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Corbyn alerte sur un retour de la Guerre froide à moins que les frontières ne soient démilitarisées, par Joe Watts

Thursday 8 December 2016 at 01:15

Source : Independent, le 13/11/2016

L’OTAN a annoncé récemment qu’elle allait positionner des milliers de soldats supplémentaires en Europe de l’Est

Joe Watts | Lundi 14 novembre 2016

Jeremy Corbyn lors du Andrew Marr show

Jeremy Corbyn lors du Andrew Marr show

Jeremy Corbyn a attiré l’attention des leaders occidentaux sur la nécessité de démilitariser la frontière entre la Russie et l’Europe de l’Est, pour éviter une nouvelle Guerre froide.

Le leader syndical a précisé qu’il avait des critiques à faire à Vladimir Poutine, mais que l’Ouest devait s’assurer de ne pas amasser des troupes à la frontière russe.

Ceci intervient après que l’OTAN, sur laquelle M. Corbyn a été longtemps critique, ait annoncé un nouveau déploiement en Europe de l’Est à la suite de la tension croissante avec Moscou.

S’adressant au présentateur de la BBC, Andrew Marr, M. Corbyn a affirmé : “J’ai beaucoup, beaucoup de critiques envers Poutine, sur le non-respect des droits de l’Homme en Russie, sur la militarisation de la société. Mais je pense réellement qu’il doit y avoir un processus que nous devons tenter – démilitariser la frontière entre ce que sont les États actuels de l’OTAN et la Russie, afin de séparer ces forces et de les écarter pour ramener une sorte d’apaisement.

“Nous ne pouvons accepter une nouvelle Guerre froide.”

Jeremy Corbyn réagit à la victoire de Trump

En octobre, l’OTAN a révélé qu’elle s’apprêtait à positionner 4000 soldats à la frontière russe en accord avec les États de la Baltique, la plus importante concentration militaire depuis la Guerre froide. Les troupes seront placées sous la responsabilité des nations membres de l’Alliance, notamment le Royaume Uni.

Un responsable de l’OTAN a déclaré : “L’OTAN renforce la dissuasion et la défense à tous les niveaux et ceci constitue un effort continu. Nous prenons des décisions pour renforcer notre présence dans la partie Est de l’Alliance, notamment avec le déploiement de quatre bataillons dans les pays de la Baltique et la Pologne. Et notre fer de lance d’environ 5000 soldats est en haut degré d’alerte, pouvant se déployer très rapidement au sein de toute l’Alliance. Ceci est renforcé par la Response Force de l’OTAN comptant 40 000 soldats, et le personnel militaire des alliés de l’OTAN. Nos forces à l’Est s’entraîneront et collaboreront avec les forces de défense des pays concernés.

M. Corbyn a suggéré dans son entretien que l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui comprend la Russie, pourrait remplacer l’OTAN comme un forum pour résoudre les problèmes dans la région.

Durant la campagne électorale, M. Corbyn a suscité la controverse après avoir refusé de reconnaître l’article 5 de l’OTAN, qui oblige les pays à défendre les autres s’ils sont attaqués.

Source : Independent, le 13/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/corbyn-alerte-sur-un-retour-de-la-guerre-froide-a-moins-que-les-frontieres-ne-soient-demilitarisees-par-joe-watts/


Le boss de Wells Fargo’s mène le bal des faux-culs, par Dave Lindorff

Thursday 8 December 2016 at 00:59

Par Dave Lindorff – Le 22 septembre 2016 – Source CounterPunch

Hey, les Américains! Nous allons tous commencer à prendre la responsabilité de ce que nous faisons mal. Nous allons tous commencer à être responsables de nos actions ou de notre inaction.

John Stumpf, PDG de Wells Fargo Bank, l’une des plus grandes banques too big to faildu pays, nous montre le chemin dans ce nouveau monde radieux engagé.

Lorsque le gouvernement a découvert que Wells Fargo Bank avait, depuis 2011, trafiqué son bilan en ouvrant des millions de comptes de cartes de crédit au nom des clients de Wells Fargo, mais derrière leur dos, puis en prenant des frais sur ces comptes, et enfin en taxant, à leur insu, les titulaires des cartes, de frais et d’intérêts de retard pour non paiement des charges indues précédentes, il a infligé à la banque une amende de $185 millions. Mais il n’a pas inculpé les dirigeants de la banque cette fois-ci, alors qu’il l’avait fait précédemment pour le comportement criminel des plus grandes banques du pays – Citibank, Goldman Sachs, Morgan Stanley et JPMorgan Chase.

Mais bon, ce John Stumpf est un gars engagé. Il a dit aux médias et à la Commission sénatoriale permanente des banques qu’il prenait «l’entière responsabilité» pour la fraude gigantesque commise à l’encontre des clients de la troisième plus grosse banque du pays, et dit qu’il était «responsable» de la forte pression mise sur les commerciaux de bas niveau pour qu’ils vendent des produits bancaires – cette pression a conduit plus de 5 000 de ses employés à mettre en place les comptes frauduleux.

Mais voici le pompon : se lever  et dire : «Je prends l’entière responsabilité» et «Je suis responsable» est vraiment facile ! Vous ne devez pas réellement faire quoi que ce soit d’autre et rien ne vous arrive ! En fait, Stumpf, interrogé par une membre de la Commission sénatoriale des banques, Elizabeth Warren – sénatrice démocrate du Massachusetts – a admis qu’il avait gagné $19,3 millions l’an dernier, dont $4 millions de bonus pour avoir supervisé l’opération frauduleuse, cela dans une année où la banque et son conseil d’administration étaient bien conscients qu’une enquête était en cours pour la gigantesque escroquerie. «Prendre ses responsabilités» et être «responsable» n’a apparemment aucune implication réelle, comme, par exemple, démissionner de son poste lucratif de PDG, et encore moins quitter son entreprise. Cela ne semble même pas signifier une réduction de salaire. Joli travail, vraiment !

Mais ce n’est pas vrai pour les milliers d’employés qui ont ouvert les comptes frauduleux. Ils ont tous été virés par la banque, sans aucun doute à la demande de Stumpf. La fiche de paie a subi une ponction substantielle suite à leur comportement criminel, ce que l’on peut qualifier d’une sorte de «prise de responsabilité» pour ce qu’ils ont fait, même s’ils ne l’ont pas fait volontairement.

Mais Stumpf ? Alors qu’il avait clairement détourné les yeux de l’escroquerie pendant cinq ans, jusqu’à ce que les autorités fédérales aient eu vent de celle-ci, et une fois que la fraude fut devenue de notoriété publique, il se leva et dit qu’il «assumait la responsabilité»pour ce qui est arrivé. Non seulement cela. Il a aussi dit qu’il était «responsable» de la fraude. Quel homme !

Cela me fait penser que nous devrions tous commencer à faire ça. Le pays se porterait tellement mieux, si nous étions tous des gens engagés comme Stumpf.

Alors, la prochaine fois que vous êtes arrêté pour excès de vitesse, ne discutez pas avec le flic qui vous est tombé dessus. Il suffit de dire : «Monsieur l’agent, vous avez raison. J’ai commis un excès de vitesse, et je prends l’entière responsabilité. Je serai responsable de mon mauvais comportement sur la route.» Ensuite, remerciez-le et démarrez. Vous avez fait la bonne chose. Sans doute le flic va juste retourner dans sa voiture et chercher d’autres conducteurs imprudents, impressionné par votre volonté de prendre votre responsabilité.

Même chose si vous avez une vérification fiscale de l’IRS et qu’ils vous disent que vous avez sous-estimé votre revenu et réclamé des déductions indues, que vous devez donc au département du Trésor $20 000 en arriéré d’impôts, pénalités et intérêts. Remerciez-les d’avoir pris la peine de vous vérifier et de corriger vos erreurs, dites-leur que vous prenez l’entière responsabilité de celles-ci, assurez-les que vous êtes responsable, puis raccrochez le téléphone. Vous avez fait votre devoir civique. Vous vous êtes engagé et avez pris votre leçon. Vous êtes un citoyen responsable, et vous ne serez sûrement pas dérangé à nouveau par l’IRS.

Les criminels violents pourraient faire la même chose. Disons que vous avez tué un employé de magasin, lors d’une tentative ratée de voler la caisse. Lorsque vous êtes devant le tribunal, ne plaidez pas innocent, prenez tout de façon insouciante et exigez un procès devant un jury. Vous savez que vous l’avez fait. Je ne dis pas que vous devez plaider coupable. John Stumpf n’a pas fait cela, après tout. Juste comme Stumpf, dites au magistrat lors de votre mise en accusation : «Votre honneur, je prends toute la responsabilité pour cette assassinat. Je suis responsable.» Vous pouvez même dire que vous suivez l’exemple du célèbre banquier John Stumpf. Alors attendez-vous, comme Stumpf, à être autorisé à poursuivre votre chemin en continuant votre vie de criminel. Quel juge de bon sens pourrait être en désaccord ?

Si John Stumpf peut gérer une banque qui n’est rien d’autre qu’un syndicat criminel et ensuite se lever, prendre la responsabilité, et continuer ses escroqueries sans avoir à payer même une amende, pourquoi ne devrions-nous pas tous être en mesure de faire la même chose chose, quand nous sortons des clous et sommes pincés à faire quelque chose d’illégal ou de vil ?

D’autres banques ont fait à peu près la même chose, donc on ne peut pas dire que c’est une idée nouvelle. Rien que l’an dernier, le ministère de la Justice a chargé cinq autres grandes banques, Citibank, JPMorgan Chase, Barclays PLC, Royal Bank of Scotland et UBS, avec le crime de fraude pour avoir manipulé illégalement les marchés monétaires internationaux – apparemment, Wells Fargo était trop occupé à frauder ses propres clients pour participer à la fête. Les cinq banques ont plaidé coupable, et payé collectivement $2 milliards d’amendes. Mais, alors que les principaux dirigeants ont tous «pris leur responsabilité» pour les crimes de leurs institutions, ils n’ont personnellement pas payé d’amendes ou fait de la prison, ni même perdu leur emploi. En fait, après que sa banque, en mai 2015, a plaidé coupable pour alléger sa peine – rappelez-vous que les sociétés sont aussi des gens – le PDG de JPMorgan Chase et le président Jamie Dimon ont obtenu une augmentation de $7 millions pour l’année par le conseil d’administration qu’ils président, augmentant leur salaire de 35% jusqu’à $27 millions, par rapport à $20 millions en 2014. Oh, attendez ! Dimon n’a jamais pris de responsabilité pour le comportement criminel de la banque. Il a reporté tout cela sur un lampiste. Tant pis.

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Peut-être que ce dont nous avons vraiment besoin est l’ancien système traditionnel japonais, où la conséquence de la prise de responsabilitéd’une fraude d’entreprise consistait à enfoncer un poignard de samouraï dans son intestin en le tournant un peu. Ils pourraient même en distribuer aux nouveaux diplômés de MBA.

Dave Lindorff est membre fondateur de ThisCantBeHappening!, un journal en ligne collectif, il a contribué aussi à Hopeless: Barack Obama and the Politics of Illusion (AK Press).

Source: http://www.les-crises.fr/le-boss-de-wells-fargos-mene-le-bal-des-faux-culs-par-dave-lindorff/


Le point de bascule : analyse de la victoire de François Fillon, par Philippe Leroy

Thursday 8 December 2016 at 00:45

Source : Philippe Leroy, 01-12-2016

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Les primaires de la droite ont mis en évidence un phénomène électoral jusqu’ici rarement perçu lors des précédentes consultations politiques : celui du basculement très rapide d’une masse conséquente d’électeurs vers un candidat au détriment du ou des favoris.

Nous allons analyser ce mouvement à l’aune de la théorie du point de bascule énoncée par Malcom Gladwell (The Tipping Point: How Little Things Can Make a Big Difference).

Cette élection présente un caractère très particulier qui a contribué à accroître l’intensité et la rapidité de ce phénomène. Nous verrons ensuite combien la position dominante acquise à ce jour par François Fillon est nettement plus fragile que ne le laisse transparaître la série triomphante des sondages qui ont suivi sa victoire.

Le point de bascule est une théorie d’analyse de la dynamique d’influence au sein d’un groupe d’individus. Elle analyse l’intensité de diffusion d’une idée ou d’un message en fonction de trois composantes :

  1. Les déclencheurs. Ce sont des personnes d’influence qui vont accélérer la diffusion de l’idée. Ces influenceurs se divisent en trois catégories, les « connecteurs » (ceux qui maîtrisent les bons réseaux), les « mavens » (ceux qui maîtrisent l’information), « les vendeurs » (ceux qui savent convaincre).

    Les deux premiers sont nécessaires pour produire un contenu cohérent support de l’adhésion. Les derniers, les vendeurs, sont fondamentaux pour assurer la propagation d’une idée. Nous verrons que François Fillon a bénéficié, presque malgré lui, de redoutables vendeurs d’une idée qui n’était pas celle portées par les connecteurs et mavens …

  2. Le contexte. La profondeur et la rapidité de diffusion d’une idée dépend de l’évolution de l’humeur et de l’opinion des personnes concernées par celle-ci. Il suffit d’un retournement ou d’une inflexion de cette humeur, pour que l’adhérence à une idée, un concept ou une image s’effectue. Cette adhérence peut être très rapide si un ou des événements déclencheurs marquants cristallisent cette évolution.

  3. L’adhérence. Pour emporter l’adhésion, l’idée ne doit pas nécessairement être bonne, elle doit marquer les esprits, s’installer peu à peu comme une évidence, comme une solution à un problème, parfois indépendamment du contenu réel du vecteur qui porte l’idée. Si le problème apparaît très conséquent, l’adhérence peut avoir lieu, alors même que les conséquences anticipables de la victoire du vecteur qui porte l’idée sont partiellement négatives pour celui qui va y adhérer. Nous verrons combien ce cas d’adhérence à priori paradoxal a fortement joué en faveur de François Fillon (comme il l’a sans doute également fait pour Donald Trump aux USA).

Un candidat austère, un programme profondément clivant

François Fillon n’avait pas au départ les meilleurs cartes en main pour gagner la primaire. De nature austère, peu adepte des envolées lyriques, il n’est pas l’homme politique le plus empathique, ni celui à même d’emporter l’adhésion des foules lors des meetings.

De plus, l’ancien candidat à la présidence de l’UMP a longtemps pâti des séquelles désastreuses de sa confrontation avec Jean-François Coppé.

Les premiers mois de sa longue campagne ont été plus que difficiles. Longtemps, il a stagné à la troisième place, largement distancé par le duo de tête, au positionnement personnel très différencié (bien plus que leurs programmes), et menacé par le trublion Le Maire qui promettait le renouveau du haut de sa jeunesse relative et de son programme de 1000 pages.

Déjà fortement marquées lors de son passage à Matignon, les positions libérales et ‘austéritaires’ de François Fillon se sont accentuées dans ses discours et ses écrits de campagne. Sa préférence pour le capital contre le travail socialement organisé (suppression de l’ISF, allégement considérable et immédiate des charges sociales pour les employeurs, diminution de l’impôt sur les sociétés, encouragement à l’auto entreprenariat, fin des 35 heures, des emplois aidés etc.), sa volonté de « fluidification » intense du marché du travail (modalités de licenciement facilitées, plafonnement des allocations chômage, etc.), sa préférence pour l’assurance privée individuelle versus la solidarité sociale nationale (assurance publique universelle portant uniquement sur les affections graves ou de longue durée) et sa vision du rôle de l’Etat essentiellement régalien (suppression de 500000 fonctionnaires intégrant une forte augmentation des effectifs de policiers, importante création de places de prison etc.) en faisait dès le départ, un candidat clivant.

A cette dimension thatchérienne assumée, son programme ajoute un conservatisme social important, une vision de la France basée sur la valorisation de l’identité chrétienne dont la promotion devient un crédo d’importance (défense des chrétiens d’Orient, souhait de réécriture des livres d’histoire etc.).

La dernière partie de campagne va être particulièrement orientée sur ces dimensions, communication parfaitement orchestrée avec la sortie du deuxième livre du candidat, «Vaincre le terrorisme islamique » qui succède à « Faire », paru en 2015, plus porté sur la transformation économique.

Un noyau de fidèles très complémentaires

La force de ce programme tient dans sa cohérence avec la composition de l’équipe rapprochée de Fillon et sa capacité à mobiliser des réseaux pour sa production et sa diffusion.

Economiquement, Fillon s’est appuyé principalement sur deux hommes aux carnets d’adresses conséquents. François Bouvard, ancien directeur général de McKinsey et Pierre Danon qui dirigea British Telecom, Capgemini puis Numéricâble. Ce dernier permet au candidat de rencontrer des dizaines de grands patrons et ainsi d’étoffer son programme en lui donnant sa marque particulièrement droitière. C’est lui également qui redessine les modalités de campagne du candidat, notamment sur les réseaux sociaux. Naissent alors des supports WEB didactiques, centrés sur des cibles marketing (Femmes avec Fillon, Professionnels de santé avec Fillon etc.).

Ce réseau idéologiquement structuré va toutefois accroître l’ancrage socialement très homogène de la campagne de Fillon, comme l’illustre la photo ci-dessous, entête du site les Femmes avec Fillon. L’uniformité de la classe sociale, de la classe d’âge et de l’origine culturelle des supportrices du candidat est ici particulièrement marquée.

Source : https://www.fillon2017.fr/femmes-avec-fillon/

Source : https://www.fillon2017.fr/femmes-avec-fillon/

Culturellement, l’apport de Bruneau Retailleau, chef de file des républicains au Sénat, est déterminant. Ce dernier, ancien bras droit de Philippe de Villiers, est un catholique pratiquant qui possède des réseaux conséquents dans les milieux très conservateurs.

Enfin, au cœur de la galaxie Fillon, Patrick Stefanini, directeur de campagne, est un communiquant alchimiste de talent. Il a dirigé la campagne de Valérie Pécresse, lui permettant d’accéder à la tête de l’Ile-de-France en 2015. L’homme est proche d’Alain Juppé et dispose d’un carnet de contacts très étoffé, en politique, dans les agences de communication etc.

François Fillon a eu l’intelligence de s’entourer d’une équipe redoutable de « connecteurs » et de « mavens ». Par contre, les « vendeurs » ne sont pas au rendez-vous. Cela ne tient pas aux compétences avérées de son directeur de campagne, mais au produit à vendre.

Il faudra le renforcement d’un contexte bien marqué pour faire adhérer à l’image de François Fillon, une idée nouvelle, sans rapport direct avec le contenu réel de son programme.

Le contexte : les erreurs tactiques de Sarkozy et de Juppé

La qualité et l’enthousiasme de l’équipe de François Fillon ne suffisent pas. La campagne ne prend pas. Malgré la rugosité de son programme économique, celui-ci ne se différentie pas nettement de ceux des principaux candidats, tous marqués par une orthodoxie libérale très forte.

Alain Juppé, malgré son programme également très droitier, joue la carte du rassembleur, du Père de la Nation qui vise à la réconciliation, à l’identité heureuse, avec une vaste alliance de la droite et du centre. La tactique de Juppé, inspirée de la France unie de François Mitterrand, semble fonctionner à merveille pendant des mois. Elle ressort pourtant d’une erreur de positionnement et d’un effet d’optique.

Grisés par des sondages stratosphériques, Juppé a opté pour un slogan de campagne présidentielle de second tour, visant au rassemblement le plus consensuel possible.

La France de 2016 n’est pas celle de 1988. Les attentats, l’affaire du Burkini et la rixe sur la plage de Sisco en Corse ont fortement marqué le débat sur l’identité. Accoler les deux termes dans un slogan, sans promouvoir de politique nette de transformation sociale lui donnant une substance réelle, ne constituait au mieux qu’un affichage marketing sans grand effet et au pire un angle d’attaque dont ne s’est pas privé Nicolas Sarkozy.

La primaire est un exercice terriblement partisan qui privilégie les options tranchées et affirmées. La popularité instantanée dont jouissait Alain Juppé ne provenait pas de la puissance de son message ou de l’adhésion à son programme mais de la personnalité repoussoir de son principal challenger. Cette erreur de positionnement et l’effet d’optique allaient être fatals à Alain Juppé.

Compte tenu des menaces judiciaires qui pesaient sur lui et de son passif d’ancien chef de l’Etat, la tactique de Nicolas Sarkozy ne pouvait être que celle de la surenchère qui correspond d’ailleurs parfaitement à son caractère.

Le tonitruant candidat a occupé tout l’espace médiatique, avec une succession de saillies qui visaient à monopoliser le débat autour de ses propositions ou de ses sorties.

Cette surenchère particulièrement marquée sur les questions sociales et identitaires avait pour vocation de créer le clivage, de faire adhérer autour de l’ancien chef de l’Etat la partie la plus droitière de l’électorat pour faire pièce aux centristes et aux supposés électeurs de gauche votant pour Alain Juppé.

Cette tactique et notamment l’ultime polémique autour du soutien de François Bayrou ont contribué à « gauchiser » le positionnement perçu d’Alain Juppé, fragilisant ainsi le candidat favori des sondages. Elle a surtout renforcé l’effet repoussoir du candidat Sarkozy créant de facto une possibilité d’adhérence pour un candidat alternatif.

Les déclencheurs et l’effet d’adhérence : l’effet cumulatif des deux premiers débats

La dimension extraordinaire de la chevauchée fantastique de François Fillon vers la victoire tient au fait que les principaux déclencheurs de l’effet de basculement sont ses propres adversaires. François Fillon ne disposait pas de vendeurs performants dans son équipe. Il n’a pas eu besoin d’en trouver. Ces principaux concurrents ont fait pour lui, à leurs frais, la promotion d’une nouvelle idée accolée à l’ancien premier ministre, celui de l’ultime recours, symbolique particulièrement forte dans l’imaginaire des partis de droite.

Le premier débat : l’émergence de l’idée

Le premier débat de la primaire eu lieu le 13 octobre 2016. Dans sa posture de puncheur victimaire, Nicolas Sarkozy reçoit et distribue les coups. Alain Juppé contemple ses adversaires en demeurant le plus lisse et consensuel possible. François Fillon, quant à lui, détaille sur un ton calme et ferme son programme ultra libéral et conservateur. Il adopte un ton professoral et recadre les candidats sur leur programme ou la légèreté de leurs erreurs de chiffrage.

En conclusion du débat, les principaux candidats challengers (Fillon et NKM notamment) insistent sur la dictature des sondages qui prive les électeurs de leur choix et demande à la majorité silencieuse de sortir de chez elle pour voter le 20 novembre. «Vous avez la possibilité de prendre le pouvoir, alors prenez-le ! » conclue François Fillon.

Fillon a joué une corde sensible qui va se révéler gagnante : celle du complot des sondages.

Cette antienne est reprise par presque tous les candidats, à l’exception évidente d’Alain Juppé. Nicolas Sarkozy en fait même un élément majeur de campagne contre son principal adversaire, au lendemain de la victoire de Donald Trump. Malheureusement pour lui, cet argumentaire ressortait d’une erreur tactique fatale. La présidentielle américaine est une élection à un tour. Elle consiste pour le challenger à battre le prétendant le mieux placé. Cet argument prôné par un des deux favoris des sondages d’une primaire qui doit qualifier deux candidats était non seulement contradictoire mais porteur de l’idée fatale que l’inéluctabilité de la confrontation Juppé / Sarkozy n’avait pas de raison d’être.

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Sarkozy s’est trouvé être un des principaux déclencheurs de la montée en puissance de son ancien premier ministre.

Dès la fin du mois d’octobre, la côte de François Fillon progresse autour de 13 %. Elle se situe toutefois encore très loin de celle de Juppé (environ 35 à 40 %) et de Nicolas Sarkozy (environ 25 à 30%).

Ce frémissement indique clairement que les sondés considèrent que Fillon peut incarner une alternative au duo annoncé, position que lui conteste encore Bruno Le Maire qui demeure au contact (environ 10%).

Le second débat : l’encrage définitif de l’idée

Le second débat du 3 novembre 2016 va changer la donne, pour deux raisons.

La première est celle de l’effet cumulatif qui va permettre à l’idée « renverser la table des sondages », prônée par tous les challengers de Juppé de s’incarner dans la candidature de Fillon.

Lors de ce débat, Juppé et Sarkozy adoptent la même posture que précédemment.

Placé physiquement au centre des débatteurs, Sarkozy a été la cible des attaques de tous et de chacun illustrant combien un rassemblement de la droite sur son nom apparaissait improbable. Il est l’homme clivant qui cristallise l’idée du recours contre lui.

Juppé a continué de vanter l’identité heureuse et l’alliance avec le centre, toutes deux bien éloignées de l’intensité partisane qui anima la campagne de primaire très marquée à droite. Dans une réponse à une apostrophe de Sarkozy, il fait même involontairement le parallèle entre son alliance avec Bayrou et le recrutement de personnalités de gauche par Nicolas Sarkozy en 2007.

Juppé commet là une faute politique qu’il ne pourra jamais rattraper. Incapable de corriger une image perçue comme trop recentrée, sa situation va rapidement se dégrader une fois la véritable raison d’être de sa popularité, celle d’être le recours contre Sarkozy, battue en brèche par Fillon.

La seconde raison qui va propulser François Fillon est l’effondrement de Bruno Le Maire sous l’effet de ses propres imprécisions et de son incapacité à répondre aux attaques des autres challengers. Le second débat a cruellement montré la dimension marketing du candidat du « renouveau » qui n’avait que cela à proposer, alors même qu’il fut ministre pendant de longues années.

Fillon de son côté est apparu « au-dessus de la mêlée » attaquant peu les deux favoris, tançant les journalistes afin d’apparaître subtilement en homme libre de toute accointance avec l’élite médiatique et s’adressant au peuple de droite sur leurs thèmes les plus identitaires.

Dès lors, l’adhérence devient fulgurante et tous ceux qui prévoyaient de voter par défaut, contre l’un ou l’autre des favoris déclarés, rejoignent le camp du Sarthois.

Une fois la mécanique enclenchée, plus rien ne pourra l’enrayer.

Le mirage Fillon

L’incroyable scénario des primaires, déjouant des mois de prédictions constantes, n’a pas conduit les sondeurs à une plus grande prudence. François Fillon est crédité de la même victoire facile que celle constamment annoncée pour Juppé, avant le premier tour. Les sondeurs devraient avoir la modestie de regarder leurs propres prévisions suite à la victoire de François Hollande à la primaire socialiste de 2011. Victoire tout autant improbable, consécutive au vaudeville Strauss Kahn. Dans les premiers sondages post primaire, François Hollande planait à 38 % au 1er tour et à 62 % au second.

Tous les ingrédients sont réunis pour que le triomphe annoncé de Fillon ne se réalise pas ou pas aussi facilement qu’attendu.

François Fillon a été magistralement élu, grâce à l’adhérence sur sa personne d’une idée en grande partie indépendante de la réalité de son programme. En effet, les programmes étaient trop proches pour qu’une telle remontée s’explique par leurs différences relatives.

Fillon se trouve paradoxalement dans la même situation que celle initialement occupée par Juppé. Il est ancré dans un positionnement politique marqué qui lui laisse peu de possibilités de se replacer. Indépendamment du contenu réel de ses propositions, Alain Juppé n’a jamais pu se départir de son positionnement perçu comme trop favorable à la gauche et perméable au danger islamique. Il a incarné, par défaut et malgré lui, l’image de François Hollande, l’autre maudit de la politique française.

Fillon aura beaucoup de mal à endosser le rôle de rassembleur qui est celui qui permet la victoire au second tour. Son électorat est très marqué. Il est en moyenne masculin, urbain, âgé et provenant des classes supérieures. C’est l’association des petits patrons et de la France traditionnelle inquiète de la transformation culturelle du pays.  Bien qu’il s’en défende et que cela ne soit pas la raison principale de sa victoire, il est le candidat du patronat, des classes supérieures aisées.

Pour peu que ses concurrents soient un peu habiles, il pourrait facilement incarner un rejet, sur lequel une adhérence pourrait se former.

François Fillon a rassemblé presque 3 millions de voix sur son nom, ce qui représente 7,8 % des votants (y compris blancs et nuls) à l’élection présidentielle de 2012.

Son programme et sa vision de la transformation économique sont très éloignés des attentes de la majorité des français qui ne rêvent pas tous les matins d’une purge libérale. Son adhérence ponctuelle à la nécessité impérieuse de faire barrage à Nicolas Sarkozy ne lui sera plus d’aucun secours. Il peut certes espérer être le réceptacle de la volonté de sanctionner le quinquennat de François Hollande, surtout si son premier ministre se présente à l’élection. Toutefois, tous les candidats, de Mélenchon à Le Pen, peuvent tout autant espérer incarner cette adhérence.

Son positionnement très marqué et son image autoritaire réaffirmée par les débats lui offrent une emprise sur le FN. Il concurrence directement le parti de Marine Le Pen sur l’électorat conservateur du Sud Est qui a voté très largement pour lui aux deux tours de la primaire. Toutefois, le FN possède un avantage qui fait défaut à François Fillon : celui d’être un Janus au double visage, l’un tourné vers les classes populaires de la France Périphérique décrites par Christophe Guilluy, en recherche de sécurité sociale, l’autre vers la France conservatrice, inquiète d’une identité perdue. A ce jour, Marine Le Pen a réussi l’exploit de conserver et renforcer ce mélange d’électorats. Une des clés du prochain scrutin tiendra dans cette capacité à maintenir la cohérence de cet assemblage. Si les électeurs de Marion Maréchal Le Pen qui ont voté pour lui lors de cette primaire préfèrent Marine plutôt que François en mai 2017, la base électorale du candidat Les Républicains en sera encore plus réduite.

Désormais au centre des attentions, le programme de François Fillon fait l’objet de toutes les critiques, les plus virulentes provenant de la périphérie de son propre camp, la gauche restant à ce jour inaudible, engluée dans la palinodie de ce quinquennat raté.

Henry Guaino, Nicholas Dupont-Aignan et François Bayrou n’ont aucun mal à mettre en avant les dimensions destructrices du lien social qu’emporte le programme libéral de François Fillon. Sa posture nationaliste est également facilement critiquée, compte tenu de son adhésion sans grande réserve à l’édifice européen actuel.

La deuxième clé du scrutin portera sur la capacité pour la gauche d’avoir un candidat qui ne soit pas un repoussoir. La candidature de Manuel Valls pourrait engendrer cet effet qui cherchera un support pour s’incarner. Mais cela ne sera sans doute pas le seul. Le tissu citoyen est en effet parcouru d’angoisses et de fractures qui constituent un contexte propice à l’émergence d’un « moment », d’une cristallisation qui pourrait profiter à Mélenchon, à Le Pen ou à un troisième homme (ou femme) capable de synthétiser un espoir pour un vaste ensemble de classes sociales distinctes ou d’incarner un recours contre une éventualité perçue négativement.

Il est probable que le premier tout de la présidentielle soit nettement plus disputé que ne le prévoit les sondages actuels.  Compte tenu de son programme très clivant, de sa personnalité, de ses soutiens, Fillon symbolise plus l’incroyable tendance à la fragmentation de la société française qu’une promesse d’union et de réconciliation. Dans une élection classique, sa candidature est trop marquée pour emporter l’adhésion majoritaire.

Son éventuelle victoire tiendrait plus à sa capacité d’adhérence à une idée particulière, tellement forte qu’elle transcenderait les clivages et gommerait les autres dimensions.  Par exemple, celle de la volonté de préserver une identité culturelle majoritaire, vue comme bafouée par les pouvoirs en place et fragilisée par la vague migratoire. Dans ce cas, sa personnalité et son parcours lui permettraient sans doute de paraître plus crédible que Marine Le Pen.

A moins, bien évidemment, que l’élection ne se fasse encore une fois par défaut, contre la gauche d’abord, pour sanctionner un quinquennat catastrophique,  puis le FN ensuite, au nom du front “républicain” et avec une abstention massive. Avec toutes les conséquences qu’une telle élection entraînerait alors pour la France.

Source : Philippe Leroy, 01-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-point-de-bascule-analyse-de-la-victoire-de-francois-fillon-par-philippe-leroy/


François Fillon, un conservateur du 19e siècle, par Romaric Godin

Wednesday 7 December 2016 at 01:45

Source : La Tribune, Romaric Godin, 28/11/2016

François Fillon, candidat conservateur pour 2017. (Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

François Fillon, candidat conservateur pour 2017. (Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

Le candidat de la droite et du centre promet aux classes moyennes le retour à l’âge d’or de la bourgeoisie française, celui d’avant 1914. Un positionnement qui répond au malaise de la société française.

Conservateur ? Ultralibéral ? Réactionnaire ? Modéré ? Gaulliste ? Thatchérien ? François Fillon, désormais candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle de 2017, a été cuisiné à toutes les sauces. Laquelle est la plus juste ? Au-delà des étiquettes, il peut être utile de revenir aux inspirations du nouveau chef de file de la droite et à sa tradition historique. Et pour cela, il convient évidemment de revenir au programme qui lui a permis, à la surprise générale, d’emporter deux tiers des voix lors de la primaire.

La réaction est désordre

Pour comprendre d’où vient François Fillon, il faut examiner ses positions sur la société française. Sur ce plan, on l’a souvent décrit comme un « réactionnaire ». C’est, en réalité, inexact. Certes, le nouveau candidat propose un retour sur quelques points de la loi Taubira, mais ce retour est partiel et ne porte que sur une loi récente. Pour le reste, il n’y a pas de remise en cause des évolutions de la société depuis la fin des années 1960. « S’il est bien entendu indispensable de défendre les valeurs familiales qui fondent notre société, il est aussi nécessaire de prendre en comptes ses évolutions », explique le projet de François Fillon qui, par ailleurs, consacre un chapitre aux droits des femmes et au renforcement de la lutte contre le « sexisme ». Un authentique réactionnaire chercherait non seulement à revenir sur la loi Taubira, mais également sur tout l’héritage de « mai 68 » en favorisant le retrait des femmes de la vie active ou en revenant sur le droit à l’avortement, par exemple. Rien ne dit que ce ne soit pas les convictions profondes de François Fillon, mais ce n’est pas son programme.

Pourquoi ? Parce que le Conservateur ne désire rien tant que l’ordre. Et la réaction est un désordre, c’est une révolution qui veut un retour vers le passé, qui trouble la société. Aussi est-elle rejetée par les Conservateurs qui, eux, sont obsédés par la stabilité. Un Conservateur veut stopper les évolutions pour conserver les acquis actuels. La réaction lui fait en réalité autant peur que le socialisme. Dans les deux cas, la société est malmenée et l’ordre social troublé. François Fillon s’inscrit dans la lignée de la pensée conservatrice française du 19e siècle incarné par un François Guizot. Ce dernier a ainsi lutté ouvertement contre la réaction aristocratique de Charles X, puis, il s’est efforcé de maintenir la société dans l’état qui était celle de la révolution de 1830 : celle qui assurait le triomphe d’une bourgeoisie possédante à la fois contre les masses et contre les Nobles. Le Conservateur entend donc maintenir l’état de fait social pour assurer la stabilité. C’est ce qui avait conduit, par exemple, Adolphe Thiers, longtemps monarchiste, à se rallier après 1871 à la République. Non par conviction, mais parce que c’était le seul état politique qui assurait la stabilité sociale. D’où son mot célèbre d’alors : « La République sera conservatrice ou ne sera pas ». Il s’agit bien, comme le précise le projet de François Fillon, « de prendre en compte les évolutions » de la société tout en les contenant dans ses limites actuelles.

Eviter la faillite

Cet héritage de la pensée conservatrice du 19e siècle semble l’inspiration première de François Fillon, y compris en matière économique. Là aussi, la stabilité est la priorité : c’est le sens de l’emploi de ce mot de « faillite de l’Etat » prononcée par celui qui était premier ministre en 2007 et qui est repris tel quel dans le projet présidentiel dix ans plus tard. La « faillite de l’Etat » est la grande peur de la classe moyenne française. Ce mode de gestion de l’Etat, utilisé régulièrement par l’Ancien régime, a ruiné des milliers de Bourgeois français, et la Révolution française est d’abord une révolte contre cette gestion. Ce sont les rumeurs de faillite qui décidèrent le Tiers Etat à soulever le peuple les 13 et 14 juillet 1789. On l’oublie souvent à notre époque, où la France est caricaturée en « enfer socialiste à l’Etat démesuré », mais notre pays a longtemps été gouverné sur deux principes simples : le refus de la faillite de l’Etat et la stabilité monétaire. Jusqu’en 1914, la France était un pays à la croissance assez médiocre, mais où les classes moyennes étaient formidablement enrichies par leurs investissements dans les fonds publics et par la monnaie forte. C’était l’âge d’or de la bourgeoisie française, celui où elle pouvait utiliser ses capitaux dans le monde entier pour « la grandeur » du pays. Et, après le choc de la première guerre mondiale, c’est sur un retour à cet âge d’or que Raymond Poincaré en 1926 est revenu au pouvoir. Par l’équilibre des finances publiques et par la monnaie forte, la France devait retrouver sa place dans le concert des Nations après l’humiliation des attaques contre le Franc des années 1920-24.

On retrouve parfaitement cette idée dans le programme de François Fillon. La seule véritable politique publique que propose le nouveau candidat de la droite et du centre, c’est la réduction des déficits. Une fois cette politique réalisée, la France, à son sens, retrouvera sa puissance passée. L’idée que la « gabegie » de l’Etat est la source de l’effondrement de l’influence française est celle qui a présidé au sein de la bourgeoisie française pendant plus de 150 ans. Il en est de même de la monnaie forte, et c’est ce qui explique la conversion de François Fillon, ancien “séguiniste” opposé à Maastricht, à l’euro. La monnaie unique assure, selon l’ancien premier ministre, bien mieux que le franc, la stabilité et la puissance. On est frappé de constater cette obsession qui traverse le projet de François Fillon de faire de l’euro une « monnaie de réserve » à l’égal du dollar. Il y a là le rêve d’un retour à une forme d’étalon-or, une monnaie si stable et si puissante qu’elle assure à l’épargne une valeur permanente. Or, la classe moyenne n’a qu’un désir : disposer d’une épargne sûre et forte. Le programme de François Fillon reprend donc là encore le vieux rêve conservateur du 19e siècle.

Un Etat réduit sur le plan économique

Sur le plan économique, on est frappé par les critiques qui viennent tant de la gauche (ceci n’est guère étonnant) qui voit dans le programme de François Fillon un « ultralibéral » que des rangs libéraux qui, à l’image de l’économiste Jean-Marc Daniel, y voit un programme non pas « libéral, mais patronal ». On peut comprendre cet apparent paradoxe en revenant encore à cet « âge d’or » bourgeois que constitue le 19e siècle français. Jusqu’en 1914, la France dispose d’un Etat peu présent dans l’économie. Lorsqu’il s’y implique, c’est pour réduire les abus les plus apparents qui gênent les sentiments chrétiens comme le travail des enfants, interdit en 1841 en dessous de 8 ans, ou pour distribuer des avantages aux grands capitalistes, comme dans le cas de la gestion des chemins de fer par la loi de 1842, où l’Etat ne ménage pas les cadeaux aux sociétés privées. Le projet de François Fillon entend réduire le rôle de l’Etat dans l’économie, à la fois en tant qu’acteur direct, mais aussi en tant qu’ordonnateur. Sur le plan social, il le limite à un « filet de sécurité » pour les cas les plus graves : longues maladies ou extrême pauvreté. Pour le reste, l’Etat s’efface.

Ce recul de l’Etat s’inspire évidemment d’une pensée libérale, ce qui ne manquera pas de séduire les Libéraux d’aujourd’hui. Compte tenu du poids de l’Etat dans l’économie française, François Fillon défend, sur le plan économique, une vraie « rupture » qu’il revendique « radicale ». Ce « choc libéral » doit en finir avec le droit du travail, les syndicats, « l’Etat hypertrophié » et, dans ces domaines, le candidat de la droite abandonne, du moins en apparence, sa prudence conservatrice. Il souhaite ici un vrai changement qui soit à la fois « libéral », puisqu’il donne plus de place au marché, mais aussi « réactionnaire », puisqu’il vise à revenir à un Etat moins présent.

Mais, au fond, il est surtout conservateur : car réduire le rôle de l’Etat, c’est assurer moins d’impôt, donc des revenus supplémentaires pour les classes moyennes en garantissant et valorisant au mieux leur épargne tout en réduisant les transferts sociaux. C’est donc renforcer leur position sociale. La « TVA sociale » va dans ce sens. En faisant porter l’effort fiscal davantage sur la consommation que sur les revenus et le capital, on favorise l’état social existant. Et ce n’est pas un hasard si, jusqu’en 1914, les impôts indirects constituaient l’essentiel des ressources de l’Etat français.

Un vrai « libéral » ?

 

Lire la suite sur : La Tribune, Romaric Godin, 28/11/2016

Source: http://www.les-crises.fr/francois-fillon-un-conservateur-du-19e-siecle-par-romaric-godin/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, ScienceEtonnante, DataGueule)

Wednesday 7 December 2016 at 01:20

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute de Delamarche : Se passera-t-il quelque chose après le vote ?

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (1/2): Référendum italien: quels impacts sur les marchés ? – 05/12

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (2/2): Qu’attendre de la BCE après les résultats du référendum en Italie ? – 05/12

II. Philippe Béchade

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): Quel est l’impact du référendum italien sur les marchés ? – 30/11

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): Le pétrole dictera-t-il les tendances sur les marchés mondiaux dans les prochains mois ? – 30/11

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir VS Bruno Fine (1/2): Quid de la croissance économique française ? – 06/12

Jacques Sapir VS Bruno Fine (2/2): Les marchés européens ont-ils une carte à jouer pour 2017 ? – 06/12

IV. ScienceEtonnante

Crétin de cerveau ! #1 — L’effet de Halo

V. DataGueule

Abreuvés de brevets #DATAGUEULE 22


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-scienceetonnante-datagueule-3/


Le parlement de Grande-Bretagne approuve la dévolution de nouveaux pouvoirs de piratage et de surveillance, par Ryan Gallagher

Wednesday 7 December 2016 at 01:10

Source : The Intercept, le 22/11/2016

Photo: Akira Suemori/AP

Photo: Akira Suemori/AP

Ryan Gallagher

Le 22 novembre 2016

Il y a quelques années, il aurait été impensable qu’un gouvernement britannique admette qu’il allait pirater l’ordinateur des gens et collecter des données personnelles à grande échelle. Mais aujourd’hui, ces pratiques controversées sont sur le point d’être autorisées dans une nouvelle loi de surveillance sans précédent.

Le parlement de Grande-Bretagne a approuvé la semaine dernière un projet de loi appelé le Investigatory Powers Bill, surnommé la “charte des fouineurs” par la critique. La loi, qui devrait entrer en vigueur avant la fin de l’année, a été introduite en novembre 2015 à la suite des retombées des révélations du lanceur d’alerte de l’Agence Nationale de Sécurité, Edward Snowden, à propos d’un vaste plan de surveillance des Britanniques. Le Investigatory Powers Bill (projet de loi sur les pouvoirs d’enquête) a pour but essentiel de légaliser rétroactivement le programme d’espionnage électronique dévoilé par les documents de Snowden, mais il permet également d’élargir les pouvoirs de surveillance du gouvernement.

L’aspect le plus controversé de cette nouvelle loi est qu’elle donnera au gouvernement britannique l’autorité de contraindre les fournisseurs d’Internet à fournir leurs services avec “un avis de sauvegarde de données”, les obligeant à enregistrer et à stocker l’historique des sites visités par leurs clients sur une période allant jusqu’à douze mois. Les agences de maintien de l’ordre pourront avoir accès à cette base de données sans mandat ou ordre d’une cour. De plus, cette nouvelle loi donnera aux enquêteurs de police et aux investigateurs fiscaux, avec l’aval d’un ministre du gouvernement, la possibilité de pirater des téléphones et des ordinateurs ciblés. La loi permettra aux agences de renseignement de passer au crible “un vaste ensemble de données personnelles” contenant des millions de dossiers sur les appels téléphoniques des gens, leurs habitudes de voyage, leurs activités sur internet ou encore leur transactions financières ; enfin, cela rendra légal pour les espions britanniques d’opérer le piratage à grande échelle d’ordinateurs et de téléphones hors de leurs frontières afin d’identifier de potentielles “cibles d’intérêt.”

“Chaque citoyen aura son activité internet – les applications qu’il utilise, les messages qu’il envoie, et leurs destinataires – enregistré pendant 12 mois,” dit Eric King, un expert de la vie privée et ancien directeur de “Don’t Spy On Us“, une coalition de groupes britanniques de protection des droits de l’Homme faisant campagne contre la surveillance de masse.

“Il n’y a pas une seule démocratie, ou même un autre pays dans le monde, qui fasse cela.”

King affirme que cette nouvelle loi aura un effet dissuasif, se traduisant par une perte de confiance du public quant à la libre communication entre les gens. Il cite une enquête Pew publiée en mars 2015 selon laquelle 30% des adultes américains ont modifié leurs habitudes d’utilisation d’Internet ou de leur téléphone en raison de la surveillance gouvernementale. “Cela va changer la façon dont les gens communiquent et expriment leur pensées,” dit King. “Pour une société censée être progressiste, encourageant les débat ouverts et le dialogue, c’est affreux.”

D’autres défenseurs des libertés individuelles s’inquiètent que cette nouvelle loi soit perçue par les gouvernements à travers le monde comme un feu vert pour lancer des régimes de surveillance similaires. “Le passage du projet de loi aura un impact qui dépassera les frontières du Royaume-Uni,” dit Jim Killock, directeur exécutif du groupe basé à Londres Open Rights Group. “Il est probable que d’autres pays, incluant les régimes autoritaires respectant peu les droits de l’Homme, utiliseront cette loi pour légitimer leurs propres pouvoirs de surveillance intrusive.”

Malgré la large portée du projet de loi sur les pouvoirs d’enquête, il n’a généré que peu de débat au Royaume-Uni, et n’a pas reçu une grande couverture de la part des médias grand public. L’une des raisons à cela est indubitablement le vote choc du Royaume-Uni, en juin, de sortir de l’Union Européenne, communément appelé le Brexit – qui a dominé l’espace médiatique et les discussions ces derniers mois. Cependant, il existe un autre facteur majeur à l’adoption rapide de cette loi, en l’absence de réaction. Le parti travailliste, le parti principal de l’opposition du Royaume-Uni, s’était engagé à combattre “l’espionnage injustifié“, mais a finalement soutenu le gouvernement et voté en faveur de cette nouvelle loi de surveillance. “La faute revient au parti travailliste,” dit Killock. “Ils ont demandé beaucoup trop peu de contreparties et n’étaient pas préparés à contester fortement les principaux dogmes inhérents à ce projet de loi.”

Dans un effort pour apaiser certaines de ces critiques, le gouvernement a accepté de renforcer le contrôle de cette surveillance. Le projet de loi sur les pouvoirs d’enquête introduit pour la première fois un “commissaire judiciaire”, probablement un ancien juge, qui pourra examiner les mandats d’espionnage autorisés par un ministre du gouvernement. Il renforce également les dispositions relatives à la façon dont la police et les agences d’espionnage pourront cibler les journalistes afin de tenter d’identifier leurs sources confidentielles. De nouvelles garanties impliquent que les autorités devront demander l’aval du commissaire judiciaire afin d’obtenir les enregistrements téléphoniques ou les emails d’un journaliste ; auparavant ils pouvaient obtenir ces données sans supervision indépendante.

Le syndicat national des journalistes de Grande-Bretagne croit cependant que la loi ne va pas assez loin dans la protection de la liberté de la presse. Le syndicat s’inquiète particulièrement qu’une potentielle surveillance des organisations médiatiques pourrait être gardé totalement secrète, signifiant qu’il n’y aura aucun recours pour contrer les décisions les concernant eux ou leurs sources. “Le projet de loi est une attaque contre la démocratie et le droit du public à l’information, il permet à l’État d’interférer secrètement et de manière illégitime dans la presse,” s’est lamenté le syndicat à travers une déclaration la semaine dernière, ajoutant que “le manque de protection des sources a des répercussions sur les journalistes travaillant dans les zones de guerre ou bien ceux enquêtant sur le crime organisé ou les fautes étatiques.

D’autres problématiques relatives à la façon dont la loi sera appliquée restent obscures. Ainsi, la loi contient une disposition qui permet au gouvernement de délivrer à une société un “avis de capacité technique” pouvant inclure “des obligations relatives à la suppression par un opérateur de la protection électronique appliquée à toutes communications ou données par ou au nom de cet opérateur.” Plus tôt cette année, les géants Apple, Facebook, Google, Microsoft, Twitter et Yahoo ont critiqué ce pouvoir, exprimant leurs inquiétudes quant à l’utilisation de ce dernier par le gouvernement afin de forcer des entreprises à affaiblir ou contourner la technologie de cryptage utilisée pour protéger le secret des communications et des données.

En pratique, si la loi est utilisée pour contrer les bénéfices du cryptage, cela pourrait ne jamais être découvert. Le gouvernement a inclus dans le projet de loi une section qui criminalise “les révélations non-autorisées” de toute information liée à ses ordres de surveillance, ce qui pourrait potentiellement dissuader les lanceurs d’alertes ou les leakers de se manifester. La sentence pour ce type d’infractions peut aller jusqu’à douze mois de prison, une amende, ou bien les deux.

Bien que le projet de loi sur les pouvoirs d’enquête entrera bientôt en vigueur, il est probable de le voir être l’objet de plusieurs poursuites en justice. Il y a d’ores et déjà trois affaires en cours pouvant aboutir à la modification de certaines de ses dispositions. L’une de ces affaires est une contestation sérieuse devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et pourrait décider de l’illégalité de cette collecte et rétention de données. (Les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme restent en vigueur au Royaume-Uni, en dépit du Brexit.)

Quoiqu’il arrive, certains ne semblent pas vouloir laisser le soin aux institutions judiciaires de déterminer à quel point le gouvernement peut siphonner leurs données. Une organisation britannique à but non lucratif récemment établie, Brass Horn Communications, dit préparer un nouveau fournisseur d’accès à internet basé sur Tor, un outil pour surfer anonymement sur internet, dans un effort destiné à permettre aux gens de se protéger contre l’espionnage. “Nous devrions pouvoir faire une recherche sur un problème médical embarrassant, ou poser des questions à Google, sans avoir à se soucier que cela soit répertorié dans des archives internet de manière permanente,” dit un porte-parole de l’organisation. “Le gouvernement a décidé que chacun est un suspect, mais vous ne pouvez pas traiter une société entière comme criminelle.”

Source : The Intercept, le 22/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-parlement-de-grande-bretagne-approuve-la-devolution-de-nouveaux-pouvoirs-de-piratage-et-de-surveillance-par-ryan-gallagher/


Trump à la Maison-Blanche : une interview de Noam Chomsky

Tuesday 6 December 2016 at 02:01

Source : Truthout, le 14/11/2016

Lundi 14 novembre 2016  Par C. J. Polychroniou

Noam Chomsky lors d'une conférence à Buenos Aires, le 12 mars 2015. (Photo: Ministerio de Cultura de la Nación Argentina)

Noam Chomsky lors d’une conférence à Buenos Aires, le 12 mars 2015. (Photo: Ministerio de Cultura de la Nación Argentina)

Le 8 novembre 2016, Donald Trump a réussi le plus grand bouleversement de la politique américaine en exploitant avec succès la colère des électeurs blancs et en faisant appel aux penchants les plus vils de la population, d’une manière qui aurait probablement impressionné le propagandiste nazi Joseph Goebbels lui-même.

Mais que signifie au juste la victoire de Trump, et à quoi peut-on s’attendre de la part de ce mégalomane lorsqu’il prendra les rênes du pouvoir le 20 janvier 2017 ? Quelle est l’idéologie politique de Trump, et le « trumpisme », s’il existe, constitue-il un mouvement ? La politique étrangère des États-Unis sera-t-elle différente sous l’administration Trump ?

Il y a quelques années, l’intellectuel reconnu Noam Chomsky avertissait que le climat politique aux États-Unis était mûr pour l’émergence d’un personnage autoritaire. Maintenant, il partage ses pensées sur les conséquences de cette élection, l’état moribond du système politique américain et il dit pourquoi Trump est une réelle menace pour le monde et la planète en général.

C. J. Polychroniou pour Truthout : Noam, l’impensable est arrivé : déjouant tous les pronostics, Donald Trump a remporté une victoire décisive sur Hillary Clinton, et l’homme que Michael Moore décrivait comme un “dépravé, ignorant, un clown à mi-temps et un sociopathe à plein temps” va être le prochain président des États-Unis. Selon vous, quels ont été les éléments déterminants qui ont amené les électeurs américains à provoquer le plus grand bouleversement de l’histoire de la politique américaine ?

Noam Chomsky : Avant de répondre à cette question, je pense qu’il est important de prendre du recul pour comprendre ce qui s’est passé le 8 novembre, une date qui pourrait se révéler être une des plus importantes de l’histoire humaine, selon la manière dont nous l’interprétons.

Pas d’exagération.

L’information la plus importante du 8 novembre a été à peine remarquée et a une certaine importance en soi.

Le 8 novembre, au Maroc, lors de la conférence internationale sur le changement climatique (COP22) qui a été organisée pour poursuivre l’accord de Paris signé lors de la COP21, l’Organisation Mondiale de la Météorologie (WMO) a rendu public  un rapport. La WMO a indiqué que les cinq dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Elle a mentionné une élévation du niveau des océans, devant encore augmenter très prochainement du fait de la fonte étonnamment rapide de la glace polaire, plus particulièrement des glaciers de l’Antarctique. Déjà, la glace de la mer de l’Arctique, durant ces cinq dernières années, est 28% en dessous de la moyenne des 29 années précédentes, élevant non seulement le niveau des océans, mais réduisant aussi l’effet de refroidissement dû à la réflexion des rayons solaires par la glace polaire, accélérant donc les effets du réchauffement mondial. Le WMO a indiqué de plus que les températures approchaient dangereusement de l’objectif établi par la COP21, en plus d’autres affirmations et prévisions.

Un autre événement a eu lieu le 8 novembre, qui pourrait également avoir une certaine importance historique pour des raisons, encore une fois, à peine mentionnées.

Le 8 novembre, le pays le plus puissant de l’histoire mondiale, celui qui va marquer de son empreinte le futur proche, a vécu une élection. Les résultats ont placé les pleins pouvoirs du gouvernement – exécutif, Congrès, Cour suprême – dans les mains du parti républicain, devenu ainsi l’organisation la plus dangereuse de l’histoire.

Hormis la dernière phrase ci-dessus, tout ceci est incontestable. Si la dernière phrase peut sembler farfelue, voire scandaleuse, est-ce vraiment le cas ? Les faits parlent d’eux-mêmes. Le parti a pour objectif de détruire la vie humaine développée le plus rapidement possible. Il n”existe aucun précédent historique à une telle position.

Est-ce une exagération ? Prenez en compte que nous n’avons été qu’observateurs.

Durant les primaires des Républicains, chaque candidat a nié dire que ce qui arrive, arrive réellement – à l’exception des modérés, comme Jeb Bush, qui a dit que tout est incertain mais que nous n’avons rien à faire car nous produisons plus de gaz naturel, grâce à la fracturation. Cependant, John Kasich a confirmé que le réchauffement mondial a bien cours, mais il a ajouté que “nous allons brûler du charbon en Ohio et nous n’allons pas nous en excuser.”

Le candidat vainqueur, désormais le président élu, vise une augmentation rapide de la consommation de carburants fossiles, dont le charbon, le détricotage des réglementations, le rejet de toute aide aux pays en voie de développement qui cherchent à transiter vers une énergie renouvelable, et, en règle générale, foncer dans le mur le plus vite possible.

Trump a déjà posé des jalons pour démanteler l’Environmental Protection Agency (EPA), en plaçant à sa tête pour la transition de l’EPA un climato-sceptique bien connu et fier de l’être, Myron Ebell. Le conseiller de Trump en matière d’énergie, le milliardaire du milieu pétrolier Harold Hamm, a annoncé ses souhaits, qui étaient prévisibles : démanteler la réglementation, couper les taxes de l’industrie (et généralement celles du riche secteur des affaires), augmenter la production de carburants fossiles, en supprimant le moratoire d’Obama sur le pipeline Dakota Access. Le marché a réagi rapidement. Les actions des sociétés liées à l’énergie ont grimpé en flèche, notamment le plus important groupe mondial d’extraction du charbon, Peabody Energy, qui était alors placé sous surveillance financière pour risque de dépôt de bilan, mais qui a enregistré un gain de 50% après la victoire de Trump.

Les effets du déni républicain ont déjà été ressentis. Il y avait eu l’espoir que l’accord de la COP21 à Paris mènerait à un traité à la hauteur des enjeux, mais de telles idées ont été abandonnées car le Congrès républicain n’allait pas accepter les contraintes, ce qui fait que seul un accord volontaire a vu le jour, évidemment beaucoup plus faible.

Les effets peuvent bientôt devenir encore plus évidents qu’ils ne le sont déjà. Au seul Bangladesh, des dizaines de millions de personnes devraient fuir les plaines de faible altitude au cours des prochaines années à cause de l’élévation du niveau de la mer et des conditions météorologiques plus violentes, créant une crise migratoire qui rendra la situation actuelle insignifiante. « Les migrants doivent avoir le droit de se rendre dans les pays d’où proviennent tous ces gaz à effet de serre. Des millions devraient pouvoir se rendre aux États-Unis. Et dans les autres pays riches qui se sont enrichis tout en apportant une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, marquée par la transformation humaine radicale de l’environnement. Ces conséquences catastrophiques ne peuvent que s’accroître, non seulement au Bangladesh, mais dans toute l’Asie du Sud, car les températures, déjà intolérables pour les pauvres, montent inexorablement et les glaciers himalayens fondent, menaçant l’approvisionnement en eau. Déjà en Inde, environ 300 millions de personnes manquent d’eau potable. Et les effets vont aller bien au-delà.

Il est difficile de trouver les mots pour signifier le fait que les humains se trouvent face à la question la plus importante de leur histoire – si la vie humaine développée va survivre dans la forme que nous lui connaissons – et que la réponse est une accélération vers le désastre.

Des observations similaires concernent l’autre problème à propos de la survie humaine, la menace d’une destruction nucléaire, qui a plané au-dessus de nos têtes pendant les 70 dernières années et qui s’amplifie désormais.

Il n’est pas plus facile de trouver les mots pour décrire le constat tout à fait étonnant que, dans toute la masse d’informations concernant l’extravagance électorale, ces faits ont à peine été mentionnés. Je manque terriblement de mots appropriés.

Pour revenir enfin à la question soulevée, pour être précis, il semble que Clinton ait obtenu une légère majorité des voix. La victoire apparemment décisive est en relation avec des caractéristiques curieuses de la politique américaine : entre autres facteurs, le collège électoral qui est un reliquat de la fondation du pays en tant qu’alliance d’États distincts ; le système du gagnant-rafle-tout dans chaque état ; l’organisation des districts du Congrès (parfois par tripatouillage électoral) pour donner plus de poids aux votes ruraux (dans les élections passées, et probablement celle-ci aussi, les démocrates ont eu une marge confortable de victoires dans le vote populaire pour la présidence, mais détiennent une minorité de sièges) ; le taux très élevé d’abstentions (habituellement près de la moitié à des élections présidentielles, celle-ci incluse). Le fait d’une certaine importance pour l’avenir est que dans la classe d’âge 18-25, Clinton a gagné facilement, et que Sanders avait un niveau de soutien encore plus élevé. Ce qui démontre que ces problèmes dépendent de la façon dont la future génération y fera face.

Selon les informations actuelles, Trump a battu tous les records dans le soutien qu’il a reçu de la part des électeurs blancs, de la classe ouvrière et de la classe moyenne basse, en particulier dans la fourchette de revenus de 50 000 à 90 000 dollars, ruraux et suburbains. Ces groupes partagent la colère, répandue dans tout l’Occident, envers l’establishment centriste, révélée aussi bien par le résultat du vote inattendu du Brexit que par l’effondrement des partis centristes en Europe continentale. [Beaucoup] de ceux qui sont en colère et qui sont mécontents sont victimes des politiques néolibérales de la dernière génération, les politiques décrites par le président de la Fed, Alan Greenspan, « Saint-Alan », comme l’a qualifié révérencieusement la profession économique et d’autres admirateurs jusqu’à ce que l’économie miraculeuse qu’il supervisait s’écrase en 2007-2008, menaçant de faire s’écrouler l’économie mondiale avec elle. Comme l’a expliqué Greenspan durant ses jours de gloire, ses succès en matière de gestion économique reposaient essentiellement sur une « insécurité croissante des travailleurs ». Les travailleurs intimidés ne demanderaient pas des augmentations de salaire, des avantages et une sécurité plus élevées, mais seraient satisfaits de la stagnation des salaires et des avantages réduits qui indiquent une économie saine selon les normes néolibérales.

Les travailleurs, qui ont été les cobayes de ces expérimentations en théorie économique, ne sont pas particulièrement heureux du résultat. Ils ne sont pas, par exemple, enchantés du fait qu’en 2007, au sommet du miracle néolibéral, les salaires réels des travailleurs des basses classes étaient plus bas qu’ils ne l’avaient été des années auparavant, ou que les salaires réels des travailleurs masculins se situaient aux alentours de ceux des années 1960 pendant que des gains spectaculaires sont allés dans les poches d’un très petit nombre au sommet, disproportionnellement une fraction de 1%. Ceci ne dépendait pas du résultat de l’offre et de la demande du marché, de la réussite ou du mérite, mais plutôt de décisions politiques déterminées, des sujets analysés avec soin par l’économiste Dean Baker dans un travail récemment publié.

Le sort réservé au salaire minimum illustre ce qui s’est passé. Durant les années 50 et 60 qui sont des périodes de croissance forte et équitable, le salaire minimum sous lequel aucun salaire ne peut être fixé a évolué de la même manière que la productivité. Cela prit fin avec le déclenchement de la doctrine néo-libérale. Depuis lors, le salaire minimum a stagné en valeur réelle. S’il avait continué sur la même lancée qu’auparavant, il serait probablement aux alentours de 20$ par heure. De nos jours, l’augmenter à 15$ par heure est considéré comme une révolution politique.

Avec tous les discours sur le quasi plein emploi d’aujourd’hui, la participation de la population active reste inférieure à la norme antérieure. Et pour les travailleurs, il y a une grande différence entre un emploi stable dans le secteur manufacturier avec des salaires et des avantages sociaux syndicaux, comme dans les années précédentes, et un emploi temporaire avec peu de sécurité dans certaines professions de service. Mis à part les salaires, les avantages et la sécurité, il y a une perte de dignité, d’espoir pour l’avenir, et du sentiment d’appartenance à un monde dans lequel on joue un rôle digne d’intérêt.

L’impact est bien senti au travers du portrait sensible et lumineux fait par Arlie Hochschild d’un bastion Trump en Louisiane, où elle a vécu et travaillé pendant de nombreuses années. Elle utilise l’image d’une file dans laquelle les habitants sont debout, s’attendant à avancer progressivement car ils travaillent dur et respectent toutes les valeurs conventionnelles. Mais leur position dans la file s’est bloquée. Devant eux, ils voient des gens bondir en avant, mais cela ne les désespère pas, parce que c’est « le mode de vie américain » pour (prétendument) mériter d’être récompensé. Ce qui cause la détresse réelle est ce qui se passe derrière eux. Ils croient que des « gens indignes » qui ne « suivent pas les règles » sont propulsés devant eux par des programmes du gouvernement fédéral qu’ils estiment à tort conçus pour les Afro-Américains, les immigrants et d’autres qu’ils considèrent souvent avec mépris. Tout cela est exacerbé par les inventions racistes de Ronald Reagan au sujet des « assistés » (implicitement noirs) qui volent l’argent durement gagné des Blancs et autres fantasmes.

Parfois, l’incapacité à expliquer, en soi une forme de mépris, joue un rôle dans la haine du gouvernement. J’ai rencontré une fois un peintre à Boston qui s’était tourné amèrement contre le gouvernement « malveillant » après qu’un bureaucrate de Washington, qui ne connaissait rien à la peinture, avait organisé une réunion de peintres pour leur dire qu’ils ne pouvaient plus utiliser de peinture au plomb, « la seule qui était fiable » comme tous le savaient, mais le technocrate ne le comprenait pas. Cela a détruit sa petite entreprise, l’obligeant à peindre des maisons ainsi que la sienne avec des produits de qualité inférieure imposés par les élites du gouvernement.

Parfois il y a aussi de véritables raisons à ces attitudes envers les bureaucraties gouvernementales. Hochschild décrit un homme dont la famille et les amis souffrent amèrement des effets mortels de la pollution chimique, mais qui méprise le gouvernement et les « élites libérales » parce que, pour lui, l’EPA (Environmental Protection Agency) signifie qu’un type ignorant lui dit qu’il ne peut pas pêcher, mais ne fait rien contre les usines chimiques.

Ce sont juste des exemples de la réalité des vies des partisans de Trump, qui sont amenés à croire que Trump va faire quelque chose pour remédier à leur sort, même si un rapide regard sur ses propositions fiscales et autres démontrent le contraire, se révélant un problème de plus pour les activistes qui espèrent repousser le pire et faire avancer les changements désespérément nécessaires.

Les sondages effectués à la sortie des bureaux de vote révèlent que l’engouement pour Trump a été inspiré principalement par la conviction qu’il représentait le changement, tandis que Clinton était perçue comme le candidat qui perpétuerait leur détresse. Le « changement » que Trump est susceptible d’apporter sera nuisible ou pire, mais il est compréhensible que les conséquences ne sont pas claires pour des personnes isolées dans une société atomisée dépourvue des types d’associations (comme les syndicats) qui peuvent éduquer et organiser. C’est une différence cruciale entre le désespoir d’aujourd’hui et les attitudes généralement optimistes de beaucoup de travailleurs sous une contrainte économique beaucoup plus grande pendant la grande dépression des années 1930.

Il y a d’autres facteurs qui expliquent le succès de Trump. Des études comparatives montrent que les doctrines de suprématie blanche ont eu une influence encore plus forte sur la culture américaine qu’en Afrique du Sud, et ce n’est pas un secret que la population blanche est en déclin. Dans une décennie ou deux, on estime que les Blancs seront une minorité de la main-d’œuvre, et peu de temps plus tard, une minorité de la population. La culture traditionnelle conservatrice est également perçue comme étant attaquée par les succès de la politique identitaire, considérée comme le domaine des élites qui n’ont que du mépris pour les “américains [blancs] pratiquants, patriotiques, travailleurs, avec de vrais valeurs familiales” qui voient leur pays familier disparaître sous leurs yeux.

L’une des difficultés pour éveiller l’inquiétude du public face aux très graves menaces du réchauffement climatique est que 40% de la population américaine ne voit pas en quoi c’est un problème, puisque le Christ reviendra dans quelques décennies. Environ le même pourcentage pense que le monde a été créé il y a quelques milliers d’années. Si la science entre en conflit avec la Bible, tant pis pour la science. Il serait difficile de trouver une situation analogue dans d’autres sociétés.

Le Parti Démocrate a abandonné toute réelle préoccupation pour les travailleurs dans les années 1970, et ils ont donc été attirés dans les rangs de leurs ennemis de classe, qui au moins prétendent parler leur langue : le style folk de Reagan de faire de petites blagues tout en mangeant des haricots, l’image soigneusement cultivée par George W. Bush d’un type normal que vous pourriez rencontrer dans un bar, qui a aimé couper des broussailles sur le ranch par une température de 40 degrés, et ses erreurs de prononciation probablement simulées. (Il est peu probable qu’il ait parlé comme ça à Yale). Et maintenant Trump, qui donne la parole aux gens qui ont des griefs légitimes : des gens qui ont perdu non seulement leur emploi, mais aussi le sentiment d’estime de soi, et qui se défendent contre le gouvernement qu’ils perçoivent comme ayant détruit leur vie (non sans raison).

L’une des grandes réalisations du système doctrinal a été de détourner la colère du secteur des entreprises vers le gouvernement qui met en œuvre les programmes que le secteur des entreprises conçoit, comme les ententes de protection des entreprises et des droits des investisseurs, qui sont uniformément décrites comme “Accords commerciaux” dans les médias. Avec tous ses défauts, le gouvernement est, dans une certaine mesure, sous influence et contrôle populaire, contrairement au secteur des entreprises. Il est très avantageux pour le monde des affaires d’entretenir la haine pour les bureaucrates gouvernementaux à lunettes et de chasser de l’esprit des gens l’idée subversive que le gouvernement pourrait devenir un instrument de la volonté populaire, un gouvernement par et pour le peuple.

Trump représente-t-il un nouveau mouvement dans la politique américaine ou le résultat de cette élection est-il essentiellement un rejet d’Hillary Clinton par les électeurs qui détestent les Clinton et qui en ont marre de la « politique habituelle » ?

Ce n’est pas nouveau. Les deux partis politiques se sont déplacés vers la droite pendant la période néolibérale. Les néo-démocrates d’aujourd’hui sont à peu près ce qu’on appelait les « républicains modérés ». La « révolution politique » que Bernie Sanders appelait, à juste titre, n’aurait pas grandement surpris Dwight Eisenhower. Les républicains se sont tellement orientés vers le dévouement aux riches et au secteur des entreprises qu’ils ne peuvent espérer obtenir de votes sur leurs programmes actuels. Ils se sont tournés vers la mobilisation de secteurs de la population qui ont toujours été présents, mais pas comme force de coalition politique organisée : les évangéliques, les nativistes, les racistes et les victimes des formes de mondialisation conçues pour faire travailler les travailleurs du monde entier en concurrence les uns avec les autres. Le tout en protégeant les privilégiés et en sapant les mesures légales et autres assurant une protection aux travailleurs avec des moyens d’influencer la prise de décision dans les secteurs publics et privés étroitement liés, notamment avec des syndicats efficaces.

Les conséquences ont été évidentes dans les récentes primaires républicaines. Tous les candidats issus de la base, comme Michele Bachmann, Herman Cain ou Rick Santorum, ont été si extrêmes que l’establishment républicain a dû utiliser ses vastes ressources pour les battre. La différence en 2016 est que l’establishment a échoué, à son grand désarroi, comme nous l’avons vu.

A tort ou à raison, Clinton était l’incarnation des politiques craintes et haïes, alors que Trump a été perçu comme le symbole du « changement ». Un changement de ce genre exige un examen attentif de ses propositions réelles, quelque chose qui a grandement manqué dans ce qui a été porté à la connaissance du public. La campagne elle-même a été remarquable en évitant les questions, et les commentaires des médias se sont généralement conformés à la norme, en restant au plus près du concept selon lequel la véritable « objectivité » signifie signaler exactement ce qui est « dans le cadre », sans s’aventurer au-delà.

Trump a déclaré à la suite du résultat de l’élection qu’il « représentera tous les Américains ». Comment va-t-il le faire alors que la nation est si divisée et qu’il a déjà exprimé une haine profonde pour de nombreux groupes aux États-Unis, y compris les femmes et les minorités ? Voyez-vous une ressemblance entre le Brexit et la victoire de Donald Trump ?

Il y a des similitudes avec le Brexit, mais aussi avec la montée des partis ultra-nationalistes d’extrême droite en Europe, dont les dirigeants ont vite félicité Trump pour sa victoire, car ils le perçoivent comme un des leurs : Nigel Farage, Marine Le Pen, Viktor Orban et d’autres comme eux. Et ces développements sont assez effrayants. Un regard sur les sondages en Autriche et en Allemagne – l’Autriche et l’Allemagne – ne peut manquer d’évoquer des souvenirs désagréables pour ceux qui sont familiers avec les années 1930, encore plus pour ceux qui ont observé directement, comme je l’ai fait étant enfant. Je me souviens encore avoir écouté les discours d’Hitler, ne comprenant pas les mots, bien que le ton et la réaction de l’auditoire étaient assez effrayants. Le premier article dont je me souviens était en février 1939, après la chute de Barcelone, sur la propagation apparemment inexorable de la peste fasciste. Et par étrange coïncidence, c’est de Barcelone que ma femme et moi avons regardé les résultats de l’élection présidentielle américaine de 2016.

Quant à la façon dont Trump va gérer ce qu’il a apporté – non créé, mais mis en avant – nous ne pouvons pas en dire plus. Peut-être que sa caractéristique la plus frappante est l’imprévisibilité. Beaucoup de choses vont dépendre des réactions de ceux qui ont été consternés par sa performance et les visions de sociétés qu’il a projetées, telles qu’elles sont.

Trump n’a pas de posture identifiable sur les problèmes économiques, sociaux et politiques, cependant il y a de claires tendances autoritaires dans son comportement. Donc, n’y a-t-il pas un certain fond de vérité dans ceux qui clament que Trump pourrait représenter l’émergence d’un “fascisme à visage humain” aux États-Unis ?

Pendant de nombreuses années, j’ai écrit et parlé à propos du danger de la montée d’un idéologue honnête et charismatique aux États-Unis, quelqu’un qui pourrait exploiter la peur et la colère qui ont depuis longtemps bouillonné dans une grande partie de la société, et qui pourrait les détourner loin des agents réels de ce malaise vers des cibles vulnérables. Cela pourrait bien conduire à ce que le sociologue Bertram Gross a appelé un « fascisme à visage humain » dans une étude perceptive qu’il avait menée il y a 35 ans. Mais cela exige un idéologue honnête, de type hitlérien, et non pas quelqu’un dont la seule idéologie percevable est lui-même. Les dangers, cependant, ont été réels pendant de nombreuses années, peut-être encore plus à la lumière des forces que Trump a déchaîné.

Avec les Républicains à la Maison Blanche, et contrôlant aussi les deux chambres ainsi que la future composition de la Cour Suprême, à quoi vont ressembler les États-Unis pour au moins les quatre prochaines années ?

Son succès dépend de ses affectations et du cercle de ses conseillers. Les premières indications sont peu attrayantes, pour le dire modérément.

La Cour suprême sera dans les mains des réactionnaires pendant de nombreuses années, avec des conséquences prévisibles. Si Trump suit ses programmes budgétaires selon le modèle de Paul Ryan, il y aura d’énormes avantages pour les très riches, estimés par le Centre de politique fiscale comme une réduction d’impôt de plus de 14% pour le top 0,1% et une réduction substantielle plus généralement à l’extrémité supérieure de l’échelle de revenu, mais avec pratiquement aucun allègement fiscal pour les autres, qui seront également confrontés à de nouvelles lourdes charges. Le correspondant économique du Financial Times, Martin Wolf, écrit : « Les propositions fiscales donneraient d’énormes avantages aux américains déjà riches, comme M. Trump, » tout en laissant les autres le bec dans l’eau, y compris, bien sûr, dans sa circonscription. La réaction immédiate du monde des affaires révèle que Big Pharma, Wall Street, l’industrie militaire, les industries de l’énergie et diverses autres institutions merveilleuses en attendent un avenir très brillant.

Un point positif pourrait être le programme d’infrastructures qu’a promis Trump (avec son lot de discussions et de commentaires), qui dissimule le fait que c’est essentiellement le programme de relance d’Obama qui aurait été très bénéfique pour l’économie et la société en général, mais qui a été enterré par le Congrès républicain sous prétexte qu’il allait faire exploser le déficit. Bien que cette accusation fût fausse à l’époque, étant donné que les taux d’intérêt étaient très bas, c’est un atout pour Trump, qui a repris ce programme en le complétant par des réductions d’impôts radicales pour les riches et le secteur des entreprises, et par des augmentations des dépenses accordées au Pentagone.

Il y a cependant une échappatoire, fournie par Dick Cheney quand il explique au secrétaire du Trésor de Bush que “Reagan a prouvé que les déficits n’ont pas d’importance,” signifiant que les déficits que nous, Républicains, créons dans le but de gagner en popularité, laissons quelqu’un d’autre, de préférence les Démocrates, réparer les pots cassés. Cette technique pourrait marcher, pendant un moment au moins.

Il y a également de nombreuses questions, au sujet des conséquences en termes de politique étrangère, qui restent sans réponse.

Il existe une admiration mutuelle entre Trump et Poutine. Quelle probabilité a-t-on de voir s’ouvrir une nouvelle ère dans les relations USA-Russie ?

Une perspective encourageante pourrait être une réduction des très dangereuses tensions croissantes à la frontière russe : notez “la frontière russe” et pas la frontière mexicaine. C’est donc un sujet que nous ne pouvons pas aborder ici. Il est également possible que l’Europe s’éloigne de l’Amérique de Trump, comme l’ont déjà suggéré la chancelière [Angela] Merkel et d’autres dirigeants européens, et la voix britannique du pouvoir américain, après le Brexit. Cela pourrait éventuellement conduire à des efforts européens pour désamorcer les tensions et peut-être même des efforts pour aller vers quelque chose similaire à la vision de Mikhaïl Gorbatchev d’un système intégré de sécurité eurasienne sans alliances militaires, rejeté par les États-Unis en faveur de l’expansion de l’OTAN, une vision remise au goût du jour par Poutine, proposition sérieuse ou non, nous ne le savons pas, puisque le geste a été ignoré.

La politique étrangère des États-Unis sous l’administration Trump a-t-elle toutes les chances d’être plus ou moins militariste que ce que nous avons vu sous l’administration Obama, ou même sous l’administration de George W. Bush ?

Je ne pense pas que quiconque puisse répondre à cette question avec certitude. Trump est trop imprévisible. Il reste trop de questions ouvertes. Ce que nous pouvons dire est que la mobilisation populaire et l’activisme, correctement organisés et menés, peuvent faire une grande différence.

Et nous devons garder à l’esprit que les enjeux sont très importants.

C.J. Polychroniou est un économiste politique et politologue qui a enseigné et travaillé au sein d’universités et de centres de recherche en Europe et aux États-Unis.

Source : Truthout, le 14/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Pour les passionnés de Noam Chomsky, il reste quelques places (inscriptions ici)…

apero

Source: http://www.les-crises.fr/trump-a-la-maison-blanche-une-interview-de-noam-chomsky/


Chris Hedges : C’est avec une violence et une sauvagerie encore plus grandes que vous n’imaginez que Trump écrasera toute contestation

Tuesday 6 December 2016 at 01:40

Source : The Real News Network, le 10/11/2016

D’après le journaliste lauréat du prix Pulitzer, les outils de répression propres à l’État qui vont finir entre les mains de l’administration Trump ont été élaborés à la fois par les Républicains et par les Démocrates.

PERIES : Chris Hedges nous rejoint à présent pour parler de tout cela. Chris est un journaliste qui a reçu le prix Pulizer. Il contribue activement à Truthdig et à Alternet. Il a dirigé la section Moyen-Orient au sein du New York Times. Il a également réalisé de nombreux reportages depuis le Moyen-Orient. Chris, c’est un plaisir de vous avoir de nouveau parmi nous.

CHRIS HEDGES : Merci.

PERIES : Chris, que pensez-vous de ce que nous venons de diffuser à propos de Newt Gingrich et qu’est-ce que cela laisse augurer pour nous en termes de mise en œuvre du NDAA (National Defense Authorization Act) dans notre pays?

HEGES: Eh bien, l’article 1021 du NDAA, qui a été signé par Obama à la mi 2011, permet tout simplement au gouvernement de mener des actions extrêmement floues sur le sol américain et à l’encontre de citoyens américains pour peu que, je cite : « ces personnes offrent un soutien substantiel », quoi que cela veuille bien dire, à al-Qaïda, aux Talibans, ou quoi que ce soit d’autre d’appelé forces associées ou un terme nébuleux de ce genre. Le principe de cette procédure officielle leur permet de les conserver emprisonnés indéfiniment dans des centres de détention militaires, y compris dans ceux que nous possédons à l’étranger, tel Guantanamo ou ailleurs.

Cet article a été revoté chaque année. Je suis allé au Southern Disrict Court de New York (Tribunal du district sud de New York) et j’ai intenté une procédure contre Obama. Nous avons gagné. Nous sommes allés en cour d’appel où le droit d’agir en justice m’a été refusé, en clair, on m’a refusé le droit d’intenter un procès. Nous avons fait une pétition à la Cour suprême pour leur demander une audience et on nous a aussi refusé le droit d’intenter un procès. Tout ceci est donc sanctuarisé. Pendant ces deux ans de bataille judicaire, les avocats Carl Mayer et Bruce Afran ont approché les responsables qui gravitent autour de Nancy Pelosi [chef de la minorité démocrate à la Chambre des représentants, NdT] et leur ont dit, parce que l’article doit être voté chaque année, que tout ce qu’ils avaient à faire, c’était d’indiquer que cet article n’était pas applicable aux citoyens étatsuniens et alors nous laisserions tomber. Bien sûr, ils n’en ont rien fait parce que cet article s’applique effectivement aux citoyens étatsuniens. Il a été rédigé pour museler les citoyens étatsuniens en cas d’agitation. Il a annulé le Posse Comitatus Act de 1878 qui interdit à l’armée d’agir comme force de police à l’intérieur du pays.

Pourquoi ? Parce que le changement climatique, le démantèlement économique, les élites au pouvoir, tous sentent bien qu’une agitation de grande ampleur est fort possible, et ils ont envie d’utiliser l’armée pour écraser les fauteurs de trouble. En promulguant cette loi, Obama a déclaré qu’il ne s’en servirait pas, qu’il ne lui donnait pas de pouvoir légal, qu’elle n’avait pas d’importance légale, et qu’il pourrait l’employer s’il le voulait Toutefois, dans une déclaration, il a dit que non, il ne s’en servirait pas. Nous avons vu la majeure partie de nos droits constitutionnels, y compris notre droit au respect de la vie privée, annulée par un décret judiciaire. Le caractère illimité des donations aux campagnes électorales du monde des affaires devient, grâce à Citizens United, le droit de signer une pétition adressée au gouvernement, une forme de liberté d’expression. Voilà qui marque la fin des notions traditionnelles de droits constitutionnels, de l’habeas corpus, d’une procédure judiciaire régulière, voilà tout ce qui nous a été enlevé avec l’article 1021.

Et cet arsenal judiciaire est couplé avec l’appareil de sécurité et de surveillance le plus sophistiqué de l’histoire. Et quand ceci est dans les mains de personnages comme Donald Trump, Rudy Giuliani, John Bulton et les autres… Et vu ce à quoi je m’attends, il va y avoir une réaction sismique à l’incompétence et à l’incapacité de la présidence Trump de répondre aux problèmes les plus urgents auxquels sont confrontés la majorité des Américains. Ils utiliseront tous les outils à leur disposition. Et ce sont les Partis démocrate et républicain qui leur ont donné ces outils. C’est quelque chose dont tous ceux d’entre nous, avec Ralph Nader peut-être à l’avant-poste, qui avons combattu l’érosion judiciaire de nos libertés civiques, avons averti depuis un moment, et maintenant, c’est là.

PERIES : On peut, bien sûr, protester contre Trump, mais il y a beaucoup de gens dehors là pour qui la seule façon de protester vraiment contre Trump est de le faire dans la rue, et nous avons vu beaucoup de manifestations hier soir. Comme vous êtes l’auteur d’un livre très célèbre « Jours de destruction, jours de révolte », que doivent faire les militants et ceux qui résistent à Trump à propos de ce genre de situations que nous avons évoqué ?

HEDGES : Ouais, le seul outil qui nous reste, c’est la désobéissance civile. Mais on ne va pas prétendre que la démocratie est morte le 8 novembre. Il y a un moment déjà que nous ne vivons plus en démocratie. Il ne reste pas d’institutions qui puissent légitimement passer pour démocratiques, elles sont essentiellement contrôlées par le monde des affaires, de la finance, les médias, les universitaires, l’establishment politique. Alors la désobéissance civile, comme on l’a vu avant. Mais la différence, c’est que l’État, sous une administration Trump, va réagir encore plus violemment, et on pourrait même dire plus sauvagement. À mon avis, vous avez eu un aperçu de tout ça dans le clip de Newt Gingrich. Tous ceux qui ne seront pas d’accord seront considérés comme des traîtres, peut-être des terroristes. Ils seront certainement diabolisés par l’administration Trump dans des médias soumis. Alors, je pense, oui que c’est la réaction. Malheureusement, c’était la réponse et en réponse, nous aurions dû quitter la politique classique depuis longtemps, alors nous n’aurions pas fini comme maintenant sous la coupe d’une administration qui va dépasser la Russie en ce qui concerne les restrictions légales des droits constitutionnels.

Source : The Real News Network, le 10/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

trump-violence

Source: http://www.les-crises.fr/chris-hedges-cest-avec-une-violence-et-une-sauvagerie-encore-plus-grandes-que-vous-nimaginez-que-trump-ecrasera-toute-contestation/


Steve Bannon, responsable des domaines stratégiques du Président élu “Un mouvement politique entièrement nouveau”

Tuesday 6 December 2016 at 01:35

Voici une interview Steve Bannon, conseiller de Trump, dont la nomination a fait scandale en raison de ses nombreuses déclarations de “droite dure”.

Source : The Hollywood Reporter, le 18/11/2016

Par Michael Wolff le 18/11/2016

Chip Somodevilla/Getty Images Steve Bannon

Chip Somodevilla/Getty Images

Steve Bannon

“Je ne suis pas un nationaliste pro-blanc. Je suis un nationaliste. Je suis un nationaliste économique,” déclare Bannon au chroniqueur de THR media Michael Wolff, alors que le chef controversé de Breitbart News devenu conseiller à la Maison-Blanche se déchaine contre Hillary Clinton, Fox News et ses détracteurs.

À la fin de l’été, lorsque je suis allé voir Steve Bannon, récemment nommé directeur de la campagne présidentielle de Donald Trump, dans son bureau de la Trump Tower à New York, il m’a révélé un scénario qui semblait absurde. Trump, disait-il, créerait la surprise en affichant un grand succès auprès des femmes, des hispaniques et des Afro-Américains, en plus des travailleurs, et partant de là prendrait la Floride, l’Ohio, la Pennsylvanie et le Michigan – et par conséquent l’élection présidentielle. Le 15 novembre, lorsque je suis retourné à la Trump Tower, Bannon, promu par le président élu à un poste de stratège en chef de la nouvelle administration, et par les médias comme le symbole officiel de toutes les choses haineuses et virulentes au sujet de la prochaine présidence Trump, me dit tout bonnement comme il m’avait joué son scénario la première fois : « Je vous l’avais dit. »

Le pare-feu libéral contre Trump était principalement basé sur la croyance que le candidat républicain était trop désorganisé, bizarre, outrancier et dépourvu de finesse pour mener une campagne politique de qualité. Ce point de vue n’a été confirmé que lorsque Bannon, rédacteur en chef du brutal et grossier média Breitbart News Network, a pris la relève en août. Maintenant, Bannon est sans doute la personne la plus puissante de la nouvelle équipe de la Maison-Blanche, incarnant plus que quiconque la souffrance existentielle et la fureur des libéraux : Comment quelqu’un d’aussi faux – non seulement faux, mais inopportun, mal embouché et « répugnant », selon le New York Times – peut-il légitimement gagner une telle place ?

Dans ces jours sombres pour les démocrates, Bannon est devenu le plus grand trou noir.

“L’obscurité est bonne,” nous dit Bannon, qui ressemble à un étudiant de Master en T-Shirt, chemise ouverte et vieille veste bleu défraichie au milieu des costumes cravates qui l’entourent à la Tour Trump, mais un étudiant de Master de 62 ans. “Dick Cheney. Dark Vador. Satan. C’est le pouvoir. Cela nous aide seulement lorsqu’ils” – je pense que par “ils” il désigne la gauche et les médias, qui font déjà campagne pour son renvoi – “se trompent. Lorsqu’ils sont aveugles à ce que nous sommes et ce que nous faisons.”

Sur ce point précis, le New York Times, dans un article largement diffusé, décrira cette journée à la Trump Tower comme une scène de “désordre” pour l’équipe chargée de la transition. En fait, tout le monde est à pied d’œuvre : Mike Pence, le vice-président élu et chef de la transition, ainsi que Reince Priebus, le nouveau chief of staff [équivalent du directeur de cabinet, NdT], font la navette entre des salles de réunion pleines ; Jared Kusner, le beau-fils de Trump et selon de nombreuses sources son plus proche conseiller, fait des déclarations dans les halls ; le sénateur Jeff Sessions enchaine les réunions à l’étage occupé par l’équipe de transition ; Rudy Giuliana est plus haut avec Trump (entendu dans les couloirs : “est-ce que le chef est sérieusement en réunion avec Rudy ou est ce qu’ils discutent juste le bout de gras ?”), et Bannon avec une longue file d’hommes et de femmes à l’extérieur de son bureau dans le coin. S’il s’agit de désordre, il est singulièrement concentré et organisé.

C’est le thème de Bannon, la myopie des médias – qui racontent uniquement les histoires qui confortent leurs opinions, et qui en définitive furent incapables de voir un résultat alternatif et de réaliser une vraie évaluation des risques pesant sur les variables politiques – alimentant la propre myopie politique du camp d’Hillary Clinton. C’est la définition des réalités parallèles dans lesquelles les gens de gauche, dans leur propre vision d’eux même, représentaient une catégorie moralement supérieure tandis que Bannon – dépeint sur Twitter comme un voyou nationaliste pro-blanc, raciste et antisémite – était la perversion ultime du Trumpisme.

L’accent mis sur Bannon, mais pas nécessairement la description qui en est faite, est justifié. Il est l’homme avec l’idée. Si le Trumpisme doit représenter quelque chose d’intellectuellement et d’historiquement cohérent, c’est le rôle de Bannon de le faire. Dans cette optique, il ne pourrait pas être une figure moins rassurante et déroutante pour la gauche – furieusement intelligent et pourtant à l’extrême opposé de toutes ses théories et ses totems [voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Shibboleth, NdT]. Enfant de la classe ouvrière, il s’enrôle dans la marine après le lycée, obtient un diplôme à Virginia Tech, puis Georgetown, et ensuite Harvard Business School. Ensuite c’est Goldman Sachs, puis il devient homme d’affaires et entrepreneur à Hollywood – où il obtiendra une juteuse partie des royalties de Seinfeld [série télévisée à succès] dans une bataille improbable et très chanceuse, ce qui lui assurera une petite fortune personnelle – puis dans l’autre monde des grandes théories du complot et des médias conservateurs de droite.

Ce qu’il semble avoir conservé de sa jeunesse de petit garçon dans une famille ouvrière, syndiquée et démocrate de Norfolk, en Virginie, et de son voyage au sein de l’establishment américain est un sens brut de conscience de classe, si ce n’est pas d’amertume ou de trahison. Le Parti Démocrate a trahi ses racines ouvrières, de la même façon qu’Hillary Clinton a trahi la connexion de longue date des Clinton – celle de Bill – avec la classe ouvrière. “La force des Clinton,” dit-il, “était de parler aux gens qui ne sont pas allés à l’université. Les gens qui se sont arrêtés au lycée. C’est comme cela que vous gagnez les élections.” Et, de manière similaire, le parti Républicain a fini par trahir sa base électorale ouvrière acquise sous Reagan. En somme, la classe ouvrière a été trahie par l’establishment, ou ceux qu’elle rejette comme la “classe des donneurs”.

Dire qu’il voit cette classe des donneurs – qui est aussi dans ses discours “l’Amérique ascendante”, c’est à dire les élites, aussi bien que la “bulle métrosexuelle” qui englobe les sensibilités cosmopolites qu’on retrouve largement à Shanghai, dans le quartier de Chelsea à Londres, à Hollywood et dans l’Upper West Side [quartier huppé de New York, NdT] – un monde à part, est un euphémisme. A ses yeux, il y a à peine un lien entre ce monde et son opposé – l’Amérique que l’on survole [fly-over America : les États du centre que les populations urbaines des grandes villes ne voit que depuis l’avion quand elle vole d’une côte à l’autre, NdT], l’Amérique laissée pour compte, l’Amérique qui s’enfonce – à peine une langue commune. C’est en partie pour cela qu’il considère le portrait que la gauche fait de lui comme quelqu’un de socialement abominable, comme le diable incarné du politiquement incorrect, est risible – et pourquoi il ne montre résolument aucun regret. Ils – la gauche et les médias – ne comprennent pas ce qu’il dit, ni pourquoi, ni à qui. Breitbart, avec ses provocations coutumières – la liste de ses diverses bravades (parmi elles : l’auteur conservateur David Horowitz a appelé le militant conservateur Brill Kristol un “juif renégat”, ou encore le site se délectant de unes telles que “un taux de séropositivité 49 fois plus élevé chez les travelos” et “la contraception rend les femmes folles et peu séduisantes”) était largement partagée après l’élection parmi les démocrates consternés – est un site aussi opaque pour la classe de donneurs mondialistes de gauche que peut l’être Lena Dunham [créatrice et actrice d’une série télévisée féministe sur HBO, NdT] pour les classes ouvrières sans emploi. Et tout ceci renvoie aux yeux de Bannon à la profonde incompréhension qui a conduit la gauche à croire que la bouche de Donald Trump le condamnerait, au lieu de le faire élire.

Bannon est peut-être une des personnes les plus engagée dans la grande fracture américaine, et une de ceux qui l’ont vu le plus clairement.

Il rejette en bloc, et de manière moqueuse, l’idée qu’il s’agirait d’une fracture raciale. “Je ne suis pas un nationaliste pro-blanc, je suis un nationaliste. Je suis un nationaliste économique,” me dit-il. “Les mondialistes ont dépecé la classe ouvrière américaine et ont créé une classe moyenne en Asie. Le problème est désormais pour les Américains de ne pas se faire enc***. Si nous y arrivons” – par “nous” il entend l’administration Trump – “nous obtiendrons 60% du vote blanc, et 40% du vote noir et hispanique et nous gouvernerons pendant 50 ans. C’est ce que les Démocrates n’ont pas compris. Ils parlaient à ces gens qui ont des entreprises avec une capitalisation boursière de 9 milliards de dollars et emploient 9 personnes. Ce n’est pas la réalité. Ils ont perdu de vue ce dont le monde était vraiment fait.”

Dans une administration naissante aux convictions apparemment aléatoires, Bannon peut sembler ne pas être une voix claire, mais presque une voix messianique :

“Comme le populisme de [Andrew] Jackson, nous allons construire un mouvement politique complètement neuf,” annonce-t-il. “Tout a trait à l’emploi. Les conservateurs vont devenir fous. Je suis celui qui milite pour un plan d’infrastructure de mille milliards de dollars. Avec des taux d’intérêt négatifs partout dans le monde, c’est la plus grande chance de tout reconstruire. Les chantiers navals, la sidérurgie, mettez-les sous stéroïdes. Nous allons juste tout mettre sur le feu et voir si la sauce prend. Ce sera aussi excitant que dans les années 30, plus fort que la révolution de Reagan – les conservateurs et les populistes, c’est un mouvement de nationalisme économique.”

Bannon représente, croit-il raisonnablement, la chute de l’establishment. Les opinions auto-satisfaites, consanguines et homogènes de l’establishment sont à la fois ce qu’il combat et ce qui a constitué la faille nécessaire à la révolution Trump. “La bulle médiatique est le symbole ultime de ce qui ne va pas dans ce pays,” enchaine-t-il. “C’est juste un cercle de gens qui se parlent entre eux et n’a aucune putain d’idée de ce qui se passe. Si le New York Times n’existait pas, CNN et MSNBC seraient hors service. Le Huffington Post et tout le reste se basent sur le New York Times. C’est un cercle fermé d’information dans lequel Hillary Clinton a puisé toutes ses informations, et sa confiance. C’était notre opportunité.”

À ce moment-là, alors que nous discutons, on frappe à la porte du bureau de Bannon, un espace provisoire de cadre moyen, impersonnel, avec un fouillis de chaises pour de perpétuelles réunions impromptues. Le sénateur Ted Cruz, anciennement le feu-follet républicain, devenu maintenant une petite figure sans envergure, a attendu patiemment pour une discussion, et Bannon s’excuse pendant un court instant. Il est clair que lorsque nous revenons à notre conversation que ce n’est pas seulement de l’institution libérale que Bannon croit avoir triomphé, mais aussi du parti conservateur, et surtout de Fox News et de ses propriétaires, les Murdochs. « Ils ont eu plus mal que quiconque, » dit-il. « Rupert est un globaliste et n’a jamais compris Trump. Pour lui, Trump est un radical. Maintenant, ils vont aller vers le centre pour construire le réseau autour de Megyn Kelly.” Bannon raconte, sans ironie, que lorsque Breitbart a attaqué Kelly après ses défis contre Trump dans le débat républicain initial, le chef de Fox News Roger Ailes – que Bannon décrit comme un mentor important, et que les accusations de Kelly de harcèlement sexuel aideront à faire tomber en juillet – a appelé à la défendre. Bannon dit qu’il a mis en garde Ailes que Kelly serait encline à le faire basculer aussi.

Il est moins évident de savoir comment Bannon, à l’heure actuelle le cerveau stratégique officiel de l’opération Trump, se synchronise avec son patron ayant la réputation de ne pas être spécialement stratégique. Lorsque Bannon a récupéré la campagne en cours de Paul Manafort, il y en avait beaucoup dans l’entourage de Trump qui s’étaient résignés à l’évidence que le candidat n’écoutait personne. Mais, ici aussi, ça a été une trouvaille de Bannon : Quand la campagne semblait le plus en roue libre ou dans le désarroi, c’est là qu’il était peut-être le plus dans le vrai. Alors que Clinton a été largement absente de la campagne électorale, tout en se concentrant sur la cour à ses donateurs, Trump — même après la révélation audio du jeu de mot “prendre-par-la-chatte” — parlait à une foule sans cesse croissante de 35 000 ou 40 000 personnes. “Il la prend ; il s’en saisit intuitivement,” dit Bannon, peut-être encore surpris d’avoir dégoté une embarcation aussi idéale. “Vous avez probablement le plus grand orateur depuis William Jennings Bryan, couplé avec un discours économique populaire et deux partis politiques qui sont tellement détenus par leurs donateurs qu’ils ne s’adressent plus à leur public. Mais il parle d’une façon simple, non politisée, il communique avec ces personnes en parlant avec ses tripes. Personne dans le parti Démocrate n’a écouté ses discours, de sorte qu’ils n’avaient aucune idée du côté convainquant et puissant du message économique qui a été délivré. Il est arrivé en retard de 3 heures et demi dans le Michigan, à une heure du matin, il y avait 35 000 personnes qui attendaient dans le froid. Quand ils ont reçu [Clinton] dans la tournée des donateurs, elle est allée à la Temple University et ils ont attiré 300 ou 400 enfants.”

En effet, pendant les pires jours de la campagne, jusque dans les derniers jours quand la plupart dans l’entourage de Trump pensaient que seul un miracle pourrait les sauver, “je savais qu’elle ne pourrait pas se terminer comme ça. – Ils nous avaient coté à 10 contre 1, ils avaient dix fois plus de personnel et disposaient de tous les médias avec eux, mais j’ai continué en disant que ça n’avait pas d’importance, ils ont eu tout faux, nous les avons bien eus.”

Bannon fait maintenant partie d’une structure politique à deux têtes de la Maison-Blanche, avec Reince Priebus – dans et hors du bureau de Bannon comme nous discutons – en tant que chef d’état-major, chargé de faire arriver les trains à l’heure, faisant des rapports au président, et Bannon en tant que stratège en chef, en charge de la vision, des objectifs, de la composition et du plan d’attaque, rendant compte au président de la même façon. Ajoutez à cela les ambitions et les caprices du président lui-même, et les circonstances nouvelles de celui qui n’a jamais occupé de fonctions électives, l’agenda de sa famille très influente et les soubresauts d’un parti dont des factions importantes lui étaient hostiles, et vous vous retrouvez avec une quasi cour de tribunal à laquelle Bannon devra tout en finesse imposer le règne de l’homme du labeur avec mille milliard de dollars de dépenses nouvelles.

“Je suis,” dit-il avec délectation, “Thomas Cromwell à la cour des Tudors.”

Source : The Hollywood Reporter, le 18/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/steve-bannon-responsable-des-domaines-strategiques-du-president-elu/


Donald Trump s’est battu pour faire accepter les juifs et les noirs au golf de Palm Beach dans les années 1990

Monday 5 December 2016 at 01:00

Pour s’ouvrir l’esprit, aujourd’hui une série d’avis sur des points positifs de Trump qui ont été peu mis en avant ; et demain une analyse négative sur lui…

Source : Impulse Today, le 17/03/2016

Par Derek Flynn, le 17 mars 2016

Donald Trump

Donald Trump

En juillet 2015, l’auteur Ronald Kessler a été interviewé par Newsmax au sujet des pratiques entrepreneuriales du candidat présidentiel du Parti Républicain, Donald Trump, en ce qui concerne la construction d’un parcours de golf dans le sud.

“Quand Donald a ouvert son club à Palm Beach appelé Mar-a-Lago, il a insisté sur l’accueil des juifs et des noirs, même si d’autres clubs à Palm Beach jusqu’à ce jour les discriminaient,” a déclaré Kessler. “La vieille garde de Palm Beach a été indignée que Donald accepte les noirs et les juifs, de sorte que c’est le vrai Donald Trump que je connais.”

Dans les années 1990, le magnat de l’immobilier a été confronté à un problème en essayant d’obtenir l’approbation de son terrain de golf par le conseil municipal de Palm Beach parce qu’ils imposaient des restrictions à son offre. Cela a obligé Trump à se battre avec beaucoup plus d’intensité.

Voici ce que Rosalind Helderman et Mary Jordan du Washington Post ont rapporté le 14 novembre 2015 :

“Trump a contredit ses adversaires en attaquant violemment, affirmant que les notables locaux semblaient accepter des clubs privés installés dans la ville qui avaient exclu les juifs et les noirs pendant qu’ils imposaient des règles sévères au sien.”

Voici un extrait du rapport du Washington Post :

“L’avocat de Trump a envoyé à chaque membre du conseil municipal des copies de deux films classiques sur la discrimination : « Un accord de gentleman », sur un journaliste qui prétend être juif pour dénoncer l’antisémitisme, et « Devinez qui vient dîner » sur la réaction d’un couple blanc à leur fille apportant à la maison un fiancé noir.”

La ségrégation dans tous les clubs privés réservés aux blancs dans le Sud avait été monnaie courante et beaucoup d’hommes d’affaires auraient détourné le regard. Mais Trump a poussé à l’abolition de la ségrégation dans le complexe de golf, ce qui a mené à sa victoire.

Peu de temps après, les restrictions locales avaient été levées sur le complexe et c’est maintenant un terrain de golf ouvert à tous les amateurs et aux licenciés.

Trump est fier de cette réussite, dont il a parlé dans une interview en 2015.

« Qu’ils m’aiment ou non, tout le monde s’accorde à dire que l’endroit le plus magnifique et le plus important de Palm Beach est le Mar-a-Lago, » a déclaré Trump. « J’ai pris cet excellent endroit, je l’ai rendu extraordinaire et je l’ai ouvert principalement aux gens de Palm Beach. Le fait qu’il m’appartienne a rendu beaucoup plus facile l’entente avec les institutions de Palm Beach. »

Pendant ce temps, en 1997, Abraham Foxman a fait l’éloge de Trump qui a soulevé la question de la révélation de la discrimination dans les clubs privés du pays. Foxman était le président de l’Anti-Defamation League à l’époque. Il a dit ce qui suit au Wall Street Journal :

“Il a mis en lumière Palm Beach. Pas sur la beauté et le scintillement, mais sur son côté sordide de la discrimination. Il y a eu un impact.” Foxman a félicité Trump pour ce qu’il a fait et pour encourager d’autres clubs privés de Palm Beach à abolir la ségrégation au sein de leurs complexes de la même façon.

Ceci est un exemple du vrai Trump. Il luttait contre les discriminations avant de se présenter aux élections en demandant aux autorités locales une planification de la remise en cause de leurs politiques discriminatoires. Trump était déterminé à faire de grands changements et il a mis toutes les chances de son côté.

Ainsi, lorsqu’un journaliste a interrogé Trump à propos du soutien affiché de David Duke lors d’une conférence de presse le 26 février 2016, Trump l’a désavoué.

« Je ne savais même pas qu’il me soutenait. David Duke m’a appuyé ? Très bien, je désavoue, OK, » a déclaré Trump lors de la conférence de presse. Puis il passa rapidement à d’autres questions.

Trump a également désavoué David Duke six mois avant la conférence de presse.

L’histoire ne s’est pourtant pas terminée là. Lorsque Trump a été interviewé par Jake Tapper dans l’émission de CNN « État du Pays », les médias ont attaqué Trump quand ils n’ont pas trouvé sa deuxième réponse satisfaisante.

« Je ne sais rien de David Duke, » dit Trump. « Je ne sais rien de ce dont vous parlez au sujet de la suprématie blanche ou des suprématistes blancs. Je ne sais rien des suprématistes blancs… Vous me posez une question à laquelle je suis censé répondre en parlant de gens dont je ne connais rien. »

Un jour après cette entrevue, Trump est allé sur l’émission de la NBC “The Today Show” où on l’a de nouveau questionné à ce sujet.

“J’ai désavoué David Duke la veille lors d’une grande conférence de presse, et je me dis, combien de fois dois-je continuer à désavouer les gens ?” a déclaré Trump.

« J’ai désavoué David Duke. Maintenant, si vous regardez sur Facebook juste après cela, j’ai également désavoué David Duke. Quand nous l’avons abordé, regardez la question, j’ai désavoué David Duke. Donc, j’ai désavoué David Duke tout le week-end sur Facebook, sur Twitter et évidemment ce n’est jamais assez. C’est ridicule. »

Peut-être que Trump n’a pas été assez éloquent en désavouant David Duke, mais le fait est qu’il a désavoué son soutien de nombreuses fois. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas nui à sa position aux élections primaires, car il a remporté sept états sur onze le mardi suivant.

REGARDEZ :

Source: netrightdaily.com

Source : Impulse Today, le 17/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/donald-trump-sest-battu-pour-faire-accepter-les-juifs-et-les-noirs-au-golf-de-palm-beach-dans-les-annees-1990-par-derek-flynn/