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Syrie : Déclaration conjointe sur les actions militaires récentes de la Fédération de Russie (02.10.15) Par le Quai d’Orsay

Wednesday 18 May 2016 at 01:30

Ca, c’est une vieille déclaration du Ministère, au moment où la Russie a commencé à bombarder Daech.

Je le mets pour archive, vu les signataires révoltants…

Source : France Diplomatie, 02-10-2015

« Nous, gouvernements de France, d’Allemagne, du Qatar, d’Arabie saoudite, de Turquie, du Royaume-Uni et des États-Unis d’ Amérique faisons la déclaration suivante à la suite des récentes offensives militaires de la Fédération de Russie en Syrie :

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Nous exprimons notre vive inquiétude devant le renforcement de l’engagement militaire russe en Syrie et, en particulier les frappes de l’armée de l’air russe sur Hama et Homs hier qui ont tué des civils et ne visaient pas Daech.

Ces opérations militaires constituent une nouvelle escalade et ne feront qu’attiser l’extrémisme et la radicalisation.

Nous demandons instamment à la Fédération de Russie de mettre immédiatement fin à ses attaques contre l’opposition et la population civile syriennes et de concentrer ses efforts sur le combat contre Daech.

Source : France Diplomatie, 02-10-2015

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Source: http://www.les-crises.fr/syrie-declaration-conjointe-sur-les-actions-militaires-recentes-de-la-federation-de-russie-02-10-15-par-le-quai-dorsay/


[28 pages] 9e vidéo : Bonus : Un exemple en France

Tuesday 17 May 2016 at 01:00

Suite de notre grande série sur les 28 pages – rappel :

I. La 9e Vidéo

Le 12 avril 2012, lors de la présidentielle, le candidat Jacques Cheminade est passé sur le gril lors de l’émission Des Paroles et des actes sur France 2.

9 % de son intervention ont été consacrés à sa vision du 11 Septembre…

Édifiant pour comprendre ce qu’est un journaliste « chien de garde » [cf. Paul Nizan, 1932].

II. Le script de la vidéo

Voici le script de la vidéo :

 

Des Paroles et des Actes (source : YouTube)

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16’47 à 18’44

Cheminade : Il y a eu des gens qui ont mis en garde aux États-Unis. Il y a eu des tas de rapports du FBI qui ont été faits, pas suivis d’effets. Et on sait que dans le rapport… Enfin, on ne le sait pas en France, parce qu’on ne fait pas les recherches de façon rigoureuse. On sait que dans le rapport Shelby-Graham, fait par des parlementaires américains, il y a 28 pages qui n’ont jamais été rendues publiques sur le 11 Septembre. Obama avait promis aux victimes de les rendre publiques, il ne l’a jamais fait.

Pujadas : Mais c’est quoi le fond de votre pensée sur le 11 Septembre ?

Cheminade : Je répète, je n’ai pas de thèse là-dessus, je veux la vérité, c’est tout. La recherche de la vérité, c’est même plus important que la vérité.

Saint-Cricq : Monsieur Cheminade, Thierry Meyssan, qui se dit être un de vos amis, et ce n’est pas pour des théories économiques que vous l’avez apprécié, considère lui que le 11 Septembre est un complot monté par les États-Unis, il l’a écrit, il l’a dit, il le répète.

Cheminade : Il l’a dit, il l’a écrit, mais moi, je suis dans la recherche de la vérité…

Saint-Cricq : Non, mais d’accord, mais vous avez des amis qui sont un petit peu…

Cheminade : Moi je dis qu’il y a des faits troublants, c’est tout. Point final. Et je ne vois pas pourquoi ceci semble aussi important dans une campagne présidentielle en France !

Namia : La recherche de la Vérité, ça veut dire que, par exemple sur le 11 Septembre, puisque c’est ce dont on est en train de parler, il y a des questions qui se posent ? Pour vous, la thèse de l’attentat, des avions dans les tours, reste encore à démontrer ?

Cheminade : Non, mais pas l’attentat avec les avions dans les tours enfin ! Ce qui m’étonne plus, c’est que le prince Bandar, ambassadeur de l’Arabie saoudite aux États-Unis, avait deux agents officiels qui ont entretenu certains des pirates qui ont procédé à l’attentat. Chose curieuse quand même, l’Arabie saoudite a toujours été mêlée à ces affaires-là. Pourquoi on ne poursuit pas l’enquête sur l’Arabie saoudite ? Pourquoi on ne va pas plus loin ?

Saint-Cricq : Mais cela a été dit aux États-Unis, y compris dans le rapport Shelby. Y compris dans les 28 pages dont vous parlez, et qui sont des pages qui ont effectivement été classées secret-défense, et dont les journalistes américains ont expliqué qu’elles mettaient le point sur la relation entre l’Arabie saoudite et un certain nombre de proches des pirates de l’air. Donc ce n’est pas une espèce de secret terré…

Cheminade : On continue à avoir d’excellentes relations avec l’Arabie saoudite et même dans l’affaire de Syrie, ce qui est un désastre. Il faut régler cette affaire de façon rapide ! On confie à l’Arabie saoudite une partie des choses…

Saint-Cricq : Pour la Syrie, c’est une autre histoire. [Sur le 11 Septembre,] la presse américaine a enquêté. Personne ne pense que c’est Israël ou les Américains qui ont organisé le complot du 11 Septembre.

Cheminade : Mais moi non plus !

Saint-Cricq : Vous non plus ?

Cheminade : Et certainement pas Israël !

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Source: http://www.les-crises.fr/bonus-un-exemple-en-france/


Les États-Unis sont le nouveau paradis fiscal favori du monde entier, par Jesse Drucker

Tuesday 17 May 2016 at 00:01

Source : Bloomberg, le 27/01/2016

Déplacer l’argent des habituels paradis fiscaux offshore vers les États-Unis est un nouveau business en plein essor.

Par Jesse Drucker

Le 27 janvier 2016

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Transférer de l’argent d’un paradis fiscal offshore aux États-Unis est devenu une intense activité pour Rothschild & Co. Un client turc déplace ses actifs des Bahamas au Nevada. Illustration: Steph Davidson

En septembre dernier, chez un cabinet d’avocats surplombant la baie de San Francisco, Andrew Penney, directeur général de Rothschild & Co., a fait un exposé sur la façon dont l’élite fortunée du monde entier peut éviter de payer des impôts.

Son message était clair : vous pouvez aider vos clients à transférer leurs fortunes aux États-Unis, sans taxes et à l’insu de leurs gouvernements.

Certains l’appellent la nouvelle Suisse.

Après avoir pendant des années sermonné les autres pays qui aidaient les Américains riches à cacher leur argent à l’étranger, les États-Unis sont en train de devenir l’un des principaux paradis fiscaux pour les riches étrangers. En résistant aux nouvelles normes mondiales de transparence, les États-Unis créent un nouveau marché en pleine ébullition, devenant ainsi la destination incontournable pour dissimuler la richesse étrangère. Chacun, des avocats londoniens aux sociétés de fiducie suisses, se lance dans l’aventure, en aidant les gros comptes de par le monde à se transférer d’endroits comme les Bahamas et les îles Vierges britanniques vers le Nevada, le Wyoming et le Dakota du Sud.

« Quelle ironie, non, quelle perversité que les États-Unis, qui ont été si moralisateurs dans leur condamnation des banques suisses, soient devenus le dernier virtuose du secret bancaire, » écrit Peter A. Cotorceanu, avocat au cabinet juridique Anaford AG à Zurich, dans une revue juridique récente. « Ce colossal bruit d’aspirateur, vous l’entendez ? C’est le son de l’argent qui se déverse aux États-Unis. »

Rothschild, séculaire institution financière européenne, a ouvert une société de fiducie à Reno, au Nevada, à quelques pâtés de maisons des casinos Harrah’s et l’Eldorado. Elle déplace à présent les fortunes de riches clients étrangers depuis des paradis fiscaux comme les Bermudes, sous le coup des nouvelles exigences de déclarations financières internationales, vers des fiducies Rothschild gérées au Nevada, non imposables.

Les États-Unis « sont effectivement le plus grand paradis fiscal au monde »Andrew Penney, Rothschild & Co.

L’entreprise affirme que son opération Reno est idéale pour les familles internationales attirées par la stabilité des États-Unis, et que les clients doivent prouver qu’ils respectent les lois fiscales de leur pays d’origine. Ses fiducies, d’ailleurs, n’ont « pas été mises en place afin d’exploiter le fait que les États-Unis n’ont pas signé » les normes internationales d’information financière, a déclaré la porte-parole de Rothschild Emma Rees.

D’autres s’y jettent également : Cisa Trust Co. SA, basée à Genève, qui conseille de riches latino-américains, fait une demande d’ouverture de comptes à Pierre, Dakota du Sud, pour « répondre aux besoins de nos clients étrangers, » a déclaré John J. Ryan Jr., président de Cisa.

Trident Trust Co., l’un des plus grands fournisseurs mondiaux de trusts offshore, a transféré des dizaines de comptes de Suisse, de Grand Cayman, et d’autres lieux, vers Sioux Falls, Dakota du Sud, en décembre, avant la date limite de déclaration du 1er janvier.

« Les îles Caïman ont brutalement fermé boutique en décembre, empêchant les retraits, » a déclaré Alice Rokahr, présidente de Trident dans le Dakota du Sud, un des États faisant la promotion de fiducies secrètes aux impôts peu élevés. «J’étais surprise de voir à quel point les anciens détenteurs de comptes bancaires suisses ont été nombreux à venir, mais ils veulent sortir de Suisse. »

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Pourquoi les riches transfèrent-ils leur argent aux États-Unis

Rokahr et d’autres conseillers ont dit qu’il existe un besoin légitime de confidentialité. Les comptes secrets qui cachent la richesse, que ce soit aux États-Unis, en Suisse, ou ailleurs, protègent des enlèvements ou des extorsions de fonds dans les pays d’origine de leurs propriétaires. Les riches aussi sentent souvent leur argent plus en sécurité aux États-Unis qu’à d’autres endroits perçus comme moins sûrs.

« Je n’entends personne dire : “Je veux éviter les impôts”, » dit Rokahr. « Ce sont des gens qui sont légitimement inquiets de leur santé et bien-être personnels. »

Personne ne s’attend à ce que les paradis fiscaux offshore disparaissent de sitôt. Les banques suisses détiennent encore environ 1,9 milliard de dollars d’actifs non déclarés dans leur pays d’origine par les titulaires de comptes, selon Gabriel Zucman, professeur d’économie à l’Université de Californie à Berkeley. Il n’est pas évident de savoir combien, parmi la centaine de pays et autres juridictions qui les ont signées, appliqueront effectivement les nouvelles normes de déclaration, publiées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un groupe de politique internationale financé par les gouvernements.

Il n’y a rien d’illégal à ce que des banques attirent des étrangers avec des promesses de confidentialité, afin qu’ils déposent de l’argent aux États-Unis, pour autant que cela ne les aide pas intentionnellement à échapper à l’impôt dans leur pays. Pourtant, les États-Unis sont l’un des rares endroits où les conseillers font activement la promotion de comptes qui resteront secrets par rapport aux autorités étrangères.

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Illustration: Steph Davidson

Le bureau de Reno Rothschild est à l’avant-garde de cette démarche. « La plus grande petite ville du monde » n’est pas un choix évident comme centre mondial de fuite des capitaux. Si vous deviez faire un film se déroulant à Las Vegas vers 1971, vous iriez le tourner à Reno. Les tours des hôtels casinos surplombent les garants de caution installés de l’autre côté de la rue, disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ainsi que les boutiques de prêteurs sur gages remplies de toutes sortes d’armes à feu. Les néons roses dans les casinos comme Harrah’s et l’Eldorado brillent encore de tous leurs feux. Mais ces jours-ci, leurs étages sont souvent vides, les voyageurs préférant jouer à Las Vegas, à une heure de vol.

Les bureaux du Rothschild Trust North America LLC ne sont pas faciles à trouver. Ils sont au 12e étage de l’ancien bâtiment du siège nord-américain de Porsche, à quelques pâtés de maisons des casinos. (Le bureau du procureur des États-Unis est au sixième étage). Pourtant, Rothschild ne figure pas sur le tableau dans le hall d’entrée. Les visiteurs doivent plutôt aller au 10e étage, aux bureaux de McDonald Carano Wilson LLP, un cabinet d’avocats politiquement branchés. Plusieurs anciens hauts fonctionnaires de l’État du Nevada y travaillent, ainsi que le propriétaire de certains des plus grands casinos de Reno et de nombreux lobbyistes enregistrés. L’un des lobbyistes fiscaux de la société est Robert Armstrong, avocat considéré comme une référence en fiducies et successions, et gestionnaire de Rothschild Trust Amérique du Nord.

La société de fiducie a été créée en 2013 pour répondre aux besoins des familles internationales, en particulier celles avec un mélange d’actifs et de famille aux États-Unis et à l’étranger, selon Rothschild. Elle répond à des clients attirés par l’« environnement stable, réglementé » des États-Unis, a déclaré E. Rees, la porte-parole de Rothschild.

« Nous ne proposons pas de structures juridiques à des clients, à moins que nous soyons absolument certains que leur situation fiscale est en ordre ; aussi bien les clients eux-mêmes que les avocats fiscalistes indépendants doivent nous fournir la confirmation que c’est le cas, » a déclaré Mme Rees.

Le directeur général de la société de fiducie Nevada est Scott Cripps, un aimable avocat fiscaliste californien qui dirigeait les services de fiducie de la Bank of the West, qui font maintenant partie des services financiers du géant français BNP Paribas SA. Cripps a expliqué que déplacer l’argent des traditionnelles juridictions du secret bancaire offshore vers le Nevada est un nouveau secteur d’activité dynamique chez Rothschild.

« Il y a beaucoup de gens qui vont le faire, » a déclaré Cripps. « Cette couche supplémentaire de protection de la vie privée les aide à prendre la décision » de déplacer leurs actifs aux États-Unis. Pour les clients fortunés à l’étranger, « la vie privée est importante, surtout dans les pays où il y a de la corruption. »

Une riche famille turque utilise la société de fiducie Rothschild pour déplacer ses actifs des Bahamas vers les États-Unis, a-t-il dit. Autre client de Rothschild, une famille d’origine asiatique déplace des actifs des Bermudes vers le Nevada. Il a ajouté que les clients sont souvent des familles internationales avec des enfants aux États-Unis.

Pendant des décennies, la Suisse a été la capitale mondiale des comptes bancaires secrets. C’est peut-être en train de changer. En 2007, Bradley Birkenfeld, banquier dans le groupe UBS AG, avait révélé que son entreprise aidait ses clients américains à échapper à l’impôt avec des comptes non déclarés à l’étranger. Les banques suisses ont fini par payer. Plus de 80 banques suisses, dont UBS et Credit Suisse Group AG, ont accepté de payer des sanctions et des amendes d’environ 5 milliards de dollars aux États-Unis.

« J’étais surprise de voir à quel point les anciens détenteurs de comptes bancaires suisses ont été nombreux à venir, mais ils veulent sortir de Suisse. »

Ces entreprises comprennent également la banque Rothschild AG, qui, en juin dernier, a conclu un accord de non-poursuite avec le ministère de la Justice des États-Unis. La banque a admis aider les clients américains à cacher des revenus offshore du fisc américain (Internal Revenue Service, IRS), et a accepté de payer une pénalité de 11,5 millions de dollars et fermé près de 300 comptes appartenant à des contribuables américains, totalisant 794 millions de dollars en actifs.

Les États-Unis étaient déterminés à mettre un terme à de telles pratiques. Cela a conduit à une loi en 2010, la loi sur la Foreign Account Tax Compliance, ou Fatca, qui exige des sociétés financières qu’elles déclarent les comptes à l’étranger détenus par des citoyens américains et qu’elles les signalent à l’IRS, faute de quoi elles encourent de sévères pénalités.

Inspiré par la Fatca, l’OCDE a élaboré des normes encore plus rigoureuses pour aider d’autres pays à débusquer les fraudeurs fiscaux. Depuis 2014, 97 gouvernements se sont accordées pour imposer de nouvelles obligations de déclaration pour les comptes bancaires, les fiducies et d’autres placements détenus par des clients internationaux. Parmi les nations auxquelles l’OCDE a demandé de signer, seule une poignée ont refusé : Bahreïn, Nauru, Vanuatu – et les États-Unis.

« J’ai beaucoup de respect pour l’administration Obama parce que sans leurs premiers pas, nous n’aurions pas acquis ces normes d’information, » a déclaré Sven Giegold, membre du Parti vert allemand au Parlement européen. « D’un autre côté, il est maintenant temps pour les États-Unis de livrer ce que les Européens sont prêts à leur livrer. »

Le département du Trésor ne présente aucune excuse pour son refus des normes de l’OCDE.

« Les États-Unis ont mené l’assaut dans la lutte contre l’évasion fiscale internationale effectuée via des comptes financiers offshore, » a déclaré le porte-parole du Trésor Ryan Daniels. Il dit que l’initiative de l’OCDE « repose directement » sur la loi Fatca.

Pour les conseillers financiers, l’état actuel de la situation est tout simplement une bonne occasion de faire des affaires. Dans un projet de son exposé à San Francisco, A. Penney, de Rothschild, écrivait que les États-Unis « sont effectivement le plus grand paradis fiscal du monde ». Les États-Unis, a-t-il ajouté dans son intervention épurée par la suite, manquent « des ressources nécessaires pour appliquer les lois fiscales étrangères et ont peu d’envie de le faire. »

Les entreprises ne perdent pas de temps pour tirer le meilleur parti de l’environnement actuel. Bolton Global Capital, un cabinet de conseil financier de la région de Boston, a récemment diffusé cet exemple hypothétique dans un e-mail : un riche mexicain ouvre un compte bancaire américain en utilisant une entreprise dans les îles Vierges britanniques. En conséquence, seul le nom de la société serait envoyé au gouvernement des îles Vierges, alors que l’identité de la personne propriétaire du compte ne serait pas partagée avec les autorités mexicaines.

L’échec des États-Unis à signer la norme de partage de l’information de l’OCDE se « révèle un puissant moteur de croissance pour notre entreprise, » a écrit le directeur général de Bolton, Ray Grenier, dans un e-mail commercial adressé aux banquiers. Son entreprise constate un pic des transferts de comptes hors des banques européennes – la Suisse en particulier – en direction des États-Unis. La nouvelle norme de l’OCDE « a été le début de l’exode », a-t-il déclaré dans une interview.

Le Trésor américain propose des normes similaires à celles de l’OCDE pour les comptes détenus par des étrangers aux États-Unis. Mais des propositions similaires antérieures restent au point mort face à l’opposition du Congrès, contrôlé par les Républicains, et du secteur bancaire.

La question n’est pas seulement que des citoyens non américains contournent les impôts de leur pays d’origine. Le Trésor est également préoccupé par l’afflux massif de capitaux dans des comptes secrets, qui pourraient devenir un nouveau canal pour le blanchiment d’argent sale. Au moins 1600 milliards de dollars de fonds illicites sont blanchis dans le système financier mondial chaque année, selon une estimation des Nations Unies.

Offrir le secret aux clients n’est pas illégal, mais les entreprises américaines ne sont pas autorisées à aider sciemment les clients étrangers à se soustraire à l’impôt à étranger, a déclaré Scott Michel, avocat d’affaires fiscales chez Caplin & Drysdale, basé à Washington DC, qui représentait des banques suisses et des titulaires de comptes étrangers.

« Dans la mesure où les non-Américains sont encouragés à venir aux États-Unis pour ce qu’on peut appeler nos spécificités de « paradis fiscal », le gouvernement américain verrait probablement d’un mauvais œil toute publicité suggérant que se soustraire à l’impôt dans le pays d’origine est un objectif légal, » dit-il.

Rothschild dit qu’il faut « des soins tout particuliers » pour veiller à ce que les actifs des titulaires de comptes soient entièrement déclarés. La banque « adhère aux règles fiscales, légales et réglementaires partout où nous opérons, » a déclaré Emma Rees, la porte-parole de Rothschild.

Andrew Penney, qui supervise l’entreprise Reno, est un avocat de longue date chez Rothschild, qui a fait son chemin à partir des opérations de fiducie de l’entreprise dans la petite île britannique de Guernesey. M. Penney, 56 ans, est maintenant directeur général à Londres pour Rothschild Wealth Management & Trust, qui gère environ 23 milliards de dollars pour 7 000 clients à partir de ses bureaux, y compris à Milan, Zurich et Hong Kong. Il y a quelques années, il a été élu « fiduciaire de l’année » par un groupe d’élite de gérants de fortune du Royaume-Uni.

Dans son discours de septembre à San Francisco, intitulé «Utilisation de fiducies américaines en planification internationale : 10 étonnantes prouesses pour impressionner les clients et collègues », A. Penney a présenté des moyens juridiques pour éviter les impôts américains et les déclarations aux pays d’origine des clients.

Dans une section initialement intitulée « Fiducies américaines pour préserver la confidentialité », il a pris l’exemple hypothétique d’un investisseur Internet nommé « Wang, un résident de Hong Kong, » originaire de la République populaire de Chine, qui craint que des informations sur sa fortune puissent être partagées avec les autorités chinoises.

Mettre ses actifs dans une LLC [Limited liability company, société à responsabilité limitée, NdT] au Nevada, à son tour détenue par une fiducie au Nevada, ne générerait pas de déclarations fiscales aux États-Unis, a écrit Penney. Tous les formulaires que recevrait l’IRS se traduiraient par « aucune information significative à échanger » en vertu des accords entre Hong Kong et les États-Unis, selon la présentation PowerPoint de Penney examinée par Bloomberg.

Penney a donné un avertissement : au moins un gouvernement, le Royaume-Uni, a l’intention de faire encourir une infraction pénale à toute entreprise du pays facilitant l’évasion fiscale.

Rothschild a déclaré que le document PowerPoint a ensuite été révisé avant que Penney en fasse la présentation. La firme a fourni ce qu’elle a dit être la version finale de la conférence, qui cette fois exclut plusieurs passages éventuellement sources de controverses. Parmi ceux-ci : le fait d’appeler les États-Unis « plus grand paradis fiscal du monde », le faible désir des États-Unis de faire respecter les lois fiscales des autres pays, et deux références à la « vie privée » offerte par les États-Unis.

« La présentation a été rédigée en réponse à une demande des organisateurs pour créer une controverse et créer un débat animé dans un public de professionnels expérimentés, » a déclaré E. Rees. « En examinant le projet initial, ces lignes ne sont pas censées refléter ni Rothschild ni l’opinion de M. Penney. Elles ont donc été enlevées. »

—Avec l’aide de David Voreacos et Patrick Gower

Source : Bloomberg, le 27/01/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-etats-unis-sont-le-nouveau-paradis-fiscal-favori-du-monde-entier-par-jesse-drucker/


Comment une société sans argent liquide pourrait enhardir Big Brother, par Sarah Jeong

Monday 16 May 2016 at 02:00

Source : The Atlantic, le 08/04/2016

Quand l’argent devient de l’information, il peut informer sur vous.

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SARAH JEONG | 8 avril 2016

En 2014, Cass Sunstein – à une époque grand manitou de l’administration Obama – a écrit un éditorial plaidant pour une société sans argent liquide, sous prétexte que cela réduirait la délinquance urbaine. Son raisonnement ? Une nouvelle étude a trouvé un lien de causalité apparent entre utilisation du système de transfert électronique (EBT) des prestations sociales et baisse de la criminalité.

Dans le cadre du nouveau système EBT, les bénéficiaires de l’aide sociale pourraient maintenant utiliser des cartes de débit, au lieu d’être forcés à encaisser des chèques dans leur totalité – ce qui signifie qu’il y aura moins d’argent liquide en circulation dans les quartiers pauvres. Et moins il y a d’argent liquide dans les rues, concluent les auteurs de l’étude, moins il y a de criminalité.

Peut-être que les cambriolages, les larcins, et les agressions ont baissé parce qu’il y avait tout simplement moins à voler facilement. Peut-être, aussi, que les cartes de débit ont dissuadé les gens de dépenser de l’argent en drogues et autres produits du marché noir. Bien que rien ne les empêchait de retirer de l’argent liquide et ensuite de le dépenser illégalement, le fameux “Coup de pouce Sunsteinien” était à l’œuvre – le moindre petit bouleversement dans l’environnement des gens les a dissuadés de commettre des crimes.

L’année qui a suivi la publication de l’éditorial de Sunstein, lors d’un incident apparemment sans rapport, un étudiant de l’Université de Columbia a été arrêté et accusé de cinq infractions liées à la drogue, y compris possession avec intention de vendre. Apparemment, ses camarades et ses clients l’avaient payé via l’application Smartphone Paypal appartenant à Venmo.

Venmo opère toutes les transactions publiques par défaut. L’application dispose de l’équivalent d’une page d’information d’un réseau social où vous pouvez voir vos amis s’envoyer différentes sommes d’argent, souvent accompagnées d’un court descriptif et de smileys. Le supposé dealer demandait à ses clients d’écrire un descriptif marrant pour chaque transaction, et en le faisant, transformait sa page d’information (et celle des autres) en registre ouvert du trafic de drogue.

Rien n’empêchait vraiment les étudiants d’aller à un guichet automatique et retirer de l’argent pour l’utiliser à l’ancienne. Mais cela prend du temps et de l’énergie, alors que Venmo est présent juste dans votre poche. Les meilleurs et les plus brillants membres de l’Ivy League ont été encouragés à se balancer eux-mêmes.

Les meilleurs et les plus brillants membres de l’Ivy League ont été encouragés à se balancer eux-mêmes.

Dans une société sans argent liquide, l’argent a été transformé en nombres, en signaux, en courants électroniques. Pour faire court : l’information a remplacé l’argent liquide.

L’information est rapide comme l’éclair. Elle traverse les villes, les États et les frontières nationales en un clin d’œil. Elle passe à travers de nombreux types de dispositifs, circule de téléphone à téléphone, et d’ordinateur à ordinateur, au lieu d’être enfermée dans ces temples de marbre silencieux que nous appelons banques. L’information ne fait jamais de cliquetis dérangeant dans votre poche.

Partout où l’information est rassemblée et circule, deux prédateurs la suivent de près : la censure et la surveillance. Le cas de la monnaie digitale ne fait pas exception. Là où la monnaie devient une série de signaux, elle peut être censurée ; là où la monnaie devient information, elle donnera des informations sur vous.

* * *

Durant le printemps 2014, le département de la justice commençait à faire l’objet de critiques pour l’opération Choke Point (Goulot d’étranglement), une initiative destinée à décourager ou stopper l’activité des prêteurs sur salaire. Les finalités furent, à première vue, positives, mais les moyens hautement contestables.

A ce moment-là, le besoin de protection du consommateur n’était que trop évident, mais le prêt sur salaire était légal et l’est encore. Donc le département de la justice s’est montré créatif et a demandé aux banques et aux organismes de paiement de se plier aux politiques du gouvernement et de faire la police de manière dynamique pour les activités à haut risque. Il a été demandé aux banques de volontairement fermer toutes les sortes d’activités marchandes que les bureaucrates du gouvernement considéraient comme suspectes. Le prix de la résistance était une enquête approfondie du département de la justice. En décembre 2013, le département de la justice avait émis cinquante citations à comparaître à des banques et organismes de paiement.

Les protestations les plus véhémentes contre l’opération Choke Point sont venues des activistes pro-armes, comme l’industrie des armes à feu et des munitions qui avait été labellisée à “haut risque”. Mais les armes n’étaient qu’une industrie parmi un étrange mélange de cibles. Les ventes de tabac, le télémarketing, la pornographie, les services d’escortes, les services de rencontres, les jeux en ligne, les marchands de monnaie, les décodeurs du câble, et les “produits racistes” étaient tous explicitement listés sur le site de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) [agence fédérale américaine dont la principale responsabilité est de garantir les dépôts bancaires, NdT] en tant que “catégories marchandes associées à une activité à haut-risque”.

Les critiques de l’opération Choke Point ont vu l’initiative comme une police des mœurs, plutôt que comme une campagne de protection du consommateur. Beaucoup des industries visées – comme la pornographie – pourraient être vues comme moralement peu recommandables. Et dans de nombreux cas – comme pour les armes – de tels jugements moraux étaient hautement politisés. Un commentateur a écrit : “Alors que les cliniques pratiquant l’avortement et les groupes environnementaux sont probablement en sécurité sous l’administration Obama, si ce genre de choses perdurent, elles seront vulnérables aux mêmes tactiques si une administration différente adopte cette même approche de voyou face aux entreprises qu’elle désapprouve.”

Pour beaucoup de conservateurs, l’opération Choke Point était une nouvelle offensive libérale dans la guerre culturelle, une attaque dissimulée contre le second amendement. Il n’y a jamais eu de preuve que les armes était l’objectif premier de l’opération Choke Point, mais l’indignation s’est maintenue, alimentée par un nombre alarmant d’histoires de vendeurs d’armes à feu lâchés par les compagnies de carte de crédit ou voyant soudainement leurs comptes bancaires fermés.

De la même façon, les acteurs du porno ont commencé à rapporter qu’ils étaient lâchés par le système financier de façon similaire, avec la banque Chase qui fermait les comptes bancaires personnels de “centaines de professionnels du divertissement pour adulte” au printemps 2014. Mais les effets troublants de l’opération Choke Point ne se seraient pas arrêtés là.

* * *

Eden Alexander s’est sentie malade au printemps 2014. Cela a commencé lorsqu’elle a souffert d’une sévère réaction allergique à un médicament qui lui avait été prescrit. Ensuite, lorsqu’elle a cherché des soins médicaux, les fournisseurs de soins ont refusé de la traiter, en supposant que le problème était l’utilisation de drogues illicites.

Alexander est une actrice porno. Selon elle, elle a été profilée et discriminée, et n’a pas réussi à obtenir de soins médicaux. A la fin, elle a développé une infection aux staphylocoques. Elle ne pouvait plus travailler, et elle luttait pour prendre soin d’elle-même, sans parler de ses factures médicales, son appartement, son loyer, ses chiens.

Ses amis et ses soutiens – beaucoup étaient également dans l’industrie du divertissement pour adulte – ont commencé une campagne de crowdfunding sur la plateforme GiveForward, espérant couvrir ses frais médicaux. Ils avaient récolté des milliers de dollars lorsque la campagne a été fermée et les paiements gelés.

GiveForward a dit que sa campagne avait violé les conditions de service de leur organisme de paiement, WePay : “Les conditions de WePay indiquent que vous ne pouvez pas accepter de paiements ou utiliser le service pour des choses en rapport avec l’industrie pornographique.”

Quelques heures après qu’Alexander a reçu la notification par email, et posté à ce sujet sur Twitter, elle a dû être amenée à l’hôpital en ambulance.

A différents points de la chaîne, toutes les transactions sont bloquées par des goulets d’étranglement créés par les principaux acteurs tels que Visa, Mastercard et Paypal.

La réaction initiale sur les médias sociaux a été de supposer qu’Alexander avait encore une fois fait l’objet de discriminations, et que la campagne de récolte de fonds avait été fermée à cause de l’ostracisme lié à son activité. Il s’avéra toutefois que l’un de ses soutiens avait offert en échange de photos nues des donations pour Alexander, sur Twitter. (Bien sûr, cela soulève seulement la question de savoir comment WePay a découvert ce tweet, et s’ils avaient l’habitude de surveiller les conversations sur Twitter pour toutes les campagnes où ils étaient utilisés.)

La suspension des paiements d’Eden Alexander a irrité les personnes bien intentionnées à son égard et ses soutiens. Comment pourrait-il être si difficile d’envoyer à Alexander une petite somme d’argent ? Nous vivons dans un monde où existent de multiples plateformes de crowdfunding, et chaque année amène une nouvelle récolte d’applications de transfert d’argent via téléphone mobile. Dans la société sans liquidités, les paiements sont censés circuler plus librement et facilement que jamais.

Bien sûr, l’abondance de services et d’applications mis en avant masquent l’infrastructure qui rend l’opération Choke Point possible en premier lieu. Les transactions empruntent des circuits à travers différentes couches enchevêtrées de vendeurs, d’organismes et de banques. A divers points de la chaîne, toutes les transactions sont bloquées via des obstacles créés par les principaux acteurs tels que Visa, Mastercard et Paypal : ils constituent les goulots d’étranglement d’après lesquels l’opération Choke Point a pris son nom.

Les goulots d’étranglement sont des sociétés privées qui ne sont pas seulement sujettes à la réglementation du gouvernement au niveau comptable, mais qui ont démontré une dérangeante volonté de se plier aux demandes extra-légales – si cela renforce les barrages financiers contre les organisations lanceuses d’alertes comme WikiLeaks ou le site internet Backpage, qui héberge des publicités de travailleurs du sexe, et prétendument aussi des publicités pour des trafiquants du sexe. Un peu de pression, et l’entier système financier lâche le dernier paria désigné par le gouvernement. L’opération Choke Point exploite cette tendance à grande échelle.

Il est probablement juste de dire que le gouvernement fédéral n’a jamais ciblé Eden Alexander, et que son hospitalisation était une conséquence prévisible de cette simple liste de points établie par la FDIC – la liste qui a placé la “pornographie” avec “l’escroquerie des consolidations de dettes” et “des produits garantissant l’enrichissement”.

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FDIC

Mais des déclarations ultérieures faites par WePay ébauchent une relation de cause à effet entre l’opération Choke Point et l’arrêt de la campagne de crowdfunding d’Alexander, révélant l’ampleur potentielle des répercussions de telles initiatives. « WePay fait face à un examen approfondi de la part de ses partenaires et des réseaux de cartes de paiement dans le cadre de l’application d’une politique, surtout lorsqu’il s’agit d’un contenu adulte, » a écrit un représentant dans un article de blog. « Nous devons faire respecter ces politiques ou faire face à des amendes significatives ou au risque de la fermeture de centaines de milliers de marchands sur notre service. Nous sommes terriblement désolés que ces politiques s’ajoutent aux difficultés qu’Eden affronte. »

Là où le paternalisme se transmet directement par un téléphone arabe bureaucratique, des conséquences peu enviables ou mêmes inhumaines sont à prévoir. Lorsque l’on s’intéresse à la liste du FDIC des industries “à hauts risques”, il est surprenant d’y trouver certaines opérant dans des secteurs carrément illégaux (ex. des “escroqueries” et des “pyramides de Ponzi”) ou profitant de vices légaux – paris, vente de tabac et pornographie.

Le système de Transfert de Bénéfice Electronique est largement bénin, et est effectivement une tentative d’offrir des services bancaires aux “non-bancarisés” – ce qui en soi pourrait amplement bénéficier à tout un segment de la population, actuellement dépendante de salaires journaliers et d’opérations monétaires en liquide. Cependant, il existe aussi une plus grande tendance, nous pousser vers un monde où une société sans argent liquide offre au gouvernement de nouvelles formes de coercition, de surveillance et de censure.

Une société sans argent liquide augure un monde de contrainte, de contrôle et de surveillance, dont les Américains les plus pauvres sont aujourd’hui pourvus en abondance.

EBT a poussé les plus vulnérables vers la société sans numéraire ; l’opération Choke Point a utilisé les possibilités de la société sans argent liquide pour faire appliquer ce que ses partisans considéraient comme un projet de protection des consommateurs, et ce que ses critiques ont vu comme une campagne contre le vice. Choke Point s’est propagé à travers la société, évaluant certaines industries comme « à haut risque », la FDIC a fait pression sur le secteur financier pour surveiller et sanctionner des activités légales. Finalement, cet effet a rejailli sur WePay, qui a fini par priver Eden Alexander de sa collecte de fonds.

L’épreuve d’Alexander a été rendue possible par notre marche apparemment inévitable vers la société sans argent liquide. Où les paiements électroniques règnent en maîtres absolus, les goulots d’étranglement deviennent plus importants que jamais. Nous n’avons pas toujours eu d’argent liquide en effet, les systèmes de crédit précèdent l’utilisation de l’or et l’argent comme monnaie. Mais il est juste de dire que nous voyons un avenir sans précédent dans lequel la totalité de l’activité financière sera prisonnière d’un même système comptable, celui qui peut être à la fois contrôlé et influencé par une administration étatique puissante et tentaculaire.

La société sans argent liquide augmente le risque pour les personnes vulnérables d’être en butte aux difficultés qu’Eden Alexander a rencontrées. Il semble bizarre à première vue qu’un système de protection des consommateurs aboutisse à ce qu’Alexander a subi. Mais la protection des consommateurs et la lutte contre le vice vont dans le même sens : c’est purement et simplement du paternalisme et tout particulièrement un encadrement paternaliste des pauvres.

Et lorsqu’il s’agit de lutte contre le vice ce sont particulièrement les pauvres qui ont le plus à souffrir – ils sont tenus à des normes plus élevées que d’autres et sont contrôlés et punis, s’ils s’en écartent. Les bénéficiaires de l’assistance sociale doivent subir un long et intrusif dépistage de drogues. Des femmes (souvent des femmes de couleur) qui marchent dans des lieux « de prostitution » sont harcelées ou même arrêtées parce qu’elles ont simplement des préservatifs dans leur sac à main.

Une société sans argent liquide promet un monde de contrainte, de contrôle et de surveillance – toutes choses dont les Américains les plus pauvres sont aujourd’hui pourvus en abondance, bien sûr. Pour le plus vulnérable, la société sans argent liquide n’offre essentiellement rien de neuf, elle élargit seulement la portée de l’actuel État bureaucratique paternaliste.

* * *

Les pauvres peuvent être touchés de façon disproportionnée, mais la société sans argent liquide affecte tout le monde. Les techno-libertaires relativement privilégiés ont donc longtemps craint la société sans argent liquide, la voyant comme un musée de cire électronique, une des nombreuses érosions de la vie privée de l’ère numérique. Cette crainte a donné lieu à un certain nombre d’innovations, de l’ecash de David Chaum (décrit dans son article de 1985 « Sécurité sans identification : des systèmes de transaction pour rendre Big Brother dépassé »), à l’ultra-médiatique protocole Bitcoin.

La crypto-monnaie n’est pas vraiment une priorité fédérale et, tant que c’est le cas, cela peut être un moyen de paiement officieux viable quand les organismes de paiement instituent des blocus.

Chaum s’est concentré sur le contournement des moyens de surveillance de l’argent numérique ; le pseudonyme du créateur du bitcoin (ou les créateurs), Satoshi Nakamoto, s’est attaché à enlever aux tiers de confiance le pouvoir d’empêcher ou de renverser des transactions – le même pouvoir qui permet la sorte de censure financière incitée par l’opération Choke Point. Ces crypto monnaies sont des tentatives de créer des ouvertures et des poches de liberté à l’intérieur du futur monde sans argent liquide.

Leur succès a été, au mieux, douteux. Je n’ai pas besoin de vous parler de la viabilité d’ecash. Si vous en avez entendu parler, vous la connaissez déjà ; si non, cela vous dit tout. Quant au bitcoin, plus largement adopté, la monnaie numérique a été touchée par une réglementation toujours plus sévère, concentrée sur les plateformes d’échange de bitcoins qui permettent d’échanger du bitcoin contre de la monnaie officielle. Cette tendance à la régulation a recréé les mêmes blocages et goulots d’étranglement que Satoshi Nakamoto avait tout d’abord cherché à contourner.

La crypto-monnaie n’est pas vraiment une priorité fédérale et, tant que c’est le cas, cela peut être un moyen de paiement officieux viable quand les organismes de paiement instituent des blocus. Les fournisseurs de moyens de paiement ont bloqué les accès pour WikiLeaks à la suite du Cablegate ; finalement l’organisation a été financée principalement par le bitcoin. Et quand Visa et Mastercard ont arrêté de fournir leurs services à Backpage en 2015, les travailleuses du sexe se sont aussi tournées vers le bitcoin.

* * *

En juin 2015, Thomas Dart, le shérif du comté de Cook – le plus grand comté de l’Illinois, qui inclut la ville de Chicago – a écrit une lettre ouverte aux principaux processeurs de paiement. « En tant que Shérif du comté de Cook et père et citoyen impliqué, j’écris pour demander que votre institution renonce immédiatement à permettre vos cartes de crédit d’être utilisées pour placer des annonces publicitaires sur des sites web comme Backpage.com. »

Backpage est un site Web qui héberge des petites annonces, y compris des annonces d’escortes. Il est tellement connu qu’il a été appelé « le plus grand site d’escortes de l’Amérique. » Selon plusieurs organisations contre le trafic sexuel, c’est aussi un havre pour l’esclavage sexuel. Quelques travailleuses du sexe disent cependant que les empêcher de faire de la publicité revient à les exposer à des dangers. « Avoir la possibilité de faire de la publicité en ligne permet aux travailleuses du sexe de filtrer plus soigneusement les clients potentiels et de travailler à l’intérieur, » écrit Alison Bass. « La recherche montre que quand les travailleuses du sexe ne peuvent pas faire de publicité en ligne et filtrer les clients, elles sont souvent forcées d’aller dans la rue, où il est plus difficile de dépister les clients violents et de négocier des rapports sexuels protégés (c’est-à-dire avec des préservatifs). Elles vont aussi plus probablement devoir dépendre de souteneurs exploiteurs pour trouver des clients. »

Les nuances de ce débat n’ont jamais été discutées par un organe législatif ou même une cour de justice. Visa et Mastercard ont immédiatement plié face à la lettre de Dart et le service de Backpage a été arrêté, rendant la publicité presque impossible pour les travailleuses du sexe (et aussi, dit-on, pour les trafiquants).

La censure financière pourrait se généraliser, sans la barrière légale de tout droit ou garantie véritables.

La lettre ouverte de Dart ressemblait à l’opération Choke Point, mais d’une façon beaucoup plus floue quoique plus menaçante. Si Dart avait fait une action en justice contre Backpage, il aurait sans nul doute échoué devant le tribunal. Le shérif avait déjà perdu un procès contre Craigslist en 2009 à propos de leurs annonces de services érotiques. Bien que Dart se soit clairement identifié comme le Shérif du comté de Cook, en réalité il n’a jamais dit qu’il allait imposer une loi contre Visa, Mastercard ou même Backpage. La lettre a fait référence à la loi fédérale contre le blanchiment d’argent et à l’existence présumée de trafic sexuel sur le site web, mais c’était en substance une missive composée pour semer la peur, l’incertitude et le doute. Comme l’opération Choke Point, c’était une demande d’action volontaire, plus qu’une plainte au pénal, avec acte d’accusation ou injonction.

Peut-être que si Visa ou Mastercard avaient bataillé, Dart aurait donné suite à ses menaces voilées de la façon dont le ministère de la Justice a publié des citations à comparaître aux banques défaillantes et aux processeurs. Mais il est impossible de le savoir, car les deux entreprises ont immédiatement capitulé.

En décembre 2015, une cour d’appel fédérale en Illinois a accordé une injonction à Backpage contre Dart. L’avis, écrit par l’estimé Richard Posner, attaquait Dart pour avoir tenté « de s’opposer au libre cours des idées et opinions par “l’imposition réelle ou la menace du pouvoir de l’État ou d’une sanction” » en violation du Premier amendement.

Au tribunal, Visa a prétendu que « à aucun moment Visa n’a perçu le Shérif Dart comme une menace, » et qu’il avait simplement fait un choix volontaire d’arrêter de travailler avec Backpage. Mais, en juin, le directeur de communication de Dart avait envoyé un courriel informant Visa que le bureau du shérif allait tenir une conférence de presse sur Backpage et le trafic sexuel et que « bien entendu le ton de la conférence de presse changera considérablement si vos cadres jugent bon de rompre les liens avec Backpage et ses imitateurs. » Les mails internes entre les salariés de Visa à l’époque ont mentionné le courriel de conférence de presse de Dart comme « un chantage ».

Pour le juge Posner, les tactiques de Dart étaient déconcertantes. Elles pourraient être facilement reproduites, selon la formule « d’une contrainte gouvernementale illégale, incontrôlée, imparable, anarchique… couplée à des menaces de dénonciation de l’activité que le fonctionnaire veut détruire, car la cible de la dénonciation, réticente à reconnaître qu’elle se soumet aux menaces, au lieu de cela, attribuera l’abandon de son activité à la découverte qu’elle heurte ses principes moraux. »

Posner ne l’a pas mentionné dans sa note, mais la même tactique avait été appliquée quelques années auparavant, lorsque le sénateur Joseph Lieberman avait convaincu les fournisseurs de services de paiement de fermer les accès à Wikileaks, au moment de la publication des télégrammes diplomatiques du département d’État américain.

La septième décision sur le dispositif Backpage est une importante jurisprudence sur le Premier amendement, un correctif indispensable dans une période de blocage financier toujours plus fréquent. Mais une grande partie de la décision sur l’affaire est fondée sur la mise en évidence des tactiques maladroites du shérif Dart, sur la pression évidente que les salariés de Visa ont qualifié par écrit de « chantage ». Qu’arrive-t-il dans le cas d’une affaire plus subtile atterrissant devant un juge aux penchants moins libéraux ?

De la même façon que la monnaie papier s’évapore de nos poches et que le pays entier – et même le monde – sont peu à peu plongés dans une société sans argent liquide, la censure financière pourrait devenir invasive, libérée de tous droits légaux ou garanties significatifs.

* * *

En janvier 2011, peu de temps après la mise en place du blocus financier de WikiLeaks, le fondateur de WePay a posté un Demandez-moi tout sur Reddit, appelant son entreprise l’« anti-Paypal ». Il a écrit qu’il était particulièrement inquiet de la facilité avec laquelle PayPal a gelé des comptes recueillant des fonds pour de bonnes causes.

Cela s’est passé un mois ou deux après que les organismes de paiement – y compris PayPal – ont choisi de bloquer WikiLeaks. D’une manière prévisible, un commentateur a posé une question directe sur WikiLeaks.

« Théoriquement, vous pouvez utiliser WePay pour recueillir de l’argent de personnes dans vos cercles sociaux et en faire don à qui vous voulez, » a-t-il écrit en réponse. « Ceci dit, nous avons intentionnellement fait profil bas et nous nous sommes contentés d’observer. … Nous sommes fiers de ne pas avoir gelé de comptes, mais dans des cas extrêmes comme WikiLeaks, il y a toujours un risque d’y être contraints par les autorités. »

Quatre ans plus tard, la société a semblé avoir décidé qu’une collecte de fonds pour couvrir les frais d’hospitalisation d’une travailleuse du sexe constituait un cas extrême comme WikiLeaks.

Source : The Atlantic, le 08/04/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/comment-une-societe-sans-argent-liquide-pourrait-enhardir-big-brother-par-sarah-jeong/


‘Yats’ n’est plus notre homme, par Robert Parry

Monday 16 May 2016 at 00:01

Source : Consortiumnews.com, le 11/04/2016

Le 11 avril 2016

Exclusif : Plusieurs semaines avant le coup d’État ukrainien de 2014, la secrétaire d’État adjointe américaine Nuland avait déjà choisi Arseniy Yatsenyuk pour être le prochain dirigeant, mais désormais, “Yats” n’est plus notre homme, écrit Robert Parry.

Par Robert Parry

Dans leur rapport sur la démission du Premier ministre ukrainien Arseniy Yatsenyuk, les grands journaux américains ont ignoré ou déformé le trop fameux appel téléphonique intercepté avant le coup de 2014 dans lequel elle déclarait “Yats est notre homme !”

Bien que le coup de téléphone de Nuland initia beaucoup d’Américains à l’encore obscur Yatsenyuk, sa date – quelques semaines avant l’éviction du président ukrainien élu, Viktor Ianoukovitch – n’a pas facilité la fable que Washington voulait imposer, celle du peuple ukrainien se soulevant de lui-même pour chasser un dirigeant corrompu.

La secrétaire d'État adjointe aux affaires européennes, Victoria Nuland, qui soutint le coup ukrainien et aida à choisir les chefs issus de cette opération.

La secrétaire d’État adjointe aux affaires européennes, Victoria Nuland, qui soutint le coup ukrainien et aida à choisir les chefs issus de cette opération.

Au lieu de cela, la conversation entre Nuland et l’ambassadeur des États-Unis en Ukraine, Geoffrey Pyatt, ressemblait plutôt à celle de deux proconsuls choisissant les politiciens ukrainiens qui devaient diriger le nouveau gouvernement. Nuland dénigra également l’approche moins agressive de l’Union européenne d’un bref “Que l’UE aille se faire foutre !”

Plus important encore, l’appel intercepté, mis sur YouTube au début février 2014, montrait clairement que ces officiels américains de haut rang étaient en train de préparer – ou au moins de collaborer à – un coup d’État contre le président démocratiquement élu d’Ukraine. C’est pourquoi le gouvernement et les médias américains ordinaires ont, depuis, jeté cette discussion fort éclairante dans le grand trou noir de la mémoire.

Lundi, en écrivant sur le discours de Yatsenyuk de dimanche durant lequel il annonçait sa démission, ni le Washington Post, ni le Wall Street Journal n’ont mentionné la conversation entre Nuland et Pyatt.

Le New York Times mentionna l’appel mais égara ses lecteurs en suggérant que l’appel est venu après le coup et pas avant. Cela transforme l’appel en une discussion de deux officiels discutant de qui pouvait devenir Premier ministre et fait oublier qu’ils étaient en train de comploter pour abattre un gouvernement en faveur d’un autre déjà prévu.

L’article du Times, signé par Andrew E. Kramer, disait : “Avant la nomination de M. Yatsenyuk au poste de Premier ministre en 2014, un enregistrement fuité d’une conversation téléphonique entre Victoria J. Nuland, une secrétaire d’État adjointe des États-Unis et l’ambassadeur des États-Unis en Ukraine, Geoffrey R. Pyatt, sembla souligner le soutien de l’Occident à sa candidature. “Yats est notre homme”, déclara Mme Nuland.”

Le Premier ministre ukrainien Arseniy Yatsenyuk. (Photo credit: Ybilyk)

Le Premier ministre ukrainien Arseniy Yatsenyuk. (Photo credit: Ybilyk)

Notez bien que si vous ne saviez pas que cette conversation a eu lien fin janvier ou au début du mois de février 2014, vous ne pourriez pas savoir qu’elle précédait le coup d’État du 22 février 2014. Vous imagineriez que ce n’était qu’un bavardage positif pour Yatsenyuk comme candidat à ce poste.

Vous ne sauriez pas non plus que la conversation entre Nuland et Pyatt était centrée sur la façon de “monter ce truc” ou “faire accoucher ça”. Ce sont des commentaires sonnant a priori comme des preuves que le gouvernement des États-Unis était occupé à un “changement de régime” en Ukraine, sur la frontière russe.

La conclusion “sans coup d’État”

Mais le manque de précision de Kramer sur la nature et la date de cet appel correspond à une longue suite de prises de position tendancieuses du New York Times sur sa couverture de la crise ukrainienne. Le 4 janvier 2015, presque un an après le coup soutenu par les États-Unis, le Times publia un article “de fond” déclarant qu’il n’y eut jamais de coup de d’État. Il s’agit juste de l’affaire du président Ianoukovitch décidant de partir pour de bon.

Cette conclusion s’explique en partie par l’oubli [volontaire] de l’appel de Nuland et Pyatt qui prouve l’idée de complot. Elle a été coécrite par Kramer, ce qui démontre qu’il était au moins au courant du “Yats est notre homme” bien qu’elle fut absente du grand article de l’année dernière.

À la place, Kramer et son corédacteur, Andrew Higgins, se donnèrent beaucoup de mal pour ridiculiser toute personne qui prendrait en considération cet appel et en arriverait à la conclusion fort malvenue d’un coup d’État. Si vous le faisiez, vous ne seriez qu’un abruti qui s’est laissé tromper par la propagande russe.

« La Russie a attribué la destitution de M. Ianoukovitch à ce qu’elle décrit comme un coup d’État violent, “néofasciste”, soutenu et même orchestré par l’Occident et travesti en soulèvement populaire, » ont écrit Higgins et Kramer. « En dehors de la bulle de propagande russe, la ligne du Kremlin n’a guère été prise au sérieux. Mais presque un an après la chute du gouvernement de M. Ianoukovitch, les questions demeurent posées sur comment et pourquoi il s’est complètement effondré si rapidement. »

L’article du Times a conclu que Ianoukovitch « n’a pas été renversé parce que ses alliés l’avaient abandonné, et les officiels occidentaux ont été comme tout le monde surpris par la débâcle. La désertion des alliés, alimentée en grande mesure par la peur, a été accélérée par la saisie par les manifestants d’un grand stock d’armes à l’ouest du pays. Mais tout aussi important, l’examen des dernières heures montre la panique dans les rangs gouvernementaux créée par les propres efforts de paix de M. Ianoukovitch. »

Le président destitué Viktor Ianoukovitch.

Le président destitué Viktor Ianoukovitch.

Pourtant, on pourrait se demander à quoi ressemble un coup d’État selon le Times. En effet, le coup d’État ukrainien avait les mêmes caractéristiques que les classiques changements de régime réalisés par le CIA en Iran en 1953 et au Guatemala en 1954.

Le processus de ces coups d’État est maintenant historiquement bien connu. Des agents secrets du gouvernement américain ont diffusé une propagande malveillante visant le dirigeant, suscité le chaos politique et économique, conspiré avec des leaders politiques rivaux, répandu la rumeur de pires violences à venir et ensuite – lorsque les institutions politiques se sont effondrées – assisté au départ précipité du dirigeant apeuré, quoique dûment élu.

En Iran, le coup d’État a réinstallé le Shah autocrate qui a régné depuis avec une poigne de fer pendant le quart de siècle suivant ; au Guatemala, le coup d’État a conduit à plus de trois décennies de régimes militaires brutaux et au massacre de quelque 200 000 guatémaltèques.

Les coups d’État ne doivent pas forcément impliquer des chars de l’armée occupant les places publiques, bien que ce soit une variante qui suit la plupart des mêmes étapes initiales, sauf que l’armée participe à la fin. Le coup d’État militaire était une méthode courante en particulier en Amérique latine dans les années 60 et 70.

“Révolutions de couleur”

Mais la méthode préférée ces dernières années a été la « révolution de couleur », qui opère derrière la façade d’un soulèvement populaire « pacifique » et avec une pression internationale sur le leader ciblé pour qu’il fasse preuve de retenue, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour arrêter le coup d’État. Malgré sa retenue, le chef est toujours accusé de violations flagrantes des droits de l’homme, ce qui justifie d’autant mieux son renvoi.

Plus tard, le dirigeant évincé peut changer d’image ; au lieu d’un tyran cruel, il est ridiculisé pour ne pas avoir montré une détermination suffisante et laissé sa base de soutien fondre, comme c’est arrivé avec Mohammad Mossadegh en Iran et Jacobo Arbenz au Guatemala.

Mais la réalité de ce qui est arrivé en Ukraine n’a jamais été difficile à saisir. Nul besoin non plus de faire partie de « la bulle de la propagande russe » pour la comprendre. George Friedman, fondateur de la société de renseignement international Stratfor, a qualifié le renversement de Ianoukovitch de « coup d’État le plus évident de l’histoire ».

C’est ce qui apparaît si vous considérez les faits. La première étape du processus a consisté à créer des tensions autour de la question de sortir l’Ukraine de l’orbite économique de la Russie et de l’inclure dans celle de l’Union européenne, un plan défini par les néoconservateurs américains influents en 2013.

Le 26 septembre 2013, Carl Gershman, président du National Endowment for Démocraty (Fondation nationale pour la démocratie), un important bailleur de fonds des néoconservateurs depuis des décennies, dans un article du journal néoconservateur Washington Post, a appelé l’Ukraine « le plus grand trophée » et une étape intermédiaire majeure vers le renversement du président russe Vladimir Poutine.

À l’époque, Gershman, dont la NED est financée par le Congrès des États-Unis à hauteur d’environ 100 millions de dollars par an, finançait des dizaines de projets en Ukraine en formant des militants, en payant des journalistes et en organisant des groupes commerciaux.

Concernant un trophée encore plus important – Poutine –, Gershman a-t-il écrit : « Le choix de l’Ukraine de rejoindre l’Europe va accélérer la disparition de l’idéologie impérialiste russe représentée par Poutine. Les Russes aussi ont le choix, et Poutine peut se retrouver lui-même du côté des perdants et pas seulement dans son proche voisinage, mais à l’intérieur même de la Russie. »

A cette époque, au début de l’automne 2013, le président ukrainien Ianoukovitch envisageait la possibilité de tendre la main à l’Europe par un accord d’association. Mais il a pris peur en novembre 2013, lorsque des experts en économie à Kiev l’ont avisé que l’économie ukrainienne subirait un contrecoup de 160 milliards de dollars si elle se séparait de la Russie, son voisin oriental et principal partenaire commercial. Il y avait aussi la demande de l’Occident que l’Ukraine accepte un sévère plan d’austérité du Fonds monétaire international.

Ianoukovitch voulait plus de temps pour négocier avec l’Union européenne, mais sa décision irrita de nombreux ukrainiens de l’Ouest qui voyaient leur avenir plus lié à l’Europe qu’à la Russie. Des dizaines de milliers de manifestants ont commencé à camper place Maïdan à Kiev et Ianoukovitch a ordonné à la police de faire preuve de retenue.

Pendant que Ianoukovitch revenait vers la Russie qui offrait un prêt plus généreux de 15 milliards de dollars et du gaz naturel à prix réduit, il est rapidement devenu la cible des néoconservateurs et des médias américains qui ont décrit l’instabilité politique de l’Ukraine comme une situation tranchée entre un Ianoukovitch brutal et corrompu et un sacro-saint mouvement d’opposition « pro-démocratie ».

Un soulèvement acclamé

Le soulèvement de Maïdan a été poussé par les néoconservateurs américains, dont la secrétaire d’État adjointe aux Affaires européennes, Nuland, qui a distribué des biscuits aux manifestants de la place Maïdan et a rappelé aux chefs d’entreprise ukrainiens que les États-Unis avaient investi 5 milliards de dollars pour leurs « aspirations européennes ».

Une capture d'écran de la secrétaire d'État adjointe américaine aux Affaires européennes, Victoria Nuland, parlant à des chefs d'entreprise américains et ukrainiens le 13 décembre 2013, lors d'un événement parrainé par Chevron, dont le logo est à gauche de Nuland. Le sénateur d'Arizona, John McCain, se montre, debout sur la scène, avec des extrémistes de droite du Parti Svoboda, pour dire à la foule que les États-Unis étaient avec eux dans leur contestation du gouvernement ukrainien.

Une capture d’écran de la secrétaire d’État adjointe américaine aux Affaires européennes, Victoria Nuland, parlant à des chefs d’entreprise américains et ukrainiens le 13 décembre 2013, lors d’un événement parrainé par Chevron, dont le logo est à gauche de Nuland.
Le sénateur d’Arizona, John McCain, se montre, debout sur la scène, avec des extrémistes de droite du Parti Svoboda, pour dire à la foule que les États-Unis étaient avec eux dans leur contestation du gouvernement ukrainien.

A l’approche de l’hiver, les protestations sont devenues plus violentes. Des éléments néonazis et d’autres extrémistes de Lviv et d’autres villes ukrainiennes de l’ouest ont commencé à arriver en brigades bien organisées ou « sotins » (centaines) de cent combattants de rue entraînés. La police a été attaquée avec des bombes incendiaires et d’autres armes, tandis que les manifestants déchaînés ont commencé à s’emparer des bâtiments du gouvernement et à déployer des drapeaux nazis et même un drapeau confédéré.

Bien que M. Ianoukovitch ait continué d’ordonner à sa police de faire preuve de retenue, il était toujours représenté dans les grands médias américains comme un voyou brutal qui assassinait froidement son propre peuple. Le chaos a atteint son paroxysme le 20 février lorsque de mystérieux tireurs embusqués ont ouvert le feu, tuant deux policiers et des manifestants. Comme la police se retirait, les militants ont avancé en brandissant des armes à feu et d’autres armes. La confrontation a conduit à des pertes importantes, alourdissant le nombre de morts à environ 80, dont plus d’une dizaine de policiers.

La presse grand public et les diplomates américains ont immédiatement blâmé Ianoukovitch pour l’attaque des tireurs embusqués, bien que les circonstances restent troubles à ce jour et que certaines enquêtes aient suggéré que le tir mortel de tireurs d’élite soit venu de bâtiments contrôlés par des extrémistes du Secteur droit [parti politique ultranationaliste antirusse, NdT].

Pour atténuer la montée de la violence, c’est un Ianoukovitch ébranlé qui a signé un accord européen négocié le 21 février, dans lequel il accepte des pouvoirs réduits et une élection anticipée qui pourrait le conduire à quitter ses fonctions. A la demande du vice-président Joe Biden, il a également accepté de retirer les forces de police.

Le retrait précipité de la police a ouvert la voie aux néonazis et à d’autres combattants de la rue pour s’emparer des bureaux présidentiels et forcer Ianoukovitch et son équipe à fuir pour rester en vie. Le nouveau régime de coup d’État a été immédiatement déclaré « légitime » par le département d’État des États-Unis et Ianoukovitch recherché pour meurtre. Le favori de Nuland, Iatsenyuk, est devenu le nouveau Premier ministre.

Tout au long de la crise, la presse grand public américaine a martelé le thème des manifestants tout blanc contre un président tout noir. La police a été dépeinte comme composée de tueurs brutaux qui ont tiré sur des partisans de la « démocratie » non armés. Des grands médias, les Américains n’ont entendu que ce récit manichéen.

Le New York Times est allé jusqu’à supprimer du récit les policiers tués et simplement signaler que tous les morts de la place Maïdan avaient été tués par la police. Un classique compte rendu du Times du 5 mars 2014 résume l’histoire : « Plus de 80 manifestants ont été abattus par la police lors d’un soulèvement incontrôlable monté en flèche mi-février. »

Les médias grand public américains ont également cherché à discréditer quiconque faisait remarquer le fait évident qu’un coup d’État anticonstitutionnel venait de se produire. Un nouveau thème est apparu qui dépeint Ianoukovitch comme décidant simplement d’abandonner son gouvernement en raison de la pression morale des nobles et pacifiques manifestations de Maïdan.

Toute référence à un “coup d’État” a été rejetée comme « propagande russe ». Il y avait une détermination parallèle dans les médias américains à discréditer ou ignorer les preuves que les milices néonazis avaient joué un rôle important dans l’éviction de Ianoukovitch et dans la suppression ultérieure de la résistance anti-coup d’État dans l’est et le sud de l’Ukraine. Cette opposition des Ukrainiens de souche russe est tout simplement devenue « l’agression russe ».

Symboles nazis sur les casques portés par les membres du bataillon Azov d'Ukraine. (Filmé par une équipe de tournage norvégienne et diffusé à la télévision allemande.)

Symboles nazis sur les casques portés par les membres du bataillon Azov d’Ukraine. (Filmé par une équipe de tournage norvégienne et diffusé à la télévision allemande.)

Ce refus de discerner ce qui était en fait remarquable dans cette histoire – le déchaînement volontaire de troupes d’assaut nazies sur une population européenne pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale – a atteint des niveaux absurdes avec le New York Times et le Washington Post enterrant les références aux néonazis en fin d’articles, presque comme des réflexions a posteriori.

Le Washington Post est allé jusqu’à justifier Swastikas et autres symboles nazis en citant un commandant de milice les qualifiant de gestes « romantiques » de jeunes hommes influençables. [Lire sur Consortiumnews.com : “Ukraine’s ‘Romantic’ Neo-Nazi Storm Troopers.”]

Mais aujourd’hui – plus de deux ans après ce que les responsables américains et ukrainiens aiment appeler « la révolution de la dignité » – le gouvernement ukrainien soutenu par les États-Unis s’enfonce dans le dysfonctionnement, tributaire de l’assistance du FMI et des gouvernements occidentaux.

Et, dans un mouvement peut-être maintenant plus symbolique qu’essentiel, le Premier ministre Iatseniouk se retire. Yats n’est plus notre homme.

Source : Consortiumnews.com, le 11/04/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/yats-nest-plus-notre-homme-par-robert-parry/


Denis Robert : « On nous prend vraiment pour des cons »

Sunday 15 May 2016 at 01:00

Source : Reporterre, Denis Robert, 04-05-2016

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Alors que le procès d’Antoine Deltour, qui a révélé l’évasion fiscale au Luxembourg, se poursuit, et que la directive sur le secret des affaires est en voie d’être adoptée, Denis Robert juge que les banques continuent à avoir la main sur tout, et que les politiques sont complices. Observateur de Nuit debout, il espère un renouveau politique.

Journaliste et écrivain, Denis Robert a révélé avec l’affaire Clearstream, des mécanismes cruciaux d’évasion fiscale. Il a remporté en 2011 une longue bataille judiciaire contre les banques qui le poursuivaient.


Reporterre – Qu’est-ce qu’implique la directive sur le secret des affaires pour les citoyens et les journalistes  »

Denis Robert – Elle oblige le journaliste et surtout le lanceur d’alerte à faire la preuve qu’il n’espionne pas pour le compte d’autres entreprises, ou à des fins commerciales. C’est ce point qui pose réellement problème. Il est invraisemblable que cette directive, qui est un désir des multinationales et des lobbies bancaires, tombe au moment de la révélation des Panama Papers [évasion fiscale massive au Panama], et au moment du procès du lanceur d’alerte Antoine Deltour [qui a révélé les mécanismes d’évasion fiscale au Luxembourg]. Le gouvernement et les socialistes français sont dans une bipolarité éloquente : d’un côté, des beaux discours sur « Il faut protéger les lanceurs d’alertes », Et de l’autre, les députés socialistes européens qui votent dans leur majorité pour le secret des affaires. On nous prend vraiment pour des cons. En quoi cette directive va-t-elle aider à lutter contre la pauvreté, à rendre l’Europe plus démocratique ? En rien ! C’est encore une fois une loi qui sert les intérêts des puissants. C’est pour ça qu’il y a une grande fatigue qui s’empare de moi, et de tout le monde. Quand tu vois ce que l’on subit comme mensonges médiatiques et politiques quand tu es démocrate comme moi. – j’ai voté Hollande au second tour -, et quand tu vois toutes les couleuvres qu’on nous fait avaler… Cela rend la situation quasi pré-insurrectionnelle. En tout cas, il y a un climat où il ne fait pas bon vivre en France.

Cette atmosphère pré-insurrectionnelle te paraît-elle légitime ?

Je n’ai pas vécu beaucoup d’insurrections, j’avais neuf ans en 68. Mais là, il y a des violences policières, et je constate la distance entre la manière dont les médias mainstream en parlent, les images qu’ils nous montrent, et les vidéos virales sur Facebook où tu vois policiers très violents pris la main dans le sac. Mais on n’en est pas encore à une insurrection, on n’est pas à 500 000 personnes dans les rues. Nuit Debout se cherche. Le niveau des débats y est assez faible. Il y a d’un côté ceux qui ne veulent pas être récupérés politiquement, qui hurlent contre des Julien Bayou, contre la CGT, mais quand tu les écoute, à part refaire la constitution, et ne pas vouloir être récupéré, ils ne proposent pas grand-chose politiquement. Des mecs écrivent : « Faisons un grève générale », mais c’est retweeté dix fois, c’est pas avec ça que tu fais une grève générale.

Que signifie selon toi Nuit Debout ?

Cela arrive en résonance avec le dégoût du politique. Ce qui réunit tous ces gens, c’est qu’on ne croit plus à la gauche du gouvernement. Et qu’on est très méfiant, y compris à l’égard de Mélenchon ou des écolos. On n’est plus représenté. Je me sens très Nuit Debout, je rentre en adéquation avec leur mouvement, j’irai sans doute présenter un film un soir, j’y suis allé deux trois fois, j’ai filmé. Mais je reste dans mon rôle qui est celui de témoin, de journaliste, d’écrivain, de commentateur parfois.

« Nuit debout entre en résonance avec le dégoût du politique »

« Nuit debout entre en résonance avec le dégoût du politique »

Je mène ce combat depuis des années contre le capitalisme clandestin, contre les banques systémiques qui ont la main sur tout. Ma liberté de parole a été chèrement acquise. C’est parce que j’ai résisté à leurs pressions et que j’ai gagné mes procès qu’aujourd’hui je suis audible. Ce n’est pas pour ça que j’ai une solution, mais simplement des explications. Et le truc que je peux démontrer, c’est que les problèmes que rencontre ce pays en matière de taux de chômage, de pauvreté, de fiscalisation trop importante,… pourraient être facilement résolus si les partis luttaient véritablement contre l’évasion de capitaux et contre la fraude fiscale.

On les a pris la main dans le sac récemment avec Luxleaks. Entre 50 et 100 milliards de rentrées fiscales qui ne sont pas rentrées. Et Luxleaks ne représente que 340 multinationales. Le procès d’Antoine Deltour a lieu au Luxembourg dans un théâtre qui s’appelle un tribunal, dans une pièce qui a été coécrite par Kafka et Ionesco. C’est une situation dingue où les accusateurs sont les voleurs. Au Luxembourg, tu ne peux pas avoir de justice financière ni de justice tout court. Ces juges ne sont instrumentalisés que pour faire condamner Antoine Deltour. Ils sont obligés d’en faire un exemple parce qu’autrement, tout leur business s’effondre.

Le Luxembourg est un pays scélérat, un pays qui participe à ce kidnapping géant qui fait qu’aujourd’hui la France est pauvre. Et pourquoi n’est-il pas attaqué par François Hollande ? Pourquoi, quand Manuel Valls y est allé il y a quinze jours, a-t-il fermé sa gueule quand on l’a interrogé sur Antoine Deltour ? Son silence est la preuve absolue que Manuel Valls est un homme de droite qui soutient le système bancaire et le système politique luxembourgeois.

Eva Joly publie un livre sur Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre du Luxembourg et aujourd’hui président de la commission européenne. Est-il un brigand ou une victime ?

Il n’est certainement pas victime ! Il n’est pas brigand. Il y a une vidéo sur internet assez troublante où il dit en substance qu’il n’est pas l’homme des banques et du capitalisme. Il dit : « Il y a pire que moi dans cette assemblée ». Juncker est évidemment l’homme du système bancaire, l’homme qui pendant vingt ans a organisé la fraude à Luxembourg. Mais, humainement c’est quelqu’un d’assez sympathique. Son surnom c’est « Mister Dijo », dijo comme digestif. Il te tape tout de suite sur l’épaule, il est très drôle, il sort des vannes. Et il adore être pris pour un con alors qu’il ne l’est pas. Il part trois langues couramment, il a une culture parfaite des institutions européennes, il connaît tous ses dirigeants. Et surtout, il connaît tous leurs secrets. Ayant été à la place ou il a été dans le système bancaire luxembourgeois, il a des dossiers sur tout le monde. Je peux vous donner un exemple que j’ai vécu au moment de Clearstream. Quand Peillon et Montebourg ont mené leur enquête sur le Luxembourg, elle était accablante : « Le Luxembourg plaque tournante du blanchiment », « Paradis des trusts », « Clearstream la boîte qui organise la fraude », des propos violents. Que s’est-il passé ? Démenti de Laurent Fabius et d’Hubert Védrine. Pourquoi ? Parce que Juncker a dit en substance, relayé par une dépêche de l’AFP : « Que les Français ne viennent pas nous donner des leçons parce qu’on pourrait leur parler des retro commissions sur les ventes d’armes ou sur le nucléaire ». A la suite de quoi, Vedrine a dit : « Peillon et Montebourg se trompent, le Luxembourg est un pays qui fait des efforts en matière de lutte contre la fiscalité ». Si Juncker se retrouve à la tête de l’Europe aujourd’hui, c’est parce il est l’homme des banques et du système.

« Jean-Claude Juncker est l’homme des banques »

« Jean-Claude Juncker est l’homme des banques »

Ce qui est lamentable c’est de voir qu’un parti qui se dit socialiste a voté pour ce type-là en accord avec le Parti populaire et les partis de droite. Les seuls qui nous représentent un petit peu à Bruxelles sont les Verts allemands et français, ou le Belge Philippe Lamberts, qui est formidable.

Qu’est-ce qui a changé depuis Clearstream, après Luxleaks, les Panama Papers ?

Avec Clearstream on était des pionniers. Clearstream participe exactement du même fonctionnement que Luxleaks, que SwissLeaks, que les Panama Papers, même si l’ampleur est différente. Des témoins de l’intérieur ont le courage de filer des documents. Ce qui unit toutes ces histoires, c’est l’informatique, le piège infernal que représentent les traces numériques de ces échanges financiers. Les fraudeurs ne sont plus à l’abri d’un piratage ou du fait qu’à l’intérieur de ces systèmes, des hommes aient des problèmes de conscience. La fraude fiscale devient de plus en plus insupportable, parce les très riches le sont de plus en plus et la paupérisation s’aggrave. C’est pour cela que je reviens à mon propos originel : ces affaires sont fondamentales. Si t’as une hiérarchie à faire dans la lutte contre le chômage, contre le racisme, les problèmes de migration, Daesh,… eh bien, être de gauche aujourd’hui, c’est lutter contre les banques. C’est reprendre le discours de François Hollande au Bourget et le réaliser concrètement !

Comment expliquer que malgré tout ce qui est sur la table – les Panama Papers, Luxleaks, les banques -, rien ne semble bouger vraiment ?

Une des premières explications est que les politiques consolident ce système. Quand je vois que Laurent Wauquiez finance son parti politique avec l’argent des traders de Londres, je ne vais pas lui demander de lutter contre la finance. Nombre d’hommes politiques sont financés par BNPParibas ou par des industriels. Regarde Sarkozy : comment peut-on aujourd’hui accorder une once de crédit à ce type qui s’est payé toutes ses conférences chez Goldman Sachs et qui nous a annoncé la fin des paradis fiscaux ? Il nous a vraiment pris pour des cons. Juncker est un homme du système, Sarkozy en est un autre : c’est vraiment le petit télégraphiste de Goldman Sachs.

L’autre explication est que les médias n’ont jamais pris à leur juste mesure l’importance de ces histoires. Il a fallu attendre dix ans pour que le journal Le Monde découvre que les banques françaises ont des filiales dans les paradis fiscaux.

La bonne nouvelle de tout ça est que l’opinion est de plus en plus sensible à ces questions.

Que faut-il faire pour que cela change ?

Il faut créer Podemos, faire un parti politique. La solution pour moi est de trouver quelqu’un qui n’a pas d’ambition politique. On me dit Nicolas Hulot, pourquoi pas ? Mais il n’en a pas envie, et je le comprends, ça demande un tel effort. Dans l’offre qui m’est faite, je voterais sans doute Mélenchon. Mais sur les questions de finance il n’est pas assez bon, et en général, il est hyper clivant. Il a une sorte d’arrogance qui fait que je ne pense pas qu’il soit capable de fédérer. Accepterait-il si, un homme vient de cette gauche-là, de le suivre ? Peut-être, je ne crois pas que ce soit un mec accroché au pouvoir.
Mais on ne l’a pas encore, cet homme providentiel. De toute manière, les partis d’extrême gauche sont tous partis comme en 40 pour le grand morcèlement. On s’achemine vers une autoroute pour Alain Juppé, s’il ne fait pas de conneries. Ce sera moins pire que Marine Le Pen ou que Nicolas Sarkozy, et ce sera équivalent à François Hollande.

« Des lanceurs d’alerte, il y en aura tout le temps et partout »

« Des lanceurs d’alerte, il y en aura tout le temps et partout »

Tout ce que tu dis ne décrit pas un monde libéré de la finance ?

C’est pour cela que la trahison de François Hollande est vraiment dure à avaler. On ne le sait pas, mais j’ai rédigé des notes en préparation de son discours du Bourget. Ses proches m’avaient envoyé son discours une semaine avant. Et il y a des éléments de langage qui viennent de mes notes. Dans une des premières versions du discours, il y avait des noms de banques, il s’y attaquait. Ce n’était pas une abstraction. Mais ça l’est devenu, et c’est là où il a des propos qui sont électoralistes et vraiment putassiers. Il n’y croyait pas, à son discours sur la finance. En arrivant au pouvoir, il aurait dû agir très vite : séparer les banques d’affaires et de dépôt, interdire les filiales dans les paradis fiscaux, avoir une liste des paradis fiscaux. Il ne l’a pas fait alors qu’il aurait pu. Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Depuis, ça n’a fait qu’empirer. De reniement en reniement. L’indice tangible de ces reniements, c’est la liste annuelle des paradis fiscaux qui n’a fait que se réduire, alors que l’argent abondait partout, Luxembourg, Singapour, Caïmans… 
Mais tu ne peux pas être ministre de l’économie socialiste comme l’est Michel Sapin et considérer que le Panama n’est pas un paradis fiscal. C’est pourtant ce qu’il a fait une semaine avant le scandale pour toussoter une semaine après, « Excusez moi je me suis trompé ». C’est d’une stupidité crasse. Soit ce sont des ignorants et c’est grave, soit ils sont des complices. Avant Luxleaks, j’avais encore des précautions oratoires quand je parlais d’Hollande. Parce que l’homme a un petit côté touchant et drôle, et je déteste le Hollande bashing – toutes ces vannes un peu facile que te balancent les mecs de droite qui feraient pire à sa place. Mais là ce n’est plus possible.

Ton constat est sombre. 

Pas forcément. Luxleaks c’est génial, parce que là, les multinationales et le Luxembourg sont pris la main dans le sac. On arrive à un autre stade de connaissance des processus avec le rôle prééminent des sociétés d’audit dans le pillage des nations. Avec Luxleaks, on tombe sur Price waterhouse Cooper qui est une pieuvre mondiale, payée par ses clients, les banques et les multinationales. Pour nous faire les poches, les prédateurs financiers –ces super riches qui amassent des fortunes de plus en plus colossales- ont besoin d’outils financiers discrets pour les transferts –des boîtes comme Clearstream-, d’auditeurs complices qui leur donnent un vernis de respectabilité – les juristes et faux comptables des big four– et de royaumes de papier comme le Luxembourg où ils peuvent planquer le produit de leur vol. Ce système est très verrouillé. Sauf qu’avec les affaires qui sortent et surtout Luxeleaks, les masques tombent. La succession de scandales peut réveiller les gens.

Si Antoine Deltour est condamné, ce qui est possible, la colère va gronder. S’il est relaxé, c’est la porte ouverte à beaucoup de lanceurs d’alerte. Donc, in fine, la mort du Luxembourg. Je ne crois donc pas à cette seconde hypothèse. Ce serait un coup de tonnerre là-bas. De toute manière, et c’est la bonne nouvelle de l’histoire, des lanceurs d’alerte il y en aura tout le temps, partout et de plus en plus. Tant qu’on ne peut pas transformer tous les types qui bossent dans des boîtes comme les banques et les sociétés d’audit, ou les petites mains des ministères, par des machines, il y aura des fuites. C’est l’impondérable, le facteur humain. C’est ce qui à terme va les déstabiliser. C’est ce qui fait vaciller le système et flipper les voleurs ou les Jean Claude Juncker. Pourquoi crois-tu qu’ils nous sortent aujourd’hui cette loi sur le secret des affaires ? L’informatique est un piège merveilleux pour nous. Et infernal pour eux.

- Propos recueillis par Hervé Kempf et Marc Sautelet

Source : Reporterre, Denis Robert, 04-05-2016

Source: http://www.les-crises.fr/denis-robert-on-nous-prend-vraiment-pour-des-cons/


Une ado expulsée de son lycée à cause de sa robe jugée trop longue, par Sarah Diffalah

Sunday 15 May 2016 at 00:04

Au delà du fond de l’affaire, illustratif de l’époque (ça se complique pour trouve rune bonne taille de robe…), l’aspect inquisitif interpelle…

Source : Le Nouvel Obs, Sarah Diffalah, 05-05-2016

Une élève de première, convertie à l’islam, s’est vue refuser l’accès à son lycée en raison de sa robe jugée trop longue.

 Elève de première au lycée Flora Tristan à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), K., 16 ans,  s’est vu refuser l’accès de son établissement, mardi 3 mai, en raison de sa robe, jugée trop longue. La veille, la proviseure lui avait signifié que sa tenue vestimentaire était un “signe ostentatoire religieux”, et donc qu’elle ne pouvait pas la porter dans le lycée.

Depuis 2004, la loi prévoit que : “Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève.”

Les signes religieux discrets sont tolérés, par respect pour les libertés publiques. Mais où placer la frontière ? Sur la question des jupes longues, le Conseil d’Etat ne s’est pas encore prononcé.

Convertie à l’islam

K. s’est convertie à l’islam il y a un an. Chaque matin, avant d’entrer en cours, elle retire son voile. Mais ce mardi, la jeune fille, en robe longue noire H&M, un gilet arrivant au genoux et des baskets est accueillie à l’entrée par la proviseure. “Elle lui a signifié qu’elle était interdite d’entrée dans l’établissement avec cette tenue, sans lui expliquer pourquoi”, raconte sa mère Marie-Christine de Sousa, jointe par “L’Obs”.

“Ma fille, franco-portugaise, issue d’une famille catholique, s’est convertie à l’islam, oui. Je l’ai toujours accompagnée dans son choix et dans ses décisions. En début d’année, je l’ai autorisée à porter le voile, qu’elle enlève avant d’entrer en cours. Et donc elle met des robes longues pour aller à l’école”.

Lundi, en fin de journée, après la convocation dans le bureau de la proviseure, la jeune fille avait prévenu sa mère par SMS, selon le récit de cette dernière : “Ne pouvant joindre la proviseure, j’ai appelé la CPE [conseiller principal d’éducation, ndlr] pour savoir ce qui se passait. Le lendemain, je me suis présentée au lycée pour demander à voir la proviseure”.

La responsable de l’établissement reçoit brièvement Marie-Christine de Sousa. Elle lui explique que “porter des robes longues dans un établissement public et laïc n’est pas tolérable, c’est un signe religieux”. La maman demande alors un document écrit sur lequel est fait mention du motif de l’exclusion. “Elle a refusé et a insisté sur le fait que dorénavant, ma fille ne serait pas admise en robe longue.”

Une plainte est envisagée

Après notre coup de fil au lycée mercredi, l’adjointe de la proviseure a appelé la famille pour proposer un dialogue lundi. La famille compte porter plainte. Marie-Christine de Sousa juge sévèrement la décision du lycée : “Ma fille respecte la loi, je respecte sa religion, il y a juste de la tolérance et du respect. Jusque là, on ne lui avait fait aucune remarque sur sa tenue. Excepté les quelques problèmes de bavardages, c’est une fille très discrète sur sa conversion. Il faut que les gens arrêtent de faire des amalgames et de juger trop vite”.

K. a fait l’objet d’une enquête du personnel éducatif concernant sa conversion. “La procédure , habituelle dans ce genre de cas, s’est bien passé, on est venu chez nous, on a interrogé le corps enseignant et le dossier a conclu qu’il n’y avait aucun risque d’embrigadement. Le lycée en avait été avisé”, explique la mère.

Euh, c’est une blague ça ? Il y a donc une procédure standard dans l’Éducation nationale pour suivre la religion des élèves hmmm ? Quelqu’un est-il au courant ? – me contacter svp

“Une robe longue n’est pas un motif d’exclusion”

Joint ce mercredi, l’Académie de Créteil assure que la jeune fille “n’a en aucun cas été exclue de l’établissement”.

“Elle a été convoquée, cela n’a pas été d’une absolue sérénité, mais un dialogue a eu lieu avec la famille et qui va être poursuivi lundi et qui sera maintenu. L’intérêt c’est que cette jeune fille est qu’elle poursuive sa scolarité de façon normale. Une robe longue n’est pas un motif d’exclusion”.

“Ce sont certes des cas isolés”, estime Yasser Louati, porte-parole du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) qui a relayé l’affaire sur son site,  “mais certains personnels de l’Education nationale n’en font qu’à leur tête”.

L’actualité de l’année 2015 avait été ponctuée de nombreuses histoires similaires, dans un contexte de crispation autour de la notion de laïcité. Une tension telle qu’un hashtag s’était créé sur Twitter : #JePorteMaJupeCommeJeVeux.

Sarah Diffalah

Source : Le Nouvel Obs, Sarah Diffalah, 05-05-2016

Source: http://www.les-crises.fr/__trashed-2/


Barack Obama : En tant qu’ami, laissez-moi vous dire que l’Union européenne rend la Grande-Bretagne encore plus grande

Saturday 14 May 2016 at 03:46

Source : The Telegraph, le 21/04/2016

BARACK OBAMA

PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS

Le 23 avril 2016

En 1939, le président Franklin D. Roosevelt a porté un toast au roi George VI à la Maison-Blanche. “Je suis convaincu que la plus grande contribution de nos deux pays à la civilisation et au bien-être des peuples à travers le monde,” a-t-il dit “est le modèle que nous avons mis en place conjointement par notre manière de conduire les relations entre nos deux nations.”

Près de 80 ans plus tard, le Royaume-Uni reste un ami et un allié des États-Unis comme aucun autre. Notre relation particulière a été forgée par le sang versé ensemble sur les champs de bataille. Elle a été consolidée pendant la construction et le renforcement d’une structure pour faire progresser la prospérité et la stabilité en Europe, ainsi que notre vision démocratique autour du globe. Ceux qui, des cendres de la guerre, sont venus vers nous, ont eu la clairvoyance de créer des institutions et des mesures internationales afin d’assurer une paix durable : Nations Unies, OTAN, Bretton Woods, plan Marshall, Union européenne. Leurs efforts assurent une base à la démocratie, au libre marché, à l’État de droit, en offrant à l’Europe plus de 70 ans de relative paix et prospérité.

Aujourd’hui, nous faisons face à des épreuves – telles que terrorisme et agression, migrations et turbulences économiques. Ces défis, nous ne pouvons les relever que si les États-Unis et la Grande-Bretagne peuvent compter l’un sur l’autre, sur notre relation particulière, et sur les partenariats qui nous permettent de progresser.

Pendant ma visite à Londres, le Premier ministre Cameron et moi-même allons traiter toute la gamme de ces défis. Nous devons être résolus et adapter nos efforts à la prévention des attaques terroristes contre nos peuples, et continuer à avancer pour faire reculer la menace posée par l’État Islamique jusqu’à sa destruction. Nous devons travailler à résoudre les conflits politiques au Moyen-Orient – au Yémen, en Syrie et en Libye – pour ouvrir la perspective d’une plus grande stabilité. Nous devons continuer à nous investir dans l’Otan – pour être en mesure de répondre à nos engagements de l’Afghanistan à la mer Egée, et rassurer nos alliés qui ont raison d’être inquiets de l’agression russe. Et nous devons continuer à promouvoir une croissance globale, pour que nos jeunes puissent parvenir à plus d’opportunités et de prospérité.

Je me rends compte qu’il y a eu une quantité d’hypothèses – et un peu de polémiques – au sujet de l’opportunité de ma visite. Et je le confesse : je désire vraiment souhaiter en personne un bon anniversaire à la reine.

Mais je sais aussi que la campagne en cours est très animée. Mon pays traverse aussi la même chose. Et finalement, la question de savoir si le Royaume-Uni reste dans l’Europe est une question que les citoyens britanniques doivent décider par eux-mêmes.

Ceci dit, quand le président Roosevelt a porté un toast à notre relation particulière cette nuit-là, il a aussi fait la remarque que nous étions des amis sans crainte les uns envers les autres. Je dirai donc, avec la franchise d’un ami, que votre décision est d’un grand intérêt pour les États-Unis. Les dizaines de milliers d’Américains qui reposent dans les cimetières européens sont un témoignage silencieux de la manière dont notre prospérité et notre sécurité sont véritablement entremêlées. Et le chemin que vous déciderez de prendre fera écho chez la génération actuelle d’Américains aussi.

Tandis que les citoyens du Royaume-Uni se penchent sur leur relation avec l’Union européenne, vous devriez être fiers que l’Union européenne ait aidé à la diffusion des valeurs et des pratiques de la Grande-Bretagne – la démocratie, l’État de droit, l’ouverture des marchés – à travers le continent et à sa périphérie. L’Union européenne ne modère pas l’influence britannique – elle l’amplifie. Une Europe forte n’est pas une menace pour le leadership mondial britannique ; elle l’améliore. Les États-Unis voient comment votre voix puissante en Europe assure à l’Europe sa position forte dans le monde et maintient son ouverture vers l’extérieur et étroitement liée à ses alliés de l’autre côté de l’Atlantique. Donc les États-Unis et le monde ont besoin de votre énorme influence pour poursuivre leur marche – y compris en Europe.

Dans ce monde compliqué et connecté, les défis auxquels fait face l’Union européenne – migration, inégalité économique, menaces de terrorisme et changement climatique – sont les mêmes auxquels font face les États-Unis et d’autres nations. Et dans le monde d’aujourd’hui, au moment où nous chérissons tous notre souveraineté, les nations qui exercent leur influence le plus efficacement sont celles qui le font par l’action collective qu’exigent les défis d’aujourd’hui.

Quand nous avons négocié l’accord historique pour empêcher de manière vérifiable l’Iran d’élaborer l’arme nucléaire, c’était une action collective, un travail collectif, avec les membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU et de l’Allemagne, qui a été mené à bien. Et le siège de l’Union européenne à la table des négociations a amplifié la voix du Royaume-Uni.

Quand l’accord climatique à Paris a eu besoin d’une impulsion, c’est l’Union européenne, épaulée par le Royaume-Uni, qui a en fin de compte aidé à rendre cet accord possible.

Lorsqu’il s’agit de créer des emplois, une croissance commerciale et économique conforme à nos valeurs, le Royaume-Uni bénéficie de son adhésion à l’Union européenne – à l’intérieur d’un marché unique qui fournit d’énormes opportunités aux Britanniques. Et le Partenariat Transatlantique Commercial et d’Investissement avec l’Union européenne fera avancer nos valeurs et nos intérêts, et établira les normes élevées pour les travailleurs dans les échanges et le commerce de l’économie du XXIe siècle.

Cette forme de coopération – du partage du renseignement et du contre-terrorisme à la construction d’accords pour la création d’emplois et la croissance économique – sera plus efficace si elle s’étend à travers l’Europe. C’est le moment à présent pour les amis et alliés de se serrer les coudes.

Ensemble, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont fait prendre le virage des siècles de guerre en Europe vers les décennies de paix, et ont marché d’un même pas pour rendre ce monde plus sûr et meilleur. Quel héritage remarquable ! Et quel héritage remarquable nous laisserons aussi lorsque, ensemble, nous relèverons les défis de ce jeune siècle.

Référendum sur l’Union européenne : soixante années de relations tendues

 

LA GRANDE-BRETAGNE A UNE RELATION ORAGEUSE AVEC L'EUROPE DEPUIS PLUS D'UN DEMI-SIÈCLE. ALAMY

LA GRANDE-BRETAGNE A UNE RELATION ORAGEUSE AVEC L’EUROPE DEPUIS PLUS D’UN DEMI-SIÈCLE. ALAMY

De la résistance à sa participation et des querelles sur sa contribution jusqu’aux différends sur la politique monétaire et ses menaces de départ, la Grande-Bretagne a eu un parcours difficile dans l’Union européenne

1957

Signature du Traité de Rome

La France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, les six membres fondateurs de la Communauté Économique Européenne, signent le Traité de Rome, mais la Grande-Bretagne se retire des premiers pourparlers.

1963

Veto français sur l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun

LE PRÉSIDENT FRANÇAIS CHARLES de GAULLE A MIS SON VETO À L'ENTRÉE BRITANNIQUE EN 1963

LE PRÉSIDENT FRANÇAIS CHARLES de GAULLE A MIS SON VETO À L’ENTRÉE BRITANNIQUE EN 1963

Avec son économie anémique, la Grande-Bretagne fait sa première tentative pour rejoindre le Marché commun, mais le président français Charles de Gaulle met son veto, accusant la Grande-Bretagne « d’une hostilité profonde » envers l’initiative européenne.

1973

La Grande-Bretagne rejoint la CEE

De Gaulle ayant quitté le gouvernement, la Grande-Bretagne est enfin autorisée à entrer dans la Communauté Économique Européenne, mais en moins d’une année appelle à une réforme majeure de la Politique agricole commune, tout comme au changement des méthodes de financement du budget.

1975

Référendum sur la CEE

HAROLD WILSON A TENU UN RÉFÉRENDUM À PROPOS DE L'ADHÉSION

HAROLD WILSON A TENU UN RÉFÉRENDUM À PROPOS DE L’ADHÉSION

Le gouvernement travailliste de Harold Wilson tient un référendum sur l’adhésion à la CEE, qui divise le parti, mais dont le résultat est que deux tiers des électeurs britanniques veulent y rester.

1983

Michael Foot est battu

Le dirigeant travailliste Michael Foot promet le retrait de la CEE dans son programme électoral, mais son parti est largement battu par les conservateurs de Margaret Thatcher.

1984

Thatcher obtient un rabais de Bruxelles

BAGARRE SUR LA CONTRIBUTION : THATCHER OBTIENT UN RABAIS SUR LES CONTRIBUTIONS

BAGARRE SUR LA CONTRIBUTION : THATCHER OBTIENT UN RABAIS SUR LES CONTRIBUTIONS

Une victoire significative pour Mme Thatcher qui arrache un “rabais” par Bruxelles, après avoir menacé d’interrompre toute contribution parce que la Grande-Bretagne bénéficiait de bien moins de subventions agricoles que d’autres membres, particulièrement la France.

1990

Le Royaume-Uni rejoint le Mécanisme de taux de change

Le Royaume-Uni rejoint le Mécanisme de taux de change, 11 ans après son application pour harmoniser les systèmes financiers avant la création de la monnaie unique.

1992

Mercredi noir

Lors de ce qui est connu comme le Mercredi noir, la Grande-Bretagne est forcée de se retirer du mécanisme de taux de change européen, après avoir échoué à endiguer la spéculation acharnée sur les devises.

1997

Monnaie unique européenne

La Grande-Bretagne a déclaré qu’elle ne rejoindrait pas la monnaie unique pour la durée de cette législature, après son échec aux cinq tests de Gordon Brown.

1999

Le conflit sur le bœuf anglais

LA RÉACTION DE LA FRANCE À LA « VACHE FOLLE » ANGLAISE FAIT ECLATER DES RAPPORTS TENDUS DEPUIS LONGTEMPS

LA RÉACTION DE LA FRANCE À LA « VACHE FOLLE » ANGLAISE FAIT ECLATER DES RAPPORTS TENDUS DEPUIS LONGTEMPS

La tension monte à propos du boycott par la France du bœuf anglais pendant l’éruption de la maladie de « la vache folle ». Bruxelles pose un ultimatum à la France, mais le boycott ne sera pas levé avant plusieurs années.

2007

Le Traité de Lisbonne

Gordon Brown manque la cérémonie télévisée des dirigeants signant le Traité de Lisbonne, ce qui donne de plus grands pouvoirs à Bruxelles. Les pourparlers sur ce traité controversé ont pris deux ans, après l’abandon des projets de constitution officielle.

2011

Affrontement sur la taxation des banques

David Cameron se heurte à l’Europe sur des projets d’imposition des banques et de restrictions du secteur financier de Londres. Le Premier ministre promet de rapatrier des pouvoirs de Bruxelles.

2013

Cameron s’engage à un référendum

David Cameron promet un référendum « maintien ou sortie » de l’Europe, s’il gagne les élections législatives de 2015, ce qu’il a fait, et réaffirme son engagement d’un référendum avant la fin de 2017.

Février 2016

L’accord de référendum sur l’Union européenne

DAVID CAMERON A NÉGOCIÉ UN NOUVEL ACCORD POUR LE ROYAUME-UNI ET LAISSERA MAINTENANT LA PAROLE AUX CITOYENS

DAVID CAMERON A NÉGOCIÉ UN NOUVEL ACCORD POUR LE ROYAUME-UNI ET LAISSERA MAINTENANT LA PAROLE AUX CITOYENS

Source : The Telegraph, le 21/04/2016

Source: http://www.les-crises.fr/barack-obama-en-tant-quami-laissez-moi-vous-dire-que-lunion-europeenne-rend-la-grande-bretagne-encore-plus-grande/


Obama, le Brexit et l’Union européenne, par Jacques Sapir

Saturday 14 May 2016 at 03:15

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 25-04-2016

 Le vendredi 22 avril, parlant à Londres, le Président des Etats-Unis, M. Barack Obama, a lancé un vibrant appel aux électeurs du Royaume-Uni pour qu’ils rejettent la sortie de l’Union européenne, ce que l’on appelle le « Brexit », au référendum qui doit se tenir au mois de juin. Il a assorti son appel de menaces à peine voilées au cas où les électeurs britanniques choisiraient l’option de la sortie.

Cette intervention est étonnante, mais elle est aussi extrêmement révélatrice. On ne peut en effet être qu’étonné du fait qu’un Président des Etats-Unis vole ainsi au secours des institutions européennes. Notons, en passant, que cela dément à l’évidence toutes les fariboles et les niaiseries que l’on a pu entendre sur le fait que la constitution de l’UE permettrait de faire naître un rival global aux Etats-Unis. Mais, cette intervention est aussi très révélatrice. Elle montre de manière spectaculaire que les Etats-Unis ont un intérêt évident et majeur dans l’existence de l’UE, et ce pour une bonne raison : l’UE est leur créature. Non seulement l’UE, mais aussi dans une large mesure la construction européennes dans son ensemble, résulte des pressions et des initiatives des Etats-Unis, mais elle joue aujourd’hui un rôle essentiel dans la politique étrangère de ce pays assurant dans le même temps la garantie d’une domination sur le continent européen au moindre coût, car depuis maintenant plusieurs décennies l’UE joue le rôle de relais de cette politique ET la garantie que les européens ne pourront agir de manière indépendante ou s’organiser d’eux-mêmes et créer ce qui est le pire cauchemar pour la politique européenne : la « forteresse Europe ». Cette domination de fait de l’UE par les Etats-Unis, domination que l’on retrouve à la fois dans les ordres du jour de la Commission, dans la politique étrangère européenne « commune » comme dans le cas de la crise ukrainienne, ou dans les projets de traités asservissant les pays européens aux conceptions des Etats-Unis comme le TAFTA (ou TTIP) est mise à nue par le discours d’Obama. Cette situation de fait est l’une des causes du désenchantement, désormais massif, des peuples européens pour la construction européenne. Il constitue la pire menace pour cette dernière.

Les Etats-Unis et les origines de la construction européenne

Il est souvent affirmé que la construction européenne résulterait du double traumatisme de la Première et de la Deuxième guerre mondiale. Que ces événements tragiques, et surtout la guerre de 1914-1918, aient fait prendre aux contemporains conscience de la nécessité d’organiser la coopération entre les Etats européens est une évidence. Mais d’une part l’idée de la construction européenne était antérieure à 1914, dès 1870 Victor Hugo et d’autres intellectuels faisaient campagne pour ce qu’ils appelaient les « Etats-Unis d’Europe » et d’autre part rien n’impliquait, dans cette prise de conscience, la construction d’institutions telles que celles qui furent construites dans le cadre de la Communauté Economique Européenne (le « marché commun ») puis dans le cadre de l’Union européenne.

En fait, ceux que l’on considère comme les « pères fondateurs » du projet européen, et en particulier Jean Monnet professaient une vision très pessimiste de l’avenir des Etats. Ils étaient, que l’on pardonne cet anachronisme, des « déclinistes » avant l’heure. Ainsi Jean Monnet écrivait dans ses mémoires : « Les nations souveraines du passé ne peuvent plus résoudre les problèmes du présent : elles sont incapables d’organiser leur propre développement ou de contrôler leur propre futur. ET la Communauté elle-même n’est qu’une étape sur la route de l’organisation qui prévaudra pour le monde de demain ». Mais un autre de ces « pères fondateurs », certes moins connu mais non moins important, l’intellectuel et antifasciste italien Altiero Spinelli écrivait aussi depuis sa prison : « Le problème qui doit être résolu est l’abolition finale de la division de l’Europe en Etats nations souverains. Si cette condition n’est pas remplie, toute apparence de progrès demeurera illusoire »[1].

Cette méfiance profonde envers les Etats, et pour certains (et Monnet en particulier) envers la démocratie allait imprégner la construction européenne. Mais, celle-ci n’aurait sans doute pas pu se mettre en marche sans l’aide décisive que lui apportèrent les Etats-Unis à partir de 1946-1947. Pour ce dernier pays, la question essentielle était celle de l’hégémonie mondiale et de son rapport avec l’URSS. Dans ce cadre, il fallait trouver une solution qui lui permette à la fois d’être rassuré quant à l’avenir du continent européen, mais qui assure aussi l’ouverture de ce continent, ou du moins d’une large partie de ce dernier, aux produits de son industrie et de son agriculture.

L’intérêt des Etats-Unis provint initialement de la crainte de la prise de contrôle par les communistes de l’Italie et de la France. Dans ces deux pays les communistes étaient devenus brièvement le parti le plus puissant. Ce risque provenait de la dislocation économique causée par l’hiver inhabituellement rigoureux de 1946-1947, un hiver qui sapa l’optimisme initial d’Après-Guerre quant au potentiel de remise en état des économiques d’Europe de l’Ouest. Le Secrétaire d’Etat américain George Marshall organisa au début de l’année 1947 une équipe de hauts fonctionnaires, dirigée par l’un de ses conseillers les plus chevronnés, George Kennan (qui avait été en poste à Moscou pendant la Guerre et avait été l’auteur – sous pseudonyme – d’un article important prenant acte du début de la guerre froide en 1946 dans le revue Foreign Affairs). Son but était de concevoir une nouvelle stratégie pour soutenir l’économie européenne. Les trois des figures clefs qui y travaillèrent étaient Dean Acheson, Will Clayton et George Kennan[2].

Clayton et Kennan eurent notamment des consultations extrêmement poussées avec Jean Monnet. Le Plan de Renaissance Européenne naquit de leurs efforts combinés, même s’il rentra dans la postérité sous le nom de « Plan Marshall » et fut annoncé par Marshall le 5 juin 1947, lors d’un discours à l’université d’Harvard resté fameux[3]. Le Plan Marshall est généralement considéré comme un acte altruiste des Etats-Unis afin d’aider ses alliés occidentaux appauvris au moment où ils en avaient le plus besoin. Néanmoins des intérêts commerciaux puissants le sous-tendaient. L’Europe représentait pour l’Amérique un « marché énorme de plusieurs centaines de millions de personnes » que les Etats-Unis ne pouvaient se permettre de perdre »[4]. En réponse au discours de Marshall, 16 nations européennes se mirent d’accord pour participer à une conférence à Paris le 12 juillet 1947 afin de constituer ce qui est connu sous le nom de Comité Européen pour la Coopération Economique (CECE). Mais, l’instrument principal retenu par Washington pour promouvoir la politique d’intégration européenne fut une nouvelle organisation, fondée le 16 avril 1948, pour gérer la distribution des fonds du plan Marshall. Il s’agissait de l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE), ancêtre de l’OCDE. Le gouvernement français, fortement influencé par Monnet, poussa afin que cette nouvelle institution soit dotée d’un conseil exécutif disposant de pouvoirs supranationaux et d’un secrétariat permanent. L’intégrationniste fervent Paul-Henri Spaak, qui était à nouveau le Premier Ministre de la Belgique en fut nommé le directeur général.

Dans le même temps, une nouvelle organisation fut mise en place, Le Comité Américain pour l’Europe Unie (ACUE) résultant des contacts entre des politiciens européens partisan de l’intégration et de deux figures clefs du renseignement américain, William J. « Wild Bill » Donovan, ancien responsable de l’OSS[5] durant la guerre et l’un des fondateurs en 1947 de la CIA et son collègue Allen Dulles qui devait devenir plus tard le chef de la CIA sous le président Eisenhower. A partir de ce moment, comme les recherches universitaires récentes l’ont prouvé[6] , l’ACUE fut utilisée comme couverture pour transférer des fonds de la CIA, qui étaient augmentées par les contributions de fondations privées telles la fondation Ford ou l’institut Rockefeller afin de promouvoir l’obsession du Département d’Etat d’en arriver à une Europe unie, ce qu’un historien devait appeler la « conspiration libérale »[7].

Dans le même temps fut signé à Washington le 4 avril 1949 du Traité de l’Atlantique Nord, engageant les Etats-Unis, le Canda, l’Angleterre, la France, l’Italie, les pays du Benelux et quatre autre nations européennes occidentales (la Norvège, le Danemark, le Portugal et l’Islande) à mettre en place une organisation militaire intégrée pour la défense de l’Europe non-communiste. La construction de l’intégration économique, politique et militaire de l’Europe a donc toujours été un projet intégré, et un projet largement soutenu, et même souvent inspiré, par les Etats-Unis en relation avec les « déclinistes » européens.

La politique étrangère des Etats-Unis entre agression et colonialisme humanitaire

Les Etats-Unis, qu’ils en soient conscients ou non, sont en train de gérer leur déclin. Ils ne sont plus l’hyperpuissance qu’ils étaient à la fin des années 1980 et dans les années 1990. Cela permet de comprendre la virulence de l’engagement de Barack Obama pour le maintien du Royaume-Uni dans l’UE. Il faut donc ici revenir sur l’évolution de la politique étrangère des Etats-Unis

Pendant le laps de temps, délimité pour son origine par la conjugaison de l’opération « Tempête du désert » contre l’Irak et de la fin de l’Union soviétique en 1991, et qui se conclut avec l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et l’échec des Etats-Unis de rééditer l’opération politique de 1991, on a pu penser, pour de nombreuses raisons, que le xxie siècle serait celui de l’Empire américain. En effet, si les deux premiers événements nous annoncent bien la clôture du xxe siècle, ils n’entraînent pas de verrouillage du futur, contrairement à ce que l’on aurait pu penser. Il faudra attendre la crise financière de 1997-1999 et la réaction des États-Unis face à la contestation de leur hégémonie pour que la dynamique du xxie siècle prenne réellement forme.

La dynamique qui s’enclenche alors conduit à un processus où, chaque fois que Washington essaie de réaffirmer son hégémonie, il en détruit un peu plus les fondements réels. Cette dynamique permet l’émergence de nouveaux centres de puissance (la Chine et l’Inde), tout comme elle permet la réémergence de la Russie en tant qu’acteur majeur après son effacement des années 1992-2001. Mais cette émergence ou réémergence de puissances capables de contester un projet impérial global ne se fait pas sans conséquences sur la puissance dominante. Une dynamique perverse s’est installée au cœur même de la politique américaine, conduisant à favoriser les formes d’expression de la puissance qui se révèlent les plus délétères, à terme, pour cette dernière.

Le processus de contestation et de réaction du dominant contesté a conduit à une radicalisation initiale de la politique étrangère. Mais, cette radicalisation a conduit à un échec qu’il a bien fallu constater. Après le premier tournant de l’élection de George W. Bush, c’est le tournant de l’élection de Barack Obama. Mais, cette élection, qui prend place dans un temps de doute profond sur les capacités des Etats-Unis tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, a aussi pour enjeu le développement d’une nouvelle stratégie cherchant à atteindre les objectifs qui étaient ceux de l’administration précédente, mais par d’autres moyens. De ce point de vue, s’il y a une rupture (partielle) avec le vocabulaire des neocons il n’y a pas de rupture avec la représentation biaisée du monde qu’ils produisent[8].

Cela se traduit par une instrumentalisation croissante des institutions internationales. Cette instrumentalisation peut déboucher sur un « impérialisme humanitaire » ou les ONG sont largement mobilisées (parfois consentantes et parfois à leur corps défendant). Dans ce raisonnement, les désordres susceptibles de mettre en cause la sécurité internationale ne sont pas issus de troubles sociaux et économiques, mais de la combinaison de ces derniers avec de « mauvaises » institutions, qui conduisent à l’existence de « dictature » ou d’Etats corrompus. La lutte contre la corruption, lutte dont personne ne conteste la nécessité, devient alors un instrument servant aux fins politiques de Washington[9]. On l’a vu avec le détournement de sa fonction du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) qui incrimine tout acte ou tentative de corruption d’un agent public étranger de la part de citoyens ou d’entreprises, quelles que soient leur nationalité, en vue d’obtenir des marchés[10]. Il suffit en effet au FCPA d’avoir, via les agences de sécurité américaines ou via des dénonciations, la connaissance d’une forte probabilitéd’une fraude pour qu’une enquête soit déclenchée[11].

De même, la lutte contre la « dictature », si elle s’appuie sur l’existence évidente de pouvoirs tyranniques, n’a nulle fonction à rétablir la démocratie mais à faire avancer les intérêts de la politique des Etats-Unis. Ceci peut conduit à l’existence d’États faibles, voire « faillis »[12]. On en a un exemple avec la Libye actuelle. Il revient donc à l’empire bienveillant (c’est-à-dire les États-Unis) d’imposer par la force directe ou indirecte la mise en place des « bonnes » institutions. Une variante du raisonnement consiste à voir dans les États-Unis, non plus un « empire bienveillant », mais un délégué des pays civilisés qui se chargerait de la sale besogne pour le plus grand profit de tous.

Ce raisonnement est en réalité d’une extrême faiblesse. Tout d’abord, il postule l’existence d’institutions en dehors des contextes qui font qu’elles sont acceptables (et acceptées). De plus, nous sommes en présence d’une vision purement instrumentale des institutions qui montre que ces dernières n’ont pas été comprises dans leur essence[13]. Cette démarche tombe entièrement sous le feu de la critique formulée par Joseph Stiglitz contre la functionalist fallacy. Ensuite, si l’institution peut exister « en soi », sans référence au processus qui permet son émergence, nous sommes dans un raisonnement qui n’est qu’une variante de celui dit de la poule et de l’œuf, mais où l’on a postulé qu’une main extérieure (et il n’est pas difficile de deviner laquelle) a créé l’œuf de toutes pièces… Au contraire, une approche des institutions à partir des conflits qui leur ont donné naissance, du fait social global qu’elles constituent et non pas d’une pseudo-rationalité individuelle préexistant à la société[14], permet de sortir de cette métaphysique de la Sainte Poule et du Divin Œuf. Telle fut, en réalité, la méthode de l’école institutionnaliste historique américaine[15]. Et cette méthode est bien différente et bien plus riche que le néo-institutionnalisme instrumental de la pensée standard. C’est aussi celle des travaux sur l’enchâssement social et historique des institutions démocratiques[16]. C’est enfin celle qui va, à la suite de Durkheim, insister sur l’importance de la densité sociale dans une société déterminée[17]. Ces approches, bien évidemment, ne peuvent que souligner les dangers qu’il y a à vouloir imposer de l’extérieur et par la force des institutions.

On peut alors parler d’un véritable « colonialisme humanitaire », que l’on a vue se déployer, avec l’assistance de la France et du Royaume-Uni en Lybie, mais qui est aussi présent dans le cas de l’Ukraine et de bien d’autres pays. Il se révèle une contradiction dans les termes. Il est incapable, on le voit partout, de produire les institutions dont il se réclame et qui lui ont servi de prétexte. Le protectorat onusien sur le Kosovo, pour prendre ce seul exemple, a abouti à pérenniser un nettoyage ethnique, et l’intervention américaine en Irak a plongé le pays dans une guerre civile, puis a été à l’origine de la création de l’organisation dite « Etat Islamique » qui est aujourd’hui une menace à l’échelle mondiale.

La « guerre humanitaire », apparaît alors comme la conséquence logique du « droit d’ingérence » qui découle des idées et de la représentation du monde véhiculée par les Etats-Unis et leurs alliés. Elle est alors moment inévitable du « colonialisme humanitaire ». Mais, elle engendre aussi un double problème dans les relations internationales[18]. D’une part, elle introduit une division immédiate au sein des nations entre celles dont les moyens de défense les protègent de toute tentative d’ingérence et celles dont les moyens de défense sont suffisamment faibles pour qu’elles puissent devenir, le cas échéant, des cibles dans une « guerre humanitaire ». Construite au départ pour valider l’idée d’une « communauté internationale » d’acteurs égaux, unis par des objectifs communs comme la sécurité, la guerre humanitaire valide au contraire la représentation des relations internationales comme l’affrontement d’acteurs inégaux aux intérêts irrémédiablement opposés. D’autre part, elle incite tout pays pouvant penser qu’il risque, à terme, d’être la cible d’une telle intervention à monter en puissance dans ses moyens de défense. L’échelon ultime susceptible d’assurer la sanctuarisation du pays étant, bien évidemment, la possession d’armes de destruction massive. Il faut reconnaître que l’agression américaine contre l’Irak de 2003 a donné aux aspirations de l’Iran de se doter de telles armes une justification réelle.

Les Etats-Unis et l’Union européenne

Telles sont donc les éléments de contexte qui permettent de mieux saisir la stratégie d’instrumentalisation par les Etats-Unis des institutions européennes, institutions dont ils ont été largement à l’origine. Cette stratégie vise à deux objectifs. Le premier est de transformer l’Union européenne en relais de la politique des Etats-Unis en s’assurant que l’Union européenne, et de manière générale les institutions européennes, non seulement partageront les mêmes intérêts que les Etats-Unis mais surtout ne verront pas de différences entre ces intérêts des Etats-Unis et les leurs. Il convient, alors, de faire disparaître la notion d’intérêts nationaux au sein des pays d’Europe pour être sûr que seuls les Etats-Unis pourront déployer leurs propres intérêts nationaux. Et l’on constate immédiatement à quel point cette idéologie, car il s’agit bien ici d’une idéologie au sens d’une « représentation du monde » que les Etats-Unis cherchent à propager chez leurs alliés est incompatible avec la notion de souveraineté. En d’autres termes il s’agit ici de coloniser les âmes et les cœurs afin de s’assurer que les actes seront non seulement parfaitement compatibles avec ce que souhaite la politique des Etats-Unis, mais iront même au devant de ses désirs.

L’alignement progressif des institutions de l’Union européenne sur les « normes » édictées aux Etats-Unis connaîtra bien entendu un nouveau stade si le traité TAFTA (ou TTIP) devait être ratifié. Mais, et on l’a vu avec l’intervention franco-britannique en Lybie, il est clair qu’une large partie des responsables de ces deux pays européens ont été « colonisés » par la pensée des neocons. Mais, cet alignement a déjà commencé dans de nombreux domaines. Il explique, outre les contradictions internes que l’on connaît, le fait que l’Euro n’ait pu se développer comme une alternative au Dollar des Etats-Unis. Une note du CEPII le reconnaît aujourd’hui[19]. Et il en sera ainsi tant que l’Euro sera porté par des institutions qui sont et restent largement inféodées à la politique américaine.

Dans ce contexte, la place de la Grande-Bretagne est absolument centrale pour la politique des Etats-Unis. Même si la Grande-Bretagne n’est pas membre de l’Union Economique et Monétaire, c’est à dire de la zone Euro, elle joue le rôle d’une ancre pour la politique des Etats-Unis dans l’Union européenne. Il est clair qu’elle n’est pas la seule. Ceux qui pensent que le départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne « libérerait » cette dernière de l’influence américaine se trompent lourdement. Mais, la présence de la Grande-Bretagne au sein de l’Union européenne est essentielle pour la politique des Etats-Unis.

C’est une des garanties que l’Union européenne ne s’opposera jamais aux Etats-Unis. Tant que la Grande-Bretagne est membre de l’UE, les responsables des Etats-Unis savent pertinemment que le marché de l’UE leur sera grand ouvert, et ceci quelque soit la non réciprocité en ce qui concerne le marché des Etats-Unis pour les produits de l’UE. Ils savent aussi qu’ils peuvent compter, avec la Grande-Bretagne, sur un important relais pour leurs visées politiques, comme on l’a vu tout d’abord au sujet de l’Irak en 2003, où Tony Blair a repris les mensonges de l’administration de Georges W. Bush ou que ce soit sur la Lybie, sur la Syrie et sur l’Ukraine.

C’est pourquoi il n’est pas question, pour les Etats-Unis, de laisser se produire le « Brexit ». Il est clair que la position des autorités américaines n’est nullement déterminée par l’intérêt des britanniques. C’est le seul intérêt américain qui compte. Mais, il n’est pas sur que Barack Obama se rende compte de cela. Pour lui, et plus généralement pour l’élite politique des Etats-Unis, un pays alliés ne saurait avoir des intérêts divergents de ceux des Etats-Unis. On est ici en présence d’une représentation typique d’une puissance sur le déclin. Car, du temps où ils étaient dans la hase ascendante de leur puissance, les Etats-Unis concevaient parfaitement que les autres pays aient des « intérêts nationaux ». Simplement, ils cherchaient délibérément à écraser ces intérêts à chaque fois qu’ils s’avéraient contradictoires avec les leurs.

Le gouvernement de Washington va donc multiplier les pressions, explicites comme avec ce discours du 22 avril, ou implicites, pour « ramener à la raison » l’élite politique britannique qui, et c’est l’un des enseignements les plus importants de la campagne du « Brexit » s’avère être profondément divisée sur cette question. Cela traduit probablement le fait cette élite politique, qui est l’héritière de la « culture impériale » britannique, a bien du mal à abandonner la notion de souveraineté ainsi que celle d’intérêt national. La question du « Brexit » ne se limite donc pas à savoir si la Grande-Bretagne restera ou non dans l’Union européenne. Elle pose de manière plus générale la question de savoir si la notion d’intérêt national, et donc celle de diplomatie, au sens des compromis nécessaires pour que puissent cohabiter des intérêts divergents, a encore un sens en Europe.

 

C’est l’une des raisons pour lesquelles le débat en Grande-Bretagne, et son issue, est d’une telle importance pour les autres peuples d’Europe. Et il n’est pas innocent que ce soit justement dans un des pays de la « vieille Europe », un pays dont l’histoire remonte au plus profonde de l’Histoire et qui de ce point de vue est très similaire à notre pays, que ce débat ait aujourd’hui lieu.

 

Notes

[1] Spinelli A., Ventotene Manifesto, 1941.

[2] Bundy, William P. , www.foreignaffaires.org/general/Info/history.html

[3]www.marshallfoundation.org/about_gem/marshall_plan.htm

[4] Brugmans, Henri, Fundamentals of European Federalisme, préface de Lord Layton, Londres, The Federal Union, 1948, p 4.

[5] L’Office of Strategic Services fut le premier service de renseignement des Etats-Unis, créé en 1942. Jusque là le renseignement était du domaine du FBI (contre-espionnage) et de l’ONI ou Office of National Intelligence.

[6]Cf Joshua Paul de Georgetown University, Washington, cité dans le Daily Telegraph, 19 septembre 2000 et Aldrich, Richard L (2001), The Hidden Hand-Britain, America and Cold War Secret Intelligence, Londres, John Murray Ltd.

[7]Voir Coleman, Peter (1989), The Liberal Conspiracy : The Congress For Cultural Freedom And The Struggle For The Mind of Europe, New York, The Free Press.

[8] Fukuyama F., After the Neocons :State-Building, Governance and World Order in the Twenty-First Century, Ithaca, NY., Cornell University Press, 2004 ; trad. fr. de Denis-Armand Canal, Gouvernance et ordre du monde au xxie siècle, Paris, La Table ronde, 2005

[9] Charles F. Smith & Brittany D. Parling, “‘American Imperialism’: A Practitioner’s Experience with Extraterritorial Enforcement of the FCPA,” UNIV. OF CHICAGO LEGAL FORUM 237, at 239 (2012); 15 U.S.C. §§78dd-1, 78dd-3.

[10] « Specifically, the anti-bribery provisions of the FCPA prohibit the willful use of the mails or any means of instrumentality of interstate commerce corruptly in furtherance of any offer, payment, promise to pay, or authorization of the payment of money or anything of value to any person, while knowing that all or a portion of such money or thing of value will be offered, given or promised, directly or indirectly, to a foreign official to influence the foreign official in his or her official capacity, induce the foreign official to do or omit to do an act in violation of his or her lawful duty, or to secure any improper advantage in order to assist in obtaining or retaining business for or with, or directing business to, any person.” Source : Department of Justice, US Government. Voir Christopher J. Duncan, « The 1998 Foreign Corrupt Practices Act Amendments: Moral Empiricism or Moral Imperialism? », 1 Asian-Pacific. L.& Policy J. vol. 16, n° 38 (2000)

[11] Irina Sivachenko, Corporate Victims of « Victimless Crime »: How the FCPA’s Statutory Ambiguity, Coupled with Strict Liability, Hurts Businesses and Discourages Compliance, 54 B.C.L. Rev. 393 (2013), http://lawdigitalcommons.bc.edu/bclr/vol54/iss1/10

[12].Ou failed states, dans la terminologie américaine.

[13] Sapir J., « Diversité des trajectoires et effet de sentier : les transitions post-soviétiques », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 36, n° 2, p. 177-208.

[14] Sapir J., « Théorie de la régulation, conventions, institutions et approches hétérodoxes de l’interdépendance des niveaux de décision », in Annie Vinokur (éd.), Décisions économiques, Paris, Economica, 1998, p. 169-215.

[15] Commons J.R., Institutional Economics : Its Place in Political Economy, New York, Macmillan, 1934, mais aussi Bentley A., The Process of Governmentop. cit., et David B. Truman, The Governmental Process, New York, A. Knopf, 1958.

[16] Putnam R., Robert Leonardi et Raffaella Y. Nanetti, Making Democracy Work : Civic Traditions in Modern Italy, Princeton, Princeton University Press, 1993.

[17] Durkheim E., De la division du travail social [1893], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1991.

[18] Sapir J., Le Nouveau XXI siècle, Paris, Le Seuil, 2008.

[19]http://www.cepii.fr/blog/bi/post.asp?IDcommunique=457

 

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 25-04-2016

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Source: http://www.les-crises.fr/obama-le-brexit-et-lunion-europeenne-par-jacques-sapir/


[Vidéo] Nicolas Dupont-Aignan débat face à Pierre Moscovici sur BFMTV

Saturday 14 May 2016 at 02:50

Source : Youtube, BFM, 08-05-2016

oscovivci

Le dimanche 8 mai 2016, Nicolas Dupont-Aignan Président de Debout la France et candidat à l’élection présidentielle de 2017 était l’invité du débat de BFM Politique sur BFMTV.
Face à lui Pierre Moscovici , ancien ministre de l’économie et des finances et actuel commissaire européen.

Source : Youtube, BFM, 08-05-2016

Source: http://www.les-crises.fr/video-nicolas-dupont-aignan-debat-face-a-pierre-moscovici-sur-bfmtv/