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À la télé, il y a urgence à débattre du rétablissement de la torture “à la française”, par Samuel Gontier

Thursday 4 August 2016 at 01:30

Source : Télérama, Samuel Gontier, 17-06-2016

« La menace terroriste est au plus haut, des policiers ont été assassinés, l’Euro a débuté », énumère Ruth Elkrief, dont l’interlocuteur, Fabrice Angei, secrétaire confédéral de la CGT, répond en direct du siège de la centrale, à Montreuil, mercredi dernier. « Et néanmoins, vous ne considérez pas que votre mouvement contre la loi travail qui a commencé il y a QUATRE mois [c’est la présentatrice qui insiste] peut s’arrêter, se modérer, se reporter, par solidarité, par responsabilité ? » Mais non, le syndicaliste refuse catégoriquement de faire preuve de responsabilité, de solidarité avec les policiers et l’Euro assassinés. Alors même que les images accompagnant son scandaleux discours montrent clairement l’association de la CGT aux violences des casseurs :

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« Monsieur Angei, reprend la présentatrice de BFMTV, d’une patience infinie face au fanatisme de l’irresponsable syndicaliste, vous savez que quand des organisations syndicales prennent la responsabilité de manifestations, elles sont aussi responsables des dérapages. » « Dérapages », quel doux euphémisme pour désigner les attentats perpétrés par « les hordes de manifestants violents » repérés par Bernard Cazeneuve ! « Le préfet de police de Paris déclare qu’une petite partie des manifestants de la CGT ont eux-mêmes participé à des actes de violence, qu’il y a eu des formes de solidarité passive. » Si c’est le préfet qui le dit, rien ne sert de nier. D’ailleurs, un bandeau placé sous le syndicaliste avertit le téléspectateur de l’indécente ambigüité de ses propos :

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Ruth Elkrief poursuit la formulation de sa question-édito deux fois plus longue que le temps imparti aux réponses du syndicaliste afin d’atténuer la terreur qu’elles pourraient inspirer aux « Français » : « Vous savez combien les Français sont CHOQUÉS par ce qui s’est passé à l’hôpital Necker. Vous pourriez trouver d’autres formes d’expression. » Par exemple, défiler de 6 heures à 8 heures du matin entre Saint-Germain-de-Calberte et Saint-Martin-de-Lansuscle les derniers vendredis des mois de novembre des années bissextiles. « Vous ne pensez pas qu’aujourd’hui les Français vont beaucoup vous en vouloir de ce qui s’est passé ? » Comment le pourrait-il ? Il ne soucie absolument pas de ces « Français » dont Ruth Elkrief possède une connaissance intime.

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« Dernière question, vous savez bien que la CGT a fait des tracts contre la police, des tracts qui ont été DÉNONCÉS. » Par les Français (de Ruth Elkrief). « Il ne faut peut-être pas être étonné ensuite de voir qu’il y a au sein de vos cortèges des hommes effectivement identifiés qui s’en prennent aux policiers. » Parce qu’en plus ils sont « identifiés » ? Qu’attend-on pour les placer dans des centres de rétention ?« Policiers qui par ailleurs ont la responsabilité de nous protéger contre le terrorisme. » Mais la CGT les en empêche en organisant des manifestations depuis QUATRE mois.

« A un moment donné, on a l’impression qu’on ne vit pas dans le même pays : il y a des gens qui sont dans la rue qui tapent sur des policiers et puis il y a des policiers qui nous protègent. » Ces « gens » sont schizos : ils tapent sur les policiers qui les protègent avec tendresse, dévouement et grenades de désencerclement. « On n’est pas ensemble, on n’est pas dans le même pays ? » Moi, j’ai choisi, je veux vivre dans le pays de Ruth Elkrief.

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Terrifié par l’extrémisme radical du militant CGT, je me réfugie sur iTélé où se tient un opportun débat, « Faut-il interdire les manifestations ? », entre gens de raison – représentants de la droite modérée (Jean-Claude Dassier, de Valeurs Actuelles) et de la gauche de gouvernement (Françoise Degois). L’éditorialiste de Valeurs Actuelles soupçonne toutefois sa comparse d’avoir pactisé avec les ennemis de la République : « Ils ne viennent pas d’arriver sur le terrain parisien de la violence, vos amis les antifas ! »

« Arrêtez de dire “mes amis”, “les amis de la gauche”, se défend Françoise Degois. Vous ne pouvez pas prêter ce genre d’intention à un gouvernement quel qu’il soit ! »Tout de même, j’ai trouvé Manuel Valls bien indulgent avec les islamo-gauchistes ces derniers temps. Jean-Claude Dassier aussi : « Les antifas, les black blocks, tous ces gens-là, vous n’en avez pas arrêté un ! » « On a fait 43 interpellations », revendique Françoise Degois. « Oui, des interpellations. Mais ils sortent le soir même ! » Pour aussitôt incendier des voitures de police et saccager des hôpitaux pour enfants (de policiers tués).

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Jean-Claude Dassier prend du recul : « On les a vus sur le barrage de Sivens, ils font mener une vie insensée aux Nantais avec l’aéroport. A Rennes, violence permanente. A Nantes, violence permanente. A Paris, violence comme on n’en a jamais vu. » C’est vrai, en 1871, les communards ne brisaient pas les vitres des hôpitaux pédiatriques. « D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? On dit qu’il y a beaucoup d’étrangers. » Ceux de la cinquième colonne. « Pourtant, aucune reconduite à la frontière ! Y en a-t-il en prison ? Non !!! » Confrontée à l’évidence du laxisme gouvernemental, Françoise Degois bredouille timidement : « Nous sommes dans un Etat de droit. » « Ah oui, et vous n’avez jamais interdit des manifestations du mariage pour tous, peut-être ?! », rétorque Jean-Claude Dassier, conscient que le zèle répressif de la gauche s’exerce uniquement contre les rassemblements de fervents républicains.

« La France donne une image d’elle-même qui est pitoyable », résume l’éditorialiste, répondant catégoriquement à la question mise en débat par Laurence Ferrari : « Il faut jusqu’à la fin de l’Euro suspendre toute manifestation publique. »Et même jusqu’à la fin du Tour de France. Des JO. De la saison 2016-2017 du championnat de Ligue 1, de la Coupe du monde de foot au Qatar et de toute compétition sportive se déroulant avant la fin du XXIe siècle. « Je vous rappelle qu’on est en état de guerre, en état d’urgence ! On veut faire la fête de l’Euro et quand on est en état de guerre, on ne tolère pas n’importe quoi ! » On ne tolère que l’Euro, ça va de soi.

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Pour finir, Jean-Claude Dassier fait part de sa frayeur face au droit-de-l’hommisme revendiqué par notre Premier ministre mardi dernier à l’Assemblée. « Je reviens aux déclarations de Manuel Valls qui me traumatisent un peu. Nous n’échapperons pas à un débat sur l’ouverture de centres de rétention. Centres de rétention qui peuvent parfaitement fonctionner avec les centres de déradicalisation. » L’un ne va pas sans l’utre, il faut jouer la complémentarité. « On peut avancer là-dessus, convient Françoise Degois, le débat fait son chemin. »

Il me suffit de zapper sur France 5 pour constater que le débat fait du chemin et que je n’y échapperai pas. La première discussion de C à vous interroge en effet : « Faut-il un Guantánamo à la française ? » Le lendemain, iTélé renchérit au pluriel : « Des Guantánamo à la française ? » Pour ma part, je préférerais un Belzec à la française, c’est plus efficace et ça ne laisse pas de traces. A moins que nous ne nous reposions sur notre savoir-faire national : après tout, la gégène a déjà fait ses preuves sur les islamo-gauchistes du FLN.

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Ce jeudi, Olivier Galzi reçoit aussi Christophe Caresche, député PS de Paris. « Une députée britannique a été assassinée en pleine rue. Votre réaction ? » « Ce qui me frappe, c’est la violence du débat public en France comme en Grande-Bretagne. » De ce côté-ci de la Manche, on ne compte plus les tentatives d’assassinat de députés favorables à la loi El Khomri. « La violence, on en a beaucoup parlé en France aussi, rebondit judicieusement Olivier Galzi. On l’a vue en marge des manifestations contre la loi travail. François Hollande a même menacé d’interdire les manifestations. » Il a dû regarder Ruth Elkrief (ou Laurence Ferrari).

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« La question effectivement se pose, admet Christophe Caresche. Les événements de mardi ont été inacceptables. On voit de plus en plus de casseurs, huit cents selon le préfet de police. » Et si c’est le préfet qui le dit… « Organisés, déterminés, armés, avec la volonté de tuer. C’est aussi ce qu’a dit le préfet de police. » Cet homme est providentiel. Si la chaîne de télé interne à la Préfecture de police occupait toutes les fréquences hertiziennes, l’information gagnerait en objectivité et Ruth Elkrief pourrait y livrer ses éditos en tenue anti-émeute.

« Certains militants de la CGT ont participé aux gestes avec les casseurs, c’est ce que dit Manuel Valls, dit aussi Olivier Galzi. Il y a des photos, d’ailleurs, qui vont dans ce sens. On y voit des membres de la CGT qui jettent des pavés sur les CRS. »Ce n’est pas surprenant pour Christophe Caresche, selon qui « la CGT a depuis longtemps une attitude ambigüe au sujet de la violence ». Depuis longtemps et dès avant sa création : en 1891, à Fourmies, les CRS de l’époque avaient déjà été contraints d’utiliser les flash-balls de l’époque (des Lebel) pour tirer sur la foule de ses futurs militants et casseurs qui réclamait impudemment la journée de huit heures.

Christophe Caresche ne remonte pas si loin : « Ça a commencé avec Air France et la tentative de lynchage de deux responsables d’Air France. » « Lynchage », le mot paraît faible. Ne faudrait-il pas plutôt parler de tentative d’assassinat ? J’en suis à ces réflexions sémantiques quand un nouveau militant masqué de la CGT apparaît dans le dos d’Olivier Galzi :

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Horreur ! C’est le même casseur que celui qui lance son projectile en boucle sur BFMTV ! Preuve que les islamo-gauchistes sont partout infiltrés. Pour me rassurer, je me rappelle la réaction de Jean-Claude Dassier au salut de Laurence Ferrari qui, ravie, congédiait ses invités : « Merci à tous les deux pour ce débat enflammé. » « La situation l’exige, le commande ! » Oui, la situation commande que la télé fasse la promotion du fascisme.

Source : Télérama, Samuel Gontier, 17-06-2016

Source: http://www.les-crises.fr/a-la-tele-il-y-a-urgence-a-debattre-du-retablissement-de-la-torture-a-la-francaise-par-samuel-gontier/


Comment la CIA est devenue incontrôlable, par Yochi Dreazen et Sean D. Naylor

Thursday 4 August 2016 at 00:30

Source : Slate, Yochi Dreazen, Sean D. Naylor, 17.08.2015

Yochi Dreazen et Sean D. Naylor

Traduit par Yann Champion

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Des frappes de drones à la torture de prisonniers, l’agence tire les ficelles de la politique extérieure américaine depuis le 11 septembre 2001. Et il y a fort à parier qu’elle continuera de le faire dans les années à venir.

Dennis Blair n’était pas content. En mai 2009, cet ancien amiral de la marine américaine officiait en tant que directeur du renseignement national (DNI). En théorie, ce titre lui donnait le contrôle sur la CIA et les seize autres agences de renseignement de Washington. Mais en réalité, il était impuissant, même pour désigner le senior spy, «premier espion» d’un pays donné (un titre qui, durant des décennies, revenait traditionnellement aux «chefs de station» de la CIA dans différentes capitales, de Londres à Beyrouth). Blair se sentant habilité à le faire, il envoya –sans consulter la Maison Blanche– un ordre écrit annonçant que le DNI serait désormais celui qui désignerait la plupart des senior spies. Mais ce n’était pas le changement le plus important: la personne choisie pouvait désormais provenir de n’importe quelle agence de renseignement américaine. Blair eut beau affirmer qu’il s’agirait presque toujours d’un membre de la CIA, cela n’eut pas l’heur de plaire au directeur de l’époque de la CIA, Leon Panetta, qui répondit en envoyant un message à tous ses bureaux à l’étranger leur demandant d’ignorer complètement la note.

Les médias évoquèrent une guerre de clochers. Si c’en était une, elle était bien inégalitaire: le bureau de Blair était totalement impuissant, balayé d’un revers de la main par une CIA s’accrochant à son propre pouvoir.

Quelques mois plus tard, alors que les quatre années du premier mandat tumultueux de Barack Obama touchaient à leur fin, Blair y vit une nouvelle occasion de réaffirmer les prérogatives de son bureau, écrit le journaliste Mark Mazzetti dans The Way of the Knife, un récit détaillé de cette période. Ayant hérité de George W. Bush plusieurs dossiers hautement confidentiels au sujet d’opérations secrètes, Obama avait voulu tous les passer en revue un par un. Les dossiers en question impliquaient notamment des activités de la CIA visant à freiner le programme nucléaire iranien et l’utilisation de drones pour tuer des activistes au Pakistan. Une fois de plus, l’absence d’autorité de Blair apparaissait de manière évidente: le DNI, tel que l’avait défini la législation de 2004 à l’origine de la fonction, devait servir de point de convergence entre les services de renseignement et le gouvernement américain. Il avait son mot à dire sur les questions budgétaires, mais n’avait aucun pouvoir sur les missions secrètes à l’étranger.

Blair n’aimait pas que la CIA soit en liaison directe avec la Maison Blanche pour les missions secrètes de ce genre. À ses yeux, les programmes de ce type pouvaient facilement aller au-delà de leur but initial et servir de solutions dangereusement faciles –et tentantes– à des dirigeants ne sachant plus trop comment gérer des sujets aussi complexes que, par exemple, la question de l’Iran. Blair souhaitait que chaque programme soit pleinement étudié et débattu par les membres du Congrès avant que ne soit prise la décision finale de le poursuivre, de le modifier, voire de l’abandonner. Panetta, qui ne l’entendait pas de cette oreille, rétorqua que toute tentative d’imposer des guides ou des procédures formelles à la CIA ne ferait que nuire à l’efficacité de ses programmes. Une fois que tout fut dit, au printemps 2009, le gouvernement accepta officiellement tous les programmes de la CIA à l’étranger, ouvrant la voie à un véritable déluge de financements (en 2013, par exemple, l’agence a réclamé pas moins de 14,7 milliards de dollars de budget, soit une augmentation conséquente par rapport aux 4,8 milliards qu’elle avait reçus en 1994, à en croire le Washington Post et les documents révélés par Edward Snowden).

À la même période, en demandant à la Maison-Blanche d’accroître de manière significative la guerre secrète menée par la CIA contre al-Qaïda et ses alliés, Panetta pensait pouvoir obtenir cinq des dix choses qu’il réclamait, a écrit Daniel Klaidman dans Kill or Capture. Au lieu de cela, il les obtint toutes, d’après Mazzetti, y compris des budgets pour acheter plus de drones armés et l’autorisation explicite de les utiliser dans des zones du Pakistan plus vastes qu’auparavant: «La CIA obtient tout ce qu’elle veut», aurait sèchement dit Obama à ses conseillers. Sept mois plus tard, Blair était poliment dirigé vers la sortie.

Depuis sa création en 1947, la CIA a peu à peu délaissé sa fonction première –l’espionnage de gouvernements étrangers– pour se consacrer de plus en plus à la traque et à l’assassinat de personnes ciblées dans un nombre grandissant de pays. On sait depuis un moment déjà que l’importance et l’influence croissantes de l’agence dans le combat contre-terroriste reflètent son habileté à traquer les ennemis des États-Unis à l’étranger, du Pakistan au Yémen. Il est en revanche plus surprenant de constater que la CIA est aussi devenue experte dans l’art de se sortir des scandales publics et de contrer aussi bien le DNI que ses adversaires politiques à la Maison Blanche, au Congrès, au ministère de la Défense ou dans le reste de la communauté du renseignement. Par ses machinations, la CIA a réussi à affaiblir, voire éliminer, les contrepoids les plus importants à son propre pouvoir.

Cette puissance et cette autonomie accordée à la CIA ont eu, à n’en pas douter, des répercussions importantes au niveau mondial. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, une part importante de ce que le monde associe à la politique extérieure américaine –des frappes aériennes de drones au Moyen-Orient au réseau de prisons secrètes, en passant par les tortures sur son propre territoire– trouve son origine à Langley, où se situe le siège de l’agence. Et compte tenu de la prédominance actuelle de la CIA, elle semble destinée à garder un rôle disproportionné dans la manière dont les États-Unis agissent et sont perçus à l’étranger. Étant à l’avant-poste de la nouvelle guerre qui se profile au Moyen-Orient, il y a fort à parier que sa primauté sera à nouveau mise à l’épreuve.

Aujourd’hui, la CIA est le fer de lance des efforts du gouvernement américain pour repousser l’État islamique, qui contrôle de vastes portions des territoires irakien et syrien. Dans de petites bases le long des frontières turque et jordanienne, des officiers de la CIA ont participé au recrutement et à la formation des membres de l’opposition syrienne dite modérée afin qu’ils puissent vaincre l’État islamique et, finalement, déloger de Damas le régime du président syrien Bachar el-Assad. En outre, la CIA s’est chargée de faire passer des armes et autres fournitures aux rebelles. Pendant ce temps, le Pentagone, qui dépasse de loin la CIA par sa taille, par ses ressources et par le soutien qu’il reçoit du Congrès, a envoyé ses forces spéciales dans la région pour mener quasiment les mêmes missions de formation et d’entraînement. Mais si les deux piliers de la sécurité nationale devaient entrer en conflit à propos de l’Irak et de la Syrie, on aurait tort de croire que la CIA risquerait d’être perdante. En effet, depuis le début de la guerre contre le terrorisme, il y a quatorze longues années, elle n’a cessé de remporter ce type de batailles.

Un drone Predator dans le ciel yéménite

Au printemps 2002, un drone Predator volant silencieusement dans le ciel yéménite observa un gros 4×4 sur un chemin de terre d’une région très peu peuplée de ce pays pauvre. Les techniciens en charge de la surveillance des vidéos du drone avertirent le directeur de la CIA de l’époque, George Tenet, qui supervisait les efforts pour retrouver Qaed Salim Sinan al-Harethi, le commandant d’al-Qaïda au Yémen, suspecté d’être à l’origine de l’attentat d’octobre 2000 contre l’USS Cole, qui tua dix-sept marins et en blessa des dizaines d’autres. La CIA semblait enfin tenir le terroriste. Tenet contacta le lieutenant général Michael DeLong, un haut officier du commandement central des forces américaines, et lui demanda de décider quoi faire. Dans une interview accordée à l’émission Frontline de PBS, DeLong s’est ensuite souvenu avoir entendu Tenet déclarer: «Ce 4X4… c’est là qu’il se trouve.» «Ok, c’est bon, vous pouvez le descendre», lui aurait-il répondu.

Tenet transféra l’ordre et le drone envoya un missile Hellfire vers le véhicule, qui fut pulvérisé. La frappe tua Harethi, ainsi que plusieurs activistes de rang inférieur. Premier assassinat confirmé, par un drone de la CIA, d’un terroriste recherché, l’évènement constitua un tournant dans l’étonnante mutation de l’agence, passée de «service d’espionnage traditionnel s’adonnant au vol de secrets de gouvernements étrangers», comme le décrit Mazzetti, à une «machine à tuer, un organisme entièrement dédié à la chasse à l’homme».

Le siège de la CIA à Langley (via Wikimedia Commons).

Le siège de la CIA à Langley (via Wikimedia Commons).

Cet assassinat ciblé n’entraîna aucune contestation ni aucun véritable examen de conscience au sein de la CIA. Au contraire, l’agence semblait de plus en plus à l’aise pour éliminer les ennemis des États-Unis à travers le monde. En 2004, elle s’engagea encore plus intensément dans les assassinats en engageant des professionnels extérieurs en liens avec Blackwater (société de mercenaires devenue tristement célèbre suite à divers abus en Irak) pour tuer des activistes sur le terrain. En juin 2009, Panetta informa le Congrès de l’existence de ce programme secret en ajoutant qu’il y avait mis fin rapidement après avoir pris la tête de l’agence, plus tôt dans la même année. Il déclara que les professionnels en question n’avaient tué personne –ce que confirmèrent plusieurs autres représentants de l’agence– mais cela ne put suffire à calmer la colère des parlementaires, furieux que la CIA ait pu effectivement recruter des mercenaires pour tuer des ennemis, sans véritable contrôle du gouvernement.

L’assassinat d’Harethi constitua un changement profond dans la politique de l’agence. Ce fut sans doute même un véritable bouleversement pour nombre d’anciens de la CIA, qui avaient été formés dans les années faisant directement suite aux auditions de 1975 par la commission conduite par le Démocrate de l’Idaho Frank Church, qui avait décrit en détail les tentatives avortées de la CIA visant des leaders étrangers. L’année suivante, Gerald Ford, le président de l’époque, signa l’ordre exécutif 11905, qui interdit à la CIA de s’engager dans des assassinats politiques où que ce soit dans le monde.

Néanmoins, la CIA renoua avec force avec les assassinats suite aux attentats du 11 septembre 2001, Bush et Obama faisant des drones leur arme de choix dans la chasse à l’homme menée contre les ennemis des États-Unis à travers le monde. Les représentants de la Maison Blanche et de la CIA affirment que ces véhicules sans équipage permettent un niveau de précision historiquement élevé, qui permet de faire très peu de victimes civiles. Les groupes de défense des droits humains, en revanche, ont rassemblé un nombre conséquent de preuves pour dire que les frappes ont tué des centaines de personnes innocentes.

Rien qu’au Pakistan, le Bureau of Investigative Journalism estime que les drones de la CIA ont tué pas moins de 960 civils, dont 207 enfants, entre juin 2004 et avril 2015. Le gouvernement américain, qui s’est même servi de drones contre ses propres ressortissants, ne doute pas, en revanche, de la valeur de ces appareils. «Des dizaines de dangereux chefs, formateurs, fabricants de bombes et autres hommes d’al-Qaïda ont été éradiqués du champ de bataille, a déclaré Obama en mai 2013, lors d’un long discours à propos du programme. Des projets terroristes ont été déjoués. Ils visaient des vols internationaux, les systèmes de transports américains, des villes européennes et nos troupes en Afghanistan. Pour le dire plus simplement, ces frappes ont sauvé des vies.»

La CIA avait proposé il y a fort longtemps d’utiliser les drones Predator armés auxquels Obama faisait référence –ce qui montre bien que l’agence travaillait déjà sur le contre-terrorisme bien avant que cela ne devienne la priorité de Washington. Après avoir créé son Counterterrorist Center (centre de contre-terrorisme, plus tard renommé Counterterrorism Center) en 1986, la CIA a affecté une équipe à la seule traque d’Oussama ben Laden en 1996 et, comme le dit George Tenet, alors directeur de l’agence, a déclaré «la guerre» à al-Qaïda dès 1998. «Ce n’est pas le ministre de la Défense [qui l’a déclarée], explique Hank Crumpton, qui a eu une longue carrière à la CIA avant de devenir le coordinateur du contre-terrorisme au Département d’État. Ni le directeur du FBI, ni qui que ce soit dans la communauté du renseignement n’a endossé ce type de leadership.»

L’abondance de moyens consacrés par la CIA au contre-terrorisme a rendu son incapacité à détecter ou prévenir les attentats du 11 septembre 2001 encore plus retentissante. Suite aux attentats, le gouvernement américain a créé une commission bipartisane de dix spécialistes de Washington pour examiner les circonstances du désastre et recommander des manières de réduire les risques d’autres attentats. Dans son rapport, publié en 2004, la commission fustigeait la CIA pour ne pas être parvenue à pister deux des terroristes potentiels, Khalid al-Midhar et Nawaq Alhazmi, et pour ne pas avoir «informé le FBI du visa américain de l’un des futurs terroristes, ni du voyage aux États-Unis de son acolyte». Un autre rapport, rédigé par une commission d’enquête composée de membres du Sénat et de la Chambre des représentants, permit de découvrir que la CIA savait que les deux hommes étaient en lien avec le terrorisme international, mais qu’elle n’avait transmis l’information au FBI que quelques semaines avant les attentats. Comme le découvrit la commission, ce retard fit que le FBI fut incapable de profiter du fait que l’un de ses informateurs était en relation avec l’un des terroristes. «Les contacts de l’informateur avec les terroristes, s’ils avaient été exploités, auraient fourni au FBI de San Diego ce qui aurait sans doute été la meilleure chance de la communauté du renseignement de tuer dans l’œuf le projet 11-Septembre», concluait le rapport de la commission.

La CIA s’est aussi trompée en beauté à propos de l’arsenal supposé d’armes de destruction massive de Saddam Hussein, une erreur cataclysmique qui a ouvert la voie à la guerre en Irak et a entaché la réputation de l’agence de manière indélébile. Plus récemment, on l’a accusée de n’avoir su totalement prévoir la montée de l’État islamique ou les projets russes d’invasion et d’annexion de la Crimée. Obama lui-même a semblé adresser des reproches à la CIA et aux autres agences de renseignement quand, fin 2014, il a dit que la communauté du renseignement avait, de manière collective, «sous-estimé» à quel point le chaos syrien entraînerait l’émergence de l’État islamique. La CIA et ses défenseurs insistent sur le fait que l’agence avait envoyé très tôt des avertissements tant sur les islamistes que sur Vladimir Poutine, avertissements que la Maison Blanche avait ignorés.

«Les mêmes personnes que celles avec qui elles allaient à la fac»

Grâce à plusieurs avantages bureaucratiques, la CIA a réussi à avoir un temps d’avance sur ses détracteurs et ses rivaux de la communauté du renseignement. Le DNI, position qu’occupait Blair lors de sa vaine bataille contre l’agence, n’a pas l’autorité nécessaire pour recruter ou renvoyer un directeur de la CIA; c’est une prérogative qui revient au Président. Par conséquent, les différents directeurs qui se sont succédé à la tête de la CIA ont été en relation plus directe avec ce dernier qu’avec leur propre supérieur hiérarchique, ce qui a souvent permis aux chefs de l’agence de court-circuiter le DNI en toute impunité. Et si le poste de DNI existe depuis à peine une décennie, la tradition qu’a la CIA d’entretenir des liens étroits avec la Maison Blanche et d’autres représentants du pouvoir à Washington remonte à ses origines.

En effet, si l’agence a depuis longtemps accès à d’autres centres d’influence à Washington, c’est parce qu’une grande partie de son personnel a été façonnée pour adhérer à la «structure politique américaine tendance Ivy League», à en croire un ancien analyste de la Defense Intelligence Agency (DIA), l’une des agences rivales de la CIA dans la vaste sphère du renseignement aux États-Unis. Pour les représentants de la Maison Blanche aussi bien que pour les députés les plus influents, «les personnes à la tête de la CIA ont toujours été du même type que celles avec qui elles allaient à la fac», a en croire ce spécialiste, qui tient à rester anonyme. De l’époque Eisenhower, où l’agence était dirigée par Allen Dulles (un ancien de Princeton), en passant par celle de Ford, durant laquelle la CIA avait à sa tête le futur président George H.W. Bush, un ancien de Yale, pour finir par celle d’Obama et de David Petraeus (un autre ancien de Princeton), le carnet d’adresses hérité de l’Ivy League est un atout de poids pour les cadres de la CIA.

Avec Obama, un record d’intimité a même été battu: John Brennan, le directeur actuel de la CIA, était l’un de ses principaux conseillers sur le renseignement et le contre-terrorisme durant la campagne présidentielle de 2008 et il a travaillé à la Maison-Blanche pas moins de quatre années en tant qu’assistant du Président pour les questions de sécurité intérieure et de contre-terrorisme. «Personne, dans le monde américain du renseignement, n’a jamais eu le type d’accès ou de soutien politique dont Brennan peut bénéficier», déclare l’ancien analyste de la DIA. «Maintenant, est-ce que ça va continuer comme ça? Le prochain directeur jouira-t-il du même soutien? Sans doute pas, mais il est certain que c’est le cas de Brennan.»

Lorsque Brennan a été nommé à la tête de l’agence en 2013, Obama avait entamé son second mandat et il avait compris l’importance de la CIA. John McLaughlin, qui avait été sous-directeur de l’agence avant de devenir son directeur attitré en 2004, y a passé des décennies et a travaillé pour des présidents des deux camps. Il nous affirme qu’Obama, comme de nombreux autres présidents américains avant lui, avait peu conscience de ce que fait, ou de ce que peut faire, la CIA avant d’entrer en fonction:

«Je ne pense pas qu’il ait abordé son mandat en étant hostile à la CIA, mais je pense qu’il est arrivé en s’intéressant avant tout aux affaires intérieures et qu’il a découvert par la suite que la politique extérieure allait prendre dans son mandat une place plus importante qu’il ne l’aurait pensé. C’est à ce moment qu’il a réalisé que la CIA faisait partie de sa boîte à outils et qu’il avait tout intérêt à l’utiliser.»

C’est sans doute le plus gros avantage de la CIA: elle n’a, concrètement, de comptes à rendre à personne si ce n’est au président des États-Unis. Le DIA, en charge de la collecte et de l’analyse du renseignement militaire, travaille pour le Pentagone; le FBI, qui joue un rôle clé en matière de contre-espionnage et d’antiterrorisme, dépend du ministère de la Justice; et le Bureau of Intelligence and Research, en charge de s’assurer que les services de renseignement soutiennent la diplomatie américaine, répond du Département d’État. Même la célèbre NSA, qui constitue, de loin, la partie la plus importante et la mieux financée de la communauté du renseignement aux États-Unis fait, techniquement, partie du Pentagone. Ce n’est pas le cas de la CIA. D’après Hank Crumpton, l’ancien de la CIA, il en résulte «une autorité sans précédent pour les missions secrètes… dans une guerre secrète».

Dure bataille

La CIA a dû batailler dur pour conserver ce pouvoir, même si cela a parfois impliqué de s’opposer à d’autres membres de la communauté du renseignement.

Au printemps 2012, la DIA a dévoilé un projet ambitieux visant à étendre son petit contingent d’espions, baptisé Defense Clandestine Service (DCS). Le lieutenant général Michael Flynn, qui prit la direction de la DIA en été de la même année, fit du projet une priorité absolue. En particulier, il souligna l’importance qu’il y avait à augmenter le nombre d’officiers déployés dans les zones de guerre actuelles ou potentielles afin de collecter des renseignements sur les priorités défensives, comme, par exemple, savoir quelles bases aériennes l’armée américaine pourrait utiliser en cas de crise.

L’idée fut contestée dès le départ, certains représentants de la CIA allant jusqu’à travailler activement au blocage de ce qu’ils voyaient comme un rival potentiel au National Clandestine Service (NCS) de l’agence. Anciennement baptisé Directorate of Operations (un nom que Brennan est en train de ressusciter), le NCS est le bras de la CIA consacré au renseignement humain; il vise à dérober des secrets d’importance stratégique aux organisations et gouvernements étrangers. C’est le cœur de métier de la CIA, la base de sa réputation auprès du public. Aussi, l’agence voit d’un mauvais œil toute tentative du Pentagone pouvant s’apparenter à de la concurrence. «La CIA est très chatouilleuse là-dessus, déclare Joseph DeTrani, un officier retraité de l’agence, qui a jadis officié en tant que consultant senior auprès du DNI. Le côté humain de la chose, c’est leur avantage par rapport aux autres.»

Les porte-parole de la CIA nient que l’agence ait essayé d’empêcher la création du nouveau service d’espionnage du Pentagone. Au contraire, d’après eux, la CIA y avait vu une chance de pouvoir répartir la collecte et l’analyse des flux bruts de renseignements sur les ennemis des États-Unis. Pourtant, plusieurs représentants du département d’État, retraités ou encore en poste, affirment que plusieurs membres de la CIA se sont farouchement opposés à la création du DCS, craignant un possible double emploi entre les deux agences. Flynn dut faire face à une importante opposition au sein de sa propre agence mais «il avait encore plus de détracteurs et d’ennemis en dehors, notamment dans l’autre agence à trois lettres, qui ne pensaient pas que la DIA ait besoin de voir augmenter ses prérogatives en la matière, d’après un employé du ministère de la Défense travaillant en lien étroit avec la DIA. Il y avait constamment des frictions.»

Dans cette bataille rangée, l’une des armes les plus efficaces était le contrôle de la CIA sur d’autres organes moins connus de la bureaucratie gouvernementale. Le projet de Flynn d’envoyer des espions supplémentaires à l’étranger aurait dû être suivi d’une augmentation de postes dans les ambassades américaines, où le DCS aurait pu placer ses agents sous couverture. Le Département d’État impose des limites strictes sur le nombre de ces postes diplomatiques et la CIA a la mainmise sur les postes déjà existants. Bien que ni le Département d’État, ni Langley n’aient officiellement rejeté la demande de la DIA, la lenteur de leur réponse fut un «important élément limitatif», déclare un ancien fonctionnaire du Département d’État.

Ce genre d’affrontements n’a rien de nouveau entre les deux agences, bien que la CIA ait souvent l’avantage en raison du grand nombre de ses anciens placés aux positions clés du gouvernement américain. Deux anciens directeurs de l’agence, Robert Gates et Leon Panetta, sont devenus secrétaires de la Défense après avoir quitté sa tête. Michael Vickers, autre ancien de l’agence qui aurait joué un rôle clé dans les missions secrètes de la CIA en Afghanistan dans les années 1980, a été assistant secrétaire à la Défense pour les opérations spéciales et les conflits de basse intensité de 2007 à 2011, avant d’être nommé sous-secrétaire d’État au renseignement, numéro trois du Pentagone, un poste qui lui donne autorité sur toutes les agences et tous les programmes de renseignements du Pentagone. (Vickers est parti à la retraite fin avril.) L’adjoint civil de Flynn à la DIA, David Shedd, était aussi un ancien de la CIA, tout comme son successeur, Doug Wise.

Michael Flynn partit brusquement à la retraite en août 2014. Moins de six mois plus tard, Vincent Stewart, lieutenant général des Marines, prenait les rênes de la DIA. En mars de la même année, Stewart briefait un groupe d’anciens membres de la communauté du renseignement sur les principales priorités de son mandat de directeur: «regagner» le Congrès, façonner de futurs leaders et améliorer la qualité générale du personnel de la DIA. Il ne parla pas du Defense Clandestine Service.

«De graves craintes au sujet de la CIA»

Par une journée étonnamment belle et chaude de mars 2014, la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, alors présidente du Senate Intelligence Committee (Commission sénatoriale dédiée à la surveillance de la communauté du renseignement), s’est avancée sur une estrade en bois dans le bâtiment du Sénat, a jeté un œil à ses notes et s’est mise à proférer une série d’accusations incroyables contre la CIA. L’agence de renseignement, a-t-elle affirmé, avait violé la loi en fouillant les ordinateurs d’employés du Sénat participant depuis plusieurs années à une enquête sur la détention et les tortures subies par des personnes soupçonnées de terrorisme durant le mandat de Bush Jr.

Dianne Feinstein, le 11 mars 2014. REUTERS/Jonathan Ernst

Dianne Feinstein, le 11 mars 2014.
REUTERS/Jonathan Ernst

«J’ai de graves craintes au sujet de la CIA, qui pourrait avoir enfreint les principes de séparation des pouvoirs inscrits dans la Constitution des États-Unis d’Amérique, a-t-elle lancé. Cela pourrait avoir porté atteinte au cadre constitutionnel essentiel à une bonne surveillance par le Congrès des activités de renseignement ou de toute autre tâche gouvernementale.»

D’autres démocrates influents ont porté des accusations similaires –Patrick Leahy, sénateur du Vermont, alors président du Comité judiciaire du Sénat, a dit que ces allégations avaient de «sérieuses implications constitutionnelles»– mais ce sont celles de Feinstein qui ont fait le plus de bruit, que ce soit à l’extérieur ou au sein même de la CIA, car la sénatrice a longtemps été considérée comme l’un des plus farouches soutiens de la communauté du renseignement. En 2013, lorsque les premières révélations de Snowden ont été publiées dans les médias, elle avait écrit une tribune dans USA Today affirmant que l’immense collecte d’informations de la NSA faite lors d’écoutes téléphoniques de centaines de millions d’Américains lambda était à la fois «légale» et «un moyen efficace d’empêcher des complots terroristes contre les États-Unis et leurs alliés». Feinstein a aussi vigoureusement soutenu l’utilisation de drones par la CIA pour tuer des personnes suspectées de terrorisme (y compris certaines de nationalité américaine), sans aucune forme de procès ni aucune information sur les activités présumées qui les avaient mises dans le collimateur de l’agence.

La raison de ce revirement est digne d’un scénario de film d’espionnage et résulte d’une suite d’évènements ayant mis à mal une relation de plus de quarante ans entre la CIA et ses «contrôleurs» de Capitol Hill. En 2009, les enquêteurs du Sénat se sont lancés dans une enquête de plus de cinq ans dont est sorti un rapport de 6.000 pages sur les politiques de détention et d’interrogation de l’ère Bush, avec notamment des techniques barbares comme le waterboarding, qu’Obama lui-même a clairement qualifié de torture. Pour mener ces investigations, les enquêteurs devaient utiliser des ordinateurs fournis par la CIA, dans un local de l’agence, dans le nord de la Virginie. Dans son discours-fleuve, Feinstein a accusé la CIA d’avoir illégalement fouillé les ordinateurs des employés qui examinaient les millions de documents hautement confidentiels. Elle a soutenu que ces agissements constituaient une violation potentielle du quatrième amendement de la Constitution –qui protège contre «les enquêtes et les saisies indues»–, du Computer Fraud and Abuse Act (loi sur les fraudes et infractions dans le domaine informatique), une loi de 1986 qui fait de l’intrusion dans les ordinateurs du gouvernement sans autorisation un crime fédéral, ainsi que du décret présidentiel 12333, qui interdit à la CIA de mener des missions de surveillance intérieure.

Les représentants de l’agence, pour leur part, lancèrent aussi plusieurs accusations étonnantes. Ils reprochèrent en effet aux enquêteurs du Sénat d’avoir retiré illégalement plusieurs documents classés qui n’entraient pas dans le champ de l’enquête initiale du Congrès et qui étaient protégés par le «privilège de l’exécutif» (executive privilege). La CIA transmit ces allégations au département de la Justice et le FBI ouvrit une enquête sur les activités des enquêteurs. Pour Brennan, les allégations de Feinstein étaient «mensongères»et «totalement infondées». Feinstein demanda au département de la Justice d’ouvrir une enquête pour savoir si la CIA avait ou non enfreint la loi. En juillet 2014, Brennan finit par admettre que, comme Feinstein l’avait dit, son personnel s’était en effet introduit dans les ordinateurs des enquêteurs sénatoriaux.

Mais le véritable feu d’artifice eut lieu lorsque la Maison Blanche fit une dernière tentative pour limiter l’impact du futur rapport sur les tortures. Montrant clairement sa volonté de défendre l’agence, Obama demanda à Denis McDonough, son chef de cabinet, de prendre l’avion jusqu’à San Francisco afin de prier personnellement Feinstein d’amender d’importantes parties de son rapport. Elle consentit à faire quelques modifications de dernière minute pour faire plaisir à la Maison-Blanche, mais refusa ses autres demandes et fit publier le résumé non confidentiel de son rapport début décembre. Les agissements que les enquêteurs du Sénat avaient découverts étaient, selon elle, «une tache sur les valeurs [des États-Unis] et sur [leur] histoire».

Avalance de détails horribles

Page après page, dans une avalanche de détails particulièrement horribles, le rapport accusait la CIA d’avoir torturé des prisonniers et d’avoir systématiquement trompé le gouvernement Bush, le Congrès et le public à propos de la valeur des renseignements obtenus suite à ces brutalités (les agents menaçaient, entre autres, de violer et de tuer les mères des détenus et procédèrent de force à une «alimentation rectale» sur certains prisonniers). Dans une des sections, le rapport expliquait comment, entre fin 2002 et début 2003, un agent de la CIA qui interrogeait Abd al-Rahim al-Nashiri, un détenu suspecté d’appartenir à al-Qaïda, l’avait menacé avec une perceuse électrique. Dans une autre partie, le rapport arrivait à la conclusion que la CIA avait menti en 2011 lorsqu’elle avait affirmé que les violents interrogatoires des prisonniers d’al-Qaïda avaient permis d’obtenir des informations qui lui avaient permis de retrouver et de tuer ben Laden. En effet, le rapport indiquait que les renseignements avaient été obtenus avant même que les prisonniers soient torturés. Dans les jours qui suivirent la publication du rapport, la CIA convoqua les journalistes à Langley pour une très rare conférence de presse avec Brennan.

Le directeur de la CIA fit quelques concessions. Il désavoua le système de l’après 11-Septembre, qui permettait de détenir et d’interroger sans pitié toute personne suspectée de terrorisme. Il affirma même que certaines méthodes d’interrogatoire étaient «odieuses». Néanmoins, il irrita de nombreux élus démocrates en refusant de reprendre la terminologie d’Obama et d’admettre que l’agence avait utilisé la «torture». Il déclara également qu’il n’existait aucune loi interdisant de manière explicite ce que le personnel de l’agence avait fait aux personnes sous leur garde, ce qui signifiait qu’un futur Président pourrait de nouveau ordonner de procéder à des brutalités sur des détenus si il ou elle le décidait.

Ces commentaires déclenchèrent la colère de Feinstein, qui se tourna vers Twitter –alors que Brennan était encore en train de parler– pour contester en temps réel chaque point de son discours. «Le futur président pourrait inverser l’ordre de l’exécutif, réintroduire le programme [de techniques d’interrogatoire renforcé]. Un dispositif législatif est nécessaire», écrivit-elle dans un tweet.

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Moins de trois semaines plus tard, Feinstein envoya une lettre à Obama en précisant son intention de présenter un dispositif législatif qui pourrait, pour reprendre ses mots, «combler toutes les failles sur l’usage de la torture» en interdisant à la CIA les longues détentions de prisonniers et en empêchant le personnel de l’agence d’utiliser des méthodes d’interrogatoire non incluses dans le manuel des armées. L’utilisation de techniques d’interrogatoire sauvages comme le waterboarding serait considérée comme une violation de la loi américaine et non plus comme un outil que le Président pourrait simplement autoriser par décret.

Le fait que Feinstein ressente le besoin de rédiger un tel dispositif (voté par le Sénat en juin,mais pas encore par la Chambre des représentants) est un autre signe qui prouve qu’Obama est prêt à accepter les abus commis par la CIA durant l’ère Bush, alors qu’il avait promis d’y mettre un terme en prenant ses fonctions. Brennan, par ailleurs, reste en poste. «[Obama] est le seul à pouvoir me demander de rester ou de partir», a-t-il déclaré en mars 2014. Pour tout dire, le chef de la CIA a endossé un rôle encore plus public en incarnant les tentatives du gouvernement de vendre ses négociations controversées sur le nucléaire avec l’Iran à des législateurs sceptiques et de se défendre contre les critiques qui affirment que le gouvernement ne possède pas de stratégie pour battre l’État islamique.

Feinstein a perdu son poste à la tête de la Commission sénatoriale dédiée à la surveillance de la communauté du renseignement lorsque les Républicains ont remporté les élections de mi-mandat, en 2014, et gagné la majorité au Sénat. Le nouveau directeur de la commission, le Républicain de Caroline du Nord Richard Burr, a affirmé que la CIA n’avait pas été, ces dernières années, l’objet d’une attention publique trop faible, mais plutôt trop importante. «Je ne crois personnellement pas que ce qui se passe dans la Commission sur le renseignement doive jamais faire l’objet de débats publics», a-t-il soutenu devant des journalistes en 2014. Il a déjà mis sa déclaration en pratique: l’une de ses premières décisions, une fois à la tête de la Commission, a été d’écrire à Barack Obama une lettre lui demandant à ce que tous les exemplaires du rapport complet sur les tortures que Feinstein avait envoyé aux diverses agences de l’organe exécutif soient «immédiatement renvoyés». Des experts du privé pensent que Burr agit à la demande de la CIA, qui voudrait s’assurer que les rapports ne seront jamais rendus publics dans le cadre du Freedom of Information Act. Une preuve de plus, pour reprendre les mots d’Obama, que la CIA obtient tout ce qu’elle veut.

Source: http://www.les-crises.fr/comment-la-cia-est-devenue-incontrolable-par-yochi-dreazen-et-sean-d-naylor/


Une idéologie à la source de nos problèmes : le néolibéralisme (The Guardian)

Thursday 4 August 2016 at 00:01

Source : Linkis, George, Monbiot, 16-06-2016

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Des économistes du FMI se demandaient récemment si le néolibéralisme n’avait pas été surestimé (voir leur texte ici). Leur texte était – évidemment – plein de précautions. Celui traduit ci-dessous n’en comporte aucune. Il est assez saisissant de se dire qu’il provient du Guardian britannique
L’intérêt du texte, mais plus encore la liberté du ton méritait une mise à disposition en français. La voici. 
***
Texte de George Monbiot traduit par Monique Plaza
 
Imaginez que  le peuple  de l’Union soviétique n’ait jamais entendu parler du communisme. Et bien pour la plupart d’entre nous, l’idéologie qui domine nos vies n’a pas de nom.  Parlez-en au cours d’une  conversation et vous obtiendrez en retour un haussement d’épaules. Même si vos auditeurs ont entendu le terme auparavant, ils auront du mal à le définir. Le « néolibéralisme » : savez-vous seulement ce que c’est ?
Son anonymat est à la fois un symptôme et la cause de sa puissance. Il a joué un rôle déterminant dans un très grand nombre de crises : la crise financière de 2007-2008, la délocalisation de la richesse et de la puissance, dont les Panama Papersnous offrent à peine un aperçu, le lent effondrement de la Santé publique et de l’Éducation, la résurgence du phénomène des enfants pauvres, l’épidémie de solitude, le saccage des écosystèmes, la montée de Donald Trump. Mais nous traitons ces crises comme si chacune émergeait de manière isolée, ne voyant pas qu’elles ont toutes été générées ou exacerbées par la même philosophie cohérente, une philosophie qui a – ou avait – un nom. Quel plus grand pouvoir que de pouvoir se déployer de manière anonyme ?
Le néolibéralisme est devenu à ce point omniprésent que nous ne le reconnaissons même pas comme une idéologie. Nous semblons accepter l’idée que cette foi utopique millénariste relève en fait d’une force neutre, une sorte de loi biologique, comme la théorie de l’évolution de Darwin. Pourtant, cette philosophie a bel et bien surgi comme une tentative consciente de remodeler la vie humaine et de modifier les lieu d’exercice du pouvoir.
Le néolibéralisme considère la concurrence comme la caractéristique principale des relations humaines. Il redéfinit les citoyens comme des consommateurs, dont les prérogatives démocratiques s’exercent essentiellement par l’achat et la vente, un processus qui récompense le mérite et sanctionne  l’inefficacité. Il soutient que « Le marché » offre des avantages qui ne pourraient jamais être atteints par quelque type de planification que ce soit.
Les tentatives visant à limiter la concurrence sont considérées comme des dangers pour la liberté. L’impôt et la réglementation sont considérés comme devant être réduits au minimum, les services publics comme devant être privatisés. L’organisation du travail et la négociation collective par les syndicats sont dépeints comme des distorsions du marché qui empêchent l’établissement d’une hiérarchie naturelle entre les gagnants et les perdants. L’inégalité est rhabillée en vertu : elle est vue comme une récompense de l’utilité et un générateur de richesses, lesquelles richesses ruisselleraient vers le bas pour enrichir tout le monde. Les efforts visant à créer une société plus égalitaire sont considérés comme étant à la fois contre-productifs et corrosifs moralement. Le marché est supposé garantir que chacun obtienne ce qu’il mérite.
Or nous intériorisons et reproduisons ces croyances. Les riches se persuadent qu’ils ont acquis leur richesse par le mérite, en ignorant les avantages – tels que l’éducation, l’héritage et la classe d’origine – qui peuvent avoir contribué à son obtention. Les pauvres tendent à se blâmer pour leurs échecs, même quand ils ne peuvent guère changer leur propre situation.
Peu importe le chômage structurel : si vous ne disposez pas d’un emploi, c’est parce que vous n’êtes pas entreprenant. Peu importe les coûts invraisemblables du logement : si votre compte bancaire est vide, c’est que vous êtes irresponsable et imprévoyant. Peu importe que vos enfants n’aient plus de terrain de jeu : s’ils deviennent gras, c’est de votre faute. Dans un monde régi par la concurrence, ceux qui échouent sont vus et s’auto-perçoivent comme perdants.
Paul Verhaeghe montre les conséquences de tout ceci  dans son livre What About Me ? : épidémies d’automutilation, troubles alimentaires, dépression, solitude, angoisse de la non-performance et phobie sociale. Il n’est pas surprenant que la Grande-Bretagne, où l’idéologie néolibérale a été appliquée le plus rigoureusement, soit la capitale de la solitude de l’Europe. Nous sommes tous d’authentiques néolibéraux à présent.
***
Le terme « néolibéralisme » a été inventé lors d’une réunion à Paris en 1938. Deux délégués, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, ont alors défini les contours de cette idéologie. Tous deux exilés d’Autriche, ils considéraient  la social-démocratie, illustrée par le New Deal de Franklin Roosevelt aux États-Unis et par le développement progressif du welfare en Grande-Bretagne, comme les manifestations d’un collectivisme de même nature que le nazisme et le communisme.
Dans La Route de la servitude, publié en 1944, Hayek a notamment souligné que toute forme de planification par un gouvernement conduisait inexorablement, en écrasant l’individualisme, à un contrôle social de type totalitaire. Tout comme Bureaucratie, le livre de Mises, La Route de la servitude a été énormément lu. Il a notamment attiré l’attention de certains très riches, qui ont vu dans cette philosophie une occasion de se libérer de la réglementation et de l’impôt. Lorsqu’en 1947, Hayek fonde la première organisation de promotion de la doctrine du néolibérale – la Société du Mont Pelerin – il est soutenu financièrement par des millionnaires et par leurs fondations.
Avec leur aide, il commence à créer ce que Daniel Stedman Jones décrit dans Les  Maîtres de l’Univers comme « une sorte d’Internationale néo-libérale » : un réseau transatlantique d’universitaires, d’hommes d’affaires, de journalistes et de militants. Les riches bailleurs de fonds du mouvement financent une série de groupes de réflexion pour affiner et promouvoir l’idéologie. Parmi eux, l’American enterprise Institute, la Heritage foundation, le Cato institute, l’Institut des affaires économiques, le Centre des études politiques et l’Institut Adam Smith. Ils financent également des postes et des départements universitaires, en particulier dans les universités de Chicago et de la Virginie.
En évoluant, le néolibéralisme est devenu plus virulent. L’idée de Hayek que les gouvernements devraient réglementer la concurrence pour empêcher la formation des monopoles a cédé la place – chez les apôtres américains comme Milton Friedman – à la croyance que la situation monopolistique pourrait être considéré comme une récompense de l’efficacité.
Quelque chose d’autre s’est produit au cours de cette transition : le mouvement a perdu son nom. En 1951, Friedman était heureux de se décrire comme un néolibéral. Mais peu après, le terme a commencé à disparaître. Plus étrange encore, alors même que l’idéologie devenait plus nette et le mouvement plus cohérent, le nom effacé n’a été remplacé par aucun substitut.
Dans un premier temps, en dépit du financement somptueux de sa promotion, le néolibéralisme est resté en marge. Le consensus d’après-guerre était quasi universel : les prescriptions économiques de John Maynard Keynes étaient largement appliquées, le plein emploi et la réduction de la pauvreté étaient des objectifs communs aux États-Unis et à une grande partie de l’Europe occidentale, les taux d’imposition supérieurs étaient élevés et les gouvernements  cherchaient avant tout des résultats sociaux, en développant de nouveaux services publics et des filets de sécurité.
Mais dans les années 1970, lorsque les politiques keynésiennes ont commencé à tomber en désuétude et que les crises économiques ont frappé des deux côtés de l’Atlantique, les idées néolibérales ont commencé à s’infiltrer dans le grand public. Comme le faisait remarquer Friedman, « lorsque le moment s’est présenté de changer d’orientation … il y avait une alternative toute prête qui attendait ». Avec l’aide de journalistes sympathisants et de conseillers politiques, des éléments du néolibéralisme, en particulier ses prescriptions dans le domaine de la politique monétaire, ont été adoptés par l’administration de Jimmy Carter aux États-Unis et par le gouvernement de Jim Callaghan en Grande-Bretagne.
Après que Margaret Thatcher et Ronald Reagan eurent pris le pouvoir, le reste suivit : réductions d’impôts massives pour les riches, écrasement des syndicats,  déréglementation, privatisations, externalisation, concurrence dans les services publics. Grâce au  FMI, à la Banque mondiale, au traité de Maastricht et à l’Organisation mondiale du commerce, les politiques néolibérales ont été imposées – souvent sans le consentement démocratique des populations – dans une grande partie du monde. Le plus remarquable a été leur adoption par les partis qui appartenaient autrefois à la gauche : le Labour et les Démocrates, par exemple. Comme le fait remarquer Stedman Jones, « il est dur d’imaginer aucune autre utopie qui ait été aussi pleinement réalisée ».
***
Il peut sembler étrange qu’une doctrine glorifiant le choix individuel et la liberté ait été promue avec le slogan « il n’y a pas d’alternative ». Mais, comme Hayek l’a fait remarquer lors d’une visite au Chili de Pinochet – l’une des premières nations où le programme néolibéral a été complètement appliqué – « ma préférence personnelle penche vers une dictature libérale plutôt que vers un gouvernement démocratique dénué de libéralisme ». La liberté que le néolibéralisme offre et qui semble si séduisante lorsqu’elle est exprimée en termes généraux, signifie la liberté pour le brochet, et non pour les vairons.
La liberté syndicale et la négociation collective signifie la liberté d’amputer les salaires. La liberté de la réglementation signifie la liberté d’empoisonner les rivières, de mettre en danger les travailleurs, d’imposer des tarifs iniques d’intérêt et de concevoir des instruments financiers exotiques. La liberté de l’impôt signifie la liberté de s’extraire de la redistribution des richesses qui permet de sortir des gens de la pauvreté.
Comme le montre Naomi Klein dans La théorie du choc, les théoriciens néolibéraux ont préconisé d’utiliser les crises pour imposer des politiques impopulaires pendant que les gens étaient distraits comme, par exemple, à la suite du coup d’État de Pinochet, de la guerre en Irak et de l’ouragan Katrina, que Friedman a décrit comme « une occasion de réformer radicalement le système éducatif » à la Nouvelle Orléans.
Lorsque les politiques néolibérales ne peuvent pas être imposées directement aux pays en interne, elles le sont iau niveau international, par le biais des traités commerciaux incorporant des ISDS ( juridictions privées ad hoc dédiées au règlement des différends investisseur-État : voir à ce sujet une longue interview sur le TAFTA ici ) qui peuvent faire pression pour supprimer des protections sociales et des législations environnementales. Lorsque les Parlements de certains États ont par exemple voté pour restreindre les ventes de cigarettes, protéger l’approvisionnement en eau des compagnies minières, geler les factures d’énergie ou empêcher les firmes pharmaceutiques de voler l’état, des multinationales ont attaqué les États concernés au tribunal, souvent avec succès. La démocratie se réduit ainsi à un théâtre.
Un autre paradoxe du néolibéralisme est que la concurrence universelle repose sur la quantification universelle et la comparaison. Le résultat est que les travailleurs, les demandeurs d’emploi et les services publics de toute nature sont soumis à un ergotage procédurier, étouffant le régime d’évaluation et de surveillance, afin d’identifier les « gagnants » et de punir les « perdants ». La doctrine que Von Mises avait proposée pour nous libérer du cauchemar bureaucratique de la planification en a plutôt fabriqué un.
Le néolibéralisme n’a pas été conçu comme un self-service à visée d’extorsion, mais il en est rapidement devenu un. La croissance économique a été nettement plus lente dans l’ère néolibérale (depuis 1980 en Grande-Bretagne et aux États-Unis) qu’elle ne l’était dans les décennies précédentes, sauf pour les très riches. L’inégalité dans la distribution des revenus et la répartition des richesses, après 60 années de résorption, a augmenté rapidement depuis, en raison de l’écrasement des syndicats, des réductions d’impôt, de la hausse des loyers, des  privatisations et de la dérégulation.
La privatisation ou la marchandisation des services publics tels que l’énergie, l’eau, les trains, la santé, l’éducation, les routes et les prisons a permis aux entreprises de mettre en place des péages, des loyers ou des dépôts de garantie, payables par le usagers par les gouvernements.
Au bout du compte, ces rentes ne sont ni plus ni moins que des revenus du capital, désignés d’une autre façon. Lorsque vous payez un prix artificiellement gonflé pour un billet de train, seule une partie du prix sert à rémunérer les opérateurs, les dépenses d’énergie, les salaires ou l’amortissement du matériel roulant. Le reste, c’est ce qu’on vous ponctionne.
Ceux qui possèdent et dirigent les services privatisés ou semi-privatisés du Royaume-Uni amassent des fortunes prodigieuses en investissant peu et en facturant cher. En Russie et en Inde, les oligarques ont acquis des actifs de l’État à des prix dérisoires. Au Mexique, Carlos Slim a obtenu le contrôle de presque tous les services de téléphonie, et il est rapidement devenu l’un des hommes les plus riches du monde.
La financiarisation, comme le note Andrew Sayer dans Why We Can’t Afford the Rich, a eu un impact similaire. « Comme la rente », soutient-il, « l’intérêt est… un  revenu du capital obtenu sans aucun effort ». Comme les pauvres deviennent plus pauvres et les riches plus riches, les riches acquièrent de plus en plus le contrôle d’un autre outil essentiel : la monnaie. Le paiements d’intérêt, à une écrasante majorité, permet un transfert financier des pauvres vers les riches. Comme les prix de l’immobilier et le retrait de l’État pèsent sur les personnes endettées (exemple : le remplacement des bourses d’études par des prêts aux étudiants), les banques et leurs dirigeants s’enrichissent à leur détriment.
Selon Sayer, les quatre dernières décennies ont été marquées par un transfert de richesse non seulement des pauvres vers les riches, mais également parmi les riches, depuis ceux qui gagnent de l’argent en fournissant de nouveaux produits ou services vers ceux qui en gagnent en contrôlant les actifs existants, en récoltant des loyers, des intérêts ou des gains de capital. Le revenu acquis a été supplanté par les revenus du capital non acquis.
Mais partout, les politiques néolibérales se heurte à des défaillances du marché. Les banques sont devenues « too big to fail », et des sociétés privées sont désormais chargées de fournir les services publics. Comme souligné par Tony Judt, le raisonnement d’Hayek a omis le fait que les services publics vitaux n’avaient pas le droit  de s’effondrer, ce qui signifie que la concurrence ne peut pas suivre son libre cours. Dès lors, le monde du business prend les profit les bénéfices, mais les États conservent les risques.
Or plus l’échec apparaît comme grand, plus l’idéologie se radicalise. Les gouvernements utilisent les crises du néolibéralisme lui-même pour l’approfondir, s’en servant comme occasion de réduire les impôts, de privatiser les services publics restants, d’agrandir les trous dans les filets de sécurité sociale, de déréglementer les sociétés et de re-réglementer les citoyens. La haine de soi de l’État plante maintenant ses crocs dans l’ensemble des services publics.
L’effet le plus dangereux du néolibéralisme ne réside peut-être pas les crises économiques mais les crises politiques qu’il génère. Dans la mesure où le domaine de l’État se réduit, notre capacité à changer le cours de nos vies par le vote se réduit également. A la place, la théorie néolibérale affirme que les gens peuvent exercer leur liberté choix en orientant leurs dépenses. Mais certains ont plus à dépenser que d’autres : dans la grande démocratie du consommateur ou de l’actionnaire, un vote n’équivaut pas à un autre vote. Le résultat est une déresponsabilisation des pauvres et de la classe moyenne. Comme les partis de droite et de l’ex-gauche adoptent des politiques néolibérales similaires, la déresponsabilisation tourne à la privation effective des droits. Un grand nombre de personnes ont été exclues de fait du débat politique.
Chris Hedges note que « les mouvements fascistes s’appuient sur une base constituée non non  des actifs mais des inactifs politiques, des « perdants » qui  sentent, souvent à raison, qu’ils n’ont aucune voix ni aucun rôle à jouer ». Lorsque le débat politique ne s’adresse plus à lui, le peuple devient sensible aux slogans, symboles et sensations qui le remplacent. Pour les admirateurs de Trump, par exemple, les faits et les arguments semblent sans importance.
Judt explique pour sa part que lorsque le maillage épais des interactions normales entre les individus et l’État se réduit à l’exercice de l’autorité et à l’obéissance, la seule force qui nous reste et nous lie est le pouvoir décuplé de l’État. Le totalitarisme que Hayek craignait tant est plus susceptible de voir le jour dans une situation où les gouvernements ayant perdu l’autorité morale qui découle de la fourniture des services publics, sont réduits à « cajoler, menacer et finalement contraindre les gens à leur obéir ».
***
Tout comme le communisme, le néolibéralisme est une sorte de Dieu déchu. Mais la doctrine zombie continue sa route en bringuebalant. L’une des principales raisons est son l’anonymat, ou plutôt une série de choses qu’on omet de nommer.
Des bailleurs de fonds invisibles maintiennent en vie la doctrine invisible de la main invisible. Lentement, très lentement, nous commençons à découvrir l’identité de quelques-uns d’entre eux. Nous constatons que l’Institut des affaires économiques, qui s’est opposé avec force dans les médias à  toute nouvelle réglementation de l’industrie du tabac, a été secrètement financé par la British American Tobacco depuis 1963. Nous découvrons que Charles et David Koch, deux des hommes les plus riches le monde, ont fondé l’institut qui a lui-même mis sur pied le mouvement Tea Party. Nous constatons que Charles Koch, en fondant  l’un de ses groupes de réflexion, avait  noté que « dans le but d’éviter les critiques indésirables, la façon dont l’organisation est contrôlée et dirigée ne doit pas être largement diffusée ».
Les concepts utilisés par le néolibéralisme dissimulent souvent plus qu’ils ne désignent. « Le marché » sonne comme un phénomène naturel, tout comme pourraient l’être comme la gravité ou la pression atmosphérique. Mais il se heurte à des relations de pouvoir. Ce que « le marché veut » tend à signifier « ce que les entreprises et leurs patrons veulent » Le terme « investissement », comme le note Sayer, peut désigner deux choses très différentes. La  première est le financement d’activités productives et socialement utiles. La deuxième est le simple achat d’actifs existants pour percevoir des intérêts, des dividendes et des gains en capital. En utilisant le même mot pour différentes activités, on « camoufle les sources de richesse », ce qui conduit à confondre la création de richesse et la ponction opérée sur la richesse.
Il y a un siècle, les nouveaux riches étaient décriés par ceux qui avaient hérité leur argent. Les entrepreneurs ont cherchaient la reconnaissance sociale en se faisant passer pour des rentiers. Aujourd’hui, la relation a été inversée: les rentiers et les héritiers se présentent comme entrepreneurs. Ils prétendent avoir gagné leur revenu qui n’est que prélevé.
Cette confusion verbale s’ajoute à l’absence de nom et de lieu qui caractérise le capitalisme moderne, et le modèle de la franchise qui garantit que les travailleurs ne savent pas pour qui ils triment. Certaines entreprises sont enregistrées à travers un réseau de régimes offshore si complexe que même la police ne peut pas en découvrir les véritables propriétaires. Des montages fiscaux embobinent les gouvernements. Des produits financiers sont créés, si complexes que personne n’y comprend rien.
L’anonymat du néolibéralisme est jalousement protégé. Ceux qui sont influencés par Hayek, Mises et Friedman ont tendance à rejeter le terme, clamant – non sans justesse – qu’il n’est aujourd’hui utilisé que de façon péjorative. Mais ils ne nous proposent aucun terme substitutif. Certains se décrivent comme libéraux ou libertaires classiques, mais ces descriptions sont à la fois trompeuses et curieusement dissimulatrices, comme si elles suggéraient qu’il n’y a rien de nouveau depuis la La Route de la servitudeBureaucratie ou le travail classique de Friedman Capitalisme et liberté.
***
On doit bien convenir qu’il y a quelque chose de remarquable dans le projet néolibéral, du moins tel qu’il existait à ses débuts. Il constituait une philosophie innovante promue par un réseau cohérent de penseurs et de militants ayant un plan d’action clair. Il était patient et persévérant. La route de la servitude est devenue la voie vers le pouvoir.
Le triomphe du néolibéralisme reflète d’ailleurs l’échec de la gauche. Lorsque l’économie du laissez-faire a conduit à la catastrophe en 1929, Keynes a conçu une théorie économique globale pour la remplacer. Lorsque la formule keynésienne de relance par la demande a atteint ses limites dans les années 70, une alternative était prête, le néolibéralisme. Mais lorsque celui-ci a semblé s’effondrer en 2008 il n’y avait … rien. Voilà pourquoi le zombie continue de marcher. La gauche n’a produit aucun nouveau cadre général de la pensée économique depuis 80 ans.
Chaque invocation de Lord Keynes est un aveu d’échec. Proposer des solutions keynésiennes aux crises du XXI° siècle revient à ignorer trois problèmes évidents: il est difficile de mobiliser les gens sur de vieilles idées; les défauts du keynésianisme révélés dans les années 70 n’ont pas disparu; surtout, les keynésiens n’ont rien à dire au sujet d’une préoccupation nouvelle et de première importance : la crise environnementale. Le keynésianisme fonctionne en stimulant la demande des consommateurs pour promouvoir la croissance économique. La demande des consommateurs et la croissance économique sont les moteurs de la destruction de l’environnement.
Ce que l’histoire des deux doctrines, keynésianisme et du néolibéralisme, démontre, c’est qu’il ne suffit pas de s’opposer à un système à bout de souffle. Il faut aussi proposer une alternative cohérente. Pour le Labour, les Démocrates et les plus à gauche, la tâche centrale devrait être de développer une sorte de « programme économique Apollo », c’est à dire de concevoir un nouveau système de pensée, adapté aux exigences d’aujourd’hui.
Source : Linkis, George, Monbiot, 16-06-2016

Source: http://www.les-crises.fr/une-ideologie-a-la-source-de-nos-problemes-le-neoliberalisme-the-guardian/


Stathis Kouvelakis : « L’UE n’est pas réformable »

Wednesday 3 August 2016 at 01:25

Source : Anti-K, Jean-Louis Marchetti, 25-06-2016

Stathis Kouvelakis

Stathis Kouvelakis

Stathis Kouvelakis, enseignant en philosophie politique au King’s College de Londres, ancien membre du comité central de Syriza, actuel membre d’Unité populaire, analyse pour Mediapart les enjeux du Brexit.

mediapart.fr – 25/06/2016 – JOSEPH CONFAVREUX

Stathis Kouvelakis était membre du comité central de Syriza lors de la victoire de ce parti en Grèce en janvier 2015. Il fit ensuite partie de ceux qui, prônant une sortie de l’euro et une rupture franche avec les institutions européennes, ont décidé de faire scission avec le premier ministre Alexis Tsipras. Enseignant et vivant à Londres, il analyse pour Mediapart les conséquences du référendum britannique.

Mediapart : Quelle lecture faites-vous du vote en faveur du Brexit ?

Stathis Kouvelakis : Le premier constat est que l’UE perd tous les référendums qui se déroulent autour des propositions qui en émanent ou de l’appartenance à l’une de ses instances. Les défenseurs inconditionnels du projet européen devraient quand même commencer à se demander pourquoi. Mais c’est la première fois que la question du maintien ou du départ a été posée directement. Et le fait que l’un des trois grands pays européens choisisse la rupture avec l’UE signe, pour moi, la fin du projet européen actuel. Ce résultat révèle définitivement ce qu’on savait déjà, à savoir qu’il s’agissait d’un projet construit par et pour des élites, qui ne bénéficiait pas d’un soutien populaire.

Vous en réjouissez-vous ?

Oui. Certes, ce rejet légitime de l’UE risque d’être confisqué par des forces de droite et xénophobes, comme la campagne britannique l’a montré. Mais, pour moi, il peut aussi s’agir d’une opportunité pour des forces progressistes en lutte contre l’Europe néolibérale et autoritaire, c’est-à-dire l’UE telle qu’elle existe. Je pense que des forces antilibérales de gauche peuvent plus facilement s’exprimer dans d’autres pays qu’en Grande-Bretagne, où il est vrai que le « Lexit » (contraction de Left et Exit -ndlr) a été très peu audible, et a révélé une fracture entre la direction des principales forces de gauche, politiques et syndicales, et la base populaire et ouvrière, qui a dans sa grande majorité rejeté l’UE.

Le parti travailliste, notamment, est fracturé entre une large partie de son électorat d’un côté et ses élus et son appareil de l’autre, avec les cadres et les militants écartelés entre les deux. De surcroît, son dirigeant actuel, Jeremy Corbyn, est en réalité très hostile à l’UE, mais il a été contraint de faire campagne pour le maintien, compte tenu du rapport de force interne à l’appareil et au groupe parlementaire.
En février 2015, lorsque je faisais encore partie du comité central de Syriza, à l’occasion d’une grande réunion qui s’était tenue à Londres, au siège de la confédération des syndicats britanniques, pour fêter la victoire de notre parti en Grèce, Jeremy Corbyn, dont personne n’envisageait alors qu’il puisse prendre la direction du parti travailliste, était venu me parler en marge de la réunion, en me disant : « Est-ce que vous avez un plan B ? Parce que l’UE va vous écraser, en commençant par attaquer votre système bancaire. »

Il m’a raconté le choc qu’il avait subi lorsqu’il était jeune militant et que le parti travailliste avait gagné les élections de 1974 sur un programme radical. Le système bancaire britannique avait immédiatement été attaqué, contraignant le Royaume-Uni à faire appel au FMI pour demander un prêt et à mettre en place des politiques austéritaires en échange. Il voulait que je le rassure sur le fait que nous avions un plan B, et moi qui appartenais à la minorité de la direction de Syriza, je ne pouvais que lui répondre qu’il fallait qu’il en parle avec Tsipras, pour tenter de le convaincre.

Cette anecdote montre qu’il ne se fait aucune illusion sur l’UE. Seulement, l’appareil du parti travailliste et ses élus lui sont farouchement hostiles. Et on lui reproche désormais d’avoir fait un service minimum en faveur du « Remain ». Les mêmes médias, qui avaient appelé à voter « Remain », voudraient qu’il parte, alors même que le Brexit a gagné, parce qu’il n’en aurait pas fait assez…

Avez-vous été surpris de ce résultat ?

Non. Ce qui m’a frappé pendant cette campagne britannique, c’est une impression de déjà-vu. J’ai eu la chance de vivre à la fois le référendum sur la Constitution européenne de 2005 en France, celui de l’année dernière sur le plan d’austérité Juncker en Grèce, et celui de cette année en Grande-Bretagne. À chaque fois, ceux qui défendent l’UE portent de moins en moins de discours positifs et emploient essentiellement des arguments fondés sur l’intimidation et la peur, en mettant en scène tous les maux qui s’abattraient sur le Royaume-Uni si les Britanniques votaient mal.

Schaüble et Juncker se sont faits menaçants, comme à l’accoutumé, et même Obama a joué sa partition pour expliquer à quel point un Brexit serait catastrophique. En France, on a beaucoup focalisé sur le fait que la campagne pro-Brexit était animée par des personnages effectivement peu ragoûtants, de Boris Johnson à Nigel Farage. Mais les médias ont moins souligné que le « Remain » était porté par tout l’establishment content de lui-même, avec la City arrogante en première ligne, ce qui avait de quoi motiver le rejet de l’électorat populaire.
Une refondation démocratique de l’Europe, que beaucoup appellent de leurs vœux au lendemain du Brexit, vous semble-t-elle encore possible ?

De plus en plus de forces de gauche comprennent que l’UE n’est pas réformable dans un sens progressiste, avec un fonctionnement plus démocratique, parce qu’elle est conçue, dans son architecture intrinsèque, pour ne pas être réformable. Tout est verrouillé et, pour enseigner dans un département d’études européennes, je peux vous assurer que mes collègues spécialistes le savent. L’UE n’a pas été conçue pour fonctionner avec les règles de la démocratie parlementaire, dont on craint toujours la tentation « populiste ».

Le vote britannique est donc une occasion à saisir pour toutes celles et ceux qui réfléchissent à un plan B, et sont conscients que de véritables alternatives impliquent une rupture avec l’UE. Que ce soit Jean-Luc Mélenchon en France, Oskar Lafontaine et Sahra Wagenknecht en Allemagne, l’aile gauche de Podemos ou ceux qui ont quitté Syriza l’an dernier : toutes ces forces anti-libérales et progressistes doivent se saisir de ce moment, si elles ne veulent pas être gravement punies par une droite nationaliste et xénophobe qui capterait la colère populaire.

Mais, en Grèce, la gauche qui a fait scission avec Tsipras, semble pourtant plutôt atone ?

Le dernier sondage américain PEW sur l’europhilie, effectué sur un très large échantillon de populations européennes, a montré que plus de 71 % des Grecs n’acceptaient plus l’UE et qu’un bon tiers souhaitaient sortir de l’euro. Certes, le champ politique grec est bloqué et, suite à la capitulation de Tsipras l’été dernier, le sentiment de défaite et de démoralisation reste fort. Mais on commence à voir des mouvements à gauche de Syriza, que ce soit Unité populaire ou le mouvement lancé par Zoé Konstantopoúlou, gagner du terrain. Nous sommes à la veille de reclassements importants, à l’échelle de l’Europe, et face à un choix entre une radicalité qui sera soit de gauche et internationaliste, soit de droite et xénophobe. Si la gauche qui se veut hostile au néolibéralisme continue à répéter la litanie de l’« Europe sociale » et de la « réforme des institutions européennes », elle ne s’enfoncera pas simplement dans l’impuissance, elle sera tout bonnement balayée.

La manière dont la Grèce a été traitée l’été dernier a-t-elle joué dans le vote britannique ?

Nigel Farage, le dirigeant du parti nationaliste et xénophobe UKIP, avait tenu au Parlement européen des propos dans lesquels il accusait l’UE de se comporter de manière dictatoriale avec la Grèce. Il disait des choses qui auraient dû être dites par toute la gauche britannique et européenne. Le référendum britannique est juste un nouveau signe du rejet de l’UE, dont les électeurs comprennent qu’elle se situe au cœur du problème de la politique représentative actuelle, celui d’une élite européiste qui méprise les couches populaires et la notion même de souveraineté du peuple. Passivement toléré lorsque la situation économique paraissait fluide, le projet européen se délite lorsque celle-ci se dégrade et que le carcan des politiques d’austérité se durcit partout, sous l’impulsion et le contrôle tatillon des instances de l’UE.
Le découpage spatial du vote britannique est saisissant. Il y a deux pays. La bulle de la City et du Sud-Est du pays face à un autre pays, dont on ne parle jamais parce qu’on préfère évoquer le Londres branché et multi-culturel. Avant d’enseigner à Londres, j’exerçais dans une université de la banlieue de Birmingham, Wolverhampton. La différence est abyssale. Le centre-ville était en ruine. Dans cette Angleterre où la révolution industrielle a commencé, tout le monde se sent abandonné et condamné à une mort économique et sociale. Le parti travailliste a abandonné à leur sort des populations entières et laissé ainsi le champ libre à des partis comme le UKIP.

Ce qui est d’ailleurs paradoxal, parce qu’alors que le Front national a toujours su, en France, se parer d’un vocabulaire et d’atours pour « faire peuple », le UKIP incarnait, à l’origine, tout ce dont les classes populaires anglaises se sont toujours moqué : un côté vieillissant, anglican, traditionnel, classes moyennes coincées, 100 % blanches, le conservatisme de grand-papa en somme. On imagine la colère et le sentiment d’abandon qu’il a fallu pour qu’un tel parti ait pourtant réussi à capter le vote des classes populaires…

Comment vous positionnez-vous face à la perspective de nouveaux référendums sur l’appartenance à l’UE dans d’autres pays d’Europe ?
L’UE n’est pas réformable et je pense qu’il n’existe pas d’autre solution que sa dissolution. Une vraie refondation de l’Europe signifie briser la cage de fer de l’austérité perpétuelle et du néolibéralisme autoritaire, et cela passe par une rupture avec la machinerie institutionnelle de l’UE. Il faudra donc jouer le jeu des référendums, tout en empêchant les forces de la droite xénophobe et nationaliste de gagner l’hégémonie et de dévoyer la révolte populaire. La gauche de la gauche a pris beaucoup de retard, mais elle ne peut plus penser qu’elle parviendra, sans rupture avec l’UE, à changer le rapport de force à l’intérieur d’une machinerie spécialement conçue pour empêcher toute divergence, et face à un rouleau compresseur dont on a vu comment il a pu écraser la Grèce.

Source : Anti-K, Jean-Louis Marchetti, 25-06-2016

Source: http://www.les-crises.fr/stathis-kouvelakis-lue-nest-pas-reformable/


Miscellanées du Mercredi (Delamarche, Béchade, ScienceEtonnante)

Wednesday 3 August 2016 at 00:59

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute de Delamarche : Les stress tests, c’est de la pub pour éviter les bank run

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (1/3): Les “stress tests” reflètent-ils vraiment l’état des banques ? – 01/08

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (2/3): Quid du ralentissement de la croissance américaine ? – 01/08

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (3/3): Economie française: Qu’attendre du T3 après une croissance nulle au T2 ? – 01/08

II. Philippe Béchade

La minute de Béchade: Japon: “L’argent sort de nulle part. Il suffit de l’inventer” – 27/07

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (1/2): Quid du nouveau plan de relance au Japon ? – 27/07

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (2/2): Comment interpréter l’évolution des prix du pétrole ? – 27/07

 

III. ScienceEtonnante

L’infini — Science étonnante #24


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 


Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-bechade-valls-scienceetonnante/


[Entraide] Synthèses historiques, Climat, Langue Arabe, Chomsky + VACANCES DU BLOG

Tuesday 2 August 2016 at 03:19

Bonjour – d’importants appels à l’entraide aujourd’hui

Synthèses historiques

Nous cherchons des volontaires qui ont du temps cet été et à la rentrée pour nous aider à lire des livres et des sites Internet pour en retirer des informations intéressantes, sur différents sujets en lien avec l’Histoire récente (pas de rédaction à faire, juste de la sélection).

Photos

Nous cherchons des volontaires qui ont du temps aller prendre des photos en bibliothèque à Paris

Climat

 

Nous cherchons un volontaire pour remettre des fichiers Excel à jour avec des données sur le climat

Langue Arabe

Nous cherchons des traducteurs maitrisant bien l’arabe et le français…

Chomsky

Nous cherchons des personnes pour nous aider à réaliser un bon suivi pour traduire les articles de Noam Chomsky.

À ce stade, on a surtout besoin de coordinateurs, capables de distribuer des taches et d’en assurer le suivi… Le tout avec un peu de temps, mais cela restera vraiment très raisonnable.

Libyens

Nous cherchons à discuter avec des Libyens sur l’époque Kadhafi…

=> Contact

Contactez-nous ici en indiquant en objet le sujet sur lequel vous vous proposez…

Merci d’avance ! 🙂

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Mode vacances

Afin de mener à bien différents projets, le blog passe en mode vacances pour quelques semaines.

Vous continuerez à avoir des articles tous les jours, mais certains seront anciens – n’ayant pas pu les sortir au moment de leur rédaction (bien entendu, ils garderont un intérêt actuel…).

Merci encore à tous les lecteurs et contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-syntheses-historiques-climat-langue-arabe-chomsky-vacances-du-blog/


Terrorisme : une médaille pour les victimes !

Tuesday 2 August 2016 at 00:52

C’est quand même formidable ça, et ça signe une époque : la première médaille qu’on obtient en n’ayant rien fait de volontaire, ce qui doit s’opposer à 3 millénaires de gestion de la distinction…

Mais bon, on dira que la lutte contre le terrorisme progresse…. 🙁

Source : Le Point, Violaine de Montclos, 19-07-2016

Cruelle coïncidence : le décret créant “la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme” a été publié la veille du 14 juillet.

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C’est un décret qui est passé inaperçu et qui apparaît désormais comme un impressionnant présage. Le 13 juillet, veille de l’attentat de Nice, était officiellement créée « la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme ». L’insigne, une fleur à cinq pétales blancs intercalés avec des oliviers, avec au revers deux drapeaux français croisés et la devise « Liberté-Égalité-Fraternité », pourra être décerné de manière rétroactive à compter du 1er janvier 2006.

Elle concerne les Français tués, blessés ou séquestrés lors d’actes terroristes commis sur le territoire national ou à l’étranger, ainsi que les étrangers tués, blessés ou séquestrés lors d’actes terroristes commis sur le territoire national ou à l’étranger contre les intérêts de la République française.

Sortir de l’absurde

François Hollande avait fait connaître cet hiver son intention d’attribuer la Légion d’honneur à titre posthume à toutes les victimes du 13 novembre. Une option absurde qui donnait un sens à ce qui n’en a pas, puisque la Légion d’honneur, aussi critiquée soit-elle, est censée récompenser le mérite, alors que les victimes du 13 novembre, comme celles aujourd’hui de Nice, sont mortes de s’être trouvées au mauvais endroit et au mauvais moment.

C’est donc finalement, sur le modèle de ce qui se fait en Espagne, une médaille spécifique qui a été créée et qui figurera au 5e rang protocolaire après l’ordre de la Légion d’honneur, l’ordre de la Libération, la Médaille militaire et l’ordre national du Mérite. Dérisoire, mais sans doute un incontournable hommage de la nation à ses victimes de plus en plus nombreuses de la folie djihadiste, cette médaille est aussi, hélas, le signe que le terrorisme s’installe durablement dans notre paysage national et dans notre histoire commune. Et poignante prémonition là encore, elle pourra, contrairement à la Légion d’honneur, être décernée à des enfants.

Source : Le Point, Violaine de Montclos, 19-07-2016

Décret n° 2016-949 du 12 juillet 2016 portant création de la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme

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Source: http://www.les-crises.fr/terrorisme-une-medaille-pour-les-victimes/


Le pouvoir du « Niet », par Dmitry Orlov

Tuesday 2 August 2016 at 00:41

Source : Le Grand Soir, Dmitry Orlov30/07/2016

Voici la manière dont les choses sont censées fonctionner sur cette planète : aux États-Unis, les structures de pouvoir (publiques et privées) décident ce qu’elles veulent que le reste du monde fasse. Elles communiquent leurs vœux par les canaux officiels et officieux, et comptent sur une coopération automatique. Si la coopération n’intervient pas immédiatement, elles appliquent des pressions politiques, économiques et financières. Si cela ne produit toujours pas l’effet escompté, elles tentent de changer de régime par une révolution de couleur, un coup d’état militaire ou en organisant et finançant une insurrection conduisant à des attaques terroristes et à la guerre civile chez la nation récalcitrante. Si cela ne fonctionne toujours pas, ils bombardent le pays le réduisant à l’âge de pierre. C’est ainsi que cela fonctionnait dans les années 1990 et 2000, mais dernièrement une nouvelle dynamique a émergé.

Au début, elles se concentraient sur la Russie, mais le phénomène s’est depuis répandu dans le monde et est même prêt à engloutir les États-Unis eux-mêmes. Il fonctionne comme ceci : les États-Unis décident ce qu’ils veulent que la Russie fasse et communiquent leurs souhaits dans l’expectative d’une coopération automatique. La Russie dit « Niet ». Les États-Unis alors entreprennent toutes les étapes ci-dessus à l’exception de la campagne de bombardement, à cause de la puissance de dissuasion nucléaire russe. La réponse reste « Niet ». On pourrait peut-être imaginer qu’une personne intelligente au sein de la structure du pouvoir étasunien dirait : « Sur la base des preuves que nous avons devant nous, dicter nos conditions à la Russie ne fonctionne pas ; nous allons essayer de négocier de bonne foi avec elle, comme des égaux ». Et puis tout le monde applaudirait disant : « Oh ! C’est génial ! Pourquoi n’y avions-nous pas pensé ? » Mais au lieu de cela, cette personne serait le jour-même virée parce que, voyez-vous, l’hégémonie mondiale étasunienne est non-négociable. Et donc ce qui se passe à la place est que les étasuniens déconcertés, se regroupent et essayent de nouveau ; ce qui donne un spectacle tout à fait amusant.

L’ensemble de l’imbroglio Snowden était particulièrement amusant à suivre. Les États-Unis exigeaient son extradition. Les Russes ont répondu : « Niet, notre constitution l’interdit ». Et puis, de manière hilarante, quelques voix en Occident ont demandé alors que la Russie change sa constitution ! La réponse, ne nécessitant pas de traduction, était « ha-ha-ha-ha-ha ! ». L’impasse sur la Syrie est moins drôle : les étasuniens ont exigé que la Russie aille de pair avec leur plan pour renverser Bachar al-Assad. L’immuable réponse russe a été : « Niet, les Syriens décideront de leurs dirigeants, pas la Russie ni les États-Unis ». Chaque fois qu’ils l’entendent, les étasuniens se grattent la tête et … essayent de nouveau. John Kerry était tout récemment à Moscou, pour engager une « session de négociations » marathoniennes avec Poutine et Lavrov.

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« On peut voir ci-contre une photo de Kerry en discussion avec Poutine et Lavrov, à Moscou, il y a environ une semaine, et il est difficile de se méprendre sur leurs expressions. Il y a Kerry, dos à la caméra, débitant ses discours comme d’habitude. La mine de Lavrov dit : “Je n’arrive pas à croire que je doive être encore assis là pour écouter ces inepties”. La mine de Poutine dit : “Oh le pauvre idiot, il n’arrive pas à se résoudre à comprendre qu’on va lui répondre niet une fois de plus”. Kerry est rentré chez lui avec encore un autre “niet” »

Ce qu’il y a de pire est que d’autres pays entrent dans ce jeu. Les Étasuniens ont dit aux Britanniques exactement comment voter, cependant ceux-ci ont dit « Niet » et ont voté pour le Brexit. Les Étasuniens ont dit aux Européens d’accepter les conditions désastreuses que voulaient imposer leurs grandes transnationales, le Partenariat pour le commerce et l’investissement transatlantique (TTIP), et les Français ont dit « Niet, ça ne passera pas ». Les États-Unis ont organisé un nouveau coup d’état militaire en Turquie pour remplacer Erdoğan par quelqu’un qui ne tentera pas d’essayer de faire le gentil avec la Russie. Les Turcs ont dit « Niet » à cela aussi. Et maintenant, horreur des horreurs, c’est Donald Trump qui dit « Niet » à toutes sortes de choses : l’OTAN, la délocalisation des emplois étasuniens, l’entrée à des vagues de migrants, la mondialisation, les armes pour les ukrainiens nazis, le libre-échange …

L’effet psychologiquement corrosif du « Niet » sur la psyché hégémonique étasunienne ne peut être sous-estimé. Si vous êtes censé penser et agir comme un hégémon, mais où seule fonctionne la partie penser, le résultat est la dissonance cognitive. Si votre travail est d’intimider les nations tout autour, et que les nations refusent de l’être, alors votre travail devient une blague, et vous devenez un malade mental. La folie qui en résulte a récemment produit un symptôme tout à fait intéressant : quelque membres du personnel du Département d’état étasunien, ont signé une lettre – rapidement fuitée – appelant à une campagne de bombardement contre la Syrie pour renverser Bachar al-Assad. Voilà des diplomates !

La diplomatie est l’art d’éviter la guerre, par la négociation. Les diplomates qui appellent à la guerre ne sont pas tout à fait … des diplomates. On pourrait dire que ce sont des diplomates incompétents, mais ce ne serait pas suffisant (la plupart des diplomates compétents ont quitté le service pendant la seconde administration Bush, beaucoup d’entre eux à cause du dégoût d’avoir à mentir au sujet de la justification de la guerre en Irak). La vérité est, qu’ils sont malades, des va-t-en-guerre non-diplomates mentalement dérangés. Voilà la puissance de ce simple mot russe qui leur a fait perdre littéralement la tête.

Mais il serait injuste de mettre en avant le Département d’Etat. C’est l’ensemble du corps politique étasunien qui a été infecté par un miasme putride. Il imprègne toutes les choses et rend la vie misérable. En dépit de l’augmentation des problèmes, la plupart des autres choses aux États-Unis sont encore un peu gérables, mais cette chose-là : l’incapacité d’intimider l’ensemble du monde, ruine tout. C’est le milieu de l’été, la nation est à la plage. La couverture de plage est mitée et râpée, l’ombrelle trouée, les boissons gazeuses dans la glacière pleines de produits chimiques nocifs et la lecture estivale ennuyeuse … et puis il y a une baleine morte qui se décompose à proximité, dont le nom est « Niet ». Elle ruine tout simplement toute l’ambiance !

Les têtes bavardes des media et des politiciens de l’ordre établi, sont à ce moment, douloureusement conscients de ce problème, et leur réaction prévisible est de blâmer ce qu’ils perçoivent comme la source des maux : la Russie, commodément personnifiée par Poutine. « Si vous ne votez pas pour Clinton, vous votez pour Poutine » est une devise puérile nouvellement inventée. Un autre est « Trump est l’agent de Poutine ». Toute personnalité publique qui refuse de prendre une position favorable à l’ordre établi est automatiquement étiquetée « idiot utile de Poutine ». Prises au pied de la lettre, de telles allégations sont absurdes. Mais il y a une explication plus profonde en ce qui les concernent : ce qui les lie toutes ensemble est la puissance du « Niet ». Le vote pour Sanders est un vote pour le « Niet » : l’ordre établi du Parti démocrate a produit une candidate et a dit aux gens de voter pour elle, et la plupart des jeunes ont dit « Niet ». De même avec Trump : L’ordre établi du Parti républicain a fait trotter ses sept nains et dit aux gens de voter pour l’un d’eux, et pourtant la plupart des ouvriers blancs laissés pour compte ont dit « Niet » et voté pour un outsider, Blanche neige.

C’est un signe d’espoir de voir que les gens à travers le monde dominé par Washington, découvrent la puissance de « Niet ». L’ordre établi peut encore apparaître, pimpant de l’extérieur, mais sous la nouvelle peinture brillante, il cache une coque pourrie, qui prend eau à toutes les jointures. Un « Niet » suffisamment retentissant sera probablement suffisant pour le faire couler, permettant quelques changements très nécessaires. Quand cela se produira, je vous prie de vous rappeler que c’est grâce à la Russie … ou, si vous insistez, Poutine.

Dmitry Orlov

Dmitry Orlov est né à Leningrad et a immigré aux États-Unis en 1970. Il est l’auteur de Reinventing Collapse, Hold Your Applause ! et Absolutely Positive. Il publie toutes les semaines sur le très populaire blog www.ClubOrlov.com.

[Traduction Alexandre MOUMBARIS
relecture Marie-José MOUMBARIS
Pour le Comité Valmy]
éditions Démocrite,
democrite@neuf.fr

Source : Le Grand Soir, Dmitry Orlov30/07/2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-pouvoir-du-niet-par-dmitry-orlov/


Obama n’a jamais rencontré une seule fois son chef du renseignement à la Défense, par Richard Pollock

Monday 1 August 2016 at 00:50

Source : The Daily Caller, le 12/07/2016

Rencontre entre le président Obama et le premier ministre d'Inde Narendra Modi dans le bureau ovale à la Maison-Blanche, le 7 juin 2016 à Washington DC (Photo de Dennis Brack-Pool/Getty Images)

Rencontre entre le président Obama et le premier ministre d’Inde Narendra Modi dans le bureau ovale à la Maison-Blanche, le 7 juin 2016 à Washington DC (Photo de Dennis Brack-Pool/Getty Images)

Le président Obama a nommé deux fois le lieutenant général Michael T. Flynn à des postes clés de la sécurité nationale dans son administration, y compris comme directeur adjoint du renseignement national et plus tard comme directeur de l’Agence de renseignement de la Défense, mais il n’a jamais une seule fois rencontré Flynn en personne.

Le général, qui a passé 33 ans dans le domaine du renseignement, a dit à la fondation Daily Caller News qu’il n’a jamais été appelé pour une réunion en face à face avec Obama, que ce soit pour lui donner son analyse sur Daesh en train de se déchaîner au Moyen-Orient, ou durant la débâcle politique en Libye et en Egypte, ou sur les tentatives de l’Iran de construire une bombe nucléaire, ou sur le « reset » russo-américain qui a mal fini.

En quatre ans, Flynn n’a jamais été invité pour informer le président sur une quelconque question de renseignement. Jamais.

« Voici l’essentiel de ma relation avec Obama, » a affirmé Flynn au DCNF (The Daily Caller News Foundation) dans une longue interview mardi. « Je suis là, à faire fonctionner l’une des plus grandes agences de renseignement du monde. Il m’a nommé à deux reprises — une fois comme directeur adjoint du renseignement national et une autre comme directeur de la Defense Intelligence Agency. Je suis aussi son officier supérieur du renseignement. Et j’ai combattu presque cinq ans. »

Il fait une pause, puis il ajoute : « Je ne l’ai jamais rencontré une seule fois. »

« Pour ce qui est du relationnel, c’est un gars bizarre, » a déclaré Flynn au DCNF. « Il est très distant et très lointain. Je n’étais pas dans ses priorités. Je n’apparaissais pas sur son radar, c’est vraiment déplorable. C’est incroyable. »

Maintenant, dans un retournement de situation, Flynn est conseiller du probable candidat républicain Donald Trump et il est largement présenté comme figurant sur la liste réduite des personnes pressenties comme vice-président de Trump.

Contrairement à Obama, Trump n’a pas seulement rencontré Flynn mais a passé des heures à écouter ses points de vue.

Les réponses typiques de Flynn sont franches et directes. Sur le choix possible d’être le colistier et futur vice-président de Trump : « C’est un honneur d’être pris en considération et de participer à ce mélange de talents. Le fait que je sois choisi parmi ce petit groupe pour ce poste prestigieux est la chose à laquelle je prêterai la plus grande attention. »

Et il ajoute : « J’ai dit que je voulais continuer à servir ce pays, quel que soit mon rôle. »

Comme Trump, Flynn est un personnage hors du commun qui déteste le politiquement correct.

Il vient de publier son premier livre après avoir été congédié sans ménagement par Obama en 2014 pour avoir donné une évaluation pessimiste de l’EI devant le Congrès. La présentation contredisait directement la prédiction du président estimant que l’EI était sans importance — une « JV team » [une équipe universitaire, NdT].

Flynn aurait pu choisir d’écrire le livre classique de l’initié décrivant de l’intérieur l’administration Obama. Au lieu de cela, il a fait équipe avec Michael Ledeen, expert de l’Iran et du Moyen-Orient, pour écrire un livre sérieux au sujet de la menace du terrorisme islamique intitulé « The Field of Flight: How We Can Win the Global War Against Radical Islam and Its Allies » (Le champ de bataille : comment nous pouvons gagner la guerre globale contre l’islam radical et ses alliés).

Flynn dit qu’il est impressionné par Trump. « Je l’ai rencontré. Nous nous sommes assis et avons parlé dans ses bureaux à New York. La première fois remonte à un certain temps. Je suis resté en contact avec lui et son premier cercle depuis septembre dernier, » a-t-il dit au DCNF.

« Il prend très, très au sérieux l’avenir de ce pays. C’est un auditeur attentif. J’ai eu le sentiment que nous avons eu une bonne discussion sur l’état du monde. »

À la première réunion, « il m’a posé deux ou trois questions, j’ai trouvé qu’elles étaient très révélatrices de sa perspicacité et de ses connaissances. »

Alors, a dit Flynn, les deux « ont passé en revue le monde pendant environ une heure et demie, en passant d’un sujet à l’autre. »

Flynn décrit Trump comme « très rafraîchissant ». Le candidat à la présidentielle « s’est vraiment penché profondément sur les problèmes de l’Amérique et sur ses relations avec le monde. Et aussi sur l’Amérique elle-même, » a-t-il dit.

« Mon impression — et j’ai côtoyé de nombreux bons leaders dans ma carrière — est que j’ai trouvé en lui un chef de file très fort et dynamique. Et je pense que c’est pourquoi il est si attrayant pour tant de gens dans ce pays en ce moment. »

« Trump a une vision plus ambitieuse et plus à long terme de ce pays que de simplement siéger comme président pendant quatre ans. Il a cette vision. Et voilà ce qui m’impressionne, » a dit Flynn au DCNF.

Flynn est moins charitable envers l’ancien secrétaire d’État Hillary Clinton, l’un de ses collègues de l’administration Obama.

« C’est quelqu’un qui vous donne l’impression d’avoir un autre programme secret, » dit-il. « J’ai toujours eu l’impression que là où il y avait des interférences, il y avait un autre programme caché, et pas nécessairement dans le meilleur intérêt du pays. Comme s’il y avait quelque chose d’autre derrière. »

Il pointe du doigt le « reset » russo-américain de Clinton, qu’il considère comme l’un de ses plus grands échecs. Le “reset” était une initiative de Clinton dans le but de rétablir des relations positives avec l’homme fort russe Vladimir Poutine.

« Le “”reset” a été un échec complet. C’était en quelque sorte son bébé. Elle n’a rien compris de la façon dont la Russie se comporte sur la scène mondiale, comme de la façon dont elle traite les personnes, les personnalités, ainsi que les rapports entre nations, ni de la manière dont ils nous voient, » ajoute Flynn.

« Elle a agi dans cette affaire avec arrogance et avec un manque de compréhension. »

Contrairement à certains sceptiques à Washington, Flynn pensait à l’époque que le « reset » russe pourrait fonctionner. « Cette réinitialisation des relations aurait pu effectivement se transformer en une sorte de respect mutuel. Mais en fait, sous sa direction, cela s’est complètement effondré. »

Il est également sévère sur la corruption et la Fondation Clinton : « La corruption publique entre la Fondation Clinton et le Département d’État pourrait ne jamais être découverte. Comme elle pourrait très bien être découverte bien après l’élection. Dans tous les cas, c’est un problème très réel. »

Flynn a remis en question l’acceptation par la fondation de 100 millions de dollars de donation venant des cheiks du golfe Persique.

« Le fait qu’elle accepte ne serait-ce qu’un seul dollar de l’Arabie saoudite est une honte, » a déclaré Flynn. « Tous ces pays détruisent les droits des femmes. Et ensuite, elle se tient là et clame qu’elle défend les femmes. »

Hillary Clinton « devrait rendre chaque centime qu’elle reçoit de ces gars-là, » a dit Flynn. « Ensuite seulement pourra-t-elle parler des droits des femmes. »

Source : The Daily Caller, le 12/07/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/obama-na-jamais-rencontre-une-seule-fois-son-chef-du-renseignement-a-la-defense-par-richard-pollock/


Une mise au point sur la couverture de la campagne américaine, par Stephane Trano

Monday 1 August 2016 at 00:30

Source : Marianne, Stephane Trano, 29/07/2016

Une nouvelle période de 90 jours s’ouvre, avec la conclusion de la convention nationale démocrate et le début du grand affrontement entre Donald Trump et Hillary Clinton. Une occasion de prendre un peu de recul et de réaffirmer la vocation de ce blog. Edito.

Photo BBC

Photo BBC

Tant d’inepties écrites sur Donald Trump. Tant de couronnes tressées pour Hillary Clinton. Tant de plagiats grossièrement inspirés par les agences de presse, qui font de tant de journalistes des scribes sans pensée ni talent. Tant de discours lénifiants, d’éditoriaux voulant imposer au bon peuple une pensée “convenable”, s’en prenant à ceux qui ne pensent pas bien, ces gens mal éduqués, comme dit le gourou Alain Minc, chef de file d’une clique qui alimente le feu populaire, l’exaspération et qui sait, bientôt, la violence.

Alors où en est-on, ici, dans ces colonnes? Nos convictions sont claires. Nos doutes sont nombreux. Nos principes solides.

De droite? Tout simplement et sans détour: non.

Le premier réflexe de l’homme de droite est toujours de dire « Non ». Il est ainsi naturellement préparé à récolter les fruits de toutes les peurs et de toutes les crises. Il finit toujours par avoir raison : toutes les époques “permissives”, portées par un désir de progrès social, engendrent leurs contradictions et sont fondamentalement vulnérables, face à ceux qui fantasment sur un monde propre, ordonné, prompt à la punition et à l’éradication des individus défaillants. Il pense qu’il est possible de détruire ce contingent de perturbateurs et que l’avènement d’une société où la peur du patron, du policier, du juge et du professeur dissuadera toute velléité de désordre. Il estime que l’homme mauvais contamine les autres et que seule la faiblesse rend le monde invivable. Que l’égalité des droits ne doit pas s’appliquer à certains hommes dont les comportements, les motivations, les mœurs ou les origines sont incompatibles avec l’idée qu’il se fait d’un monde où le concept même de « tolérance » est le germe d’une peste en puissance. L’homme de droite est ainsi, toujours, au rendez-vous de la colère, de la rancœur, du désir de revanche et de vengeance.  Parce qu’il ne porte aucun projet humaniste et qu’il est, de ce fait, dispensé de puiser dans le registre des « bons sentiments », il n’a qu’à attendre son heure pour triompher. C’est vrai dans toutes les sociétés humaines, et c’est vrai, également, de part et d’autre de l’Atlantique, à la veille d’élections importantes pour les Etats-Unis et pour la France.

Un choc de culture

La convention nationale démocrate, comme la républicaine qui l’a précédé, s’achève sur un constat brutal. Deux visions du monde s’opposent de manière désormais irréconciliable. A Cleveland, les républicains ont dépeint un monde en ruines et par dizaines, des intervenants sont venus tenir des discours empreints de cynisme, de méchanceté et d’insultes, avec Dieu en toile de fond, un dieu dont le projet est clairement perçu comme celui d’une grande purification. A Philadelphie, ce fut une célébration euphorique d’un monde en marche et porté par des idéaux, la négation de toute erreur et de l’auto-contemplation par des hommes et des femmes qui s’estiment meilleurs que les autres. Bien sûr, c’est l’Amérique : un pays où l’explicite est roi, ou le sous-entendu est impoli, où Dieu est en toutes choses, où la réussite individuelle est l’Alpha et l’Omega. Les républicains disent que l’Amérique est déconsidérée sur le plan international. Les démocrates estiment que leur pays est un phare pour l’Humanité. Et quel pays, au fond, quelle société, ne pense pas être le meilleur au monde ?

Un choix crucial

Les Français auraient bien tort de jeter un regard lourdement critique sur les Américains, et vice-versa. Les deux sociétés font face au même dilemme. Que le rapport de forces soit évidemment inégal n’y fait rien : l’Amérique ne dicte pas aux Français ce qu’ils doivent ressentir ou penser. Chacun va faire son choix. Nous ne sommes pas, ici, pour réécrire et paraphraser sans les citer, comme nombre de nos confrères, les dépêches des agences de presse. Les fidèles de ces colonnes en connaissent les fondements : un refus catégorique de se plier aux travers du journalisme corporatiste, des éditorialistes civilisateurs qui tordent le bras du lecteur, persuadés de leur supériorité intellectuelle. Le spectacle offert par les républicains et les démocrates, aux Etats-Unis, à la veille du réel début d’une campagne de 90 jours qui va opposer Donald Trump et Hillary Clinton, n’est rien d’autre que la version décomplexée du débat français à venir. Nous n’aimons pas plus l’acidité extrême des gens de droite que l’infinie bonne conscience des gens de gauche. Nous n’avons ni héros, ni admiration aveugle pour l’Amérique, ni jugement péremptoire sur la France qui aime tant l’auto flagellation.

Simplement, il va falloir choisir. Faire le choix de la revanche ou celui de l’adaptation. Faire un choix, sans doute, fondé sur le moindre risque, à moins que l’on ne considère justifié d’ouvrir une période, sans doute pour une dizaine d’années, où la violence sera opposée à la violence, jusqu’à ce que l’ennemi s’épuise, à moins qu’il ne s’agisse de nous.

Que chacun choisisse en conscience et en assume les conséquences, quel que soit ce choix.

Nous continuerons, ici, à dénoncer la faillite de l’intelligence et le triomphe de l’émotionnel, la coalition des bien-pensants et celle des fous de dieu, comme les évangélistes, à soutenir le droit de penser en dehors des lignes tracées par tant d’intellectuels et de journalistes lovés dans leur aristocratie spirituelle, et à défendre la libre expression. Nous le ferons, bien sûr, sans aucune faiblesse vis-à-vis de ceux qui n’ont de boussole que la haine du Juif, de l’Arabe, de l’Amérique, d’Israël, de la “gauche” en tant que prétendu monopole de la “générosité” et, finalement, de l’Autre: jamais, quel qu’en soit le prix.

Mais sans jamais, non plus, se soumettre au dogme de la politesse et de l’humanisme mou et faussement généreux.

Source : Marianne, Stephane Trano, 29/07/2016

Source: http://www.les-crises.fr/une-mise-au-point-sur-la-couverture-de-la-campagne-americaine-par-stephane-trano/