les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

[Vidéo] Syrie Irak Russie – Des langues se délient sur nos TV (E. Guigou panique)

Wednesday 30 November 2016 at 00:01

Encore un beau montage de V. Parlier…

Vu le niveau qui baisse, je pense que bientôt le Monde sera éclipsé de loin par Paris Match...

Source : Youtube, 31-10-2016

capture-decran-2016-11-29-a-11-05-28

Lors d’une émission sur LCP, après 20 minutes réglementaires de Russia bashing, l’un des “alliés” d’Elisabeth Guigou (commission des affaires étrangères) se met soudain à prendre un chemin imprévu… C’est la panique, d’autant plus qu’un autre intervenant assène ensuite le coup de grâce en abordant le problème de Mossoul.

Source : Youtube, 31-10-2016

Source: http://www.les-crises.fr/video-syrie-irak-russie-des-langues-se-delient-sur-nos-tv-e-guigou-panique/


George Orwell : Préface inédite à Animal Farm

Tuesday 29 November 2016 at 01:59

La Ferme des animaux (titre original : Animal Farm. A Fairy Story) est un court roman de George Orwell publié en 1945, bien connu des élèves anglais. Il décrit une ferme dans laquelle les animaux se révoltent, prennent le pouvoir et chassent les hommes. Il s’agit d’une fable animalière par laquelle Orwell propose une satire de la Révolution russe et une critique du régime soviétique, en particulier du stalinisme.

Ce qui est intéressant est que, à l’origine, George Orwell avait écrit une préface dénonçant l’autocensure pratiquée en Angleterre, qui supprimait toute critique de l’Union soviétique, son allié pendant la Seconde Guerre mondiale. « Ce qu’il y a de plus inquiétant dans la censure en Angleterre, c’est qu’elle est pour une bonne part volontaire. … Quiconque a vécu quelque temps dans un pays étranger a pu constater que certaines informations, qui auraient normalement dû faire les gros titres, étaient passées sous silence par la presse anglaise, non en vertu d’une intervention du gouvernement, mais parce qu’il y a eu un accord tacite pour considérer qu’il « ne fallait pas » publier de tels faits. » Texte oh combien d’actualité sur la propagande en Occident…

Le texte de cette préface, rédigé pour la première édition d’Animal Farm (1945), ne fut pas publié à l’époque et ne figure pas dans l’édition anglaise des Essais. Il a été inclus dans l’édition illustrée parue en 1995, à l’occasion du 50. anniversaire de l’ouvrage. (N.d.T.)

==========================================================

Source : Catallaxia

L’idée de ce livre, ou plutôt de son thème central, m’est venue pour la première fois en 1937, mais c’est seulement vers la fin de l’année 1943 que j’ai entrepris de l’écrire. Lorsqu’il fut terminé, il était évident que sa publication n’irait pas sans difficultés (malgré l’actuelle pénurie de livres, qui fait « vendre » à peu près tout ce qui en présente l’apparence) et, de fait, il fut refusé par quatre éditeurs. Seul l’un d’entre eux avait à cela des motifs idéologiques. Deux autres publiaient depuis des années des ouvrages hostiles à la Russie, et le quatrième n’avait aucune orientation politique particulière. L’un de ces éditeurs avait d’ailleurs commencé par accepter le livre, mais il préféra, avant de s’engager formellement, consulter le ministère de l’Information; lequel s’avère l’avoir mis en garde contre une telle publication ou, du moins, la lui avoir fortement déconseillée. Voici un extrait de la lettre de cet éditeur :

J’ai mentionné la réaction dont m’a fait part un fonctionnaire haut placé du ministère de l’Information quant à la publication d’Animal Farm. Je dois avouer que cet avis m’a fait sérieusement réfléchir. […] Je m’aperçois que la publication de ce livre serait à l ‘heure actuelle susceptible d’être tenue pour particulièrement mal avisée. Si cette fable avait pour cible les dictateurs en général et les dictatures dans leur ensemble, sa publication ne poserait aucun problème, mais, à ce que je vois, elle s’inspire si étroitement de l’histoire de la Russie soviétique et de ses deux dictateurs qu’elle ne peut s’appliquer à aucune autre dictature. Autre chose: la fable perdrait de son caractère offensant si la caste dominante n’était pas représentée par les cochons. Je pense que ce choix des cochons pour incarner la caste dirigeante offensera inévitablement beaucoup de gens et, en particulier, ceux qui sont quelque peu susceptibles, comme le sont manifestement les Russes. Ce genre d’intervention constitue un symptôme inquiétant. Il n’est certes pas souhaitable qu’un service gouvernemental exerce une quelconque censure (sauf pour des motifs relevant de la sécurité nationale, comme tout le monde l’admet en temps de guerre) sur des livres dont la publication n’est pas financée par l’Etat. Mais le principal danger qui menace aujourd’hui la liberté de pensée et d’expression n’est pas l’intervention directe du ministère de l’Information ou de tout autre organisme officiel. Si les éditeurs et les directeurs de journaux s’arrangent pour que certains sujets ne soient pas abordés, ce n’est pas par crainte des poursuites judiciaires, mais par crainte de l’opinion publique. La lâcheté intellectuelle est dans notre pays le pire ennemi qu’ait à affronter un écrivain ou un journaliste, et ce fait ne semble pas avoir reçu toute l’attention qu’il mérite. Tout individu de bonne foi, ayant une expérience du journalisme, sera d’accord pour reconnaître qu’au cours de cette guerre la censure officielle ne s’est pas montrée particulièrement tatillonne. On ne nous a pas imposé le genre de « coordination » totalitaire à laquelle nous pouvions raisonnablement nous attendre. La presse a certains griefs légitimes, mais dans l’ensemble le gouvernement a fait preuve d’une tolérance étonnante envers les opinions minoritaires. Ce qu’il y a de plus inquiétant dans la censure des écrits en Angleterre, c’est qu’elle est pour une bonne part volontaire. Les idées impopulaires peuvent être étouffées et les faits gênants passés sous silence, sans qu’il soit besoin pour cela d’une interdiction officielle.

Quiconque a vécu quelque temps dans un pays étranger a pu constater comment certaines informations, qui normalement auraient dû faire les gros titres, étaient ignorées par la presse anglaise, non à la suite d’une intervention du gouvernement, mais parce qu’il y avait eu un accord tacite pour considérer qu’il « ne fallait pas » publier de tels faits. En ce qui concerne la presse quotidienne, cela n’a rien d’étonnant. La presse anglaise est très centralisée et appartient dans sa quasi-totalité à quelques hommes très fortunés qui ont toutes les raisons de se montrer malhonnêtes sur certains sujets importants. Mais le même genre de censure voilée est également à l’ oeuvre quand il s’agit de livres et de périodiques, ou encore de pièces de théâtre, de films ou d’émissions de radio. Il y a en permanence une orthodoxie, un ensemble d’ idées que les bien-pensants sont supposes partager et ne jamais remettre en questIon. Dire telle ou telle chose n’est pas strictement interdit, mais cela « ne se fait pas », exactement comme à l’époque victorienne cela « ne se faisait pas » de prononcer le mot « pantalon » en présence d’une dame. Quiconque défie l’orthodoxie en place se voit réduit au silence avec une surprenante efficacité. Une opinion qui va à l’encontre de la mode du moment aura le plus grand mal à se faire entendre, que ce soit dans la presse populaire ou dans les périodiques destinés aux intellectuels.

Ce qu’exige à l’heure actuelle l’orthodoxie en place, c’est une admiration sans réserve pour la Russie. Tout le monde le sait, et presque tout le monde s’y plie. Il est pratiquement impossible de faire imprimer aucune critique sérieuse du régime soviétique, ni aucune information que le gouvernement soviétique préférerait occulter. Et cette conspiration à l’échelle de tout le pays pour flatter l’allié russe se déroule dans le climat général de réelle tolérance intellectuelle. Car si nous n’avons pas le droit de critiquer le gouvernement soviétique, nous sommes du moins à peu près libres de critiquer le nôtre. Il n’y aura presque personne pour publier un texte contre Staline, mais on peut s’en prendre à Churchill en toute sécurité, du moins dans un livre ou un périodique. Et tout au long de ces cinq années de guerre, dont deux ou trois où nous avons combattu pour la survie de notre pays, d’innombrables livres, brochures et articles favorables à une paix de compromis ont été publiés sans que la censure officielle n’intervienne et sans même que cela suscite tellement d’hostilité. Tant que le prestige de l’U.R.S.S. n’est pas en cause, le principe de la liberté d’expression reste à peu près respecté. Il y a d’autres sujets tabous -j’en mentionnerai certains plus loin -, mais l’attitude dominante envers l’U.R.S.S. est de loin le symptôme le plus inquiétant. Elle est en effet spontanée et étrangère à l’action d’un quelconque groupe de pression.

La servilité avec laquelle la plupart des intellectuels anglais ont gobé et répété la propagande russe depuis 1941 serait proprement ahurissante s’ils n’en avaient pas donné auparavant d’autres exemples, en diverses occasions. Sur tous les sujets épineux, les uns après les autres, la version des Russes a été acceptée sans examen pour être ensuite propagée avec un parfait mépris pour la vérité historique ou l’honnêteté intellectuelle.

Pour ne donner qu’un seul exemple, la B.B.C. a célébré le 25. anniversaire de l’Armée rouge sans même mentionner le nom de Trotski. Cela revenait à peu près à célébrer la bataille de Trafalgar sans parler de Nelson, mais aucun intellectuel anglais ne jugea bon de protester .

Au cours des luttes intestines qui se sont déroulées dans divers pays occupés, la presse anglaise a presque chaque fois pris fait et cause pour la faction soutenue par les Russes et calomnié la faction rivale, n’hésitant pas à occulter certains faits quand ille fallait. Cela fut particulièrement flagrant dans le cas du colonel Mihajlovic, le chef des tchetniks yougoslaves. Les Russes, dont le protégé en Yougoslavie était le maréchal Tito, accusèrent Mihajlovic de collaboration avec les Allemands. Cette accusation fut aussitôt reprise par la presse anglaise: on refusa aux partisans de Mihajlovic la possibilité d’y répondre, et les faits qui la démentaient furent tout simplement passés sous silence.

En juillet 1943, les Allemands offrirent une récompense de cent mille couronnes-or pour la capture de Tito, et la même somme pour celle de Mihajlovic. La presse anglaise fit ses gros titres avec la nouvelle que la tête de Tito était ainsi mise à prix, mais il n’y eut qu’un seul journal pour mentionner, très discrètement, que celle de Mihajlovic l’était également; et les accusations de collaboration avec les Allemands continuèrent comme avant.

Lors de la guerre d’Espagne, il se produisit des épisodes très semblables: les journaux de gauche anglais n’hésitèrent pas à calomnier les organisations du camp républicain que les Russes étaient décidés à écraser, et refusèrent de publier toute mise au point, même dans leur courrier des lecteurs. Et aujourd’hui, non seulement les critiques de l’U.R.S.S. les plus fondées sont tenues pour blâmables, mais leur existence même est dans certains cas occultée. Il en a été ainsi, par exemple, d’une bio~raphie de Staline que Trotski avait rédigée peu de temps avant sa mort. On peut supposer qu’il ne s’agissait pas là d’un ouvrage parfaitement objectif, mais du moins son succès en librairie était-il assuré.

Le livre, publié par un éditeur américain, était déjà imprimé -je crois que les exemplaires de presse avaient même été envoyés -quand l’U.R.S.S. entra dans la guerre. La sortie du livre fut aussitôt annulée. Et quoique l’existence d’un tel ouvrage et son retrait de la vente fussent à coup sûr des informations méritant qu’on leur consacrât quelques lignes, l’affaire n’eut pas droit à la moindre mention dans la presse anglaise. Il importe de faire la distinction entre la censure que les intellectuels anglais s’imposent volontairement à eux-mêmes et celle qui leur est parfois imposée par des groupes de pression. On sait que certains sujets ne peuvent être abordés en raison des intérêts économiques en jeu -le cas le plus connu étant celui de l’évident racket pharmaceutique. Par ailleurs, l’Eglise catholique exerce dans la presse une influence considérable et parvient dans une certaine mesure à faire taire la critique. Un scandale auquel est mêlé un prêtre catholique n’est presque jamais livré à la publicité, mais si c’est un prêtre anglican qui est en cause (par exemple le recteur de Stiffkey), la nouvelle fait la une des journaux. Il est fort rare qu’on voie sur scène ou dans un film quoi que ce soit qui s’en prenne au catholicisme. N’importe quel acteur vous dira qu’une pièce ou un film qui attaque l’Eglise catholique ou la tourne en dérision se verra boycotté par la presse et sera très probablement un échec.

Mais ce genre de choses est sans gravité, ou du moins compréhensible. Toute organisation puissante veillera du mieux qu’elle peut à ses intérêts, et il n’y a rien à dire contre la propagande, tant qu’elle se donne pour telle. On ne saurait pas plus attendre du Daily Worker qu’il publie des informations nuisibles au prestige de l’U.R.S.S. qu’on ne saurait attendre du Catholic Herald qu’il s’en prenne au pape. Mais en tout cas aucun individu conscient ne peut se méprendre sur ce que sont le Daily Worker et le Catholic Herald. Ce qui est beaucoup plus inquiétant c’est que, dès qu’il s’agit de l’U.R.S.S. et de sa politique, on ne saurait attendre des journalistes et des écrivains libéraux -qui ne sont pourtant l’objet d’aucune pression directe pour les amener à se taire -qu’ils expriment une critique intelligente Ou même qu’ils fassent simplement preuve d’une honnêteté élémentaire. Staline est intouchable, et il est hors de question de discuter sérieusement certains aspects de sa politique. Cette règle a été presque universellement respectée depuis 1941, mais elle était entrée en vigueur dix ans auparavant, et avait été suivie beaucoup plus largement qu’on ne le croit parfois. Tout au long de ces années, il était difficile de se faire entendre quand on soumettait le régime soviétique à une critique de gauche. Il y avait bien une quantité considérable d’écrits hostiles à la Russie, mais presque tous, rédigés du point de vue conservateur, étaient manifestement malhonnêtes, périmés et inspirés par les motifs les plus sordides.

On trouvait en face une masse tout aussi considérable, et presque aussi malhonnête, de propagande prorusse, et quiconque essayait d’aborder des questions cruciales de façon adulte se retrouvait victime d’un boycott de fait. Certes vous pouviez toujours publier un livre antirusse, mais c’était avec l’assurance de voir vos positions ignorées ou travesties par la quasi- totalité des magazines intellectuels. On vous avertissait, tant publiquement qu’en privé, que cela « ne se faisait pas ». Ce que vous disiez était peut-être vrai, mais c’était « inopportun » et cela « faisait le jeu » de tel ou tel intérêt réactionnaire.

Pour défendre une telle attitude, on invoquait en général la situation internationale et le besoin urgent d’une alliance anglo-russe; mais il était manifeste qu’il s’agissait là d’une justification pseudo-rationnelle. Pour les intellectuels anglais, ou pour nombre d’entre eux, l’U.R.S.S. était devenue l’objet d’une allégeance de type nationaliste, et la moindre mise en doute de la sagesse de Staline les atteignait au plus profond d’eux-mêmes comme un blasphème. Ce qui se passait en Russie était jugé selon d’autres critères que ce qui se passait ailleurs. Des gens qui s’étaient battus toute leur vie contre la peine de mort pouvaient applaudir la tuerie sans fin des purges de 1936-1938, et ceux qui se faisaient un devoir de parler de la famine en Inde s’en faisaient également un de ne pas parler de celle d’Ukraine. Tout cela existait déjà avant la guerre, et le climat intellectuel n’est certainement pas meilleur à l’heure actuelle.

Mais revenons-en maintenant au livre que j’ai écrit. La réaction qu’il provoquera chez la plupart des intellectuels anglais sera fort simple: « Il n’aurait pas dû être publié. » Les critiques littéraires rompus à l’art de dénigrer ne l’attaqueront évidemment pas d’un point de vue politique, mais littéraire: ils diront que c’est un livre ennuyeux, stupide, pour lequel il est malheureux d’avoir gâché du papier. Cela est bien possible, mais il ne s’agit manifestement pas là du fond de l’affaire. On ne dit pas d’un livre qu’il « n’aurait pas dû être publié » pour cette seule raison qu’il est mauvais. Après tout, des tonnes d’immondices paraissent chaque jour sans que personne ne s’en soucie.

Les intellectuels anglais, ou la plupart d’entre eux, seront hostiles à ce livre sous prétexte qu’il diffame leur Chef et nuit, selon eux, à la cause du progrès. Dans le cas contraire, ils ne trouveraient rien à y redire, même si ses défauts littéraires étaient dix fois plus flagrants qu’ils ne le sont. Comme le montre, par exemple, le succès qu’a eu le Left Book Club pendant quatre ou cinq années, ils sont tout à fait prêts à faire bon accueil à des livres à la fois grossièrement injurieux et littérairement bâclés, pourvu que ces livres leur disent ce qu’ils ont envie d’entendre.

Le problème que cela soulève est des plus simple: toute opinion, aussi impopulaire et même aussi insensée soit-elle, est-elle en droit de se faire entendre ? Si vous posez ainsi la question, il n’est guère d’intellectuel anglais qui ne se sente tenu de répondre: « Oui. » Mais si vous la posez de façon plus concrète et demandez: « Qu’en est-il d’une attaque contre Staline ? Est-elle également en droit de se faire entendre ? », la réponse sera le plus souvent: « Non. » Car dans ce cas l’orthodoxie en vigueur se trouve mise en cause, et le principe de la liberté d’expression n’a plus cours.

Evidemment, réclamer la liberté d’expression n’est pas réclamer une liberté absolue. Il faudra toujours, ou du moins il y aura toujours, tant qu’existeront des sociétés organisées, une certaine forme de censure. Mais la liberté, comme disait Rosa Luxemburg, c’est « la liberté pour celui qui pense différemment ». Voltaire exprimait le même principe avec sa fameuse formule: « Je déteste ce que vous dites; je défendrai jusqu’à la mort votre droit de le dire. » Si la liberté de pensée, qui est sans aucun doute l’un des traits distinctifs de la civilisation occidentale, a la moindre signification, elle implique que chacun ale droit de dire et d’imprimer ce qu’il pense être la vérité, à la seule condition que cela ne nuise pas au reste de la communauté de quelque façon évidente. Aussi bien la démocratie capitaliste que les variantes occidentales du socialisme ont jusqu’à récemment considéré ce principe comme hors de discussion. Notre gouvernement, comme je l’ai déjà signalé, affecte encore dans une certaine mesure de le respecter. Les gens ordinaires -en partie, sans doute, parce qu’ils n’accordent pas assez d’importance aux idées pour se montrer intolérants à leur sujet -soutiennent encore plus ou moins que « chacun est libre d’avoir ses idées ». C’est seulement, ou du moins c’est principalement, dans l’intelligentsia littéraire et scientifique, c’est-à-dire parmi les gens mêmes qui devraient être les gardiens de la liberté, que l’on commence à mépriser ce principe, en théorie aussi bien qu’en pratique.

L’un des phénomènes propres à notre époque est le reniement des libéraux. Au-delà et en dehors de l’affirmation marxiste bien connue selon laquelle la « liberté bourgeoise » est une illusion, il existe un penchant très répandu à prétendre que la démocratie ne peut être défendue que par des moyens totalitaires. Si on aime la démocratie, ainsi raisonne-t-on, on doit être prêt à écraser ses ennemis par n’importe quel moyen. Mais qui sont ses ennemis ? On s’aperçoit régulièrement que ce ne sont pas seulement ceux qui l’attaquent ouvertement et consciemment, mais aussi ceux qui la mettent «objectivement » en danger en diffusant des théories erronées.

En d’autres termes, la défense de la démocratie passe par la destruction de toute liberté de pensée. Cet argument a par exemple servi à justifier les purges russes. Aussi fanatique fût-il, aucun russophile ne croyait vraiment que toutes les victimes étaient réellement coupables de tout ce dont on les accusait ; mais en défendant des idées hérétiques, elles avaient « objectivement » nui au régime, et il était donc parfaitement légitime non seulement de les mettre à mort, mais aussi de les discréditer par des accusations mensongères. Le même argument a servi, pendant la guerre d’Espagne, à justifier les mensonges consciemment débités par la presse de gauche sur les trotskistes et d’autres groupes minoritaires du camp républicain. Et il a encore servi de prétexte à glapir contre l’ habeas corpus quand Mosley fut relâché en 1943.

Ces gens ne comprennent pas que ceux qui prônent des méthodes totalitaires s’exposent à les voir un jour utilisées contre eux: si emprisonner des fascistes sans procès devient une pratique courante, il n’y a aucune raison pour que par la suite ce traitement leur reste réservé. Peu après que le Daily Worker eut été autorisé à reparaître, je faisais une conférence dans un collège d’ouvriers du sud de Londres. Le public était composé de gens appartenant à la classe ouvrière et à la classe moyenne la plus pauvre -des gens ayant une certaine formation intellectuelle, comme ceux que l’on pouvait rencontrer dans les réunions du Left Book Club. Ma conférence avait porté sur la liberté de la presse et, quand elle fut finie, à ma grande surprise, plusieurs auditeurs se levèrent pour me demander si je ne pensais pas que c’était une grave erreur d’avoir permis la reparution du Daily Worker. Quand je leur eus demandé en quoi, ils me répondirent que c’était un journal à la loyauté duquel on ne pouvait se fier, et qui ne devait donc pas être toléré en temps de guerre. Je me suis ainsi retrouvé en train de défendre le Daily Worker J journal qui s’est plus d’une fois employé à me calomnier.

Mais comment ces gens avaient-ils acquis cette tournure d’esprit totalitaire ? C’étaient très certainement les communistes eux-mêmes qui la leur avaient inculquée! La tolérance et l’honnêteté sont profondément enracinées en Angleterre, mais elles ne sont pas pour autant indestructibles, et leur survie demande entre autres qu’on y consacre un effort conscient. En prêchant des doctrines totalitaires, on affaiblit l’instinct grâce auquel les peuples libres savent ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas.

Le cas de Mosley le montre bien. En 1940, il était parfaitement justifié d’interner Mosley, qu’il ait ou non commis un crime quelconque du point de vue strictement juridique. Nous luttions pour notre survie et nous ne pouvions nous permettre de laisser libre de ses mouvements un homme tout disposé à jouer les Quisling. En 1943, le garder sous les verrous sans procès était un déni de justice. L’aveuglement général à ce sujet fut un symptôme inquiétant, même s’il est vrai que l’agitation contre la libération de Mosley fut en partie factice et en partie l’expression, sous ce prétexte, de mécontentements d’une autre nature. Mais l’actuelle généralisation de modes de pensée fascistes ne doit-elle pas être attribuée dans une certaine mesure à« l’antifascisme » de ces dix dernières années et à l’absence de scrupules qui l’a caractérisé ? Il importe de bien comprendre que la présente russomanie n’est qu’un symptôme de l’affaiblissement général de la tradition libérale occidentale. Si le ministère de l’Information était intervenu pour interdire effectivement la parution de ce livre, la plupart des intellectuels anglais n’auraient rien vu là d’inquiétant. L’allégeance inconditionnelle envers l’U.R.S.S. étant l’orthodoxie en vigueur, dès lors que les intérêts supposés de l’U.R.S.S. sont en cause, ces intellectuels sont prêts à tolérer non seule- ment la censure mais la falsification délibérée de l’histoire.

En voici un exemple. A la mort de John Reed, l’auteur de Ten Days that Shook the World -témoignage de première main sur les tout débuts de la révolution russe -le copyright de son livre devint la propriété du parti communiste anglais, auquel, je suppose, il l’avait légué. Quelques années plus tard, après avoir détruit tous les exemplaires de la première édition sur lesquels ils avaient pu mettre la main, les communistes anglais publièrent une version falsifiée d’où avait disparu toute mention de Trotski, ainsi d’ailleurs que l’introduction rédigée par Lénine.

S’il avait encore existé en Angleterre des intellectuels radicaux, cette falsification aurait été exposée et dénoncée dans tous les magazines littéraires du pays. Les choses étant ce qu’elles sont, il n’y eut pas de protestations ou pratiquement pas. Aux yeux de nombreux intellectuels anglais, cette façon d’agir n’avait rien que de très normal. Et cette acceptation de la pure et simple malhonnêteté a une signification bien plus profonde que la vénération de la Russie qui se trouve être en ce moment à la mode. Il est fort possible que cette mode-là ne dure guère. D’après tout ce que je sais, il se peut que, lorsque ce livre sera publié, mon jugement sur le régime soviétique soit devenu l’opinion généralement admise. Mais à quoi cela servira-t-il ? Le remplacement d’une orthodoxie par une autre n’est pas nécessairement un progrès. Le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment.

Je connais par coeur les divers arguments contre la liberté de pensée et d’expression -ceux selon lesquels elle ne peut exister, et ceux selon lesquels elle ne doit pas exister. Je me contenterai de dire que je ne les trouve pas convaincants, et que c’est une conception tout opposée qui a inspiré notre civilisation pendant une période de quatre siècles. Depuis une bonne dizaine d’années, je suis convaincu que le régime instauré en Russie est une chose essentiellement funeste, et je revendique le droit de le dire alors même que nous sommes alliés à l’U.R.S.S. dans une guerre que je souhaite victorieuse. S’il me fallait me justifier à l’aide d’une citation, je choisirais ce vers de Milton: « By the known rules of ancient liberty[2] ».

Le mot « antique » met en évidence le fait que la liberté de pensée est une tradition profondément enracinée, sans doute indissociable de ce qui fait la spécificité de la civilisation occidentale. Nombre de nos intellectuels sont en train de renier cette tradition. Ils ont adopté la théorie selon laquelle ce n’est pas d’après ses mérites propres mais en fonction de l’opportunité politique qu’un livre doit être publié ou non, loué ou blâmé. Et d’autres, qui en réalité ne partagent pas cette manière de voir, l’acceptent par simple lâcheté. C’est ainsi, par exemple, qu’on n’a guère entendu les pacifistes anglais, pourtant nombreux et bruyants, s’en prendre au culte actuellement voué au militarisme russe. Selon eux, toute violence est condamnable et, à chaque étape de la guerre, ils nous ont pressés de baisser les bras ou du moins de conclure une paix de compromis. Mais combien s’en est-il trouvé pour émettre l’idée que la guerre est tout aussi condamnable quand c’est l’Armée rouge qui la fait ? Apparemment les Russes sont en droit de se défendre, mais nous commettons un péché mortel quand nous en faisons autant.

Une telle contradiction ne peut s’expliquer que par la crainte de couper les ponts avec la grande masse de l’intelligentsia anglaise, dont le patriotisme a pour objet l’U.R.S.S. plutôt que l’Angleterre. Je sais que les intellectuels anglais ont toutes sortes de motifs à leur lâcheté et à leur malhonnêteté, et je n’ignore aucun des arguments à l’aide desquels ils se justifient. Mais qu’ils nous épargnent du moins leurs ineptes couplets sur la défense de la liberté contre le fascisme.

Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. Les gens ordinaires partagent encore vaguement cette idée, et agissent en conséquence. Dans notre pays -il n’en va pas de même partout: ce n’était pas le cas dans la France républicaine, et ce n’est pas le cas aujourd’hui aux Etats-Unis -, ce sont les libéraux qui ont peur de la liberté et les intellectuels qui sont prêts à toutes les vilenies contre la pensée. C’est pour attirer l’attention sur ce fait que j’ai écrit cette préface.

George Orwell

Source : Catallaxia

b_1_q_0_p_0

Source: http://www.les-crises.fr/george-orwell-preface-inedite-a-animal-farm/


L’État Islamique est plus détesté par les Américains que Poutine ou Assad. Voici comment cela façonne les préférences de politique, par Shibley Telhami

Tuesday 29 November 2016 at 01:08

Source : The Washington Post, le 01/11/2016

Le président russe Vladimir Poutine marche avec son homologue syrien, Bachar al-Assad, lors de son arrivée à une réunion au Kremlin, à Moscou, le 21 octobre 2015. (Photo d'Alexey Druzhinin par AFP/Getty Images)

Le président russe Vladimir Poutine marche avec son homologue syrien, Bachar al-Assad, lors de son arrivée à une réunion au Kremlin, à Moscou, le 21 octobre 2015. (Photo d’Alexey Druzhinin par AFP/Getty Images)

Bien que les élections présidentielles aux États-Unis aient peu porté sur les programmes politiques, le conflit en Syrie et la lutte contre l’État islamique ont fait partie des questions débattues fréquemment par Hillary Clinton et Donald Trump au cours de la dernière année. Bien que tous deux aient souligné la menace que constitue l’Etat islamique, ils ont divergé sur la façon de la traiter réellement.

Un nouveau sondage sur les enjeux critiques de l’Université du Maryland, mené par Nielsen Scarborough auprès d’un échantillon représentatif national de 1528 électeurs inscrits, avec une marge d’erreur de 2,5 points de pourcentage, apporte un nouvel éclairage sur la position du public américain sur ces questions. Il s’avère que les Américains veulent mettre de côté les divergences avec la Russie et s’unir pour combattre l’État islamique (ISIS dans le sondage). Cela ne veut pas dire que les Américains ont confiance en la Russie ou aiment son président, Vladimir Poutine. En fait, les Américains n’aiment pas Poutine, les Démocrates l’identifiant dans une question ouverte comme le leader national ou mondial le plus détesté, alors que les républicains l’identifient comme le quatrième le plus détesté, proche de Kim Jong Un, mais loin derrière leurs ennemis nationaux, Obama et Clinton.

telhami1

Malgré cette aversion exprimée de Poutine, le public américain est enclin à mettre de côté les différences avec la Russie pour faire face à l’État islamique, même si Moscou travaille également avec les opposants des États-Unis, à savoir le régime du président syrien Bachar el-Assad, le Hezbollah et L’Iran. Et tandis que les Américains continuent à exprimer des réserves sur une implication militaire plus étendue des États-Unis en Syrie, l’électorat de Trump exprime des vues beaucoup plus bellicistes que non seulement celles de Clinton, mais aussi celles que Trump a exprimé.

Commençons par les attitudes concernant les relations avec la Russie sur la Syrie. Les américains à travers les lignes partisanes sont unifiés sur une question : dans quelle mesure ils aimeraient voir plus de coopération russo-américaine. Les deux tiers du public disent que le niveau actuel de coopération est inférieur à ce qu’ils aimeraient voir, y compris 72 pour cent des républicains et 65 pour cent des démocrates.

telhami2

Après avoir décrit le fait que les États-Unis et la Russie soutiennent des côtés opposés du conflit syrien tandis que les deux veulent vaincre l’État islamique, les sondés ont été interrogés sur la meilleure façon de vaincre l’État islamique. Environ 60 pour cent, dont deux tiers des républicains et une majorité de démocrates, préféraient mettre de côté les différences avec la Russie pour se concentrer sur la confrontation à l’État islamique.

telhami2

Évidemment, l’un des moteurs de ces attitudes est le fait que le public a identifié l’État islamique comme une menace majeure pour les intérêts américains depuis de nombreux mois, dès Novembre 2014. En fait, dans le sondage actuel, la lutte contre l’État islamique précède même l’immigration et le déficit commercial dans les priorités du public américain. Lorsqu’on a demandé aux sondés de choisir leurs deux principales priorités parmi une liste de questions qui incluaient également la montée de la Chine et la détermination de la Russie, la lutte contre l’État islamique était au sommet de toutes, 53 pour cent des répondants l’identifiant comme l’une des deux priorités.

telhami4

Cette focalisation du public sur la menace de l’État islamique la fait passer devant d’autres préoccupations, y compris les inquiétudes portant sur l’affirmation de la Russie. Elle remplace aussi les inquiétudes du public à propos d’Assad. Il est évidemment possible que le public américain, distrait par sa campagne présidentielle, n’ait pas accordé assez d’attention aux rapports des bombardements du gouvernement russe et syrien qui ont tué de nombreux civils et détruit des hôpitaux. Il est également peu vraisemblable qu’une grande partie du public ait été exposée à des arguments selon lesquels Assad avait un intérêt dans la montée de l’État islamique comme moyen de détourner les énergies globales et domestiques qui auraient autrement pu se concentrer sur lui. Mais l’histoire de la Syrie existe depuis des années et les reportages des médias américains se sont concentrés sur les atrocités et les réfugiés bien avant que la campagne ne commence. Beaucoup d’Américains détestent profondément Assad (il a été nommé sixième sur la liste des plus détestés) et veulent voir son régime changé. Dans une question spécifique sur quoi ils aimeraient que les États-Unis se concentrent en Syrie, 35 pour cent des répondants ont déclaré qu’ils voyaient à la fois la défaite et le renversement du gouvernement d’Assad comme une des priorités. Cependant, 52 pour cent ont choisi de battre l’État islamique contre seulement 2 pour cent qui ont choisi de retirer Assad.

telhami5

Favoriser la coopération avec la Russie peut également être considéré en fonction de mauvaises alternatives : les deux tiers du public craignent de donner un soutien militaire significatif aux rebelles syriens qui peuvent inclure des éléments islamistes autres que l’État islamique ou al-Qaïda. Même après avoir présenté aux répondants une série d’arguments conventionnels en faveur et contre l’envoi d’une grande force terrestre américaine pour aider à vaincre l’État islamique, 63 pour cent des Américains finissent toujours par s’opposer à une telle mesure.

telhami6

Si l’on peut affirmer que le fait de s’attaquer à l’Assad ou à la politique étrangère russe devrait être au moins aussi important que de combattre l’État islamique – ou que la menace de l’État islamique peut être exagérée compte tenu des autres priorités mondiales de l’Amérique – ce sondage montre que les Américains ne l’ont pas entendu. Pour l’instant, la lutte contre l’État islamique passe avant tout, y compris l’aversion pour Poutine et Assad.

Shibley Telhami est professeur et directeur Sadat, sur les enjeux critiques des sondages à l’Université du Maryland. Il est non-résident éminent à la Brookings Institution.

Source : The Washington Post, le 01/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/letat-islamique-est-plus-deteste-par-les-americains-que-poutine-ou-assad-voici-comment-cela-faconne-les-preferences-de-politique-par-shibley-telhami/


L’économiste Joseph Stiglitz veut mettre les paradis fiscaux en “quarantaine”

Tuesday 29 November 2016 at 00:08

Source : La Tribune, AFP, 15/11/2016

Ce rapport fait suite à la participation de Stiglitz (photo) et Pieth à un comité d'experts indépendants créé en avril par les autorités panaméennes après le scandale des

29292 Ce rapport fait suite à la participation de Stiglitz (photo) et Pieth à un comité d’experts indépendants créé en avril par les autorités panaméennes après le scandale des “Panama Papers”, dont ils ont finalement démissionné en août en raison de “divergences de vues” sur leur travail, qu’ils souhaitaient rendre public. (Crédits : REUTERS/Joshua Roberts)

Dans un rapport publié mardi, Joseph Stiglitz et l’expert anti-corruption suisse Mark Pieth mettent en cause le laxisme des Etats-Unis et de l’Europe à l’égard des paradis fiscaux et proposent des solutions pour lutter contre “ces parasites”.

Les régulateurs américain et européen devraient traiter les paradis fiscaux comme les porteurs d’une dangereuse maladie. Sans contrôle, ça peut se propager comme un virulent virus.” La comparaison est signée Joseph Stiglitz, prix de la Banque de Suède en sciences économiques (généralement et abusivement appelé prix Nobel d’économie), en 2001. Dans un rapport publié mardi avec l’expert anti-corruption suisse Mark Pieth, l’économiste américain expose ses idées destinées à combattre “l’économie souterraine”.

“Nous savons quoi faire avec les dangereuses maladies contagieuses: quarantaine”, assènent-ils.

Des “parasites” à “isoler de la communauté internationale”

Selon les deux auteurs, l’Europe et les Etats-Unis, “en tant que leaders économiques”, doivent prendre la tête de la lutte contre les paradis fiscaux, qu’ils définissent comme des “juridictions qui sapent les normes mondiales en matière de transparence financière et des entreprises”“Il y a un point de vue largement partagé, selon lequel ces paradis existent uniquement parce que les Etats-Unis et l’Europe regardent ailleurs”, estiment Joseph Stiglitz et Mark Pieth

Or, “si les paradis fiscaux servent de centres pour (…) l’évasion fiscale ou facilitent de quelque manière que ce soit la corruption ou les activités illicites, ils agissent comme des parasites et devraient être isolés de la communauté financière mondiale”, poursuivent-ils dans ce rapport, qui fait suite à leur participation à un comité d’experts indépendants créé en avril par les autorités panaméennes après le scandale des “Panama Papers”, dont ils ont finalement démissionné en août en raison de “divergences de vues” sur leur travail, qu’ils souhaitaient rendre public.

La question des cabinets d’avocats

Selon eux, la détention d’un compte par un particulier dans un paradis fiscal pourrait facilement être interdite, tout comme le fait d’être actionnaire, directeur ou administrateur d’une entité localisée dans une de ces “juridictions non-coopératives”. De même, l’établissement par une banque de relations avec ces pays pourrait être rendue “illégale”.

Parmi leurs autres constats et propositions, la nécessité de s’attaquer, non pas seulement aux banques, mais aussi aux intermédiaires comme “les cabinets d’avocats” qui jouent “un rôle pivot” dans l’opacité des montages financiers. Ils invitent également à renforcer la protection des lanceurs d’alerte, à lutter contre les arrangements fiscaux, ainsi qu’à identifier les véritables bénéficiaires des entreprises et des comptes offshore.

(Avec AFP)

Pour voir le rapport c’est ici

Source : La TribuneAFP, 15/11/2016

Source: http://www.les-crises.fr/leconomiste-joseph-stiglitz-veut-mettre-les-paradis-fiscaux-en-quarantaine/


[Chomsky à Paris] La honte du “journalisme” français

Tuesday 29 November 2016 at 00:00

Petit billet d’humeur…

On ne présente plus Noam Chomsky .

En 1979, le New York Times le qualifiait de “sans doute le plus important intellectuel vivant de nos jours.” (Noam Chomsky is arguably the most important intellectual alive today”)

Noam Chomsky is arguably the most important intellectual alive today

25 ans plus tard, un vote mondial l’élisait “Intellectuel le plus influent au monde” :

chomsky-most

Eh bien quand Chomsky, qui va sur ses 88 ans, est de passage à Paris, il ne se trouve AUCUN média mainstream pour me contacter pour venir assister à sa conférence “politique” et en faire un compte-rendu aux Français – nos “journalistes”  ont j’imagine le Savoir révélé, comme ils le montrent souvent…

Je précise que la presse Internet sera là, elle. RIP Presse Mainstream, peut-être trop occupée par d’autres sujets 🙂 (Source – mais ils en avaient aussi parlé en 2013…) :

poney-ours

Et ils se plaignent après que les lecteurs les fuient…

Je termine donc par ce propos de Chomsky de 1998 (Dans Deux heures de lucidité) :

“À bien des égards, la France est restée repliée sur elle-même depuis la fin de la guerre. Les Français devraient s’en inquiéter. […]

Prenez les camps soviétiques. En 1950, tout le monde, du moins en Occident, connaissait l’existence du goulag. Lorsque les livres de Soljenitsyne sont arrivés, ce fut important, mais on n’a pas appris grand-chose qu’on ne savait déjà. En France, au contraire, ce fut une révélation dont les intellectuels parisiens se sont aussitôt attribués le mérite. Ils n’avaient que trente ans de retard ! […]

La France est le seul pays où Eric Hobsbawn a eu autant de difficultés à être traduit. [NdT : pour L’âge des extrêmes] La France est restée relativement isolée en philosophie, en littérature et dans certains domaines scientifiques. C’est un pays très replié sur lui-même, où un certain nombre d’intellectuels se préoccupent peu de ce qui se passe dans le reste du monde.  Je ne parle bien entendu que d’une poignée d’intellectuels parisiens. Mais ce groupe est très influent. Ils créent leur propres mythes sur tout et sur rien, le tiers-monde, le maoïsme, etc. En tous cas, c’est dogmatisme, sans prise sur le monde réel.” [Noam Chomsky]

Parions qu’avec un tel accueil, il ne change guère d’avis sur notre pays…

On lira donc avec intérêt la critique de la presse par Lordon publiée ce jour.

Source: http://www.les-crises.fr/chomsky-a-paris-la-honte-du-journalisme-francais/


Trois nouveaux scandales montrent combien la surveillance de masse dans l’Occident est envahissante et dangereuse, allant dans le sens de Snowden, par Glenn Greenwald

Monday 28 November 2016 at 00:58

Source : The Intercept, le 04/11/2016

ap_291910289848-article-header

Glenn Greenwald

Le 4 novembre 2016

Tandis que les regards sont tournés vers la course à la présidence entre Hillary Clinton et Donald Trump, trois événements majeurs ont révélé l’étendue et la dangerosité de la surveillance de masse en Occident. Pris séparément, chaque cas met en exergue les fortes menaces qui ont motivé Edward Snowden à devenir lanceur d’alerte. Pris ensemble, ils constituent la justification de tout ce qu’il a fait.

En début de mois, une cour britannique spéciale, traitant des activités secrètes d’espionnage, a dénoncé de façon emphatique les programmes de surveillance de masse sur la population domestique. La cour a trouvé que “les agences de sécurité britanniques ont secrètement et illégalement amassé des quantités énormes de données personnelles confidentielles, notamment des informations financières, sur les citoyens, et ce pendant plus d’une décennie.” Ces agences, affirme la cour, “ont utilisé des moyens illégaux pour enregistrer d’importantes données de communications, surveillant l’utilisation des mobiles et de l’internet et d’autres informations personnelles confidentielles, sans une supervision ou des garde-fous adéquats, pendant 17 ans.

gchqillegal-1000x344

Jeudi, une condamnation encore plus cinglante de la surveillance de masse a été prononcée par la Cour Fédérale du Canada. Elle a “mis en faute l’agence de surveillance intérieure du Canada pour l’enregistrement illégal de données et pour ne pas avoir été honnête avec les juges qui avaient autorisé les programmes de renseignement.” Le point le plus remarquable est que ces activités de surveillance de masse étaient non seulement illégales mais totalement inconnues de la quasi-totalité de la population de la démocratie canadienne, même si leurs objectifs a des implications concernant les libertés fondamentales. “Le centre en question est le Canadian Security Intelligence Service, équivalent à une boule de cristal – un endroit où des analystes du renseignement tentent de prévoir les menaces du futur en examinant et en ré-examinant de grandes quantités de données.”

globeand-540x335

Le troisième scandale provient également du Canada – un partenaire critique de l’alliance de renseignement Five Eyes aux côtés des USA et du Royaume Uni – quand des responsables des forces de l’ordre de Montréal défendent désormais “une décision très controversée d’espionner un éditorialiste (Patrick Lagacé) de La Presse, en consultant ses appels et messages téléphoniques, et en enquêtant sur son entourage dans le cadre d’une nécessaire enquête interne de police.” Le journaliste ciblé, Lagacé, a énervé des fonctionnaires de police en enquêtant sur leurs actes abusifs, et ils ont alors utilisé la technologie de surveillance pour écouter ses appels et suivre ses mouvements pour déterminer l’identité de ses sources. Alors que ce scandale explosait, il est passé, selon les mots de la Gazette de Montréal, “du mauvais au pire” quand l’enquête qui a suivi a montré que la police avait en fait “enregistré les appels et suivi les déplacements de six journalistes durant l’année après que des articles, basés sur les fuites révélées par Michel Arsenault, aient montré que le président du plus important syndicat du Québec avait son téléphone placé sur écoute.”

Lors d’un discours cette semaine à la Montreal McGill University, Snowden a appelé à la démission du chef de la police de Montréal et dénoncé l’espionnage comme une “attaque radicale contre les activités de la presse libre.” Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a dit : “A l’évidence, je pense que ces histoires perturbantes – pertubantes pour tous les Canadiens – venant du Québec… vont amener à une réflexion sur la façon dont nous devons et pouvons continuer à assurer la protection de la presse et de ses droits.” Tom Henheff, de l’organisation Canadian Journalists for Free Expression, a mis le doigt sur le point essentiel, au sujet de cet abus spécifique mais aussi en règle générale sur les systèmes de surveillance de masse :

Vous ne pouvez pas argumenter en disant qu’il s’agit juste de quelques mauvais fruits car ceci a été autorisé par la justice en temps de paix. C’est le système tel qu’il est supposé fonctionner. Ce qui a contribué à montrer que c’est le système en entier qui est dysfonctionnel.

Ainsi, en ce seul mois, deux membres clés de l’alliance des Five Eyes ont été montrés du doigt par des cours de justice et des enquêtes, comme étant engagés dans de la surveillance de masse qui était à la fois illégale et intrusive, et de plus, dans le cas du Canada, détournant les capacités de surveillance pour écouter des journalistes afin de découvrir leurs sources. Quand Snowden a parlé pour la première fois publiquement, c’était exactement les abus et les infractions qu’il citait comme étant commises par les systèmes de surveillance de masse mis en place secrètement par des nations, tandis que leur existence était démentie par les responsables en charge de ces systèmes.

Ainsi, avec chaque nouvelle découverte ou enquête judiciaire, et alors que les preuves deviennent de plus en plus nombreuses, les affirmations de Snowden se révèlent de plus en plus justifiées. Les responsables occidentaux sont en réalité accros aux systèmes abusifs, secrets et sans contrôle de surveillance de masse, utilisés aussi bien contre leurs propres citoyens que contre les étrangers, et plus ces systèmes s’enracinent, plus les libertés fondamentales s’érodent.

Source : The Intercept, le 04/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/trois-nouveaux-scandales-montrent-combien-la-surveillance-de-masse-dans-loccident-est-envahissante-et-dangereuse-allant-dans-le-sens-de-snowden-par-glenn-greenwald/


1953—2002—2016 : La Syrie et la résurgence du maccarthysme, par Fredrik Deboer

Monday 28 November 2016 at 00:30

28Source : Current Affairs, le 03/11/2016

5a131419043cab397325ebafd269e008-1024x646

Chaque fois que les États-Unis veulent aller à la guerre, les opposants sont accusés d’apologie des dictateurs. La controverse sur la Syrie ne sera pas différente.

Par FREDRIK DEBOER

J’ai beaucoup d’intérêts politiques, pour être honnête, mais seulement une obsession : l’anti-Rouge, le penchant pour les purges, la grande propension américaine à éradiquer les hérétiques et les bannir dans le désert. C’est cette obsession qui tend à me faire croire que nous nous dirigeons vers un nouvel accès de maccarthysme, lié au conflit en cours en Syrie, et qu’il a des chances de déchirer la gauche américaine.

Appelez mon obsession une construction familiale historique, à la fois récente et ancienne. Mon grand-père, un socialiste pacifiste et professeur d’université à l’université de l’Illinois, a été la cible des lois Broyles, un ensemble de lois fédérales de l’ère de la peur des Rouges destinées à débarrasser l’État de ses éléments subversifs. Toutes sortes de radicaux et sympathisants étaient visés par cette loi, qu’ils aient été de vrais socialistes comme mon grand-père, ou simplement suspects de sympathies communistes. La majeure partie de cette législation a été battue, avec le gouverneur libéral-Démocrate Adlai Stevenson mettant son veto sur plusieurs mesures. (Non pas qu’il ait été une sorte de champion viril des droits des radicaux, Stevenson contestait non pas les intentions des lois mais leur portée, arguant qu’elles risquaient de “brûler la grange pour tuer des rats.”) Mais comme il est fréquent avec ces tentatives, le dommage a été fait sans victoire législative. Nombreux sont ceux qui étaient visés et ont perdu leur emploi et vu leur carrière détruite. Mon grand-père a été protégé par son contrat, et donc a gardé sa situation, mais sa réputation a été entachée. Mon père m’a dit une fois que cela a contribué directement à l’alcoolisme qui l’a conduit à sa mort prématurée.

Les premières lois Broyles ont précédé ce qu’on appelle typiquement l’ère maccarthyste. Et encore maintenant on peut regarder en arrière et les voir comme du classique maccarthysme. Ce dernier ne se réfère pas seulement aux attaques gouvernementales sur la liberté intellectuelle et politique sous la bannière de l’anti-communisme. C’est un ensemble de pratiques consistant à calomnier les opposants sans procès équitable et basé sur des preuves très minces, attribuant aux autres des motifs sombres pour déligitimer leurs positions, suggérant que ceux avec qui vous discutez travaillent sous l’influence d’une entité de l’ombre, et insistent sur le fait que vos cibles ne sont pas seulement en tort, mais activement pernicieuses et donc doivent être évacuées de la conversation. Parfois, ce rejet implique l’arrestation de quelqu’un. Parfois cela implique une audience du Congrès et le renvoi de quelqu’un. Parfois ce n’est qu’une campagne de ragots, une attaque de dénigrement, une rencontre secrète où vous êtes désigné comme étant un cancer par vos ex-alliés. Mais l’intention est toujours la même : faire taire un type de dissidence en prétendant que c’est le germe d’intentions néfastes, et aussi arguant que quiconque se fait porte-parole de cette dissidence doit être banni.

Tous ceux qui ont vécu l’immédiat post 11/9 sont familiers de ce type de choses. Consécutivement aux attaques, une culture de patriotisme paranoïde et agressif enveloppa le pays, jetant la suspicion sur ceux qui n’ont pas mis un petit drapeau américain sur leur revers de veste ou leur voiture. Ceux qui ne professaient pas une guerre totale contre le terrorisme, quel qu’en soit le sens, étaient coupables de soutenir secrètement al-Qaïda. Les Américains musulmans, et ceux qui malheureusement avaient l’air de musulmans, étaient sujets à une constante suspicion et à des crises de violence aléatoires. Quand le commentateur conservateur Andrew Sullivan désigna les écrivains de gauche sceptiques sur la guerre contre la terreur, “une cinquième colonne”, il exprimait seulement quelque chose comme de la sagesse populaire : être insuffisamment dévoué à la cause de la guerre, c’était vous positionner nécessairement du côté de la cible de cette guerre. Avec le maccarthisme, ce qui était mis en question n’était pas seulement la justesse de votre opinion, ou la sagesse de vos choix, mais votre loyauté, vos motifs, votre caractère. C’est exactement ce sentiment de suspicion et d’exil que j’ai expérimenté en tant qu’activiste anti-guerre dans la première moitié des années 2000, ravivant intensément l’histoire de ma famille. Il n’y a pas eu de House Un-American Activities Committee (Commission de la Chambre sur les Activités Anti-Américaines) après le 11/9, mais il y a eu un niveau de peur ambiante qui transforme des gens ordinaires en indicateurs, une société entière de police secrète. Ainsi que l’écrivait le professeur de droit David Cole, de Georgetown, à propos de la résurgence du maccarthisme dans le monde de l’après 11/9 : “On a adapté les erreurs du passé, substituant de nouvelles formes de répression politique aux anciennes.”

Longue et bipartisane est l’histoire des tentatives visant à faire taire la dissidence en utilisant la culpabilité par association, les accusations non étayées et l’insistance que certaines opinions soient trop dangereuses pour être permises. En effet, McCarthy lui-même a été précédé par les démocrates anti-communistes et les purges de l’époque de Truman des socialistes du Parti démocrate après la Seconde Guerre mondiale et le début de la Guerre froide. Les démocrates sous Truman ont travaillé sans relâche pour expulser les socialistes et les sympathisants communistes du parti. C’est le sort de l’ancien vice-président de Roosevelt, Henry Wallace, coupable d’avoir plaidé pour des politiques aussi radicales que les soins de santé universels, la désescalade de la Guerre froide et la fin de la ségrégation immédiate. Cette période elle-même a fait écho à la guerre mondiale antérieure, quand le démocrate progressiste Woodrow Wilson a fait emprisonner le leader communiste Eugene Debs pour son opposition publique à la boucherie qu’a été la Première Guerre mondiale. Avancez un demi-siècle et vous avez la guerre du Vietnam, COINTELPRO [Counter Intelligence Program est un programme de contre-espionnage du FBI qui enquête sur et perturbe les organisations politiques dissidentes, NdT], et Hanoi Jane [Allusion à la photo de Jane Fonda sur le siège d’un canon anti-aérien nord-vietnamien, NdT] ; allez plus loin, et vous avez les lois Alien sur les étrangers et la loi Sedition sur la subversion. Plus ça change. [En français dans le texte]

Les purges anti-communistes de l’ère Truman étaient approuvées à la fin de 2004 par le féroce libéral Peter Beinart, qui écrivait dans (bien sûr) le New Republic, l’un des bastions de l’ère belliciste et pourfendeuse de hippies de l’époque Bush. Beinart appelait à une purge de la gauche anti-guerre dans des termes plus ou moins explicites, arguant que les libéraux ont dû s’adapter à la nouvelle réalité de la force américaine bienveillante, et en rejetant tout opposant. (Son usage du terme « rééducation » donne une touche plutôt ironique.) Comme tant d’autres, Beinart continuerait à regretter son soutien à la guerre en Irak, et Michael Tomasky requalifierait son essai de « polémique, sans direction, agressif, accusateur et tout à fait injuste » en 2006. Mais le maccarthysme semble rarement bon à la lumière de l’histoire, et fait des dégâts dans le présent.

Comme j’avais raison sur l’Irak et la grande question de l’usage de la force de l’Amérique dans le grand monde musulman, j’aimerais dire que j’ai apprécié notre revendication qui en a résulté. Mais malgré la litanie sans fin des “Pourquoi l’Irak c’est mal” qui ont poussé comme des champignons dans la merde à la fin des années 2000, il y avait à peine plus de revendications pour les voix anti-guerre. Pour commencer, le bobard “vous aviez raison pour de mauvaises raisons” a toujours été étalé libéralement dans les réexamens de la politique étrangère de l’Amérique. D’un autre côté, les mea culpa ont toujours été résolument restreints, se référant spécifiquement à la guerre en Irak, mais pas au traitement brutal dont les types anti-guerre ont été l’objet dans la conduite de cette guerre. La réalité du maccarthisme et son déploiement constant comme moyen de harceler les gens pour qu’ils soutiennent les guerres, froides ou chaudes, a été largement escamotée.

Je soupçonne, en fait, que le cycle recommence encore. Je soupçonne que le besoin de faire des purges augmente, et que le point de rupture sera la Syrie. Je crois que cette sorte d’intervention militaire en Syrie soit probablement en train d’arriver. Et peut-être pire encore, pour ceux d’entre nous de la gauche socialiste, la bataille politique sur cette guerre n’impliquera pas les conservateurs et quelques libéraux combattant une gauche radicale plus ou moins unifiée. Ce conflit, je crois, divisera une gauche déjà affaiblie, la laissant en morceaux.

L’existence d’une gauche favorable à la guerre aurait semblé impensable pour beaucoup, même il y a cinq ans. Les blessures de l’Irak et de l’Afghanistan ont été si profondes, et le terrible désordre qui suivit le changement de régime en Libye a sonné comme une parfaite répétition de toutes les mauvaises idées et les échecs de la décennie précédente, qu’il paraissait difficile de croire que le pays dans son ensemble voudrait repartir en guerre. Que ces arguments puissent venir de la gauche traditionnellement anti-guerre, méfiante envers les militaires et le gouvernement, et toujours en alerte sur la portée de l’impérialisme m’aurait choqué il a encore peu de temps. Et encore ce sont précisément les circonstances qui se présentent aujourd’hui.

Prenez une lettre caractéristique de la fidèle publication de gauche Socialist Worker. Stanley Heller, après être parti sur la tactique typique du vieil homme de gauche en colère qui consiste à asséner sa bonne foi anti-Vietnam, remplit tous les clichés imaginables : critiquer ou questionner la composition exacte des forces anti-Assad en Syrie, c’est être activement pro-Assad, qu’une telle attitude peut seulement être le produit de l’Occident naïf contre la pensée orientale, que la Russie et l’Iran sont les vrais Grand Méchants dans le monde, que les sceptiques sur la résistance syrienne ne se préoccupent pas assez de la question de l’anéantissement. Cet extrait de Heller est remarquable par son binarisme moral, et la discussion hystérique du vrai mal serait même critiquée dans une publication néo-conservatrice. Il parle “d’une triple alliance Assad-Iran-Russie”, faisant écho à “l’Axe du Mal” de l’administration de George W Bush, comme la vraie origine du Mal dans le monde. Heller charge ses critiques de complicité, les accusant de “rejoindre la National Review de droite et les libéraux comme Steven Kinzer, en applaudissant les avancées d’Assad et de Poutine.” Mais bien sûr cette critique est à double sens, et dans sa diabolisation de l’Iran en particulier, Heller rejoint les plus nuisibles bellicistes de la politique actuelle américaine. Il invoque même l’apaisement envers le Troisième Reich, peut-être le cliché le plus ridicule du débat actuel sur la politique étrangère.

Le phénomène que je décris est moins évident dans les journaux de gauche que dans les espaces politiques des média sociaux, qui ont pris une part démesurée du débat gauchiste dans la dernière décade. Quiconque dans la large sphère de gauche s’engage sur internet sur la question de la Syrie ne peut guère les éviter : une petite armée de tweeters en colère, d’usagers de Facebook, de commentateurs du web qui insistent lourdement sur le fait que soutenir l’intervention militaire américaine en Syrie est la seule solution morale. Ces voix sont agressives, implacables et fixées sur la Syrie à l’exclusion de tout autre sujet. Et elles ont tendances à adopter le classique comportement maccarthyste, accusant ceux qui ne sont pas d’accord avec eux d’être pro-Assad, de négliger la souffrance du peuple syrien, et même d’être des agents du Kremlin. Pour ces gens, la question syrienne est la seule question, et il n’y a rien à attendre d’un opposant de principe à l’usage de la force des USA pour sauver la Syrie. Ils sont brutaux envers leurs cibles, car ils les désignent comme complices de l’horreur syrienne.

Et ils en ont, des cibles de choix. Peu d’entre elles ont été sujettes à des diffamations plus brutales que celles subies par les journalistes américains Max Blumenthal et Rania Khalek. Ces derniers, connus pour leur plaidoyer au nom du peuple Palestinien, sont devenus objets de fixation pour ceux qui militent pour plus d’armes américaines en Syrie. Leur tweets, même ceux sans rapport avec le sujet syrien, sont souvent noyés sous les réponses les attaquant comme alliés d’Assad. A cause de leur travail typiquement orienté sur le grand Moyen-Orient, ils sont particulièrement vulnérables à ce type de campagne de dénigrement, étant donné qu’ils doivent trouver des emplois payés dans cette niche vraiment étroite. Parce qu’ils se situent sur la frange gauche du débat politique “responsable”, les cercles professionnels dans lesquels ils opèrent sont nécessairement restreints. Blumenthal et Khalek sont, dans un sens, des orphelins politiques : de gauche, dédaigneux des Démocrates, non associés aux éditions grand public, et férocement indépendants. Ils sont donc vulnérables et précisément le genre de voix qui devrait être protégé, si on veut préserver une presse contradictoire, questionnante, critique.

Khalek, en particulier, a été l’objet d’une campagne de calomnie vicieuse, implacable, constamment dénigrée comme apologiste d’Assad malgré ses critiques publiques fréquentes de la conduite d’Assad (qu’elle appelle “criminel massacreur de masse“) et de ses armées. D’une part cette fixation sort d’une ambiance de misogynie qui est l’environnement ordinaire dans lequel une femme journaliste est obligée de travailler. Mais Khalek a depuis longtemps attiré une étrange obsession négative de la part de gens dont vous pourriez imaginer qu’ils sont ses alliés. Dans ce qu’ils lui reprochent, les critiques de Khalek ont fait du double standard une forme d’art. Khalek a attiré fortement l’attention pour avoir initialement accepté d’assister à une conférence sponsorisée par le gouvernement syrien. Cela a été présenté comme une décision hautement disqualifiante de sa part et liée directement à sa complicité avec le régime d’Assad. Ce qui n’est pas dit dans ces attaques, c’est que Khalek a été rejointe par des journalistes et universitaires venant d’endroits parfaitement mainstream, que des journalistes assistent couramment à des évènements sponsorisés par des organisations et gouvernements qu’ils ne tolèrent aucunement. Mais c’est la réalité des insinuations comme moyen d’attaque politique : ce qui importe, ce n’est pas ce que vous pouvez prouver mais ce que vous pouvez suggérer. Tout ce que vous avez à faire est de laisser courir et les laisser imaginer. Après tout, qui s’occupe des preuves quand l’enjeu est si grand ?

L’attaque sur la décision initiale de Khakek d’assister à la conférence paraît ridicule quand on la compare au monde des analyses sur la politique étrangère et la production de rapports. C’est un fait banal de notre système politique, que les cabots misent sur des organisations supposées indépendantes politiquement et des journalistes ostensiblement indépendants. Le régime brutal du Qatar verse des millions dans les coffres de la Brookings Institution [think tank spécialisé en sciences sociales, NdT] ; Les Emirats Arabes Unis, régressifs, autocratiques, donnent des centaines de milliers de dollars au Center for American Progress [think tank progressif, fondé par John Podesta, NdT]. L’argent des Saoudiens est ambigu dans notre système politique, qu’il vienne d’une théocratie violente ne préoccupe guère ceux qui le prennent. Il y a eu peu de remarques sur les relations chaleureuses entre les journalistes, les think tanks et la plus grande puissance injuste depuis la chute du Troisième Reich, le gouvernement des États-Unis. Pourtant, l’intention initiale de Khalek d’assister à une conférence et d’en faire le rapport, aux côtés de journalistes et d’universitaires d’une grande variété d’institutions de l’establishment, est particulièrement disqualifiante. Les partisans de l’aventurisme militaire en Syrie rejetteront toutes ces comparaisons, insistant sur le fait que l’influence malveillante d’Assad est différente de celle de tous les autres mauvais régimes. C’est la nature du maccarthysme d’insister sur le fait que le Big Bad actuel est le plus grand mal que le monde ait jamais connu, et que toute considération d’autres mauvais acteurs n’est qu’une diversion.

Peut-être Khalek et Blumenthal sont-ils vraiment des partisans d’Assad déguisés. Peut-être sont-ils vraiment des agents russes. Peut-être que leur opposition à une autre intervention américaine au Moyen-Orient vient de leur amour pour un dictateur. Peut-être. Ce qui me préoccupe, ce n’est pas le caractère de quelques individus sceptiques, mais la méthode avec laquelle nous établissons nos opinions sur ces personnages. Et ce qui est clair, c’est que personne n’a pris la peine de demander réellement aux victimes de cette chasse aux sorcières ce qu’elles pensent. Personne n’a jugé bon de définir des critères de preuves convaincants. Personne n’a approfondi ces questions dans un esprit de totale impartialité. Et même si toutes les victimes de ce dénigrement étaient en fait coupables, je m’opposerais à une inquisition.

Si vous voulez voir un inquisiteur en action, vous devriez regarder Evan Sandlin. Etudiant diplômé en science politique, Sandlin a récemment illustré les tendances gauchistes du maccarthysme dans un article pour le Los Angeles Review of Books. Son attaque sur les supposés gauchistes pro-Assad est typique : il assimile le scepticisme à l’égard d’une guerre contre un dictateur au soutien de ce dictateur, il utilise des propos délibérément vagues et argumente par sous-entendus, évitant consciencieusement de citer les personnes qu’il accuse.

Prenez, par exemple, les attaques de Sandlin envers Tariq Ali, une voix d’extrême-gauche qui était fermement opposée à l’intervention contre Assad. Sandlin lui tape dessus avec fureur, le traitant de conspirationniste qui croit la propagande russe en Syrie, propagande qui, soyons clair, est légitimement pro-Assad. Serez-vous étonné d’apprendre, ayant lu l’article de Sandlin, que cet intellectuel supposé pro-Assad a signé une lettre ouverte appelant Assad à abdiquer et quitter la Syrie ? Qu’Ali a dit que “le fait est qu’une écrasante majorité des gens en Syrie souhaite le départ de la famille Assad – et c’est la première chose que nous devons admettre et qu’il [Assad] doit comprendre” ? Etonnante manière d’être pro-Assad ! Sandlin use de cette tactique tout au long de son essai ; il va chercher toute citation incriminante qui indique un soutien pour Assad, mais évite scrupuleusement les multiples fois où il est dénoncé ou répudié. C’est profondément malhonnête intellectuellement, au point que j’espère que le LA Review va publier un correctif, mais je n’y mettrai pas ma main à couper.

En fait, dans un email reçu après que je l’ai défié, Sandlin m’a avoué que « certaines de ces personnes, comme Kinzer ou La Riva, soutiennent ouvertement Assad. D’autres, comme Ali, Prashad ou Khalek ne le soutiennent pas. » Cela semble être un aveu important ! Presque assez important pour le faire dans son essai original. C’est amusant qu’il ne l’ait pas fait. Tout cela signifie-t-il que je sois d’accord avec tout ce que les cibles de Sandlin ont écrit ou dit au sujet du conflit ? Bien sûr que non. C’est le cas de l’équité et de l’intégrité : elle s’applique même à ceux avec qui vous êtes parfois en désaccord.

Sandlin prend le temps de citer des sondages montrant un considérable soutien à la démission d’Assad- considérable, ici, signifiant 50%, de son propre aveu. Ce faisant, il essaye au moins de déterminer l’opinion publique en Syrie au-delà de l’assertion commune “vous devriez parler aux vrais Syriens” – les vrais Syriens étant ceux qui sont d’accord avec ceux qui avancent cet argument.

Chaque fois que les gens usent de ceci : ” les habitants de ce pays X veulent…”, cela me rappelle Pauline Kael qui a soi-disant déclaré qu’elle était choquée que Richard Nixon ait gagné les élections parce qu’elle ne connaissait personne ayant voté pour lui. Un échec fréquent dans l’analyse américaine des conflits internes des pays étrangers est la tendance à voir ceux qui sont le plus prompts à parler aux journalistes occidentaux comme représentant nécessairement un large sentiment public. Chaque fois que des troubles arrivent en Iran, les journalistes clament que tous les Iraniens auxquels ils parlent sont opposés au gouvernement, ne semblant pas comprendre que la portion la plus âgée, la plus religieuse et conservatrice en Iran n’a pas l’habitude de parler aux journalistes occidentaux. Donc, au sujet de Sandlin : il sait juste ce que les vrais Syriens veulent. Sandlin prend le temps d’accuser ses cibles d’orientalisme, mais ne voit aucun problème à faire de grandes déclarations sur les positions de la rue en Syrie. Le fait est que “Ce que veulent les Syriens”, n’existe pas plus que “Ce que veulent les Américains” ; tous les pays ont leur chaos d’opinions. Le pouvoir américain décide purement ce que le futur sera pour chacun d’eux.

Y a-t-il vraiment des gauchistes pro-Assad ? Bien sûr. L’univers des opinions politiques est large ; vous pouvez trouver des gens qui soutiennent toute sorte d’opinion stupide que vous pouvez imaginer. Exactement comme il y avait des pro-al-Qaïda légitimes, il y a des gauchistes pro-Assad sur la frange ultime des opinions politiques et de la santé mentale. Est-ce que cela a été un plan d’action sage durant la précédente décade et demi ? Non bien sûr. Ce qui importe n’est pas l’existence d’une gauche pro-Assad, mais l’influence de la gauche pro-Assad. J’assignerai personnellement au pouvoir de ce groupe la note zéro. Le pouvoir des contingents pro-guerre dans la politique américaine, maintenant — les faucons, les profiteurs, les politiciens désespérés de trouver quelques personnes à tuer — bon, ce serait difficile d’exagérer leur influence. Ils sont partout dans la vie politique contemporaine. Ils hantent notre démocratie comme des esprits. Et contrairement aux gauchistes pro-Assad, ils ont du pouvoir, le pouvoir réel de pousser encore notre pays vers une nouvelle guerre. Sandlin s’engage imprudemment dans la complicité et ne semble cependant pas perturbé par le fait qu’en attaquant les motifs des sceptiques, il trouve une cause commune avec les plus nuisibles des bellicistes de notre temps. Sandlin confesse s’opposer à l’escalade américaine dans une note boiteuse. Mais quelle cause pense-il soutenir quand il descend ceux qui sont sceptiques sur notre implication dans ce conflit ? Comment quiconque étudie les sciences politiques peut ne pas comprendre les inégalités fondamentales de pouvoir entre ceux qu’il attaque et ceux pour qui il fait le sale boulot ?

S’investir dans un combat gauche-gauche contre les voix anti-guerre est consacrer son énergie à combattre l’impuissant pour le bénéfice du puissant. Je pense que personne ne devrait soutenir leur combat contre des cibles vues comme méritant une critique légitime. Mais il incombe à tout le monde d’évaluer le pouvoir relatif de leurs cibles et de leurs copains improbables, pour rester conscient de qui a une influence, et qui n’en a pas. L’appareil de guerre de l’Amérique contemporaine a l’habitude de devenir sa propre raison de conflit. Tous ceux qui s’identifient comme faisant partie de la gauche large devrait s’en souvenir, même quand ils se sentent contraints par conscience à critiquer ceux qui s’opposent à une action militaire.

En tout cas, que représente le cas de l’intervention américaine en Syrie ? C’est simple : plusieurs décades d’histoire américaine démontrent que l’armée du pays ne peut pas assurer la paix dans les conflits étrangers, et ses efforts pour le faire s’effondrent dans le chaos et les effusions de sang du sectarisme. Vous noterez que cet argument ne demande pas d’avoir un point de vue particulièrement anti-impérialiste, ce qui est pratique étant donné que les discussions sur l’anti-impérialisme et la Syrie se sont effondrées dans un trou noir de non-sens absurde que seule la gauche radicale contemporaine pouvait créer.

Parce que la guerre en Syrie est si horrible, et le régime d’Assad si mauvais, c’est naturel pour les gens de se jeter dans quelque chose qui pourrait venir mettre fin à cette misère. Mais ce qui est bizarre, c’est cette hypothèse, après les leçons post-Seconde Guerre mondiale de l’histoire américaine, que ce quelque chose pourrait être l’armée des États-Unis. Les arguments pour une force de paix potentielle américaine (que ce soit par les troupes au sol ou par une sorte de “bombe intelligente”) semblent être sûrs que la question est de savoir si l’armée américaine empêchera le chaos et les effusions de sang, pas de savoir si elle le peut. Mais on a toutes les raisons de douter que notre armée ait la capacité de le faire. Serions-nous capable d’expulser Assad sans un spectacle d’horreur encore plus long ? Je trouve cela loin d’être évident. La fin du régime d’Assad se résoudrait dans la paix ? Vous seriez surpris d’apprendre qu’une force bâtie pour infliger la mort et la destruction ait du mal à créer la paix. On avait 150 000 soldats en Irak, et une de leurs missions explicites était de garder la paix. Encore que des iraquiens soient morts par centaines de milliers quand même. Si notre intervention est restreinte à l’armée de l’air, l’exemple récent le plus révélateur est notre mésaventure en Lybie, dont a résulté un chaos général, une terrible oppression des minorités comme les Africains sub-sahariens, et une opportunité pour l’EI. D’où vient cette croyance que la paix et l’ordre peuvent venir des forces américaines ?

En attendant, la fixation sur une zone d’exclusion aérienne, une solution présentée généralement comme intermédiaire, une troisième voie, l’option raisonnable de quelque rêve érotique de Beltway, tout ça n’est qu’un divertissement. A en entendre beaucoup, l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne est aussi simple que l’installation d’une nouvelle radio dans votre voiture. En fait, cela implique un effort massif et très coûteux. Contrairement à ce que beaucoup pensent, il est impossible d’imposer une zone d’exclusion aérienne sans une présence militaire importante dans le pays. Le général Lloyd Austin, chef du commandement central des États-Unis, le général Joseph Dunford, président du chef d’état-major interarmées des États-Unis, et Hillary Clinton dans un email piraté ont admis qu’il fallait des troupes au sol pour assurer un couloir humanitaire viable. La notion d’une campagne uniquement aérienne sans la présence de troupes américaines est une fiction politique, un alibi qui nous permet de fantasmer sur un conflit sans risque. Cette possibilité n’existe pas. La question est de savoir si nous sommes prêts à entrer dans une guerre à grande échelle en Syrie. Après des années de mensonges sur les bombes intelligentes et les guerres humanitaires, on dirait que la gauche, comme les arbres à l’automne, est en train de perdre ses illusions.

Il ne fait aucun doute qu’une grande partie du peuple syrien rejette Assad, et partage ma propre conviction qu’Assad doit s’en aller. Mais nous devons prendre soin de réfléchir à la raison rationnelle du soutien d’une partie importante de la population syrienne, à la crainte légitime de représailles contre les chrétiens syriens, les alaouites et les loyalistes du gouvernement. La notion d’intervention « humanitaire » est un truisme : quand les grandes puissances choisissent les gagnants, elles choisissent aussi les perdants. Regardez, par exemple, au Kosovo, considéré si souvent comme une bonne guerre qu’il en est devenu un cliché. Après que les puissances occidentales ont rétabli la situation, la violence contre les perdants de cet engagement s’est généralisée. En fait, le Kosovo a procédé au nettoyage ethnique de sa population serbe. Les catégories de victimes et d’agresseurs ne sont ni simples ni statiques. Il n’y a guère de doute que le régime d’Assad ait cyniquement utilisé des préoccupations au sujet des violences des représailles contre les alaouites syriens et les chrétiens pour défendre son refus de démissionner ; Il ne fait guère de doute que la crainte de représailles violentes soit entièrement justifiée. On se salit les mains dans une guerre. Rien ne prouve que la chute d’Assad signifie la fin des effusions de sang.

Je ne crois pas non plus qu’une guerre contre Assad en resterait là. Les arguments pour l’intervention des États-Unis ne font pas que surestimer notre pouvoir de mettre fin au carnage. Ils surestiment la bienveillance des gens qui dirigeraient l’effort de guerre. L’establishment de la défense américaine est complètement obsédé par l’Iran. A lire les faucons conservateurs, qui restent, malgré les problèmes plus larges du mouvement conservateur d’aujourd’hui, profondément influents dans le domaine de la politique étrangère, on découvre une vision bizarre du monde dans laquelle toutes les mauvaises actions ramènent inévitablement à Téhéran. Dans l’imbroglio de la politique étrangère américaine, la plupart des arguments invoqués plaident généralement pour notre politique belligérante envers l’Iran. Israël doit recevoir des milliards d’armes et d’aide pour aider à servir son rôle de rempart contre l’Iran. Les myriades de péchés de l’Arabie saoudite doivent être pardonnées afin qu’elle puisse servir de contrepoids sunnite aux chiites en Iran. Le Liban est secrètement contrôlé par le gouvernement iranien, l’échec continu de l’Irak à atteindre la stabilité à long terme est la faute des agents iraniens, l’Afghanistan tombe dans les griffes de Téhéran… Ce sont des récits récurrents que l’on trouve en analysant la politique étrangère gravement préjudiciable de l’Amérique.

L’Iran a en effet été profondément impliqué dans le conflit syrien, déployant de nombreuses troupes dans la région pour soutenir le régime d’Assad. Ces actes, comme beaucoup entrepris par les mollahs, sont déplorables. (Je vous épargne la leçon d’histoire sur l’implication de l’Amérique dans les guerres civiles dans son propre voisinage.) Mais, bon ou mauvais, l’Iran a été impliqué en Syrie jusqu’au cou. Tout gauchiste américain qui préconise l’intervention en Syrie doit être préparé à ce que ce conflit devienne l’étincelle qui fasse enfin la lumière sur nos tensions de longue date avec l’Iran. Regardez l’article du National Post de 2012 écrit par Michael Ross : sur la simple hypothèse que nos préoccupations au sujet de la Syrie soient vraiment l’objet de notre obsession avec l’Iran. Dans la première phrase, Ross écrit que notre objectif fondamental est de « faire en sorte que la situation en Syrie ne se transforme pas en un scénario où l’Iran émerge comme le gagnant régional d’une fin de partie post-Assad. » Le docteur Majid Rafizadeh, personnage universitaire et médiatique, président de l’International American Council on the Middle East and North Africa, a exprimé une posture similaire dans le Huffington Post en 2014, arguant que l’acceptation tacite par l’Amérique du soutien iranien au régime d’Assad constitue une politique d’apaisement.

Notre appareil de politique étrangère n’oubliera pas soudainement son obsession vis-à-vis de l’Iran une fois que les bombes commenceront à tomber. Une fois que ce vaste appareil militaire qui est le nôtre sera déployé, il deviendra hors du contrôle de ceux qui préconisent une intervention « humanitaire » et devient son propre animal incontrôlable. Vous allez à la guerre avec les bellicistes que vous avez, pas les bellicistes que vous souhaitez avoir.

Bien sûr, si nous parlons du risque qu’un conflit en Syrie se propage dans une guerre plus large, nous devons parler de la Russie. La Russie et Vladimir Poutine incarnent les fixations particulières de la gauche pro-guerre. Les gauchistes en faveur de la guerre en Syrie insistent constamment sur le fait que la Russie est aussi un pouvoir impérial et que les sympathies de gauche de l’époque soviétique envers l’actuel État russe sont déplacées et destructrices. Et tu sais quoi ? Ils ont absolument raison à ce sujet. Vladimir Poutine n’est pas un bon gars. L’armée russe et les services d’espionnage ne sont pas des forces pour le bien. L’antagonisme russe avec les intérêts américains ne rend pas les actions russes morales. Tout cela est vrai. C’est aussi profondément et parfaitement sans rapport avec la question de savoir si nous devrions risquer une guerre avec l’armée de Poutine. Ce qui est pertinent, c’est que la Russie contrôle le plus grand arsenal nucléaire au monde. Ne vous méprenez pas : une zone d’exclusion aérienne signifie abattre des avions russes, précisément le type de combat direct que nous avons eu la chance d’éviter. C’est un miracle absolu de l’histoire que l’URSS et les États-Unis n’aient jamais engagé de grands conflits armés au XXe siècle, un tour du hasard et la peur d’une destruction mutuelle assurée. Les soi-disant gauchistes nous demandent maintenant de lancer les dés pour voir si Poutine se couche devant un de ses jets abattus — un acte qui ruinerait certainement sa position politique chez lui — c’est ridicule. J’entends beaucoup de gens prétendre qu’une fois le tournage commencé, Poutine retomberait. Aussi je vous demande : êtes-vous prêt à risquer une guerre nucléaire sur cette intuition ? Prévenir un conflit nucléaire est, sans exagération, l’engagement politique le plus important auquel l’humanité est actuellement confrontée. Ne vous laissez pas berner par des décennies de calme relatif dans les relations américano-russes : les deux pays ont largement assez d’ogives pour ruiner totalement les deux pays. Vous me pardonnerez si je vois le risque significatif d’un tel conflit comme trop élevé.

Et pourquoi cela ? Pour une chance que les militaires américains soient effectivement une puissance humanitaire révolutionnaire, alors qu’ils ont échoué à cet égard maintes et maintes fois ? Je ne comprends pas pourquoi ce point reste si difficile à saisir, après les quelques décennies précédentes : l’armée américaine n’est pas une force révolutionnaire. Elle ne sauve pas les gens assiégés du monde. Elle ne plonge pas en piqué pour sauver la situation comme un super-héros du monde réel. Dans sa brève période de santé mentale, inspiré par l’humiliation de l’Irak, Beinart l’a dit succinctement, en écrivant que « nous manquons de la sagesse et de la vertu de refaire le monde par la guerre préventive, les États-Unis ne peuvent pas être une puissance bénigne et messianique en même temps. » C’est cette impulsion, l’impulsion messianique, l’envie de voir l’armée américaine comme l’ange vengeur qui sauvera la Syrie de sa misère inexprimable, qui en a distancé autant parmi la gauche radicale. Et c’est une impulsion qui ne mène nulle part ailleurs qu’au désastre. C’est ce que nous devons avoir la clairvoyance de voir, même lorsque nous sommes pris par notre aversion pour Assad.

Voici l’aliment perpétuel du maccarthysme : l’impossibilité pour quiconque de révéler ses véritables motivations, et la capacité par conséquent illimitée d’attribuer à l’autre des intentions malveillantes.

Mais alors, je ne peux pas vraiment prouver que je déteste Assad, n’est-ce pas ? Vous n’avez que ma parole quand je dis que je pense que c’est un monstre, et que je souhaite trouver un moyen d’arrêter son règne qui ne mène pas au chaos, à la guerre civile et à la violence des représailles. Tout comme il n’y a aucun moyen pour moi de prouver que mon opposition à notre dernière invasion de l’Irak n’était pas motivée par un amour secret pour Saddam Hussein. Voici l’aliment perpétuel du maccarthysme : l’impossibilité pour quiconque de révéler ses véritables motivations, et la capacité par conséquent illimitée de lui imputer des intentions malveillantes. Les sceptiques du potentiel de libération par la force américaine sont pro-Assad parce que leurs critiques les ont imaginés être pro-Assad. Les insinuations suffisent. Les suppositions de mauvaise foi suffisent. Vous devez vigoureusement dénoncer Assad, constamment, ou être considéré comme son partisan. Et même alors, vous ne pouvez échapper à l’esprit de suspicion.

La nécessité de dénoncer sans cesse Assad à la moindre discussion sur une possible intervention syrienne est le genre de bassesse inhérente à la demande politique sur laquelle se construit le maccarthysme. Oui, je pense qu’Assad est un criminel de guerre, il est l’un de ceux que j’aimerais voir comparaître à La Haye. Mais les appels répétés à établir son intégrité sur ces questions font écho à la pire des histoires de serments de loyauté et d’examens de probité. Cette histoire, je suis désolé de le dire, a terrassé la gauche radicale tout au long de l’histoire. Ces jours-ci, quand je vois certains soi-disant radicaux demander aux gens de dénoncer le régime Assad, j’ai le sentiment clair d’être interrogé sur mes articles. Ne me demandez pas de croire à vos serments de fidélité et ne me demandez pas de me soumettre à vos interrogatoires idéologiques. Si vous me dites que je suis avec vous ou contre vous, alors je serai contre vous, à chaque fois. C’est une règle que je ne trahirai jamais.

Je connais un bon nombre de gens, des gens intelligents, qui croient que la politique américaine entre dans une nouvelle ère de victoires de la gauche encourageante. Je trouve cette notion agréable. Je trouve aussi que c’est un fantasme. L’argument commun selon lequel les gains incontestablement impressionnants de la campagne de Bernie Sanders : la collecte de fonds, l’organisation, l’enthousiasme véritablement inédit parmi les jeunes, mènera à un glissement à gauche des Démocrates ne me semble pas fondé. Au contraire, je soupçonne que les prochaines années verront une consolidation impitoyable du pouvoir par les centristes d’entreprise qui sont si profondément ancrés dans la structure de direction du parti. Je soupçonne que nous ayons encore des années de traversée du désert.

Et si l’Amérique saute à pieds joints dans le conflit en Syrie, je crains une série vraiment brutale de batailles idéologiques amplifiant les débats en cours, et séparant la coalition déjà fragile de la gauche. J’ai été choqué et dégoûté de voir des gens que j’admire et respecte s’engager dans des campagnes de diffamation sur la Syrie, et je soupçonne que si une administration Hillary Clinton suit la tendance et semble nous entraîner plus avant en Syrie, j’y perdrais plus d’amis. Au moins avec l’Irak la gauche était unifiée ; une guerre intra-gauche serait un type particulier de cauchemar. Mais il faut avoir des principes, et le rejet des campagnes de maccarthysme, d’anti-communisme et de diffamation est peut-être mon premier principe, et je suis prêt à perdre autant d’alliés qu’il le faut pour préserver cet engagement.

Les prédictions sont difficiles, surtout sur l’avenir. Il se peut fort bien que personne aux États-Unis ne voie de raison d’aller patauger en Syrie et préférerait les laisser se débrouiller seuls. En effet, les arguments les plus convaincants que j’entends de ceux qui doutent de l’intensification de nos interventions montrent clairement que l’armée américaine ne s’est jamais déployée pour des raisons humanitaires, qui sont de peu d’intérêt pour les Américains. Peut-être verrons-nous une alternative véritablement de gauche : que notre gouvernement cesse sa politique schizophrène en Syrie et sorte complètement du conflit, nous laissons entrer un grand nombre de réfugiés dans notre pays, nous cessons même de soutenir des régimes terribles et leur mauvais comportement comme les Saoudiens et leur horrible guerre au Yémen. Personnellement, je reste sur mes gardes et j’espère. Les années passées m’ont rendu difficile l’espoir que leur santé mentale s’améliore. Pour l’instant, les batailles au sein de la gauche sur la position correcte sur la Syrie sont des escarmouches mineures dans une mince tranche du spectre politique. Mais les choses peuvent changer.

Assad est un monstre d’un genre particulier ; la Syrie est un enfer d’un genre particulier. J’espère que le régime d’Assad tombera. J’espère que le peuple de Syrie pourra enfin sortir de cette horrible, sanglante et impensable guerre civile. Mais l’espoir n’est pas la base de l’action. Et un siècle de politique étrangère américaine, aussi bien qu’une conception adulte de la réalité d’un monde brisé, devraient nous inciter à nous méfier de nos réflexes primaires, quand bien même lorsque nous nous trouvons émus par l’inquiétude humanitaire. Surtout parce que c’est alors que nous sommes le moins susceptible d’être clairvoyants, le plus susceptible d’être aveuglés par l’horreur et la douleur. Ces émotions peuvent faire de chacun d’entre nous des commissaires du peuple, et peuvent transformer un communiste en Joe McCarthy. C’est déjà arrivé, et si nous n’y faisons pas attention, cela se reproduira.

Fredrik deBoer

Source : Current Affairs, le 03/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/1953-2002-2016-la-syrie-et-la-resurgence-du-maccarthysme-par-fredrik-deboer/


La fausse excuse de la “corruption” pour le coup d’État en Ukraine, par Robert Parry

Monday 28 November 2016 at 00:02

Source : Consortium News, le 02/11/2016

Le 2 novembre 2016

Exclusif : Le “changement de régime” soutenu par les États-Unis en Ukraine – le lancement de la Nouvelle Guerre froide avec la Russie en 2014 – a été rationalisé par la nécessité de débarrasser l’Ukraine de la corruption, mais les responsables cherchent après coup à se remplir les poches.

Par Robert Parry

Si l’Ukraine devient la poudrière précipitant la Troisième Guerre mondiale avec la Russie, le peuple américain pourrait alors regretter le jour où leur gouvernement a donné un coup de pouce au renversement en 2014 du président ukrainien, supposé corrompu (pourtant démocratiquement élu), à la faveur d’un coup d’État dirigé par des parlementaires ukrainiens qui ont depuis annoncé avoir amassé, en moyenne, plus d’un million de dollars chacun, principalement en espèces.

Le New York Times, qui avait quasiment joué le rôle d’attaché de presse pour le coup d’État de février 2014, a pris bonne note de cette corruption manifeste parmi les dirigeants issus du coup d’État et soutenus par les États-Unis, bien que ce soit au travers d’un reportage dissimulé dans les profondeurs du journal (page A8). Le sujet principal de ce reportage surprenant résidait dans la défiance des bureaucrates ukrainiens envers les banques de leur pays (ceci expliquant le pourquoi d’autant d’argent en espèces).

Le président de l'Ukraine, Petro Poroshenko, parlant au Conseil de l'Atlantique en 2014. (Photo credit: Atlantic Council)

Le président de l’Ukraine, Petro Poroshenko, parlant au Conseil de l’Atlantique en 2014. (Photo credit: Atlantic Council)

Pourtant, l’Ukraine est un pays submergé par une pauvreté généralisée, aggravée par les “réformes” néo-libérales mises en œuvre depuis le coup d’État, diminuant les pensions de retraites, exigeant que les personnes âgées travaillent plus longtemps, et réduisant les subventions pour le chauffage des citoyens ordinaires. Le salaire moyen en Ukraine est de 214 dollars par mois.

Dès lors, un esprit curieux pourrait se demander pourquoi – au milieu de toutes ces difficultés – les dirigeants issus du coup d’État s’en sortent si bien, mais le correspondant du Times Andrew E. Kramer évoque prudemment la possibilité que ces dirigeants seraient au moins aussi corrompus, si ce n’est plus, que le gouvernement élu que les États-Unis ont aidé à renverser. Le président élu Victor Yanoukovitch avait été cloué au pilori pour son train de vie luxueux parce qu’il avait un sauna dans sa résidence.

L’article de Kramer a essayé mercredi d’expliquer les liasses de billets comme un signe que « beaucoup de législateurs et de dirigeants devant inspirer la confiance au public dans les institutions économiques et bancaires de l’Ukraine ne croient guère que leur propre richesse serait en sûreté dans les banques du pays, en raison des réglementations financières récemment imposées…

“Le Premier ministre Volodymyr Groysman, par exemple, a déclaré posséder plus d’un million de dollars d’économies en espèces – 870 000 $ et 460 000 euros – apparemment en fuyant le système bancaire bringuebalant de l’Ukraine. Le haut fonctionnaire en charge des banques du pays, Valeriya Gontareva, qui est responsable de la stabilisation de la monnaie nationale, la hryvnia, conserve la plus grande partie de son argent en dollars américains – 1,8 millions de dollars.”

Un récapitulatif des déclarations déposées par la plupart des 450 membres du Parlement, compilées par un analyste, Andriy Gerus, a révélé que les parlementaires détenaient collectivement 482 millions de dollars en « avoirs monétaires », dont 36 millions étaient conservés sous forme de liquidités…

“Certains politiciens semblent avoir abordé la déclaration comme une sorte d’amnistie, révélant tout ce qu’ils avaient gagné durant des décennies de transactions tordues, dans un effort pour se blanchir. Un ministre a déclaré une cave à vin constituée de bouteilles valant des milliers de dollars chacune. Un autre fonctionnaire a déclaré la possession d’une église. Un autre s’est vanté de posséder un billet pour l’espace avec Virgin Galactic…”

“Une autre théorie qui fait le tour de Kiev – où les gens reconnaissent généralement le génie inventif et vénal de leurs politiciens – suggère que les fonctionnaires gonflent leurs déclarations” afin de cacher de futurs pots-de-vin dans leur trésorerie déclarée et leur offre ainsi des excuses plausibles pour des voitures de luxe et des bijoux hors de prix.

Accès à plus d’argent

Ironiquement, l’adoption de la loi exigeant la divulgation de ce qui semble être une corruption généralisée parmi les parlementaires de Kiev a débloqué des millions d’euros d’aide nouvelle de l’Union européenne qui a ensuite profité à ces mêmes politiciens apparemment corrompus.

Le président déchu Viktor Yanoukovitch.

Le président déchu Viktor Yanoukovitch.

Cependant, parce que le “changement de régime” de 2014 en Ukraine a été partiellement orchestré par des responsables américains et européens autour de la propagande sur le thème de la corruption du président élu Yanoukovitch – il possédait ce sauna après tout – la corruption incessante du régime d’après le coup d’État a rarement été reconnue, vérité dérangeante oblige. Bien sûr, des hommes d’affaires exerçant en Ukraine se sont plaints de l’aggravation de la corruption depuis le renversement de Yanoukovitch.

De même, cette réalité a été autorisée à être divulguée seulement occasionnellement dans les médias grand public américains, qui préfèrent nier qu’un coup d’État soit arrivé, pour imputer à la Russie tous les problèmes en Ukraine, et pour louer les “réformes post-coup d’État” qui visaient les pensions, les allocations de chauffage et autres programmes sociaux pour les citoyens du quotidien.

Une des rares contradictions au discours de louanges est apparue dans le Wall Street Journal du 1er janvier 2016, observant que “la plupart des Ukrainiens disent que la promesse de la révolution de remplacer le règne des voleurs par le règne de la loi a échoué et que le gouvernement admet qu’il y a encore beaucoup à faire.”

En fait, les chiffres suggèrent quelque chose de pire. De plus en plus d’Ukrainiens considèrent la corruption comme le problème majeur de la nation, y compris une majorité de 53% en septembre 2015, contre 28% en septembre 2014, selon les enquêtes de la Fondation Internationale pour les Systèmes Electoraux.

Alors que la vie déjà difficile devient encore plus difficile pour la plupart des Ukrainiens, les élites continuent de prélever toute la crème qui surnage, y compris l’accès aux milliards de dollars de l’aide étrangère occidentale qui a permis de maintenir l’économie à flot.

Il y a, par exemple, le cas de la Ministre des Finances Natalie Jaresko, qui était considérée par beaucoup d’éditocratres comme le visage des réformes en Ukraine, avant de quitter le gouvernement en avril 2016 à l’issue d’une défaite d’une lutte de pouvoir.

Le fait est que Jaresko n’était guère un modèle de réforme. Avant de devenir simultanément citoyenne ukrainienne et Ministre des Finances en décembre 2014, elle était une ancienne diplomate américaine, à qui avait été confiée la gestion d’un fonds de 150 millions de dollars, financé par le contribuable américain, devant aider au démarrage d’une économie basée sur des investissements en Ukraine et en Moldavie.

Le salaire de Jaresko était plafonné à 150 000 dollars par an, un salaire enviable pour beaucoup d’Américains – sans parler des Ukrainiens – mais ça ne lui a pas suffit. Aussi avait-elle engagé diverses manœuvres pour contourner ce plafond et s’enrichir en empochant des millions de dollars de bonus et de frais.

Au final, Jaresko récupérait plus de deux millions de dollars par an, après avoir fait déléguer la gestion du “Western NIS Enterprise Fund (WNISEF)” à sa propre entreprise privée, Horizon Capital, et s’être fait attribuer de généreux bonus lors de cessions d’actifs, alors même que globalement le WNISEF perdait de l’argent, selon des documents officiels.

L'ex Ministre des Finances d'Ukraine Natalie Jaresko.

L’ex Ministre des Finances d’Ukraine Natalie Jaresko.

Par exemple, Jaresko a touché 1,77 millions de dollars de bonus en 2013, selon les documents déposés par le WNISEF auprès du fisc américain. Dans les documents financiers déposés auprès du gouvernement ukrainien, elle a indiqué des revenus de 2,66 millions de dollars en 2013 et 2,05 millions en 2014, autrement dit elle a amassé une petite fortune personnelle en investissant l’argent du contribuable américain officiellement au bénéfice du peuple ukrainien.

L’hémorragie financière du WNISEF était sans importance, ce fonds pesait 150 millions initialement mais ne valait plus que 89,8 millions pour l’année fiscale 2013, selon les documents déposés auprès du fisc américain. Le WNISEF a communiqué que les bonus de Jaresko et autres directeurs de l’institution relevaient de la réalisation “réussie” de certains investissements, même si le fonds dans son ensemble perdait de l’argent.

Même si les techniques d’enrichissement de Jaresko étaient repérées par le fisc américain et d’autres déclarations officielles, les grands médias américains ont ignoré cette histoire, pour mieux pouvoir affirmer que le processus de “réformes” en Ukraine était entre de bonnes mains. [Voir l’article de Consortiumnews.com intitulé “Comment la Ministre des Finances ukrainienne est devenue riche“.]

Appel de Biden

Préoccupé par la corruption incessante, le vice-président Joe Biden, qui a un intérêt personnel en Ukraine, a donné des conférences au Parlement ukrainien sur la nécessité de mettre fin au copinage.

Mais Biden a eu son propre problème de copinage en Ukraine parce que, trois mois après le renversement du gouvernement de Yanoukovitch, la plus grande entreprise privée de gaz en Ukraine, Burisma Holdings, a nommé son fils, Hunter Biden, à son conseil d’administration.

Le vice-président Joe Biden.

Le vice-président Joe Biden.

Burisma, une obscure société basée à Chypre, a également engagé des lobbyistes bien connectés, dont certains ont des liens avec le secrétaire d’État John Kerry, y compris son ancien chef de cabinet du Sénat, David Leiter, selon les divulgations fournies par le groupe de pression.

Comme l’a rapporté le Time, “la participation de Leiter à l’entreprise renforce une équipe d’américains politiquement introduits qui comprend également un nouveau membre du conseil, Devon Archer, un partisan démocrate et ancien conseiller de la campagne présidentielle de John Kerry en 2004. Archer et Hunter Biden ont tous les deux travaillé comme partenaires commerciaux avec le gendre de Kerry, Christopher Heinz, associé fondateur de Rosemont Capital, une société d’investissement dans des entreprises.

Selon le journalisme d’investigation en Ukraine, la propriété de Burisma a été attribuée à la Banque Privat, contrôlée par l’oligarque milliardaire escroc Ihor Kolomoysky, qui a été nommé gouverneur de l’Oblast de Dnipropetrovsk par le régime de “réforme” soutenu par les États-Unis, une province d’Ukraine centro-méridionale (bien que Kolomoisky ait finalement été évincé de ce poste dans une lutte de pouvoir pour le contrôle d’UkrTransNafta, l’opérateur public de l’oléoduc en Ukraine).

Lors d’un discours au parlement d’Ukraine en décembre 2015, Biden salua le sacrifice des quelques 100 manifestants qui moururent pendant le putch de Maïdan en février 2014 qui évinça Yanoukovitch, en se référant aux morts avec l’expression élogieuse “Les Cents Merveilleux”.

Mais Biden ne fit pas de référence merveilleuse aux personnes, estimées à dix mille, la plupart d’ethnie russe, qui ont été assassinées par l’Opération Anti-Terreur encouragée par les USA et financée par le régime issu du coup d’État contre les Ukrainiens de l’Est qui résistaient contre l’éviction violente de Yanoukovitch. Biden n’a pas plus relevé que les Cents Merveilleux étaient des combattants de rue partisans d’organisations néo-nazies ou d’extrême-droite.

Mais après avoir fait ses délicieuses références aux Cent Merveilleux, Biden a livré son amère recette, un appel au parlement pour continuer à mettre en œuvre des réformes du Fonds monétaire international, y compris les demandes pour que les personnes âgées travaillent plus longtemps.

Biden a déclaré : « Pour que l’Ukraine continue à faire des progrès et à garder le soutien de la communauté internationale, vous devez faire plus. La grande partie de l’avancement de votre programme au FMI – ceci exige des réformes difficiles. Et elles sont difficiles. »

“Permettez-moi de souligner entre parenthèses ici, ce que tous les experts de notre département d’État et tous les groupes de réflexion viennent vous dire, vous savez, ce que vous devriez faire est de traiter le problème des pensions de retraites. Vous devriez vous en occuper – comme si c’était facile à faire. Mince, nous avons des problèmes en Amérique à ce sujet et nous sommes en train de le régler. Nous avons des problèmes. Voter pour repousser l’âge de la retraite signifie écrire votre mort politique dans de nombreux endroits.

« Ne négligez pas que ceux d’entre nous qui servent dans d’autres institutions démocratiques ne comprennent pas combien les conditions sont difficiles, combien il est difficile de voter pour respecter les engagements souscrits par le FMI. Il exige des sacrifices qui pourraient ne pas être politiquement opportuns ou populaires. Mais ils sont essentiels pour mettre l’Ukraine sur la voie d’un avenir qui est économiquement sûr. Et je vous exhorte à rester aussi dur que cela. L’Ukraine a besoin d’un budget qui soit conforme à vos engagements auprès du FMI.”

Cependant, aussi difficile que cela puisse être pour le Parlement ukrainien de réduire les pensions, de réduire les subventions au chauffage et de forcer les personnes âgées à travailler plus longtemps, ce sacrifice politique ne semble pas s’appliquer aux parlementaires pour faire eux-mêmes ces sacrifices financiers.

Le journaliste d’investigation Robert Parry a dénoncé bon nombre d’affaires de l’Irangate pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980.

Source : Consortium News, le 02/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-fausse-excuse-de-la-corruption-pour-le-coup-detat-en-ukraine-par-robert-parry/


Réseaux Gladio : le documentaire de la BBC de 1992 (2/3 : The Puppeteers)

Sunday 27 November 2016 at 02:17

Suite du premier épisode (dernier épisode dimanche prochain…) du très intéressant documentaire de l’excellente série TimeWatch de la BBC de 1992.

Cette deuxième partie est hélas toujours de qualité très médiocre (désolé, mais il n’y a que ça et ce documentaire est exceptionnel, très peu ont été réalisés…) ; nous l’avons sous-titrée pour vous :

.

(Un grand merci aux traducteurs et sous-titreur)

gladio-2

Source: http://www.les-crises.fr/reseaux-gladio-le-documentaire-de-la-bbc-de-1992-23/


Revue de presse du 27/11/2016

Sunday 27 November 2016 at 00:30

Aujourd’hui, une revue sans Trump… Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-27112016/