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Le jugement des Prud’hommes sur l’affaire Kerviel

Friday 8 July 2016 at 01:00

Trèèèès intéressant en fait…

Allez aux parties surlignées en jaune si vous manquez de temps…

Conseil de prud’hommes de Paris
Section encadrement chambre 5
7 juin 2016


Jugement contradictoire et en premier ressort
Prononcé à l’audience publique du 07 juin 2016 par Monsieur Hugues CAMBOURNAC, Président, assisté de Madame Christelle LEROY, Greffier
Débats à l’audience du : 19 mai 2016

Composition de la formation lors des débats :

M. Hugues CAMBOURNAC, Président Conseiller Employeur Mme Chantal COUTAUD, Conseiller Employeur Mme Christine GAUTREAU, Conseiller Salarié M. Pierre NOJLOT, Conseiller Salarié
Assesseurs

assistée de Madame Christelle LEROY, Greffier

ENTRE

M. K.

Assisté de Me David KOUBBI P246 (Avocat au barreau de Paris)

DEMANDEUR

ET

SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE 29 BOULEVARD HAUSSMANN
75009 PARİS Représenté par Me Arnaud CHAULET P461 (Avocat au barreau de PARIS)

DÉFENDEUR

PROCÉDURE
– Première saisine le 11 février 2013 le numéro de RG 13/01603. Mode de saisine : courrier posté le 8 février 2013.

— Convocation de la partie défenderesse par lettres simple et recommandée dont l’accusé réception a été retourné au greffe avec signature en date du 18 février 2013.

— Audience de bureau de conciliation en date du 04 juillet 2013. Les parties ont comparu et en l’absence de conciliation, l’affaire a été renvoyée en bureau de jugement. L’affaire a été radiée le 24 mars 2014.

— Saisine du Conseil : 01 Juillet 2015 par demande déposée au greffe le 29 juin 2015, sous le présente numéro de RG,

— Débats à l’audience de jugement du 19 mai 2016 à l’issue de laquelle, les parties ont été avisées de la date et des modalités du prononcé.

— Les parties ont déposé des pièces et écritures.

DEMANDES PRÉSENTÉES AU DERNIER ETAT DE LA PROCÉDURE

— Indemnité de licenciement légale : 13 609,23 €

— Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (36 mois) : 324 383,76 €

— Bonus 2007 : 300 000,00 €

— Indemnité compensatrice de préavis : 18 083.32 €

— Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 1808,336 €

— Dommages et intérêts pour préjudice moral consécutif aux conditions vexatoires dans lesquelles le licenciement est intervenu : 170 000,00 €

— Dommages et intérêts pour absence de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail : 4 915 610 154,00 €

— article 700 du code de Procédure Civile : 10 000,00 €

— Dépens
– Exécution provisoire
– Intérêts au taux légal

Demande présentée eņ défense SA SOCIETE GENERALE
– article 700 du code de Procédure Civile : 5 000,00 €

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et moyens des parties :

Les parties ont déposé des conclusions à l’audience du 19 mai 2016, exposé à la barre les faits propres à fonder leurs prétentions et apporté les justificatifs nécessaires à leurs succès.

Monsieur K. expose au Conseil que:

Il a été engagé par la Société Générale à compter du 1 août 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de Chargé de Middle-Office.

Son travail consistait à rentrer dans la base informatique les données utiles au traitement des opérations négociées par les traders.

En 2002, il a été nommé Assistant Trader sur le pôle arbitrage du département « Dérivés Actions et Indices ).

Courant 2004, il a été nommé « Assistant Trader Dédié » et en 2005 est devenu « Trader Junior ».

En 2007 il a fait gagner plus d’1,5 milliard d’Euros à la Banque. Il se verra gratifier d’un bonus de 300.000 € qu’il ne percevra pourtant pas.

Au 31 décembre 2007, il avait un encours d’opérations s’élevant à plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Malheureusement, à cette date, une crise profonde a fait chuter la bourse de sorte que virtuellement ses positions généraient une perte potentielle importante.

Il conteste tout d’abord les intentions frauduleuses que lui prête son employeur, n’ayant jamais tiré le moindre profit personnel de ces opérations.

En second lieu, il entend justifier que son employeur était parfaitement au courant de ses opérations et du dépassement de ses limites de placement.

Il conteste tout autant la gravité des fautes reprochées que la cause réelle et sérieuse de son licenciement et demande au Conseil de condamner son employeur à lui verser les indemnités de rupture.

La Société Générale pour sa part fait valoir au Conseil que :

Elle a été amenée à recruter Monsieur K. en date du 1 août 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de Chargé de Middle Office.

En juillet 2002, après deux années passées au Middle Office, Monsieur K. a sollicité et obtenu un changement de poste devenant Assistant Trader.

En cette qualité il était chargé d’apporter un service et une assistance matérielle au trading, son rôle consistant à tenir le trader informé au quotidien de ses positions et de son résultat. Il était le garant de la correcte alimentation des produits dans les bases de gestion et veillait au bon traitement des opérations par le Back Office.

Au second semestre 2004, il a été affecté sur un autre desk et a alors exercé son activité dans la Salle des marchés, directement aux côtés des traders qu’il assistait, apprenant progressivement Son métier de trader dans le domaine du « Market Making ».

C’est dans ces conditions qu’elle a accepté en 2005 la promotion sollicitée par Monsieur K. et qu’il est passé au Front Office, en devenant « trader junior ».

Monsieur K. a utilisé des manoeuvres frauduleuses pour dissimuler ses prises de positions sur les marchés, dont elle n’a eu connaissance que le 18 janvier 2008.

Ces faits ayant été qualifiés de frauduleux sur le plan pénal, elle indique au Conseil que celui-ci n’est pas habilité à les requalifier et qu’il doit confirmer le licenciement pour fautes lourdes de Monsieur K. et le débouter de l’intégralité de ses demandes.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de Procédure Civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le Conseil renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l’audience ainsi qu’aux prétentions orales reprises au dossier.

A titre liminaire:

Attendu qu’il n’est pas contesté que Monsieur K. a été licencié par courrier recommandé du 12 février 2008 ; qu’il n’est pas non plus contesté que Monsieur K. a saisi la présente juridiction d’une demande à l’encontre de la Société Générale en date du 08 février 2013, enregistrée le 11 février 2013 soit 5 ans après son licenciement ; que l’affaire a été inscrite à la séance de Conciliation du 04 juillet 2013 ;

Attendu qu’à la séance de conciliation du 04 juillet 2013, les parties n’étant pas parvenues à un accord, le Conseil a fixé des dates de communication de pièces :

Au 30 novembre 2013 pour le demandeur
Au 15 janvier 2014 pour le défendeur
Que les parties ont accepté ce calendrier de communication de pièces et conclusions, en signant avec le Président du Bureau de Conciliation le plumitif.

Et renvoyé l’affaire à l’audience du bureau de jugement du 24 mars 2014 pour plaidoiries au fond
Que le demandeur a sollicité du Conseil que soit prévu à cette audience un temps pour les plaidoiries dépassant largement le temps habituellement accordé aux plaideurs.

Attendu qu’à l’appel des causes de l’audience du bureau de jugement du 24 mars 2014, les avocats de Monsieur K. ont déclaré ne pas être en état dans la mesure où d’une part, malgré leurs demandes nombreuses et répétées, ils n’avaient reçu les pièces de la part de la Société Générale que le 20 février 2014 soit peu de temps avant l’audience ; que d’autre part bien qu’ayant conclu, ils n’ont pas été en mesure de soumettre leurs conclusions à Monsieur K., celui-ci rentrant de Rome à pied ; qu’ainsi ils ne contestent pas n’avoir pas respecté le calendrier de communication de pièces ; que de ce fait ils sont contraints de solliciter un renvoi ; que la Société générale ne s’y oppose pas ; que pour éviter que les parties ne récidivent à la prochaine audience, le Conseil a décidé de prononcer une radiation motivée, de sorte que les parties n’ignorent pas que l’affaire ne pourra être rétablie que dès lors qu’elles auront accompli les diligences mises à leur charge; que Monsieur K. a sollicité par courrier du 29 juin 2015 le rétablissement de son affaire au rôle; que l’affaire a été inscrite à l’audience du Bureau de Jugement de ce jour jeudi 19 mai 2016.

Attendu, dans ces conditions, que seuls les agissements exclusifs des parties sont responsables des délais importants entre la date de la rupture du contrat de travail de Monsieur K. et la date du jugement (8 ans et quart), de sorte que ni le présent Conseil des Prud’hommes, ni l’État Français ne pourront être sanctionnés de ce retard et avoir à en supporter les conséquences.

En droit :

1. Sur la rupture des relations contractuelles

Attendu que le contrat de travail de Monsieur K. n’est pas contesté; qu’il n’est pas contesté que Monsieur K. a été licencié pour fautes lourdes par courrier du 12 février 2008 ; que Monsieur K. conteste tout autant l’extrême gravité des fautes reprochées que la cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Attendu que les dispositions de l’article 6 du code de Procédure Civile stipulent: «A l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder », et l’article 9 ajoute : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la Loi, les faits nécessaires au succès de leurs prétentions»; qu’en conséquence la charge de la preuve de la contestation des griefs revient à Monsieur K., la Société Générale ayant pour sa part la charge d’établir l’extrême gravité des fautes commises par Monsieur K. ayant entrainé son licenciement pour fautes lourdes; qu’en application des dispositions de l’article L 1235-1 du code du Travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.

Attendu que Monsieur K. produit sa lettre de licenciement; qu’en application des dispositions de l’article L 1232-6 du code du Travail, la lettre de licenciement circonscrit les limites du litige entre les parties et lie le juge; que celle-ci est ainsi libellée: «Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008 des positions directionnelles sur différents indices boursiers européens, d’un montant considérable (de l’ordre de 50 milliards d’euros) sans commune mesure avec la limite de risque de votre activité (125 millions d’euros). Vous avez dissimulé ces positions directionnelles de manière frauduleuse, notamment par de nombreuses opérations fictives et la falsification de documents censés justifier ces opérations. Au total ces agissements ont causé un préjudice considérable, tant sur le plan financier, de l’ordre de 4,9 milliards d’euros, que sur le plan de l’image de l’entreprise».

Attendu, à titre principal, que Monsieur K. invoque la prescription des faits au moment de leur sanction; que pour ce faire il évoque les pratiques de fonctionnement de la table de marché à laquelle il était affecté, précisant qu’un tableau des encours était publié chaque matin, de sorte que personne ne pouvait ignorer le volume des encours de chacun des traders.

Attendu pour sa part que la Société Générale soutient que les agissements de Monsieur K. ayant été jugés de manière définitive au plan pénal, le présent Conseil n’est pas habilité à les requalifier; que dans ces conditions le Conseil ne peut qu’entériner le licenciement pour fautes lourdes de Monsieur K..

Attendu que la prescription des faits est, en matière de droit du travail, définie par les dispositions de l’article L 1332-4 du code du Travail qui stipulent : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales » ; que pour sa part la Société Générale soutient qu’elle n’a eu connaissance des faits que le 18 janvier 2008; qu’en conséquence le licenciement de Monsieur K. pour fautes lourdes serait justifié ; que cependant les dispositions de l’article L 1232-6 du code du Travail stipulent : « Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur » ; que la rupture du contrat de travail est intervenue le jour où l’employeur a manifesté la volonté d’y mettre fin, soit le jour de la notification du licenciement ; que c’est à cette date et exclusivement à cette date que le présent Conseil doit analyser la régularité de la procédure mise en oeuvre par l’employeur d’une part, la validité du licenciement au regard des dispositions du Code du Travail d’autre part et que c’est uniquement une fois ces deux conditions remplies que le Conseil doit juger de l’adéquation des faits et griefs invoqués par l’employeur avec la qualification de la sanction retenue par celui-ci et la rupture des relations contractuelles, toute qualification ultérieure différente des faits étant, au regard du même code, inopérante.

Attendu que la Société Générale, considérant que les manoeuvres de Monsieur K. étaient d’une extrême gravité, l’a licencié pour fautes lourdes en précisant « Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008 des positions directionnelles sur différents indices boursiers européens, d’un montant considérable (de l’ordre de 50 milliards d’euros) sans commune mesure avec la limite de risque de votre activité (125 millions d’euros)» ; que cependant la Société Générale, alertée par l’Autorité des Marchés Financiers reconnaît avoir rappelé à l’ordre oralement Monsieur K. mi-2005 sans le sanctionner, celui-ci ayant pris des engagements sur les marchés dépassant la limite de 125 millions d’euros;

OB : C’est à dire que la banque non seulement ne sanctionne pas le non-respect des règles 3 ans avant l’affaire, mais qu’en plus elle ne place pas Kerviel sous surveillance renforcée… Sacrée banque…

qu’en suite Monsieur K. produit un mail émanant de Madame A. en date du 16 avril 2007, adressé à 5 interlocuteurs différents de la banque et intitulé « IMPORTANT : écarts sur futurs et fwd du 2A (C1), ce mail pour vous informer que nous avons 88 Mios d’écart FO/CO sur trois futurs dax juin. Ces futurs/fiwd sont des opérations fictives» ; que la Société Générale ne peut donc prétendre n’avoir pas été au courant des opérations fictives de Monsieur K. avant le 18 janvier 2008;

qu’en réponse à ce mail, Monsieur Lombard indique par mail” du 17 avril 2007 : « Je considère comme acquis que c’est à cette date que les constatations de franchissement de barrière commencent » que par ailleurs la Société Générale produit le Procès-Verbal intitulé : «Courriers électroniques de notification de dépassements de limites envoyés par le département des risques à Monsieur K. au cours des années 2006-2007 » ; que ce procès-verbal recense des courriels en date des 20/08/2007, 21/08/2007, 22/08/2007, 30/08/2007, 20/09/2007, 24/10/2007;

OB : 6 mails de dépassement des plafonds autorisés à Kerviel produits par la banque ??? Ah oui, c’est une très grosse blague tout ça…

J’imagine que le fait que ça se passe fin d”été 2007 / automne 2007, soit au moment ou Kerviel accumule les centaines de millions de positions gagnantes est du hasard…

ob_377ec1_resultats2007

que là encore la Société Générale, ayant elle-même alertée Monsieur K. de ses dépassements, ne peut valablement prétendre n’avoir pas été informée avant le 18 janvier 2008;

OB : et les médias nous présentent depuis 8 ans la banque comme victime, donc…

que par ailleurs par courrier du 7 novembre 2007 adressé au déontologue de la banque, la Société Générale a été alertée par le marché à terme allemand EUREX pour des prises de positions importantes réalisées par Monsieur K. sur le titre ALLIANZ :

qu’il n’est également pas contesté que la Société Générale a payé mensuellement tout au long de l’année 2007, des frais de financements et des frais de commissions très volumineux, en rapport avec les volumes traités par Monsieur K. ; qu’en conséquence l’employeur ne peut donc prétendre de n’avoir pas été au courant de longue date des dépassements d’autorisation pratiqués par Monsieur K. générant des encours très nettement supérieurs à ses pouvoirs de souscription, et en tout état de cause dans un délai de plus de deux mois par rapport à la date du 18 janvier 2008;

que dans ces conditions l’employeur ne peut en aucun cas se prévaloir d’une faute dès lors qu’il a antérieurement toléré rigoureusement les mêmes faits et agissements en maintenant la poursuite des relations contractuelles sans y puiser, à l’époque, un motif de sanction.

Attendu cependant que la Société Générale produit deux exemplaires de la Charte de Déontologie du personnel ; qu’il n’est pas contesté que le premier est uniquement paraphé et le second paraphé et signé par Monsieur K. en date du 20 juillet 2000; qu’aucun de ces deux documents ne fait référence à une quelconque limite de prise de risques; que la Société Générale produit également le Cahier de Procédures Trading; que ce document n’est ni paraphé, ni signé par Monsieur K. de sorte que la Société Générale ne rapporte pas la preuve de son acceptation formelle par ce dernier; que ce document stipule en son paragraphe sur les “Risque de Marché / Risque Opérationnel / Risque de Crédit : «Chaque Trader doit avoir connaissance des limites de risques de marché qui lui sont octroyées par son Risk manager et être capable d’exhiber un document reprenant les limites de risque de l’activité à laquelle il appartient»; que ce Cahier des Procédures ne fait nullement mention d’une quelconque limite affectée à Monsieur K. ; que par ailleurs la Société Générale ne produit pas le document de limite de Monsieur K..

C’est balot…

Attendu cependant que la Société Générale expose que la limite de 125 Millions d’euros était connue de tous les traders de la table de marché à laquelle était affecté Monsieur K. ; que cette limite s’appliquait journellement à l’ensemble des traders ; que dans ces conditions Monsieur K. ne pouvait ignorer cette limite;

Belle gestion des risques, du lourd…

que la Société Générale a confirmé à la barre que cette limite s’appliquait collectivement sans pour autant expliquer comment les dépassements pris par un seul des traders de la table de marché n’ont jamais provoqué de blocage des passages d’ordres des autres traders logiquement privés de capacités de souscriptions; sans non plus rapporter aucun élément de nature à justifier que seul Monsieur K. dépassait cette limite, et que jamais aucun autre trader n’avait outrepassé ces limites sauf à admettre que les dépassements de Monsieur K. étaient connus de tous et donc tolérés.

Attendu également que les objectifs fixés à Monsieur K. étaient revus chaque année en fonction de ses résultats de l’année précédente, passant ainsi de 3 à 5 millions d’euros entre 2005 et 2006, de 5 à 12 millions d’euros entre 2006 et 2007 ; qu’il n’est pas contesté que ces résultats étaient «hors normes» par rapport aux autres traders de la même table de marché, que la Société Générale ne rapporte aucun élément de nature à justifier que de tels objectifs pouvaient être atteints dans le strict cadre du respect des limites d’opérations.

OB : objectifs x 4, dans une activités ou le gain unitaire est faible, où est le problème ?

Attendu également que la Société Générale produit le rapport établi par l’Inspection Générale de la Banque” en date du 20 mai 2008, intitulé « Rapport Green » ; que ce rapport, s’il décrit les manoeuvres utilisées par Monsieur K., n’en définit pas moins les dysfonctionnements et responsabilités :

«S’agissant du Front Office, la supervision de M. K. est avérée défaillante, surtout depuis 2007, en dépit de plusieurs alertes fournissant motif à vigilance et investigations». De 09/2004 à 01/2007 : «le management de la table n’a identifié ni les premières transactions frauduleuses ni leur dissimulation tandis qu’il tolérait, tout en les surveillant, des prises de positions directionnelles intraday de M. K. sans lien avec son mandat». A partir d’avril 2007 : «la supervision de M. K. par son nouveau manager direct se révèle défaillante tandis que la chaîne hiérarchique ne réagit pas de manière appropriée à plusieurs signaux d’alerte; en matière de surveillance des risques et de suivi de l’activité au quotidien, l’encadrement direct de la table DLP s’est avéré lacunaire»;

que ce rapport stipule également que le mandat de Monsieur K. n’a pas été formalisé; que par ailleurs aucun des agents du Front Office ne disposait d’un mandat formalisé détaillant les missions à assurer, les objectifs à atteindre, les produits et opérations autorisées et les limites attribuées; qu’il n’est pas contesté également que le contrat de travail de Monsieur K. ne comportait aucune définition précise du poste occupé, pas plus qu’il ne fixait la limite de ses possibilités d’engagements;

OB : Chapeau les artistes…

que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à juger que la Société Générale avait connaissance des dépassements de limites de prises de positions par Monsieur K. bien avant le 18 janvier 2008.

Attendu qu’il n’est pas contesté que la commission bancaire a infligé le 3 juillet 2008 à la Société générale un blâme et une amende de 4 millions d’euros pour des «carences graves du système de contrôle interne»; qu’elle remarque que «les défaillances relevées, en particulier les carences des contrôles hiérarchiques, se sont poursuivies pendant une longue période, à savoir l’année 2007, sans que le système de contrôle interne n’ait permis de les déceler et de les corriger»;

que la Société Générale reconnaît dans la lettre de licenciement en écrivant « Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008….», que les agissements de Monsieur K. ont couru tout autant avant et pendant l’année 2007 que début 2008 ; qu’il n’est pas contesté qu’en 2007, ces mêmes agissements ont permis à la banque de dégager un profit de quelque 1,5 milliard d’euros ; qu’en sanctionnant en 2008 Monsieur K. pour les pertes générées par ses prises de positions, la Société Générale n’a pas sanctionné les agissements de Monsieur K. mais les conséquences de ceux-ci; qu’il n’est pas contesté que Monsieur K. a engagé des fonds de la banque dans le cadre de ses fonctions mais sans avoir soustrait aucune somme d’argent à son profit; que les profits ou les pertes générés par ces dépassements qui ont commencé à intervenir dès 2005-2006, ont été acquis à la banque; que la Société Générale n’a pas justifié de la volonté délibérée de Monsieur K. de lui nuire, ne contestant pas que Monsieur K. n’en a jamais tiré aucun enrichissement à titre personnel; qu’elle n’a pas non plus rapporté la preuve que les agissements qualifiés de frauduleux ont été utilisés dans la seule intention de produire des pertes et non pas dans l’objectif développé les années précédentes et en particulier tout au long de l’année 2007 de dégager des profits.

Attendu, au vu des éléments développés par les parties, des justificatifs apportés par chacun au succès de ses prétentions, que le présent Conseil est bien fondé à juger que le licenciement de Monsieur K., quelle que soit qualification des faits y compris la qualification pénale de ceux-ci, est intervenu pour des faits prescrits en application des dispositions de l’article L.1332-4 du code du Travail déjà cité; que cette violation des dispositions légales prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Attendu, en conséquence que le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de l’indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants n’ont pas été contestés par la Société Générale.

Attendu, en ce qui concerne l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, que Monsieur K. ayant une ancienneté supérieure à deux ans au sein de l’entreprise, et celle-ci disposant d’un effectif supérieur à 10 salariés, les dispositions de l’article L 1235-3 du code du Travail s’appliquent ; que Monsieur K. peut prétendre à une indemnité minimum équivalente au salaire des six derniers mois ; que cependant, eu égard à son ancienneté dans l’entreprise le présent Conseil est bien fondé à octroyer à Monsieur K. à la charge de son employeur une somme de 100.000,00 euros équivalente à 11 mois de salaires.

2. Sur les dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement

Attendu qu’il n’est pas contesté que le licenciement de Monsieur K. a été particulièrement médiatisé; que le présent Conseil a jugé que ce licenciement ne répondait pas aux exigences du Code du Travail, le privant ainsi de cause réelle et sérieuse ; que l’existence du préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ; que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de 20.000,00 Euros à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement.

3. Sur le bonus de l’année 2007

Attendu que Monsieur K. revendique le paiement d’un bonus pour l’année 2007 à hauteur de 300.000 Euros ; qu’en application des dispositions des articles 6 et 9 du code de Procédure Civile déjà cités, la charge de la preuve lui revient; que pour ce faire, Monsieur K. fait état de discussions intervenues avec sa hiérarchie fin 2007 et basées sur ses résultats avoisinant 1,5 milliard d’euros ; qu’à l’appui de ses prétentions il produit le témoignage” de Monsieur R. , son n+2 qui précise :
« L’appréciation de la performance et du travail de M. K. en 2007 lors de son entretien d’évaluation (novembre 2007) était très positive avec un bonus autour de 300.000 Euros. Monsieur K. allait recevoir une rémunération élevée au regard de son expérience et de son historique de performance » ; que pour sa part la Société Générale rappelle que le contrat de travail de Monsieur K. ne prévoit ni bonus contractuel, ni pourcentage sur les résultats; que le bonus n’est que discrétionnaire; que les manoeuvres de Monsieur K. découvertes en janvier 2008 l’ont logiquement amenée à ne pas lui payer de bonus pour l’année 2007 et qu’elle lui en conteste de ce fait tout droit; que cependant la Société Générale n’a pas contesté les résultats 2007 particulièrement élevés de Monsieur K. ; qu’elle a confirmé à la barre que ceux-ci se situaient aux alentours de 1,4/ 1,5 Milliard d’euros; que la Société Générale, bien qu’ayant été parfaitement au courant des opérations fictives de Monsieur K. et de ses manoeuvres frauduleuses pour aboutir à un tel résultat n’en a pas moins enregistré ce 1,4 milliard d’euros dans ses comptes; que le bonus proposé pour 2007 ayant pour objet de sanctionner les résultats de l’année 2007, dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de 300.000,00 Euros, au titre du bonus 2007.

4. Sur les dommages et intérêts pour absence de bonne foi par l’employeur dans l’exécution du contrat de travail

Attendu que Monsieur K. revendique le paiement d’une somme de 4.915.610.154,00 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de bonne foi dans l’exécution par l’employeur du contrat de travail ; qu’en fonction des dispositions des articles 6 et 9 du code de Procédure Civile déjà cité, la charge de la preuve lui revient ; qu’à la barre, Monsieur K. a affirmé que cette demande était formulée dans le seul but de répondre, sur les mêmes bases, à la demande de la Société Générale mais qu’il ne disposait pas du moindre justificatif; que par ailleurs aucune analyse réalisée par un expert indépendant n’a fourni au présent Conseil d’éléments objectifs; que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à débouter Monsieur K. de sa demande sur ce point.

Attendu enfin que Monsieur K. n’ayant produit rigoureusement aucun justificatif les frais irrépétibles qu’il a été amené à engager dans le cadre de la présente procédure, le présent Conseil sera bien fondé à limiter la condamnation de la Société Générale au paiement d’une somme de 2.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de Procédure Civile ; que la Société Générale succombant sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, après en avoir délibéré, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort :

Condamne la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de :

— 18.083,32 Euros (Dix-huit mille quatre-vingt-trois euros et trente-deux centimes) à titre d’indemnité
compensatrice de préavis.

— 1.808,33 Euros (mille huit cent huit euros et trente trois centimes) à titre de congés payés afférents.

— 13.609,23 Euros (treize mille six cent neuf euros et vingt-trois centimes) à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.

— 300.000,00 Euros (trois cents mille euros) à titre de bonus 2007.

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 18 février 2013 et jusqu’au jour du paiement.

Rappelle qu’en vertu de l’article R. 1454-28 du Code du Travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire.

Fixe la moyenne à 9.041,66 Euros (neuf mille quarante-et-un Euros et soixante-six centimes).

Ordonne la remise des documents sociaux conformes à la présente décision :

— 100.000 Euros (cent mille euros) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

— 20.000,00 Euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement.

— 2.000 Euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de Procédure Civile.

Ordonne en application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du Travail remboursement par la Société Générale à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Monsieur K. dans la limite de 5.000,00 Euros (cinq mille euros).

Ordonne en application des dispositions de l’article 515 du code de Procédure Civile on provisoire sur la totalité des sommes non versées au titre des dispositions de l’article R 1454-28 du Code du travail précité.

Dit qu’en application des dispositions de l’article 517 du code de Procédure Civile, ces sommes complémentaires devront être consignées par la Société Générale auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations
Déboute Monsieur K. du surplus de ses demandes.

Reçoit la Société Générale en sa demande au titre de l’article 700 du code de Procédure Civile mais l’en déboute.

Condamne la Société Générale aux dépens.

Cons. prud’h. Paris, sect. encadrement ch. 5, 7 juin 2016, n° 15/08164

Cet autre procès débutera le 15 juin.

Les réaction de Maitre Eolas (souvent bien mieux inspiré… mais il a eu tendance à soutenir la SocGen dès le début) ont été éloquentes :

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Le billet n’est hélas jamais venu… En revanche, la seconde victoire provisoire de Kerviel (en appel), oui :

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Les médias nous auraient-il menti ?

P.S. voir aussi une analyse des pertes ici. Intéressant, il semble que le résultat de Kerviel était après le débouclage de -6,2 Md€, mais que les traders de la banque, durant ces quelques jours, sur un marché en pleine baisse, ont gagné +2,2 Md€ (je ne sais pas si le solde de +1,5 MD€ de Kerviel est dedans ou pas, mais je ne pense pas). Quelqu’un a-t-il enquêté pour savoir s’il n’y avait pas eu délit d’initié de la part des traders de la banque, dont certains savaient qu’ils allaient déboucler d’énormes opérations et perdre de l’argent, donc faire baisser le marché ?

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Source: http://www.les-crises.fr/le-jugement-des-prudhommes-sur-laffaire-kerviel/


Nathalie Le Roy: « Je ne suis pas seule à prétendre que l’enquête sur Kerviel a été manipulée »

Friday 8 July 2016 at 00:30

Petite compilation…

Nathalie Le Roy : « Je ne suis pas seule à prétendre que l’enquête sur Kerviel a été manipulée »

Source : 20 minutes, Vincent Vantighem, 18.01.2016

Paris, le 15 janvier 2016. Nathalie Le Roy, ancienne commandante de la Brigade financière, dénonce des dysfonctionnements dans l'enquête Kerviel. - V.VANTIGHEM / 20 MINUTES

Paris, le 15 janvier 2016. Nathalie Le Roy, ancienne commandante de la Brigade financière, dénonce des dysfonctionnements dans l’enquête Kerviel. – V.VANTIGHEM / 20 MINUTES

Elle a décidé de continuer ses investigations seule et en dehors de tout cadre juridique. Ancienne commandante de la Brigade financière, la policière Nathalie Le Roy a fait part, dès 2012, de ses « doutes » au sujet de l’enquête qu’elle dirigeait sur Jérôme Kerviel. Ce dimanche, elle rend public un enregistrement clandestin de Chantal de Leiris. Ancienne vice-procureure au parquet de Paris [elle est aujourd’hui réserviste], celle-ci déclare, à son tour, que l’enquête a été « manipulée » par la Société générale. Mise en cause par la banque dans l’émission « Complément d’enquête », jeudi 14 janvier, Nathalie Le Roy a décidé d’expliquer sa démarche en exclusivité dans 20 Minutes

Pourquoi avez-vous décidé d’enregistrer à son insu Chantal de Leiris, la vice-procureure au parquet de Paris ?

J’ai commencé à avoir des doutes sur l’affaire Kerviel dès 2012. Petit à petit, ils se sont transformés en certitudes. Une fois détachée de mes fonctions au sein de la Brigade financière le 1er mars 2015, j’ai donc décidé de poursuivre mes investigations, seule, de manière informelle. C’est dans ce cadre que j’ai pris rendez-vous avec Chantal de Leiris. Et j’ai pris la précaution d’enregistrer les preuves des dysfonctionnements que je dénonce depuis un an.

Avec Chantal de Leiris, nous avions déjà évoqué ce sujet précédemment. Je me suis vue contrainte de l’enregistrer sans lui dire car je savais que mes seuls doutes ne suffiraient pas et que je serais lâchée par ma hiérarchie si je les rendais publics. Ce qui n’a pas manqué d’arriver…

Pourquoi avez-vous remis cet enregistrement à David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel ? Et pourquoi le publier maintenant alors qu’il a été réalisé le 17 juin 2015 ?

Oui, j’ai cet enregistrement en ma possession depuis juin 2015. J’avais fait part de mes doutes au juge d’instruction bien avant mais je déplore qu’ils n’aient pas fait avancer l’enquête et mis en lumière les dysfonctionnements dans cette affaire. J’ai donc décidé de remettre cet enregistrement à David Koubbi, à toutes fins utiles. Je ne voyais pas à qui d’autre faire part de ces éléments pour les rendre publics.

Pourquoi maintenant ? Parce que je me rends compte que la Société générale persiste à prétendre que mes doutes, mes assertions, ne reposent que sur un ressenti personnel. C’est du reste ce qu’elle a encore répété lors de l’émission « Complément d’enquête » sur France 2 le 14 janvier.


Complément d’enquête. Kerviel : des témoignages troublants

Or, les éléments contenus dans cet enregistrement montrent bien l’étendue des dysfonctionnements qui ont affecté ce dossier. Je ne suis pas seule à prétendre que l’enquête sur Jérôme Kerviel a été manipulée par la Société générale. Rendre public le contenu de la bande est aussi un moyen de me protéger.

N’avez-vous pas peur de mettre en difficulté Chantal de Leiris ?

J’ai très longuement hésité à publier cet enregistrement, ne souhaitant pas la mettre en difficulté. Mais, c’est pour moi, une façon de reconnaître le courage qu’elle a eu de me faire ces révélations, sachant qu’elle connaissait très bien ma position. Au risque de perdre sa confiance, je privilégie la vérité et les raisons qui m’ont conduite à rentrer, un jour, dans les rangs de la police. Je veux que la justice soit bien administrée.

Source : 20 minutes, Vincent Vantighem, 18.01.2016

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Affaire Kerviel : l’ex-PDG de la Société Générale accusé de délit d’initiés

Source : Challenges, 02-03-2016

D’après Mediapart et les Inrocks, Daniel Bouton aurait informé quatre jours avant la révélation du scandale plusieurs banquiers du “débouclage” imminent des positions prises par le trader Jérôme Kerviel.

Nouvelles révélations dans l’affaire Kerviel/Société Générale. Mediapart et les Inrocks donnent la parole dans un article à une journaliste financière affirmant que Daniel Bouton, le PDG de la banque à l’époque, avait informé plusieurs banquiers concurrents du “débouclage” imminent des positions prises par Jérôme Kerviel. Et ce, bien avant l’annonce officielle du scandale, pour leur demander leur aide.

La journaliste financière Marie-Jeanne Pasquette cite plus précisément deux banquiers, dont un, interrogé par Mediapart, a toutefois démenti. Il s’agit de Philippe Dupont, ancien président des Banques populaires, et Georges Pauget, ancien directeur du Crédit agricole. Selon des propos rapportés par cette journaliste, Daniel Bouton les aurait appelés dès le dimanche 20 janvier 2008, soit quatre jours avant la conférence de presse du 24 janvier qui allait officialiser “l’affaire Kerviel”.

Ebruiter ainsi une opération boursière aussi sensible, qui consiste à solder pour plusieurs milliards d’euros de pertes, avant que les marchés ne soient officiellement informés, reviendrait à orchestrer un délit d’initiés et une manipulation. Face à ces accusations de délit d’initiés, le groupe bancaire a annoncé une plainte en diffamation.

Plainte de la Société Générale

“Les avocats de Société Générale ont pour instruction de porter plainte pour diffamation” contre les directeurs des deux publications et les journalistes impliqués, a indiqué Jean Veil, avocat de la Société Générale. Me Veil estime que les informations relayées par les deux publications ont pour effet d’accuser l’ancien patron du géant bancaire Daniel Bouton de “délit d’initiés”, ce qui est selon lui “intolérable”.

Me Veil soutient que si Daniel Bouton a informé d’autres banquiers, il ne l’a fait que dans les règles, dans la soirée précédant la conférence de presse, ou juste avant, hors ouverture des marchés.

Le géant bancaire s’insurge également contre une autre information mise en avant notamment par les Inrocks: un éventuel “bluff” de la banque afin d’alourdir la perte attribuée à Jérôme Kerviel, officiellement 4,9 milliards d’euros. Ce qui aurait permis de masquer d’autres défaillances, sans lien avec l’ex-trader. Cette version avait été défendue lors du procès en appel de l’ex-trader par Philippe Houbé, alors employé d’une filiale de la Société Générale.

Dans un communiqué, la banque évoque des “pseudo-révélations” qui n’ont “pas été retenues par les tribunaux”. Un “travail de recyclage”, selon le groupe bancaire. Recyclage ou pas, une ramification de plus pourrait s’ajouter à la tentaculaire affaire Kerviel qui, huit ans après, n’en finit plus d’occuper les tribunaux français. L’ex-trader, qui reproche à la banque d’avoir couvert ses phénoménales prises de risque en toute connaissance de cause avant de le lâcher, tente en particulier de faire réviser sa condamnation pénale.

Source : Challenges, 02-03-2016

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La Société générale condamnée à verser 450 000 euros à Jérôme Kerviel

Source : Le Nouvel Obs07/06/2016

Le conseil de prud’hommes de Paris a jugé que le licenciement de Jérôme Kerviel par la Société Générale en 2008 s’était fait sans “cause réelle ni sérieuse”.

Le feuilleton continue. Le conseil de prud’hommes de Paris a condamné, ce mardi 7 juin, la Société générale à payer plus de 450.000 euros à son ancien trader Jérôme Kerviel pour l’avoir licencié sans “cause réelle ni sérieuse” et dans des conditions “vexatoires”.

C’est la première victoire judiciaire de l’ancien trader dans le bras de fer qui l’oppose depuis huit ans à son ancien employeur, lequel le rend seul responsable d’une perte de 4,9 milliards d’euros.

Une décision “scandaleuse”

L’avocat de la banque, Arnaud Chaulet, a dénoncé auprès de l’AFP une décision “scandaleuse” et fait appel, rappelant que Jérôme Kerviel avait été reconnu coupable au plan pénal pour des manoeuvres boursières frauduleuses.

Le conseil des prud’hommes a estimé, dans un jugement très sévère pour la Société générale, que cette dernière avait connaissance des dépassements par Jérôme Kerviel des limites imposées aux opérations de marché “bien avant” de lui signifier son licenciement le 18 janvier 2008.

Kerviel “très content”

De son côté, le conseil des prud’hommes a souligné que le licenciement début 2008 était intervenu pour “des faits prescrits”.

Cette juridiction civile a notamment accordé à l’ancien trader le paiement d’un bonus de 300.000 euros pour l’année 2007, jugeant qu’à l’époque la banque était “parfaitement au courant des opérations fictives” de Jérôme Kerviel, qui ont généré des profits pour le groupe.

En ajoutant diverses indemnités dont une pour les “conditions vexatoires” du licenciement, des congés payés, et des dommages intérêts, la somme se monte à quelque 455.000 euros, dont plus de 80.000 payables immédiatement, selon l’avocat de Jérôme Kerviel, Julien Dami Lecoz.

Celui-ci a averti l’ancien trader par téléphone, qui s’est dit “très content” de cette première décision en sa faveur.

Sur Twitter, il a également félicité ses avocats :

“Le combat continue encore et toujours… jusqu’à la fin. #Increvables”

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Source : Le Nouvel Obs07/06/2016

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Source : 20 Minutes, 17/06/2016

Affaire Kerviel: La Société Générale a «laissé faire», affirme un témoin

JUSTICE La cour doit déterminer si l’ex-trader, condamné pour abus de confiance, doit payer les 4,9 milliards d’euros exigés par la banque…

acques Werren, ancien dirigeant du marché à terme Matif, est affirmatif.

La Société Générale ne pouvait ignorer les agissements de Jérôme Kerviel et l’a donc « laissé faire », a déclarer jeudi sans ciller face à la cour d’appel de Versailles ce témoin cité par la défense de l’ancien trader devant la cour d’appel de Versailles La cour doit déterminer si l’ex-trader, condamné pour abus de confiance, doit payer les 4,9 milliards d’euros exigés par la banque, soit l’intégralité des pertes imputées à Jérôme Kerviel.

La banque l’a « laissé faire »

La Cour de cassation a en effet confirmé en 2014 sa condamnation à cinq ans de prison, dont trois ferme, mais cassé les dommages et intérêts réclamés par la Société Générale, estimant que ses mécanismes de contrôle avaient failli. « La thèse selon laquelle la Société générale n’a pas vu les opérations de Jérôme Kerviel est un défi au bon sens », a asséné Jacques Werren, au second des trois jours d’audience.

« Le marché à terme » sur lequel opérait l’ex-trader « faisait l’objet d’un suivi quotidien », a-t-il assuré à la barre. Et pour ce spécialiste des places boursières, il n’est « pas possible de dissimuler » ou de « cacher des positions » sur ce type de marché. La banque l’a donc « laissé faire », selon lui.

Une expertise financière réclamée par Kerviel

Ce que réfute la Société générale, qui assure que Jérôme Kerviel a pris massivement des positions fictives frauduleuses sans en référer à sa hiérarchie. Cité lui aussi par la défense, un ex-employé de la SocGen, chargé du contrôle des activités de trading à l’époque des faits, a affirmé qu’« aucune des opérations fictives » passées par le trader « n’a pu atteindre la comptabilité » de la société et que les pertes revendiquées par la banque après l’affaire Kerviel ne représentaient pas la réalité.

En fin d’audience, Jérôme Kerviel est revenu à la charge. « Depuis l’origine, je ne cesse de réclamer une expertise financière, ça m’a été systématiquement refusé. Je sollicite à nouveau une expertise pour qu’on ait le coeur net » sur les pertes de la SocGen dans cette affaire.

Un enregistrement audio qui pourrait faire basculer l’enquête

Plus tôt dans la journée, la défense de l’ex-trader avait produit un enregistrement audio qui, selon elle, montrait que le dossier judiciaire avait été « manipulé » par la banque. Dans cet enregistrement clandestin, on entend une conversation privée entre l’ancienne vice-procureure de la République de Paris Chantal Colombet-De Leiris et une ex-policière de la Brigade financière, Nathalie Le Roy, chargée d’enquêter sur l’affaire.

Dans des extraits sélectionnés par la défense et diffusés à l’audience après l’avoir été dans la presse en janvier, la magistrate aujourd’hui retraitée pointe des dysfonctionnements. « Vous étiez entièrement manipulée par la Société Générale », dit-elle à son interlocutrice qui lui réplique : « On ne savait pas où aller. On a été dirigés en fait ».

Et la magistrate d’affirmer que ce n’est pas un magistrat qui a rédigé l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris, « c’est un des avocats (de la Société Générale) qui lui a communiqué ».

A l’issue de l’écoute de l’enregistrement, un avocat mandaté par Chantal Colombet-De Leiris a demandé à la cour de juger la diffusion de l’enregistrement illégal. En vain.

Source : 20 Minutes, 17/06/2016

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Source : La Tribune, 17/06/2016

Procès Kerviel : l’avocat général estime que la Société générale ne peut prétendre aux 4,9 milliards d’euros de dommages-intérêts

“La Société générale a laissé le champ libre aux velléités délictuelles de Jérôme Kerviel”, a estimé Jean-Marie d’Huy. Le jugement sera mis en délibéré au 23 septembre.

Coup de tonnerre au procès Kerviel. Dans ses réquisitions, l’avocat général a en effet estimé que l’ex-trader n’avait plus à s’acquitter des 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts réclamés par la Société générale. Pour Jean-Marie d’Huy, Jérôme Kerviel « a bien été condamné pour des délits qu’il a commis, et la Société générale est bien victime. » Pour autant, « quand j’entends parler de « négligences » (au sujet des manquements de la Société générale dans ses mécanismes de contrôle), cela me paraît bien en-deçà des faits », estime l’avocat général dans son réquisitoire.

« La Société générale a laissé le champ libre aux velléités délictuelles de Jérôme Kerviel »

Jean-Marie d’Huy se réfère au rapport de la Commission bancaire, le gendarme du secteur à l’époque des faits, selon lequel « les faiblesses des dispositifs de contrôle de la Société générale étaient un facteur de vulnérabilité au rogue trading (traders voyous). » Toujours selon ce rapport, les « défaillances et carences graves des systèmes de contrôle de la Société générale se sont poursuivis sur une longue période, tout au long de l’année 2007 », « ce qui a rendu possible la réalisation et le développement de la fraude, et ses graves conséquences financières. »

« Des négligences qui durent deviennent intentionnelles », tonne l’avocat général. Pour Jean-Marie d’Huy, « un pilier de la place bancaire qui, malgré les avertissements et les recommandations de ses propres services, continue de fonctionner en dehors du champ réglementaire sans apporter de réponses, commet une faute grave. » Et Jean-Marie d’Huy d’enfoncer le clou : « La Société générale a laissé le champ libre aux velléités délictuelles de Jérôme Kerviel. ».  L’avocat général a donc sollicité de la cour d’appel de Versailles qu’elle rejette la demande de dommages-intérêts de 4,9 milliards d’euros formulée par la banque. Ainsi que l’expertise de cette somme demandée par Jérôme Kerviel, celle-ci devenant de facto sans objet. David Koubbi, avocat de l’ancien trader, a accueilli “avec surprise et contentement” la première partie de la solution prônée par Jean-Marie d’Huy, mais a ajouté que cela “ne changeait rien à (la) demande d’expertise judiciaire” sur la perte de 4,9 milliards demandée par la défense de Jérôme Kerviel. Le jugement sera mis en délibéré au 23 septembre. “Surprise” par les réquisitions de l’avocat général, la banque a indiqué dans un communiqué attendre “avec sérénité” l’arrêt de la cours d’appel de Versailles.

Le volet civil de l’affaire cassé par la Cour de Cassation en 2014

Pour rappel, Jérôme Kerviel avait été condamné, en première instance en 2010, puis en appel en 2012, à cinq ans de prison, dont trois ferme, et au versement de 4,9 milliards d’euros de dommages-intérêts à la Société générale, pour abus de confiance, introduction de données frauduleuses dans un système informatique, faux et usage de faux.

Mais le volet civil de l’affaire, relatif aux dommages-intérêts, avait été cassé par la Cour de cassation le 19 mars 2014. La plus haute juridiction française avait estimé que la cour d’appel de Paris avait insuffisamment pris en compte les défaillances des mécanismes de contrôle de la Société générale, et avait renvoyé le jugement du volet civil devant la cour d’appel de Versailles.

Cette dernière doit donc évaluer le degré des responsabilités de la banque dans la perte de 4,9 milliards d’euros qu’elle avait subie en janvier 2008, à l’issue du débouclage des énormes positions non autorisées prises sur les marchés financiers par son ancien trader. Une évaluation qui pourrait conduire Jérôme Kerviel à ne pas être redevable de la totalité des 4,9 milliards d’euros à la Générale, et contraindre la banque à rembourser tout ou partie de la déduction fiscale de 2,2 milliards qu’elle avait perçue dans le cadre de cette affaire.

A qui la faute ?

Selon François Martineau, l’un des avocats de la Société générale, la cour d’appel de Versailles devra apprécier le partage des responsabilités entre Jérôme Kerviel et la banque en fonction de la gravité de leurs fautes respectives, c’est-à-dire de leur caractère intentionnel ou non. La Société générale a-t-elle fauté ? Oui, dans son rapport de l’époque, la Commission bancaire, le gendarme du secteur, avait pointé du  doigt des « manquements », des « carences graves » dans les systèmes de contrôle de la banque, Me Martineau en convient.

Mais, souligne l’avocat, « ces manquements n’étaient pas intentionnels, selon la Commission bancaire. Ils sont assimilables à des fautes de négligence. » Rien à voir, donc, avec « les infractions pénales de Jérôme Kerviel, qui étaient des fautes intentionnelles » et qui ont été jugées et sanctionnées comme telles en première instance puis en appel, des jugements confirmés par la Cour de cassation. « Les systèmes de contrôle de la Société générale ont été confrontés à un fraudeur redoutable, d’autant plus que, de par son expérience passée [Jérôme Kerviel avait travaillé au middle-office avant de rejoindre le back-office des traders ; Ndlr], il en avait une très bonne connaissance. Ce fraudeur délinquant est bien à l’origine du dommage subi par la Société générale », assène Me Martineau.

Une “faute morale” de Kerviel selon les avocats de la banque

Selon l’avocat de la Société générale, l’ancien trader ne s’est pas seulement rendu coupable de prises de positions non autorisées et excessives sur les marchés, lesquelles avaient atteint 52 milliards d’euros en janvier 2008, soit 1,5 fois les fonds propres de la Société générale, exposant ainsi la banque à une perte latente de 2,7 milliards. Outre ces engagements non autorisés, qu’il dissimulait par des opérations fictives, Jérôme Kerviel a commis une « faute morale », estime Me Martineau. Et ce, en brisant « gravement » la confiance que ses supérieurs et ses collaborateurs avaient en lui.

« Je suis sûr que cette faute morale pèsera lourd dans votre délibéré », a conclu Me Martineau en s’adressant à la cour d’appel de Versailles.

« Le dénominateur commun des négligences reprochées à la Société générale dans son système de contrôle, ce sont des interlocuteurs qui ne s’attendaient pas à ce qu’on leur mente en les regardant droit dans les yeux. Jérôme Kerviel a défié systématiquement les systèmes de contrôle de la banque, il était convaincant parce qu’il savait dire à chaque personne ce qu’elle voulait entendre. Il a l’image de quelqu’un à qui on peut faire confiance », a renchéri Marion Lambert, elle aussi membre de la défense de la Société générale.

 « Quand Jérôme Kerviel vient devant la cour avec des airs de sainte-nitouche, je trouve ça scandaleux »

Pour Jean Veil, également avocat de la banque, cette dernière avait notamment manifesté sa confiance à Jérôme Kerviel en le faisant passer du middle-office au sacro-saint front office des traders, une promotion inespérée pour un garçon qui n’était pas issu de Polytechnique ou de Centrale. « Et cela [ce type de promotion ; ndlr], c’est terminé, ça ne se fait plus », déplore Me Veil. Pour qui Jérôme Kerviel n’a pas seulement infligé « un préjudice considérable » aux salariés de la Société générale sur le plan financier, mais également en matière d’évolution de carrières. « Alors, quand Jérôme Kerviel vient devant la cour avec des airs de sainte-nitouche, je trouve ça scandaleux », estime Jean Veil.

Les trois avocats de la Société générale ont donc demandé que la banque perçoive, à titre de dommages-intérêts, l’intégralité du préjudice subi, soit 4,9 milliards d’euros. Un chiffre qui, contrairement à la requête de Jérôme Kerviel, « ne justifie en aucun cas une nouvelle expertise », affirme Me Veil.

L’avocat en veut pour preuve sa vérification par les commissaires aux comptes de la Société générale et par la Commission bancaire. Pour lui, si quelqu’un a cherché à s’enrichir, dans l’affaire, ce n’est pas la Générale mais son ancien trader, alors que ce dernier assure le contraire depuis huit ans. La récente décision du conseil de prud’hommes de Paris d’obliger la banque à verser plus de 455.000 euros à Jérôme Kerviel, pour licenciement « sans cause réelle ni sérieuse » en 2008, montre qu’il « y avait bien, depuis l’origine, un désir d’enrichissement (de la part de Jérôme Kerviel) et non de philanthropie (à l’égard de la banque, comme Jérôme Kerviel l’a dit mercredi) », souligne Me Veil, qui qualifie l’ancien trader « d’escroc », de « délinquant. »

Christine Lejoux, à la cour d’appel de Versailles

Source : La Tribune, 17/06/2016

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Source : 20 Minutes, 01/07/2016

Affaire Kerviel/Société Générale: Des réunions discrètes pour enterrer un rapport fiscal à deux milliards

JUSTICE Les avocats de la banque ont entretenu des liens étroits avec certains membres du parquet de Paris pendant l’enquête sur l’affaire Kerviel…

C’est un « document de travail » à 2,197 milliards d’euros. D’après une enquête conjointe de 20 Minutes, Mediapart et France Inter, un rapport égratignant la Société Générale aurait été enterré par le parquet de Paris lors de l’enquête sur l’affaire Kerviel, en mai 2008. Plus encore que le document, c’est surtout la principale question qu’il soulève qui n’a, à l’époque, fait l’objet d’aucun examen approfondi par la justice.

Une question à un peu plus de 2 milliards d’euros, donc. Soit le montant du coup de pouce fiscal dont a bénéficié la Société Générale, en 2008. Comme la loi sur le crédit d’impôt le lui permet, la banque a déduit de sa déclaration fiscale une partie des « pertes exceptionnelles » occasionnées, selon elle, par l’affaire Kerviel.

La défense de la Société Générale jugée « peu plausible »

Avait-elle raison de le faire ? Le rapport de 25 pages que nous nous sommes procuré – reconstitué après avoir été passé à la broyeuse – instille le doute à ce propos. Il est signé par Cédric Bourgeois. Assistant spécialisé au sein de la section financière du parquet de Paris, cet expert – diplômé de l’ESCP et formateur à l’Ecole de la magistrature – était alors chargé de suivre les développements de l’enquête afin d’en rendre compte à sa hiérarchie. Il s’exécute le 14 mai 2008 en rédigeant ce « document de travail ».

Sans exonérer Jérôme Kerviel de ses responsabilités, il juge, à plusieurs reprises, « peu plausible » la défense de la banque qui assure qu’elle ignorait tout des agissements de son ancien trader. Mais c’est surtout dans la dernière partie de son rapport – intitulée « Les questions soulevées par le comportement de la partie civile » – qu’il met le doigt sur le nœud fiscal à 2,197 milliards d’euros.

Selon l’expert, le parquet aurait dû saisir le fisc

« La Société Générale apparaît très intéressée à faire reconnaître l’existence d’une fraude complexe sous peine [de devoir rembourser son crédit d’impôt]. » Raison pour laquelle selon lui, « il apparaît nécessaire » que sa hiérarchie saisisse l’administration fiscale pour vérifier la légalité de toute cette opération. La préconisation a beau figurer en caractères gras dans le document, elle ne sera pas suivie d’effet.

Plutôt que de se rapprocher du fisc, Jean-Michel Aldebert, le chef de la section financière au parquet, va évoquer directement cette question avec les avocats de la Société Générale. Selon différentes sources, le rapport fait ainsi l’objet, fin mai 2008, de plusieurs réunions discrètes entre les avocats de la banque et le magistrat dans une salle de conférences située au septième étage du pôle financier du parquet de Paris. Est-ce là que les participants « évacuent » le risque pour la banque de devoir rembourser à l’Etat les 2,197 milliards d’euros ?

Impossible de l’affirmer. Seule certitude : ce n’est qu’en 2010, soit deux ans plus tard et après la condamnation de Jérôme Kerviel, que l’existence de cette déduction fiscale apparaît dans la presse et dans le débat public.

« Les magistrats étaient sous la coupe des avocats de la Société Générale »

Contacté, Jean-Michel Aldebert n’a pas souhaité répondre à nos questions « ne voyant pas l’intérêt de [s]’exprimer sur une affaire [ayant conduit à la condamnation pénale de Jérôme Kerviel] ». Quant à Cédric Bourgeois, sollicité à plusieurs reprises, il assure, par la voix de son avocat, être soumis à « un secret professionnel absolu et illimité dans le temps » qui l’empêche d’apporter les précisions que nous lui avons demandées. Un « secret » qu’ont également invoqué plusieurs autres membres du parquet à l’époque que nous avons joints.

>> A lire aussi : >> Les politiques réclament des comptes à la Société Générale

Dans un enregistrement clandestin révélé en janvier par 20 Minutes et Mediapart, la magistrate Chantal de Leiris dévoilait déjà « des choses pas normales dans ce dossier », évoquant des « magistrats [du parquet] complètement sous la coupe des avocats de la Société Générale ». L’enregistrement de son témoignage ayant été réalisé à son insu, elle a fini par déposer plainte pour « atteinte à la vie privée ». La révélation, ce vendredi, du traitement dont a fait l’objet la question fiscale de la Société Générale est tout de même de nature à étayer le fond de ses propos.

« C’est une pratique permanente », assurent les avocats de la banque

Informés de la teneur de notre enquête, Jean Veil, Jean Reinhart et François Martineau, les trois avocats de la banque ont reconnu les contacts qu’ils ont entretenus avec les membres du parquet tout en minimisant leur importance. « C’est une pratique permanente et qui profite à tous les justiciables victimes et mis en cause. Les avocats de Jérôme Kerviel ont [aussi] fait le siège des procureurs (…) Ils en avaient le droit et nous n’avons jamais protesté qu’ils en usent », nous ont-ils fait savoir dans une déclaration écrite.

Sur le rapport de Cédric Bourgeois, les conseils de la banque n’ont, en revanche, pas souhaité s’exprimer car « ils en ignorent le contenu », alors même que nous avons proposé de le leur présenter.

Très pugnace, David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel, voit, lui, dans ces révélations une nouvelle preuve de ce qu’il dénonce depuis des mois. « La Société Générale a participé à une ‘‘truquerie’’ organisée, lâche-t-il. Il est temps de s’interroger sur les liens incestueux qui ont pu exister entre la section financière du parquet et les avocats de la banque. »

[Edit à 14h54]Dans un communiqué publié sur son site, la Société Générale dénonce « des pratiques de harcèlement médiatico-judiciaire, orchestrées par des médias partisans de la cause de Jérôme Kerviel. » La banque assure que « le sujet du traitement fiscal n’a pas été abordé pendant l’instruction dont l’objet était de qualifier les infractions pénales commises par Jérôme Kerviel. »

Source : 20 Minutes, 01/07/2016

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Lire aussi ceci : Les silences des procès Kerviel

C’est dommage, le sujet des procès Kerviel auraient mérité une enquête, mais je n’ai pas le temps. S’il y a des volontaires… 🙂

Source: http://www.les-crises.fr/nathalie-le-roy-je-ne-suis-pas-seule-a-pretendre-que-lenquete-sur-kerviel-a-ete-manipulee/


David Koubbi, Affaire Kerviel, Justice et Société Générale ? Par Thinkerview

Friday 8 July 2016 at 00:02

Source, Youtube, Thinkerview, 11/06/2016

Capture d’écran 2016-06-14 à 20.58.05

Interview de David Koubbi à propos de son client Jérôme Kerviel et de la Société Générale.

SUJETS :
Affaire Kerviel – Société Générale – Justice des Copains – Lanceurs d’Alertes – Médiatisation de la Justice – Code Pénal – Manipulations – Pressions – Etat d’Urgence – Anarchie – Démocratie – Révolution non violente – Mouvements Sociaux.

Source, Youtube, Thinkerview, 11/06/2016

Source: http://www.les-crises.fr/david-koubbi-affaire-kerviel-justice-et-societe-generale-par-thinkerview/


Soutenez le blog sur les réseaux sociaux…

Thursday 7 July 2016 at 03:30

Je fais un petit appel pour que vous suiviez (et souteniez) le blog sur les réseaux sociaux.

Vous pouvez donc :

reseaux

Source: http://www.les-crises.fr/suivez-le-blog-sur-les-reseaux-sociaux/


Affaire Kerviel : quand la justice se moque du monde…

Thursday 7 July 2016 at 01:00

A mon sens (ce n’est que mon avis personnel, pas une accusation) l’affaire Kerviel me semble assez simple :

C’est d’ailleurs une hypothèse qui rend logique les faits et comportements…

Il n’y a d’ailleurs qu’à voir la rentabilité hors-norme de la Société générale à l’époque Kerviel :

On rappelle que la Banque “casino” (BFI) de la Sogé représentait en 2006 30 % de la banque, mais 50 % des profits, avec une rentabilité des capitaux après impôts de près de 50 % :

Bref, “mais qui diable aurait pu penser qu’ils faisaient n’importe quoi ????”

Eh bien lisons le propre rapport de l’inspection générale de la Société Générale sur l’affaire Kerviel – il est à lui seul édifiant…

Le rapport de l’Inspection Générale de la Sogé (rapport Green)

Qu’y lit-on ? C’est assez simple :

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Bref, la banque est un gros gros bras cassé en contrôle…

Qu’a déclaré Kerviel à sa banque comme bénéfice en 2007 ?

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Donc ce petit trader indique avoir réalisé à lui seul 43 millions d’euros de bénéfice – tout va bien, où est le problème ?

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Bon, ok, à lui seul Kerviel représente donc 60 % du bénéfice de son service sur une activité qui n’est pas censée rapporter plus de 3 millions (ce qui, au vu de son activité, indique qu’il joue en fait sur un volume de 8 à 10 fois supérieur à celui des autres…)…

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Mais qui qui qui aurait pu s’en rendre compte ?

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Bon, 74 alertes, ça va ça vient, hein – dont 39 en rapport direct avec la fraude...

Allez, je vous les mets :

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La réponse judiciaire

La condamnation de la Sogé par la Commission bancaire :

“Sur les contrôles hiérarchiques

“Considérant qu’il ressort de l’instruction que de graves défaillances ont eu lieu dans le suivi et le contrôle de premier niveau, telles qu’elles étaient définies par les règles internes pour le premier niveau hiérarchique de l’opérateur de marché Monsieur A (ci-après l’opérateur) ; que, notamment, le suivi détaillé et quotidien de l’activité de cet opérateur n’a pas été assuré, alors que les informations mises à la disposition de la hiérarchie, en particulier la balance de trésorerie des portefeuilles gérés par cet opérateur, ont fait ressortir tout au long de l’année 2007 des soldes et des variations difficilement explicables au regard des activités confiées à celui-ci ; qu’aucun contrôle n’a été fait, sur la copie envoyée à la hiérarchie de l’opérateur, des réponses du service de déontologie à EUREX qui avait demandé des explications sur la stratégie sous-jacente à des prises de positions ; que les écarts identifiés à l’occasion des travaux de réconciliation des résultats comptables et de gestion, dont la ligne hiérarchique directe a été avisée en mars et avril 2007, n’ont pas donné lieu à des demandes de justifications à l’opérateur ; qu’il n’y a pas eu ultérieurement d’analyse suffisante de l’origine des gains affichés par cet opérateur, en dépit du fait que ces résultats très favorables paraissaient difficilement explicables par les seules opérations qu’il était autorisé à effectuer, notamment dans les conditions de marché prévalant au 4e trimestre 2007 ; que la hiérarchie n’a pas non plus veillé à ce que l’opérateur applique la procédure interne en vigueur en matière de prise de congés, qui fait partie du dispositif de surveillance permanente et a une importance spécifique pour les activités de marché ;”

Sur les contrôles permanents exercés par les autres services

Considérant qu’il ressort de l’instruction que les agents des unités chargées des contrôles, notamment du post-marché et du suivi de marché, étaient insuffisamment sensibilisés aux problématiques de fraude et de détournement, la détection de la fraude devant faire explicitement partie de leurs missions ; que, alors que ces services disposaient de certaines données dont le contrôle, s’il avait été effectué au niveau individuel, aurait pu permettre d’identifier les positions de l’opérateur contraires aux règles, leurs diligences se consacraient en priorité à l’apurement des anomalies ; que les écarts apparus à plusieurs reprises en 2007 n’avaient pas suscité d’investigations suffisamment approfondies, alors que les explications et justificatifs apportés par l’opérateur comportaient des anomalies ou des carences ; qu’en outre, il n’existait pas de dispositif de profilage permettant d’identifier un nombre élevé d’anomalies imputables à un même opérateur ; que de manière plus générale, ces services, qui étaient très chargés par les tâches d’exécution, manifestaient peu de recul par rapport à la nature des opérations ou des mouvements traités ; que, organisés par produit, en dehors de toute approche transversale, ils ne disposaient pas d’une vision globale des opérations en suspens ou en anomalie par « desk » ou centre d’activité ; que, de même, les investigations conduites par la Direction des risques dans le cadre du traitement d’écarts entre les résultats économiques et comptables et la réaction de la Direction de la déontologie aux demandes d’informations qui lui ont été transmises par EUREX sur les opérations initiées par cet opérateur n’ont pas été conformes à ce qu’exigeait la prévention du risque de fraude ; que ces faiblesses étaient de nature à affecter dans ce domaine la qualité du système de contrôle interne des activités de marché, faute d’être compensées par d’autres contrôles ;

Considérant, en outre, que sur plusieurs points les procédures internes, conçues pour la maîtrise des risques de marché, n’étaient pas bien adaptées au suivi du risque opérationnel et ont permis que les manoeuvres d’occultation ne soient pas détectées ; qu’il en est ainsi par exemple de l’absence d’échange de confirmations avec les contreparties internes au groupe ou de l’abandon du contrôle quotidien des flux dits de provisions en 2006, suite à l’automatisation des contrôles mensuels ;”

Etc, j’en passe et des meilleures… du genre “les moyens affectés au contrôle permanent étaient insuffisants en termes quantitatifs comme qualitatifs, au regard de la nécessité de prévenir le risque opérationnel” ou “il ressort de l’instruction que la sécurité du système d’information présentait des failles importantes” ou le grandiose “il ressort de l’instruction que le dispositif de limites encadrant l’activité du desk « Delta one » était inadapté au suivi du risque opérationnel en raison en particulier de l’absence de limites sur les positions brutes et sur les positions intra journalières”

Chacun jugera si la sanction consistant en un blâme et 4 millions d’euros d’amende est une réponse du régulateur adaptée à ceci…

Le 1er jugement de Kerviel :

La banque est blanchie…

L’arrêt de la Cour d’appel sur l’affaire :

La banque est encore blanchie…

L’arrêt de la Cour de cassation de Kerviel

Une vie intelligente développée semble exister à la Cour de Cassation, qui confirme la condamnation pénale, mais casse la condamnation au remboursement intégral de la banque (vu qu’elle a eu un rôle par sa négligence coupable), et renvoie le dossier en appel (on attend toujours l’arret) :

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On verra donc bientôt ce qu’en dira la justice – ce n’est pourtant pas la peine d’avoir fait Polytechnique pour voir qu’il y a un léger souci

Rappelons que, comme la justice a blanchi la banque, l’État a couru au secours de la banque – suivant le classique syndrome de Stockholm (ou la corruption ?) – l’autorisant à déduire fiscalement sa perte, ce qui a coûté environ 2,2 milliards d’euros à l’État

Comme on l’a vu, certains parlementaires ont tenté de défendre le contribuable en interpellant l’État (vérolé).

Moscovici avait répondu à l’époque à la saisie de Marie-Noëlle Lienemann (un petit merci fait toujours plaisir, je lui ai écrit mn.lienemann@senat.fr ):

Et là, c’est formidable, car quand on lit, on voit combien, comme avec Tapie, le ministre défend la banque plutôt que le contribuable, par une malhonnêteté foncière des arguments mis en avant. Le pompon étant :

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Donc “il faut voir s’il y a eu des carences graves de contrôle”, mais à ce stade la justice a dit que “les dirigeants n’étaient pas au courant”, sauf qu’on s’en moque, le but n’étant pas de voir s’ils savaient, mais “s’il y a eu des carences graves de contrôle”, et, pas de bol, c’est mot pour mot ce qu’a dit la Commission bancaire, pourtant citée par le ministre !

À quand la saisie de la Cour de Justice de la République – on parle de 2 milliards là… ?

On admirera la vision de la “journaliste” ici, qui passe son temps à ne pas répondre au seul sujet intéressant : les 2,2 milliards du contribuable et donc à la culpabilité de la banque (celle de Kerviel n’a aucun intérêt général)…

Source: http://www.les-crises.fr/affaire-kerviel-quand-la-justice-se-moque-du-monde/


Enquête sur l’affaire Kerviel – au cœur du mensonge

Thursday 7 July 2016 at 00:40

Complément d’enquête, 30 juin 2016 :

En janvier 2008, en pleine crise financière, la Société Générale est à deux doigts de s’écrouler à cause de Jérôme Kerviel, un trader de 31 ans, responsable de la perte de 50 milliards d’euros qu’il a frauduleusement misés en bourse. Huit ans plus tard, il refuse d’être le seul à porter le chapeau et accuse la banque d’avoir fermé les yeux sur cette transaction. Jugé coupable à trois reprises, l’ancien trader persiste et demande la révision du dossier. L’ancienne enquêtrice de l’affaire, la commandante Nathalie le Roy de la Brigade financière, déclare s’être trompée sur l’affaire et soupçonne la Société Générale de l’avoir instrumentalisée pendant son enquête.

N.B. Dans cette version Kerviel est invité au début et à la fin.

Mais observez la version suivante, diffusée en janvier 2016 ; je l’avais notée à l’époque, et elle m’avait indigné : le reportage, brillant, est le même (ne le regardez pas de nouveau…), sauf qu’au début et à la fin de l’émission, ils ont interviewé le n°2 de la Société générale (allez à 1h03m), en lui laissant le mot de la fin, ce qui laissait un goût amer :

Il est d’ailleurs intéressant de comparer au niveau de l’analyse média ces 2 présentations du même reportage à 6 mois d’intervalle… Mais entre temps, Kerviel a gagné sur des points importants…

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Nouveaux rebondissements dans l’affaire Kerviel. Le vent serait-il en train de tourner en faveur de l’ancien trader ? Après une première victoire judiciaire − le 7 juin, le Conseil des prud’hommes a condamné la Société générale à lui verser 450 000 euros pour l’avoir licencié sans “cause réelle ni sérieuse” et dans des conditions “vexatoires” − il pourrait ne pas avoir à payer les 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts que lui réclame la banque. En appel, le parquet a requis le 17 juin le rejet de cette demande ; la cour devra trancher le 23 septembre.

“Complément d’enquête” rediffuse le 30 juin 2016 un document de janvier dernier. Jérôme Kerviel était alors de retour au tribunal correctionnel pour demander l’annulation du jugement de 2012. Accusé d’avoir fait perdre presque 5 milliards à la Société générale, il a été condamné à trois reprises à cinq ans de prison, dont trois ferme. Huit ans après, c’est lui qui portait plainte contre la banque…”Tout le monde savait”, c’est ce qu’il maintient depuis le début. L’ancien trader a livré sa version des faits, point par point, àSamuel Humez. Elle était appuyée par plusieurs témoignages clés, dont celui de Nathalie Le Roy, la commandante de la brigade financière, qui a pu faire basculer le dossier.

Une “guerre de communication”

L’enquête replace l’affaire dans le contexte des années 2000, quand les traders sont rois. Et retrace l’histoire d’une fuite en avant jusqu’au “pari de trop”. Du jour au lendemain, le petit Breton débarqué à la Société générale avec un simple DESS de finance, “mister Nobody” comme Kerviel se définit lui-même, devient l’ennemi public numéro un, celui qui a volé 5 milliards.

Son visage à la une de tous les journaux, le trader fait son mea culpa à la télévision à une heure de grande écoute. L’affaire déchaîne les passions : l’ancien communicant de Jean-Marie Messier va même travailler gratuitement pour l’accusé. Christophe Reille raconte pour “Complément d’enquête” une “guerre de communication” contre la Société générale. Et comment il a obtenu cette image, en mars 2008, d’un Kerviel sortant souriant de la prison de la Santé (par une porte dérobée) après sa détention provisoire. Une image qui va mettre en fureur la Société générale… Bataille médiatique gagnée.

Un combat judiciaire à rebondissements

Les soucis judiciaires, eux, s’amoncellent. C’est Nathalie Le Roy, commandante chevronnée de la Brigade financière, qui est chargée de l’enquête après la plainte pour fraude de la Société générale. La banque va “l’aider” à se forger sa conviction. “J’ai rédigé un rapport de synthèse à charge”, reconnaît-elle face au journaliste de “Complément d’enquête”.

Octobre 2010 : condamné à cinq ans de prison et à 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts, “une peine de mort sociale”, Jérôme Kerviel est K.-O. Il décide de faire appel. Un deuxième round où il doit prouver que la banque savait, et a laissé faire. Il recourt à un nouvel avocat, David Koubbi. Cette fois, c’est Kerviel qui porte plainte contre la banque, pour faux et usage de faux. Nathalie Le Roy rouvre sa propre enquête.

Des éléments troublants

L’enquêtrice et l’avocat racontent des échanges parfois vifs. Après une audition, Nathalie Le Roy croise David Koubbi, qui l’interpelle : si elle s’est trompée, va-t-elle “couvrir son erreur ou faire le job” ? Sa réponse à celui qu’elle traite dans son for intérieur de “chieur” : elle fera son travail… Et examinera les pièces inédites dénichées par l’avocat.

Parmi ces pièces, huit heures d’enregistrement de l’interrogatoire infligé à Kerviel par la Société générale une fois les pertes découvertes, le week-end des 19 et 20 janvier 2008. Selon l’avocat, plus de deux heures auraient été effacées… A l’époque, des blancs inexpliqués dans des extraits publiés par le site Mediapart avaient fait douter l’enquêtrice. La Société générale nie, et un rapport d’expertise établit que les enregistrements n’ont pas été falsifiés.

Des témoignages qui accusent la Société générale

Mais d’autres éléments accusent la banque, comme le témoignage de Sylvain Passemar, un ingénieur de la Fimat, filiale de la Société générale. En 2007, il remarque un volume d’activité énorme générée par le compte SF581, celui d’un certain… Jérôme Kerviel. Mais celui-ci, une vraie “cash machine”, dégage des résultats exceptionnels. Champagne à gogo et félicitations par mails s’ensuivent – des mails introuvables. Nathalie Le Roy interroge le responsable du courrier informatique de la Fimat : a-t-il reçu l’ordre de les supprimer ?

Il y a aussi ces très exceptionnelles “indemnités” versées aux anciens du desk Delta One, les collègues de Kerviel, tous virés. Le prix du silence ? “Complément d’enquête” a interrogé son ancien supérieur, qui a chargé l’ex-trader lors du procès : a-t-il perçu 1 million d’euros ? Enfin, le plus gros scandale de l’affaire Kerviel reste peut-être cette ristourne fiscale de 2,2 milliards d’euros accordée à la banque sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Un “coup de pouce” face à des pertes de 4,9 milliards – jamais questionnées par une enquête indépendante.

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En octobre 2010, Jérôme Kerviel est condamné à trois ans de prison ferme pour avoir fait perdre presque 5 milliards à la Société générale à la suite de mises frauduleuses. La banque ne savait-elle vraiment rien de ses paris à 50 milliards d’euros ? Après avoir rédigé le rapport qui a envoyé l’ancien trader en prison, Nathalie Le Roy n’en n’est plus si sûre. L’enquêtrice de la brigade financière a dû reprendre son enquête, car l’accusé fait appel et porte maintenant plainte contre la banque.

Nathalie Le Roy va alors découvrir des éléments de plus en plus troublants. Parmi eux, les témoignages de deux employés de la Fimat. Cette filiale de la Société générale exécute les ordres des traders et gère le flux de leurs opérations.

Un ingénieur voit le trafic exploser

Sylvain Passemar, ingénieur, joue le rôle d’une tour de contrôle en aiguillant le trafic informatique des traders. Durant l’été 2007, il voit le trafic exploser et plusieurs serveurs tomber en panne. “Imaginez le trafic du péage de Saint-Arnoult un 14 juillet sur une route nationale… Et ça tous les jours, pendant des mois !” Du jamais vu. Cette activité totalement anormale est générée, comme il va le comprendre, par le compte SF581… celui d’un certain Jérôme Kerviel.

Un comptable décrit une “cash machine”…

Le compte SF581, Philippe Houbé, un ancien comptable de la Fimat qui avait accès aux comptes de tous les traders de la Socgen, le connaît bien. Comme tout le monde à la Fimat : en cette fin 2007, le compte de Jérôme Kerviel est devenu une vraie “cash machine” et attire des mails de félicitations à la Société générale. Le champagne coule à flots… Comment la banque peut-elle ignorer une activité dont sa filiale se réjouit ouvertement ?

… et des appels de marge impossibles à ignorer

En outre, la Fimat envoie chaque jour les relevés à sa maison mère. Ce découvert de 559 millions d’euros affiché par le compte SF581 n’a pas pu passer inaperçu, explique Philippe Houbé devant un écran d’ordinateur. En effet, la banque a dû verser cette somme sur le compte, comme dépôt de garantie : c’est cela, un “appel de marge”. Pour l’ex-comptable, “ça signifie qu’elle est clairement au courant de l’activité du trader”.

La Société générale répond “montant global”

Pas du tout, rétorque la Société générale par la voix de son avocat, Jean Veil : “L’ensemble arrivait avec un montant global, sans que l’on regarde les actions individuelles de chacun des traders.” Une banque qui n’éplucherait pas ses relevés de comptes ? Nathalie Le Roy n’en croit pas un mot. La Société générale aurait-elle dissimulé des informations ?

Le responsable du courrier électronique avoue

L’enquêtrice soupçonne la Société générale d’avoir voulu dissimuler qu’elle était au courant des appels de marge de Kerviel. Nathalie Le Roy décide alors d’interroger le responsable du courrier électronique de la Fimat. Lui a-t-on demandé d’effacer des mails ? “Au bout d’un certain temps de silence”,se rappelle la policière, elle insiste, et la réponse vient, sans équivoque : c’est “oui”. 

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Source: http://www.les-crises.fr/enquete-sur-laffaire-kerviel/


Affaire Kerviel : allez voir L’Outsider au cinéma !

Thursday 7 July 2016 at 00:30

Excellent film, que je vous recommande vivement !

On y voit bien la logique perverse qui a mené à cette affaire, les fautes de Kerviel… et de la banque.

Source : Gilles Herail pour toutelaculture.com

Le réalisateur des Choristes surprend en réalisant un film très contemporain sur un fait divers financier qui continue de faire l’actualité, près de 10 ans après.L’outsider reste relativement neutre sur les procédures judiciaires en cours et préfère retracer le parcours individuel de Jérôme Kerviel, interprété par Arthur Dupont. Un jeune mec brillant, hors sérail, pris dans un jeu qui le fascine mais le dépasse. Un portrait qui utilise parfois lourdement ses ficelles narratives mais séduit par sa pertinence politique et sa description acérée d’un monde de la finance trop rarement représenté dans le cinéma français. Notre critique.

Extrait du synopsis officiel : On connaît tous Jérôme Kerviel, le trader passé du jour au lendemain de l’anonymat au patronyme le plus consulté sur les moteurs de recherche du net en 2008… l’opérateur de marchés de 31 ans dont les prises de risque auraient pu faire basculer la Société Générale voire même le système financier mondial…

Christophe Barratier et son producteur Jacques Perrin ont du se battre pour faire exister un projet d’une actualité brûlante, qui sort en salles au moment où la justice est de nouveau sollicitée pour trancher le contentieux entre Jérôme Kerviel et la Société Générale. On regrette souvent la couardise et la frilosité du cinéma français, incapable de mettre en scène et d’analyser des évènements contemporains à résonance politique. Et l’arrivée de l’Outsider fait un bien fou, après les sorties consécutives de 600 euros (inscrit dans la campagne présidentielle de 2012), Tout tout de suite (revenant sur l’affaire Ilan Halimi) ou Merci Patron (attaquant le groupe LVMH). Le scénario retrace le parcours de Kerviel, diplômé brillant issu d’une famille plutôt modeste et recrue prometteuse de la SoGé. Jeune loup lancé dans le grand bain de la finance, au sein d’un monde qui file à 100 à l’heure et se drogue au challenge et à la performance. Un univers addictif, qui le fascine, où l’on manipule tout de suite des sommes énormes alors que l’on commence tout juste sa carrière.

Arthur Dupont apporte au personnage de Kerviel une innocence attachante, qui va petit à petit laisser place à un sentiment de toute puissance. Et transformer le jeune naïf en joueur compulsif incapable de mettre un terme au cercle vicieux dans lequel il s’enferme. Le film nous embarque dans l’univers des grandes banques françaises du début des années 2000, au sein d’une équipe de traders dirigée par François-Xavier Demaison. Qui a pu utiliser son passé dans le secteur financier pour composer un personnage démesuré mais crédible, entre le Leonardo Dicaprio du Loup de Wall Street et le Michael Douglas de Wall Street 1 et 2. Un gourou flamboyant, incroyablement charismatique, qui prend sous son aile un poulain qu’il veut amener au sommet. L’outsider dépeint avec énergie l’atmosphère de la finance de marché, son jargon, ses codes, sa camaraderie dopée à l’esprit de compétition. Un monde d’hommes, qui se vannent, se jaugent, se testent, dans un esprit cour de récréation qui leur permet de faire baisser (un peu) la pression folle à laquelle ils sont soumis.

L’outsider timide et un peu gauche va progressivement prendre ses marques, entamant une descente aux enfers qui se finira par son licenciement et l’enregistrement de pertes historiques pour sa banque. Quand l’élève développe à une échelle industrielle les petites combines du maitre et va toujours plus loin dans la prise de risques. Dépassant très largement ses autorisations de mises, cachant ses gains pour les remettre en jeu, jouant tapis à chaque coup en pariant systématiquement contre le marché. L’outsider reste volontairement flou sur la question de la responsabilité, pour s’éviter les procès en diffamation. Mais le point de vue adopté a le mérite de la clarté, présentant Kerviel sous un jour plutôt positif et le plaçant surtout en position de victime d’un système fou qui l’aurait laissé faire. Le récit s’arrête au moment du licenciement de Kerviel et ne revient en revanche pas sur la procédure judiciaire à rebondissements, qui symbolise également le caractère irréel et absurde de l’affaire (avec une première condamnation, depuis annulée, à 4.9 milliards d’euros d’amende).

Christophe Barratier s’intéresse plus au portrait d’homme qu’aux détails techniques et fictionnalise parfois artificiellement les relations de Kerviel avec ses proches (le personnage de l’ami travaillant au contrôle des risques s’est uniquement d’artifice scénaristique). On aurait aimé un ton encore plus incisif, allant plus loin dans la pédagogie et dans l’humour comme l’avait fait l’excellent The Big Short. Mais il faut saluer la volonté d’un cinéma inscrit dans le contemporain, qui s’attaque à un fait divers symbolisant à lui tout seul les dérives du système financier et des pratiques des grandes banques, qui restent d’actualité malgré les régulations timidement mises en places après la crise de 2008. L’outsider a l’immense mérite de replacer ces questions dans un contexte français et de rendre les comportements décrits moins « exotiques », apportant un complément tout à fait recommandable aux grands films américains du genre (The Big Short, Margin Call, Le loup de Wall Street, Wall Street 1 et 2).

Gilles Hérail

L’outsider, un thriller financier de Christophe Barratier avec Arthur Dupont, Sabrina Ouazani et François-Xavier Demaison, durée 1h57, sortie le 22/06/2016

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Panama papers : Jérôme Kerviel dénonce “l’impunité” de la Société générale

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Regardez enfin la lettre du PDG aux salariés :

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On saluera, outre le mauvais français, la “théorie du complot” – avant d’expliquer qu’on est victime d’un… complot 🙂

Le tout en rappelant qu’Oudéa était le bras droit du PDG de l’époque, et qu’il s’occupait…. de la Banque d’investissement, donc in fine de Kerviel…

Source: http://www.les-crises.fr/affaire-kerviel-allez-voir-loutsider-au-cinema/


Miscellanées du Mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Onfray, ScienceEtonnante, DataGueule)

Wednesday 6 July 2016 at 01:00

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute de Delamarche: l’après Brexit: “Tous les problèmes vont ressurgir” – 04/07

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (1/2): Depuis la chute post-Brexit, les marchés ont-ils maintenant raison d’avoir moins peur ? – 04/07

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (2/2): Comment entretenir la croissance dans les pays développés ? – 04/07

II. Philippe Béchade

La minute de Béchade: Brexit: “La volatilité sur la livre sterling est terrible !” – 24/06

Philippe Béchade VS Éric Turjeman (1/2): Malgré le résultat du référendum, le retrait du Royaume-Uni de l’UE sera-t-il effectif ? – 29/06

Philippe Béchade VS Éric Turjeman (2/2): Le Brexit va-t-il peser sur la croissance économique en zone euro ? – 29/06

III. Jacques Sapir

La minute de Sapir: “Le secteur bancaire de certains pays européens est gravement malade” – 05/07

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (1/2): L’augmentation des créances douteuses des banques italiennes est-elle devenue systémique ? – 05/07

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (2/2): Après le Brexit, Paris a-t-elle raison d’essayer d’attirer les entreprises de la finance londonienne vers la France ? – 05/07

IV. Michel Onfray

V. ScienceEtonnante

Les trous noirs — Science étonnante #19

VI. DataGueule

Intermittent, précaire à temps plein ? #DATAGUEULE 8


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-onfray-scienceetonnante-datagueule-2/


Néo-conservateurs et néo-libéraux : comment les idées mortes tuent encore, par Robert Parry

Wednesday 6 July 2016 at 00:30

Source : Le Saker Francophone, Robert Parry, AA-05-2016

Hillary Clinton veut que les électeurs américains aient peur de Donald Trump, mais il y a également des raisons de redouter une présidence néoconservatrice/néolibérale de Clinton, et ce qu’elle signifiera pour le monde, écrit Robert Parry.

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Pendant des siècles, la monarchie héréditaire était le moyen le plus répandu pour la désignation des chefs d’État. Elle a évolué en un système complexe se maintenant par le pouvoir et la propagande, alors même que ses racines idéologiques s’asséchaient pendant le Siècle de la raison. La monarchie étant devenue une idée morte, elle a néanmoins continué de tuer par millions dans son agonie. 

Aujourd’hui, les dangereuses idées mortes sont le néo-conservatisme et son fidèle allié, le néo-libéralisme. Ces concepts ont respectivement façonné la politique étrangère américaine et son économie, au travers des dernières décennies – et ils ont pitoyablement échoué, du moins du point de vue de la plupart des Américains et des peuples des nations ayant subi les effets de ces idéologies.

Aucune n’a profité à l’humanité, les deux ont mené à la mort et la destruction, cependant les jumeaux néo ont bâti une si puissante propagande, et un si puissant appareil politique, en particulier à Washington, qu’ils continueront surement à faire des ravages dans les prochaines années. Ce sont des idées zombies qui tuent.

Pourtant, le Parti démocrate est prêt à nominer un adhérent à ces deux néos, en la personne d’Hillary Clinton. Plutôt que d’aller au-delà du malaise de la politique du président Obama, et de ce qu’il appelle le manuel de procédures de Washington, les démocrates s’y réfugient.

Après tout, l’establishment de Washington reste ravi des deux néos, favorisant l’interventionnisme type changement de régime du néo-conservatisme, et le mondialisme libre-échangiste du néo-libéralisme. En somme, Clinton s’est avérée être la candidate clairement favorite des élites, du moins depuis que les alternatives se sont limitées au populiste milliardaire Donald Trump et au socialiste démocrate Bernie Sanders.

Les concourants du parti démocrate semblent compter sur les médias de masse et les leaders d’opinions proéminents pour marginaliser Trump, le probable candidat républicain, et pour achever Sanders, qui fait face à des difficultés sans fin contre Clinton dans la course à la candidature démocrate, spécialement parmi les cadres du parti, connus en tant que super-délégués.

Mais la hiérarchie démocrate parie pour Clinton, dans une année où une bonne partie de l’électorat américain se révolte contre les deux néos, fatiguée des guerres perpétuelles demandées par les néo-conservateurs, et appauvris par l’exportation des emplois manuels par les néo-libéraux.

Bien que la résistance populaire à ces néos reste peu définie dans les esprits des électeurs, le dénominateur commun des charmes contrastants de Trump et Sanders, est que des millions d’Américains rejettent les néos et répudient les institutions établies qui insistent à maintenir ces idéologies.

La question urgente

La question urgente pour la campagne de 2016 est : est-ce que l’Amérique échappera aux zombies des jumeaux néos, ou passera les quatre prochaines années avec ces idées mortes-vivantes, tandis que le monde vacille de plus en plus vers une crise existentielle.

La principale chose que ces néos zombies ont pour eux, est que la grande majorité des personnes importantes de Washington les ont embrassés et y ont gagné de l’argent et du pouvoir. Ces personnes n’ont probablement pas plus l’intention de renoncer à leurs gros salaires et à leur influence démesurée, qu’un courtisan favori d’un Roi ou d’une Reine de se ranger du côté de la foule crasseuse.

Les néo-adhérents sont aussi très doués à monter des problèmes pour leur bénéfice, facilités par le fait qu’il n’y a pratiquement aucune opposition ou résistance des médias de masse ou des think thanks.

Le néo-conservatisme est devenu la politique étrangère officielle de Washington, reléguant sur le bas-côté les réalistes de l’ancien temps qui favorisaient un usage plus judicieux de la puissance américaine.

Pendant ce temps, le néo-libéralisme domine les débats politico-économiques, considérant les marchés comme l’or d’un nouvel âge, et la privatisation des biens publics comme une loi sacrée. Ils ont écarté les vieux du New Deal, qui appelaient à un gouvernement robuste pour protéger le peuple des excès capitalistes et à la construction d’infrastructures publiques dans l’intérêt de l’ensemble de la nation.

L’absence de forte résistance aux idéologies néos dominantes, est la raison pour laquelle nous avons vécu la catastrophique pression de la pensée collective à propos des armes de destruction massive de l’Irak en 2003, et celle pour laquelle personne n’a osé remettre en question les avantages du libre-échange.

Après tout, les élites bénéficièrent des deux stratégies. Le bellicisme néoconservateur engouffra des milliers de milliards de dollars dans le complexe militaro-industriel, et la délocalisation néolibérale procura des milliards de dollars à des individus chefs d’entreprise et investisseurs de Wall Street.

Ces intérêts ont, l’un après l’autre, été en partie reversés pour fonder des think tanks à Washington, pour financer des organes de presse, des campagnes et des discours d’amis politiciens. Pour les concernés, cette tactique est donc gagnante sur toute la ligne.

Les perdants

Pas tant pour les perdants, ces citoyens qui ont vu la grande classe moyenne américaine évidée sur les dernières décennies, observant l’infrastructure publique de l’Amérique pourrir, et s’inquiétant pour leurs fils et filles envoyées faire d’inutiles, perpétuelles et vaines guerres.

Mais, inondés de propagande intelligente – et luttant pour joindre les deux bouts – la plupart des Américains voient la réalité comme à travers un sombre miroir. Plusieurs «se cramponnent aux armes ou à la religion» comme l’a indélicatement dit Barack Obama durant sa campagne de 2008. Ils ont peu d’autres choses – et beaucoup se tuent avec les opiacés qui couvrent leur peine, ou avec ces armes qu’ils voient comme la dernière chose qui les relie à la liberté.

Ce qui est clair, cependant, c’est qu’un large nombre ne fait pas confiance à – et ne veut pas de – Hillary Clinton, qui a obtenu une note défavorable de 24 points dans un récent sondage. Il semble qu’un autre commentaire indélicat d’Obama lors de sa campagne de 2008 s’avère être injuste, quand il garantissait qu’Hillary était «suffisamment appréciée». Pour de très nombreux Américains, ça n’est pas le cas (bien que Trump ait fait mieux que Clinton avec un score de 41 points négatifs).

Si les démocrates nominent Hillary Clinton, ils espéreront que l’ordre établi des néo-conservateur/libéraux  pourra tellement diaboliser Donald Trump, qu’une majorité d’Américains voteront pour l’ancienne secrétaire d’État par abjection et peur des folies que pourrait faire le milliardaire narcissique à la Maison Blanche.

Les prescriptions politiques de Trump ont été dans tous les sens – et il est difficile de savoir ce que reflète sa vraie pensée (ou son ignorance naïve), à l’opposé de ce qui constitue son talent d’homme de scène, qui lui à valu d’être le survivant de la compétition de TV-réalité pour la présidence républicaine.

Trump pense-t-il réellement que le réchauffement climatique est un canular, ou cède-t-il simplement à l’aspect je ne veux rien savoir du parti républicain ? Considère-t-il vraiment le deal nucléaire iranien d’Obama comme un désastre, ou joue-t-il avec la haine de la droite envers d’Obama?

Contre les néos ?

Trump, quant à lui, n’est pas un fan des néos. Il critique franchement les néoconservateurs sur la guerre d’Irak, et condamne l’ex secrétaire d’état Clinton pour son rôle clé dans un autre catastrophique changement de régime en Libye. Plus encore, Trump appelle à la coopération avec la Russie et la Chine, plutôt qu’à l’escalade des tensions, préférée par les néoconservateurs.

Dans son discours du 27 avril sur la politique étrangère, Trump a appelé à une «nouvelle direction de politique étrangère pour notre pays – une non plus aléatoire, mais intelligente, non plus idéologique mais stratégique, non plus de chaos mais de paix… Il est temps d’inviter de nouvelles voix et de nouvelles visions dans la bergerie. […]»

«Ma politique étrangère mettra toujours les intérêts du peuple américain, et la sécurité américaine, par-dessus tout le reste. Ce sera la base de chaque décision que je ferai. L’Amérique d’abord sera le principal et majeur motif de mon administration.»

De tels propos – suggérant que de nouvelles voix sont nécessaires, et que l’idéologien’a pas sa place – vont clairement à l’encontre des néoconservateurs, étant donné que leurs voix étouffent celles de tous les autres, et que leur idéologie domine la politique étrangère des États-Unis depuis des années.

Comme si ça ne suffisait pas, Trump présenta une stratégie de type l’Amérique d’abord, en opposition avec celle des néo-conservateurs qui veulent une présence américaine un peu partout pour les intérêts d’Israël et d’autres alliés. Trump n’est pas intéressé par la mise en scène de changements de régime pour éliminer les leaders dérangeant Israël.

Le magnat de l’immobilier a également fait de la critique du libre-échange une pièce maîtresse de sa campagne, arguant que ces accords avaient épuisé les travailleurs américains, en les forçant à entrer en lice avec des travailleurs étrangers ne recevant qu’un salaire très inférieur.

Le sénateur Sanders a utilisé des arguments similaires pour sa campagne démocrate rebelle, critiquant le soutien d’Hillary Clinton au libre-échange et aux guerres de changement de régime telles que celles d’Irak ou de Libye.

En examinant son long dossier dans la vie publique, il y a peu de doutes que Clinton est une néoconservatrice en politique étrangère et une néolibérale en stratégies économiques. Elle se tient fermement en faveur du consensus officiel de Washington, ce qui lui permet de jouir de son adhésion.

Elle a suivi l’attitude néolibérale chérie de Wall Street envers le libre-échange, qui profita largement aux multinationales, tandis qu’elles délocalisaient des millions d’emplois américains vers des pays à bas coût. (Elle n’a refroidi son ardeur pour les accords commerciaux qu’en vue de sa compétition démocrate avec Bernie Sanders.)

Des guerres et encore des guerres

Sur la politique étrangère, Clinton a systématiquement soutenu les guerres néoconservatrices, bien qu’elle désavoue l’étiquette de néoconservatrice, lui préférant son moins toxique synonyme : interventionniste libérale.

Mais, comme le pur néoconservateur Robert Kagan, qui s’est redéfini comme étant interventionniste libéral, l’a dit au New York Times en 2014 : «Je me sens à l’aise avec elle sur la politique étrangère. Si elle poursuit la politique que nous pensons qu’elle poursuivra, cela pourrait être qualifié de néo conservatisme, mais ses supporters ne l’appelleront certainement pas comme ça, ils utiliseront d’autres termes.»

Résumant les impressions de penseurs tels que Kagan, le Times relate que Clinton «reste le récipient dans lequel beaucoup d’interventionnistes versent leurs espoirs».

En février 2016, désemparé par la montée de Trump, Kagan, fondateur du Projet pour le nouveau siècle américain de George W. Bush et de sa guerre en Irak, annonça ouvertement son soutien à Clinton dans un article du Washington Post.

Et Kagan ne se méprend pas en voyant Hillary Clinton comme un compagnon de route. Elle a souvent marché au même pas que les néoconservateurs, lorsqu’ils ont mis en œuvre leurs changements de régimes agressifs contre des gouvernements et des mouvements politiques ne s’alignant pas avec Washington ou divergeant des intérêts d’Israël au Moyen-Orient.

Elle a soutenu des coups d’État, comme au Honduras en 2009 et en Ukraine en 2014. Des invasions comme en Irak (2003) et en Libye (2011), et des subversions comme en en Syrie, de 2011 à maintenant. Le tout avec différents degrés de résultats catastrophiques.

Recherche de coercition

Dennis Ross est l’ancien conseiller spécial de Clinton, lorsqu’elle était Secrétaire d’État. Il travaille maintenant au Washington Institute for Near East Policy, un think tank résolument pro-israélien sur la politique américaine au Moyen-Orient. Dans son récent commentaire pour Politico, nous pouvons voir un aperçu de ce que donnerait une présidence Clinton.

Dans son article, Ross dresse un monde surréaliste, dans lequel les problèmes du Moyen-Orient viennent de l’hésitation du Président Obama à s’engager militairement plus agressivement dans la région, et non de la décision des néoconservateurs d’envahir l’Irak en 2003, ni des plans similaires pour renverser les gouvernements laïcs de Libye et de Syrie en 2011, laissant ces pays en ruine.

Canalisant les souhaits du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, Ross appelle à un attelage des États-Unis aux intérêts régionaux d’Israël, de l’Arabie Saoudite et des autres membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), dans la rivalité contre l’Iran chiite.

Ross écrit : «Obama pense que l’usage de la force n’est envisageable qu’en cas de menace directe du territoire national. Son état d’esprit justifie l’action préventive contre les terroristes et le combat contre État islamique. Mais cela enferme les intérêts américains et l’utilisation de la force pour les soutenir dans des conditions très étroites…»

«[En envahissant le] Yémen, les Saoudiens n’ont pas agi de main morte, car ils craignaient que les États-Unis ne mettent pas de limite à l’expansion iranienne dans la région, et ils ont ressenti le besoin de dessiner leur propre ligne rouge.»

Pour contrer l’hésitation d’Obama à utiliser la puissance militaire, Ross appelle à la réaffirmation  d’une politique américaine musclée au Moyen-Orient, sur la même ligne que la doctrine néoconservatrice, ce qu’approuve également Hillary Clinton, c’est-à-dire :

Employant le ton dur classique des néoconservateurs, Ross conclut : «Poutine et les chefs du Moyen-Orient comprennent le principe de la coercition. Il est temps pour nous de le réappliquer.»

On pourrait souligner les nombreuses incohérences logiques dans l’argumentaire de Ross, dont son oubli de mentionner que la majeure partie de la supposée ingérence iranienne au Moyen-Orient a pour but d’aider les gouvernements syriens et irakiens dans leur lutte contre État islamique et al-Qaïda. Ou aussi que l’intervention russe en Syrie n’a visé que le soutien du gouvernement reconnu internationalement, dans son combat contre les extrémistes sunnites et les terroristes.

Mais la signification de la recommandation de Ross de réappliquer la coercition américaine dans la région, est qu’elle souligne ce que le monde peut attendre d’une présidence Clinton.

Clinton utilisa beaucoup de ces arguments dans son discours devant le Comité des affaires publiques américano-israéliennes (AIPAC), et dans des débats avec Bernie Sanders. Si elle reste sur cette ligne en tant que présidente, il y aura au moins une invasion partielle de la Syrie par les États-Unis, une très probable guerre avec l’Iran, et une escalade des tensions (et une possible guerre) avec la puissance nucléaire qu’est la Russie.

Comment tout cela est supposé améliorer les choses ? Cette question est noyée sous le classique grondement néoconservateur sur le fait de faire preuve de force et de réappliquer la coercition.

En somme, le Parti démocrate semble parier que l’inondation de spots TV d’Hillary Clinton contre Trump, peut suffisamment effrayer le peuple américain pour donner aux néoconservateurs et aux néolibéraux un bail de plus sur la Maison Blanche – et quatre ans de plus pour faire des dégâts dans le monde.

Robert Parry

Traduit par Ismael, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

Source: http://www.les-crises.fr/neo-conservateurs-et-neo-liberaux-comment-les-idees-mortes-tuent-encore-par-robert-parry/


Prague 1968, Ukraine 2014. La contre-révolution pour politique, par Brice Couturier

Wednesday 6 July 2016 at 00:01

Parce qu’apparemment trop de propagande ne tue pas la propagande…

Source : France Culture, Brice Couturier, 02.06.2016

Poutine prétend offrir une alternative globale à la “décadence de la Gayrope”. Mais ce bonapartiste n’est pas un Napoléon. Formidable article de Timothy Snyder dans la New York Review of Books.

Un quart de siècle s’est écoulé depuis les révolutions de 1989, qui ont disloqué l’empire soviétique en démontant l’imposture idéologique qui lui servait de légitimation. Et voilà que la Russie de Poutine présente son modèle alternatif à l’Etat de droit et à la démocratie représentative. Il est fondé sur trois éléments : des élections truquées, une oligarchie institutionnelle, l’omniprésence de la propagande national-populiste. Il ne vise qu’un objectif clair : la dislocation d’une Europe jugée décadente et brocardée comme sous le sobriquet « gayrope ». C’est qu’écrit l’historien américain Timothy Snyder, spécialiste de l’Europe de l’est dans la New York Review of Books.

Et c’est dans cette perspective qu’il faut comprendre, selon lui, l’invasion de l’Ukraine du sud et de l’est par « les petits hommes verts » venus de Russie, et l’annexion de la Crimée, au mépris du droit international.

Car la révolution ukrainienne de l’hiver 2013/2014 a été lancée au nom des valeurs européennes. Sur place, on parlait « d’EuroMaiden ». Les manifestants qui bravaient le froid, puis les fusillades, misaient sur l’ouverture de négociations commerciales avec l’Union européenne pour pousser leur pays à se réformer, à adopter les normes démocratiques exigées par l’UE. Viktor Yanoukovitch, le président archi-corrompu désirait, au contraire, arrimer son pays à l’axe eurasiatique que Moscou tente d’opposer à l’Europe.

L’annexion de la Crimée et de l’est ukrainien, telle est la punition administrée aux Ukrainiens révoltés. Et Timothy Snyder la compare à l’invasion de la Tchécoslovaquie à l’époque du Printemps de Prague, par l’Armée rouge en 1968. Dans les deux cas, il s’agit de réprimer un peuple indocile, afin de maintenir le statu quo.

Mais le motif invoqué par Poutine pour ces annexions de fait, « la Novorossiya » ne laisse pas d’inquiéter, écrit-il. Le président russe fonde la nationalité sur la communauté de langue. C’est parce que le russe est effectivement parlé dans ces régions, qu’elles devraient revenir à la Russie. « Principe dévastateur », écrit Tim Snyder. Car c’est sur la base de telles revendications qu’a éclaté la 2° Guerre mondiale. L’annexion de l’Autriche ( l’Anschluss), puis des Sudètes tchèques par le régime national-socialiste s’est faite au nom de la langue et de la culture allemande.

Or, c’est ignorer que certaines grandes villes de l’est ukrainien, comme Dnipro, ex-Dnipropetrovsk, un million d’habitants, l’ancienne « ville des fusées » de l’URSS, est russophone à 100 % et cependant très hostile à l’agression russe. Dans d’autres villes de l’est ukrainien, comme Donetsk, on a vu des Ukrainiens russophones terrorisés par des Tchétchènes agissant pour le compte de Moscou, mais qui ne parlent pas un mot de russe…

Paradoxalement, les dirigeants russes nomment « fasciste » tout ce qui vient d’Europe ou se réclame des idéaux européens. La question de fond, selon Timothy Snyder ? Comment l’opinion publique russe absorbe les théories complotistes que des médias aux ordres déversent quotidiennement sur elle. Comment l’appareil de propagande de Poutine peut-il soutenir simultanément qu’il n’y a jamais eu d’invasion de l’Ukraine mais que les annexions réalisées au détriment de ce pays par la Russie sont une bonne chose ? Comment concilier le jugement de valeur selon lequel les Ukrainiens sont tous des fascistes et qu’ils constituent un peuple-frère ?

Dès qu’une velléité d’opposition se manifeste, ses leaders sont harcelés, battus, par des milices qui se comportent en police parallèle. C’est ce qui vient d’arriver à la fameuse romancière Lioudmila Oulitskaïa. D’autres sont aussitôt arrêtés sous des prétextes insensés – souvent accusés d’être financés par Hilary Clinton… D’ailleurs, Poutine soutient Donald Trump, dans lequel il voit l’homme le mieux capable de détruire la puissance américaine.

Poutine, conclut Tim Snyder, “fait du bonapartisme, mais il n’est pas Napoléon“. Devant les conséquences économiques de sa gestion désastreuse des revenus pétroliers, il détourne les frustrations légitimes du peuple russe sur des ennemis imaginaires. Mais à la différence des dirigeants soviétiques d’autrefois, il ne propose aucune réelle alternative à celle des démocraties occidentales. Tchécoslovaquie 68, Ukraine 2014, on ne convainc pas les peuples par des interventions contre-révolutionnaires. Au contraire, on se les aliène.

La conséquence la plus visible de l’agression commise contre l’Ukraine par la Russie aura été de renforcer le sentiment national ukrainien.

Source : France Culture, Brice Couturier, 02.06.2016

 

L’article de Timothy Snyder “The wars of Vladimir Poutine

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Source: http://www.les-crises.fr/prague-1968-ukraine-2014-la-contre-revolution-pour-politique-par-brice-couturier/