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1953—2002—2016 : La Syrie et la résurgence du maccarthysme, par Fredrik Deboer

Monday 28 November 2016 at 00:30

28Source : Current Affairs, le 03/11/2016

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Chaque fois que les États-Unis veulent aller à la guerre, les opposants sont accusés d’apologie des dictateurs. La controverse sur la Syrie ne sera pas différente.

Par FREDRIK DEBOER

J’ai beaucoup d’intérêts politiques, pour être honnête, mais seulement une obsession : l’anti-Rouge, le penchant pour les purges, la grande propension américaine à éradiquer les hérétiques et les bannir dans le désert. C’est cette obsession qui tend à me faire croire que nous nous dirigeons vers un nouvel accès de maccarthysme, lié au conflit en cours en Syrie, et qu’il a des chances de déchirer la gauche américaine.

Appelez mon obsession une construction familiale historique, à la fois récente et ancienne. Mon grand-père, un socialiste pacifiste et professeur d’université à l’université de l’Illinois, a été la cible des lois Broyles, un ensemble de lois fédérales de l’ère de la peur des Rouges destinées à débarrasser l’État de ses éléments subversifs. Toutes sortes de radicaux et sympathisants étaient visés par cette loi, qu’ils aient été de vrais socialistes comme mon grand-père, ou simplement suspects de sympathies communistes. La majeure partie de cette législation a été battue, avec le gouverneur libéral-Démocrate Adlai Stevenson mettant son veto sur plusieurs mesures. (Non pas qu’il ait été une sorte de champion viril des droits des radicaux, Stevenson contestait non pas les intentions des lois mais leur portée, arguant qu’elles risquaient de “brûler la grange pour tuer des rats.”) Mais comme il est fréquent avec ces tentatives, le dommage a été fait sans victoire législative. Nombreux sont ceux qui étaient visés et ont perdu leur emploi et vu leur carrière détruite. Mon grand-père a été protégé par son contrat, et donc a gardé sa situation, mais sa réputation a été entachée. Mon père m’a dit une fois que cela a contribué directement à l’alcoolisme qui l’a conduit à sa mort prématurée.

Les premières lois Broyles ont précédé ce qu’on appelle typiquement l’ère maccarthyste. Et encore maintenant on peut regarder en arrière et les voir comme du classique maccarthysme. Ce dernier ne se réfère pas seulement aux attaques gouvernementales sur la liberté intellectuelle et politique sous la bannière de l’anti-communisme. C’est un ensemble de pratiques consistant à calomnier les opposants sans procès équitable et basé sur des preuves très minces, attribuant aux autres des motifs sombres pour déligitimer leurs positions, suggérant que ceux avec qui vous discutez travaillent sous l’influence d’une entité de l’ombre, et insistent sur le fait que vos cibles ne sont pas seulement en tort, mais activement pernicieuses et donc doivent être évacuées de la conversation. Parfois, ce rejet implique l’arrestation de quelqu’un. Parfois cela implique une audience du Congrès et le renvoi de quelqu’un. Parfois ce n’est qu’une campagne de ragots, une attaque de dénigrement, une rencontre secrète où vous êtes désigné comme étant un cancer par vos ex-alliés. Mais l’intention est toujours la même : faire taire un type de dissidence en prétendant que c’est le germe d’intentions néfastes, et aussi arguant que quiconque se fait porte-parole de cette dissidence doit être banni.

Tous ceux qui ont vécu l’immédiat post 11/9 sont familiers de ce type de choses. Consécutivement aux attaques, une culture de patriotisme paranoïde et agressif enveloppa le pays, jetant la suspicion sur ceux qui n’ont pas mis un petit drapeau américain sur leur revers de veste ou leur voiture. Ceux qui ne professaient pas une guerre totale contre le terrorisme, quel qu’en soit le sens, étaient coupables de soutenir secrètement al-Qaïda. Les Américains musulmans, et ceux qui malheureusement avaient l’air de musulmans, étaient sujets à une constante suspicion et à des crises de violence aléatoires. Quand le commentateur conservateur Andrew Sullivan désigna les écrivains de gauche sceptiques sur la guerre contre la terreur, “une cinquième colonne”, il exprimait seulement quelque chose comme de la sagesse populaire : être insuffisamment dévoué à la cause de la guerre, c’était vous positionner nécessairement du côté de la cible de cette guerre. Avec le maccarthisme, ce qui était mis en question n’était pas seulement la justesse de votre opinion, ou la sagesse de vos choix, mais votre loyauté, vos motifs, votre caractère. C’est exactement ce sentiment de suspicion et d’exil que j’ai expérimenté en tant qu’activiste anti-guerre dans la première moitié des années 2000, ravivant intensément l’histoire de ma famille. Il n’y a pas eu de House Un-American Activities Committee (Commission de la Chambre sur les Activités Anti-Américaines) après le 11/9, mais il y a eu un niveau de peur ambiante qui transforme des gens ordinaires en indicateurs, une société entière de police secrète. Ainsi que l’écrivait le professeur de droit David Cole, de Georgetown, à propos de la résurgence du maccarthisme dans le monde de l’après 11/9 : “On a adapté les erreurs du passé, substituant de nouvelles formes de répression politique aux anciennes.”

Longue et bipartisane est l’histoire des tentatives visant à faire taire la dissidence en utilisant la culpabilité par association, les accusations non étayées et l’insistance que certaines opinions soient trop dangereuses pour être permises. En effet, McCarthy lui-même a été précédé par les démocrates anti-communistes et les purges de l’époque de Truman des socialistes du Parti démocrate après la Seconde Guerre mondiale et le début de la Guerre froide. Les démocrates sous Truman ont travaillé sans relâche pour expulser les socialistes et les sympathisants communistes du parti. C’est le sort de l’ancien vice-président de Roosevelt, Henry Wallace, coupable d’avoir plaidé pour des politiques aussi radicales que les soins de santé universels, la désescalade de la Guerre froide et la fin de la ségrégation immédiate. Cette période elle-même a fait écho à la guerre mondiale antérieure, quand le démocrate progressiste Woodrow Wilson a fait emprisonner le leader communiste Eugene Debs pour son opposition publique à la boucherie qu’a été la Première Guerre mondiale. Avancez un demi-siècle et vous avez la guerre du Vietnam, COINTELPRO [Counter Intelligence Program est un programme de contre-espionnage du FBI qui enquête sur et perturbe les organisations politiques dissidentes, NdT], et Hanoi Jane [Allusion à la photo de Jane Fonda sur le siège d’un canon anti-aérien nord-vietnamien, NdT] ; allez plus loin, et vous avez les lois Alien sur les étrangers et la loi Sedition sur la subversion. Plus ça change. [En français dans le texte]

Les purges anti-communistes de l’ère Truman étaient approuvées à la fin de 2004 par le féroce libéral Peter Beinart, qui écrivait dans (bien sûr) le New Republic, l’un des bastions de l’ère belliciste et pourfendeuse de hippies de l’époque Bush. Beinart appelait à une purge de la gauche anti-guerre dans des termes plus ou moins explicites, arguant que les libéraux ont dû s’adapter à la nouvelle réalité de la force américaine bienveillante, et en rejetant tout opposant. (Son usage du terme « rééducation » donne une touche plutôt ironique.) Comme tant d’autres, Beinart continuerait à regretter son soutien à la guerre en Irak, et Michael Tomasky requalifierait son essai de « polémique, sans direction, agressif, accusateur et tout à fait injuste » en 2006. Mais le maccarthysme semble rarement bon à la lumière de l’histoire, et fait des dégâts dans le présent.

Comme j’avais raison sur l’Irak et la grande question de l’usage de la force de l’Amérique dans le grand monde musulman, j’aimerais dire que j’ai apprécié notre revendication qui en a résulté. Mais malgré la litanie sans fin des “Pourquoi l’Irak c’est mal” qui ont poussé comme des champignons dans la merde à la fin des années 2000, il y avait à peine plus de revendications pour les voix anti-guerre. Pour commencer, le bobard “vous aviez raison pour de mauvaises raisons” a toujours été étalé libéralement dans les réexamens de la politique étrangère de l’Amérique. D’un autre côté, les mea culpa ont toujours été résolument restreints, se référant spécifiquement à la guerre en Irak, mais pas au traitement brutal dont les types anti-guerre ont été l’objet dans la conduite de cette guerre. La réalité du maccarthisme et son déploiement constant comme moyen de harceler les gens pour qu’ils soutiennent les guerres, froides ou chaudes, a été largement escamotée.

Je soupçonne, en fait, que le cycle recommence encore. Je soupçonne que le besoin de faire des purges augmente, et que le point de rupture sera la Syrie. Je crois que cette sorte d’intervention militaire en Syrie soit probablement en train d’arriver. Et peut-être pire encore, pour ceux d’entre nous de la gauche socialiste, la bataille politique sur cette guerre n’impliquera pas les conservateurs et quelques libéraux combattant une gauche radicale plus ou moins unifiée. Ce conflit, je crois, divisera une gauche déjà affaiblie, la laissant en morceaux.

L’existence d’une gauche favorable à la guerre aurait semblé impensable pour beaucoup, même il y a cinq ans. Les blessures de l’Irak et de l’Afghanistan ont été si profondes, et le terrible désordre qui suivit le changement de régime en Libye a sonné comme une parfaite répétition de toutes les mauvaises idées et les échecs de la décennie précédente, qu’il paraissait difficile de croire que le pays dans son ensemble voudrait repartir en guerre. Que ces arguments puissent venir de la gauche traditionnellement anti-guerre, méfiante envers les militaires et le gouvernement, et toujours en alerte sur la portée de l’impérialisme m’aurait choqué il a encore peu de temps. Et encore ce sont précisément les circonstances qui se présentent aujourd’hui.

Prenez une lettre caractéristique de la fidèle publication de gauche Socialist Worker. Stanley Heller, après être parti sur la tactique typique du vieil homme de gauche en colère qui consiste à asséner sa bonne foi anti-Vietnam, remplit tous les clichés imaginables : critiquer ou questionner la composition exacte des forces anti-Assad en Syrie, c’est être activement pro-Assad, qu’une telle attitude peut seulement être le produit de l’Occident naïf contre la pensée orientale, que la Russie et l’Iran sont les vrais Grand Méchants dans le monde, que les sceptiques sur la résistance syrienne ne se préoccupent pas assez de la question de l’anéantissement. Cet extrait de Heller est remarquable par son binarisme moral, et la discussion hystérique du vrai mal serait même critiquée dans une publication néo-conservatrice. Il parle “d’une triple alliance Assad-Iran-Russie”, faisant écho à “l’Axe du Mal” de l’administration de George W Bush, comme la vraie origine du Mal dans le monde. Heller charge ses critiques de complicité, les accusant de “rejoindre la National Review de droite et les libéraux comme Steven Kinzer, en applaudissant les avancées d’Assad et de Poutine.” Mais bien sûr cette critique est à double sens, et dans sa diabolisation de l’Iran en particulier, Heller rejoint les plus nuisibles bellicistes de la politique actuelle américaine. Il invoque même l’apaisement envers le Troisième Reich, peut-être le cliché le plus ridicule du débat actuel sur la politique étrangère.

Le phénomène que je décris est moins évident dans les journaux de gauche que dans les espaces politiques des média sociaux, qui ont pris une part démesurée du débat gauchiste dans la dernière décade. Quiconque dans la large sphère de gauche s’engage sur internet sur la question de la Syrie ne peut guère les éviter : une petite armée de tweeters en colère, d’usagers de Facebook, de commentateurs du web qui insistent lourdement sur le fait que soutenir l’intervention militaire américaine en Syrie est la seule solution morale. Ces voix sont agressives, implacables et fixées sur la Syrie à l’exclusion de tout autre sujet. Et elles ont tendances à adopter le classique comportement maccarthyste, accusant ceux qui ne sont pas d’accord avec eux d’être pro-Assad, de négliger la souffrance du peuple syrien, et même d’être des agents du Kremlin. Pour ces gens, la question syrienne est la seule question, et il n’y a rien à attendre d’un opposant de principe à l’usage de la force des USA pour sauver la Syrie. Ils sont brutaux envers leurs cibles, car ils les désignent comme complices de l’horreur syrienne.

Et ils en ont, des cibles de choix. Peu d’entre elles ont été sujettes à des diffamations plus brutales que celles subies par les journalistes américains Max Blumenthal et Rania Khalek. Ces derniers, connus pour leur plaidoyer au nom du peuple Palestinien, sont devenus objets de fixation pour ceux qui militent pour plus d’armes américaines en Syrie. Leur tweets, même ceux sans rapport avec le sujet syrien, sont souvent noyés sous les réponses les attaquant comme alliés d’Assad. A cause de leur travail typiquement orienté sur le grand Moyen-Orient, ils sont particulièrement vulnérables à ce type de campagne de dénigrement, étant donné qu’ils doivent trouver des emplois payés dans cette niche vraiment étroite. Parce qu’ils se situent sur la frange gauche du débat politique “responsable”, les cercles professionnels dans lesquels ils opèrent sont nécessairement restreints. Blumenthal et Khalek sont, dans un sens, des orphelins politiques : de gauche, dédaigneux des Démocrates, non associés aux éditions grand public, et férocement indépendants. Ils sont donc vulnérables et précisément le genre de voix qui devrait être protégé, si on veut préserver une presse contradictoire, questionnante, critique.

Khalek, en particulier, a été l’objet d’une campagne de calomnie vicieuse, implacable, constamment dénigrée comme apologiste d’Assad malgré ses critiques publiques fréquentes de la conduite d’Assad (qu’elle appelle “criminel massacreur de masse“) et de ses armées. D’une part cette fixation sort d’une ambiance de misogynie qui est l’environnement ordinaire dans lequel une femme journaliste est obligée de travailler. Mais Khalek a depuis longtemps attiré une étrange obsession négative de la part de gens dont vous pourriez imaginer qu’ils sont ses alliés. Dans ce qu’ils lui reprochent, les critiques de Khalek ont fait du double standard une forme d’art. Khalek a attiré fortement l’attention pour avoir initialement accepté d’assister à une conférence sponsorisée par le gouvernement syrien. Cela a été présenté comme une décision hautement disqualifiante de sa part et liée directement à sa complicité avec le régime d’Assad. Ce qui n’est pas dit dans ces attaques, c’est que Khalek a été rejointe par des journalistes et universitaires venant d’endroits parfaitement mainstream, que des journalistes assistent couramment à des évènements sponsorisés par des organisations et gouvernements qu’ils ne tolèrent aucunement. Mais c’est la réalité des insinuations comme moyen d’attaque politique : ce qui importe, ce n’est pas ce que vous pouvez prouver mais ce que vous pouvez suggérer. Tout ce que vous avez à faire est de laisser courir et les laisser imaginer. Après tout, qui s’occupe des preuves quand l’enjeu est si grand ?

L’attaque sur la décision initiale de Khakek d’assister à la conférence paraît ridicule quand on la compare au monde des analyses sur la politique étrangère et la production de rapports. C’est un fait banal de notre système politique, que les cabots misent sur des organisations supposées indépendantes politiquement et des journalistes ostensiblement indépendants. Le régime brutal du Qatar verse des millions dans les coffres de la Brookings Institution [think tank spécialisé en sciences sociales, NdT] ; Les Emirats Arabes Unis, régressifs, autocratiques, donnent des centaines de milliers de dollars au Center for American Progress [think tank progressif, fondé par John Podesta, NdT]. L’argent des Saoudiens est ambigu dans notre système politique, qu’il vienne d’une théocratie violente ne préoccupe guère ceux qui le prennent. Il y a eu peu de remarques sur les relations chaleureuses entre les journalistes, les think tanks et la plus grande puissance injuste depuis la chute du Troisième Reich, le gouvernement des États-Unis. Pourtant, l’intention initiale de Khalek d’assister à une conférence et d’en faire le rapport, aux côtés de journalistes et d’universitaires d’une grande variété d’institutions de l’establishment, est particulièrement disqualifiante. Les partisans de l’aventurisme militaire en Syrie rejetteront toutes ces comparaisons, insistant sur le fait que l’influence malveillante d’Assad est différente de celle de tous les autres mauvais régimes. C’est la nature du maccarthysme d’insister sur le fait que le Big Bad actuel est le plus grand mal que le monde ait jamais connu, et que toute considération d’autres mauvais acteurs n’est qu’une diversion.

Peut-être Khalek et Blumenthal sont-ils vraiment des partisans d’Assad déguisés. Peut-être sont-ils vraiment des agents russes. Peut-être que leur opposition à une autre intervention américaine au Moyen-Orient vient de leur amour pour un dictateur. Peut-être. Ce qui me préoccupe, ce n’est pas le caractère de quelques individus sceptiques, mais la méthode avec laquelle nous établissons nos opinions sur ces personnages. Et ce qui est clair, c’est que personne n’a pris la peine de demander réellement aux victimes de cette chasse aux sorcières ce qu’elles pensent. Personne n’a jugé bon de définir des critères de preuves convaincants. Personne n’a approfondi ces questions dans un esprit de totale impartialité. Et même si toutes les victimes de ce dénigrement étaient en fait coupables, je m’opposerais à une inquisition.

Si vous voulez voir un inquisiteur en action, vous devriez regarder Evan Sandlin. Etudiant diplômé en science politique, Sandlin a récemment illustré les tendances gauchistes du maccarthysme dans un article pour le Los Angeles Review of Books. Son attaque sur les supposés gauchistes pro-Assad est typique : il assimile le scepticisme à l’égard d’une guerre contre un dictateur au soutien de ce dictateur, il utilise des propos délibérément vagues et argumente par sous-entendus, évitant consciencieusement de citer les personnes qu’il accuse.

Prenez, par exemple, les attaques de Sandlin envers Tariq Ali, une voix d’extrême-gauche qui était fermement opposée à l’intervention contre Assad. Sandlin lui tape dessus avec fureur, le traitant de conspirationniste qui croit la propagande russe en Syrie, propagande qui, soyons clair, est légitimement pro-Assad. Serez-vous étonné d’apprendre, ayant lu l’article de Sandlin, que cet intellectuel supposé pro-Assad a signé une lettre ouverte appelant Assad à abdiquer et quitter la Syrie ? Qu’Ali a dit que “le fait est qu’une écrasante majorité des gens en Syrie souhaite le départ de la famille Assad – et c’est la première chose que nous devons admettre et qu’il [Assad] doit comprendre” ? Etonnante manière d’être pro-Assad ! Sandlin use de cette tactique tout au long de son essai ; il va chercher toute citation incriminante qui indique un soutien pour Assad, mais évite scrupuleusement les multiples fois où il est dénoncé ou répudié. C’est profondément malhonnête intellectuellement, au point que j’espère que le LA Review va publier un correctif, mais je n’y mettrai pas ma main à couper.

En fait, dans un email reçu après que je l’ai défié, Sandlin m’a avoué que « certaines de ces personnes, comme Kinzer ou La Riva, soutiennent ouvertement Assad. D’autres, comme Ali, Prashad ou Khalek ne le soutiennent pas. » Cela semble être un aveu important ! Presque assez important pour le faire dans son essai original. C’est amusant qu’il ne l’ait pas fait. Tout cela signifie-t-il que je sois d’accord avec tout ce que les cibles de Sandlin ont écrit ou dit au sujet du conflit ? Bien sûr que non. C’est le cas de l’équité et de l’intégrité : elle s’applique même à ceux avec qui vous êtes parfois en désaccord.

Sandlin prend le temps de citer des sondages montrant un considérable soutien à la démission d’Assad- considérable, ici, signifiant 50%, de son propre aveu. Ce faisant, il essaye au moins de déterminer l’opinion publique en Syrie au-delà de l’assertion commune “vous devriez parler aux vrais Syriens” – les vrais Syriens étant ceux qui sont d’accord avec ceux qui avancent cet argument.

Chaque fois que les gens usent de ceci : ” les habitants de ce pays X veulent…”, cela me rappelle Pauline Kael qui a soi-disant déclaré qu’elle était choquée que Richard Nixon ait gagné les élections parce qu’elle ne connaissait personne ayant voté pour lui. Un échec fréquent dans l’analyse américaine des conflits internes des pays étrangers est la tendance à voir ceux qui sont le plus prompts à parler aux journalistes occidentaux comme représentant nécessairement un large sentiment public. Chaque fois que des troubles arrivent en Iran, les journalistes clament que tous les Iraniens auxquels ils parlent sont opposés au gouvernement, ne semblant pas comprendre que la portion la plus âgée, la plus religieuse et conservatrice en Iran n’a pas l’habitude de parler aux journalistes occidentaux. Donc, au sujet de Sandlin : il sait juste ce que les vrais Syriens veulent. Sandlin prend le temps d’accuser ses cibles d’orientalisme, mais ne voit aucun problème à faire de grandes déclarations sur les positions de la rue en Syrie. Le fait est que “Ce que veulent les Syriens”, n’existe pas plus que “Ce que veulent les Américains” ; tous les pays ont leur chaos d’opinions. Le pouvoir américain décide purement ce que le futur sera pour chacun d’eux.

Y a-t-il vraiment des gauchistes pro-Assad ? Bien sûr. L’univers des opinions politiques est large ; vous pouvez trouver des gens qui soutiennent toute sorte d’opinion stupide que vous pouvez imaginer. Exactement comme il y avait des pro-al-Qaïda légitimes, il y a des gauchistes pro-Assad sur la frange ultime des opinions politiques et de la santé mentale. Est-ce que cela a été un plan d’action sage durant la précédente décade et demi ? Non bien sûr. Ce qui importe n’est pas l’existence d’une gauche pro-Assad, mais l’influence de la gauche pro-Assad. J’assignerai personnellement au pouvoir de ce groupe la note zéro. Le pouvoir des contingents pro-guerre dans la politique américaine, maintenant — les faucons, les profiteurs, les politiciens désespérés de trouver quelques personnes à tuer — bon, ce serait difficile d’exagérer leur influence. Ils sont partout dans la vie politique contemporaine. Ils hantent notre démocratie comme des esprits. Et contrairement aux gauchistes pro-Assad, ils ont du pouvoir, le pouvoir réel de pousser encore notre pays vers une nouvelle guerre. Sandlin s’engage imprudemment dans la complicité et ne semble cependant pas perturbé par le fait qu’en attaquant les motifs des sceptiques, il trouve une cause commune avec les plus nuisibles des bellicistes de notre temps. Sandlin confesse s’opposer à l’escalade américaine dans une note boiteuse. Mais quelle cause pense-il soutenir quand il descend ceux qui sont sceptiques sur notre implication dans ce conflit ? Comment quiconque étudie les sciences politiques peut ne pas comprendre les inégalités fondamentales de pouvoir entre ceux qu’il attaque et ceux pour qui il fait le sale boulot ?

S’investir dans un combat gauche-gauche contre les voix anti-guerre est consacrer son énergie à combattre l’impuissant pour le bénéfice du puissant. Je pense que personne ne devrait soutenir leur combat contre des cibles vues comme méritant une critique légitime. Mais il incombe à tout le monde d’évaluer le pouvoir relatif de leurs cibles et de leurs copains improbables, pour rester conscient de qui a une influence, et qui n’en a pas. L’appareil de guerre de l’Amérique contemporaine a l’habitude de devenir sa propre raison de conflit. Tous ceux qui s’identifient comme faisant partie de la gauche large devrait s’en souvenir, même quand ils se sentent contraints par conscience à critiquer ceux qui s’opposent à une action militaire.

En tout cas, que représente le cas de l’intervention américaine en Syrie ? C’est simple : plusieurs décades d’histoire américaine démontrent que l’armée du pays ne peut pas assurer la paix dans les conflits étrangers, et ses efforts pour le faire s’effondrent dans le chaos et les effusions de sang du sectarisme. Vous noterez que cet argument ne demande pas d’avoir un point de vue particulièrement anti-impérialiste, ce qui est pratique étant donné que les discussions sur l’anti-impérialisme et la Syrie se sont effondrées dans un trou noir de non-sens absurde que seule la gauche radicale contemporaine pouvait créer.

Parce que la guerre en Syrie est si horrible, et le régime d’Assad si mauvais, c’est naturel pour les gens de se jeter dans quelque chose qui pourrait venir mettre fin à cette misère. Mais ce qui est bizarre, c’est cette hypothèse, après les leçons post-Seconde Guerre mondiale de l’histoire américaine, que ce quelque chose pourrait être l’armée des États-Unis. Les arguments pour une force de paix potentielle américaine (que ce soit par les troupes au sol ou par une sorte de “bombe intelligente”) semblent être sûrs que la question est de savoir si l’armée américaine empêchera le chaos et les effusions de sang, pas de savoir si elle le peut. Mais on a toutes les raisons de douter que notre armée ait la capacité de le faire. Serions-nous capable d’expulser Assad sans un spectacle d’horreur encore plus long ? Je trouve cela loin d’être évident. La fin du régime d’Assad se résoudrait dans la paix ? Vous seriez surpris d’apprendre qu’une force bâtie pour infliger la mort et la destruction ait du mal à créer la paix. On avait 150 000 soldats en Irak, et une de leurs missions explicites était de garder la paix. Encore que des iraquiens soient morts par centaines de milliers quand même. Si notre intervention est restreinte à l’armée de l’air, l’exemple récent le plus révélateur est notre mésaventure en Lybie, dont a résulté un chaos général, une terrible oppression des minorités comme les Africains sub-sahariens, et une opportunité pour l’EI. D’où vient cette croyance que la paix et l’ordre peuvent venir des forces américaines ?

En attendant, la fixation sur une zone d’exclusion aérienne, une solution présentée généralement comme intermédiaire, une troisième voie, l’option raisonnable de quelque rêve érotique de Beltway, tout ça n’est qu’un divertissement. A en entendre beaucoup, l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne est aussi simple que l’installation d’une nouvelle radio dans votre voiture. En fait, cela implique un effort massif et très coûteux. Contrairement à ce que beaucoup pensent, il est impossible d’imposer une zone d’exclusion aérienne sans une présence militaire importante dans le pays. Le général Lloyd Austin, chef du commandement central des États-Unis, le général Joseph Dunford, président du chef d’état-major interarmées des États-Unis, et Hillary Clinton dans un email piraté ont admis qu’il fallait des troupes au sol pour assurer un couloir humanitaire viable. La notion d’une campagne uniquement aérienne sans la présence de troupes américaines est une fiction politique, un alibi qui nous permet de fantasmer sur un conflit sans risque. Cette possibilité n’existe pas. La question est de savoir si nous sommes prêts à entrer dans une guerre à grande échelle en Syrie. Après des années de mensonges sur les bombes intelligentes et les guerres humanitaires, on dirait que la gauche, comme les arbres à l’automne, est en train de perdre ses illusions.

Il ne fait aucun doute qu’une grande partie du peuple syrien rejette Assad, et partage ma propre conviction qu’Assad doit s’en aller. Mais nous devons prendre soin de réfléchir à la raison rationnelle du soutien d’une partie importante de la population syrienne, à la crainte légitime de représailles contre les chrétiens syriens, les alaouites et les loyalistes du gouvernement. La notion d’intervention « humanitaire » est un truisme : quand les grandes puissances choisissent les gagnants, elles choisissent aussi les perdants. Regardez, par exemple, au Kosovo, considéré si souvent comme une bonne guerre qu’il en est devenu un cliché. Après que les puissances occidentales ont rétabli la situation, la violence contre les perdants de cet engagement s’est généralisée. En fait, le Kosovo a procédé au nettoyage ethnique de sa population serbe. Les catégories de victimes et d’agresseurs ne sont ni simples ni statiques. Il n’y a guère de doute que le régime d’Assad ait cyniquement utilisé des préoccupations au sujet des violences des représailles contre les alaouites syriens et les chrétiens pour défendre son refus de démissionner ; Il ne fait guère de doute que la crainte de représailles violentes soit entièrement justifiée. On se salit les mains dans une guerre. Rien ne prouve que la chute d’Assad signifie la fin des effusions de sang.

Je ne crois pas non plus qu’une guerre contre Assad en resterait là. Les arguments pour l’intervention des États-Unis ne font pas que surestimer notre pouvoir de mettre fin au carnage. Ils surestiment la bienveillance des gens qui dirigeraient l’effort de guerre. L’establishment de la défense américaine est complètement obsédé par l’Iran. A lire les faucons conservateurs, qui restent, malgré les problèmes plus larges du mouvement conservateur d’aujourd’hui, profondément influents dans le domaine de la politique étrangère, on découvre une vision bizarre du monde dans laquelle toutes les mauvaises actions ramènent inévitablement à Téhéran. Dans l’imbroglio de la politique étrangère américaine, la plupart des arguments invoqués plaident généralement pour notre politique belligérante envers l’Iran. Israël doit recevoir des milliards d’armes et d’aide pour aider à servir son rôle de rempart contre l’Iran. Les myriades de péchés de l’Arabie saoudite doivent être pardonnées afin qu’elle puisse servir de contrepoids sunnite aux chiites en Iran. Le Liban est secrètement contrôlé par le gouvernement iranien, l’échec continu de l’Irak à atteindre la stabilité à long terme est la faute des agents iraniens, l’Afghanistan tombe dans les griffes de Téhéran… Ce sont des récits récurrents que l’on trouve en analysant la politique étrangère gravement préjudiciable de l’Amérique.

L’Iran a en effet été profondément impliqué dans le conflit syrien, déployant de nombreuses troupes dans la région pour soutenir le régime d’Assad. Ces actes, comme beaucoup entrepris par les mollahs, sont déplorables. (Je vous épargne la leçon d’histoire sur l’implication de l’Amérique dans les guerres civiles dans son propre voisinage.) Mais, bon ou mauvais, l’Iran a été impliqué en Syrie jusqu’au cou. Tout gauchiste américain qui préconise l’intervention en Syrie doit être préparé à ce que ce conflit devienne l’étincelle qui fasse enfin la lumière sur nos tensions de longue date avec l’Iran. Regardez l’article du National Post de 2012 écrit par Michael Ross : sur la simple hypothèse que nos préoccupations au sujet de la Syrie soient vraiment l’objet de notre obsession avec l’Iran. Dans la première phrase, Ross écrit que notre objectif fondamental est de « faire en sorte que la situation en Syrie ne se transforme pas en un scénario où l’Iran émerge comme le gagnant régional d’une fin de partie post-Assad. » Le docteur Majid Rafizadeh, personnage universitaire et médiatique, président de l’International American Council on the Middle East and North Africa, a exprimé une posture similaire dans le Huffington Post en 2014, arguant que l’acceptation tacite par l’Amérique du soutien iranien au régime d’Assad constitue une politique d’apaisement.

Notre appareil de politique étrangère n’oubliera pas soudainement son obsession vis-à-vis de l’Iran une fois que les bombes commenceront à tomber. Une fois que ce vaste appareil militaire qui est le nôtre sera déployé, il deviendra hors du contrôle de ceux qui préconisent une intervention « humanitaire » et devient son propre animal incontrôlable. Vous allez à la guerre avec les bellicistes que vous avez, pas les bellicistes que vous souhaitez avoir.

Bien sûr, si nous parlons du risque qu’un conflit en Syrie se propage dans une guerre plus large, nous devons parler de la Russie. La Russie et Vladimir Poutine incarnent les fixations particulières de la gauche pro-guerre. Les gauchistes en faveur de la guerre en Syrie insistent constamment sur le fait que la Russie est aussi un pouvoir impérial et que les sympathies de gauche de l’époque soviétique envers l’actuel État russe sont déplacées et destructrices. Et tu sais quoi ? Ils ont absolument raison à ce sujet. Vladimir Poutine n’est pas un bon gars. L’armée russe et les services d’espionnage ne sont pas des forces pour le bien. L’antagonisme russe avec les intérêts américains ne rend pas les actions russes morales. Tout cela est vrai. C’est aussi profondément et parfaitement sans rapport avec la question de savoir si nous devrions risquer une guerre avec l’armée de Poutine. Ce qui est pertinent, c’est que la Russie contrôle le plus grand arsenal nucléaire au monde. Ne vous méprenez pas : une zone d’exclusion aérienne signifie abattre des avions russes, précisément le type de combat direct que nous avons eu la chance d’éviter. C’est un miracle absolu de l’histoire que l’URSS et les États-Unis n’aient jamais engagé de grands conflits armés au XXe siècle, un tour du hasard et la peur d’une destruction mutuelle assurée. Les soi-disant gauchistes nous demandent maintenant de lancer les dés pour voir si Poutine se couche devant un de ses jets abattus — un acte qui ruinerait certainement sa position politique chez lui — c’est ridicule. J’entends beaucoup de gens prétendre qu’une fois le tournage commencé, Poutine retomberait. Aussi je vous demande : êtes-vous prêt à risquer une guerre nucléaire sur cette intuition ? Prévenir un conflit nucléaire est, sans exagération, l’engagement politique le plus important auquel l’humanité est actuellement confrontée. Ne vous laissez pas berner par des décennies de calme relatif dans les relations américano-russes : les deux pays ont largement assez d’ogives pour ruiner totalement les deux pays. Vous me pardonnerez si je vois le risque significatif d’un tel conflit comme trop élevé.

Et pourquoi cela ? Pour une chance que les militaires américains soient effectivement une puissance humanitaire révolutionnaire, alors qu’ils ont échoué à cet égard maintes et maintes fois ? Je ne comprends pas pourquoi ce point reste si difficile à saisir, après les quelques décennies précédentes : l’armée américaine n’est pas une force révolutionnaire. Elle ne sauve pas les gens assiégés du monde. Elle ne plonge pas en piqué pour sauver la situation comme un super-héros du monde réel. Dans sa brève période de santé mentale, inspiré par l’humiliation de l’Irak, Beinart l’a dit succinctement, en écrivant que « nous manquons de la sagesse et de la vertu de refaire le monde par la guerre préventive, les États-Unis ne peuvent pas être une puissance bénigne et messianique en même temps. » C’est cette impulsion, l’impulsion messianique, l’envie de voir l’armée américaine comme l’ange vengeur qui sauvera la Syrie de sa misère inexprimable, qui en a distancé autant parmi la gauche radicale. Et c’est une impulsion qui ne mène nulle part ailleurs qu’au désastre. C’est ce que nous devons avoir la clairvoyance de voir, même lorsque nous sommes pris par notre aversion pour Assad.

Voici l’aliment perpétuel du maccarthysme : l’impossibilité pour quiconque de révéler ses véritables motivations, et la capacité par conséquent illimitée d’attribuer à l’autre des intentions malveillantes.

Mais alors, je ne peux pas vraiment prouver que je déteste Assad, n’est-ce pas ? Vous n’avez que ma parole quand je dis que je pense que c’est un monstre, et que je souhaite trouver un moyen d’arrêter son règne qui ne mène pas au chaos, à la guerre civile et à la violence des représailles. Tout comme il n’y a aucun moyen pour moi de prouver que mon opposition à notre dernière invasion de l’Irak n’était pas motivée par un amour secret pour Saddam Hussein. Voici l’aliment perpétuel du maccarthysme : l’impossibilité pour quiconque de révéler ses véritables motivations, et la capacité par conséquent illimitée de lui imputer des intentions malveillantes. Les sceptiques du potentiel de libération par la force américaine sont pro-Assad parce que leurs critiques les ont imaginés être pro-Assad. Les insinuations suffisent. Les suppositions de mauvaise foi suffisent. Vous devez vigoureusement dénoncer Assad, constamment, ou être considéré comme son partisan. Et même alors, vous ne pouvez échapper à l’esprit de suspicion.

La nécessité de dénoncer sans cesse Assad à la moindre discussion sur une possible intervention syrienne est le genre de bassesse inhérente à la demande politique sur laquelle se construit le maccarthysme. Oui, je pense qu’Assad est un criminel de guerre, il est l’un de ceux que j’aimerais voir comparaître à La Haye. Mais les appels répétés à établir son intégrité sur ces questions font écho à la pire des histoires de serments de loyauté et d’examens de probité. Cette histoire, je suis désolé de le dire, a terrassé la gauche radicale tout au long de l’histoire. Ces jours-ci, quand je vois certains soi-disant radicaux demander aux gens de dénoncer le régime Assad, j’ai le sentiment clair d’être interrogé sur mes articles. Ne me demandez pas de croire à vos serments de fidélité et ne me demandez pas de me soumettre à vos interrogatoires idéologiques. Si vous me dites que je suis avec vous ou contre vous, alors je serai contre vous, à chaque fois. C’est une règle que je ne trahirai jamais.

Je connais un bon nombre de gens, des gens intelligents, qui croient que la politique américaine entre dans une nouvelle ère de victoires de la gauche encourageante. Je trouve cette notion agréable. Je trouve aussi que c’est un fantasme. L’argument commun selon lequel les gains incontestablement impressionnants de la campagne de Bernie Sanders : la collecte de fonds, l’organisation, l’enthousiasme véritablement inédit parmi les jeunes, mènera à un glissement à gauche des Démocrates ne me semble pas fondé. Au contraire, je soupçonne que les prochaines années verront une consolidation impitoyable du pouvoir par les centristes d’entreprise qui sont si profondément ancrés dans la structure de direction du parti. Je soupçonne que nous ayons encore des années de traversée du désert.

Et si l’Amérique saute à pieds joints dans le conflit en Syrie, je crains une série vraiment brutale de batailles idéologiques amplifiant les débats en cours, et séparant la coalition déjà fragile de la gauche. J’ai été choqué et dégoûté de voir des gens que j’admire et respecte s’engager dans des campagnes de diffamation sur la Syrie, et je soupçonne que si une administration Hillary Clinton suit la tendance et semble nous entraîner plus avant en Syrie, j’y perdrais plus d’amis. Au moins avec l’Irak la gauche était unifiée ; une guerre intra-gauche serait un type particulier de cauchemar. Mais il faut avoir des principes, et le rejet des campagnes de maccarthysme, d’anti-communisme et de diffamation est peut-être mon premier principe, et je suis prêt à perdre autant d’alliés qu’il le faut pour préserver cet engagement.

Les prédictions sont difficiles, surtout sur l’avenir. Il se peut fort bien que personne aux États-Unis ne voie de raison d’aller patauger en Syrie et préférerait les laisser se débrouiller seuls. En effet, les arguments les plus convaincants que j’entends de ceux qui doutent de l’intensification de nos interventions montrent clairement que l’armée américaine ne s’est jamais déployée pour des raisons humanitaires, qui sont de peu d’intérêt pour les Américains. Peut-être verrons-nous une alternative véritablement de gauche : que notre gouvernement cesse sa politique schizophrène en Syrie et sorte complètement du conflit, nous laissons entrer un grand nombre de réfugiés dans notre pays, nous cessons même de soutenir des régimes terribles et leur mauvais comportement comme les Saoudiens et leur horrible guerre au Yémen. Personnellement, je reste sur mes gardes et j’espère. Les années passées m’ont rendu difficile l’espoir que leur santé mentale s’améliore. Pour l’instant, les batailles au sein de la gauche sur la position correcte sur la Syrie sont des escarmouches mineures dans une mince tranche du spectre politique. Mais les choses peuvent changer.

Assad est un monstre d’un genre particulier ; la Syrie est un enfer d’un genre particulier. J’espère que le régime d’Assad tombera. J’espère que le peuple de Syrie pourra enfin sortir de cette horrible, sanglante et impensable guerre civile. Mais l’espoir n’est pas la base de l’action. Et un siècle de politique étrangère américaine, aussi bien qu’une conception adulte de la réalité d’un monde brisé, devraient nous inciter à nous méfier de nos réflexes primaires, quand bien même lorsque nous nous trouvons émus par l’inquiétude humanitaire. Surtout parce que c’est alors que nous sommes le moins susceptible d’être clairvoyants, le plus susceptible d’être aveuglés par l’horreur et la douleur. Ces émotions peuvent faire de chacun d’entre nous des commissaires du peuple, et peuvent transformer un communiste en Joe McCarthy. C’est déjà arrivé, et si nous n’y faisons pas attention, cela se reproduira.

Fredrik deBoer

Source : Current Affairs, le 03/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/1953-2002-2016-la-syrie-et-la-resurgence-du-maccarthysme-par-fredrik-deboer/


La fausse excuse de la “corruption” pour le coup d’État en Ukraine, par Robert Parry

Monday 28 November 2016 at 00:02

Source : Consortium News, le 02/11/2016

Le 2 novembre 2016

Exclusif : Le “changement de régime” soutenu par les États-Unis en Ukraine – le lancement de la Nouvelle Guerre froide avec la Russie en 2014 – a été rationalisé par la nécessité de débarrasser l’Ukraine de la corruption, mais les responsables cherchent après coup à se remplir les poches.

Par Robert Parry

Si l’Ukraine devient la poudrière précipitant la Troisième Guerre mondiale avec la Russie, le peuple américain pourrait alors regretter le jour où leur gouvernement a donné un coup de pouce au renversement en 2014 du président ukrainien, supposé corrompu (pourtant démocratiquement élu), à la faveur d’un coup d’État dirigé par des parlementaires ukrainiens qui ont depuis annoncé avoir amassé, en moyenne, plus d’un million de dollars chacun, principalement en espèces.

Le New York Times, qui avait quasiment joué le rôle d’attaché de presse pour le coup d’État de février 2014, a pris bonne note de cette corruption manifeste parmi les dirigeants issus du coup d’État et soutenus par les États-Unis, bien que ce soit au travers d’un reportage dissimulé dans les profondeurs du journal (page A8). Le sujet principal de ce reportage surprenant résidait dans la défiance des bureaucrates ukrainiens envers les banques de leur pays (ceci expliquant le pourquoi d’autant d’argent en espèces).

Le président de l'Ukraine, Petro Poroshenko, parlant au Conseil de l'Atlantique en 2014. (Photo credit: Atlantic Council)

Le président de l’Ukraine, Petro Poroshenko, parlant au Conseil de l’Atlantique en 2014. (Photo credit: Atlantic Council)

Pourtant, l’Ukraine est un pays submergé par une pauvreté généralisée, aggravée par les “réformes” néo-libérales mises en œuvre depuis le coup d’État, diminuant les pensions de retraites, exigeant que les personnes âgées travaillent plus longtemps, et réduisant les subventions pour le chauffage des citoyens ordinaires. Le salaire moyen en Ukraine est de 214 dollars par mois.

Dès lors, un esprit curieux pourrait se demander pourquoi – au milieu de toutes ces difficultés – les dirigeants issus du coup d’État s’en sortent si bien, mais le correspondant du Times Andrew E. Kramer évoque prudemment la possibilité que ces dirigeants seraient au moins aussi corrompus, si ce n’est plus, que le gouvernement élu que les États-Unis ont aidé à renverser. Le président élu Victor Yanoukovitch avait été cloué au pilori pour son train de vie luxueux parce qu’il avait un sauna dans sa résidence.

L’article de Kramer a essayé mercredi d’expliquer les liasses de billets comme un signe que « beaucoup de législateurs et de dirigeants devant inspirer la confiance au public dans les institutions économiques et bancaires de l’Ukraine ne croient guère que leur propre richesse serait en sûreté dans les banques du pays, en raison des réglementations financières récemment imposées…

“Le Premier ministre Volodymyr Groysman, par exemple, a déclaré posséder plus d’un million de dollars d’économies en espèces – 870 000 $ et 460 000 euros – apparemment en fuyant le système bancaire bringuebalant de l’Ukraine. Le haut fonctionnaire en charge des banques du pays, Valeriya Gontareva, qui est responsable de la stabilisation de la monnaie nationale, la hryvnia, conserve la plus grande partie de son argent en dollars américains – 1,8 millions de dollars.”

Un récapitulatif des déclarations déposées par la plupart des 450 membres du Parlement, compilées par un analyste, Andriy Gerus, a révélé que les parlementaires détenaient collectivement 482 millions de dollars en « avoirs monétaires », dont 36 millions étaient conservés sous forme de liquidités…

“Certains politiciens semblent avoir abordé la déclaration comme une sorte d’amnistie, révélant tout ce qu’ils avaient gagné durant des décennies de transactions tordues, dans un effort pour se blanchir. Un ministre a déclaré une cave à vin constituée de bouteilles valant des milliers de dollars chacune. Un autre fonctionnaire a déclaré la possession d’une église. Un autre s’est vanté de posséder un billet pour l’espace avec Virgin Galactic…”

“Une autre théorie qui fait le tour de Kiev – où les gens reconnaissent généralement le génie inventif et vénal de leurs politiciens – suggère que les fonctionnaires gonflent leurs déclarations” afin de cacher de futurs pots-de-vin dans leur trésorerie déclarée et leur offre ainsi des excuses plausibles pour des voitures de luxe et des bijoux hors de prix.

Accès à plus d’argent

Ironiquement, l’adoption de la loi exigeant la divulgation de ce qui semble être une corruption généralisée parmi les parlementaires de Kiev a débloqué des millions d’euros d’aide nouvelle de l’Union européenne qui a ensuite profité à ces mêmes politiciens apparemment corrompus.

Le président déchu Viktor Yanoukovitch.

Le président déchu Viktor Yanoukovitch.

Cependant, parce que le “changement de régime” de 2014 en Ukraine a été partiellement orchestré par des responsables américains et européens autour de la propagande sur le thème de la corruption du président élu Yanoukovitch – il possédait ce sauna après tout – la corruption incessante du régime d’après le coup d’État a rarement été reconnue, vérité dérangeante oblige. Bien sûr, des hommes d’affaires exerçant en Ukraine se sont plaints de l’aggravation de la corruption depuis le renversement de Yanoukovitch.

De même, cette réalité a été autorisée à être divulguée seulement occasionnellement dans les médias grand public américains, qui préfèrent nier qu’un coup d’État soit arrivé, pour imputer à la Russie tous les problèmes en Ukraine, et pour louer les “réformes post-coup d’État” qui visaient les pensions, les allocations de chauffage et autres programmes sociaux pour les citoyens du quotidien.

Une des rares contradictions au discours de louanges est apparue dans le Wall Street Journal du 1er janvier 2016, observant que “la plupart des Ukrainiens disent que la promesse de la révolution de remplacer le règne des voleurs par le règne de la loi a échoué et que le gouvernement admet qu’il y a encore beaucoup à faire.”

En fait, les chiffres suggèrent quelque chose de pire. De plus en plus d’Ukrainiens considèrent la corruption comme le problème majeur de la nation, y compris une majorité de 53% en septembre 2015, contre 28% en septembre 2014, selon les enquêtes de la Fondation Internationale pour les Systèmes Electoraux.

Alors que la vie déjà difficile devient encore plus difficile pour la plupart des Ukrainiens, les élites continuent de prélever toute la crème qui surnage, y compris l’accès aux milliards de dollars de l’aide étrangère occidentale qui a permis de maintenir l’économie à flot.

Il y a, par exemple, le cas de la Ministre des Finances Natalie Jaresko, qui était considérée par beaucoup d’éditocratres comme le visage des réformes en Ukraine, avant de quitter le gouvernement en avril 2016 à l’issue d’une défaite d’une lutte de pouvoir.

Le fait est que Jaresko n’était guère un modèle de réforme. Avant de devenir simultanément citoyenne ukrainienne et Ministre des Finances en décembre 2014, elle était une ancienne diplomate américaine, à qui avait été confiée la gestion d’un fonds de 150 millions de dollars, financé par le contribuable américain, devant aider au démarrage d’une économie basée sur des investissements en Ukraine et en Moldavie.

Le salaire de Jaresko était plafonné à 150 000 dollars par an, un salaire enviable pour beaucoup d’Américains – sans parler des Ukrainiens – mais ça ne lui a pas suffit. Aussi avait-elle engagé diverses manœuvres pour contourner ce plafond et s’enrichir en empochant des millions de dollars de bonus et de frais.

Au final, Jaresko récupérait plus de deux millions de dollars par an, après avoir fait déléguer la gestion du “Western NIS Enterprise Fund (WNISEF)” à sa propre entreprise privée, Horizon Capital, et s’être fait attribuer de généreux bonus lors de cessions d’actifs, alors même que globalement le WNISEF perdait de l’argent, selon des documents officiels.

L'ex Ministre des Finances d'Ukraine Natalie Jaresko.

L’ex Ministre des Finances d’Ukraine Natalie Jaresko.

Par exemple, Jaresko a touché 1,77 millions de dollars de bonus en 2013, selon les documents déposés par le WNISEF auprès du fisc américain. Dans les documents financiers déposés auprès du gouvernement ukrainien, elle a indiqué des revenus de 2,66 millions de dollars en 2013 et 2,05 millions en 2014, autrement dit elle a amassé une petite fortune personnelle en investissant l’argent du contribuable américain officiellement au bénéfice du peuple ukrainien.

L’hémorragie financière du WNISEF était sans importance, ce fonds pesait 150 millions initialement mais ne valait plus que 89,8 millions pour l’année fiscale 2013, selon les documents déposés auprès du fisc américain. Le WNISEF a communiqué que les bonus de Jaresko et autres directeurs de l’institution relevaient de la réalisation “réussie” de certains investissements, même si le fonds dans son ensemble perdait de l’argent.

Même si les techniques d’enrichissement de Jaresko étaient repérées par le fisc américain et d’autres déclarations officielles, les grands médias américains ont ignoré cette histoire, pour mieux pouvoir affirmer que le processus de “réformes” en Ukraine était entre de bonnes mains. [Voir l’article de Consortiumnews.com intitulé “Comment la Ministre des Finances ukrainienne est devenue riche“.]

Appel de Biden

Préoccupé par la corruption incessante, le vice-président Joe Biden, qui a un intérêt personnel en Ukraine, a donné des conférences au Parlement ukrainien sur la nécessité de mettre fin au copinage.

Mais Biden a eu son propre problème de copinage en Ukraine parce que, trois mois après le renversement du gouvernement de Yanoukovitch, la plus grande entreprise privée de gaz en Ukraine, Burisma Holdings, a nommé son fils, Hunter Biden, à son conseil d’administration.

Le vice-président Joe Biden.

Le vice-président Joe Biden.

Burisma, une obscure société basée à Chypre, a également engagé des lobbyistes bien connectés, dont certains ont des liens avec le secrétaire d’État John Kerry, y compris son ancien chef de cabinet du Sénat, David Leiter, selon les divulgations fournies par le groupe de pression.

Comme l’a rapporté le Time, “la participation de Leiter à l’entreprise renforce une équipe d’américains politiquement introduits qui comprend également un nouveau membre du conseil, Devon Archer, un partisan démocrate et ancien conseiller de la campagne présidentielle de John Kerry en 2004. Archer et Hunter Biden ont tous les deux travaillé comme partenaires commerciaux avec le gendre de Kerry, Christopher Heinz, associé fondateur de Rosemont Capital, une société d’investissement dans des entreprises.

Selon le journalisme d’investigation en Ukraine, la propriété de Burisma a été attribuée à la Banque Privat, contrôlée par l’oligarque milliardaire escroc Ihor Kolomoysky, qui a été nommé gouverneur de l’Oblast de Dnipropetrovsk par le régime de “réforme” soutenu par les États-Unis, une province d’Ukraine centro-méridionale (bien que Kolomoisky ait finalement été évincé de ce poste dans une lutte de pouvoir pour le contrôle d’UkrTransNafta, l’opérateur public de l’oléoduc en Ukraine).

Lors d’un discours au parlement d’Ukraine en décembre 2015, Biden salua le sacrifice des quelques 100 manifestants qui moururent pendant le putch de Maïdan en février 2014 qui évinça Yanoukovitch, en se référant aux morts avec l’expression élogieuse “Les Cents Merveilleux”.

Mais Biden ne fit pas de référence merveilleuse aux personnes, estimées à dix mille, la plupart d’ethnie russe, qui ont été assassinées par l’Opération Anti-Terreur encouragée par les USA et financée par le régime issu du coup d’État contre les Ukrainiens de l’Est qui résistaient contre l’éviction violente de Yanoukovitch. Biden n’a pas plus relevé que les Cents Merveilleux étaient des combattants de rue partisans d’organisations néo-nazies ou d’extrême-droite.

Mais après avoir fait ses délicieuses références aux Cent Merveilleux, Biden a livré son amère recette, un appel au parlement pour continuer à mettre en œuvre des réformes du Fonds monétaire international, y compris les demandes pour que les personnes âgées travaillent plus longtemps.

Biden a déclaré : « Pour que l’Ukraine continue à faire des progrès et à garder le soutien de la communauté internationale, vous devez faire plus. La grande partie de l’avancement de votre programme au FMI – ceci exige des réformes difficiles. Et elles sont difficiles. »

“Permettez-moi de souligner entre parenthèses ici, ce que tous les experts de notre département d’État et tous les groupes de réflexion viennent vous dire, vous savez, ce que vous devriez faire est de traiter le problème des pensions de retraites. Vous devriez vous en occuper – comme si c’était facile à faire. Mince, nous avons des problèmes en Amérique à ce sujet et nous sommes en train de le régler. Nous avons des problèmes. Voter pour repousser l’âge de la retraite signifie écrire votre mort politique dans de nombreux endroits.

« Ne négligez pas que ceux d’entre nous qui servent dans d’autres institutions démocratiques ne comprennent pas combien les conditions sont difficiles, combien il est difficile de voter pour respecter les engagements souscrits par le FMI. Il exige des sacrifices qui pourraient ne pas être politiquement opportuns ou populaires. Mais ils sont essentiels pour mettre l’Ukraine sur la voie d’un avenir qui est économiquement sûr. Et je vous exhorte à rester aussi dur que cela. L’Ukraine a besoin d’un budget qui soit conforme à vos engagements auprès du FMI.”

Cependant, aussi difficile que cela puisse être pour le Parlement ukrainien de réduire les pensions, de réduire les subventions au chauffage et de forcer les personnes âgées à travailler plus longtemps, ce sacrifice politique ne semble pas s’appliquer aux parlementaires pour faire eux-mêmes ces sacrifices financiers.

Le journaliste d’investigation Robert Parry a dénoncé bon nombre d’affaires de l’Irangate pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980.

Source : Consortium News, le 02/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-fausse-excuse-de-la-corruption-pour-le-coup-detat-en-ukraine-par-robert-parry/


Réseaux Gladio : le documentaire de la BBC de 1992 (2/3 : The Puppeteers)

Sunday 27 November 2016 at 02:17

Suite du premier épisode (dernier épisode dimanche prochain…) du très intéressant documentaire de l’excellente série TimeWatch de la BBC de 1992.

Cette deuxième partie est hélas toujours de qualité très médiocre (désolé, mais il n’y a que ça et ce documentaire est exceptionnel, très peu ont été réalisés…) ; nous l’avons sous-titrée pour vous :

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(Un grand merci aux traducteurs et sous-titreur)

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Source: http://www.les-crises.fr/reseaux-gladio-le-documentaire-de-la-bbc-de-1992-23/


Revue de presse du 27/11/2016

Sunday 27 November 2016 at 00:30

Aujourd’hui, une revue sans Trump… Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-27112016/


Matriochkas syriennes et Sun Tzu, par Observatus geopoliticus

Sunday 27 November 2016 at 00:10

Source : Les Chroniques du Grand jeu, Observatus geopoliticus, 18-11-2016

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La semaine écoulée a vu en Syrie d’importantes évolutions, parfois assez étonnantes. Ces événements prennent place dans une subtile construction à plusieurs niveaux qui, telles les poupées russes, cachent l’échelon suivant. Reste à savoir qui sera le dindon de la farce et qui, à l’inverse, tirera les ficelles de tout ce bel édifice.

Premier niveau : carte blanche universelle

Un feu vert tacite et général semble avoir été donné à tout le monde, résultant en une triple offensive simultanée aux aspects parfois curieux.

Aucune surprise ici. Les Syro-russes ont ouvert les vannes pour reprendre la grande ville du nord et plus rien ne les arrêtera. Poutine avait peut-être fait preuve de retenue durant quelques semaines en attendant l’élection de Trump, comme nous l’envisagions :

Ajoutons pour finir que la modération de Poutine autour d’Alep ces derniers temps (deux semaines sans bombardements russes, y compris au plus fort de l’offensive barbue sur le secteur ouest de la ville) avait peut-être pour but de ne pas prêter le flanc à la propagande de la MSN jusqu’à l’élection présidentielle américaine, dans l’espoir que Trump soit élu et s’entendre ainsi avec lui. Désormais, l’offensive peut reprendre.

Elle a repris et en 3D. L’attaque djihadiste sur Alep-ouest s’est terminée en fiasco et les loyalistes contre-attaquent partout, avançant vers la dernière province encore tenue par les barbus modérément modérés. L’aviation russe est en mode Terminator et l’enfer se déverse du ciel, à Idlibau sud-ouest d’Alep, au nord-ouest et sur les routes de ravitaillement. Les bombardiers stratégiques et les missiles Kalibr sont également de la partie. A noter que cela intervient après une conversation téléphonique Poutine-Trump au cours de laquelle le Donald n’aurait fait aucune objection à l’opération russe. Et si quelque Folamour du Pentagone aurait l’idée saugrenue de provoquer Moscou, les S-300 ont été redéployés autour d’Alep.

Ces bombardements préparent la grande offensive générale de l’armée syrienne et de ses alliés, sécurisant définitivement Alep et pénétrant le dernier grand fief insurgé :

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Que de chemin parcouru depuis 2013…

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Les djihadistes ont affecté beaucoup de moyens humains et matériels dans leur offensive de la dernière chance en octobre et leur moral est maintenant indéniablement miné. La débandade peut donc être relativement rapide même s’il convient, comme toujours, de rester prudent.

Quant à l’enclave rebelle d’Alep-est, son tour est venu et les opérations préliminaires ont même déjà commencé. L’on peut toutefois se demander si, tactiquement parlant, il ne serait pas préférable de laisser pourrir la situation jusqu’à ce que l’enclave tombe d’elle-même. Les civils commencent en effet à se révolter contre Al Nosra & Co, chose que vous ne lirez évidemment jamais dans la presstituée occidentale.

Les manifestations ont été durement réprimées (27 morts) tandis que les “modérés” chers à l’Occident saoudisé minent les couloirs d’évacuation humanitaires afin d’empêcher les civils de fuir. Une attaque loyaliste permettra peut-être de ressouder ce panier de crabe barbu et retarder l’inéluctable, mais le sort d’Alep semble de toute façon réglé.

C’est la surprise du chef. Nous avions montré l’importance primordiale de cette petite ville perdue au fin fond de nulle part, jamais aussi fameuse qu’à l’heure actuelle :

Tous les chemins mènent à Al Bab. C’est une véritable course poursuite entre les Kurdes d’Efrin et l’ASL sultanisée, qui suivent des routes parallèles et n’hésitent pas à se faire des crocs-en-jambe au passage. L’objectif stratégique kurde est de faire la jonction entre leur partie occidentale (Efrin) et leur partie orientale (région de Manbij, conquise de haute lutte contre Daech et dont ils ne sont finalement pas partis) pour établir leur rêvé Rojava. Le but des Turcs est de les en empêcher à tout prix. Le tout sur fond de reflux daéchique. 

Stupeur il y a quelques jours : les Kurdes d’Efrin (ouest, en jaune) se sont inexplicablement arrêtés tandis que l’ASL parrainée par Ankara (en vert) arrivait à 2 km de la ville. Carte au 14 novembre :

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Après une série d’attaques et de contre-attaques – au cours desquelles Daech a d’ailleurs, ô délicieuse ironie, détruit quelques tanks turcs à coups de missiles antichars fournis auparavant par… Ankara ! – l’ASL et leur protecteur ottoman sont en passe d’entreprendre le siège d’Al Bab, enfonçant un coin entre les deux enclaves kurdes (en jaune sur la carte), mettant ainsi à mal le rêve d’un Rojava autonome. Nouvelle ironie dans cette guerre qui n’en manque pas : c’est l’offensive des YPG (appelons-les Kurdes orientaux) sur Raqqa, la capitale de l’EI plus à l’est, qui a poussé les petits hommes en noir à dégarnir le front d’Al Bab, permettant l’avancée de l’ASL d’Erdogan.

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Car cette offensive est bien étrange. Que diable viennent faire les Kurdes en plein sunnistan arabe, dans une région qui ne les concerne aucunement et qui, Daech ou pas, risque de très mal les recevoir ? Si l’EI exagère sans doute les pertes des YPG (198 tués selon eux), il est clair que la campagne est difficile et meurtrière. Et encore longue, puisque les combats ont pour l’instant lieu à une bonne cinquantaine de kilomètres de la capitale califale.

Il n’y a aucun intérêt stratégique pour les Kurdes à aller à Raqqa, sauf à rouler pour les Américains. Il est temps de déboîter notre deuxième matriochka…

Second niveau : les coulisses

C’est souvent là que tout se joue, peut-être encore plus au Moyen-Orient qu’ailleurs. Le formidable jeu de poker menteur syrien permet à peu près toutes les hypothèses : entente russo-turque sur le dos de Washington, américano-russe voire américano-russo-kurde sur le dos d’Erdogan, syro-turque sur le dos des Kurdes ou au contraire syro-kurde sur le dos du sultan. Tout est possible et l’élection du Donald vient encore compliquer la donne…

Quelques éléments tout de même pour y voir plus clair. Premier point : les grands perdants de la triple offensive sur Alep, Al Bab et Raqqa sont respectivement les djihadistes “modérés”, les Kurdes d’Efrin et Daech. Par contrecoup, le grand vainqueur est l’axe Damas-Moscou qui voit deux de ses adversaires en mauvaise posture.

C’est d’ailleurs un point à ne pas négliger. Dans les complexes arabesques que nous voyons se dessiner, il y a sans doute un calcul tactique très terre-à-terre, à la Sun Tzu : faire faire le sale boulot par un tiers. En se sacrifiant pour affaiblir l’EI, l’ASL turquisée et les Kurdes orientaux travaillent en réalité pour les Syriens et les Russes. A condition qu’ils n’aillent pas trop loin dans leur offensive et n’atteignent pas le point d’irréversibilité. Compliqué…

L’empire pré-Donald envoyait comme à son habitude des signaux extrêmement contradictoires, par exemple sur le futur de Raqqa libérée (relevons dans ce qui suit l’arrogance au carré des Américains qui considèrent les Kurdes comme leurs créatures et préparent déjà l’après-Daech comme si la campagne allait être une promenade de santé). Le Département d’Etat affirmait que les forces militaires extérieures se retireraient et qu’il n’était pas question d’une zone semi-autonome (en clair, la région reviendrait sous l’égide de Damas). Au même moment, les faucons du Pentagone – notamment l’agité du bocal Joseph Dunford – déclaraient sans ambages :

La coalition et la Turquie travailleront ensemble sur un plan à long terme visant à prendre, tenir et gouverner Raqqa.

Dix jours plus tard (effet Trump ?), les Etats-Unis annoncent qu’ils retirent leur (relatif) soutien à l’ASL d’Erdogan en route vers Al Bab. C’était dans les tuyaux et nous avions été parmi les premiers à rapporter un incident révélateur il y a deux mois :

Dans l’extrême-nord syrien, des soldats US accompagnant l’armée turque se sont vu forcés de quitter un village après avoir été menacés par les rebelles modérément modérés de l’Armée Syrienne Libre. Parmi les joyeusetés entendues : “On va vous massacrer”, “Vous êtes des porcs, des infidèles, des croisés”. Bien entendu, ne vous attendez pas à en trouver un seul mot dans le marigot journalistique. Cet épisode est toutefois intéressant en ce qu’il pourrait acter le lâchage définitif de la rébellion par Washington.

Nous y voilà… Le mouvement ne pourra que s’accélérer une fois en place Trump et son futur conseiller à la sécurité nationale, le général Michael Flynn dont nous avons plusieurs fois parlé et dont les positions russophiles et djihadistophobes sont la hantise de l’establishment impérial (notez les articles très négatifs de la MSN à cette nomination). Assistera-t-on alors à une entente américano-russe sur le dos d’Erdogan, sommé de quitter la portion du nord syrien qu’il occupe après avoir fait le boulot pour Moscou et Damas ? Pas impossible.

A Riyad, on est déjà en mode panique devant la perspective d’un accord entre Washington et Moscou sur la Syrie et le fameux prince Turki, l’ancien mentor de Ben Laden et chef des services secrets saoudiens au moment du 11 septembre, parle de possible “désastre”.

Restent les Kurdes : quelle est leur place dans ce tableau de poupées russes imbriquées ? Sentant la situation sans doute bien trop compliquée pour eux, ils viennent de surprendre tout le monde en marchant droit sur… l’ASL et Al Bab ! On parle ici des Kurdes orientaux, ceux sensés libérer Raqqa.

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Quel nouveau retournement de situation ! Par rapport à la carte du 14 novembre (voir plus haut), on constate l’inexorable avancée des YPG (flèche jaune). Les deux mâchoires kurdes sont maintenant sur le point de se refermer sur les protégés du sultan qui pensaient prendre Al Bab sans coup férir. De violents combats ont déjà lieu autour de Qabasin (cercle rouge) devant le regard médusé des petits hommes en noir de l’EI, habitués à être le centre de toutes les attentions.

Comme si cela ne suffisait pas, des centaines de soldats de l’armée syrienne sont arrivés à l’aéroport de Kuwaires (carré rouge sur la carte), portant l’effectif total à 5 500 hommes. Trop loin à l’est d’Alep pour y combattre, c’est donc d’Al Bab qu’il s’agit… Trois scénarios sont possibles :

  1. Rester sur place et attendre de voir ce qui se passe, quitte à intervenir à la toute fin contre le dernier survivant (ASL, YPG ou Daech).
  2. Marcher sur Al Bab (flèche rouge en pointillés vers le nord), afin d’empêcher à la fois la jonction kurde et l’avance de l’ASL. Mais les forces semblent trop peu nombreuses pour cette tâche.
  3. Marcher plus à l’est, laissant les Kurdes stopper l’ASL du sultan et réaliser leur jonction.

Personnellement, je penche pour l’hypothèse 3, qui correspondrait parfaitement aux vues de Poutine : utiliser les Kurdes pour stopper les Turcs sans s’aliéner Ankara (Turk Stream + arrêt du soutien aux barbus d’Idlib) après que les uns et les autres aient fait le travail contre Daech. Matriochkas et Sun Tzu mêlés…

Source : Les Chroniques du Grand jeu, Observatus geopoliticus, 18-11-2016

Source: http://www.les-crises.fr/matriochkas-syriennes-et-sun-tzu-par-observatus-geopoliticus/


Exceptionnel : Chomsky à Paris

Saturday 26 November 2016 at 11:23

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Comme vous le savez peut-être, j’ai également créé un blog dédié à Noam Chomsky : www.noam-chomsky.fr (que nous allons bientôt ré-alimenter)

Eh bien, excellente nouvelle, Noam Chomsky sera en visite privée à Paris la semaine prochaine, à l’invitation de la Société Internationale de Philologie.

Il sera rédacteur en chef du journal l’Humanité du mercredi 30, et a accepté de tenir une unique rencontre publique (en anglais, non traduite) à thématique « d’actualité » devant un public restreint.

Elle aura lieu dans le quartier des Halles de 12h00 à 14h00, et sera gratuite. Mais il y aura hélas peu d’élus (une centaine…) faute de place.

Vous pouvez vous pré-inscrire UNIQUEMENT par ce lien.

(n’hésitez pas à indiquer quelques mots sur vous et votre intérêt pour Chomsky).

Nous confirmerons donc d’ici mardi 29 par mail leur participation aux personnes retenues, avec le lieu et l’heure précis…

Les journalistes peuvent me contacter ici.

Annexe : Mode d’emploi pour se pré-inscrire

Il vous faut donc :

1°) créer un compte  :

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(si ça ne marche pas, n’hésitez pas à recommencer une deuxième fois, il y a parfois un petit bug…)

2°) puis ensuite vous mettre sur liste d’attente :

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Source: http://www.les-crises.fr/chomsky-a-paris/


La grande guerre de classe, par Jacques Pauwels

Saturday 26 November 2016 at 02:30

Pour une autre vision de la guerre de 14, plus marxiste je dirais…

Comme d’habitude à prendre avec recul et à analyser avec esprit critique…

Source : LT, 20-11-2016

Ce gros livre, facile à lire, donne à la Première Guerre mondiale l’éclairage, absent des commémorations médiatiques, des rapports sociaux. Les classes dirigeantes de tous les pays impérialistes ont voulu et préparé la guerre générale,
1° pour se repartager le monde qu’elles s’étaient, en vive concurrence, réparti depuis la grande crise systémique de 1873 ;
2° pour conjurer la « révolution » prétendue la menaçante, ou plutôt toute évolution vers la « démocratie ».
Cette mise au point sur les réalités sociopolitiques montre comment l’immense boucherie a balayé l’union sacrée d’origine, d’ailleurs relative, et aggravé les divisions sociales, tant dans l’armée (étude passionnante) que dans la société civile, métropolitaine et coloniale. Appuyée sur une énorme bibliographie à laquelle manquent peu de titres, elle cite beaucoup de poèmes de guerre. Et, ce n’est pas la moindre de ses qualités, elle donne envie de lire les principaux ouvrages qui l’ont nourrie.

Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine (Paris VII)

Vidéo de la passionnante conférence-débat donnée par Jacques Pauwels

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Source : LT, 20-11-2016

Source: http://www.les-crises.fr/la-grande-guerre-de-classe-par-jacques-pauwels/


Les médias ne voulaient pas croire que Trump pouvait gagner ; alors ils ont regardé ailleurs. Par Margaret Sullivan

Saturday 26 November 2016 at 02:20

Pour archive, la réaction du WP à l’élection de Trump…

Source : The Washington Post, le 09/11/2016

Des partisans du candidat républicain Donald Trump applaudissent lors de la soirée électorale du 8 novembre 2016, à New York. (Ricky Carioti - The Washington Post)

Des partisans du candidat républicain Donald Trump applaudissent lors de la soirée électorale du 8 novembre 2016, à New York. (Ricky Carioti – The Washington Post)

Par Margaret Sullivan

Pour parler brutalement, les médias n’ont rien compris à cette histoire. En fin de compte, un grand nombre d’électeurs américains voulaient quelque chose de différent. Et bien que ces électeurs l’aient hurlé et crié, la plupart des journalistes n’ont tout simplement pas écouté. Ils n’ont pas compris.

Ils n’ont pas compris que l’enthousiasme des immenses foules qui se pressaient aux meetings de Donald Trump pourrait vraiment se traduire par de si nombreuses voix. Ils ne pouvaient croire que l’Amérique qu’ils connaissaient pouvait tomber sous le charme de quelqu’un qui se moquait d’un handicapé, se vantait d’agresser sexuellement des femmes, et  débitait des propos misogynes, racistes et antisémites.

Cela serait trop affreux. Ainsi donc, selon une sorte de pensée magique, cela ne pouvait se produire.

Les journalistes, des citadins diplômés universitaires, qui sont, pour une bonne part, des libéraux, ont plus que jamais toutes les chances de vivre et de travailler à New York, à Washington ou sur la Côte Ouest. Et même si nous nous sommes aventurés pendant quelques jours dans les grands États républicains ou avons interviewé des travailleurs de l’automobile au chômage dans la Rust Belt [ceinture de la rouille : régions désindustrialisées, NdT], nous ne les avons pas pris au sérieux. Ou pas suffisamment.

Et Trump, qui traitait les journalistes de racailles corrompues, nous poussait tellement à l’hostilité que nous n’étions pas à même de voir ce qui se trouvait sous nos yeux. Nous nous sommes contentés de vérifier nos sites favoris de sondages pour nous rassurer, même si tout le monde sait que les sondages ne sont pas des votes.

Après tout, on ne sait jamais qui va aller voter, surtout quand des électeurs ont été privés de leurs droits de vote dans des proportions inédites. Et même les pronostiqueurs les plus convaincus de la victoire de Clinton n’excluaient pas totalement une victoire de Trump.

Toutefois, personne n’avait l’air d’en être convaincu. C’est Clinton qui va être élue présidente, telle était l’opinion courante des journalistes, et même si elle a ses défauts, au moins, elle, on sait ce qu’elle vaut. C’était, somme toute, une position plutôt confortable.

Ne vous y trompez pas cependant ! C’est une erreur colossale. Et il n’est jamais agréable de s’excuser platement, mais nous n’avons pas fini de subir les conséquences de notre attitude dans les semaines, les mois et peut-être même les années à venir.

Ce qui est étrange, bien sûr, c’est que les médias aient contribué à donner sa chance à Trump.

Est-ce que les journalistes ont créé Trump ? Bien sûr que non, ils n’ont pas ce genre de pouvoir. Ils l’ont cependant considérablement aidé, en rapportant abondamment ses faits et gestes, sans les analyser, dans les mois qui ont précédé la primaire républicaine. Et aussi en insistant, de façon grotesque, sur tous les développements de l’affaire des emails, y compris le verbiage du directeur du FBI, James B. Comey.

Je n’aime pas beaucoup Peter Thiel, le milliardaire qui a acculé le site Gawker à la faillite en finançant un procès intenté à ce dernier par Hulk Hogan, le lutteur professionnel. En fait, je le trouve même effrayant.

Mais quand il s’est exprimé récemment au National Press Club, il a dit quelque chose qui m’a paru très fin au sujet de Donald Trump.

« Les médias n’arrêtent pas de prendre les propos de Trump à la lettre. Ils ne les prennent jamais au sérieux, mais ils les prennent à la lettre, » a déclaré Thiel. Les journalistes voulaient savoir exactement comment il allait s’y prendre pour expulser autant d’immigrants sans papiers, ou comment il allait débarrasser le monde de l’État Islamique. Nous voulions des détails.

Mais beaucoup d’électeurs raisonnent d’une façon opposée. Ils prennent les propos de Trump au sérieux, mais pas à la lettre.

Ils se rendent bien compte, disait Thiel, que Trump n’envisage pas vraiment de construire un mur. « Ce qu’ils entendent, c’est ça : Nous allons avoir une politique d’immigration plus raisonnable, plus sensée. »

Trump, manifestement, a saisi la colère ressentie par les Américains à propos de problèmes comme le commerce et l’immigration.

Et même si de nombreux journalistes et beaucoup de médias ont publié des articles au sujet de ces Américains, frustrés et privés de leurs droits, nous ne les avons pas pris suffisamment au sérieux.

Et même si, nous les journalistes, nous nous essayons parfois à nous dépeindre comme des cyniques ou des réalistes, il peut aussi nous arriver d’être idéalistes et même naïfs.

Nous voulions vivre dans un pays où la décence et la courtoisie avaient encore de l’importance, et où quelqu’un d’aussi grossier, malveillant et outrancier ne pourrait jamais être élu parce que l’Amérique valait mieux que cela.

Je peux reprocher beaucoup de choses aux journalistes, mais je ne peux pas nous reprocher cela.

Source : The Washington Post, le 09/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-medias-ne-voulaient-pas-croire-que-trump-pouvait-gagner-alors-ils-ont-regarde-ailleurs-par-margaret-sullivan/


Revue de presse internationale du 26/11/2016

Saturday 26 November 2016 at 02:15

Une revue internationale comme nous pourrions en faire plus souvent (en dehors de l’accent très trumpien de celle-ci) si quelques lecteurs nous aidaient à récolter des articles… Les volontaires peuvent postuler via le formulaire de contact. Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-28112016/


Justifier les massacres saoudiens au Yémen, par Gareth Porter

Saturday 26 November 2016 at 01:59

Source : Consortium News, le 31/10/2016

Le 31 octobre 2016

Exclusif : Le discours officiel de Washington est de dire que l’Iran est le principal fauteur de trouble au Moyen-Orient alors que c’est clairement faux, mais le “groupe de réflexion” explique pourquoi quelques cargaisons d’armes interceptées à destination de la Somalie sont liées à l’Iran et au Yémen, rapporte Gareth porter.

Par Gareth Porter

L’administration Obama a mené une campagne délibérément trompeuse en accusant l’Iran d’envoyer secrètement des armes aux Houthis par voie maritime, une affirmation de Washington destinée à justifier l’attaque aérienne saoudienne massive contre les Houthis qui a commencé l’année dernière.

En répétant l’accusation en boucle, l’administration a amplement réussi à transformer une allégation douteuse en fait avéré, même s’il est contredit par des éléments de preuve bien documentés présents dans le dossier public.

Le roi saoudien Salman fait ses adieux au président Barack Obama à l'Erga Palace après une visite d'État en Arabie saoudite, le 27 janvier 2015. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Pete Souza)

Le roi saoudien Salman fait ses adieux au président Barack Obama à l’Erga Palace après une visite d’État en Arabie saoudite, le 27 janvier 2015. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Pete Souza)

Le secrétaire d’État John Kerry a présenté la nouvelle variante du thème familier de l’administration Obama sur les « activités néfastes » de l’Iran dans la région, deux semaines après le début du bombardement du Yémen par l’Arabie saoudite le 26 mars 2015. Kerry a déclaré au PBS NewsHour : « Les approvisionnements viennent clairement de l’Iran, » citant un certain nombre d’arrivées de vols constaté chaque semaine. Kerry a juré que les États-Unis « n’allaient pas rester sans rien faire alors que la région est déstabilisée. »

Plus tard, l’administration a commencé à accuser l’Iran d’utiliser des bateaux de pêche pour faire passer des armes aux Houthis en contrebande. La campagne a consisté en une série de quatre interceptions de petits bateaux de pêche ou de boutres en mer d’Arabie ou à proximité, de septembre 2015 à mars 2016. Les quatre interceptions avaient deux points communs : les bateaux contenaient des armes illicites, mais les équipages ont toujours affirmé que le navire était destiné à la Somalie, et pas au Yémen et aux Houthis.

Mais au lieu de reconnaître le fait évident que les armes n’avaient rien à voir avec la relation Iran-Houthis, un porte-parole militaire américain a publié une déclaration des États-Unis « estimant » dans les quatre cas que la destination ultime des armes était un territoire contrôlé par les Houthis au Yémen.

Le choix des mots était significatif. La communauté du renseignement déclare qu’elle « estime » que quelque chose est vrai tant qu’elle n’a pas la preuve claire du contraire. Dans le cas de l’utilisation iranienne supposée de boutres de pêche pour la contrebande d’armes destinée aux Houthis, les porte-parole des États-Unis n’ont pas cité un seul élément de preuve pour cette « estimation », dans aucun des quatre cas. En fait, lorsqu’on lui a demandé une justification, le porte-parole militaire a refusé.

Le premier boutre de pêche a été intercepté en mer d’Arabie le 25 septembre 2015 par un membre d’une coalition de 31 nations appelée Combined Maritime Forces patrouillant en mer d’Arabie et les eaux environnantes contre la piraterie. Le navire de la coalition a trouvé à bord du boutre 18 missiles Konkurs antichar, 71 autres obus antichar et 54 lance-missiles.

Accuser l’Iran

Plus tard, la Cinquième Flotte des États-Unis publia un communiqué disant : “D’après les déclarations de l’équipage, nous pensons que le boutre et ses armes illégales proviennent d’Iran.” il estimait également que les missiles anti-char étaient d’origine russe ou iranienne, et les documents du bâtiment indiquaient qu’il avait été contrôlé par les autorités douanières et portuaires des Provinces iraniennes de Sistan et du Baloutchistan.

Hassan Rouhani, président de la République Islamique d'Iran, s'adresse à l'Assemblée Générale des Nations Unies le 22 septembre 2016 (UN Photo)

Hassan Rouhani, président de la République Islamique d’Iran, s’adresse à l’Assemblée Générale des Nations Unies le 22 septembre 2016 (UN Photo)

Mais l’équipage du bâtiment avait dit que sa destination était la Somalie et non le Yémen, comme l’a reconnu le porte-parole de la Cinquième Flotte à Associated Press. Un porte-parole militaire saoudien a laissé entendre que l’Iran avait l’intention de rediriger les armes ultérieurement de Somalie vers le Yémen, mais sans donner de preuve.

Le 27 février 2016, un bâtiment australien intercepta un deuxième boutre de pêche au large de la côte d’Oman. Les australiens découvrirent à son bord 1989 fusils d’assaut AK-47, 100 roquettes et 40 mitrailleuses PKM. La défense australienne publia un communiqué officiel de cette prise qui ne mentionnait pas l’implication de l’Iran. D’après le communiqué, le bateau n’était pas immatriculé et il semblait que la destination des armes était la Somalie. Le porte-parole de la Défense australienne expliqua à CNN que cette conclusion était fondée sur les déclarations de l’équipage.

Mais un porte-parole du commandement central des forces navales des États-Unis, le lieutenant Ian McConnaughey, a donné une orientation politique tout à fait différente à l’interception. Dans un courriel à NBC News, McConnaughey dit : “D’après le cap du bateau, on pense que son port d’origine et la source des armes illicites est l’Iran.” Il ajouta que l’on “estimait” que l’équipage était iranien, ce qui sous-entendait que l’équipage lui-même ne l’avait pas indiqué.

McConnaughey a reconnu à NBC et The Telegraph : « Selon les forces de la coalition, on pense que la destination du navire était dans les environs de la Somalie. » Mais le porte-parole du CENTCOM a indiqué que cela n’avait pas d’importance ; Les États-Unis insistaient sur leur récit qu’il s’agissait d’approvisionnements clandestins d’armes iraniennes à destination des Houthis.

“La première évaluation des États-Unis est que la destination finale est probablement les Houthis au Yémen,” affirma McConnaughey à la NBC et au Telegraph.

Quand le présent auteur demanda à McConnaughey par e-mail sur quelles bases les États-Unis “estimaient” que ces armes étaient destinées au Yémen, en dépit des preuves contraires, McConnaughey répondit : “Nous n’allons pas discuter des renseignements et des autres informations qui nous ont amenés à cette affirmation.”

Une troisième cargaison

Le 20 mars, une frégate française intercepta un troisième boutre au large de l’île de Socotra, dans le nord de l’Océan Indien, et découvrit plusieurs centaines de fusils d’assaut AK-47, des mitrailleuses et des armes anti-chars. Le communiqué officiel de la capture de la part du commandement Maritime Combiné annonçait formellement : “Le boutre a été repéré faisant route vers la Somalie.”

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Et parce que les armes étaient “supposées  destinées à la Somalie,” expliquait-il, “elles ont été saisies conformément au mandat d’embargo sur les armes en accord avec la résolution “UNSCR 224 (2015)”. Cette résolution du Conseil de Sécurité donne mandat pour un embargo à destination de l’Erythrée.

L’Australie et d’autres États participant aux Forces Maritimes Combinées mirent en doute la ligne de propagande de États-Unis. Mais là encore, les militaires américains se servirent des médias d’information pour renforcer leur affirmation que l’Iran envoyait clandestinement des armes aux Houthis. Le capitaine de frégate Kevin Stephens de la Cinquième flotte, annonça à CNN que, selon des informations américaines, “le Yémen était la destination probable” de ces armes.

Une quatrième interception – la troisième en trois semaines – fut faite le 28 mars par un bâtiment de l’US Navy qui ne faisait pas partie de la Force Maritime Combinée mais était directement sous les ordres du commandement central des forces navales des États-Unis. Ceci permit au commandement central de publier sa propre version de l’histoire le 4 avril.

Dans son premier paragraphe, le rapport affirmait que les États-Unis “estimaient” que la cargaison d’armes illicites trouvée à bord du boutre “provenait d’Iran et était destinée aux insurgés Houthis au Yémen.

Une ruse précédemment utilisée

L’administration Obama avait déjà cherché à promouvoir l’accusation selon laquelle l’Iran envoyait secrètement des armes aux Houthis par mer plus de deux ans auparavant. En janvier 2013, le gouvernement du Yémen appuyé par les États-Unis et l’Arabie saoudite avait revendiqué l’arraisonnement d’un bâtiment chargé d’une importante cargaison d’armes en provenance d’Iran et destinée aux Houthis du Yémen.

Une scène de PBS Frontline : le Yémen assiégé

Une scène de PBS Frontline : le Yémen assiégé

L’administration Obama soutint cette accusation dans des déclarations aux journalistes. Après le début de la guerre aérienne saoudienne contre le Yémen en 2015, les États-Unis réclamèrent à un groupe d’experts un rapport sur les sanctions contre l’Iran qui donnerait de la crédibilité à leur accusation.

Mais il s’avéra rapidement que la revendication de 2013 était un stratagème. Un groupe de surveillance du Conseil de Sécurité sur la Somalie et l’Erythrée révéla, dans un rapport de juin 2013, que les membres de l’équipage avaient dit aux diplomates qui les interrogeaient que le chargement de carburant diesel était destiné à la Somalie et non au Yémen. Et comme les armes étaient dissimulées sous les réservoirs de fuel, les armes n’étaient accessibles qu’après leur vidange, c’est-à-dire après l’amarrage du navire en Somalie.

Le groupe de surveillance apprit des autorités de la région de Puntland, en Somalie, où la plupart des armes de contrebande entraient dans le pays, qu’il s’agissait d’une méthode de contrebande d’armes largement utilisée dans le pays.

De plus, le groupe de suivi a déterminé que la vaste gamme d’armes à bord du navire, intercepté en janvier 2013, ainsi que leur origine, indiquaient que les cachettes d’armes avaient été posées par des marchands d’armes. Les autorités du Puntland ont fourni des données au groupe de surveillance indiquant que la plupart des expéditions d’armes vers le Puntland au cours des mois précédant janvier 2013 provenaient de marchands d’armes étroitement liés politiquement au Yémen.

Certains des bateaux de pêche qui furent interceptés avec des armes illicites à bord en 2015-16 avaient des propriétaires iraniens. Mais le rapport du groupe de suivi révèle que la vraie cause de leur présence est le rôle important des navires iraniens dans la pêche illégale dans les eaux somaliennes. La grande majorité des centaines de navires impliqués dans ces réseaux de pêche illégaux était soit iranienne, soit yéménite. Au moins 300 de ces bateaux appartenaient à des yéménites alors que 180 d’entre eux appartenaient à des iraniens.

Le groupe de surveillance a indiqué qu’il enquêtait sur des rapports non confirmés selon lesquels certains de ces bateaux de pêche illégaux étaient également utilisés pour la contrebande d’armes et qu’il avait établi « d’autres liens entre les réseaux de pêche illégaux et les réseaux impliqués dans le commerce des armes et liés à al-Shabaab au nord-est de la Somalie. »

Mais l’administration Obama n’a montré aucun intérêt pour les preuves considérables recueillies par le groupe de suivi et qui donnent une explication plus crédible pour la présence des armes trouvées sur ces quatre boutres de pêche.

Une telle explication n’est pas politiquement utile, alors que les accusations de contrebande iranienne vers les Houthis confortent de multiples intérêts politiques et bureaucratiques, justifiant la sanglante campagne aérienne saoudienne soutenue par les États-Unis contre le Yémen, et les mises en garde incessantes de Washington à propos de « l’agression iranienne. »

Gareth Porter est un journaliste d’investigation indépendant et lauréat du prix du journalisme Gellhorn en 2012.

Source : Consortium News, le 31/10/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la sourc

Source: http://www.les-crises.fr/justifier-les-massacres-saoudiens-au-yemen-par-gareth-porter/