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La gifle démocratique des Américains à l’empire médiatique, par Stéphane Trano

Friday 13 May 2016 at 00:01

Toujours un fantastique travail de Stéphane Trano, lisez son blog !

La gifle démocratique des Américains à l’empire médiatique

Source : Marianne, Stéphane Trano, 05-05-2016

Donald Trump et Bernie Sanders ne sont populistes et dangereux qu’aux yeux de journalistes et d’analystes qui se veulent gardiens de la morale et se répètent les uns les autres et qui sont eux-mêmes les acteurs de l’effondrement du politique.

Donald Trump est désormais le seul candidat républicain en lice.

Donald Trump est désormais le seul candidat républicain en lice.

La plupart des médias y ont cru jusqu’où bout, mais ce mardi 3 mai 2016 ont fait voler en éclat leurs arguties. En éliminant ses concurrents dans la féroce compétition pour la nomination républicaine, à travers une victoire écrasante dans l’état de l’Indiana, . Bernie Sanders, quant à lui, a mis en échec Hillary Clinton, une victoire qui n’entame guère les probabilités que l’ancienne secrétaire d’état porte les couleurs démocrates le 8 novembre, mais dont les conséquences seront sensibles sur la suite des événements. Les deux candidats qui s’opposent au système washingtonien et qui n’ont cessé d’être caricaturés par le journalisme corporatiste sont portés par la force la plus consternantes pour les élites : le peuple lui-même. Les électeurs ont opposé une fin de non-recevoir à la mission civilisatrice des partisans d’une démocratie autoritaire et bien-pensante.

Rejet du “politiquement correct”

En dépassant la barre des dix millions d’électeurs alors que neuf primaires restent à venir avant la convention nationale républicaine, qui se tiendra à Cleveland en Juillet, Donald Trump a d’ores et déjà mobilisé plus d’électeurs que durant toute la campagne de son prédécesseur, Mitt Romney. Le terme de populiste est le plus impropre qui puisse être employé par les nombreux détracteurs de l’homme d’affaires américain. Avec différents taux de réussite, Trump a néanmoins entrainé dans son sillage toutes les catégories de population, des mineurs du Midwest aux diplômés du Nord-Est, des afro-américains de Brooklyn aux Hispaniques du Sud, des femmes New Yorkaises aux militants LGBTQ, des plus jeunes aux plus âgés, ainsi que de nombreux indépendants et jusqu’à cent mille démocrates. Leur point commun : un rejet du « politiquement correct », une volonté de déblocage des institutions paralysées depuis près de huit années, un constat d’échec de la politique extérieure menée par Barack Obama, une méfiance profonde à l’encontre d’Hillary Clinton, et de manière plus générale, une exaspération face aux annonces apocalyptiques torrentielles engendrées par une intense campagne médiatique.

Les plus fervents supporters de Donald Trump ne croient pas un instant qu’il souscrive lui-même à ses déclarations les plus outrancières. Ils ont mesuré avec une acuité très inhabituelle le sens de cette tactique qui a progressivement désarmé ses pires adversaires. Ses plus féroces adversaires ? Les partisans de la foi évangélique,  – totalement ignoré par la plupart des médias malgré sa dangerosité – et des centristes soutenant le gouverneur de l’Ohio, John Kasich, qui ne diffère que très peu de son adversaire directe, Hillary Clinton. Mais il a fallu que Cruz et Kasich jettent l’éponge, au terme d’une hystérie anti-Trump, pour que les premières failles apparaissent – très momentanément – dans le mur médiatique compact des analystes politiques et des perroquets correspondants répétant à l’identique le contenu des agences de presse.

Ainsi, l’éditorialiste du Washington Post Ruth Marcus a-t-elle publié, dans la soirée, un article estimant qu’après cette journée peu ordinaire, « les démocrates, les républicains et les médias doivent faire un sérieux examen de conscience. » La journaliste estime malgré tout que « l’explication purement commerciale pour ce manquement serait que les médias, la télévision en particulier, ne voulaient pas tuer la poule aux œufs d’or de l’audience. C’est trop simpliste – et trop sinistre » et que les journalistes ont fait leur travail en exposant les outrances de Donald Trump. Mais le malaise est perceptible et prémonitoire de la prochaine vague médiatique qui s’abattra sur Trump dans son combat face à Hillary Clinton.

Sanders, boussole d’une jeunesse désemparée et contestataire

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Reste le cas Sanders, qui fait étrangement écho à celui de Trump. Le vieux fou socialiste révolutionnaire était dès son irruption dans la campagne tout ce que l’establishment déteste : il est devenu la boussole d’une jeunesse désemparée et contestataire, qui a déverrouillé les lourdes portes du parti démocrate, plombées par des années d’Obamania aveugle et par l’aristocratie clintonienne. L’Amérique avance, sûre d’elle dans sa capacité à se renouveler et à défier l’ordre établi. Elle continue d’opposer son vote aux incantations moralisatrices et à appeler un chat un chat. Traitée de puritaine et intolérante, elle a offert, du côté républicain, un candidat noir, avec Ben Carson et deux candidats d’origine cubaine, avec Marco Rubio et Ted Cruz. Traitée d’interventionniste et de dominatrice, elle a porté loin dans la course un socialiste prônant l’égalité et la mise à contribution des pouvoirs financiers. Enferrée dans l’idéologie antirusse et pro-asiatique menée par Barack Obama, elle lui oppose un Trump pragmatique qui dénonce les guerres de ses prédécesseurs comme les plus grandes catastrophes de l’Histoire américaine.

Passés à l’heure de la prise de parole populaire, les Américains viennent d’infliger une claque magistrale au journalisme intellectuel qui pour sa part, a démontré son incapacité corporatiste à penser son époque en dehors de ses réflexes habituels et de l’auto-contemplation.

Source : Marianne, Stéphane Trano, 05-05-2016

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Apocalypse Trump ou la phobie de la démocratie

Féroce, le médiatiquement correct est pire que le politiquement correct. Il prend pour cible des candidats et fait fi du choix des électeurs. Un état d’esprit qui ne peut qu’entretenir le rejet, de plus en plus fréquent et soutenu, de ceux pour lesquels le mot démocratie a un sens.

De la Nouvelle Angleterre au Nebraska, de la Floride à l’Orégon, il y aurait donc là, dehors et à ce jour, une douzaine de millions d’électeurs enragés, comparables à ceux qui portèrent démocratiquement au pouvoir un homme semblable à leur candidat, en Allemagne au siècle dernier.

Il y aurait, également, quelques idéologues qui répandent, à travers les médias, des idées pestilentielles et moyenâgeuses. Pire encore: il en aurait une autre dizaine de millions, lancés derrière un vieux sénateur hystérique, déterminé à abattre les élites et les ors de la république. Une tragédie. Une réplique du pacte germano-soviétique. Le retour de Ribbentrop et Molotov et, bientôt, si la raison ne l’emporte pas, la guerre, la terreur et le sang.

Ces gens aveugles, en colère ou méchants, n’entendent pas les appels des gardiens de la paix, qui défendent des valeurs au nom desquelles des générations ont combattu et luttent contre le cancer du populisme, qui menace de gagner tous les continents.

La plus grande menace, cette fois, se lève à l’Ouest, dans un pays déjà à l’origine de tous les maux du monde. Voilà, où nous en sommes.

A rire ou à pleurer ?

Amis fascistes, collaborateurs, décérébrés et toxiques, irresponsables et ennemis de l’humanité, racistes et misogynes, misanthropes et néo-nazis, nostalgiques et vicieux, et vous autres, anticapitalistes forcenés, il est urgent de s’incliner et de relire les sages. Il est tout simplement inconcevable de poursuivre dans la négation du péril que nos médias soulignent inlassablement, jour après jours, dans toutes les langues et sur tous les tons. La peste rouge-brune ne passera pas.

Dans les colonnes de Libération, un très grand spécialiste en sciences politique, Laurent Murat, a : « En 1980, Ronald Reagan, moqué comme «un acteur de série B» devenu entre-temps gouverneur de Californie, avait ravi l’élection présidentielle. En 2000, c’était George W. Bush, «le fils à papa» gouverneur du Texas, qui accédait à la charge suprême, dans les conditions que l’on sait. Le monde s’étonnait des tournants que pouvait prendre la vie politique de «la plus grande démocratie du monde». Aujourd’hui, c’est un homme d’affaires outrancier, délirant, misogyne, raciste, démagogue et sans expérience politique, qui aurait sa chance – contre un autre candidat républicain, fanatique religieux et tout aussi délirant. » Sur un ton mesuré, à la neutralité d’un expert, étayé par des statistiques, Laurent Murat estime que le temps est venu, « fini de rire. » On est d’accord.

On notera simplement au passage quelques erreurs, sans doutes d’inattention, que l’on rectifie bien volontiers. Ronald Reagan, lorsqu’il fut élu, en 1980, à la Maison-Blanche, avait déjà été gouverneur de Californie vingt-cinq ans auparavant et déjà candidat à la nomination face à Gérald Ford en 1976, un « entre-temps » considérable. En 2000, George W. Bush était bien élu, mais on ne voit pas à quoi « les conditions que l’on sait » se réfèrent, et si – par pur hasard – cela concernait le 11-Septembre, on notera simplement que l’événement est survenu huit mois après son arrivé à la Maison-Blanche, mais peut-être d’autres « conditions » nous échappent-elles (à moins que l’auteur ne se rapporte à la rumeur persistante selon laquelle Al Gore aurait en réalité emporté l’élection de novembre 2000, mais cela n’a pas été validé par la justice américaine). Peut-être, simplement, notre spécialiste aurait-il du éviter de publier son article une semaine avant que les adversaires de Donald Trump ne jettent l’éponge, ce qui aurait permis à son article de vivre un peu plus longtemps. Mais le principal y est, fini de rire, et comme on ne donne pas de cours à la prestigieuse université de Los Angeles, on n’ira pas contester les arguments du politologue, probablement supérieurement intelligent.

Si l’on n’était pas convaincu du contenu proprement délirant de nos propos, ici, dans les colonnes bienveillantes de Marianne, il suffirait de se reporter aux chroniques de Fred Kaplan pour , au sondage de l’IFO et du JDD relayé par et autres, ou pire encore, aux sombres prévisions de Jean Jouzel sur, élevant le niveau de la réflexion au degré suprême, celui de la planète et donc de l’univers.

De retour sur Terre, et ce chien de Trano n’en démordant pas, passons au principal, dans la série “La démocratie, on aime, ou pas”.

Cruz, ex-candidat tueur

Loin d’être éliminé du champ de bataille, l’ultra-conservateur Ted Cruz ne s’est retiré de la course aux primaires que pour réenclencher la guerre en coulisses. Un jeu auquel le sénateur texan excelle, celui-là même qui lui a valu d’être traité de « Lucifer » par l’ancien président de la Chambre des représentants, John Boehner.

Bien décidé à faire dérailler la convention nationale républicaine qui doit se tenir à Cleveland du 18 au 21 Juillet, Cruz maintient une forte pression sur les délégués et consulte à tout va, avec l’idée de faire émerger une nouvelle candidature purement conservatrice.

Paradoxalement, Donald Trump est dans une situation difficile. Bien que seul candidat désormais en piste pour la nomination, il fait face à un front du refus qui s’étend de l’ancien candidat Mitt Romney à son ancien colistier de 2012, l’actuel président de la Chambre des représentants, Paul Ryan, en passant par le reaganien Lindsey Graham, une liste qui s’étend désormais à une centaine de personnalités républicaines à travers le pays. Trump a pris acte de cette défiance, samedi soir, en déclarant qu’il n’est pas le candidat des conservateurs mais des républicains. Une nuance chargée de sens, pour un homme qui utilise un langage moins châtié habituellement, et qui, à elle seule, définit le périmètre de son électorat qui semble désormais exclure l’aile droite républicaine, et sa partie centriste très liée au Congrès. Il trouve, en revanche, un appui du côté du farouchement contestataire Tea Party – le gouverneur de l’Alaska, Sarah Palin, vient de lui apporter son soutien – ainsi que d’une partie des indépendants très opposés au jeu institutionnel washingtonien.

Trump et les mauvais coucheurs

Trump peut-il être le candidat légitime des républicains face à Hillary Clinton ? La question est posée puisqu’après Mitt Romney et Jeb Bush, le sénateur de l’Arizona, John McCain, a décidé lui aussi de boycotter la convention républicaine, et la liste s’allonge de jour en jour. Une tactique mise en place par Ted Cruz et qui consiste à vider la convention de sa substance.

Trump a t-il une chance de l’emporter sur Hillary Clinton sans l’appui des électeurs ultra-conservateurs et centristes du parti républicain ? Les calculs vont bon train. Alors qu’il n’a pas encore réussi à sortir du piège dans lequel l’enferme un vacarme médiatique obstiné et déterminé à faire feu de la moindre de ses envolées désormais légendaires, Trump peine à faire émerger un programme lisible par les électeurs qui ne l’ont pas encore rejoint et qui, pour l’instant, ne s’y retrouvent pas.

Un nouvel obstacle s’est matérialisé dans sa course à la présidentielle, avec les premiers signes d’apaisement donnés, cette semaine, par le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, vis-à-vis d’Hillary Clinton. En ne rejetant pas l’hypothèse d’une vice-présidence – pourtant improbable – et en évoquant de futurs pourparlers, Sanders s’est engagé dans un virage serré, et tout dépendra de la capacité de ses électeurs à avaler une telle pilule. Si le parti démocrate parvient à faire émerger une plateforme commune cet été, il n’en sera que plus compliqué pour Trump de puiser dans le réservoir des anti-Clinton.

Peur médiatique et politique

Inquiets face à une économie dont le signes de ralentissement se multiplient – les créations d’emploi sont en baisse de plus de 40 pour cent par rapport au rythme connu depuis de nombreux mois – les Américains sont de plus en plus sensibles aux conséquences de l’élection du prochain président.

L’intense campagne menée contre les options de Trump – représentées comme isolationnistes, inflationnistes, susceptibles de faire flamber les taux d’intérêts et de provoquer un choc commercial en défaveur des Etats-Unis – fait son chemin. Sur le plan social, une forte mobilisation de l’électorat hispanique est déjà perceptible, tandis que parmi les Noirs américains, le soutien et la mobilisation en faveur d’Hillary Clinton atteignent déjà celui de Barack Obama en 2008.

Donald Trump dispose encore de plusieurs armes. Tout d’abord, le choix de son colistier pour la vice-présidence. Les refus s’étant multipliés dans le camp républicain, ce choix est pour le moment compliqué. Doit-il tenter de rattraper l’électorat ultra-conservateur ? Doit-il tenter celui du centre ? Doit-il choisir une femme ? Doit-il viser le potentiel des indépendants ? Une quadrature du cercle.

Au-delà de ce choix symbolique sur le plan institutionnel mais qui peut faire une sérieuse différence parmi les électeurs, Trump peut également laisser filtrer ses choix pour son futur gouvernement : les électeurs républicains veulent savoir qui conduira la politique fiscale et judiciaire, qui incarnera les options militaires et la politique étrangère, qui remettra sur la table de travail la politique d’immigration et celle en matière de santé, et sont fébriles face à la future orientation de la Cour Suprême des Etats-Unis.

Enfin, Trump dispose de l’arme financière : en vue du renouvellement de quelques 469 sièges au Congrès en novembre (35 au Sénat et 435 à la Chambre), le parti républicain a besoin de fonds très conséquents. Le parti démocrate n’est qu’à cinq sièges de la majorité au Sénat, dans une compétition complexe pour les républicains, et l’enjeu est d’autant plus fort qu’il concerne non seulement la majorité mais également la confirmation ou nom du Juge Garland à la Cour Suprême. Du côté de la Chambre, la possibilité pour le démocrates d’inverser la tendance en leur faveur est moindre – il leur manque trente sièges – mais toujours possible en cas de débâcle républicaine. Là encore, le temps est compté, et Trump, auquel revient la charge de récolter les fonds dont a besoin le parti qu’il représente pour l’instant, a beaucoup à gagner ou à perdre.

Abattre Trump et sauver Clinton : la lutte finale

Dans une campagne qui n’est plus à court de rebondissements, deux choses sont certaines, pour le moment : la féroce opposition médiatique à Donald Trump est en passe de redoubler, pour atteindre des sommets rarement connus lors d’une campagne électorale américaine ; la confrontation s’annonce très dure pour Hillary Clinton, qui voit revenir le passé au galop et sera bientôt sommée de s’expliquer sur plusieurs dossiers qu’elle évite soigneusement d’évoquer pour l’instant. Indéniablement favorite de ces élections 2016, la candidate du parti démocrate, derrière laquelle Barack Obama jette désormais toutes ses forces, dispose d’un trésor de guerre impressionnant et commence à tirer bénéfice de la campagne Sanders. Clinton ne serait pas la première à briser la méfiance populaire en accédant à la Maison-Blanche, mais le passé lui a prouvé que son destin pouvait être têtu.

Dans l’attente de nouveaux coups de théâtre, on laisse les partisans de l’Apocalypse Trump, et à regret, aux mains du journalisme corporatiste et éducatif, et de ses correspondants perroquets. Qu’ils ne soient pas trop durs avec eux : une phobie est toujours difficile à combattre, surtout lorsqu’elle concerne le peuple idiot.

Source : Marianne, Stéphane Trano, 09-05-2016

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Source: http://www.les-crises.fr/la-gifle-democratique-des-americains-a-lempire-mediatique-par-stephane-trano/


[28 pages] 7e vidéo : la version de Richard Clarke

Thursday 12 May 2016 at 01:30

Suite de notre grande série sur les 28 pages – rappel :

I. La 7e Vidéo

Richard Clarke a été le coordinateur contre le terrorisme à la Maison Blanche à la afin du mandat de Clinton, et au début de Bush.

Grace à ses témoignages, on comprend beaucoup mieux comment a pu survenir le 11 Septembre, et ses hypothèses sur les zones d’ombre font vraiment sens à mon avis. Mais j’y reviendrai…

Même vidéo – version alternative si souci :

II. Le script de la vidéo

Voici le script de la vidéo :

« Le 24 mars 2004, Richard A. Clarke, Coordinateur National pour la lutte contre le terrorisme à la Maison-Blanche de 1998 à 2001, présenta ses excuses aux victimes » (source : YouTube)

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Richard A. Clarke

De 2’27 à 3’18

Richard A. Clarke : « Je suis également heureux de ces audiences, car elles sont enfin une tribune où je peux présenter des excuses aux proches des victimes du 11 Septembre.

À celles et ceux qui sont ici dans la salle, à celles et ceux qui nous regardent à la télévision : votre gouvernement a échoué, les personnes chargées de vous protéger ont échoué et j’ai échoué. Nous avons travaillé dur, mais cela a finalement peu d’importance, parce que nous avons échoué.

Et pour cet échec, je voudrais vous demander – une fois que tous les faits seront là – votre compréhension et votre pardon. »


9/11 : Press For Truth (source : YouTube)

De 24’31 à 24’46


Clarke dénonce les dissimulations de la CIA (source : Dailymotion)

Là les amis, j’aurais besoin d’un volontaire pour recopier les sous-titres, afin d’avoir un script… Merci d’avance (contactez-moi avant par mail)

Source: http://www.les-crises.fr/la-version-de-richard-clarke/


Après le vote pour destituer la présidente du Brésil, les membres clés de l’opposition ont tenu une réunion à Washington, par Glenn Greenwald

Thursday 12 May 2016 at 00:01

Source : The Intercept_, le 18/04/2016

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Glenn Greenwald, Andrew Fishman, David Miranda

Le 18 avril 2016

La Chambre basse du Congrès brésilien a voté la destitution de la présidente du pays, Dilma Roussef, envoyant la procédure devant le Sénat. Dans un acte non intentionnel mais cependant riche de symbolisme, le membre de la Chambre qui a fait passer la destitution au-delà du seuil des 342 voix était le député Bruno Araujo, lui-même impliqué par un document indiquant qu’il aurait reçu des fonds du géant de la construction au cœur du scandale de corruption nationale. Encore plus significatif, Araujo appartient au parti de centre-droit, le PSDB, dont les candidats ont perdu quatre élections nationales d’affilée contre le parti de la gauche modérée de Rousseff, le PT, leur dernière défaite électorale étant survenue il y a juste 18 mois, lorsque 54 millions de Brésiliens ont voté pour réélire Dilma présidente.

Ces deux faits à propos d’Araujo soulignent la nature surréaliste et sans précédent des procédures d’hier à Brasilia, capitale du cinquième plus grand pays au monde. Les politiciens et les partis qui ont passé deux décennies à tenter en vain de battre le PT lors d’élections démocratiques se dirigent triomphalement vers le renversement du vote de 2014 en destituant Dilma sur des fondements, comme l’a clairement montré le reportage du New York Times d’aujourd’hui, qui sont, au mieux, douteux à l’extrême. Même The Economist, qui méprise de longue date le PT et ses programmes contre la pauvreté et veut la démission de Dilma, a argumenté “qu’en l’absence de preuve d’un crime, la destitution est injustifiée” et que cela “ressemble à un prétexte pour renverser une présidente impopulaire.”

Les procédures de dimanche, conduites au nom du combat contre la corruption, ont été présidées par l’un des politiciens les plus ouvertement corrompus du monde démocratique, le président de la Chambre Edouardo Cunha (au-dessus, au centre), dont on a récemment découvert qu’il avait planqué des millions de dollars sur des comptes à la Swiss Bank, qui ne peuvent avoir des sources autres que la corruption, et qui a menti sous serment en niant auprès des enquêteurs du Congrès avoir des comptes à l’étranger. Sur les 594 membres du Congrès, comme le Globe et le Mail l’ont rapporté hier, “318 font l’objet d’enquête ou encourent des poursuites” alors que leur cible, la présidente Rousseff, “ne fait face, elle, à aucune allégation d’irrégularité financière.”

Un par un, les députés corrompus se sont avancés jusqu’au micro s’adressant à Cunha pour voter “oui” à la destitution en proférant être horrifiés par la corruption. En préambule à leur vote, ils ont cité un vertigineux éventail de motifs bizarres, allant “des fondements du christianisme”, en passant par “ne pas être aussi rouge que le Venezuela ou la Corée du Nord”, à “la nation évangélique” et “la paix de Jérusalem”. Jonathan Watts du Guardian a retranscrit une partie de cette farce :

Oui, a voté Paulo Maluf, qui est sur la liste rouge d’Interpol pour conspiration. Oui, a voté Nilton Capixaba, qui est accusé de blanchiment d’argent. “Pour l’amour de dieu, oui !” a déclaré Silas Camara, qui est sous le coup d’une enquête pour avoir falsifié des documents et détourné des fonds publics.

Il est hautement probable que le Sénat acceptera d’entendre les charges, d’où il résultera la suspension de 180 jours de Dilma en tant que présidente et l’installation du vice-président Michel Temer, du parti PMDB, très favorable au monde des affaires. Le vice-président lui-même est, comme l’a dit le New York Times, “sous surveillance pour des allégations d’implication dans un montage d’achat illégal d’éthanol.” Temer a récemment fait savoir qu’un des candidats favoris pour diriger l’équipe économique serait le P-DG de Goldman Sachs au Brésil, Paulo Leme.

Si, après le procès, deux tiers des votes du Sénat sont en faveur de la condamnation, Dilma sera démise de ses fonctions de manière permanente. Beaucoup suspectent que l’objectif principal de la destitution de Dilma est de fournir au public un sentiment cathartique que la corruption a été vaincue, tout cela pour exploiter le contrôle retrouvé par Temer pour empêcher d’autres enquêtes sur les dizaines et dizaines de politiciens réellement corrompus qui peuplent les partis les plus importants.

Les États-Unis ont été remarquablement silencieux au sujet de cette tourmente dans le deuxième plus grand pays de l’hémisphère, et cette posture a à peine été discutée par les médias grand public. Il n’est pas difficile de voir pourquoi. Les États-Unis ont passé des années à démentir avec véhémence qu’ils avaient joué un quelconque rôle dans le coup d’État militaire de 1964 qui avait renversé le gouvernement de gauche élu, un coup dont il avait résulté 20 ans d’une dictature de droite, brutale et pro-américaine. Mais les documents secrets et les enregistrements qui ont émergé ont prouvé que les États-Unis avaient activement aidé à manigancer ce coup d’État, et le rapport de la Commission vérité de 2014 au Brésil a apporté la preuve que les États-Unis et le Royaume-Uni ont agressivement soutenu la dictature et même “entraîné des interrogateurs à des techniques de torture.”

Jair Bolsonaro, un politicien brésilien de droite pro-destitution qui devrait être candidat à la présidence. Photo: Fernando Bizerra/EPA/Newscom

Jair Bolsonaro, un politicien brésilien de droite pro-destitution qui devrait être candidat à la présidence. Photo: Fernando Bizerra/EPA/Newscom

Ce coup d’État soutenu par les États-Unis et la dictature militaire dépasse la simple controverse actuelle. La présidente Rousseff et ses partisans ont explicitement qualifié cette tentative pour la renverser de coup d’État. Un important député de droite pro-destitution qui attend pour mener campagne et devenir président, Jair Bolsonaro (dont The intercept a dressé le portrait l’année dernière), a explicitement loué hier la dictature militaire et précisément salué le colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, le tortionnaire en chef de la dictature (responsable notoire de la torture de Dilma). Le fils de Bolsonaro, Eduardo, aussi à la Chambre, affirmait qu’il votait la destitution “pour les militaires de 64” : ceux qui ont mené le coup d’État et imposé le régime militaire.

L’invocation sans fin de Dieu et de la famille par les pro-destitution hier rappelait le slogan du coup d’État de 1964 : “La marche de la famille avec Dieu pour la liberté.” Tout comme les médias détenus par les oligarques au pouvoir au Brésil ont soutenu le coup d’État de 1964 comme une attaque nécessaire contre la corruption de la gauche, ils se sont unis pour soutenir et impulser l’actuel mouvement de destitution contre le PT avec la même justification.

La relation de Dilma avec les États-Unis a été difficile pendant des années, significativement aggravée par ses dénonciations de l’espionnage de la NSA ciblant l’industrie brésilienne, sa population et la personnalité de la présidente, ainsi que la relation commerciale étroite du Brésil avec la Chine. Son prédécesseur, Luiz Inacio Lula da Silva, s’était aussi mis à dos beaucoup d’officiels américains, parmi d’autres choses, en se joignant à la Turquie pour négocier un accord indépendant avec l’Iran sur son programme nucléaire, alors que Washington tentait de former une pression mondiale sur Téhéran. Les initiés de Washington ont fait parfaitement comprendre qu’ils ne considéraient désormais plus le Brésil comme sûr pour le capital.

Les États-Unis, bien sûr, ont une longue – et récente – histoire d’orchestration d’instabilité et de coups d’État contre les gouvernements de gauche d’Amérique latine démocratiquement élus qui leurs déplaisent. Au-delà du coup d’État de 1964 au Brésil, les États-Unis étaient au moins un soutien à la tentative en 2002 de renversement du président vénézuélien Hugo Chavez, ont joué un rôle central dans l’éviction du président haïtien Jean-Bertrand Aristide en 2004, et Hillary Clinton, à cette époque secrétaire d’État, a apporté un soutien vital pour légitimer le coup d’État de 2009 au Honduras, simplement pour donner quelques exemples. Beaucoup au sein de la gauche brésilienne pensent que les États-Unis participent activement à l’actuelle instabilité dans leur pays dans le but de se débarrasser du parti de gauche qui a beaucoup compté sur le commerce avec la Chine, et à la place promouvoir un gouvernement plus favorable au monde des affaires et pro-américain qui ne pourrait jamais gagner une élection par lui-même.

Bien qu’aucune preuve n’ait émergée en soutien à cette théorie, un voyage aux États-Unis peu médiatisé cette semaine d’un membre clé de l’opposition brésilienne nourrira probablement ces inquiétudes. Aujourd’hui – le lendemain du vote de destitution – le sénateur Aloysio Nunes, du PSDB, sera à Washington pour trois jours de réunions avec des officiels américains mais aussi des lobbyistes et trafiquants d’influence de toutes sortes proches de Clinton et d’autres figures politiques de premier ordre.

Le sénateur Nunes rencontre le président et les membres haut placés du Comité pour les relations étrangères du Sénat, Bob Corker, sénateur républicain du Tennessee, et Ben Cardin, sénateur démocrate du Maryland ; le secrétaire d’État adjoint et ancien ambassadeur au Brésil Thomas Shannon ; et participe à un déjeuner mardi organisé par la société de lobbying de Washington, Albright Stonebridge Group, dirigée par l’ancienne secrétaire d’État de Clinton, Madeleine Albright, et l’ancien secrétaire au commerce de Bush et P-DG de la société Kellogg, Carlos Gutierrez.

L’ambassade du Brésil à Washington et le bureau du sénateur Nunes ont dit à The Intercept qu’ils n’avaient pas d’information supplémentaire sur le déjeuner de mardi. Dans un email, Albright Stonebridge Group a écrit qu’il n’y a pas “de volet média” dans cet évènement, qui est pour “la communauté des affaires et politique de Washington,” et une liste des participants et des sujets abordés ne devrait pas être rendue publique.

Le sénateur Aloysio Nunes (à gauche) avec le président de la Chambre des députés Eduardo Cunha (à droite) et le sénateur José Serra. Photo: Marcos Alves/Agencia O Globo/AP

Le sénateur Aloysio Nunes (à gauche) avec le président de la Chambre des députés Eduardo Cunha (à droite) et le sénateur José Serra. Photo: Marcos Alves/Agencia O Globo/AP

Nunes est une personnalité de l’opposition très importante – et révélatrice – à envoyer aux États-Unis pour ces réunions de haut niveau. Il a concouru à la vice-présidence en 2014 sur la liste du PSDB qui a perdu contre Dilma. Il sera, notamment, désormais une des principales figures de l’opposition menant le combat pour destituer Dilma au Sénat.

En tant que président du Comité pour les Affaires étrangères du sénat brésilien, Nunes a plaidé à de nombreuses reprises pour que le Brésil se rapproche à nouveau des États-Unis et du Royaume-Uni pour former une alliance. Et – cela va sans dire – Nunes est lourdement impliqué dans des accusations de corruption ; en septembre, un juge a ordonné une enquête criminelle après qu’un informateur, cadre dans une société de construction, a dit aux enquêteurs qu’il avait donné à Nunes 500 000 réaux (140 000 $) pour sa campagne – 300 000 réaux officiellement et 200 000 en pots de vin – afin de remporter des contrats Petrobras. Ce n’est pas la première accusation du genre contre lui.

Le voyage de Nunes à Washington était annoncé par Temer lui-même, qui agit déjà comme s’il faisait campagne au Brésil. Temer est furieux de ce qu’il perçoit comme un changement radical et hautement défavorable dans le discours international, qui a de plus en plus décrit la destitution comme une tentative antidémocratique et illégale de l’opposition, menée par Temer lui-même, pour remporter un pouvoir non mérité.

Selon Folha, celui qui se veut président a ordonné à Nunes de mener “une contre-offensive en relations publiques” pour combattre ce sentiment mondial grandissant contre la destitution, qui, selon Temer, “démoralise les institutions brésiliennes.” Montrant son inquiétude à propos des perceptions grandissantes sur la tentative de renversement de Dilma par l’opposition brésilienne, Nunes affirmait que, à Washington, “nous allons expliquer que nous ne sommes pas une république bananière.” Un représentant de Temer affirmait pour sa part que cette perception “souille l’image du Brésil sur la scène internationale.”

“C’est un voyage de relations publiques,” selon Mauricio Santoro, un professeur de sciences politiques à l’université d’État de Rio de Janeiro, dans une interview accordée à The Intercept. “Le défi le plus important auquel Aloysio doit faire face n’est pas le gouvernement américain, c’est l’opinion publique américaine. C’est là que l’opposition est en train de perdre la bataille.”

Il ne fait pas de doute que l’opinion internationale s’est retournée contre le mouvement de destitution des partis de l’opposition. Bien que seulement un mois encore les organes de presse occidentaux dépeignaient les manifestations de rue antigouvernementales en termes élogieux, ils mettent désormais systématiquement en lumière le fait que les fondements légaux pour la destitution sont, au mieux, douteux et que ses meneurs sont bien plus impliqués dans des cas de corruption que Dilma.

En particulier, Temer était dit inquiet et furieux, concernant la dénonciation de la destitution par l’Organisation des États d’Amérique, organisation soutenue par les États-Unis, dont le secrétaire général, Luis Almagro, a dit que le groupe était “inquiet de la procédure contre Dilma, qui n’avait été accusée de rien”, et parce que “parmi ceux qui poussent à la destitution se trouvent des membres du Congrès accusés et coupables de corruption.” La tête de l’Union des Nations d’Amérique du Sud, Ernesto Samper, a dit de façon similaire que la destitution “est raison sérieuse d’être inquiet au sujet de la sécurité du Brésil et de la région.”

Le voyage à Washington de cette importante figure de l’opposition impliquée dans des cas de corruption, au lendemain du vote par la Chambre de la destitution de Dilma, soulèvera, à tout le moins, des questions sur le positionnement des États-Unis face au renversement de la présidente. Cela nourrira au moins les inquiétudes de la gauche brésilienne sur le rôle des États-Unis dans l’instabilité de leur pays. Et cela met en lumière beaucoup des dynamiques non discutées et pourtant à l’œuvre dans cette destitution, y compris un désir de rapprocher le Brésil des États-Unis et de le rendre plus conciliant avec les intérêts du monde des affaires international et sur les mesures d’austérité aux dépens de l’agenda politique que les Brésiliens ont adopté durant quatre élections nationales d’affilée.

MISE À JOUR : Avant la publication, le bureau du sénateur Nunes a informé The Intercept qu’ils n’avaient pas d’information complémentaire au sujet du voyage au-delà de ce qui avait été écrit dans le communiqué de presse du 15 avril. A la suite de la publication, le bureau du sénateur Nunes a indiqué, dans un courrier du 17 avril à l’éditeur de Folha, que – contrairement à ce qui était rapporté – l’appel du vice-président Michel Temer n’était pas la raison de son voyage à Washington.

Photo ci-dessus : les députés progouvernementaux tiennent une bannière sur laquelle est écrit en portugais « Cunha ! » Derrière la table de président de la Chambre, Eduardo Cunha, assis au centre, pendant une session de vote sur la destitution de la présidente Dilma Rousseff, à Brasilia, au Brésil, le 17 avril 2016.

Source : The Intercept_, le 18/04/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/apres-le-vote-pour-destituer-la-presidente-du-bresil-les-membres-cles-de-lopposition-ont-tenu-une-reunion-a-washington-par-glenn-greenwald/


[2002] La surdité avant la tempête [New York Times]

Thursday 12 May 2016 at 00:01

Article du New York Times avec une information à mon sens fondamentale pour comprendre la non réaction du gouvernement aux alertes.

Pour ma part, je pense que c’est la principale…

Vous remplacez Irak par Russie, chez eux par chez nous, et vous voyez dans nos médias ces personnes aveugles aux vrais problèmes, obnubilées par leur délire…11

Source : The New York Times, le 10/09/2012

Par Kurt Eichenwald, le 10 septembre 2012

Cela a peut-être été le plus fameux briefing présidentiel de l’histoire.

Le 6 août 2001, le président George W. Bush a reçu un rapport secret sur des menaces d’Oussama ben Laden et de son réseau terroriste, al-Qaïda. “Le briefing présidentiel quotidien” de ce matin-là – le document top-secret préparé par les services de renseignement américains – faisait figurer le titre désormais tristement célèbre : « Ben Laden déterminé à frapper aux États-Unis”. Quelques semaines plus tard, le 11 septembre, al-Qaïda accomplissait cet objectif.

Le 10 avril 2004, la Maison-Blanche de Bush a déclassifié ce rapport quotidien – et seulement celui-là – en réponse aux pressions de la Commission sur le 11-Septembre, qui enquêtait sur les événements qui ont conduit à l’attaque. L’administration a minoré l’importance du document, en disant que, malgré le titre à couper le souffle, il n’était qu’une évaluation de l’histoire d’al-Qaïda, pas un avertissement d’une attaque imminente. Alors que certains critiques ont considéré cette affirmation absurde, une lecture attentive du mémo a montré que l’argument avait une certaine validité.

C’est-à-dire, à moins qu’il ne soit lu en parallèle avec les mémos quotidiens précédant le 6 août, ceux que l’administration Bush n’a pas voulu déclassifier. Bien que ces documents ne soient pas encore publics, j’ai lu des extraits de beaucoup d’entre eux, ainsi que d’autres dossiers récemment déclassifiés, et j’arrive à une inévitable conclusion : la réaction de l’administration à ce dont M. Bush a été informé dans les semaines précédant ce triste mémo reflète significativement une plus grande négligence que ce qui a été divulgué. En d’autres termes, le document du 6 août, considérant l’ensemble de la controverse qu’il a provoquée, est loin d’être aussi choquant que les mémos qui l’ont précédé.

Les avertissements directs à M. Bush de la possibilité d’une attaque d’al-Qaïda ont commencé au printemps 2001. Le 1er mai, la CIA a communiqué à la Maison-Blanche un rapport annonçant qu’« un groupe actuellement aux États-Unis » prévoyait une opération terroriste. Quelques semaines plus tard, le 22 juin, le briefing quotidien annonçait que les frappes d’al-Qaïda pourraient être « imminentes », bien que les renseignements aient suggéré que le délai était flexible.

Mais certains dans l’administration ont considéré la mise en garde comme exagérée. Un responsable du renseignement et un membre de l’administration Bush interviewés m’ont tous les deux dit que les dirigeants néoconservateurs qui avaient récemment pris le pouvoir au Pentagone ont averti la Maison-Blanche que la CIA avait été dupée ; selon cette théorie, Ben Laden faisait simplement semblant de planifier une attaque pour détourner l’attention de l’administration américaine de Saddam Hussein, que les néoconservateurs considéraient comme une plus grande menace. Les responsables du renseignement, c’est-à-dire ces sources, ont protesté en indiquant que l’idée de Ben Laden, un fondamentaliste islamique, conspirant avec M. Hussein, un laïc irakien, était ridicule, mais les soupçons des néoconservateurs ont néanmoins été retenus.

En réponse, la CIA a préparé une analyse montrant que tout plaidait en faveur de la reconnaissance par la Maison-Blanche de la réalité du danger présenté par Ben Laden.

Javier Jaén Benavides

Javier Jaén Benavides

« Les États-Unis ne sont pas la cible d’une campagne de désinformation par Oussama ben Laden, » ainsi était libellé le mémo quotidien du 29 juin, en utilisant la transcription gouvernementale du prénom de Ben Laden. S’étalant sur plus d’une page, le document cite une grande partie des preuves, y compris une interview de ce mois-là avec un journaliste du Moyen-Orient où les adjoints de Ben Laden ont averti d’une attaque à venir, ainsi que les pressions concurrentielles que le chef terroriste subissait, étant donné le nombre d’islamistes en cours de recrutement pour la région russe séparatiste de Tchétchénie.

Et la CIA a répété les avertissements dans les mémos qui ont suivi. Les agents secrets connectés à Ben Laden, dont un l’a rapporté le 29 juin, s’attendaient à ce que les attaques prévues à court terme aient des « conséquences dramatiques », dont de nombreuses victimes. Le 1er juillet, le mémo informait que l’opération avait été retardée, mais qu’elle “se produira bientôt.” Certains des mémos ont encore rappelé à M. Bush que le moment de l’attaque était incertain, et que, malgré tout retard perçu, l’agression planifiée était sur les rails.

Cependant, la Maison-Blanche n’a pris aucune mesure. Les responsables du Centre antiterroriste de la CIA en étaient fous de rage. Le 9 juillet, lors d’une réunion du groupe de lutte contre le terrorisme, un responsable a suggéré que le personnel soit transféré, de sorte que quelqu’un d’autre soit responsable quand l’attaque aurait lieu, m’ont déclaré deux personnes présentes ce jour-là. La suggestion a été rejetée, ont-ils ajouté, parce qu’il n’y aurait pas de temps pour former quelqu’un d’autre.

Ce même jour en Tchétchénie, selon les renseignements auxquels j’ai eu accès, Ibn al-Khattab, un extrémiste connu pour sa brutalité et ses liens avec al-Qaïda, a dit à ses disciples qu’il y aurait bientôt de très grandes nouvelles. Un responsable du renseignement m’a dit que cette information avait été relayée dans les 48 heures à la Maison-Blanche, fournissant plus de données à l’appui des avertissements de la CIA. Pourtant, l’alarme n’a toujours pas sonné.

Le 24 juillet, M. Bush a été informé que l’attaque était toujours en cours de préparation, mais qu’elle avait été reportée, peut-être de quelques mois. Mais un responsable du renseignement m’a dit que le président ne considérait pas les briefings sur d’éventuelles attaques comme suffisants, et avait demandé une analyse plus large sur al-Qaïda, ses aspirations et son histoire. En réponse, la CIA se mit au travail pour le briefing du 6 août.

Au lendemain du 11 Septembre, les responsables de l’administration Bush ont tenté de détourner les critiques du fait qu’ils avaient ignoré les avertissements de la CIA en disant qu’on ne leur avait pas dit quand et où l’attaque se produirait. C’est vrai, dans une certaine mesure, mais cela passe à côté de l’essentiel. Tout au long de cet été, des événements auraient pu révéler les plans, si le gouvernement avait été en état d’alerte. En effet, alors même que le mémo du 6 août était en cours de préparation, Mohamed al-Kahtani, un saoudien soupçonné de s’être vu confier un rôle dans les attaques du 11-Septembre, a été arrêté à l’aéroport d’Orlando, en Floride, par un agent des douanes suspicieux et renvoyé à l’étranger le 4 août. Deux semaines plus tard, un autre conspirateur, Zacarias Moussaoui, a été arrêté sur des accusations d’immigration dans le Minnesota, après avoir éveillé des soupçons dans une école de vol. Mais on n’a pas fait le lien, et Washington n’a pas réagi.

L’attaque du 11 Septembre aurait-elle pu être interrompue, l’équipe de Bush a-t-elle réagi avec l’urgence nécessaire aux avertissements contenus dans tous ces mémos quotidiens ? Nous ne le saurons jamais. Et c’est peut-être la réalité la plus insoutenable de toutes.

Source : The New York Times, le 10/09/2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-surdite-avant-la-tempete/


[Projet] 250 000 euros par migrant pour les pays de l’UE refusant d’accueillir des demandeurs d’asile…

Wednesday 11 May 2016 at 00:30

Les pays de l’UE refusant d’accueillir des demandeurs d’asile pourraient payer une amende 250 000 euros par migrant

Source : France TV, AFP, 04/05/2016

“Il faut partager le fardeau”, a martelé le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans. La Hongrie parle d’une amende “inacceptable”.

250000

Bruxelles tape du poing sur la table. La Commission européenne a proposé, mercredi, d’instaurer “une contribution de solidarité” pour tout pays refusant la répartition automatique des demandeurs d’asile dans l’UE. L’amende s’élèvera à 250 000 euros par personne. Cette somme sera versée au pays qui accueillera une personne à la place de l’Etat membre refusant les demandeurs d’asile, a expliqué l’exécutif européen, en présentant une révision du règlement de Dublin.

Aujourd’hui, ce règlement fait le plus souvent peser sur le pays de première entrée la responsabilité d’une demande d’asile. “Dublin ne fonctionne pas car les pays en première ligne sont laissés seuls avec leur problème. Cela ne fonctionne plus (…), il faut partager le fardeau”, a plaidé le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, lors d’une conférence de presse à Bruxelles.

L’Italie et la Grèce en première ligne

L’afflux migratoire massif qu’a subi l’UE, avec plus de 1,25 million de requêtes déposées en 2015 principalement par des Syriens, des Afghans ou des Irakiens fuyant la guerre et l’insécurité, ont mis en évidence les lacunes des règles actuelles, qui ne sont plus vraiment appliquées sur le terrain. Rome et Athènes, en première ligne, mais aussi l’Allemagne, l’une des destinations les plus recherchées par les migrants, en ont ouvertement dénoncé l’injustice ces derniers mois.

Le nouveau système va établir automatiquement qu’un pays fait face à un nombre disproportionné de demandes d’asile par rapport aux autres pays de l’UE, a expliqué mercredi la Commission, en présentant ce mécanisme. Ce dispositif devra néanmoins être accepté par les Etats membres et le Parlement européen. Chaque pays de l’UE se verrait ainsi attribué un quota de répartition de référence théorique (exprimé en pourcentage des demandes d’asile dans l’UE), prenant en compte sa taille et son PIB, mais aussi les efforts qu’il fait déjà pour accueillir des demandeurs d’asile depuis des pays tiers.

La Hongrie dénonce une amende “inacceptable”

Si un afflux massif de demandeurs d’asile dans un pays a pour conséquence qu’il fait face à plus de 150% de son quota de référence, le “mécanisme d’équité” serait déclenché. Cela entraînerait automatiquement des obligations d’accueil des demandeurs d’asile dans les pays qui sont, eux, en dessous de leur quota de référence.

Les premières réactions à cette annonce n’ont pas tardé chez les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), opposés depuis plusieurs mois à ce principe des quotas. Le ministre des Affaires étrangères hongrois, Peter Szijjarto, a jugé cette amende “inacceptable et non-européenne”. Son collègue polonais, Witold Waszczykowski, a déclaré qu’il “se demandait encore si cette proposition est sérieuse, car elle ressemble à un poisson d’avril”.

Source : France TV, AFP, 04/05/2016

 

Source: http://www.les-crises.fr/250-000-euros-par-migrant-pour-les-pays-de-lue-refusant-daccueillir-des-demandeurs-dasile/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Béchade, Onfray, ScienceEtonnante)

Wednesday 11 May 2016 at 00:01

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute de Delamarche : Les banques centrales se foutent de l’économie réelle !

Olivier Delamarche VS Patrice Gautry (1/2): Les signes de ralentissement de la croissance mondiale sont-ils des illusions ? – 09/05

Olivier Delamarche VS Patrice Gautry (2/2): La politique budgétaire mise en place relancera-t-elle la croissance européenne ? – 09/05

II. Philippe Béchade

La minute de Béchade : Quand un élève se rate moins que prévu, la performance reste mauvaise !

Philippe Béchade VS Jean-Jacques Friedman (1/2): Le ralentissement de l’économie américaine impactera-t-elle la politique monétaire des banques centrales ? – 04/05

Philippe Béchade VS Jean-Jacques Friedman (2/2): Les taux négatifs ont-ils permis de relancer le marché immobilier en France ? – 04/05

IV. Michel Onfray

V. ScienceEtonnante

La plus grosse erreur de l’histoire de la physique — Science étonnante #11


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-bechade-onfray-scienceetonnante/


[28 pages] 6e vidéo : La CIA balance tout sur l’équipe Bush !

Tuesday 10 May 2016 at 00:20

Suite de notre grande série sur les 28 pages – rappel :

I. La 6e Vidéo

Cette vidéo a demandé un énorme travail, et elle contient d’incroyables extraits très peu connus, pour la première fois accessibles en français…

Il est même fascinant de voir qu’à peine 15 ans après les faits, on a les types de la CIA qui déballent – sinon tout, ne soyons pas naïfs  – au moins des choses extrêmement lourdes…

Même vidéo – version alternative si souci :

II. Le script de la vidéo

Voici le script de la vidéo

« Vieille défense de l’administration Bush… » (source : YouTube)

De 31’31 à 32’16

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Georges W. Bush, peu après les attentats du 11-Septembre

« Dick Cheney, Vice-Président de George Bush durant huit ans, 15 février 2016 » (source : YouTube)

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Dick Cheney sur Fox News, le 15 février 2016

De 0’12 à 1’51

Présentateur : « Parlons de l’information du jour : nous avons un candidat à la présidence qui vous a attaqué, vous et les décisions prises par votre gouvernement ; vous avez entendu Donald Trump accuser le président Bush et son équipe de mensonge – “ils ont menti, ils ont dit qu’il y avait des armes de destruction massive, il n’y en avait pas, ils savaient qu’il y en avait pas”. Quelle est votre réponse ? »

Dick Cheney : « Pour moi, Brett, il parle comme un Démocrate de gauche. Il a tort de diffuser délibérément ces points de vue sur la question des armes de destruction massive, qui a été soigneusement étudiée par la Commission Silverman. Ils n’ont trouvé aucune preuve de ceci. Sur l’accusation que le Président n’a pas agi avant le 11/9 pour l’empêcher, nous n’avons eu aucune information concrète à propos de ça. Il n’y avait rien que nous aurions pu faire et nous n’avons eu aucune information qui suggérait qu’il y avait une menace générale.

Mais, par exemple, si vous regardez ce que nous avons fait à la suite de 11/9, nous avons en réalité gardé la nation en sécurité durant sept ans et demi. Le Président [Bush] a mis en place d’importants programmes : programme de surveillance du terrorisme [NdT : Espionnage…], des techniques d’interrogatoire renforcées [NdT : Torture…]. Toutes ces choses nous ont procuré l’information dont nous avions besoin pour agir. Et nous avons eu l’énorme soutien de l’armée américaine. Ils ont fait un travail superbe. »

De 5’00 à 5’21

Dick Cheney : « Nous avons très bien réussi en Irak, en particulier avec un pic en 2007-2008. Puis quand Barack Obama a été élu, il a retiré notre présence dans cette partie du monde et Daesh a émergé ensuite. Vous devez raconter toute l’histoire si vous voulez vous intéresser à ces événements, et, bien sûr, M. Trump ne le fait jamais. »

De 1’51 à 4’01

Dick Cheney : « Donc quand M. Trump suggère ceci, dans mon esprit, il est loin de la réalité. Il ne comprend clairement pas ou il n’a pas cherché à connaitre les faits à propos de cette période. »

Présentateur : « M. le Vice-Président, cela ne concerne pas que le débat de samedi soir, qui était clairement enflammé. Aujourd’hui, lors d’une conférence de presse, il a plusieurs fois mis en question le fait de savoir si le Président Bush et son gouvernement ont rendu le pays plus sûr ? Écoutez… »

Donald Trump : « Mais qu’est-ce que cela veut dire que [Bush] a rendu le pays sûr après le 11/9 ? Nous avons subi cette catastrophe majeure et après… Mais qu’est-ce que cela veut dire “après” ? Mais et “pendant” le 11 Septembre ? J’y étais, j’ai perdu beaucoup d’amis qui ont été tués dans les tours. La pire attaque jamais survenue dans ce pays l’a été au cours de sa présidence ! Alors nous avons eu la pire attaque de l’Histoire, mais alors, après nous avons bien agi ? C’est comme dire, bon, ok, l’équipe de foot a pris 19 buts en première mi-temps, mais après cela, nous avons bien joué. Je ne le pense pas. »

Présentateur : « C’est le principal candidat à l’investiture républicaine. »

Dick Cheney : « Ouais, c’est difficile à croire parfois, non ? Il est clair que si vous souhaitez enquêter pour tenter de trouver un moyen de blâmer quelqu’un pour ce qui est arrivé le 11/9, il faudrait en premier lieu s’occuper de l’échec du renseignement, du gouvernement précédent – je crois que Bill Clinton a même suggéré ou il a été suggéré qu’il a eu l’occasion de prendre Ben Laden avant le 11/9 ou qu’il n’a pas réussi à le faire. Dès que nous avons été frappés le 11/9 – et je connais un peu ce sujet, j’étais dans le bunker de la Maison Blanche toute la journée – je n’y ai pas vu Donald Trump, je ne l’ai jamais vu impliqué dans quoi que ce soit qui me porte à croire qu’il a une expérience de première main ou pratique à ce sujet.

Franchement, je trouve décevant qu’il se comporte de cette façon. Je n’ai soutenu aucun candidat, je n’ai aucun intérêt dans cette campagne, mais je pense qu’il se trompe en faisant campagne sur cette base. »


« En 2012, le New-York Times indiquait dans un article titré “La surdité avant la tempête” »

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« Les dirigeants néo-conservateurs qui avaient récemment pris le pouvoir au Pentagone ont averti la Maison Blanche que le C.I.A. avait été bernée ; selon cette théorie, Ben Laden faisait simplement semblant de planifier une attaque pour détourner l’attention de l’administration de Saddam Hussein, que les néo-conservateurs considéraient comme une plus grande menace. Les responsables du renseignement ont protesté que l’idée que Ben Laden, un fondamentaliste islamique, conspire avec Saddam Hussein, un laïc irakien, était ridicule, mais les soupçons des néo-conservateurs l’ont néanmoins emporté. »


« Michael Hayden, directeur de la CIA entre 2006 et 2009, 23 février 2016 » (source : YouTube)

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Michael Hayden sur MSNBC, le 23 février 2016

De 0 à 0’19

Michael Hayden : « Les renseignements avant le 11 Septembre étaient suffisamment bons pour que nous sachions que quelque chose allait arriver. George Tenet disait “Tous les voyants sont au rouge”. Nous le savions tous. Nous n’avions pas une vision suffisante pour savoir qu’ils allaient frapper ici. C’est un jeu d’hypothèses. Ils n’avaient jamais commis une telle attaque auparavant. Nous pensions seulement qu’ils s’en prendraient à des intérêts américains. »


« Press for truth » (source : YouTube)

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De 37’20 à 38’17
De 41’49 à 43’38


« Bob Kerrey, a été gouverneur puis sénateur du Nebraska de 1983 à 2001, puis membre de la Commission d’enquête sur le 11 Septembre »

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Bob Kerrey

De 45’36 à 46’16

Bob Kerrey : « Nous avons fait serment de ne pas en parler pendant la campagne [présidentielle de 2004], je pense à raison, afin que le rapport de la Commission reçoive une meilleure écoute de la part du Congrès. Maintenant, la campagne est terminée, alors ma promesse est révolue.

M. Le Président, vous saviez ce qu’ils faisaient aux États-Unis ! Vous avez été averti par la CIA. Vous saviez en juillet qu’ils étaient là. Vous avez été de nouveau informé lors du briefing d’aout qu’il s’agissait d’une menace directe. Vous n’avez pas sécurisé nos frontières ni nos aéroports. Vous n’avez pas renforcé la police, vous n’avez pas réuni les services de l’immigration, pour arrêter ça. Et vous n’avez pas prévenu le peuple américain. Mais qu’avez-vous fait ? Rien, comme on a pu le constater ! »


“Spymasters – CIA in the Crosshairs”, Showtime, 17 novembre 2015

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De 17’50 à 19’53

Présentateur : « 7 aout 1998, Khartoum, des attentats-suicides à la voiture piégée frappent les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya en Afrique orientale, tuant 224 personnes dont 2 agents de la CIA. »

George Tenet : « Après ces attaques à la bombe en Afrique, je suis rentré chez moi et j’ai écrit avec fureur le mémo appelé “Nous sommes en guerre !”

J’ai dit qu’il fallait arrêter d’utiliser des tapettes à mouches. Qu’il fallait mettre un plan d’action mondial en place, avec lequel nous pourrions commencer à montrer que nous pouvons pénétrer cet adversaire, entrer dans son sanctuaire, pénétrer ses centres opérationnels, et leur tendre des pièges ! Afin de vraiment procurer aux décideurs politiques des informations solides à partir desquelles ils pourraient prendre des décisions. »

[NB : Georges Tenet a été directeur de la CIA de 1997 à 2004]

Présentateur : « Cofer Black est un agent légendaire de la CIA, qui a échappé à une tentative d’assassinat d’al-Qaïda quand il était en poste à Khartoum. »

Georges Tenet : « La première semaine où j’ai été nommé Directeur du centre de lutte contre le terrorisme [de la CIA en 1999], on m’a collé dans une salle de conférence, et tout le monde est venu m’informer sur leur zone d’activité. Je ne suis pas facilement choqué, mais là je fus stupéfié : il y avait une vague de menaces qui arrivait sur les États-Unis. Il n’y avait aucun doute dans mon esprit : les États-Unis allaient être frappés, et frappés durement, beaucoup d’Américains allaient mourir. »

Cofer Black : « Sandy Berger, le Conseiller à la Sécurité nationale à la fin de l’administration Clinton, nous a demandé de rédiger un document très important. Nous l’appelons le Document Bleu ciel. Il nous a dit : “Je veux que vous imaginiez que vous ayez toutes les autorisations et les ressources que vous souhaitez afin de détruire al-Qaïda. Que feriez-vous ?” Pénétrer le sanctuaire afghan, lancer une opération paramilitaire, nous savions exactement quoi faire. Nous étions prêts à le faire.

Le fait important est qu’aucune action ne fut décidée, rien ne fut fait. »

De 22’07 à 22’54

Georges Tenet : « Au printemps 2001, nous avons rencontré la nouvelle administration Bush et préconisé en premier lieu une opération paramilitaire [contre al-Qaïda en Afghanistan]. La réponse a été : “Nous ne sommes pas tout à fait prêts à envisager cela, nous ne voulons pas que le compte à rebours commence à tourner.” »

Journaliste : « Qu’est-ce que cela veut dire à votre avis ? »

Georges Tenet : « Que l’administration n’était pas tout à fait prête à considérer toutes les options dans la lutte contre le terrorisme »

Cofer Black : « Je pense qu’ils étaient mentalement restés bloqués à huit ans auparavant, quand ils étaient au pouvoir. Ils pensaient qu’ils connaissaient toujours les terroristes. “Mais vous êtes un gauchiste ! Calmez-vous, buvez du champagne, la nuit dormez tranquille – ils agissent le jour…” Il était très difficile de leur communiquer l’urgence de la situation. »

De 23’18 à 26’28

Journaliste : « La crise atteint un point critique le 10 juillet 2001. Richard Blee, à la tête de l’Unité anti-Ben Laden de la CIA, fait irruption dans le bureau de Black. »

Cofer Black : « Il arrive et déclare : “Chef, ça y est, la digue a cédé !” Les informations que nous avions compilées étaient absolument irréfutables. Elles venaient de plusieurs sources. C’était en quelque sorte la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Nous avons décroché le téléphone pour appeler la secrétaire : “Il me faut voir le Directeur, j’arrive avec Richard”. Elle m’a dit « Oh, désolé, il est en réunion avec le chef d’un service de renseignement étranger.” J’ai répondu : “Nous arrivons immédiatement, foutez le type dehors, on arrive tout de suite, il faut qu’il soit prêt.”

George Tenet est un type très intelligent. Il mâchait son cigare, se dandinait sur place, et ses yeux se sont éclairés : “Mais nous avons le film là !” Ça se voyait dans ses yeux qu’il avait compris. »

Georges Tenet : « Ce n’était pas des voyants rouges. Voyants rouges et alertes, sont des images commodes pour illustrer. C’étaient des complots qui apparaissaient. L’ambassade américaine à Sanaa allait être attaquée, des écoles britanniques et américaines à Djeddah allaient être attaquées, le monde était sur le point d’entrer en éruption.

Alors, ce qui s’est passé durant cette période, en juin et juillet 2001, montrait que la menace continuait d’augmenter. Les discours publics d’al-Qaïda étaient qu’il allait bientôt y avoir huit attaques majeures, et que le monde allait être stupéfié par ce qui allait bientôt arriver. Les terroristes étaient en train de disparaitre, les camps fermaient, les rapports signalant des menaces se multipliaient, et ceci montrait qu’on arrivait au point culminant de la menace. »

Cofer Black : « Nous avons décidé [avec Tenet] que l’étape suivante était de décrocher le téléphone blanc, d’appeler la Maison-Blanche et de dire que nous venions immédiatement. »

Georges Tenet : « J’ai dit “Condi, je dois venir te voir !” Ce fut l’une des rares fois dans mes sept ans en tant que Directeur de la CIA où j’ai dit “Je dois venir vous voir !”. “Nous arrivons sur le champ !” »

Présente à la réunion du 10 juillet à la Maison-Blanche : la Conseillère à la Sécurité nationale, Condoleezza Rice, une autre responsable de haut niveau.

Georges Tenet : « Richard [Blee] a alors commencé en disant : “Il y aura d’importantes attaques terroristes contre les États-Unis dans les semaines ou les mois à venir. Les attaques seront spectaculaires. Elles pourront être multiples. Le but d’al-Qaïda est la destruction des États-Unis ! »

Cofer Black : « J’ai dit : “Écoutez, il faut maintenant mettre le pays sur le pied de guerre IMMÉDIATEMENT !” Et j’ai tapé mon poing sur la table.

Après cette réunion, Richard Blee et moi nous sommes mutuellement félicités, parce que nous pensions que nous avions enfin réussi à convaincre ces gens, vous comprenez ? Nous avions accompli notre devoir. »

Journaliste : « Et qu’est-il arrivé ? »

Georges Tenet : « Oui, qu’arriva-t-il ? Oui, qu’est-il arrivé ? »

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Journaliste : « En gros, rien ne s’est passé ? »

Cofer Black : « … Oui, c’est vrai.. »

Condoleezza Rice écrira plus tard : “Mon souvenir de cette réunion n’est pas très net, car nous discutions de menaces tous les jours.”

“En remontant les niveaux d’alerte pour le personnel américain à l’étranger”, ajouta-t-elle, “j’ai pensé que nous avions fait ce qu’il fallait faire.”

De 27’24 à 29’06

Georges Tenet : « Si vous ne mettez pas un système de défense en place, si vous ne bouclez pas vos aéroports, ne bouclez pas vos bâtiments, ne modifiez pas vos politiques de visas, n’avez pas quelques idées de ce qui se passe aux États-Unis, ne créez pas un mécanisme avec un pivot rapide entre l’étranger et le domestique, alors on va vous faire du mal. »

Cofer Black : « Vous savez ce qui m’emmerde vraiment ? C’est quand ces types appellent ça un “échec des services de renseignement”. Nous savions qu’ils arrivaient ! Vous savez, “des intérêts américains vont être attaqués. Cela pourrait bien se passer aux États-Unis. C’est grave, c’est en train de se préparer.”

Parfois, quand je conduis ma voiture, j’y repense. Cela reste pour moi toujours incompréhensible. Comment est-ce possible ? Vous alertez de hauts responsables autant de fois, et rien ne se passe en fin de compte. Mais enfin, on est dans le remake de Twilight Zone ?! [La Quatrième Dimension] Il faut vraiment se pincer pour y croire. »

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Georges Tenet : « À la fin de juillet, nous étions assis dans ma salle de réunion, en train de réfléchir à tout ceci et de tenter de comprendre quelle forme pourrait prendre cette attaque. Et jusqu’à mon dernier souffle, je n’oublierai jamais Richard Blee regarder tout le monde et nous dire “Ils sont en train d’arriver chez nous.” Et le silence qui a suivi était tel que vous auriez pu entendre une mouche voler. “Ils sont en train d’arriver chez nous.”»

tenet-arrivent

« Dick Cheney, 15 février 2016 » (source : YouTube)

De 1’08 à 1’26

Dick Cheney : « Sur l’accusation que le Président n’a pas agi avant le 11 Septembre pour l’empêcher, nous n’avons eu aucune information concrète à propos de ça. Il n’y avait rien que nous aurions pu faire et nous n’avons eu aucune information qui suggérait qu’il y avait une menace générale. »

De 40’29 à 41’32

Journaliste : « Et maintenant, l’étoile de l’agence allait pâtir de son chapitre le plus noir. Parce que la Maison-Blanche avait une autre cible : l’Irak »

Dick Cheney : « Il n’y a aucun doute sur le fait que Saddam a maintenant des armes de destruction massive. Et il a établi des relations avec al-Qaïda. Il y a des relations entre al-Qaïda et l’Irak qui durent depuis 10 ans ! Ce n’est pas une hypothèse que j’avance, c’est le Directeur de la CIA qui nous le dit ! »

Georges Tenet : « Cette connexion n’a jamais existé ! Nous sommes intervenus à de multiples reprises pour le dire, tout le monde savait quel était notre point de vue.

Je me rappelle être allé voir le Président une fois en lui disant : Ceci doit cesser ! Nous ne pouvons pas soutenir de tels propos. »

Michael Morell (Directeur de la CIA de 2011 à 2013) : « Ni la CIA ni aucune agence gouvernementale n’a jamais trouvé le moindre indice que l’Irak ait joué le moindre rôle dans le 11 Septembre. «

John E. McLaughlin (Directeur de la CIA en 2004) « Nous n’avons jamais changé notre point de vue : Saddam n’avait joué aucun rôle dans le 11 Septembre. »


On se le refait :

Dick Cheney : « [Saddam] a établi des relations avec al-Qaïda. Il y a des relations entre al-Qaïda et l’Irak qui durent depuis 10 ans ! Ce n’est pas une hypothèse que j’avance, c’est le Directeur de la CIA qui nous le dit ! »

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En guise de conclusion…

Étonnant, non ? 🙂

Je souhaite conclure sur un point important que je développerai à la fin de la série – il y aura d’autres pièces importantes à venir qui le justifieront.

Il ressort assez clairement que la CIA a averti l’équipe Bush de l’imminence d’un grave danger, et qu’elle n’a presque rien fait.

Le danger est de vouloir en conclure – et c’est tentant – qu’ils ont “laissé faire” sciemment.

Pour ma part, connaissant bien ce type de mentalité néo-conservatrice que j’ai pu voir de très près à l’oeuvre tant de fois, et après avoir pas mal creusé le sujet, je n’en crois vraiment rien. Désolé, et jussqu’à PREUVE du contraire, pas de faux drapeau ici à mon avis – ce n’est pas la règle non plus…

Non, on a simplement de beaux spécimens de gros imbéciles, catégorie internationale, en l’espèce, qui se sont aveuglés eux-mêmes, et n’ont pas cru la CIA.

Réfléchissez-y, on a presque les mêmes chez nous, et on les a vu à l’oeuvre en Syrie par exemple, aveuglés par leur russophobie comme d’autres par l’irakophobie.

Le fait qu’ils aient été américains a encore accentué le phénomène (sentiment d’indéfectibilité, de fausse protection, etc.).

Il est même amusant de constater que des gens qui sont prêts à croire qu’on à affaire à des maniaques meurtriers de leur peuple ont apparemment de grosses difficultés à croire qu’ils sont juste très cons… Ce qui est quand même beaucoup plus fréquent…

Mais je concède volontiers que le fait qu’ils n’hésitent à pas à tuer des milliers d’Arabes et mentent comme des arracheurs de dents n’aide pas… C’est subtil, je reconnais. Mais notez que les mêmes n’ont même pas été fichus d’aller planquer quelques fûts d’armes de destruction massive dans le désert irakien pour justifier après coup leur invasion de l’Irak… (pas très futés comme comploteurs, hmmm…)

Bien sûr, à partir du 12 Septembre, ils ont menti et tout fait pour que leur stupidité n’apparaisse pas, et qu’on passe vite à autre chose… (“toute ressemblance avec…”)

Bref, c’est mon avis que je partage avec vous, vous pensez bien ce que vous voulez (y’a pas écrit France Inter !), mais c’est un débat qu’on n’ouvrira pas dans les commentaires (ne vous fatiguez pas, on les supprimera dans tous les cas) – ne soyez pas frustrés, les sites où vous pourrez le faire abondent… 🙂

Source: http://www.les-crises.fr/28-pages-5e-video-la-cia-balance-tout-sur-lequipe-bush/


“Les attaques seront spectaculaires”, par Chris Whipple

Tuesday 10 May 2016 at 00:01

Source : Politico Magazine, le 12/11/2015

Un regard exclusif sur la manière dont l’administration Bush a ignoré les alertes de la CIA plusieurs mois avant le 11-Septembre, ainsi que d’autres qui s’avèrent bien plus détaillées que ce qui avait été dit.

Par CHRIS WHIPPLE, 12 novembre 2015

Getty

Getty

“Ben Laden est déterminé à frapper les États-Unis.” Le fameux extrait du débriefing présidentiel quotidien par la CIA, présenté à George W. Bush le 6 août 2001, a toujours été la principale preuve dans cette affaire que son administration a balayé d’un revers de la main les mises en garde de possibles attaques d’al-Qaïda. Mais des mois plus tôt, à partir du printemps 2001, la CIA a commencé de façon répétée et pressante à alerter la Maison-Blanche qu’une attaque était sur le point de se produire.

En mai 2001, selon Cofer Black, alors chef du centre de contre-terrorisme de la CIA, “il était évident que nous allions être frappés, nous allions être frappés durement et beaucoup d’Américains allaient mourir.” “De vrais complots apparaissaient,” me dit George Tenet, ancien supérieur de Cofer, dans sa première interview en huit ans. “Le monde était comme au bord de l’éruption. Durant cette période de juin-juillet, la menace continuait à croitre. Les terroristes disparaissaient [comme s’ils se cachaient, se préparant à une attaque]. Les camps étaient fermés. Les signalements de menace augmentaient.” La crise arriva à son paroxysme le 10 juillet. La réunion de crise qui eut lieu ce jour-là a été rapportée pour la première fois par Bob Woodward en 2006. Tenet a également écrit sur le sujet en termes généraux dans ses mémoires publiées en 2007, At the center of the storm (“Au milieu de la tempête”).

Mais ni lui ni Black n’ont parlé de cela publiquement en détails avant aujourd’hui ; ils n’avaient pas non plus été aussi catégoriques sur le caractère précis et urgent des alertes. Durant les huit derniers mois, en plus d’une centaine d’heures d’interviews, mes collaborateurs Jules et Gedeo Naudet et moi-même nous sommes entretenus avec Tenet et les onze autres anciens directeurs encore en vie de la CIA pour The Spymasters, un documentaire diffusé ce mois-ci sur Showtime.

Le drame de l’échec des mises en garde a commencé lorsque Tenet et Black ont monté un plan, au printemps 2001, appelé “the Blue Sky paper”, à l’intention de la nouvelle équipe en charge de la sécurité nationale de Bush. Il appelait à une campagne militaire ainsi qu’à une action secrète de la CIA pour mettre fin à la menace d’al-Qaïda – “en entrant dans le sanctuaire afghan, en lançant une opération paramilitaire et en créant un pont avec l’Ouzbekistan.” “Et la note nous est revenue,” dit Tenet, “c’était ‘nous ne sommes pas encore prêts à considérer cette option. Nous ne voulons pas enclencher le compte à rebours.'” (Traduction : ils ne voulaient pas d’une trace écrite montrant qu’ils avaient été alertés.) Black, un ancien agent charismatique qui a aidé les Français à arrêter le terroriste Carlos surnommé le chacal, dit que l’équipe de Bush n’avait simplement pas compris la nouvelle menace : “Je pense qu’ils étaient mentalement bloqués huit ans en arrière. Ils étaient habitués aux terroristes européens de gauche – ils boivent du champagne le soir, font exploser des choses durant la journée, comment cela pourrait-il être grave ? Et il était dès lors très difficile de faire passer le caractère d’urgence sur le sujet.”

Ce matin du 10 juillet, la personne en charge de l’unité al-Qaïda de l’agence, Richard Blee, a fait irruption dans le bureau de Black. “Et il a dit, ‘Chef, ça y est. Le ciel nous tombe sur la tête’,” raconte Black. “Les informations que nous avions rassemblées étaient absolument incontestables. Elles avaient de multiples sources. C’était la dernière goutte d’eau.” Black et son adjoint se sont précipités dans le bureau du directeur pour avertir Tenet. Tous étaient d’accord, une réunion urgente à la Maison-Blanche s’imposait. Tenet appela la conseillère à la Sécurité nationale de Bush, Condoleezza Rice. “J’ai dit, ‘Condi, il faut que je vienne te voir’,” se souvient Tenet. “C’était une de ces rares fois durant mes sept ans en tant que directeur où j’ai dit ‘Il faut que je vienne te voir. Nous venons tout de suite. Nous arrivons.'”

Tenet se souvient très bien de la réunion à la Maison-Blanche avec Rice et son équipe. (Georges W. Bush était en voyage à Boston.) “Rich [Blee] a commencé en disant, ‘Il y aura d’importantes attaques terroristes aux États-Unis dans les semaines ou les mois à venir. Les attaques seront spectaculaires. Elles seront peut-être multiples. L’objectif d’al-Qaïda est la destruction des États-Unis’.” [Condi a répondu :] ‘Que pensez-vous que nous devrions faire ?’ Black a répondu en tapant du poing sur la table et a dit ‘Nous devons nous préparer à une guerre !'”

“Que s’est-il passé ?” ai-je demandé à Cofer Black. “Ouais. Que s’est-il passé ?” répondit-il. “Pour moi, cela reste encore aujourd’hui incompréhensible. Je veux dire, comment est-ce possible de mettre en garde de hauts responsables tant de fois et que rien ne se passe réellement ? C’est un peu comme une zone grise.” De manière étonnante, Condi Rice écrit dans ses mémoires au sujet des mises en garde du 10 juillet : “Mon souvenir de la réunion n’est pas très clair car nous parlions de la menace chaque jour.” Ayant élevé le niveau d’alerte pour le personnel américain à l’étranger, elle ajoute : “Je pensais que nous avions fait ce qu’il fallait.” (Lorsque je lui demandai si elle avait une réponse à donner quant aux commentaires que Tenet, Black et d’autres m’ont faits, son chef de cabinet a dit qu’elle s’en tenait à ce qui était écrit dans ses mémoires.) Inexplicablement, bien que Tenet ait fait référence à cette réunion dans son témoignage à huis-clos devant la commission sur le 11-Septembre, cela n’avait jamais été mentionné dans le rapport final du comité.

Et survint une autre alerte effrayante. A la fin de juillet, Tenet et ses adjoints se sont réunis dans la salle de conférences du siège de la CIA. “Nous pensions à tout cela et essayions de comprendre comment ces attaques pourraient se produire,” se rappelle-t-il. “Et je n’oublierai jamais cela jusqu’à ma mort. Rich Blee a regardé tout le monde et a dit : ‘Ils viennent ici’. Et le silence qui suivit fut assourdissant. Vous pouviez sentir l’oxygène sortir de la pièce. ‘Ils viennent ici.'”

Tenet, qui est peut-être le directeur de l’agence le plus critiqué, peut à peine se contenir lorsqu’il parle des mises en garde données à la Maison-Blanche et restées lettres mortes. Il me dit avec résignation, en tournant un cigare non allumé et en gesticulant dans son fauteuil dans notre studio du centre de Washington : “Je peux juste vous dire ce que nous avons dit et ce que nous avons fait.” Et lorsque questionné sur sa propre responsabilité quant aux attaques du 11-Septembre, il est visiblement bouleversé. “Il n’y a jamais un moment depuis tout ce temps où vous vous êtes senti coupable ?” lui ai-je demandé. Il se tourne dans son fauteuil. “Eh bien, regardez, il y a… Je fixe encore le plafond la nuit en m’interrogeant sur beaucoup de choses. Et je les garderai en moi pour toujours. Mais nous sommes tous des êtres humains.”

***

Seuls douze hommes, qui ont pris les décisions de vie ou de mort qui vont de pair avec la direction de la CIA, sont encore en vie.

Une fois par an, l’actuel et les anciens directeurs de la CIA – de George H. W. Bush, 91 ans, au directeur actuel, John Brennan, 60 ans – se rencontrent dans une salle de conférences du siège de la CIA à Langley, en Virginie. La raison affichée : recevoir un briefing confidentiel sur l’état du monde. (Robert Gates, qui déteste mettre un pied au-delà du périphérique, est un éternel absent.) “Ils nous disent principalement des trucs que nous savons déjà, et nous prétendons que nous apprenons quelque chose,” affirme Tenet, le directeur le plus longtemps en poste (durant sept ans, sous les présidents Clinton et Bush II). Mais le véritable objectif de ce pèlerinage annuel est de renouer les liens forgés dans les tranchées de la guerre contre le terrorisme – et de débattre de l’objectif de l’agence dans le monde.”

Et je n’oublierai jamais cela jusqu’à ma mort. Rich Blee a regardé l’assemblée et a dit ‘Ils viennent ici.’

Sur les questions brûlantes de l’actualité, les directeurs sont profondément divisés : sur la mission de la CIA, ses brutales méthodes d’interrogatoire après le 11-Septembre, et le changement des “règles de conduite” dans la bataille contre al-Qaïda et l’Etat Islamique. Qu’est-ce qui est juste ou non dans le combat contre le terrorisme : la torture ? La détention pour une durée indéfinie ? La mise en place de “sites clandestins” pour les interrogatoires dans des pays étrangers ? La CIA devrait-elle tuer des gens avec des drones téléguidés ? La CIA était-elle réellement à blâmer pour le 11-Septembre ? Ou la Maison-Blanche n’a-t-elle pas ignoré ses mises en garde répétées ?

Sur ça et d’autres questions, les directeurs étaient étonnamment francs durant les interviews qu’ils ont faites avec moi – même en s’aventurant sur le terrain du secret-défense. (Ils étaient souvent en désaccord sur le fait que ce soit réellement classifié ; c’est compliqué, comme Hillary l’a appris.) Un bon exemple de controverse : les frappes de drones. “Il ne peut parler publiquement de ça,” proteste le général David Petraeus lorsque je lui dis qu’un de ses homologues s’était ouvert à moi au sujet des “signature strikes”. (Ce sont des attaques mortelles contre des cibles non identifiées – une sorte de profilage par drone – que plusieurs directeurs ont trouvées très inquiétantes.) Il se peut que le général Petraeus ait eu de bonnes raisons d’être réticent ; seulement une semaine avant il avait accepté de passer un accord avec le procureur pour éviter la prison – pour avoir partagé des informations classifiées avec sa maitresse, Paula Broadwell.

Voici quelques-uns des secrets que nous avons appris de la part de ces hommes étonnamment francs qui ont dirigé la plus puissante des agences de renseignement.

Même les chefs de la CIA ne peuvent se mettre d’accord au sujet de la “torture”

“Durant la période juste après le 11-Septembre, nous avons fait certaines choses de la mauvaise façon,” a déclaré Obama. “Nous avons torturé des gens. Nous avons fait des choses qui étaient contraires à nos valeurs.” Jose Rodriguez, qui a supervisé le prétendu programme d’interrogatoire renforcé (EIT), a eu une réponse fort brève : “C’est des conneries.” Tenet en convient. “Les gens jettent le mot ‘torture’ – comme si nous étions des tortionnaires,” se plaint-il. “Eh bien, je n’accepterai jamais l’usage du mot ‘torture’ pour ce qui s’est passé ici.” De la privation de sommeil au waterboarding, Tenet et son lieutenant Rodriguez insistent sur le fait que les techniques étaient toutes approuvées – par tout le monde.

Le procureur général nous a dit que ces techniques étaient légales en droit américain,” affirme Tenet, “et ne violent en aucune façon les traités sur la torture que nous avons signés.” Contrairement aux affirmations du rapport majoritaire de la SSCI (Senate Select Committee on Intelligence – commission permanente du Sénat chargée de la surveillance du monde du renseignement), Tenet insiste : “Nous avons pleinement briefé les membres du Congrès sur ce que nous faisions à chaque moment. Il n’y a pas eu la moindre désapprobation.” Et Tenet dit que George W. Bush était très impliqué, “il lisait les mémos, regardait les techniques, et décidait qu’il allait retirer deux techniques.” Tenet affirme qu’il ne se souvient plus quelles EIT le président avait rejetées (Rodriguez pense que l’une d’elles était le “simulacre d’exécution”).

Tenet et ses successeurs post 11-Septembre – Porter Goss, Michael Hayden et le directeur intérimaire Michael Morell (parfois appelés les “directeurs de guerre”) – disent que ces techniques étaient un mal nécessaire, justifié par le contexte de l’époque. C’était un article de foi au sein de la CIA que les États-Unis étaient sur le point d’être frappés par une “deuxième vague” d’attaques. Et que les “détenus de grande valeur”, à commencer par le leader d’al-Qaïda Abou Zubaydah, en savaient plus qu’ils ne le disaient. “Chaque jour,” affirme Rodriguez, “le président demandait à George Tenet, ‘que dit Abou Zubaydah à propos de la deuxième vague d’attaques et au sujet de tous les autres complots ?’ Eh bien, il ne disait rien. Nous devions essayer quelque chose de différent.” Tenet dit qu’il avait des renseignements probants qui indiquaient qu’Oussama ben Laden avait rencontré des scientifiques pakistanais spécialisés dans le nucléaire – et cherchait à obtenir les plans de la bombe. Il y avait une information crédible, ajoute-t-il, qu’une bombe nucléaire avait déjà été posée à New York. “Les gens disent, ‘ne pensez-vous aux conséquences morales et éthiques de votre décision ?'” dit Tenet. “Oui, nous y avons pensé. Nous pensions qu’empêcher les futures pertes humaines américaines et protéger une société juste était tout aussi important.”

Les techniques ont-elles permis d’obtenir des renseignements qui ont interrompu les complots ou sauvé des vies ? L’étude du SSCI a analysé 20 cas et dit qu’aucune information utile n’a été obtenue. Tenet insiste, “ils ont tort pour les 20 cas. Le rapport a complètement tort sur tous les points, c’est tout, point final.” Mais les espions, dirigeants et camarades de Tenet sont vivement – même passionnément – divisés sur ces procédés. “Notre Constitution interdit un traitement ‘anormal et cruel’ et, s’il est cruel, nous ne devrions pas l’utiliser,” dit William Webster, 91 ans, considéré par ses camarades espions comme la voix de la raison (et le seul directeur qui a aussi servi en tant que directeur du FBI). “Vous franchissez une ligne, à un moment donné, dans votre recherche d’information lorsque vous empruntez cette route. Il doit y avoir des limitations et une surveillance, elles doivent être respectées. Notre pays représente quelque chose, qu’il perd lorsque nous ne le faisons pas.” Stansfield Turner, maintenant 91 ans – qui, en tant que directeur sous Jimmy Carter, a autorisé la tentative au destin tragique de sauvetage des otages américains à Téhéran – est d’accord : “Je pense simplement qu’un pays comme le nôtre ne devrait pas se rendre coupable d’actes de torture. Je pense juste que c’est en dessous de notre dignité.”

Les directeurs qui se sont opposés à la torture ne sont pas de simples cœurs tendres. “Personne n’a eu sous sa responsabilité plus de détenus que je n’en ai eu,” affirme le général Petraeus, qui était à la tête des forces multinationales en Irak. “Nous nous défendons contre nos ennemis, mais nous ne devrions pas les maltraiter, même s’ils ont fait des choses inqualifiables à nos soldats et aux civils. Cela ne justifie pas que nous le fassions avec eux. Vous payerez le prix de vos actions, et il sera largement plus grand que ce qui vous a poussé à cette action.” Et le directeur Brennan ne voit pas quelles circonstances justifieraient que la CIA torture à nouveau : “Si un président me demandait demain de pratiquer la technique du waterboard sur un terroriste, je dirais, ‘M. le président, désolé – mais je ne pense pas que ce soit dans le meilleur intérêt de notre pays.'” Hayden est encore plus catégorique. “Si un futur président décide d’utiliser le waterboarding,” dit-il, “il ferait mieux d’apporter son propre seau, car il devra le faire lui-même.”

C’est bien la CIA qui déclenche les frappes de drone mortelles.

Officiellement c’est un sujet tabou. La CIA n’a jamais reconnu publiquement l’usage de drones mortels. Mais l’ancien directeur Leon Panetta fait un récit fascinant du dilemme éthique auquel il a été confronté lorsque la CIA avait un terroriste d’al-Qaïda de premier plan dans la ligne de mire d’un drone au-dessus du Pakistan. (Les censeurs de la CIA l’ont forcé à tronquer l’histoire dans ses mémoires publiés en 2014.) La cible était le cerveau d’al-Qaïda à l’origine d’une attaque à la bombe qui a tué sept officiers dans l’antenne de la CIA de Khost, en Afghanistan, en décembre 2009. “Nous savions qui était l’individu,” affirme Panetta. “C’est un méchant. Et il était clairement un leader qui avait été impliqué pas uniquement en ce qui concerne nos officiers, mais en tuant des membres de nos propres forces en Afghanistan.”

Le dilemme de Panetta : “Malheureusement, l’individu avait une famille, une femme et des enfants autour de lui, donc une des questions difficiles était, que devrions-nous faire ? S’il y avait des femmes et des enfants dans la zone de tir, nous n’aurions normalement pas dû tirer.” Panetta a appelé la Maison-Blanche et parlé avec Brennan, le conseiller en contre-terrorisme d’Obama. “Qu’est-ce que Leon dit que j’ai dit ?” me demande Brennan, en levant un sourcil, lorsque je lui dis pour la description en dehors des clous de Panetta (qui avait essentiellement renvoyé la balle à Brennan). Brennan a un fin sourire qui semble dire, ‘Le revoilà encore.’

Le pieux catholique Panetta, autrefois enfant de chœur, a dû prendre la décision. “La Maison-Blanche a dit : ‘Ecoute, tu dois prendre une décision’,” se rappelle-t-il. “Donc j’ai su à ce moment-là que c’était à moi de décider. J’étais celui qui allait devoir dire le ‘Je vous salue Marie’. Brusquement, j’ai pris conscience que j’étais en train de prendre en tant que directeur des décisions de vie et de mort. Ce sont des choix qui ne sont jamais faciles, et franchement ils ne devraient pas l’être. Mais j’ai senti qu’il était très important dans ma position de faire ce que je pouvais pour protéger ce pays. Donc j’ai transmis le message. J’ai dit : ‘Si vous pouvez isoler l’individu et tirer sans toucher les femmes et enfants, alors faites-le. Mais si vous n’avez pas d’autre choix et qu’il apparait qu’il pourrait s’échapper, alors tirez.’ Et cela a bien entrainé des dommages collatéraux, mais nous l’avons eu.” A la fin, Panetta dit : “Ce que vous faites doit être fondé sur ce que vos tripes vous disent être juste. Vous devez être honnête avec vous-même – et espérer qu’au bout du compte Dieu sera de votre avis.”

Brennan, l’actuel directeur, concède qu’il est souvent appelé à prendre des décisions avec de forts enjeux. “Je suis forcé chaque jour de prendre des décisions qui impliquent des risques importants, et qui peuvent parfois entrainer des morts,” dit-il. “Vous essayez de vous assurer que vous avez envisagé tous les aspects. Vous prenez en compte toutes les informations, renseignements ou données qui sont à votre disposition. Vous pesez le pour et le contre. Et vous prenez alors la meilleure décision que vous pouvez.” A quel niveau se place la barre quand vous devez déclencher une frappe de drone mortelle ? “Il y a besoin d’être proche de la certitude de ce qui est appelé ‘l’absence de collatéral’,” affirme Brennan. “Pas de non-combattants qui seraient touchés.”

Mais le “proche de la certitude” ne s’applique pas toujours. En janvier dernier, une attaque de drone sur un camp d’al-Qaïda a tué par inadvertance un Américain et un otage italien, qui s’avéraient y être détenus. Le général Hayden, le troisième directeur de Bush, avertit : “Proche de la certitude : Qu’est-ce que c’est exactement ? Parce que, regardez, le président [Obama] était très franc après les récentes attaques pour lesquelles il a parlé du ‘brouillard de guerre’. Il y a un brouillard même lorsque vous pensez être ‘proche de la certitude’ et proche de la certitude n’est jamais la certitude.”

Et qu’en est-il lorsque la frappe vise délibérément un citoyen américain à l’étranger ? Le directeur de la CIA – ou le président, en l’occurrence – devrait-il avoir la permission de tuer ? Cela a été une question controversée depuis qu’Anwar al-Awlaki, l’activiste américain djihadiste et voix d’al-Qaïda, a été tué par un drone américain au Yémen en 2011. Les groupes de surveillance ont critiqué cette pratique. Il s’est avéré qu’ils avaient un improbable allié – dans l’ancien directeur Gates. “Je n’ai pas de problème moral avec cela,” affirme Gates, “mais je pense que le précédent d’un Président américain capable de tuer un citoyen américain dans ces circonstances, sur sa simple signature, est dangereux.”

Webster est également critique. “C’était un citoyen américain et il a finalement été supprimé, mais ce n’est pas quelque chose qui devrait être laissé à l’appréciation d’une seule personne, peu importe qui est cette personne,” insiste Webster. “Nous nuisons vraiment à notre pays, portons préjudice au président et à ceux qui exercent l’autorité légitime en ne laissant l’usage de ces instruments de destruction dépendre que d’un caprice.” Gates argumente que les frappes sur des Américains devraient nécessiter l’approbation d’experts extérieurs – peut-être d’un panel de juges : “Je pense simplement que l’idée d’une absence de points de vue externes au-delà de ceux des personnes nommées par le Président, et qui en quelque sorte sont ses sbires, capables d’évaluer si le président devrait ou non tuer un citoyen américain sans une procédure judiciaire, devrait être mise en question.”

Quoique les frappes de drones soient arrivées bien après la période où il était directeur (1976-1977), George H. W. Bush affirme qu’il peut s’accommoder de cette pratique : “S’il y a des méchants et qu’ils nous nuisent, je n’ai pas de problème avec ça.” Mais certains de ses pairs se demandent si la Maison-Blanche est satisfaite d’avoir à prendre la décision d’utiliser des armes hors du commun. “Lorsque vous pouvez fixer une cible sans cligner pendant des heures, si ce n’est des jours,” affirme le général Hayden, “et ensuite utiliser une arme avec une ogive de 7 kilos contre cette cible, avec une précision au centimètre près, cela rend en réalité la guerre plus précise.”

“C’est pour le mieux. Maintenant le point négatif : cela rend plus facile pour un décideur de prendre la décision d’y recourir.” En effet, la relative simplicité de la guerre par drones s’est révélée irrésistible à l’actuelle Maison-Blanche. Sous Barack Obama, les frappes de drones ont spectaculairement augmenté.

“Non M. Deutch, l’assassinat n’est pas interdit.”

Dans une guerre contre al-Qaïda et l’Etat islamique, quelles méthodes sont acceptables ? L’assassinat est-il équitable ? Porter Goss, qui a démissionné par énervement contre le deuxième directeur de George W. Bush, attend toujours une réponse : “Nous savons quelles sont les règles de conduite. Avons-nous affaire à des combattants ennemis ? Avons-nous affaire à des criminels ? Est-ce que la règle est de tirer en premier ? Ne tirons-nous que lorsque nous nous sommes fait tirer dessus ? Pouvons-nous poser des questions ? Devons-nous “mirandiser” les gens [les droits Miranda se manifestent par la prononciation d’un avertissement lors de l’arrestation d’un individu, NdT] ?

« Je me souviens que j’étais assis dans la salle de gestion des crises lors du premier mandat de Clinton, » l’ancien directeur de la CIA John Deutch réfléchit, « et, en discutant d’une question particulièrement sensible, j’avais dit : ‘Mais, bien sûr, nous ne pouvons pas envisager un assassinat parce qu’un décret présidentiel l’interdit.’ Et un des avocats du ministère de la Justice a dit : ‘Non, M. Deutch, on n’interdit que l’assassinat politique. Assassiner pour d’autres motifs n’est pas interdit.’ »

Quelle est donc la réponse ? L’assassinat, nettement interdit par le décret présidentiel 12333 du Président Gerald Ford, est-il toujours interdit ? Eh bien, oui et non. En 2008, après une chasse à l’homme de presque trente ans, un dirigeant historique du Hezbollah, qui avait orchestré d’innombrables attaques contre les États-Unis et Israël, a été tué par une opération secrète audacieuse à Damas, en Syrie. Une énorme charge explosive mortelle, placée dans un 4×4 garé, a été déclenchée par télécommande et l’a fait voler en mille morceaux. L’opération, censée être une mission commune de la CIA et du Mossad, est si sensible qu’à ce jour aucun des directeurs n’en a rien dit publiquement. Sauf, en insistant, l’actuel patron John Brennan. Je lui demande : « Y a-t-il quoi que ce soit que vous puissiez nous dire sur ce qui est arrivé à Imad Mughniyah ? » Brennan, qui, même dans ses moments de plus grande décontraction, a l’air lugubre d’un entrepreneur de pompes funèbres, marque un temps. Puis répond, « Il est mort rapidement. »

Quelle est la mission de la CIA ? Est-ce une agence d’espionnage ? Ou une armée secrète ? « Parfois je pense que nous entrons dans un délire – en croyant que l’assassinat est la seule réponse à un problème, » dit Tenet. « Et la vérité c’est que c’est faux. Ce n’est pas pour cela que nous avons été créés. » Quand Petraeus est devenu directeur de la CIA, son prédécesseur, Hayden, l’a pris à part. Jamais auparavant, avertit Hayden, l’agence ne s’était à ce point consacrée à des opérations militaires secrètes au détriment de la collecte de renseignements. « Beaucoup de ce qu’on appelle à présent l’analyse, dans la communauté américaine du renseignement, est en fait du ciblage, » dit Hayden. « Franchement, cela a été au détriment d’une vision plus large, plus globale. Nous sommes plus en sécurité grâce à cela, mais il y a un prix à payer. Certaines des choses que nous faisons pour nous sauvegarder pour le combat rapproché – par exemple, des meurtres ciblés – peuvent rendre plus difficile la résolution du combat de fond, le combat idéologique. Nous fournissons aux vidéos de recrutement des djihadistes l’argument que les Américains sont des tueurs impitoyables. »

Alors, qui a gagné ? La CIA, ou l’Islam radical ? “En prenant du recul,” dit Morell, qui a assuré à deux reprises l’intérim de la direction, “c’est une grande victoire pour nous, et une grande victoire pour eux. Notre victoire, ça a été la dégradation, la décimation et la presque défaite du cœur de cet al-Qaïda qui a amené la tragédie sur nos rives le 11-Septembre. La leur, ça a été de répandre leur idéologie sur une énorme zone géographique. Là où on n’a pas bien travaillé, c’est qu’on n’a pas empêché l’émergence de nouveaux terroristes. Tant qu’on n’a pas réussi là-dessus, la guerre va continuer.”

“On ne pourra pas s’en sortir en tuant,” dit Tenet. “Ce n’est pas viable. Le message à l’Islam lui-même, c’est qu’ils doivent créer des sociétés civiles prospères, qui fonctionnent, qui ouvrent des opportunités par l’éducation. Mais ils devront le faire eux-mêmes.” Panetta convient qu’il faut s’attaquer au terrorisme par la racine : “On doit prendre en compte ce qui produit cette frustration et cette colère. C’est presque Mission Impossible parce que, Nom de Dieu, on en est encore à se demander comment les Baltimore et les Détroit du monde entier peuvent se produire [En 2013, Détroit, l’ex site de l’industrie automobile US, a été la première grande ville américaine à demander une mise en faillite, Baltimore a un fort taux de criminalité et a subi un important déclin industriel et démographique, NdT] ; et comment c’est possible que des gens dans ce pays soient séduits par les gangs.” En attendant de comprendre ces phénomènes, conclut Panetta, “nous allons peut-être avoir à utiliser ce type d’armes, mais en fin de compte, je vais vous dire une chose : si on n’y arrive pas et que, à Dieu ne plaise, ce pays subit un autre 11-Septembre, vous savez qu’on va immédiatement nous demander : “Mais pourquoi avez-vous laissé ça arriver ? Mais pourquoi avez-vous laissé ça arriver ?”

Source : Politico Magazine, le 12/11/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-attaques-seront-spectaculaires-par-chris-whipple/


[28 pages] 5e vidéo : Les politiques après l’émission “60 Minutes”

Monday 9 May 2016 at 00:50

Suite de notre grande série sur les 28 pages – rappel :

Évidemment, les politiques ne sont pas restés sans réaction après les révélations… Florilège :

I. La 5e Vidéo

Même vidéo – version alternative si souci :

II. Le script de la vidéo

Voici le script de la vidéo

Donald Trump, 19 avril 2016

Vous pouvez voir l’intégralité de la vidéo ici

De 5’32 à 6’22

Présentateur : [Pensez-vous] qu’il est temps pour le public de pouvoir lire ces 28 pages ?

Donald Trump : « Oui, je le crois. Je pense que nous aurions dû pouvoir les lire depuis longtemps. Et vous savez, je pense que je sais ce qu’on va y lire. Cela va donner une profonde connaissance de l’Arabie Saoudite, du rôle de l’Arabie Saoudite dans l’attaque du World Trade Center. Ce sont des choses très graves. Je l’ai dit depuis très longtemps – nous avons attaqué l’Irak et franchement, en attaquant l’Irak, ils n’ont pas attaqué ceux qui ont détruit le World Trade Center. Je dis cela depuis très longtemps. Voyons ce que disent ces documents. Je pense qu’ils auraient dû être déclassifiés il y a longtemps. Je pense qu’ils vont enfin l’être, au moins dans une certaine mesure. Vous savez, il est assez agréable de connaitre qui sont vos amis et qui sont vos ennemis. Mais vous allez voir des choses révélatrices dans ces documents, et je me réjouis de les lire. »

Bernie Sanders, 18 avril 2016

Vous pouvez voir l’intégralité de la vidéo ici.

De 7’11 à 7’30

Bernie Sanders : « Les 28 pages sont une information classifiée sur le 11 Septembre »

Présentateur : « Les avez-vous lues ? »

Bernie Sanders : « Non, je ne l’ai pas fait

Ce que j’en pense est que certaines spéculations semblent indiquer que certains membres de la famille royale saoudienne pourraient avoir financé certains terroristes.

Mais parlons de l’Arabie Saoudite. C’est une des familles les plus riches du monde, c’est une famille qui répand cette idéologie extrémiste qu’est le wahhabisme, qui est une forme extrémiste de l’islam. Ils ont financé des écoles sur toute la planète pour l’enseigner. J’ai de réelles inquiétudes à propos de ça. Donc faire sortir la vérité sur le rôle qu’aurait pu jouer l’Arabie Saoudite est une bonne chose. »

Présentateur : « Le Président peut publier ces pages ? »

Bernie Sanders : « Oui, il le peut, et il est en train d’étudier la question. Je pense qu’elles devraient être publiées. »

« Hillary Clinton, Sénatrice de New-York, 18 avril 2016 »

Vous pouvez voir l’intégralité de la vidéo ici.

De 0’17 à 0’25

Présentateur : « Demandez-vous la publication des 28 pages ? «

Hillary Clinton : « Je ne sais pas »

Seconde vidéo source ici.

De 2’58 à 3’03

Présentateur : « Les avez-vous lues ? »

Hillary Clinton : « Je ne commente pas »

monicaalba_clinton

Source originale : https://twitter.com/albamonica/status/722106959558631424

On rappellera aussi ce fait pour que l’information soit complète (sans rien affirmer – source) :

clinton_financement_saoudien

 « L’Arabie Saoudite a versé à la fondation Clinton entre 10 et 25 millions de dollars… »

Source: http://www.les-crises.fr/5e-video-les-politiques-apres-lemission-60-minutes/


Procédure d’exception sans état d’urgence, par Jean-Claude Paye

Monday 9 May 2016 at 00:01

Source : Le Grand Soir, Jean-Claude Paye, 28-03-2016

arton30136-f55a9A une large majorité et quasiment sans débat, l’Assemblée nationale vient d’adopter ce 9 mars, le nouveau projet de loi de réforme pénale « renforçant la lutte contre le terrorisme et le crime organisé [1] ». Ce texte doit encore passer au Sénat et, étant en procédure accélérée, il ne doit faire l’objet que d’une seule lecture par Chambre.

Le projet fait entrer dans le droit commun, des dispositions considérées comme relevant d’un droit d’exception. Ainsi, dans le texte transmis pour avis au Conseil d’Etat, le gouvernement confirme sa volonté de « renforcer de façon pérenne les outils et moyens mis à disposition des autorités administratives et judiciaires, en dehors du cadre juridique temporaire, mis en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence ». [2]

Un état d’urgence sans état d’urgence.

Bien que les deux textes soient en étroite relation, ce projet de loi ne doit pas être confondu avec la loi du 20 novembre 2015 qui prolonge l’état d’urgence pour une nouvelle période de trois mois, tout en renforçant les restrictions aux libertés privées et publiques, contenues dans la loi de 1955 [3], la nouvelle loi ne s’attaquant plus seulement à des actes, mais également à des intentions. Bien que les dispositions d’exception aient été, de nouveau, prolongées, le gouvernement n’a pas renoncé à réformer la procédure pénale. Il s’agit d’y inscrire des mesures liberticides autorisées par l’état d’urgence, sans que celui-ci soit déclaré. Ce dernier a pour objet de s’affranchir du principe de séparation des pouvoirs, de liquider le pouvoir judiciaire et de concentrer l’ensemble des prérogatives aux mains de l’exécutif et de la police. Le projet de réforme de la procédure pénale s’inscrit également dans cet objectif.

Le texte donne un débouché pénal aux dispositifs légaux d’espionnage des ressortissants français. Comme l’exprime l’exposé des motifs du projet de loi, « l’arsenal de prévention », mis en place par la loi relative au renseignement, [4] « doit être complété par un volet judiciaire ».  [5] Grâce à celui-ci, les renseignements obtenus par les fausses antennes Imsi-catchers, par la surveillance vidéo, la captation d’image et la sonorisation d’un domicile pourront servir de base à des poursuites pénales.

Renforcement formel du procureur .

Le projet de loi renforce les prérogatives du procureur, un magistrat dépendant du pouvoir exécutif. Il s’inscrit ainsi dans une constante de l’action des gouvernements, toutes majorités confondues, celle de réduire le rôle du juge d’instruction, une fonction jugée trop indépendante par rapport à l’exécutif. Il s’agit de le déposséder de l’exclusivité de certains de ses pouvoirs, tel le contrôle des procédures d’enquêtes intrusives, afin de le confier également au procureur de la République.

Dans le texte voté par l’Assemblée nationale, le procureur devient aussi un « directeur d’enquête ». Il conduit les « enquêtes préliminaires », dans le cadre desquelles il a la faculté de renvoyer le suspect devant un tribunal. Ensuite, il porte l’accusation dans un procès qu’il a initié. Au four et au moulin, il lui reviendra également de vérifier si les « enquêtes effectuées par la police judiciaire sont bien menées à charge et à décharge ».

Dans les enquêtes placées sous la direction du procureur, l’accès au dossier est reporté à la fin des investigations. Ainsi, la personne incriminée, au moment de sa mise en cause, n’a pas les moyens de contester la légalité ou la nécessité d’une technique d’enquête. Au contraire de la procédure liée au juge d’instruction, l’accès au dossier reste non systématique. Afin de « donner de nouveaux droits » au suspect et surtout de pérenniser l’emprise du procureur sur la procédure pénale, le projet de loi introduit une réforme permettant au justiciable d’intervenir dans le processus d’enquête. Ce qui semble aller dans le bon sens se révèle en fait être une perversion du système judiciaire et des droits de la défense.

Une perversion du système pénal.

Ainsi, le projet de loi introduit une modification majeure du système pénal, le passage d’une procédure inquisitoire, centrée autour du juge d’instruction, à un système qui se rapproche de la démarche accusatoire en vogue dans les pays Anglo-saxons. Le texte prévoit d’introduire, dès le stade de l’enquête préliminaire, d’investigations de plus d’un an, un débat contradictoire avec les suspects et leurs avocats [6]. Ces derniers auraient la possibilité de demander au procureur des actes déterminés, tels que des auditions ou des expertises. L’introduction de ces nouvelles procédures fait que, comme aux Etats-Unis, seules les personnes fortunées seront en mesure de se défendre. D’ailleurs, pour les autres, le projet de loi a déjà prévu de simplifier les modalités de passage devant le juge des libertés et de la détention, afin de pouvoir les juger encore plus rapidement dans le cadre de la comparution immédiate.

Aujourd’hui, le procureur, en l’absence de tout comportement suspect et d’infraction, a la faculté d’autoriser préventivement le contrôle d’identité et la fouille de véhicules se trouvant dans un lieu précis et pour une période déterminée. Le projet de loi étend cette procédure à la fouille des bagages, alors que actuellement, celle-ci ne peut être autorisée que dans le cadre d’une perquisition. Rappelons que ces inspections ne visent pas nécessairement des personnes suspectes, mais aussi celles qui se trouvent dans un lieu déterminé. L’extension prévue par le projet augmente surtout le pouvoir des forces de l’ordre. Les fouilles auront lieu, non pas parce que les policiers ont l’indice d’un délit, mais simplement parce qu’ils ont le droit de les faire au prétexte qu’ils sont là pour éviter ou rechercher des infractions.

Éviction du juge d’instruction.

Le procureur de la République dispose ainsi de plus en plus des prérogatives jusqu’à présent réservées au juge d’instruction. Celui-ci est de nouveau écarté par le projet de loi, alors que, en France, il est déjà cantonné dans une petite fraction des affaires.

Le juge d’instruction est inamovible : il ne peut pas être déplacé par le ministre de la Justice et ne peut se voir retirer un dossier par sa hiérarchie. En ce qui concerne sa nomination, l’avis du Conseil supérieur de la magistrature s’impose, ce qui garantit également son autonomie. Ce magistrat, dont l’indépendance est statutaire, se voit enlever la spécificité de son action : décider du renvoi du prévenu devant un tribunal et enquêter à charge et à décharge et cela au profit du procureur et de la police judiciaire qui, rappelons le, dépend non du ministère de la Justice, mais bien de l’Intérieur, indiquant bien, par là, la primauté de sa fonction de maintient de l’ordre.

La surveillance vidéo, la captation d’image et la sonorisation d’un lieu ou d’un domicile étaient aussi, jusqu’ici, réservées aux informations judiciaires confiées à un juge d’instruction. Elles pourront désormais être décidées dès l’enquête préliminaire, après une simple autorisation du juge des libertés et de la détention.

Remarquons que l’augmentation des pouvoirs du procureur se fait sans une modification du statut du parquet, lui accordant un minimum d’autonomie vis à vis de l’exécutif. Même la réforme, prévue précédemment par François Hollande, garantissant que le gouvernement nomme les procureurs, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, n’est pas réalisée [7].

Une police incontrôlable.

Dans les faits, le renforcement de la fonction du procureur n’existe que par rapport à celle du juge d’instruction. En ce qui concerne la police judiciaire, le contrôle de ce magistrat reste purement formel. En Belgique, devant la commission parlementaire relative à la mise en place, en 1999, de la police unique, dite « structurée à deux niveaux [8] », les procureurs ont déjà fait savoir que, une fois l’autorisation de l’enquête donnée, ils n’avaient plus le contrôle effectif de son déroulement. Cette réalité est encore plus criante en France. Le Parquet est particulièrement débordé, puisque, peu nombreux, les procureurs ont un pouvoir de quasi-juridiction et traitent la grande majorité des dossiers judiciaires. Les nouvelles prérogatives que lui donnent ce projet de loi ne pourront qu’accentuer leur surcroît de travail et rendre impossible toute surveillance du travail de la police. Cette dernière est en fait la grande gagnante de ces réformes, confirmant ainsi son rôle central dans l’exercice actuel du pouvoir d’Etat.

Une police toute puissante.

L’accroissement des pouvoirs de la police est confirmé par l’extension du cadre de la légitime défense pour les forces de l’ordre. Les policiers seront reconnus pénalement « irresponsables » s’ils font feu, en cas « d’absolue nécessité », sur « une personne ayant tué ou tenté de tuer et sur le point de recommencer ». Quant on sait qu’il existe déjà une jurisprudence leur reconnaissant la légitime défense pour avoir abattu dans dos une personne en fuite [9], on comprend que l’objet de cet article est moins de protéger les policiers de poursuites pénales que de signifier aux citoyens qu’ils peuvent être traités comme des ennemis. Un exemple extrême illustre bien cette perspective. La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, dans une affaire où la justice avait prononcé une ordonnance de non lieu vis à vis d’un gendarme qui avait abattu de dos une personne menottée s’enfuyant d’une garde à vue. [10]

Les forces de l’ordre pourront aussi retenir une personne, même mineure, et hors la présence d’un avocat, même si celle-ci a une pièce d’identité et cela à la condition floue et hypothétique, qu’il y ait « des raisons sérieuses » de penser qu’elle a un « lien » avec une activité terroriste.

Une précédente mouture du projet allait encore plus loin, en créant un délit « d’obstruction à la perquisition ». Si cet article a été abandonné, il montre bien la volonté du gouvernement de criminaliser toute résistance à l’arbitraire de la police. Cette disposition devait faire taire les protestations, suite aux exactions lors de la vague de perquisitions autorisées par l’état d’urgence. En outre, cette ancienne version du texte indiquait que les policiers pourraient saisir tout objet ou document, sans en référer au procureur [11]. Ainsi, la police aurait été libérée du dernier élément du contrôle judiciaire, celui du procureur, d’un magistrat pourtant directement soumis au pouvoir exécutif.

Le juge des libertés et de la détention : un alibi.

Le pouvoir exécutif ne peut contrôler le travail de la police grâce au procureur. Le pouvoir judiciaire en est totalement incapable à travers l’autre figure, valorisée par le projet de loi, celle du juge des libertés et de la détention. C’est pourtant sur lui que repose la plupart des autorisations de mise en oeuvre des dispositions de la loi. Le contrôle de la légalité et de la proportionnalité des mesures ne peut qu’être formelle, car ce juge ne connaît pas le fond du dossier. Il n’a accès à celui-ci qu’au moment où il lui est remis et quand il doit prendre sa décision. Une fois l’autorisation accordée, il ne dispose d’aucun moyen lui permettant de contrôler l’action du procureur et de la police.

Statutairement, le juge de la liberté et de la détention est fragilisé. Il ne présente pas le degré d’indépendance d’un juge d’instruction, puisqu’il n’est pas nommé par décret, mais par le président de juridiction qui peut, du jour au lendemain, le décharger de ses fonction, si par exemple il refuse d’autoriser des écoutes. [12]

En matière de terrorisme et avec l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, les perquisitions de nuit seront autorisées dans les habitations et cela dès l’enquête préliminaire. Cette procédure se substitue à l’autorisation donnée par le juge d’instruction dans la phase de l’enquête proprement dite. (Dans le cadre de l’état d’urgence, elles peuvent être ordonnées par le Préfet). Désormais, les perquisitions pourront aussi avoir lieu de manière préventive, sur base de l’éventualité d’un danger, lorsqu’il s’agira « de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique » [13].

Les perquisitions de nuit dans les habitations sont banalisées. Le texte parle « d’un risque d’atteinte », sans le qualifier ni d’actuel, ni d’imminent. Il porte sur des situations très nombreuses, sur les atteintes à la vie, mais aussi à l’intégrité physique. De vagues suspicions pourront conduire à ces intrusions domiciliaires. Celles-ci deviendront généralisées, si la limitation aux seules infractions terroristes n’est que temporaire.

Perquisition informatique sans garantie judiciaire.

Le texte prévoit aussi l’élargissement des possibilités de surveillance dans les lieux publics et le recours aux IMSI-catchers, ces fausses antenne-relais qui espionnent les téléphones et les ordinateurs à l’insu de leur utilisateur. Elles captent aussi tous les portables situés dans leur rayon d’action. Il s’agit d’un dispositif massif et indifférencié de capture des données. Son usage ne sera pas limité aux seules enquêtes antiterroristes et sera renouvelable, de mois en mois, pour des périodes très larges, ouvrant la voie à une captation massive d’informations sur les ressortissants français. Il sera autorisé par le juge de la liberté et de la détention ou, « en urgence », par le procureur de la République, sachant que c’est généralement la police elle-même qui nomme le caractère urgent de la situation.

Jusqu’à présent, les IMSI-catchers pouvaient seulement être autorisées dans le cadre d’informations judiciaires, mais ont été peu utilisées par les juges d’instruction, vu le flou juridique du dispositif. La loi sur le Renseignement a légalisé leur utilisation par les services secrets.

L’article 3 du projet de loi relative à la procédure pénale prévoit aussi d’étendre la captation des données informatiques aux données archivées. Pourront être aspirées, l’ensemble des données contenues dans les appareils informatiques. Ce dispositif ne s’apparente plus à des écoutes ciblées, visant les conversations en cours et à venir, mais à une perquisition pouvant s’étendre à des données très anciennes. Cette dernière procédure présente normalement quelques garanties, telle que la présence de la personne suspectée ou celle de deux témoins, ainsi que la réalisation d’une copie sécurisée qui limite le risque de modification ou d’intervention extérieure sur les informations recueillies. Ce n’est évidemment pas le cas en ce qui concerne la captation de données. [14]

Le Préfet : un agent de l’état d’exception permanent.

Comme dans l’état d’urgence, le préfet voit son action renforcée. Le projet de réforme relatif à la procédure pénale est en étroite correspondance avec la loi du 20 novembre 2015 prolongeant l’état d’urgence qui criminalise des intentions, en lieu et place d’actes concrets. L’intentionnalité terroriste attribuée aux personnes, revenant de Syrie, est aussi au centre du dispositif de ’surveillance » autorisé par le préfet.

Aujourd’hui, les « retours de Syrie », sont judiciarisés. Les suspects sont mis en examen, écroués ou placés sous contrôle judiciaire. Désormais, les préfets pourront, pendant un mois, les assigner à résidence et leur demander, pendant trois mois, les codes de leurs téléphones et ordinateurs, les obliger à signaler leurs déplacements et leur interdire de parler à certaines personnes. Ces dispositions présentent bien les attributs d’une procédure judiciaire, mais il s’agit d’un pur acte administratif, un contrôle sans juge. Elle laisse toute la place à l’arbitraire et ne donne, à la personne suspectée, aucune possibilité de confronter les allégations portées contre elle. C’est l’intention attribuée à la personne qui est attaquée, sans que celle-ci puisse se défendre. Ainsi, comme dans l’état d’urgence, le ministre de l’intérieur, par l’intermédiaire du préfet, se substitue au juge d’instruction. Ce projet de loi lui donne un pouvoir de privation de liberté, en dehors de toute infraction pénale.

La criminalisation des « retours de Syrie’ s’inscrit dans une procédure de double discours du pouvoir. L’ancien ministre Laurent Fabius avait publiquement déclaré, en août 2012, que ’Bachar el-Assad ne mériterait pas d’être sur terre’. Il a remis le couvert devant les médias en décembre 2012, en affirmant, sans être poursuivi pour « apologie du terroriste [15] », que ’le Front al-Nosra fait du bon boulot’. Cette organisation djihadiste venait d’être classée comme terroriste par les États-Unis [16]. En même temps que l’affirmation de son soutient aux groupes terroristes, le gouvernement diabolise et poursuit les personnes qui auraient pu être influencées par son discours.

Le juge administratif : un contrôle en trompe l’oeil.

Le projet de loi donne au juge administratif un pouvoir de contrôle des dispositions relatives aux « retours de Syrie’. Il lui « appartient de contrôler l’exactitude des motifs donnés par l’administration, comme étant ceux de sa décision et de prononcer l’annulation de celle-ci, lorsque le motif invoqué repose sur des faits matériellement inexacts ». Ainsi, en opposition avec le principe de séparation des pouvoirs, l’administration se contrôle elle même. De plus, la surveillance est purement formelle. Le juge administratif, au contraire du juge d’instruction et du juge de la liberté et de la détention, intervient après coup et son contrôle est aléatoire. Il n’intervient que si la personne arrêtée le saisit. Surtout, il ne dispose pas d’éléments concrets pour fonder sa décision. Il ne peut se baser que sur des documents imprécis et non sourcés : les notes blanches produites par les services de renseignement, des documents non signés, non datés et sans en-tête de service.

Sur autorisation du préfet et dans un cadre purement administratif de « prévention du terrorisme », la police pourra aussi procéder à l’inspection visuelle, à la fouille des bagages et à la visite des véhicules. Elle est ainsi libérée de l’autorisation préalable du procureur, s’il s’agit d’installations ou d’établissements déclarés « sensibles » par le préfet, dans les faits nommées comme tel par la police.

Ainsi, le texte de loi consacre « l’entrée du préfet dans le code de procédure pénale ». Mais, il s’agit d’un retour, puisque, avant que la réforme de 1993 [17] ne les lui enlève, le préfet disposait déjà de pouvoirs de police judiciaire. L’ancien article 10 du code de procédure pénale lui permettait, en cas d’atteinte à la sécurité intérieure ou d’espionnage, de jouer le rôle d’officier de police judiciaire, c’est-à-dire de faire procéder à des arrestations et à des contrôles. Cette concentration récurrente de prérogatives judiciaires aux mains du préfet indique que, au pays de Montesquieu, la séparation des pouvoirs, revendiquée comme un patrimoine national, a toujours été, pour le moins, erratique.

Jean-Claude Paye

sociologue, auteur de L’emprise de l’image. De Guantanamo à Tarnac, Editions Yves Michel 2012.

Source : Le Grand Soir, Jean-Claude Paye, 28-03-2016

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Sécurité : l’inquiétante dérive vers la surveillance de masse

Source : La Tribune, Sylvain Rolland,  

L'exécutif prépare de nouvelles lois sécuritaires qui visent à étendre les prérogatives des policiers et diminuer le contrôle judiciaire. (Crédits : © Philippe Wojazer / Reuters)

L’exécutif prépare de nouvelles lois sécuritaires qui visent à étendre les prérogatives des policiers et diminuer le contrôle judiciaire. (Crédits : © Philippe Wojazer / Reuters)

En plus de la révision constitutionnelle, le gouvernement prévoit un nouveau texte de loi pour étendre grandement les prérogatives du parquet et de la police en temps ordinaire. Un pas de plus vers la surveillance généralisée sous couvert de lutte contre le terrorisme ?

Il fallait s’y attendre. Comme Manuel Valls l’avait affirmé au moment de l’adoption de l’état d’urgence par l’Assemblée nationale, l’exécutif compte “tout faire” pour renforcer la sécurité des Français. Cela devrait passer, comme prévu, par une révision constitutionnelle. Mais aussi par deux nouveaux projets de lois hyper-sécuritaires, portés du bout des lèvres par la ministre de la Justice, Christiane Taubira. En voulant assurer la protection des Français, ces deux lois pourraient porter un sacré coup de canif aux libertés individuelles dans la patrie des Droits de l’homme.

Selon le journal Le Monde, le premier texte se chargera d’organiser les modalités de “sortie en escalier” de l’état d’urgence. Traduction : prolonger certaines mesures relevant de l’état d’urgence, notamment en ce qui concerne les pouvoirs de la police et du parquet, pour revenir à la normale “en douceur”.

Le second texte visera quant à lui à élargir considérablement les pouvoirs de la police et du parquet en temps ordinaire. Dans certains cas, cela revient à doter les enquêteurs de prérogatives très proches de celles dont ils disposent pendant l’état d’urgence.

S’il est probable que certaines propositions avancées dans ce deuxième texte ne figureront pas dans le texte final, prévu au premier trimestre 2016, ou qu’elles pourraient être remodelées lors de la navette parlementaire, d’autres aussi pourraient s’ajouter en cours de route. Quoi qu’il en soit, la volonté du gouvernement est claire : faciliter grandement le travail de la police en s’embarrassant le moins possible des contraintes judiciaires… et du respect des libertés individuelles.

Des perquisitions facilitées

Quatre mesures sur les douze envisagées par le gouvernement concernent l’assouplissement des perquisitions administratives. Alors qu’elles doivent normalement débuter entre 6h et 19h, les perquisitions pourront aussi être effectuées la nuit. Un délit d’obstruction à la perquisition administrative sera créé, sans qu’on connaisse pour l’heure la sévérité des sanctions. En outre, les policiers pourront saisir tout objet ou document dans le cadre de la perquisition, sans contrôle du procureur.

Des mesures jugées “extrêmement invasives” par Agnès de Cornulier, la coordinatrice de l’analyse juridique et politique de La Quadrature du Net, une association de défense des libertés.

“Cette nouvelle loi poursuit la destruction du pouvoir judiciaire à l’œuvre depuis la loi antiterroriste de novembre 2014, la loi renseignement de juillet 2015 et les premières lois post-attentats du 13 novembre. L’institution est déshabillée au profit de la police, c’est un coup très grave porté à la séparation des pouvoirs. Donner tant de prérogatives aux forces de l’ordre, sans contrôle judiciaire, dans un contexte hors état d’urgence, ouvre grand la porte vers un Etat policier”, estime-t-elle.

Pour faciliter les enquêtes, le projet de loi prévoit également la possibilité de poser des micros dans les domiciles dans le cadre d’une enquête préliminaire. Et l’alignement des pouvoirs accordés lors d’une enquête de flagrance (lorsque le flagrant délit est établi) sur ceux en vigueur lors des enquêtes préliminaires. Concrètement, cela signifie que les enquêteurs pourront perquisitionner sans l’accord de la personne visée dès le stade de l’enquête préliminaire, alors que c’était impossible auparavant.

Recourir à tout l’éventail des techniques du renseignement

Dans son discours exceptionnel devant le Congrès réuni à Versailles, le 17 novembre, François Hollande avait annoncé la couleur. “Il faudra renforcer substantiellement les moyens de la justice et des forces de sécurité », en permettant aux services d’enquête de recourir à « tout l’éventail des techniques et renseignement qu’offrent les nouvelles technologies et dont l’utilisation est autorisée par la loi renseignement”, avait-il affirmé.

Si ces propositions ne reprennent pas l’intégralité de cet éventail, il faut noter que le projet de loi vise à permettre, dans le cadre des enquêtes des policiers, l’interconnexion globale de tous les fichiers, notamment ceux, très fournis, de la Sécurité Sociale. Autrement dit, les policiers pourront recouper très facilement toutes les informations qui existent sur vous. Les défenseurs de la vie privée y voient le premier pas vers un grand fichier de police unique, très pratique pour installer une surveillance de masse.

Big Brother hors état d’urgence ?

Le texte prévoit aussi l’élargissement des possibilités de surveillance dans les lieux publics, et le recours aux IMSI-catchers -ces fausses antenne-relais qui espionnent les téléphones- sans contrôle judiciaire.

Jusqu’à présent, les IMSI-catchers étaient utilisés, d’abord de manière illégale, puis de manière légale depuis que la loi Renseignement a été votée, dans le cadre de la surveillance des services secrets. Très invasifs, ils permettent de recueillir énormément de données car ils captent tous les téléphones portables situés dans leur rayon d’action. Si cette mesure était votée, elle irait plus loin que la loi renseignement, qui prévoit que le recours aux IMSI-catchers doit être validé par un avis favorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Pas de précision supplémentaire sur l’élargissement de la surveillance dans les lieux publics. Toutefois, les experts estiment qu’ “élargir les possibilités de surveillance” pourrait signifier recourir à de nouvelles techniques, comme la géolocalisation à grande échelle ou la reconnaissance faciale, et multiplier le nombre de caméras de vidéosurveillance.

De leur côté, les policiers bénéficieront d’un assouplissement du régime de la légitime défense. Juste avant les attentats, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, avait proposé, lors du congrès du syndicat de police Alliance, que les policiers puissent faire usage de leur arme face aux “forcenés qui tuent en série”.

Nicolas Sarkozy voulait aller encore plus loin. Le 3 novembre, le patron des Républicains a annoncé vouloir créer une “présomption de légitime défense”, c’est-à-dire autoriser un policier à tirer “si le délinquant a une arme et qu’il refuse de la poser”. La proposition avait déjà été lancée par Marine Le Pen, en 2012. A l’époque, Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, l’avait écartée au motif qu’ “on ne peut pas donner aux policiers un permis de tuer“.

Quid de la CNIL et du droit européen ?

Le gouvernement a-t-il organisé la fuite de ces informations auprès du journal Le Monde pour tâter le terrain, quitte à reculer par la suite sur certaines mesures ? C’est possible, tant certaines idées semblent aller à contre-courant de la législation européenne et de la loi Informatique et Libertés garantissant le respect de la vie privée.

L’installation systématique de GPS sur les voitures de location, par exemple, risque de se transformer en casse-tête juridique. On comprend bien l’intention du gouvernement : puisque des voitures de locations ont été utilisées dans la logistique des carnages du 13 novembre, Manuel Valls et François Hollande veulent rassurer les Français en forçant les loueurs à géolocaliser leurs véhicules.

Mais selon l’avocat Fabrice Naftalski, spécialiste du droit sur la protection des données chez EY Société d’Avocats, “sa faisabilité juridique” pose question :

“Les dispositifs de géolocalisation sont encadrés par la loi Informatique et Libertés. Leur utilisation implique le consentement préalable de la personne concernée. En juillet 2014, la CNIL a même sanctionné un loueur de véhicules qui utilisait la géolocalisation permanente pour lutter contre la non-restitution ou le vol des véhicules, car elle estimait que c’était excessif”.

On peut également se poser la question de la pertinence d’un tel dispositif. Surveiller les véhicules de location n’empêchera pas les terroristes de voler des voitures -comme lors des attentats de janvier dernier- ou d’utiliser leurs propres véhicules.

Une autre mesure très problématique sur le plan du droit est l’injonction faite aux opérateurs téléphoniques de conserver les fadettes pendant deux ans. Cette idée irait à contresens de l’arrêt Digital Rights de la Cour de justice européenne (CJUE), en 2014. Il imposait justement la réduction de la durée de conservation des données personnelles détenues par les opérateurs télécoms. Les Etats membres sont donc tenus de se mettre en conformité avec cette décision, qui a été renforcée par l’arrêt Schrems d’octobre 2015, à l’origine de l’annulation du traité transatlantique Safe Harbor sur le transfert des données.

Source : La Tribune, Sylvain Rolland,  

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Source: http://www.les-crises.fr/procedure-dexception-sans-etat-durgence-par-jean-claude-paye/