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Interview de Romaric Godin sur la situation politique et économique en Espagne

Monday 27 June 2016 at 00:01

27Source : actualité espagnole, Romaric Godin, 23-06-2016

L’entrée principale du palais de La Moncloa, siège de la présidence du gouvernement espagnol (photographie : El Confidencial)

L’entrée principale du palais de La Moncloa, siège de la présidence du gouvernement espagnol (photographie : El Confidencial)

Pas spécialement a priori. Mes intérêts allaient plutôt au départ vers l’Allemagne, où j’ai vécu six ans, ou vers l’Italie. Mais mes travaux sur la crise européenne et ses conséquences m’ont amené à m’intéresser à ce pays qui est plus méconnu qu’on le croit souvent en France. J’ai découvert un pays complexe, avec une histoire riche, une diversité remarquable et une pensée politique originale. De quoi essayer d’aller plus avant encore dans l’étude de l’Espagne pour tenter de comprendre et de faire comprendre sa réalité aux lecteurs français et francophones.

La question est difficile. La réponse dépend de plusieurs facteurs qui ne seront connus qu’après le 26 juin : le poids respectifs des partis, celui de la « gauche » et de la « droite », la nature des négociations sur la question catalane, les développements internes au PP et au PSOE, etc. Ce qui est certain, c’est que le jeu politique espagnol a changé durablement l’an dernier en passant de la bipolarité à un jeu à quatre. Dans ce cadre, avec des acteurs nouveaux, Citoyens et Podemos, qui se définissent en rupture et des acteurs anciens, PP et PSOE, qui semblent difficilement conciliables, la formation d’un gouvernement relève de la gageure. Toute tentative sera naturellement instable et le système politique espagnol devra s’adapter à cette nouvelle donne en faisant des tentatives et des essais sans doute multiples. Il en résultera nécessairement une clarification, mais elle prendra du temps. Pour moi, l’Espagne est entrée dans un nouveau régime, celui issu de la transition de 1975-1978 est clos. Le processus est nécessairement long et douloureux.

Le PSOE est face à son histoire. Il subit une dégradation qui n’est pas propre à l’Espagne. La social-démocratie « centriste » traverse une crise dans toute l’Europe et, de ce point de vue, le PSOE résiste même mieux que ses « frères » néerlandais, irlandais ou grec grâce à son implantation locale, notamment en Andalousie. La participation du PSOE aux mesures d’austérité et sa déconnexion des attentes d’une partie de l’électorat expliquent cette décadence. La mécompréhension de la situation en Catalogne, une de ses places fortes dans les années 2000, a encore aggravé le mouvement.

Le PSOE n’a pas trouvé le moyen de freiner cette dégradation de son audience. En fait, il ne le peut pas en raison de l’influence de ses barons qui le poussent à un conservatisme qui le rend politiquement de moins en moins « utile ». Du coup, il est pris en tenaille entre les deux forces montantes, Citoyens et Podemos. Le premier joue sur le renouvellement et une certaine innovation en termes de mesures économiques pour attirer les électeurs centristes du PSOE, le second joue sur sa volonté d’incarner la gauche et de faire davantage participer les gens aux décisions. Quoi que fasse le PSOE, il risque de perdre désormais des voix à gauche ou au centre. Il est piégé.

Dans ce contexte, que fera-t-il après l’élection ? Je ne pense pas que l’alliance avec Unidos Podemos soit acquise compte tenu du poids du « social-libéralisme » au sein du PSOE et du rejet de la plurinationalité de l’Espagne. Il y aura une lutte serrée au sein du parti pour déterminer la ligne à suivre, mais mon avis est qu’une abstention permettant à une alliance PP-Citoyens sans Mariano Rajoy de gouverner est plus probable qu’une union avec Unidos Podemos.

Dans tous les cas, ces discussions affaibliront encore le PSOE. En cas d’alliance à gauche, il risque de devenir ce que le PCF a été pour le PS après 1980 en  France, de façon inversée : un parti de plus en plus inutile qui laisse la place à la force montante, et laisse dominer Podemos au centre-gauche.S’il permet au PP de rester au pouvoir, le PSOE va encore perdre de sa signification. À mon sens, il est voué à jouer un rôle secondaire à l’avenir.  C’est ici, peut-être, un des éléments clés de la résolution de la crise politique actuelle en Espagne.

En régime parlementaire, la coalition est normale et c’est l’addition des forces qui compte. La SPD allemande a longtemps gouverné dans les années 1970 après des défaites électorales face à la CDU/CSU grâce aux Libéraux qui décidaient alors de la politique de la RFA avec 5 % à 8 % des voix…

Ce qui compte, c’est la cohérence politique des coalitions. Si la coalition dispose de buts clairs et d’ambitions affichées acceptées par les partis qui la composent, elle est aussi solide et légitime que les autres partis. Ce sera tout l’enjeu des négociations entre le PSOE et Unidos Podemos. Le risque, en effet, c’est une coalition A MINIMA pour s’emparer du pouvoir. Dans ce cas, un problème de légitimité peut en effet apparaître et nuira au parti qui a fait le plus de concessions.

Pour moi, Pedro Sánchez n’a aucune chance de rester à la tête du PSOE en cas de SORPASSO du parti par Unidos Podemos dimanche. Il est détesté par les barons et il ne pourra plus prétendre à la présidence du gouvernement. Il aura du mal à mener des négociations avec Unidos Podemos compte tenu de cette situation de faiblesse. Plus globalement, le PSOE va devoir choisir entre le PP ou Podemos et la lutte pour la direction du parti se jouera autour de ce choix. Susana Díaz est une candidate sérieuse, mais c’est la candidate d’une opposition laissant la place au PP, puisqu’elle rejette Podemos en raison de son refus de la politique territoriale de ce dernier. Elle va devoir imposer ce choix. Pour cela, elle devra aussi ne pas subir de défaite trop lourde en Andalousie dimanche. Sinon, il est difficile de déterminer qui pourra sortir gagnant d’une lutte interne au PSOE, c’est d’ailleurs un des problèmes du parti aujourd’hui : il n’a pas de vraie et crédible relève.

Mariano Rajoy a joué le pourrissement de la situation pour s’imposer comme le seul capable de sortir le pays du blocage. Mais il est très affaibli par sa politique d’austérité et les scandales à répétition au sein du PP. Le dernier, sur les scandales « truqués » en Catalogne, risquent d’achever sa vie politique. Il semble difficile pour Citoyens comme pour le PSOE de le laisser désormais à La Moncloa. Si le PP veut continuer à gouverner, il devra lui demander de partir. Et ce ne sera pas facile. Or, tant que Mariano Rajoy sera là, le blocage politique perdurera. Sa stratégie pourrait se retourner contre lui : il deviendra alors le responsable du blocage et non sa solution.

Bruxelles a accordé un délai à l’Espagne et au Portugal pour revenir dans les clous budgétaires. Mais derrière cette annonce, il existe des nuances : la Commission a imposé des concessions importantes au gouvernement portugais et Mariano Rajoy s’est apparemment engagé à réduire les dépenses après les élections. Il est donc peu probable que Bruxelles accepte de valider un programme comme celui d’Unidos Podemos. C’est du reste un des arguments du PSOE pour refuser l’alliance avec ce parti.

S’il parvient au pouvoir, Pablo Iglesias devra donc faire des concessions. Il sera, en théorie, en position plus forte que la gauche portugaise qui se contente de soutenir le gouvernement PS sans y participer. Il sera naturellement pris dans une contradiction entre la volonté de prouver sa capacité de changer la politique et les concessions à Bruxelles et au PSOE. Il n’est pas sûr que Bruxelles lui offre une chance : la Commission a été très critiquée au Nord de l’Europe pour son « laxisme » et l’affaire grecque a montré que l’arrivée au pouvoir de la gauche à un poste de gouvernement (ce qui n’est pas le cas au Portugal) provoquait une certaine panique au sein des dirigeants européens. Il y a fort à parier que beaucoup à Bruxelles, La Haye ou Berlin voudront « casser » une expérience de gauche en Espagne, alors même que le SPD allemand réfléchit à une alliance sur sa gauche en 2017. La marge de manœuvre de Podemos sera donc réduite.

La vision de Podemos est celle d’une Espagne « plurinationale ». C’est une position qui est fortement rejetée dans beaucoup de milieux en Espagne parce qu’elle mettrait en danger l’unité de la nation espagnole. Mais les indépendantistes catalans, par exemple, y voient une façon de « sauver » l’Espagne. Tout dépend du point de vue.

Pour ma part, mais je conçois que c’est une position contestable, il me semble que l’Espagne ne peut refuser de prendre en compte sa diversité et de réfléchir à la façon dont on peut être à la fois Espagnol et Catalan ou Espagnol et Basque. Tout rejet de la reconnaissance du fait national en Catalogne, par exemple, conduit à renforcer l’idée d’une incompatibilité entre ces deux identités et donc à la volonté d’une rupture. La position de Podemos est une position assez pragmatique qui vise à éteindre l’indépendantisme par deux éléments : un référendum qui serait perdu par les indépendantistes et mettrait fin à leur ascension politique (sur le modèle québécois, par exemple) et une fédéralisation reconnaissant la diversité nationale pour « désarmer » les sécessionnistes. C’est une politique qui semble plus porteuse, à mon sens, que celle du PP qui a alimenté l’indépendantisme par sa rigueur.

Il est vrai, cependant, qu’en Catalogne, l’alliance de Podemos est constituée en partie d’indépendantistes et que cela nuit à la cohérence de cette politique. Mais la question se pose moins pour Podemos que pour l’Espagne : comment traiter la montée de l’indépendantisme catalan ? Comment accepter la persistance au sein du pays d’autres nationalités ? Doit-on limiter la nation espagnole à ses seules formes castillane ou andalouse ?

L’indépendantisme catalan traverse une crise mais reste la première force politique régionale. La crise entre Junts pel Sí et la CUP relève d’une différence de conception fondamentale, mais elle pose surtout une question existentielle pour la CUP. Place-t-elle la lutte contre l’austérité et contre le capitalisme avant l’indépendance ou n’envisage-t-elle pas l’une sans l’autre ?C’est le débat qui déchire le parti aujourd’hui et qui risque de lui coûter cher. Carles Puigdemont a décidé de clarifier la situation par sa question de confiance : cette dernière va forcer la CUP à choisir. C’est une stratégie assez fine pour en finir avec l’ambiguïté de la CUP. En cas de nouveau scrutin, la majorité parlementaire indépendantiste sera menacée, mais le problème est qu’il n’existe pas en Catalogne d’alternatives majoritaires à l’indépendantisme. À moins d’une alliance peu probable allant de Podemos au PP, mais sur quel programme ?

Junts pel Sí n’est donc pas sûr de pouvoir mener à bien sa feuille de route dans les temps, mais la pression indépendantiste va se maintenir. Pour gouverner la Catalogne, il faudra trouver d’abord, principalement avec Podemos et EUiA, une entente sur une solution démocratique à la question de l’indépendance. Ce pourrait être presque plus commode qu’avec la CUP…

Mariano Rajoy et le président régional catalan, Carles Puigdemont (photographie : EFE et La Vanguardia)

Mariano Rajoy et le président régional catalan, Carles Puigdemont (photographie : EFE et La Vanguardia)

Compte tenu du fossé politique existant entre la Catalogne et l’Espagne, l’indépendance me semble possible, même si elle n’est pas certaine. De plus en plus de Catalans n’envisagent plus d’évoluer dans le cadre espagnol et la réponse espagnole brise de plus en plus de ponts. Si l’Espagne ne propose pas de modèle alternatif convaincant et si les indépendantistes s’unissent à nouveau, l’indépendance sera une option crédible. Sa condition sera cependant qu’elle soit majoritaire et dépasse le cadre linguistique pour s’ancrer dans les populations originaires d’autres régions. Ce n’est pas une option impossible, à mon sens.

Quant à savoir si elle est souhaitable, je ne me prononcerai pas. Tout changement comporte des risques et des avantages. L’Espagne serait bien sûr affaiblie et un processus de séparation est toujours complexe. Mais si le peuple catalan le décide démocratiquement, il sera difficile d’ignorer son choix. L’indépendance de la Catalogne ne signifiera pas cependant la fin de la coopération, y compris financière et humaine avec l’Espagne. Et pour cela, il est essentiel de maintenir un dialogue entre les deux entités dès à présent.

Ces options sont intéressantes, mais dans le contexte politique actuelle, elles semblent insuffisantes. Il s’agit dans le cas du PSOE de revenir avec des garanties constitutionnelles au statut de 2006, censuré en partie par la Cour constitutionnelle en 2010 et qui est la source du mécontentement catalan. Unidos Podemos va plus loin avec la reconnaissance des « nations ». Mais, aujourd’hui, ces propositions posent deux problèmes. Le premier, c’est le refus de tout compromis de ceux qui ont une vision unifiée de la nation espagnole et le second est le refus des indépendantistes qui veulent rompre avec l’État espagnol. Ces propositions n’ont donc pas une base populaire et parlementaire suffisante pour s’imposer. C’est pourquoi un référendum peut être une sortie de crise en cas de « non » à l’indépendance : devant leur défaite, beaucoup d’indépendantistes devront trouver une autre solution que la rupture et le fédéralisme peut en être une. La discussion sur la réorganisation pourra alors s’engager. Évidemment, ceci suppose de prendre le risque de la rupture. Mais le risque inverse existe : en niant la montée de l’indépendantisme, on peut l’attiser, y compris dans d’autres régions espagnoles comme le Pays basque, où le référendum devient aussi populaire.

Le parti Citoyens se présente comme le défenseur de l’unité espagnole et d’une vision nationale unifiée. Il peut incarner cette défense de l’intégrité de l’Espagne. Mon point de vue est que le problème catalan peut être une chance pour l’Espagne d’engager la discussion, que j’ai évoquée, sur ce que signifie être espagnol et sur la gestion de la diversité nationale du pays. L’histoire espagnole n’a pas permis, comme en France, de faire reculer suffisamment les identités régionales. Aujourd’hui, il faut réfléchir à un moyen de les prendre en compte au-delà du compromis de 1978 qui semble caduc sur le plan national comme il l’est devenu sur le plan politique. La phase de transition est donc délicate et turbulente, là aussi. Et il existe un vrai risque de voir l’Espagne se fragmenter. Nier ce risque en voulant « pénaliser » l’indépendantisme est à mon sens la plus sûre façon d’y parvenir. Mais il faut des politiques capables de construire des compromis sur ce terrain. Or, la situation politique quadripartite pose une forte concurrence au niveau national et n’incite guère à ce type de concessions, car chacun est en risque de sortir du « club des quatre ». Là aussi, il y a un blocage que seul un choix démocratique clair par un référendum pourrait débloquer.

La reprise espagnole est réelle et vigoureuse. Elle est portée par trois phénomènes principaux. D’abord, une forte dévaluation interne par la baisse des salaires et la hausse de la productivité, source de chômage de masse. Ensuite, la fin des politiques d’austérité qui ont redonné de la confiance aux acteurs économiques. Il y a donc un phénomène de rattrapage des investissements et des dépenses reportés durant la crise. Enfin, par des éléments externes : la politique monétaire de la BCE et la baisse du prix du pétrole et de l’énergie.

Cette croissance va néanmoins ralentir dans les prochains mois et elle reste très coûteuse sur le plan social. L’Espagne est un des pays de la zone euro, avec la Grèce, le plus fragilisé socialement par les politiques menées depuis 2010. Le risque de pauvreté y est très fort, le chômage encore très élevé et les revenus sans dynamique. La croissance acquise par la baisse des coûts a un revers social très lourd qui, in fine, va peser sur la dynamique de la croissance. Le problème du modèle économique espagnol reste entier : l’Espagne est-elle un pays de production bon marché, ce qui exclut tout amélioration de la situation sociale, ou peut-elle monter en gamme, alors que l’industrie espagnole vient juste de rattraper son retard en termes d’automatisation ?

Le pays a clairement besoin d’une politique d’éducation et de formation, mais aussi d’une vraie politique industrielle. Elle aurait un sens au niveau européen dans le cadre d’un vrai projet industriel continental, mais l’UE n’agit pas dans ce domaine. En attendant, le pays est condamné à vivre durablement avec un chômage fort et une pauvreté élevée. Dans ces conditions, le mécontentement politique persistera, ce qui est un problème économique également. Il est d’ailleurs frappant de voir que les quatre partis n’ont guère de projets économiques convaincants.

Le plus grand risque serait que l’Espagne ne tombe à nouveau dans une bulle immobilière qui fera baisser fortement le chômage, mais affaiblira encore le pays. Car cette crise existentielle de l’économie espagnole est encore le fruit de la bulle précédente qui était une façon commode de régler tous les problèmes.

Un pays aussi ancien et avec une histoire aussi riche et diverse que l’Espagne ne peut être simple. Il est nécessairement compliqué, comme le sont tous les grands pays européens parce que le poids du passé se mêle toujours aux enjeux du présent. L’Espagne est un pays très complexe, très divers et c’est pourquoi il mérite mieux que le regard souvent lointain et caricatural que les Français portent sur lui.

L’Espagne est, à mon avis, à la pointe de la rénovation politique au sein de l’Union européenne, comme l’est d’une autre façon l’Italie. La réflexion sur une alliance à gauche, l’agonie du PSOE, l’impasse du PP, l’émergence de Citoyens et la montée des indépendantistes trouvent leur écho, avec des particularités, en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni. L’Espagne est un laboratoire de la transition politique en Europe. Là encore, c’est assez piquant, quand on songe que les analystes politiques français rêvent d’un « modèle allemand » et de sa « grande coalition », alors même qu’une alliance Podemos-PSOE, si elle voit le jour, serait le prélude à un rapprochement SPD-Die Linke en Allemagne.

Sur le plan économique, le constat est inversé. L’Espagne apparaît comme un modèle de redressement, alors qu’elle affiche une croissance déséquilibrée, pas assez riche en emplois et donc intenable sur le plan social. Le modèle actuel de l’Espagne ne peut être que provisoire. Il doit se réinventer pour effacer les effets des « réformes », alors qu’on en fait souvent l’objectif des « réformes » en France.

Source : actualité espagnole, Romaric Godin, 23-06-2016

 

 

Espagne : Podemos recherche activement une coalition avec le PSOE

Source : La Tribune, Romaric Godin, 21-06-2016

L'Espagne aura-t-elle après le 26 juin un gouvernement de gauche avec Sanchez (PSOE) et Iglesias (Podemos) ? (Crédits : Reuters)

L’Espagne aura-t-elle après le 26 juin un gouvernement de gauche avec Sanchez (PSOE) et Iglesias (Podemos) ? (Crédits : Reuters)

Les Espagnols ne voteront que le 26 juin, mais déjà, les grandes manœuvres en vue de la formation d’une coalition gouvernementale ont commencé à gauche. Podemos propose des compromis aux Socialistes sur la question catalane. Mais elles demeurent insuffisantes pour un PSOE sans vrai projet.

Les nouvelles élections générales espagnoles, rendues nécessaires par l’incapacité de former un gouvernement avec le Congrès des députés élu le 20 décembre, aura lieu dimanche 26 juin. Mais, déjà, les grandes manœuvres pour former un gouvernement ont commencé. L’alliance Unidos Podemos qui regroupe le parti issu du mouvement des indignés, les Communistes et les Ecologistes, ainsi que plusieurs mouvements autonomistes régionaux, cherche désormais clairement à former un gouvernement de gauche avec les Socialistes du PSOE.

Nouvelle donne

Cette option était pratiquement impossible après le 20 décembre dans la mesure où l’addition des deux principaux partis de gauche comptait moins de députés que les deux partis de droite, Ciudadanos et le Parti populaire du président du gouvernement sortant Mariano Rajoy (159 contre 163). Le secrétaire général du PSOE, Pedro Sánchez, avait alors tenté de réaliser une alliance contre le PP en signant un pacte avec Ciudadanos et en cherchant l’appui de Podemos. Cette manœuvre avait échoué. Mais en élargissant sa base par le regroupement avec la Gauche Unie, Pablo Iglesias, le leader de Podemos, est désormais en mesure – mathématiquement du moins – de proposer un gouvernement de gauche, ce qu’il appelle une « coalition à la valencienne », s’inspirant de la majorité régionale construite à Valence entre le PSOE, Podemos et les régionalistes de Compromís.

Selon les sondages, Unidos Podemos devrait réussir le sorpasso, le dépassement du PSOE pour la première fois depuis 1933, en sièges comme en voix. Il serait donc en position de force pour négocier. Mais surtout, la loi électorale espagnole donnant une prime de fait aux grands partis, Unidos Podemos devrait compter entre 80 et 90 sièges, contre 69 le 20 décembre. Une poussée qui pourrait assurer, malgré l’effritement du PSOE, une majorité relative à la gauche face à la droite, sinon même une majorité absolue comme l’affirmait quelques enquêtes d’opinion. La constitution d’un gouvernement d’alternance dirigé par Podemos serait donc à portée de main. Et c’est bien pourquoi Pablo Iglesias commence à préparer le terrain.

Le dilemme de Podemos

L’écueil principal de cette alliance « à la valencienne » demeure un point essentiel : le référendum d’autodétermination en Catalogne. Podemos et ses alliés catalans en défendent l’idée non pour assurer l’indépendance catalane, mais pour clore les espoirs des indépendantistes et bâtir une autonomie renforcée de la Catalogne. Électoralement, c’est un élément essentiel qui permet à la liste catalane de Unidos Podemos, En Comú Podem, de capter une partie du vote indépendantiste aux élections générales pour permettre l’organisation du référendum. Le 20 décembre 2015, cette liste avait ainsi obtenu 24,7 % des voix en Catalogne contre 8,94 % lors des élections catalanes du 27 septembre précédent. Un bond de plus de 550.000 voix qui s’explique par cette stratégie.

Podemos doit donc continuer à défendre l’idée du référendum. Le problème, c’est que le PSOE refuse absolument un vote qui pourrait mettre en péril l’unité de l’Espagne. Pedro Sánchez ne peut d’autant pas accepter ce référendum qu’il doit compter avec son opposition interne dirigée par la présidente andalouse, Susana Díaz, qui tient une ligne dure contre l’indépendantisme catalan. Les Andalous sont en effet inquiets du risque de sécession catalan et d’appauvrissement du reste de l’Espagne qui suivrait. Or, Susana Díaz a l’appui des caciques du PSOE, les « barons » qui détestent Pedro Sánchez.

L’équation est donc délicate pour Pablo Iglesias : ou il abandonne le référendum catalan et il s’expose à perdre des voix en Catalogne et à voir ses alliés régionalistes le lâcher, ou il le maintient et son rêve d’une alliance « à la valencienne » avec le PSOE s’évapore. Sur la corde raide, il tente donc une manœuvre pour contenter tout le monde. Lundi 13 juin, lors du débat à quatre à la télévision, il a expliqué que « dans les négociations gouvernementales, il n’y a pas de lignes rouges », laissant entendre que le référendum catalan était susceptible de passer par pertes et profits afin de bâtir un compromis avec le PSOE. Ses propos ont déclenché une panique en Catalogne où Xavier Domènech, le dirigeant d’En Comú Podem, a dû assurer que l’objectif du référendum n’était pas abandonné.

La proposition d’une réforme de l’Etat

Pablo Iglesias a alors tenté de clarifier la situation avec une proposition de programme gouvernemental dévoilé le 20 juin. Dans ce texte de 92 pages, Unidos Podemos propose une évolution constitutionnelle vers la reconnaissance d’un Etat « plurinational ». Il s’agit d’abord de renforcer et clarifier les compétences des communautés autonomes (régions), de réformer le Sénat pour en faire une chambre représentative de ces communautés, un peu sur le modèle du Bundesrat allemand, et de renforcer la voix des régions sur les questions européennes. Le projet considère ensuite qu’il conviendra de faire le distinguo entre « nations » et « communautés » au sein de l’Etat espagnol. Les « nations », qui pourraient être basque, catalane et galicienne, pourrait alors passer des accords, notamment fiscaux, avec l’Etat.

Ce projet est cependant progressif. Comme souvent dans la pensée de Podemos, l’idée est d’imposer les faits progressivement, par la préparation de l’opinion. Xavier Domènech, qui a présenté le texte à Barcelone, a indiqué que l’on avancerait « pas à pas ». La première étape sera la « reconnaissance des nations » et la création d’un « ministère de la plurinationalité » chargé de mener le processus. Et le référendum catalan ? Il est jugé « indispensable », mais il pourrait n’intervenir qu’à l’issue de l’évolution de la structure de l’État et des négociations avec le nouveau ministère.

La stratégie de Podemos

Ce projet a plusieurs fonctions : maintenir l’exigence du référendum, tout en mettant en place une nouvelle structure d’Etat destinée à convaincre les Catalans de demeurer en Espagne. La « fédéralisation asymétrique » que propose Unidos Podemos n’est finalement pas si éloigné de la proposition que faisait fin mai Pedro Sánchez d’un nouveau statut catalan reconnaissant l’existence d’une « singularité catalane ». Il permettrait donc de conserver la confiance des défenseurs catalans du « droit à décider », tout en s’alignant en partie sur les projets socialistes. Le tout avec un atout : celui du temps, au cours duquel beaucoup de choses peuvent changer. Les divisions au sein du camp indépendantiste catalan peuvent amener de nouvelles élections. Après le rejet de son budget, le président de la Generalitat, le gouvernement catalan, Carles Puigdemont, posera en septembre une question de confiance au parlement. Si elle est rejetée, de nouvelles élections seront inévitables et une défaite des indépendantistes sera possible. L’urgence d’un référendum pourrait être alors moins vive pour le nouveau gouvernement espagnol.

Fin de non-recevoir

Mais le PSOE acceptera-t-il un tel compromis ? Rien n’est moins sûr. La reconnaissance de « nations » suppose la reconnaissance de leur droit à l’autodétermination. Le référendum catalan sera donc une conséquence logique et les Basques eux-mêmes pourraient être tentés. Le PSOE, marqué par la lutte contre l’indépendantisme basque, ne veut pas en entendre parler. En réalité, l’attachement à l’unité espagnole des Socialistes rend impossible l’acceptation du projet « dynamique » de Podemos. C’est pourquoi le projet de fin mai évitait le terme de « nation » et proposait un accord proche du statut de 2006 avec des garanties. Pedro Sánchez l’a donc réaffirmé lundi 20 juin : « Pablo Iglesias ne sera pas président du gouvernement car il ne remplit pas les conditions pour l’être »Pour deux raisons : sa politique sociale trop généreuse et son engagement en faveur d’un référendum catalan.

Retour à la case départ

On est donc revenu à la case départ. Certes, Pedro Sánchez refuse de considérer le sorpasso comme acquis et entend se battre pour maintenir l’avance du PSOE, au moins en sièges. Il ne peut donc publiquement accepter les conditions de Podemos. Mais le problème est plus profond. Le PSOE rechigne essentiellement à une alliance des gauches. Après sa défaite annoncée le 26 juin, il va cependant devoir faire un choix. La situation risque d’être inversée par rapport au printemps dernier. Alors, Pedro Sánchez pouvait accuser Podemos de préférer maintenir Mariano Rajoy au pouvoir plutôt que de le soutenir. Désormais, le PSOE devra choisir entre un soutien (actif ou passif) au PP ou un gouvernement sur sa gauche. Dans les deux cas, il sera menacé de marginalisation et de réduction à ses bastions du sud du pays, en Estrémadure et en Andalousie.

Le 26 juin sera sans doute suivi d’une lutte interne intense au sein du PSOE. Susana Díaz l’a déjà entamé. Menacée de voir le PSOE andalou dépassé par le PP local, elle a lancé une campagne fortement anti-catalane qui gêne même les Socialistes catalans. Elle a notamment refusé que les « votes des Andalous servent à payer les privilèges d’Ada Colau », la maire de Barcelone qui soutient En Comú Podem. C’est donc un refus absolu de toute alliance avec Podemos. Susana Díaz sait que si elle parvient à limiter la casse en Andalousie, elle pourrait détrôner, avec l’appui des « barons », un Pedro Sánchez qui aura bien du mal à conserver la direction du parti après le 26 juin.

Sombre avenir pour le PSOE

Dans ce cas, le scénario « à la valencienne » deviendrait improbable. Du reste, on voit mal, compte tenu de l’importance des troupes « sudistes » au sein du PSOE, comment une alliance avec Podemos pourrait être acceptée par la base. Car tout projet d’alliance sera sans doute soumis aux militants et tout nouveau secrétaire général devra s’appuyer sur cette base. Certes, Pablo Iglesias, qui a fait récemment un éloge appuyé de José Luís Zapatero, le dernier président du gouvernement socialiste, tente de flatter les militants du PSOE. Mais il n’est pas certain que ce soit suffisant. Le problème, c’est que l’avenir du PSOE hors d’une alliance avec Podemos s’annonce très sombre. Réduit à un positionnement nécessairement centriste, il risque de se trouver à l’étroit entre Ciudadanos et Podemos et d’être réduit à la fonction de force de soutien du PP. Le dilemme des Socialistes après le 26 juin s’annonce donc insolvable.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 21-06-2016

Source: http://www.les-crises.fr/interview-de-romaric-godin-sur-la-situation-politique-et-economique-en-espagne/


Brexit : l’Allemagne refuse plus d’intégration de la zone euro

Sunday 26 June 2016 at 11:00

Sur ce coup-là, on doit une fière chandelle à Merkel…

Source : Romaric Godin, La Tribune, 24/06/2016

Selon le Handelsblatt qui s’est procuré un “plan secret” du gouvernement allemand, Berlin voudrait faire un exemple du cas britannique pour décourager les autres pays tentés par la sortie, dont la France. Mais l’Allemagne refusera tout approfondissement de la zone euro, ne voulant pas entendre parler d’une plus grande solidarité financière

Angela Merkel l’a dit ce vendredi 24 juin : le vote britannique en faveur du Brexit est une « rupture » dans le processus d’intégration européen. Selon le Handelsblatt, le quotidien des affaires allemand, les services du ministère fédéral des Finances ont déjà préparé une feuille de route pour définir la « stratégie allemande » de gestion du Brexit. Un document de huit pages qui dresse quelques idées clé et devraient en décevoir certains.

Quel statut pour le Royaume-Uni ?

D’abord, le traitement du Royaume-Uni. Les services de Wolfgang Schäuble veulent « proposer des négociations constructives » à Londres avec comme objectif un « accord d’association ». Le Royaume-Uni ne serait pas dans l’Espace économique européen, comme la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, mais aurait un statut plus particulier, entre celui de la Suisse et de l’Ukraine qui devra être défini plus précisément. L’avantage de ce statut serait de permettre un accès au marché unique européen limité. « Il ne faut pas offrir d’automatisme dans l’accès au marché unique », indique la note. Autrement dit, les relations seront libres là où les deux parties trouveront un intérêt partagés et Londres ne pourra pas « choisir » son accès.

Le but de ce choix est d’éviter l’effet « d’imitation » qu’une sortie facilitée créerait, selon le document. « La mesure et l’ampleur de l’effet d’imitation seront proportionnels au traitement du Royaume-Uni », indique le texte qui explicite les pays menacés, selon le ministère allemand par l’envie de quitter l’UE : la France, l’Autriche, la Finlande, les Pays-Bas et la Hongrie. Rien de vraiment neuf de ce point de vue : le problème de l’UE désormais est de trouver un équilibre entre sa tentation de faire un exemple et celui de protéger l’unité de l’union. Un élément n’est cependant pas pris en compte : si ce traitement “dur” de Londres provoque une vraie crise financière, Berlin pourra-t-il maintenir sa position ?

Pas plus d’intégration en zone euro

L’élément le plus important de ce texte est la position allemande sur la future réforme de l’UE. Les services de la Wilhelmstrasse, siège du ministère des Finances, mettent en garde contre le danger que France et Italie « utilisent après le Brexit l’incertitude pour demander plus de solidarité », par exemple par la mise en place d’une garantie commune des dépôts au niveau de la zone euro. Ceci conduirait, selon le texte, à plus de « socialisation des dettes » dans la zone euro et serait rejeter par les opinions publiques d’Europe du nord.

Le projet central de “l’Europe” : faire porter par les citoyens les conséquences des bêtises des banques…

Berlin trace donc ses conditions à une plus grande intégration de la zone euro : un changement de traités pour « renforcer le contrôle sur la politique financière et économique », bref une mise sous tutelle européenne des budgets nationaux. Logiquement, les services de la Wilhelmstrasse s’attendent donc à ce qu’il n’y ait pas de « grands accords sur le sujet ». En résumé : l’Allemagne n’entend pas s’engager dans une zone euro plus intégrée. Rien d’étonnant à cela à un an des élections françaises et allemandes. La réponse européenne au Brexit ne devrait donc se faire que par une tentative d’impressionner ceux qui seraient tentés de suivre l’exemple britannique et non par un nouveau projet européen.

Source : Romaric Godin, La Tribune, 24/06/2016

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Brexit : Hollande et Merkel s’affrontent déjà

Le « Divorce » du Royaume-Uni avec la famille européenne est « douloureux ». En déplacement vendredi à Colmar, François Hollande n’a pas eu de mal à filer la métaphore sur le Brexit. Et assurer qu’il veut rassembler « ceux qui restent ». En replaçant la France au cœur du dispositif européen. Quitte à prendre quelque distance avec la chancelière Angela Merkel qui n’a jamais vraiment cru à une victoire des « brexiters ».

A l’Elysée, on planche sur ce scénario depuis des semaines. Car, pour Hollande, le Brexit est une occasion de bousculer les rapports de force au sein de l’Union européenne (UE) et de prendre l’initiative. Selon nos informations, une réunion des sociaux-démocrates européens se tiendra à Paris en fin de semaine prochaine, en présence notamment de l’Italien Matteo Renzi, qui dînait déjà hier soir avec le président à l’Elysée. François Hollande avait reçu dans l’après-midi les chefs de parti du pays. Les coups de fil avec les dirigeants européens n’ont pas cessé hier et continueront d’ici au sommet européen de mardi et mercredi.

Des alliances semblent déjà se former au sein de l’UE. Avec un premier désaccord : quand couper le cordon avec le Royaume-Uni ? Là où la chancelière appelle au calme et à la modération quant aux modalités de rupture avec son allié libéral et partenaire économique de poids, Hollande plaide pour une séparation rapide. « Il faut agir vite et bien pour ne pas donner le sentiment que l’UE est molle. Sinon, cela pose des problèmes démocratiques. Le vote doit être respecté », décrypte un proche du président.

« Les conséquences sont extrêmement graves », dramatise le chef de l’Etat, qui veut mettre les Britanniques devant leurs responsabilités. Et adresser un message clair aux partis populistes europhobes qui, à l’instar du FN, rêvent d’imiter les Britanniques. « Quand on prend une décision, il faut en assumer les conséquences. C’est une opération vérité pour tous ceux qui appellent tout le temps à sortir de l’Europe », insiste-t-on à l’Elysée. Une opération vérité pour Hollande aussi, qui a là une occasion de tenir un de ses engagements de campagne, et de « réorienter la construction européenne ».

Source : Le Parisien

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“Pas besoin d‘être trop durs” lors des négociations (Angela Merkel)

Angela Merkel a choisi de calmer le jeu, suite aux déclarations inamicales de certains responsables européens vis à vis du choix des Britanniques de quitter l’UE. La chancelière allemande s’est notamment montrée plus conciliante que son homologue français, qui avait réclamé la veille que le Brexit soit “rapidement appliqué”.

“J’ai le sentiment qu’il ne faut pas essayer de faire peur pendant les négociations sur la séparation. Nous sommes tristes des résultats du vote d’hier, mais ce n’est pas une raison pour être trop durs lors des négociations. Elles doivent se dérouler dans les règles”, a affirmé la chancelière devant la presse.

Déclarations opposées des ministres des Affaires étrangères des six pays fondateurs de l’UE réunis dans la matinée, également à Berlin. Pas question à leurs yeux d’attendre octobre et la nomination d’un nouveau Premier ministre britannique, pour que Londres applique l’article 50 du Traité de Lisbonne, qui lancera la procédure de sortie.

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Brexit : divergence de points de vue entre Merkel et les sociaux-démocrates

Sur le Brexit, en Allemagne, les positions à adopter face à Londres et les changements institutionnels ou programmatiques pour l’Union européenne traduisent des points de vue différents entre Angela Merkel et ses alliés sociaux-démocrates au sein de la grande coalition droite-gauche au pouvoir.

Avec notre correspondant à Berlin, Pascal Thibaut

Angela Merkel ne veut pas de réponses rapides et simples. Fidèle à elle-même, la chancelière privilégie une analyse sereine de la situation à des effets d’annonce. Et celle qui a perdu un allié auquel elle tient ne veut pas, après le référendum britannique, mettre Londres sous pression. Cela ne doit pas durer une éternité, c’est vrai, mais nous ne devons pas être obnubilés par les délais et rester en bons termes, a déclaré Angela Merkel.

Des propos qui tranchent avec ceux des ministres des Affaires étrangères des pays fondateurs de l’Union européenne réunis au même moment à Berlin qui, eux, souhaitent que les négociations sur le Brexit commencent le plus vite possible. Une position défendue par le chef de la diplomatie allemande, le social-démocrate Frank-Walter Steinmeier.

Son parti, le SPD, plaide dans un texte intitulé « Refonder l’Europe » pour des réformes institutionnelles profondes, dont Angela Merkel ne veut pas. Les critiques contre la politique d’austérité en Europe égratignent au passage la ligne de la chancelière, figure emblématique de ces positions. Et le plaidoyer pour une Europe à différentes vitesses, avec des groupes d’Etat allant de l’avant sur certains thèmes, contredit les premières déclarations d’Angela Merkel vendredi évoquant des réponses des 27 pays européens.

Source : RFI

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Merkel ne veut pas précipiter la sortie de la GB

HERMANNSWERDER, Allemagne, 25 juin (Reuters) – La Grande-Bretagne ne doit pas se précipiter pour entamer la procédure de sa sortie de l’Union européenne, a estimé samedi la chancelière allemande Angela Merkel, souhaitant laisser une marge de manoeuvre aux autorités britanniques après le référendum de jeudi.

“Tout à fait franchement, il ne faudrait pas que cela prenne des années, c’est vrai, mais je ne vais pas militer pour un calendrier serré”, a dit la dirigeante allemande devant la presse lors d’une réunion de son parti, la CDU, près de Berlin.

“Les négociations doivent se tenir dans un bon climat de coopération”, a commenté la dirigeante allemande”, ajoutant que la Grande-Bretagne “restera un partenaire proche avec lequel nous sommes liés économiquement”.

Cette position de la chancelière allemande intervient alors que les ministres des Affaires étrangères des six pays fondateurs de la communauté européenne ont appelé samedi à entamer la procédure de séparation sans tarder.

“Nous attendons maintenant du gouvernement du Royaume-Uni qu’il fasse preuve de clarté et qu’il mette cette décision en application dès que possible”, indique un communiqué commun de la réunion.

Il appartient à la Grande-Bretagne de mettre en mouvement la procédure de sortie de l’Union européenne en invoquant notamment l’article 50 du traité européen de Lisbonne.

Il semble toutefois que les Britanniques souhaitent avancer sans précipitation. Le chef de file du “Leave”, Matthew Elliott, a estimé samedi que son pays devait d’abord entamer des négociations informelles sur un cadre complet fixant les futures relations avec l’UE avant d’invoquer l’article 50.

Source : Reuters

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C’est beau le respect des élections…

Admirez ici non seulement l’article, mais la liste à droite des “plus populaires”…

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Source: http://www.les-crises.fr/brexit-lallemagne-refuse-plus-dintegration-de-la-zone-euro/


Le Brexit : une défaite de l’UE telle qu’elle est, par Romaric Godin

Sunday 26 June 2016 at 01:00

Source : La Tribune, Romaric Godin, 24/06/2016

Le Royaume-Uni va quitter l'UE. L'UE doit changer. (Crédits : Reuters)

Le Royaume-Uni va quitter l’UE. L’UE doit changer. (Crédits : Reuters)

La victoire du camp opposé à l’UE dans le référendum britannique montre une incapacité de l’UE à convaincre les populations de son utilité et de sa nature démocratique. C’est une invitation à changer profondément le projet européen.

Ce sera donc un Brexit. Déjouant la plupart des instituts de sondages et autres bookmakers auxquels les marchés financiers ont cru aveuglément jeudi 23 juin, les électeurs britanniques ont demandé à près de 52 % de quitter l’Union européenne. Cette décision fait clairement changer de nature l’Union européenne. Jusqu’ici, l’UE était conçue comme un processus irréversible. L’adhésion massive des anciens pays du bloc de l’est lui avait donné des airs de « destination finale et indépassable » de l’Histoire. Désormais, puisqu’il est possible d’en sortir, l’Union européenne est différente : c’est une organisation qui doit convaincre les Etats qui y adhèrent et leurs peuples de son utilité. L’UE doit à présent se faire aimer de ses peuples. C’est une grande nouveauté qui va changer considérablement la donne du côté de Berlaymont, le siège bruxellois de la Commission européenne.

L’UE change de nature

La réaction au Brexit sera donc déterminante. Si l’on se contente de jeter un regard méprisant sur ce peuple britannique qui « décidément, ne comprend rien » et qui serait travaillé par le « vice du nationalisme » et par ses « passions », si l’on s’efforce de vouloir à tout prix « tout continuer comme avant » en se lançant dans une intégration « par le haut », si l’on veut « punir » les Britanniques pour « faire un exemple » aux autres peuples, alors l’affaire sera très mal engagée. Il convient, en réalité, de comprendre comment l’Union européenne a pu être rejetée par le pays qui, sans doute, était déjà le moins intégré en son sein. Et il convient de le faire en recherchant la rationalité de ce choix, non en le rejetant dans un simple vote « nationaliste ».

La faillite du « Project Fear »

Le premier élément, c’est évidemment, que le « Project Fear » (« projet de la peur) ne fonctionne plus. Depuis quelques années, la tentation de jouer sur la « peur de l’inconnu » en grossissant les traits est devenu un des arguments les plus puissants avancés en faveur de l’UE et de la zone euro. C’est celui qui a permis d’imposer au gouvernement d’Alexis Tsipras en Grèce, malgré un référendum allant en sens inverse, une politique dont ni lui, ni son peuple ne voulaient. Le seul ressort de cette politique est devenu d’éviter la sortie de la zone euro et de l’UE afin de ne pas « sauter dans l’inconnu ». Cette démarche a été au cœur de la campagne du « Remain » au Royaume-Uni et a été appuyée non seulement par des études économiques, mais aussi par des mises en garde assez délirantes de plusieurs experts sur les conséquences du Brexit pour les abeilles, la fonte des glaces ou la capacité des groupes anglais de donner des concerts à l’étranger.

Cette démarche a finalement joué contre elle-même. Les Britanniques l’ont prise pour ce qu’elle était : une démarche désespérée qui dissimulait surtout une incapacité à construire une vision d’avenir « positive » de l’UE. Logique : l’UE se considérant comme la « fin de l’histoire » n’a rien d’autre à proposer qu’elle-même dans sa forme actuelle. Pire même, ce « Project Fear » a décrédibilisé les vrais risques du Brexit : l’économie n’est plus devenue un moyen de convaincre l’opinion. Dès lors, il a donné plus de force au discours violemment xénophobe de certains partisans du « Leave ». Là encore, rien de plus logique : lorsque le projet de rapprochement européen n’a rien d’autre à proposer que le statu quo confortable, le projet nationaliste peut faire miroiter un avenir radieux. Ce 24 juin 2016, il est désormais clair que jouer sur la peur n’est plus un moyen suffisant de survie pour l’UE, surtout lorsqu’il s’agit d’un grand pays. Il est désormais clair que se contenter de promesses de sauver l’existant, que proclamer que « l’Europe, c’est la paix », ne suffit plus. On peut se lamenter sur la défaite du « rêve européen », mais la réalité, c’est que le Brexit prouve que l’UE dans sa forme actuelle n’a plus rien d’un « rêve ». Et c’est pourquoi elle a subi cette défaite.

L’impossible démocratie européenne

Deuxième enseignement : la question démocratique. Les partisans de l’UE ont sous-estimé cette critique d’un centre de décision éloigné, désincarné et peu légitime. Les études savantes montrent certes que toutes les décisions européennes ont une légitimation démocratique directe ou indirecte, mais la question n’est pas là. Les Britanniques, comme beaucoup d’autres sur le continent, ont le sentiment de ne pas maîtriser les décisions de l’UE. Dans un pays attaché au parlementarisme, les discussions de couloirs à Bruxelles et les compromis bancals arrachés à coup de nuits de palabre n’ont pas la forme de la démocratie. Ils ont vu, sur le continent, les pressions sur le parlement chypriote, le refus du choix des Grecs en 2015, le déni des référendums français et néerlandais de 2005, le renversement par l’UE des gouvernements italien et grec en 2011…

La démocratie, c’est d’abord la possibilité de l’alternance et cette alternance n’existe pas au niveau de l’UE. Les élections européennes de mai 2014 n’ont pas convaincu du contraire, malgré l’existence de « candidats » à la présidence de la Commission, on a vu émerger un « partage du gâteau » et une sempiternelle « grande coalition » à l’issue du scrutin. Jean-Claude Juncker peut prétendre être le représentant du « peuple européen », la réalité est différente. Personne ne l’a réellement choisi et sa légitimité est faible. L’UE doit d’urgence réfléchir à l’existence d’une vraie responsabilité démocratique de ses instances. Or, qu’on le veuille ou non, qu’on le déplore ou non, la source de la légitimité démocratique réside encore dans le cadre étatique. Un des arguments principaux de la critique démocratique de l’UE au Royaume-Uni a été les pouvoirs donnés à la Cour de Justice de l’UE, instance que ne contrôle personne. C’est une question que les Européens feraient bien d’aborder de front afin de construire à l’avenir. Le vote de ce 23 juin est une mise en garde pour ceux qui restent dans l’UE : La réforme de l’UE devra prendre cet élément en compte sérieusement cette question démocratique – qui est complexe – plutôt que de se lancer tête baissée dans un énième projet d’intégration à base technocratique en évitant de modifier les traités pour contourner le vote populaire.

L’impossible discours pro-UE à gauche

Troisième enseignement : un regard porté sur la carte du vote montre que ceux qui ont fait basculer le scrutin sont bien les électeurs du nord de l’Angleterre et ceux du pays de Galles du sud. Ce sont des électeurs traditionnellement attachés aux travaillistes, ouvriers ou anciens ouvriers précarisés, qui ont choisi clairement, et contre la campagne du Labour, le camp du Brexit. Un résultat semble illustrer ce fait : à Middlesbrough, le Labour avait recueilli 55 % des voix en 2015, ce 23 juin, le Brexit a obtenu 65,5 % des votes dans cette ville. Les exemples pourraient être légion. Ceci signifie que le discours de la gauche britannique du « Remain to change » (« rester pour changer ») n’a pas pris dans son électorat. Pourquoi ? Parce que l’UE n’a pas été capable de montrer qu’elle pouvait changer. De même, l’autre argument dominant de la gauche britannique, le « Remain to preserve » (« rester pour préserver » les droits des travailleurs) n’a pas convaincu.

Rien d’étonnant à cela. Quoiqu’en dehors de la zone euro, les électeurs britanniques des classes populaires ont constaté le traitement infligé par les autorités européennes aux pays en crise. La politique d’austérité aveugle et l’acharnement contre la Grèce ont affaibli le discours du Labour. Comment changer l’UE lorsque le référendum grec du 5 juillet 2015 a été non seulement ignoré, mais délibérément foulé aux pieds ? La politique économique de l’UE a été si peu éloignée de celle que mènent les Conservateurs britanniques depuis six ans dans la destruction des services publics, la libéralisation des marchés du travail, la réduction du droit des travailleurs, que l’argument d’un « socle » protecteur lié à l’UE n’a pas convaincu.

Là encore, c’est une question démocratique : l’UE n’est pas perçue comme capable de changer démocratiquement. Il vaut mieux donc en sortir pour peser sur des instances que l’on connaît. Mais c’est aussi une question économique et sociale : l’UE ne se soucie guère de ces populations oubliées et victime de la désindustrialisation au nom de la « destruction créatrice » et de la « bonne allocation des ressources ». Il est logique que ces populations ne se soucient guère de l’UE. C’est une leçon pour l’avenir : l’obsession centriste de l’UE l’a conduit à oublier des populations qui ne sont pas en déclin puisque les politiques menées ont jeté une partie des classes moyennes dans la catégorie inférieure. La réflexion sur un vrai débat économique s’impose donc désormais dans l’UE.

Remise en cause

Le Brexit remet donc en cause profondément ce qu’est devenue l’UE depuis des années. Si le cours de cette évolution n’est pas inversé, si les leçons de cette défaite ne sont pas tirées – comme on s’est efforcé de le faire en 2005 ou après le référendum grec – alors l’UE sera clairement menacée. Il revient donc aux forces démocratiques de l’UE de construire et débattre sur un nouveau projet européen et de le bâtir avec les peuples. Autrement, ce sont ceux qui veulent en finir avec lui qui auront le dernier mot.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 24/06/2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-brexit-une-defaite-de-lue-telle-quelle-est-par-romaric-godin/


Journaliste : ” Nous, médias, comme vous, élus, n’arrivons pas à faire passer l’idée que l’Europe apporte quelque chose ; il y a un vrai mea culpa à avoir !”

Sunday 26 June 2016 at 00:30

Comme en 2005, les médias ont joué à fond leur rôle : assurer la propagande de l’Union européenne.

Un moment mythique donc hier : sur BFM TV, la journaliste Roselyne Dubois, dépitée, lâche le morceau face à Nadine Morano ; elle reconnaît que sa fonction est d’influencer l’opinion – et non pas de l’informer :

« Nous, médias, comme vous, élus, n’arrivons pas à faire passer l’idée que l’Europe apporte quelque chose. Que faut-il changer ? Il y a un vrai mea culpa à avoir ! »

L’aveu est fascinant dans sa naïveté même : la journaliste ne trouve rien d’anormal à déclarer qu’elle se charge de la communication de l’UE, cela va de soi pour elle, elle y croit totalement, et à complètement oublié la Charte de Munich régissant (si peu…) les devoirs de sa profession, dont :

2. Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique.

9. Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste

Évidemment, jamais elle n’arrivera à faire le lien avec ses anciens confrères de la télé soviétique dans les années 1980…

Autre florilège de la fin de semaine :

 

Marie Drucker : “Comment peut-on avoir 25 ans et rejeter l’Union européenne ?

Sa consoeur Marie Drucker n’a pas hésité, quant à elle, ce 24 juin historique sur France 2, à mettre en cause la réelle signification du vote des Britanniques :

“Tous ceux qui ont voté pour le Brexit, pour la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, le voulaient-ils vraiment ? (…) De nombreux observateurs estiment qu’il s’agit moins d’un vote de rejet de l’Europe et l’Union européenne qu’un vote contre les élites, contre l’establishment, contre la politique intérieure, bref, comme le sont souvent les référendums, un vote de colère.”

Autrement dit, selon notre grande interprète, les électeurs auraient pu voter contre leur souhait véritable, non pas guidés par leur raison (que seuls les eurobéats possèdent à coup sûr), mais aveuglés par une passion, la colère. On imagine mal Marie Drucker faire le même genre d’analyse si le Brexin l’avait emporté :

“Tous ceux qui ont voté pour le Brexin, pour le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, le voulaient-ils vraiment ?  De nombreux observateurs estiment qu’il s’agit moins d’un vote d’adhésion à l’Europe et à l’Union européenne qu’un vote en faveur des élites médiatiques, qui manipulent avec opiniâtreté l’opinion, et pour la politique intérieure, survendue par d’habiles communicants, bref, comme le sont souvent les référendums, un vote de crédulité.

Même type de réaction partisane, qu’on n’imagine pas en sens inverse, de la part de François Jost, chroniqueur du Nouvel Obs et professeur à l’université Paris III. Il estime que ce référendum est un “un semblant de démocratie” :

“S’il y a une leçon à tirer de cet événement historique, c’est bien en effet le paradoxe suivant : le référendum, brandi par tous les populistes comme outil démocratique par lequel le peuple va s’exprimer, produit l’effet contraire de ce pour quoi il est soi-disant fait.

Car, au-delà de ces slogans qui font du pays l’acteur de cette rupture avec l’Europe, que disent les chiffres ?

D’abord que 51,9% des votants ont été favorables au Brexit. On se réjouit du taux de participation de 72,2%. Il signifie pourtant que c’est seulement un peu plus de 36% des Britanniques qui ont décidé de la sortie. (…)

Pour qu’un référendum portant sur une décision à portée historique soit juste, il faudrait au moins exiger une majorité qualifiée, par exemple que trois-quarts des votants soient pour ou contre la question posée.”

Si le Brexin l’avait emporté, François Jost se serait-il insurgé contre ce “semblant de démocratie“, sur le fait que seuls 36% des Britanniques auraient pu décider du maintien du Royaume-Uni dans l’UE ? Et l’a-t-on entendu exiger que trois-quarts des votants se prononcent pour l’entrée de nouveaux pays dans l’UE ?

Par exemple, le 13 novembre 1994, la Suède s’est prononcée par référendum sur son adhésion à l’UE. Celle-ci fut acceptée à seulement 52,8 % des suffrages exprimés. Faut-il donc exiger que la Suède sorte de l’UE et organise un nouveau vote où les trois-quarts des votants (75%) devraient se prononcer pour l’adhésion afin que celle-ci soit validée ?

Mais revenons à nos journalistes, en pleine gueule de bois ce 24 juin. Audrey Pulvar, sur Europe 1, a ainsi osé déclarer que les gens qui ont voté contre le Brexit sont des gens qui vivent dans la modernité, qui savent à quel point il est important de maintenir des échanges commerciaux, des échanges de populations, etc.” Comprenez : les gens qui ont voté pour le Brexit sont des ploucs arriérés qui ne savent pas ce qui est bon pour eux. On entendait exactement la même chose en 2005.

Elle a même osé ajouter : “La presse anglaise a une énorme responsabilité dans ce résultat.” Il est vrai que le Sun, plus gros tirage d’Angleterre, a pris parti pour le Brexit. En revanche, cela ne la gêne pas le moins du monde que près de 100 % de la presse française se soit prononcée contre le Brexit.

bfm

Source: http://www.les-crises.fr/journaliste-nous-medias-comme-vous-elus-narrivons-pas-a-passer-lidee-que-leurope-apporte-quelque-chose-il-y-a-un-vrai-mea-culpa-a-avoir/


Revue de presse du 26/06/2016

Sunday 26 June 2016 at 00:01

Une revue garantie sans Brexit 😉 . Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-26062016/


Brexit (et champagne), par Jacques Sapir

Saturday 25 June 2016 at 11:15

Une belle analyse, non vue dans nos médias mainstream…

Source : Russeurope, Jacques Sapir24/06/2016

Le vote du jeudi 23 juin est un moment historique capital. Il est aussi un grand moment pour la démocratie. En votant à 51,9% pour une sortie de l’Union européenne les électeurs britanniques ont donné une leçon de démocratie au monde, et à votre humble serviteur, et probablement changé notre futur.

Une leçon de démocratie

La leçon de démocratie est première, et elle se décline à plusieurs niveaux. Il faut ici saluer la décision du Premier-ministre britannique, M. David Cameron, de laisser les positions divergentes s’exprimer, que ce soit au sein du parti conservateur ou au sein du gouvernement. De même il convient de saluer la maturité des électeurs britanniques qui, légitimement choqués par la tragédie qu’a représenté l’assassinat de la député travailliste Jo Cox, ne se sont pas laissés submerger par l’émotion et on maintenu leurs positions en faveur de la sortie de l’UE.

Bien sûr, tout ne fut pas parfait dans cette campagne. Il y a eu des outrances, de part et d’autres, et il y a eu des mensonges, comme ceux de George Osborne[1], le Ministre des finances ou ceux de tous les catastrophistes patentés de Bruxelles. La couverture des médias a été biaisée en faveur de l’option « rester », mais moins que ce qui serait survenu si un tel vote avait eu lieu en France[2]. On a pu remarquer comment les milieux financiers faisaient une campagne hystérique pour que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne. Et ces milieux détiennent le nerf de la guerre, c’est-à-dire l’argent. Mais, on a pu aussi voir que les électeurs ne se laissaient pas outre mesure impressionner par l’argent ni les arguments d’autorité déversés dans les médias. Le succès de l’option « sortir » dans ce référendum peut alors être comparée au succès similaire du « non » lors du référendum sur le projet de Traité Constitutionnel Européen en France en 2005. Dans les deux cas, un électorat populaire et ouvrier s’est soulevé contre des « élites » autoproclamées et les journalistes à leur solde. Et le nouveau dirigeant du parti travailliste, M. Jeremy Corbyn, qui faisait campagne pour que le Royaume-Uni reste dans l’UE, a été désavoué par une partie significative de ses électeurs. Ces deux référendums témoignent de la vitalité des sentiments démocratiques dans les opinions des deux côtés de la Manche. Le référendum britannique, de plus, s’avère être un véritable camouflet pour le Président des Etats-Unis, qui avait fait le déplacement en Grande-Bretagne il y a quelques semaines pour inviter les électeurs à rester dans l’Union européenne, témoignant de ce fait de ce qu’est la véritable nature de l’UE.

Dernier élément de cette leçon de démocratie, David Cameron a dit qu’il entendait que la décision du peuple britannique soit respectée, et que la procédure juridique permettant une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne serait engagée. Ici aussi, cela tranche fortement avec le comportement des élites politiques françaises qui n’ont eu de cesse que de faire appliquer une décision qui avait été largement rejetée par les électeurs.

Retour des Nations et déni de réalité

Cette leçon de démocratie aura des conséquences importantes pour le futur. Non pas tant des conséquences financières. L’agitation sur les marchés financiers va durer quelques jours, puis va se calmer quand les opérateurs prendront actes du fait que ce vote n’interrompra certainement pas les flux de marchandises ni la production. La Norvège et la Suisse ne font pas partie de l’UE et ne s’en portent pas mal, si l’on en croit les statistiques économiques. Les conséquences les plus importantes seront évidemment politiques.

Il faut ici rappeler que ce vote est le premier par lequel un pays membre de l’UE, et avant elle de la communauté économique européenne, ce que l’on appelait le marché commun, prend la décision démocratique de se séparer de ces institutions. En matière de précédent, mais aussi par son possible effet d’imitation, l’impact de cette décision sera considérable. D’ores et déjà, on peut voir que dans d’autres pays, comme les Pays-Bas, le Danemark ou la France, ce vote donne des idées aux différents partis eurosceptiques. Au-delà, la victoire de ceux que l’on nomme « populistes » lors des élections municipales italiennes, le M5S de Beppe Grillo, ou l’échec sur le fil du candidat du FPÖ à l’élection présidentielle en Autriche (et ce résultat fait d’ailleurs l’objet d’un recours en annulation), montre qu’il y a bien une forme de révolte contre l’Union européenne. Ce mouvement ; on pouvait le constater dans l’étude réalisée par le Pew Research Center où les opinions défavorables à l’UE l’emportent sur les opinions favorables dans 4 pays : L’Espagne, la Grèce, la France et le Royaume-Uni[3].

Le vote britannique ne survient pas par hasard et c’est un tribut à l’ampleur du déni de réalité des élites européistes que ce vote ait pu constituer une telle surprise. La politique du déni étant ce qu’elle est, on ne doit pas s’attendre à une remise en cause sérieuse des options de la politique européenne par ceux-là mêmes qui l’ont mis en œuvre. Il est donc probable que l’on assiste, dans les semaines qui viennent, à une surenchère dans cette politique. Mais, les faits sont têtus : tout engagement vers plus de « fédéralisme », plus d’options « supra-nationales » ne produira que plus de résistance de la part des peuples. Il faut espérer qu’ils soient rapidement consultés, car dans le cas contraire cette résistance pourrait prendre des formes violentes.

Ce vote britannique porte en lui la condamnation d’une forme du projet européen. La logique et le bon sens voudraient que l’on en prenne acte, et que l’on revienne à des formes plus respectueuses de la souveraineté, et donc de la démocratie, dans le cadre des nations qui constituent l’Europe.

Importance et impasses de la « gauche » dans le combat pour la souveraineté

Il reste une dernière leçon à tirer. La victoire de l’option « sortir » n’a été possible en Grande-Bretagne que parce qu’une partie de l’électorat travailliste a, comme on l’a dit, voté au contraire des consignes données par la direction de son parti. Cela conduit alors à deux remarques. La première concerne le degré d’aveuglement des directions des partis sociaux-démocrates qui se refusent à admettre que les conséquences concrètes de l’union européenne sont négatives pour les classes populaires. Les réglementations européennes ont été le cheval de Troie de la dérégulation et de la financiarisation des économies nationales. Continuer aujourd’hui à prétendre changer l’UE de l’intérieur, à tenir le discours convenu sur « l’Europe sociale » constitue un mensonge qui se double d’une impasse stratégique. Ce mensonge doit être dénoncé sans relâche si l’on veut qu’un jour la gauche sorte de l’impasse dans laquelle elle s’est elle-même enferrée.

La seconde remarque tient à l’importance, pour le succès d’un vote que l’on peut qualifier de « souverainiste », d’un électorat traditionnellement situé à gauche. Cet électorat ne peut s’engager qu’à travers des médiations politiques spécifiques. En Grande-Bretagne, les comités « Labour for Leave » ont été déterminants dans le succès final du « Leave ». On peut en déduire l’importance de formes autonomes d’organisation structurant l’électorat de gauche pour que puisse s’y exprimer des options souverainistes.

[1] https://russeurope.hypotheses.org/5030

[2] https://russeurope.hypotheses.org/5022

[3] http://www.pewglobal.org/2016/06/07/euroskepticism-beyond-brexit/

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Source : Russeurope, Jacques Sapir24/06/2016

brexit-63

Source: http://www.les-crises.fr/brexit-et-champagne-par-jacques-sapir/


Revue de presse internationale du 25/06/2016

Saturday 25 June 2016 at 03:30

Où l’on réfléchit sur la notion de “terroriste”, sur la pauvreté ici et ailleurs, ou encore sur les taux d’intérêts négatifs. Avec quelques articles traduits. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-25062016/


Les deux veto du général de Gaulle à l’Angleterre

Saturday 25 June 2016 at 00:01

Le général de Gaulle opposa par deux fois son veto à l’entrée de l’Angleterre dans la marché commun – pour des raisons peu connues du public.

Bien évidement, il est évident qu’il aurait été horrifié par ce qu’est devenu ce “machin”.

Voici en tous cas une synthèse de sa position – il doit bien sourire aujourd’hui…

Le premier veto du général de Gaulle en janvier 1963

Le responsable des questions européennes, le ministre britannique Edward Heath, est chargé de mener les négociations à Bruxelles avec les Six. Mais les négociations sont difficiles parce que Londres, jouant de sa dimension impériale, réclame de nombreuses entorses aux règles communautaires. Le Royaume-Uni a en effet du mal à accepter le tarif douanier commun par crainte de renoncer à ses relations privilégiées avec les membres duCommonwealth.

Au cours de l’été 1962, des progrès sensibles sont faits, notamment en matière d’abandon progressif de la préférence impériale. Mais les Britanniques multiplient les demandes de dérogations et d’exceptions. Harold Macmillan lance une campagne de sensibilisation populaire afin de convaincre l’opinion publique britannique. Mais en septembre 1962, à la conférence du Commonwealth, le Canada et la Nouvelle-Zélande se disent opposés à l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne (CEE).

L’Allemagne, le Benelux et l’Italie sont disposés à faire des concessions substantielles. Mais les négociations sur l’élargissement sont ajournées à la suite du véto catégorique du général de Gaulle.

En effet, le 14 janvier 1963, le général de Gaulle fait une conférence de presse dans laquelle il se déclare opposé à la demande d’adhésion du Royaume-Uni. Il évoque l’incompatibilité entre les intérêts économiques continentaux et insulaires. Il exige que la Grande-Bretagne accepte toutes les conditions des Six et qu’elle abandonne ses engagements vis-à-vis des pays inclus dans sa zone de libre-échange. Le 28 janvier, le gouvernement français impose à ses cinq partenaires européens, choqués par ce veto unilatéral, un ajournement des négociations d’adhésion avec les pays candidats.

Le président français craint que la nouvelle candidature ne mette en péril la Politique agricole commune (PAC) et n’ait pour effet de transformer la Communauté économique européenne (CEE) en une vaste zone de libre-échange. Il voit surtout dans la Grande-Bretagne un cheval de Troie des États-Unis : l’adhésion britannique aurait, selon lui, dénaturé l’Europe européenne en Europe atlantique. Il se montre partisan de l’approfondissement et de l’accélération du Marché commun plutôt que de son élargissement. Il met en doute l’esprit européen de la Grande-Bretagne.

L’attitude du général de Gaulle s’explique aussi par des raisons qui ne relèvent pas uniquement des intérêts de la CEE. Aux ressentiments anti-anglais qu’il nourrit depuis son exil à Londres pendant la guerre, s’ajoutent les craintes d’une entente anglo-américaine en matière nucléaire. Ainsi la fourniture, en octobre 1962, des fusées Polaris américaines aux Britanniques porte un coup sérieux à la bonne entente franco-anglaise tandis que de Gaulle se rapproche toujours plus de l’Allemagne. (Source)

La conférence de presse du 14 janvier 1963

À regarder ici

Journaliste

Pouvez-vous définir explicitement la position de la France face à l’entrée de l’Angleterre dans le marché commun et l’évolution politique de l’Europe ?

Charles de Gaulle

Bien, voilà une question très claire à laquelle je vais m’efforcer de répondre clairement. Moi je crois que quand on parle d’économie et à plus forte raison quand on en fait, il faut que ce que l’on dit, ce que l’on fait soit conforme aux réalités parce que sans ça on va à des impasses et même des fois on va à la ruine.

Dans cette très grande affaire de la communauté économique européenne et aussi dans celle de l’adhésion éventuelle de la Grande-Bretagne, ce sont les faits qu’il faut d’abord considérer. Les sentiments, si favorables qu’ils puissent être ou qu’ils soient, ces sentiments ne sauraient être invoqués à l’encontre des données réelles du problème. Quelles sont ces données ? Le traité de Rome a été conclu entre six Etats continentaux. Des Etats qui économiquement parlant sont, on peut le dire, de même nature.

En effet, qu’il s’agisse de leurs productions, industrielle ou agricole ou bien de leurs échanges extérieurs ou bien de leurs habitudes, et de leurs clientèles commerciales, ou bien de leurs conditions de vie et de travail, il y a entre eux beaucoup plus de ressemblances que de différences. D’ailleurs ils sont contigus et ils s’interpénètrent, ils se prolongent les uns les autres par leurs communications, et c’est donc un fait que de les grouper, et de les lier entre eux de telle façon que ce qu’ils ont à produire, à acheter, à vendre, à consommer, et bien ils le produisent, l’achètent, le vendent, le consomment de préférence dans leur propre ensemble, ça c’est conforme aux réalités. Il faut ajouter d’ailleurs qu’au point de vue de leur développement économique, de leur progrès social, de leur capacité technique, ils sont, en somme, du même pas. Et ils marchent d’une façon fort analogue.

Encore se trouve-t-il qu’il n’existe entre eux aucune espèce de griefs politiques, aucune question de frontière, aucune rivalité de domination, de puissance. Et puis au contraire, ils sont solidaires, ils se sentent solidaires. Au point de vue, d’abord de la conscience qu’ils ont de détenir ensemble une part importante des sources de notre civilisation. Et aussi quant à leur sécurité, parce qu’ils sont des continentaux et qu’ils ont devant eux une seule et même menace d’un bout à l’autre de leur ensemble territorial et puis enfin ils sont solidaires par le fait qu’aucun d’entre eux n’est lié au dehors par aucun accord politique, ni militaire particulier.

Alors il a été psychologiquement et matériellement possible de faire une communauté économique des six. D’ailleurs ça n’a pas été sans peine quand le traité de Rome a été signé en 1957, c’était après de longues discussions. Et quand il fut conclu pour qu’on puisse réaliser quelque chose il fallait que nous autres Français, nous mettions en ordre dans les domaines économiques, financiers, monétaires, etc. Et ça a été fait en 1959. A partir de ce moment-là la Communauté était en principe viable mais il fallait alors appliquer le traité.

Or ce traité qui était assez précis, assez complet à propos de l’industrie, ne l’était pas du tout au sujet de l’agriculture. Et cependant pour notre pays il fallait que ce fût réglé. Il est bien évident en effet que dans l’ensemble de notre activité nationale, l’agriculture est un élément essentiel. Nous ne pouvons pas concevoir et nous ne voulons pas concevoir un autre marché commun dans lequel l’agriculture française ne trouvera pas des débouchés à la mesure de sa production. Et nous convenons d’ailleurs que parmi les six, nous sommes le pays pour lequel cette nécessité-là s’impose de la manière la plus impérative. C’est pourquoi quand en janvier dernier on pensa à mettre en oeuvre la deuxième phase du traité. Autrement dit, un commencement pratique de l’application. Nous avons été amenés à poser comme condition formelle l’entrée de l’agriculture dans le marché commun. Cela fut finalement accepté par nos partenaires. D’ailleurs il y fallut des arrangements très complexes et très difficiles et encore certains règlements sont toujours en cours.

Là-dessus, la Grande-Bretagne a posé sa candidature au Marché Commun. Elle l’a fait après s’être naguère refusée à participer à la Communauté qu’on était en train de bâtir. Et puis ensuite après avoir créé une zone de libre échange avec six autres Etats, et puis enfin après avoir, je peux bien le dire, on se rappelle les négociations qui ont été menées si longuement à ce sujet, après avoir fait quelques pressions sur les six, pour empêcher que ne commence réellement l’application du marché commun. Enfin l’Angleterre a demandé à son tour à y entrer mais suivant ses propres conditions.

Cela pose sans aucun doute à chacun des six Etats et ça pose à l’Angleterre des problèmes d’une très grande dimension. L’Angleterre, en effet elle, est insulaire. Elle est maritime. Elle est liée par ses échanges, ses marchés, ses ravitaillements aux pays les plus divers, et souvent les plus lointains. Elle exerce une activité essentiellement industrielle et commerciale, et très peu agricole. Elle a dans tout son travail des habitudes et des traditions très marquées, très originales. Bref, la nature, la structure qui sont propres à l’Angleterre diffèrent profondément de celle des continentaux.

Comment faire pour que l’Angleterre telle qu’elle vit, telle qu’elle produit, telle qu’elle échange, soit incorporée au Marché commun tel qu’il a été conçu et tel qu’il fonctionne ? Par exemple, les moyens par lesquels se nourrit le peuple de la Grande-Bretagne et qui est en fait l’importation de denrées alimentaires achetées à bon marché dans les deux Amériques. ou dans les anciens Dominions, tout en donnant, en accordant des subventions considérables aux agriculteurs anglais. Ce moyen-là est évidemment incompatible avec le système que les six ont établi tout naturellement pour eux-mêmes. Le système des six ça consiste à faire tout avec les produits agricoles de toute la Communauté. A fixer rigoureusement leur prix. A interdire qu’on les subventionne. A organiser leur consommation entre tous les participants. Et à imposer à chacun de ces participants de verser à la Communauté toute économie qu’il ferait en faisant venir du dehors des aliments au lieu de manger ce qu’offre le marché commun. Encore une fois, comment faire entrer l’Angleterre telle qu’elle est dans ce système-là ?

On a pu croire, parfois que nos amis Anglais, en posant leur candidature sur le Marché Commun acceptaient de se transformer eux-mêmes au point de s’appliquer toutes les conditions qui sont acceptées et pratiquées par les six. Mais la question est de savoir si la Grande-Bretagne actuellement peut se placer avec le Continent et comme lui à l’intérieur d’un tarif qui soit véritablement commun. De renoncer à toutes préférences à l’égard du Commonwealth. De cesser de prétendre que son agriculture soit privilégiée. Et encore, de tenir pour caducs les engagements qu’elle a pris avec les pays qui ont fait partie, qui faisaient partie, ou qui font partie de sa zone de libre échange. Cette question-là c’est toute la question. On ne peut pas dire qu’elle soit actuellement résolue. Est-ce qu’elle le sera un jour ? Seule évidemment l’Angleterre peut répondre.

La question est posée d’autant plus qu’à la suite de l’Angleterre, d’autres Etats qui sont, je le répète, liés à elle par la zone de libre échange, pour les mêmes raisons que la Grande-Bretagne voudraient ou voudront entrer dans le Marché Commun, il faut convenir que l’entrée de la Grande-Bretagne d’abord et puis ceux de ces Etats-là changera complètement l’ensemble des ajustements, des ententes, des compensations, des règles qui ont été établis déjà entre les six, parce que tous ces Etats comme l’Angleterre ont de très importantes particularités. Alors c’est un autre marché commun dont on devrait envisager la construction. Mais celui qu’on bâtirait à onze. Et puis à treize. Et puis peut-être à dix-huit. Elle ne ressemblerait guère sans aucun doute à celui qu’ont bâti les six.

D’ailleurs cette Communauté s’accroissant de cette façon verrait se poser à elle tous les problèmes de ces relations économiques avec toute sorte d’autres Etats et d’abord avec les Etats-Unis. Il est à prévoir que la cohésion de tous ses membres qui seraient très nombreux, très divers n’y résisterait pas longtemps. Et qu’en définitive il apparaîtrait une Communauté Atlantique colossale sous dépendance et direction américaine, et qui aurait tôt fait d’absorber la Communauté de l’Europe. C’est une hypothèse qui peut parfaitement se justifier aux yeux de certains, mais ce n’est pas du tout ce qu’a voulu faire et ce que fait la France et qui est une construction proprement européenne.

Alors il est possible qu’un jour, l’Angleterre parvienne à se transformer elle-même suffisamment pour faire partie de la Communauté européenne sans restriction, sans réserve et de préférence à quoi que ce soit. Et dans ce cas-là les six lui ouvriraient la porte et la France n’y ferait pas d’obstacle bien qu’évidemment la simple participation de l’Angleterre à la Communauté changerait considérablement sa nature et son volume. Il est possible aussi que l’Angleterre n’y soit pas encore disposée et c’est bien là ce qui paraît résulter des longues, si longues, si longues conversations de Bruxelles. Mais si c’est le cas, il n’y a rien là qui puisse être dramatique.

D’abord, quelque décision que prenne finalement l’Angleterre à cet égard, il n’y a aucune raison pour que soient changés, en ce qui nous concerne, les rapports que nous avons avec elle. Et la considération, le respect qui sont dus à ce grand Etat, à ce grand peuple n’en seront pas altérés le moins du monde. Ce que l’Angleterre a fait à travers les siècles dans le monde est reconnu comme immense, bien qu’il y eut souvent des conflits avec la France. La participation glorieuse de la Grande-Bretagne à la victoire qui couronna la première guerre mondiale, nous Français, nous l’admirerons toujours. Et alors, quant au rôle qu’a joué l’Angleterre dans le moment le plus dramatique et décisif de la deuxième guerre mondiale, nul n’a le droit de l’oublier. En vérité le destin du monde libre est d’abord le nôtre et même celui des Etats-Unis et celui de la Russie ont dépendu dans une large mesure de la résolution de la solidité du courage du peuple anglais tel que Churchill a su les mettre en oeuvre.

Et actuellement personne ne peut contester la capacité et la valeur britannique. Alors je le répète, si les négociations de Bruxelles ne devaient pas actuellement aboutir, et bien rien n’empêcherait que soit conclu entre le Marché commun et la Grande-Bretagne un accord d’association de manière à sauvegarder les échanges. Et rien n’empêcherait non plus que ce soient maintenues les relations étroites de l’Angleterre et de la France. Et que se poursuive et se développe leur coopération directe dans toute espèce de domaine et notamment scientifique, technique et industriel, comme d’ailleurs les deux pays viennent de le prouver en décidant de construire ensemble l’avion supersonique Concorde. Enfin, il est très possible que l’évolution propre à la Grande-Bretagne et l’évolution de l’univers portent peu à peu les Anglais vers le Continent. Quels que soient les délais que puisse demander l’aboutissement. Et pour ma part c’est ça que je crois volontiers.

Et c’est pourquoi, à mon avis, de toute manière ce sera un grand honneur pour le Premier ministre britannique, pour mon ami Monsieur Harold Macmillan et pour son gouvernement, d’avoir discerné cela d’aussi bonne heure. D’avoir eu assez de courage politique pour le proclamer et d’avoir fait faire les premiers pas à leur pays dans la voie qui un jour peut-être le conduira à s’amarrer au continent. J’espère vous avoir répondu Monsieur, à vous et à beaucoup d’autres.  (Source)

C’était de Gaulle – 1963

Extrait des confidences du général à Alain Peyrefitte

“Dans quatre ou huit ans, l’Angleterre sera mûre”

AP. – Votre refus de voir les Anglais entrer dans le Marché commun est-il sans recours ? Quelles seront les conséquences en Angleterre même ?

GdG. – Je ne crois pas possible d’éviter que les travaillistes remportent une victoire aux prochaines élections. Il faut se résigner à cette victoire. […]

1 – Les travaillistes vont arriver. Ils feront leurs petites expériences. Et dans quatre ans, ou huit, les jeunes conservateurs reprendront le pouvoir, et c’est alors qu’ils accéderont au Marché commun. L’Angleterre sera mûre pour y entrer. En effet, la preuve aura été faite par l’absurde qu’elle ne peut pas se passer d’y entrer. L’Angleterre ne croira plus à la possibilité – à laquelle les conservateurs de droite et les travaillistes croient encore – de s’abstraire de l’Europe et de vivre sur sa lancée impériale et maritime. Dans quatre ou huit ans, l’évolution sera faite et les Anglais adhéreront au Marché commun en souscrivant à toutes ses clauses, car leur économie risquerait de s’effondrer s’ils ne le faisaient pas.

2 – D’autre part, pendant ces quatre ou huit ans, le Marché commun aura eu le temps de se consolider. L’union politique des Etats aura pu se forger, à la faveur de la période de passage à vide qui suivra la rupture des négociations avec l’Angleterre. A ce moment, le Marché commun, consolidé par quatre ans d’existence supplémentaires et passé à son fonctionnement complet, toutes les épreuves de la période transitoire étant franchies, pourra résister victorieusement à l’entrée de l’Angleterre, si elle continue à avoir des prétentions exorbitantes et des arrière-pensées.

Elle n’entrera dans la Communauté européenne, que lorsqu’elle aura répudié à la fois son rêve impérial et sa symbiose avec les Américains. Autrement dit, quand elle se sera convertie à l’Europe.”

Note Peyrefitte : Ce pronostic devait se révéler exact quant au scénario de l’évolution britannique : Macmillan a démissionné le 10 octobre 1963 ; les travaillistes, vainqueurs en 1964, ont été batus par les conservateurs en 1970 ; le Premier ministre Heath, en accord avec le président Pompidou, a fait alors entrer son pays dans la Communauté européenne. Mais entre-temps, l’Europe des Six ne s’était pas renforcée ; elle n’avait pas su créer l’union politique que préconisait de Gaulle. Du coup, elle est entrée dans l’ambiguïté.

Le deuxième veto du général de Gaulle en novembre 1967

Le 29 septembre 1967, la Commission des Communautés européennes publie son avis sur la demande d’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège dans lequel elle propose d’ouvrir immédiatement les négociations d’adhésion avec les pays candidats. Malgré cet avis, les partenaires de la France, favorables au premier élargissement des Communautés, continuent à se heurter à l’opposition du général de Gaulle. Le président français avance les difficultés économiques que connaît le Royaume-Uni et exige qu’une solution aux problèmes majeurs soit trouvée avant son adhésion aux Communautés. Contrairement aux Cinq, Paris est persuadé que l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun, même sous condition d’accepter les conditions des traités, change fondamentalement la nature de la Communauté qui évoluerait vers une grande zone de libre-échange.

En dehors des arguments économiques avancés pour bloquer l’adhésion du Royaume-Uni, les préoccupations du président français sont d’une autre nature. En effet, contrairement aux engagements pris dans le domaine économique, le Premier ministre britannique ne se rallie pas aux conceptions françaises en matière de politique étrangère et de défense. Harold Wilson continue à préconiser la nécessité de l’engagement des États-Unis dans la défense de l’Europe et rejette la création d’une force nucléaire européenne. Le président français craint alors que dans une Communauté élargie, la France ne risque pas seulement de rencontrer plus de difficultés à défendre ses intérêts économiques, mais également de perdre son leadership au profit d’une orientation plus atlantiste avec l’arrivée des nouveaux membres.

Le 18 novembre, le gouvernement britannique est contraint de dévaluer la livre sterling. La réaction du président français ne se fait pas attendre. Pour lui, il s’agit de la preuve que l’économie britannique n’est pas prête pour remplir les conditions du Marché commun. Le 27 novembre 1967, avant même que des négociations d’adhésion avec les pays candidats aient pu commencer, le général de Gaulle s’oppose dans une conférence de presse une deuxième fois à l’entrée du Royaume-Uni aux Communautés européennes. Dans sa déclaration, le président français insiste surtout sur l’incompatibilité de l’économie britannique avec les règles communautaires et souligne qu’une adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes exige d’abord de la part de celui-ci une transformation radicale d’un point de vue politique et économique. Il réitère sa proposition d’une association entre la Communauté économique européenne et les pays candidats pour favoriser les échanges commerciaux, mais Londres rejette aussitôt l’association qui l’exclurait du processus décisionnel de la Communauté.

Les partenaires de la France ne sont pourtant pas prêts à accepter cette décision unilatérale. Ils essaient alors de trouver des solutions alternatives pour sortir de l’impasse et pour maintenir la perspective d’adhésion aux pays candidats. Mais toutes les propositions se heurtent à l’opposition du général de Gaulle qui va même jusqu’à menacer de quitter la Communauté dans le cas d’une adhésion britannique, s’isolant ainsi de plus en plus de ses partenaires. La divergence entre la France et ses partenaires sur la candidature britannique se répercute ainsi sur l’activité des Communautés. En effet, il est devenu indispensable qu’une solution à la question britannique soit trouvée afin de débloquer la situation et de poursuivre le développement des Communautés. La méfiance des Cinq envers la politique européenne de la France s’accroît, quand, en février 1969, le président français propose à l’ambassadeur britannique à Paris, Christopher Soames, de faire entrer le Royaume-Uni dans une grande zone de libre-échange européenne qui remplacerait les structures communautaires. Le Premier ministre britannique Harold Wilson non seulement rejette la proposition française, mais révèle la teneur de la proposition aux Cinq, ce qui contribue davantage à l’isolement de la France. Il faudra attendre le retrait de Charles de Gaulle trois mois plus tard du poste de président de la République française pour pouvoir relancer les négociations. (Source)

La conférence de presse du 16 mai 1967

À regarder ici.

Vous vous rappelez que ce n’est pas la première fois, ce sera la troisième, que les Etats de la Communauté Européenne se réuniront au sommet. Ça avait eu lieu déjà sur la proposition de la France, à Paris et puis à Bonn, en 1961. A cette époque, nous pensions ici que, puisque les Six avaient pu organiser, commencer à organiser leur économie, il était concevable qu’ils acceptent de ménager entre eux, un début de coopération politique. On sait aussi que la tentative n’avait pas réussi parce que, nos partenaires dans leur ensemble n’envisageaient pas, à cette époque, que l’Europe existât par elle-même, et qu’elle pût traiter de questions concernant la politique et la défense en dehors de l’OTAN, c’est-à-dire : indépendamment de l’Amérique et de l’Angleterre.

Or voici que le gouvernement italien a pris l’initiative de réunir dans sa capitale, les 6 Chefs d’Etat ou de gouvernement, d’abord pour commémorer le dixième anniversaire du Traité de Rome, et puis aussi pour échanger leurs vues sur les sujets qu’ils choisiront, y compris les sujets politiques, la France se rendra volontiers à cette invitation. Je ne préjugerai pas, bien entendu, de ce qui pourrait être considéré par cette réunion au sommet. Je dirai seulement qu’il semble qu’une impression de solidarité se fait, depuis quelque temps, jour, parmi les Six. Je parle de leur solidarité vis-à-vis de l’extérieur. Ça tient peut-être en partie à la grande confrontation tarifaire qui s’est terminée la nuit dernière, et où on est parvenu à un accord par de réciproques compensations. Mais qui a montré que les Etats atlantiques, les plus atlantiques, je veux dire : les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, les Scandinaves, avaient des intérêts qui différaient essentiellement des intérêts des continentaux.

Ça tient peut-être aussi à la pression très vive exercée par les américains, et par les britanniques pour amener l’Europe à accepter, à ses frais, et au profit des déficits déficitaires, des balances anglo-saxonnes, des déficits des balances anglo-saxonnes à accepter la création de moyens monétaires artificiels qu’on qualifie de liquidités. Ces moyens, en effet, ne devant plus être gagés par l’or, constitueraient une source nouvelle d’inflation, et d’inflation inépuisable qui s’ajouterait à celle qui, déjà sous le couvert du Gold Echange Standard, résulte des émissions et des exportations arbitraires et excessives, de dollars.

Enfin, ce renforcement de l’esprit européen parmi les Six tient peut-être encore à la menace que fait peser sur eux, dans le domaine technologique, le déferlement conquérant des américains. Mais c’est surtout dans le domaine politique, conjugué naturellement avec celui de la défense, que le comportement des Etats-Unis, soutenus par les britanniques, le comportement des Etats-Unis a pu faire discerner aux Six quelles raisons proprement européennes justifieraient leur concert. Qu’il s’agisse de questions concernant la sécurité de l’Europe ou bien la détente, l’entente, la coopération avec les pays de l’Est, en vue d’ouvrir la voie au règlement du problème allemand. Ou bien encore, de la guerre qui sévit, qui s’aggrave en Asie, ou encore du concours à apporter au Tiers-Monde par les pays développés, etc.

Bref, il semble qu’un souffle favorable à des contacts nouveaux, et si je puis dire, moins compassé effleure actuellement les Six. La France, encore une fois, se rendra volontiers à l’invitation de Rome, tout en comprenant très bien jusqu’à quel point, et pour quelle raisons, les claires vérités et réalités qui sont devant nous, peuvent apparaître encore comme complexes et diverses à chacun de ses partenaires. Cher ami, à la fin des fins, je vais vous répondre sur la question de l’Angleterre par rapport au Marché Commun. Vous m’aviez déjà posé la question, il y a quelques mois, eh bien enfin, je m’en vais vous dire ce que j’en pense. Naturellement, je ne préjuge pas de ce pourrait être éventuellement, je dis éventuellement, des négociations, je ne parle pas de ça, je me mets simplement aujourd’hui sur le plan des idées générales, de la considération d’ensemble du sujet, et je crois qu’il est nécessaire de la préciser. Je commencerai par dire que le mouvement qui semble porter actuellement l’Angleterre à se lier à l’Europe, au lieu de se tenir au large, ce mouvement ne saurait que satisfaire la France.

Et c’est pourquoi, nous prenons acte avec sympathie, de ce que paraît indiquer à ce sujet, de ce que paraisse indiquer à ce sujet, l’intention manifestée et la démarche accomplie par le gouvernement britannique. De notre part, il ne saurait être, et d’ailleurs il n’a jamais été question de veto. Il s’agit simplement de savoir si l’aboutissement est possible dans les cadres et dans les conditions de l’actuel Marché Commun, à moins d’y jeter des troubles destructeurs ou bien dans tel autre cas, et dans telles autres conditions, il pourrait l’être. A moins qu’on ne veuille sauvegarder ce qui vient d’être bâti, jusqu’à ce que, éventuellement, il apparaisse concevable d’accueillir une Angleterre qui se serait, de son côté, pour son compte, profondément transformée. J’ai parlé de troubles destructeurs dans le Marché Commun, nous savons tous qu’il a fallu 10 ans de gestation pour le construire, et qu’il a fallu aussi, un inlassable effort de coopération de la part des Six.

Personne n’a oublié de quelle confrontation critique est sortie, par exemple, la communauté agricole. Car en effet, il ne s’agissait pas seulement du Traité de Rome, mais il s’agissait, je dirais surtout, d’y ajouter des règlements. Des règlements multiples et qui comportaient des équilibres minutieux entre les intérêts divers des Etats membres. Pour la communauté agricole, ça a été un ajustement extraordinaire de ce qui avait trait aux productions, aux prix, aux échanges, aux conditions financières, etc. Et puis encore, les Six ne sont-ils pas au bout de leur action de construction. Car il leur faut maintenant prendre corps à corps des problèmes très ardus.L’énergie, les impôts, les charges sociales, les transports, etc. Et puis quand ils auront bâti complètement l’édifice, il faudra qu’ils y vivent ensemble. C’est-à-dire : que d’année en année, ils se soumettent aux règles, aux compromis, aux sanctions, qui sont et seront fixés.

Bref, le Marché Commun constitue une sorte de prodige. Y introduire maintenant des éléments massifs et nouveaux au milieu de ce qu’on a si malaisément accordé, ce serait, évidemment, remettre en cause l’ensemble et les détails, et poser le problème d’une entreprise toute différente. Et d’autant plus que si on a pu bâtir ce fameux édifice, c’est parce qu’il s’agissait de pays continentaux qui étaient immédiatement voisins, les uns des autres. Qui présentaient entre eux des différences de dimensions, et qui étaient complémentaires par la structure de leur économie. Qui formaient par leur territoire un ensemble compact géographique et stratégique. Il faut ajouter que, en dépit et peut-être à cause de leurs grandes batailles d’autrefois, je parle naturellement surtout de la France et de l’Allemagne, ils étaient portés à s’appuyer mutuellement plutôt que de s’opposer. Ils avaient conscience, ils ont conscience aussi du potentiel de leurs moyens matériels et de leurs valeurs humaines, et ils souhaitent, tous, tout haut ou tout bas, que leur ensemble constitue, un jour, un élément qui puisse faire équilibre à n’importe quelle puissance du monde.

Par comparaison avec les motifs qui ont amené les Six à organiser leur ensemble, on comprend très bien pour quelle raison l’Angleterre, qui n’est pas continentale, qui en raison, à cause de son Commonwealth, et de sa propre insularité, est engagée au lointain des mers, qui est liée aux Etats-Unis par toutes sortes d’accord spéciaux, l’Angleterre n’ait pas pu se confondre avec une Communauté aux dimensions déterminées et aux règles rigoureuses. Et à mesure que cette Communauté s’organisait, on a vu l’Angleterre se refuser d’abord d’en faire partie, et même manifestait à son égard une attitude hostile, parce qu’elle croyait voir une menace économique et politique. Ensuite, le gouvernement britannique a tâché de négocier sa participation à la Communauté mais dans les conditions telles que celle-ci aurait été étouffé par cette adhésion.

Après quoi, un autre gouvernement britannique a affirmé qu’il ne voulait plus entrer dans la Communauté et s’est appliqué à resserrer ses liens avec le Commonwealth et avec d’autres pays d’Europe groupés autour de lui en une zone de libre échange. A présent, voilà que l’Angleterre paraît avoir adopté un état d’esprit nouveau, et se déclare prête à souscrire au Traité de Rome, quitte à ce que lui soient accordés des délais exceptionnels et très prolongés. Et à ce que, pour ce qui la concerne, des changements essentiels soient apportés dans l’application. Il y a beaucoup de raisons pour penser, comme l’a déclaré, du reste, à cause de sa profonde expérience et de sa grande clairvoyance, le Premier Ministre britannique, beaucoup de raisons de penser que pour en arriver là, les obstacles à franchir sont formidables. Ainsi en est-il des règlements agricoles. On sait que ces règlements tendent à faire en sorte que la Communauté se nourrisse de ce qu’elle produit, et à compenser, par ce qu’on appelle des prélèvements financiers, l’avantage que l’un ou l’autre pourrait trouver à importer des denrées moins chères, venues d’ailleurs.

Or, l’Angleterre s’alimente, pour une large part, une très large part, de vivres qu’elle achète à bon compte partout dans le monde, et notamment dans le Commonwealth. Qu’elle se soumette aux règles des Six, voilà sa balance des paiements écrasée de prélèvements, et la voilà contrainte à augmenter chez elle ce que coûtent les aliments jusqu’au niveau des prix adopté par les Six. Par conséquent contrainte à accroître les salaires de ses travailleurs et à vendre ses fabrications d’autant plus cher et d’autant plus difficilement. Il est clair que ça ne lui est pas possible. Mais d’autre part, faire entrer l’Angleterre dans la Communauté, sans qu’elle soit astreinte aux règlements agricoles des Six, c’est détruire ce règlement là, c’est le faire éclater. Et par conséquent, rompre, c’est rompre l’équilibre du Marché Commun tout entier. C’est enlever à la France une des principales raisons qu’elle a d’en faire partie.

Une autre difficulté essentielle tient au fait que, chez les Six, il est de règle que les capitaux circulent librement pour favoriser l’expansion. mais qu’en Angleterre, s’ils peuvent entrer, il leur est interdit de sortir, pour ne pas aggraver le déficit de la balance des paiements. Déficit qui, malgré de méritoires efforts et certains progrès récents, demeure toujours menaçant. Comment résoudre le problème ? Comment l’Angleterre pourrait-elle supprimer les écluses, qui bloquent les sorties, les mouvements des capitaux vers l’extérieur ? Et inversement, comment les Six pourraient-ils faire entrer dans leur organisation un partenaire qui serait isolé dans un système aussi exorbitant ? Comment encore ne pas voir à quel point et pourquoi la situation propre à la Livre Sterling empêche le Marché Commun de s’incorporer l’Angleterre ?

En effet, entre les Six, leur organisation supprime toutes barrières à leurs échanges. Ce qui implique, bien sûr, que les monnaies, leur monnaie ait une valeur relative constante. Et que si l’une d’entre elles était ébranlée, la Communauté la rétablirait aussitôt. Mais cela n’est possible que parce que, le Mark, la Lire, le Florin, le Franc belge, le Franc français, sont dans une situation parfaitement solides. Or, sans qu’on doive désespérer de voir la Livre se maintenir, le fait est qu’on ne sera pas assuré, avant longtemps, qu’elle y parviendra. On le saura d’autant moins, qu’elle a par rapport aux monnaies des Six le caractère particulier d’être, comme on dit, de réserve. Ce qui fait qu’un grand nombre d’Etat dans le monde, notamment dans le Commonwealth, détiennent d’énormes créances en Livre. Comment faire à ce sujet ? Je sais bien qu’on dit parfois qu’il est possible de distinguer, de séparer le sort de la Livre, monnaie nationale, du sort de la Livre, monnaie internationale.

On dit parfois aussi, qu’une fois dans l’organisation, l’Angleterre, s’y trouvant, avec sa Livre Sterling, eh bien la Communauté ne serait pas obligée de répondre de ce qu’il arriverait de sa monnaie. Mais ce sont là des jeux de l’esprit. En somme, la parité et la solidarité monétaires sont des règles essentielles, des conditions essentielles du Marché Commun, et ne peuvent pas être étendues à nos voisins d’outre-Manche. A moins qu’un jour, la Livre se présente dans une situation toute nouvelle, et telle que sa valeur d’avenir apparaisse comme assurée, qu’elle soit dégagée du caractère de monnaie de réserve, et qu’ait disparu l’hypothèque des balances débitrices de la Grande-Bretagne, à l’intérieur de la zone Sterling. Mais quand en serait-il ainsi ? Ce qui est vrai dès à présent au point de vue économique, le serait éventuellement au point de vue politique.

L’idée, l’espoir, qui a, sans aucun doute, porté les européens à s’unir, c’était l’idée, l’espoir de constituer un ensemble, qui serait européen à tous les égards. C’est-à-dire : qui non seulement pèserait son propre poids, en fait d’échanges et de production, mais qui serait capable de traiter politiquement pour lui-même et par lui-même vis-à-vis de qui que ce soit. Etant donné les rapports particuliers, de l’Angleterre, des britanniques, avec l’Amérique, et avec les dépendances, en même temps que les avantages qui en résultent pour eux, étant donné l’existence du Commonwealth et les relations privilégiés qu’ils ont avec lui, étant donné que les britanniques assument encore, croient devoir assumer encore des obligations spéciales dans divers es régions du monde, ce qui les distingue fondamentalement des Occidentaux, on voit bien comment la politique des Six, à condition qu’ils en aient une, pourrait s’associer, dans certains cas, dans beaucoup de cas, à celle des britanniques. Mais on ne voit pas du tout comment l’une et l’autre politique pourraient se confondre.

Enfin, il est vrai que les Anglais, c’est tout naturel, envisagent que leur participation à la Communauté aurait pour résultat de conduire celle-ci à devenir, progressivement, tout autre que ce qu’elle est. Et de fait, leurs mandataires, étant installés dans les organes dirigeants, au conseil des ministres, au conseil des suppléants, les commissions , l’assemblée, représentant dans ces aréopages la masse des intérêts et des servitudes économiques et politiques propres à leurs pays. Etant rejoints dans ces enceintes aussitôt par les délégations d’un certain nombre d’autres pays européens qui sont avec eux dans la zone de libre échange, et y trouvant, quant au nombre et quant à l’audience, une importance correspondante, dès lors qu’il en serait ainsi, il va de soi que l’inspiration, les dimensions, les décisions, de ce qui est aujourd’hui la Communauté des Six, cèderaient la place à une inspiration , des dimensions, des décisions qui seraient complètement différentes. D’ailleurs, les Britanniques ne dissimulent pas que s’ils se trouvaient dans la place, ils entreprendraient d’obtenir des modifications et notamment en matière agricole.

Mais les conditions dans lesquelles la France se trouve actuellement dans le Marché Commun, quant à son industrie, son agriculture, son commerce, sa monnaie, et finalement sa politique, serait sans aucun rapport avec celle qu’elle trouverait dans l’organisation nouvelle dont je parle. En vérité, il semble bien que la situation des Britanniques, par rapport aux Six, dans le cas où on envisagerait de la changer, où on serait d’accord pour envisager de la changer, ce changement comporterait l’une ou l’autre de trois issues. Ou bien admettre que l’entrée des britanniques, avec toutes les exceptions dont elle ne saurait manquer d’être accompagnée, avec l’irruption de données nouvelles, par leur nature et par leur quantité, qu’elle comporterait forcément, avec la participation de nouveaux Etats qui en seraient certainement le corollaire, imposerait en fait la construction d’un édifice tout nouveau en faisant table rase de celui qui vient d’être construit.

A quoi alors aboutirait-on, sinon, peut-être à la création d’une zone de libre échange de l’Europe Occidentale, en attendant la zone atlantique, laquelle ôterait à notre continent sa propre personnalité. Ou bien instaurer entre la Communauté d’une part, les britanniques et les Etats de la zone de libre échange d’autre part, un régime d’association qui est d’ailleurs prévu par le Traité de Rome, et qui multiplierait et faciliterait les rapports économiques des contractants. Ou bien enfin attendre, pour changer ce qui est. Que l’évolution intérieure et extérieure dont semble-t-il l’Angleterre montre les signes, ait été menée à son terme. Autrement dit que ce grand peuple, si magnifiquement doué, en fait de capacité et de courage ait accompli lui-même, pour son compte, de son côté, la profonde transformation économique et politique qui permettrait de le joindre aux Six continentaux. Je crois bien que c’est là ce que souhaitent beaucoup d’esprit soucieux de voir paraître une Europe ayant ses dimensions naturelles, et qui portent à l’Angleterre une profonde admiration et une sincère amitié. Si un jour elle en venait là, dans quel cas, la France accueillerait cette historique conversion. (Source)

La conférence de presse du 27 novembre 1967

N.B. Le journaliste André Fontaine, dans Le Monde du 18 décembre 1963, fait dire à de Gaulle : “L’Angleterre, je la veux nue.”

Journaliste 4

Monsieur le Président, pourriez-vous nous dire, au milieu de tous les mots torrides qu’on vous a prêtés, quelle importance ou quelle valeur on peut attacher à celui-ci : l’Angleterre avez-vous dit, ” l’Angleterre, je la veux nue ”

Charles de Gaulle

Remarquez que la nudité pour une belle créature, c’est assez naturel et pour ceux qui l’entourent, c’est assez satisfaisant. Mais quelque attrait que j’éprouve pour l’Angleterre, je n’ai jamais dit ça à son sujet. Ça fait partie de ces propos qu’on colporte sur mon compte, il paraît même, qu’on en fait des livres et qui, et qui ne répondent que de loin à ma pensée et à mes propos. S’il y a d’autres questions… Je vous en prie.

Journaliste 1

Mon général, je voudrais vous demander si à votre avis la dévaluation de la Livre ouvre des plus grandes perspectives pour l’entrée de l’Angleterre dans le Marché Commun ?

Charles de Gaulle

Quelqu’un m’avait demandé aussi quelque chose mais je crois que ça suffira. Depuis qu’il y a des hommes et depuis qu’il y a des Etats, tout grand projet international est nimbé de mythes séduisants. C’est tout naturel. Parce qu’à l’origine de l’action, il y a toujours l’inspiration. Et ainsi pour l’unité de l’Europe, oh ! comme il serait beau, comme il serait bon, que celle-ci puisse devenir un ensemble fraternel et organisé où chaque peuple trouve sa prospérité et sa sécurité. Ainsi en est-il aussi du monde. Qu’il serait merveilleux que disparaissent toutes les différences de race, de langue, d’idéologie, de richesse, toutes les rivalités, toutes les frontières qui divisent la terre depuis toujours. Mais quoi, si doux que soient les rêves, les réalités sont là. Et suivant qu’on en tient compte ou non, la politique peut être un art assez fécond ou bien une vaine utopie.

C’est ainsi que l’idée de joindre les îles britanniques à la communauté économique formée par six états continentaux soulève partout des souhaits qui sont idéalement très justifiés. Mais qu’il s’agit de savoir si cela pourrait être actuellement fait sans déchirer, sans briser ce qui existe. Or il se trouve que la Grande Bretagne avec une insistance et une hâte vraiment extraordinaire et dont peut être les derniers événements monétaires éclairent un peu certaine raison, a proposé, avait proposé l’ouverture sans délai d’une négociation, entre elle-même et les six, en vue de son entrée dans le Marché Commun. En même temps elle déclarait accepter, toutes les dispositions qui régissent la communauté des Six. Ce qui semblait un peu contradictoire avec la demande de négociation, car pourquoi négocierait-on sur des clauses que l’on aurait d’avance et entièrement acceptées.

En fait, on assistait là au cinquième acte d’une pièce au cours de laquelle les comportements très divers de l’Angleterre, à l’égard du Marché Commun, s’étaient succédés sans paraître se ressembler. Le premier acte, ç’avait été le refus de Londres de participer à l’élaboration du Traité de Rome, dont Outre-Manche on pensait qu’il n’aboutirait à rien. Le deuxième acte manifesta l’hostilité foncière de l’Angleterre, à l’égard de la communauté de la construction européenne, dès que celle-ci parut se dessiner. J’entends encore les sommations, je l’ai dit me semble-t-il naguère, les sommations, qu’à Paris des juin 1958 m’adressait mon ami Monsieur Mac Millan, alors premier ministre, qui comparait le Marché Commun avec le blocus continental et qui menaçait de lui déclarer tout au moins la guerre des tarifs. Le troisième acte, ce fut une négociation menée à Bruxelles par Monsieur [Mandelin], pendant un an et demi, négociation destinée à plier la Communauté aux conditions de l’Angleterre et terminée quand la France fit observée à ces partenaires que il s’agissait non pas de cela, mais précisément de l’inverse. Le quatrième acte au commencement du gouvernement de Monsieur Wilson fut marqué par le désintéressement de Londres à l’égard du Marché Commun, le maintien autour de la Grande Bretagne des six autres Etats européens formant la zone de libre échange, et un grand effort déployé pour resserrer les liens intérieurs du Commonwealth. Et maintenant se jouait le cinquième acte, pour lequel la Grande Bretagne posait cette fois sa candidature, et afin qu’elle fut adoptée, s’engageait dans les voies et toutes les promesses et toutes les pressions imaginables.

A vrai dire, cette attitude s’explique assez aisément. Le peuple anglais discerne sans doute de plus en plus clairement que dans le grand mouvement qui emporte le monde, devant l’énorme puissance des Etats-Unis, celle grandissante de l’Union Soviétique, celle renaissante des continentaux, celle nouvelle de la Chine, et compte tenu des orientations de plus en plus centrifuges qui se font jour dans le Commonwealth, ces structures et ces habitudes dans ces activités, et même sa personnalité nationale, sont désormais en cause. Et au demeurant, les graves difficultés économiques, financières, monétaires avec lesquelles, il est aux prises, le lui font sentir jour après jour. De là dans sa profondeur, une tendance à découvrir un cadre, fut-il européen qui lui permettrait, qui l’aiderait à sauver, à sauvegarder sa propre substance, qui lui permette de jouer encore un rôle dirigeant et qui l’allège d’une part de son fardeau. Il n’y a rien là que de salutaire pour lui, et à échéance, il n’y a rien là que de satisfaisant pour l’Europe, à condition que le peuple anglais, comme ceux auxquels il souhaite se joindre, veuille et sache se contraindre lui-même aux changements fondamentaux qui seraient nécessaires pour qu’il s’établisse dans son propre équilibre.

Car c’est une modification, une transformation radicale de la Grande Bretagne qui s’impose pour qu’elle puisse se joindre aux continentaux. C’est évident au point de vue politique Mais aujourd’hui pour ne parler que du domaine économique, le rapport qui a été adressé le 29 septembre par la commission de Bruxelles aux six gouvernements, démontre avec la plus grande clarté que le Marché Commun actuel est incompatible avec l’économie telle qu’elle est de l’Angleterre. Dont le déficit chronique de sa balance des paiements prouve le déséquilibre permanent et qui comporte, quant à la production, aux productions, aux sources d’approvisionnement, à la pratique du crédit, aux conditions du travail, des données dont ce pays ne pourrait les changer sans modifier sa propre nature.

Marché Commun incompatible aussi avec la façon dont s’alimentent les Anglais, tant par les produits de leur agriculture, subventionnés au plus haut, que par des vivres achetés à bon compte partout dans le monde notamment dans le Commonwealth. Ce qui exclut que Londres puisse réellement accepter jamais les prélèvements prévus par le règlement financier et qui lui seraient écrasant. Marché Commun incompatible encore avec les restrictions apportées par l’Angleterre à la sortie de chez elle des capitaux, lesquels au contraire circulent librement chez les Six. Marché commun incompatible avec l’état du Sterling tel que l’on mis en lumière, de nouveau, la dévaluation, ainsi que les emprunts qui l’ont précédés, qui l’accompagnent. L’état du sterling aussi, qui se conjuguant avec le caractère de la monnaie, de monnaie internationale qui est celui de la Livre et les énormes créances extérieures qui pèsent sur elle, ne permettrait pas qu’elle fasse partie actuellement de la société solide et solidaire et assurée où se réunit le Franc, le Mark, la Lire, le Franc belge et le Florin. Dans ces conditions, à quoi pourrait aboutir ce qu’on appelle l’entrée de l’Angleterre dans le Marché Commun ?

Et si on voulait malgré tout l’imposer, ce serait évidement l’éclatement d’une communauté qui a été bâtie et qui fonctionne suivant des règles qui ne supportent pas une aussi monumentale exception. Certes et en outre, je dois ajouter, qui ne supporterait non plus qu’on introduise parmi ses membres principaux, un Etat qui précisément par sa monnaie, par son économie, par sa politique, ne fait pas partie actuellement de l’Europe telle que nous avons commencé à la bâtir. Faire entrer l’Angleterre, et par conséquent, engager maintenant une négociation à cet effet, ce serait pour les Six, étant donné que tout le monde sait de quoi il retourne, ce serait pour les Six donner d’avance leur consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants qui tendraient à dissimuler la destruction d’un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoir.

Il est vrai que tout en reconnaissant l’impossibilité de faire entrer l’Angleterre d’aujourd’hui dans le Marché Commun tel qu’il existe, on peut vouloir tout de même sacrifier celui-ci à un accord avec celle là. Théoriquement, en effet, le système économique qui est actuellement pratiqué par les Six n’est pas nécessairement le seul que pourrait pratiquer l’Europe. On peut imaginer, par exemple, une zone de libre échange, s’étendant à tout l’Occident de l’autre continent. On peut imaginer aussi une espèce de traité multilatéral du genre de celui qui sortira du Kennedy Round, et réglant entre 10, 12, 15 Etats européens, leur contingent et leur tarif réciproque et respectif. Mais dans un cas comme dans l’autre, il faudrait d’abord abolir la Communauté et disperser ses institutions. Et je dis que cela, la France ne le demande certainement pas.

Pourtant, si tel ou tel de ses partenaires, comme après tout c’est leur droit, en faisait la proposition, elle l’examinerait avec les autres signataires du traité de Rome. Mais, ce qu’elle ne peut faire, c’est entrer actuellement, avec les Britanniques et leurs associés, dans une négociation qui conduirait à détruire la construction européenne à laquelle elle fait partie. Et puis, ce ne sera pas là du tout le chemin qui pourrait conduire à construire une Europe, à ce que l’Europe se construise par elle-même et pour elle-même de manière à n’être pas sous la dépendance d’un système économique, monétaire, politique qui lui est étranger. Pour que l’Europe puisse faire équilibre à l’immense puissance des Etats-Unis, il lui faut non pas du tout affaiblir mais au contraire resserrer les liens et les règles de la Communauté.

Certes, ceux qui comme moi ont prouvé par leurs actes, l’attachement, le respect qu’ils portent à l’Angleterre, souhaitent vivement la voir un jour, choisir et accomplir l’immense effort qui la transformerait. Certes pour lui faciliter les choses, la France est toute disposée à entrer dans quelque arrangement qui, sous le nom d’association ou sous un autre, favoriserait dès à présent les échanges commerciaux entre les continentaux d’une part, les britanniques, les scandinaves et les irlandais d’autre part. Certes, ce n’est pas à Paris qu’on ignore l’évolution psychologique qui paraît se dessiner chez nos amis d’outre- manche ou qu’on méconnaisse le mérite de certaines mesures qu’ils avaient déjà prises, et d’autres qu’ils projettent de prendre dans le sens de l’équilibre, leur équilibre au dedans et de leur indépendance au dehors. Mais pour que les îles britanniques puissent réellement s’amarrer au contient, c’est encore une très vaste et très profonde mutation qu’il s’agit.

Tout dépend donc, non pas du tout d’une négociation qui serait pour les Six, une marche à l’abandon, sonnant le glas de leur communauté, mais bien de la volonté et de l’action du grand peuple anglais qui ferait de lui un des piliers de l’Europe européenne. On m’a demandé ce que ce serait l’après gaullisme. Eh bien, c’est par là que nous allons terminer. Tout a toujours une fin et chacun se termine. Pour le moment ce n’est pas le cas. De toute façon, après de Gaulle, ce peut être ce soir ou dans six mois ou dans un an. Ça peut être dans cinq ans puisque c’est là le terme de ce que fixe la constitution au mandat qui m’est confié. Mais, si je voulais faire rire quelques uns ou en faire grogner d’autres, je dirais que cela peut encore durer 10 ans, 15 ans. Franchement, je ne le pense pas. (Source)

C’était de Gaulle – 1967

Conseil du 1er février 1967.

Couve relate la visite à Paris du Premier ministre travailliste, Wilson, et de Brown, secrétaire d’État au Foreign Office. « Dès la première conversation, les Anglais nous ont affirmé que leur premier souci était l’indépendance. Ils attachent un grand prix à l’indépendance technologique et soulignent que leur apport à l’Europe serait de ce point de vue décisif, face à l’Amérique. Il faut bien constater que M. Wilson a complètement changé sa position depuis sa dernière visite. Mais cette évolution est-elle à son terme ? Wilson et Brown écartent l’idée d’une simple association, qu’ils paraissent considérer comme réservée aux pays sous-développés, et donc insultante. Ils prétendent en outre qu’il n’y aurait pas à tout changer dans le Marché commun pour qu’ils y entrent. Cela dit, ils soulignent que la politique agricole de la Communauté ne peut leur être appliquée telle quelle. Nous ne les avons pas contredits. Ils s’emploient à démontrer que leur situation financière est saine, et qu’ils ne feraient pas courir de risques au Marché commun ; ce sur quoi nous avons fait des observations. Au total, il n’y a pas eu de conclusion. Il n’est pas sûr encore qu’ils poseront vraiment leur candidature. […]

G.d.G. (interrogeant Debré du regard). – Et comment se présente la question monétaire ?

Debré. – Il n’y a pas de Marché commun concevable avec les Anglais dans le système monétaire actuel. Ils ne peuvent répondre de la situation de la livre au delà de novembre. On risque de les voir demander à la fois leur entrée dans le Marché commun et l’aménagement de leur dette.

Le Général estime que ces deux avis d’experts, sollicités par surprise, ont suffisamment éclairé les ministres. Il se réserve de conclure.

G.d.G. : « J’ai retiré de ces conversations des impressions mêlées. Sans doute les Anglais montrent-ils des dispositions nouvelles et sympathiques. Mais dès que l’on entre dans le sujet, dès que l’on parle de l’agriculture, dès que l’on parle de la livre sterling, on constate que les Anglais, s’ils forçaient la porte du Marché commun, en bouleverseraient la donne. Ils en deviendraient, pour mille raisons, l’élément dominant, et le tourneraient à leur façon.

Sans doute, l’Angleterre se prêterait-elle à des arrangements pour la période transitoire, mais ce serait en vue d’accéder à la position dominante. Ce serait, non pas pour s’adapter au Marché commun tel qu’il est, mais bien pour se mettre en situation de le transformer et d’y occuper la première place en jouant sur les deux tableaux de leur appartenance au Marché commun, d’une part, au monde anglo-saxon, d’autre part.

Conseil du 3 mai 1967.

Malraux : « Ou bien li n’y a, du côté de l’Angleterre, que des apparences de changement. Ou bien il y a des changements profonds. Dans ce cas, lesquels ? Ou, pour dire les choses autrement, est-ce l’Angleterre qui entre dans le Marché commun, ou est-ce le Marché commun qui entre dans l’Angleterre, c’est-à-dire dans les États-Unis ?

Debré. – Il faut que l’Angleterre prenne position sur l’essentiel. Un, la livre sterling. Ils veulent faire de Londres la place financière de l’Europe ; ils cherchent un soutien pour leur zone. Deux, les relations avec le Commonweahh. Cela dit, s’il y a échec de la négociation, il y aura des contrecoups politiques.

Edgar Faure. – Il est difficile de déceler les intentions réelles de la Grande-Bretagne. La question agricole est ardue, mais non pas insoluble. La question monétaire est réelle : une communauté économique appelle une solidarité monétaire 1 ; avec la livre sterling, ça peut poser problème. La question politique est sérieuse. Il y a des arguments contre. Comme disait Georges Bidault, “L’Angleterre n’est jamais indépendante des États-Unis plus de quinze jours”. Il y a plusieurs arguments pour : les Anglais nous aideraient à mettre fin au mythe de la supranationalité ; nous pourrions les aider à s’affranchir des Etats-Unis ; il y a un préjugé favorable de l’opinion. En 1963, il était nécessaire de rompre la chaîne. Aujourd’hui, il faut user d’arguments plus pragmatiques.

Michelet. – On peut redouter une manœuvre des Anglais contre le général de Gaulle. Pour la déjouer, il y aura beaucoup de précautions tactiques à prendre, à cause de l’opinion, qui est favorable aux Anglais.

Schumann. – Sur le fond, l’entrée de l’Angleterre es! incompatible avec la politique agricole commune. li n’y a pas d’autre voie que l’association. Sur la tactique, il ne faut pas que la France s’isole.

Billone, Joxe, Marcellin, Messmer, moi-même, nous réfugions tous dans la solution de l’association. Jeanneney parle à contre-courant.

Jeanneney :  Je souhaite que l’Angleterre vienne rompre le tête-à-tête franco-allemand, et que l’espace économique européen s’élargisse. L’absence du parti communiste serait une bonne contagion. Notre position de principe devrait donc être favorable. Nous n’avons pas à nous déclarer au départ pour l’association, mais à montrer et regretter que les difficultés viennent de la Grande-Bretagne. On pourrait s’adapter, et essayer de ne pas bouleverser le mode de vie des Anglais.

G.d.G. – Le mode de vie des Anglais, il sera certainement affecté. Leur alimentation changera, et elle leur coûtera plus cher. Il y a beaucoup de difficultés, mais au départ nous voyons cette demande avec sympathie. Et d’ailleurs, ce n’est pas à nous de dire aux Anglais leurs difficultés. Laissons-les les exposer tout seuls.

Pompidou. – L’idée que la Grande-Bretagne fait partie du continent européen gagne du terrain outre-Manche. Tant mieux. Mais quant à nous, nous avons seulement à considérer les avantages et les inconvénients, pour nous et pour le Marché commun, de l’adhésion anglaise.

Derrière l’adhésion anglaise, il y a d’autres adhésions à prévoir inévitablement. Or, un Marché commun à douze ou quinze ne pourrait fonctionner qu’au prix d’un renforcement de la Commission. Comme nous n’en voulons pas, on assisterait nécessairement à la déliquescence de la Communauté, et du Marché commun agricole. Ce n’est vraiment pas le but recherché.

Le bon sens consiste à constater que l’Angleterre est en Europe sans y être encore tout à fait. Il faudrait donc trouver un moyen terme. Mais il vaut mieux ne pas employer le terme d’association, qui a pris dans la pratique un tour péjoratif. Et il vaudrait mieux que l’idée soit lancée par d’autres que par nous.

G.d.G. – Comment concilier les Anglais comme ils sont et la Communauté comme elle est ? Un jour peut-être, les Anglais en seront venus au point d’entrer dans le Marché commun. Mais visiblement, ils n’en sont pas là. Cela vaut pour l’agriculture, pour le mouvement des capitaux, pour la question monétaire. Ce sont là des difficultés concrètes et insurmontables dans le Marché commun tel qu’il est. Il est concevable d’entreprendre quelque chose de nouveau, qui tienne compte de ce que sont les Anglais. Il est vrai qu’il y a un mouvement des Anglais vers l’Europe. Il est vrai que cela peut les conduire à prendre sur eux, à se transformer. En attendant, on ne voit pas pourquoi on ne s’entendrait pas sur un accord de bon sens économique, grâce à des abaissements de tarifs. Il n’est pas sûr que les Anglais n’y voient pas leur avantage.

Quant à la politique, elle a été à l’origine de l’entreprise européenne. Il s’agissait de confondre d’abord les intérêts économiques, puis de réunir les intérêts politiques. Peut-être en viendra-t-on là. Il y a, du fait de l’envahissement américain de plus en plus ressenti, un petit vent nouveau qui souffle dans ce sens. Mais justement, de ce point de vue, l’Angleterre a une position spéciale ; elle est liée à l’au-delà des mers, elle est attelée aux Américains. Elle n’est pas dans la même position politique que les Six.

Peut-être évoluera-t-elle ? Il est souhaitable que le jour vienne où l’Angleterre pourra prendre sa place en Europe. Mais ce jour n’est pas encore venu. En l’attendant, le bon sens est l’association, quelque nom qu’on lui donne. Nous n’avons pas à renoncer du jour au lendemain à ce que nous avons bâti avec nos cinq partenaires, si laborieusement.

Conseil du 12 juillet 1967

G.d.G. – Nous insistons sur le fond de l’affaire : il faudrait renoncer au Marché commun tel qu’il est. La réaction des États-Unis est facile à prévoir : elle consisterait justement, grâce aux Anglais, à transformer le Marché commun en zone de libre-échange, qui serait en fait conduite par les États-Unis. Est-ce que les Russes regarderont cela sans bouger ? Par contrecoup, il y aurait sans doute des réactions à l’Est, une crispation qui n’irait pas dans le sens de la détente.

Conseil du 15 novembre 1967.

La candidature anglaise est trahie par la livre sterling.

Debré : La Livre est dans une position très difficile. La Banque d’Angleterre ne peut plus emprunter. Les Anglais demandent le secours des banques centrales. Nous avons accepté : il ne fallait pas se singulariser. Mais nous avons posé une condition : l’Angleterre devra nous rembourser dans les quarante-huit heures si elle exerce encore son droit de tirage sur le FMI.

GdG. – On ne peut pas maintenir un système monétaire international fondé sur des déficits. Cela craquera pour la livre et pour l’Angleterre.

Au Conseil qui suit, le 22 novembre 1967, la Livre a craqué.

Debré commente : Je crois plutôt à l’échec qu’au succès de leur dévaluation. La Grande-Bretagne paie les frais de la politique américaine. Dans quelques mois, la hausse des prix aura annulé la moitié des effets de la dévaluation. Quant au franc, notre situation est bonne. Notre dette est infime. Nous avons des réserves. Vous avez décidé, mon général, de ne pas
dévaluer.

GdG. – Tout le monde l’a décidé; c’est évident, vous l’avez décidé ! (Rires.)

Debré. – La presse anglaise vous accuse d’avoir provoqué la chute de la livre.

GdG. – Tout vaut mieux que d’être plaint.

Conseil du 20 décembre 1967.

La veille, à Bruxelles, l’adhésion britannique a été une seconde fois renvoyée sine die.

Couve : On avait promis des drames ; on a fini dans le désaccord, mais pas dans la crise que voulait la Grande-Bretagne. L’atmosphère a même été amicale et détendue, tout le contraire de ce qu’ont laissé entendre à l’extérieur des déclarations de bravoure.

GdG. – M. Couve de Murville a mené l’affaire avec précision, adresse et fermeté. Le fait est inévitablement accompli. La parole est maintenant aux Anglais. On va voir s’ils vont faire l’effort nécessaire pour pouvoir présenter leur candidature. J’en doute.

Je crains même que leur situation générale n’aille en se dégradant encore. En tout cas, tant que le parti travailliste restera au pouvoir. Ils ne sortiront du marasme que lorsqu’un
gouvernement conservateur tout neuf prendra les rênes. [N.B. Parole prophétique.]

Quant à nos partenaires du Marché commun, c’est à eux de choisir. Veulent-ils l’Europe ? Nous sommes disponibles pour la resserrer.

Pour approfondir :

De Gaulle et la candidature britannique aux communautés européennes, par Françoise de La Serre [1994]

La Grande-Bretagne et la communauté économique européenne (1958-1963), par Anne Deighton [1994]

de-gaulle

Source: http://www.les-crises.fr/les-deux-veto-du-general-de-gaulle-a-langleterre/


Brexit ! Démocratie 1 – UE 0 (EDIT)

Saturday 25 June 2016 at 00:00

Donc belle et grande nouvelle ce matin :

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Bravo aux Anglais pour cette belle leçon de Démocratie !

Voici les résultats :

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On saluera les sondages, qui ont donc oscillé entre… 10 % d’avance et 10 % de retard… :

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Avant-hier :

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(LeParmentier est le JeanQuatremer du Monde pour mémoire)

Après, on sait lire une tendance, ou on ne sait pas la lire… :

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On saluera la presse avant le vote aussi :

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Réaction boursière du jour (quelle importance en vrai ?), qui fait les choux gras de la presse

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mais au moins on voit bien du coup qui bénéficie de l’UE en vrai…

Réaction du clergé ce matin :

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(belle fraternité et respect de la Démocratie)

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(cool, pourquoi ne pas l’avoir vraiment soutenu alors ?)

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National-populiste, j’adore – pourquoi pas nazi tout court, ce serait plus simple…

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  1. Ben oui : car le “jeune”, il ne vieillit jamais, ne devient jamais vieux, ne comprend donc pas avec le temps ce qu’est l’UE et ne change donc jamais d’avis…
  2. bizarre, je n’ai pas lu ça quand l’Écosse est restée dans le Royaume-Uni à cause des vieux… #GrosHypocrites

 

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(ben si ça fait éclater le pays, c’est qu’il n’était pas solide, et qu’il vaut mieux 2 pays – quelle importance sir l’Écosse est indépendante, et les Écossais plus heureux ?)

Avant :

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Après :

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J’adore :

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L’éditocrate de gôôôôôche moderne vomissant la Démocratie et tripant sur Thatcher, bienvenue au XXIe siècle…

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Bien sûr… :

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Mais on saluera ça :

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Il me semble qu’au moins 52 % des Britanniques le demandaient (beaucoup plus en vrai, ils sont vraiment démocrates là-bas…) – je dis ça, je dis rien…

Même l’AFP s’y met :

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Bref, le Démocrate est désormais vu comme un “apprenti sorcier” par le “saint des saints” du “journalisme” français, cela en dit très long…

En conclusion :

 

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Les pays qui veulent un référendum (Source) :

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Ce que voteraient les citoyens :

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Ce que veulent les citoyens :

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On voit que les européistes ne représentent que 30 % chez nous, dont la moitié d’intégristes…

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Edit :

Les gens intelligents disent :

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(belle interview à lire sur l’Obs ici)

Les autres :

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Ben un référendum en France, ce serait déjà un bon début pour savoir si les Français veulent relancer ce Titanic, non ? #Démocratie…

François dernier qui avait déjà, avec toute sa finesse politique, pris position sur ce problème intérieur anglais :

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Et donc :

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Cool – mais quelle intelligence diplomatique… Ce n’est pas comme l’infâme Poutine qui ferme sa bouche :

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Et donc maintenant, on va rentrer dans la phase “Faisons un exemple avec l’Angleterre, il est HORS DE QUESTION qu’elle aille bien en sortant de l’UE (comme la première Suisse ou Norvège venue), cela donnera des idées aux autres sinon…

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Sauf que ça va se voir, et ça faire haïr encore plus l’UE…

Mais bon…

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En tous cas, on a confirmation :

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Pensée pour le Général…

EDIT 2 : tiens, ça va être drôle…

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C’est horrible tous ces anglais qui vont bientôt mourir de faim comme en Suisse !!!!! 🙁

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(Emmanuel Macron a toujours du mal à différencier un peuple et ses élites…)

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Bien sûr… On peut revoter su Maastricht aussi ?

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(fantastique)

Pronostic solide :

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Oups :

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La Une du Monde – qui a le sens des priorités historiques :

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Bilan :

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– 8 % en France ou au  Japon, – 3 % à Londres : qui a du souci à à se faire ?

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(énorme)

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(Madrid ne pas accepter je pense…)

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(c’est sûr qu’avec 100 % de la presse europhile…)

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(ahh la civilisation…)

 

Source: http://www.les-crises.fr/brexit/


Le top des excuses pour ne pas faire de référendum sur l’UE

Friday 24 June 2016 at 10:28

Un lecteur du blog a réalisé cette magnifique compilation :

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Source: http://www.les-crises.fr/le-top-des-excuses-pour-ne-pas-faire-de-referendum-sur-lue/