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Verbalisées pour un simple voile : la dérive des arrêtés “anti-burkinis” (EDIT : Conseil d’État)

Friday 26 August 2016 at 01:30

Bon, ok, j’avais dit que je n’en parlais pas, mais vu à la vitesse où ça dérive…

Les socialistes au pouvoir, c’est un plaisir sans fin. Dire qu’on va bientôt les regretter en plus…

Enfin, en tous cas, le Responsable de la communication de Daech doit être heureux – pensez “en France, on oblige les femmes à se déshabiller en public” (notez que c’est vraiment nouveau ça dans l’histoire humaine, le progrès libéral j’imagine, cf. Michéa).

Source : Le Nouvel Obs, Laura Thouny, 24-08-2016

Cette femme a reçu un procès verbal pour sa tenue, raconte notre témoin oculaire. (Capture d'écran/Twitter)

Cette femme a reçu un procès verbal pour sa tenue, raconte notre témoin oculaire. (Capture d’écran/Twitter)

Les cas de femmes verbalisées ou expulsées de la plage pour simple port du voile se multiplient sur la Côte-d’Azur après la publication d’une vingtaine d’arrêtés contre le port de la tenue de bain couvrante.

“Aujourd’hui, on nous interdit la plage. Demain, la rue ?” Siam, musulmane de 34 ans, a été verbalisée sur une plage de Cannes pour… port du voile. Elle ne portait pas le “burkini”, cette tenue de plage couvrante contre laquelle de plus en plus de municipalités françaises balnéaires ont pris des arrêtés. En pleine polémique sur le arrêtés “anti-burkini”, un pas de plus a donc été franchi.

Dans la foulée de l’affaire de la “journée piscine” pour femmes de Marseille, et après les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray, le maire Les Républicains de Cannes, David Lisnard, avait ouvert la voie en prenant le 28 juillet un arrêté municipal interdisant le port du “burkini” sur les plages de la ville. L’arrêté stipule notamment que :

“L’accès aux plages et à la baignade est interdit à compter de la signature du présent arrêté jusqu’au 31 août 2016 à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime.”

Mandelieu-la-Napoule, voisine de Cannes, avait pris en toute discrétion un arrêté similaire dès juillet 2013. D’autres mairies leur ont rapidement emboîté le pas, à Nice, Villeneuve-Loubet, Cap d’Ail, Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), au Touquet, Oye-Plage (Pas-de-Calais), Sisco(Haute-Corse) – où une rixe a éclaté sur fond de “burkini” fantôme – ou encore à Leucate (Aude)…

Le Conseil d’Etat se penchera jeudi sur l’arrêté anti-burkinide Villeneuve-Loubet afin d’évaluer, une fois pour toutes, la légalité de ces interdictions controversées. Mais en réalité, les auteurs des arrêtés semblent avoir pris grand soin de ne pas viser explicitement le “burkini”, permettant une interprétation beaucoup plus large de ce qu’est selon eux une “tenue correcte”.

“Bonnes mœurs”

Sur la base de l’arrêté de Cannes, trois policiers municipaux ont ainsi verbalisé Siam, le 16 août, sur la plage de La Bocca, alors qu’elle était vêtue d’un legging, d’une tunique et d’un simple foulard, arguant dans leur contravention que “toute personne n’ayant pas une tenue correcte respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité” doit être sanctionnée.

Interrogé par “Nice Matin” le 11 août, le maire de Cannes assurait pourtant qu’il ne s’agissait par d’interdire “le voile, ni la kippa, ni les croix”, mais “simplement un uniforme qui est le symbole de l’extrémisme islamiste”. Dans ce cas, pourquoi Siam a-t-elle été verbalisée ? “Je soutiens les policiers municipaux qui ont pris cette décision”, justifie à présent le maire, contacté par “l’Obs”. Il s’agit selon lui de bannir les “tenues ostentatoires” de la plage.

Les municipalités semblent s’être passé le mot. A Nice, ce mardi vers 15 heures, sur la plage de Carras, une femme portant le voile – qui ne se baignait pas – a fait l’objet d’un procès verbal, comme le montrent ces images.

Julie*, l’auteure de la vidéo, qui a souhaité rester anonyme “par peur des représailles”, raconte à “l’Obs” la scène à laquelle elle a assisté :

“La femme voilée était assise avec une amie sur les galets. Elles ne se baignaient pas. J’ai vu un policier sur un bateau à moteur, trois autres sur la plage. L’un d’eux s’est adressé à la femme voilée. Je me suis approchée pour savoir ce qui se passait. Il m’a dit qu’elle allait avoir un procès verbal. Je lui ai fait valoir qu’elle ne se baignait pas.”

“Le policier m’a répondu que si elle s’asseyait sur un banc en face de la plage, il n’y aurait pas de problème. Mais elle n’avait pas le droit d’y pénétrer.”

Julie s’est ensuite entretenue avec la femme :

“Elle était sous le choc. Elle m’a dit qu’elle était de Nice, qu’elle habitait ici depuis une vingtaine d’années et que cela ne lui était jamais arrivé. Elle était venu pour profiter de la plage avec ses enfants. Elle et son amie sont reparties, embarrassées.”

Une policière s’est confiée à Julie. Selon cette dernière, elle lui a déclaré :

“Evidemment, je suis contre. Mais je n’ai pas le choix. Les gens qui font ce genre de lois sont bien au chaud dans leurs bureaux et nous sommes au front.”

D’après la policière, toujours citée par Julie, quatre femmes voilées avaient déjà été expulsées de la plage dans la journée. Un chiffre que la police a refusé de commenter. Contactée par “l’Obs”, la Direction départementale de la sécurité publique des Alpes-Maritimes fait savoir qu’elle “ne communiquera pas dans ce domaine”.

“J’ai eu un PV”

La veille, lundi, vers 14 heures, Julie* avait filmé un cas similaire sur cette même plage. Quatre jeunes filles se baignaient, dont une habillée portant un voile, et une autre portant un short et un t-shirt. Un policier leur fait signe de sortir de l’eau, et elles obtempèrent :

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“La jeune fille voilée, qui devait avoir entre 18 et 20 ans, pleurait”, raconte Julie. “‘J’ai eu un PV’, c’est tout ce qu’elle a réussi à me dire, elle n’arrivait pas à se calmer. La fille qui portait un short et un t-shirt arrivant au niveau des épaules m’a dit qu’elle avait aussi eu un procès verbal. Elles avaient l’air vraiment gênées.”

“Les gens n’ont pas bougé. Ils avaient l’air presque soulagés que la police intervienne. Seule une Belge m’a dit que ça n’était pas imaginable chez elle”, poursuit-elle. “J’ai cru comprendre que les maîtres-nageurs eux-mêmes avaient prévenu la police municipale.”

A l’autre bout de la plage, toujours ce lundi, une autre femme voilée est priée de quitter la plage par la police, rapporte Julie. “Elle ne nageait pas non plus, elle était habillée d’une jupe, d’un pull et d’un foulard. Elle se promenait simplement sur la plage et avait mis les pieds dans l’eau.”

Julie affirme avoir vu un peu plus tard une personne âgée “d’origine occidentale” se baigner avec une tenue anti-UV couvrante et une casquette. Elle n’a pas été inquiétée.

La série de photos d’une femme assoupie sur une plage de Nice, forcée à retirer sa tunique, suscite en outre une indignation internationale. “En France, l’interdiction du Burkini tourne à la farce”, écrit le “Daily Mail”.

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“Lisez l’arrêté !”

Le maire de Nice, Philippe Pradal (Les Républicains), n’a pas trouvé le temps de répondre à nos questions. Son attachée de presse justifie les verbalisations :

“La police applique l’arrêté ! Il n’y a pas d’interprétation possible. Lisez l’arrêté ! Les policiers donnent des PV, ensuite c’est au procureur de prendre la décision.”

Les plages de Nice sont-elles donc désormais interdites aux femmes voilées ? “Tout est dans l’arrêté, lisez-le !”

L’arrêté de Nice est similaire à celui de Cannes. Il stipule que “l’accès aux plages publiques, aux sites de mise à l’eau ainsi qu’à la baignade sur la Commune de Nice est interdit à compter de la date de signature du présent arrêté jusqu’au 15 septembre 2016, à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes moeurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime” (voir ci-dessous).

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Ces maires ne peuvent invoquer le principe de laïcité

“Bonnes moeurs” ? “Laïcité” ? Si la loi française interdit le port du voile intégral dans l’espace public depuis une circulaire du 2 mars 2011, en revanche, rien n’interdit le port de signes religieux, ni du hijab, un simple voile qui ne dissimule pas le visage.

D’ailleurs, l’Observatoire de la laïcité (organisme rattaché au gouvernement et présidé par Jean-Louis Bianco) a déjà rappelé sur Twitter que les restrictions vestimentaires “ne peuvent se fonder sur le principe de laïcité”.

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L’article premier de la loi de 1905 indique que “la République garantit la liberté et le libre exercice des cultes.” Rien dans cette loi sur la laïcité n’interdit donc le port du voile, d’une kippa, d’une croix dans l’espace public. Et elle instaure la notion de respect des cultes.

L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise en outre que “nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi”. La Constitution garantit par ailleurs le respect des croyances.

Les maires se réfèrent donc à la notion de “tenue ostentatoire” et de “trouble à l’ordre public” pour justifier ces verbalisations. Saisi par la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), le tribunal administratif de Nice a validé l’arrêté de Villeneuve-Loubet en estimant que le port du “burkini” pouvait “être ressenti comme une défiance ou une provocation exacerbant les tensions ressenties par la population”. Mais peut-on parler de “provocation” dans les cas de femmes voilées alors qu’aucune ne portait de vrai “burkini” et que certaines ne se baignaient même pas ?

“Demain, pourquoi pas les bus et la rue ?”

Les arrêtés “contribuent à légitimer ceux et celles qui regardent les Français musulmans comme un corps étranger à la nation”, prévient la LDH.

“Demain, les maires pourront produire des arrêtés chassant les femmes voilées des hôpitaux, et pourquoi pas des bus et de la rue”, proteste Sihem Zine, présidente d’Action Droits des Musulmans, association qui a apporté une aide juridique à des personnes assignées à résidence. “C’est la porte ouverte à toutes les dérives.”

“On ne peut s’empêcher de penser à l’apartheid !”

“En vérité, c’est cet arrêté qui crée des troubles à l’ordre public, on le voit bien à Cannes où cela a suscité un attroupement et où le ton est monté. On monte les gens les uns contre les autres. On fait du ciblage ethnique pour contenter l’électorat xénophobe.”

Feiza Ben Mohamed, porte-parole et secrétaire générale de la Fédération des musulmans du Sud, qui a relayé les vidéos tournées à Nice, confie elle aussi son inquiétude à “l’Obs” :

“Ce qui est en train de se passer en France est inédit, c’est tellement grave !”

“Au départ, les maires ont parlé de ‘burkini’ pour faire peur, car on l’assimile à la burqa. Mais nous nous doutions que ça n’était qu’un épouvantail. C’est de la manipulation pure et dure. Maintenant, on est en train de chasser la communauté musulmane et de faire disparaître tout signe de sa présence sur les plages.”

“Si nous sommes considérés comme des complices des attentats, qu’on nous le dise clairement ! Qu’on ne nous parle pas de ‘burkini’, qu’on nous dise que tous les musulmans sont ciblés !”

“Une membre de notre association est morte dans les attentats de Nice du 14-Juillet, que leur faut-il de plus ?”

“On n’a pas peur de s’en prendre aux musulmans, puisque c’est la pensée dominante lorsque même le Premier ministre affirme que le voile doit être combattu“, poursuit Feiza Ben Mohamed.

“Est-ce que l’accès aux plages sera aussi interdit aux princesses saoudiennes à Cannes ? Et que dire de la privatisation d’une plage pour le roi d’Arabie saoudite ?”

Sur 26 communes ayant pris un arrêté “anti-burkini”, 21 n’ont encore procédé à aucune verbalisation, selon les informations de FrancetvInfo. C’est seulement à Nice et à Cannes que les 22 PV ont été distribués, d’après les chiffres publiés par nos confrères mardi soir. Dont combien de cas où il s’agit de femmes voilées ?

Laura Thouny

*Le prénom a été changé

Source : Le Nouvel Obs, Laura Thouny, 24-08-2016

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Marseille : deux mineures voilées, une mère interpellée

Source : La ProvenceDenis Trossero, 15/08/2016

La loi du 11 octobre 2010 interdit de

La loi du 11 octobre 2010 interdit de “dissimuler son visage” dans l’espace public. La mère a fini en garde à vue.
PHOTO CYRIL SOLLIER

La scène se joue vendredi soir, plage de l’Huveaune, avenue Mendès-France, à Bonneveine (8e). Deux mineures complètement voilées se baignent, mais les forces de police leur expliquent qu’elles sont en infraction. Les deux jeunes filles sortent de l’eau et ne font pas de difficultés, mais c’est leur mère qui s’agace de la situation et va s’en prendre de façon virulente aux policiers qui interviennent.

Les forces de l’ordre tenteront de ramener le calme, mais ce sera difficile. Face à l’outrance de la situation, la mère, âgée de 38 ans, a été interpellée et conduite au poste de police. Même les CRS ont dû intervenir. La mise en cause fait l’objet d’une procédure pour “outrage, menaces et apologie du terrorisme”. Elle a été interpellée et entendue. Elle fera finalement l’objet d’une convocation devant le tribunal correctionnel de Marseille où elle sera jugée prochainement. La loi du 11 octobre 2010, parfois appelée loi sur la burqa, interdit de “dissimuler son visage”

 Source : La Provence, 15/08/2016
Denis Trottero
Source : La ProvenceDenis Trossero, 15/08/2016
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Nice: 3 ans de prison pour apologie du terrorisme

Source : Le Figaro, AFP, 23/08/2016

Un jeune Niçois de 19 ans converti à l’islam et surveillé pour sa fréquentation assidue de sites djihadistes, a été condamné à trois ans de prison pour apologie du terrorisme et immédiatement écroué à Nice, selon le jugement consulté aujourd’hui.

La condamnation est assortie d’une obligation de suivi socio-judiciaire pendant cinq ans. Le jeune garçon, Sébastien J., était issu d’une famille de Témoins de Jéhovah. Titulaire d’un bac technique, il cherchait du travail après une formation de cariste et habitait chez ses parents où il a été interpellé la semaine dernière, avant un jugement en comparution immédiate vendredi pour “provocation directe à un acte de terrorisme” par internet. Il a aussi été condamné pour “consultation habituelle d’un service de communication au public en ligne mettant à disposition des images et messages provoquant à de tels actes ou en faisant l’apologie”, une nouvelle infraction intégrée au code pénal français en juillet.

Sous surveillance depuis 2015, son passeport avait été confisqué. Il s’était converti à l’islam il y a environ quatre ans, selon une source proche du dossier. Sur son téléphone portable, on a retrouvé ses fichiers téléchargés, ses discussions sur des forums où il tenait des propos très inquiétants et des photos “à vomir”, selon cette source.  “Il se félicitait notamment de l’assassinat des policiers de Magnanville (en juin)(…) s’intéressait aux gens qui avaient commis des attentats en France et téléchargeait des vidéos de Daech où l’on voyait des gens se faire décapiter ou égorger”, selon une autre source.

“Il continuera d’être surveillé en prison car le problème c’est de savoir s’il va parvenir à se sortir de cette radicalisation. S’il se durcit, il peut radicaliser d’autres personnes en prison et c’est l’effet boule de neige. Le problème c’est qu’il assume les faits et il n’y a pas une once de regret. Il se prononce pour la lutte armée (…) s’en prendre aux policiers ne lui pose aucun problème”, selon cette source. Le jeune homme a aussi été en contact par internet avec des personnes gravitant dans l’entourage des auteurs de l’assassinat d’un couple de policiers à Magnanville (Yvelines) en juin et du prêtre catholique Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) en juillet.

Source : Le Figaro, AFP, 23/08/2016

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Tiens, des nouvelles de l’extrême-droite extrême française (âmes sensibles, s’abstenir) :

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Là, il y a de l’idée :

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Parti “national-libéral” – hmmm, c’est vrai que le parti national-socialiste était un peu gauchisant sur les bords…

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Yep, et bientôt “Pour des chambres à gaz confortables ?”

Bref, je trouve dommage ce silence de Valls contre ce bien triste sire (Polytechnique-ENA au passage – une publicité vivante contre les études le gars…), il me semblait plus remonté contre Dieudonné que contre ce “nali”…

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EDIT :

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(certains me demandent après ça pourquoi je ne soutiens pas ce sinistre individu…)

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26/08/1789 – 26/08/2016 :

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Source: http://www.les-crises.fr/verbalisees-pour-un-simple-voile-la-derive-des-arretes-anti-burkinis/


Des chars turcs entrent sur le territoire syrien

Friday 26 August 2016 at 00:30

Tout va bien ! Là on peut violer la frontière, no problemo…

Syrie : des chars turcs entrent sur le territoire tenu par l’État islamique

Source : Le Nouvel Obs24/08/2016

Une dizaine de chars turcs ont lancé l’opération “Bouclier de l’Euphrate” en Syrie ce mercredi matin, dans une offensive visant à la fois Daech et les milices kurdes.

OB : J’adooooore ces noms à la noix à chaque fois…

Une dizaine de chars turcs sont entrés en territoire syrien ce mercredi 24 août au matin et tirent actuellement en direction de positions tenues par le groupe Etat islamique dans la localité frontalière de Jarablos, comme le constate l’AFP.

Ankara avait annoncé au cours du week-end vouloir jouer un rôle plus actif en Syrie : cette opération, baptisée “Bouclier de l’Euphrate”, est la plus ambitieuse de la Turquie depuis le début du conflit syrien en 2011. Le vice-président américain Joe Biden est arrivé en milieu de matinée à Ankara où il doit rencontrer le Premier ministre Binali Yildirim, puis le président Recep Tayyip Erdogan.

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L’armée turque, soutenue par les forces de la coalition internationale antidjihadiste, a lancé avant l’aube (4h heures locale) l’opération, qui engage également ses avions de combat et ses forces spéciales. Des F-16 turcs, accompagnés d’avions de la coalition, ont largué des bombes sur des sites djihadistes.

Vers 7h heures locale, un communiqué officiel du Bureau du Premier ministre confirmait le déclenchement des hostilités :

“Les forces armées turques et les forces aériennes de la coalition internationale ont lancé une opération militaire visant à nettoyer le district de Jarablos de la province d’Alep de l’organisation terroriste Daech”.

Des centaines de rebelles syriens soutenus par Ankara (Armée syrienne libre), acheminés par bus, se sont également préparés à une offensive sur le terrain. Ce mercredi en fin de matinée, ils avaient pénétré sur 3 kilomètres à l’intérieur du territoire syrien.

Objectif : damer le pion aux milices kurdes

L’état-major vise une opération rapide. Le ministre de l’Intérieur Efkan Ala, premier responsable turc à s’exprimer après le déclenchement de l’offensive, a déclaré :

“Je pense que cette menace sera éradiquée dans un court délai.”

L’agence de presse progouvernementale Anadolu a précisé que sur 12 cibles visées par les chasseurs, 11 ont déjà été détruites. Des sources militaires ont par ailleurs indiqué à la télévision l’artillerie avait éliminé 70 cibles.

Un char d'assaut turc en direction de la Syrie, ce mercredi 24 août. (BULENT KILIC / AFP)

Un char d’assaut turc en direction de la Syrie, ce mercredi 24 août. (BULENT KILIC / AFP)

Bien que l’attaque vise ses ennemis, le régime de Bachar al-Assad a dénoncé ce mercredi l’incursion turque sur son territoire, pointant une “violation flagrante” de la souveraineté du pays.

Les Kurdes également visés

Jarablos est le dernier point de passage contrôlé par Daech à la frontière turco-syrienne depuis sa retraite de Minbej. Ankara avait ordonné mardi soir aux habitants de Karkamis, qui fait face à Jarablos du côté turc, d’évacuer la ville pour “des raisons de sécurité”.

Mardi, un responsable turc avait indiqué que cette opération était également motivée par la volonté d’Ankara d’empêcher la prise de contrôle de Jarablos par les FDS, qui combattent également Daech dans la zone.

L’offensive a pour but de “mettre un terme” aux problèmes à la frontière turque en général et vise aussi les milices kurdes, a confirmé ce matin le président turc Recep Tayyip Erdogan. Un sujet qui devrait largement occuper les discussions avec Washington ce mercredi : les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de combattants kurdes et de groupes armés arabes, sont en effet soutenues par la coalition.

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Source : Le Nouvel Obs24/08/2016

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Quelques cartes pour mieux comprendre :

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Rouge : gouvernement – Noir : Daech – Verts : Décapiteurs modérés – Jaune : Kurdes

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Autour d’Alep

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Au Nord-Ouest – Violet : armée turque (c’est nouveau, ça vient de sortir – enfin, d’entrer…)

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Le vaudeville de Jarablous

25 Août 2016 , Rédigé par Observatus geopoliticus, www.chroniquesdugrandjeu.com

A peine finis les Jeux Olympiques de Rio, voilà que les puissances grandes et moyennes prennent le relais au Moyen-Orient. Anticipant le reflux de l’Etat Islamique, les grandes manoeuvres ont commencé et la course est lancée. La première étape, celle qui est sous les feux de l’actualité à l’heure où nous parlons, concerne Jarablous, à la frontière syro-turque.

Les journaux font leurs gros titres sur la vingtaine de chars turcs entrés en territoire syrien pour accompagner la marche des inénarrables “rebelles modérés” (rappelons que parmi ces mignons se trouve le groupe Al Zinki, celui-là même qui avait décapité le gosse de 12 ans il y a quelques semaines). Jarablous a été prise sans combat, les petits hommes en noir de Daech l’ayant en fait quittée il y a assez longtemps pour se regrouper plus au sud autour du noeud d’Al-Bab.

Cette offensive était dans les tuyaux depuis quelques temps et, il y a deux jours, l’artillerie turque avait bombardé les YPG kurdes syriennes tandis que les “rebelles modérés” se préparaient de l’autre côté de la frontière depuis des semaines. Car c’est évidemment pour stopper l’avance kurde et la constitution d’un Kurdistan syrien tout le long de sa frontière sud que le sultan est intervenu. Le prétexte de supprimer le ravitaillement de Daech ne tient pas : les Turcs pouvaient tout à fait fermer la frontière à partir de leur propre territoire.

Erdogan ne s’en cache d’ailleurs pas : l’opération vise à la fois Daech et le PYD (parti kurde chapeautant les YPG), c’est-à-dire, quand on passe par la machine à traduire, le PYD tout court. Le ministre turc des Affaires étrangères en rajoute une couche et menace de guerre les YPG si elles ne refranchissent pas l’Euphrate en sens inverse, qui était de tout temps la ligne rouge d’Ankara mais que le sultan ne pouvait pas faire respecter après l’incident du Sukhoï avec les Russes et le soutien américain aux YPG.

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Et c’est là que commence le vaudeville…

Erdogan intervient avec la bénédiction de Washington contre les Kurdes soutenus par… Washington. Nous allons revivre le glorieux épisode du printemps quand le Pentagone et la CIA se battaient entre eux par groupe syrien interposé ! Le gouvernement syrien condamne évidemment l’intervention de son ennemi ottoman mais n’est peut-être pas tout à fait mécontent que les Kurdes soient ramenés à la raison ; on se souvient qu’il y a un accord tacite de facto entre Damas et Ankara sur la question kurde. La Russie, elle, fait un dangereux triple grand écart : alliance avec Assad, alliance politique avec le PYD, rabibochage avec Erdogan.

Essayons de démêler ce jeu de poker menteur, où la communication prend parfois le pas sur la réalité, en présentant les deux cas de figure possibles :

  • Hypothèse 1 – Le sultan tente de sauver la face

Constamment sur le reculoir depuis un an, voyant sa politique néo-ottomane tourner au fiasco, le président turc voudrait marquer le coup afin de mieux faire passer, devant son opinion publique, la pilule de son fabuleux retournement de veste et son abandon des djihadistes syriens. Ces dernières semaines, Ankara a mis beaucoup d’eau dans son arak, le Premier ministre répétant à l’envi que les relations avec Damas doivent s’améliorer et même qu’Assad pourrait être un interlocuteur dans le processus de transition (quel changement tectonique de la rhétorique turque !)

Les premières visites sultanesques d’après tentative de putsch ont été réservées à Moscou et Téhéran, les deux principaux soutiens de Damas où l’un des chefs du renseignement turc se serait d’ailleurs rendu très récemment. On imagine aisément qu’on n’y a pas seulement discuté de la qualité du loukoum d’Antalya ou du savon d’Alep… Erdogollum a-t-il reçu un feu vert tacite pour lancer sa petite opération, plus communicative que militaire, et ainsi sauver la face ?

  • Hypothèse 2 – Le sultan est sérieux

Certains bruits font état de la volonté d’Ankara de s’enfoncer plus avant et de marcher sur Manbij (libérée, rappelons-le, par les Kurdes il y a peu) puis sur Raqqah, la capitale califale, c’est-à-dire en réalité d’empêcher (en bleu sur la carte) la jonction des cantons kurdes.

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Cela semble un peu tiré par les cheveux mais pas impossible. Si la route Manbij est choisie, c’est la guerre ouverte avec les Kurdes. Si l’autre voie est suivie, c’est un parcours du combattant contre Daech dans un environnement hostile (YPG, armée syrienne). Dans les deux cas, ça mettrait en tout cas Washington et Moscou dans une situation intenable.

La réaction des grands justement. Petite surprise, Moscou se dit “profondément préoccupé“. Est-ce un élément de communication visant à offrir une victoire symbolique au sultan renonçant (hypothèse 1) ou Poutine a-t-il réellement été pris de court, ainsi que les Iraniens et Assad ? Nous ne sommes hélas pas dans le secret des Dieux et il est difficile de démêler le vrai de l’intox. Ankara dit avoir auparavant prévenu la Russie de son opération sur Jarablous ; ça vaut ce que ça vaut…

La réaction occidentale, elle, est d’un cynisme absolu. En voyage officiel en Turquie (quelle coïncidence), le vice Biden a osé : “Nous avons dit très clairement que ces forces [kurdes, ndlr] doivent retraverser le fleuve et n’auront, en aucune circonstance, le soutien des États-Unis si elles ne respectent pas leurs engagements”. Traduction = Washington a utilisé les YPG comme chair à canon pour libérer Manbij et, des centaines de morts plus tard, veut maintenant les renvoyer.

Berlin ne fait rien pour rehausser le niveau éthique : “La Turquie, à tort ou a raison, considère qu’il y a des liens entre, du côté turc, le PKK, que nous considérons aussi comme une organisation terroriste, et au moins une partie des Kurdes du côté syrien. Nous respectons cela, et nous considérons que c’est le droit légitime de la Turquie d’agir contre ces activités terroristes. Nous soutenons la Turquie sur ce point.”

Rappelez-vous bien ces phrases, chers lecteurs. Il y a des tâches morales qui ne partent pas facilement…

Les jours prochains nous diront laquelle des deux hypothèses est la bonne (personnellement, je penche quand même pour la première mais sait-on jamais avec Erdogan…) Toujours est-il que les grands perdants semblent être les Kurdes syriens. Le lâchage en rase campagne par les Occidentaux, qu’il soit verbal ou réel, laissera des traces.

D’ors et déjà, le leader du PYD a qualifié l’intervention turque “d’agression dans les affaires intérieures” syriennes et a prévenu du bourbier qui attend l’armée ottomane si elle va plus avant. Sans surprise, les YPG refusent absolument de quitter les territoires à l’ouest de l’Euphrate et prétendent au contraire se diriger vers Al Bab, même si les derniers événements les ont peut-être quelque peu refroidis.

Alors qu’ils croyaient tenir leur rêve d’établir leur Rojava (Kurdistan syrien d’un seul tenant sur le nord de la Syrie), ils se voient lâchés par tous. Les Américains et leurs toutous européens les cocufient tandis que Barzani, l’habituel traître à la cause kurde (pas étonnant que BHL ait fait un film sur lui), est à Ankara pour frayer avec le sultan. On sait qu’entre le président de la Région autonome du Kurdistan irakien et le duo PKK-PYD, ça n’a jamais été le grand amour

Quant aux Syro-russes, ils ont été douchés par le récent coup de folie kurde à Hassaké. Quelle mouche a donc piqué les YPG d’attaquer l’armée syrienne ? Se sont-ils fait berner par les “conseillers” américains ? Moscou et même Damas étaient, bon an mal an, les meilleurs alliés de la cause kurde. Si Assad refuse jusque-là d’entendre parler d’un Rojava autonome, nul doute que le Kremlin l’aurait “travaillé” sur la question. Au lieu de cela, peut-être trop confiants en leur bonne étoile, surestimant leurs atouts, les Kurdes syriens ont fait tapis en déclenchant les hostilités et en refusant avec entêtement tout compromis pendant plusieurs jours.

Ce faisant, ils ont provoqué des vagues d’inquiétude à Damas mais aussi à Bagdad, Téhéran et Ankara (ce n’est sans doute pas un hasard si le sultan a presque immédiatement déclenché son opération Jarablous). Le toujours excellent Moon of Alabama ne s’y est pas trompé, prédisant que la bataille d’Hassaké serait le tombeau des rêves d’autonomie/indépendance kurde. En l’espace d’une semaine, ils semblent avoir tout perdu…

25 Août 2016 , Rédigé par Observatus geopoliticus, www.chroniquesdugrandjeu.com

Source: http://www.les-crises.fr/des-chars-turcs-entrent-sur-le-territoire-syrien/


La débâcle libyenne d’Obama, par Alan J. Kuperman

Friday 26 August 2016 at 00:10

Source : Foreign Affairs, le 03-04/2015

Par Alan J. Kuperman

Édition de mars/avril 2015

Le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1973, promue par l’administration du président états-unien Barack Obama, autorisant une intervention militaire en Libye. Le but, selon Obama, était de sauver la vie des manifestants pacifiques pro-démocratie ciblés par la répression du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Le président a dit que non seulement Kadhafi menaçait l’élan du Printemps arabe naissant, qui avait récemment balayé les régimes autoritaires de Tunisie et d’Égypte, mais qu’il était également sur le point de commettre un bain de sang dans la ville libyenne où le soulèvement avait commencé. « Nous savions que si nous attendions un jour de plus, Benghazi, une ville de la taille de Charlotte, aurait pu subir un massacre qui aurait résonné à travers la région et entaché la conscience du monde, » a déclaré Obama. Deux jours après l’autorisation de l’ONU, les États-Unis et d’autres pays de l’OTAN ont établi une zone d’exclusion aérienne dans toute la Libye et ont commencé à bombarder les forces de Kadhafi. Sept mois plus tard, en octobre 2011, après une campagne militaire prolongée avec un soutien occidental permanent, les forces rebelles ont conquis le pays et assassiné Kadhafi.

Dans le sillage immédiat de la victoire militaire, les responsables états-uniens étaient triomphants. Ivo Daalder, le représentant permanent des États-Unis à l’OTAN, et James Stavridis, alors commandant allié suprême de l’Europe, ont déclaré en 2012 : « L’opération de l’OTAN en Libye a justement été saluée comme une intervention modèle. » Après la mort de Kadhafi, Obama se vanta dans la roseraie de la Maison Blanche : « Nous avons atteint nos objectifs sans mettre un seul G.I. sur le terrain. » En effet, les États-Unis semblaient avoir fait le coup du chapeau : entretenir le printemps arabe, éviter un génocide comme au Rwanda, et éliminer la Libye comme source potentielle de terrorisme.

Ce verdict, cependant, s’est avéré prématuré. Rétrospectivement, l’intervention d’Obama en Libye fut un échec désastreux, même jugé selon ses propres standards. Non seulement la Libye a échoué à évoluer en démocratie, mais elle est devenue un État en faillite. Les morts violentes, ainsi que d’autres violations des droits de l’Homme, se sont multipliées. Au lieu d’aider les États-Unis à combattre le terrorisme, comme Kadhafi l’a fait durant sa dernière décennie au pouvoir, la Libye sert maintenant de havre pour des milices affiliées à la fois à al-Qaïda, l’État islamique en Irak et al-Sham (ISIS). L’intervention en Libye a également porté atteinte à d’autres intérêts américains : en sapant la non-prolifération nucléaire, en jetant un froid sur la coopération russe aux Nations Unies, et en alimentant la guerre civile en Syrie.

Malgré ce que proclament les partisans de cette mission, il y avait une meilleure ligne de conduite disponible : ne pas intervenir du tout, car en réalité les civils libyens pacifiques n’étaient pas ciblés. Si les États-Unis et ses alliés avaient suivi cette voie, ils auraient épargné à la Libye le chaos en résultant et ils lui auraient donné une chance d’évoluer sous l’autorité du successeur choisi par Kadhafi : son fils Saif al-Islam, éduqué en Occident et considéré comme relativement libéral. Au lieu de cela, la Libye grouille aujourd’hui de milices extrêmement violentes et de terroristes anti-américains, servant ainsi de récit édifiant montrant comment une intervention humanitaire peut se retourner à la fois contre celui qui est intervenu et contre ceux qu’elle était censée aider.

UN ÉTAT EN FAILLITE

On n’a jamais été aussi optimiste à propos de la Libye qu’en juillet 2012, quand des élections démocratiques ont amené au pouvoir un gouvernement de coalition modéré et laïque, cet événement contrastant de façon frappante avec les quatre décennies de dictature de Kadhafi. Le pays toutefois s’est vite effondré. Le premier chef du gouvernement élu, Mustafa Abu Shagour, est resté au pouvoir moins d’un mois. Sa chute rapide annonçait les troubles à venir : jusqu’à maintenant, la Libye a eu sept premiers ministres en moins de quatre ans. Les islamistes ont fini par dominer le premier Parlement qui a suivi la guerre, le Congrès national général. Pendant ce temps, le nouveau gouvernement échouait à désarmer des dizaines de milices qui s’étaient formées pendant l’intervention de sept mois de l’OTAN, surtout les islamistes, ce qui conduit à des batailles mortelles de territoire entre des tribus et des commandants rivaux, qui continuent toujours. En octobre 2013, les séparatistes de l’est de la Libye, où se trouve la plus grande partie du pétrole du pays, ont fait officiellement sécession. Ce même mois, Ali Zeidan, alors premier ministre, a été kidnappé et retenu comme otage. Compte tenu de l’influence grandissante des islamistes au sein du gouvernement libyen, au printemps de 2014, les États-Unis ont différé un plan visant à entraîner une force armée de 6 000 à 8 000 hommes.

En mai 2014, la Libye était au bord d’une nouvelle guerre civile entre Libéraux et Islamistes. Ce mois-là, un général laïque rebelle, Khalifa Hifter, prit le contrôle des forces de l’air pour attaquer des milices islamistes à Benghazi, avant de prendre aussi comme cible l’assemblée de Tripoli, dominée par les islamistes. Les élections de juin dernier n’ont absolument pas remédié au chaos. La plupart des Libyens avaient déjà perdu tout espoir en la démocratie, seulement 630 000 électeurs, en effet, se sont donnés cette fois-ci la peine d’aller voter, contre 1 700 000 à la dernière élection. Les partis laïques ont crié victoire et formé une nouvelle chambre, la Maison des représentants, mais les islamistes ont refusé d’accepter les résultats. On se trouve donc en face de deux parlements concurrents, chacun prétendant à la légitimité.

En juillet, une milice islamiste de la ville de Masurata a réagi aux menées d’Hifter en attaquant Tripoli et en forçant les ambassades à évacuer leur personnel. Après une bataille de six semaines, les islamistes se sont emparés de la capitale en août pour le compte de la Libya Dawn Coalition (la Coalition de l’aube libyenne) qui, de conserve avec la défunte assemblée, a formé ce qu’ils ont appelé un « gouvernement de salut national ». En octobre, le parlement nouvellement élu, dirigé par la coalition laïque Operation Dignity, s’est enfui vers Tobrouk, ville de l’est où il a établi un gouvernement temporaire concurrent que la Cour suprême de Libye a, plus tard, déclaré anticonstitutionnel. La Libye se trouve donc avec deux gouvernements en conflit, chacun ne contrôlant qu’une fraction du territoire du pays et des milices.

Aussi mauvaise qu’ait été la situation des Droits de l’homme en Libye sous Kadhafi, elle a empiré depuis que l’OTAN l’a évincé. Immédiatement après avoir pris le pouvoir, les rebelles ont perpétré des dizaines de meurtres en représailles, en plus de torturer, battre, et détenir arbitrairement des milliers de partisans présumés de Kadhafi. Les rebelles ont également expulsé 30 000 résidents, noirs pour la plupart, de la ville de Tawergha et brûlé ou pillé leurs maisons et leurs magasins, au motif que certains d’entre eux avaient été soi-disant mercenaires. Six mois après la guerre, Human Rights Watch a déclaré que les abus « semblent être si répandus et systématiques qu’ils peuvent constituer des crimes contre l’humanité. »

Ces violations massives persistent. En octobre 2013, le Bureau du Haut-Commissariat aux Droits de l’homme de l’ONU a indiqué que la « grande majorité des 8 000 détenus estimés liés au conflit sont également détenus sans procédure régulière. » Plus inquiétant, Amnesty International a publié un rapport l’année dernière qui révélait leurs mauvais traitements sauvages : « Les détenus ont été soumis à des passages à tabac prolongés avec des tubes en plastique, des bâtons, des barres métalliques ou des câbles. Dans certains cas, ils ont été soumis à des chocs électriques, suspendus dans des positions contorsionnées pendant des heures, maintenus en permanence les yeux bandés et enchaînés avec les mains attachées derrière le dos ou privés de nourriture et d’eau. » Le rapport a également noté quelques 93 attaques contre des journalistes libyens dans les seuls neuf premiers mois de 2014, « y compris des enlèvements, des arrestations arbitraires, des assassinats, des tentatives d’assassinat et des agressions. » Quant aux attaques continues dans l’ouest de la Libye, le rapport a conclu qu’elles étaient « équivalentes à des crimes de guerre. » En conséquence de cette violence omniprésente, l’ONU estime qu’environ 400 000 Libyens ont fui leurs foyers, dont un quart ont quitté le pays définitivement.

La qualité de vie en Libye a été fortement dégradée par une économie en chute libre. Principalement parce que la production de pétrole, son élément vital, est gravement diminuée par le conflit prolongé. Avant la révolution, la Libye produisait 1,65 millions de barils de pétrole par jour, un chiffre qui est tombé à zéro lors de l’intervention de l’OTAN. Bien que la production soit remontée temporairement à 85 pour cent de son taux précédent, depuis que les sécessionnistes se sont emparés des ports pétroliers de l’est en août 2013, la production a été en moyenne de seulement 30% du niveau d’avant la guerre. Les combats en cours ont fermé les aéroports et les ports maritimes dans les deux plus grandes villes de Libye, Tripoli et Benghazi. Dans de nombreuses villes, les habitants sont soumis à de très longues pannes de courant – jusqu’à 18 heures par jour à Tripoli. Toutes ces privations récentes ont provoqué un grave effondrement de ce pays que l’Indice de Développement Humain de l’ONU avait classé comme le pays ayant le plus haut niveau de vie de toute l’Afrique.

LE COÛT HUMAIN

Bien que la Maison-Blanche ait justifié sa mission en Libye par des raisons humanitaires, l’intervention en fait a grandement amplifié le nombre de morts là-bas. Pour commencer, la répression de Kadhafi se révèle avoir été beaucoup moins meurtrière que les rapports des médias l’ont indiqué à l’époque. Dans l’est de la Libye, où le soulèvement a commencé comme un mélange de manifestations pacifiques et violentes, Human Rights Watch a relevé seulement 233 morts dans les premiers jours des combats, et pas 10 000, comme cela avait été rapporté par la chaîne d’informations saoudienne Al Arabiya. En fait, comme je l’ai prouvé dans un article de 2013 sur la sécurité internationale, à partir de la mi-février 2011, lorsque la rébellion a commencé, jusqu’à la mi-mars 2011, lorsque l’OTAN est intervenue, seulement 1 000 Libyens environ sont morts, soldats et rebelles compris. Bien qu’un article d’Al Jazeera, répercuté par les médias occidentaux début 2011, ait allégué que les forces aériennes de Kadhafi avaient mitraillé et bombardé des civils à Benghazi et à Tripoli, un examen exhaustif dans la London Review of Books par Hugh Roberts de l’Université de Tufts a révélé que « l’histoire était fausse ». En fait, en essayant de minimiser les pertes civiles, les forces de Kadhafi se sont abstenues de violence aveugle.

La meilleure preuve statistique est apportée par Misurata, la troisième plus grande ville de Libye, où les combats initiaux faisaient le plus intensément rage. Human Rights Watch a constaté que parmi les 949 personnes blessées au cours des sept premières semaines de la rébellion, seulement 30 (un peu plus de 3%) étaient des femmes ou des enfants, ce qui indique que les forces de Kadhafi ciblaient précisément les combattants, qui étaient presque tous des hommes. Au cours de cette même période, à Misurata, seulement 257 personnes ont été tuées, une infime fraction des 400 000 habitants de la ville.

Le même modèle de retenue était évident à Tripoli, où le gouvernement a utilisé une force significative deux jours seulement avant l’intervention de l’OTAN, pour repousser des manifestants violents qui brûlaient des bâtiments gouvernementaux. Des médecins libyens ont par la suite déclaré lors d’une commission d’enquête des Nations Unies qu’ils ont observé plus de 200 cadavres dans les morgues de la ville les 20 et 21 février, et que seulement deux d’entre eux étaient des femmes. Ces statistiques réfutent l’idée que les forces de Kadhafi ont tiré au hasard sur des civils pacifiques.

De plus, au moment où l’OTAN est intervenue, la violence en Libye était sur le point de s’arrêter. Des forces bien armées de Kadhafi avaient mis en déroute les rebelles combattants dépenaillés qui rentraient chez eux. À la mi-mars 2011, les forces gouvernementales étaient sur le point de reprendre le dernier bastion rebelle de Benghazi, mettant ainsi fin à un conflit d’un mois pour un coût total d’un peu plus de 1 000 vies. Au même moment, cependant, des expatriés libyens en Suisse, affiliés aux rebelles, ont émis des messages d’alerte évoquant un « bain de sang » imminent à Benghazi, que les médias occidentaux ont, comme prévu, rapportés, mais qui, rétrospectivement, apparaissent avoir été de la propagande. En réalité, le 17 mars, Kadhafi s’était engagé à protéger les civils de Benghazi, comme il l’avait fait pour ceux d’autres villes reconquises, ajoutant que ses forces avaient « laissé la voie ouverte » pour permettre aux rebelles de se retirer en Égypte. Autrement dit, les militants étaient sur le point de perdre la guerre, et alors leurs agents à l’étranger ont agité le spectre du génocide pour susciter une intervention de l’OTAN, ce qui a fonctionné à merveille. Il n’y a aucune preuve ni raison de croire que Kadhafi avait prévu ou s’apprêtait à commettre une campagne de tueries.

Certes, le gouvernement a tenté d’intimider les rebelles, promettant de les poursuivre sans relâche. Mais Kadhafi n’a jamais dit que cette rhétorique impliquait de s’en prendre à des civils. Du 5 au 15 mars 2011, les forces gouvernementales ont repris toutes sauf une des principales villes tenues par les rebelles, et dans aucune ils n’ont tué de civils en représailles, et encore moins commis un bain de sang. En effet, quand ses forces approchaient de Benghazi, Kadhafi a assuré publiquement qu’il ne nuirait ni aux civils, ni aux rebelles désarmés. Le 17 mars, il s’est adressé directement aux rebelles de Benghazi : « Jetez vos armes, exactement comme vos frères d’Ajdabiya et d’ailleurs l’ont fait. Ils ont jeté leurs armes et ils sont en sécurité. Nous ne les avons plus jamais poursuivis. »

Cependant, deux jours plus tard, la campagne aérienne de l’OTAN a stoppé l’offensive de Kadhafi. En conséquence, le gouvernement n’a pas repris le contrôle de Benghazi, les rebelles n’ont pas fui, et la guerre n’a pas pris fin. Au lieu de cela, les militants ont inversé leur retraite et sont revenus à l’offensive. Finalement, le 20 octobre 2011, les rebelles ont trouvé Kadhafi, l’ont torturé, puis l’ont exécuté sommairement. Les derniers vestiges du régime sont tombés trois jours plus tard. Tout compte fait, l’intervention a prolongé la guerre civile libyenne de moins de six semaines à plus de huit mois.

Les affirmations sur le nombre de tués pendant la guerre ont énormément varié. Lors d’une conférence à huis clos en novembre 2011, organisée par l’Institution Brookings, un responsable américain a estimé le bilan final à « environ 8 000 ». En revanche, le ministre de la Santé des rebelles a affirmé en septembre 2011, avant même que la guerre ne soit finie, que le bilan était bien plus lourd, et que 30 000 Libyens étaient déjà morts. Toutefois, le ministère des Martyrs et des personnes disparues du gouvernement d’après-guerre a fortement réduit ce chiffre à 4 700 civils et rebelles, à un nombre égal ou inférieur pour les forces du régime, et à 2 100 personnes portées disparues des deux côtés – pour une estimation haute de 11 500 morts.

On ne dispose pas de statistiques sur le nombre total de victimes au cours des deux années suivantes de conflits larvés persistants, mais des rapports qui font apparaître plusieurs accrochages importants, comme un combat en mars 2012 entre tribus rivales dans la ville méridionale de Sabha qui fit 147 morts. À la lumière de ces chiffres, il est raisonnable d’estimer que le conflit a tué au moins 500 personnes par an en 2012 et 2013. De meilleures données sont disponibles pour la nouvelle guerre civile de 2014. Le site Libya Body Count, qui recense les pertes quotidiennes, signale que le nombre total de Libyens tués l’an dernier était de plus de 2 750. De plus, contrairement aux forces de Kadhafi en 2011, les milices qui combattent en Libye aujourd’hui font usage de la force sans discernement. En août 2014, par exemple, le Centre médical de Tripoli a signalé que parmi les 100 tués dans les récentes violences, 40 étaient des femmes et au moins neuf étaient des enfants. Le mois suivant, dans un crime de guerre flagrant, les militants ont tiré avec un lance-roquettes multiple dans un établissement médical.

Ce calcul sinistre conduit à une conclusion déprimante mais inévitable. Avant l’intervention de l’OTAN, la guerre civile en Libye était sur le point de finir, au prix d’à peine 1 000 vies. Depuis lors, la Libye a subi au moins 10 000 morts supplémentaires dans le conflit. En d’autres termes, l’intervention de l’OTAN semble avoir plus que décuplé le nombre de morts violentes.

UN TERRITOIRE POUR LES TERRORISTES

Une autre conséquence involontaire de l’intervention en Libye a été d’amplifier la menace du terrorisme dans le pays. Bien que Kadhafi ait soutenu le terrorisme pendant des décennies – comme en témoignent les réparations que son régime payera plus tard pour l’attentat de l’avion de Lockerbie en 1988 – le dirigeant libyen avait évolué pour devenir un allié des États-Unis contre le terrorisme mondial avant même le 11/9. Il l’a fait en partie parce qu’il faisait face à une menace intérieure de militants affiliés à al-Qaïda, le Groupe Islamique Combattant Libyen. Moussa Koussa, chef de la Sécurité Extérieure de Kadhafi, a rencontré à plusieurs reprises des hauts fonctionnaires de la CIA pour leur fournir des renseignements sur les combattants libyens en Afghanistan ainsi que sur le trafiquant de matériel nucléaire pakistanais A. Q. Khan. En 2009, le général William Ward, qui a dirigé le Commandement des États-Unis pour l’Afrique, a salué la Libye comme « un partenaire de premier plan dans la lutte contre le terrorisme transnational. »

Qui plus est, depuis l’intervention de l’OTAN en 2011, la Libye et son voisin le Mali sont devenus des refuges de terroristes. Les groupes islamistes radicaux, que Kadhafi avait fait disparaître, sont réapparus sous la couverture aérienne de l’OTAN comme quelques-uns des combattants les plus compétents de la rébellion. Approvisionnées en armes par des pays sympathisants comme le Qatar, les milices refusèrent de se désarmer après la chute de Kadhafi. Leur menace persistante fut mise en lumière en septembre 2012 lorsque des djihadistes, provenant notamment du groupe Ansar al-Sharia, attaquèrent les installations diplomatiques américaines à Benghazi et tuèrent Christopher Stevens, l’ambassadeur américain en Libye avec trois de ses collègues. L’an passé, les Nations Unies déclarèrent formellement Ansar al-Sharia comme une organisation terroriste en raison de son affiliation à al-Qaïda au Maghreb Islamique.

Les militants islamistes de Libye combattent maintenant pour le contrôle du pays tout entier, et ils progressent. En avril 2014, ils ont pris le contrôle d’une base militaire secrète près de Tripoli, où, comble d’ironie, des forces spéciales américaines s’étaient installées à l’été 2012 pour entrainer des forces anti-terroristes libyennes. Le Qatar et le Soudan ont envoyé des armes aux islamistes jusqu’en septembre 2014. En réponse, le gouvernement un peu plus laïc des Emirats Arabes Unis a lancé des frappes aériennes contre des militants islamistes à Tripoli et Benghazi en août et octobre de l’an dernier. Les djihadistes libyens ne se limitent maintenant plus aux seuls affiliés d’al-Qaïda – ainsi, depuis janvier 2015, des factions en accord avec ISIS, appelé aussi État Islamique, ont perpétré des enlèvements et des meurtres dans les trois régions administratives traditionnelles de Libye.

L’intervention de l’OTAN a aussi relancé le terrorisme islamiste ailleurs dans la région. Quand Kadhafi est tombé, les membres des tribus Touaregs originaires du Mali qui faisaient partie de ses forces de sécurité se sont enfuis chez eux avec leurs armes et ont lancé leur propre rébellion. Cette opposition a été rapidement capturée par les forces islamistes locales et al-Qaïda au Maghreb Islamique qui déclarèrent un État islamique indépendant dans la moitié nord du Mali. En décembre 2012, cette zone du Mali était devenue « le plus grand territoire contrôlé par les extrémistes islamistes au monde » selon le sénateur Christopher Coons, président du sous-comité du Sénat sur l’Afrique. Le danger fut précisé par le New York Times qui rapporta que « le partenaire affilié à al-Qaïda en Afrique du Nord met en œuvre des camps d’entraînement terroristes au nord du Mali et fournit des armes, des explosifs et des financements à une organisation militante islamiste au nord du Nigeria. » Mais les effets indirects de la Libye ne s’arrêtèrent pas là, ils contribuèrent à envenimer le conflit ethnique meurtrier au Burkina Faso et la croissance de l’islam radical au Niger. Pour endiguer cette menace, la France, début 2013, fut contrainte de déployer des milliers de soldats au Mali, dont certains continuent de combattre les djihadistes dans le nord du pays.

Le problème du terrorisme a été aggravé par l’évasion d’armes sensibles de l’arsenal de Kadhafi au profit d’islamistes radicaux à travers l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Peter Bouckaert, de Human Rights Watch, estime que dix fois plus d’armes libyennes ont disparu dans la nature que de Somalie, d’Afghanistan ou d’Irak. Les équipements les plus préoccupants sont probablement les systèmes de défense aérienne portables à dos d’homme, appelés MANPAD, qui, entre des mains compétentes, peuvent être utilisés pour abattre des avions civils et militaires. Jusqu’à 15 000 de ces missiles ont été portés disparus depuis février 2012, selon un responsable du Département d’État américain cité dans le Washington Post. Un effort de rachat de 40 millions de dollars a permis d’en récupérer seulement 5 000 d’entre eux. L’article ajoutait que des centaines de ces armes étaient toujours dans la nature, y compris au Niger, où certaines avaient été récupérées par Boko Haram, le groupe islamiste radical basé à la frontière nord du Nigeria. Quelques dizaines d’autres ont été trouvées en Algérie et en Égypte.

Ces missiles ont même traversé l’Égypte pour arriver jusque dans la bande de Gaza. Là-bas, en octobre 2012, des militants en ont tiré un pour la première fois, manquant de justesse un hélicoptère de l’armée israélienne, et des responsables israéliens ont déclaré que les armes provenaient de Libye. Plus récemment, début 2014, des islamistes en Égypte ont utilisé un autre missile de ce type pour abattre un hélicoptère militaire. Des MANPAD libyens et des mines de mer ont même fait leur apparition sur les marchés ouest-africains d’armes, où des acheteurs somaliens les ont raflés pour le compte de rebelles islamistes et de pirates, loin dans le nord-est africain.

LA GRANDE REPERCUSSION

Le préjudice de l’intervention en Libye va bien au-delà du voisinage immédiat. En aidant à renverser Kadhafi, les États-Unis sapent leurs propres objectifs de non-prolifération nucléaire. En 2003, Kadhafi avait volontairement suspendu ses programmes d’armes nucléaires et chimiques et remis ses arsenaux aux États-Unis. Sa récompense, huit ans plus tard, a été un changement de régime mené par les États-Unis qui a abouti à sa mort violente. Cette expérience a grandement compliqué l’objectif de convaincre les autres États d’arrêter ou d’inverser leurs programmes nucléaires. Peu de temps après le début de la campagne aérienne, la Corée du Nord a publié la déclaration d’un fonctionnaire anonyme du ministère des Affaires étrangères disant que « la crise libyenne est en train de donner une leçon grave à la communauté internationale, » et que la Corée du Nord ne se laisserait pas avoir par les États-Unis en cédant à la même « tactique de désarment » employée pour la Libye. Le chef suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a également souligné que Kadhafi a « emballé toutes ses installations nucléaires, les a embarquées sur un bateau, et les a livrées à l’Occident. » Un autre iranien bien informé, Abbas Abdi, a remarqué : « Lorsque Kadhafi a été confronté à un soulèvement, tous les dirigeants occidentaux l’ont laissé tomber comme une vieille chaussette. A en juger du résultat, nos dirigeants estiment un tel compromis totalement inutile. »

L’intervention en Libye peut aussi avoir favorisé la violence en Syrie. En mars 2011, le soulèvement de la Syrie était encore largement non-violent, et la réponse du gouvernement Assad, bien que criminellement disproportionnée, a été relativement limitée, causant la mort de moins de 100 syriens par semaine. Cependant, après que l’OTAN a permis aux rebelles libyens de reprendre le dessus, les révolutionnaires de Syrie, à partir de l’été 2011, sont devenus violents, pensant peut-être attirer une intervention similaire. « C’est la même chose qu’à Benghazi, » a déclaré un rebelle syrien au Washington Post à l’époque, ajoutant : « Nous avons besoin d’une zone d’exclusion aérienne. » Le résultat a été une escalade massive du conflit syrien, conduisant à au moins 1 500 morts par semaine au début 2013, soit une multiplication par 15.

La mission de l’OTAN en Libye a également entravé les efforts de rétablissement de la paix en Syrie en renforçant l’antagonisme avec la Russie. Avec l’assentiment de Moscou, le Conseil de Sécurité de l’ONU a approuvé la création d’une zone d’exclusion aérienne en Libye et d’autres mesures pour protéger les civils. Mais l’OTAN a dépassé ce mandat en poursuivant le changement de régime. La coalition a visé les forces de Kadhafi pendant sept mois, même quand elles se repliaient, ce qui ne menaçait aucunement les civils – et les rebelles armés et entraînés ont rejeté les pourparlers de paix. Comme s’en est plaint le président russe Vladimir Poutine, les forces de l’OTAN « ont franchement violé la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Libye, quand, au lieu d’y imposer la soi-disant zone d’exclusion aérienne, elles ont aussi commencé à bombarder. » Son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a expliqué qu’en conséquence, en Syrie, la Russie « ne permettrait jamais au Conseil de Sécurité d’autoriser quelque chose de semblable à ce qui est arrivé en Libye. »

Au début du Printemps arabe, les partisans de l’intervention en Libye avaient affirmé que la règle serait de maintenir l’élan des soulèvements relativement pacifiques en Tunisie et en Égypte. En réalité, l’action de l’OTAN non seulement a échoué à propager la révolution pacifique, mais a également encouragé la militarisation du soulèvement en Syrie et entravé la perspective d’une intervention de l’ONU là-bas. Pour la Syrie et ses voisins, la conséquence a été l’exacerbation tragique de trois pathologies : la souffrance humaine, le sectarisme et l’islam radical.

LA ROUTE QUI N’A PAS ETE PRISE

Malgré le désarroi considérable causé par l’intervention, certains de ses partisans impénitents affirment que l’alternative – laisser Kadhafi au pouvoir – aurait été pire. Mais Kadhafi n’avait en aucun cas d’avenir en Libye. Agé de soixante-neuf ans et en mauvaise santé, il avait jeté les bases d’une transition pour son fils Saif, qui depuis de nombreuses années préparait un programme de réformes. « Je n’accepterai aucun poste sans une nouvelle constitution, de nouvelles lois, et des élections transparentes, » avait déclaré Saif en 2010. « Tout le monde devrait avoir accès à la fonction publique. Nous ne devrions pas avoir le monopole du pouvoir. » Saif avait également convaincu son père que le régime devrait admettre la responsabilité du célèbre massacre de la prison de 1996 et payer une compensation aux familles des centaines de victimes. En outre, en 2008, Saif avait publié le témoignage d’anciens prisonniers dénonçant la torture par les Comités Révolutionnaires – les chiens de garde zélés mais officieux du régime – dont il avait exigé le désarmement.

De 2009 à 2010, Saif avait persuadé son père de libérer la quasi-totalité des prisonniers politiques de Libye, créant un programme de déradicalisation pour les islamistes que les experts occidentaux ont cité comme modèle. Il avait également préconisé l’abolition du Ministère de l’Information libyen en faveur des médias privés. Il avait même invité des savants américains renommés, comme Francis Fukuyama, Robert Putnam et Cass Sunstein à une conférence sur la société civile et la démocratie. Peut-être l’indication la plus claire des possibilités de réforme de Saif se voit en 2011, quand les hauts dirigeants politiques de la Révolution se sont avérés être des fonctionnaires qu’il avait précédemment amenés au gouvernement. Mahmoud Jibril, premier ministre du Conseil National de Transition des rebelles pendant la guerre, avait conduit l’Office National de Développement Économique de Saif. Mustafa Abdel Jalil, président du Conseil National de Transition, a été choisi par Saif en 2007 pour promouvoir la réforme judiciaire en tant que ministre de la Justice de la Libye, ce qu’il a fait jusqu’à sa désertion pour les rebelles.

Bien sûr, il est impossible de savoir si Saif aurait prouvé qu’il était disposé ou capable de transformer la Libye. Il faisait face à une opposition d’intérêts bien enracinés, que son père avait subie aussi lors d’une tentative de réforme. En 2010, les conservateurs avaient interdit temporairement les médias appartenant à Saif parce que l’un de ses journaux avait publié un éditorial critiquant le gouvernement. À la fin de 2010, cependant, un Kadhafi âgé avait limogé son fils Mutassim, tenant de la ligne dure, une mesure qui semblait ouvrir la voie à Saif et son programme réformiste. Même si Saif ne risquait pas de transformer la Libye en démocratie à la Jefferson du jour au lendemain, il semble qu’il ait eu l’intention d’éliminer les inefficacités les plus flagrantes et les injustices du régime de son père.

Même après le commencement de la guerre, des spécialistes incontestés ont exprimé leur confiance en Saif. Dans un article op-ed [qui n’est pas dans la ligne éditoriale du journal, NdT] du New York Times, Curt Weldon, un ancien député républicain (dix mandats en Pennsylvanie) a écrit que Saif « pourrait jouer un rôle constructif en tant que membre du Comité pour concevoir une nouvelle structure de gouvernement ou de Constitution. » Au lieu de cela, des militants pro-OTAN ont capturé et emprisonné le fils de Kadhafi. Dans une interview d’octobre 2014, effectuée en prison par le journaliste Franklin Lamb, Saif a exprimé ses regrets : « Nous étions en train de faire de vastes réformes, et mon père m’a donné la responsabilité de les mener à bonne fin. Malheureusement, la révolte est arrivée, et les deux parties ont fait des erreurs qui maintenant permettant à des groupes islamistes extrémistes comme l’État Islamique (EI) de remporter la mise et de transformer la Libye en une entité fondamentaliste extrême. »

APPRENDRE DE LA LIBYE

Obama reconnaît également avoir des regrets à propos de la Libye, mais malheureusement, il n’en a pas tiré la bonne leçon. « Je pense que nous avons sous-estimé… la nécessité de venir en force, » a avoué le président au chroniqueur du New York Times Thomas Friedman en août 2014. « Si tu as l’intention de le faire, a-t-il précisé, il faut fournir un effort beaucoup plus intense pour reconstruire les sociétés. »

Mais, c’est exactement la mauvaise manière. L’erreur en Libye n’était pas un effort post-intervention inadéquat, c’était, en premier lieu, la décision d’intervenir. Dans les cas tels que la Libye, où un gouvernement a réprimé une rébellion, il est très probable qu’une intervention militaire se retourne en favorisant la violence, l’échec de l’État et le terrorisme. La perspective d’une intervention incite également de manière perverse les militants à provoquer des représailles du gouvernement, puis ils crient au génocide pour attirer l’aide étrangère – ce qui souligne le danger moral de l’intervention humanitaire.

La vraie leçon de la Libye montre que quand un État vise précisément des rebelles, la communauté internationale doit éviter de se précipiter dans une action militaire pour des raisons humanitaires pour aider les militants. Les observateurs occidentaux devraient aussi se méfier du cynisme des rebelles qui exagèrent non seulement la violence de l’État, mais également leur propre soutien populaire. Même si un régime est très imparfait, comme celui de Kadhafi, il est probable que l’intervention n’alimente qu’une guerre civile qui va déstabiliser le pays, mettant en danger les civils, et ouvrant la voie à des extrémistes. La manière prudente est de promouvoir une réforme pacifique du type de celle que le fils de Kadhafi Saif poursuivait.

L’intervention humanitaire devrait être réservée aux rares cas où des civils sont visés et où une action militaire peut apporter plus de bien que de mal, comme au Rwanda en 1994, où j’ai estimé qu’une opération en temps opportun aurait pu sauver plus de 100 000 vies. Bien sûr, les grandes puissances veulent parfois recourir à la force, à l’étranger, pour d’autres raisons – lutter contre le terrorisme, éviter la prolifération nucléaire ou renverser un dictateur nuisible. Mais ils ne devraient pas prétendre que la guerre qui en résulte est humanitaire, ou être surpris quand de grandes quantités de civils innocents sont tués.

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(OB : L’impérialisme américain fait homme…)

Source : Foreign Affairs, le 03-04/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-debacle-libyenne-dobama-par-alan-j-kuperman-2/


Le rapport final d’enquête Chilcot : résumé des 13 points clés relevés contre Tony Blair sur la guerre en Irak

Thursday 25 August 2016 at 01:02

Source : Mirror, le 07/07/2016

Le 7 juillet 2016 | Par DAN BLOOM

Le rapport Chilcot contient 6275 pages, 2,6 millions de mots et a coûté plus de 10 millions de livres. Alors que dit-il exactement ?

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Le rapport Chilcot contient 6275 pages, 2,6 millions de mots et a coûté plus de 10 millions de livres – ce qui signifie qu’il est si long que la plupart des gens ne le liront pas.

Donc, la réputation de Tony Blair étant en jeu, que dit réellement l’enquête ?

Nous avons passé les détails au peigne fin pour trouver les 13 points clés ressortant de cette enquête de 7 ans.

Le rapport de sir John Chilcot établit que M. Blair a entraîné la Grande-Bretagne dans la guerre en Irak sans preuve ni plan – mais l’a disculpé de toute tromperie délibérée.

L’activiste anti-guerre Jeremy Corbyn a dit aux députés aujourd’hui : « Franchement, c’était un acte d’agression militaire basé sur un faux prétexte – soit quelque chose que l’on considère depuis longtemps comme illégal. »

C’était « extrêmement dangereux », a ajouté le dirigeant du Labour – et le rapport l’a confirmé.

Voici les 13 points clés sur la guerre en Irak.

Getty Images

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1. La guerre n’était PAS la dernière option

La déclaration la plus fracassante de Sir John Chilcot fut sa première aux journalistes.

« Nous avons conclu que le Royaume-Uni a choisi de s’associer à l’invasion de l’Irak avant que les options pacifiques pour le désarmement n’aient été épuisées, » a-t-il affirmé.

« L’action militaire à cette époque n’était pas le dernier recours. »

Chris J Ratcliffe

Chris J Ratcliffe

2. Saddam Hussein n’était PAS une menace imminente

Selon Sir John : « L’action militaire en Irak aurait pu être nécessaire à un moment donné. »

« Mais en mars 2003 il n’y avait pas de menace imminente venant de Saddam Hussein. La stratégie d’endiguement aurait pu être adaptée et continuée durant quelques temps.

« La majorité du Conseil de sécurité souhaitait que les inspections et le contrôle des Nations-Unies continuent. »

Saddam Hussein tenant un pistolet | Reuters

Saddam Hussein tenant un pistolet | Reuters

3. Il n’y avait PAS de preuve que Saddam possédait des armes de destruction massive

Les renseignements « n’avaient pas établi au-delà de tout doute possible » que Saddam Hussein continuait à produire des armes nucléaires, biologiques ou chimiques, et cela aurait dû être dit clairement par M. Blair.

Le rapport ajoute qu’il était important de faire une distinction sur ce que signifiaient réellement les termes d’armes de destruction massive.

Cela peut aller des armes nucléaires au gaz moutarde – mais le public imaginait qu’il serait annihilé dans tous les cas.

Selon le rapport, M. Blair « a brouillé » la nature de la menace en utilisant l’expression « armes de destruction massive » sans expliquer ce que cela signifiait exactement.

Chris J Ratcliffe

Chris J Ratcliffe

4. Cependant Blair a dit à Bush : « Je serai avec vous quoi qu’il arrive »

Des notes envoyées par M. Blair au président américain George Bush mettent au jour qu’il préparait le chemin vers la guerre quelques heures seulement après les attaques du 11-Septembre.

Le 12 septembre 2001, il exhortait le président à poursuivre les nations faisant le commerce d’armes de destruction massive, ajoutant : « Certaines de ces choses demanderont des actions pour lesquelles certains vont rechigner. »

Et le 3 septembre 2001 il lui disait : « Il serait excellent de se débarrasser de Saddam. »

Au téléphone il ajouta : « Il y a besoin d’une stratégie intelligente pour le faire… Un plan extrêmement ingénieux serait nécessaire. »

Le 28 juillet 2002 – des mois avant que le gouvernement ne produise de conseil légal ou un dossier de renseignement pour la guerre – il dit simplement à Bush : « Je serai avec vous quoi qu’il arrive. »

Le président George W. Bush remet la Médaille de la Liberté à l'ancien premier ministre britannique Tony Blair lors d'une cérémonie à la Maison-Blanche, le 13 janvier 2009, à Washington | Getty

Le président George W. Bush remet la Médaille de la Liberté à l’ancien premier ministre britannique Tony Blair lors d’une cérémonie à la Maison-Blanche, le 13 janvier 2009, à Washington | Getty

5. Blair a fait le tri et choisi des preuves qui allaient dans son sens

A partir du 11-Septembre, M. Blair a « choisi des tactiques » pour « mettre l’accent sur » la menace en Irak. Il a ajouté un préambule au rapport de septembre 2002 sur les supposées armes de destruction massive qui contenait « un degré de certitude qui n’était pas justifié ».

Et depuis février 2002, le gouvernement a décidé que « le régime de Saddam Hussein ne pouvait être renversé que par une invasion menée par les Américains. »

Sir John a affirmé que le préambule de M. Blair sur le tristement célèbre dossier de septembre 2002 – établissant qu’une arme pouvait être préparée en 45 minutes – était plus affirmatif quant aux menaces que les preuves détenues par le Comité mixte du renseignement (JIC).

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6. Et son copain Jack Straw a fait de même

Les intenses manœuvres de Tony Blair et Jack Straw ont façonné le tristement célèbre dossier de septembre 2002.

Depuis le début, le dossier était « destiné à convaincre et s’assurer le soutien parlementaire et public sur la position du gouvernement » selon laquelle une action urgente était nécessaire, affirme le rapport.

Cependant, selon le rapport Chilcot, le gouvernement Blair « a tenté » de le faire « passer pour une production » du comité indépendant mixte du renseignement.

Le rapport a décrit comment les tensions ont commencé lorsque le secrétaire des affaires étrangères Jack Straw a essayé de modifier un dossier planifié sur les armes de destruction massive un an avant la guerre.

Downing Street a commandé un document en février 2002 sur les armes de destruction massive dans les « pays sujets de préoccupations » que sont la Corée du Nord, l’Iran, la Libye et l’Irak, et ce pour une réunion entre Blair et Bush planifiée en avril.

Mais lorsque Straw a vu le projet le 8 mars, il a été déçu qu’il n’ait pas été assez mis l’accent sur l’Irak.

Il a dit : « Bien, mais l’Irak ne devrait-il être TOUT EN HAUT de la liste et avoir plus de développements ? »

« Le document doit montrer pourquoi il existe une menace EXCEPTIONNELLE venant d’Irak. Il n’y a pas cela pour l’instant. »

Le 18 mars il décida alors qu’un document exclusivement sur l’Irak devrait être produit avant celui général sur les armes de destruction massive.

Selon le rapport, le 22 mars la publication fut repoussée après que « Straw a été informé que les preuves ne convaincraient pas l’opinion publique qu’il y avait une menace imminente venant d’Irak. »

Downing Street décida alors de coordonner un « dossier public » sur l’Irak, qui s’avèrera être le dossier de septembre 2002.

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7. … Bien qu’il ait été averti que la guerre alimenterait la terreur

M. Blair fut averti de manière explicite par le JIC début 2003 qu’une guerre en Irak « augmenterait » la menace d’al-Qaïda et d’autres extrémistes islamiques.

Cela s’est révélé vrai dans des proportions dévastatrices, des régions entières d’Irak étant à présent sous l’emprise de l’EI.

Le JIC annonça que les extrémistes allaient « continuer à représenter de loin la plus grande menace terroriste pour les intérêts occidentaux, » et allaient essayer de récupérer l’invasion, en capturant les armes de Saddam Hussein.

Son verdict avant que la guerre n’éclate disait : « al-Qaïda et les groupes qui y sont associés vont continuer à représenter de loin la plus grande menace terroriste pour les intérêts occidentaux, et cette menace se verrait accrue par une action militaire contre l’Irak.

« La menace des terroristes islamistes au sens large va également s’accroître dans le cas d’une guerre, reflétant un sentiment anti-américain et anti-occidental plus important dans le monde musulman, y compris parmi les communautés musulmanes occidentales.

« Et nous courons le risque qu’un transfert d’armes ou de compétences BC [biologiques, chimiques] durant ou après le conflit n’augmente les capacités d’al-Qaïda. »

Un combattant de l'État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) tient un drapeau de l'EIIL et une arme dans une rue de la ville de Mossoul, le 23 juin 2014 | Reuters

Un combattant de l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) tient un drapeau de l’EIIL et une arme dans une rue de la ville de Mossoul, le 23 juin 2014 | Reuters

8. Le volet juridique était « loin d’être satisfaisant »

Les détails de la justification juridique du gouvernement étaient « loin d’être satisfaisants » selon Sir John.

Et le cabinet de M. Blair ne consulta même pas l’avis juridique complet de Lord Goldsmith avant le conflit.

Le Procureur Général avait fourni à Downing Street un dossier détaillé le 7 mars, soit deux semaines avant la guerre, qui indiquait que l’invasion pouvait être justifiée mais que la « voie juridique la plus sûre » passait par une nouvelle résolution de l’ONU.

Six jours plus tard seulement, après une réunion, Lord Goldsmith clarifia sa position et déclara que « dans l’ensemble, il y a une base légale solide. »

Lorsqu’un cabinet de guerre se réunit le 17 mars, seule une version raccourcie qui présentait surtout l’argumentaire du gouvernement fut présentée.

« L’avis aurait dû être présenté aux Ministres, » déclara Sir John.

« Vu la gravité de la décision, le cabinet aurait dû être informé des incertitudes juridiques. »

 

PA

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9. L’état d’impréparation des forces armées était catastrophique

De nombreux effectifs militaires furent déployés sans que l’ensemble du cabinet – qui n’était « pas complètement au courant des risques » – ne réfléchisse à la décision ou à ce qui allait suivre.

Durant quatre années entières, « il n’y avait pas de doctrine claire indiquant le niveau de risque acceptable pour les forces britanniques, et qui était responsable de suivre ce risque. »

La vitesse de l’avancée des troupes amena très rapidement « de sérieuses pénuries de matériel. »

Et les ressources disponibles furent utilisées à leur limite, sans possibilité de remplacement – à « un haut niveau de risque » – alors que des troupes étaient déployées dans la province de l’Helmand en Afghanistan au même moment.

Selon le rapport, le Ministère de la Défense fut également trop lent à prendre en compte la menace spécifique des engins explosifs improvisés (EEI).

Et il y eut du retard dans les enquêtes sur les morts au combat.

Un soldat britannique en service en Irak | Matt Cardy/Getty Images

Un soldat britannique en service en Irak | Matt Cardy/Getty Images

10. Les plans de reconstruction de l’Irak étaient « dramatiquement inadéquats »

Le rapport déclare de manière dévastatrice : « Le Royaume-Uni a échoué dans la planification ou la préparation du programme majeur de reconstruction nécessaire en Irak. »

La situation se détériora lorsque les intérêts américains commencèrent à diverger des intérêts britanniques, et les différences allèrent en s’accentuant avec le temps.

Les « porteurs de mauvaises nouvelles n’étaient pas entendus » sur le terrain, et M. Blair se trouva confronté à une situation en Irak pire que celle qu’on lui avait annoncée, selon le rapport.

Il y avait un « écart permanent » entre les ambitions du gouvernement et les capacités réelles de soutien des civils.

Un pompier intervient sur le site d'une attaque à la voiture piégée dans le district de Karrada-Dakhil, sud de Bagdad, Irak, 3 juillet 2016 | Xinhua / Barcroft Media

Un pompier intervient sur le site d’une attaque à la voiture piégée dans le district de Karrada-Dakhil, sud de Bagdad, Irak, 3 juillet 2016 | Xinhua / Barcroft Media

11. La mauvaise gestion britannique nourrit les tensions communautaires

D’après le rapport, il manquait aux militaires une appréciation complète des tensions politiques, culturelles et ethniques en Irak.

Les critiques portent notamment sur la « dé-Baathification » de l’administration irakienne, et la manière dont elle fut réalisée eut « un impact négatif sensible et durable sur l’Irak. »

« Limiter la dé-Baathification aux trois quarts supérieurs du parti, plutôt que de l’étendre au quart inférieur, aurait pu être bien moins dommageable pour la stabilité politique et le redressement de l’Irak après l’invasion, » continue le rapport.

« Le Royaume-Uni choisit de ne pas tenir compte de ses appréhensions, pourtant bien fondées, lorsqu’il s’agit de confier la mise en application de la doctrine de dé-Baathification au Conseil gouvernemental. »

 

Chris J. Ratcliffe

Chris J. Ratcliffe

12. La guerre a coûté une fortune au contribuable britannique

Le coût direct du conflit en Irak fut d’au moins 9,2 milliards de livres, soit 11,83 milliards de livres d’aujourd’hui (soit environ 13,9 milliards d’euros). Au total, 89% de ce montant fut consacré aux opérations militaires.

Ce coût ne fut pas pris en compte par le gouvernement lorsqu’il décida de partir en guerre.

Les ministres ne reçurent pas même une estimation des coûts de l’invasion ou du « nettoyage » qui devait suivre.

« Ils auraient dû, » conclut laconiquement le rapport.

Jeff J Mitchell

Jeff J Mitchell

13. Notre confiance dans les politiciens en fut détruite

L’utilisation des preuves par M. Blair a laissé un « héritage préjudiciable » et a « miné la confiance dans le gouvernement » jusqu’à aujourd’hui à un point qui va peut-être rendre les « guerres justes » plus difficiles à mener dans le futur.

Selon le rapport : « La perception répandue que le dossier de septembre 2002 exagéra la solidité des preuves relatives aux capacités et aux intentions irakiennes, dans le but d’influencer l’opinion et de plaider pour une action visant à désarmer l’Irak, a eu pour résultat un héritage dommageable, notamment en sapant la confiance dans les déclarations du gouvernement, en particulier celles qui sont basées sur des renseignements qu’il est impossible de vérifier de manière indépendante.

« En conséquence, dans les situations où la réponse politique pourra être de recourir à l’action militaire, et où la preuve, du moins en partie, dépendra de jugements déductifs basés sur des renseignements forcément incomplets, ils sera peut-être plus difficile d’obtenir un soutien de la position du gouvernement et l’acceptation de cette action. »

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Et finalement… il n’est pas parvenu à ce qu’il entendait réaliser

« Le Gouvernement a échoué face aux objectifs qu’il s’était fixé, » déclara sans détour Sir John.

« Que le Royaume-Uni se retrouve dans une position où la meilleure option possible était un accord avec un groupe armé qui a activement visé les forces britanniques fut une humiliation.

« L’action militaire britannique en Irak s’est terminée à mille lieues d’un succès. »

Source : Mirror, le 07/07/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-rapport-final-denquete-chilcot-resume-des-13-points-cles-releves-contre-tony-blair-sur-la-guerre-en-irak/


Le rapport Chilcot sur la guerre en Irak offre une critique dévastatrice de Tony Blair, par Steven Erlanger et David E. Sanger

Thursday 25 August 2016 at 00:30

Source : The New York Times, le 07/07/2016

M. Blair, ancien premier ministre de Grande-Bretagne, a fait une déclaration sur les conclusions du comité Chilcot, disant qu’il prenait « l’entière responsabilité » de la décision d’entrer en guerre avec l’Irak. Par THE ASSOCIATED PRESS publié le 6 juillet 2016.

LONDRES – Le 28 juillet 2002, environ huit mois avant l’invasion dirigée par les Américains de l’Irak, le premier ministre britannique Tony Blair a envoyé au président George W. Bush une note personnelle qui alarma un des meilleurs adjoints à la sécurité nationale de M. Blair – et qui fut accueillie avec soulagement par Washington.

« Je serai avec vous quoi qu’il arrive, » écrivait M. Blair, dans ce qui se révélait être une promesse de soutien britannique si les États-Unis entraient en guerre pour renverser le dirigeant iraquien Saddam Hussein. Se débarrasser de M. Hussein était « la bonne chose à faire », écrivait M. Blair, prédisant que « son départ libèrerait la région. »

Quatorze ans plus tard, la promesse de M. Blair fut révélée publiquement mercredi comme partie d’une volumineuse enquête officielle de sept ans sur le comment et le pourquoi de l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne en Irak.

Les principales conclusions du rapport du comité d’enquête indépendant sur l’Irak étaient connues : que la Grande-Bretagne, de la même manière que les États-Unis, a utilisé des renseignements biaisés pour justifier l’invasion, que l’Irak ne posait pas de menace immédiate pour la sécurité nationale, que les alliés sont intervenus militairement avant que toutes les options diplomatiques n’aient été épuisées et qu’il y avait un manque de planification sur ce qui surviendrait après le retrait de M. Hussein.

Le rapport a néanmoins eu une énorme résonance en Grande-Bretagne, en partie parce qu’il est arrivé au moment où les Britanniques sont engagés dans une débat sur la place de leur pays dans le monde, après leur vote le mois dernier pour quitter l’Union européenne.

Le rapport représente également un moment de brûlante responsabilisation vis-à-vis du public pour M. Blair, dont l’héritage a été défini en Grande-Bretagne quasiment entièrement, et en grande partie négativement, autour de sa décision d’aller en Irak aux côtés des États-Unis.

La note de M. Blair à M. Bush s’inscrivait dans une campagne de soutien aux États-Unis avant la guerre, et pour conduire la Maison-Blanche vers la mise en place d’un soutien diplomatique aux efforts pour répondre à la menace perçue venant d’Irak, comme montré par le rapport.

Les 2,6 millions de mots du rapport décrivent un premier ministre qui voulait une preuve plus convaincante du besoin d’une intervention militaire et d’un plan plus solide d’occupation de l’Irak et de reconstitution du gouvernement sur place. Au-delà de ce serment d’allégeance à M. Bush, la note du 28 juillet 2002 mettait largement en garde des risques de « conséquences inattendues » résultant d’une invasion, et prévoyait justement que les autres nations européennes seraient réticentes à soutenir la guerre.

Mais au moment où débute l’invasion, la plupart des mises en garde et conditions de M. Blair avaient été mises de côté, conclut le rapport. Le président du comité, John Chilcot, a dit mercredi matin que M. Blair avait été informé par ses diplomates et ministres de « l’inadéquation des plans américains » et de leur inquiétude « concernant l’inaptitude à exercer une influence significative sur l’organisation américaine. »

M. Blair a choisi de passer outre ces objections.

Dans les heures qui ont suivi la publication du rapport, M. Blair est apparu dans une conférence de presse d’environ deux heures durant laquelle il a admis les faux-pas et défaillances du renseignement, mais a défendu sa décision d’entrer en guerre. Aujourd’hui rejeté par son propre parti, le Labour, sa place dans l’histoire britannique définie par ces jours cruciaux de 2002 et 2003, il est apparu touché, même hanté, disant que pas un jour n’est passé sans qu’il pense aux décisions qu’il avait prises il y a de cela une décennie.

Le premier ministre Tony Blair, à gauche, à la Maison-Blanche avec le président George W. Bush, en janvier 2003. Doug Mills/The New York Times

Le premier ministre Tony Blair, à gauche, à la Maison-Blanche avec le président George W. Bush, en janvier 2003. Doug Mills/The New York Times

« Il n’y aura pas une journée de ma vie où je ne revivrai et ne repenserai à ce qui s’est passé, » a affirmé M. Blair. « Les gens me demandent pourquoi je passe tant de temps aujourd’hui au Moyen-Orient. Voilà pourquoi. C’est pour cela que je travaille à la paix au Moyen-Orient. »

Un moment décisif a semblé survenir lorsque la note de M. Blair à M. Bush en 2002, classifiée « Secret-Personnel », a été diffusée auprès de deux principaux collaborateurs, David Manning et Jonathan Powell. Le rapport a révélé qu’ils avaient exhorté M. Blair à atténuer ou à supprimer le « Je serai avec vous, quoi qu’il arrive » de sa déclaration, et de ne pas tant lier son destin politique aux jugements de M. Bush.

M. Manning, un ancien ambassadeur à Washington et le conseiller en chef sur la politique étrangère de Blair, a témoigné qu’il avait dit à M. Blair que la phrase était trop « radicale », qu’elle semblait « rejeter toute autre option » et qu’il y avait « un risque qu’elle soit prise au pied de la lettre. »

M. Blair dit plus tard qu’il pensait avoir modifié la phrase, mais ce n’était pas le cas.

M. Blair a insisté sur le fait qu’il n’avait pas fourni de « blanc-seing » à Washington, et que la note passait rapidement à une analyse des nombreuses difficultés posées par une telle guerre, notamment pour conclure une coalition politique pour la soutenir et concernant la « nécessité de s’engager en Irak sur le long terme. »

Il mit en garde contre de possibles « conséquences inattendues », comme un grand nombre de victimes civiles irakiennes ou l’éruption « d’un soulèvement populaire arabe ».

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John Chilcot, qui a mené une enquête de sept ans sur la guerre en Irak, a annoncé les conclusions du comité à Londres mercredi, disant que l’invasion de l’Irak en 2003 était basée sur des renseignements biaisés. By THE ASSOCIATED PRESS on July 6, 2016. Photo by Jeff J. Mitchell/Getty Images.

Le rapport conclut que M. Blair et le gouvernement britannique ont sous-estimé les difficultés et les conséquences de la guerre, et largement surestimé l’influence qu’il aurait sur M. Bush.

Les résultats ont hanté depuis lors l’Irak, les États-Unis et la Grande-Bretagne : plus de 200 Britanniques tués, dont 179 soldats, au moins 4 500 Américains tués et plus de 150 000 Irakiens, pour la plupart des civils, puisque des conflits sectaires, des groupes terroristes et des acteurs tels que l’Iran ont rempli le vide laissé par M. Hussein.

Juste cette semaine, au moins 250 civils irakiens sont morts dans une explosion à la voiture piégée à Bagdad alors qu’ils célébraient les derniers jours du mois saint du ramadan.

Alors que le comité de M. Chilcot remontait aux sources de ce qui apparaît pour beaucoup de jeunes britanniques comme de l’histoire ancienne – les étudiants entrant à l’Université cette année avaient 4 ans lorsque les décisions en question ont été prises – ils ont trouvé une forme de chambre de résonance entre Londres et Washington.

Un membre du renseignement, Tim Dowse, a dit au comité que les officiels britanniques étaient tellement nerveux au sujet des suspicions des États-Unis selon lesquelles les tubes d’aluminium acquis par M. Hussein pourraient être utilisés comme centrifugeuses pour enrichir l’uranium, qu’ils avaient initialement enlevé le sujet de la synthèse britannique publiée en 2002 sur les projets d’armement irakiens.

Les forces britanniques commencent à se retirer de Bassora, Irak, septembre 2007. Cpl. Steve Follows / Ministère de la Défense britannique

Les forces britanniques commencent à se retirer de Bassora, Irak, septembre 2007. Cpl. Steve Follows / Ministère de la Défense britannique

Après que le vice-président Dick Cheney a parlé des tubes à la télévision américaine, « nous avons pensé qu’il aurait été étrange de ne rien dire sur le sujet, » a affirmé M. Towse. « Cela aurait soulevé des questions. »

Donc, le rapport mentionnait les tubes mais notait « nous ne pouvons confirmer qu’ils étaient destinés à un programme nucléaire. »

De telles questions au sujet des renseignements avant-guerre étaient laissées sans réponse, malgré le désir répété de M. Blair d’avoir une « preuve irréfutable ».

M. Blair a souligné mercredi que le rapport avait conclu qu’il n’avait pas inventé ou distordu les renseignements. Il remporta peu de sympathie pour autant : le dirigeant actuel du Labour, Jeremy Corbyn, s’est excusé du fait que le parti ait conduit la Grande-Bretagne à la guerre, et les conservateurs au pouvoir étaient heureux de laisser les membres du Labour se déchirer entre eux au sujet de Blair et de l’Irak.

Le sentiment que la Grande-Bretagne a été entraînée dans un carnage par une dévotion stupide aux États-Unis a eu des conséquences durables et rendu les membres du Parlement peu disposés à autoriser d’autres actions militaires aux côtés de Washington.

L’héritage de l’Irak a empêché la Grande-Bretagne de rejoindre les États-Unis dans le bombardement de la Syrie pour son usage d’armes chimiques. Ce fut également un facteur dans la décision de Barack Obama d’abandonner l’idée d’une frappe militaire des réserves d’armes chimiques en Syrie, et de retarder l’activité militaire contre l’État Islamique.

Mais ayant été un allié déterminé du président Bill Clinton durant la guerre au Kosovo, et étant intervenu avec succès en Sierra Leone en 2000, M. Blair avait foi en l’usage de la force pour imposer un ordre mondial plus rationnel, et après les attaques du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, il s’aligna rapidement sur la position de M. Bush.

Le verdict de l’enquête quant à l’organisation et à la conduite de l’engagement militaire britannique en Irak est très critique, rejetant l’affirmation de M. Blair selon laquelle les difficultés rencontrées après l’invasion ne pouvaient pas être prévues.

« Nous ne sommes pas d’accord sur le fait que du recul soit nécessaire, » a affirmé M. Chilcot. « Les risques d’un conflit interne en Irak, la poursuite active par l’Iran de ses intérêts, l’instabilité régionale et l’activité d’al-Qaïda en Irak étaient des situations bien identifiées avant l’invasion. »

Le rapport est sans appel sur le fait que le problème de M. Blair avant l’invasion de l’Irak était moins la nécessité de renverser M. Hussein que de savoir comment le justifier.

Selon le rapport, les renseignements que M. Blair a présentés au public exprimaient beaucoup plus de certitudes que ceux présentés par ces collaborateurs en privé.

Le rapport affirme que : « A aucun moment l’hypothèse que l’Irak pourrait ne pas avoir d’armes ou de programmes chimiques, biologiques ou nucléaires n’a été identifiée ou examinée » par le Comité mixte du renseignement britannique.

« Le Royaume-Uni a choisi de rejoindre l’invasion de l’Irak avant que les options pacifiques pour le désarmement n’aient été épuisées, » affirme le rapport. « L’action militaire à ce moment donné n’était pas la dernière option. »

Stephen Castle a contribué à ce reportage.

Source : The New York Times, le 07/07/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-rapport-chilcot-sur-la-guerre-en-irak-offre-une-critique-devastatrice-de-tony-blair-par-steven-erlanger-et-david-e-sanger/


John Prescott révèle que sa culpabilité dans la guerre « illégale » en Irak le hantera pour le restant de ses jours

Thursday 25 August 2016 at 00:10

Source : Mirror, le 10/07/2016

Le 10 juillet 2016

L’ancien vice-premier ministre John Prescott met en cause Tony Blair et dit que la guerre en Irak était illégale

L'ancien vice-premier ministre John Prescott dit que sa culpabilité dans la guerre en Irak le hantera pour toujours | Jonathan Brady/PA

L’ancien vice-premier ministre John Prescott dit que sa culpabilité dans la guerre en Irak le hantera pour toujours | Jonathan Brady/PA

Mercredi, nous avons enfin vu le rapport Chilcot.

C’était une accablante mise en accusation de la manière dont le gouvernement Blair a mené la guerre – et je prends ma juste part de la faute.

En tant que vice-premier ministre de ce gouvernement, je dois exprimer mes plus pleines excuses, en particulier vis-à-vis des familles des 179 hommes et femmes qui ont fait don de leur vie lors de la guerre en Irak.

Chilcot est allé très en détails quant à ce qui s’est mal passé. Mais je souhaite mettre en lumière certaines leçons que nous devons tirer pour éviter qu’une telle tragédie ne se répète.

Ma première préoccupation était la façon dont Tony Blair dirigeait le cabinet. On nous donnait trop peu de documents papier pour être en mesure de prendre des décisions.

John Prescott dit que Tony Blair nous a entraînés dans une guerre illégale | Getty Images

John Prescott dit que Tony Blair nous a entraînés dans une guerre illégale | Getty Images

J’ai soulevé ce problème avec Lord Butler, le secrétaire du cabinet. Je lui ai demandé si Blair l’avait consulté sur les bonnes règles et pratiques d’un cabinet du gouvernement.

Il a répondu qu’il l’avait fait. Et que Tony n’allait pas diriger de cette manière.

En fait, Tony le dirigeait comme s’il s’agissait d’un « cabinet fantôme », où le minimum d’information est rendu disponible afin d’éviter toute fuite de document.

Ces fuites ont été un véritable fléau pour le gouvernement Travailliste d’Harold Wilson, et Tony ne voulait pas que cela se reproduise.

Cette attitude est visible dans les reproches des rapports réguliers du renseignement.

La première page du Daily Mirror au lendemain du rapport Chilcot montre George W Bush et Tony Blair avec le titre : Je serai avec vous quoi qu'il arrive.

La première page du Daily Mirror au lendemain du rapport Chilcot montre George W Bush et Tony Blair avec le titre : Je serai avec vous quoi qu’il arrive.

Ces rapports se fondaient sur des discussions à des réceptions et sur des sources compromises.

Comme je l’ai dit lors de l’enquête sur l’Irak, les renseignements ressemblaient à des rumeurs, pas à des preuves solides.

Nous apprenons maintenant du rapport Chilcot que même les agences de renseignement avaient mis en garde de l’inadéquation ou du manque de fiabilité de telles sources.

Mais ces inquiétudes n’étaient jamais mentionnées dans aucun des documents fournis au cabinet.

A titre d’exemple, l’omission de fournir au cabinet l’argumentation du jugement de l’avocat général, concluant qu’il était illégal d’agir militairement contre l’Irak.

Le président George W. Bush remet la Médaille de la Liberté à l'ancien premier ministre britannique Tony Blair lors d'une cérémonie à la Maison-Blanche, le 13 janvier 2009, à Washington | Getty

Le président George W. Bush remet la Médaille de la Liberté à l’ancien premier ministre britannique Tony Blair lors d’une cérémonie à la Maison-Blanche, le 13 janvier 2009, à Washington | Getty

L’avocat général, Lord Goldsmith, s’est rendu au cabinet, a annoncé verbalement que cela était illégal, mais n’a fourni aucun document justificatif.

Le timing de cette décision était clairement conçu pour adopter une action quasi immédiate pour entrer en guerre.

Dans mon témoignage à Chilcot, j’ai indiqué que l’avocat général avait l’air d’un « lapin malheureux » durant les semaines précédant la décision, alors qu’il continuait à chercher une justification à l’invasion de l’Irak.

Mais l’écrasant problème gravement préoccupant était notre « relation spéciale » avec les États-Unis et le président George W. Bush.

Lors de précédentes discussions avec Blair, j’ai exprimé mon inquiétude, ce à quoi il a répondu que tout premier ministre devait décider très tôt s’il veut devenir un ami spécial des États-Unis.

L'avocat général Lord Peter Goldsmith était un « lapin malheureux » | Fiona Hanson/PA

L’avocat général Lord Peter Goldsmith était un « lapin malheureux » | Fiona Hanson/PA

Le choix de Tony était clairement d’être cet ami spécial.

Après l’attaque sur les tours jumelles et notre intervention justifiée en Afghanistan, l’ami spécial a tourné son attention vers Saddam.

Mon inquiétude concernant l’Irak était que toute intervention devait avoir le soutien du Conseil de Sécurité des Nations Unies, que les États-Unis et le Royaume-Uni avaient obtenu après l’invasion du Koweït par Saddam en 1990.

De plus, toute action nécessitait l’approbation de notre parlement, et celle d’entrer en guerre avec pour principal motif un changement de régime était illégale.

Tony reconnaissait cela.

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Dans les jours qui ont suivi le 11-Septembre, Blair a suggéré que je me rende aux États-Unis pour apaiser mes inquiétudes.

Il était prévu que je rencontre le vice-président Dick Cheney à la Maison-Blanche. Il m’est apparu en vidéo depuis un lieu tenu secret.

J’ai alors parlé aux sénateurs américains ainsi qu’au personnel militaire qui m’ont laissé l’impression générale que les Américains s’apprêtaient à aller en Irak – avec ou sans nous.

Un sénateur m’a dit, faisant allusion à l’échec de la tentative de renversement de Saddam après l’invasion du Koweït : « John, c’est une affaire inachevée. »

J’en ai informé Tony, mais il me confirma que sa politique et son but étaient l’obtention d’une résolution de l’ONU et non un changement de régime.

John rencontre Dick Cheney | ITV

John rencontre Dick Cheney | ITV

Et la note de Tony envoyée à Bush avec cette citation dévastatrice « Je suis avec vous quoi qu’il arrive » était tout ce dont les Américains avaient besoin pour s’y engager, même sans le soutien des Nations Unies.

Ils voulaient que cela soit fait et terminé rapidement pour éviter la chaleur d’une intervention estivale.

Je suis heureux que Jeremy Corbyn se soit excusé au nom du Parti travailliste auprès des proches de ceux qui ont été tués ou blessés.

Il ne se passe pas une journée sans que je ne pense à notre décision d’entrer en guerre. Aux troupes britanniques qui ont donné leur vie ou qui ont subi des blessures pour leur pays.

Aux 175 000 civils morts du fait de la boite de Pandore que nous avons ouverte en renversant Saddam Hussein.

Photo non datée publiée par l'enquête sur l'Irak d'une note sur l'Irak envoyée par l'ancien premier ministre Tony Blair au président des États-Unis George W. Bush. | PA

Photo non datée publiée par l’enquête sur l’Irak d’une note sur l’Irak envoyée par l’ancien premier ministre Tony Blair au président des États-Unis George W. Bush. | PA

Je vivrai avec la décision d’entrer en guerre et ses conséquences catastrophiques pour le restant de mes jours.

En 2004, le Secrétaire Général des Nations Unies Kofi Annan avait dit que puisque le changement de régime était le principal objectif de la guerre en Irak, celle-ci était illégale.

C’est avec une profonde tristesse et une grande colère que je pense désormais qu’il avait raison.

Source : Mirror, le 10/07/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/john-prescott-revele-que-sa-culpabilite-dans-la-guerre-illegale-en-irak-le-hantera-pour-le-restant-de-ses-jours/


De l’indécence d’une illusoire neutralité – “Je n’allais pas faire semblant d’être neutre” [Howard Zinn]

Wednesday 24 August 2016 at 02:00

Source : Le Partage, 11-08-2016

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« Rester neutre face à l’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur ».

 Desmond Tutu

« Les endroits les plus sombres de l’enfer sont réservés aux indécis qui restent neutre ».

 citation apocryphe, reprise par Dan Brown.

« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire ».

 Albert Einstein

« Celui qui accepte passivement le mal est tout autant responsable que celui qui le commet. Celui qui voit le mal et ne proteste pas, celui-là aide à faire le mal ».

 Martin Luther King

« Tu ne dois pas être une victime, tu ne dois pas être un oppresseur, mais avant tout, tu ne dois pas être un spectateur ».

 Yehuda Bauer

En ces temps troublés de crises planétaires, tandis que la guerre continue de faire rage dans de nombreux endroits sur Terre, que la déforestation continue à atrophier le couvert forestier, que les diverses pollutions engendrées par la société industrielle empoisonnent l’air, l’eau et le sol dont dépend la toile du vivant, que d’innombrables oppressions érodent les communautés humaines (racisme, sexisme, diverses phobies, dépressions, burn-out, harcèlements, conflits en tous genres, etc.) et non-humaines (élevages industriels, étalement urbain, …), que les inégalités économiques augmentent, nous remarquons  non sans consternation  que certains individus, tout en vivant au sein de la civilisation industrielle, affirment rester neutres. Bien évidemment, et de leur point de vue, bien malheureusement, c’est non seulement faux et impossible, mais aussi relativement indécent.

A partir du moment où un individu évolue au sein de la civilisation industrielle, qu’il en consomme les produits, qu’il bénéficie de ses technologies, du confort qu’elle offre, il participe à son fonctionnement et par-là même en cautionne les effets, les exactions, les oppressions, les pollutions et les destructions. Il serait par exemple absurde de se prétendre neutre vis-à-vis de la déforestation tout en consommant du Nutella, où n’importe quel produit qui en serait la cause. Même chose pour tous les actes de notre quotidien, tous nos achats, notre travail. Tout cela a des conséquences dans le monde réel. Que nous l’admettions ou pas. Que nous le voulions ou pas.

Comme le rappelle Antonio Gramsci :

Je hais les indifférents. Je crois comme Friedrich Hebbel que « vivre signifie être partisans ». Il ne peut exister seulement des hommes, des étrangers à la cité. Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. L’indifférence c’est l’aboulie, le parasitisme, la lâcheté, ce n’est pas la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents.

L’indifférence est le poids mort de l’histoire. C’est le boulet de plomb pour le novateur, c’est la matière inerte où se noient souvent les enthousiasmes les plus resplendissants, c’est l’étang qui entoure la vieille ville et la défend mieux que les murs les plus solides, mieux que les poitrines de ses guerriers, parce qu’elle engloutit dans ses remous limoneux les assaillants, les décime et les décourage et quelquefois les fait renoncer à l’entreprise héroïque.

L’indifférence œuvre puissamment dans l’histoire. Elle œuvre passivement, mais elle œuvre. Elle est la fatalité; elle est ce sur quoi on ne peut pas compter; elle est ce qui bouleverse les programmes, ce qui renverse les plans les mieux établis; elle est la matière brute, rebelle à l’intelligence qu’elle étouffe. Ce qui se produit, le mal qui s’abat sur tous, le possible bien qu’un acte héroïque (de valeur universelle) peut faire naître, n’est pas tant dû à l’initiative de quelques uns qui œuvrent, qu’à l’indifférence, l’absentéisme de beaucoup. Ce qui se produit, ne se produit pas tant parce que quelques uns veulent que cela se produisent, mais parce que la masse des hommes abdique devant sa volonté, laisse faire, laisse s’accumuler les nœuds que seule l’épée pourra trancher, laisse promulguer des lois que seule la révolte fera abroger, laisse accéder au pouvoir des hommes que seule une mutinerie pourra renverser. La fatalité qui semble dominer l’histoire n’est pas autre chose justement que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme. Des faits mûrissent dans l’ombre, quelques mains, qu’aucun contrôle ne surveille, tissent la toile de la vie collective, et la masse ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Les destins d’une époque sont manipulés selon des visions étriquées, des buts immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petits groupes actifs, et la masse des hommes ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Mais les faits qui ont mûri débouchent sur quelque chose; mais la toile tissée dans l’ombre arrive à son accomplissement: et alors il semble que ce soit la fatalité qui emporte tous et tout sur son passage, il semble que l’histoire ne soit rien d’autre qu’un énorme phénomène naturel, une éruption, un tremblement de terre dont nous tous serions les victimes, celui qui l’a voulu et celui qui ne l’a pas voulu, celui qui savait et celui qui ne le savait pas, qui avait agi et celui qui était indifférent. Et ce dernier se met en colère, il voudrait se soustraire aux conséquences, il voudrait qu’il apparaisse clairement qu’il n’a pas voulu lui, qu’il n’est pas responsable. Certains pleurnichent pitoyablement, d’autres jurent avec obscénité, mais personne ou presque ne se demande: et si j’avais fait moi aussi mon devoir, si j’avais essayé de faire valoir ma volonté, mon conseil, serait-il arrivé ce qui est arrivé? Mais personne ou presque ne se sent coupable de son indifférence, de son scepticisme, de ne pas avoir donné ses bras et son activité à ces groupes de citoyens qui, précisément pour éviter un tel mal, combattaient, et se proposaient de procurer un tel bien.

La plupart d’entre eux, au contraire, devant les faits accomplis, préfèrent parler d’idéaux qui s’effondrent, de programmes qui s’écroulent définitivement et autres plaisanteries du même genre. Ils recommencent ainsi à s’absenter de toute responsabilité. Non bien sûr qu’ils ne voient pas clairement les choses, et qu’ils ne soient pas quelquefois capables de présenter de très belles solutions aux problèmes les plus urgents, y compris ceux qui requièrent une vaste préparation et du temps. Mais pour être très belles, ces solutions demeurent tout aussi infécondes, et cette contribution à la vie collective n’est animée d’aucune lueur morale; il est le produit d’une curiosité intellectuelle, non d’un sens aigu d’une responsabilité historique qui veut l’activité de tous dans la vie, qui n’admet aucune forme d’agnosticisme et aucune forme d’indifférence.

Je hais les indifférents aussi parce que leurs pleurnicheries d’éternels innocents me fatiguent. Je demande à chacun d’eux de rendre compte de la façon dont il a rempli le devoir que la vie lui a donné et lui donne chaque jour, de ce qu’il a fait et spécialement de ce qu’il n’a pas fait. Et je sens que je peux être inexorable, que je n’ai pas à gaspiller ma pitié, que je n’ai pas à partager mes larmes. Je suis partisan, je vis, je sens dans les consciences viriles de mon bord battre déjà l’activité de la cité future que mon bord est en train de construire. Et en elle la chaîne sociale ne pèse pas sur quelques uns, en elle chaque chose qui se produit n’est pas due au hasard, à la fatalité, mais elle est l’œuvre intelligente des citoyens. Il n’y a en elle personne pour rester à la fenêtre à regarder alors que quelques uns se sacrifient, disparaissent dans le sacrifice; et celui qui reste à la fenêtre, à guetter, veut profiter du peu de bien que procure l’activité de peu de gens et passe sa déception en s’en prenant à celui qui s’est sacrifié, à celui qui a disparu parce qu’il n’a pas réussi ce qu’il s’était donné pour but.

Je suis en vie, je suis résistant. C’est pourquoi je hais ceux qui ne résistent pas, c’est pourquoi je hais les indifférents.

A ce propos, citons également l’historien militant Howard Zinn :

Que ce soit en tant qu’enseignant ou écrivain, je n’ai jamais été obsédé par “l’objectivité”, qui ne m’a paru ni possible ni désirable. J’ai compris assez tôt que ce qu’on nous présente comme “l’histoire” ou “l’actualité” a nécessairement été sélectionné parmi une quantité infinie d’informations, et que cette sélection reflète les priorités de celui qui l’a réalisée. Ceux qui prêchent la sainteté des faits depuis leur piédestal ne font qu’imiter le pédant des Temps difficiles de Charles Dickens, le sévère Mr Gradgrind, qui exigeait que ses élèves lui présentent « des faits, rien que des faits ». Mais j’en suis venu à penser que chaque fait présenté dissimule un jugement, celui qu’il était important de mettre ce fait-la en avant  ce qui implique, par opposition, qu’on peut en laisser d’autres de côté. Et tout jugement de ce genre reflète les croyances, les valeurs de l’historien ou de l’historienne, quelles que soient ses prétentions à l’objectivité. Ce fut pour moi un grand soulagement d’arriver à la conclusion qu’il est impossible d’exclure ses jugements du récit historique, car j’avais déjà décidé de ne jamais le faire. J’avais grandi dans la pauvreté, vécu une guerre, observé l’ignominie de la haine raciale : je n’allais pas faire semblant d’être neutre. Comme je l’ai dit à mes étudiants en commençant mon cours : « On ne peut pas rester neutre dans un train en marche ». En d’autres termes, le monde avance déjà dans certaines directions  dont beaucoup sont atroces. Des enfants souffrent de la faim. On livre des guerres meurtrières. Rester neutre dans une telle situation, c’est collaborer. Le mot « collaborateur » a eu une signification funeste pendant l’ère nazie, il devrait conserver ce sens. C’est pourquoi je doute que vous trouviez dans les pages qui suivent le moindre signe de « neutralité ». […]

Il n’y a pas une seule image vraie d’une situation historique, pas une seule et unique description objective. Mais par un retournement ironique, la quête d’une objectivité imaginaire nous a conduits à adopter une forme de subjectivité particulièrement régressive, celle du passant. Des intérêts divers et antagonistes coexistent dans la société; ce qu’on appelle objectivité n’est que le déguisement d’un de ces intérêts  habillé de neutralité. Mais dans un monde qui n’est pas neutre, la neutralité est fiction. Il y a des victimes, il y a des bourreaux, et il y a des passants. Dans la dynamique de notre ère où les têtes tombent régulièrement dans le panier, le « vrai »évolue en fonction du sort de notre propre tête  et l’objectivité du passant est une invitation à rester passif pendant que tombent les autres têtes. Rappelons-nous le docteur Rieux dans La Peste, de Camus : « Je dis seulement qu’il y a sur cette terre des fléaux et des victimes, et qu’il faut, autant qu’il est possible, refuser d’être avec le fléau ». Ne pas agir, c’est s’unir au fléau. […]

Je propose d’abandonner notre position habi­tuelle d’observateurs privilégiés. Tant que nous ne serons pas libérés de cette attitude que nous aimons qualifier d’objective, nous resterons psychologiquement plus proches, que nous l’admettions ou non, du bourreau que de la victime.

Et enfin, Sophie Scholl :

Les véritables dommages sont le fait de ces millions qui ne veulent que « survivre ». Ces braves gens qui ne demandent qu’à ce qu’on les laisse tranquilles. Ceux qui ne veulent pas que leurs petites vies soient dérangées par quoi que ce soit qui les dépasse. Ceux qui n’ont ni camp ni cause. Ceux qui ne réaliseront pas l’ampleur de leurs propres forces, par peur de se confronter à leurs propres faiblesses. Ceux qui n’aiment pas faire de vagues  ni se faire des ennemis. Ceux pour qui la liberté, l’honneur, la vérité, et les principes ne sont que littérature. Ceux qui vivent petit, forment de petits couples, et meurent petit. C’est l’approche réductionniste de la vie : si vous vous faites discrets, vous la garderez sous contrôle. Si vous ne faites pas de bruit, le croque-mitaine ne vous trouvera pas. Mais c’est une illusion, parce qu’ils meurent aussi, ces gens qui enferment leurs esprits dans de minuscules bulles afin de se sentir protégés. Protégés?! Mais de quoi?! La vie tutoie toujours la mort ; les routes étroites mènent au même endroit que les larges avenues, et une petite bougie se consume tout comme une torche enflammée. Je choisis ma propre façon de brûler.

« Se laver les mains du conflit entre les puissants et les opprimés, ce n’est pas rester neutre, mais prendre parti pour les puissants » (graffiti peint par Banksy sur un mur de Gaza, la citation est de Paulo Freire).

« Se laver les mains du conflit entre les puissants et les opprimés, ce n’est pas rester neutre, mais prendre parti pour les puissants » (graffiti peint par Banksy sur un mur de Gaza, la citation est de Paulo Freire).

Source : Le Partage, 11-08-2016

Source: http://www.les-crises.fr/je-nallais-pas-faire-semblant-detre-neutre/


Productrice de lait, je perds 300 euros/jour : Lactalis tient notre avenir entre ses mains, par Marie-Andrée Luherne

Wednesday 24 August 2016 at 01:25

Source : Le Nouvel Obs, Marie-Andrée Lutherne, 22-08-2016

LE PLUS. À partir de ce lundi 22 août, des syndicats d’agriculteurs appellent à occuper le siège du groupe Lactalis, à Laval. Ces derniers dénoncent la baisse des prix pratiquée par le leader du secteur, qui met en péril l’avenir des producteurs de lait français. Marie-Andrée Luherne, exploitante de 52 ans et secrétaire de la FDSEA dans le Morbihan, participe au mouvement. Elle témoigne.

Édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec

Des agriculteurs devant le siège du groupe Lactalis, à Laval, le 22 août 2016 (R.GABALDA/AFP)

Des agriculteurs devant le siège du groupe Lactalis, à Laval, le 22 août 2016 (R.GABALDA/AFP)

Fille d’agriculteur, je produits du lait depuis 1983 prêt de Vannes, dans le Morbihan, et je participerai au blocage de Lactalis ce mardi toute la journée. Je ne pensais pas, en choisissant ce métier de passion il y a 30 ans, en arriver là où j’en suis aujourd’hui. Notre précarité – comme celle de milliers d’exploitants français – devient telle que ça ne peut plus durer.

Chaque jour, nous perdons 300 euros

Je travaille depuis plusieurs années en Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec), avec mon mari et deux de nos enfants. Exclusivement producteurs de lait, nous nous occupons d’une centaine de vaches et de 200 hectares de terrain pour l’alimentation des animaux. Et chaque jour, nous perdons de l’argent.

Nous livrons notre lait à Sodiaal, et non à Lactalis, mais nous subissons les mêmes effets de l’effondrement du marché. Nous sommes payés 27 centimes par litre de lait alors que son coût de production nous revient à 36 centimes. Résultat, nous savons qu’il nous manquera 300 euros en fin de journée pour rentrer dans nos frais. Je ne parle pas de bénéfices, mais simplement de notre chiffre d’affaires, pour nous permettre de payer les factures. Au total, ce sont 9.000 euros que nous perdons chaque mois.

Pour survivre, nous dépensons le moins possible, nous appelons moins le vétérinaire, nous étalons les prêts au maximum et décalons les factures, en espérant voir le bout du tunnel. C’est une gestion au jour le jour qui n’est pas tenable. C’est le monde à l’envers : nous payons pour travailler.

0,25 euros le litre de lait, un tarif suicidaire

Les prix ont commencé à baisser il y a un an et demi. L’hiver dernier, nous étions rémunérés 32 centimes par litre, ce qui restait insuffisant pour en vivre, mais tout de même un peu plus confortable. Depuis, les prix se sont écroulés.

Lactalis, lui, propose désormais 0,25 euros par litre de lait, c’est un véritable coup de massue pour toute la filière. Personne ne peut produire à ce tarif-là, c’est tout bonnement impossible.

Or Lactalis étant le leader sur le marché, nous craignons que les autres laiteries n’adoptent bientôt la même politique. Ce ne sera peut-être pas demain ni dans un mois, mais cette issue est une fatalité que nous ne pouvons envisager. C’est pourquoi le blocage du siège de l’industriel est non seulement symbolique, mais représente surtout un enjeu vital pour nous, producteurs.

Aujourd’hui, les entreprises nous donnent ce qu’elles veulent sans aucune négociation et sans prendre en compte notre prix de revient. Tout le monde n’est pas récompensé de la même manière pour la valeur de son travail.

Je travaille 60 heures par semaine

Nous avons l’impression que l’on nous mène la vie dure dans l’espoir que des agriculteurs mettent la clé sous la porte. C’est dur à vivre, dans la mesure où, dans notre situation, c’est toute la famille qui subit ces pressions et difficultés. Si l’exploitation tombe, nous perdons notre maison, notre terrain… C’est toute notre vie qui s’écroule.

Avec mon mari et nos enfants, nous nous soutenons mutuellement dans les tâches, et je travaille pourtant 60 heures par semaine. Je vous laisse imaginer la situation d’un agriculteur seul sur son exploitation…

Dans mon entourage, il y a beaucoup d’accidents et d’arrêts maladie, car les gens ont trop tiré sur la corde. Ils ne prennent pas de vacances ni de remplaçants, et doivent se séparer de leurs salariés quand ils ont la chance d’en avoir, faute de pouvoir les payer. Ici, il y a beaucoup de misère et de personnes en détresse. Quand on joue avec la vie des gens, ça lâche au bout d’un certain temps. C’est ça qui est révoltant.

L’État doit nous venir en aide

Mes enfants m’ont confié que, s’ils ne réussissaient pas à vivre de la production de lait, ils feront leur carrière ailleurs. Les entreprises ne regardent pas la réalité en face : un jour, elles n’auront plus de lait français, pourtant reconnu pour sa grande qualité car répondant à de nombreuses normes très strictes. Elles nous laissent mourir et s’en apercevront trop tard.

La concurrence avec nos voisins européens devient de plus en plus rude, dans la mesure où les règles sont différentes d’un pays à l’autre. Il est temps de les harmoniser.

Nous demandons à l’État de nous venir en aide pour mettre en place une revalorisation rapide des prix, qui tienne compte de nos coûts de production, et aux banques de jouer le jeu pour nous soutenir. Nous ne souhaitons pas faire fortune, sinon nous aurions fait un autre métier.

Les consommateurs peuvent nous aider

Mais à travers notre mobilisation, c’est également les acheteurs attachés aux petites exploitations familiales que nous voulons sensibiliser. Afin de permettre une consommation responsable, nous défendons la valorisation d’un étiquetage français, auquel Lactalis est opposé (ont-ils quelque chose à cacher ?).

Notre vocation est de nourrir la population avec du lait de qualité, et nous y sommes attachés. Mais encore faudrait-il pour cela que l’on soit en mesure de nourrir notre propre famille.

Source : Le Nouvel Obs, Marie-Andrée Lutherne, 22-08-2016

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Émouvante histoire, hélas commune.

Moi, il y a une chose que je ne comprends pas, depuis 20 ans (si des pros peuvent m’aider…) : mais pourquoi diable (à part à cause des intégristes de Bruxelles) ne pourrait-on pas imposer un prix minimum d’achat pour les agriculteurs (je ne parle pas que du lait, qui, je rappelle, n’est pas votre ami pour la vie, mais des principaux produits agricoles et d’élevage…), afin de s’assurer qu’ils puissent survivre ?

32 centimes de coût de revient pour le producteur, qui est pressuré par un client en monopsone pour vendre à 25 centimes, pour un produit vendu au final 86 centimes ! Le passage de 25 à 86 n’est pas forcément choquant, mais pourquoi diable ne pas partir de disons 35 centimes, quitte à arriver à 95 centimes – on n’en mourra pas, et cela relancera d’ailleurs la consommation des agriculteurs…

lait

Enfin bon, certains ont d’autres priorités :

valls-is

Mais bon, c’est vrai qu’il peut se le permettre après tout :
budget-2016

(pour ceux qui pensent qu’il n’y a que “3 %” de déficit…)

Source: http://www.les-crises.fr/productrice-de-lait-je-perds-300-eurosjour-lactalis-tient-notre-avenir-entre-ses-mains-par-marie-andree-luherne/


Miscellanées du Mercredi (Delamarche, Sapir, ScienceEtonnante)

Wednesday 24 August 2016 at 00:52

N.B. Bien entendu, il n’y aura pas UN article sur le “burkini” sur ce blog – c’est un site sérieux ici. Je laisse ça aux médias mainstream subventionnés.

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : “Draghi est un âne”, le “bullshit total” de la loi El Khomri : le best of de Delamarche

II. Jacques Sapir

La minute de Sapir: “La rentrée risque d’être plus agitée” – 23/08

Jacques Sapir VS Bruno Fine (1/2): Quelles leçons peut-on tirer de cette phase estivale ? – 23/08

Jacques Sapir VS Bruno Fine (2/2): Relèvement des taux directeurs: Les marchés hésitent en attendant la Fed – 23/08

III. ScienceEtonnante

Jeu de go et intelligence artificielle — À chaud ! #2

 


N.B. bon allez, une remarque au passage : vous imaginez ce que Daech va faire de cette “information” dans de propagande contre nous ? Mais il est vrai qu’on a de sérieuses références depuis mai 1940 et l’IndoChine pour mener des guerres… Fin du débat, qu’on n’ouvrira pas en commentaires, merci.

Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-scienceetonnante/


Du libéralisme au fascisme, le développement totalitaire de la civilisation, par Bernard Charbonneau

Tuesday 23 August 2016 at 02:45

Source : Le Partage, Bernard Charbonneau, 06-08-2016

drawing on paper by Laurie Lipton

drawing on paper by Laurie Lipton

Nous reproduisons ici un extrait de l’excellent livre “L’Etat” que Bernard Charbonneau acheva d’écrire en 1948. Il y décrit la plongée de la majeure partie de l’humanité, au fil des siècles et proportionnellement à la progression de l’Etat, dans un monde totalitaire. Nous considérons que la volonté de puissance donnant naissance à l’Etat s’inscrit dans le cadre plus vaste du processus de civilisation.

Voici le passage où nous sommes passés et où nous vivons encore : celui de la « Révolution du XXe siècle » ; celle qui nous fait pénétrer dans cet avenir que désigne si bien le qualificatif de totalitaire. J’emploie ce terme parce qu’il me paraît englober et préciser à la fois toutes les caractéristiques de ce grand changement. Je dis état totalitaire, et non état fasciste ou soviétique, parce que cet adjectif me paraît désigner l’essentiel : non des systèmes d’idées qui ne servent qu’à justifier après coup le fait accompli, mais le fait lui-même : à la fois l’esprit et la réalité sensible. Sur ce plan qui est celui où l’homme vit tous les jours, — dans la rue, dans la queue du guichet ou derrière les barbelés du camp — les régimes totalitaires sont identiques. Non pas malgré la violence, mais par la violence de leur lutte, car le combat qui se substitue à la volonté de justice ou de liberté pour porter dans tous les camps le même fruit.

Ce monde est totalitaire. Partout la même obsession de vaincre rassemble toutes les forces dans un pouvoir central servi par un parti, et cette centralisation sera partout mensongère, dissimulée par son contraire : un décor fédéraliste ou régional. Partout, se justifiant d’un bien absolu, et par l’ennemi intérieur et extérieur, une agressivité à base de peur mène la guerre à tout ce qui prétend exister par soi-même : à l’individu, au groupe, aux peuples voisins. Servie par une technique concentrée et proliférante, une volonté qui s’étend avec elle à tout, et qui elle aussi ne connaît d’autres bornes que celles des possibilités pratiques. Partout le chef et le parti, l’insigne et le slogan, la bureaucratie et la masse, la propagande. Partout les mythes qui exaltent une civilisation mécanisée : la Production, le Travail. Et ceux par lesquels l’homme se dissimule le prix qu’il doit la payer : le héros, l’aventure. Partout la même civilisation, — jusque dans le moindre détail, car il s’agit d’une identité concrète […] — jusqu’à la même cravate sombre sur la même chemise blanche. Le regard peut saisir du premier coup d’œil tout ce que ces régimes ont d’identique, mais ce qu’ils ont de différent échappe aux yeux : à peine une inflexion du bras, une idée … Si les doctrines, et les troupes, s’opposent, l’image de l’avenir, — cette vie que tous distinguent dans leurs rêves et que les propagandes s’efforcent de fixer —, est bien partout la même. Le même autostrade asphalté court à travers les mêmes jardins, sous les mêmes ciels nuageux les mêmes barrages se dressent ; la même fille blonde aux dents intactes et aux yeux vides.

Il est vrai que les partisans de ces divers régimes ont un bon moyen pour nier l’identité qui les confond. Lorsque vous leur montrez la similitude des mots d’ordre, ils invoquent la disparité des faits (par exemple, selon les communistes, les hitlériens peuvent user de slogans socialistes — en fait, par leur clientèle, ils ne sont pas socialistes). Mais si vous signalez l’identité des faits (par exemples, la police politique en Russie soviétique et dans le IIIème Reich), ils invoqueront alors la disparité des fins que ces mêmes moyens servent. Ils peuvent ainsi échapper indéfiniment.

Ce qui distingue au départ les différents régimes totalitaires est secondaire par rapport à ce qui les rend de plus en plus semblables, — mais nous ne songeons même pas à comparer, car ce qui les rend semblables, c’est ce que nous ne discutons même plus.

Non seulement les régimes fascistes et stalinien rentrent dans cette description, mais aussi les démocraties plus ou moins engagées dans la voie totalitaire ; elles dessinent toute une variété d’ébauches plus ou moins perfectionnées dont le régime hitlérien donne une image achevée. Pourquoi parler d’hitlérisme ou de communisme, ou peut-être même de travaillisme ? La perversion totalitaire n’est pas dans tel de nos ennemis, mais dans le monde où nous vivons. Il ne s’agit pas d’un concept politique propre à telle fraction de l’humanité moderne, mais d’un mal déterminé par des structures économiques et sociales qui lui sont communes, qui l’infectent à un niveau si profond que ses membres en sont à peine conscients : les responsables des tyrannies totalitaires sont des dupes plus que des criminels. Aussi nulle société actuelle ne peut se prétendre intacte, les Français en particulier se font des illusions lorsqu’ils affirment qu’un tel régime ne pourra jamais s’établir dans leur pays. Le totalitarisme n’est pas un concept, mais une infection qui pullulera aussi bien sur le conservatisme de droite que sur la révolution de gauche ; seulement, sur le premier terrain elle produira des formes fascistes et sur le second des formes communistes. La maladie est la même, bien que les cas soient différents. La politisation totalitaire sera brutale et fanatique chez des peuples vigoureux comme en Allemagne et en Russie, à la fois cocardière et corrompue dans de vieux pays comme l’Italie et la France modérée, mais stricte dans des sociétés moralisées comme l’Angleterre. Ce mal n’est pas un abcès affectant tel point de l’espace, mais l’infection généralisée de cet organisme de plus en plus solidaire qui a nom espèce humaine. Aussi, elle nous apparaît comme se manifestant parallèlement partout à la fois. En réalité elle est une ; comme est un notre monde et l’effort qui le dominera en bloc. […]

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Fascismes et communisme semblent surgir dans une convulsion qui déchire l’ancien ordre social ; par le sang répandu, l’éclat des principes et des héros, ils se placent d’emblée sur le plan de la tragédie, et ils s’y placent volontairement, car ils vivent des passions. Il n’y a donc pas à s’étonner si les partisans et les adversaires des mouvements totalitaires les considèrent avant tout comme une rupture avec le passé : une révolution, qu’elle soit odieuse ou libératrice. En douter serait aujourd’hui pour la plupart des hommes douter du sens même de la vie, car leur vie n’a de sens que par ce drame. Le piège du mai sera toujours double : avant, de nous apparaître comme une perversion étrangère à notre entendement, après, de s’imposer à nous comme la plus normale des choses. La tentation de l’esprit en face de la menace totalitaire ? qu’elle nous semble trop loin (en 1913 ou en 1928, peut-être même en 1948), car il n’y a rien d’aussi rare que l’imagination du réel… avant d’être si près (en 1940 ou en 1945 par exemple) qu’elle semble aller de soi. Si le mal familier d’hier nous avait paru moins normal, peut-être que la monstruosité d’aujourd’hui nous paraîtrait moins familière.

Au contraire, je crois pouvoir affirmer ici qu’il n’y a pas de discontinuité entre l’ère libérale et celle des tyrannies. Un mouvement aussi spontané et aussi général n’a pas surgi ex-nihilo des temps qui l’ont précédé. Le seul fait qu’ils se soient succédés prouve que le monde libéral a été le terrain sur lequel s’est développé le mouvement totalitaire ; le XXe siècle est l’héritier du XIXe. Ce qui aurait dû surprendre, ce n’est pas la conclusion inéluctable, mais l’incapacité des hommes à voir le sens de leur présent.

La contrainte totalitaire s’est développée à l’intérieur même de la société libérale. Certes, ce ne fut pas sur le plan des principes, mais sur celui des techniques et des mythes qui constituent la vie de tous les jours du commun des mortels. D’une part dans les moyens : l’administration, l’armée, la machine, le style de vie et les formes sociales qu’ils conditionnent. De l’autre dans les réactions anarchiques qu’ils provoquent chez un être humain travaillé par ces forces qu’il ne sait pas maîtriser : une mentalité collective qui, comme ces techniques, dépasse infiniment les limites d’une classe parce qu’elle est l’expression d’une réaction humaine à des conditions communes à presque toutes les classes. Le plus directement saisissable de la vie et de l’esprit de la civilisation moderne : voilà ce commun dénominateur que révèle brusquement la « révolution » totalitaire.

Elle n’a qu’une origine : sous le régime des droits de l’homme la civilisation de la masse, de la machine et de l’Etat. Analyser les causes, et souvent les formes, du régime totalitaire reviendrait à la décrire ; il ne saurait être question d’aller jusqu’au bout de cette analyse, car il ne s’agit pas de définir quelques principes, mais de peindre l’infini des travaux et des jours d’une vie : la nôtre.

Pourquoi les principes de liberté les plus purs ont-ils abouti aux tyrannies les plus complètes de l’histoire ? Parce que la liberté des libéraux n’a pas été l’esprit vivant qui aurait pu former le monde moderne, mais la formule qui a servi à exorciser la seule force qui pouvait s’imposer à lui. Réduisant la liberté à la liberté de pensée, le libéralisme a déchaîné à travers l’idolâtrie du bonheur individuel une passion de l’utile et de la puissance collective qui elle a vraiment façonné le monde actuel.

Cette liberté n’était pas une vérité sacrée ; elle n’était pas le devoir que l’homme doit accomplir contre le monde et contre lui-même, le plus terrible de tous : le choix dans la solitude, mais une commodité que pouvait garantir la loi : l’esprit critique, la liberté… de pensée. Ce que l’individu libéral appelait liberté, ce n’était plus une passion conquérante s’exprimant par l’action, mais une délectation passive, purement intérieure, que la contrainte de l’Etat lui paraissait devoir protéger des heurts avec le monde extérieur. Alors, la liberté a cessé d’être le commandement qui s’impose aux conditions par les personnes ; à travers les hommes elle a cessé de former la réalité à son image. Comme toute pensée qui dégénère, la liberté des libéraux est devenue un idéalisme. Définissant la liberté de l’individu en dehors de toute condition concrète, sauf l’unité — et à ce compte il y aura toujours des individus libres —, le libéralisme la laisse écraser par les conditions — non seulement par les conditions économiques, mais par toutes les autres. Par cette somme de toutes les déterminations qui a nom Etat moderne.

Le réalisme de la tyrannie totalitaire est la conclusion nécessaire de l’idéalisme libéral. Si la liberté n’est pas une vérité sacrée et si elle ne commande pas au réel, tout est permis : dans leur inexistence tous les principes se valent et ils n’ont rien à voir avec l’action qui est du seul domaine des techniques. Et voici opposés la valeur à la réalité, l’esprit à la pratique ; et voici commencée cette querelle du « dégagement » et de « l’engagement » caractéristique d’une société fascistisée qui a complètement oublié que penser c’est vivre et qu’adorer c’est obéir. La liberté des libéraux annonce le nihilisme spirituel et justifie le fanatisme pratique des régimes totalitaires.

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Mais si rien en ce bas-monde n’est à Dieu, au nom de quoi rejeter les prétentions de César ? Au nom de quoi imposer des bornes aux évidences de l’organisation matérielle ? Pourquoi n’ordonnerait-elle pas la vie et la mort elles-mêmes ? Le droit pour les parents d’élever leurs enfants selon leur vérité, le droit pour l’individu de choisir son métier et de vivre dans le pays qu’il a élu, ne peuvent être que par la foi dans une orthodoxie qui attribue aux personnes une valeur suprême : l’avance de l’Etat mesure exactement le recul de cette foi. La vérité ne fixe pas seulement une direction à l’Etat, elle lui fixe les limites de son domaine. Car son émancipation et son expansion totale ne sont que les deux aspects d’un même phénomène. Si une civilisation n’a pas de principe vécu, rien ne peut y arrêter la prolifération de l’Etat. En opposant la liberté à la Vérité et en la chassant du monde, le XIXe siècle n’a délivré l’individu de l’autorité des Eglises que pour le livrer à la pire des tyrannies : à celle de la force qui n’a pas d’autres normes qu’elle-même ; au poids de la nécessité.

Le même rapport direct unit l’individualisme libéral aux disciplines massives de l’Etat totalitaire. De même que le libéralisme oppose — exactement comme l’Etat totalitaire — l’esprit à la réalité et la liberté à la vérité, il oppose exactement comme l’Etat totalitaire — l’individu à la société ; et il les détruit ainsi pour deux. Comme l’individu libéral n’a rien en propre, il n’existe qu’en s’opposant aux autres : par ses intérêts, par sa critique individuelle. Il n’a pas assez d’existence personnelle pour s’élever sans disparaitre jusqu’à un intérêt et une vérité communes ; dans cette situation l’individu ne peut être que ce qui détruit l’ordre et l’ordre ce qui détruit l’individu. Lorsque la société individualiste n’est pas un pur concept, elle n’est qu’un pandémonium d’opinions et d’appétits individuels. Un tel désordre est évidemment impossible ; d’autant plus que si l’individu libéral est déjà isolé, le vieil être social subsiste suffisamment en lui pour lui rendre cet isolement pesant. Alors le désir de l’ordre dans la rue s’ajoute à la nostalgie d’une communauté pour pousser au rétablissement d’une discipline sociale.

Or l’individu ne peut plus la concevoir qu’en termes de contraintes politiques. Tout en vivant de ce qui en subsiste, le libéralisme discrédite et détruit la société spontanée ; et il n’a rien fait pour former dans l’individu la personne capable d’élever sa liberté au rang de principe social : celui-ci n’est pas plus capable de concevoir que d’exercer une loi qui naisse directement de lui-même. Cette masse d’atomes isolés appelle d’implacables disciplines d’Etat […] ; quant à l’individu moyen prêt à céder à tout ce qui menace son confort individuel, il est l’élément indispensable aux entreprises les plus abstraites de la dictature. Si le désordre individualiste appelle l’Etat totalitaire, l’Etat totalitaire suppose l’individu.

La liberté individuelle a-t-elle été vraiment le principe de la société libérale ? A voir les faits on pourrait se demander si cette affirmation formelle de l’autonomie individuelle n’a pas eu pour fonction de justifier auprès des hommes une évolution qui tendait à la détruire.

Le libéralisme a cru que le progrès de la liberté était lié à la volonté d’un bonheur qu’il ramenait à l’amélioration des conditions matérielles par le progrès technique. Mais un bonheur réduit au bien-être n’est pas une force de liberté ; le luxe a corrompu l’aristocratie des républiques antiques, le confort autant que la misère risque de corrompre les masses de la démocratie moderne. Le souci exclusif de leur bien-être enferme les individus dans un égoïsme qui livre les affaires publiques à une minorité d’ambitieux. L’obsession des intérêts matériels, voici la perte de la démocratie et l’état d’esprit que cultive la dictature. Le culte bourgeois du confort et de l’argent a préparé les masses à accepter l’Etat totalitaire.

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La liberté est en contradiction avec le bonheur. La liberté authentique n’est pas satisfaction, mais risque, effort et non jouissance ; à l’extrême elle est l’angoisse de celui qui tient entre ses mains son salut et sa perte : la moins confortable des situations. Celui qui veut avant tout le bonheur doit sacrifier avant tout sa liberté, car la servitude le décharge du plus lourd des fardeaux : sa responsabilité ; — le conformisme est la première condition du confort. Le libéralisme répète à l’individu qu’être libre, c’est être heureux ; comme toute servitude apporte un semblant de paix, il finira par croire qu’être serf c’est être libre.

Si la liberté est parfois favorable à une amélioration du standard de vie, par contre elle est en contradiction absolue avec une condition fondamentale du bonheur : la sécurité. C’est cette notion mortelle à la liberté qui va envahir la démocratie moderne et justifier l’Etat. Car si la civilisation libérale a amélioré les conditions d’existence, malgré la multiplication des assurances elle n’a pas apporté la sécurité. L’individu moderne vit sous la menace constante d’être dépouillé par les crises ou les guerres. Mais peut- être plus que l’insécurité matérielle, l’insécurité morale le ronge ; malgré le mur que construisent devant l’homme des divertissements toujours plus perfectionnés, le libéralisme le laisse devant l’angoisse fondamentale de la liberté sans le préparer à l’assumer. Aussi la volonté d’être heureux mène les individus à rechercher, autant que la contrainte qui les dispensera du choix, l’orthodoxie qui les déchargera de penser. Assoiffé d’explications finales autant que de disciplines, l’individu libéral est prêt à accepter le régime qui se donnera pour but de sacrifier toute sa liberté à tout son bonheur.

Pour être total le bonheur ne doit pas se réduire à une simple amélioration du confort individuel, il doit devenir un mythe qui synthétise l’égoïsme et la peur de la solitude. Il n’est plus dans des satisfactions objectives qui laisseraient planer au-dessus d’elles la menace de l’inquiétude, il est dans l’action : dans le perpétuel développement des conditions collectives. En attendant un bien-être qu’il situe dans l’avenir, l’individu trouve son équilibre dans l’accomplissement de sa tâche à l’intérieur du corps social ; il sert, et la société l’honore et le paye parce qu’il sert. La morale, et plus spécialement la morale professionnelle façonne à l’intérieur des sociétés capitalistes le rouage des régimes totalitaires : l’homme défini par sa fonction.

Autant que le bonheur individuel l’utilité collective est le principe des sociétés libérales. Mais entre la liberté et l’utile la contradiction est cette fois absolue : la liberté ne sert pas, elle est libre. Une liberté subordonnée peut aider à une amélioration du rendement, elle dépendra avant tout du plan et de l’obéissance au plan ; du point de vue de l’efficacité la liberté ne peut être qu’une source de trouble, une perte d’énergie. En définissant le progrès par le développement matériel la société bourgeoise a préparé l’humanité à admettre la contrainte totalitaire. Le capitalisme libéral a entreprit, dans le domaine économique et social, une immense mobilisation des énergies dont les « plans » totalitaires ne sont que l’aboutissement politique : trop souvent, ce que nous prenons pour l’esprit de liberté, c’est le refus de mobiliser prématurément au nom d’une orthodoxie politique ce qui le sera plus tard au nom du rendement.

C’est dans l’économie libérale que s’est élaboré le plus efficacement le monde totalitaire. Dès le début du XIXe siècle, la centralisation politique s’est renforcée d’une organisation économique qui tendait à concentrer la puissance en un seul point d’où dépendait tout le reste. Ainsi s’est formée une humanité habituée à subir, et à subir sans comprendre, pour laquelle le mot de liberté s’est vidé progressivement de tout contenu. Si nous considérons la tendance de la technique actuelle à réserver la connaissance à une minorité de spécialistes comme elle réserve la puissance à quelques patrons ou directeurs, sa tendance à s’étendre méthodiquement à tout, sans autre principe que celui de l’efficacité pratique, alors nous pouvons bien affirmer qu’en dehors de toute volonté politique consciente le monde libéral tendait bien à devenir un monde totalitaire, où la démocratie sociale devenait aussi absurde que la démocratie politique.

La démocratie tend au partage de la vérité et de la puissance entre tous les citoyens, la technique tend au monopole de la vérité autant qu’à celui du pouvoir. Nous payons chaque perfectionnement d’une complication et d’une contrainte, — le tout est de savoir si ce perfectionnement vaut ce prix. Comme le rouage s’ajoute au rouage, l’explication s’ajoute à l’explication, et dans la mesure où l’organisation englobe de nouveaux domaines, elle multiplie les interférences. Ainsi, le sens commun à tous les hommes ne suffit plus, l’individu ne peut plus réaliser la condition de base de toute démocratie : une connaissance élémentaire de ses intérêts matériels, car ceux- ci dépendent d’une foule d’éléments qu’il ne peut plus atteindre directement. Pour juger sérieusement de son salaire, il lui faut désormais connaitre le mécanisme de la monnaie, le système fiscal, l’économie française et sa situation dans l’économie européenne : une culture politique et juridique du niveau de la licence en droit. Dans ces conditions le citoyen ordinaire n’essaye même plus de comprendre, il se jette sur l’explication qui lui prépare la propagande ; atrophiant son aptitude à s’expliquer, la complexité du monde actuel le livre au simplisme du slogan. Plus les techniques deviennent hermétiques et rigoureuses, plus leur vulgarisation devient vulgaire : l’image ou l’incantation qui s’adresse aux nerfs de la foule compense la formule mathématique qui s’adresse à l’intellect du technicien.

Submergé par la multiplicité des faits où l’économie complique la politique et la politique l’économie, l’individu se détourne d’un pouvoir qui n’a plus de sens pour lui ; sa condition étant d’être dépassé, sa réaction est de s’abandonner. Dans la nation, dans l’armée, dans le parti, et dans un syndicalisme bureaucratisé, il n’est plus qu’un rouage habitué à subir l’impulsion d’un état-major d’administrateurs. Le sens commun, — et son représentant le Parlement — n’a plus d’autorité ; dans une société technicisée, ce sont les bureaux qui gouvernent. Le Parlement n’est que le mensonge (poussé à l’extrême dans le cas des Parlements hitlérien et soviétique) qui permet aux hommes d’esquiver le problème posé par la fin du bon sens.

Partout où pénètre la technique recule la liberté, car à la différence de la pensée libérale, ses vérités sont sans appel et leur exécution automatique. La technique comme la loi impose à tous la même discipline, et partout où elle s’établit, s’établit la loi qui peut seule rendre ses applications possibles : la discipline totalitaire dans ce qu’elle a d’apparemment légitime ne fait qu’exprimer en clair la discipline industrielle. Ainsi sous le couvert du libéralisme, l’évolution économique réalise dans la vie quotidienne des individus la condition fondamentale du régime totalitaire : la démission de l’homme, qu’il s’agisse de l’indifférence atone du plus grand nombre à des déterminations qui les dépassent, ou de la participation frénétique de quelques-uns.

La civilisation libérale réalise le fondement social de tout régime totalitaire : la masse prolétarisée. L’ère libérale glorifie l’individu ; mais l’individu moderne n’est seul que dans l’isoloir, partout ailleurs : au régiment, à l’usine et dans la ville, il est pris dans la masse comme une goutte d’eau dans la mer. La concentration industrielle accumule les multitudes et le pouvoir niveleur de la technique façonne l’élément de la masse indifférenciée : l’individu, que rien ne distingue de l’individu, ni une forme, ni une pensée, ni un pouvoir propres. La société libérale a reconnu aux individus leur droit au vote, mais n’a pas reconnu leur droit à l’existence. Par le capitalisme elle a dépossédé la plupart des hommes de la propriété de leurs outils, par la guerre elle les a dépossédés de leurs corps, par la presse et la propagande de leur esprit même. Qu’il porte le bleu de l’ouvrier ou le veston râpé du retraité, l’individu moderne est un être auquel rien n’appartient personnellement, pas plus la terre que la vérité. Il n’y a plus d’hommes, mais ce poids inerte qui croule soudain : les masses des villes, les masses de la guerre, en attendant les masses des manifestations totalitaires. Force aveugle, la masse fonce dans l’histoire, — mais elle ne dévalera jamais que plus bas.

Que la prolétarisation des classes moyennes aboutisse au fascisme, et celle de la classe ouvrière au communisme, le même désespoir engendre la même démence : l’impuissance individuelle mène au culte de la puissance collective. Quand l’individu se tourne vers lui-même, il ne trouve qu’incertitude, vide et débilité ; mais quand il considère le monde qui le domine il voit triompher la force. Tout le dissuade de chercher l’autorité autant que le pouvoir en lui-même pour le tourner vers la puissance collective. Tandis que se dressent toujours plus haut des buildings, dans la fissure de la rue passe l’individu, perdu dans la foule, mais suivi par les contraintes de l’argent et de la loi comme par son ombre ; et sur lui s’effondrent guerres et révolutions qu’il ne peut que suivre. Alors, écrasé, il compense ses complexes d’infériorité individuelle par ses complexes de supériorité collective : celle de sa nation, de son parti ou de sa classe. La révolte de l’individu alimente ainsi les forces qui l’anéantissent.

C’est enfin, comme nous n’avons pas cessé de le voir, le développement de l’Etat qui a conduit à l’Etat totalitaire ; il ne fait que conclure une évolution qui tendait à substituer partout la loi à la nature et à l’initiative individuelle. Les démocraties modernes ont prétendu libérer l’individu de l’arbitraire du Prince ; mais à leur insu une force irrésistible les poussait à étendre le champ de son activité. La nature est imparfaite, et bien plus encore l’homme ; tandis que l’initiative individuelle, au prix des plus grands efforts, n’aboutit qu’à des résultats fragmentaires qui choquent l’esprit d’efficacité autant que la raison, la loi, du premier coup, obtient un résultat universel. […] Les médecins exigeront de l’Etat qu’il impose l’hygiène et les moralistes la vertu ; avec chaque catégorie sociale chaque règne apportera sa pierre à l’édifice, au hasard de ses préjugés. […] La loi ne se contente plus de sanctionner quelques crimes, c’est la masse des individus qu’elle contraint au bien dans leurs actes les plus quotidiens. La contrainte proliférante de la loi détruit la démocratie de l’intérieur, apportant le Bien aux hommes tout en atrophiant leur faculté à le faire. Et quelle perfection vaudrait de lui sacrifier la capacité de poursuivre ?

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Les facilités de la loi font oublier que, quelle que soit son origine, elle est en contradiction avec la liberté : son principe est l’obligation. Ce qu’elle définit, il est désormais interdit à l’homme de l’inventer ; ce qu’elle ordonne, il lui est interdit de le choisir. Peu à peu l’individu perd le sens de l’initiative et prend l’habitude d’attendre l’impulsion de la loi. S’il lui reste quelque esprit d’indépendance, il le dépense à critiquer l’inertie des pouvoirs publics. Veut-il ouvrir une école, fonder un orchestre, il demandera la subvention et l’autorisation de l’Etat ; — d’ailleurs comment pourrait-il faire autrement ? S’il n’y avait pas d’Etat, il n’y aurait, semble-t-il, ni travaux publics ni charité. L’action sur et par l’Etat résume en elle toutes les formes de l’action, la liberté de voter pour les partis toutes les libertés concrètes.

L’individu moderne perd le sens de l’être ; il ne s’intéresse plus au sujet, mais à l’objet. L’Etat lui paraît le moyen d’obtenir aux moindres frais ce résultat objectif- Pourquoi alors ne pas étendre à tout cette méthode ? Si par aliénation nous entendons le fait d’être à la fois dépossède et possédé. — d’abdiquer sa vie entre les mains d’un autre qui vous la vole pour l’en recevoir —, alors l’histoire actuelle n’est qu’un irrésistible processus d’aliénation où l’individu moderne transfère sa pensée et son action à l’Etat. A la fin seuls existent les Sports, les Beaux-Arts, la Propagande ; l’être humain n’est plus qu’une survivance encombrante dans l’énorme appareil dont il fut le prétexte. L’Etat totalitaire n’est pas autre chose qu’une concrétisation de la démission totale de l’homme.

Le sens de la vie individuelle étant défini par des conditions extérieures, et l’individu existant de moins en moins par lui-même, les tâches de l’Etat s’avèrent illimitées. Le Bien s’identifiant à l’utile et à la puissance, l’intensité de la vie se confond avec celle de la bataille politique : l’Etat succède à l’homme. A l’origine du régime totalitaire toutes les formes de la politisation, et surtout le fait que les individus ne s’interrogent même plus sur les problèmes qu’elle pose. […]

Cette liberté qui n’est plus dans le geste quotidien ne vit plus dans l’esprit quotidien ; elle peut survivre quelque temps dans le vocabulaire, elle n’est plus la puissance affective qui commande les mouvements des masses. Derrière la phraséologie libérale se forme spontanément une mentalité collective que l’on pourrait appeler pré-fasciste ou mieux pré-totalitaire, qui détruit la liberté de l’intérieur pour n’en laisser que des concepts vides.

Cet état d’esprit, comme la réalité qu’il traduit, n’est pas dans les articles des constitutions, mais dans la vie : dans la rue ou au comptoir ; il ne se manifeste pas dans les gros livres, mais dans les lieux communs des conversations banales. Celui qui veut la saisir l’atteindra dans la presse non-politique et dans le cinéma des pays sans propagande : dans Gringoire plutôt que dans Nietzsche et dans Ce Soir plutôt que dans Karl Marx. Toujours le plus bas possible, — encore mieux dans l’image que dans le texte. Cette mentalité n’exprime pas telle tendance, mais le monde actuel dans son ensemble. Ce n’est pas telle vague qui forme le rocher, mais l’usure de la mer ; ce n’est pas tel journal qui forme la mentalité pré-totalitaire, mais le journal, — et plus tard ce ne sera pas telle propagande, mais la Propagande qui pourra l’exploiter. Cette mentalité n’est pas celle de tel individu, elle appartient à une société : l’homme intelligent y succombera aussi bien que l’imbécile, seulement ce sera pour s’être jugé au-dessus d’elle, car ses constructions systématiques ne feront qu’organiser les lieux communs enracinés dans son subconscient. Et elle n’est pas le propre de tel parti ou de telle classe sociale ; mentalité moyenne, elle se réalise le plus parfaitement dans les classes moyennes. Cependant l’ouvrier de chez Renault et l’employé de banque, parce qu’ils vont voir les mêmes films, subiront l’empreinte des mêmes images. Ainsi en plein triomphe du libéralisme, débordant largement les limites du fascisme conscient, s’est constituée une mythologie pré-fasciste qui a été la base psychologique du fascisme dans les masses.

Bernard Charbonneau

Source : Le Partage, Bernard Charbonneau, 06-08-2016

Source: http://www.les-crises.fr/du-liberalisme-au-fascisme-le-developpement-totalitaire-de-la-civilisation-par-bernard-charbonneau/