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Revue de presse du 14/11/2016

Monday 14 November 2016 at 00:15

La revue de presse étend le week-end au lundi ! Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-14112016/


[Vidéo] 1950-1990 Le scandale des armées secrètes de l’OTAN (Gladio)

Sunday 13 November 2016 at 02:02

On raconte un peu tout et n’importe quoi sur les réseaux Gladio – l’Histoire étant comme souvent bien plus moche que ce que sait le Français moyen, mais moins que ne le fantasment les plus craintifs…

Il s’agit en fait plus précisément des cellules stay-behind (littéralement : restés derrière), qui étaient des réseaux clandestins coordonnés par l’OTAN. Implantées dans seize pays d’Europe de l’Ouest, ces cellules visaient à combattre une éventuelle occupation par le bloc de l’Est, se tenant prêtes à être activées en cas d’invasion par les forces du Pacte de Varsovie. La plus célèbre de ces cellules, et la première à avoir fait l’objet de révélations, est le réseau italien, nommé Gladio.

L’existence de ces cellules n’est révélée au grand public par les médias qu’en 1990.

Je vous propose pour commencer une petite série ce reportage d’Emmanuel Amara passé sur France 5 en 2011 “1950-1990 Le scandale des armées secrètes de l’OTAN” :

“Alors que l’Europe est progressivement scindée en deux blocs à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Américains et les Britanniques mettent en place des armées secrètes, des réseaux appelés «Stay Behind», destinés à réagir en cas d’invasion soviétique. Mais alors même qu’une attaque russe devient improbable, ces réseaux ne seront jamais démantelés. Ils sont même à l’origine d’actes de terrorisme et responsables de la mort d’innocents civils. A chaque fois que la gauche menaçait d’accéder au pouvoir, ils ont usé de la force et sont intervenus dans les processus démocratiques nationaux. Parfois, ils ont été protégés par les forces de police et les services de sécurité pour préserver leur capacité de combat.”

Licio Gelli, chef de la loge P2 en Italie

Licio Gelli, chef de la loge P2 en Italie

À suivre…

Source: http://www.les-crises.fr/video-1950-1990-le-scandale-des-armees-secretes-de-lotan-gladio/


L’avenir incertain du CETA après la signature du traité, par Jean-Pierre Stroobants

Sunday 13 November 2016 at 01:33

Source : Le Monde, Jean-Pierre Stroobants, 30.10.2016

Officiellement signé dimanche, le traité de libre-échange entre l’UE et le Canada devra maintenant être ratifié par les Parlements nationaux et régionaux des pays de l’Union.

Par  Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen (avec les correspondants européens)

 

Marquée « pas de chance ». La signature officielle du CETA, le traité global de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, a dû être une fois encore retardée, dimanche 30 octobre, à la suite d’un incident technique survenu après le décollage de l’avion du premier ministre canadien, Justin Trudeau. L’appareil a dû rebrousser chemin pour être réparé. Et à son arrivée au Conseil européen, à Bruxelles, le dirigeant canadien a pu constater que l’euphorie n’était pas de mise : quelques centaines de manifestants avaient badigeonné de rouge la façade et le service d’ordre. Une dizaine de protestataires ont été appréhendés après avoir pénétré dans le sas de sécurité de l’immeuble.

C’est donc finalement sur le coup de 14 heures qu’a été entériné cet accord décrit comme « historique » par tous les participants au cours d’une réunion baptisée « sommet », davantage en raison de sa portée symbolique que de son contenu. Les chefs d’Etat européens étaient absents − ils avaient marqué leur accord par une procédure écrite à la fin de la semaine − et représentés par le président du Conseil, Donald Tusk.

L’opposition farouche de la Wallonie et de son ministre-président, Paul Magnette, avait entraîné un premier report de la réunion euro-canadienne, initialement prévue jeudi. Les institutions européennes voulaient dès lors faire absolument oublier au plus vite cet échec. D’où l’organisation très inhabituelle, un dimanche midi, de cette séance de signature, que rien ne justifiait vraiment. Hormis la volonté d’occuper, de part et d’autre, le terrain médiatique.

« Le libre-échange et la mondialisation protègent »

Lors de la conférence de presse qui a suivi la signature, M. Trudeau, M. Tusk et M. Juncker, le président de la Commission européenne, ont souligné tous les bienfaits présumés du CETA et de l’accord de « partenariat stratégique » qui lui est associé : fin des barrières douanières, relance des investissements, création d’emplois « de meilleure qualité », défense des services publics et de la protection de l’environnement, etc. « Je suis vexé qu’on ait pu penser que nous voulions sacrifier les droits des travailleurs », a ajouté M. Juncker.

Interrogés sur les oppositions à ce traité et à d’autres qui pourraient suivre − toute mention du TTIP, ou Tafta, qui pourrait unir un jour Américains et Européens a été évitée −, les trois dirigeants ont adopté un ton modéré. « Le libre-échange et la mondialisation protègent, mais peu de gens le comprennent et le croient, a déclaré M. Tusk. Il faut les convaincre. » « Je ne critique pas ceux qui ne cessent de nous critiquer. Mais ceux qui sont dans la rue doivent entendre et, si possible, écouter aussi. Nous n’avons rien cédé sur nos principales valeurs », a renchéri M. Juncker.

Concernant les vives réticences exprimées par la Wallonie, M. Trudeau a habilement botté en touche, ne répondant pas à l’affirmation selon laquelle le CETA pourrait être le « cheval de Troie » du TTIP. M. Tusk juge, lui, que le débat engendré par M. Magnette a même été « profitable », forçant à délivrer des « informations crédibles » aux citoyens.

M. Juncker en revanche s’est emporté. S’il s’est dit « reconnaissant » envers M. Magnette pour avoir remercié la Commission pour son rôle positif dans la négociation, il a concentré le tir sur le Centre démocrate humaniste, associé au pouvoir en Wallonie. Le président de celui-ci, Benoît Lutgen, avait dénoncé les menaces exercées sur les francophones belges et le comportement « délinquant » de la Commission. « Nous n’avons jamais menacé », a affirmé M. Juncker, qui a invité la Belgique à « réfléchir à son mode de fonctionnement institutionnel pour ce qui est les relations internationales ».

 Des manifestants devant le siège du Conseil de l’UE à Bruxelles, lors de la signature du CETA, le 30 octobre. JOHN THYS / AFP

Des manifestants devant le siège du Conseil de l’UE à Bruxelles, lors de la signature du CETA, le 30 octobre. JOHN THYS / AFP

38 assemblées doivent se prononcer

 

Source: http://www.les-crises.fr/lavenir-incertain-du-ceta-apres-la-signature-du-traite-par-jean-pierre-stroobants/


Le devoir moral des États-Unis au Yémen, par Le New York Times

Sunday 13 November 2016 at 01:00

Source : The New York Times, le 11/10/2016

Par THE EDITORIAL BOARD | Le 11 octobre 2016

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Rachel Levit

Les frappes aériennes menées par la coalition saoudienne qui ont dévasté une cérémonie funèbre au Yémen ce samedi rendent évidente la nécessité pour les États-Unis de cesser leur complicité dans une guerre civile qui a causé une catastrophe humanitaire dans un des pays les plus pauvres du monde, et a nourri l’extrémisme. Le Président Obama a le pouvoir de le décider. L’Arabie saoudite et ses États alliés dans le Golfe dépendent de Washington pour l’aviation, les munitions, le carburant et le ravitaillement en vol. Les États-Unis aident aussi l’Arabie saoudite à protéger ses frontières.

L’administration insiste sur le fait que son soutien à la coalition n’est pas “un chèque en blanc”. Mais, jusqu’à présent, elle n’a eu que des mots sévères en réponse à la liste toujours grandissante des attaques de la coalition contre des civils et des installations civiles, qui sont des cibles illégales selon les lois internationales. Si les Saoudiens refusent d’arrêter le carnage et de reprendre les négociations pour un règlement politique, M. Obama doit cesser le soutien militaire. Sinon l’Amérique pourrait être impliquée dans les crimes de guerre et être entraînée encore plus loin dans le conflit. Lundi, les rebelles Houthis, qui ont combattu avec le gouvernement yéménite, ont lancé un missile loin à l’intérieur de l’Arabie saoudite, selon un rapport, et dimanche ils ont peut-être tiré sur un destroyer de la marine US, mais l’ont raté.

Les frappes saoudiennes ont tué plus de 140 personnes en deuil et blessé des centaines d’autres à un enterrement à Sanaa, la capitale contrôlée par les rebelles Houthis, un groupe local shiite qui a relâché ses liens avec l’Iran. Les pertes humaines, d’après le rapport, incluent de nombreux membres éminents de tribus du nord du Yémen, et aussi des leaders militaires et politiques qui étaient pour des pourparlers de paix et pour la fin du conflit.

L’Arabie saoudite porte la lourde responsabilité d’avoir enflammé le conflit. Les Saoudiens ont commencé la guerre aérienne en 2015 dans le but de réinstaller le Président Abdu Rabbu Mansour Hadi, que les rebelles Houthis avaient chassé du pouvoir. Les Saoudiens considèrent l’Iran comme leur principal ennemi et craignent qu’il gagne trop d’influence dans la région.

Un responsable américain a dit au Times qu’il n’y avait pas de preuve que la coalition avait délibérément visé des civils, et qu’un manque de renseignement et un mauvais ciblage était l’explication probable. Même si c’était vrai, ce n’est pas une excuse ; en fait, de tels facteurs sont une raison supplémentaire de cesser les frappes immédiatement. Avant la cérémonie funéraire, la coalition a frappé un hôpital associé à Médecins sans Frontières, une école et une usine de frites. Plus tôt cette année, un rapport de l’ONU a blâmé la coalition pour 60% des enfants morts et blessés au Yémen l’année dernière.

Les Saoudiens n’inspirent pas confiance en niant dès le départ que leurs forces étaient impliquées dans l’attaque des funérailles et en annonçant tardivement une enquête sur “le regrettable et douloureux bombardement”.

Après l’attaque, le Secrétaire d’État John Kerry a demandé aux responsables Saoudiens un cessez-le-feu immédiat, et Riyad a répondu qu’il le ferait aussitôt que possible avec l’accord des Houthis. La Maison-Blanche a annoncé la révision de son aide à la coalition, disant qu’il pourrait en résulter des ajustements.

Tout cela arrive à un moment où les liens entre l’Amérique et l’Arabie saoudite sont mis à mal au sujet de la Syrie et à la suite de l’opposition de Riyad au traité nucléaire avec l’Iran. M. Obama a soutenu l’effort de guerre saoudien au Yémen et vendu pour 110 milliards de dollars d’armes, comprenant récemment 1,15 milliards de commandes de chars et autres armes, pour calmer la colère de Riyad sur le traité nucléaire. La vente de chars a continué, même si quelques responsables s’inquiètent que cela puisse impliquer les États-Unis dans des crimes de guerre. Le mois dernier, un effort du Sénat pour arrêter la vente de tanks a échoué.

Le Yémen est proche de l’effondrement, avec 80% du pays qui nécessite une aide humanitaire. Les affiliés d’Al-Qaïda deviennent plus forts et la population se radicalise. Plus la guerre durera, plus il sera difficile d’y mettre fin.

Source : The New York Times, le 11/10/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-devoir-moral-des-etats-unis-au-yemen-par-le-new-york-times/


Frédéric Lordon au Bondy Blog : “Avec Nuit Debout, le feu n’a pas pris

Saturday 12 November 2016 at 02:59

Source : Bondy Blog, par Jonathan Baudoin, 08-09-2016

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Frédéric Lordon est l’une des figures de Nuit Debout. Très peu bavard dans les médias, l’économiste, directeur de recherche au CNRS, a accepté de répondre au Bondy Blog dans un long entretien. Au menu : Nuit debout, mort d’Adama Traoré, héritage de Michel Rocard. Interview.

Bondy Blog : Fin mars 2016, le mouvement Nuit Debout s’est posé place de la République et s’est étendu en France voire dans d’autres pays. Exprime-t-il “la puissance de la multitude”, telle que vous la définissez dans votre livre Imperium ?

Frédéric Lordon : C’en est une figuration très éloquente en effet. Tout mon travail dans Imperium visait à montrer, comme le disaient déjà La Boétie et Spinoza, que l’État n’est pas une entité extérieure, mais que, au contraire, il est toujours en dernière analyse – une clause de grande importance – notre production, mais notre production que nous méconnaissons comme telle. Si bien qu’en réalité, l’État c’est nous. Et ceci, quel que soit le degré de séparation sous lequel il nous apparaît. C’est avec notre concours passionnel, mais inaperçu de nous-mêmes, que l’État se soutient et qu’il nous asservit. Ce concours passionnel, Spinoza lui donne le nom de “puissance de la multitude”. Mais Spinoza n’omet pas de penser les conditions dans lesquelles ce concours passionnel se retire, cesse d’irriguer l’État et du coup le renverse. La sédition commence lorsqu’une fraction de la multitude ne veut plus se reconnaître dans les normes de l’État – celle par exemple qui nous fait voter une fois tous les cinq ans et puis nous taire le reste du temps. Ainsi, la multitude devient une menace pour l’État qui ne s’aperçoit que dans ces circonstances que tout son pouvoir est d’emprunt, que sans la puissance que lui prête la multitude il n’est rien. Dans ces moments-là, la multitude en quelque sorte reprend possession de sa propre puissance, jusque-là aliénée dans les captures étatiques. C’est potentiellement un moment critique pour le pouvoir. Et il y a sans doute quelque chose de ça qui s’est joué, même à très petite échelle, à Nuit Debout. A très petite échelle, mais avec toujours le risque de l’émulation et de la contagion. C’est que tous les mouvements insurrectionnels commencent à très petite échelle. Le problème pour le pouvoir c’est quand “ça gagne”, quand la plaine entière vient à s’embraser. On ne va pas se raconter d’histoire, le feu n’a pas (ou pas encore) pris. Je crois cependant que beaucoup de gens qui étaient loin de l’événement l’ont regardé avec intérêt, et qu’il s’est peut être passé quelque chose dans les têtes dont nous ne pouvons pas encore mesurer tous les effets.

Traitement médiatique de Nuit Debout : « Il faudrait établir une anthologie de ce qui a pu s’écrire »

 

Bondy Blog : Quelle est votre analyse sur le traitement médiatique accordé au mouvement ?

Frédéric Lordon : Il est exactement conforme à ce que j’ai décrit en temps réel lors de mon intervention au meeting “Convergence des luttes” le 20 avril à la Bourse du Travail. La première réception médiatique de Nuit Debout avait été étonnamment bonne. Pas si étonnamment d’ailleurs quand on y pense : tout conspirait en effet à ce qu’elle le fût : la composition sociologique de la place, réunissant essentiellement de la jeunesse urbaine éduquée et précaire, bien faite pour susciter une sympathie aussi spontanée qu’irréfléchie de la part de la classe médiatique, un effet de sympathie par similitude d’ailleurs porté à son comble avec les journalistes de terrain envoyés tendre un micro ou une caméra, et qui sont eux-mêmes des représentants typiques de cette jeunesse qu’ils venaient interroger ; et surtout, une orientation que j’ai qualifiée de “citoyennisme”, et même de “citoyennisme intransitif” en cela qu’elle était surtout préoccupée de débattre pour débattre, et d’écarter toute arête saillante, tout thème clivant, pour mieux “rassembler” et “inclure”. Lors de ce meeting, j’avais annoncé que les choses changeraient instantanément du moment où s’affirmerait dans Nuit Debout une ligne non pas citoyenniste mais combative, assumant pleinement le conflit politique et social, en l’occurrence décidée, dans la conjoncture qui était alors la nôtre, à l’engagement au côté des organisations de salariés dans le mouvement contre la loi El Khomri. Je rappelle incidemment que la naissance même de Nuit Debout, telle qu’elle a été portée par ses initiateurs à partir de février a eu intimement partie liée avec le mouvement social, d’abord au travers du film “Merci patron !”, ensuite parce que le mot d’ordre “On ne rentre pas chez nous !” ne faisait sens que comme prolongement de la manifestation du 31 mars. Je laisserai à d’autres le soin de déterminer, de la ligne citoyenniste et de la ligne politique-sociale, laquelle l’a emporté. On a rarement vu un mouvement de contestation d’un ordre social célébré par les gardiens de cet ordre social. C’est exactement ce qui s’est produit. La réception médiatique s’est renversée du tout au tout. Ça a été une explosion généralisée d’éditoriaux hallucinés – car cette fois-ci, il n’était plus question de laisser cette histoire aux soutiers de l’information, ça devenait une affaire d’éditorialistes. Il faudrait établir une anthologie de ce qui a pu s’écrire à cette époque, c’est réjouissant de bêtise et de délire. La chose qui a fait disjoncter le système, c’est que nous remettions à l’agenda du débat public ce que tous ces gens se sont efforcés d’en chasser depuis des décennies : la question du capitalisme. Ce qui est extraordinaire avec tous ces gardiens de l’ordre, c’est qu’ils sont tellement installés dans leur condition de dominants, tellement déboutonnés, qu’ils ne se rendent même plus compte de la clarté avec laquelle ils disent les choses qui devraient rester tues. Comme toujours, dans cet ordre d’idée, le champion c’est Finkielkraut, dont le cri du cœur, sur BFMTV, a livré la vérité profonde de toute cette histoire considérée depuis le point de vue du pouvoir (lato sensu) : à cause de Nuit Debout, s’indignait Finkielkraut, “on ne parlait plus de l’islam radical“. Et, en effet, c’était terrible cela, pour tous ces gens. Double perte en vérité, puisque leurs obsessions intimes se voyaient déclassées en même temps que leurs stratégies de dérivation se trouvaient mises en échec : on ne parlait plus de la chose dont ils voulaient que toute la société parle obsessionnellement pour ne surtout pas parler d’autre chose. Réparer ce désastre qui venait avant qu’il ne prenne de l’ampleur supposait bien d’y mettre tous les moyens de violence verbale. Il faut toujours en arriver aux points-limites des institutions pour savoir ce dont les institutions sont capables. Et nous commencions à nous en approcher. Lorsqu’il se sent réellement mis en danger, un ordre institutionnel, un système de pouvoir, peut devenir capable de tout, je veux dire de toutes les violences. À un degré certes encore modéré, c’est cela que le mouvement social et la composante de Nuit Debout qui s’y reconnaissait ont expérimenté. Violences policières, violences judiciaires, violences symboliques d’éditorialistes littéralement écumants, c’est tout un : le système en train de se défendre. On ne pouvait pas nous donner plus parlante attestation de ce que nous étions dans le vrai !

« Les vrais destructeurs de l’hôpital public sont en costumes à l’Élysée et à Matignon »

 

Bondy Blog : Craignez-vous que Nuit Debout soit la farce de Mai 68 ?

Frédéric Lordon : Je pourrais répondre dans l’axe même de votre référence implicite : Mai 68 n’a pas été une tragédie ; supposé qu’elle en ait été la répétition, Nuit Debout ne pouvait donc pas être une farce ! Nuit Debouta ses caractères propres qui lui sont venus de sa genèse même : autour de la loi Travail, c’est-à-dire, comme la plupart des grands mouvements en France, autour de la question sociale, de la question salariale, qui est en définitive la question même du capitalisme. Mai 68 avait à liquider des formes anciennes d’autorité. Cette tâche-là, Nuit Debout n’avait pas à l’accomplir. Elle pouvait se concentrer sur d’autres choses, deux en fait : la question générale de la participation et de la représentation politiques, c’est-à-dire la question de la confiscation institutionnelle généralisée dans le cadre de la Vème République ; et la question du capitalisme comme système d’oppression, question pour le coup à l’ordre du jour de Mai 68. Ni tragédie ni farce, donc, mais de l’un à l’autre une même difficulté à passer les barrières sociales pour opérer vraiment la convergence des luttes. Mai 68 voit certes quelques ambassades d’étudiants à la porte des usines. De même, Nuit Deboutconnaîtra quelques mouvements similaires, notamment ces cortèges d’étudiants rejoignant les cheminots de Saint-Lazare. Mais toutes ces tentatives resteront embryonnaires et, en apparence, la convergence inaccomplie. Je dis “en apparence” car il se pourrait qu’elle se soit opérée là où, comme toujours, on ne l’attendait pas : dans cette formation pour le coup inédite, qui restera sans doute la création non pas de Nuit Debout mais de… de qui d’ailleurs ? De personne en particulier, la création d’un procès sans sujet comme on disait il y a quelque temps, et cette formation inédite, c’est celle qu’on nomme désormais le “cortège de tête”. Il faut être un éditorialiste de BFMTV le cul vissé dans son fauteuil pour faire du “cortège de tête” un pur ramassis de “casseurs”. La réalité du cortège de tête, c’est la diversité de sa composition : Totos et Mili bien sûr, mais également manifestants tout à fait ordinaires rendus furieux par la violence policière au fil des manifs, militants syndicaux décidés à ne plus se laisser matraquer-gazer sans réagir, etc. La vraie convergence des “en-lutte”, c’est là qu’elle s’est faite, et, quelle que soit la petitesse de son échelle, c’était nécessairement la plus haute forme de convergence : celle qui s’opère dans le concret d’un affrontement commun. Ceci permet alors de prolonger très directement la comparaison des deux événements. Comme on pouvait s’y attendre, le procédé de disqualification le plus simple, immédiatement à la portée de n’importe quel cerveau médiatique, a résidé dans le traitement maniaque de “la violence” – à laquelle les médias se sont efforcés de réduire intégralement Nuit Debout et le mouvement contre la loi El Khomri. Mais justement, comparons les niveaux de violence respectifs de Mai 68 et du printemps 2016. Quoique Mai 68 soit maintenant devenu un élément de folklore politique, sur lequel les éditorialistes se penchent avec une indulgence et une nostalgie émues, le niveau de violence qui y a été atteint est sans commune mesure avec ce que nous avons connu au printemps 2016. Se souvient-on qu’il y avait des barricades dans Paris. Des barricades ! Que le feu a été mis au Palais Brongniart. Mais BFMTV et France Info sont devenus hystériques parce que cinq vitres de Necker ont été brisées, par un crétin isolé d’ailleurs, quand, incidemment, les vrais destructeurs de l’hôpital sont en costumes à l’Élysée et à l’Hôtel Matignon. Mais, entre une violence institutionnelle sans mesure mais “abstraite” et une violence physique cent fois moindre mais “concrète“, on peut compter sur la bêtise médiatique pour ne voir que la seconde et jamais la première. Si le vrai parallèle à tirer entre Mai 68 et le printemps 2016 est bien celui-là, alors il y a de quoi rester songeur.

« La société française est ravagée par une violence identitaire raciste »

Bondy Blog : Le 20 avril dernier, à la Bourse du travail de Paris, vous aviez parlé de “violence identitaire raciste” en France. Selon vous,  le racisme institutionnel s’applique dans l’Hexagone ?

Frédéric Lordon : C’est une telle évidence que je me demande s’il est bien nécessaire d’en dire long à ce sujet. Jacques Rancière a souvent montré combien les imputations de racisme faites au peuple dissimulent un racisme d’élites et un racisme d’État. Faut-il que je rappelle les “Auvergnats” de Hortefeux ou la sortie de Valls sur les Roms, inintégrables et voués au renvoi ? Mais des comme ça, on n’en finirait pas d’en aligner ! Il faudrait reprendre systématiquement les discours de certains politiques ou de certains éditorialistes et y substituer méthodiquement le mot “juifs” aux mots “musulmans“, “roms”, etc., pour prendre conscience du degré d’horreur de ce qui se dit communément aujourd’hui. Faut-il en faire des tonnes également pour redire ce que tout le monde sait, le racisme d’un nombre alarmant de policiers, mais qui, comme toujours, trouve ses conditions de possibilité dans les autorisations implicites venues du haut, des discours officiels et de leurs formulations à demi-mots, et de toute une ambiance installée par de nuisibles faiseurs d’opinion ? De ce point de vue, on ne peut pas ne pas mentionner les éructations de personnages totalement décompensés comme Finkielkraut ou Zemmour. Lors de ce fameux meeting du 20 avril, j’ai dit que la société française est ravagée par deux violences d’échelle macroscopique : la violence sociale du capitalisme et la violence identitaire-raciste, dont Finkielkraut et Zemmour sont les plus notoires propagateurs. Comme toujours, il faudra le recul du temps pour soupeser les responsabilités historiques. J’ose à peine souhaiter que ce moment vienne car, s’il vient, c’est que nous serons passés par de terribles catastrophes.

« Il y a une forte tendance dans les milieux étatiques, à considérer que le mensonge d’institution à propos des racisés ne porte pas vraiment à conséquence »

 

Bondy Blog : Quel regard portez-vous sur la mort d’Adama Traoré et les déclarations du procureur de la République de Pontoise, Yves Jannier ?

Frédéric Lordon : La coïncidence la plus extravagante, dont je m’étonne d’ailleurs qu’elle ait été si peu remarquée, tient à ce que, au moment même où le procureur Jannier s’enfonce dans le mensonge d’institution, Valls, comme toujours dans ce registre de l’indignation surjouée qui est le sien, se scandalise de “la remise en cause permanente de la parole de l’État” – le même jour ! Le mensonge est propre aux institutions, spécialement aux institutions d’État, la police en tout premier lieu, hélas trop souvent aidée de la “justice”, et, entre Cahuzac et la mort de Rémi Fraisse, ce quinquennat en aura donné une confirmation de plus, en parfaite continuité, comme beaucoup d’autres choses, avec le précédent. On tient visiblement avec cette mystérieuse surmortalité de fourgon et de cellule, frappant étonnamment une catégorie particulière de population, une formidable énigme offerte à la science sociale des institutions. Ce qui est parfois effarant avec le bobard d’institution, c’est sa grossièreté. Laisser entendre qu’Adama Traoré est mort des suites d’une infection généralisée qui le laissait pourtant en excellente santé quelques heures auparavant, c’est une ignominie, une insulte à l’intelligence des gens et plus encore au respect qu’on doit à sa famille. La suprême perversité consistant d’ailleurs à ne rien dire qui soit “techniquement” faux. Je pense qu’il y a une forte tendance dans les milieux étatiques, à considérer que le mensonge d’institution à propos des racisés ne porte pas vraiment à conséquence.

« Rocard est l’incarnation de la réduction gestionnaire du politique »

 

Bondy Blog : Comment analysez-vous l’action politique et la pensée intellectuelle de l’ancien Premier ministre Michel Rocard, mort le 2 juillet dernier ?

Frédéric Lordon : Le respect qu’on doit aux morts n’empêche pas de dresser les bilans politiques. Or, avec Rocard, il y a quasiment matière à un syllogisme : célébré comme l’”âme” de la gauche et en réalité l’un des agents les plus précoces de sa droitisation, il aura donc été l’incarnation de ce que cette gauche est devenue de droite. En sa personne, la seconde gauche aura été l’opérateur historique de la transformation de la gauche en seconde droite. La consolidation définitive, l’irréversibilisation du tournant libéral de 1983, c’est sous Rocard qu’elles sont effectuées. On se récriera en rappelant l’ISF (restauré de l’IGF aboli par Chirac-Juppé), la CSG, etc. Mais c’est là, la traînée d’un astre déjà mort – on en aura l’équivalent avec les 35 heures et la CMU sous Jospin, mandature “socialiste” qui aura accéléré la dérive historique à droite. Avec Rocard, l’ISF et la CSG parviendront difficilement à effacer les grandes consolidations structurelles du néolibéralisme qu’auront été la fixation de la politique économique de 1983 en doctrine officielle – la “désinflation compétitive” –, l’approfondissement de la financiarisation (entamée avec la loi Bérégovoy de 1986), la négociation du traité de Maastricht qui va verrouiller pour les décennies à venir le néolibéralisme à l’échelle continentale. Mais je me demande en réalité si le pire n’est pas ailleurs. Il est dans une sorte d’élément d’ambiance, beaucoup plus pernicieux. Rocard est l’incarnation de la réduction gestionnaire du politique. Inspecteur des finances, il se targue d’une expertise économique et aussi sociologique pour mieux marquer sa différence avec un Mitterrand, accusé d’être demeuré dans les “humanités” inexpertes. Quand on sait ce qu’est la culture économique d’un énarque, en soi il y a déjà de quoi rire beaucoup. Mais le point essentiel est ailleurs : gouverner, avec Rocard, devient un art d’ingénieur social, et au premier chef économique. Il est l’une des figures les plus caractéristiques de la réduction économiciste de la politique, un mouvement qui trouvera ses équivalents dans presque tous les champs, notamment dans la promotion des chercheurs-experts en sciences sociales comme intellectuels de remplacement. Le rocardisme, très généralement parlant, c’est: d’une part la correction à la marge des tares les plus visibles du capitalisme, mais sans jamais questionner les causes structurelles qui les réengendrent continument, d’autre part un abandon de toute la société à la déréliction économiciste, la soumission de tous les aspects de la vie sociale aux critères de l’économie, la colonisation de toutes les pratiques par sa logique. C’est-à-dire, du côté des salariés, la tyrannie néo-managériale de la productivité et partout ailleurs le naufrage dans le non-sens, la disparition des finalités, la vie évidée et désorientée, donc fatalement le triomphe de l’abrutissement consumériste. Voilà le legs politique et civilisationnel du rocardisme, dont il faut bien reconnaître qu’il aura laissé une empreinte profonde sur la société française.

Propos recueillis par Jonathan BAUDOIN

Crédit photo : Michel SOUDAIS

Source : Bondy Blog, par Jonathan Baudoin, 08-09-2016

Source: http://www.les-crises.fr/frederic-lordon-au-bondy-blog-avec-nuit-debout-le-feu-na-pas-pris/


La faillite du dogme néolibéral, par Sam Ben-Meir

Saturday 12 November 2016 at 02:43

Source : Consortiumnews.com, le 13/10/2016

Le 13 octobre 2016

Dans les années 80, le Premier ministre britannique Thatcher et le Président Reagan ont dépeint le capitalisme néolibéral ou “marché-libre” comme le système idéal, un dogme qui s’est prolongé jusqu’à nos jours malgré son échec cuisant et des alternatives possibles, affirme Sam Ben-Meir.

Par Sam Ben-Meir

Le 13 octobre marquait l’anniversaire du défunt Premier ministre britannique Margaret Thatcher – il serait peut-être judicieux de s’arrêter un instant pour considérer à quel point le thatchérisme continue de dominer le paysage du capitalisme mondial.

A l’apogée de sa carrière politique, durant les années 80, Thatcher affirmait que sa mission était de changer l’esprit, changer l’univers conceptuel dans lequel les gens vivent, et son idée selon laquelle “il n’y a pas d’alternative” (TINA) s’est si profondément ancrée dans nos esprits et notre conscience qu’il semble que nous ne puissions plus imaginer qu’il existe une alternative au capitalisme.

Le Premier ministre britannique Margaret Thatcher

Le Premier ministre britannique Margaret Thatcher

Le néolibéralisme de Thatcher était caractérisé par la dérégulation (en particulier dans le secteur financier), la suppression d’emplois, les attaques contre les syndicats et les privatisations d’entreprises publiques. Aussi bien Thatcher que Ronald Reagan ont supervisé le virage vers une version plus laxiste du capitalisme, qui, dans les faits, inversa le mouvement initié à la suite de la crise de 1929 vers plus d’interventions de l’État et un capitalisme social-démocrate.

Il est grand temps d’enterrer ce concept de TINA. Rappelons-nous que dans les années 30, il ne faisait pas de doute qu’il existait une alternative. Après la Seconde Guerre mondiale, une alternative émergea dans laquelle l’État était fortement impliqué ; et les taux d’imposition étaient très élevés aux États-Unis.

Donald Trump répéta ce mensonge au cours du deuxième débat présidentiel, mais les faits lui donnent tort. En 1945, le taux marginal d’imposition sur les plus hauts revenus était de 92% ; il ne descendit jamais sous les 70% jusqu’à ce que Reagan ne l’abaisse à 30%.

En 1981, Reagan a fortement réduit le taux d’imposition, qui affectait les foyers aux plus hauts revenus, et a abaissé le taux d’imposition marginal de 70 à 50% ; en 1986, il réduit de nouveau ce taux à 28%. De 1945 à Reagan, la croissance économique moyenne aux États-Unis s’établissait entre 4 et 5% par an : l’une des plus grandes périodes de prospérité dans l’histoire américaine, durant laquelle le taux marginal d’imposition ne descendit jamais sous les 70%.

Depuis Ronald Reagan, le taux marginal d’imposition a oscillé entre 35 et 39% et la croissance économique depuis les années 70 a été de 2%. Malgré les affirmations absurdes de Trump prétendant le contraire, les Américains demeurent parmi les citoyens les moins taxés des nations industrialisées, avec 28 points de PIB, contre 36% pour les 38 membres de l’OCDE.

Donc quelle est l’alternative ? En fait, nous faisons face à une faillite des idées. Il y a une avalanche de critiques négatives du capitalisme ; et relativement peu de critiques positives. Nous devons tout d’abord prendre conseil auprès de David Harvey, professeur d’économie à l’Université de New York et regarder à l’intérieur du système économique lui-même pour trouver d’éventuelles solutions.

Observez par exemple comment les entreprises d’aujourd’hui sont gérées : elles ont un système de contrôle à travers leur chaîne d’approvisionnement. Leurs opérations sont centralisées, de manière sophistiquée et efficace. On peut facilement imaginer adopter cette méthodologie et la diriger à destination d’objectifs sociaux autres que la simple augmentation des bénéfices.

Une alternative

Un autre élément commun à toute alternative viable doit être mentionné ; et il contrebalance le besoin de centralisation – on le nomme autogestion. Le principe de salariat autogéré étend et renforce les principes démocratiques au-delà du domaine politique.

Le Président Ronald Reagan avec le Directeur au budget David Stockman. (Crédit photo: Reagan Library)

Le Président Ronald Reagan avec le Directeur au budget David Stockman. (Crédit photo: Reagan Library)

Chaque entreprise est dirigée par ceux qui y travaillent, et ce sont eux qui ont le pouvoir de décision quand il faut déterminer, par exemple, ce qu’il faut produire, quelle quantité et pour qui ; combien de dividendes doivent être distribués ; et comment l’entreprise doit être organisée et administrée. L’autogestion est un processus collectif basé sur des objectifs communs de personnes réunies dans une organisation productive gérée en coopération.

La première condition essentielle pour l’existence de l’autogestion est que la direction de l’entreprise soit confiée à tous ceux qui y travaillent. Le point crucial est que l’entreprise est ici contrôlée par les travailleurs eux-mêmes et non par les détenteurs du capital : en d’autres mots, ceux qui sont le plus impliqués dans la production de biens et de services ont le contrôle sur cette production.

Ceci est une condition sine qua non pour les travailleurs autogérés. Un processus démocratique est nécessaire pour répondre à cette condition ; où les objectifs peuvent être définis en interne, et où il y a l’égalité des droits de vote parmi tous ceux qui travaillent dans l’entreprise et idéalement, l’égalité des chances de participer démocratiquement à la gestion des affaires de l’organisation.

La démocratie économique est un pilier central de la légitimité dans un système pleinement démocratique. Le lieu de travail doit être un espace dans lequel les individus acquièrent les compétences participatives, des valeurs et des expériences qui forment un système démocratique vivant. Ce genre d’« entrainement social » est sévèrement entravé par les formes dominantes de l’aliénation.

L’autogestion est essentielle à la formation d’un travail communautaire non aliénant et facteur de productivité – elle façonne un espace dans lequel les gens se réunissent, non seulement pour répondre à leurs besoins financiers, mais aussi leur besoin de communauté, de dialogue et d’épanouissement au travail. Le thème de l’autogestion est particulièrement opportun : dans l’ère du capitalisme mondialisé, la démocratisation économique est plus pertinente que jamais. Heureusement, il y a beaucoup de preuves empiriques qui montrent que les entreprises autogérées réussissent aussi bien, sinon mieux, que les entreprises gérées classiquement.

Nous savons également que les managers qui sont employés dans les entreprises dans lesquelles les travailleurs ont de l’influence ont tendance à être plus enclins à responsabiliser les travailleurs : cela ne serait guère le cas si ces projets n’étaient pas des succès. La démocratie au travail est capable de satisfaire “l’impératif d’efficacité” – cela ne fait plus aucun doute. Sinon, personne ne voudrait que la démocratisation soit étendue au monde du travail. L’autogestion resterait au mieux une théorie inutile.

D’après la Fédération des coopératives américaines (U.S. Federation of Worker Cooperatives), il existe plus de 300 lieux de travail démocratiques rien qu’aux États-Unis, qui emploient des milliers d’individus et générant plus de 400 millions de dollars de revenus annuels. Le fait est que de plus en plus de gens ordinaires veulent de la démocratie au travail, et une telle attitude envers le changement social est une condition absolument nécessaire.

Donc, en l’honneur de l’anniversaire de Margaret Thatcher, prouvons à nous même, au monde, et ainsi aux générations futures qu’il y a réellement une alternative au système capitaliste mondialisé qui augmente la pauvreté, la misère et la relégation ; qui saccage l’environnement et prive l’Homme d’un environnement vivable, tout cela au nom d’un impératif fou que l’on peut résumer en un seul mot : la croissance.

Le Dr. Sam Ben-Meir enseigne la philosophie à l’Eastern International College.

Source : Consortiumnews.com, le 13/10/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-faillite-du-dogme-neoliberal-par-sam-ben-meir/


[Vidéo] Crise de la société américaine, crise de la globalisation ? Par Emmanuel Todd

Saturday 12 November 2016 at 00:55

Conférence de Todd la veille du scrutin…

Source : Blog Mediapart, Emmanuel Todd, 08-11-2016

Emmanuel Todd travaille actuellement sur les tensions de la société américaine et leurs liens avec la globalisation. La conférence d’Emmanuel Todd s’est tenue à Nantes le 8 novembre 2016, quelques heures avant la proclamation des résultats.

Lors du débat du 26 septembre dernier, les deux candidats à la présidentielle américaine se sont accordés pour désigner un ennemi commun : la globalisation.

Dernière forme prise par la mondialisation, elle est marquée par l’instantanéité des échanges et par le néolibéralisme. Or, si la société américaine a su jouir des avantages de ce système, elle a dû faire face à des revers aux conséquences dramatiques. Ce n’est donc pas un hasard si aujourd’hui la globalisation concentre les critiques de bon nombre de citoyens américains. Beaucoup d’entre eux ne font plus confiance au multiculturalisme et sont tentés par le populisme.

(Ca commence à 41’00)

Emmanuel Todd souhaite apporter certains éléments qui nous permettront de comprendre le résultat des élections. Le traitement médiatique aux Etats-Unis a été complètement fou. Les médias en France ne font que les recopier, avec une moindre connaissance des réalités américaines. L’establishment et sa presse n’ont pas été mobilisés seulement contre Trump mais aussi contre son électorat et contre les thématiques qui sont apparues dans la première partie de la campagne électorale et qui ont montré le début d’une “reprise en main de l’Amérique par elle-même”.

La seconde partie de la campagne, concentrée sur les personnes de Trump (et son rapport aux femmes) et de Clinton (et son rapport à la Loi) ont occulté la première partie, soit la rupture des tabous sur les éléments centraux de la globalisation, la liberté des échanges et la liberté de circulation des hommes. La vision hyper individualiste de l’espèce humaine (il n’y a plus de nations, les individus circulent librement comme s’il n’appartenaient à aucun système national ou culturel), les marchandises doivent circuler… Dans la campagne de Trump, le rejet du libre échange et le rejet des Mexicains sont liés. Le déclencheur fut l’idée que les sociétés doivent rétablir des frontières contrôlables, c’est une mise en question du libre échange, interdite par les économistes et par l’establishment.

Sanders avait également mis au coeur de son programme une contestation du libre échange. Lors de son ralliement à Clinton, ses supporters ne se sont manifestés à la convention démocrate que lorsqu’il a été question de la critique du libre échange. Il s’agit donc d’une thématique très importante, très différente de la manière dont la campagne a été présentée par les médias : la campagne a été lancée sur des thèmes extrêmement sérieux, de critique sociale et de mutation sociale et économique.

Comment l’Amérique s’est-elle dirigée vers le libre échange ? C’est le protectionnisme qui a permis après la guerre civile le décollage de l’économie et la suprématie de l’Amérique à l’échelle mondiale. Le niveau des prélèvement douaniers en 1934 est de 18%, en 2007 de 1,5%. Le libre échange a déclenché une montée des inégalités puis finalement une stagnation du revenu médian. D’où l’importance du retournement actuel dans un pays habitué à une croissance ininterrompue : la rupture du rêve américain. Les effets du libre échange sur l’industrie, sur les salaires des ouvriers et de la classe moyenne sont faciles à observer, en dépit de l’avis des centaines d’économistes anti-Trump qui se sont manifestés lors de la campagne électorale.

La présentation de l’électorat de Trump comme représentant une “infra-Amérique” pose le problème de la stratification éducative. L’effondrement de la valeur d’égalité, réalisé par l’abaissement des barrières douanières et leur non rétablissement en période de crise, a été rendu possible par l’évolution des structures éducatives. La montée du sentiment démocratique est liée à celle du niveau éducatif. Les sociétés avancées atteignent au tournant du XXe s. l’alphabétisation universelle. Cela aboutit à un sentiment égalitaire, favorisant la conscience nationale et favorable aux politiques protectionnistes. Peu de gens ont alors fait des études supérieures. En 1940, 6% seulement, en 2000, 32 %. Le monde perd son homogénéité éducative. Apparaît un nouveau type d’inégalité, avec l’apparition d’un monde de “supérieurs”. Sur ce plan, les Etats-Unis ont 30 ans d’avance. Contrairement à une idée générale, le niveau d’éducation moyen de la population américaine est très élevé, avec peu de différences entre tranches d’âge mais en revanche d’importantes inégalités éducatives. Le gros de l’électorat de Trump représente par exemple les éduqués supérieurs n’ayant pas atteint le niveau de la licence. La campagne électorale US a révélé des thématiques élitistes et anti-populistes de la part du camp Clinton qui reflètent ces inégalités.

Il faut essayer de comprendre pourquoi le monde anglo-saxon, qui a imposé au monde les règles du libre-échange, la globalisation, ne supporte plus les conséquences de ses propres valeurs. Comme si on avait été trop loin dans le stress induit par les conceptions néolibérales. On a constaté une remontée de la mortalité dans la population blanche (les blancs représentent 75% de la population), qu’on ne retrouve pas dans les minorités noire et hispanique. La mortalité du groupe blanc a cependant continué à baisser chez les éduqués supérieurs.

On devra observer dans les résultats des élections les différences selon le niveau éducatif. Dans le groupe blanc, le vote Clinton / Trump est directement lié, et consciemment, au niveau éducatif. Dans les derniers sondages, Trump était majoritaire dans le groupe ayant une éducation supérieure incomplète (n’ayant pas atteint le niveau de la licence) mais finit par s’implanter dans le monde ouvrier blanc.

Ce qui rend la poussée électorale de Trump dangereuse pour les Démocrates, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’une révolte “populiste” de gens ayant un niveau éducatif très bas, mais c’est aussi un phénomène de classes moyennes. Et les bouleversements historiques interviennent dans les sociétés quand les classes moyennes interviennent.

Réponses aux questions :

– Comparaison avec la situation en Europe

L’Amérique est en avance, y compris dans le déclin économique. Mais la campagne est intéressante parce que les Américains décident pour eux-mêmes, ce qui n’est pas le cas en Europe.

– Perte de prestige des USA

L’extérieur est important dans la campagne. La russophobie des Démocrates, qui ne semblent penser qu’en terme militaire, est ahurissante. L’Amérique perd le contrôle de tous ses alliés (Europe contrôlée par l’Allemagne, etc.). Mais subsiste une solidarité mondiale des establishments, souvent des gens de gauche, présentant Trump comme dangereux et Clinton comme compétente. Or le message de Trump porte sur la question de la réalité. Il dit à l’Amérique que ça va mal, alors que Clinton défend des “valeurs”. A l’international, Trump prend acte du déclin, pense que les alliés doivent assurer leur propre défense, mais n’est pas belliciste, veut s’entendre avec la Russie. Clinton veut conserver une société fragmentée par l’absence de protection douanière et dans le domaine international a des projets d’intervention en Syrie, rend possible l’idée de guerre avec la Russie. L’establishment est dans une problématique de domination culturelle plutôt que de perception de la réalité du monde.

– Le mandat Obama

L’électorat a fini par se rallier à Clinton, mais Obama avait déjà opéré un premier recentrage national en terme de couverture santé, de reconstruction des infrastructures. C’est un paradoxe. Avant qu’il soit aspiré par le clintonisme, Obama a préfiguré l’évolution actuelle, qui touche à la fois la gauche et la droite. Le système anglo-saxon peut produire des ruptures assez violentes, comme l’arrivée au pouvoir de Reagan en 1980 et le virage néolibéral. Avec le Brexit, premier recentrage national, on a vu apparaître avec Teresa May un discours “conservateur de gauche” se préoccupant des classes populaires. Le retour aux conceptions nationales semble sur une voie inéluctable.

 – Comment expliquer la position des Démocrates clintoniens ?

Ce sont les partisans d’une société post-démocratique. La force électorale de l’Amérique impériale représentée par Clinton est constituée d’un groupe supérieur assez massif croyant à la globalisation, allié à Wall Street et disposant d’un mercenariat électoral captif, les minorités. Le simple fait que les classes moyennes et le prolétariat noirs votent de la même façon montre du reste que la question raciale n’est pas résolue. Le pari démocrate repose sur l’espoir d’une évolution démographique : l’importance des minorités, alors que l’Amérique de Trump ne reposerait que sur une minorité blanche. Mais la rhétorique des minorités produit des effets de surmobilisation blanche (le corps électoral est encore aux 3/4 blanc). Les noirs qui votent démocrates votent contre leur intérêt économique. Les gens favorisés le plus par une politique protectionniste seraient ceux de la minorité noire. Et Clinton n’est pas Obama. Bill Clinton avait joué un rôle assez dur dans la poursuite des politiques d’enfermement carcéral des jeunes noirs. Les Hispaniques dans les sondages restaient à 30% en faveur de Trump en dépit de ses déclarations sur les Mexicains. Mais ceux-ci ne sont pas tellement à gauche, traditionnellement.

La démocratie américaine est une démocratie raciale fondée sur la solidarité du groupe blanc contre les minorités indienne et noire. La notion de race semblant indépassable, la dé-ségrégation issue des lois civiques a déstabilisé le système démocratique américain. Le Parti républicain s’est redéfini comme un Parti blanc. Les politiques néolibérales contre les subventions publiques étaient admises tant qu’on suggérait que les aides sociales étaient orientées vers le groupe noir. Trump a détruit cette logique en se désolidarisant des objectifs libre échangistes. La problématique a été déplacée par Trump des valeurs religieuses traditionnelles du Parti républicain vers des problématiques de classe. On s’aperçoit que la stratégie démocrate est par contre raciale. Et Sanders écarté, Clinton s’est recentrée sur les “valeurs”.

 – Sur la démocratie : en phase de déclin.

La France n’est plus une démocratie. Le vote est devenu une simple “illustration”. On revit peut-être quelque chose d’assez habituel dans l’histoire de la démocratie. La victoire du Brexit, victoire spectaculaire des non éduqués sur les éduqués supérieurs. Les universitaires anglais sont en fureur. Mais les représentants anglais conservateurs respectent la démocratie. Aux Etats-Unis, Trump, personnage improbable, se met à la tête du même genre de revendication. Il faut parler de révolte populaire ou de révolte démocratique car l’oligarchie a échoué en terme social et économique par rapport aux intérêts du gros de la population. Mais ce regain démocratique nous confronte à la réalité du fondement ethnique de la démocratie : il n’y a pas de démocratie sans un peuple qui existe à travers une langue et des habitudes culturelles. La problématique migratoire, la redéfinition du corps national et de la conception des frontières qui peut apparaître absurde dans un monde varié et coloré qui ne permet pas de parler vraiment d'”ethnie” est pourtant un phénomène primordial. Le corps des citoyens n’est pas un absolu, il a besoin de se définir “contre”. En Amérique, contre les Indiens et les Noirs. En admettant que le phénomène Trump constitue un regain démocratique, c’est à l’intérieur du groupe blanc, qui se définit contre d’autres groupes, tels que les Mexicains. L’idée de démocratie est confrontée à un non-dit.

– Que peut faire Trump ?

C’est une situation historique qui n’a jamais existé. Peut-il y avoir un ralliement des éduqués supérieurs à une stratégie de recentrage national ? On est peut-être dans une logique de lutte des classes, mais il y a la question raciale qui est actuellement indépassable.

– Le Brexit a été plébiscité par les classes inférieures et moins éduquées

On aurait dit il y a peu de temps que le fait que cette catégorie d’inférieurs vote le Brexit invalide ce scrutin. C’est ce qu’on disait du vote noir aux Etats-Unis : en quoi un vote d’inférieurs serait-il valable ? En France, le vote contre le Traité constitutionnel européen a été invalidé. Au Royaume-Uni, le tempérament démocratique est plus fort. Le vote sur le Brexit est respecté.

On peut se demander si les éduqués supérieurs sont réellement supérieurs. Le système éducatif pensé comme émancipateur est devenu une machine à fabriquer des inégalités et donc à justifier l’inégalité.

Il s’agit avant tout d’un monde de bons élèves. Le tri ne se fait pas que sur l’intelligence mais aussi sur l’obéissance : intelligence et soumission. Peut-on vraiment décrire l’establishment français ou américain comme intelligent ? Il faut décrédibiliser l’idée que ce monde supérieur est supérieur en intelligence, par exemple du point de vue de l’économie. Une population qui élirait Trump désavouerait ce système de domination. On reproche souvent aux Républicains d’être Créationnistes. Mais que penser de l’auto-hallucination de centaines d’économistes, pétitionnant contre Trump, présentant le libre échange comme indépassable ? Il s’agit de fausse conscience : les éduqués supérieurs ne sont pas supérieurs.

Source : Blog Mediapart, Emmanuel Todd, 08-11-2016

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Source: http://www.les-crises.fr/video-crise-de-la-societe-americaine-crise-de-la-globalisation-par-emmanuel-todd/


Les Démocrates, Trump et le refus actuel dangereux de tirer les leçons du Brexit, par Glenn Greenwald

Friday 11 November 2016 at 02:10

Glenn Greenwald, The Intercept, 9 novembre 2016

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Photo: Chip Somodevilla/Getty Images

Le parallèle est saisissant entre l’adoption choquante par le Royaume-Uni du référendum sur le Brexit en juin et l’élection encore plus choquante de Donald Trump comme président la nuit dernière. Les élites (en dehors des cercles populistes d’extrême droite) se sont vigoureusement rejointes en opposition aux deux, dépassant leurs lignes idéologiques. Les partisans du Brexit et de Trump ont été continuellement diffamés par le récit des médias dominants (à tort ou à raison), qualifiés de primitifs, stupides, racistes, xénophobes et irrationnels. Dans chacun des cas, les journalistes qui passent leurs journées à discuter entre eux sur Twitter et à se rassembler dans des cercles sociaux exclusifs dans les capitales nationales – réaffirmant constamment leur propre sagesse dans un Larsen sans fin – étaient certains de la victoire. Après coup, les élites dont la légitimité à prévaloir avait été écrasée ont consacré leurs énergies à rejeter la faute sur tous ceux qu’ils pouvaient trouver, sauf sur eux-mêmes, tout en redoublant d’un mépris débridé envers ceux qui les avaient défiés, refusant fermement d’examiner ce qui motivait cette insubordination.

Il est indéniable que les institutions occidentales dominantes ont, durant des décennies, sans relâche et dans une totale indifférence, piétiné le bien-être économique et la sécurité sociale de centaines de millions de personnes. Tandis que les cercles des élites se sont gavés de mondialisation, de libre-échange, de jeu au casino de Wall Street et de guerres sans fin (des guerres qui ont enrichi leurs auteurs et fait porter le fardeau aux plus pauvres et aux plus marginalisés), ils ont complètement ignoré les victimes de leur gloutonnerie, sauf lorsque ces victimes prenaient la parole un peu trop fort – quand il y avait du grabuge – et qu’elle étaient traitées avec dédain d’hommes des cavernes et d’avoir mérité leur défaite dans le jeu glorieux et mondial de la méritocratie.

Ce message a été clairement entendu. Les institutions et les factions des élites qui ont passé des années à dénigrer, à diffamer et à piller de grandes parties de la population – tout en dressant leur propre dossier d’échecs et de corruption et de destruction – sont aujourd’hui choquées que leurs ordres et leurs décrets restent lettre morte. Mais des êtres humains ne vont pas suivre et obéir à ceux-là mêmes qu’ils jugent responsables de leur souffrance. Ils vont faire exactement l’inverse : les défier délibérément et essayer de les punir en représailles. Leurs instruments de représailles sont le Brexit et Trump. Ce sont leurs agents, envoyés vers une mission de destruction : pointés sur un système et une culture qu’ils perçoivent – non sans raison – comme rongé par la corruption et, par-dessus tout, le mépris vis-à-vis d’eux et de leur bien-être.

Après le vote du Brexit, j’ai écrit un article approfondi détaillant ces dynamiques, ce que je ne répéterait pas ici mais j’espère que les intéressés le liront. Le titre exprime l’essentiel : « Le Brexit n’est que la dernière preuve de l’insularité et de l’échec des institutions de l’establishment occidental » [Brexit Is Only the Latest Proof of the Insularity and Failure of Western Establishment Institutions]. Cette analyse a été inspirée par une courte note d’après-Brexit, extraordinairement perspicace et aujourd’hui plus pertinente que jamais, postée sur Facebook par Vincent Bevins du Los Angeles Times, dans laquelle il a écrit que « le Brexit et le Trumpisme sont les réponses très très mauvaises à des questions légitimes auxquelles les élites urbaines ont refusé de répondre pendant 30 ans ». Bevis a poursuivi « Depuis les années 1980, les élites des pays riches ont trop tiré sur la corde, récoltant tous les bénéfices pour eux-mêmes et en se bouchant les oreilles lorsque quelqu’un d’autre parlait, et aujourd’hui ils regardent avec effroi les électeurs se révolter. »

Pour ceux qui ont essayé de se retirer de la chambre de résonance de l’élite de 2016, sûre d’elle-même et passionnée par Clinton, les signes avant-coureurs annoncés à grand bruit par le Brexit n’ont pas été durs à voir. Deux courts extraits d’une interview que j’ai donnée pour Slate en juin ont résumé ces graves dangers : que les élites faiseuses d’opinion étaient si regroupées, si incestueuses, si éloignées du peuple qui déciderait de cette élection – si dédaigneuses envers eux – qu’elles ont non seulement été incapables de voir les tendances du côté de Trump mais ont involontairement accéléré ces tendances par leur propre condescendance et leur autocélébration.

Comme pratiquement tous ceux qui ont vu les données des sondages et les modèles prédictifs des experts autoproclamés des médias, j’ai longtemps cru que Clinton gagnerait, mais les raisons pour lesquelles elle pouvait très bien perdre n’étaient pas dures à voir. Les voyants lumineux clignotaient en néon depuis longtemps, mais ils étaient dans des endroits miteux que les élites évitent soigneusement. Les quelques personnes qui sont volontairement allées dans ces endroits pour écouter, comme Chris Arnade, les ont clairement vus et entendus. L’échec à prendre en compte ce ressentiment et cette souffrance intenses mais invisibles garantit qu’il va s’amplifier et se renforcer. Voici le dernier paragraphe de mon article de juillet sur les retombées du Brexit :

« Au lieu de reconnaître et de corriger leurs failles profondes, [les élites] consacrent leurs énergies à diaboliser les victimes de leur corruption dans le but de délégitimer ces revendications et ainsi se dédouaner de la responsabilité d’y répondre de manière significative. Cette réaction ne fait que conforter, sinon justifier, la perception dynamique que ces élites institutionnelles sont désespérément centrées sur leurs propres intérêts, sont nocives et destructrices et ne peuvent donc pas être reformées mais doivent plutôt être détruites. Cela garantit en retour qu’il se produira beaucoup plus de Brexits et de Trump dans notre avenir commun. »

Au-delà de l’analyse du Brexit, il y a trois nouveaux points sur les résultats d’hier soir sur lesquels je souhaite insister, parce qu’ils sont uniques à l’élection américaine de 2016 et, surtout, parce qu’ils illustrent les pathologies de l’élite qui ont entraîné tout cela :

  1. Les démocrates ont déjà commencé à gesticuler et à rejeter la faute sur tous ceux qu’ils ont trouvé – tous sauf eux-mêmes – pour la défaite écrasante de leur parti la nuit dernière.

Vous connaissez la liste tristement prévisible de leurs boucs émissaires : la Russie, WikiLeaks, James Comey, Jill Stein, les Bernie Bros, les médias, la presse d’information (dont The Intercept, peut-être en particulier) qui ont péché en écrivant négativement sur Hillary Clinton. Quiconque pense que ce qui s’est passé la nuit dernière dans des endroits comme l’Ohio, la Pennsylvanie, l’Iowa et le Michigan peut être imputé à cela se noie si profondément dans son ignorance protectrice que c’est impossible à exprimer avec des mots.

Lorsqu’un parti politique est démoli, la responsabilité principale revient à une entité : le parti qui s’est fait écraser. C’est le travail du parti et du candidat, de personne d’autre, de persuader ses citoyens de les soutenir et de trouver des moyens de le faire. La nuit dernière, les démocrates ont y ont échoué, de manière retentissante, et toute autopsie, document de réflexion libérale ou commentaire d’un spécialiste pro-Clinton qui ne commence pas et ne finit pas par leur propre comportement n’a aucune valeur intrinsèque.

Pour dire les choses simplement, les démocrates ont choisi en connaissance de cause de nominer une candidate profondément impopulaire, extrêmement vulnérable, assaillie par les scandales, qui – pour une très bonne raison – était perçue comme une protectrice et une bénéficiaire de toutes les composantes de la corruption de l’élite du système en place. Il est stupéfiant que ceux d’entre-nous qui ont tenté frénétiquement d’avertir les démocrates que la nomination de Hillary Clinton était un pari énorme et risqué – toutes les preuves empiriques ont montré qu’elle pouvait perdre face à n’importe qui et que Bernie Sanders aurait été un candidat bien plus fort, en particulier dans ce climat – ce sont aujourd’hui eux qui sont accusés : par exactement les mêmes personnes qui se sont acharnées à ignorer toutes les données et à la nominer quand même.

Mais ce n’est qu’un rejet élémentaire de leur faute ainsi que de l’autoconservation. Ce qui est beaucoup plus important, c’est ce que cela révèle de la mentalité du Parti démocrate. Réfléchissez à celle qu’ils ont nominée : quelqu’un qui – lorsqu’elle ne dînait pas avec les monarques saoudiens ou n’était pas applaudie à Davos par des tyrans signant des chèques en millions de dollars – a passé les dernières années à se goinfrer entre les banques de Wall Street et les grandes entreprises, encaissant 250 000 $ pour des discours secrets de 45 minutes alors qu’elle était déjà immensément riche grâce aux avances sur recettes de ses livres et que son mari avait déjà gagné des dizaines de millions en jouant aux mêmes jeux. Elle a fait tout cela sans se préoccuper apparemment du fait que cela nourrirait tous les ressentiments à son sujet et à celui du Parti démocrate, et qu’ils seraient perçus comme corrompus, protégeant le système, comme des aristocrates, les pions des riches et des puissants : précisément le pire comportement pour cette ère post crise économique de 2008, de mondialisation et d’industries détruites.

Il va sans dire que Trump est un escroc sociopathe obsédé par son enrichissement personnel : l’inverse d’un authentique guerrier au service des opprimés. C’est trop évident pour en débattre. Mais, tout comme Obama l’avait fait de manière si puissante en 2008, il pourrait vraisemblablement diriger en tant qu’ennemi du système de Washington et de Wall Steet dont le rouleau compresseur est passé sur tant de gens, alors que Hillary Clinton est sa loyale gardienne, sa grande bénéficiaire.

Trump a fait vœu de détruire le système qu’aiment les élites (pour une bonne raison) et que les masses détestent (pour une raison tout aussi bonne), alors que Clinton a fait vœu de le gérer d’une façon plus efficace. Comme l’a documenté Matt Stoller dans son article indispensable publié dans The Atlantic il y a trois semaines, c’est le choix sournois que le Parti démocrate a fait il y a des dizaines d’années : abandonner le populisme et devenir le parti des gestionnaires de l’élite au pouvoir, spécialistes en technocratie et modérément bénévoles. Ce sont les graines cyniques et égoïstes qu’ils ont plantées, et aujourd’hui le champ a germé.

Évidemment, il y a des différences fondamentales entre la version d’Obama de « change » et celle de Trump. Mais à un haut niveau de généralité – c’est souvent là que ces messages sont ingérés – les deux ont été perçus comme des forces extérieures en mission pour démolir les structures de l’élite corrompue, alors que Clinton a été perçue comme attachée à leur fortification. C’est le choix qu’ont fait les démocrates – largement satisfaits d’un statu quo au pouvoir, croyant en leur bienveillance élémentaire – et toute tentative honnête de la part des démocrates de trouver le responsable principal de la débâcle d’hier soir commencera avec un grand miroir.

  1. Le fait que le racisme, la misogynie et la xénophobie sont omniprésents aux États-Unis est incontestable rien qu’en jetant un regard rapide sur leur histoire lointaine et récente.

Il y a des raisons pour lesquelles tous les présidents jusqu’à 2008 étaient blancs et tous les 45 présidents élus ont été des hommes. Il ne peut pas y avoir de doute sur le fait que ces pathologies ont joué un rôle substantiel dans le résultat d’hier soir. Mais cela répond à peu de questions et en soulève de nombreuses autres importantes.

Pour commencer, il faut admettre que non seulement Barack Obama a été élu deux fois, mais il est sur le point de quitter ses fonctions comme un président hautement populaire : il est actuellement perçu plus positivement que Reagan. Les États-Unis n’étaient pas moins racistes et xénophobes en 2008 et 2012 qu’aujourd’hui. Même les inconditionnels démocrates qui aiment cataloguer leurs adversaires en intolérants reconnaissent qu’il faut une analyse bien plus complète pour comprendre les résultats d’hier soir. Comme l’a dit Nate Cohn du New York Times : « Clinton a subit ses plus grosses pertes là où Obama était au plus haut parmi les électeurs blancs. Ce n’est pas une simple histoire de racisme. » Matt Yglesias a reconnu que la cote de confiance élevée d’Obama contredit le portrait qu’on fait des États-Unis comme d’un pays « aveuglé par le racisme ».

On parle souvent du « racisme/sexisme/xénophobie » par opposition à « la souffrance économique » comme si ces dichotomies étaient distinctes. Bien sûr, les deux forment une part considérable dans la base d’électeurs de Trump, mais les deux catégories sont intimement liées : Plus les gens subissent une souffrance économique, et plus ils se mettent en colère et deviennent amers, plus cela devient facile de diriger leur colère vers des boucs émissaires. La souffrance économique alimente souvent la sinistre intolérance. Il est vrai que de nombreux électeurs de Trump sont relativement aisés et que parmi les plus pauvres de la nation, de nombreuses personnes ont voté pour Clinton, mais, comme Michael Moore l’a averti de façon assez visionnaire, ces tranches du pays qui ont été le plus touchées par les orgies du libre-échange et de la mondialisation – la Pennsylvanie, l’Ohio, le Michigan, l’Iowa – étaient chargés de colère et « voient [Trump] comme une chance d’être le cocktail Molotov humain qu’ils aimeraient lancer à l’intérieur du système pour le faire sauter. » Ce sont les endroits qui ont été décisifs pour la victoire de Trump. Comme l’a écrit Tim Carney du Washington Examiner :

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« Les électeurs blancs ruraux à bas revenus de Pennsylvanie ont voté pour Obama en 2008 et ensuite Trump en 2016, et votre explication c’est la suprématie des blancs ? Intéressant. »

C’est depuis longtemps, et ça l’est toujours, un enjeu central des États-Unis de débarrasser la société de ces inégalités structurelles. Mais un moyen de garantir que ces dynamiques de boucs émissaires s’amplifient plutôt qu’elles s’érodent est de continuer à accueillir un système qui exclut et ignore une grande partie de la population. Hillary Clinton était raisonnablement perçue comme une dévouée courageuse, une chouchoute et une principale bénéficiaire de ce système, et ne pouvait donc pas être perçue comme crédible pour intervenir contre lui.

  1. Depuis les soixante dernières années, et particulièrement les 15 dernières années de la guerre sans fin contre le terrorisme, les deux partis politiques se sont unis pour bâtir un système de pouvoir autoritaire effrayant, plus invasif que jamais et destructeur, accompagné par un pouvoir débridé conféré à l’exécutif.

Par conséquent, le président des États-Unis commande un vaste arsenal nucléaire pouvant détruire la planète à de nombreuses reprises, l’armée la plus meurtrière et la plus chère jamais développée dans l’histoire de l’humanité, les autorités légales lui permettant de poursuivre de multiples guerres secrètes au même moment, emprisonner des personnes sans procédure officielle et cibler des personnes à assassiner (y compris des citoyens des États-Unis) sans aucun contrôle, des agences nationales de maintien de l’ordre construites pour paraître et agir comme des armées paramilitaires permanentes, un État pénal tentaculaire qui permet l’emprisonnement bien plus facilement que la plupart des pays occidentaux, et un système de surveillance électronique conçu avec l’intention d’être omniprésent et sans limite, y compris sur le sol des États-Unis.

Ceux qui ont alerté des graves dangers que posent ces pouvoirs ont souvent été révoqués au motif que les dirigeants qui contrôlent ce système sont bienveillants et bien intentionnés. Ils ont donc souvent recouru à la tactique de demander au peuple d’imaginer ce qui pourrait se passer si un président que l’on pense moins bien intentionné en prenait le contrôle. Ce jour est arrivé. On peut espérer que cela fournira l’impulsion pour s’unir au-delà des lignes idéologiques et partisanes pour finalement imposer de véritables limites à ces pouvoirs qui n’auraient jamais dû avoir initialement été donnés. Cette détermination devrait débuter maintenant.

* * * * *

Durant de nombreuses années, les États-Unis – tout comme le Royaume-Uni et d’autres nations occidentales – se sont embarqués sur une voie qui garantissait potentiellement un effondrement de l’autorité de l’élite et une implosion interne. De l’invasion de l’Irak à la crise financière de 2008, au contexte dévorant des prisons et des guerres sans fin, les avantages sociétaux ont presque exclusivement été dirigés vers les institutions de l’élite précisément responsables de l’échec au détriment de tous les autres.

Ce n’était qu’une question de temps avant que l’instabilité, le retour de flamme et la rupture prennent effet. Le Brexit et Trump signalent sans équivoque leur arrivée. La seule question est si ces deux événements cataclysmiques seront le point culminant de ce processus ou juste son commencement. Et cela, par conséquent, sera déterminé si les leçons cruciales sont tirées – réellement intériorisées – ou ignorées au profit de campagnes d’auto-exonération visant à rendre tous les autres responsables.

Glenn Greenwald, The Intercept, 9 novembre 2016

Source: http://www.les-crises.fr/les-democrates-trump-et-le-refus-actuel-dangereux-de-tirer-les-lecons-du-brexit-par-glenn-greenwald/


[Vidéo] Villepin : “Le Président ne comprend pas ce qu’il se passe aux États-Unis”

Friday 11 November 2016 at 01:30

Des interventions intéressantes de Villepin, surtout pour montrer la différence de niveau.

Car pour les moins de 30 ans, je rappelle qu’il a été Premier Ministre de Droite en 2005 – comparez avec le niveau des prétendants à la primaire 2017…

Source : Youtube, BFM TV09/11/2016

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L’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, a réagi sur notre antenne au discours de François Hollande après l’élection de Donald Trump. Pour lui, le chef de l’Etat est dans l’erreur face aux événements américains.

Source : Youtube, BFM TV09/11/2016

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Victoire de Trump : “Il faut un sursaut de la France”, avertit Dominique de Villepin

Source : Youtube, RTL, 09/11/2016

INVITÉ RTL – L’ex-Premier ministre était l’invité de l’édition spéciale de RTL Midi pour réagir à l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis. Il s’est dit frappé par l’incompréhension de la diplomatie française face à un monde qui change. 

Source : Youtube, RTL, 09/11/2016

Source: http://www.les-crises.fr/video-villepin-le-president-ne-comprend-pas-ce-quil-se-passe-aux-etats-unis/


Revue de presse du 11/11/2016

Friday 11 November 2016 at 00:59

La revue de mi-semaine avec seulement des nouvelles neuves, le stock de l’été ayant été liquidé..! Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-11112016/