qui n’était pas connecté aux systèmes de contrôle du réseau » et qui a été immédiatement isolé. Les responsables de la sécurité de Burlington ont reconnu qu’ils ne savaient déterminer à quel moment ce code était entré dans l’ordinateur, ni si les « hackers russes » avaient eu pour intention de perturber le fonctionnement du système ou d’observer s’ils pouvaient le pénétrer. A noter que les représentants du département de l’Energie et du DHS ont refusé de commenter ces faits.

Ainsi, concernant ces deux affaires, en l’état actuel des choses, il n’y a ni preuve avérée, ni commission parlementaire, ni enquête judiciaire, ni unanimité au sein de la communauté du renseignement. A tel point que le motif officiel de l’expulsion des diplomates russes n’est pas le supposé hacking des ordinateurs du Parti démocrate, mais un vague prétexte de « harcèlement diplomatique », ce qui en dit long sur les supposés éléments à charge. Le président élu Donald Trump a d’ailleurs mis en cause la véracité des renseignements à l’origine des accusations à l’égard de Moscou.

Autant dire que nous sommes là dans une confusion totale, qui ne peut que susciter des doutes majeurs quant à la réalité des faits présentés. Une grande partie des journalistes américains sentent qu’ils sont au cœur d’une manipulation orchestrée par l’administration sortante et sont plutôt assez prudents dans cette affaire.

Quand bien même certaines de ces accusations seraient-elles fondées, rappelons que ce que la Maison-Blanche reproche à ces hackers c’est d’avoir dévoilé des e-mails authentiques mettant en lumière les turpitudes d’Hillary Clinton et de son entourage, suite à quoi le FBI aurait du réagir et poursuivre la candidate en justice, ce qu’il n’a pas fait. En somme, les « hackers russes » ont joué le rôle de Whistleblowers, lequel est constamment encouragé par Washington partout dans le monde lorsqu’il s’agit de lutte contre la corruption, la fraude ou le terrorisme. Au demeurant, personne ne semble avoir critiqué les Démocrates pour leur amateurisme coupable puisqu’ils ont été incapables de protéger leur système informatique alors même que leur candidate était l’épouse de l’ancien président et ex ministre des Affaires étrangères !

Quant à l’implication de Moscou, elle reste à prouver. Affirmer que Trump a été élu grâce à l’appui de Poutine n’a pas de sens, car si tel était le cas, l’opération aurait été d’un grand amateurisme et aurait eu pour effet de voir son soutien démasqué et son candidat décrédibilisé, ce qui aurait été totalement contre-productif.

La « vertu » américaine offusquée : quand l’hôpital se moque de la charité

Dans le cadre de l’expulsion des trente-cinq diplomates russes, Barack Obama a invité les pays « amis et alliés » des Etats-Unis à « travailler ensemble pour contrer les efforts de la Russie visant à saper les bonnes pratiques internationales et à s’ingérer dans le processus démocratique ». A l’occasion de cette affaire Washington s’érige donc en victime innocente d’une cyberagression contraire au droit international, condamne sans hésitation de telles pratiques et dénonce la volonté de Moscou d’interférer dans le processus démocratique des Etats-Unis. Si nous ignorions qu’il n’y a pas plus éloquente qu’une prostituée faisant un discours sur la chasteté, nous en tomberions à la renverse !

L’espionnage est un grand classique entre les Etats. Indéniablement, les Russes, comme les autres nations, espionnent leurs principaux rivaux, concurrents et alliés. Mais si pendant la Guerre froide, les Soviétiques étaient de loin le plus agressifs, la situation s’est inversée depuis. La croissance exponentielle de la communauté américaine du renseignement et de ses moyens font des Etats-Unis le pays du monde qui espionne le plus les autres, au prétexte de la guerre contre le terrorisme (GWOT). Entendre Washington se plaindre de l’agressivité des services russes – ce qui est au passage une réalité, aux Etats-Unis comme en Europe – laisse songeur. Utiliser un tel argument relève d’une mauvaise fois évidente

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Washington a conduit plus d’interventions politiques clandestines dans le monde – orientant le résultat d’élections ou soutenant des coups d’Etat[7] – que ne le fit l’URSS. Les Américains ont même théorisé le Regime Change, qu’ils ont appliqué en agissant par ONG « démocratiques » interposées à l’occasion des « révolutions oranges » dans les années 1990, du « printemps » arabe à partir de 2011, ou de la pseudo révolution de Maidan en Ukraine (2014), ou bien encore en bafouant ouvertement le droit international lors de l’invasion de l’Irak en 2003.

Il convient également de rappeler que la NSA a mis sur écoute les dirigeants politiques de la planète entière – y compris ses plus fidèles alliés -, qu’elle surveille toutes les communications électroniques mondiales et qu’elle a développé des capacités d’attaques informatiques sans équivalent dans le monde.

Ce sont les États-Unis qui ont lancé les premières cyberattaques en Iran, afin de saboter, avec l’aide des services israéliens, le programme nuclaire iranien. Cette histoire est détaillée dans les documents de Snowden dont l’authenticité n’a jamais été mise en doute. La NSA a également pénétré les réseaux informatiques de plusieurs agences et minstères de Chine. Ce sont là des actes de guerre. Et les frappes de drones comme les éliminations ciblées conduites dans le cadre de la guerre contre le terrorisme relèvent de la même logique. Or, les Etats-Unis ont toujours traité par le mépris et balayé d’un revers de la main les critiques et accusations formulées contre eux en raison de ces actes, déniant aux autres Etats comme à la communauté internationale le droit de les juger de quelque manière que ce soit. Voir donc aujourd’hui la Maison-Blanche dénoncer une violation des règles internationales – qui plus est sans guère de preuves – dont le pays aurait été victime illustre bien l’unilatéralisme qui caractérise Washington depuis la fin de la Guerre froide.

Les enjeux véritables de la crise pour l’administration Obama

Au demeurant, cette affaire survient dans un contexte très particulier, dont il importe de rappeler les nombreux paramètres.

– L’Establishment de Washington a été totalement surpris par la victoire de Donald Trump et a compris qu’un grand ménage allait avoir lieu dans lequel beaucoup de ses membres perdraient leurs positions politiques et les retombées économiques liées à leurs alliances internationales.

– Aussitôt élu, le futur président a clairement manifesté son extrême méfiance à l’égard de la communauté du renseignement et plus particulièrement de la CIA, qu’il soupçonne d’avoir eu une forte et néfaste influence sur la politique de ses deux prédécesseurs.

– Aussitôt désigné comme futur Conseiller à la Sécurité nationale, le général Michael Flynn[8] a annoncé qu’il allait recentrer l’Agence – dont il critique ouvertement les performances – sur la recherche et l’analyse du renseignement et a désigné un nouveau directeur chargé de la remettre au pas[9]. Flynn a déclaré qu’il allait confier à l’avenir l’ensemble des opérations clandestines au Commandement des opérations spéciales (USSOCOM[10]/JSOC[11]) – donc au Pentagone -, ce à quoi la CIA est déterminée à s’opposer à tout prix.

– Donald Trump, Mike Flynn, mais aussi le futur secrétaire d’Etat, Rex Tillerson – actuel président d’Exxon-Mobil – n’ont pas fait mystère de leur volonté de renouer des relations de confiance et de partenariat avec la Russie de Poutine, ce qui va à l’encontre des positions de l’administration actuelle et de ses intérêts.

Nous sommes donc là de manière évidente dans une affaire américano-américaine ou deux clans s’affrontent pour rénover ou conserver le pouvoir… avant le 20 janvier, date de prise de fonction de Donald Trump. Ainsi, Barack Obama et son administration s’emploient clairement à :

– pourrir la situation pour le début de la présidence Trump, à défaut de pouvoir remettre en cause son élection,

– saboter le rapprochement américano-russe.

Rappelons également que l’expulsion des officiels russes intervient quelques jours après la libération d’Alep par la coalition russo-syrienne et l’accord de cessez-le-feu conclu entre Russes, Syriens, Iraniens et Turcs sans la participation de Washington. Ce sont là deux déconvenues majeures de la politique étrangère américaine. Enfin, rappelons qu’Edward Snowden, la bête noire du renseignement américain, est toujours à Moscou. Dès lors, rien d’étonnant à ce que Washington multiplie les provocations vengeresses à l’encontre de la Russie.

La réaction russe

La Russie a « catégoriquement » rejeté les accusations dont elle est l’objet, les jugeant « indécentes ». A titre de réciprocité, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères à immédiatement proposé à Vladimir Poutine de déclarer persona non grata trente et un diplomates de l’ambassade des États-Unis à Moscou et quatre du consulat de Saint-Pétersbourg et de leur interdire l’utilisation d’une maison de campagne dans la banlieue de Moscou et d’un bâtiment leur servant de dépôt dans la capitale. Mais le président russe a déclaré qu’il n’expulserait aucun diplomate américain, souhaitant ne pas répondre à ce « nouveau geste inamical de l’administration américaine sortante » destiné « à déstabiliser plus encore les relations russo-américaines », alors même qu’il attend l’entrée en fonction du nouveau président américain pour rétablir avec lui des relations de confiance entre les deux pays. Donald Trump a salué aussitôt « l’intelligence » du président russe. Force est de constater l’astuce avec laquelle Vladimir Poutine a su éviter le piège tendu par l’administration américaine, désamorçant ainsi une crise aurait pu provoquer une tension majeure.

*

Le psychodrame sur le prétendu mais non étayé piratage russe n’a pas peut-être pas encore atteint son paroxysme, car il reste trois semaines avant l’investiture de Donald Trump. Mais déjà, cette affaire, dans laquelle le grotesque le dispute à l’absurde, s’affirme comme l’une des histoires les plus surréalistes des relations internationales  contemporaines.

Conséquence de la croissance exponentielle des supports d’information (internet, réseaux sociaux, médias audiovisuels) depuis le milieu des années 1990, puis de l’entrée en scène des Spin Doctors à partir de 2002, le monde est entré dans une nouvelle ère de manipulation de l’information et des opinions. La combinaison d’un Storytelling efficace et de la maîtrise des canaux de communication internationaux permet de faire apparaître le faux encore plus vrai que le vrai[12]. Les justifications fantaisistes de l’invasion de l’Irak en 2003, le « roman » des « révolutions » arabes à partir de 2011, les présentations faussées de la crise ukrainienne et du conflit syrien n’en sont que les illustrations les plus visibles.

En accusant le Kremlin de vouloir pour manipuler et détruire la démocratie américaine, une partie de l’Establishment d’outre-Atlantique s’est lancée dans une tentative aussi pathétique que desespérée ayant pour but de permettre à ses membres de conserver leurs postes et de poursuivre la politique internationale de tension qu’ils ont mis en place depuis le début des années 2000, la seule qui, à leurs yeux, permette d’assurer la pérennité de la domination politique et économique des Etats-Unis sur le monde.

 


Source : CF2R, Eric Denécé, 01-01-2017

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Source: http://www.les-crises.fr/eric-denece-etats-unis-les-vraies-raisons-de-lexpulsion-des-diplomates-russes/


Italie : la BCE critiquée pour son attitude dans l’affaire Monte dei Paschi di Siena, par Romaric Godin

Wednesday 4 January 2017 at 01:00

Source : La Tribune, Romaric Godin, 29/12/2016

La BCE a-t-elle eu la dent trop dure contre Monte dei Paschi di Siena ? (Crédits : © Stefano Rellandini / Reuters)

La BCE a-t-elle eu la dent trop dure contre Monte dei Paschi di Siena ? (Crédits : © Stefano Rellandini / Reuters)

Le ministre italien de l’Économie critique l’opacité qui a accompagné l’exigence relevée de capitaux de la BCE concernant la banque italienne. L’Italie craint d’avoir voulu être victime d’une stratégie de communication de l’institution.

Décidément, l’union bancaire européenne, souvent présentée comme une des plus grandes réalisations de l’après-crise dans l’Union européenne, ne cesse de montrer ses limites. La Grèce, le Portugal et maintenant l’Italie ont renfloué leurs banques avec de l’argent public, malgré les promesses du nouveau mécanisme de résolution en vigueur depuis le 1er janvier qui devait bannir ces pratiques. Désormais, c’est le superviseur unique, la BCE, qui est dans le viseur. Ce jeudi 29 décembre, le ministre italien de l’Économie, Pier Carlo Padoan, a ouvertement critiqué sans détour les méthodes de l’institution de Francfort.

Vives critiques

La BCE a en effet relevé en début de semaine ses exigences de recapitalisation de la banque Monte dei Paschi di Siena de 5 à 8,8 milliards d’euros. Un relèvement qui a surpris le ministre. Certes, dans son interview au quotidien des affaires Il Sole-24 Ore, Pier Carlo Padoan prévient que le « conseil de supervision bancaire de la BCE est une autorité indépendante et que sa décision n’est pas contestable ». Mais il ajoute aussitôt que « il serait utile – je ne dis pas courtois – d’avoir de la part de la BCE quelques informations supplémentaires sur les critères avec lesquels elle est parvenue à cette évaluation ». Pier Carlo Padoan affirme avoir reçu une lettre de « cinq lignes et trois chiffres ».

La critique n’est pas seulement une amertume de la part d’un ministre contraint de dépenser davantage pour sauver Monte Paschi. C’est aussi une demande de transparence et de justice.

« Une explication permettrait aussi aux autres banques de comprendre comment se comporter correctement quand elles se tournent vers la BCE », indique le ministre italien.  Et de conclure : « le manque de transparence des informations se traduit par de l’opacité et les choses opaques conduisent à des interprétations presque toujours erronées ».

Derrière les termes choisis, le discours est clair : les décisions de la supervision unique de la BCE manquent de clarté et sont donc soumises à des soupçons d’arbitraire.

Une ligne dure qui a aggravé la situation

Cette critique intervient alors, qu’en Italie, l’exigence de la BCE a été mal perçue et assez mal comprise. Le sentiment d’un acharnement est assez perceptible. Même Il Sole-24 Ore, d’ordinaire assez modéré, estime que la « ligne dure de la BCE a rendu la crise de Mone Paschi ingérable ». La BCE a, en effet, imposé dès juin une recapitalisation avant le 31 décembre et non sur trois ans comme l’envisageait Rome. Elle a refusé le délai supplémentaire de 20 jours demandé par Rome, après le « non » au référendum institutionnel du 4 décembre qui rendait une solution privée plus difficile. Cette ligne a exercé une pression forte sur la banque et le gouvernement et a rendu une solution « de marché » plus difficile en créant des inquiétudes sur les marchés et en alourdissant ainsi la facture finale. Elle a conduit à une urgence qui a rendu la solution privée plus difficile.

Faire un exemple ?

Certes, selon Reuters citant une source proche du dossier, les 8,8 milliards d’euros ne permettraient pas à Monte Paschi que d’atteindre un ratio de solvabilité CET-Tier1 de 8 %, soit un niveau relativement bas au regard du résultat des tests de résistance européens. Mais alors, pourquoi ne pas avoir justifié ce choix et pourquoi ne pas l’avoir argumenté ? Immanquablement, l’idée que la BCE a voulu « faire un exemple » avec la banque italienne en se montrant le plus ferme possible s’est installée en Italie. Cette fermeté peut certes être uniquement « technique » :  elle viserait alors à inviter l’État italien à régler une bonne fois pour toutes le problème des créances douteuses, notamment en facilitant le recouvrement de ces créances par des procédures plus rapides, mais aussi en accélérant la restructuration du système bancaire.

Le problème des créanciers particuliers

Mais cette exigence implicite oublie évidemment la crise économique que traverse depuis 2011 le pays et qui rend ces solutions « techniques » relativement vaines. Surtout, elle nie ce fait qui a été une des raisons de la lenteur des autorités italiennes à agir : la surreprésentation de créanciers particuliers parmi les détenteurs d’obligations des banques italiennes. Rome ne peut sacrifier ces créanciers comme l’exigent les nouvelles règles de l’union bancaire pour des raisons économiques et politiques. Dans le cas de Monte Paschi, le gouvernement italien a du reste prévu une compensation pour les créanciers particuliers qui devront être mis à contribution. En relevant les exigences de recapitalisation, la BCE a naturellement rendu cette compensation plus coûteuse et difficile pour l’État italien. C’est pourquoi cette décision a été aussi mal perçue de l’autre côté des Alpes.

Désamorcer les critiques allemandes ?

 

[…]

Lire la suite sur : La Tribune, Romaric Godin, 29/12/2016

Source: http://www.les-crises.fr/italie-la-bce-critiquee-pour-son-attitude-dans-laffaire-monte-dei-paschi-di-siena-par-romaric-godin/


L’invasion de Panama : Une héroïne de “Little Hiroshima”, par Hernando Calvo Ospina

Wednesday 4 January 2017 at 00:01

Pour ne pas oublier la terrible invasion de Panama en 1989…

Source : Hernando Calvo Ospina, 22-12-2016

Hernando CALVO OSPINA

C’était le 19 décembre 1989. Après le dîner, le couple s’était consacré à l’installation de la crèche de Noël. Ils avaient pratiquement tout mis en place : la Vierge Marie, Saint Joseph, les bergers, le bœuf, l’âne et un grand nombre de figurines. Elle avait dû expliquer vingt fois à Jorge, le plus jeune, qui avait quatre ans, pourquoi il devait attendre le 25 décembre pour placer l’enfant Jésus : c’est ce jour-là qu’il était né.

Au moment d’aller se coucher, les enfants refusèrent de dormir dans leurs lits. Ils voulaient rester près de la crèche. Ana, la mère, accepta à la condition qu’ils dorment de l’autre côté, près de la fenêtre. Les parents y disposèrent un matelas.

Il y avait de la musique dans le voisinage. L’ambiance festive allait crescendo, car ça sentait déjà Noël, particulièrement dans ce quartier panaméen du Chorrillo. Son mari alla se coucher. Elle se sentait étrange. Elle était fatiguée, mais elle préféra s’asseoir par terre et lire un livre. Par moments, elle observait avec tendresse ses deux petits garçons. Le temps passa.

Elle regarda le vieux réveil posé sur la télévision et se rendit compte qu’il manquait peu de temps pour qu’une aiguille recouvre l’autre : il était presque minuit. C’est alors que l’appareil commença à vibrer. Elle regarda les murs, le plafond et posa les yeux sur les figurines qui changeaient de place. Tout tremblait ! Elle entendit un terrible fracas, ensuite un autre, puis d’autres. Pendant quelques secondes, elle crut que c’était une autre manœuvre de l’Armée étasunienne cantonnée aux alentours du Canal.

Elle se leva comme un ressort et fonça vers la chambre où son mari était déjà debout, en slip. Ensemble, ils s’approchèrent de la fenêtre et se penchèrent terrifiés. Ils vivaient au quatrième étage. Partout des éclats de lumière et des explosions : « L’invasion, l’invasion ! » furent les cris angoissés qu’ils entendirent comme un chœur. Les hélicoptères lançaient des fusées contre la Caserne de l’Etat Major des Forces de Défense Panaméenne, située non loin de là.

Ils coururent au salon. Elle ouvrit la porte, sortant sur le balcon pour être témoin du début de l’apocalypse. Les cris de terreur s’amplifiaient de tous côtés, aussi bien que les explosions et les rafales de tirs. Elle entra et se jeta sur les enfants qui étaient déjà assis en pleurs, effrayés. Elle les embrassa. Elle leva les yeux et vit son mari planté là au milieu de la pièce et ne sachant que faire. « Apporte un matelas ! Apporte un matelas ! », lui cria-t-elle. L’homme réagit enfin en s’exclamant qu’il fallait mettre les enfants près de la crèche pour que la Vierge Marie les protège.

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« Apporte un matelas, je t’en prie, apporte-le ! », lui cria-t-elle, désespérée « La vierge ne peut rien pour nous en ce moment ! », précisa-t-elle. Voyant les éclats lumineux qui entraient par la fenêtre et le tremblement de terre à ses pieds, elle courut jusqu’à la chambre des garçons, saisit le matelas qui restait et le souleva, comme s’il s’agissait d’une plume et le plaça sur les petits qui ne cessaient de pleurer, paniqués.

Les avions supersoniques sillonnaient le ciel, suivis d’un bruit qui faisait éclater les tympans et les vitres. Le ciel devenait rougeâtre à cause du reflet des explosions et des incendies. Le bruit des rotors des hélicoptères résonnait partout. Les fusées aussi partaient de la baie très proche : les navires de guerre bombardaient également.

Soudain, par la porte entra une sorte de rayon aveuglant. Quand elle rouvrit les yeux, tout était encore illuminé et tremblant, mais il y avait une sorte de fumée dont on ne pouvait définir l’odeur. A la place de la crèche et de la télévision, il ne restait plus qu’une tache d’huile noire et des cendres. Même la Vierge n’avait pas été épargnée.

Son mari, atterré et muet, regardait « ça’ » puis regardait où se trouvaient les petits. Si sa femme n’avait pas été là…

Ana se rappela qu’elle était élue de la commune, et que pour cette raison elle devait se calmer et essayer d’aider. Elle ouvrit la porte de l’appartement et trouva tous les voisins déboussolés, en plein chaos.

Elle dit à son époux qu’il fallait partir avec les enfants, car une bombe pouvait détruire le bâtiment de sept étages. Il fallait chercher un refuge. Il sortit avec les enfants dans les bras, tandis qu’elle montait les étages pour exiger que tout le monde évacue les lieux. Au dernier étage, elle découvrit deux petits vieux qui pleuraient et criaient, tout en demandant à leur petit-fils de quitter le balcon d’en face. Le jeune menaçait un hélicoptère avec un revolver qui n’avait plus de balle. +Ana lui cria que par sa faute, ils allaient bombarder l’immeuble. Il semblait devenu fou et s’exclamait à pleins poumons « Yankees assassins ! Yankees fils de putes ! ». Les trois virent une sorte de rayon laser couper le jeune en deux, au niveau de la ceinture. Même une scie électrique ne l’aurait pas fait avec autant de facilité. Des cris et encore des cris de panique, et l’impuissance devant tant d’horreur. Ana poussa les vieux, les obligeant à descendre, même s’ils n’avaient plus envie de vivre.

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En bas, elle rencontra son mari. Tous les enfants qu’il y avait là étaient dans une panique totale. Elle, avec précaution, ouvrit le portail et sortit. Lui n’osa pas la retenir. Elle était comme ça. Dans la diagonale, plusieurs bâtiments brûlaient. A chaque explosion de bombes, les gens hurlaient, car ils croyaient qu’elles leur tombaient dessus.

Les hommes et les femmes couraient dans tous les sens, portant jusqu’à trois enfants dans les bras. Des enfants portaient des enfants. Des vieillards priaient, à genoux dans l’embrasure des portes.

Au coin de la rue, à quelque cent mètres, elle vit trois hommes en civil tirer sur les hélicoptères. Elle courut jusqu’à eux et demanda une arme. Il n’y en avait pas.

Elle revint sur ses pas, déçue. Elle proposa de rester là parce qu’il n’y avait nulle part où aller. Ils se blottirent à l’intérieur de l’immeuble. Certains s’étreignaient. Tout en pleurant, les hommes et les femmes se mirent à attendre que la lumière du jour se lève, car peut-être que cet horrible cauchemar serait moins épouvantable.

A 6h15, les explosions continuaient. Ana ouvrit lentement le portail, avança la tête et découvrit plusieurs hommes aux visages peints. Elle pensa qu’elle était morte quand ils la visèrent de leurs armes immenses. Ils commencèrent à lui crier plusieurs choses dont les seules qu’elle put comprendre furent « go, go, go », dehors, dehors, dehors. Ils leur firent signe de sortir les mains en l’air. Les envahisseurs avaient pris possession de presque toutes les maisons et les immeubles. L’un d’eux, qui avait une tête de latino, leur dit en espagnol qu’ils devaient aller jusqu’à Balboa, un port situé à l’embouchure du canal de Panama, au bord de l’Océan Pacifique. A peu près à cinq kilomètres de là.

Les tanks entraient massivement dans Chorrillo. Les envahisseurs sortirent des véhicules, criant en anglais de quitter les lieux. Ils commencèrent ensuite à lancer à l’intérieur des maisons un petit dispositif qui prenait feu comme par magie. A San Miguelito, un autre quartier peuplé de gens modestes, c’était le même scénario.

Ana voulut aider une femme blessée qui pouvait à peine marcher et qui portait son petit garçon dans les bras. Les soldats les visaient, menaçants. Une autre femme vint l’aider, sachant qu’elles pouvaient être assassinées si elles n’avaient pas les mains en l’air.

Il y avait beaucoup de morts dans les rues, tous des civils. Un garçon de dix ans montra horrifié les corps de deux petites camarades d’école gisant dans une grande flaque de sang. Ana sentit son âme se déchirer quand elle reconnut sa voisine, ses deux enfants dans les bras, tous trois quasiment calcinés.

Tout le groupe et ceux qui assistèrent à la scène lancèrent les cris les plus déchirants de leur vie en voyant un tank passer sur les corps de deux hommes, alors que l’un deux, blessé, était assis dans la rue. Les chenilles du tank les réduisirent en bouillie. Les cerveaux volèrent à plusieurs mètres. Parmi les témoins, certains se mirent à vomir ou tombèrent à genoux. Et ceci se reproduisit plusieurs fois pendant le trajet.

On marchait au milieu les cadavres. Les envahisseurs étaient libres d’assassiner comme bon leur semblait. Ils exécutaient des civils en pleine rue pour le seul motif qu’ils leur avaient crié « yankee go home », yanqui, dehors !

Il n’était pas permis de porter secours aux blessés, ni que les membres d’une même famille touchent à leurs morts. Les camions des envahisseurs venaient les chercher et les emportaient. De nombreux habitants de la capitale virent quand ils incinéraient les corps avec des lance-flammes sur les plages. Tandis que d’autres centaines de corps furent jetés dans des fosses communes.

Au même moment, dans les quartiers riches, des gens sortaient se prendre en photo avec les envahisseurs, en arborant le drapeau des Etats-Unis. Des femmes voulaient même les embrasser. Dans certains endroits de la campagne, on leur offrait aussi du Coca-Cola et des cigarettes.

Cette invasion étasunienne fut appelée « Juste Cause » : ce fut le plus grand débarquement aérien depuis la Seconde Guerre Mondiale. Sur ce petit pays de trois millions d’habitants, s’abattit tout le pouvoir militaire de la première puissance mondiale : 26 000 soldats qui semblaient assoiffés de sang. Tandis que l’ONU condamnait l’invasion barbare, le président français, François Mitterrand, fut le seul à la soutenir ouvertement.

Le Panama se transforma en un champ d’expérimentation de la technologie de guerre la plus avancée, celle qui fut ensuite utilisée en Irak, en 1991. Par exemple, le rayon qui détruisit la crèche et la télévision d’Ana, et qui coupa le petit-fils en deux : c’était aussi le baptême de l’avion bombardier invisible « Stealth ».

Les Forces de Défense de Panama comptaient à peine 3 000 combattants. La défense aérienne était inexistante. Civils et militaires donnèrent leur vie non pas pour le général Antonio Noriega, mais pour la souveraineté et pour la patrie.

Car s’il y eut plus de 4 000 personnes assassinées, c’était sous prétexte de capturer le dictateur Noriega recherché pour narcotrafic. Un militaire qui, peu de mois auparavant, était encore l’un des favoris des Etats-Unis en Amérique Latine. Salarié de la CIA, et grand ami de George Bush père, il servit de pont entre la mafia colombienne et la CIA pour le trafic de cocaïne qui finança la guerre contre-insurrectionnelle en Amérique centrale, dans les années quatre-vingt. Mais dans un sursaut de souveraineté, il refusa que les Etats-Unis aient le moindre contrôle sur Panama, à commencer par le Canal. Alors ses péchés, qui n’avaient jamais été considérés comme tels, firent tout à coup la une des journaux.

Lors de l’invasion, ils ne purent lui mettre la main dessus. La CIA fut ridiculisée. Ils durent promettre de l’argent pour le capturer. Noriega se rendit le 3 janvier 1990.

Les envahisseurs s’acharnèrent sur Chorrillo et San Miguelito parce qu’ils savaient que dans ces quartiers ils n’étaient pas les bienvenus. Ils n’y laissèrent que quelques rares colonnes de béton armé. Les soldats étasuniens eux-mêmes se mirent à nommer Chorrillo leur « Petit Hiroshima », en souvenir des ruines, de la mort et de la désolation auxquelles fut réduite la ville japonaise après la bombe atomique lancée par les Etats-Unis le 6 août 1945. La grande majorité des Panaméens le considèrent comme le « Quartier Martyr ».

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Héroïne et martyre, Ana le fut. Elle laissa son mari avec les enfants et s’évada du camp de concentration où on les avait parqués à Balboa. Elle se joignit à ceux qui combattaient les troupes d’envahisseurs. Elle leur infligea plusieurs pertes et endommagea un hélicoptère. La femme qui tirait à ses côtés vit la balle qui transperça la poitrine d’Ana. Agonisante, elle murmura : « Parle de moi à mes enfants ». Sa main serrait si fort le fusil qu’on faillit ne pas le récupérer.

Hernando Calvo Ospina

Journaliste, écrivain et réalisateur colombien résident en France.
Texte extrait du livre Latines, belles et rebelles, Le Temps des cerises éditeurs, Paris 2015

Source : Hernando Calvo Ospina, 22-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/linvasion-de-panama-une-heroine-de-little-hiroshima-par-hernando-calvo-ospina/


Propaganda, par Michel Onfray

Tuesday 3 January 2017 at 01:35

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La presse n’est pas libre, ne l’a jamais été et ne le sera jamais : elle est subjective, idéologique et de parti pris. Elle défend une ligne qui est le Bien, puis elle attaque tout ce qui n’est pas cette ligne et le transforme en Mal.

Il existe une presse qui abat les cartes et fait savoir qu’elle est militante : par exemple, à gauche, L’Humanité ou Politis et Rivarol ou Présent à l’extrême-droite, la vraie – celle qui a des trémolos dans la voix quand elle parle de Vichy, de Pétain, de l’Algérie française et de l’OAS. C’est aussi celle qui a le verbe haineux quand elle parle des Juifs. Comme dans le missel pour le catholique, on sait qu’en la lisant on se retrouvera chez soi : une nostalgie de Robespierre et de son gouvernement révolutionnaire bien affilé chez les premiers, un regret de Bastien Thiry et de son projet de tuer l’homme du 18 juin chez les seconds. Cette presse dit sa vérité, elle prétend toujours qu’il s’agit de la vérité, mais, finalement c’est la vérité de la tribu et rien d’autre. Or une vérité de tribu est une opinion.

Cette presse d’opinion a le mérite de ne pas avancer masquée. On sait qui elle est. Ce qui n’est pas le cas de la presque totalité des autres titres de la presse d’information qui ajoute la dissimulation au parti-pris. De droite comme de gauche, elles font toutes la propagande de l’idéologie dominante en prétendant dire le vrai sous couvert de compétence économique : celle de l’Europe libérale.

Cette Europe organise autocratiquement le libéralisme, un comble en même temps qu’un paradoxe,  de façon à ce que les marchés (la fameuse « concurrence libre et non faussée »…) décident pour le peuple de son destin. Depuis Maastricht, cette idéologie est à la France ce que le marxisme-léninisme était à l’Union soviétique : l’unique horizon indépassable pour réaliser l’avenir radieux et son homme nouveau – bobo, cosmopolite, polyglotte, nomade, riche, consumériste.

Quiconque refuse ce programme  passe dans cette presse libérale pour un lepéniste haineux, un nationaliste belliciste, un monolingue limité, un provincial demeuré, un salaud de pauvre sous-diplômé.

Ce faisant, en méprisant quiconque ne pense pas comme elle à longueur de colonnes, cette presse engrosse le parti de Marine Le Pen dont le bureau de recrutement ne désemplit pas. En même temps, elle se fait haïr par ceux qui ne l’achètent plus car ils sont de moins en moins dupes de sa propagande.

La presse est un pouvoir sans contre-pouvoir. Du moins sans autre contre-pouvoir que les réseaux sociaux qui s’avèrent hélas trop souvent des réseaux asociaux dans lesquels, anonymat et pseudonymes aidant, on trouve le meilleur et le pire.

Pourquoi la presse majoritaire est-elle libérale bien qu’elle touche 400 millions par an d’aides de L’Etat (chiffre de 2013, détail édifiant dans : « Les aides de l’État à la presse écrite » , La Cour des comptes,‎ 18 septembre 2013)  – aides sans lesquelles elle ne pourrait pas vivre ?

Parce que l’argent fait la loi ; l’argent, donc les annonceurs. Le contribuable finance Libération ou Le Figaro et n’a rien à dire ; mais l’annonceur n’investit que dans la mesure où il s’assure d’un retour sur investissement. Il lui faut donc un support qui offre du temps de cerveau disponible.

Avec nombre de titres, le cerveau est disponible. Très disponible. Pas besoin de cortex, le cerveau reptilien suffit : oui / non, bien / mal, beau / laid, droite / gauche. Comme à la caserne. Ceux qui ne marchent au pas ? La raclée… La presse étant une juridiction d’exception, les passages à tabac médiatiques sont classés sans suite.  Raison d’Etat, police des moeurs, secret défense…

©Michel Onfray, 2016

Source: http://www.les-crises.fr/propaganda-par-michel-onfray/


Interview de Vincent Gelot, chargé de projet à l’Oeuvre d’Orient pour le Liban et la Syrie

Tuesday 3 January 2017 at 00:59

Comme quoi, il fut aussi écouter radio Vatican 🙂
Source : Radio Vatican, 15-12-2016
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Vincent Gelot, chargé de projet à  l’Œuvre d’Orient pour le Liban et la Syrie. Il est actuellement à Alep-ouest. Pour écouter son témoignage  c’est ici
Transcription : 
Vincent GELOT – La situation a pas mal évolué en quelques heures. Ces derniers jours, les bombardements continuaient, jusqu’à ce matin très tôt. À présent, les bombardements se sont tus depuis quelques heures : on en entend de temps en temps mais c’est très épisodique. Aujourd’hui, on n’entendait pas grand-chose donc a priori les gens sont en train de partir de ce qu’on appelait Alep Est. Ils sont en train d’être évacués. Les cessez-le-feu qui étaient annoncés volaient en éclats : les combats s’arrêtaient puis reprenaient.
Manuella AFFEJEE – Vous vous trouvez à Alep Ouest, quelle est la situation ?
VG – La vie a repris à Alep Ouest, les gens sortent, les enfants vont à l’école : la vie continuait déjà pendant la guerre. Mais là, en quelques heures, la vie a repris vraiment de plus belle : les gens sortent, prennent la voiture… Et surtout, les routes se sont ouvertes : tous les barrages qui existaient il y a 48 heures se sont levés, donc aujourd’hui, on avait accès à toute la partie qui était occupée par les rebelles. On peut aller jusqu’à l’aéroport par exemple ; on peut aller dans certains quartiers qui étaient fermés jusqu’ici. C’était assez impressionnant de suivre les gens qui n’avaient pas revu leur maison depuis cinq ans, par exemple. Tous les déplacés de cette zone-là qui avaient quitté la partie Est de la ville pour aller vers l’Ouest, qui revenaient voir l’état de leur maison… maison détruite ou pillée.
MA – On est confronté à deux types de réactions, même dans la rhétorique, dans les mots utilisés : certains parlent de « chute d’Alep », de « mort d’Alep », d’autres parlent de « libération » justement. Comment les événements sont-ils vécus par les habitants que vous côtoyez ?
VGLes gens sont soulagés. Cela fait quatre ans que c’est la guerre, qu’il y a des obus qui tombent des deux côtés. Aujourd’hui, ils peuvent sortir dans la rue sans craindre de recevoir un obus ou un morceau de métal d’une bombe éclatée. Je crois que c’est cela, la première chose. Ensuite, que l’on parle de libération ou que l’on dise que Alep est tombée, les gens ne prennent pas position : ils voulaient juste la paix, c’est tout ce qu’ils demandent. Les gens vivaient dans la terreur. Je suis admiratif de ces Alépins qui ont vécu au quotidien avec la peur de recevoir une bombe et dans des conditions extrêmement difficiles, avec le manque d’électricité, d’eau et aujourd’hui de chauffage pendant l’hiver.
MA – Comment les Alépins envisagent-ils l’avenir à présent ?
VG – J’ai l’impression qu’ici les gens ont vécu dans une logique de survie, donc pendant plusieurs mois, plusieurs années, c’était difficile de se projeter dans l’avenir. On dit que ça s’arrête mais on n’en est pas sûrs, les gens ne savent pas ce qui va arriver ensuite : peut-être que dans quelques heures les bombardements peuvent reprendre. C’est sûr qu’il y a un travail énorme de nettoyage et de reconstruction – reconstruction de la ville et des personnes. Et aussi de réconciliation. C’est un peuple qui a été brisé, les gens sont fatigués.
On dit que c’est la fin des combats mais ce matin, j’étais dans la partie – disons, libérée – de la ville, Alep Est : on voyait l’armée syrienne, l’armée du régime, et puis il y avait aussi des milices iraniennes, des milices du Hezbollah, il y avait le YPG (les Kurdes) qui prenaient position dans la ville. J’avais l’impression qu’on assistait déjà à une partition de Alep. Cela ne signifie pas forcément de belles heures à venir.
MA – Donc la prise de Alep ne signe absolument pas la fin de la guerre, on l’a pas bien compris. Vous êtes logé, si je ne m’abuse, chez les jésuites. C’est bien cela ?
VG – Tout à fait.
MA – J’imagine que vous côtoyez les chrétiens qui sont restés à Alep. Beaucoup sont partis mais il y en a qui sont restés. Quel est l’état d’esprit à l’approche de Noël ?
VG – Noël se prépare un petit peu, on voit des sapins qui poussent un peu partout, des guirlandes… Les gens préparent quand même Noël. Et les gens fêtaient Noël même pendant les années précédentes. Ils sont pris dans leur quotidien : le gasoil, faire chauffer la maison, manger tous les jours. 
J’ai posé à quelques Alépins la question de ce que Noël signifiait pour eux : certains me parlaient de résurrection, dans tous les sens du terme. J’étais avec l’évêque maronite, Monseigneur Tobji : l’unique église d’Alep, la cathédrale, a été complètement démolie, le toit est ouvert mais ils vont installer une crèche et célébrer Noël dans les ruines de la cathédrale. 
Il y a des symboles forts qui vont se mettre en place pour Noël pour Alep.
Source : Radio Vatican, 15-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/interview-de-vincent-gelot-charge-de-projet-a-loeuvre-dorient-pour-le-liban-et-la-syrie/


Les obstacles aux plans de « croissance » de Trump, par Alastair Crooke

Tuesday 3 January 2017 at 00:35

Alastair Crooke est un ancien diplomate britannique qui était un haut responsable du renseignement britannique et de la diplomatie de l’Union européenne.

Source : Consortium News, le 21/11/2016

Le 21 novembre 2016

Les électeurs de la Rust Belt [« Ceinture de la Rouille », nom donné à l’ancienne région industrielle Manufacturing Belt, NdT] se sont tournés vers Donald Trump dans l’espoir qu’il pourrait réindustrialiser les États-Unis, mais les plans du président-élu pourraient, selon l’ancien diplomate britannique Alastair Crooke, se heurter à des obstacles financiers et géopolitiques majeurs.

Nous sommes clairement à un moment charnière. Le président-élu Trump veut opérer des changements spectaculaires dans la trajectoire de son pays. Son cri de ralliement : vouloir que « les États-Unis soient Grands à nouveau » évoque, et certainement à dessein, l’épique expansion économique américaine des dix-neuvième et vingtième siècles.

Trump veut inverser la délocalisation des emplois américains. Il veut restaurer le socle industriel américain, remodeler les règles du commerce international ; il veut de la croissance et il veut des emplois aux États-Unis — il veut opérer un changement à 180 degrés dans la politique étrangère américaine.

On peut lire sur le panneau fatigué du Cinéma PIX dans la rue principale de Sleepy Eye, Minnesota, le 15 juillet 2016,

On peut lire sur le panneau fatigué du Cinéma PIX dans la rue principale de Sleepy Eye, Minnesota, le 15 juillet 2016, “Votez Trump”. (Photo de Tony Webster Flickr)

C’est un programme qui, tel quel, est plutôt louable. C’est précisément ce que beaucoup d’Américains veulent, et la période de transition que nous traversons, soumise à l’opacité totale et à la recherche de croissance (quel que soit le sens actuel de ce terme de “croissance”) appelle clairement une approche économique différente de celle suivie ces dernières décennies.

Comme l’a avancé avec perspicacité Raúl Ilargi Meijer, une plus grande autonomie est le futur du monde “post-croissance”, et post-mondialisation. Chaque pays et chaque société doit se focaliser sur l’autonomie, non comme un choix mondain idéal, mais comme une nécessité. Et cela n’est pas aussi mauvais ni aussi terrible que ne le laissent penser certains, et ce n’est pas la fin du monde… Ce n’est pas une transition idéaliste vers l’autosuffisance, c’est tout bonnement et fatalement ce qu’il reste quand une croissance débridée dérape.

“Toutes nos conceptions du monde et nos philosophies sont fondées sur le toujours plus et le toujours plus grand et plus encore, et toutes nos économies sont construites là-dessus. Cela nous a déjà conduits à ignorer le déclin de nos économies réelles depuis de nombreuses années maintenant. Nous nous concentrons sur les chiffres des marchés boursiers et autres, et nous ignorons l’effondrement du cœur de nos pays respectifs et des pays de notre zone d’influence.

“Donald Trump semble vraiment convenir idéalement pour cette transition. Ce qui compte (ici), c’est qu’il promette de ramener des emplois aux États-Unis, et c’est ce dont le pays a besoin… Non pour pouvoir alors exporter leurs produits, mais pour les consommer localement, et les vendre sur le marché intérieur. Il n’y a rien de mal ou de négatif pour un Américain d’acheter des produits faits aux États-Unis plutôt qu’en Chine.

“Il n’y a, économiquement (encore moins moralement), rien de mal à ce que les gens produisent ce qu’eux-mêmes, leurs familles ou leurs voisins proches veulent et ce dont ils ont besoin, sans devoir le trimballer aux quatre coins de de la planète pour un maigre profit. Du moins pas pour le quidam. Ce n’est pas une menace pour nos “sociétés ouvertes” comme beaucoup le clament. Cette ouverture ne dépend pas du fait d’avoir des choses transportées sur des milliers de kilomètres vers nos magasins, alors qu’on aurait pu les fabriquer nous-mêmes, avec un énorme bénéfice potentiel pour notre économie locale. Une “société ouverte” est un état d’esprit, qu’il soit collectif ou individuel. Ce n’est pas quelque chose qui est à vendre.”

Un grand souhait

C’est le grand souhait de Trump (en apparence). Ce n’est pas dénué d’intérêt, mais les choses ont changé : l’Amérique n’est plus ce qu’elle était au 19ème ou au 20ème siècle, ni en termes de ressources naturelles inexploitées, ni socialement. Et il en est de même pour le reste du monde.

M. Trump peut malheureusement découvrir que sa tâche principale ne sera pas la gestion de cette Grande Réorientation, mais plus prosaïquement le combat contre les vents contraires auxquels il sera confronté alors qu’il bataillera sur la barre du gouvernail de l’économie.

En bref, il y a une possibilité réelle que son ambitieux « remake » économique en prenne prématurément un coup à cause de la crise financière.

Ces vents contraires ne seront pas de son fait, et, pour la majeure partie, ils se situent au-delà du pouvoir humain en soi. Ils sont structurels, et ils sont multiples. Ils représentent l’accumulation d’une doctrine monétaire antérieure qui enfermera le président élu dans un petit coin d’où toute tentative de sortie aura des conséquences défavorables.

Idem pour quiconque tente d’orienter toute embarcation étatique dans cette économie mondiale contemporaine. Paradoxalement – dans une ère tournée vers une plus grande autosuffisance – quel que ce soit le succès que Trump pourrait rencontrer, celui-ci ne dépendra pas de sa propre marge de manœuvre; pas autant qu’il le souhaiterait.

Pour son tournant en politique étrangère, il lui faut trouver un intérêt commun avec le président russe Vladimir Poutine (ce qui ne devrait pas être trop dur) ; et le « tournant » économique repose sur la capacité de Trump de ne pas affronter la Chine, mais d’arriver à un modus vivendi avec le Président Xi (moins facile).

« Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient. » La « théorie de la complexité » nous dit qu’essayer de répéter ce qui a fonctionné plus tôt – dans des conditions très différentes – ne fonctionnera probablement pas si c’est répété plus tard. À l’ère de Clinton, par exemple, 85% de la croissance démographique des États-Unis provenait de la population en âge de travailler. Le vent de face que Trump devra affronter est que, au cours des huit prochaines années l’augmentation de la population proviendra des 80% de plus de 65 ans. Et les 65 ans et plus ne sont pas un bon moteur pour la croissance économique. Ce n’est pas un problème uniquement américain. C’est aussi une tendance mondiale.

“Le pic de croissance” (selon le blog d’Econimica), “au sein de la population active (15-64 ans) parmi les 35 nations riches de l’OCDE, la Chine, le Brésil et la Russie s’est effondré depuis son pic de 1981. La croissance annuelle de la population en âge de travailler parmi ces pays est passée de +29 millions par an à seulement +1 million en 2016 … mais, à partir de maintenant, la population en âge de travailler va diminuer chaque année … Ces pays représentent près des trois quarts de la demande mondiale de pétrole et des exportations en général. Mais l’ensemble de leurs populations en âge de travailler diminuera chaque année, à partir de maintenant (sûrement pendant des décennies et peut-être bien plus longtemps). La demande mondiale d’à peu près presque tout va aller en se détériorant.”

(FFR acronyme de Taux des Fonds Fédéraux: le taux d'intérêt principal des États-Unis) Source: http://econimica.blogspot.it/2016/11/trump-lies-no-different-than-obama-or.html

(FFR acronyme de Taux des Fonds Fédéraux: le taux d’intérêt principal des États-Unis) Source: http://econimica.blogspot.it/2016/11/trump-lies-no-different-than-obama-or.html

Et puis il y a la Chine : elle passe elle aussi par une « transition » difficile de l’ancienne économie à une économie « innovante ». Elle aussi connaît un vieillissement de la population et un problème d’endettement (avec un ratio dette/produit brut intérieur de 247%). Trump affirme que la Chine sous évalue délibérément la valeur de sa monnaie pour obtenir un avantage commercial injuste, et il suggère en outre qu’il a l’intention d’affronter le gouvernement chinois sur cette question clé.

Là encore, Trump a un bon argument (de nombreux pays gèrent leurs taux de change précisément pour essayer de “voler” quelques points de croissance supplémentaire au pot commun diminué). Mais comme le rapporte Zerohedge, citant l’analyse d’Eric Peters, le directeur de One River Asset Management :

“Ce qui est bon pour les USA, en ce cas de figure, (la hausse du dollar et des taux d’intérêt par anticipation de “l’économie à la Trump”), n’est pas bon pour les marchés émergents. Les marchés émergents bénéficient d’un dollar plus faible, et ce n’est pas ce que nous aurons. Les marchés émergents profitent des flux de capitaux mondiaux s’écoulant dans leur direction et ce n’est pas ce qui se passe non plus. Dès le mois de février, les marchés émergents déclinaient brutalement, à cause (1) d’un dollar fort, (2) des taux d’intérêt américains en hausse, et (3) du fait du ralentissement de la croissance chinoise.

“Les taux d’intérêt se sont effondrés tout au long de l’année. Comme la masse croissante des liquidités en dollars, yens et euros recherchait des profits décents, elle s’est dirigée vers les marchés émergents. Trump a relancé le ralliement au dollar, et ce stimulus fiscal va forcer les taux d’intérêt à monter. Cela a tout inverse. (Les dollars reviennent au pays)

“Et c’est un fait, les gens de Pékin ne veulent pas être confrontés à une défaillance économique avant le Congrès du Parti à l’automne prochain. Mais nous nous rapprochons en ce moment d’une impulsion maximale du stimulus chinois du premier trimestre.”

En bref, Peters nous dit que, dans un environnement où le dollar et les taux d’intérêt sont à la hausse, la croissance des marchés émergents dans leur ensemble va faiblir, puisque ces marchés ont soumis leurs économies à la croissance chinoise. C’était auparavant le cas quand ils étaient fermement liés à la croissance US, mais c’est maintenant la Chine qui domine les flux commerciaux de ME [c’est-à-dire que sans croissance chinoise, les marchés émergeants stagnent]. La question qui se pose est de savoir si l’Amérique peut relancer sa croissance pendant que la chine et les ME stagnent. C’est un autre changement structurel, alors que jusqu’à maintenant c’était l’inverse : sans croissance US, les ME et la Chine stagnaient. Maintenant, c’est le contraire.

Les économies affaiblies

Il y a bien sûr d’autres changements structurels qui vont rendre la tâche plus difficile pour les économies occidentales affaiblies de rapatrier des emplois qui avaient été délocalisés auparavant. Premièrement, il y a eu un basculement systémique des innovations et des technologies vers l’Est (grâce à une force de travail plus qualifiée et mieux éduquée). Cela représente non seulement un fait économique, mais également une redistribution du pouvoir. Dans tous les cas, la technologie dans cette nouvelle ère est plus destructive que productive en termes d’emplois.

Dans un sens, le plan économique de Trump “Refaire travailler l’Amérique” par des projets d’infrastructures financés massivement pas la dette rappelle l’ère Reagan, période pendant laquelle le dollar était fort. Mais encore une fois “les choses ne sont plus ce qu’elles étaient.” L’inflation était alors de 13%, les taux d’intérêt autour de 20%, et, point crucial, le ratio de la dette au PIB était à peine de 35% (comparé à l’estimation actuelle de 71,8% ou de 104,5% en incluant la dette extérieure.)

Alors, comme l’a suggéré Jack Rickards, le dollar fort était déflationniste (volontairement), et les taux d’intérêt ne pouvaient que baisser. C’était le début de trois décennies de boom obligataire, qui finalement semble arriver à leur terme, lequel coïncide avec l’élection de Trump. Aujourd’hui, l’inflation ne peut qu’augmenter – comme les taux d’intérêt – et le marché obligataire ne peut que baisser (de façon périlleuse).

Croissance et emplois ?

Trump peut-il concilier croissance et création d’emplois à travers des dépenses en infrastructures ? Eh bien, “Croissance” est un terme ambigu et changeant. Le premier graphique montre les deux côtés de l’équation… le PIB annuel et la dette contractée, dépensée et (donc comptée dans la croissance) pour atteindre l’objectif de croissance.

Source: http://econimica.blogspot.it/2016/11/trump-lies-no-different-than-obama-or.html

Source: http://econimica.blogspot.it/2016/11/trump-lies-no-different-than-obama-or.html

Le deuxième graphique montre le PIB annuel moins la croissance annuelle de la dette fédérale pour obtenir cette “croissance du PIB”. En d’autres termes, contrairement au début des années Reagan, la dette, maintenant, ne produit plus de croissance – mais… eh! bien, principalement juste plus de dette.

En fait, ce que le deuxième graphique reflète est le transfert – par la création monétaire – du pouvoir d’achat d’une entité (le consommateur américain), par l’intermédiaire du secteur financier, vers d’autres entités (principalement des entités financières et des entreprises qui rachètent leurs propres actions). C’est la déflation due à la dette : le consommateur américain finit par avoir de moins en moins de pouvoir d’achat (au sens de revenu résiduel discrétionnaire).

La chose à souligner ici est que la “croissance” devient plus rare partout. La Russie et la Chine, comme tous les autres, sont à la recherche de nouvelles sources de croissance.

Comme Rickards l’a dit, la dette est le “diable” qui peut défaire tous les plans de Trump : un plan de rénovation des infrastructures de 1000 milliards de dollars, ajouté à sa proposition de reconstruire l’armée, vont – au moins à court terme — augmenter les déficits annuels. En fait, les déficits montent déjà en flèche : le trou fiscal du budget de 2016 est passé à 587 milliards de dollars contre 438 milliards l’année précédente, soit une énorme augmentation de 34%… En plus de cela, la politique protectionniste de Trump soit mettrait en œuvre des droits de douane de 35% sur certaines importations, ou bien exigerait que ces biens soient fabriqués à l’intérieur des États-Unis à des prix beaucoup plus élevés. Par exemple, la hausse des coûts de fabrication par rapport à des produits fabriqués en Chine serait de 190% si on les compare au salaire minimum d’un travailleur imposé par le pouvoir fédéral. Donc, l’inflation est en route.

Pour résumer, l’auto-suffisance implique des coûts domestiques plus élevés et des hausses de prix pour les consommateurs.

Source: http://www.zerohedge.com/news/2016-11-16/saudis-china-dump-treasuries-foreign-central-banks-liquidate-record-375-billion-us-p

Source: http://www.zerohedge.com/news/2016-11-16/saudis-china-dump-treasuries-foreign-central-banks-liquidate-record-375-billion-us-p

La dette va augmenter. Et il semble déjà qu’il y ait une attaque en cours de la part des acheteurs contre la dette du gouvernement US : bien plus d’un tiers de bons du Trésor, pour une valeur de 1000 milliards de dollars, ont été revendus dans l’année au 31 août par des Banques Centrales étrangères.

Et qui les achète ? (Le graphique ci-dessous montre à quoi ressemblent ces achats, en pourcentage de la dette totale émise par le Trésor). Eh ! bien les banques centrales étrangères ont disparu. (Les chinois n’ont pas acheté un seul bon du Trésor depuis 2011.)

(Ci-dessus : qui a acheté la dette commercialisable en pourcentage, par périodes) Source: http://econimica.blogspot.it/2016/11/trump-lies-no-different-than-obama-or.html

(Ci-dessus : qui a acheté la dette commercialisable en pourcentage, par périodes)
Source: http://econimica.blogspot.it/2016/11/trump-lies-no-different-than-obama-or.html

C’est le public américain qui achète. Seront-ils disposés à suivre Trump dans sa dépense structurelle de 1000 milliards de dollars ? Ou bien, est-ce que cela sera la marque d’encore une autre diminution du pouvoir d’achat du consommateur ? La question de savoir si un tel investissement donne vraiment de la croissance est à mettre en balance pour obtenir une quelconque réponse. (Les marchés d’échange d’actions des sociétés industrielles le feront très bien, bien sûr.)

Le résultat financier : (Michael Pento, Rapport Pento) : “Si les taux d’intérêt continuent d’augmenter, ce ne sera pas seulement le cours des actions qui s’effondrera. Ce sera chaque actif évalué selon un soi-disant “taux de rendement sans risque” offert par la dette souveraine. On apprendra dès lors la douloureuse leçon selon laquelle le fait d’avoir eu une politique d’intérêts virtuellement à zéro depuis 90 mois n’était pas du tout sans risque. Tous les taux d’intérêt négatifs du marché ont faussé entre autres : les dettes des entreprises, les titres municipaux, les investissements immobiliers, les obligations, les actions, les cours des matières premières, voitures de luxe, œuvres d’art, tous les revenus d’actifs immobilisés et leurs dérivés, et tout ce qui tourne autour, s’effondreront en même temps que l’économie globale.

“Pour information, une normalisation de rendement des obligations serait à long terme très saine pour l’économie, tout comme il est nécessaire de réconcilier les déséquilibres économiques massifs déjà existants. Cependant, le Président Trump n’acceptera nullement une dépression qui entraînerait simultanément l’effondrement des cours de l’immobilier, des actions et des obligations.”

Une crise financière imminente

Pour être juste, Trump a dit avec consistance tout le long de la campagne électorale que celui qui gagnerait la campagne des présidentielles pour prendre ses fonctions en janvier serait confronté à une crise financière. Peut-être ne sera-t-il pas confronté au “retour brutal” du Quantitative Easing et de la bulle obligataire comme certains experts l’ont prédit, mais beaucoup d’autres – selon l’étude menée par la Banque d’Amérique sur 177 gestionnaires de fonds lors de ces six derniers jours, qui contrôlent un peu moins de 500 milliards d’actifs – s’attendent à une “faillite obligataire stagflationnaire.”

Cela a des implications politiques majeures. Trump ne cherche rien moins que transformer l’économie et la politique étrangère des États-Unis. Il le fait contre de nombreux partisans de l’élite libérale dans le contexte actuel, si irrités du résultat des élections, qu’ils rejettent complètement sa légitimité électorale (et, avec les élites restant elles-mêmes silencieuses face à ce rejet du processus démocratique américain). Des mouvements sont organisés pour détruire sa présidence (voir ici par exemple). Si Trump fait effectivement l’expérience d’un sévère « remaniement » financier à un moment d’une telle colère intérieure et d’une telle agitation, la tournure des événements pourrait devenir très laide.

Source : Consortium News, le 21/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-obstacles-aux-plans-de-croissance-de-trump-par-alastair-crooke/


Grèce : Les banques sont à l’origine de la crise, par Eric Toussaint

Monday 2 January 2017 at 01:16

Source : CADTM, Eric Toussaint, 23-12-2016

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Les dettes réclamées à la Grèce sont odieuses
par Eric Toussaint

23 décembre 2016

Cette étude démontre que la crise grecque qui a éclaté en 2010 est d’origine bancaire privée. Elle n’est pas le résultat d’un excès de dépenses publiques. Le soi-disant plan d’aide à la Grèce a été conçu pour servir les intérêts des banquiers privés et ceux des pays qui dominent la zone euro. L’adoption de l’euro par la Grèce a joué un rôle important dans les facteurs qui ont contribué à la crise. L’analyse contenue dans ce texte a été présentée à Athènes le 6 novembre 2016 lors de la réunion de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque.

Pour la période 1996-2008, à première vue, l’évolution de l’économie grecque ressemble à une success story ! L’intégration de la Grèce au sein de l’Union européenne et à partir de 2001 dans la zone euro a l’air de réussir. Le taux de croissance économique est élevé, plus élevé que celui des économies les plus fortes d’Europe.

En réalité, ce succès apparent cachait un vice, tout comme cela a été le cas dans un grand nombre de pays : non seulement l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, Chypre, les républiques baltes, la Slovénie, mais également la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Autriche… qui ont été très affectés par la crise bancaire à partir de 2008 |1|. Sans oublier l’Italie rattrapée par la crise bancaire quelques années après les autres.

Au début des années 2000, la création de la zone euro a généré d’importants flux financiers volatils et souvent spéculatifs |2| qui sont allés des économies du Centre (Allemagne, France, Benelux, Autriche,…) vers les pays de la périphérie (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Slovénie, etc.).

Les grandes banques privées et d’autres institutions financières des économies du centre ont prêté de l’argent aux secteurs privé et public des économies périphériques car il était plus profitable d’investir dans ces pays que dans les marchés nationaux des économies du centre. L’existence d’une monnaie unique, l’euro, a encouragé ces flux car il n’y avait plus de risques de dévaluation en cas de crise dans les pays de la périphérie.

Cela a créé une bulle du crédit privé, touchant principalement le secteur immobilier, mais aussi celui de la consommation. Le bilan des banques de la périphérie a fortement augmenté.

En Irlande, la crise a explosé en septembre 2008, lorsque d’importantes banques ont fait faillite suite à l’effondrement de Lehman Brothers aux États-Unis. En Espagne, en Grèce et au Portugal, la crise a débuté plus tard, en 2009-2010 |3|.

L’explosion de la bulle du crédit privé en 2009-2010 (provoquée par la récession internationale qui avait suivi la crise des subprimes aux États-Unis et sa contamination aux banques des économies européennes du centre) et notamment la crise du secteur bancaire ont conduit à des sauvetages (bail-out) massifs des banques privées.

Ces sauvetages ont provoqué une énorme augmentation de la dette publique. En effet l’injection de capitaux publics dans les banques et les autres mécanismes de sauvetage ont été très coûteux.

Il est clair qu’il NE fallait PAS recourir au bail-out des banques et qu’il NE fallait PAS socialiser leurs pertes privées.

Il fallait recourir au bail-in des banques : organiser leur faillite ordonnée et faire payer le coût de l’assainissement par les grands actionnaires privés et les grands créanciers privés. Il fallait également en profiter pour organiser la socialisation du secteur financier. C’est-à-dire exproprier le secteur bancaire privé et le transformer en un service public |4|.

Mais il y avait d’importants liens, et même une complicité, entre les gouvernements des pays de la zone euro |5| et le secteur bancaire privé. Les gouvernements ont donc décidé d’utiliser de l’argent public pour sauver des banquiers privés.

Puisque les États de la périphérie n’étaient pas assez forts financièrement pour organiser eux-mêmes le bail-out de leurs banques afin de mettre à l’abri les banques françaises, allemandes, etc., les gouvernements des économies du centre (Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Autriche, etc.) et la Commission européenne (parfois avec l’aide du FMI) ont mis en œuvre les tristement célèbres Memorandums of Understanding (MoU) ou « protocoles d’accord ». Grâce à ces MoU, les grandes banques privées et d’autres grandes institutions financières privées d’Allemagne, de France, des pays du Benelux et d’Autriche (c’est-à-dire le secteur financier privé des économies du Centre) ont pu réduire leur exposition dans les économies périphériques. Les gouvernements et les institutions européennes ont profité de cette occasion pour renforcer l’offensive du capital contre le travail ainsi que pour réduire la possibilité d’exercice des droits démocratiques à travers toute l’Europe.

La manière dont la zone euro a été construite et la crise du système capitaliste sont responsables de la crise des pays périphériques que nous pouvons observer depuis 2009-2010.


Les étapes qui ont mené à la crise grecque de 2010

À partir de 1996, sous la conduite du premier ministre Kostas Simitis (PASOK), la Grèce s’est engagée encore un peu plus dans le modèle néolibéral qui avait commencé à être appliqué à partir de 1985 quand Andreas Papandreou, après un début prometteur, a pris le même virage que François Mitterrand avec deux années de décalage |6|.

Entre 1996 et 2004, au cours des deux mandats de Kostas Simitis, a été mis en pratique un programme impressionnant de privatisations (ce n’est pas sans rappeler le bilan du gouvernement socialiste de Lionel Jospin – 1997-2002 – qui à la même période a réalisé en France d’importantes privatisations que la droite et le patronat rêvaient d’accomplir depuis les années 1980).

En matière de baisse d’impôts sur les profits des entreprises, la Grèce est allée plus loin que la moyenne de l’UE. Des mesures visant à la précarisation du travail et revenant sur les conquêtes de la période 1974-1985 ont été adoptées. De même, le gouvernement socialiste a favorisé une forte déréglementation du secteur financier (qui s’accomplissait également dans les autres pays de l’UE et aux États-Unis) qui s’est traduit par une forte augmentation de son poids dans l’économie.

Les banques grecques se sont développées dans les Balkans et la Turquie, ce qui a renforcé la trompeuse impression de réussite.

Lors de cette période, la croissance du PIB grec a été supérieure à la moyenne de l’UE, le PIB par habitant était en plein rattrapage par rapport à la moyenne, l’Indice de Développement Humain progressait. La croissance était forte dans certains secteurs de pointe comme l’équipement électrique et optique. De même dans le secteur des ordinateurs. Mais en réalité, en approfondissant l’intégration de la Grèce dans l’UE puis dans la zone euro, les dirigeants grecs et les grands groupes privés ont renforcé la subordination du pays et ont réduit ses possibilités réelles de développement économique et social.


Évolution des banques et financiarisation de l’économie grecque avant l’entrée dans la zone euro

Jusqu’en 1998, 70 % du système bancaire grec était public. Les crédits octroyés par les banques représentaient environ 80 milliards € tandis que les dépôts représentaient 85 milliards €, un signe de bonne santé (voir plus loin). Par la suite, la situation changea radicalement. Durant la période 1998-2000, les banques publiques furent vendues à des prix bradés au capital privé et quatre grandes banques émergèrent, représentant 65 % du marché bancaire |7| : la Banque nationale de Grèce, Alpha Bank, Eurobank et Piraeus Bank. Parmi ces quatre banques, la Banque nationale de Grèce restait sous contrôle indirect de l’État.

Durant la même période, sous la conduite du socialiste Kostas Simitis, la déréglementation bancaire battait son plein, tout comme dans d’autres parties du monde. Rappelons que c’est en 1999 que le Glass Steagal Act, institué par l’administration Roosevelt pour répondre à la crise bancaire de 1933 aux États-Unis, a été abrogé par l’administration démocrate de Bill Clinton. Cette abrogation, qui a mis fin à la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’affaires, a accéléré le processus de déréglementation qui a conduit aux crises de 2000-2001 et de 2007-2008. En Grèce, le gouvernement accompagna les banques privées (qui diminuèrent la rémunération des dépôts) dans une campagne de communication agressive afin d’inciter les ménages de la classe moyenne, les entreprises et les fonds de pension à investir en bourse ; ainsi le gouvernement ne taxait pas les plus-values mobilières. Cette économie casino finit par générer une bulle boursière qui éclata en 2000, occasionnant des pertes dramatiques pour les ménages, les PME et le système des retraites qui avaient investi des sommes considérables |8|. Il faut savoir également que la bulle boursière a donné l’occasion aux riches investisseurs de procéder en toute tranquillité à un blanchiment d’argent sale.


Évolution de la dette privée et publique grecque à partir de 2000-2001 

La dette du secteur privé s’est largement développée au cours des années 2000. Les ménages, auxquels les banques et tout le secteur commercial privé (grande distribution, automobile, construction…) proposaient des conditions de crédit alléchantes, ont eu massivement recours à l’endettement, tout comme les entreprises non financières et les banques qui pouvaient emprunter à bas coût (taux d’intérêts réels bas dus notamment à une inflation plus forte en Grèce que dans les pays les plus industrialisés de l’Union européenne tels l’Allemagne, la France, le Benelux,…). De plus le passage à l’euro |9| avait provoqué une augmentation importante du coût de la vie pour les ménages, dans un pays où les dépenses pour l’alimentation de base représentaient près de 50% du budget familial. Cet endettement privé a été le moteur de l’économie de la Grèce comme il l’a été en Espagne, en Irlande, au Portugal, en Slovénie et dans d’autres pays de l’ancien bloc de l’Est qui ont adhéré à l’UE. Grâce à un euro fort, les banques grecques (auxquelles il faut ajouter les filiales grecques des banques étrangères) pouvaient étendre leurs activités internationales et financer à moindre coût leurs activités nationales. Elles ont emprunté à tour de bras. Le tableau ci-dessous montre que l’adhésion de la Grèce à la zone euro en 2001 a accéléré et amplifié les entrées de capitaux financiers qui correspondent à des prêts ou à des investissements de portefeuille (Non-IDE dans le tableau, c’est-à-dire des entrées qui ne correspondent pas à des investissements de longue durée) tandis que l’investissement de longue durée (IDE – Investissement direct à l’étranger) a stagné.

Graphique 1 – Entrées de capitaux financiers en Grèce (1999-2009)

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Source : FMI |10|

Avec les énormes liquidités mises à leur disposition par les banques centrales en 2007-2009, les banques de l’Europe de l’Ouest (surtout les banques allemandes, françaises, mais aussi les banques italiennes, belges, néerlandaises, britanniques, luxembourgeoises…) ont continué à prêter massivement à la Grèce (au secteur privé et aux pouvoirs publics). Il faut y ajouter des banques de Suisse et des États-Unis. Il faut aussi prendre en compte le fait que l’adhésion de la Grèce à l’euro a constitué un gage de confiance supplémentaire aux yeux des banquiers d’Europe de l’Ouest qui étaient convaincus que leurs États respectifs leur viendraient en aide en cas de problème. Ces banquiers ne se sont pas préoccupés de la capacité de la Grèce à rembourser le capital prêté et ont considéré qu’ils pouvaient prendre des risques très élevés en Grèce. L’histoire leur a donné raison jusqu’ici : la Commission européenne et, en particulier, les gouvernements français et allemand, ont apporté un soutien sans faille aux banquiers privés d’Europe occidentale. Mais en acceptant de socialiser les pertes des banques, les gouvernants européens ont mis les finances publiques dans un état lamentable.

Le graphique ci-dessous montre que les banques des pays d’Europe de l’Ouest ont augmenté leurs prêts à la Grèce. Une première fois entre décembre 2005 et mars 2007 (pendant cette période, le volume des prêts a augmenté de 50 %, passant d’un peu moins de 80 milliards à 120 milliards de dollars). Puis, alors que la crise des subprimes avait éclaté aux États-Unis, les prêts ont de nouveau augmenté fortement (+33 %) entre juin 2007 et l’été 2008 (passant de 120 à 160 milliards de dollars). Ils se sont ensuite maintenus à un niveau très élevé (environ 120 milliards de dollars). Cela signifie que les banques privées d’Europe occidentale ont utilisé l’argent que leur prêtaient massivement et à bas coût la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale des États-Unis pour augmenter leurs prêts à des pays comme la Grèce |11|. Là-bas, les taux étant plus élevés, elles ont pu faire de juteux profits. Les banques privées ont donc une très lourde part de responsabilité dans l’endettement excessif des secteurs privé et public grecs.

Graphique 2 – Évolution des engagements des banques d’Europe occidentale à l’égard de la Grèce (en milliards de dollars)

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Source : BRI – BIS consolidated statistics, ultimate risk basis (repris de Costas Lapavitsas, … « The eurozone between austerity and default »)

Comme le montre l’infographie ci-dessous, l’écrasante majorité des dettes grecques externes était détenue par des banques européennes, en particulier des banques françaises, allemandes, italiennes, belges, hollandaises, luxembourgeoises et britanniques.

Graphique 3 – Détenteurs étrangers (qui sont quasi exclusivement des banques étrangères et d’autres sociétés financières) des titres de la dette grecque (fin 2008) |12|

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Source : CPIS in Costas Lapavitsas « The eurozone between austerity and default »

Selon une étude de Barclays portant sur la dette extérieure de la Grèce au 3e trimestre 2009, la répartition est grosso modo la même (attention, ci-dessous les montants sont exprimés en dollars US) |13|. L’intérêt de l’infographie ci-dessous est de montrer que les grands groupes d’assurance français étaient très exposés, de même que des fonds d’investissement basés au Luxembourg |14|.

Graphique 4 – Les créanciers de la dette grecque

La Grèce était endettée à hauteur d’environ 390 milliards de dollars US à la fin du troisième semestre de l’année 2009. Près des trois quarts de cette dette sont détenus par des institutions étrangères, majoritairement européennes.

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Dans un livre publié en 2016, Yanis Varoufakis décrit les motivations des banques privées allemandes, françaises, etc. qui ont prêté massivement au sein de la zone euro aux pays de la périphérie européenne avec le soutien de leur gouvernement. Voici un large extrait : « Quand les marchés ont été convaincus que personne ne quitterait jamais la zone euro, les banquiers allemands et français se sont mis à regarder un emprunteur irlandais ou grec comme l’équivalent d’un client allemand de même solvabilité. C’était logique. Si les emprunteurs portugais, autrichiens et maltais étaient tous payés en euros, pourquoi les traiter différemment ? Et si le risque qu’il y avait à prêter à tel individu, entreprise ou État particulier ne comptait pas, puisque les prêts, aussitôt après leur signature, seraient éparpillés à travers l’ensemble de l’univers connu, pourquoi ne pas traiter de la même façon les débiteurs en perspective dans toute la zone euro ?

Puisque les Grecs et les Italiens gagnaient à présent de l’argent dans une devise qui ne pourrait jamais plus être dévaluée face à la monnaie allemande, les banques allemandes et françaises ont cru qu’il était aussi avantageux de prêter dans les pays méditerranéens qu’aux Pays-Bas ou en Allemagne.

En fait, une fois l’euro inventé, il était plus lucratif de prêter aux particuliers, aux entreprises et aux banques des États-membres déficitaires qu’à des clients allemands ou autrichiens. Pourquoi ? Parce qu’en Grèce, en Espagne, en Italie du Sud, l’endettement privé était extrêmement faible. Certes, les gens étaient en général plus pauvres qu’en Europe du Nord, habitaient des logements plus modestes, conduisaient des voitures plus anciennes, et ainsi de suite, mais leur logement était à eux, ils n’avaient pas d’emprunt en cours sur leur véhicule et ils vouaient souvent à la dette l’aversion profonde qu’engendre le souvenir encore frais de la pauvreté. Les banquiers adorent les emprunteurs qui ont peu de dettes et un petit nantissement – une ferme, ou un appartement à Naples, à Athènes ou en Andalousie. Une fois dissipée la crainte de la dévaluation des lires, drachmes ou pesetas qu’ils avaient dans la poche, ces Méridionaux sont devenus les clients que des banquiers comme Franz ont eu pour instruction de cibler. »

Dans son exposé, Yanis Varoufakis fait référence à une conversation qu’il a eue en 2011 avec Franz, un fondé de pouvoir d’une banque allemande :
« Franz n’a pas ménagé ses efforts pour me faire mesurer la soudaineté et la puissance de l’offensive de sa banque sur la périphérie de l’Europe. Son nouveau business plan était clair et net : s’assurer une plus grosse part du marché de la zone euro que les autres banques, les banques françaises en particulier, elles aussi en train de prêter à tout-va. Ce qui ne pouvait avoir qu’un sens : prêter dans les pays déficitaires, qui offraient aux banquiers un triptyque d’avantages.

Premièrement, la faiblesse de l’endettement privé laissait une énorme marge à une croissance massive des prêts. Lorsqu’ils faisaient un calcul approximatif, les banquiers français et allemands salivaient à la pensée des perspectives de crédit en Méditerranée, au Portugal et en Irlande. Contrairement aux clients britanniques ou néerlandais qui, endettés jusqu’aux oreilles, ne pouvaient emprunter qu’un peu ou pas du tout, les clients grecs et espagnols pouvaient quadrupler leurs emprunts, tant ils en avaient peu au départ. Deuxièmement, les exportations des pays excédentaires vers les pays déficitaires accueillis dans l’euro étaient désormais à l’abri des dévaluations des monnaies faibles, qui n’existaient plus. Aux yeux des banquiers, un cercle vertueux était à l’œuvre : l’augmentation de leurs prêts aux pays déficitaires laissait prévoir une accélération de leur croissance intérieure, qui justifiait donc les prêts qu’ils leur faisaient. Troisièmement, les banquiers allemands étaient en extase devant la différence entre les taux d’intérêt qu’ils pouvaient facturer en Allemagne et ceux qui avaient cours dans des pays comme la Grèce. Le grand écart entre les deux était une conséquence directe du déséquilibre commercial entre les pays. Un gros excédent commercial signifie que les voitures et les lave-linge vont du pays en excédent au pays en déficit et l’argent en sens inverse. Le pays excédentaire est inondé de « liquidités » – de fonds qui s’y accumulent en proportion des exportations nettes qu’il déverse sur son partenaire commercial. Puisqu’il y a de plus en plus d’argent dans les banques du pays en excédent – à Francfort pour être précis –, il devient plus disponible, donc moins cher à emprunter. Autrement dit, son prix baisse. Et quel est le prix de l’argent ? Le taux d’intérêt ! Les taux d’intérêt en Allemagne étaient donc beaucoup plus bas qu’en Grèce, en Espagne et autres pays du même genre, où les sorties d’argent – puisque les Grecs et les Espagnols achetaient de plus en plus de Volkswagen – maintenaient le prix des euros en Europe du Sud plus haut qu’en Allemagne. » |15|


La bulle du crédit privé générée par l’action conjuguée des banques grecques et étrangères avec le soutien des gouvernements

Les banques grecques ont poussé leurs clients à recourir massivement au crédit pour financer leur consommation. Comme le montre le graphique 4 les crédits aux ménages ont été multipliés par 5 entre 2001 et 2008 ; quant aux crédits aux entreprises non financières, ils ont été multipliés par 2,5. Par contre, sur cette même période, les banques grecques ont réduit leurs crédits aux pouvoirs publics.

Graphique 5 – Crédits des banques grecques aux acteurs nationaux
(2001-2008)

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Source : Bank of Greece

Le graphique 6, qui porte sur l’évolution de la composition de la dette grecque totale pendant la période 1997-2009, permet de visualiser la forte augmentation de la dette des ménages, des sociétés financières (principalement les banques) et des sociétés non financières. Par contre, on constate une diminution de la part correspondant à la dette publique qui passe de 70% à 42% entre 1997 et 2009.

Graphique 6 – La dette grecque par secteur (en % du total)

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Source : Bank of Greece, QEDS, IMF (repris de Costas Lapavitsas, … « The eurozone between austerity and default »)

Le tableau 1 indique clairement l’augmentation très importante du crédit des banques aux ménages et aux entreprises non financières.

Tableau 1. Évolution des encours de crédit des banques de Grèce aux ménages et aux entreprises de décembre 1998 à décembre 2010 (en millions d’euros)

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Source : Banque de Grèce |16|

Le tableau 2 montre que l’augmentation des dépôts est nettement inférieure à celle des crédits telle que mesurée dans le tableau 1. 

Tableau 2. Évolution des encours de dépôts et repos (titres mise en pension) des ménages et des entreprises en Grèce de décembre 1998 à décembre 2010 (en millions d’euros)

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Source : Banque de Grèce

En 1998, les dépôts dans les banques représentaient plus du double des crédits octroyés par celles-ci au secteur privé, ce qui indiquait une situation saine. Par contre, on constate qu’en 2008, la situation s’est gravement détériorée : les dépôts sont désormais inférieurs aux crédits |17|. Les banques grecques ont profité de l’offre de financement extérieur provenant des banques françaises, allemandes, etc.

Les emprunts des banques grecques aux banques étrangères ont été multipliés par 6,5 entre 2002 et 2009, passant de 12,3 milliards € à 78,6 milliards €. Si on inclut dans le calcul d’autres sources de financement privé externes (fonds d’investissement, sociétés d’assurances, money market funds…), la dette externe des banques grecques est passée de 19 milliards € en janvier 2002 à 112 milliards € à la fin 2009.

Le problème ne s’arrête pas là : les banques grecques empruntaient à court terme sur le marché interbancaire étranger (de même, la majorité des dépôts bancaires des Grecs étaient à court terme, et bien sûr ils constituaient également, comme nous l’avons vu, une source de financement des banques) et prêtaient à long ou moyen terme à leurs clients notamment pour des investissements immobiliers ou l’achat de biens de consommation durables (automobiles, équipement électroménager, etc.), ce qui les rendaient très vulnérables aux évolutions des marchés financiers et aux retraits de dépôts.

Pourtant, cette détérioration minant le bilan des banques n’est pas du tout reflétée par l’évolution de leur rentabilité. En 2005, selon une étude de la banque centrale de Grèce, les profits bancaires ont augmenté de 198 %. Dans le même temps, les impôts qu’elles ont payés cette année-là ont diminué de 18,8 %. Le ROE |18| des banques a atteint le pourcentage effarant de 26% alors que la moyenne dans l’UE était de 17,4 %.

Cette course à la rentabilité à court terme a décidé les banques françaises à procéder à l’acquisition de banques grecques en vue de faciliter et dynamiser leurs investissements dans ce qu’elles considéraient comme un nouvel Eldorado |19|. En mars 2004, la Société Générale acquiert la majorité du capital de la Banque Générale de Grèce (50,01 %) qui est rebaptisée Geniki Bank. En août 2006, c’est au tour de Crédit Agricole S.A. de réaliser une OPA sur Emporiki Bank S.A. Dans un communiqué de l’époque, Georges Pauget, Directeur Général de Crédit Agricole S.A. justifiait ce choix en ces termes : «  … cette acquisition… nous donne accès à un marché en croissance dans une région en rapide expansion. » |20| René Carron, Président de Crédit Agricole S.A., a déclaré : « Je suis ravi du succès de l’offre concernant Emporiki et voudrais exprimer ma reconnaissance au gouvernement grec et aux autres actionnaires pour la confiance qu’ils nous ont témoignée en apportant leurs actions à l’offre. Cette transaction marque une étape majeure dans notre stratégie internationale et contribuera à notre objectif d’augmentation de notre produit net bancaire sur des opérations non françaises. »

Il faut noter que l’annonce par le gouvernement début 2005 que les chantiers de construction dont les permis de construire seraient émis après le 1er octobre 2006 ne bénéficieraient plus d’exemption de TVA, provoqua un boom de construction dans tout le pays, accompagné d’une explosion des emprunts immobiliers, alors que la demande de logements était largement comblée en Grèce car, en 2001, pour une population de 11 millions d’habitants, on recensait déjà 5,4 millions de logements privés, dont 1,4 millions d’habitations inoccupées, selon les chiffres fournis par l’office des statistiques, Elstat. Cela alimenta la bulle spéculative du crédit privé |21|. Lors du recensement de 2011, on a comptabilisé 6,4 millions de logements privés, dont 2.5 millions de logements vides |22|.


Détérioration brutale de la situation des banques en 2008-2009 en conséquence des risques démesurés qu’elles ont pris et de l’éclatement de la bulle du crédit qu’elles avaient généré

En septembre-octobre 2008, suite à la faillite de Lehman Brothers aux États-Unis et à ses effets immédiats sur les banques d’Europe occidentale (faillites bancaires en Irlande, au Royaume-Uni, en Islande, en Belgique, en Allemagne), les banques ne se font plus confiance et les prêts interbancaires se tarissent complètement, phénomène désigné sous l’appellation de « credit crunch ». Les banques grecques qui dépendent de manière importante de ce type de financement se retrouvent dans une situation critique. La valeur de leurs actions s’effondre dans la deuxième moitié de 2008 pour s’établir à 20 % du niveau atteint début 2007. Au même moment, les taux qu’elles doivent payer pour se financer augmentent de 500 points de base, c’est-à-dire de 5
% |23|.

Les banques grecques ne s’en sortent que grâce aux liquidités mises à leur disposition par la banque centrale de Grèce dans le cadre de la politique de la BCE d’octroi massif de liquidités aux banques de l’ensemble de la zone euro (politique également suivie par la Réserve fédérale des États-Unis, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale suisse).

Dans le graphique ci-dessous, on peut constater très clairement en suivant l’évolution de la ligne verte qu’à partir de septembre 2008, les banques grecques augmentent de manière significative le recours au financement que leur octroie la Banque centrale de Grèce dans le cadre de l’eurosystème avec l’accord de la BCE |24|.

Graphique 7 – Évolution du financement des banques grecques par la banque centrale de Grèce (ligne verte) et de la détention par les banques grecques des titres publics grecs (2007-2010) en milliards € (ligne bleue)

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Source : Bank of Greece

Ligne bleue : Crédit des banques grecques au gouvernement.
Ligne verte : Crédit de la Banque centrale aux banques grecques

À noter que ce changement des sources principales de financement ne constitue pas une exception grecque, un tel phénomène a été observé dans la majorité des pays de l’Eurozone et au-delà. Les banques centrales sont devenues les sources principales du financement des banques privées au cours des années 2008 et 2009.

En octobre 2008, le gouvernement grec de Konstantin Karamanlis, vu la crise des banques grecques, doit annoncer un plan de sauvetage de celles-ci pour un montant de 28 milliards €, dont 3,5 milliards ont servi à une première recapitalisation des banques, le reste consistant en des garanties pour leur permettre de continuer à se financer auprès de la banque centrale. Il s’agissait aussi de rassurer les déposants afin d’éviter un « bank run » (retraits massifs entraînant la faillite bancaire).

La politique mise en œuvre par Konstantin Karamanlis n’est pas exceptionnelle. Tant aux États-Unis qu’en Europe (que ce soit dans l’Union européenne ou en Suisse), les gouvernements ont réalisé des programmes massifs d’injections de capitaux et d’octroi de garantie qui ont entraîné partout une très importante augmentation de la dette publique sans pour autant assainir durablement le secteur bancaire.

Les banques françaises, allemandes, britanniques, belges, hollandaises, suisses et nord-américaines ont fait l’objet d’aides publiques massives en 2008-2009 qui se sont poursuivies les années suivantes. Entre le 1er octobre 2008 et le 1er octobre 2012, le montant des aides autorisées par la Commission européenne s’est élevé à la somme astronomique de 5 058,9 milliards d’euros, soit 40,3 % du PIB de l’Union européenne. De son côté, la Banque Fédérale américaine a consenti aux banques (américaines mais également étrangères) des aides s’élevant à 29 614,4 milliards de dollars selon l’estimation du professeur James Felkerson.

En 2008, les banques grecques, tout comme leurs homologues espagnoles, portugaises et chypriotes, n’étaient pas perçues comme les plus menacées, car à la différence des banques américaines et des pays d’Europe les plus développés mentionnés plus haut (Allemagne, France, Benelux,…), elles n’avaient pas massivement investi dans les produits structurés qui avaient ébranlé jusqu’à ses fondements tout le système bancaire des États-Unis et d’Europe nord-occidentale.

Mais en réalité, les banques des pays de la périphérie dans la zone euro étaient elles aussi au bord du gouffre et elles ne disposaient pas d’États aussi puissants que ceux d’Europe du Nord et des États-Unis pour leur venir en aide avec suffisamment de force.


Les particularités grecques au niveau bancaire

Une des particularités de la crise des banques grecques réside dans la combinaison de la faiblesse des capitaux propres avec un nombre croissant de défauts de paiement sur les crédits.

En mars 2009, les capitaux propres des banques grecques atteignaient 28,9 milliards €, soit seulement 6,2 % de leur bilan qui s’élevait à 473,1 milliards €. Les provisions pour pertes étaient de 7,2 milliards €, c’est-à-dire un montant bien inférieur à ce qui aurait été nécessaire pour couvrir le risque. En effet, ces provisions représentent à peine 3% du total des crédits octroyés par les banques qui s’élevaient à 217,1 milliards €. Or les défauts de paiement supérieurs à trois mois (ce qu’on appelle les non-performing loans, NPL’s) atteignaient 6 % |25|. L’insuffisance des fonds propres résultait de la politique de redistribution massive des profits sous formes de dividendes royaux versés aux actionnaires privés qui avaient caractérisé les années 2005 à 2008 (voir plus haut).

Ce risque s’est significativement accru ces dernières années, puisqu’une note du Parlement européen a estimé les prêts à risque de la Grèce à 43,5 % en septembre 2015, et ceux de Chypre à 50 %.

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Les ratios des prêts à risque des pays de la zone euro au 30 septembre 2015

La crise internationale qui a affecté fortement l’économie grecque en 2009 a précarisé les ménages et les PME dont un nombre de plus en plus élevé a suspendu le paiement de sa dette.

Comme les dépôts étaient devenus nettement inférieurs aux crédits octroyés, l’arrêt des flux de financement privé externe provenant des banques et d’autres institutions financières, conjugué à l’augmentation des prêts impayés (NPL’s), à la baisse de la valeur du marché immobilier et à l’évasion massive des capitaux (organisée par les banques directement ou tout au moins avec leur complicité) ont mis les banques privées grecques dans une situation inextricable. C’était la conséquence de la politique complètement aventurière qu’elles avaient menée avec la complicité active des gouvernants grecs et le laxisme des autorités européennes de régulation.

La réaction des banques grecques face à la crise qu’elles avaient largement provoquée et à la récession internationale affectant l’économie grecque a aggravé la situation. Alors que l’octroi des liquidités par la Banque centrale dans le cadre de l’eurosystème se faisait sous le prétexte d’aider les banques à octroyer du crédit aux ménages et aux entreprises pour relancer l’économie, les banques ont fait le contraire comme le montre le graphique suivant.

Graphique 8 – Grèce, évolution du crédit interne, 2009 – 2015

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Source : Bank of Greece

En bleu : Entreprises non financières
En vert : Ménages

Les banques grecques ont fermé le robinet du crédit aux ménages et aux entreprises non financières, ce qui a aggravé la crise. Les entreprises non financières (l’écrasante majorité des entreprises non financières est constituée de microentreprises avec un personnel inférieur à 10 salariés |26|), en particulier, et les ménages avaient besoin de refinancer leurs dettes afin de pouvoir poursuivre les remboursements. En coupant les crédits, les banques ont renforcé les difficultés des entreprises et des ménages dont un nombre croissant a dû suspendre le paiement de la dette, ce qui a fait augmenter la quantité de NPL’s.

Bien sûr, il faut ajouter que la politique d’austérité intensive imposée par la Troïka et le gouvernement grec à partir de 2010 a diminué les revenus des ménages ainsi que des PME et a augmenté leur propension à entrer en défaut de paiement.

Les pratiques mafieuses des banquiers grecs constituent également un trait plus développé que dans les pays nord-occidentaux d’Europe.

En voici quelques exemples notoires tirés d’une recherche effectuée par Daniel Munevar :

Pour la période de 2006 à 2012, on estime à environ 500 millions d’euros les prêts accordés sans aucune garantie à d’éminents hommes d’affaires par la banque postale Hellenic Postbank (qui n’existe plus aujourd’hui) |27|. Lorsque ces crédits sont devenus non recouvrables, les pertes qui en ont découlé ont été directement transmises aux contribuables. À cette époque, Alexis Tsipras avait dénoncé ce scandale bancaire comme étant un triangle de corruption impliquant des entreprises majeures, des banques et des partis politiques s’échangeant des faveurs |28|. En ce qui concerne une autre banque défunte, la banque agricole de Grèce ATEbank, on estime aujourd’hui qu’entre 2000 et 2012, elle a octroyé 1300 prêts pour une valeur proche de 5 milliards d’euros |29|. Ces prêts ont été octroyés sans aucune garantie à des soutiens du gouvernement selon ce qui peut être décrit comme une relation de clientélisme |30|.

Tous ces cas de corruption et d’abus qui caractérisaient le système bancaire grec avant la crise sont scandaleux, mais le plus emblématique reste certainement celui de la banque Marfin Popular Bank (MPB). La MPB a été fondée en 2006 suite à l’achat d’une part minoritaire de la banque chypriote Laiki par le Groupe d’investissement Marfin (MIG), basé en Grèce et dirigé par Andreas Vgenepoulos. Par la suite, Vgenepoulos a introduit MIG en bourse. Puis, en tant que membre des conseils d’administration des deux entreprises, il a utilisé plus de 700 millions d’euros de prêts accordés par MPB afin de maintenir la valeur des actions de MIG à leur niveau initial de 2007 |31|. Il est estimé qu’en 2010, MPB avait accordé des prêts à hauteur de 1,8 milliard d’euros à des entités affiliées à MIG en Grèce, ce qui est clairement assimilable à un conflit d’intérêts |32|. Bien que la Banque de Grèce ait conduit en 2009 un audit qui a révélé ces problèmes et soulevé d’autres questions sur la gestion de la banque, les régulateurs n’ont rien entrepris pour y répondre. En 2011, quand les autorités chypriotes ont pris le contrôle de la banque, le portefeuille de prêts de MPB en Grèce était estimé à 12 milliards d’euros, dont la majorité était de qualité douteuse |33|. Selon Michael Sarris, le président nommé par les autorités chypriotes, le « principal facteur » ayant dissuadé les investisseurs d’aider à recapitaliser la banque n’était pas les obligations souveraines, mais les inquiétudes de voir se matérialiser des pertes supplémentaires dans le portefeuille de prêts en Grèce |34|.


Dramatisation de l’endettement public et du déficit afin de protéger les intérêts des banques privées étrangères et grecques responsables de la crise

Si l’on en croit le discours dominant sur le plan international, le mémorandum de 2010 constituait la seule réponse possible à la crise des finances publiques grecques. Selon cette explication mensongère, l’État grec aurait permis aux Grecs de profiter d’un généreux système de protection sociale |35| alors qu’ils ne payaient pas d’impôt (rappelons que Christine Lagarde, en tant que directrice générale du FMI, a affirmé que les Grecs ne payaient quasiment pas d’impôts en omettant que les salariés et les retraités grecs avaient leurs impôts prélevés à la source |36|). Pour ces donneurs de leçon à la petite semaine, ce sont des dépenses publiques inconsidérées qui auraient entraîné une augmentation dramatique de la dette publique et du déficit public. Toujours selon leur narration, les marchés financiers ont fini par se rendre compte du danger et ont refusé de continuer à financer la gabegie grecque. Suite à ce refus, les gouvernements européens, la BCE, la Commission européenne et le FMI décidèrent, dans un grand élan de générosité, de joindre leurs efforts pour venir en aide au peuple grec, bien qu’il ne le méritait pas, et défendre dans le même temps la pérennité de la zone euro et de la construction européenne.

En réalité, comme l’a montré le Rapport préliminaire de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque, la cause réelle de la crise provenait du secteur bancaire privé tant externe qu’interne, et pas de la dette publique. La dette privée était nettement supérieure à la dette publique.

Fin 2009, les banques grecques devaient rembourser 78 milliards € de dette à court terme aux banques étrangères, et si on prend en compte d’autres sociétés financières étrangères (tels que les Money Market Funds |37| et les fonds d’investissement) qui leur octroyaient des prêts, le montant à rembourser s’élevait à 112 milliards. Rappelons qu’à partir de septembre-octobre 2008, le crédit interbancaire s’est largement tari. Les banques grecques ont pu continuer à rembourser leurs créanciers externes notamment grâce à la ligne de crédit ouverte par la BCE et la Banque centrale de Grèce (voir plus avant le Graphique 7 – Évolution du financement des banques grecques par la banque centrale de Grèce).. Les emprunts des banques grecques à la BCE/Banque centrale de Grèce oscillaient entre 40 et 55 milliards. Cela représentait entre 6 et 8% de cette ligne de crédit de la BCE, alors que les banques grecques ne représentaient que 2 % des actifs bancaires de la zone euro. Les dirigeants de la BCE ont laissé entendre au cours de l’automne 2009 qu’ils comptaient mettre fin à cette ligne de crédit |38|. Cela a provoqué des inquiétudes très importantes du côté des créanciers étrangers des banques grecques et des banquiers grecs eux-mêmes. Si les banques grecques étaient incapables de poursuivre le paiement de leurs dettes à l’égard des banques étrangères, cela risquait de produire une grave crise. Selon les grands créanciers privés étrangers des banques grecques, la seule solution pour éviter la faillite des banques grecques (et les pertes que cela aurait représenté pour les banques étrangères) consistait à ce que l’État les recapitalise et leur octroie des garanties pour un montant bien plus élevé que celui apporté à partir d’octobre 2008. Cela impliquait aussi que la BCE maintienne la ligne de crédit qu’elle leur avait consentie. De son côté, George Papandréou, qui venait de gagner haut la main les élections législatives du 4 octobre 2009, s’est rendu compte que le gouvernement grec n’aurait pas les moyens de sauver seul les banquiers grecs malgré sa bonne volonté (voire sa complicité) à leur égard. Ses adversaires politiques de Nouvelle Démocratie, qui venaient de perdre les élections, pensaient de même.

Au lieu de faire supporter le coût de cette crise bancaire aux responsables, tant étrangers que nationaux (à savoir les actionnaires privés, les administrateurs des banques, les banques étrangères et autres sociétés financières qui avaient contribué à générer la bulle spéculative), Papandréou a dramatisé la situation de la dette publique et du déficit afin de justifier une intervention extérieure qui devait apporter suffisamment de capitaux pour faire face à la situation des banques. Le gouvernement de Papandréou a fait falsifier les statistiques de la dette grecque, non pas pour la réduire (comme la narration dominante le prétend) mais pour l’augmenter (voir l’encadré sur la falsification). Il voulait éviter d’importantes pertes pour les banques étrangères (principalement françaises et allemandes) et protéger les actionnaires privés et le haut management des banques grecques.

Il a fait le choix de s’en remettre à l’« aide internationale » avec le prétexte mensonger de la « solidarité » parce qu’il était convaincu qu’il ne pourrait pas convaincre son électorat de faire des sacrifices pour protéger les grandes banques françaises, allemandes… et les banquiers grecs.

Falsification du déficit public et de la dette publique

Après les élections législatives du 4 octobre 2009, le nouveau gouvernement de Georges Papandréou procéda en toute illégalité à une révision des statistiques afin de gonfler le déficit et le montant de la dette pour la période antérieure au mémorandum de 2010 |39|.

Les dettes hospitalières
Le niveau du déficit pour 2009 subit plusieurs révisions à la hausse, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière.

L’un des plus choquants exemples de falsification est celui des dettes du système public de santé.

En Grèce, comme dans les autres pays de l’UE, les hôpitaux publics sont approvisionnés en médicaments et en matériels par des fournisseurs qui sont payés après la livraison en raison des procédures de validation imposées par la Cour des Comptes. Or, en septembre 2009, un volume important de dépenses non validées concernant les années 2005-2008 s’était accumulé, et leur montant n’avait pas encore été arrêté. Le 2 octobre 2009, dans le cadre des procédures d’Eurostat, le Service statistique national grec (NSSG), rebaptisé ELSTAT en mars 2010, notifia à Eurostat les chiffres du déficit et du montant de la dette en cours. Ces chiffres incluaient les dettes des hôpitaux en attente de règlement, estimées à titre provisoire à 2,3 Mds d’euros selon les méthodes de calcul en vigueur au NSSG. Le 21 octobre, il notifia une augmentation de ces dettes de 2,5 Mds, portant le total des dettes en attente de règlement à 4,8 Mds d’euros. Les autorités européennes contestèrent d’abord cette révision, établie selon des procédés suspects :

« Dans la note du 21 octobre, un montant de 2,5 Mds d’euros a été ajouté au déficit de 2008 qui s’élevait à 2,3 Mds d’euros. Selon les autorités grecques, cela fut fait sur instruction directe du Ministère des Finances en dépit du fait que le montant des engagements hospitaliers n’était pas connu, et que rien ne justifiait de l’imputer au seul exercice 2008 plutôt qu’à des exercices antérieurs, alors que le NSSG avait exprimé son désaccord sur la question à la Cour des Comptes et au Ministère des Finances. On peut considérer ici que le Contrôle général a commis une faute |40| ».

Cependant, en avril 2010, sur la base du Rapport technique sur les engagements des hôpitaux du gouvernement grec du 3/2/2010 |41|, non seulement Eurostat valida le supplément de 2,5 Mds d’euros, mais il y ajouta un montant supplémentaire de 1,8 Md. Ainsi, le montant initial de 2,3 Mds d’euros, notifié par la note du 2 octobre 2009, fut porté à 6,6 Mds, alors que la Cour des comptes n’avait validé que 1,2 Md sur ce total. Les 5,4 Mds d’engagements hospitaliers restant non validés vinrent ainsi accroître le déficit de 2009 et des années précédentes.

Ces pratiques statistiques en matière d’engagement de dettes hospitalières contreviennent purement et simplement à la réglementation européenne (voir ESA95 par. 3.06, EC n° 2516/2000 article 2, Règlement n° 995/2001) et au Code de bonnes pratiques de la statistique européenne, tout particulièrement en ce qui concerne le principe d’indépendance professionnelle, l’objectivité et la fiabilité statistique.

Soulignons qu’un mois et demi après cette manipulation du déficit public, le ministère des Finances demanda aux fournisseurs un rabais de 30 % pour la période 2005-2008. Ainsi, une bonne partie des dépenses hospitalières n’ont pas été payées aux fournisseurs de produits pharmaceutiques alors que ce rabais n’a été pris en compte dans aucune statistique officielle |42|.

Entreprises publiques
Un des nombreux cas de falsification concerne 17 entreprises publiques (DEKO). En 2010, ELSTAT |43| et EUROSTAT décidèrent le transfert des dettes de 17 entreprises du secteur des entreprises non financières vers le budget de l’État, ce qui augmenta la dette publique de 18,2 Mds d’euros en 2009. Ces entités avaient été considérées comme des entreprises non financières, après qu’EUROSTAT eut approuvé leur classement dans ce secteur. Il convient de souligner que les règles de l’ESA95 en matière de classement n’ont pas changé entre 2000 et 2010.

Ce reclassement a été effectué sans études préalables ; il a de plus été réalisé en pleine nuit, une fois les membres de la direction d’ELSTAT partis. Le président d’ELSTAT eut alors tout le loisir de procéder à ces modifications sans être confronté aux questions des membres de l’équipe de direction. Ainsi, le rôle des experts nationaux fut complètement ignoré, ce qui est en totale contradiction avec la réglementation ESA95. Par conséquent, l’adoption par l’institution du critère pour rattacher une entité économique au budget de l’État constituait une violation de la réglementation |44|.

Les swaps de Goldman Sachs
Une autre cause de l’augmentation injustifiée de la dette publique grecque en 2009 réside dans le traitement statistique des swaps passés avec Goldman Sachs. Le directeur à la tête d’ELSTAT a, à lui tout seul, décidé de gonfler la dette publique de 21 Mds d’euros |45|. Ce montant a été réparti sur quatre exercices, entre 2006 et 2009. Mais il s’agissait d’une augmentation rétrospective de la dette publique réalisée en violation des règlements du Conseil européen.

On estime que ces ajustements, infondés sur le plan technique, ont généré une augmentation du déficit public représentant 6 à 8 points de PIB pour 2009 de sorte que la dette publique s’est accrue de 28 Mds d’euros.

Nous considérons que la falsification des données statistiques est étroitement liée à la dramatisation autour de la dette publique et de la situation budgétaire. Tout cela fut organisé dans l’unique but de convaincre l’opinion publique en Grèce et en Europe d’accepter le plan de « sauvetage » de l’économie grecque de 2010 avec toutes ses conditionnalités catastrophiques pour la population grecque. Les Parlements des pays européens ont voté un « sauvetage » de la Grèce sur la base de données truquées. La gravité de la crise bancaire a été sous-estimée du fait d’une exagération des problèmes économiques du secteur public.

Quant aux dirigeants européens, tels Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, qui avaient déjà de leur côté mis en œuvre un plan de sauvetage des banques privées de leurs pays en 2008, ils ont convenu de lancer un programme dit d’« aide à la Grèce » (qui allait être suivi par des programmes du même type en Irlande, au Portugal et en Espagne) qui permettrait de rembourser les banques privées de leurs pays avec de l’argent public. Le remboursement de cette aide aux banquiers serait ensuite mis à la charge du peuple grec (et des peuples des pays de la périphérie qui allaient entrer dans le même système) |46|. Le tout sous prétexte de porter assistance à la Grèce dans un élan de solidarité. Le récit de l’« aide à la Grèce » est bien un habillage sordide et mensonger de ce qui était en réalité la socialisation des pertes des banques. La Commission pour la vérité sur la dette grecque dans son Rapport préliminaire de juin 2015 a fait la clarté sur le mécanisme mis en place à partir de 2010 (voir notamment le chapitre 2le chapitre 3 et le chapitre 4).

Yanis Varoufakis dénonce à sa manière la supercherie : « La Grèce n’a jamais été renflouée. Pas plus que les autres porcs de l’Europe – les PIIGS, comme on a désigné collectivement le Portugal, l’Irlande, l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Les renflouements de la Grèce, puis de l’Irlande, puis du Portugal, puis de l’Espagne ont été d’abord et avant tout des plans de sauvetage des banques françaises et allemandes. » (…) « Le problème était que la chancelière Merkel et le président Sarkozy ne pouvaient pas imaginer de revenir devant leur parlement demander encore de l’argent pour leurs copains banquiers, donc ils ont opté pour la meilleure solution de second choix : ils ont sollicité leur parlement en invoquant l’admirable principe de solidarité avec la Grèce, puis avec l’Irlande, puis avec le Portugal, et enfin avec l’Espagne. » |47|

Une alternative était pourtant possible et nécessaire. Suite à sa victoire électorale de 2009 sur la base d’une campagne dénonçant les politiques néolibérales menées par Nouvelle Démocratie, le gouvernement de Papandréou, s’il avait voulu respecter ses promesses électorales, aurait dû socialiser le secteur bancaire en organisant une faillite ordonnée et en protégeant les déposants. Plusieurs exemples historiques attestent qu’une faillite était tout à fait compatible avec le redémarrage rapide des activités financières au service de la population. Il fallait s’inspirer de ce qui se faisait en Islande depuis 2008 |48| et de ce qui avait été réalisé en Suède et en Norvège dans les années 1990 |49|. Papandreou a préféré suivre l’exemple scandaleux et catastrophique du gouvernement irlandais qui a sauvé les banquiers en 2008 et allait en septembre 2010 devoir accepter un plan d’aide européen qui a eu des effets dramatiques pour le peuple irlandais. Il fallait aller plus loin que l’Islande et la Suède avec une socialisation complète et définitive du secteur financier. Il fallait faire supporter les pertes de la résolution de la crise bancaire par les banques étrangères et par les actionnaires privés grecs tout en poursuivant en justice les responsables du désastre bancaire. Une telle démarche aurait permis à la Grèce d’éviter la succession de mémorandums qui ont soumis le peuple grec à une crise humanitaire dramatique et à l’humiliation sans pour autant assainir véritablement le système bancaire grec. Le graphique montre ci-dessous l’évolution des défauts de paiement sur les crédits et permet de comprendre pourquoi la situation des banques grecques reste très précaire alors leurs dirigeants n’ont pas été inquiétés par la justice et sont pour la plupart restés en place depuis le démarrage de la crise. Rappelons également qu’en Islande, plusieurs banquiers ont été mis sous les verrous.

Graphique 9 – Évolution des défauts de paiement (Non performing loans) en % de l’ensemble des prêts octroyés par les banques grecques entre 2009 et 2015

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Source : IMF

Les NPL’s ont très fortement augmenté entre 2010 et 2015 pour trois raisons principales : 1. Les banques n’ont pas été forcées de reconnaître les pertes (ce qui impliquait d’annuler les dettes). 2. L’austérité brutale imposée par la Troïka en réduisant radicalement les revenus de la majorité de la population et en provoquant la fermeture de centaines de milliers de micro et de moyennes entreprises a mis une partie croissante des ménages et des PME dans l’impossibilité de poursuivre le paiement de leurs dettes. 3. La décision des banques d’arrêter les nouveaux crédits ou de refinancer les anciens a renforcé la propension des ménages et des entreprises à faire défaut sur les remboursements.


Pourquoi les banques privées veulent acheter de la dette publique 

La fable selon laquelle la faiblesse ou la crise des banques privées est provoquée par un niveau trop élevé des dettes publiques et le risque de suspension de paiement de la part des États ne tient pas la route face aux faits.

Depuis que l’UE existe, aucun État membre n’est entré en défaut de paiement et pourtant la liste des crises bancaires s’allonge de jour en jour.
Par contre, ce que les médias dominants et les gouvernements cachent, c’est que pour les banques privées, il est très rentable de prêter aux États et ça ne comporte pas de risque. Ajoutons que plus une banque détient de dette publique, plus elle est susceptible de satisfaire aux règles fixées par les autorités de contrôle. Ce point demande une explication technique.

Pour respecter les règles en vigueur en 2008-2009, les banques grecques comme toutes les banques européennes devaient faire la preuve que leurs fonds propres représentaient 8 % de leurs actifs. Or, comme cela a été indiqué plus haut, leurs fonds propres représentaient en mars 2009 seulement 6,2 % de leurs actifs. Afin d’atteindre les 8 % exigés par les autorités de contrôle, elles se sont mises à acheter plus de dettes publiques.

Pour calculer le ratio de 8%, les autorités de contrôle permettent aux banques de pondérer les actifs qu’elles détiennent par le risque qu’ils représentent. Les créances des banques sur les pouvoirs publics sont considérées comme présentant moins de risque que leurs créances sur des particuliers ou des entreprises. Du coup, les banques ont tout intérêt à prêter plus aux pouvoirs publics qu’aux particuliers ou aux entreprises, surtout sur les PME qui sont considérées comme plus risquées que les grandes entreprises. Bien sûr, elles peuvent décider de prêter quand même aux particuliers et aux PME, mais dans ce cas elles vont exiger des taux d’intérêts très élevés.

C’est pourquoi à partir de la fin 2008 et en 2009, les banques grecques ont continué à augmenter leur crédit au gouvernement grec tout en fermant progressivement le robinet des nouveaux crédits aux ménages et aux PME. Entre le 31 décembre 2008 et le 31 décembre 2010, les banques grecques ont augmenté leurs prêts aux pouvoirs publics grecs de 15%, preuve qu’à leurs yeux, ces crédits étaient plus sûrs.

L’illustration suivante montre pourquoi les banques qui cherchaient à faire croire qu’elles étaient solides avaient intérêt à acheter des titres publics plutôt qu’à continuer à octroyer des prêts aux ménages et aux particuliers.

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L’illustration ci-dessus représente schématiquement les actifs d’une banque avant et après la pondération par les risques. La colonne de gauche représente les actifs réels détenus par la banque, c’est-à-dire les prêts octroyés par celle-ci. Dans l’exemple pris, qui correspond à une moyenne constatée, pour 4 unités de fonds propres (le capital), la banque a prêté 100 unités à des particuliers, des entreprises, des États, etc.

Pour chacune de ces catégories d’actifs, la banque va appliquer une pondération par le risque sur laquelle elle va s’appuyer pour déterminer son ratio de fonds propres par rapport aux actifs qu’elle détient. Par exemple, les prêts aux particuliers sont pondérés à 75 %, ce qui signifie que sur 28 unités prêtées, on ne va en compter que 21 dans le bilan pondéré. En règle générale, les prêts aux États (titres de la dette souveraine) sont eux pondérés à 0 % : ils comptent pour 0 dans le bilan pondéré ! En fait, seuls les prêts aux PME et aux entreprises « mal notées » par les agences de notation sont comptabilisés entièrement, voire pour plus que ce qu’ils représentent réellement (pondération de 150 % pour les entreprises dont la note est inférieure à BB-).

Puisque les autorités de contrôle se basent sur les actifs pondérés de la banque pour déterminer si elle respecte bien les règles, celle-ci a tout intérêt à prêter aux États plutôt qu’aux entreprises pour pouvoir « dégonfler » son bilan pondéré, sans affecter le montant réel des prêts consentis, sur lequel elle réalise une partie de son profit.

Ainsi, la banque dont les fonds propres ne représentaient que 4 % des actifs peut déclarer que son ratio atteint en réalité 10 % si elle détient suffisamment de dettes publiques dans ses comptes. Elle sera félicitée par les autorités de contrôle |50|.

Ce qui vient d’être dit permet d’expliquer l’évolution de la ligne bleue du graphique que nous avons déjà utilisé.

Graphique 7 bis – Évolution du financement des banques grecques par la banque centrale de Grèce (ligne verte) et de la détention des titres publics grecs (2007-2010) en milliards € (ligne bleue)

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Source : Bank of Greece

Ligne bleue : Crédit des banques grecques au gouvernement.
Ligne verte : Crédit de la Banque centrale aux banques grecques

On voit qu’à partir de septembre 2008, les crédits des banques grecques au gouvernement qui oscillaient entre 30 et 40 milliards € augmentent fortement et atteignent plus de 60 milliards € en mars 2010.

Il faut savoir que, avant que les attaques spéculatives ne commencent contre la Grèce, celle-ci pouvait emprunter à des taux très avantageux, tant les banquiers surtout mais aussi d’autres investisseurs institutionnels (les assurances, les fonds de pension) étaient empressés de lui prêter de l’argent.

C’est ainsi que le 13 octobre 2009, elle a émis des titres du Trésor (T-Bills) à trois mois avec un rendement (yield) très bas : 0,35 %. Le même jour, elle a réalisé une autre émission, celle de titres à six mois avec un taux de 0,59 %. Sept jours plus tard, le 20 octobre 2009, elle a émis des titres à un an à un taux de 0,94 % |51|. On était à moins de six mois de l’éclatement de la crise grecque quand les banques étrangères ont fermé le robinet du crédit. Les agences de notation attribuaient une très bonne cote à la Grèce et aux banques qui lui prêtaient à tour de bras. Dix mois plus tard, pour émettre des titres à six mois, elle a dû octroyer un rendement de 4,65 % (c’est-à-dire 8 fois plus). C’est un changement fondamental de circonstances. En septembre 2009, le trésor grec a émis des titres avec une échéance de six ans à 3,7 %, c’est-à-dire à un taux proche de celui de la Belgique ou de la France et pas très éloigné de l’Allemagne |52|.

Il importe d’ajouter une précision importante pour indiquer la responsabilité des banques : en 2009, elles exigeaient de la Grèce un rendement moins élevé qu’en 2008. En juin-juillet-août 2008, alors qu’on n’avait pas encore connu le choc produit par la faillite de Lehman Brothers, les taux étaient quatre fois plus élevés qu’en octobre 2009. Au 4e trimestre 2009, en passant au-dessous de 1 % pour les emprunts à moins d’un an, les taux ont atteint leur niveau le plus bas |53|. Pourquoi les banques ont-elles demandé moins de rémunération alors qu’elles auraient dû se rendre compte que les risques s’accumulaient et que la situation de la Grèce se détériorait ?

Dans le graphique ci-dessous, on voit que les taux allemand et grec étaient très proches entre 2007 et juillet 2008. Après cette date, on voit également que le taux payé par la Grèce augmente au cours du 4e trimestre 2008, après que le gouvernement a annoncé qu’il mettait en œuvre un premier plan de sauvetage des banques grecques (les marchés ont dès lors considéré que les risques sur la dette publique augmentaient, car les autorités étaient disposées à augmenter la dette publique pour venir en aide aux banques grecques). À partir de ce moment, l’évolution entre les taux allemand et grec varie de manière tout à fait opposée. Il est frappant par ailleurs de constater que le taux payé par la Grèce a baissé entre mars 2009 et novembre 2009, alors que la situation réelle des banques grecques et la crise économique internationale qui a affecté durement la Grèce à partir de 2009 (c’est-à-dire plus tard que pour les pays les plus forts de la zone euro) auraient dû amener les banques internationales et grecques à exiger des primes de risque. Ce n’est qu’à partir de novembre 2009, quand Papandreou décide de dramatiser la situation et de falsifier les statistiques sur la dette publique, que les taux augmentent de manière dramatique.

Graphique 10 –
 Allemagne et Grèce, taux sur les titres à 10 ans (2007-2010)

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Ligne bleue : Taux d’intérêt sur les titres grecs à 10 ans.
Ligne verte : Taux d’intérêt sur les titres allemands à 10 ans.

Ce qui peut paraître irrationnel, car il n’est pas normal pour une banque privée d’abaisser les taux d’intérêts dans un contexte de crise internationale majeure et à l’égard d’un pays comme la Grèce qui s’endette très rapidement, est logique du point de vue d’un banquier qui cherche un maximum de profit immédiat en étant persuadé qu’en cas de problème, les autorités publiques lui viendront en aide. Après la faillite de Lehman Brothers, les gouvernements des États-Unis et d’Europe ont déversé d’énormes liquidités pour sauver les banques et pour relancer le crédit et l’activité économique. Les banquiers ont saisi cette manne de capitaux pour les prêter dans l’UE à des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, en étant convaincus qu’en cas de problème, la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne (CE) leur viendraient en aide. De leur point de vue, ils ont eu raison.

Il est indéniable que les banques ont jeté littéralement des capitaux à la figure de pays comme la Grèce (y compris en baissant les taux d’intérêt qu’elles exigeaient), tellement à leurs yeux l’argent qu’elles recevaient massivement des pouvoirs publics devait trouver une destination en termes de prêts aux États de la zone euro.

Pour reprendre l’exemple concret mentionné plus haut, lorsque le 20 octobre 2009 le gouvernement grec a vendu des T-Bills à trois mois avec un rendement de 0,35 %, il cherchait à réunir la somme de 1 500 millions d’euros. Les banquiers grecs et étrangers (et d’autres investisseurs) ont proposé près de 5 fois cette somme, soit 7 040 millions. Finalement, le gouvernement a décidé d’emprunter 2 400 millions. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que les banquiers ont cherché à prêter un maximum à un pays comme la Grèce.

Revenons sur les séquences de l’augmentation des prêts des banquiers d’Europe occidentale à la Grèce au cours de la période 2005-2009 telles que nous les avons présentées au début de cette étude. Les banques des pays de l’Ouest européen ont augmenté leurs prêts à la Grèce (tant au secteur public que privé) une première fois entre décembre 2005 et mars 2007 (pendant cette période, le volume des prêts a augmenté de 50 %, passant d’un peu moins de 80 milliards à 120 milliards de dollars). Bien que la crise des subprimes avait éclaté aux États-Unis, les prêts ont de nouveau augmenté fortement (+33 %) entre juin 2007 et l’été 2008 (passant de 120 à 160 milliards de dollars), puis ils se sont maintenus à un niveau très élevé (environ 120 milliards de dollars). Les dettes réclamées par les banques étrangères et grecques à la Grèce en conséquence de leur politique complètement aventureuse sont frappées d’illégitimité. Elles auraient dû être contraintes à assumer les risques qu’elles avaient pris.


Le sauvetage des banques étrangères et grecques grâce au mémorandum de 2010 

Les travaux de la Commission pour la vérité sur la dette grecque ont permis de mettre en évidence les véritables motifs de la Troïka lors de la mise en place du premier mémorandum de mai 2010. L’audition de Panayiotis Rouméliotis, l’ancien négociateur de la Grèce au FMI en 2010, qui était un des hommes de confiance de l’ancien Premier ministre du Pasok, Papandréou, et un ami personnel de Dominique Strauss-Kahn avec qui il a étudié à Paris, a contribué à remettre les horloges à l’heure. Quelques jours avant l’audition, j’avais eu un contact en tête à tête avec lui au cours duquel je lui avais communiqué que j’avais des documents secrets du FMI, et notamment les notes d’une réunion, que j’avais obtenues grâce à la présidente du Parlement qui avait décidé de déclassifier ces documents. Trop explosifs, ils avaient été mis sous le boisseau par l’ancien président du parlement grec alors qu’ils faisaient partie d’une enquête ouverte lors de la précédente législature sur des affaires criminelles en matière financière. Ces documents prouvaient qu’à la réunion du 9 mai 2010 au cours de laquelle le FMI a pris la décision de prêter 30 milliards d’euros (soit 32 fois le montant auquel la Grèce avait normalement le droit), plusieurs dirigeants déclaraient explicitement que l’aide apportée par le FMI était avant tout une aide aux banques françaises et allemandes |54|. Cela a été très clairement dénoncé tant par le représentant du Brésil à la direction du FMI que par le représentant suisse ! Pour répondre à ces accusations sur la légitimité des prêts du FMI, les directeurs exécutifs français, allemand et hollandais ont répondu séance tenante que les banques de leur pays ne se désengageraient pas de la Grèce. Voici la déclaration faite par le directeur exécutif français lors de cette réunion : « Il y a eu une réunion plus tôt cette semaine entre les grandes banques françaises et mon ministre, Mme Lagarde |55|. Je voudrais insister sur la déclaration publiée à l’issue de cette réunion, selon laquelle les banques françaises s’engagent à maintenir leur exposition à la Grèce durant toute la durée du programme ». Le directeur exécutif allemand a affirmé : « (…) les banques [allemandes] ont l’intention de maintenir une certaine exposition aux banques grecques, ce qui signifie qu’elles ne vendront pas d’obligations grecques et maintiendront des lignes de crédit à la Grèce. Quand celles-ci arriveront à échéance, elles seront renouvelées, au moins en partie ». Le représentant hollandais a lui aussi fait des promesses : « Les banques hollandaises, ont eu des discussions avec notre ministre des Finances et ont publiquement annoncé qu’elles joueraient leur rôle pour soutenir le gouvernement et les banques grecques ». Il est avéré que ces trois dirigeants ont menti délibérément à leurs collègues afin de les convaincre de voter en faveur du prêt du FMI à la Grèce |56|. Le prêt n’était pas destiné à redresser l’économie grecque ou à aider le peuple grec, l’argent a servi à rembourser les banques françaises, allemandes, hollandaises qui, à elles seules, détenaient plus de 70 % de la dette grecque au moment de la décision. Alors qu’elles se faisaient rembourser, elles refusaient de continuer à prêter à la Grèce et elles revendaient les anciens titres qui n’étaient pas encore venu à échéance sur le marché secondaire. La BCE dirigée par le français Trichet les y aidait en leur achetant des titres grecs. Elles ont fait exactement le contraire de ce que les dirigeants allemand, français et hollandais au FMI avaient promis. Il faut ajouter qu’au cours de cette même séance de mai 2010, plusieurs directeurs exécutifs ont critiqué le fait que la direction du FMI a fait changer en catimini le règlement du FMI sur la conditionnalité des prêts |57| : jusque-là, le FMI ne pouvait octroyer un prêt à un pays que si, en prêtant à ce pays, la dette devenait soutenable. Comme la direction savait parfaitement qu’en prêtant 30 milliards d’euros à la Grèce sans réaliser de réduction de la dette, celle-ci ne deviendrait pas soutenable, voire deviendrait encore plus insoutenable, ce règlement a été modifié. Ils ont adopté un autre critère sans le soumettre à délibération : on prête à un pays si le fait de lui prêter de l’argent peut éviter une crise bancaire internationale. Ce qui constitue, à nos yeux, la preuve que la menace, c’était de très grosses difficultés pour les trois plus grandes banques françaises (BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale) et quelques banques allemandes qui avaient trop prêté tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs, dans le but de faire un maximum de profits, sans appliquer des mesures de précaution qu’elles auraient dû appliquer. Si le FMI et la BCE ne voulaient pas d’une réduction de la dette publique grecque en 2010, c’est parce que les gouvernements français, allemand, hollandais et de quelques autres pays de la zone euro voulaient donner du temps à ces banques pour revendre les titres grecs qu’elles avaient acheté et pour se désengager en général de la Grèce. Et effectivement, les banques étrangères se sont débarrassées de leurs créances sur la Grèce entre mars 2010 et mars 2012, date à laquelle une réduction de la dette a finalement eu lieu (voir plus loin). Si le gouvernement grec de l’époque, celui de Georges Papandréou, a accepté que la dette publique grecque ne soit pas réduite lors du mémorandum de mai 2010, c’est qu’il voulait également donner du temps aux banques grecques de revendre une grande partie de leurs titres grecs qui risquaient de subir une décote plus tard lorsque les banques françaises et allemandes auraient eu le temps de se dégager (voir plus loin). De toute manière, Jean-Claude Trichet, le banquier français qui dirigeait la BCE à cette époque, menaçait la Grèce de réduire l’accès des banques grecques aux liquidités si son gouvernement demandait une réduction de la dette. C’est ce que P. Rouméliotis a déclaré lors de son audition |58|.

Concernant la critique de l’ensemble du programme imposé à la Grèce par le FMI, cela vaut la peine de citer partiellement l’intervention du représentant argentin lors de cette réunion de mai 2010. Le représentant argentin a expliqué que le type de politique que le FMI voulait imposer à la Grèce ne fonctionnerait pas. Pablo Pereira, le représentant argentin, critique sans ambages l’orientation passée et présente du FMI : « Les dures leçons de nos propres crises passées sont difficiles à oublier. En 2001, des politiques similaires ont été proposées par le Fonds en Argentine. Ses conséquences catastrophiques sont bien connues (…) Il y a une réalité qui ne fait aucun doute et qui ne peut être contestée : une dette qui ne peut pas être payée ne sera pas payée sans une croissance soutenue (…) Nous savons trop bien quelles sont les effets des « réformes structurelles » ou des politiques d’ajustement qui finissent par déprimer la demande globale et, par conséquent, les perspectives de reprise économique (…) Il est très probable que la Grèce finisse plus mal en point après la mise en œuvre de ce programme. Les mesures d’ajustement recommandées par le Fonds vont réduire le bien-être de sa population et la capacité réelle de remboursement de la Grèce ». |59|

P. Rouméliotis a donc témoigné devant la commission sur toute cette affaire lors de la séance publique du 15 juin 2015. Je l’ai interrogé, la présidente du Parlement aussi, il nous a répondu… puis des membres de la commission l’ont interrogé, il leur a répondu. Cette audition publique, tout à fait exceptionnelle, a duré 8 heures. Les réponses de P. Roumeliotis ont largement confirmé l’analyse qui est présentée plus haut. C’était, comme toutes les séances importantes de la commission, retransmis en direct à la télévision, sur la chaîne du Parlement qui a vu exploser son taux d’audience… Le 17 juin 2015, lors de mon exposé introductif à la présentation publique des résultats des travaux de la commission, j’ai résumé l’analyse que nous faisions des raisons profondes de la mise en place du premier mémorandum imposé au peuple à partir de mai 2010. On peut voir cette intervention ici http://www.cadtm.org/Intervention-d… , elle a eu beaucoup d’écho. Je n’ai rien à changer dans cette déclaration.

L’histoire se répète

Dans une étude réalisée en septembre 2015 deux économistes, Carmen Reinhart et Christoph Trebesch, analysent sous l’angle de la dépendance aux financements extérieurs, les crises de la dette que la Grèce a traversées depuis les années 1820 et son indépendance |60|. Ces deux auteurs, qui appartiennent au monde académique et qui adoptent une orientation favorable au système capitaliste, soulignent que les crises de dette qui ont frappé la Grèce à répétition sont largement le produit d’un afflux de capitaux privés étrangers suivi d’un arrêt de ce flux. Ils affirment que la crise qui affecte la Grèce et d’autres pays périphériques n’est pas une crise de dette publique, c’est avant tout une crise de dette externe (p. 1). Ils font le parallèle avec la crise de la dette extérieure qui a affecté l’Amérique latine dans les années 1980. Ils soulignent l’asymétrie de situation entre les pays débiteurs et les pays créanciers une fois qu’une crise a éclaté : alors que la Grèce a été plongée dans une dépression économique après 2010, l’Allemagne a connu une période de croissance. De même, les pays d’Amérique latine ont connu une dépression forte entre l’éclatement de la crise en 1982 et le début des années 1990, tandis que l’économie des États-Unis, qui était créancière des pays latino-américains, s’est relevée progressivement (p. 2).

Ils constatent que la période la plus prospère pour la Grèce sur le plan économique se situe entre 1950 et 2000, lorsque le financement était basé largement sur des ressources internes au pays et ne dépendait pas de l’étranger (p. 2).

Par contre, ils démontrent qu’à chaque crise de la dette extérieure que la Grèce a connue (ils en dénombrent 4 grandes), lorsque les flux provenant des créanciers privés externes (à savoir des banques) se sont taris, les gouvernements de plusieurs puissances européennes se sont coalisés pour prêter de l’argent public à la Grèce afin de venir en aide aux banquiers étrangers. Cette coalition de puissances a dicté à la Grèce des politiques correspondant à leurs intérêts et à ceux de quelques grandes banques privées dont elles étaient complices. Chaque fois, ces politiques visaient à dégager les ressources budgétaires nécessaires au paiement de la dette et impliquaient une réduction des dépenses sociales et des investissements publics. Sous des formes qui ont varié, la Grèce et le peuple grec se sont vu nier l’exercice de leur souveraineté. Cela a maintenu la Grèce dans un statut de pays subordonné et périphérique. Mes travaux historiques sur la dette grecque depuis les années 1820 |61| aboutissent à des constats qui ne sont pas très différents. Carmen Reinhart et Christoph Trebesch insistent sur la nécessité d’une très forte réduction de la dette grecque et rejettent les solutions consistant à rééchelonner le paiement de la dette (p. 17). De mon côté, dans la présente étude, je conclus qu’il faut annuler la dette réclamée par la troïka (FMI, BCE et Commission européenne).


Conclusion

La crise grecque qui a éclaté en 2010 a été provoquée par les banques (étrangères et grecques) et non par un excès de dépenses publiques de la part d’un État qui aurait été trop généreux sur le plan social. La crise s’est produite quand les banques privées étrangères ont fermé le robinet des crédits d’abord au secteur privé, ensuite au secteur public. Le soi-disant plan d’aide à la Grèce a été conçu pour servir les intérêts des banquiers privés et des pays dominants au sein de la zone euro. Les dettes réclamées à la Grèce depuis 2010 sont odieuses car elles ont été accumulées pour poursuivre des objectifs qui vont clairement à l’encontre des intérêts de la population. Les créanciers en étaient conscients et ils ont tiré profit de la situation. Ces dettes doivent être annulées.

Ce travail approfondit et confirme ce que la commission pour la vérité sur la dette grecque a démontré en 2015 tant dans son rapport préliminaire de juin 2015 que dans son rapport de septembre 2015 concernant le 3e mémorandum. 

La prochaine étude abordera l’évolution de la crise bancaire entre 2010 et 2016, la restructuration de la dette grecque de mars-avril 2012 et la recapitalisation des banques.


Remerciements
L’auteur remercie pour leur relecture et leurs suggestions :
 Thanos Contargyris, Alexis Cukier, Marie-Laure Coulmin, Romaric Godin, Pierre Gottiniaux, Fotis Goutziomitros, Michel Husson, Nathan Legrand, Ion Papadopoulos, Anouk Renaud, Patrick Saurin, Adonis Zambelis. Il remercie également Daniel Munevar qui l’a aidé dans ses recherches et à qui il a emprunté une série de graphiques.

L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.

 

Notes :
|1| Les banques d’Allemagne ont été également sauvées avec de l’argent public mais vu la taille de son économie et les moyens à la disposition du gouvernement, l’Allemagne a été moins ébranlée que les autres économies.|2| Volatils et spéculatifs, dans la mesure où ces flux ne visaient pas un investissement dans l’appareil productif des pays concernés mais principalement dans le crédit à la consommation, dans le crédit immobilier, dans l’achat de titres financiers notamment sur les places financières locales.

|3| À Chypre, la crise s’est manifestée en 2012 et a abouti à un mémorandum en mars 2013.

|4| Voir http://www.cadtm.org/Que-faire-des-…

|5| Papandréou en Grèce, Zapatero puis Rajoy en Espagne, le gouvernement irlandais, ainsi que, bien entendu, Merkel, Sarkozy (puis Hollande), les gouvernements des pays du Benelux…

|6| Christos Laskos & Euclid Tsakalotos, CRUCIBLE of Resistance. Greece, the Eurozone & the World Economic Crisis, Pluto Press, London, 2013, pp. 18 – 21

|7| On verra plus loin que grâce à la complicié des gouvernements successifs et des autorités de la zone euro, ces quatre banques en sont arrivées à contrôler 95 % du marché bancaire grec à partir de 2014.

|8| Rappelons qu’aux États-Unis à la même époque a éclaté la bulle boursière provoquée par la spéculation dans le domaine des dotcom. La bulle de l’internet (ou bulle des nouvelles technologies) éclate en effet à partir de mars 2000 aux États-Unis. La dégringolade commence. Sur la période 2000-2001, tous les profits réalisés depuis 1995 (145 milliards de dollars) par les 4 300 sociétés du Nasdaq (marché des valeurs technologiques) sont volatilisés.

|9| L’entrée effective de la Grèce dans la zone euro date du 1/1/2002.

|10| Tableau repris de C. Lapavitsas, A. Kaltenbrunner, G. Lambrinidis, D. Lindo, J. Meadway, J. Michell, J.P. Painceira, E. Pires, J. Powell, A. Stenfors, N. Teles : « The eurozone between austerity and default », September 2010. http://www.erensep.org/images/pdf/rmf/eurozone_reports/Eurozone-Report-2.pdf

|11| Le même phénomène s’est produit au même moment au Portugal, en Espagne, en Irlande et dans les pays d’Europe centrale et de l’Est.

|12| Les principaux détenteurs (c’est-à-dire les banques des pays mentionnés) des titres de la dette grecque sont selon l’infographie présentée : la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni, tandis que les autres détenteurs sont regroupés dans la catégorie « reste du monde ». Cette infographie est reprise de C. Lapavitsas, op. cit., p. 11.

|13| Tiré d’un article du New York Times paru le 29 avril 2010 : “Germany Already Carrying a Pile of Greek Debt », http://www.nytimes.com/2010/04/29/b… consulté le 1er novembre 2016

|14| Dans le cas de la Grèce, l’exposition des fonds de pension grecs était forte et cela a coûté très cher aux retraités grecs et au système de sécurité sociale quand la Troïka a imposé en 2012 une réduction de 50% de la valeur des titres grecs (voir plus loin).

|15| Source : Yanis Varoufakis, Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ? Comment l’Europe de l’austérité menace la stabilité du monde, Éditions Les Liens qui Libèrent, Paris 2016, p. 216-218. http://www.editionslesliensquiliber… Les extraits du livre sont publiés avec l’aimable autorisation des Éditions Les Liens qui Libèrent.

|16| Ce tableau ainsi que le suivant est tiré de Patrick Saurin, “La « Crise grecque » une crise provoquée par les banques”, http://www.cadtm.org/La-Crise-grecq… consulté le 3 novembre 2016

|17| À noter que l’augmentation des dépôts des ménages et des entreprises s’explique pour une bonne part non par une augmentation de l’épargne de ces agents économiques, mais par les dépôts sur leurs comptes provenant des crédits octroyés par les banques, ou dit autrement l’augmentation des dépôts est en grande partie la conséquence de l’endettement de ces acteurs.

|18| Le ROE, Return on Equity ou « retour sur capitaux propres », mesure la rentabilité des capitaux propres d’une entreprise. Il est calculé en faisant le rapport entre le résultat net et les capitaux propres.

|19| Voir Patrick Saurin, “La « Crise grecque » une crise provoquée par les banques”, http://www.cadtm.org/La-Crise-grecq…consulté le 3 novembre 2016

|20http://www.credit-agricole.com/modu…
Consulté le 3 novembre 2016

|21| Source : Les Grecs contre l’austérité – Il était une fois la crise de la dette, ouvrage collectif, Éd. Le Temps des Cerises, Paris, novembre 2015, 229 pages.

|22| Voir : http://www.statistics.gr/el/statist…

|23| IMF. (2009). Greece : 2009 Article IV Consultation. IMF Country Report No. 09/244. Retrieved from https://www.imf.org/external/pubs/f…

|24| L’eurosystème ou le Système européen de banques centrales (SEBC) est dirigé par les organes de décision de la Banque centrale européenne (BCE). Afin d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, la BCE et les banques centrales nationales peuvent : — intervenir sur les marchés de capitaux, soit en achetant et en vendant ferme (au comptant et à terme), soit en prenant et en mettant en pension, soit en prêtant ou en empruntant des créances et des titres négociables, libellés en monnaies communautaires ou non communautaires, ainsi que des métaux précieux ; — effectuer des opérations de crédit avec des établissements de crédit et d’autres intervenants du marché sur la base d’une sûreté appropriée pour les prêts.
Il est interdit à la BCE et aux banques centrales nationales d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. Mais depuis 2010-2011, via différents programmes, la BCE achète massivement des titres de la dette publique auprès des banques privées ce qui les arrange très bien. Depuis 2015, dans le cadre du quantitative easing (« assouplissement quantitatif »), la BCE a encore augmenté les achats de dettes publiques souveraines auprès des banques.

|25http://www.europarl.europa.eu/RegDa…)574400_EN.pdf

|26| Selon Christos Laskos et Euclide Tsakalotos, sur les 879.318 entreprises (toutes activités économiques confondues), 844.917 ou 96,1 % du total employaient entre 1 et 4 personnes ! Toujours selon les mêmes auteurs, en 2010, 58,7 % de la main d’œuvre salariée en Grèce travaillaient dans des entreprises de moins de 9 travailleurs, tandis que la moyenne dans l’Union européenne à 15, s’élevait à 41,1%. Source : Christos Laskos & Euclid Tsakalotos, CRUCIBLE of Resistance. Greece, the Eurozone & the World Economic Crisis, Pluto Press, London, 2013, p. 46.

|27| GreekReporter. (2015). Hellenic Postbank Scandal will Cost Greek State About 500 mln Euros. Consulté le 1er février 2016. URL : http://greece.greekreporter.com/201…

|28| DW. (2014). Greek bankers embroiled in corruption scandal. Consulté le 1er février 2016. URL : http://www.dw.com/en/greek-bankers-…

|29| Ekathimerini. (2015). Minister says ATE bank scandal is biggest of its type. Consulté le 1er février 2016. URL : http://www.ekathimerini.com/200923/…

|30Ibid.

|31| Reuters. (2012). Special Report : How a Greek bank infected Cyprus. Consulté le 1er février 2016. URL : http://uk.reuters.com/article/us-gr…

|32| ThePressProject. (2014). George Provopoulos : The most powerful man in Greece a few months ago, now a suspect in a bank probe. Consulté le 1er février 2016. URL : http://www.thepressproject.gr/detai…

|33Ibid.

|34| Reuters. (2012). Op. Cit.

|35| Concernant le système des retraites en Grèce, voir : Michel Husson, « Pourquoi les réformes des retraites ne sont pas soutenables », publié le 28 novembre 2016, http://www.cadtm.org/Pourquoi-les-r…

|36Le Monde, « Les Grecs se disent »humiliés« par les propos de Christine Lagarde », publié le 27 mai 2012, http://www.lemonde.fr/europe/articl…

|37| Les Money Market Funds (MMF) sont des sociétés financières des États-Unis et d’Europe, très peu ou pas du tout contrôlées ni réglementées car elles n’ont pas de licence bancaire.

|38| Finalement, dans le cadre du mémorandum de mai 2010, la BCE a accepté que les banques grecques puissent continuer à déposer auprès d’elle des titres grecs (à la fois des treasury bills qui sont d’une durée de moins d’un an et des titres souverains supérieurs à un an) afin d’obtenir du crédit qu’elles utilisaient ensuite pour rembourser leurs créanciers privés étrangers qui pouvaient ainsi se mettre totalement à l’abri. Il faut souligner que cette ligne de crédit a joué un rôle très important. La presse financière en a peu parlé.

|39| Le texte de cet encadré est tiré du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, Rapport préliminaire, juin 2015, chapitre 2, http://www.cadtm.org/Rapport-prelim…

|40| Commission européenne (2010). Report on Greek Government Deficit and Debt Statistics. En ligne : http://goo.gl/RxJ1eq, consulté le 12 juin 2015.

|41| Gouvernement grec (2010). Technical Report on the Revision of Hospital Liabilities.

|42| Ministère de la Santé et de la Solidarité Sociale (2010). Communiqué de presse.

|43| En mars 2010, l’institut en charge des statistiques officielle, le Service national des statistiques de la Grèce (NSSG) fut rebaptisé ELSTAT (Autorité hellénique des statistiques).

|44| Voici quelques exemples choisis parmi une pléthore de violations du droit européen : le respect du formalisme réglementaire et la nature des participations de l’État ; le critère de 50 %, en particulier l’exigence du système européen de comptabilité de 1995 ou ESA95 (par. 3.47 et 3.48) sur le subventionnement des produits ; cette violation génère une fausse définition du revenu en tant que coût de production ; le règlement ESA95 (par. 6.04) sur la consommation de capital fixe ; les règlements relatifs aux apports de capitaux ; la définition ESA95 des entreprises commerciales détenues par l’État (souvent considérées comme des entreprises publiques) comme ne relevant pas du secteur des administrations publiques ; l’exigence ESA95 d’une période continue de déficits avant et après le reclassement d’une entité économique.

|45| À noter que le responsable d’ELSTAT Andréas Yioryiou est actuellement jugé sur une accusation de conflit d’intérêt pour avoir cumulé ses fonctions à ELSTAT avec un emploi au FMI d’août à novembre 2010.
http://www.topontiki.gr/article/199…

|46| Selon la narration dominante, le « sauvetage des Grecs » est à la charge des contribuables de la zone euro ou de tel ou tel pays alors qu’en réalité ce sont les contribuables grecs (et plus précisément ceux d’en bas car c’est eux qui proportionnellement contribuent le plus à l’impôt) qui rembourseront. Les contribuables des autres pays sont garants d’une partie des crédits octroyés à la Grèce.

|47| Yanis Varoufakis, Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ? Comment l’Europe de l’austérité menace la stabilité du monde, Éditions Les Liens qui Libèrent, Paris 2016, p. 229-230.

|48| Renaud Vivien, Eva Joly, « En Islande, les responsables du naufrage bancaire n’ont pas pu acheter leur procès », publié le 20 février 2016, http://www.cadtm.org/En-Islande-les…

|49| Mayes, D. (2009). Banking crisis resolution policy – different country experiences. Central Bank of Norway.

|50| Pour en savoir plus lire : Eric Toussaint, Bancocratie, Aden, 2014, chapitres 8, 9 et 12. Voir également : Eric Toussaint, « Les banques bluffent en toute légalité », publié le 19 juin 2013, http://www.cadtm.org/Les-banques-bl…

|51| Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n° 56, December 2009.

|52| Le 1er janvier 2010, avant que n’éclatent la crise grecque et celle de la zone euro, l’Allemagne devait promettre un taux d’intérêt de 3,4% pour émettre des bons à 10 ans alors que le 23 mai 2012, le taux à 10 ans était passé à 1,4 %.

|53| Bank of Greece, Economic Research Department – Secretariat, Statistics Department – Secretariat, Bulletin of Conjunctural Indicators, Number 124, October 2009. Disponible sur www.bankofgreece.gr

|54| Après que la Commission eut rendu public les documents confidentiels les plus importants, tout a finalement été publié sur internet. Le verbatim : « Minutes of IMF Executive Board Meeting », May 9, 2010 ; le compte-rendu et le relevé de décisions : « Board meeting on Greece’s request for an SBA », Office memorandum, May 10, 2010. Grâce à notre travail d’enquête, ces documents sont devenus entièrement publics.

|55| A l’époque Christine Lagarde était encore ministre dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy. C’est au cours de l’année 2011, qu’elle est devenue directrice générale du FMI suite à la démission forcée de Dominique Strauss Kahn.

|56| Voir dans le résumé officiel de la réunion de la direction du FMI du 10 mai 2010, la fin du point 4 page 3, « The Dutch, French, and German chairs conveyed to the Board the commitments of their commercial banks to support Greece and broadly maintain their exposures.” http://gesd.free.fr/imfinter2010.pdf

|57| Voir dans le résumé officiel de la réunion de la direction du FMI du 10 mai 2010, le point 7 page 3 qui indique très clairement que plusieurs membres de la direction du FMI reprochent à la direction générale d’avoir silencieusement changé les règles http://gesd.free.fr/imfinter2010.pdf

|58| D’aileurs J.-C. Trichet a adopté exactement le même comportement à l’égard de l’Irlande six mois plus tard en novembre 2010.

|59| Source « Minutes of IMF Executive Board Meeting », May 9, 2010. Voir l’excellent article de Michel Husson sur toute cette affaire : Michel Husson, Grèce : les « erreurs » du FMI http://www.cadtm.org/Grece-les-erre…

|60| Carmen M. REINHART et Christoph TREBESCH, “The Pitfalls of External Dependence : Greece, 1829-2015”, Brookings Papers, 2015.

|61| Éric Toussaint, « La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse », publié le 12 avril 2016, http://www.cadtm.org/La-Grece-indep… et « Grèce : La poursuite de l’esclavage pour dette de la fin du 19e siècle à la Seconde Guerre mondiale », publié le 9 mai 2016, http://www.cadtm.org/Grece-La-pours…

Eric Toussaint 

docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est l’auteur des livres Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège. Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.

Source : CADTM, Eric Toussaint, 23-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/grece-les-banques-sont-a-lorigine-de-la-crise-par-eric-toussaint/


SYRIE. À Alep, la guerre est aussi celle de l’information, par Timothée Vilars

Monday 2 January 2017 at 00:45

Très intéressant texte de L’Obs, qui redresse un peu la barre et pose quelques bonnes questions…

Source : Le Nouvel Obs, Timothée Vilars, 16-12-2016

Le quartier al-Zabdiya (sud-est d'Alep) pilonné par les frappes du régime, mercredi 14 décembre. (STRINGER/AFP)

Le quartier al-Zabdiya (sud-est d’Alep) pilonné par les frappes du régime, mercredi 14 décembre. (STRINGER/AFP)

Les images de la guerre en Syrie proviennent en partie d’activistes des deux camps, dessinant deux visions géopolitiques diamétralement opposées. Comment faire le tri ?

Que s’est-il passé à Alep-Est ? Lundi 12 décembre au soir, il ne fallait pas errer longtemps sur Twitter pour voir défiler une litanie de messages déchirants sur l’épilogue du calvaire de la deuxième ville syrienne. La situation dans les dernières poches contrôlées par les rebelles est désespérée ; des corps jonchent les rues ; des civils seraient sommairement exécutés par les troupes du régime qui prétextent leur soutien aux “terroristes” ; le personnel médical, directement ciblé. Le mot “génocide” est brandi. Le souvenir de Srebrenica réactivé ; sauf que cette fois, on y assiste “en direct, sur les réseaux sociaux”.

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Mais presque simultanément, d’autres images apparaissent. Foin de ville martyre : on y voit au contraire les Alépins fous de joie, “libérés” de cinq ans de cauchemar, dansant dans les rues. Ils lèvent les bras au ciel, remercient le gouvernement Assad, désormais en voie de gagner la guerre contre les terroristes – un terme ici préféré à celui, un peu fourre-tout il est vrai, de “rebelles”. Les massacres ? Des rumeurs colportées par les médias occidentaux manipulés.

Que croire ? Deux visions du monde s’opposent. L’une (l’occident pour aller vite) ne s’est jamais départie de l’illusion que la tentative de révolution démocratique syrienne serait le dernier étage de la fusée du printemps arabe ; l’autre (plutôt pro-russe) n’a jamais vu la révolte de 2011 comme autre chose qu’un putsch salafiste, soutenu en sous-main par les puissances de l’argent pour faire vaciller un leader légitime, garant de la stabilité régionale.

Ce second camp de l’information mondiale a profité d’une guerre interminable et ultra-complexe, moins médiatisée qu’elle n’y paraît, pour s’engouffrer dans tous les flous, dans toutes les incohérences politiques et intellectuelles, et saper pas à pas la crédibilité du premier. Pour comprendre comment est née cette confusion, savamment entretenue par deux camps qui se renvoient mutuellement à leurs accusations de propagande, il faut en revenir aux sources d’informations disponibles.

L’OSDH ou le don d’ubiquité

C’est l’une des réalités les plus étranges et sans doute les moins connues de la couverture médiatique du conflit syrien. Samedi 10 novembre, les troupes turques entrent dans al-Bab, fief de Daech dans le nord du pays. Dimanche, l’Etat islamique reprend possession par surprise de la cité antique de Palmyre ; mercredi matin à Alep, les bombardements reprennent malgré le cessez-le-feu. A chaque fois, l’information tombe sur les fils d’information du monde entier avec cette source : “OSDH”, pour Observatoire syrien des droits de l’Homme (SOHR, en anglais).

Pourtant à chaque fois, un seul téléphone a sonné : celui de Rami Abdel Rahmane (Ossama Suleiman de son vrai nom), un immigrant syrien basé à Coventry, au Royaume-Uni, directeur et… seul membre actif de l’ONG. L’homme ne doit guère prendre de vacances. Celui qui dit n’avoir pas mis le pied en Syrie depuis 2000 a en effet gagné sa crédibilité auprès des grandes agences de presse à force d’un incroyable travail de fourmi solitaire.

Rami Abdel Rahmane (Facebook)

Rami Abdel Rahmane (Facebook)

Sur la centaine de dépêches AFP sur Alep diffusées entre lundi et mercredi, l’organisation est citée pas moins de 36 fois en 48 heures. Reuters et Associated Press citent, elles aussi, abondamment les informations communiquées par l’immigré alaouite. Une OSDH-dépendance telle, que Rami Abdel Rahmane a délaissé au fil des ans la simple recension des exactions du régime Assad (son but premier et militant) pour donner un panorama plus large et plus objectif du conflit, informant également sur les pertes humaines des loyalistes et les massacres perpétrés par les factions de rebelles.

Aussi discret sur son passé que sur ses financements, l’homme dit avoir tissé un large réseau de près de 200 informateurs, qui grossit par cooptation, et que l’ancien diplomate français spécialiste de la Syrie Ignace Leverrier avait longuement mis en accusation sur son blog du “Monde” en 2014. Un flou sur les méthodes qui l’a fait accuser de tous les maux au fil des ans : trop tendre avec Assad ou au contraire caisse de résonance de la rébellion, acoquiné avec les Frères musulmans ou au contraire avec les renseignements britanniques…

Toujours est-il que le don d’ubiquité sur le terrain de Rami Abdel Rahmane et son apparente impartialité lui ont fait acquérir une place surdimensionnée dans le traitement du conflit – par pure commodité selon certains, ses communiqués étant rédigés en anglais et surtout accompagnés de bilans humains chiffrés et actualisés, nerf de l’information de guerre.

Le dernier bilan de 312.000 morts en cinq ans et demi de conflit, repris partout, c’est lui. Un chiffre très certainement sous-estimé, puisqu’il ne comprend que les victimes identifiées, ou celles documentées par des photos ou vidéos transmises à l’OSDH, qui elle-même extrapole plutôt le nombre de victimes autour de 450.000.

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L’ONU privée d’observateurs

Ces bilans chiffrés ont cruellement manqué lundi soir à l’ONU, alors que la rébellion d’Alep tombait. Le secrétariat des Nations unies indique que Ban Ki-moon s’alarme des informations faisant état d’atrocités “contre un grand nombre” de civils, alors que les témoignages évoquant des massacres s’amplifient sur les réseaux sociaux. Mais l’ONU précise immédiatement ne “pouvoir vérifier de manière indépendante ces informations” et se contenter de transmettre ses “grandes inquiétudes”.

Et pour cause : les Nations unies ne disposent pas d’observateurs sur le terrain, ce que déplorait encore récemment le Haut-Commissaire aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein. Il a donc fallu attendre mardi pour que le porte-parole du Haut-Commissariat, Rupert Colville, quantifie la tuerie. Il évoque alors “l’assassinat” d’au moins 82 civils par les forces pro-Assad, indiquant que son bureau a réuni “des informations crédibles selon lesquelles des dizaines de civils ont été tués – soit par des bombardements intenses, soit par des exécutions sommaires de la part des forces pro-gouvernementales.”

L’ONU a aussi des difficultés à estimer le nombre de personnes qui ont déjà quitté la ville. Elle avance le chiffre de 37.000 civils, se basant sur l’enregistrement de ceux qui ont rejoint l’un des abris mis en place par le gouvernement. L’OSDH parle de 130.000 personnes… quatre fois plus. L’ONU ignore aussi la façon dont ces personnes sont véritablement traitées, s’inquiétant notamment de la présence de militaires dans ces bâtiments saturés.

ONG et activistes, première source d’info

En l’absence d’observateurs internationaux, l’essentiel des informations sur ce qui se passe à Alep-Est émane désormais de ses habitants, qui témoignent de l’atrocité du quotidien. Le problème, c’est que la quasi-totalité des personnes qui se filment sur Twitter ou interviennent dans les médias sont elles-mêmes des activistes ou des combattants rebelles, sans que ce soit toujours précisé – un élément que les sceptiques ne manquent pas de pointer.

Hicham Eskef, cité comme “l’un des responsables des rebelles” par “Midi Libre” le mois dernier, était ainsi présenté comme un simple “habitant”, mercredi soir sur les chaînes du groupe Canal+ (ce qui n’enlève rien à l’aspect dramatique de son témoignage).

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Les mêmes personnes sont citées en boucle par les médias internationaux puisqu’elles sont les seules à s’exprimer en anglais et à avoir accès à un système d’internet par satellite dans des quartiers privés d’eau, d’électricité et de carburant. Citons les activistes Lina Shamy et Abdulkhafi Alhamdo, ou la petite Bana, fillette de 7 ans devenue le symbole de la vie sous les bombardements à Alep-Est.

La médiatisation de Bana Alabed a immédiatement posé question, pointe “le Monde” : comme toutes les mises en scène d’enfants en temps de guerre, certains crient à la propagande.

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Le “New York Times” est entré en contact avec celle qui gère son compte Twitter, suivi par 300.000 personnes : sa mère Fatemah. Le quotidien américain a ainsi pu confirmer que les vidéos avaient bien été tournées à Alep-Est, mais relève que la fillette semble réciter un texte appris par cœur. Un collaborateur de TF1 a également rencontré la famille. Il faut dire qu’en 2011, l’histoire d’une blogueuse lesbienne de Damas, qui s’est révélée être un Américain de 40 ans vivant en Ecosse, a appris la méfiance à la presse internationale…

Les contenus postés par des ONG présentes sur place ne sont pas nécessairement à prendre pour argent comptant. Lundi soir, une vidéo sanglante virale censée dépeindre les massacres de civils à Alep, partagée sur Twitter par l’association humanitaire Syria Charity – l’une des rares ONG françaises présentes en Syrie – s’est révélée mal contextualisée. Comme le souligne l’association, ce genre d’erreurs ne diminue pas l’horreur de la vie quotidienne dans la ville mais a pour tort de nourrir le scepticisme.

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Autre cible privilégiée des pro-Assad : l’organisation de secouristes “Les Casques blancs”, longtemps pressentie pour le prix Nobel de la Paix cette année, est aussi devenue une des rares sources d’informations de terrain. Le public français les connaît surtout via le visage d’Ismael al-Abdullah, devenu le principal contact sur place de l’émission “Quotidien” de Yann Barthès.

“Le cessez-le-feu est fini. Tout le monde sera exécuté quand les forces d’Assad et leurs voyous vont capturer notre zone”

La “Défense civile syrienne” (nom officiel des Casques blancs) a été créée en 2013 à l’initiative d’un consultant britannique qui travaillait auprès de l’opposition, pour pallier l’absence des services publics dans les zones non-contrôlées par le régime. Ces civils sauvant des civils, qui se disent non armés et non politisés, ont vite gagné la sympathie – et les subventions – de l’Occident. Leur équipement est en effet financé à hauteur de dizaines de millions de dollars par l’Europe et les Etats-Unis, ce qui leur a valu des soupçons infinis.

Mi-septembre, Bachar al-Assad lui-même montait au créneau pour minimiser le service rendu par les Casques blancs, et le Kremlin les taxait de “proches d’Al-Nosra”, histoire de se donner un blanc-seing pour frapper les hôpitaux jusqu’au dernier. Il faut dire que les Etats-Unis n’ont pas clarifié la situation en interdisant leur territoire au directeur de l’ONG, Raed Saleh, qui n’a pu se rendre à une remise de prix à Washington en avril.

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Des incertitudes exploitées par la russosphère

[…]

Lire la suite sur : Le Nouvel Obs, Timothée Vilars, 16-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/syrie-a-alep-la-guerre-est-aussi-celle-de-linformation-par-timothee-vilars/


Très bonne année 2017 !

Sunday 1 January 2017 at 05:01

Je vous souhaite – sans grande originalité mais avec sincérité – une excellente année 2017, pour vous et pour vos proches !

Et pour cela, j’espère que nous ne connaîtrons ni krach financiaro-économique, ni attentats, ni autre conflits !

Merci encore pour votre confiance et votre fidélité !

Olivier Berruyer

P.S. niveau entraide, j’aurais bien besoin de bras cette semaine pour faire de la recopie de données sous Excel (simple). Me contacter, merci !

2017

Source: http://www.les-crises.fr/tres-bonne-annee-2017/


Cette Gauche qui sert de supplétif à l’OTAN, par Bruno Guigue

Saturday 31 December 2016 at 02:00

Source : 

 Rassemblement anti-Assad – Place de la République, Paris, 5 Septembre 2015*. DR

Rassemblement anti-Assad – Place de la République, Paris, 5 Septembre 2015*. DR

A de rares exceptions près (Jean-Luc Mélenchon, le PRCF), le moins qu’on puisse dire est que la gauche française pratique le déni de réalité sur la Syrie. Depuis 2011, c’est impressionnant. Elle a tout avalé. Avec gourmandise. Un véritable festin de couleuvres ! Elle s’est d’abord fiée à des sources douteuses (OSDH) dont elle a répété en boucle les chiffres invérifiables et les affirmations gratuites. Bonne fille, elle a accrédité la narration ridicule du boucher-de-Damas-qui-massacre-son-peuple. Elle a gobé cul sec le false-flag de l’attaque chimique comme si elle ingurgitait une vulgaire fiole onusienne de M. Powell. Elle est tombée, enfin, dans le panneau d’une propagande humanitaire à deux vitesses qui fait le tri, sans vergogne, entre les bonnes et les mauvaises victimes.

Cet aveuglement stupéfiant, la gauche française le doit d’abord à son indécrottable posture morale. Une grille de lecture manichéenne a anesthésié son esprit critique, elle l’a coupée du monde réel. Voulant absolument identifier des bons (rebelles) et des méchants (Assad), elle s’interdit de comprendre un processus qui se déroule ailleurs que dans le ciel des idées. Quand on désigne les protagonistes d’une situation historique en utilisant des catégories comme le bien et le mal, on donne congé à toute rationalité. « Ni rire, ni pleurer, mais comprendre », disait justement Spinoza. On peut certes avoir des préférences, mais lorsque ces préférences inhibent la pensée critique, ce ne sont plus des préférences, ce sont des inhibitions mentales.

La deuxième raison de cet aveuglement tient à un déficit abyssal d’analyse politique. La gauche française n’a pas voulu voir que le rapport de forces, en Syrie, n’était pas celui qu’elle espérait. Elle a reconstruit le récit des événements à sa guise pour donner corps à son fantasme d’une révolution arabe universelle qui balaierait le « régime de Damas » comme elle avait balayé les autres, en méconnaissant ce qui faisait précisément la singularité de la situation syrienne. Ceux qui se vantent de connaître leurs classiques auraient dû appliquer la formule par laquelle Lénine définissait le marxisme : « l’analyse concrète d’une situation concrète ». Au lieu de se plier à cet exercice d’humilité devant le réel, l’extrême-gauche, notamment, a cru voir ce qu’elle avait envie de voir.

Paris le 5 septembre 2015, les manifestants anti-Assad arborent le drapeau portant trois étoiles, emblème des groupes armés *(Photo FB)

Paris le 5 septembre 2015, les manifestants anti-Assad arborent le drapeau portant trois étoiles, emblème des groupes armés *(Photo FB)

Abusée par sa propre rhétorique, elle misait sur une vague révolutionnaire emportant tout sur son passage, comme en Tunisie et en Egypte. Mauvaise pioche ! Privée de toute base sociale consistante dans le pays, la glorieuse « révolution syrienne » n’était pas au rendez-vous. Véritable farce sanglante, une contre-révolution menée par des desperados accourus de 110 pays a pris sa place. La nature ayant horreur du vide, cette invasion du berceau de la civilisation par des hordes de mercenaires décérébrés a tenu lieu, dans l’imaginaire gauchiste, de révolution prolétarienne. Le NPA ne s’est pas aperçu de l’énormité de cette confusion. Il n’a pas vu que les rassemblements populaires les plus imposants, en 2011, étaient en faveur de Bachar Al-Assad. Il a écarté d’un revers de la main la position du parti communiste syrien qui, tout en critiquant le gouvernement, se range à ses côtés pour défendre la nation syrienne contre ses agresseurs.

Poussant le déni de réalité jusqu’aux frontières de l’absurde, le NPA, au lendemain de la libération d’Alep, se déclare encore solidaire de la « révolution syrienne ». Mais le secrétaire général du parti communiste syrien, Ammar Bagdash, lui avait répondu par anticipation en septembre 2013 : « En Syrie, à la différence de l’Irak et de la Libye, il y a toujours eu une forte alliance nationale. Les communistes travaillent avec le gouvernement depuis 1966, sans interruption. La Syrie n’aurait pas pu résister en comptant seulement sur l’armée. Elle a résisté parce qu’elle a pu compter sur une base populaire. En outre, elle a pu compter sur l’alliance avec l’Iran, la Chine, la Russie. Et si la Syrie reste debout, des trônes vont tomber parce qu’il deviendra clair qu’il existe d’autres voies ».

Désolé pour M. Julien Salingue et ses petits camarades, mais s’il faut analyser la situation syrienne, un communiste syrien qui contribue à la défense de son pays vaudra toujours mieux qu’un gauchiste français qui fantasme sur la révolution en buvant des demis au Quartier Latin. Incapable de comprendre ce qui se passait sur place, l’extrême-gauche française est victime du théâtre d’ombres qu’elle a elle-même dressé. Faute d’entendre ce que lui disaient les marxistes du cru, elle a joué à la révolution par procuration sans voir que cette révolution n’existait que dans ses rêves. Mais il est difficile d’admettre en 2016 qu’on s’est complètement fourvoyé depuis 2011.

Une fois de plus, écoutons Ammar Bagdash : « Ils ont commencé par des manifestations populaires dans les régions rurales de Daraa et d’Idleb. Mais dans les villes, il y eut immédiatement de grandes manifestations populaires de soutien à Assad. Par ailleurs, au début, la police ne tirait pas, ce sont certains éléments parmi les manifestants qui ont commencé les actions violentes. Dans les sept premiers mois, il y eut plus de morts du côté de la police et de l’armée que dans l’autre camp. Quand la méthode des manifestations ne marchait plus, ils sont passés au terrorisme avec des assassinats ciblés de personnes en vue (dirigeants, hauts fonctionnaires, journalistes), attentats et sabotages d’infrastructures civiles. Le gouvernement a réagi en adoptant certaines réformes comme celle sur le multi-partisme et sur la liberté de la presse, réformes que nous avons soutenu. Mais les forces réactionnaires ont rejeté ces réformes. »

Cette insurrection armée conduite par des groupes extrémistes, les communistes syriens l’ont parfaitement analysée, mais la gauche française l’a ignorée. Elle a fait comme si elle n’existait pas, comme si elle était une invention de la propagande baassiste. Comment l’admettre, en effet ? Que les gentils révolutionnaires soient passés à l’action violente dès le printemps 2011 contredisait la narration dominante ! Il fallait, pour les besoins de la cause, préserver le mythe d’une opposition démocratique et non-violente. Le récit des événements fut purgé, en conséquence, de ce qui pouvait en altérer la pureté imaginaire. La violence des allumés du wahhabisme fut masquée par un déluge de propagande. Preuve factuelle d’un terrorisme qui était le vrai visage de cette révolution-bidon, ce déchaînement de haine fut effacé des écrans-radar.

De même, cette « gauche » bien-pensante a hypocritement détourné le regard lorsque les feux de la guerre civile furent attisés par une avalanche de dollars en provenance des pétromonarchies. Pire encore, elle a fermé les yeux sur la perversité de puissances occidentales qui ont misé sur l’aggravation du conflit en encourageant la militarisation de l’opposition, tandis qu’une presse aux ordres prophétisait avec délices la chute imminente du « régime syrien ». Sans vergogne, cette gauche qui se dit progressiste s’est laissée enrôler par les gouvernements d’un Occident à l’impérialisme rapace. Elle a calqué sa lecture partiale du conflit sur l’agenda otanien du « changement de régime » exigé par les néo-cons depuis 2005. Comme l’a écrit Hillary Clinton, Washington voulait renverser Assad pour aider Israël dans son affrontement avec l’Iran ! Mais cette circonstance ne semble pas troubler les pro-Palestiniens du NPA.

L’histoire ne fait pas de cadeaux. Elle retiendra que la gauche française a servi de supplétif à l’OTAN dans cette entreprise avortée de destruction d’un Etat souverain sous le prétexte fallacieux des droits de l’homme. Cette imposture de gauche, bien sûr, n’exonère pas la droite française de ses propres responsabilités, tout aussi écrasantes et criminelles sous Nicolas Sarkozy, dans l’aveuglement volontaire au drame syrien. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’il y a une imposture de gauche, sur la Syrie, qui aura fait des dégâts considérables. Courage, M. Mélenchon, vous avez du pain sur la planche !

Bruno Guigue | 27 décembre 2016

Bruno Guigue, est un ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de la Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.

*Parmi les organisateurs de ce rassemblement  il y avait Amnesty International, le NPA, SOS racisme, l’Unef, Solidaires Etudiants, et plusieurs associations. 

Source : 

Source: http://www.les-crises.fr/cette-gauche-qui-sert-de-suppletif-a-lotan-par-bruno-guigue/