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Post-référendum, oligarchie triste – par Frédéric Lordon

Sunday 10 July 2016 at 01:30

Source : Le Monde Diplomatique, Frédéric Lordon, 06-07-2016

true democracy cc enki22

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Les Britanniques, dit-on, ont accoutumé, contemplant la mer depuis la côte de Douvres les jours de brouillard, de dire avec cet humour qui n’appartient qu’à eux que « le continent est isolé ». Mais c’est de l’humour. C’est avec le plus grand sérieux au contraire que le commentariat européiste s’est exclamé qu’après le Brexit, « le Royaume-Uni est isolé ». Il faut tenir l’indigence de ce genre d’argument pour un indicateur robuste des extrémités politiques et rhétoriques où se trouve rendue la « défense de l’Europe », qui n’a plus que ça en stock — ça et « la guerre » — pour tenter de s’opposer à la vague sur le point de tout emporter. Faute d’avoir pu convaincre positivement les populations de l’évidence de ses bienfaits, le néolibéralisme, succursale européenne en tête, n’a donc plus que la ressource d’osciller entre l’imaginaire du camp (remparts, miradors, barbelés) et celui du rutabaga pour retenir les populations de lui régler son compte.

La perte de l’Albanie avait déjà été douloureusement vécue par le discours raisonné du néolibéralisme, heureusement il restait la Corée du Nord. L’espoir renaît pour de bon : il y a maintenant aussi le Royaume-Uni. Certes qui ne mesure pas encore tout à fait sa responsabilité historique : incarner le pire pour nous convaincre de continuer à désirer le meilleur. Mais ne devrait pas tarder à prendre conscience de son devenir-juche (1). On lui annonce une vague d’hyperinflation, puisque la livre est déjà « aux tréfonds » — peu importe qu’elle soit encore, contre l’euro, très au-dessus de son niveau ne serait-ce que de 2011 ; peu importe également que l’Islande qui n’a aucune base industrielle et a vu en 2008 sa monnaie dévaluée de 70 % n’ait connu qu’une inflation de 12 % les deux premières années, ramenée à 5 % dès la troisième (1,6 % l’an dernier). On lui annonce surtout la quasi-cessation de ses exportations puisque, brouillard ou pas, le Royaume-Uni « est isolé », et que (c’est connu également) tout pays n’appartenant pas à l’Union européenne (UE) devient aussitôt royaume-ermite.

Décompensations « démocratiques »

Mais il ne faut pas bouder son plaisir. Les moments de décompensation de l’oligarchie offrent toujours de délicieux spectacles, et rien ne les déclenche comme un référendum européen — tous régulièrement perdus, c’est peut-être ça l’explication… On s’épargnera pour cette fois les charmes un peu fastidieux de la recension — Dieu sait que la cuvée est excellente, mais depuis Maastricht l’argument européiste n’est pour l’essentiel qu’un bêtisier continué. Notons rapidement cependant les particularités du cru 2016, avec en particulier cette fabuleuse pétition de re-vote, dont on connaît un peu mieux maintenant les arrière-plans douteux, mais sur laquelle l’éditocratie s’est aussitôt jetée comme sur la plus légitime des propositions. Mais ce flot d’énormités n’atteint vraiment au sublime qu’au moment où il se fait philosophie critique du référendum (et il faut voir la tête des « philosophes »…) — du référendum en son principe bien sûr, rien à voir avec les déculottées à répétition, on réfléchirait avec la même passion si le Remain l’avait emporté à 60 %. Dans un document pour l’Histoire, Pierre Moscovici explique que « le référendum sur l’Europe divise, blesse, brûle » (2). Et c’est vrai : mon lapin socialiste, ne mets pas tes doigts dans l’urne, tu risques de te faire pincer très fort.

Il n’y a dans tout ça rien que de très connu, mais le spectacle des choses étant toujours cent fois plus éloquent que leur simple idée, la contemplation de la scène post-Brexit continue de faire forte impression. Car il est avéré une nouvelle fois que les dominants, au sens le plus élargi du terme, non pas seulement ceux qui détiennent les leviers effectifs des pouvoirs, mais ceux que leurs origines ou leurs positions sociales ont dotés pour tout mettre à leur portée — l’accès à la culture, l’apprentissage des langues, la possibilité de voyager, les bénéfices moraux du cosmopolitisme —, les dominants, donc, ne comprennent pas qu’on puisse trouver à redire à ce monde qui leur est si aimable, et trouvent d’un parfait naturel qu’on tienne aussitôt pour nulles et non avenues les expressions électorales qui ne ratifient pas les leurs. Disons les choses de manière un peu plus synthétique : tous ces bons amis de la démocratie se torchent le cul avec la démocratie.

Rien changer pour que rien ne change

Il y a pire cependant que le racisme social déboutonné : la surdité politique définitive qui s’en suit, c’est-à-dire la fermeture complète de tous les degrés de liberté du système, tendanciellement incapable d’accommoder les tensions internes qu’il ne cesse pourtant de recréer lui-même. Le néolibéralisme met le feu sous la cocotte, mais après en avoir soigneusement vissé le couvercle. Et les physiciens amateurs s’étonnent de prendre de temps en temps une soupape dans l’œil (ils n’ont encore rien vu, c’est le fait-tout lui-même qui va bientôt leur sauter au visage).

En réalité c’est la politique qui vérifie cette propriété attribuée à tort à l’économie : le primat de l’offre. Ça n’est évidemment pas là une donnée d’essence mais le résultat d’un certain état des structures : les structures de la représentation coupée des représentés, les structures de la dépossession. Dans un tel état de coupure, le primat de l’offre en effet s’établit presque tautologiquement puisque, par construction, la sphère de gouvernement séparée devient totalement auto-centrée et, rendue capable par les institutions de gouverner sans se préoccuper de rien d’autre qu’elle-même, devient par le fait ignorante de toute demande « extérieure ».

Malheureusement les énergies colériques se cherchent des débouchés, à toute force même, et lorsque l’oligopole des partis de gouvernement ne lui en propose aucun, elle prend le premier venu, fut-ce le pire. Il faut bien reconnaître en l’occurrence que le Brexit n’est pas joli à voir. On ne peut alors manquer d’être frappé par l’identité de réaction que suscitent les désastres électoraux variés produits à répétition par cette configuration politique : tout comme les poussées du FN, les référendums européens produisent immanquablement les mêmes « unes » géologiques — « séisme », « tremblement de terre » —, les mêmes solennels appels à « tout changer », et les mêmes avertissements que « rien ne peut plus continuer comme avant ». Moyennant quoi tout continue à l’identique. Pour une raison très simple, et très profonde, qui voue d’ailleurs toute cette époque à mal finir : mettre un terme aux avancées de l’extrême droite et aux référendums enragés supposerait de rompre avec les politiques de démolition sociale qui nourrissent les extrêmes-droites et les référendums enragés. Mais ces politiques sont celles mêmes du néolibéralisme !

Et voilà l’impossible équation en laquelle ce système est maintenant enfermé : enrayer ce qui va le détruire ne passe plus que par se nier lui-même, et se maintenir lui-même le condamne à alimenter ce qui va le détruire. De fait, ceux qui ont accaparé les moyens de changer quoi que ce soit, et proclament leur détermination à tout changer, persistent en réalité dans le désir de ne rien changer. C’est que les horizons temporels se sont considérablement raccourcis et que le temps encore passé au manche, tant que les contradictions peuvent être repoussées devant soi, est toujours bon à prendre. Dans l’intervalle, il ne manque pas d’éditorialistes décérébrés pour assurer la pantomime du « tout changer » mais dans la version Lampedusa du pauvre : ne rien changer pour que rien ne change…

La fin de l’histoire est ajournée

Dans une conjonction paradoxale de plus grande dureté idéologique et de plus grande lucidité (ou de moins grand aveuglement), The Economist, dont tout le numéro post-Brexit transpire littéralement la peur, voit venir la menace d’ajournement de la « fin de l’histoire » (3) — ce grand arrêt définitif qui devait consacrer pour l’éternité le règne du capitalisme libéral et de la démocratie. Et il n’est pas question là des soubresauts de la convergence des retardataires, mais du cœur de l’empire, là où la chose était normalement acquise. Il apparaît qu’elle ne l’est pas tant que ça, et quitter le confort de la « fin de l’histoire », surtout quand on lui avait cru le bon goût de s’achever au mieux des intérêts légitimes des possédants, est un traumatisme dont The Economist mesure avec angoisse toute la portée.

Moins épais que ses homologues français, lui est au moins capable de dresser un tableau clinique assez exact des colères de l’époque, et même d’aller jusqu’à leur accorder leur bien-fondé. Mais (et mutatis mutandis, on croirait relire ses articles de 2008-2009, quand c’est la crise financière qui menaçait de tout emporter), s’il est capable d’aller bien plus loin dans l’analyse, c’est, comme toujours, la conséquence qui lui fait défaut in extremis. Pour le coup elle lui restera inaccessible. C’est que lui aussi devrait convenir que le problème réside dans cela-même qu’il a choisi de défendre : « l’ordre international libéral ». Faute d’accéder à cette conclusion — et pour cause : elle lui serait une auto-négation… —, il ne reste à The Economist que les habituels dérivatifs de raccroc : « pour que la croissance se convertisse en hausse des salaires, les libéraux doivent mener un combat sans relâche contre les intérêts établis, exposer à la concurrence les entreprises installées, et briser les pratiques restrictives ». Disons immédiatement à tous ces gens qu’il n’est pas certain que les lois Macron — puisque c’est en gros de cela qu’il s’agit — suffisent à ré-arrêter l’histoire. Il se pourrait même, plus probablement, qu’elles lui fassent prendre un peu plus de vitesse encore.

C’est une chose cependant que l’histoire reprenne de la vitesse, et c’en est une autre de savoir dans quelle direction elle va s’engager. La réussite historique de l’extrême droite sur ces deux dernières décennies, c’est d’être parvenue à s’insérer dans l’offre politique, d’y figurer comme une option bien répertoriée. Et, mieux encore, de s’y être établie comme monopoleur de la différence. Peu importe que cette différence, racisme ouvert mis à part, soit en réalité frauduleuse : la collusion de l’extrême droite et du capital est un fait confirmé par l’histoire ; l’inconsistance des vues économiques du FN le voue à finir en l’attracteur par défaut du néolibéralisme, éventuellement sous une version néo-corporatiste à usage des patrons de PME ; la sortie de l’euro n’était qu’un engouement opportuniste qui achèvera de s’évaporer dès que quelques grands protecteurs financiers le convaincront de revenir au sérieux.

Les ressassements de « l’UE démocratique »

Et la gauche ? Si en l’état actuel de ses institutions la politique est sous le primat de l’offre, il s’agirait maintenant qu’elle aussi soit capable d’y installer une option eurocritique qui puisse se proposer comme solution d’expression raisonnée et progressiste — en fait la seule — de la colère. Mais que veut dire exactement « eurocritique », et qui y est prêt vraiment ? À l’analyse, eurocritique ne peut pas dire autre chose que décidé à envisager la sortie — quitte à en faire d’abord le levier d’un rapport de force, mais à l’envisager pour de bon. C’est peu dire qu’il reste du chemin à faire car, baffe après baffe, Brexit après Oχi (4), il est toute une fraction de la gauche qui ne désarme pas de l’illusion alter-européiste. Avec une obstination qui va devenir admirable à force de désespoir, Clémentine Autain et Roger Martelli répètent que « l’Europe, on la change ou elle meurt » (5). En la considérant de manière purement littérale, on pourrait presque accorder la formule — à la différence, comme toujours, de la conséquence et de l’inconséquence : car en réalité il n’y a pas le moindre doute quant à la manière dont cette fausse alternative va se trouver tranchée.

Au milieu d’arguments toujours les mêmes et dont aucun ne quitte jamais le registre du vœu pieux, ni jamais ne répond aux objections substantielles, on trouve celui-ci qui, par un effet de pertinence involontaire, met dans le cœur du problème : « Le combat pour la transformation sociale n’est pas plus facile en France qu’en Europe ». Eh bien précisément si, il l’est ! Et pour des raisons qui relèvent presque de la logique  : il est plus facile de passer une seule épreuve de validation que deux enchaînées. A plus forte raison quand la seconde est plus défavorable encore que la première. Ce qui est étonnant d’ailleurs, c’est qu’on puisse continuer de dire des choses pareilles un an exactement après l’écrasement de Syriza — qui aura si éloquemment prouvé combien il était plus facile de transformer l’Europe que la Grèce, ou l’Europe avec la Grèce…

Réserves cc groume

Réserves
cc groume

Supposons donc, pour l’expérience de pensée, que nous soit échue la bénédiction d’un gouvernement authentiquement de gauche. Que peut-il mettre en œuvre qui ne se heurte aussitôt à la contrainte des traités ? Rien. Quelles solutions lui reste-t-il alors ? Trois.

 Plier, comme Tsipras — et fin de l’histoire.

 Entreprendre hardiment la bataille de la transformation de l’intérieur. Mais avec quels soutiens ? La désynchronisation des conjonctures politiques nationales nous offrira ce qu’elle peut en cette matière, c’est-à-dire pas grand-chose — comme l’a vécu la Grèce. L’alter-européisme nous prie dans ce cas d’attendre le grand alignement des planètes progressistes pour qu’advienne la nouvelle Europe — pourvu que le premier gouvernement de gauche soit encore en place au moment où la cavalerie des autres le rejoindra…

 Désobéir. Mais il faut n’avoir rien appris des expériences de Chypre et de la Grèce pour imaginer le noyau libéral des institutions et des Etats-membres laisser faire sans réagir. Comme on le sait désormais, c’est la Banque centrale européenne (BCE) qui a les moyens de mettre un pays à genoux en quelques jours, en mettant sous embargo son système bancaire. Sans doute y regarderait-elle à deux fois, considérant la possibilité de dommages collatéraux cataclysmiques. Elle n’en a pas moins tous les instruments permettant de régler finement l’asphyxie pour trouver son optimum punitif : tuer la croissance par étranglement du crédit sans pour autant mettre les banques à terre. Ceci pour ne rien dire de toutes les procédures de représailles inscrites dans les traités mêmes.

« Libxit » et « Gerxit »

En tout cas il faut avoir la croyance chevillée au corps pour imaginer que l’épreuve de force qui s’ouvrirait alors pourrait trouver une résolution autre que la reddition complète de l’une des parties quand les enjeux du différend sont aussi fondamentaux. De la partie dissidente progressiste très vraisemblablement, et pour les raisons qui viennent d’être indiquées : sur qui un gouvernement de gauche, radicalement ostracisé au milieu du Conseil, pourrait-il donc compter comme renfort ? Et dans le cas miraculeux qui le verrait entouré de quelques alliés, suffisamment nombreux pour que l’hypothèse d’un changement réel et profond commence à sérieusement prendre corps, qu’adviendrait-il à coup sûr, sinon l’auto-éjection du noyau libéral (« Libxit »), Allemagne en tête (« Gerxit) ?

N’apprenant décidément rien des leçons de l’histoire, même quand elles sont récentes, l’alter-européisme rechute lourdement dans l’hypothèse implicite qui a déjà fait la déconfiture de Tspiras : « l’Europe est finalement un club de démocraties, et on peut toujours s’entendre entre bonnes volontés démocrates ». C’est n’avoir toujours pas compris que la démocratie et le néolibéralisme, spécialement dans la variante ordolibérale allemande (6), n’ont rien à voir. C’est refuser, après pourtant trois décennies de grand spectacle, d’acter que le néolibéralisme est fondamentalement une entreprise de « dé-démocratisation » (Wendy Brown), de neutralisation de l’encombrant démos, et qu’il peut même, comme l’atteste avec éclat le gouvernement Hollande-Valls, se montrer parfaitement compatible avec les formes d’un autoritarisme bien trempé. Dans l’hypothèse (déjà fantaisiste) où il se trouverait mis en minorité, le noyau dur libéral n’en tirerait vraisemblablement pas la conclusion que la démocratie, qui est la loi de la majorité, a parlé. Il prendrait ses cliques et ses claques pour laisser les « communistes » à leurs affaires et s’en irait reconsolider la « fin de l’histoire » de son côté.

Mais c’est une réalité qu’aucun des avocats de l’« autre Europe » ne veut envisager, surtout pas les promoteurs du « parlement de l’euro » qui persistent dans le formalisme des constructions institutionnelles séparées de leurs conditions de possibilité politique. On peut bien continuer de rêver un parlement de l’euro constitué comme prorata des parlements nationaux (7), et habilité à discuter des questions budgétaires et financières, mais encore faut-il se demander pourquoi l’Allemagne a mis tant d’efforts à ce que les principales orientations des politiques économiques nationales soient sanctuarisées dans les textes à valeur quasi-constitutionnelle des traités, c’est-à-dire, précisément, soustraites à toute instance de délibération parlementaire ordinaire ! Répéter indéfiniment une illusion ne suffit pas à en faire un candidat à la réalité, spécialement celle que l’Allemagne accepterait de remettre ses choses les plus chères — les principes organisateurs de la monnaie, des budgets et des dettes — à une incontrôlable loi de la majorité qui lui ferait courir le risque de se retrouver un jour du mauvais côté.

Il y a malheureusement tout lieu de penser que ceux-là qui se présentent comme les hérauts de la reconstruction démocratique de l’Europe ont fini par intégrer sans même s’en rendre compte les normes ambiantes de la dé-démocratisation, au point d’avoir abandonné en chemin les prérogatives élémentaires d’une démocratie parlementaire minimale : le droit de discuter de tout. Ou alors il va falloir qu’ils nous expliquent comment ils comptent convaincre l’Allemagne de revenir sur son ultimatum originel et de réintégrer le cénacle du parlementarisme ordinaire — celui qui a le droit de délibérer à sa guise des déficits, des dettes, de l’inflation, ou du régime de la circulation des capitaux.

En tout cas on n’en voit pas un remettre par exemple en cause le statut d’indépendance de la BCE, ni seulement proposer une redéfinition de ses missions — et pour cause : il faudrait être vraiment passé dans un univers parallèle pour imaginer faire avaler pareille idée à l’Allemagne. Mais, tragique révision inconsciente à la baisse des ambitions « transformatrices », c’est déjà comme un aveu implicite que le b-a-ba de la démocratie monétaire est hors de portée, et la mesure en creux des renoncements qui annoncent une redémocratisation tout en faux-semblants. On peut donc si l’on veut se complaire à imaginer une Europe transformée (réellement) mais alors il faudra l’imaginer sans l’Allemagne (au moins). Au fait, resterait-il alors quoi que ce soit qui se puisse appeler « Union européenne » après que le bloc allemand l’ait abandonnée ?

L’internationalisme réel du « Lexit »

Reprenons : si l’alternative est que « l’Europe, on la change ou elle meurt », alors elle meurt. Car ça n’est pas une parodie de démocratie au rabais qui la maintiendra en vie bien longtemps. La question alors se déplace : elle n’est plus celle de la chimère « Union européenne démocratique » supposément obtenue par mutation de l’Union actuelle, mais celle du meilleur moyen de mettre un terme à l’irrémédiable despotisme néolibéral européen.

Au point d’incapacité à se transformer où elle en est, l’Union européenne n’a plus que le choix des modalités de sa disparition : dans l’acharnement et la déflagration terminale ou par un processus ordonné de déconstruction. Ordonné, c’est-à-dire mutuellement agréé, une sorte d’accord de dissolution coopérative, à froid — au demeurant s’il y a bien un point de convergence qui risque d’émerger de plus en plus, c’est celui de l’intérêt bien compris de tous à arrêter les frais.

Un tel processus ordonné pourrait d’ailleurs revêtir différentes formes. Celle du simple retour aux échelons nationaux, n’excluant nullement de maintenir (puis d’approfondir) les coopérations à géométrie variable déjà en place (industrielles, scientifiques, etc.) mais hors de toute intégration formelle. Ou celle d’une proposition ouverte de reconstruction « européenne » — « européenne » avec guillemets puisque, bien sûr, son périmètre ne saurait être celui ni de la défunte UE ni de son eurozone, dès lors qu’elle inviterait les États qui le voudraient — et certains ne le veulent pas — à se retrouver autour d’un principe d’organisation démocratique réelle des domaines d’intégration (dont il est au demeurant probable qu’ils ne puissent aller jusqu’à la constitution d’une communauté politique complète). C’est dans ce genre de directions en tout cas que le « Lexit » (Left Exit) trouve son sens, pour qui voudra bien au moins se donner la peine d’observer que le mot « Lexit » même n’est formé à partir de la contraction d’aucun nom de pays, et atteste par là sa conformité à un internationalisme bien compris.

Par un paradoxe cruel, il apparaît de plus en plus que, sous couleur de vertu, l’alter-européisme œuvre en fait involontairement pour le pire. Non pas par le projet en soi d’une « autre Union européenne », mais par le refus de principe d’envisager la moindre forme de rupture, qui le voue à l’inexistence dans le spectre déjà difficilement accessible de l’offre politique, notamment quand le ressentiment populaire à l’endroit de l’UE a légitimement franchi ses points critiques, peut-être ses points de non-retour. Les projets de « transformation démocratique » de l’Europe, à la façon du DiEM25 de Varoufakis, qui se propose de perdre dix nouvelles années à poursuivre une chimère, ouvrent des boulevards aux extrêmes droites européennes qui ne doivent pas en revenir d’avancer ainsi sans rencontrer la moindre résistance (lire « DiEM perdidi »). Le stéréotype de « la nature politique qui a horreur du vide » a beau être usé jusqu’à la corde, il continue de dire quelque chose de vrai. Les extrêmes droites, qui n’en demandent pas tant, demeurent seules à capter le discours de l’eurocritique et surtout à en imposer la forme.

Un comble de l’aberration politique, et presque logique, aura conduit certains à gauche à poser que, puisque le Brexit menaçait de prendre la forme d’une sortie par la droite, il était urgent de faire taire le « Lexit » (8) qui ne pouvait, « dans ces conditions », qu’alimenter son contraire — soit le syllogisme même de la défaite : puisque la sortie est sortie par la droite, tout discours de sortie nourrit immanquablement la sortie par la droite… Ou l’art de se donner raison pour le pire : à force d’interdire toute pensée de la sortie par la gauche, et de laisser prospérer sans la moindre opposition le discours de la sortie par la droite, il se pourrait bien, en effet — en tout cas on aura tout fait pour — que, si sortie il y a… elle se fasse par la droite.

Source : Le Monde Diplomatique, Frédéric Lordon, 06-07-2016

Source: http://www.les-crises.fr/limpossible-equation-du-brexit-post-referendum-oligarchie-triste-par-frederic-lordon/


« Les Européens votent mal », par Christophe Bouillaud

Sunday 10 July 2016 at 01:01

Source : Christophe Bouillaud, 26-06-2016

Les réactions au vote populaire validant le « Brexit » de la part de certains commentateurs, politiciens et autres éditorialistes se sont avérées pour le moins affligeantes . Elles m’ont paru en fait encore plus affligeantes pour qu’elles disent de l’état de nos démocraties que je ne l’aurais imaginé : un florilège d’insultes contre les partisans du « Brexit, » allié à un concours Lépine européen pour trouver les voies et moyens de saborder, que ce soit « à l’irlandaise » ou autrement, ce vote opposé à l’intégration européenne (le mieux dans le genre étant à ce jour l’idée vraiment lumineuse de ce député travailliste suggérant tout simplement que « Westminster » ne tienne pas compte de ce vote! simple et efficace en effet).  Tout cela forme au total une longue et pénible démonstration du fait que certains membres des classes supérieures par l’éducation, la naissance, le succès économique, le statut, etc., dont des universitaires qui eurent quelque renom du temps de mes études (du genre le très déclinant Olivier Duhamel), n’accepteront jamais avec sincérité que le plus grand nombre puisse avoir une place légitime dans le système politique des « démocraties ». La vérité d’une société se révèle à ce genre de moments où chacun se lâche, mais je dois dire que, bien que je sache ce profond refus de la senior pars de prendre en compte  les avis de lamajor pars et que je l’enseigne même parfois, j’en reste tout de même pantois. On retrouve en effet en ce début d’été 2016 les mêmes réflexions qu’au lendemain des votes français et néerlandais du printemps 2005. Certains ne semblent pas vouloir apprendre de leurs erreurs.

Il est vrai que le vote britannique est vraiment parfait pour déblatérer sur la bêtise supposée du peuple qui n’a encore une fois rien compris à rien. D’évidence, d’après toutes les données disponible (sondages ou répartition géographique des voix), plus on se trouve être vieux, peu éduqué, pauvre, éloigné géographiquement ou économiquement du « Londres cosmopolite/muticulturel » ou de « la City », plus on aura voté probablement pour le « Brexit » – à l’exception de l’Écosse et de l’Irlande du Nord. Et, bien sûr pour certains, ce n’est pas du tout légitime, c’est de la pure déraison. De toute façon, comme l’a écrit à la veille du vote britannique, mon très estimé collègue Yves Bertoncini, à la tête du think tank Notre Europe, les référendums nationaux sur les sujets européens devraient être évités. (Lisez, lisez, bonnes gens, le texte de Bertoncini, et vous croirez!)

Ah ces vieux Britanniques, si photogéniques par ailleurs dans leur débine folklorique à la Martin Parr, qui votent pour partir, et décident du destin des jeunes Eurocitizens, eux par contre si beaux, si polyglottes et si bien sapés, aqua e sapone comme on dit en italien, les privant d’Europe! de voyages, de travail, de tout avenir en somme! les condamnant par la force d’un vote populaire à vivre en une sorte de Corée du Nord insulaire (comme si par ailleurs les jeunes Suisses, ces parias, vivaient dans un ghetto alpin au cœur de l’Europe depuis 1992). C’est sûr les vieux (plus de…80, 70, 60, 50, 40, 30, 20 ans?… on est toujours le « vieux » de quelqu’un!) devraient la boucler. Cet argument de la pondération de la valeur d’une voix par la longueur probable de la durée de la vie restante de celui qui l’exprime suppose que les électeurs n’exprimeraient en général qu’un vote égotropique (moi d’abord, et périsse Rome s’il le faut!) et non pas sociotropique (ma vision de la bonne société d’abord, dussé-je d’ailleurs en souffrir). Or, d’évidence, les vieux comme les jeunes d’ailleurs peuvent aussi voter justement pour autrui, et surtout pour l’image qu’ils se font de l’avenir de leur pays.

Par ailleurs, si l’on adopte une vision utilitariste du vote, pourquoi l’opinion d’un vieux compterait-elle moins que celle d’un jeune? Parce qu’il lui reste moins à vivre? A ce compte-là, il va falloir faire voter aussi les bébés et autres rejetons mineurs, voire même les êtres non encore nés que nos décisions présentes impactent. C’est peut-être possible, mais il reste que le  principe « un homme, une voix » correspond aussi au fait que chaque être humain parce qu’il est supposé rationnel a droit au chapitre tant qu’il peut s’y exprimer.  Enfin, mais c’est sans doute là un argument totalement inaudible dans nos sociétés, et si les vieux électeurs avaient tendance à avoir quelques expériences sur quoi méditer? sur quoi fonder leur décision? En effet, après tout, pourquoi refuser le fait que les « vieux électeurs » ont tout de même par définition (tout au moins s’ils ne sont pas en phase finale d’une maladie neurodégénérative quelconque…) accumulé des expériences, bonnes ou mauvaises? C’est en fait assez drolatique de voir les partisans de l’Europe actuelle dont le discours de légitimation politique repose largement sur le rappel d’une mauvaise expérience passée, les deux guerres mondiales (« L’Europe, c’est la paix. »), donc sur un fait d’expérience mémorisé, refuser le fait que certains vieux Européens de l’ouest  puissent s’être fait leur propre opinion sur l’Union européenne telle qu’elle fonctionne depuis disons les années 1980, pendant cette ère néo-libérale qui a cassé les perspectives de vie de millions de gens et par rapport à laquelle (en mettant les choses au mieux) l’Union européenne n’a pas fait différence: « l’Europe sociale »promise aux électeurs dès les premières élections européennes de 1979 se fait pour le moins attendre, encore plus que Godot. Tout le monde aura en effet remarqué que ce sont les régions parmi les moins riches de l’Angleterre (en gros les régions désindustrialisées…) qui ont voté pour le « Brexit », et inversement. Peut-on reprocher aux gens de se plaindre du sort que leur a réservé jusqu’ici l’évolution économique dont l’intégration européenne représente tout de même un aspect essentiel? C’est là un vote rétrospectif classique, qu’effectivement les jeunes ont plus de mal à exprimer par définition. Ces vieux ont voté contre le statu quo (« Remain ») peut-être parce qu’ils avaient eu tout le loisir de constater que le statu quo avait emmené leur univers dans le mur. Faire des constats n’est pas (encore) interdit que je sache, et reste un acte de pensée plutôt rationnel.

Ajoutons à cela que l’argument des jeunes qui ont voté majoritairement pour le « Remain »  et qui représentent donc seuls l’avenir s’avère largement à double tranchant, puisque ce sont aussi les (très) jeunes qui ont omis en majorité d’aller voter, dans un contexte où, par ailleurs, la mobilisation électorale a été forte (preuve que les Britanniques en général ont été dûment mobilisés par les forces des deux camps).  Que pensent  donc ces jeunes qui ne sont pas allées voter en masse? Sont-ils tous pour le « Remain »? Sont-ils indifférents? Ou horresco referens pour le Brexit? Est-ce que, par le plus grand des hasards, on ne retrouverait pas aussi chez les jeunes le clivage entre les plus éduqués et les autres, les riches et les pauvres, les urbains et les ruraux? En tout cas, si les jeunes ne sont pas allés voter en masse, c’est aussi que leur intégration politique reste bien imparfaite (ou différente, comme disent les optimistes face à ce constat), et, de cela aussi, les partis favorables au « Remain », aux moyens d’action sur les politiques publiques et de mobilisation importants, sont bien plus comptables  que la piétaille de l’UKIP et de toute l’extrême-droite britannique. Et, probablement, la vigueur du (probable) sentiment proeuropéen des jeunots n’atteignait pas, tout au moins à la veille du vote, l’ardeur de celui, eurosceptique ou europhobe, de leurs aïeux. Bref, où est la passion, pourtant digne de respect dans un univers démocratique, dans ce cas-là? On pourrait aussi bien dire que tous ces jeunots abstentionnistes sont des mous du genou qui ne tiennent pas tant que cela à l’Union européenne et à quoi ce soit d’autre que leur nombril (avec piercing of course), bien moins couillus que ces votants de vieillards ardents qui en ont vu d’autre.

Et, puis, tous ces gens peu éduqués et même pauvres qui ont voté contre l’Europe! Quelle honte, et en plus, ils sont souvent racistes (… contre des Polonais et Roumains de race… euh grise? jaune pâle? noir délavé? albinoïde?), xénophobes (ok, cela c’est logique! même s’ils disent, ces hypocrites, aimer les autres habitants du Commonwealth parlant leur langue et partageant quelques lubies culturelles), et influencés par des politiciens démagogues (sans doute…) et  des tabloïds racontant des bobards (pas plus que les experts de tout poil annonçant dans le reste des médias les sept plaies d’Égypte aux Britanniques en cas de vote « Leave »).  Certes, certes, tout cela n’est sans doute pas (complètement) faux, mais comment ne pas voir que l’on retrouve là le discours pour le moins classique depuis qu’il fut question de « démocratie » en Europe de l’Ouest au début du XIXème siècle, le discours du « cens » et des « capacités »? La démocratie oui, mon bon Monsieur, je suis pour, c’est moderne, mais uniquement si on réserve le vote à une élite restreinte d’électeurs qui comprennent quels sont les enjeux et les procédure à suivre, qui ont de par leur argent ou par leur profession honorable le sens de l’intérêt général. Nous revoilà donc en 1815…. Eh oui, le suffrage universel, quelle plaie! Et puis, voyez vous, l’Europe, c’est certes très compliqué, mais très utile pour nos affaires avec le Continent, je comprends bien que vous préféreriez y comprendre quelque chose en ramenant les pouvoirs à Westminster, mais enfin à quoi cela vous servirait-il de savoir qui vous gouverne si vous êtes bien gouverné? Hein, à quoi cela vous sert-il? Vous n’auriez quand même pas lu de la philosophie libérale classique tout de même? Vous un inculte raciste, xénophobe, probablement pédophile et alcoolique par ailleurs, vous lire du J. Locke ou du J. S. Mill? On l’aura lu pour vous, et on vous aura convaincu que le peuple britannique doit être souverain, quelle blague! Soyons sérieux, revenons à Platon: seule l’Idée européenne que nous seuls comprenons doit nous guider.

Et puis tous ces provinciaux, qui votent contre la métropole! Quels sombres ploucs! Que le partage géographique des votes entre le « Brexit » et le « Bremain » décrive largement les contours de la « métropolisation » de l’économie britannique autour de Londres et de « la City » devrait au contraire amener à une sérieuse réflexion sur les conséquences politiques de ces mécanismes en cours de polarisation. De manière logique, il y a  d’ailleurs des furieux qui ont proposé une pétition en ligne pour que Londres fasse sécession du reste de l’Angleterre. C’est là vraiment la caricature de la « révolte des élites » que prévoyait un auteur comme Christopher Lash il y a des décennies maintenant. On observe apparemment la même distribution régionale des signatures pour la pétition en ligne pour l’organisation d’un second référendum. La gentry londonienne est en fureur contre ces manants de nordistes, qui ont osé se plaindre de leur sort.

Il faut par ailleurs avoir un moment de réflexion sur le cas écossais, qui permet à un Daniel Cohn-Bendit de refuser l’évidence d’un vote fondé sur un désarroi socio-économique des classes populaires. Par nationalisme, fondamentalement anti-Londres en faitanti-Parti conservateur,  les électeurs écossais ont effectivement voté majoritairement pour le « Remain » (quoi qu’avec une participation électorale basse par rapport au reste du pays) parce que, pour eux, Bruxelles apparait  tout de même plus sociale que Londres. Cette double considération ne les éloigne pas tant que cela du coup de la logique sociopolitique de leurs équivalents anglais. En effet, ce vote proeuropéen et anti-Londres des Écossais n’est-il pas aussi la conséquence du fait que leur condition sociale est meilleure en moyenne qu’au nord de l’Angleterre? La poussée nationaliste qui commence dans les années 1970 (avec l’exploitation du pétrole de la Mer du Nord) a permis de fait aux Écossais de préserver dans cette partie du pays l’existence d’un contrat social bien plus favorable aux classes populaires et moyennes que dans le reste du Royaume-Uni. Que tous les Britanniques qui ont subi les coupes claires dans les services publics liés aux politiques des gouvernements Cameron successifs se rebiffent ne devrait pas surprendre outre mesure. Ils se rebiffent simplement de façon politiquement différenciée en raison de l’offre localement disponible d’opposition. Quoi de plus rationnel en fait?  Si le Labour avait été aussi à gauche que le SNP et surtout avait réussi à protéger les classes populaires anglaises lors de la grande crise débutée en 2008, peut-être le résultat aurait été bien différent lors de ce référendum. Les terres anglaises du Old Labour auraient alors cru à la promesse de « l’Europe sociale », pour l’expérimenter déjà.

Et, puis attention, Messieurs qui seront de ce train-là les futurs « Émigrés de Coblence », qui ne veulent rien voir, rien comprendre, rien apprendre (et surtout rien expliquer que par un prurit populiste de la populace!), ce n’est pas là qu’une affaire britannique seulement. Ces tendances – où les peu éduqués, les travailleurs manuels, les pauvres, les provinciaux votent mal – se retrouvent dans tous les votes européens récents. Le récent vote autrichien, qui a failli porter à la présidence de l’Autriche un politicien d’extrême-droite, ressemble ainsi beaucoup du point de vue socio-économique  au vote britannique, dont la ressemblance avec le vote français de 2005 ne peut par ailleurs que sauter aux yeux. C’est à chaque fois le gros des classes populaires et une bonne partie des classes moyennes qui bascule, sous la direction de membres des classes supérieures, dans le vote contre les candidats ou l’option préférée des anciens partis de gouvernement.  Cette situation, dont prend désormais acte même un journal comme le Monde,  exaspère certains porte-parole se disant européistes, qu’ils soient de droite ou de gauche. Jean Quatremer, le journaliste bretteur de Libération, me semble de loin le meilleur dans le genre. Sa proposition de rendre le Brexit le plus pénible possible aux Britanniques pour faire peur à tous les autres électorats qui seraient tentés de voter de même semble être dans l’air dans les milieux dirigeants qu’il fréquente. J’hésite encore à comparer cette attitude avec la  haine de classe  des Versaillais contre les Communards en 1871, ou à la « théorie des dominos »  du côté ouest ou à  la « Doctrine Brejnev » les chars en moins du côté est en vigueur pendant la Guerre Froide. Quoi qu’il en soit, ce genre de délire, qui représente la pire stratégie possible pour regagner les esprits et les cœurs, devrait faire réfléchir sur le sens même que prend le terme « européiste ». En effet, punir le Royaume-Uni pour son mauvais vote,  ou même trouver un moyen d’obliger les Britanniques à manger leur chapeau et à revenir sur leur décision démocratique tels des Irlandais ou des Danois en leur temps, est-ce vraiment faire preuve de confraternité européenne? Et puis, pourquoi diable les 48% d’électeurs du « Remain » devraient-ils souffrir du choix des 52% restants? A ce compte-là, quand organise-t-on depuis Bruxelles un blocus de la Suisse pour les obliger à adhérer à l’Union européenne?

Avoir l’idée même d’humilier un peuple européen pour lui apprendre la politesse et faire tenir en rang les autres (« en frapper un pour en éduquer cent », comme disait l’extrême-gauche italienne des années 1970), quel « Père Fondateur de l’Europe » aurait eu une idée pareille? L’humiliation allemande à Versailles en 1919, le « diktat de Versailles », n’avait-il pas été identifié alors comme une des sources, sinon lasource, des malheurs ultérieurs de l’Europe? Quel autre sens aurait la réconciliation franco-allemande que d’éviter justement cela?  Nos braves « européistes » sont en fait de bien mauvais historiens de leur propre cause (il est vrai qu’ils viennent souvent d’un autre horizon que « le pardon des offenses » ou « les prolétaires n’ont pas de patrie »).  Or, sauf à réduire l’Union européenne à ses aspects économiques (qui, en plus, foirent actuellement lamentablement dans la zone Euro!), la confraternité européenne reste tout de même le seul but publiquement défendable de toute cette (més)aventure?

Il faut espérer que ces réactions « versaillaises » millésime 1871 se calment bientôt tant leur outrance, anti-démocratique  et à tout prendre anti-européenne, apparaitra évidente au fil des jours. Et que l’on commence à avoir des réactions plus « bismarckiennes », au sens de réactions en terme des politiques publiques qui prennent (enfin) en compte l’existence de cette majorité populaire qui a voté « Brexit » au Royaume-Uni ou de cette quasi-majorité qui a failli élire un leader d’extrême-droite en Autriche.  Malheureusement pour nous,  Bismarck était fort intelligent, très pragmatique, et assez stratège…   Y a-t-il aujourd’hui ce genre de leaders en Europe?  Il faudrait déjà pouvoir changer de leaders (A. Merkel, J.C. Juncker, F. Hollande, etc.) pour le vérifier. En effet,  une chose qui devrait affliger tout personne croyant aux mécanismes de responsabilisation des leaders qu’offre la démocratie représentative n’est autre que l’absence de prise de responsabilité par la plupart des responsables de  all this mess. Cameron a démissionné, c’est bien, c’est le minimum, mais ceux qui ont négocié le deal avec lui il y a quelques mois, est-ce qu’ils ne devraient pas eux aussi prendre acte de leur échec? L’Europe aurait besoin d’une bonne crise ministérielle façon IIIème République. Et nous n’aurons que des Conseils européens…

Source : Christophe Bouillaud, 26-06-2016

À propos

Source : Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud, professeur agrégé de science politique à l’Institut d’Études politiques de Grenoble depuis 1999, agrégé desciences sociales (1988), ancien élève de l’École normale supérieure (rue d’Ulm), est l’auteur sous son vrai nom du présent blog.

Ce blog existe depuis 2007. Comme son titre l’indique, il ne s’agit que de notations éparses au fil de l’actualité qui n’engagent bien sûr que leur auteur et aucunement l’institution pour lequel il travaille comme enseignant et chercheur.

Source : Christophe Bouillaud

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Source: http://www.les-crises.fr/les-europeens-votent-mal-par-christophe-bouillaud/


Revue de presse internationale du 10/07/2016

Sunday 10 July 2016 at 00:01

La revue internationale avec son lot d’articles en VF. Merci à nos contributeurs, que vous pourriez pourquoi pas rejoindre cet été via le formulaire de contact du blog ! Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-10072016/


Revue de presse du 09/07/2016

Saturday 9 July 2016 at 03:36

La revue de la semaine. Merci à nos contributeurs. Pour les rejoindre, nous avons toujours besoin d’aide, le formulaire de contact du blog se tient à votre disposition !

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-09072016/


Virer les élites, par Dmitry Orlov

Saturday 9 July 2016 at 02:38

orlov

Compte tenu de ce qui se passe en ce moment avec le Brexit, il est difficile de ne pas écrire un petit quelque chose à ce propos, et je ne vais même pas essayer de résister à la tentation. Les marchés boursiers sont en chute libre, les banques sont sur la corde raide, l’or monte fortement et les financiers de la City à Londres et à Wall Street courent dans tous les sens avec leurs cheveux en feu. Mais au-delà de ces superficialités financières, ce qui se passe réellement, c’est que la lutte de classes est de retour comme une forme de vengeance au Royaume-Uni avec le référendum, une forme susceptible de se propager.

Dans ce référendum, les générations les plus âgées, qui savent à quelle classe elles appartiennent, ont voté pour virer leurs suzerains fourbes à Bruxelles et à Londres, tandis que les plus jeunes générations, aux cerveaux bien lavés par la propagande de l’UE, ne l’ont pas fait. Certains experts ont affirmé qu’il y a une sorte de fossé entre les générations, mais je pense que les générations plus âgées ont fait une chose intelligente, et que cela peut être expliqué de manière adéquate, par le fait que ses membres sont vraiment plus intelligents. Vous voyez, les imbéciles ont tendance à mourir jeunes, et le simple fait de survivre est un signe d’intelligence. Mais ce n’est qu’un à-côté mineur.

Le point principal est que les élites fourbes ont grand besoin d’être virées, à la fois en Europe et aux États-Unis. Il y a plusieurs problèmes avec elles, que je voudrais énumérer brièvement:

• Elles ont tendance à être néolibérales, et à épouser toutes les idées erronées qui viennent avec cette idéologie faillie. Les résultats sont évidents : les retraités volés, les jeunes privés d’un emploi enrichissant; des fabuleuses richesses pour une petite élite et l’austérité pour tout le monde; plus de tout pour l’Allemagne, moins de tout pour tout le monde. Un système financier qui est fondamentalement un système de Ponzi, qui va certainement sauter, et peut être de la façon dont je l’ai expliqué.

• Elles ont tendance à être sous l’emprise des néo-conservateurs à Washington et, avec eux, elles vacillent d’une catastrophe à l’autre. Les résultats sont encore évidents : une liste complète de pays détruits (Afghanistan, Irak, Libye, Yémen, Syrie, Ukraine), un flot de migrants de ces pays inondant l’Europe pour ce qui est la plus grande crise mondiale de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale, et les provocations extrêmement dangereuses et tout à fait inutiles contre la Russie.

• Elles épousent une idéologie qui cherche à effacer toutes les distinctions ethniques et culturelles et qui force une rectitude politique repoussante pour tout le monde.

• Mais le plus gros problème avec ces élites transatlantiques est le suivant : elles ne peuvent pas être virées. Plus elles échouent, plus enkystées elles deviennent. De toute évidence, cela n’a rien à voir avec l’éducation, ou le mérite, ou la popularité; c’est tout simplement une question de classe. Les élites se considèrent comme des Übermenschen, vivant au-dessus des simples mortels. La démocratie est un jouet pour eux. La plupart du temps, ils ont été en mesure de manipuler la politique à leur avantage. Lorsque cela échoue, les petites gens doivent voter encore et encore jusqu’à ce qu’ils ne se trompent plus. Mais ce politiquement correct est maintenant en train d’échouer, des deux côtés de l’Atlantique, car il semblerait que les petites gens en aient finalement assez.

Le recours automatique est de commencer à insulter les petites gens, dans une tentative pour les intimider et obtenir leur soumission. S’ils ne veulent pas voir leur pays envahi par les migrants illégaux (noter qu’avoir eu votre pays détruit par l’OTAN ne vous qualifie pas pour l’asile politique), ils sont traités de racistes et de sectaires. S’ils ne parviennent pas à saisir quelques-uns des éléments les plus fins de la gouvernance bureaucratique de l’UE (parce que, franchement, qui voudrait perdre du temps à comprendre tout ce non-sens?), ils sont traités d’ignorants et d’égarés. Et, surtout, s’il y a un krach financier (qui semble inévitable dans tous les cas de figure, voir la pyramide de Ponzi ci-dessus), alors ils seront blâmés pour leurs mauvais choix dans les urnes.

Peut-être le plus important de tout : tous les efforts sont faits pour assimiler le patriotisme avec le nationalisme et le fascisme. Maintenant, cela demande une explication, car ces concepts sont parfaitement distincts :

• Le patriotisme est l’amour de sa terre et de son peuple indigène. C’est un produit naturel, résultat organique d’une éducation reçue au sein d’un certain groupe de gens qui ont aussi grandi là, et qui transmettent le long héritage culturel et linguistique qu’ils aiment et chérissent tous. Cela ne signifie pas que ceux qui ne sont pas de la famille, du voisinage ou de la région soient inférieurs, mais ils ne sont pas eux, et on les aime moins.

• Le nationalisme est un produit de synthèse généré en utilisant l’éducation publique, qui est centré autour de certains symboles creux : un drapeau, un hymne, quelques morceaux de papier jaunis, quelques mythes créateurs et ainsi de suite. Il est soutenu par certains rituels (défilés, discours, remise de médailles) qui composent un culte civique. Le but du nationalisme est de soutenir l’État-nation. Lorsque le nationalisme répond aux besoins de la terre et de sa population autochtone, le nationalisme et le patriotisme sont alignés; quand le nationalisme détruit ce lien, le nationalisme devient l’ennemi et les patriotes forment des mouvements partisans, se lèvent pour détruire l’État-nation.

• Le fascisme est la fusion parfaite de l’État-nation et des entreprises, dans le cadre de laquelle la distinction entre les intérêts publics et privés s’effacent et les grandes entreprises en viennent à dicter la politique publique. Une expression presque parfaite du fascisme sont les récents accords commerciaux transatlantique et trans-pacifique négociés en secret par l’administration Obama, qui pour le moment, au grand soulagement de tout le monde, semblent être mort-nés.

Il devrait être évident que le fascisme doit être vaincu, et si nous devions choisir une seule très bonne raison de virer les élites transatlantiques, alors c’est celle de contrecarrer cette prise de pouvoir par les grandes entreprises. Mais cela ne s’arrête pas là, parce que le nationalisme et le patriotisme sont également en jeu. Le patriotisme est une valeur humaine naturelle, base sans laquelle tout ce que vous avez, c’est une population déracinée se déplaçant selon les possibilités offertes. Le nationalisme est une innovation relativement récente (les États-nations sont une invention du XVIIe siècle) et en tant que telle dangereuse, mais dans le cas de certains des États-nations les plus vieux et les plus efficaces, il fournit des avantages importants : une tradition culturelle chérie et ancrée à une langue nationale et à une littérature, la capacité de maintenir la paix et de repousser les agressions extérieures. Et puis il y a l’Union européenne, avec son drapeau représentant une constellation d’étoiles qui sont évidemment en orbite autour de quelque chose, quelque chose qui ne peut être qu’un trou noir, car il est invisible. Les États-Unis sont de la même manière une entité artificielle, synthèse d’une très récente déviance, avec leur drapeau représentant évidemment un plateau de biscuits en forme d’étoiles qui ne sont, pour la plupart, malheureusement, plus disponibles pour les petites gens, parce que les élites ont décidé qu’elles veulent tous les biscuits pour elles-mêmes.

Il est donc nécessaire de les virer. Si cela doit être fait en votant (par opposition à la baïonnette), alors l’objet du scrutin est d’élire quelqu’un qui est, d’abord et avant tout, capable de virer ces élites. Les Britanniques semblent avoir fait cela; c’est maintenant au tour des Américains. Une question intéressante qui est parfois posée (après que les gens ont fait des réclamations délirantes comme quoi Donald Trump est fou, misogyne, raciste, fasciste, mauvais homme d’affaires, généralement pas très agréable ou tout autre argument négatif) est de savoir s’il est qualifié pour gouverner. À mon avis, cette question se réduit à une autre, beaucoup plus simple: est-ce qu’il est qualifié pour virer des gens? Et la réponse est, oui, il est très certainement qualifié pour virer des gens. En effet, «Vous êtes viré!» est l’une de ses marques déposées. En fait, il vient récemment de virer son propre directeur de campagne. Hillary Clinton, d’autre part, dirige l’ensemble de la cohorte des personnes qui ont besoin d’être virées. Et voilà pourquoi je pense qu’il y a une bonne chance que les petites gens se lèvent enfin et votent pour quelqu’un qui va le faire.

Dmitry Orlov

Source : LSF, Dmitry Orlov, 28-06-2016

Source: http://www.les-crises.fr/virer-les-elites-par-dmitry-orlov/


[Vidéo] Frédéric LORDON “L’ euro, que faire ?” (+ Brexit) à Nuit debout

Saturday 9 July 2016 at 01:45

Source : Youtube, Frédéric Lordon, 26-06-2016

Frédéric Lordon, économiste et sociologue (directeur de recherche au CNRS, chercheur au Centre de Sociologie Européenne) est membre du collectif “Les économistes atterrés”. Il collabore régulièrement au journal Le monde diplomatique.
Dimanche 26 juin 2016 (119 mars selon le calendrier spécifique du mouvement Nuit debout) il est intervenu place de la République à Paris sur le thème “L’ Euro, que faire ?” en répondant aux nombreuses questions qui lui ont été posées par un auditoire attentif et motivé réuni à l’initiative des commissions Europe et Economie politique du mouvement Nuit debout.
Ce thème (défini et annoncé une semaine plus tôt) a pris une intensité particulière en ce dernier dimanche de juin, trois jours à peine après la victoire du “Leave” (51,9%) au référendum britannique à propos du “Brexit”.

Source : Youtube, Frédéric Lordon, 26-06-2016

Capture d’écran 2016-07-06 à 15.31.54

Source: http://www.les-crises.fr/video-frederic-lordon-l-euro-que-faire-brexit-a-nuit-debout/


Bac 2016 : des correcteurs invités à signaler les “propos jihadistes” dans les copies des candidats

Friday 8 July 2016 at 01:15

De plus en plus fascinant…

Il fut un temps, pas si lointain, où ça aurait fait la Une, et où on aurait viré le ministre…

Ca montre aussi pourquoi il faut se battre contre ce genre de trucs : car ça commence par les propos “djihadistes” (et encore : la source indique : “face à une composition semblant légitimer « le califat » de l’organisation État islamique (EI). «Ca nous a mises très mal à l’aise, reconnaît-elle, sans qu’on opte pour un signalement.»”) , et ça fini par les propos “anti-Européens”.

Cela pose aussi des question complexes et profondes sur la liberté d’opinion…

Source : RTL, 06/07/2016

Selon “Le Monde”, des correcteurs de l’épreuve d’histoire du baccalauréat se sont émus d’avoir été invités par l’inspection générale à faire remonter les propos radicaux repérés dans les copies des candidats.

C’est une consigne qui passe mal. Selon le Syndicat national des enseignements de second degré (SNES-FSU), l’inspection générale d’histoire-géographie (IGHG) a demandé aux correcteurs de l’épreuve d’histoire de l’édition 2016 du baccalauréat de “faire remonter les propos antisémites, racistes et jihadistes trouvés dans les copies” des candidats. Le syndicat majoritaire des professeurs du secondaire s’en est ému sur Twitter le 22 juin, rappelant dans la foulée que “les enseignants sont des fonctionnaires responsables et compétents qui n’ont pas besoin d’appel à la délation pour accomplir leur travail”, rapporte Le Monde ce mercredi 6 juillet.

Cette année, les candidats ont dû mobiliser leurs connaissances sur des sujets sensibles comme le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde guerre mondiale (S), l’histoire et les mémoires de la Seconde guerre mondiale et de la guerre d’Algérie ou l’Affaire Dreyfus (ES et L). Contacté par le quotidien du soir, l’entourage de la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, dément cependant toute consigne écrite et fait valoir que des inspecteurs pédagogiques auraient “peut-être péché par excès de zèle, faisant preuve de maladresse dans leurs conseils” afin de faciliter la tâche des enseignants.

Briser l’anonymat du candidat

Plusieurs témoignages recueillis par Le Monde confirment pourtant l’existence d’une telle consigne. Une correctrice aguerrie affirme ainsi qu’il a été demandé aux enseignants lors d’une réunion de “scanner la portion des copies contenant les propos en question et de l’envoyer à l’inspecteur pédagogique régional avec le numéro d’anonymat du candidat”. Une consigne qui a donné lieu a “très peu de réactions parmi les collègues, assommés”, regrette-t-elle.

Une autre s’épanche sur le contenu d’un échange explicite avec un chargé de mission. “Quand j’ai demandé s’il s’agissait de détecter des jeunes en voie de radicalisation, sa réponse a été positive. Il nous a conseillé de revenir à la réunion suivante avec les copies pouvant poser problème”, raconte-t-elle.

Les correcteurs interrogés par le journaliste du Monde assurent que les propos radicaux sont rares dans les copies des candidats mais qu’ils peuvent être un peu plus présents en fonction des académies. “On peut être confrontés à un argumentaire xénophobe, un propos hostile aux juifs ou aux immigrés, mais aussi antiaméricains, anti-Europe”, explique une enseignante de l’académie de Créteil. Ces dérapages sont généralement sanctionnés par une note basse pour traitement hors-sujet.

La phrase du Monde pour être précis :

«C’est rare mais ça peut arriver : on peut être confronté à un argumentaire xénophobe, un propos hostile aux juifs ou aux immigrés, mais aussi antiaméricains, anti-Europe? Le correcteur fait comme il peut, en son âme et conscience.» En attribuant, le plus souvent, une note basse, voire très basse, justifiée par un traitement hors sujet.

=> c’est dommage, ils ont oublié de sanctionner les propos anti-russes ! (non, je déconne…)

“Ce n’est pas à nous d’alimenter les fichiers “S””

Tous prônent une réponse éducative avec l’élève, sa famille et le chef d’établissement pour faire face à ces situations lorsqu’elles surviennent en classe, avant d’aboutir à un signalement le cas échéant. Dans le cadre du bac, “c’est plus délicat” car “il est impossible d’instaurer un dialogue”, regrette une correctrice. Mais “ce n’est pas à nous d’alimenter les fichiers “S”, oppose une enseignante, qui assure que des consignes proches auraient aussi été adressées à des correcteurs de l’épreuve d’écriture personnelle au BTS.

Source : RTL, 06/07/2016

snes

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europe

Source: http://www.les-crises.fr/bac-2016-des-correcteurs-invites-a-signaler-les-propos-jihadistes-dans-les-copies-des-candidats/


Le jugement des Prud’hommes sur l’affaire Kerviel

Friday 8 July 2016 at 01:00

Trèèèès intéressant en fait…

Allez aux parties surlignées en jaune si vous manquez de temps…

Conseil de prud’hommes de Paris
Section encadrement chambre 5
7 juin 2016


Jugement contradictoire et en premier ressort
Prononcé à l’audience publique du 07 juin 2016 par Monsieur Hugues CAMBOURNAC, Président, assisté de Madame Christelle LEROY, Greffier
Débats à l’audience du : 19 mai 2016

Composition de la formation lors des débats :

M. Hugues CAMBOURNAC, Président Conseiller Employeur Mme Chantal COUTAUD, Conseiller Employeur Mme Christine GAUTREAU, Conseiller Salarié M. Pierre NOJLOT, Conseiller Salarié
Assesseurs

assistée de Madame Christelle LEROY, Greffier

ENTRE

M. K.

Assisté de Me David KOUBBI P246 (Avocat au barreau de Paris)

DEMANDEUR

ET

SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE 29 BOULEVARD HAUSSMANN
75009 PARİS Représenté par Me Arnaud CHAULET P461 (Avocat au barreau de PARIS)

DÉFENDEUR

PROCÉDURE
– Première saisine le 11 février 2013 le numéro de RG 13/01603. Mode de saisine : courrier posté le 8 février 2013.

— Convocation de la partie défenderesse par lettres simple et recommandée dont l’accusé réception a été retourné au greffe avec signature en date du 18 février 2013.

— Audience de bureau de conciliation en date du 04 juillet 2013. Les parties ont comparu et en l’absence de conciliation, l’affaire a été renvoyée en bureau de jugement. L’affaire a été radiée le 24 mars 2014.

— Saisine du Conseil : 01 Juillet 2015 par demande déposée au greffe le 29 juin 2015, sous le présente numéro de RG,

— Débats à l’audience de jugement du 19 mai 2016 à l’issue de laquelle, les parties ont été avisées de la date et des modalités du prononcé.

— Les parties ont déposé des pièces et écritures.

DEMANDES PRÉSENTÉES AU DERNIER ETAT DE LA PROCÉDURE

— Indemnité de licenciement légale : 13 609,23 €

— Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (36 mois) : 324 383,76 €

— Bonus 2007 : 300 000,00 €

— Indemnité compensatrice de préavis : 18 083.32 €

— Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 1808,336 €

— Dommages et intérêts pour préjudice moral consécutif aux conditions vexatoires dans lesquelles le licenciement est intervenu : 170 000,00 €

— Dommages et intérêts pour absence de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail : 4 915 610 154,00 €

— article 700 du code de Procédure Civile : 10 000,00 €

— Dépens
– Exécution provisoire
– Intérêts au taux légal

Demande présentée eņ défense SA SOCIETE GENERALE
– article 700 du code de Procédure Civile : 5 000,00 €

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et moyens des parties :

Les parties ont déposé des conclusions à l’audience du 19 mai 2016, exposé à la barre les faits propres à fonder leurs prétentions et apporté les justificatifs nécessaires à leurs succès.

Monsieur K. expose au Conseil que:

Il a été engagé par la Société Générale à compter du 1 août 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de Chargé de Middle-Office.

Son travail consistait à rentrer dans la base informatique les données utiles au traitement des opérations négociées par les traders.

En 2002, il a été nommé Assistant Trader sur le pôle arbitrage du département « Dérivés Actions et Indices ).

Courant 2004, il a été nommé « Assistant Trader Dédié » et en 2005 est devenu « Trader Junior ».

En 2007 il a fait gagner plus d’1,5 milliard d’Euros à la Banque. Il se verra gratifier d’un bonus de 300.000 € qu’il ne percevra pourtant pas.

Au 31 décembre 2007, il avait un encours d’opérations s’élevant à plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Malheureusement, à cette date, une crise profonde a fait chuter la bourse de sorte que virtuellement ses positions généraient une perte potentielle importante.

Il conteste tout d’abord les intentions frauduleuses que lui prête son employeur, n’ayant jamais tiré le moindre profit personnel de ces opérations.

En second lieu, il entend justifier que son employeur était parfaitement au courant de ses opérations et du dépassement de ses limites de placement.

Il conteste tout autant la gravité des fautes reprochées que la cause réelle et sérieuse de son licenciement et demande au Conseil de condamner son employeur à lui verser les indemnités de rupture.

La Société Générale pour sa part fait valoir au Conseil que :

Elle a été amenée à recruter Monsieur K. en date du 1 août 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de Chargé de Middle Office.

En juillet 2002, après deux années passées au Middle Office, Monsieur K. a sollicité et obtenu un changement de poste devenant Assistant Trader.

En cette qualité il était chargé d’apporter un service et une assistance matérielle au trading, son rôle consistant à tenir le trader informé au quotidien de ses positions et de son résultat. Il était le garant de la correcte alimentation des produits dans les bases de gestion et veillait au bon traitement des opérations par le Back Office.

Au second semestre 2004, il a été affecté sur un autre desk et a alors exercé son activité dans la Salle des marchés, directement aux côtés des traders qu’il assistait, apprenant progressivement Son métier de trader dans le domaine du « Market Making ».

C’est dans ces conditions qu’elle a accepté en 2005 la promotion sollicitée par Monsieur K. et qu’il est passé au Front Office, en devenant « trader junior ».

Monsieur K. a utilisé des manoeuvres frauduleuses pour dissimuler ses prises de positions sur les marchés, dont elle n’a eu connaissance que le 18 janvier 2008.

Ces faits ayant été qualifiés de frauduleux sur le plan pénal, elle indique au Conseil que celui-ci n’est pas habilité à les requalifier et qu’il doit confirmer le licenciement pour fautes lourdes de Monsieur K. et le débouter de l’intégralité de ses demandes.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de Procédure Civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le Conseil renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l’audience ainsi qu’aux prétentions orales reprises au dossier.

A titre liminaire:

Attendu qu’il n’est pas contesté que Monsieur K. a été licencié par courrier recommandé du 12 février 2008 ; qu’il n’est pas non plus contesté que Monsieur K. a saisi la présente juridiction d’une demande à l’encontre de la Société Générale en date du 08 février 2013, enregistrée le 11 février 2013 soit 5 ans après son licenciement ; que l’affaire a été inscrite à la séance de Conciliation du 04 juillet 2013 ;

Attendu qu’à la séance de conciliation du 04 juillet 2013, les parties n’étant pas parvenues à un accord, le Conseil a fixé des dates de communication de pièces :

Au 30 novembre 2013 pour le demandeur
Au 15 janvier 2014 pour le défendeur
Que les parties ont accepté ce calendrier de communication de pièces et conclusions, en signant avec le Président du Bureau de Conciliation le plumitif.

Et renvoyé l’affaire à l’audience du bureau de jugement du 24 mars 2014 pour plaidoiries au fond
Que le demandeur a sollicité du Conseil que soit prévu à cette audience un temps pour les plaidoiries dépassant largement le temps habituellement accordé aux plaideurs.

Attendu qu’à l’appel des causes de l’audience du bureau de jugement du 24 mars 2014, les avocats de Monsieur K. ont déclaré ne pas être en état dans la mesure où d’une part, malgré leurs demandes nombreuses et répétées, ils n’avaient reçu les pièces de la part de la Société Générale que le 20 février 2014 soit peu de temps avant l’audience ; que d’autre part bien qu’ayant conclu, ils n’ont pas été en mesure de soumettre leurs conclusions à Monsieur K., celui-ci rentrant de Rome à pied ; qu’ainsi ils ne contestent pas n’avoir pas respecté le calendrier de communication de pièces ; que de ce fait ils sont contraints de solliciter un renvoi ; que la Société générale ne s’y oppose pas ; que pour éviter que les parties ne récidivent à la prochaine audience, le Conseil a décidé de prononcer une radiation motivée, de sorte que les parties n’ignorent pas que l’affaire ne pourra être rétablie que dès lors qu’elles auront accompli les diligences mises à leur charge; que Monsieur K. a sollicité par courrier du 29 juin 2015 le rétablissement de son affaire au rôle; que l’affaire a été inscrite à l’audience du Bureau de Jugement de ce jour jeudi 19 mai 2016.

Attendu, dans ces conditions, que seuls les agissements exclusifs des parties sont responsables des délais importants entre la date de la rupture du contrat de travail de Monsieur K. et la date du jugement (8 ans et quart), de sorte que ni le présent Conseil des Prud’hommes, ni l’État Français ne pourront être sanctionnés de ce retard et avoir à en supporter les conséquences.

En droit :

1. Sur la rupture des relations contractuelles

Attendu que le contrat de travail de Monsieur K. n’est pas contesté; qu’il n’est pas contesté que Monsieur K. a été licencié pour fautes lourdes par courrier du 12 février 2008 ; que Monsieur K. conteste tout autant l’extrême gravité des fautes reprochées que la cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Attendu que les dispositions de l’article 6 du code de Procédure Civile stipulent: «A l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder », et l’article 9 ajoute : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la Loi, les faits nécessaires au succès de leurs prétentions»; qu’en conséquence la charge de la preuve de la contestation des griefs revient à Monsieur K., la Société Générale ayant pour sa part la charge d’établir l’extrême gravité des fautes commises par Monsieur K. ayant entrainé son licenciement pour fautes lourdes; qu’en application des dispositions de l’article L 1235-1 du code du Travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.

Attendu que Monsieur K. produit sa lettre de licenciement; qu’en application des dispositions de l’article L 1232-6 du code du Travail, la lettre de licenciement circonscrit les limites du litige entre les parties et lie le juge; que celle-ci est ainsi libellée: «Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008 des positions directionnelles sur différents indices boursiers européens, d’un montant considérable (de l’ordre de 50 milliards d’euros) sans commune mesure avec la limite de risque de votre activité (125 millions d’euros). Vous avez dissimulé ces positions directionnelles de manière frauduleuse, notamment par de nombreuses opérations fictives et la falsification de documents censés justifier ces opérations. Au total ces agissements ont causé un préjudice considérable, tant sur le plan financier, de l’ordre de 4,9 milliards d’euros, que sur le plan de l’image de l’entreprise».

Attendu, à titre principal, que Monsieur K. invoque la prescription des faits au moment de leur sanction; que pour ce faire il évoque les pratiques de fonctionnement de la table de marché à laquelle il était affecté, précisant qu’un tableau des encours était publié chaque matin, de sorte que personne ne pouvait ignorer le volume des encours de chacun des traders.

Attendu pour sa part que la Société Générale soutient que les agissements de Monsieur K. ayant été jugés de manière définitive au plan pénal, le présent Conseil n’est pas habilité à les requalifier; que dans ces conditions le Conseil ne peut qu’entériner le licenciement pour fautes lourdes de Monsieur K..

Attendu que la prescription des faits est, en matière de droit du travail, définie par les dispositions de l’article L 1332-4 du code du Travail qui stipulent : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales » ; que pour sa part la Société Générale soutient qu’elle n’a eu connaissance des faits que le 18 janvier 2008; qu’en conséquence le licenciement de Monsieur K. pour fautes lourdes serait justifié ; que cependant les dispositions de l’article L 1232-6 du code du Travail stipulent : « Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur » ; que la rupture du contrat de travail est intervenue le jour où l’employeur a manifesté la volonté d’y mettre fin, soit le jour de la notification du licenciement ; que c’est à cette date et exclusivement à cette date que le présent Conseil doit analyser la régularité de la procédure mise en oeuvre par l’employeur d’une part, la validité du licenciement au regard des dispositions du Code du Travail d’autre part et que c’est uniquement une fois ces deux conditions remplies que le Conseil doit juger de l’adéquation des faits et griefs invoqués par l’employeur avec la qualification de la sanction retenue par celui-ci et la rupture des relations contractuelles, toute qualification ultérieure différente des faits étant, au regard du même code, inopérante.

Attendu que la Société Générale, considérant que les manoeuvres de Monsieur K. étaient d’une extrême gravité, l’a licencié pour fautes lourdes en précisant « Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008 des positions directionnelles sur différents indices boursiers européens, d’un montant considérable (de l’ordre de 50 milliards d’euros) sans commune mesure avec la limite de risque de votre activité (125 millions d’euros)» ; que cependant la Société Générale, alertée par l’Autorité des Marchés Financiers reconnaît avoir rappelé à l’ordre oralement Monsieur K. mi-2005 sans le sanctionner, celui-ci ayant pris des engagements sur les marchés dépassant la limite de 125 millions d’euros;

OB : C’est à dire que la banque non seulement ne sanctionne pas le non-respect des règles 3 ans avant l’affaire, mais qu’en plus elle ne place pas Kerviel sous surveillance renforcée… Sacrée banque…

qu’en suite Monsieur K. produit un mail émanant de Madame A. en date du 16 avril 2007, adressé à 5 interlocuteurs différents de la banque et intitulé « IMPORTANT : écarts sur futurs et fwd du 2A (C1), ce mail pour vous informer que nous avons 88 Mios d’écart FO/CO sur trois futurs dax juin. Ces futurs/fiwd sont des opérations fictives» ; que la Société Générale ne peut donc prétendre n’avoir pas été au courant des opérations fictives de Monsieur K. avant le 18 janvier 2008;

qu’en réponse à ce mail, Monsieur Lombard indique par mail” du 17 avril 2007 : « Je considère comme acquis que c’est à cette date que les constatations de franchissement de barrière commencent » que par ailleurs la Société Générale produit le Procès-Verbal intitulé : «Courriers électroniques de notification de dépassements de limites envoyés par le département des risques à Monsieur K. au cours des années 2006-2007 » ; que ce procès-verbal recense des courriels en date des 20/08/2007, 21/08/2007, 22/08/2007, 30/08/2007, 20/09/2007, 24/10/2007;

OB : 6 mails de dépassement des plafonds autorisés à Kerviel produits par la banque ??? Ah oui, c’est une très grosse blague tout ça…

J’imagine que le fait que ça se passe fin d”été 2007 / automne 2007, soit au moment ou Kerviel accumule les centaines de millions de positions gagnantes est du hasard…

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que là encore la Société Générale, ayant elle-même alertée Monsieur K. de ses dépassements, ne peut valablement prétendre n’avoir pas été informée avant le 18 janvier 2008;

OB : et les médias nous présentent depuis 8 ans la banque comme victime, donc…

que par ailleurs par courrier du 7 novembre 2007 adressé au déontologue de la banque, la Société Générale a été alertée par le marché à terme allemand EUREX pour des prises de positions importantes réalisées par Monsieur K. sur le titre ALLIANZ :

qu’il n’est également pas contesté que la Société Générale a payé mensuellement tout au long de l’année 2007, des frais de financements et des frais de commissions très volumineux, en rapport avec les volumes traités par Monsieur K. ; qu’en conséquence l’employeur ne peut donc prétendre de n’avoir pas été au courant de longue date des dépassements d’autorisation pratiqués par Monsieur K. générant des encours très nettement supérieurs à ses pouvoirs de souscription, et en tout état de cause dans un délai de plus de deux mois par rapport à la date du 18 janvier 2008;

que dans ces conditions l’employeur ne peut en aucun cas se prévaloir d’une faute dès lors qu’il a antérieurement toléré rigoureusement les mêmes faits et agissements en maintenant la poursuite des relations contractuelles sans y puiser, à l’époque, un motif de sanction.

Attendu cependant que la Société Générale produit deux exemplaires de la Charte de Déontologie du personnel ; qu’il n’est pas contesté que le premier est uniquement paraphé et le second paraphé et signé par Monsieur K. en date du 20 juillet 2000; qu’aucun de ces deux documents ne fait référence à une quelconque limite de prise de risques; que la Société Générale produit également le Cahier de Procédures Trading; que ce document n’est ni paraphé, ni signé par Monsieur K. de sorte que la Société Générale ne rapporte pas la preuve de son acceptation formelle par ce dernier; que ce document stipule en son paragraphe sur les “Risque de Marché / Risque Opérationnel / Risque de Crédit : «Chaque Trader doit avoir connaissance des limites de risques de marché qui lui sont octroyées par son Risk manager et être capable d’exhiber un document reprenant les limites de risque de l’activité à laquelle il appartient»; que ce Cahier des Procédures ne fait nullement mention d’une quelconque limite affectée à Monsieur K. ; que par ailleurs la Société Générale ne produit pas le document de limite de Monsieur K..

C’est balot…

Attendu cependant que la Société Générale expose que la limite de 125 Millions d’euros était connue de tous les traders de la table de marché à laquelle était affecté Monsieur K. ; que cette limite s’appliquait journellement à l’ensemble des traders ; que dans ces conditions Monsieur K. ne pouvait ignorer cette limite;

Belle gestion des risques, du lourd…

que la Société Générale a confirmé à la barre que cette limite s’appliquait collectivement sans pour autant expliquer comment les dépassements pris par un seul des traders de la table de marché n’ont jamais provoqué de blocage des passages d’ordres des autres traders logiquement privés de capacités de souscriptions; sans non plus rapporter aucun élément de nature à justifier que seul Monsieur K. dépassait cette limite, et que jamais aucun autre trader n’avait outrepassé ces limites sauf à admettre que les dépassements de Monsieur K. étaient connus de tous et donc tolérés.

Attendu également que les objectifs fixés à Monsieur K. étaient revus chaque année en fonction de ses résultats de l’année précédente, passant ainsi de 3 à 5 millions d’euros entre 2005 et 2006, de 5 à 12 millions d’euros entre 2006 et 2007 ; qu’il n’est pas contesté que ces résultats étaient «hors normes» par rapport aux autres traders de la même table de marché, que la Société Générale ne rapporte aucun élément de nature à justifier que de tels objectifs pouvaient être atteints dans le strict cadre du respect des limites d’opérations.

OB : objectifs x 4, dans une activités ou le gain unitaire est faible, où est le problème ?

Attendu également que la Société Générale produit le rapport établi par l’Inspection Générale de la Banque” en date du 20 mai 2008, intitulé « Rapport Green » ; que ce rapport, s’il décrit les manoeuvres utilisées par Monsieur K., n’en définit pas moins les dysfonctionnements et responsabilités :

«S’agissant du Front Office, la supervision de M. K. est avérée défaillante, surtout depuis 2007, en dépit de plusieurs alertes fournissant motif à vigilance et investigations». De 09/2004 à 01/2007 : «le management de la table n’a identifié ni les premières transactions frauduleuses ni leur dissimulation tandis qu’il tolérait, tout en les surveillant, des prises de positions directionnelles intraday de M. K. sans lien avec son mandat». A partir d’avril 2007 : «la supervision de M. K. par son nouveau manager direct se révèle défaillante tandis que la chaîne hiérarchique ne réagit pas de manière appropriée à plusieurs signaux d’alerte; en matière de surveillance des risques et de suivi de l’activité au quotidien, l’encadrement direct de la table DLP s’est avéré lacunaire»;

que ce rapport stipule également que le mandat de Monsieur K. n’a pas été formalisé; que par ailleurs aucun des agents du Front Office ne disposait d’un mandat formalisé détaillant les missions à assurer, les objectifs à atteindre, les produits et opérations autorisées et les limites attribuées; qu’il n’est pas contesté également que le contrat de travail de Monsieur K. ne comportait aucune définition précise du poste occupé, pas plus qu’il ne fixait la limite de ses possibilités d’engagements;

OB : Chapeau les artistes…

que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à juger que la Société Générale avait connaissance des dépassements de limites de prises de positions par Monsieur K. bien avant le 18 janvier 2008.

Attendu qu’il n’est pas contesté que la commission bancaire a infligé le 3 juillet 2008 à la Société générale un blâme et une amende de 4 millions d’euros pour des «carences graves du système de contrôle interne»; qu’elle remarque que «les défaillances relevées, en particulier les carences des contrôles hiérarchiques, se sont poursuivies pendant une longue période, à savoir l’année 2007, sans que le système de contrôle interne n’ait permis de les déceler et de les corriger»;

que la Société Générale reconnaît dans la lettre de licenciement en écrivant « Vous avez pris principalement en 2007 et début 2008….», que les agissements de Monsieur K. ont couru tout autant avant et pendant l’année 2007 que début 2008 ; qu’il n’est pas contesté qu’en 2007, ces mêmes agissements ont permis à la banque de dégager un profit de quelque 1,5 milliard d’euros ; qu’en sanctionnant en 2008 Monsieur K. pour les pertes générées par ses prises de positions, la Société Générale n’a pas sanctionné les agissements de Monsieur K. mais les conséquences de ceux-ci; qu’il n’est pas contesté que Monsieur K. a engagé des fonds de la banque dans le cadre de ses fonctions mais sans avoir soustrait aucune somme d’argent à son profit; que les profits ou les pertes générés par ces dépassements qui ont commencé à intervenir dès 2005-2006, ont été acquis à la banque; que la Société Générale n’a pas justifié de la volonté délibérée de Monsieur K. de lui nuire, ne contestant pas que Monsieur K. n’en a jamais tiré aucun enrichissement à titre personnel; qu’elle n’a pas non plus rapporté la preuve que les agissements qualifiés de frauduleux ont été utilisés dans la seule intention de produire des pertes et non pas dans l’objectif développé les années précédentes et en particulier tout au long de l’année 2007 de dégager des profits.

Attendu, au vu des éléments développés par les parties, des justificatifs apportés par chacun au succès de ses prétentions, que le présent Conseil est bien fondé à juger que le licenciement de Monsieur K., quelle que soit qualification des faits y compris la qualification pénale de ceux-ci, est intervenu pour des faits prescrits en application des dispositions de l’article L.1332-4 du code du Travail déjà cité; que cette violation des dispositions légales prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Attendu, en conséquence que le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de l’indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants n’ont pas été contestés par la Société Générale.

Attendu, en ce qui concerne l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, que Monsieur K. ayant une ancienneté supérieure à deux ans au sein de l’entreprise, et celle-ci disposant d’un effectif supérieur à 10 salariés, les dispositions de l’article L 1235-3 du code du Travail s’appliquent ; que Monsieur K. peut prétendre à une indemnité minimum équivalente au salaire des six derniers mois ; que cependant, eu égard à son ancienneté dans l’entreprise le présent Conseil est bien fondé à octroyer à Monsieur K. à la charge de son employeur une somme de 100.000,00 euros équivalente à 11 mois de salaires.

2. Sur les dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement

Attendu qu’il n’est pas contesté que le licenciement de Monsieur K. a été particulièrement médiatisé; que le présent Conseil a jugé que ce licenciement ne répondait pas aux exigences du Code du Travail, le privant ainsi de cause réelle et sérieuse ; que l’existence du préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ; que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de 20.000,00 Euros à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement.

3. Sur le bonus de l’année 2007

Attendu que Monsieur K. revendique le paiement d’un bonus pour l’année 2007 à hauteur de 300.000 Euros ; qu’en application des dispositions des articles 6 et 9 du code de Procédure Civile déjà cités, la charge de la preuve lui revient; que pour ce faire, Monsieur K. fait état de discussions intervenues avec sa hiérarchie fin 2007 et basées sur ses résultats avoisinant 1,5 milliard d’euros ; qu’à l’appui de ses prétentions il produit le témoignage” de Monsieur R. , son n+2 qui précise :
« L’appréciation de la performance et du travail de M. K. en 2007 lors de son entretien d’évaluation (novembre 2007) était très positive avec un bonus autour de 300.000 Euros. Monsieur K. allait recevoir une rémunération élevée au regard de son expérience et de son historique de performance » ; que pour sa part la Société Générale rappelle que le contrat de travail de Monsieur K. ne prévoit ni bonus contractuel, ni pourcentage sur les résultats; que le bonus n’est que discrétionnaire; que les manoeuvres de Monsieur K. découvertes en janvier 2008 l’ont logiquement amenée à ne pas lui payer de bonus pour l’année 2007 et qu’elle lui en conteste de ce fait tout droit; que cependant la Société Générale n’a pas contesté les résultats 2007 particulièrement élevés de Monsieur K. ; qu’elle a confirmé à la barre que ceux-ci se situaient aux alentours de 1,4/ 1,5 Milliard d’euros; que la Société Générale, bien qu’ayant été parfaitement au courant des opérations fictives de Monsieur K. et de ses manoeuvres frauduleuses pour aboutir à un tel résultat n’en a pas moins enregistré ce 1,4 milliard d’euros dans ses comptes; que le bonus proposé pour 2007 ayant pour objet de sanctionner les résultats de l’année 2007, dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à condamner la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de 300.000,00 Euros, au titre du bonus 2007.

4. Sur les dommages et intérêts pour absence de bonne foi par l’employeur dans l’exécution du contrat de travail

Attendu que Monsieur K. revendique le paiement d’une somme de 4.915.610.154,00 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de bonne foi dans l’exécution par l’employeur du contrat de travail ; qu’en fonction des dispositions des articles 6 et 9 du code de Procédure Civile déjà cité, la charge de la preuve lui revient ; qu’à la barre, Monsieur K. a affirmé que cette demande était formulée dans le seul but de répondre, sur les mêmes bases, à la demande de la Société Générale mais qu’il ne disposait pas du moindre justificatif; que par ailleurs aucune analyse réalisée par un expert indépendant n’a fourni au présent Conseil d’éléments objectifs; que dans ces conditions le présent Conseil est bien fondé à débouter Monsieur K. de sa demande sur ce point.

Attendu enfin que Monsieur K. n’ayant produit rigoureusement aucun justificatif les frais irrépétibles qu’il a été amené à engager dans le cadre de la présente procédure, le présent Conseil sera bien fondé à limiter la condamnation de la Société Générale au paiement d’une somme de 2.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de Procédure Civile ; que la Société Générale succombant sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, après en avoir délibéré, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort :

Condamne la Société Générale à payer à Monsieur K. la somme de :

— 18.083,32 Euros (Dix-huit mille quatre-vingt-trois euros et trente-deux centimes) à titre d’indemnité
compensatrice de préavis.

— 1.808,33 Euros (mille huit cent huit euros et trente trois centimes) à titre de congés payés afférents.

— 13.609,23 Euros (treize mille six cent neuf euros et vingt-trois centimes) à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.

— 300.000,00 Euros (trois cents mille euros) à titre de bonus 2007.

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 18 février 2013 et jusqu’au jour du paiement.

Rappelle qu’en vertu de l’article R. 1454-28 du Code du Travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire.

Fixe la moyenne à 9.041,66 Euros (neuf mille quarante-et-un Euros et soixante-six centimes).

Ordonne la remise des documents sociaux conformes à la présente décision :

— 100.000 Euros (cent mille euros) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

— 20.000,00 Euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement.

— 2.000 Euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de Procédure Civile.

Ordonne en application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du Travail remboursement par la Société Générale à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Monsieur K. dans la limite de 5.000,00 Euros (cinq mille euros).

Ordonne en application des dispositions de l’article 515 du code de Procédure Civile on provisoire sur la totalité des sommes non versées au titre des dispositions de l’article R 1454-28 du Code du travail précité.

Dit qu’en application des dispositions de l’article 517 du code de Procédure Civile, ces sommes complémentaires devront être consignées par la Société Générale auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations
Déboute Monsieur K. du surplus de ses demandes.

Reçoit la Société Générale en sa demande au titre de l’article 700 du code de Procédure Civile mais l’en déboute.

Condamne la Société Générale aux dépens.

Cons. prud’h. Paris, sect. encadrement ch. 5, 7 juin 2016, n° 15/08164

Cet autre procès débutera le 15 juin.

Les réaction de Maitre Eolas (souvent bien mieux inspiré… mais il a eu tendance à soutenir la SocGen dès le début) ont été éloquentes :

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Le billet n’est hélas jamais venu… En revanche, la seconde victoire provisoire de Kerviel (en appel), oui :

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Les médias nous auraient-il menti ?

P.S. voir aussi une analyse des pertes ici. Intéressant, il semble que le résultat de Kerviel était après le débouclage de -6,2 Md€, mais que les traders de la banque, durant ces quelques jours, sur un marché en pleine baisse, ont gagné +2,2 Md€ (je ne sais pas si le solde de +1,5 MD€ de Kerviel est dedans ou pas, mais je ne pense pas). Quelqu’un a-t-il enquêté pour savoir s’il n’y avait pas eu délit d’initié de la part des traders de la banque, dont certains savaient qu’ils allaient déboucler d’énormes opérations et perdre de l’argent, donc faire baisser le marché ?

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Source: http://www.les-crises.fr/le-jugement-des-prudhommes-sur-laffaire-kerviel/


Nathalie Le Roy: « Je ne suis pas seule à prétendre que l’enquête sur Kerviel a été manipulée »

Friday 8 July 2016 at 00:30

Petite compilation…

Nathalie Le Roy : « Je ne suis pas seule à prétendre que l’enquête sur Kerviel a été manipulée »

Source : 20 minutes, Vincent Vantighem, 18.01.2016

Paris, le 15 janvier 2016. Nathalie Le Roy, ancienne commandante de la Brigade financière, dénonce des dysfonctionnements dans l'enquête Kerviel. - V.VANTIGHEM / 20 MINUTES

Paris, le 15 janvier 2016. Nathalie Le Roy, ancienne commandante de la Brigade financière, dénonce des dysfonctionnements dans l’enquête Kerviel. – V.VANTIGHEM / 20 MINUTES

Elle a décidé de continuer ses investigations seule et en dehors de tout cadre juridique. Ancienne commandante de la Brigade financière, la policière Nathalie Le Roy a fait part, dès 2012, de ses « doutes » au sujet de l’enquête qu’elle dirigeait sur Jérôme Kerviel. Ce dimanche, elle rend public un enregistrement clandestin de Chantal de Leiris. Ancienne vice-procureure au parquet de Paris [elle est aujourd’hui réserviste], celle-ci déclare, à son tour, que l’enquête a été « manipulée » par la Société générale. Mise en cause par la banque dans l’émission « Complément d’enquête », jeudi 14 janvier, Nathalie Le Roy a décidé d’expliquer sa démarche en exclusivité dans 20 Minutes

Pourquoi avez-vous décidé d’enregistrer à son insu Chantal de Leiris, la vice-procureure au parquet de Paris ?

J’ai commencé à avoir des doutes sur l’affaire Kerviel dès 2012. Petit à petit, ils se sont transformés en certitudes. Une fois détachée de mes fonctions au sein de la Brigade financière le 1er mars 2015, j’ai donc décidé de poursuivre mes investigations, seule, de manière informelle. C’est dans ce cadre que j’ai pris rendez-vous avec Chantal de Leiris. Et j’ai pris la précaution d’enregistrer les preuves des dysfonctionnements que je dénonce depuis un an.

Avec Chantal de Leiris, nous avions déjà évoqué ce sujet précédemment. Je me suis vue contrainte de l’enregistrer sans lui dire car je savais que mes seuls doutes ne suffiraient pas et que je serais lâchée par ma hiérarchie si je les rendais publics. Ce qui n’a pas manqué d’arriver…

Pourquoi avez-vous remis cet enregistrement à David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel ? Et pourquoi le publier maintenant alors qu’il a été réalisé le 17 juin 2015 ?

Oui, j’ai cet enregistrement en ma possession depuis juin 2015. J’avais fait part de mes doutes au juge d’instruction bien avant mais je déplore qu’ils n’aient pas fait avancer l’enquête et mis en lumière les dysfonctionnements dans cette affaire. J’ai donc décidé de remettre cet enregistrement à David Koubbi, à toutes fins utiles. Je ne voyais pas à qui d’autre faire part de ces éléments pour les rendre publics.

Pourquoi maintenant ? Parce que je me rends compte que la Société générale persiste à prétendre que mes doutes, mes assertions, ne reposent que sur un ressenti personnel. C’est du reste ce qu’elle a encore répété lors de l’émission « Complément d’enquête » sur France 2 le 14 janvier.


Complément d’enquête. Kerviel : des témoignages troublants

Or, les éléments contenus dans cet enregistrement montrent bien l’étendue des dysfonctionnements qui ont affecté ce dossier. Je ne suis pas seule à prétendre que l’enquête sur Jérôme Kerviel a été manipulée par la Société générale. Rendre public le contenu de la bande est aussi un moyen de me protéger.

N’avez-vous pas peur de mettre en difficulté Chantal de Leiris ?

J’ai très longuement hésité à publier cet enregistrement, ne souhaitant pas la mettre en difficulté. Mais, c’est pour moi, une façon de reconnaître le courage qu’elle a eu de me faire ces révélations, sachant qu’elle connaissait très bien ma position. Au risque de perdre sa confiance, je privilégie la vérité et les raisons qui m’ont conduite à rentrer, un jour, dans les rangs de la police. Je veux que la justice soit bien administrée.

Source : 20 minutes, Vincent Vantighem, 18.01.2016

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Affaire Kerviel : l’ex-PDG de la Société Générale accusé de délit d’initiés

Source : Challenges, 02-03-2016

D’après Mediapart et les Inrocks, Daniel Bouton aurait informé quatre jours avant la révélation du scandale plusieurs banquiers du “débouclage” imminent des positions prises par le trader Jérôme Kerviel.

Nouvelles révélations dans l’affaire Kerviel/Société Générale. Mediapart et les Inrocks donnent la parole dans un article à une journaliste financière affirmant que Daniel Bouton, le PDG de la banque à l’époque, avait informé plusieurs banquiers concurrents du “débouclage” imminent des positions prises par Jérôme Kerviel. Et ce, bien avant l’annonce officielle du scandale, pour leur demander leur aide.

La journaliste financière Marie-Jeanne Pasquette cite plus précisément deux banquiers, dont un, interrogé par Mediapart, a toutefois démenti. Il s’agit de Philippe Dupont, ancien président des Banques populaires, et Georges Pauget, ancien directeur du Crédit agricole. Selon des propos rapportés par cette journaliste, Daniel Bouton les aurait appelés dès le dimanche 20 janvier 2008, soit quatre jours avant la conférence de presse du 24 janvier qui allait officialiser “l’affaire Kerviel”.

Ebruiter ainsi une opération boursière aussi sensible, qui consiste à solder pour plusieurs milliards d’euros de pertes, avant que les marchés ne soient officiellement informés, reviendrait à orchestrer un délit d’initiés et une manipulation. Face à ces accusations de délit d’initiés, le groupe bancaire a annoncé une plainte en diffamation.

Plainte de la Société Générale

“Les avocats de Société Générale ont pour instruction de porter plainte pour diffamation” contre les directeurs des deux publications et les journalistes impliqués, a indiqué Jean Veil, avocat de la Société Générale. Me Veil estime que les informations relayées par les deux publications ont pour effet d’accuser l’ancien patron du géant bancaire Daniel Bouton de “délit d’initiés”, ce qui est selon lui “intolérable”.

Me Veil soutient que si Daniel Bouton a informé d’autres banquiers, il ne l’a fait que dans les règles, dans la soirée précédant la conférence de presse, ou juste avant, hors ouverture des marchés.

Le géant bancaire s’insurge également contre une autre information mise en avant notamment par les Inrocks: un éventuel “bluff” de la banque afin d’alourdir la perte attribuée à Jérôme Kerviel, officiellement 4,9 milliards d’euros. Ce qui aurait permis de masquer d’autres défaillances, sans lien avec l’ex-trader. Cette version avait été défendue lors du procès en appel de l’ex-trader par Philippe Houbé, alors employé d’une filiale de la Société Générale.

Dans un communiqué, la banque évoque des “pseudo-révélations” qui n’ont “pas été retenues par les tribunaux”. Un “travail de recyclage”, selon le groupe bancaire. Recyclage ou pas, une ramification de plus pourrait s’ajouter à la tentaculaire affaire Kerviel qui, huit ans après, n’en finit plus d’occuper les tribunaux français. L’ex-trader, qui reproche à la banque d’avoir couvert ses phénoménales prises de risque en toute connaissance de cause avant de le lâcher, tente en particulier de faire réviser sa condamnation pénale.

Source : Challenges, 02-03-2016

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La Société générale condamnée à verser 450 000 euros à Jérôme Kerviel

Source : Le Nouvel Obs07/06/2016

Le conseil de prud’hommes de Paris a jugé que le licenciement de Jérôme Kerviel par la Société Générale en 2008 s’était fait sans “cause réelle ni sérieuse”.

Le feuilleton continue. Le conseil de prud’hommes de Paris a condamné, ce mardi 7 juin, la Société générale à payer plus de 450.000 euros à son ancien trader Jérôme Kerviel pour l’avoir licencié sans “cause réelle ni sérieuse” et dans des conditions “vexatoires”.

C’est la première victoire judiciaire de l’ancien trader dans le bras de fer qui l’oppose depuis huit ans à son ancien employeur, lequel le rend seul responsable d’une perte de 4,9 milliards d’euros.

Une décision “scandaleuse”

L’avocat de la banque, Arnaud Chaulet, a dénoncé auprès de l’AFP une décision “scandaleuse” et fait appel, rappelant que Jérôme Kerviel avait été reconnu coupable au plan pénal pour des manoeuvres boursières frauduleuses.

Le conseil des prud’hommes a estimé, dans un jugement très sévère pour la Société générale, que cette dernière avait connaissance des dépassements par Jérôme Kerviel des limites imposées aux opérations de marché “bien avant” de lui signifier son licenciement le 18 janvier 2008.

Kerviel “très content”

De son côté, le conseil des prud’hommes a souligné que le licenciement début 2008 était intervenu pour “des faits prescrits”.

Cette juridiction civile a notamment accordé à l’ancien trader le paiement d’un bonus de 300.000 euros pour l’année 2007, jugeant qu’à l’époque la banque était “parfaitement au courant des opérations fictives” de Jérôme Kerviel, qui ont généré des profits pour le groupe.

En ajoutant diverses indemnités dont une pour les “conditions vexatoires” du licenciement, des congés payés, et des dommages intérêts, la somme se monte à quelque 455.000 euros, dont plus de 80.000 payables immédiatement, selon l’avocat de Jérôme Kerviel, Julien Dami Lecoz.

Celui-ci a averti l’ancien trader par téléphone, qui s’est dit “très content” de cette première décision en sa faveur.

Sur Twitter, il a également félicité ses avocats :

“Le combat continue encore et toujours… jusqu’à la fin. #Increvables”

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Source : Le Nouvel Obs07/06/2016

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Source : 20 Minutes, 17/06/2016

Affaire Kerviel: La Société Générale a «laissé faire», affirme un témoin

JUSTICE La cour doit déterminer si l’ex-trader, condamné pour abus de confiance, doit payer les 4,9 milliards d’euros exigés par la banque…

acques Werren, ancien dirigeant du marché à terme Matif, est affirmatif.

La Société Générale ne pouvait ignorer les agissements de Jérôme Kerviel et l’a donc « laissé faire », a déclarer jeudi sans ciller face à la cour d’appel de Versailles ce témoin cité par la défense de l’ancien trader devant la cour d’appel de Versailles La cour doit déterminer si l’ex-trader, condamné pour abus de confiance, doit payer les 4,9 milliards d’euros exigés par la banque, soit l’intégralité des pertes imputées à Jérôme Kerviel.

La banque l’a « laissé faire »

La Cour de cassation a en effet confirmé en 2014 sa condamnation à cinq ans de prison, dont trois ferme, mais cassé les dommages et intérêts réclamés par la Société Générale, estimant que ses mécanismes de contrôle avaient failli. « La thèse selon laquelle la Société générale n’a pas vu les opérations de Jérôme Kerviel est un défi au bon sens », a asséné Jacques Werren, au second des trois jours d’audience.

« Le marché à terme » sur lequel opérait l’ex-trader « faisait l’objet d’un suivi quotidien », a-t-il assuré à la barre. Et pour ce spécialiste des places boursières, il n’est « pas possible de dissimuler » ou de « cacher des positions » sur ce type de marché. La banque l’a donc « laissé faire », selon lui.

Une expertise financière réclamée par Kerviel

Ce que réfute la Société générale, qui assure que Jérôme Kerviel a pris massivement des positions fictives frauduleuses sans en référer à sa hiérarchie. Cité lui aussi par la défense, un ex-employé de la SocGen, chargé du contrôle des activités de trading à l’époque des faits, a affirmé qu’« aucune des opérations fictives » passées par le trader « n’a pu atteindre la comptabilité » de la société et que les pertes revendiquées par la banque après l’affaire Kerviel ne représentaient pas la réalité.

En fin d’audience, Jérôme Kerviel est revenu à la charge. « Depuis l’origine, je ne cesse de réclamer une expertise financière, ça m’a été systématiquement refusé. Je sollicite à nouveau une expertise pour qu’on ait le coeur net » sur les pertes de la SocGen dans cette affaire.

Un enregistrement audio qui pourrait faire basculer l’enquête

Plus tôt dans la journée, la défense de l’ex-trader avait produit un enregistrement audio qui, selon elle, montrait que le dossier judiciaire avait été « manipulé » par la banque. Dans cet enregistrement clandestin, on entend une conversation privée entre l’ancienne vice-procureure de la République de Paris Chantal Colombet-De Leiris et une ex-policière de la Brigade financière, Nathalie Le Roy, chargée d’enquêter sur l’affaire.

Dans des extraits sélectionnés par la défense et diffusés à l’audience après l’avoir été dans la presse en janvier, la magistrate aujourd’hui retraitée pointe des dysfonctionnements. « Vous étiez entièrement manipulée par la Société Générale », dit-elle à son interlocutrice qui lui réplique : « On ne savait pas où aller. On a été dirigés en fait ».

Et la magistrate d’affirmer que ce n’est pas un magistrat qui a rédigé l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris, « c’est un des avocats (de la Société Générale) qui lui a communiqué ».

A l’issue de l’écoute de l’enregistrement, un avocat mandaté par Chantal Colombet-De Leiris a demandé à la cour de juger la diffusion de l’enregistrement illégal. En vain.

Source : 20 Minutes, 17/06/2016

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Source : La Tribune, 17/06/2016

Procès Kerviel : l’avocat général estime que la Société générale ne peut prétendre aux 4,9 milliards d’euros de dommages-intérêts

“La Société générale a laissé le champ libre aux velléités délictuelles de Jérôme Kerviel”, a estimé Jean-Marie d’Huy. Le jugement sera mis en délibéré au 23 septembre.

Coup de tonnerre au procès Kerviel. Dans ses réquisitions, l’avocat général a en effet estimé que l’ex-trader n’avait plus à s’acquitter des 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts réclamés par la Société générale. Pour Jean-Marie d’Huy, Jérôme Kerviel « a bien été condamné pour des délits qu’il a commis, et la Société générale est bien victime. » Pour autant, « quand j’entends parler de « négligences » (au sujet des manquements de la Société générale dans ses mécanismes de contrôle), cela me paraît bien en-deçà des faits », estime l’avocat général dans son réquisitoire.

« La Société générale a laissé le champ libre aux velléités délictuelles de Jérôme Kerviel »

Jean-Marie d’Huy se réfère au rapport de la Commission bancaire, le gendarme du secteur à l’époque des faits, selon lequel « les faiblesses des dispositifs de contrôle de la Société générale étaient un facteur de vulnérabilité au rogue trading (traders voyous). » Toujours selon ce rapport, les « défaillances et carences graves des systèmes de contrôle de la Société générale se sont poursuivis sur une longue période, tout au long de l’année 2007 », « ce qui a rendu possible la réalisation et le développement de la fraude, et ses graves conséquences financières. »

« Des négligences qui durent deviennent intentionnelles », tonne l’avocat général. Pour Jean-Marie d’Huy, « un pilier de la place bancaire qui, malgré les avertissements et les recommandations de ses propres services, continue de fonctionner en dehors du champ réglementaire sans apporter de réponses, commet une faute grave. » Et Jean-Marie d’Huy d’enfoncer le clou : « La Société générale a laissé le champ libre aux velléités délictuelles de Jérôme Kerviel. ».  L’avocat général a donc sollicité de la cour d’appel de Versailles qu’elle rejette la demande de dommages-intérêts de 4,9 milliards d’euros formulée par la banque. Ainsi que l’expertise de cette somme demandée par Jérôme Kerviel, celle-ci devenant de facto sans objet. David Koubbi, avocat de l’ancien trader, a accueilli “avec surprise et contentement” la première partie de la solution prônée par Jean-Marie d’Huy, mais a ajouté que cela “ne changeait rien à (la) demande d’expertise judiciaire” sur la perte de 4,9 milliards demandée par la défense de Jérôme Kerviel. Le jugement sera mis en délibéré au 23 septembre. “Surprise” par les réquisitions de l’avocat général, la banque a indiqué dans un communiqué attendre “avec sérénité” l’arrêt de la cours d’appel de Versailles.

Le volet civil de l’affaire cassé par la Cour de Cassation en 2014

Pour rappel, Jérôme Kerviel avait été condamné, en première instance en 2010, puis en appel en 2012, à cinq ans de prison, dont trois ferme, et au versement de 4,9 milliards d’euros de dommages-intérêts à la Société générale, pour abus de confiance, introduction de données frauduleuses dans un système informatique, faux et usage de faux.

Mais le volet civil de l’affaire, relatif aux dommages-intérêts, avait été cassé par la Cour de cassation le 19 mars 2014. La plus haute juridiction française avait estimé que la cour d’appel de Paris avait insuffisamment pris en compte les défaillances des mécanismes de contrôle de la Société générale, et avait renvoyé le jugement du volet civil devant la cour d’appel de Versailles.

Cette dernière doit donc évaluer le degré des responsabilités de la banque dans la perte de 4,9 milliards d’euros qu’elle avait subie en janvier 2008, à l’issue du débouclage des énormes positions non autorisées prises sur les marchés financiers par son ancien trader. Une évaluation qui pourrait conduire Jérôme Kerviel à ne pas être redevable de la totalité des 4,9 milliards d’euros à la Générale, et contraindre la banque à rembourser tout ou partie de la déduction fiscale de 2,2 milliards qu’elle avait perçue dans le cadre de cette affaire.

A qui la faute ?

Selon François Martineau, l’un des avocats de la Société générale, la cour d’appel de Versailles devra apprécier le partage des responsabilités entre Jérôme Kerviel et la banque en fonction de la gravité de leurs fautes respectives, c’est-à-dire de leur caractère intentionnel ou non. La Société générale a-t-elle fauté ? Oui, dans son rapport de l’époque, la Commission bancaire, le gendarme du secteur, avait pointé du  doigt des « manquements », des « carences graves » dans les systèmes de contrôle de la banque, Me Martineau en convient.

Mais, souligne l’avocat, « ces manquements n’étaient pas intentionnels, selon la Commission bancaire. Ils sont assimilables à des fautes de négligence. » Rien à voir, donc, avec « les infractions pénales de Jérôme Kerviel, qui étaient des fautes intentionnelles » et qui ont été jugées et sanctionnées comme telles en première instance puis en appel, des jugements confirmés par la Cour de cassation. « Les systèmes de contrôle de la Société générale ont été confrontés à un fraudeur redoutable, d’autant plus que, de par son expérience passée [Jérôme Kerviel avait travaillé au middle-office avant de rejoindre le back-office des traders ; Ndlr], il en avait une très bonne connaissance. Ce fraudeur délinquant est bien à l’origine du dommage subi par la Société générale », assène Me Martineau.

Une “faute morale” de Kerviel selon les avocats de la banque

Selon l’avocat de la Société générale, l’ancien trader ne s’est pas seulement rendu coupable de prises de positions non autorisées et excessives sur les marchés, lesquelles avaient atteint 52 milliards d’euros en janvier 2008, soit 1,5 fois les fonds propres de la Société générale, exposant ainsi la banque à une perte latente de 2,7 milliards. Outre ces engagements non autorisés, qu’il dissimulait par des opérations fictives, Jérôme Kerviel a commis une « faute morale », estime Me Martineau. Et ce, en brisant « gravement » la confiance que ses supérieurs et ses collaborateurs avaient en lui.

« Je suis sûr que cette faute morale pèsera lourd dans votre délibéré », a conclu Me Martineau en s’adressant à la cour d’appel de Versailles.

« Le dénominateur commun des négligences reprochées à la Société générale dans son système de contrôle, ce sont des interlocuteurs qui ne s’attendaient pas à ce qu’on leur mente en les regardant droit dans les yeux. Jérôme Kerviel a défié systématiquement les systèmes de contrôle de la banque, il était convaincant parce qu’il savait dire à chaque personne ce qu’elle voulait entendre. Il a l’image de quelqu’un à qui on peut faire confiance », a renchéri Marion Lambert, elle aussi membre de la défense de la Société générale.

 « Quand Jérôme Kerviel vient devant la cour avec des airs de sainte-nitouche, je trouve ça scandaleux »

Pour Jean Veil, également avocat de la banque, cette dernière avait notamment manifesté sa confiance à Jérôme Kerviel en le faisant passer du middle-office au sacro-saint front office des traders, une promotion inespérée pour un garçon qui n’était pas issu de Polytechnique ou de Centrale. « Et cela [ce type de promotion ; ndlr], c’est terminé, ça ne se fait plus », déplore Me Veil. Pour qui Jérôme Kerviel n’a pas seulement infligé « un préjudice considérable » aux salariés de la Société générale sur le plan financier, mais également en matière d’évolution de carrières. « Alors, quand Jérôme Kerviel vient devant la cour avec des airs de sainte-nitouche, je trouve ça scandaleux », estime Jean Veil.

Les trois avocats de la Société générale ont donc demandé que la banque perçoive, à titre de dommages-intérêts, l’intégralité du préjudice subi, soit 4,9 milliards d’euros. Un chiffre qui, contrairement à la requête de Jérôme Kerviel, « ne justifie en aucun cas une nouvelle expertise », affirme Me Veil.

L’avocat en veut pour preuve sa vérification par les commissaires aux comptes de la Société générale et par la Commission bancaire. Pour lui, si quelqu’un a cherché à s’enrichir, dans l’affaire, ce n’est pas la Générale mais son ancien trader, alors que ce dernier assure le contraire depuis huit ans. La récente décision du conseil de prud’hommes de Paris d’obliger la banque à verser plus de 455.000 euros à Jérôme Kerviel, pour licenciement « sans cause réelle ni sérieuse » en 2008, montre qu’il « y avait bien, depuis l’origine, un désir d’enrichissement (de la part de Jérôme Kerviel) et non de philanthropie (à l’égard de la banque, comme Jérôme Kerviel l’a dit mercredi) », souligne Me Veil, qui qualifie l’ancien trader « d’escroc », de « délinquant. »

Christine Lejoux, à la cour d’appel de Versailles

Source : La Tribune, 17/06/2016

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Source : 20 Minutes, 01/07/2016

Affaire Kerviel/Société Générale: Des réunions discrètes pour enterrer un rapport fiscal à deux milliards

JUSTICE Les avocats de la banque ont entretenu des liens étroits avec certains membres du parquet de Paris pendant l’enquête sur l’affaire Kerviel…

C’est un « document de travail » à 2,197 milliards d’euros. D’après une enquête conjointe de 20 Minutes, Mediapart et France Inter, un rapport égratignant la Société Générale aurait été enterré par le parquet de Paris lors de l’enquête sur l’affaire Kerviel, en mai 2008. Plus encore que le document, c’est surtout la principale question qu’il soulève qui n’a, à l’époque, fait l’objet d’aucun examen approfondi par la justice.

Une question à un peu plus de 2 milliards d’euros, donc. Soit le montant du coup de pouce fiscal dont a bénéficié la Société Générale, en 2008. Comme la loi sur le crédit d’impôt le lui permet, la banque a déduit de sa déclaration fiscale une partie des « pertes exceptionnelles » occasionnées, selon elle, par l’affaire Kerviel.

La défense de la Société Générale jugée « peu plausible »

Avait-elle raison de le faire ? Le rapport de 25 pages que nous nous sommes procuré – reconstitué après avoir été passé à la broyeuse – instille le doute à ce propos. Il est signé par Cédric Bourgeois. Assistant spécialisé au sein de la section financière du parquet de Paris, cet expert – diplômé de l’ESCP et formateur à l’Ecole de la magistrature – était alors chargé de suivre les développements de l’enquête afin d’en rendre compte à sa hiérarchie. Il s’exécute le 14 mai 2008 en rédigeant ce « document de travail ».

Sans exonérer Jérôme Kerviel de ses responsabilités, il juge, à plusieurs reprises, « peu plausible » la défense de la banque qui assure qu’elle ignorait tout des agissements de son ancien trader. Mais c’est surtout dans la dernière partie de son rapport – intitulée « Les questions soulevées par le comportement de la partie civile » – qu’il met le doigt sur le nœud fiscal à 2,197 milliards d’euros.

Selon l’expert, le parquet aurait dû saisir le fisc

« La Société Générale apparaît très intéressée à faire reconnaître l’existence d’une fraude complexe sous peine [de devoir rembourser son crédit d’impôt]. » Raison pour laquelle selon lui, « il apparaît nécessaire » que sa hiérarchie saisisse l’administration fiscale pour vérifier la légalité de toute cette opération. La préconisation a beau figurer en caractères gras dans le document, elle ne sera pas suivie d’effet.

Plutôt que de se rapprocher du fisc, Jean-Michel Aldebert, le chef de la section financière au parquet, va évoquer directement cette question avec les avocats de la Société Générale. Selon différentes sources, le rapport fait ainsi l’objet, fin mai 2008, de plusieurs réunions discrètes entre les avocats de la banque et le magistrat dans une salle de conférences située au septième étage du pôle financier du parquet de Paris. Est-ce là que les participants « évacuent » le risque pour la banque de devoir rembourser à l’Etat les 2,197 milliards d’euros ?

Impossible de l’affirmer. Seule certitude : ce n’est qu’en 2010, soit deux ans plus tard et après la condamnation de Jérôme Kerviel, que l’existence de cette déduction fiscale apparaît dans la presse et dans le débat public.

« Les magistrats étaient sous la coupe des avocats de la Société Générale »

Contacté, Jean-Michel Aldebert n’a pas souhaité répondre à nos questions « ne voyant pas l’intérêt de [s]’exprimer sur une affaire [ayant conduit à la condamnation pénale de Jérôme Kerviel] ». Quant à Cédric Bourgeois, sollicité à plusieurs reprises, il assure, par la voix de son avocat, être soumis à « un secret professionnel absolu et illimité dans le temps » qui l’empêche d’apporter les précisions que nous lui avons demandées. Un « secret » qu’ont également invoqué plusieurs autres membres du parquet à l’époque que nous avons joints.

>> A lire aussi : >> Les politiques réclament des comptes à la Société Générale

Dans un enregistrement clandestin révélé en janvier par 20 Minutes et Mediapart, la magistrate Chantal de Leiris dévoilait déjà « des choses pas normales dans ce dossier », évoquant des « magistrats [du parquet] complètement sous la coupe des avocats de la Société Générale ». L’enregistrement de son témoignage ayant été réalisé à son insu, elle a fini par déposer plainte pour « atteinte à la vie privée ». La révélation, ce vendredi, du traitement dont a fait l’objet la question fiscale de la Société Générale est tout de même de nature à étayer le fond de ses propos.

« C’est une pratique permanente », assurent les avocats de la banque

Informés de la teneur de notre enquête, Jean Veil, Jean Reinhart et François Martineau, les trois avocats de la banque ont reconnu les contacts qu’ils ont entretenus avec les membres du parquet tout en minimisant leur importance. « C’est une pratique permanente et qui profite à tous les justiciables victimes et mis en cause. Les avocats de Jérôme Kerviel ont [aussi] fait le siège des procureurs (…) Ils en avaient le droit et nous n’avons jamais protesté qu’ils en usent », nous ont-ils fait savoir dans une déclaration écrite.

Sur le rapport de Cédric Bourgeois, les conseils de la banque n’ont, en revanche, pas souhaité s’exprimer car « ils en ignorent le contenu », alors même que nous avons proposé de le leur présenter.

Très pugnace, David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel, voit, lui, dans ces révélations une nouvelle preuve de ce qu’il dénonce depuis des mois. « La Société Générale a participé à une ‘‘truquerie’’ organisée, lâche-t-il. Il est temps de s’interroger sur les liens incestueux qui ont pu exister entre la section financière du parquet et les avocats de la banque. »

[Edit à 14h54]Dans un communiqué publié sur son site, la Société Générale dénonce « des pratiques de harcèlement médiatico-judiciaire, orchestrées par des médias partisans de la cause de Jérôme Kerviel. » La banque assure que « le sujet du traitement fiscal n’a pas été abordé pendant l’instruction dont l’objet était de qualifier les infractions pénales commises par Jérôme Kerviel. »

Source : 20 Minutes, 01/07/2016

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Lire aussi ceci : Les silences des procès Kerviel

C’est dommage, le sujet des procès Kerviel auraient mérité une enquête, mais je n’ai pas le temps. S’il y a des volontaires… 🙂

Source: http://www.les-crises.fr/nathalie-le-roy-je-ne-suis-pas-seule-a-pretendre-que-lenquete-sur-kerviel-a-ete-manipulee/


David Koubbi, Affaire Kerviel, Justice et Société Générale ? Par Thinkerview

Friday 8 July 2016 at 00:02

Source, Youtube, Thinkerview, 11/06/2016

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Interview de David Koubbi à propos de son client Jérôme Kerviel et de la Société Générale.

SUJETS :
Affaire Kerviel – Société Générale – Justice des Copains – Lanceurs d’Alertes – Médiatisation de la Justice – Code Pénal – Manipulations – Pressions – Etat d’Urgence – Anarchie – Démocratie – Révolution non violente – Mouvements Sociaux.

Source, Youtube, Thinkerview, 11/06/2016

Source: http://www.les-crises.fr/david-koubbi-affaire-kerviel-justice-et-societe-generale-par-thinkerview/