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SYRIE. À Alep, la guerre est aussi celle de l’information, par Timothée Vilars

Monday 2 January 2017 at 00:45

Très intéressant texte de L’Obs, qui redresse un peu la barre et pose quelques bonnes questions…

Source : Le Nouvel Obs, Timothée Vilars, 16-12-2016

Le quartier al-Zabdiya (sud-est d'Alep) pilonné par les frappes du régime, mercredi 14 décembre. (STRINGER/AFP)

Le quartier al-Zabdiya (sud-est d’Alep) pilonné par les frappes du régime, mercredi 14 décembre. (STRINGER/AFP)

Les images de la guerre en Syrie proviennent en partie d’activistes des deux camps, dessinant deux visions géopolitiques diamétralement opposées. Comment faire le tri ?

Que s’est-il passé à Alep-Est ? Lundi 12 décembre au soir, il ne fallait pas errer longtemps sur Twitter pour voir défiler une litanie de messages déchirants sur l’épilogue du calvaire de la deuxième ville syrienne. La situation dans les dernières poches contrôlées par les rebelles est désespérée ; des corps jonchent les rues ; des civils seraient sommairement exécutés par les troupes du régime qui prétextent leur soutien aux “terroristes” ; le personnel médical, directement ciblé. Le mot “génocide” est brandi. Le souvenir de Srebrenica réactivé ; sauf que cette fois, on y assiste “en direct, sur les réseaux sociaux”.

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Mais presque simultanément, d’autres images apparaissent. Foin de ville martyre : on y voit au contraire les Alépins fous de joie, “libérés” de cinq ans de cauchemar, dansant dans les rues. Ils lèvent les bras au ciel, remercient le gouvernement Assad, désormais en voie de gagner la guerre contre les terroristes – un terme ici préféré à celui, un peu fourre-tout il est vrai, de “rebelles”. Les massacres ? Des rumeurs colportées par les médias occidentaux manipulés.

Que croire ? Deux visions du monde s’opposent. L’une (l’occident pour aller vite) ne s’est jamais départie de l’illusion que la tentative de révolution démocratique syrienne serait le dernier étage de la fusée du printemps arabe ; l’autre (plutôt pro-russe) n’a jamais vu la révolte de 2011 comme autre chose qu’un putsch salafiste, soutenu en sous-main par les puissances de l’argent pour faire vaciller un leader légitime, garant de la stabilité régionale.

Ce second camp de l’information mondiale a profité d’une guerre interminable et ultra-complexe, moins médiatisée qu’elle n’y paraît, pour s’engouffrer dans tous les flous, dans toutes les incohérences politiques et intellectuelles, et saper pas à pas la crédibilité du premier. Pour comprendre comment est née cette confusion, savamment entretenue par deux camps qui se renvoient mutuellement à leurs accusations de propagande, il faut en revenir aux sources d’informations disponibles.

L’OSDH ou le don d’ubiquité

C’est l’une des réalités les plus étranges et sans doute les moins connues de la couverture médiatique du conflit syrien. Samedi 10 novembre, les troupes turques entrent dans al-Bab, fief de Daech dans le nord du pays. Dimanche, l’Etat islamique reprend possession par surprise de la cité antique de Palmyre ; mercredi matin à Alep, les bombardements reprennent malgré le cessez-le-feu. A chaque fois, l’information tombe sur les fils d’information du monde entier avec cette source : “OSDH”, pour Observatoire syrien des droits de l’Homme (SOHR, en anglais).

Pourtant à chaque fois, un seul téléphone a sonné : celui de Rami Abdel Rahmane (Ossama Suleiman de son vrai nom), un immigrant syrien basé à Coventry, au Royaume-Uni, directeur et… seul membre actif de l’ONG. L’homme ne doit guère prendre de vacances. Celui qui dit n’avoir pas mis le pied en Syrie depuis 2000 a en effet gagné sa crédibilité auprès des grandes agences de presse à force d’un incroyable travail de fourmi solitaire.

Rami Abdel Rahmane (Facebook)

Rami Abdel Rahmane (Facebook)

Sur la centaine de dépêches AFP sur Alep diffusées entre lundi et mercredi, l’organisation est citée pas moins de 36 fois en 48 heures. Reuters et Associated Press citent, elles aussi, abondamment les informations communiquées par l’immigré alaouite. Une OSDH-dépendance telle, que Rami Abdel Rahmane a délaissé au fil des ans la simple recension des exactions du régime Assad (son but premier et militant) pour donner un panorama plus large et plus objectif du conflit, informant également sur les pertes humaines des loyalistes et les massacres perpétrés par les factions de rebelles.

Aussi discret sur son passé que sur ses financements, l’homme dit avoir tissé un large réseau de près de 200 informateurs, qui grossit par cooptation, et que l’ancien diplomate français spécialiste de la Syrie Ignace Leverrier avait longuement mis en accusation sur son blog du “Monde” en 2014. Un flou sur les méthodes qui l’a fait accuser de tous les maux au fil des ans : trop tendre avec Assad ou au contraire caisse de résonance de la rébellion, acoquiné avec les Frères musulmans ou au contraire avec les renseignements britanniques…

Toujours est-il que le don d’ubiquité sur le terrain de Rami Abdel Rahmane et son apparente impartialité lui ont fait acquérir une place surdimensionnée dans le traitement du conflit – par pure commodité selon certains, ses communiqués étant rédigés en anglais et surtout accompagnés de bilans humains chiffrés et actualisés, nerf de l’information de guerre.

Le dernier bilan de 312.000 morts en cinq ans et demi de conflit, repris partout, c’est lui. Un chiffre très certainement sous-estimé, puisqu’il ne comprend que les victimes identifiées, ou celles documentées par des photos ou vidéos transmises à l’OSDH, qui elle-même extrapole plutôt le nombre de victimes autour de 450.000.

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L’ONU privée d’observateurs

Ces bilans chiffrés ont cruellement manqué lundi soir à l’ONU, alors que la rébellion d’Alep tombait. Le secrétariat des Nations unies indique que Ban Ki-moon s’alarme des informations faisant état d’atrocités “contre un grand nombre” de civils, alors que les témoignages évoquant des massacres s’amplifient sur les réseaux sociaux. Mais l’ONU précise immédiatement ne “pouvoir vérifier de manière indépendante ces informations” et se contenter de transmettre ses “grandes inquiétudes”.

Et pour cause : les Nations unies ne disposent pas d’observateurs sur le terrain, ce que déplorait encore récemment le Haut-Commissaire aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein. Il a donc fallu attendre mardi pour que le porte-parole du Haut-Commissariat, Rupert Colville, quantifie la tuerie. Il évoque alors “l’assassinat” d’au moins 82 civils par les forces pro-Assad, indiquant que son bureau a réuni “des informations crédibles selon lesquelles des dizaines de civils ont été tués – soit par des bombardements intenses, soit par des exécutions sommaires de la part des forces pro-gouvernementales.”

L’ONU a aussi des difficultés à estimer le nombre de personnes qui ont déjà quitté la ville. Elle avance le chiffre de 37.000 civils, se basant sur l’enregistrement de ceux qui ont rejoint l’un des abris mis en place par le gouvernement. L’OSDH parle de 130.000 personnes… quatre fois plus. L’ONU ignore aussi la façon dont ces personnes sont véritablement traitées, s’inquiétant notamment de la présence de militaires dans ces bâtiments saturés.

ONG et activistes, première source d’info

En l’absence d’observateurs internationaux, l’essentiel des informations sur ce qui se passe à Alep-Est émane désormais de ses habitants, qui témoignent de l’atrocité du quotidien. Le problème, c’est que la quasi-totalité des personnes qui se filment sur Twitter ou interviennent dans les médias sont elles-mêmes des activistes ou des combattants rebelles, sans que ce soit toujours précisé – un élément que les sceptiques ne manquent pas de pointer.

Hicham Eskef, cité comme “l’un des responsables des rebelles” par “Midi Libre” le mois dernier, était ainsi présenté comme un simple “habitant”, mercredi soir sur les chaînes du groupe Canal+ (ce qui n’enlève rien à l’aspect dramatique de son témoignage).

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Les mêmes personnes sont citées en boucle par les médias internationaux puisqu’elles sont les seules à s’exprimer en anglais et à avoir accès à un système d’internet par satellite dans des quartiers privés d’eau, d’électricité et de carburant. Citons les activistes Lina Shamy et Abdulkhafi Alhamdo, ou la petite Bana, fillette de 7 ans devenue le symbole de la vie sous les bombardements à Alep-Est.

La médiatisation de Bana Alabed a immédiatement posé question, pointe “le Monde” : comme toutes les mises en scène d’enfants en temps de guerre, certains crient à la propagande.

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Le “New York Times” est entré en contact avec celle qui gère son compte Twitter, suivi par 300.000 personnes : sa mère Fatemah. Le quotidien américain a ainsi pu confirmer que les vidéos avaient bien été tournées à Alep-Est, mais relève que la fillette semble réciter un texte appris par cœur. Un collaborateur de TF1 a également rencontré la famille. Il faut dire qu’en 2011, l’histoire d’une blogueuse lesbienne de Damas, qui s’est révélée être un Américain de 40 ans vivant en Ecosse, a appris la méfiance à la presse internationale…

Les contenus postés par des ONG présentes sur place ne sont pas nécessairement à prendre pour argent comptant. Lundi soir, une vidéo sanglante virale censée dépeindre les massacres de civils à Alep, partagée sur Twitter par l’association humanitaire Syria Charity – l’une des rares ONG françaises présentes en Syrie – s’est révélée mal contextualisée. Comme le souligne l’association, ce genre d’erreurs ne diminue pas l’horreur de la vie quotidienne dans la ville mais a pour tort de nourrir le scepticisme.

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Autre cible privilégiée des pro-Assad : l’organisation de secouristes “Les Casques blancs”, longtemps pressentie pour le prix Nobel de la Paix cette année, est aussi devenue une des rares sources d’informations de terrain. Le public français les connaît surtout via le visage d’Ismael al-Abdullah, devenu le principal contact sur place de l’émission “Quotidien” de Yann Barthès.

“Le cessez-le-feu est fini. Tout le monde sera exécuté quand les forces d’Assad et leurs voyous vont capturer notre zone”

La “Défense civile syrienne” (nom officiel des Casques blancs) a été créée en 2013 à l’initiative d’un consultant britannique qui travaillait auprès de l’opposition, pour pallier l’absence des services publics dans les zones non-contrôlées par le régime. Ces civils sauvant des civils, qui se disent non armés et non politisés, ont vite gagné la sympathie – et les subventions – de l’Occident. Leur équipement est en effet financé à hauteur de dizaines de millions de dollars par l’Europe et les Etats-Unis, ce qui leur a valu des soupçons infinis.

Mi-septembre, Bachar al-Assad lui-même montait au créneau pour minimiser le service rendu par les Casques blancs, et le Kremlin les taxait de “proches d’Al-Nosra”, histoire de se donner un blanc-seing pour frapper les hôpitaux jusqu’au dernier. Il faut dire que les Etats-Unis n’ont pas clarifié la situation en interdisant leur territoire au directeur de l’ONG, Raed Saleh, qui n’a pu se rendre à une remise de prix à Washington en avril.

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Des incertitudes exploitées par la russosphère

[…]

Lire la suite sur : Le Nouvel Obs, Timothée Vilars, 16-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/syrie-a-alep-la-guerre-est-aussi-celle-de-linformation-par-timothee-vilars/


Très bonne année 2017 !

Sunday 1 January 2017 at 05:01

Je vous souhaite – sans grande originalité mais avec sincérité – une excellente année 2017, pour vous et pour vos proches !

Et pour cela, j’espère que nous ne connaîtrons ni krach financiaro-économique, ni attentats, ni autre conflits !

Merci encore pour votre confiance et votre fidélité !

Olivier Berruyer

P.S. niveau entraide, j’aurais bien besoin de bras cette semaine pour faire de la recopie de données sous Excel (simple). Me contacter, merci !

2017

Source: http://www.les-crises.fr/tres-bonne-annee-2017/


Cette Gauche qui sert de supplétif à l’OTAN, par Bruno Guigue

Saturday 31 December 2016 at 02:00

Source : 

 Rassemblement anti-Assad – Place de la République, Paris, 5 Septembre 2015*. DR

Rassemblement anti-Assad – Place de la République, Paris, 5 Septembre 2015*. DR

A de rares exceptions près (Jean-Luc Mélenchon, le PRCF), le moins qu’on puisse dire est que la gauche française pratique le déni de réalité sur la Syrie. Depuis 2011, c’est impressionnant. Elle a tout avalé. Avec gourmandise. Un véritable festin de couleuvres ! Elle s’est d’abord fiée à des sources douteuses (OSDH) dont elle a répété en boucle les chiffres invérifiables et les affirmations gratuites. Bonne fille, elle a accrédité la narration ridicule du boucher-de-Damas-qui-massacre-son-peuple. Elle a gobé cul sec le false-flag de l’attaque chimique comme si elle ingurgitait une vulgaire fiole onusienne de M. Powell. Elle est tombée, enfin, dans le panneau d’une propagande humanitaire à deux vitesses qui fait le tri, sans vergogne, entre les bonnes et les mauvaises victimes.

Cet aveuglement stupéfiant, la gauche française le doit d’abord à son indécrottable posture morale. Une grille de lecture manichéenne a anesthésié son esprit critique, elle l’a coupée du monde réel. Voulant absolument identifier des bons (rebelles) et des méchants (Assad), elle s’interdit de comprendre un processus qui se déroule ailleurs que dans le ciel des idées. Quand on désigne les protagonistes d’une situation historique en utilisant des catégories comme le bien et le mal, on donne congé à toute rationalité. « Ni rire, ni pleurer, mais comprendre », disait justement Spinoza. On peut certes avoir des préférences, mais lorsque ces préférences inhibent la pensée critique, ce ne sont plus des préférences, ce sont des inhibitions mentales.

La deuxième raison de cet aveuglement tient à un déficit abyssal d’analyse politique. La gauche française n’a pas voulu voir que le rapport de forces, en Syrie, n’était pas celui qu’elle espérait. Elle a reconstruit le récit des événements à sa guise pour donner corps à son fantasme d’une révolution arabe universelle qui balaierait le « régime de Damas » comme elle avait balayé les autres, en méconnaissant ce qui faisait précisément la singularité de la situation syrienne. Ceux qui se vantent de connaître leurs classiques auraient dû appliquer la formule par laquelle Lénine définissait le marxisme : « l’analyse concrète d’une situation concrète ». Au lieu de se plier à cet exercice d’humilité devant le réel, l’extrême-gauche, notamment, a cru voir ce qu’elle avait envie de voir.

Paris le 5 septembre 2015, les manifestants anti-Assad arborent le drapeau portant trois étoiles, emblème des groupes armés *(Photo FB)

Paris le 5 septembre 2015, les manifestants anti-Assad arborent le drapeau portant trois étoiles, emblème des groupes armés *(Photo FB)

Abusée par sa propre rhétorique, elle misait sur une vague révolutionnaire emportant tout sur son passage, comme en Tunisie et en Egypte. Mauvaise pioche ! Privée de toute base sociale consistante dans le pays, la glorieuse « révolution syrienne » n’était pas au rendez-vous. Véritable farce sanglante, une contre-révolution menée par des desperados accourus de 110 pays a pris sa place. La nature ayant horreur du vide, cette invasion du berceau de la civilisation par des hordes de mercenaires décérébrés a tenu lieu, dans l’imaginaire gauchiste, de révolution prolétarienne. Le NPA ne s’est pas aperçu de l’énormité de cette confusion. Il n’a pas vu que les rassemblements populaires les plus imposants, en 2011, étaient en faveur de Bachar Al-Assad. Il a écarté d’un revers de la main la position du parti communiste syrien qui, tout en critiquant le gouvernement, se range à ses côtés pour défendre la nation syrienne contre ses agresseurs.

Poussant le déni de réalité jusqu’aux frontières de l’absurde, le NPA, au lendemain de la libération d’Alep, se déclare encore solidaire de la « révolution syrienne ». Mais le secrétaire général du parti communiste syrien, Ammar Bagdash, lui avait répondu par anticipation en septembre 2013 : « En Syrie, à la différence de l’Irak et de la Libye, il y a toujours eu une forte alliance nationale. Les communistes travaillent avec le gouvernement depuis 1966, sans interruption. La Syrie n’aurait pas pu résister en comptant seulement sur l’armée. Elle a résisté parce qu’elle a pu compter sur une base populaire. En outre, elle a pu compter sur l’alliance avec l’Iran, la Chine, la Russie. Et si la Syrie reste debout, des trônes vont tomber parce qu’il deviendra clair qu’il existe d’autres voies ».

Désolé pour M. Julien Salingue et ses petits camarades, mais s’il faut analyser la situation syrienne, un communiste syrien qui contribue à la défense de son pays vaudra toujours mieux qu’un gauchiste français qui fantasme sur la révolution en buvant des demis au Quartier Latin. Incapable de comprendre ce qui se passait sur place, l’extrême-gauche française est victime du théâtre d’ombres qu’elle a elle-même dressé. Faute d’entendre ce que lui disaient les marxistes du cru, elle a joué à la révolution par procuration sans voir que cette révolution n’existait que dans ses rêves. Mais il est difficile d’admettre en 2016 qu’on s’est complètement fourvoyé depuis 2011.

Une fois de plus, écoutons Ammar Bagdash : « Ils ont commencé par des manifestations populaires dans les régions rurales de Daraa et d’Idleb. Mais dans les villes, il y eut immédiatement de grandes manifestations populaires de soutien à Assad. Par ailleurs, au début, la police ne tirait pas, ce sont certains éléments parmi les manifestants qui ont commencé les actions violentes. Dans les sept premiers mois, il y eut plus de morts du côté de la police et de l’armée que dans l’autre camp. Quand la méthode des manifestations ne marchait plus, ils sont passés au terrorisme avec des assassinats ciblés de personnes en vue (dirigeants, hauts fonctionnaires, journalistes), attentats et sabotages d’infrastructures civiles. Le gouvernement a réagi en adoptant certaines réformes comme celle sur le multi-partisme et sur la liberté de la presse, réformes que nous avons soutenu. Mais les forces réactionnaires ont rejeté ces réformes. »

Cette insurrection armée conduite par des groupes extrémistes, les communistes syriens l’ont parfaitement analysée, mais la gauche française l’a ignorée. Elle a fait comme si elle n’existait pas, comme si elle était une invention de la propagande baassiste. Comment l’admettre, en effet ? Que les gentils révolutionnaires soient passés à l’action violente dès le printemps 2011 contredisait la narration dominante ! Il fallait, pour les besoins de la cause, préserver le mythe d’une opposition démocratique et non-violente. Le récit des événements fut purgé, en conséquence, de ce qui pouvait en altérer la pureté imaginaire. La violence des allumés du wahhabisme fut masquée par un déluge de propagande. Preuve factuelle d’un terrorisme qui était le vrai visage de cette révolution-bidon, ce déchaînement de haine fut effacé des écrans-radar.

De même, cette « gauche » bien-pensante a hypocritement détourné le regard lorsque les feux de la guerre civile furent attisés par une avalanche de dollars en provenance des pétromonarchies. Pire encore, elle a fermé les yeux sur la perversité de puissances occidentales qui ont misé sur l’aggravation du conflit en encourageant la militarisation de l’opposition, tandis qu’une presse aux ordres prophétisait avec délices la chute imminente du « régime syrien ». Sans vergogne, cette gauche qui se dit progressiste s’est laissée enrôler par les gouvernements d’un Occident à l’impérialisme rapace. Elle a calqué sa lecture partiale du conflit sur l’agenda otanien du « changement de régime » exigé par les néo-cons depuis 2005. Comme l’a écrit Hillary Clinton, Washington voulait renverser Assad pour aider Israël dans son affrontement avec l’Iran ! Mais cette circonstance ne semble pas troubler les pro-Palestiniens du NPA.

L’histoire ne fait pas de cadeaux. Elle retiendra que la gauche française a servi de supplétif à l’OTAN dans cette entreprise avortée de destruction d’un Etat souverain sous le prétexte fallacieux des droits de l’homme. Cette imposture de gauche, bien sûr, n’exonère pas la droite française de ses propres responsabilités, tout aussi écrasantes et criminelles sous Nicolas Sarkozy, dans l’aveuglement volontaire au drame syrien. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’il y a une imposture de gauche, sur la Syrie, qui aura fait des dégâts considérables. Courage, M. Mélenchon, vous avez du pain sur la planche !

Bruno Guigue | 27 décembre 2016

Bruno Guigue, est un ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de la Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.

*Parmi les organisateurs de ce rassemblement  il y avait Amnesty International, le NPA, SOS racisme, l’Unef, Solidaires Etudiants, et plusieurs associations. 

Source : 

Source: http://www.les-crises.fr/cette-gauche-qui-sert-de-suppletif-a-lotan-par-bruno-guigue/


Lettre ouverte aux journalistes de Mediapart (et à quelques autres), par Swank

Saturday 31 December 2016 at 00:55

Intéressant psychodrame à Mediapart – qui aide à réfléchir sur l’information et les médias.

Dommage, j’aurais bien discuté avec l’auteur…

Je rappelle que je trouve l’expérience Mediapart formidable – et chacun mesure ce qu’on leur doit sur plein de sujets : politiques, éthique, économie (ah, Martine Orange…), libertés publiques, fraternité, etc. Je recommande vraiment de les soutenir en vous abonnant.

Après, c’est moins formidable au niveau international – du moins de mon point de vue, mais que voulez-vous, le média parfait n’existe pas. C’est d’ailleurs une grave erreur de trop en attendre, il ne faut jamais se fier à une seule source pour s’informer, bien au contraire.

Le souci n’est pas tant que vous ne trouviez pas que Mediapart soit parfait. Non, le souci évident c’est : mais pourquoi n’y a-t-il pas 20 Mediapart – et que faudrait-il faire pour y arriver ?

Source : Blog Mediapart, Swank, 19-12-2016

Lettre ouverte aux journalistes de Mediapart (et à quelques autres), par Swank

En optant pour un traitement à sens unique de la crise syrienne, les journalistes de Mediapart ont abandonné toute retenue déontologique pour verser dans la propagande de guerre la plus grossière. Lettre énervée d’un abonné dégoûté.

Les leçons de l’histoire n’ont visiblement pas été apprises. Le 20 Mars 2003, les Etats-Unis et leurs alliés déclenchaient une guerre éclair contre l’Irak, pour renverser le régime de Saddam Hussein, dictateur reconnu coupable d’entretenir des liens avec Al-Qaïda et de détenir des armes de destruction massive. L’artillerie lourde fut déployée  (bombardements aériens, 100 000 hommes au sol et régiments de marines) sous l’œil de journalistes embedded souvent acquis à la cause, pour faire de cette guerre l’une des plus médiatisées de tous les temps. On connaît la suite : l’Etat Irakien fut pulvérisé en 2 mois, Saddam capturé à la fin de la même année puis pendu 3 ans plus tard. Les peuples d’Occident, abrutis par des médias bellicistes transformés en organes de propagande, étaient sommés d’applaudir à cette grande victoire du Monde Libre.

Jacques Chirac, qui devait conserver quelques restes de gaullisme enfouis quelque part, refusa d’engager la France dans cette mascarade. Et une bonne partie des Français, déjà bien échaudée par l’intoxication médiatique de la première Guerre du Golfe, ne marcha pas davantage dans la combine. L’histoire leur a donné raison. On découvrit assez vite que Saddam Hussein n’était pas un grand ami des terroristes d’Al-Qaïda, et que la présence d’ADM en Irak était un immense mensonge d’Etat, orchestré par l’Administration Bush et la CIA. Quant au plan des Alliés pour l’Irak, il tourna au fiasco intégral. En lieu et place du régime démocratique promis, le territoire irakien se transforma en un vaste champ de guérillas incontrôlables, et constitua le terreau idéal au développement de ligues fascistes obscurantistes et ultra-barbares. A l’heure qu’il est, l’armée américaine continue de larguer des bombes sur Mossoul pour vaincre Daech, une organisation terroriste créée sur les cendres de l’Etat Irakien détruit 13 ans plus tôt. Triste ironie de l’histoire.

Flash-back : c’est dans les geôles américaines de Camp Bucca, en plein désert irakien, que quelques pontes d’Al-Qaïda et d’anciens dirigeants baasistes du régime de Saddam Hussein fomentèrent la création de ce qui allait devenir la plus dangereuse et la plus abominable faction terroriste du monde moderne : l’Etat Islamique (ou Daech). Une organisation officiellement créée en 2006, qui dispose désormais de moyens considérables dans les régions qu’elle contrôle, capable de se projeter à un niveau international et de recruter par milliers des Occidentaux prêts à mourir pour la cause djihadiste. Le tout grâce aux généreux financements des monarchies pétrolières wahhabites du Golfe avec qui nous continuons de commercer sans aucun scrupule et dont nous recevons les dirigeants en grandes pompes à l’Elysée. Après avoir été frappé sur notre territoire avec une barbarie sans nom par Al-Qaïda en janvier 2015 et par Daech en novembre de la même année, par quel tour de passe-passe en sommes-nous venus à considérer Bachar Al-Assad comme le problème n°1 au Moyen-Orient alors même que Daech progresse dangereusement en Syrie ?  Et pire comment en sommes-nous venus à envisager une alliance sur le terrain avec des rebelles appartenant à la branche syrienne d’Al-Qaïda ?

L’histoire se répète, donc. Sans la moindre honte, sans le moindre mea-culpa, les mêmes journalistes qui se sont fourvoyés dans tous ces honteux mensonges (ADM en Irak, massacre de la Ghouta, etc) pour justifier des positions idéologiques qui ont conduit à la mort de milliers d’innocents, continuent encore, et sans états d’âme, d’agiter les mêmes vieilles ficelles de la propagande otanienne. A vrai dire, ces journalistes lobotomisés par la pensée BHL, ont bien le droit de penser, que s’allier à Al-Qaïda et entrer en conflit direct avec la Russie – 2ème puissance nucléaire mondiale – permettra d’établir la démocratie en Syrie et de vivre dans un monde en paix. Ils ont bien le droit d’ignorer que l’ingérence occidentale pour renverser un Etat souverain, a toujours conduit, historiquement à des désastres monumentaux (l’Irak en étant l’un des exemples les plus éclairants). Mais qu’ils cadenassent à ce point tout débat contradictoire sur un problème géopolitique aussi complexe, démontre une régression sidérante dans une démocratie comme la France où la diversité d’opinions retranscrites par la presse devrait être une évidence. En 2003, probablement portée par un Chirac non-aligné, une partie des journalistes français avaient tout de même fait acte de résistance, au contraire de leurs homologues anglo-saxons illuminés dans leur délire va-t-en-guerre. En 2016, il est tragique de constater qu’en France, même ce dernier verrou a littéralement sauté. Ce à quoi nous assistons depuis quelques jours, c’est à une atlantisation du débat public à marche forcée. Pour mesurer l’étendue du désastre, il suffisait de lire la semaine dernière dans Libération, un classement des candidats à la Présidentielle en fonction de leur soutien à Poutine. Voici donc où se situe désormais le niveau du débat.

Mediapart, journal indépendant qui n’a même pas l’excuse d’être détenu par Patrick Drahi, verse tristement dans le même matraquage éditorial. Depuis la reprise d’Alep par les forces armées syriennes, les articles du site nous imposent le récit manichéen conforme à la ligne politique de Washington et du Quai d’Orsay. Si l’histoire est connue d’avance – celui d’un dangereux régime du Moyen-Orient qu’il faudrait faire tomber à tout prix en finançant et en armant de gentils combattants rebelles –, elle s’est rafraîchie d’un nouvel arrivant ou plutôt d’un revenant : la Russie. Soit le retour in full force and effect d’une puissance majeure sur la scène géopolitique mondiale qui donne des sueurs froides au sommet des puissances de l’OTAN. Et dont le dirigeant – Vladimir Poutine – représente le méchant idéal de l’histoire pour les médias aux ordres, qui n’ont plus qu’à retranscrire, le doigt sur la couture du pantalon, les informations des organisations installées sur place, aux côtés des rebelles, financées à coups de millions de dollars et de livres sterling par les Etats-Unis et le Royaume Uni. Et Daech dans tout ça ?  Un détail de l’histoire qui ne semble même plus rentrer dans l’équation du problème pour les journalistes de Mediapart : au moment même où l’on nous répétait sur tous les tons que «L’humanité s’était effondrée à Alep», un défilé de camions coiffés du drapeau noir de l’Etat Islamique en provenance directe de Mossoul, s’engouffrait tranquillement dans la cité de Palmyre quelques mois après en avoir été chassés par l’armée syrienne et les Russes. Dans l’indifférence médiatique la plus totale.

Pour bien enfoncer le clou, Mediapart organisa un «débat» qui tourna à la discussion de salon entre cinq intervenants qui pensaient tous la même chose, le tout devant la moustache approbatrice d’Edwy Plenel, qui (dé)formé à bonne école au journal Le Monde, n’a jamais dévié de sa ligne idéologique atlantiste. Pendant plus d’une heure donc, nos invités – dont certains n’avaient plus mis les pieds en Syrie depuis des décennies – déroulèrent en toute tranquillité et sans qu’aucune contradiction ne leur soit opposée, le récit romantique de la révolution syrienne de 2011, agrémenté de quelques punchlines laissées à notre approbation («Bachar a tué plus de Palestiniens qu’Israël», «Daech est le co-produit du régime syrien», «Si l’OTAN n’était pas intervenu en Lybie, nous aurions une situation moins satisfaisante qu’aujourd’hui», «Alep, c’est notre Guernica», etc). Personne donc sur le plateau pour leur rétorquer que cette révolution (représentée à l’époque par l’ASL et d’authentiques aspirants à la démocratie) était malheureusement pliée depuis 2012 et que, comme le précisait récemment le géostratège Gérard Chaliand sur France Culture, l’opposition au régime est désormais ultra-majoritairement mené par Al-Qaïda et ses affiliés, repeints en Front Fatah-Al-Cham et Fatah Halab. Tristement, Edwy Plenel en fut réduit, pour continuer à défendre ses analyses hors-sol, à qualifier d’islamophobes, de poutinolâtres ou de complotistes tout ceux qui ne pensaient pas dans la ligne du parti. Final en apothéose, quand le sulfureux journaliste neo-con Nicolas Hénin, regretta que François Hollande n’ait pas saisi «cette belle fenêtre d’intervention en 2013» pour mener «des actions ponctuelles (…) moralement inattaquables (…) en dehors de tout cadre onusien». Et c’est soudain le spectre des «guerres justes» qui réapparut sur le plateau de Mediapart, celles des Nouveaux Philosophes en chaleur, avec de belles bombes estampillées «Droits de l’Homme». Comme en Lybie. Comme en Irak. Avec les résultats désastreux que l’on connaît. Nicolas Hénin que l’on retrouvait d’ailleurs quelques jours plus tard, sur France 2, interviewé dans le documentaire «Le Mystère Poutine». Pas de doute : la machine d’endoctrinement s’est bien remise en marche.

Affolés à l’idée qu’on puisse dévier du discours occidental officiel qu’ils imposent à la brutale depuis plusieurs jours, et submergés par une contre-propagande qui gonfle sur Internet, les médias français tentent tant bien que mal d’allumer partout des contre-feux. Car on le sait, l’information c’est le nerf de la guerre. Mais il ne suffira pas de taxer de conspirationniste la moindre vidéo posant des questions dérangeantes pour ne pas à avoir à y répondre. A savoir : Quelles sont les sources d’information à Alep-Est ? Qui les financent ? Quel est leur degré de neutralité ? Quand Hugo Clément journaliste à l’émission de grande écoute Quotidien interroge régulièrement Ismaël, un représentant des Casques Blancs pour témoigner de la situation à Alep-Est ou quand Nicole Ferroni bâtit toute une chronique larmoyante dans la matinale de France Inter sur le témoignage d’un autre Casque Blanc, il serait peut-être bon de préciser que ces fameux Casques Blancs sont une organisation humanitaire financée à hauteur de millions de dollars par Londres et Washington. Sans parler des chiffres baroques communiqués par l’étrange Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH) dirigé par un seul type à Londres.

Pendant ce temps, la presse britannique, elle, attaque. «There’s more propaganda than news coming out of Aleppo this week» titre The Independent. Le contenu du papier, lui, est édifiant . On y découvre le rôle joué par le gouvernement britannique pour financer des journalistes syriens au service de médias de propagande d’opposition ainsi que la reprise en mains progressive de la communication des rebelles par les organisations djihadistes. Dans le même journal, c’est le grand reporter Robert Fisk, qui signe un article faisant voler en éclat le scénario bien ficelé par les occidentaux de La Chute d’Alep : « Il est temps de dire l’autre vérité : nombre de « rebelles » que nous soutenons en Occident – et que notre absurde premier ministre Theresa May a indirectement bénis lorsqu’elle a fait acte d’allégeance devant les acheteurs d’hélicoptères saoudiens la semaine dernière – sont les plus cruels et les plus impitoyables combattants du Moyen-Orient. Et tandis que nous avons été abreuvés des horreurs de Daech pendant le siège de Mossoul (un événement trop semblable à celui d’Alep, bien que vous ne l’imagineriez pas en lisant notre version de l’histoire), nous avons volontairement ignoré le comportement des rebelles d’Alep ».

S’il n’est pas question d’oublier les crimes perpétrés par le régime de Bachar Al-Assad qui a écrasé dans le sang la révolution démocratique de 2011 et dont l’armée a commis un nombre incalculable d’exactions depuis le début de la guerre civile, il va bien falloir constater l’échec de la stratégie occidentale en Syrie – celle du «regime change» – dont les seuls buts étaient d’affaiblir l’Iran et de débloquer le projet de pipeline du Qatar. Cette tactique s’est fracassée sur la réalité. La révolution ayant été tuée dans l’œuf dès la fin 2011 par le pouvoir syrien, s’allier avec des groupes terroristes – au premier rang duquel Al-Qaïda – pour renverser le régime, fut un jeu dangereux et inconscient auquel Poutine a définitivement mis fin il y a quelques jours. Pour la diplomatie pyromane Fabius/Ayrault, c’est la honte. Quant aux donneurs de leçons de morale, qui tentent de redorer leur blason politique ou médiatique sur la tragédie que vit la population syrienne, ils seraient bien avisés de comprendre qu’elle aurait pu prendre fin il y a trois ou quatre ans si l’on avait accepté de discuter avec Al-Assad et Poutine. Ce que Mélenchon avait conseillé à l’époque mais que personne n’a jamais voulu entendre. Pleurer, ils savent faire. Faire la paix, déjà moins.

Source : Blog Mediapart, Swank, 19-12-2016

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Ce billet fut supprimé par l’équipe de modération de Mediapart… D’où :

Juste une mise au point

Source : Blog Mediapart, Swank, 25-12-2016

Lettre à mes amis abonnés et à quelques autres.

Comme certains d’entre vous l’ont remarqué, mon précédent billet a été effacé. Il portait un regard critique sur le traitement de la crise syrienne par Mediapart et plus globalement par les médias français. Ayant reçu beaucoup de messages m’interrogeant sur les raisons de la disparition soudaine de ce papier, je me sens obligé de préciser certaines choses :

1/ Mon article a bien été supprimé par Mediapart, sans même que j’en sois averti. J’en ignore donc la raison exacte. Je l’interprète comme un acte de censure au sein d’un espace, censé être de « libre expression ». Ironiquement, lorsque je découvrais au réveil que mon article avait disparu, je recevais dans le même temps la newsletter de Noël de Mediapart dans ma boîte de messagerie : « Offrez l’indépendance ». Sans commentaires.

2/ Quelques heures avant d’être effacé, mon article était relayé sur la page Facebook de Jean-Luc Mélenchon. Faut-il y voir un rapport de cause à effet ? Je l’ignore. Tout comme j’ignore l’état des relations entre l’équipe de Mélenchon et la rédaction de Mediapart (j’imagine simplement qu’elles ne sont pas au beau fixe). Ce n’est pas mon problème. J’écris mes billets de blog en toute indépendance et je ne suis pas le porte-parole de qui que ce soit. Ce que je publie est une modeste contribution au débat citoyen et chacun est libre de s’en emparer comme il le souhaite.

A la colère a succédé la tristesse. J’avais encore une croyance naïve dans la possibilité d’une presse libre, indépendante, critique, ouverte au dialogue et au débat. Cette illusion a disparue. Les Français ont une fâcheuse tendance à donner des leçons à tout le monde mais il faudrait pourtant avoir l’honnêteté de regarder notre pays tel qu’il est : cadenassé par des chiens de garde où il est de plus en plus difficile de débattre des choses fondamentales. Les citoyens français, qui ont durement été frappés par des attaques terroristes l’an passé, ont toute légitimité pour exiger une plus grande transparence de notre politique étrangère et en particulier de nos alliances stratégiques. La question du terrorisme n’est pas uniquement une question sécuritaire. C’est également un enjeu social et géopolitique. Il serait bien utile de s’en rappeler à quelques mois de l’élection présidentielle. J’ai personnellement été marqué par l’attaque du Bataclan car j’y ai perdu des connaissances et des amis proches ont failli y passer. J’y ai même consacré un papier, le plus triste que je n’ai jamais eu à écrire. Le terrorisme – et par conséquent la manière dont nous le combattons – n’est pas un sujet de plaisanterie pour moi.

Je ne vais pas réécrire mon article censuré. Mais je maintiens les points de désaccord avec la rédaction de Mediapart au sujet de la crise syrienne. J’en dénombre trois, essentiels :

1/ Un désaccord sur la situation actuelle en Syrie et notamment sur les forces en présence et leur composition. Je conteste la vision manichéenne d’une guerre qui opposerait l’armée d’un méchant dictateur et de gentils révolutionnaires démocrates. Ce n’est plus du tout la réalité du terrain.

2/ Un désaccord sur la manière de résoudre le conflit. Je m’oppose à l’ingérence occidentale, à des alliances douteuses et encore davantage à une intervention armée qui ne provoquerait qu’une dangereuse escalade du conflit. Je défends une résolution diplomatique de la guerre avec des discussions entre ses différents acteurs. J’estime que cela aurait du être fait depuis 3 ou 4 ans.

3/ Enfin, je propose une lecture géopolitique qui semble absente des analyses médiatiques de ce conflit. Les intérêts géopolitiques, aussi bien des Occidentaux que des Russes et de leurs alliés respectifs, y jouent pourtant un rôle fondamental. C’est bien le rôle de la presse que de les analyser.

Pour résumer, mon article n’était en aucun cas une ode à Poutine (qui défend une vision idéologique qui n’est pas la mienne). Encore moins une ode à Bachar Al-Assad (le dernier paragraphe de mon article était, faut-il le rappeler, sans aucune ambiguïté à ce propos). C’était une ode à la paix, à la raison et à la politique. Et une dénonciation de l’hypocrisie et de la propagande de l’émotion.

Je n’avais jamais envisagé de résilier mon abonnement à Mediapart. J’estime qu’il est normal et même sain d’avoir des sujets de désaccord et de débat avec la rédaction. Je continue de penser que Mediapart est un bon journal en ligne, doté de journalistes de qualité. Mais cette fois-ci, une ligne rouge a été franchie. Je ne peux décemment pas continuer à payer l’abonnement d’un organe de presse qui censure mes billets de blog. Je constate – et je ne pense pas être le seul – que l’approche des élections présidentielles entraine un durcissement de la ligne éditoriale du journal. Ce n’est pas la première fois que je publie un article en rupture avec la pensée dominante. Au printemps 2015, je m’étais fendu d’un billet en défense d’Emmanuel Todd – qui se faisait littéralement carboniser dans les médias avec son livre « Qui est Charlie ? ». J’y développais un point de vue sensiblement différent de celui d’Hubert Huertas de Mediapart. Cela n’avait pas empêché Edwy Plenel de tweeter mon article. The Times They’re A-Changin.

J’ai la conviction profonde que Mediapart, en voulant fermer le débat, se trompe de stratégie. C’est par la confrontation d’idées et le dialogue, aussi dur soit-il, que nous vaincrons l’obscurantisme, le populisme, le complotisme, le racisme et toutes ces saloperies que nous combattons quasiment tous ici. Pour l’heure, je ne souhaite pas alimenter ce débat sans fin. A vrai dire, tout cela me dépasse déjà. Je suis un pacifiste qui aspire à une vie tranquille et paisible. Si Mediapart ne souhaite pas que des points de vue contradictoires à sa ligne soient publiés dans son Club alors tant pis. Il est temps pour moi de quitter le navire et de vous souhaiter à tous bon vent.

Source : Blog Mediapart, Swank, 25-12-2016

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Commentaire de Edwy Plenel en réponse

Source : Blog Mediapart, Swank,

Cher Swank, nous avons republié votre « lettre énervée d’un abonné dégouté » (elle est ici). Elle avait été dépubliée par l’équipe restreinte chargée de la permanence du week-end qui a parfois bien le droit d’être à son tour « énervée et dégoutée ». Une chose est en effet de discuter et critiquer les choix éditoriaux de Mediapart, autre chose est de verser dans un dénigrement aveugle, tissé de préjugés et de mensonges, d’amalgames et d’excommunications, dans le déni de toute vérité sur ce qu’est ce journal.

Au mépris du travail informatif de Mediapart et de l’équipe qui le réalise, sans aucune source ni preuve – et pour cause, car c’est un pur délire (François Bonnet a rappelé ici quelques uns de nos articles qui le démontrent) –, votre billet nous qualifie ainsi de relais « de la propagande otanienne », épousant « le récit manichéen conforme à la ligne politique de Washington et du Quai d’Orsay », fidèles à une « ligne idéologique atlantiste », simples rouages d’une « machine d’endoctrinement ». Diaboliser ainsi ceux avec qui on est en désaccord, ce n’est pas débattre ni argumenter. C’est insulter leur libre arbitre, leur indépendance éditoriale et leur compétence professionnelle au prétexte d’une campagne aveuglément partisane. C’est surtout verser dans une vision complotiste du monde, propre aux idéologies les plus régressives et les plus obscures, ennemies de la raison et de l’émancipation, pour lesquelles l’adversaire est forcément manipulé, influencé, corrompu ou gangréné par une force étrangère.

La rédaction de Mediapart est donc en droit de rappeler à tout abonné que la Charte éditoriale, dont il a accepté les termes en souscrivant à Mediapart, prohibe explicitement, y compris envers notre rédaction, le « dénigrement », c’est-à-dire « toute contribution ayant pour objet d’attaquer la réputation d’un participant, de médire sur son compte, d’en parler avec malveillance et de manière répétitive » (relire ici la Charte). Ce rappel est une protection élémentaire pour un journal participatif qui compte à ce jour 128.000 abonnés actifs, d’horizons et de sensibilités diverses, ce nombre ne cessant de croître, de jour en jour. Nous ne pouvons accepter que les espaces contributifs soient pris en otage par des campagnes de dénigrement à sens unique, d’où qu’elles viennent, qui n’ont pas pour but de convaincre par le débat mais de discréditer par l’invective.

Nous sommes d’autant plus fondés à assumer cette position de ferme modération a posteriori que Mediapart ne filtre pas a priori les contributions de ses abonnés, au nom d’un « free speech » qui repose sur leur responsabilité et, donc, leur autodiscipline (comme le rappelle la Charte). Ce choix, que nous assumons, est unique dans le paysage de la presse, et d’autant plus de la part d’un journal dont l’audience n’est en rien confidentielle. C’est, par ailleurs, une prise de risque qu’aucun site de parti politique ou de candidat en campagne n’assume : toutes les contributions y sont filtrées préalablement, triées et, donc, censurées a priori afin de ne pas nuire à la cause ou au candidat défendu. Ceux qui abusent de la liberté offerte à Mediapart ne pourraient donc jamais faire de même sur les sites partisans des causes qu’ils prétendent défendre.

Comme je l’ai dit à un autre abonné en colère (c’est ici), le sectarisme brutalement exprimé depuis quelques jours par quelques abonnés qui se réclament de Jean-Luc Mélenchon et de sa campagne présidentielle ne sert ni leur cause ni leur candidat. Nous ne confondons évidemment pas cette surenchère avec la famille politique dont elle se réclame. Les dirigeants du Parti de gauche tout comme l’entourage du candidat savent ce qu’il en est : l’une d’entre eux, Corinne Morel-Darleux, était récemment notre invitée face à Yannick Jadot (c’est ici) ; Christophe Gueugneau couvre avec assiduité la campagne de « La France insoumise » (voir ses articles) ; en une année, nous avons réalisé et publié pas moins de trois longues interviews de Jean-Luc Mélenchon (elles sont icilà et ) ; enfin, lancée depuis cet été, notre invitation à ce qu’il soit l’invité principal de l’un de nos « MediapartLive », mensuels devenus hebdomadaires, est toujours pendante, n’attendant que la date qui lui conviendra – sans doute après la fin de la primaire socialiste.

Au début de Mediapart, lors de premières tensions participatives (car il y en eut plusieurs autres déjà, venant d’autres horizons politiques, de l’extrême droite, de la droite, du centre ou de la gauche), nous aimions rappeler ce qu’énonce la deuxième Déclaration des droits de l’homme, celle qui sert de préambule à la Constitution de l’An I, la première des constitutions républicaines : « La liberté est le pouvoir qui appartient à lhomme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits dautrui : elle a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. »

Cher Swank, cette dépublication éphémère de votre billet est un rappel à ce principe de base d’une discussion argumentée et raisonnée, dans le respect de toutes celles et de tous ceux qui en sont témoins.

Source : Blog Mediapart, Swank,

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Vidéo Mediapart du 21 décembre 2016 :

Vidéo Médiapart du 15 décembre : Quelle Syrie après Alep ? (dont il est fait mention)

Débat vidéo avec Ziad Majed, chercheur et politologue libanais, Farouk Mardam-Bey, historien et éditeur franco-syrien, Leyla Dakhli, historienne, Hala Abdallah, cinéaste syrienne, et Nicolas Hénin, auteur de Jihad Academy et La France russe.

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Source: http://www.les-crises.fr/lettre-ouverte-aux-journalistes-de-mediapart-et-a-quelques-autres-par-swank/


Grèce : le ton monte entre l’Eurogroupe et le gouvernement, par Romaric Godin

Saturday 31 December 2016 at 00:45

Source : La Tribune, Romaric Godin, 15-12-2016

Wolfgang Schäuble, ministre des Finances allemand, et Klaus Regling, président du MES, n'ont pas apprécié les annonces d'Alexis Tsipras. (Crédits : Reuters)

Wolfgang Schäuble, ministre des Finances allemand, et Klaus Regling, président du MES, n’ont pas apprécié les annonces d’Alexis Tsipras. (Crédits : Reuters)

Les créanciers européens de la Grèce ont suspendu les mesures prises sur la dette la semaine passée pour répondre aux décisions sociales annoncées par Alexis Tsipras. Ce dernier est une nouvelle fois menacé d’une humiliation cuisante.

Alexis Tsipras aura donc dû boire le calice de l’humiliation jusqu’à la dernière goutte. Six jours après avoir annoncé des mesures en faveur des retraités, avec notamment un treizième versement de 300 à 800 euros pour 1,6 millions de pensionnés grecs et la suspension du relèvement du taux de TVA dans les îles du Nord de la mer Egée, frappés par la vague migratoire, le Mécanisme européen de Stabilité (MES), vient d’annoncer le gel du « toilettage » de la dette décidé par l’Eurogroupe du 5 décembre dernier.

Un gel sans importance ?

« Les institutions sont arrivées à la conclusion que les actions du gouvernement grec semblent ne pas être en ligne avec nos accords », a indiqué un porte-parole du président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. Les créanciers européens avaient montré de la mauvaise humeur après les annonces d’Alexis Tsipras, qui ne les en avait pas informé. Cette décision de geler les mesures sur la dette ne portent qu’assez peu à conséquence puisqu’il ne s’agissait que de mesures « préventives » contre de futures hausses de taux. Une seule mesure concerne 2017 et concerne une prime de 2 % que doit verser Athènes sur une dette contractée en 2012. L’essentiel n’est évidemment pas là.

Décision politique

Légalement, la décision d’Alexis Tsipras n’est pas en cause. Le mémorandum d’août 2015 prévoit que la Grèce puisse disposer de 40 % des excédents supplémentaires dégagés par le pays. Cet excédent supplémentaire en octobre 2016 s’élève à près de 3 milliards d’euros et les mesures prévues par le gouvernement grec ne sont que de 674 millions d’euros. Les engagements comptables d’Athènes ne sont essentiels que s’ils correspondent aux niveaux prévus par l’accord et par l’Eurogroupe qui a reconnu que de tels niveaux assuraient la viabilité (fictive) de la dette grecque. Elle est d’autant moins en cause que ces mesures sont socialement justifiables après les efforts du pays qui ont payé en termes budgétaires et les effets de la crise migratoire. Dès lors, cette mesure de rétorsion n’est qu’une décision purement politique visant à désarmer entièrement le gouvernement grec, à annihiler toute prétention à une politique sociale et économique autonome, mais aussi à achever de détruire la crédibilité politique d’Alexis Tsipras et de Syriza. Apparemment, les vieilles rancœurs politiques, qui avaient largement inspiré l’attitude des créanciers au cours du premier semestre 2015, ne sont pas éteintes.

Alexis Tsipras dos au mur

Reste qu’Alexis Tsipras est désormais dos au mur. Ce « gel » des mesures sur la dette annonce vraisemblablement un rejet de la conclusion de la seconde revue du programme, qui est en cours, et, partant, le gel du versement des fonds dont Athènes a absolument besoin avant l’été pour pouvoir honorer 6 milliards d’euros de remboursement de dettes. Dans ces conditions, le premier ministre grec n’a le choix qu’entre une nouvelle humiliation et un retrait de son projet, et un bras de fer qui, tôt ou tard, débouchera sur une crise proche de celle de début 2015, avec une Grèce privée de fonds devant choisir entre la sortie de l’euro ou l’acceptation des conditions des créanciers. Il peut aussi trancher le nœud gordien en appelant à de nouvelles élections, mais il est pratiquement certain de les perdre : Syriza accuse 17 points de retard sur les conservateurs de Nouvelle Démocratie (ND) dans le dernier sondage.

Vers l’humiliation

[…]

 

Lire la suite sur : La Tribune, Romaric Godin, 15-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/grece-le-ton-monte-entre-leurogroupe-et-le-gouvernement-par-romaric-godin/


Miscellanées (Sapir, Béchade, ScienceEtonnante, DataGueule)

Saturday 31 December 2016 at 00:01

I. Philippe Béchade

Les indés de la finance: “Le plus grand événement de 2016 serait peut-être la fin de 36 ans de détente obligataire”, Philippe Béchade – 23/12

II. Jacques Sapir

Les points sur les “i”: Jacques Sapir: Perspectives 2017 pour l’économie russe – 27/12

III. ScienceEtonnante

Pertes, dotation et références — Crétin de Cerveau #4

IV. DataGueule

Les merveilleuses histoires du tabac #DATAGUEULE 25


 

 

 

 

Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

Mais commençons par Charlie Hebdo :

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qui a un gros succès en Russie… Ils sont moins inventifs je trouve quand c’est le Bataclan ou Nice…

«Charlie Hebdo»: Des caricatures suscitent indignation et colère en Russie

« Si ce soi-disant “talent artistique” est la vraie manifestation des “valeurs occidentales”, alors ceux qui s’y retrouvent et qui les défendent sont condamnés, en tout cas à être seuls dans le futur » a déclaré Igor Konashenkov, porte-parole du ministère de la Défense russe.

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-sapir-bechade-scienceetonnante-datagueule/


L’ex-ambassadeur UK en Syrie donne une leçon de diplomatie : “Les dirigeants ont perdu pied avec la réalité sur la Syrie !”

Friday 30 December 2016 at 05:30

Incroyable leçon de Diplomatie par l’ancien ambassadeur britannique en Syrie de 2003 à 2007, dont je partage la vision.

Et dont je pense qu’il doit comprendre les choses un peu mieux que moi, hmmm… Lui qui déclarait en avril 2015 “Les chances des démocrates ou modérés en Syrie sont comme les chances de voir tomber des flocons de neige en enfer – aucune. Les seules forces puissantes opposées au gouvernement syrien sont les islamistes extrémistes, Daech et les autres groupes aux mêmes idées. Tant que les gouvernements occidentaux et certains alliés régionaux tenteront d’entraver le gouvernement syrien, je crains que ce conflit ne se poursuive.

À rapprocher aussi de la mésaventure de notre propre ambassadeur en Syrie – où quand les technocrates parisiens n’écoutent plus les ambassadeurs compétents sur place…

Bref, une bonne référence à opposer aux doux rêveurs…

Dont j’attends toujours la réponse à une importante question : on est censé faire quoi si al-Qaïda occupe la ville Saint-Denis avec des milliers de djihadistes et envoie depuis là des bombes sur Paris ? On reprend la ville comment ? Avec des fleurs ? Parce que la dernière fois, ils étaient 3 avec un revolver, et la police a presque détruit un immeuble…

Le but de la politique est évidemment de ne jamais en arriver là, sinon des centaines de civils vont mourir, inévitablement. Et le lot de pleureuses qui laissent les gouvernements faire leurs sales affaires sans rien dire se réveilleront…

“Le diplomate face à la journaliste du XXIe siècle”, un moment à garder dans les annales… :

(cliquez sur le 1er rectangle plein en bas à droite pour avoir les sous-titres)

Lien de secours.

Transcription :

Journaliste : Durant les dernières heures, l’évacuation d’Alep a repris sous de fortes neiges. L’ONU confirme que les bus ont recommencé à circuler, transportant les gens à l’extérieur de la partie Est d’Alep. Les forces gouvernementales syriennes sont à l’arrêt, dans l’attente d’avancer vers la dernière enclave rebelle, scellant ainsi la plus grande victoire du Président Assad à ce jour dans cette guerre. Cela signifie-t-il qu’il est temps pour le Royaume-Uni de reconsidérer son soutien continu pour la soi-disant « opposition armée modérée » au Président Assad ? Doit-il reconsidérer sa perspective selon laquelle le Président Assad ne doit jouer aucun rôle dans le futur de la Syrie ? Peter Ford fut l’ambassadeur britannique en Syrie de 2003 à 2006. Peter Ford, pensez-vous qu’il est temps de reconsidérer les choses ?

Peter Ford : Absolument, il serait grand temps. Nous nous sommes accrochés bien trop longtemps à l’illusion selon laquelle la soi-disant opposition modérée allait vaincre Assad. C’est maintenant évident avec la reconquête d’Alep par le gouvernement, il faut cesser de nous voiler la face et nous devrions regarder la réalité telle qu’elle est : Assad ne sera pas renversé par la force des armes ni à la table des négociations. Le Royaume-Uni doit à présent faire trois choses. 1/ Nous devons cesser de soutenir une opposition en déroute et divisée. 2/ Nous devons commencer à venir en aide au peuple syrien en levant les sanctions. 3/ Nous devons travailler avec les Russes sur un règlement politique de la situation qui aurait dû se produire il y a longtemps déjà.

Journaliste : Mais comme nous le savons, pour beaucoup de dirigeants occidentaux, le règlement politique de la situation ne laisse pas de place à Assad. Boris Johnson, le Secrétaire d’Etat des Affaires Etrangères, a déclaré au mois de septembre dernier qu’il ne peut jouer aucun rôle dans le futur gouvernement de la nouvelle Syrie car tant qu’Assad sera au pouvoir à Damas, il n’y aura pas de Syrie à gouverner. Downing Street [le cabinet du Premier Ministre] a déclaré plus tôt ce mois-ci que la cruauté barbare dont ont fait preuve les forces du régime syrien démontrent que le Président Bachar Assad (sic) n’a aucune place dans le futur du pays.

Peter Ford : Oui, mais c’est absurde. C’est vraiment absurde. Assad contrôle maintenant plus de 80% des zones habitées de Syrie. Il n’y a aucune raison pour que dans les mois à venir, lui et ses forces ne reprennent pas les 10, 15 voire 20% restants. Il sera alors le maître absolu du pays. Bien sûr, il y aura toujours des groupes mécontents de la situation. Mais dans toute l’histoire écrite de l’humanité, y a-t-il eu une seule guerre civile d’une telle durée après laquelle tout le monde ait été satisfait d’un dirigeant ? Il n’y a pas de [Nelson] Mandela syrien. Il n’y a aucun [autre] dirigeant. Pouvez-vous me nommer ne serait-ce qu’un chef de l’opposition qui pourrait assumer le rôle d’Assad ? C’est absurde. C’est grotesque. Boris Johnson et Theresa May ont perdu pied avec la réalité. Donald Trump va prendre la relève, et s’il fait ce qu’il a annoncé, il va normaliser les relations avec la Russie, donner la priorité à la lutte contre Daech en Syrie et cesser d’œuvrer au renversement d’Assad. Quand allons-nous nous réveiller ?

Journaliste : Vous avez dit être très préoccupé par le soutien du Royaume-Uni pour la soi-disant opposition armée modérée, et il y a effectivement aussi eu des plaintes et allégations d’abus à leur encontre. Néanmoins, si vous laissez le Président Assad en place pour la diplomatie future de la Syrie, cela ne reviendrait-il pas à fermer les yeux sur tout ce qu’il a fait jusqu’à présent ? Comme l’usage d’armes chimiques contre son propre pays ?

Peter Ford : Ecoutez, ce soir, il y a un sapin de Noël et des festivités au centre d’Alep. Je pense que si Assad était renversé et que l’opposition était au pouvoir, vous ne verriez pas de sapin de Noël à Alep. La diabolisation du régime a pris des proportions grotesques. Même pour la fin de ce conflit avec les bus [d’évacuation] verts. Il n’y avait pas de bus verts à Gaza. Il n’y avait pas de bus verts lorsque l’OTAN bombardait la Yougoslavie sans merci. Cette campagne d’Alep est menée, dans ses dernières étapes, avec une certaine humanité. Ce n’est pas à la débâcle de l’humanité qu’on assiste, contrairement à ce que prétendent certains, mais à la débâcle de la rationalité. Où se trouvent les moindres preuves des prétendues atrocités, de Guernica, des massacres, du génocide, de l’Holocauste ?


N.B. vous aurez compris que c’est une vidéo de propagande du gouvernement syrien, mais enfin, ça a existé aussi…

Journaliste : Eh bien, je pense que beaucoup de personnes ne seront pas d’accord avec cela car elles ont vu des personnes fuir Alep-Est, les allégations selon lesquelles des gens ont été attaqués, empêchés de quitter la ville… Vous savez, il y aura ces allégations et elles feront l’objet d’une enquête. En attendant, il y a certes des critiques contre les deux côtés, oui, mais vous vous opposez violemment à énormément de figures de premier plan dans les gouvernements du monde, selon lesquelles, et je terminerai là-dessus, qu’il n’y a pas de place pour le Président Assad dans la Syrie de demain. Concluez sur votre pensée, et nous allons terminer l’interview dans quelques secondes.

Peter Ford : C’est vraiment être aux antipodes de la réalité. Qui mettraient-ils donc à la place d’Assad ? Persister à vouloir renverser le régime en Syrie comme nous l’avons fait ailleurs, en Irak, en Libye, ne mène qu’à plus de souffrance chez les simples citoyens.

Journaliste : Peter Ford, ambassadeur britannique en Syrie dans les années 2000, merci beaucoup.
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Vous noterez la fin du billet de la BBC qui relate l’interview (on ne va pas lui laisser le dernier mot, oh !) :

Le ministère des Affaires étrangères a déclaré qu’une solution politique et une transition sans Assad étaient «la seule façon de mettre fin aux souffrances du peuple syrien».

OB : Moi je parie qu’ils vont en trouver une autre…

Un porte-parole a ajouté: “Le régime d’Assad a le sang de centaines de milliers de personnes à ses mains. Il n’y a aucun moyen qu’il puisse unir et apporter la stabilité à la Syrie.

OB : et si on laissait les Syriens en décider librement ? #Démocratie

“Le Royaume-Uni a promis plus de 2,3 milliards de livres sterling pour soutenir les personnes affectées par le conflit syrien et a cherché à réduire la souffrance avec chaque levier diplomatique à notre commande.”

OB : 2,3 MILLIARDS ???? D’AIDE pour réduire la souffrance ? Ca en fait des kalachnikovs ça…

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Transcript VO :

Presenter : Peter Ford was the UK’s Ambassador to Syria from 2003 to 2006. Peter Ford, do you think it’s time for a re-think?
Ford : Absolutely. It’s way overdue. We have clung for too long to the illusion that the so-called ‘moderate opposition’ would overcome Assad. Surely now, with the Government’s recovery of Aleppo, the veils should fall from our eyes and we should look reality in the face: Assad is not going to be removed by force of arms or at the negotiating table. What Britain should do now is three things: we should stop supporting a failed and divided opposition; we should start to try to help the people of Syria by lifting sanctions; and we should be working with the Russians on an overdue political settlement.
Presenter : But the political settlement as we know for many leaders in the Western World does not include Assad in its calculations. Boris Johnson for example, the Foreign Secretary, in September of this year saying he can have no part in the future government of Syria because as long as Assad is in power in Damascus, there will be no Syria to govern. Downing Street [the home of the UK’s Prime Minister] saying just earlier this month “the barbaric cruelty shown by the Syrian regime forces shows that President Bashar Assad (sic) has no place in the country’s future.
Ford : Yes, but this is absurd. It’s quite absurd. Assad is in control of over 80% now of the populated area of Syria. There is no reason why, in the months to come, he and his forces will not take the remaining 10, 15 and eventually 20%. He will then be in total control of the country. Of course there will be remaining groups who are not happy, after which, in the whole of recorded history has there ever been a protracted civil conflict like this that left everybody happy under one ruler? There is no Syrian [Nelson] Mandela. There is no leader. Could we even put a name to one opposition leader who would step into Assad’s shoes? It’s absurd. It’s grotesque. It shows that Boris Johnson and Theresa May have lost grip on reality. Now Donald Trump is coming in and if he carries out what he said he’ll carry out he will normalise relations with Russia, he will prioritise the fight against ISIS in Syria, and he will stop working for the overthrow of Assad. When are we going to smell the coffee ?
Presenter : Well, you have said that you are deeply concerned by Britain’s continued support for the so-called moderate armed opposition and indeed there have been complaints, there have been allegations of abuse on that side of the War as well. Nevertheless, if you leave aside President Assad and you sak “ok, let him continue through the future diplomacy concerning Syria”, wouldn’t that be condoning him and all he’s done up until now? Chemical weapons, for example, against his own people?
Ford : Look, tonight there is a Christmas Tree in the centre of Aleppo and celebrating people. I think if Assad were removed, and the opposition were in power, you would not be seeing a Christmas Tree in Aleppo. The demonisation of the regime has been taken to ridiculous lengths. Even the end of this crisis with the green buses; there were no green buses in Gaza, there were no green buses when NATO was bombing Yugoslavia to smithereens. This Aleppo campaign has been handled in its final stages with relative humanity. We’ve seen not what some allege to be a meltdown of humanity but a meltdown of sanity. Where are, where’s any evidence of the alleged atrocities, of the Guernica, of the massacres, the genocide, the holocaust ?
Presenter : Well, I think you’ll find many people will disagree with that as they have seen people fleeing Eastern Aleppo; the allegations that people have been attacked, prevented from leaving the city. You know there will be these allegations and they will be investigated. In the meantime there’s criticism of both sides, yes indeed, but you are violently disagreeing with an awful lot of senior figures in governments across the World who say – and I just conclude on this – that there is no place for President Assad in the future of Syria. Just again, complete your thought and we will conclude the interview in just a few seconds.
Ford : Well, this flies in the face of reality. Who are they going to put in Assad’s place? To try to continue to overthrow the regime in Syria, as we’ve overthrown regimes elsewhere – in Iraq, and Libya – leads only to more suffering on the part of the ordinary people.
Presenter : Peter Ford, UK Ambassador to Syria in the 2000s, thank you very much indeed.

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Un ex-ambassadeur britannique déclare que la politique étrangère de la Grande Bretagne vis-à-vis de la Syrie a été “mal menée tout du long”

Source : Daily Mail, John Stevens, 23-12-2016

L'ancien ambassadeur britannique en Syrie Peter Ford, sur la BBC, a dit que David Cameron avait adopté la mauvaise attitude envers la Syrie et avait aggravé la situation

L’ancien ambassadeur britannique en Syrie Peter Ford, sur la BBC, a dit que David Cameron avait adopté la mauvaise attitude envers la Syrie et avait aggravé la situation

L’ambassadeur anciennement affecté à Damas a déclaré que la politique Syrienne de la Grande-Bretagne a été “mal menée tout du long” et a même empiré la situation.

Ayant officié de 2003 à 2007, Peter Ford a constaté que depuis les débuts de la crise Syrienne le premier ministre Britannique David Cameron n’a pas su se positionner correctement.

L’ancien diplomate affirme que Cameron aurait du clairement choisir : soit préparer les troupes à intervenir sur le terrain, soit s’abstenir d’”encourager une campagne vouée à l’échec dirigée par l’opposition, entraînant la conversion ou la mort de centaines de milliers de civils.”

Nous avons empiré la situation,” ajoute-t-il.

“Il était hautement probable que les choses se passent de cette manière pour qui voulait bien voir la réalité en face.”

“Ça me désole mais le Bureau des Affaires Etrangères auquel j’appartenais s’est trompé sur le dossier Syrien tout du long.”

“Au départ ils nous ont dit que la chute d’Assad était imminente. Ils nous disaient qu’il tomberait avant Noël (et ils n’ont jamais précisé quel Noël donc il se pourrait qu’ils finissent par avoir raison) mais après ils nous ont dit que l’opposition était dominée par les soi-disant modérés: il s’est trouvé que ce n’était pas le cas.

Maintenant ils racontent un nouveau mensonge: qu’Assad ne peut pas controler le reste du pays. Eh bien j’ai de grandes nouvelles pour eux ; il est en passe de réussir ce tour de force.”

Le régime Syrien a pris le contrôle total d’Alep Jeudi pour la première fois en quatre ans; après un dernier affrontement, combattants et civils ont été amenés hors des quartiers dévastés de l’Est de la ville dans des bus.
M. Ford affirme que les forces d’Assad auront besoin de consolider leur prise sur Alep et de la défendre contre de possible contre-attaques.

“Quoi qu’il en soit, nous sommes à une période de l’année où nous pouvons nous réjouir de voir un sapin de Noël sur la place centrale d’Alep; il n’y aurait pas de sapin si l’autre camp avait gagné,” a-t-il ajouté au micro de la BBC 4.

Il y a eu de nombreuses condamnations du régime Assad (soutenu par la Russie et l’Iran) concernant les bombardements d’Alep, mais M. Ford nous rappelle que des frappes similaires ont eu lieu à cause de la lutte contre l’État Islamique dans des conflits armés au Yémen et en Iraq sans que cela n’inquiète les acteurs occidentaux.

Je pense que nous sommes très sélectifs concernant notre indignation autour de la campagne d’Alep. Des bombardements similaires ont lieu à Mosoul et au Yémen et personne ne prête attention à ces populations.

On ne parle pas d’atrocités, on ne parle pas de crime de guerre alors qu’ils sont incontestablement commis sur ces deux théâtres d’opération. On ne parle pas de génocide ou d’holocauste.

Nous serons chanceux si ces campagnes finissent avec l’évacuation des bus verts; il n’y avait pas de bus verts à Gaza. Il n’y avait pas de bus verts après les bombardements de l’Otan en Yougoslavie. Je pense nous devrions donner un peu plus de crédit au gouvernement Syrien: ils ont réussi à amener une fin plutôt paisible à une période terrible.”

Interrogé sur les attaques menées contre les hôpitaux, M. Ford tempère: “C’est également un crime de guerre d’utiliser des hôpitaux comme centres de commandement, ce qu’ont fait les djihadistes. Et c’est également un crime de guerre d’utiliser des écoles pour entreposer des armes, ce qu’ont fait les djihadistes.

Source : Daily Mail, John Stevens, 23-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/les-dirigeants-ont-perdu-pied-avec-la-realite-sur-la-syrie/


Massacres à Alep : lettre à un « camarade » qui s’obstine à justifier l’injustifiable, par Julien Salingue (+ Réponse)

Friday 30 December 2016 at 04:01

Source : Résister à l’air du temps, Julien Salingue, 15-12-2016

« Camarade »,

Cela fait plusieurs semaines que je me dis que je vais t’écrire, et ce sont les événements tragiques d’Alep et ta réaction à ces événements, ou parfois ta non-réaction, qui ont fini par me persuader que l’heure était venue de m’adresser à toi. Pas nécessairement dans le but de te convaincre, car je crois que malheureusement il est déjà trop tard. Mais au moins, comme ça, les choses seront dites et tu ne pourras pas dire que tu ne savais pas.

Au nom de l’anti-impérialisme ?

La ville d’Alep est victime d’un massacre, d’une véritable boucherie qui fait immanquablement penser à d’autres villes martyrs comme Srebrenica, Grozny, Fallouja, mais aussi Varsovie et Guernica, ou encore aux camps palestiniens de Sabra et Chatila. Les témoignages directs qui affluent de la ville, venus de Syriens « ordinaires », et non des seuls membres d’un quelconque groupe armé, sont éloquents, a fortiori lorsqu’ils sont accompagnés de photos ou de vidéos. Des mots et des images qui disent la détresse, qui disent l’impuissance, qui disent l’horreur.

Mais toi, « camarade », tu t’es évertué ces derniers jours – si l’on peut considérer que cet exercice peut avoir de près ou de loin un quelconque rapport avec une vertu – à expliquer qu’il ne fallait pas s’engager aux côtés des habitants d’Alep et qu’il ne fallait pas dénoncer les bombardements dont ils étaient victimes, pas plus qu’il ne fallait dénoncer les exactions commises par les troupes au sol lors de la « libération » de la ville. En d’autres termes, tu es venu nous expliquer qu’il ne fallait pas prendre de position claire et déterminée contre un massacre planifié et perpétré par le régime dictatorial de Bachar al-Assad et par ses alliés, au premier rang desquels la Russie et l’Iran.

Si je m’adresse à toi, « camarade », c’est parce que nous avons par le passé partagé nombre de combats, notamment – mais pas seulement – le combat pour les droits du peuple palestinien. Parce que je pensais que, malgré nos divergences, nous avions des principes communs. Je n’ai en effet rien à dire à la droite et à l’extrême-droite pro-Poutine et/ou pro-Assad, qui assument clairement leur soutien à des régimes autoritaires au nom de « valeurs » communes, et qui n’ont jamais fait semblant de vouloir construire une réelle solidarité avec les peuples opprimés.

Mais toi, « camarade », tu te pares de vertus « progressistes », « anti-impérialistes », voire « socialistes », « communistes » ou même « révolutionnaires ». Et c’est au nom de ces vertus que tu tentes de nous convaincre aujourd’hui qu’il ne faut pas se tenir résolument aux côtés de la population d’Alep assiégée et massacrée, et qu’il ne faudra pas se tenir demain aux côtés des populations des autres villes syriennes déjà assiégées et bientôt massacrées.

Ce qui n’est pas, tu l’avoueras, le moindre des paradoxes.

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« Les plus méchants ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit. »

J’avais en effet cru comprendre que ce qui constituait le patrimoine génétique commun de la gauche anti-impérialiste, c’était d’être aux côtés des peuples écrasés par les États impérialistes et leurs alliés. J’avais cru comprendre que dans ce patrimoine génétique que nous semblions partager, on ne transigeait pas avec la solidarité internationale. Et j’avais espéré que malgré tes positions parfois plus qu’ambigües quant à la tragédie syrienne, le martyr d’Alep te ramènerait à la raison, et à la maison.

Mais non. Tu t’obstines. Tu t’obstines à tenter d’expliquer que l’on ne peut pas prendre partie pour la population massacrée à Alep. Tu t’obstines à tenter d’expliquer que « les choses ne sont pas si simples ». Tu t’obstines à tenter d’expliquer que dans cette « guerre », il n’y a pas « des gentils d’un côté et des méchants de l’autre », et qu’il faut ainsi savoir raison garder et ne pas céder à la facilité.

Car toi, bien évidemment, « camarade », tu ne cèdes pas à la facilité. Jamais. Tu nous proposes d’ailleurs ton analyse complexe, pleine de hauteur et de nuance, qui ressemble à peu près à ceci : « Non, Assad n’est pas un démocrate, et les pays qui le soutiennent ne sont pas franchement des modèles non plus. Mais attention : la soi-disant rébellion syrienne est en réalité majoritairement composée de forces issues de l’islam intégriste, voire jihadiste, téléguidées et armées par des régimes réactionnaires comme l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, voire par les parrains occidentaux de ces derniers, notamment les États-Unis et la France. » 

Conclusion : « Prudence, les plus méchants ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit. »

La population syrienne, tu connais ? 

Le premier problème avec ton analyse, « camarade », est qu’elle « oublie » un acteur essentiel : la population syrienne. Tu sembles en effet « oublier » que le point de départ des « événements » en Syrie n’est pas une intervention saoudienne, états-unienne, qatarie ou turque. Ni même russe. Le point de départ de tout cela, c’est qu’en mars 2011 des centaines de milliers de Syriens se sont soulevés contre un régime dictatorial et prédateur, comme en Tunisie, comme en Égypte, comme en Libye. Et que si Assad et ses sbires n’avaient pas fait le choix de réprimer ce soulèvement dans le sang, avec plus de 5000 morts et des dizaines de milliers d’arrestations durant l’année 2011, ils seraient eux aussi tombés sous la pression populaire.

Et nous parlons bien de l’année 2011, cette année où, souviens-toi, « camarade », tu t’enthousiasmais pour les autres soulèvements dans la région. « Le peuple veut la chute du régime », tu te rappelles ? Tu l’as peut-être même chanté dans les rues d’une ville française, toi qui es si épris de liberté, de justice sociale et de démocratie. En Syrie aussi, on le chantait, avec les mêmes revendications économiques, sociales et politiques que dans les autres pays de la région touchés par le soulèvement, et Ryad, Doha, Paris ou Washington n’avaient rien à voir avec ça. Si tu t’intéresses de si près à la chose syrienne, tu dois d’ailleurs savoir qu’à chaque fois qu’il y a eu une trêve au cours des dernières années, les manifestations ont recommencé. Que sans l’intervention de l’Iran, puis de la Russie, le régime serait tombé, sous la pression des Syriens, pas de quelques milliers de « combattants étrangers » – qui sont arrivés, soit dit en passant, bien après que le régime eut tué des milliers de Syriens désarmés, et fait sortir de prison des dizaines, voire des centaines, de « jihadistes », t’es-tu déja demandé pourquoi ? Et que oui, les racines de la « crise » syrienne sont bel et bien la contestation populaire d’un clan et la réponse de ce dernier : tout détruire plutôt que de perdre son pouvoir et ses prébendes.

À moins que tu ne veuilles signifier que depuis le début les Syriens sont « manipulés » par les pays occidentaux, que tout ça n’est, au fond, qu’une histoire d’hydrocarbures, et que le soulèvement syrien était téléguidé depuis l’extérieur par des puissances qui n’ont qu’à appuyer sur un bouton pour que des populations se soulèvent. Mais je n’ose même pas le penser : tu n’es pas de ceux qui estiment que les Arabes sont tellement benêts qu’ils ne sont pas capables de penser par eux-mêmes et que quand ils se mettent à se mobiliser et à revendiquer en pensant « justice sociale », quitte à risquer de perdre leur vie, c’est forcément parce qu’ils sont manipulés par des Occidentaux qui pensent « hydrocarbures ».

Pas vrai, « camarade » ?

Lance-roquettes contre aviation

Le deuxième problème avec ton analyse, « camarade », est que tu mets sur le même plan, d’une part, le « soutien » apporté par la Russie et l’Iran à Assad et, d’autre part, le « soutien » apporté par les États-Unis, la France, la Turquie et les monarchies du Golfe aux forces d’opposition syriennes. Tu essaies de faire croire qu’il n’y aurait pas une supériorité militaire écrasante du régime Assad et de ses alliés et qu’après tout, pour reprendre, en la modifiant à peine, une formule en vogue dans un pays frontalier de la Syrie, « Assad a le droit de se défendre ».

Mais oses-tu réellement comparer, d’une part, les milliers de « conseillers militaires » et l’armement iraniens, les milliers de combattants du Hezbollah et, surtout, l’aviation russe (ainsi que les véhicules et l’armement lourd fournis par la Russie, 2ème puissance militaire mondiale) qui viennent en appui à un État et une armée régulière et, d’autre part, les armes légères, les lance-roquettes et lance-missiles vétustes fournis ou financés par les monarchies du Golfe ou la Turquie et les armes légères, les lance-roquettes, les quelques armes anti-char et les systèmes de communication et dispositifs de vision nocturne fournis, au compte-goutte, par les États-Unis et la France ?

Sais-tu que ce que demandent les forces d’opposition syriennes depuis le début ce sont des missiles anti-aériens, pour pouvoir se défendre contre les avions de la mort de Poutine et d’Assad, et que ce sont les États-Unis qui ont systématiquement mis leur veto à la livraison de telles armes ? Sais-tu qu’au début de l’année 2014, après l’échec de la conférence de « Genève 2 », les Saoudiens ont pour la première fois suggéré de livrer des lance-missiles aux forces d’opposition syriennes, que les États-Unis s’y sont opposés, et qu’ils n’ont pas changé de position depuis ? Les États-Unis qui ne voulaient pas, qui ne veulent pas, que ces armes tombent « entre de mauvaises mains », et qui ne veulent surtout pas que l’appareil d’État syrien soit détruit car ils ont tiré, contrairement à d’autres, les bilans de leur brillante intervention en Iraq.

Pose-toi la question : elles sont où, les terribles armes des forces d’opposition ? Penses-tu sérieusement qu’Assad aurait pu bombarder des quartiers entiers depuis des hélicoptères volant à basse altitude si les opposants syriens disposaient d’un réel armement ?

Et te souviens-tu qu’en mai dernier l’ambassade de Russie en Grande-Bretagne, qui doit pourtant être bien renseignée et qui, si elle avait des preuves du surarmement des opposants à Assad, les exhiberait, en était réduite à tweeter des images extraites d’un jeu vidéo (!) pour « démontrer » que les forces d’opposition syriennes recevaient des armes chimiques ?

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Alors soyons sérieux, tu veux bien ?

Qui détruit la Syrie ?

Le troisième problème avec ton analyse, « camarade », est que tu oublies tout simplement une donnée fondamentale : les faits. Car tu pourras toujours me dire que ce que je viens d’écrire est impossible à prouver, même si ce sont les acteurs principaux de ce « non-soutien » et les « non-soutenus » qui en ont témoigné, et qui continuent de le faire, car peut-être, après tout, sont-ils de fieffés menteurs.

Mais si tu veux absolument des preuves, contente-toi d’ouvrir les yeux et pose-toi cette question simple : comment la Syrie a-t-elle pu être détruite ? Quand tu commentes les images des villes rasées en disant qu’il y a « de la violence des deux côtés », tu occultes un détail : qui possède les armes nécessaires pour des destructions d’une telle ampleur ? Pour le dire autrement : qui peut mener des bombardements ? Où sont les avions des forces d’opposition syriennes ? Où sont les hélicoptères des forces d’opposition syriennes ? Où sont leurs tanks ? Cachés sous terre, comme la surpuissante armée de Saddam Hussein qui menaçait le monde entier ? Combien les forces d’opposition syriennes ont-elles détruit d’avions ? Sais-tu qu’en 2013, lorsqu’elles ont abattu deux hélicoptères, il s’agissait d’un événement tellement rare qu’elles l’ont célébré en grande pompe et qu’elles ont diffusé partout des images de leur « exploit » ? Deux hélicoptères ! À l’époque, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux Gazaouis célébrant la chute accidentelle d’un drone israélien…

La « coalition » menée par les États-Unis intervient militairement, objectes-tu. Mais peux-tu me faire la liste des bombardements menés par cette « coalition » contre les forces armées du régime d’Assad ou contre les forces armées qui le soutiennent ? Non, ne perds pas ton temps à chercher, car je me renseigne moi-même quotidiennement auprès de sources sûres : d’après le régime de Damas et les médias qui relaient sa communication, sources que l’on ne peut guère soupçonner de vouloir dissimuler ce type de bombardements, la chose est arrivée… deux fois. La première fois, c’était en décembre 2015 (4 morts), dans la région de Deir ez-Zor, la « coalition » démentant avoir visé l’armée syrienne et affirmant qu’elle avait bombardé Daech. La deuxième fois, c’était en septembre 2016 (entre 50 et 80 morts selon les sources), près de l’aéroport de Deir ez-Zor, la « coalition » reconnaissant cette fois-ci avoir bombardé les positions du régime et présentant des excuses officielles à Bachar al-Assad et à Vladimir Poutine.

En résumé, et sauf erreur de ma part (nul n’est infaillible), la « coalition », qui revendique environ 5000 « frappes » sur la Syrie, a ciblé deux fois, depuis le début de sa campagne de bombardements en 2014, le régime Assad, dont une fois où elle s’est « excusée ». À noter, donc, dans ton calepin : « les véritables opérations militaires menées par la “coalition” ont visé Daech et d’autres groupes “jihadistes”, et non Assad et ses alliés ».

Pour finir, quelques remarques « préventives »

Il y a bien d’autres problèmes avec ton analyse, « camarade », mais je ne veux pas abuser de ton temps. D’ailleurs, pour avoir eu souvent l’occasion de discuter de vive voix avec toi de ces « problèmes d’analyse » en confrontant, à ta « géopolitique » et à ton « anti-impérialisme », les faits et la chronologie réelle des événements, je sais que tu n’aimes pas trop ça, les faits. Ils sont vraiment trop têtus.

Car c’est beaucoup plus simple de venir provoquer ou semer le trouble via des posts/commentaires Facebook ou dans des forums de discussion que de prendre le temps d’avoir un échange un peu précis et argumenté.

Alors au cas où tu serais quand même tenté de céder à la facilité et de vouloir jouer à ce petit jeu, je te soumets quelques remarques « préventives » :

– Avant de me dire que je défends les mêmes positions que les États-Unis, la France, l’Arabie saoudite, le Qatar, BHL ou quelques autres « compagnons encombrants », souviens-toi que, si on raisonne de la sorte, tu défends de ton côté les mêmes positions que la Russie, l’Iran, le maréchal Sissi, François Fillon ou Marine Le Pen, et demande-toi si c’est un argument.

– Avant de me dire qu’Israël a bombardé, depuis 2011, à une quinzaine de reprises, des positions du régime Assad, et que ceux qui sont contre Assad sont donc avec Israël, souviens-toi qu’en juin dernier Poutine déclarait, au terme d’une rencontre avec Netanyahu avec lequel il venait de signer plusieurs accords commerciaux, ce qui suit : « Nous avons évoqué la nécessité d’efforts conjoints dans la lutte contre le terrorisme international. Sur ce plan, nous sommes des alliés. Nos deux pays ont une expérience importante en matière de lutte contre l’extrémisme. Nous allons donc renforcer nos contacts avec nos partenaires israéliens dans ce domaine ». Et demande-toi si c’est un argument.

– Avant de me dire que la rébellion syrienne en a appelé aux pays occidentaux pour recevoir des armes et bénéficier d’un appui militaire conséquent, notamment aérien, et que ça cache forcément quelque chose, souviens-toi que les forces kurdes que tu admires tant – à juste titre – depuis qu’elles ont repoussé Daech à Kobané ont fait exactement la même chose, et qu’elles ont, elles, obtenu cet appui, au point qu’elles ont remercié publiquement les États-Unis de leur soutien, et demande-toi si c’est un argument.

– Avant de me dire que la rébellion syrienne, quand bien même on aurait pu avoir au départ de la sympathie pour elle, est aujourd’hui confisquée par des forces réactionnaires issues de l’islam politique, et que certaines de ces forces n’hésitent pas à s’en prendre violemment à des civils ou, variation sur le même thème, que c’est vraiment tragique de bombarder des civils mais que c’est parce que les terroristes se cachent parmi eux, quand ils ne les utilisent pas comme boucliers humains, souviens-toi que c’est le discours de ceux qui veulent justifier les campagnes de bombardements meurtriers sur Gaza, et demande-toi si c’est un argument.

– Avant de me dire que les insurgés syriens sont des « alliés objectifs » de Daech, souviens-toi que Daech a été chassé d’Alep au début de l’année 2014 par ceux qui sont en train de se faire aujourd’hui massacrer par Assad, réfléchis ensuite au concept d’« allié objectif », et demande-toi si c’est un argument. Tu peux aussi repenser, si tu n’es pas convaincu, à ce qui a été rappelé plus haut à propos des véritables cibles des bombardements de la coalition, et te demander une deuxième fois si le coup de l’« allié objectif » est un argument.

– Avant de me dire, enfin, que ceux qui dénoncent Assad et Poutine « oublient » de dénoncer les massacres commis par les grandes puissances occidentales et par leurs alliés, sache que parmi ceux qui se mobilisent pour Alep, nous sommes nombreux à nous être mobilisés pour Gaza, contre les interventions militaires en Afghanistan, en Iraq, en Libye ou ailleurs, et que nous ne renonçons pas, contrairement à toi qui as choisi de ne pas être dans la rue hier soir pour dénoncer la boucherie en cours, à notre cohérence politique, à nos idéaux et à l’anti-impérialisme. Et demande-toi si c’est un argument.

***

Voilà donc, « camarade », ce que je voulais te dire. Le ton n’est pas très agréable, j’en conviens, mais ce n’est pas grand chose à côté de l’indifférence, parfois même du mépris que tu affiches vis-à-vis du martyre d’Alep.

Tu feras ce que tu veux de cette lettre, et tu as bien évidemment le droit de continuer à te gargariser de ta vision « géopolitique » à courte vue et de ton « anti-impéralisme » pavlovien pendant que les Syriens crèvent sous les bombes de Poutine et d’Assad, et sous tes yeux.

On ne parle pas ici d’un exercice de rhétorique sur Facebook par commentaires interposés, mais de milliers, de dizaines de milliers de vies. On ne parle pas d’une divergence entre nous sur l’appréciation de tel ou tel événement, mais de ton silence complice ou de tes misérables contorsions face à l’une des plus grandes tragédies de notre temps. On ne parle pas d’un simple désaccord politique, mais d’une véritable rupture.

Je ne sais pas quand nous nous parlerons la prochaine fois, « camarade ». Mais ce que je sais, c’est que si tu persistes, et malheureusement je crois que c’est ce que tu vas faire, il n’y aura même plus de guillemets, car il n’y aura plus de camarade.

Je te laisse avec le Che, qui a quelque chose à te dire :

« Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire. »

Julien Salingue, le 15 décembre 2016

PS : Non, je n’ai pas mis de notes. Ce n’est pas dans mes habitudes de ne pas indiquer de références, mais tu auras probablement compris que c’est volontaire. Car comme tu es très doué pour faire des recherches sur internet (et ailleurs ?), on sait très bien toi et moi que tu pourras retrouver l’ensemble des sources utilisées ici.

Source : Résister à l’air du temps, Julien Salingue15-12-2016

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En réponse à la lettre de Julien Salingue à un « camarade » qui s’obstine à justifier l’injustifiable

Source : Philippe Huysmans, 27-12-2016

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Cher Julien,

Tu ne me connais pas, et moi, avant d’avoir lu ta missive, je ne savais pas grand-chose à ton sujet, sinon que tu étais membre d’Acrimed, qui est un organisme d’utilité publique que je respecte beaucoup.

Si je prends la liberté de te répondre directement, c’est tout d’abord parce que selon tes propres termes, tu as choisi de t’adresser à un camarade imaginaire, un archétype.  Et que je m’y reconnais quelque part, sinon sur les idées parfois tordues que tu lui prêtes, au moins sur un certain nombre de ses opinions politiques.

C’est aussi parce que la lettre, le ton et le fond m’ont mis dans une rage noire, et qu’il m’a fallu plusieurs jours pour en trouver la cause exacte, en l’analysant à froid.

Et c’est donc froidement, mais sur le même ton familier que je te répondrai publiquement.

La cible

Contrairement à ce que ton intitulé laisse penser, ton texte est une attaque sournoise et politique contre un candidat à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon.

Quand je dis sournoise, c’est parce que tu sais fort bien que l’intéressé est dans l’incapacité de répondre coup pour coup.  Jouissant par avance du mal que tu pourras lui infliger sans qu’il ne puisse à aucun moment riposter sans entrer dans un piège dialectique mortel.  Quel courage.  Et pour le fair-play, on repassera.

Le fond du fond – un mauvais prequel de Star Wars

Quand on analyse ton texte, en le découpant, on s’aperçoit vite que la totalité de l’argumentaire repose sur des événements rapportés dans la presse mainstream depuis 2011.  Il n’y a aucune analyse, aucun recul.  Il s’agit d’une charge féroce,  en te faisant le champion du bien contre les forces du mal, en réduisant volontairement une situation forcément complexe à une vision manichéenne et puérile.

Dans ton post-scriptum, tu écris que tu n’as pas inclus de références, et que tu laisses le soin à ton lecteur de les retrouver; comme s’il s’agissait de la flèche du Parthes, juste avant de le laisser à terre, foudroyé par la puissance de ton verbe…  Mais tu ne nous dis pas pourquoi, Cher Julien ?  Alors qu’il serait tellement plus percutant d’appuyer chacun de tes arguments par des sources irréfutables ?  A moins, bien sûr, que tu ne te sois aperçu qu’en fait de sources irréfutables, tu risquais de donner à ton adversaire le bâton pour te battre, n’est-ce pas ?

Les sources

Et puisque tu offres le bâton, allons-y gaiement.  Quelles sont les sources de tes affirmations péremptoires quand elles ne sont pas notoirement fantaisistes ?  La presse, ou plus exactement, la presse dominante, aussi appelée presse mainstream.  Cette presse dont la quasi-totalité[1] se trouve aux mains de quelques milliardaires et capitaines d’industrie totalement acquis à la cause atlantiste, quand leurs intérêts se confondent.

Cette presse dont tu t’es fait profession de la décortiquer, et de la critiquer vertement à longueur de pages dans les colonnes d’Acrimed.

Mais d’où viendrait, Cher Julien, que la presse serait presque invariablement critiquable s’agissant de certains sujets économiques, d’actualité sociale ou de politique intérieure; et qu’elle deviendrait subitement irréprochable s’agissant du traitement de la crise en Syrie ?

Où est l’analyse des sources contradictoires ?  Où est passé l’esprit critique ?  Tu considères l’OSDH comme une source sérieuse ?  Tu considères des quidams interrogés via Skype comme des témoins privilégiés ?  Tu ne t’inquiètes pas une seconde de savoir que durant les derniers jours de la bataille d’Alep, la quasi-totalité des images qui accompagnaient les informations via les réseaux sociaux étaient fausses, ou plus exactement recyclées ?  On rapporte six fois en quelques mois le bombardement du dernier hôpital d’Alep, sans jamais en apporter la moindre preuve, et ça ne fait même pas froncer le sourcil ?

La réalité c’est que durant la plus grande partie du conflit, il n’y a eu aucune source fiable d’information sur place.  Et quand des journalistes indépendantes comme Vanessa Beeley et Eva Bartlett sont arrivées à Alep et ont fait un récit qui ne cadrait pas avec la doxa occidentale, elles se sont vu accuser de travailler pour les Russes.  Une perle de sophisme par association.  Un bon argument ?

Pourtant, les langues se délient, et ne voyait-on pas, l’autre jour sur LCI, Eric Dénécé, Directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, dénoncer la désinformation systématique des médias dans ce dossier ?

La trahison

Vois-tu, Cher Julien, c’était la raison pour laquelle ton épître m’avais mis en rage, tout d’abord.  Parce que de tels propos, je pourrais encore les accepter de la part du tristement célèbre piposophe tartophile, mais pas d’une des plumes d’Acrimed !

Pire, tu as usé de la seule notoriété que te conférait ce statut pour trahir l’esprit même d’Acrimed, en usant des méthodes que tu prétends combattre.

Ce faisant, tu as perdu pas mal d’amis, cela je le sais, mais plus grave encore, tu as sans doute porté préjudice à la réputation d’Acrimed, par déflexion.

Oh, je ne retirerai pas Acrimed de ma liste de liens, à laquelle j’accorde une place toute particulière directement sur la page d’accueil de mon site.  Non, toi, Cher Julien, tu n’es que l’eau du bain.  Plus vraiment très claire et pas vraiment trop propre, mais je ne risque pas de te confondre avec le bébé.

La voie du milieu ou le refus du manichéisme

Plutôt que de rentrer dans le petit jeu du maccarthysme qui rappelle les plus belles pages de la propagande au coeur de la guerre froide, je pense (et je crois que c’est également la position de Mélenchon) qu’il n’y a pas de bonne guerre.  Que toutes les guerres sont fondées sur le mensonge, et que les seules vraies victimes de toute guerre sont les civils innocents.

On peut parfaitement être contre cette guerre sans être un soutien de Bachar al Assad ou vendu aux Russes, ne t’en déplaise.

Les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts et des alliances stratégiques.  Ils ne sont ni bons ni mauvais par essence, et d’où viendrait qu’un gentil civil syrien d’Alep Est, dès qu’il se mettrait à fêter la libération de la ville deviendrait un allié objectif du criminel de guerre Assad ?  As-tu remarqué tout d’abord qu’en temps de guerre il n’y a que des criminels, de part et d’autre ?  On peut les appeler combattants, libérateurs, rebelles, peu importe : ce sont des gens qui en tuent d’autres parce qu’on leur a enjoint de le faire ou par conviction.  Conviction souvent emportée par la propagande, d’ailleurs.

Ainsi, j’ai fort peu goûté ta tirade sur le « massacre, la véritable boucherie (…) », qui est un réquisitoire à sens unique s’agissant de dépeindre des « civils innocents » systématiquement pris pour cible par l’armée régulière appuyée par les Russes.  La ficelle est grosse, le procédé est indigne et relève nettement plus de la manipulation mentale que de l’analyse.  Bravo.

Alors laisse-moi te poser une question Cher Julien.  Imagine que la décision de bombarder ou pas te soit revenue ?  Te voilà dans la peau d’un général, et en face d’un cruel dilemme.

Et non, Cher Julien, je ne te parle pas d’Alep, mais des villes de Normandie, lors des bombardements en prélude au débarquement de juin 1944.

Toutes ces villes furent détruites, certaines totalement, et 20.000 civils (dont tu ne diras probablement pas qu’il s’agissait de collabos) ont péri.  Ceci a d’ailleurs valu aux Américains d’être très froidement accueillis dans les régions qu’ils traversèrent.

Alors, crime de guerre ?  Non, parce qu’il s’agissait de libérer l’Europe des mâchoires de l’étau nazi, et accessoirement parce que l’histoire est écrite par les vainqueurs.  Vae victis.

Ainsi, il n’est pas tout à fait exclu de penser que peut-être l’intention des Syriens et de leur allié Russe était précisément de limiter le nombre de victimes civiles dans la population en libérant la ville, dans un premier temps, puis le pays ensuite; ce qui ne devrait plus tarder.  Et dans le cas contraire, quels arguments objectifs pourrais-tu y opposer ?  Quelle serait la motivation ?  Que Bachar serait un grand malade qui passe le plus clair de son temps à détruire son propre pays en massacrant la population par milliers ?  Et quelle serait la motivation des Russes dans cette hypothèse ?  Il ne faut pourtant pas être Docteur en Science politique pour comprendre que c’est légèrement bancal.

Le faux-frère

Pour moi, quand un « camarade »[2] se met à justifier les guerres coloniales d’agression de ce qu’il faut désormais appeler l’Empire, et qu’il présente la propagande de guerre comme de l’information, il y a lieu de s’interroger sérieusement sur ses convictions.

Et maintenant ?

Eh bien on attend tes prises de position musclées sur l’agression sauvage à laquelle est en train de se livrer l’Arabie Saoudite au Yémen, ou plus prosaïquement sur les pertes civiles que provoquera la reprise de Mossoul par la coalition, puisque je me suis laissé dire que la France était en charge de l’artillerie dans cette opération.  À moins bien sûr qu’il n’y ait plus de civils innocents à Mossoul mais seulement des méchants terroristes de Daesh ?

Non, en fait, je plaisante, je n’attends rien de tel venant de toi.  Tu as l’indignation trop sélective, sans doute.

Au pire, tu bêleras avec les autres moutons qu’il serait temps de mettre le holà aux campagnes de propagandeorchestrée par les Russes, et tu pousseras en faveur de l’adoption d’une loi visant à l’interdire, n’est-ce pas ?  Pas de liberté pour les ennemis de la liberté[3] !

Et la boucle sera bouclée, faux-frère.

Philippe Huysmans – Le 24 décembre 2016

PS : J’ai adoré ta citation d’Ernesto Guevara.  Je la connaissais, mais je trouve particulièrement savoureux que toi, entre tous, tu oses la citer.   Et quand tu le fais, j’imagine la tête de l’intéressé s’il avait eu connaissance d’une telle diatribe au regard de la situation.  Et de me dire qu’en pareil cas tu aurais été bien inspiré d’éviter de croiser son chemin après cela.

Notes

  • [1] A l’exception notable du Canard Enchaîné et de Mediapart, bien que ce dernier soit notoirement pro-atlantiste.
  • [2] Note que je déteste personnellement l’usage des guillemets pour débiner un terme ou lui conférer artificiellement une connotation.   C’est ici une arme d’hypocrite.
  • [3] Citation attribuée à Louis Antoine Léon de Saint-Just, né le 25 août 1767 à Decize (Nivernais) et mort guillotiné le 10 thermidor an II (28 juillet 1794) à Paris, est un homme politique français de la Révolution française. Le plus jeune des élus à la Convention nationale, Saint-Just était membre du groupe des Montagnards. Soutien indéfectible de Robespierre, il est emporté dans sa chute, le 9 thermidor.  Source : Wikipedia.

Source: http://www.les-crises.fr/massacres-a-alep-lettre-a-un-camarade-qui-sobstine-a-justifier-linjustifiable-par-julien-salingue-reponse/


[2015] Valls sur l’Arabie Saoudite: “Est-il indécent de se battre pour notre économie, nos emplois ?”

Friday 30 December 2016 at 03:01

Ce qui est bien, c’est qu’ils ne se cachent même plus…

P.S. vidéo de 2015, que je viens de voir…

Source : Youtube, BFM TV, 12-10-2015

Le Premier ministre Manuel Valls était l’invité de Jean-Jacques Bourdin en 2015 sur BFMTV et RMC. Interrogé sur la cohérence de se féliciter des accords commerciaux conclus avec l’Arabie Saoudite, alors que le pays a exécuté 134 personnes depuis le début de l’année, le chef du gouvernement a affirmé que “Nous partageons un certain nombre de visions stratégique, notamment pour ce qui concerne la Syrie”.

Source : BFM TV, 12-10-2015

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Source: http://www.les-crises.fr/2015-valls-sur-larabie-saoudite-est-il-indecent-de-se-battre-pour-notre-economie-nos-emplois/


Confrontation ou accommodement avec l’Islam ?, par Emmanuel Todd (2/2)

Friday 30 December 2016 at 02:22

Suite de la conclusion de Qui est Charlie

Futur 2 : Le retour à la République : l’accommodement avec l’islam

Ce scénario n’aurait bien sûr de sens que dans le contexte d’une liberté nationale retrouvée. Sans sortie de l’euro, pas de politique économique possible, pas de baisse du chômage, pas d’amélioration concevable de la situation des plus fragiles économiquement — les jeunes, qu’ils soient d’origine musulmane ou non. L’européisme et l’islamophobie ont désormais partie liée. Symétriquement, la maîtrise de l’islamophobie et de l’antisémitisme ne peut se concevoir sans sortie du bourbier européiste.

Pour éviter tout malentendu, le noyau du pacte républicain doit être rappelé avant que soit examiné le choix de l’accom­modement avec l’islam. Rétablir ce sur quoi la République ne saurait transiger :

1) Sur le droit au blasphème

  1. Le droit au blasphème est absolu. Les forces de l’ordre doivent assurer la sécurité physique des blasphémateurs. Les ministres de l’Intérieur qui échouent dans cette tâche doivent rendre des comptes à la nation.
  2. Les citoyens français, musulmans ou non, qui considèrent que blasphémer sur la religion d’un groupe dominé est inutile et lâche ont le droit de le dire sans être accusés, ni d’apologie du terrorisme, ni de ne pas être de bons Français. L’État doit protéger leur liberté d’expression.

2) Sur l’assimilation comme horizon nécessaire

  1. Le destin des Français de toutes origines est de vivre ensemble en tant qu’individus libres et égaux, ce qui impliquera, dans un avenir qui n’a pas à être précisé, la fusion progressive des groupes par la multiplication spontanée des mariages mixtes.
  2. Le mélange des populations suppose l’effacement des différences religieuses et, il faut l’admettre, une prédominance du scepticisme religieux et de la libre-pensée.
  3. L’égalité de statut de l’homme et de la femme est une précondition du mariage mixte. Elle doit être, dans l’espace républicain, un article de foi. Seule une convergence de vues sur ce que doit être un couple autorise le mariage entre individus d’origines différentes. En conséquence, l’interdiction du foulard islamique dans les établissements scolaires, qui symbolise l’égalité des femmes et l’exigence française d’exogamie, est une bonne chose. Elle fut une étape positive et reste nécessaire.

C’est ainsi que je demeure, un assimilationniste. Mais je persiste aussi à penser que le discours laïciste est ignare, ou de mauvaise foi, lorsqu’il associe bas statut des femmes et théologie musulmane, lorsqu’il affirme que la législation civile contenue dans le Coran contredit gravement le code civil français. L’islam admet toujours la priorité de l’usage local sur le texte sacré. Nulle part dans le monde musulman les règles d’héritage contenues dans le Coran ne sont appliquées. La fameuse «demi-part» des filles n’est pas accordée par les paysans du monde arabe. Inversement et en toute liberté par rapport au message de Mahomet, l’islam le plus oriental avantage les filles par rapport aux garçons. Au-delà de l’océan Indien, en effet, l’islam place les femmes au cœur du dispositif familial. L’Indonésie, le plus peuplé de tous les pays musulmans, est à prédominance matrilocale, et ses groupes ethniques les plus pratiquants, comme les Minangkabaus, sont franchement matrilinéaires. Les hommes y vivent parfois même des heures difficiles. Un islam égalitaire, du point de vue des rapports entre les sexes, existe déjà, vécu par 250 millions d’Indonésiens.

N’envisager que l’assimilation ne doit pas conduire à une mise en application dogmatique et contre-productive des principes. Le rêve doit tenir compte de la réalité du monde, du rythme de la vie, des difficultés sociales et économiques du moment. L’idéologie de l’homme universel ne doit mener ni le citoyen de la société d’accueil, ni l’immigré, à cesser d’être un homme. II faut savoir donner du temps au temps, accepter de vivre l’imperfection des transitions, regarder avec tendresse les faiblesses des uns et des autres. Non seulement parce qu’une telle attitude est bonne en soi — et elle l’est vraiment —, mais aussi parce que la bienveillance est plus efficace à long terme que la confrontation, toujours génératrice de haine et de polarisation.

L’assimilation des enfants d’immigrés d’origine musul­mane, déjà très avancée, est ralentie actuellement par des difficultés d’ordre économique, par l’incertitude où se trouve la société française elle-même de ses propres buts. L’ato­misation et le vide qui accompagnent ou, plus exactement, qui caractérisent la crise du monde développé, induisent partout des mécanismes de mise à l’abri, de communautarisation, plus forts sans doute dans la France du catholicisme zombie et dans certaines fractions de la population juive que dans la population d’origine musulmane, désintégrée du point de vue des structures familiales. Dans un tel contexte, la France ne peut refuser à ses citoyens musulmans de pratiquer librement leur religion et de dire, s’ils le pensent, que les caricatures de Mahomet sont obscènes. Ceci n’est qu’une toute petite partie du problème. L’islam doit globalement, enfin, être accepté, légitimé en tant que composante de la nation, comme l’Église l’a été. Nous devons accepter la construction libre de mosquées, nous devons même rattraper le retard pris en ce domaine.

Ce qui vient d’être décrit n’est pas une utopie. C’est l’exigence d’un retour au vrai passé de la République. Nous devons accorder à l’islam ce qui a été accordé au catholicisme à l’époque de la laïcité triomphante. La taille modeste et la fragmentation de la population d’origine musulmane dans les banlieues interdisent un parallèle trop poussé avec les provinces de la périphérie catholique. 5 à 10 % de population musulmane, selon qu’on considère les vieux ou les jeunes, groupes dispersés, hétérogènes quant à la nationalité d’origine ou la pratique, ne pèseront jamais autant que le tiers de ces provinces qui furent catholiques, beaucoup plus homogènes en leur temps et beaucoup mieux pourvues en classes moyennes et dirigeantes. L’islam qui s’annonce, en termes de puissance, c’est entre le tiers et le vingtième de ce que représentait l’Église dans la République.

Il s’agit finalement, par réalisme et nécessité, d’admettre pleinement, joyeusement, qu’il existe désormais, dans la culture française, dans notre être national, une province musulmane. Il s’agit aussi d’éviter une nouvelle guerre de Vendée, cet affrontement qui avait contribué à solidifier le catholicisme. C’est un catholicisme accepté qui s’est spontanément dissous au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Notre nouvelle province, l’islam, croit en l’égalité, au contraire de l’Église, fondée sur un principe de hiérarchie en tout point contraire à l’idéal républicain. Une intégration positive de l’islam conduirait donc au renforcement de la culture républicaine, plutôt qu’à sa subversion.

Nous devons attendre du temps, plutôt que de l’idéologie, une atténuation des tensions et des rapports humains pacifiés, conduisant à plus de relativisme religieux, à plus de mariages mixtes, à encore et toujours plus de Français incapables de décrire aisément leurs croyances et leurs origines religieuses.

Certes, la reprise d’un rythme élevé d’assimilation des populations concernées n’est pas certaine, compte tenu du vide […] que génère le capitalisme avancé. Mais l’accommodement peut réussir là où la confrontation ne peut qu’échouer. En vérité, n’importe quel niveau de probabilité de réussite de l’accommodement est acceptable parce que la probabilité d’échec de la confrontation est de 100%.

L’aggravation prévisible

Confrontation, acceptation : les deux options existent, mais nous devons admettre que la société française est aujourd’hui engagée sur le chemin de la confrontation. La béatitude égoïste de Charlie, les scores du Front national, l’antisémitisme des banlieues font douter de la possibilité d’un changement de trajectoire.

Ce dont la France aurait besoin, c’est d’une nouvelle fête de la Fédération, où se retrouveraient toutes les composantes de la nation. Mais il n’existe pour le moment aucune force politique organisée qui serait susceptible de libérer la France de sa gangue européenne afin de conjuguer nation avec générosité, pour réconcilier, dans l’Hexagone, milieux populaires anciens et Français musulmans. Cette force, partie de la zone de famille nucléaire égalitaire, rassemblerait, au nom d’une doctrine égalitaire, les jeunes éduqués en voie d’appauvrissement, les milieux populaires relégués dans les périphéries urbaines et les Français d’origine maghrébine. Tous ensemble, ils bousculeraient le bloc historique MAZ qui soude cadres, vieux et catholiques zombies dans l’acceptation de l’inégalité et la défense des privilèges. Mais une telle émergence, même à moyenne échéance, est peu vraisemblable.

Le détraquage d’un système politique qui voit la gauche dominer en région inégalitaire et la droite en zone égalitaire va durer, et même, pour quelques années encore, s’aggraver. Le corps électoral continue de vieillir, ce qui pourrait bien annoncer la possibilité d’un système plus crispé encore. Comment espérer qu’une crise de « conscience » frappe des citoyens dont l’âge médian est non seulement proche de 50 ans en 2015, mais qui s’élève de 0,2 à 0,3 an par année ? […]  À 60 ans, un homme pouvait espérer vivre encore 15 ans vers 1950 mais 22 en 2015, une femme encore 18 ans en 1950 mais 27 en 2015. François Héran, qui fut directeur de l’Institut national d’études démographiques (INED), nous a fait comprendre, par une métaphore géniale, que l’augmentation massive du nombre des gens âgés pouvait être analysée comme une immigration imprévue et incontrôlée.

Charlie va vieillir et sa bonne conscience s’accentuer. Il sera toujours plus travaillé par la nostalgie de son enfance, vécue au cœur d’une France blanche dans laquelle, en l’absence de boucheries halals mais avec du poisson le vendredi dans les écoles, coexistaient l’Église et la Révolution.

Oui, les choses vont vraisemblablement s’aggraver. Avant de s’arranger ?

L’arme secrète du renouveau républicain

La culture française centrale, dominante au cœur du Bassin parisien et sur la façade méditerranéenne, peine à mobiliser pour le meilleur la valeur d’égalité. Elle n’a toutefois pas encore engagé dans la bataille son arme secrète. […]

Nous pourrions ne voir ici qu’une reprise scandinave du thème éculé de la légèreté française. Mais quand il est question de racisme, la présence ou l’absence d’esprit de sérieux est un facteur sociologique capital.

Car si quelque chose peut rendre le racisme vraiment dangereux, c’est bien l’esprit de sérieux. C’est lui qui conduira cent familles américaines blanches à déménager lorsqu’une ou deux familles noires s’installeront dans leur rue, ou qui imposera aux Allemands, plongés dans l’effort de la Première Guerre mondiale, de perdre du temps à vérifier que les juifs font bien leur devoir militaire. C’est le même esprit de sérieux qui vient d’entraîner la même Allemagne dans cet incroyable « débat » sur la circoncision des enfants, pour conclure par une loi qu’elle était licite pour les musulmans et les juifs. Les Français sont incapables de ce genre de sérieux, qui exige des hommes qu’ils respectent réellement les lignes et les frontières définies par l’idéologie. L’attitude française centrale, imposée ici pour son bonheur à toute la périphérie, présente en Charlie comme chez les électeurs du FN ou les gosses des banlieues, n’est nulle part plus apparente que dans les rapports entre les sexes. L’anthropologie concrète se charge de convertir l’homme universel de l’idéologie en femme universelle de la vie quotidienne, l’homme concret différent en une femme concrète différente, beaucoup plus difficile à rejeter qu’un concept, surtout si elle est très jolie. Hésitant entre une belle exotique et un boudin national, l’universaliste français fera en général le bon choix. Une femme française agira de même [La priorité accordée à la perspective masculine n’est pas ici l’effet d’un sexisme latent : le différentialisme se manifeste particulièrement par un refus des hommes du groupe dominant de prendre femme dans le groupe dominé. Ainsi, le taux d’unions mixtes est-il aux États-Unis quatre ou cinq fois plus faible pour les femmes noires que pour les hommes noirs.]. L’absence de sérieux idéologique dans les rapports entre les sexes est un socle sur lequel on peut bâtir. 

C’est ainsi que la France pourrait rester elle-même, mais surtout pas en cultivant l’idéologie du blasphème, en exhortant à soutenir l’effort d’éducation civique ou au nom de la défense prioritaire de la laïcité, et autres foutaises grandiloquentes. La France s’en sortira peut-être parce que, Dieu merci, elle n’est jamais complètement sérieuse.

J’ai eu longtemps une foi absolue dans la capacité de mon pays à assimiler les immigrés de toutes origines — juifs, asiatiques, musulmans et noirs. Je dois avouer que le doute m’envahit depuis peu. Paris sera peut-être malgré tout un jour l’une des merveilles de la planète, la ville où auront fusionné des représentants de tous les peuples du monde, une nouvelle Jérusalem où les phénotypes séparés par la dispersion d’homo sapiens sur toute la terre, durant plus de 100 000 ans, auront été mêlés, brassés, recomposés en une humanité libérée de tout sentiment racial. Mais même si la France parvenait finalement à redevenir elle-même, la route sera beaucoup plus chaotique que je ne l’avais imaginé il y a vingt ans.

Il est déjà certain que ma génération ne verra pas la terre promise.

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Voici donc comment “la presse” a accueilli cet ouvrage d’un des plus grands intellectuels français, qui appelait clairement à la paix civile – on comparera avec la mobilisation contre Éric Zemmour, qui appelle à la guerre civile :

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Bref :

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Source: http://www.les-crises.fr/confrontation-ou-accommodement-avec-l-islam-par-emmanuel-todd-2/