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Russia Today : allo Paris, ici Moscou – Par Dominique Albertini et Jérôme Lefilliâtre

Friday 15 April 2016 at 01:17

Celui là, il est vraiment, vraiment magnifique ! D’anthologie.

Car bien évidemment, dans tous les pays, les médias servent en général toujours la propagande de leur gouvernement, à Moscou, Paris et New York…

Donc RT sert évidemment souvent la propagande russe (d’ailleurs avec moins de talent que nos médias, mais il faut leur pardonner, ça fait 70 ans que les nôtres la pratiquent), mais il est à mourir de rire de voir la malhonnêteté intellectuelle de Libé ici, tentant de répondre aux attaques sur sa propagande…

Source : Libération, 08-04-2016

Russia Today : allo Paris, ici Moscou Illustration Laurent Blachier

Russia Today : allo Paris, ici Moscou Illustration Laurent Blachier

Par Dominique Albertini et Jérôme Lefilliâtre

Porte-voix du Kremlin à l’étranger et très proche de l’extrême droite, RT existe déjà dans l’Hexagone sous la forme d’un site internet. Le média projette de lancer une version française de la chaîne télé.

L’article, daté du 7 mars, est couronné d’un titre superbe : «L’art consommé de la propagande ou comment accuser Poutine de tous les maux de l’Europe».

Mais quel esprit non malade pourrait bien penser ça en effet !!!

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Rebondissant sur une information d’un média allemand,

c’est juste le France 24 allemand, donc l’image de l’Allemagne à l’étranger… Mais ne précisons pas.

selon laquelle Berlin s’inquiète de la «propagande» orchestrée par Moscou, «l’analyse» n’est pas signée.

Je cite le France 24 allemand :

Mais elle ne fait pas dans la dentelle pour défendre le maître du Kremlin : «Ce ne serait pas surprenant si, dans quelques décennies, des documents d’Etat montraient qu’accuser Vladimir Poutine de tous les maux est en fait une politique officielle de notre époque. La Russie semble être devenue le bouc émissaire pour toutes les difficultés contemporaines rencontrées par l’Occident.» Suit un long plaidoyer censé démontrer l’acharnement de l’Union européenne contre la Russie.

Quels paranos ces Russes…

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Ainsi va la vie journalistique sur le site d’information Français.rt.com, rameau hexagonal de la chaîne internationale Russia Today, propriété de l’État russe et équivalent de France 24 ou de la BBC – l’indépendance en moins. Lancé en 2015, RT compte à Paris une douzaine de salariés produisant des contenus originaux, en plus de ceux fournis et traduits par Moscou. Ce qui lui permet de publier chaque jour plusieurs dizaines d’articles, le plus souvent non signés,

En France, au moins, c’est signé. C’est presque toujours Madame AFP qui écrit dans Libé (et ailleurs).

dans le but de «donner la vision de la Russie». C’est par cette formule que le président de RT France, Irakly Gachechiladze, avait présenté son média en octobre au marché international de l’audiovisuel de Cannes (contacté à plusieurs reprises, RT n’a pas souhaité répondre à Libération).

On se demande pourquoi…

Le moins que l’on puisse dire est qu’il tient la ligne de la diplomatie russe, avec des papiers toujours défavorables aux Etats-Unis, à la Turquie et à l’Ukraine, mais vantant sans nuance les mérites des régimes syrien et iranien.

Au moins chez nous, on n’a jamais de papier défavorables à la Russie, à l’Iran et à la Syrie, hein… Et de vraies analyses critiques sur les États-Unis et l’Ukraine…

Monde apocalyptique.

Ce bourrage de crâne intensif ne fait même pas semblant de chercher l’équilibre des points de vue. Y compris lorsque l’on touche au pire : après la condamnation, le 24 mars, pour «génocide» de Radovan Karadzic, RT publie un article au titre éloquent : «Cela serait à hurler de rire si ce n’était pas si macabre.» L’auteur est un géopolitologue du nom de John Laughland, récemment apparu dans une conférence de presse aux côtés d’un eurodéputé FN.

Pratique, ça évite de discuter du fond du sujet !

Visiblement en phase avec l’alliance historique nouée par Moscou et Belgrade, il tente une improbable réhabilitation de l’ancien chef politique des Serbes de Bosnie : «En voulant préserver à tout prix la condamnation sensationnaliste pour génocide, […] les juges n’ont […] prêté aucune attention aux centaines de témoins à décharge ni aux arguments de la défense prouvant que Karadzic avait essayé d’éviter le pire.» C’est bien connu, le célèbre «boucher des Balkans» a essayé d’éviter le pire.

Pratique, ça évite de discuter du fond du sujet !

C’est très intéressant. Personnellement, vu le traitement des médias en général, je me garde bien d’avoir des avis tranchés sur ce genre de sujets que je n’ai pas creusés. Je ne sais pas si Laughland est un clown sinistre ou un type sérieux. Mais je sais que dans l’article de RT, on apprend :

“Comme j’avais moi-même été le dernier journaliste occidental à rendre visite à Milosevic dans sa cellule, j’en savais quelques chose.”

“En réalité, le procès avait produit bien de surprises. De nombreux témoignages avaient disculpé l’ancien président, y compris de la part de témoins à charge dont certains ont accusé l’Accusation de torture. Les juges se sont déshonorés en faisant taire l’accusé à chaque fois qu’il démontrait les mensonges de ses accusateurs.”

“L’Accusation a même été contrainte d’abandonner, au milieu du procès, son affirmation centrale, à savoir que Milosevic aurait cherché à créer une Grande Serbie. Comme j’avais moi-même été le dernier journaliste occidental à rendre visite à Milosevic dans sa cellule, j’en savais quelques chose. J’étais tellement dégoûté par la légèreté et la malhonnêteté des reportages médiatiques que j’ai rédigé un livre sur le procès fleuve dont le titre résume bien l’argument: “La parodie””

ce qui donne un point de vue un peu différent, non ? Qui aurait mérité une vraie enquête journalistique.

Mais pas la peine, le journaliste de Libé il SAIT sans enquêter.

La «vision de la Russie» portée par RT ne se cantonne pas à la politique étrangère. Le site traite aussi de l’actualité française avec un biais politique à peine dissimulé.

AUCUN BIAIS politique chez nous – juste la Vérité

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Obsédé par les sujets liés à l’islam et aux migrants,

Sérieusement ?
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dont il se détourne seulement pour tancer le mariage gay et défendre un protectionnisme autant identitaire qu’économique (on caricature à peine),

Eux défendent le contraire. Mais n’est-ce pas le principe de la politique ?

le média fait la peinture d’un monde apocalyptique où règnent le désordre et la fureur.

Quel délire ! Alors que tout va bien à St Germain des Prés, hein…

Et donne la parole à la droite dure ou extrême, nouvelle fan et coqueluche de Moscou (voir ci-contre). Forcément, elle accourt. Sur RT, les responsables du FN sont interrogés à propos de tout et n’importe quoi, et les moindres faits et gestes de Marine Le Pen sont relatés.

Oser faire ça à propos du 1er parti français, quel scandale démocratique !

Entre décembre et mars, le souverainiste Philippe de Villiers a aussi eu le droit à trois entretiens, dans lesquels il a pu donner libre cours à sa haine de «la religion du sans-frontiérisme et du multiculturalisme» et d’un monde transformé «en un marché planétaire de masses où le citoyen devient un simple consommateur asexué, apatride, désinstitué, nomade, déraciné». De même, les parlementaires prorusses des Républicains (LR), comme Thierry Mariani, l’un des plus fervents soutiens de Moscou en France, sont accueillis à bras ouverts.

Dans un autre genre, pendant la COP 21, RT a donné un micro à Philippe Verdier, ex-Monsieur météo de France 2, viré de la chaîne après la publication d’un livre climatosceptique, pour commenter l’événement dans une série d’éditos. Le site a constitué une équipe de chroniqueurs nettement positionnés sur l’échiquier de la pensée : Bernard Lugan, un historien africaniste proche de l’Action française ; Michel Collon, un ancien militant communiste belge désormais aux commandes d’«Investig’Action», un site qui pourfend «les médiamensonges et les manipulations» ; Jacques Sapir, économiste souverainiste, pro-russe et anti-euro, ayant récemment souhaité la constitution d’un «front de libération nationale» comprenant notamment le FN avant de nuancer sa position ;

ce qui est hautement mensonger, mais on en a déjà parlé ici

ou encore Yves de Kerdrel, le directeur de Valeurs actuelles, l’hebdo ultra-droitier. «Ils ont dû voir dans mes papiers que j’étais plutôt prorusse, raconte ce dernier. Ils cherchent des gens qui prennent leur parti. Ils ont une vraie vision du monde, comme les Allemands au temps de Bismarck. Pour eux, seules survivront les civilisations qui ont une histoire.» Ici, le journalisme s’embarrasse moins de l’objectivité que du combat d’idées. Ainsi RT est-il devenu l’un des médias préférés de la «fachosphère».

Bref, des salauds qui sont pour la liberté d’expression en fait…

«Rumeurs».

«Je ne sais pas si on peut parler de propagande, mais c’est au moins du soft power», observe un ex-rédacteur du site qui n’a pas voulu renouveler son CDD à RT et souhaite rester anonyme. Comme lui, quatre journalistes embauchés l’an dernier ont quitté le navire depuis, effarés par la ligne éditoriale. «Ce n’était pas possible au niveau de l’éthique journalistique, raconte un autre. Pas seulement parce que c’est partial, mais aussi parce qu’ils reprennent des rumeurs, des fausses infos et font des articles à base de tweets. J’ai l’impression d’y avoir vécu le pire des journalismes.» Une déception. «Au départ, l’idée présentée était de donner la parole à des gens qu’on voyait peu dans les médias, y compris à gauche, poursuit le premier. Mais il y a eu une reprise en main au mois d’octobre, et à partir de là on a nous poussés à interviewer des gens d’extrême droite. Pour autant, la ligne pro-FN n’est pas revendiquée clairement en interne. C’est plus insidieux.»

Les partants ont été remplacés, et pour éviter les malentendus, les petits nouveaux ont été sélectionnés sur affinités. Un certain Jonathan Moadab, juif «altersioniste» revendiqué et ex-animateur du site complotiste le Cercle des volontaires, a été recruté.

T’ain, ces fourbes chez RT, ils embauchent même des juifs maintenant !!!

C’est moi ou ça pue un peu les années 30 ce genre de remarques ?

Sollicité, il a refusé de répondre à nos questions. A RT, il court les manifs, les conférences de presse et les faits divers pour filmer ce qui s’y passe. «La vidéo est la nouvelle politique de la maison, explique un ancien du site. Ils veulent des images chocs pour faire monter l’audience.» Depuis quelques semaines, on peut apercevoir les caméras de RT à tous les événements parisiens, qu’il s’agisse de la Nuit debout, des mouvements lycéens, d’un énième procès d’Alain Soral ou d’une conférence de presse de Jean-Marie Le Pen. Les images alimentent les comptes du média sur les réseaux sociaux, YouTube (23 000 abonnés) ou Periscope (35 000 abonnés). Au magazine Challenges, Irakly Gachechiladze vient de confier qu’il souhaitait mettre en ligne chaque jour «cinq ou dix» vidéos tournées par RT en France pour porter l’audience de 50 000 à 60 000 visiteurs uniques par jour à 150 000 d’ici à la fin de l’année.

Le budget de RT n’est pas énorme : un petit million d’euros seulement. Pas de quoi produire un média de réelle influence. Mais le groupe audiovisuel russe ne veut pas en rester là. Sa grande ambition, annoncée à l’automne, est de créer une vraie chaîne télévisée en France, comme il l’a fait déjà dans d’autres pays, au Royaume-Uni par exemple. Avec un budget de 20 millions d’euros pour 300 salariés, selon Challenges. Elle devait voir le jour en 2016, mais sa création a été repoussée «à cause de la chute du rouble, qui aurait fait s’envoler les coûts», indique une source proche.

«Comité d’éthique».

Le projet est très sérieux. RT a d’ailleurs signé en septembre une convention avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), préalable nécessaire à toute autorisation de diffusion. L’article 2-3-7 du texte lui impose «l’obligation déontologique» de «veiller à ce que les émissions d’information politique et générale soient réalisées dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard de ses actionnaires.» 

Comme on le voit tous les jours à Canal Plus ou au Figaro…

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A observer les prouesses journalistiques actuelles de RT, on voit mal comment le CSA pourrait laisser la chaîne russe se créer sans rien dire. Peut-être l’autorité préférera-t-elle s’en remettre au «comité d’éthique» interne que la convention impose de mettre en place. Le média s’est respectueusement acquitté de l’obligation avec l’instauration d’un comité d’une indépendance incontestable. Celui-ci est en effet composé de l’historienne et académicienne Hélène Carrère d’Encausse, plutôt bienveillante à l’égard de Poutine, mais aussi de deux figures bien connues de la maison : Jacques Sapir et Thierry Mariani. Marine Le Pen n’était pas disponible ?

1 article sur RT, 3 fois “Le Pen” cité, dont le dernier mot – mission accomplie !

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Naon, je plaisante…

Dominique Albertini, Jérôme Lefilliâtre

Source : Libération, 08-04-2016

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Tiens, et au fait, ils disaient quoi les articles de RT – vu que Libé a omis de mettre un hyperlien vers les articles qu’ils commentaient… :

L’art consommé de la propagande ou comment accuser Poutine de tous les maux de l’Europe

Le gouvernement allemand a demandé à ses services de renseignement de déterminer si la Russie menait une campagne de propagande en Allemagne – une tentative de plus de présenter Poutine comme le croquemitaine de l’Europe. La rédaction de RT analyse.

Comme les informations quant à une prétendue désinformation menée par la Russie sont vagues et que Berlin n’indique pas leur provenance, on ne sait pas exactement ce qu’ils espèrent de découvrir. Le renseignement allemand aurait-il inventé un test décisif permettant de classer un point de vue discordant comme comme «propagande», ou va-t-il le faire au fur et à mesure de son enquête ?

Deutsche Welle, la chaîne d’information internationale allemande (financée avec de l’argent public, tout comme RT, afin de représenter le point de vue allemand, mais qui ne serait jamais qualifié de «propagande» par les médias occidentaux) affirme que les experts du gouvernement allemand s’inquiètent du fait que Moscou aurait préparé «une propagande systématique qui rappelle les méthodes du KGB de l’époque de la Guerre froide». L’ironie est que RT a été fondée comme un service d’information, précisément parce que la Russie, grâce à son passé soviétique, a très bien compris que la propagande n’était pas un bon moyen de faire entendre sa voix.

Qui veut se vautrer dans son canapé et regarder des informations, toutes passionnantes puissent-elles être, sur, sur la récolte de céréales à Stavropol ? Ou sur la polémique sur l’amitié entre la Russie et Cuba – sauf, peut-être, si le Buena Vista Social Club y figure ?

Et pourtant, cela n’empêche pas les services de sécurité allemands de tirer la sonnette d’alarme, vraisemblablement pour la simple raison que la radiodiffusion russe en langue étrangère existe.

Car, voyez-vous, comme le reconnaissent les médias allemands, les choses ne vont pas très bien en Allemagne et en Europe en général ces derniers temps et le coupable ne peut être plus évident à trouver : la Russie.

Ce ne serait pas surprenant si, dans quelques décennies, des documents d’Etat montraient qu’«accuser Vladimir Poutine de tout les maux» est en fait une politique officielle de notre époque.

La Russie semble être devenue le bouc émissaire pour toutes les difficultés contemporaines rencontrées par l’Occident. La seule chose qui les sauve est, qu’au moins, ils sont cohérents, ils ne pointent jamais du doigt quelqu’un d’autre. Surtout pas eux-mêmes.

Ainsi, qu’a encore fabriqué la Russie ?

Récemment, les médias allemands ont accusé Moscou de tenter de détruire l’Union européenne vial’afflux de réfugiés syriens. Apparemment, la Russie «utilise les migrants à des fins militaires» pour déstabiliser l’institution. Et cela malgré le fait que plus d’un million de migrants sont arrivés en Europe au cours de l’été dernier avant que la Russie n’intervienne militairement en Syrie. En fait, la Russie est arrivée tardivement dans le bourbier du Moyen-Orient.

Moscou n’est intervenu que l’automne dernier et à la demande du gouvernement de Damas. Alors que de leur côté, l’Amérique et un certain nombre de ses amis de l’OTAN se sont largement immiscés dans les affaires de la région depuis 2003.

En 2015, l’espace Schengen s’est fissuré et les gouvernements à travers l’Europe ont commencé à résister aux sollicitations de Berlin pour accueillir des migrants. Certes, la Hongrie et la Slovaquie, quirésistaient le plus aux appels d’Angela Merkel, ont d’assez bonnes relations avec Moscou. Mais seul l’eurocrate le plus bercé d’illusions pourrait imaginer que la Grande-Bretagne, la Pologne et la Lettonie, tous les trois fanatiquement hostiles au Kremlin, étaient d’une certaine façon influencée par Poutine dans leur refus d’obéir.

De peur que vous ne l’oubliiez, rappelons que la Russie est également accusée d’avoir mené une «guerre hybride» contre l’Allemagne, censée faire partie d’une grande stratégie visant à détruire l’UE. Car, naturellement, toute mésaventure se déroulant entre Lisbonne et Athènes est causée par l’ingérence russe.

Le vrai problème est à l’intérieur

En réalité, le maire de Londres, Boris Johnson, et le Premier ministre britannique, David Cameron, causent en ce moment plus de tort à l’UE que Poutine ne pourra jamais en faire. Moscou n’a pas influencé le deuxième membre le plus puissant de l’Union dans sa décision d’organiser un référendum sur le Brexit – un mouvement qui pourrait faire plus de dégâts à l’unité de l’Europe que, sans doute, aucun autre défi auquel pourrait faire face le continent. À moins que certains affabulateurs du camp «pro-Bruxelles» croient que Johnson et Cameron suivent les ordres du Kremlin ? Bien sûr, cela n’a pas empêché les lobbyistes pro-UE de d’agiter le spectre de Poutine dans leurs efforts destines voué à maintenir la Grande Bretagne dans l’union.

En outre, ils accusent Moscou de «propagande négative» envers l’UE. Mais la réalité est différente : la presse britannique fustige Bruxelles depuis des décennies. Les journaux de droite britanniques prennent de si ridicules positions sur l’Europe que les médias russes ne peuvent que les lire avec stupéfaction. Rupert Murdoch, propriétaire du Sun&The Times, a exercer des pressions sur les gouvernements du Royaume-Uni pendant quatre décennies, plaidant pour un retrait de l’Union Européenne, comme l’a affirmé l’ancien Premier ministre britannique, John Major.

Témoignant dans le cadre de l’enquête Leveson à Londres, John Major a révélé que juste avant l’élection générale de 1997, Ruppert Murdoch «a précisé qu’il n’appréciait pas mes politiques européennes, qu’il voulait que je les change». L’ex-Premier ministre britannique a poursuivi : «Dans le cas contraire, ses journaux ne soutiendraient pas le gouvernement conservateur. A ce que je me rappelle, il ne faisait aucune mention d’indépendance éditoriale, mais faisait référence à tous ses titres en disant «nous».

Alors que le Brexit et la crise des migrants sont en ce moment des dangers évidents pour Bruxelles, des défis économiques se profilent également. Il est vrai qu’en ce moment, en Russien tout n’est pas parfait non plus, mais les experts occidentaux ont fait en sorte que vous sachiez que «la Russie est tout à fait au bord de l’effondrement, nous le promettons !» D’une manière ou d’une autre, ils ne parviennent pas à remarquer que l’inflation reste en dessous d’1% [en Europe], les puissances européennes comme l’Italie et la France se forcent à retrouver une croissance qui continuer à leur échapper, tandis que les économies endommagées du Portugal et de la Grèce ne montrent aucun signe de reprise.

Paul Krugman, lauréat du prix Nobel d’économie, appelle cela une «stagnation séculaire». Paul Krugman n’est pas russe, d’ailleurs, et n’a jamais travaillé pour les médias russes.

Qui tire les ficelles ?

Une autre accusation fréquente contre la Russie est qu’elle essaie de semer le trouble au sein de l’UE en osant tenir des dialogues différents avec toutes sortes avec de pays différents. Il est difficilement choquant que Moscou puisse ne pas avoir pleine confiance en l’autonomie de la prise des décisions d’une organisation (UE) à laquelle le vice-président des Etats-Unis Joe Biden a reconnu avoir donné des ordres. «L’[Europe] ne voulait pas le faire» [imposer des sanctions à la Russie], jusqu’à ce que l’Amérique la pousse à faire des concessions, a-t-il fièrement déclaré en octobre 2014. Et donc, encore et encore, au lieu de faire face à leurs propres problèmes, certains acteurs de Berlin et Bruxelles préfèrent présenter ces derniers sous l’angle de malfaisants complots russes.

Ainsi, nous avons Stratcom Orient, qui reçoit des millions d’euros de financement de l’UE pour publier une feuille composée en grande partie de «dénonciations» d’activistes sur les réseaux sociaux qui ne fournissent que rarement, s’ils le font, des réfutations factuelles des informations diffusées par RT. Au lieu de cela, ils relatent simplement leur mécontentement sur les points de vue exprimés. Ô pluralisme ! RT, en passant, a une section (Facts vs. Fiction – les faits face à la fiction) pour contrer la désinformation flagrante dont elle est victime, lancée au moins six mois avant le projet Stratcom. Peut-être que pouvons-nous prendre ce projet comme une forme de flatterie très sincère ? Si ce n’est pas sur le fond, au moins sur la forme ?

L’obsession actuelle des médias allemands sur une éventuelle «guerre hybride» mentionnée ci-dessus est également très intéressante. Le terme représente un slogan de l’OTAN, destiné à attiser les craintes et à justifier la poursuite de l’existence de l’organisation militaire. Bien sûr, l’OTAN est avant tout un bras armé de la politique étrangère des Etats-Unis. Le rapprochement entre Berlin et Moscou pourrait bien être le pire cauchemar de Washington. Par conséquent, quelle meilleure façon de protéger les intérêts américains en Allemagne, si ce n’est en diabolisant la Russie et en semant la discorde entre les deux pays ?

Dans le passé, les échelons inférieurs du BND (Service secret allemand chargé de l’«enquête sur la propagande russe») étaient infiltrés par des espions de la CIA. En outre, les hauts responsables de la CIA et du BND coopèrent fréquemment. Il y a eu ensuite les révélations d’Udo Ulfkotte, un ancien journaliste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui prétend qu’en Allemagne, des journalistes reçoivent des pots-de-vin de la part de la CIA et du BND pour écrire des articles de propagande en faveur de l’OTAN. Enfin, l’establishment militaire américain considère depuis longtemps la Russie comme son premier adversaire au plan géopolitique et le président Poutine comme l’ennemi public numéro 1.

Lord Ismay, le premier secrétaire général de l’OTAN, est resté célèbre pour avoir déclaré que le rôle de l’Alliance était de «garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle». Tous les signes indiquent que la politique actuelle de l’OTAN se concentre sur la poursuite de cet objectif . Peut-on parier que l’establishment allemand accusera Poutine de cela aussi ?

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Procès Karadzic : ce serait à hurler de rire si ce n’était pas si macabre

Une nouvelle condamnation du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie qui «ne s’attaque nullement aux vraies racines des problèmes ne pourra jamais contribuer à éviter de futures guerres», estime le chercheur John Laughland.

Quand l’ancien président yougoslave, Slobodan Milosevic, est décédé dans la prison du Tribunal pénal international à Scheveningen, près de La Haye, le 11 mars 2006, les médias se sont livrés à une véritable orgie de dénonciation du «bourreau de Balkans». Ils l’ont fait en ne tenant compte d’aucune séance du procès, qui avait pourtant duré quatre ans et qui était en cours quand Milosevic est mort à cause d’une maladie du coeur que les juges ont refusée de faire soigner. Le procès aurait pu ne pas avoir eu lieu, tellement ils ont voulu vite refermer sa parenthèse. Leur méthode consistait à ressortir du placard toutes les vieilles histoires qu’ils avaient apprises au début des années quatre-vingt-dix, quand les guerres yougoslaves ont éclaté, à l’instar de la politique occidentale dictée par les Allemands et les Américains qui se sont concurrencés pour dénoncer les Serbes et pour aider, y compris militairement, les sécessionistes d’abord croates et slovènes, ensuite islamo-bosniaques.

Aucune accusation pour génocide au Kosovo n’a jamais été engagée, alors que celui-ci était le prétexte pour le bombardement illégal de la Yougoslavie par l’Otan en 1999

En réalité, le procès avait produit bien de surprises. De nombreux témoignages avaient disculpé l’ancien président, y compris de la part de témoins à charge dont certains ont accusé l’Accusation de torture. Les juges se sont déshonorés en faisant taire l’accusé à chaque fois qu’il démontrait les mensonges de ses accusateurs. L’Accusation a même été contrainte d’abandonner, au milieu du procès, son affirmation centrale, à savoir que Milosevic aurait cherché à créer une Grande Serbie. Comme j’avais moi-même été le dernier journaliste occidental à rendre visite à Milosevic dans sa cellule, j’en savais quelques chose. J’étais tellement dégoûté par la légèreté et la malhonnêteté des reportages médiatiques que j’ai rédigé un livre sur le procès fleuve dont le titre résume bien l’argument: “La parodie” (Travesty, en anglais).

Depuis la mort de Milosevic, bien des événements juridiques ont eu lieu qui vont dans le sens d’une réévaluation des guerres yougoslaves.  Aucune accusation pour genocide au Kosovo n’a jamais été engagée, alors que celui-ci était le prétexte pour le bombardement illégal de la Yougoslavie par l’Otan en 1999.  En 2007, après quatorze ans de délibérations, la Cour internationale de justice (la plus haute instance juridique des Nations-Unies, et non pas un tribunal ad hoc concocté pour des raisons politiques par les Américains, comme le TPI) a rendu son jugement dans l’affaire qui opposait la Bosnie-Herzégovine à la Serbie depuis 1993.  La Cour a trouvé que la Serbie n’avait joué aucun rôle décisif dans la guerre civile bosniaque et que la très grande majorité des accusations de génocide portées contre les Serbes de Bosnie étaient sans fondement. La Bosnie avait en effet affirmé, dès le début des combats, que les Serbes voulaient exterminer les Musulmans, et que Milosevic et les Serbes de Bosnie ne faisaient que répéter le travail entrepris contre les Juifs par Adolf Hitler. Cette thèse fut aussi avancée par un universitaire américain, Norman Cigar, dans un livre publié avant la prise de la ville de Srebrenica en juillet 1995.

Tous ces développements juridiques restent largement inconnus du grand public, et pour cause. Si hier la salle de presse du TPI était comble pour entendre le verdict des juges dans le procès Karadzic, c’était la première fois depuis le début du procès, en 2009. Tout comme pendant le procès de Milosevic, les journalistes ont fait preuve d’un dédain superbe quant au vrai déroulement de la procédure contre Karadzic. Ils n’ont assisté à aucune séance. Tous ceux qui se sont empressés de vous annoncer avec délectation que l’ancien président de la République serbe de Bosnie avait été jugé coupable de génocide sont parfaitement incapables de vous citer le nom d’un seul témoin parmi les 585 qui ont été entendus pendant les cinq dernières années.

Pire, les juges semblent avoir agi de la même manière.  En écoutant la voix robotique du président coréen de la Chambre de première instance, O-Gon Kwon, qui lisait le résumé du jugement (celui-ci fait 2.600 pages) on aurait pu croire que le procès n’avait pas eu lieu. Pas un seul argument de la Défense n’a été cité ou retenu; pas le moindre rééquilibrage ou nuance des faits n’a pu être observé. Au contraire, le jugement ne consiste qu’en la répétition d’accusations vieilles de 25 ans et issues de la propagande occidentale depuis les tous premiers mois de la guerre.

Ce simplisme qui frôle la débilité est particulièrement criant dans le cas du plus grand tabou de tous, celui des massacres qui ont eu lieu à Srebrenica après trois ans de guerre atroce. Avec l’énorme mémorial construit près de la ville pour figer cet événement dans la pierre (en face duquel, d’ailleurs, des livres et DVD islamistes sont en vente dans un kiosque), Srebrenica constitue une référence négative presqu’aussi forte que celle de la Shoah, à laquelle les évènements de juillet 1995 sont censés ressembler. Mais que disent les juges dans l’affaire Karadzic sur Srebrenica? Ils racontent exactement les mêmes âneries que leurs prédécesseurs dans les autres procès devant le TPI.

Ils racontent en particulier, tout comme la Cour internationale de justice en 2007, que les Serbes de Bosnie n’avaient aucune intention de commettre un génocide contre les Musulmans de Bosnie en général.  Karadzic a été acquitté hier pour génocide dans sept municipalités où pourtant l’Accusation avait affirmé sa culpabilité. Ils démentent ainsi l’affirmation centrale portée par la Bosnie dès 1992. En revanche, les juges nous invitent à croire que la volonté génocidaire des Serbes de Bosnie ne concernait pas tous les Musulmans de Bosnie, mais seulement leshommes musulmans de la ville de Srebrenica. Ils nous invitent à croire, en outre, qu’après trois ans de lourds combats le plan génocidaire a été conçu à 20h le 13 juillet 1995. Dans le jugement du 24 mars, Karadzic a été acquitté par ses juges de toute accusation de génocide antérieur à ce moment précis.

Cela serait à hurler de rire si ce n’était pas si macabre.  Plusieurs massacres ont certainement eu lieu dans la ville suite à sa capture par les forces serbes de Bosnie, nul ne le conteste. La plupart des victimes étaient des combattants, ou des anciens combattants, qui ont formé une colonne de plusieurs milliers d’hommes essayant de fuire la ville pour rejoindre Tuzla, territoire bosniaque. Les Serbes leur ont tiré dessus et ils ont riposté. Mais les juges ne mentionnent aucune riposte, prétendant que dans la colonne il n’y avait que de civils non armés. Je le répète: qu’il y ait eu barbarie, personne ne le nie. Mais comment un génocide peut-il s’appliquer aux seuls habitants masculins d’une seule ville? Ce n’est pas le sens du mot génocide, qui veut dire “destruction de tout un peuple” ou “de toute une race”, c’est-à-dire des hommes et femmes d’une certaine race ou religion, partout où ils se trouvent.

En ignorant volontairement l’anthropologie de la guerre, les juges du TPI ont déformé la réalité de la guerre

En voulant préserver à tout prix la condamnation sensationnaliste pour génocide, qui constitue un grand succès institutionnel pour le TPI, les juges n’ont pas seulement prêté aucune attention aux centaines de témoins à décharge ni aux arguments de la Défense prouvant que Karadzic avait essayé d’éviter le pire. Ils ont surtout commis une grosse erreur d’analyse qui va vicier pour les décennies à venir la loi de la guerre qu’ils entendent renforcer. Ce qui s’est passé à Srebrenica, sous la chaleur intense de l’été 1995, est très clairement une série d’actes de vengeance, d’une fureur et d’une violence rares. Pendant trois ans, les Serbes autour de Srebrenica avaient été victimes d’attaques barbares par les islamistes sous le commandement de Nasir Oric, grand coupeur de têtes exonéré par le TPI en 2006, comme les très nombreux tombeaux dans les villages voisins l’attestent. Ils haïssaient ceux qui les avaient terrorisés et ils voulaient un règlement de comptes. Leurs actes étaient sans aucun doute condamnables – mais ils ne peuvent pas être qualifiés de génocidaires car le génocide est une opération planifiée et appliquée méthodiquement pour des raisons racistes. Ce n’est pas une explosion spontanée de violence.

En ignorant volontairement l’anthropologie de la guerre, et en particulier le phénomène girardien de la montée aux extrêmes de la spirale de violence – une violence que, ne l’oublions pas, les Musulmans avaient été les premiers à déclencher – les juges du TPI ont déformé la réalité de la guerre. Leur énième condemnation, basée sur une telle déformation et qui ne s’attaque nullement aux vraies racines des problèmes qu’elle entend résoudre, ne pourra jamais faire autorité. Elle ne pourra donc jamais contribuer à mitiger, et encore moins à éviter, des guerres futures.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.15

Source: http://www.les-crises.fr/russia-today-allo-paris-ici-moscou-par-dominique-albertini-et-jerome-lefilliatre/


Un ex-néo-nazi nouveau Président du parlement Ukrainien… [Super les médias !]

Thursday 14 April 2016 at 19:04

En Ukraine, le président du Parlement, Volodymyr Groïsman, a été nommé premier ministre en remplacement de Iatseniouk.

Bien entendu, nos médias ne reprennent pas les dépêches internationales (contrairement aux ukrainiens ou aux arméniens par exemple) précisant l’identifié du nouveau Président du Parlement : le bien connu André Parouby :

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article du grand quotidien ukrainien traduit donc par Le Monde avec une fidélité toute strausskahnienne :

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Bilan de la presse française :

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Ce qui est dommage, quand on connait le pédigrée du type – il n’y a qu’à consulter Wikipédia, certes en anglais :

parouby-2

mais on a déjà l’essentiel en français :

“En 1991, il fonde le Parti social-nationaliste d’Ukraine avec Oleg Tyahnybok; ce parti combinant le nationalisme radical et plusieurs traits néo-nazi et se revendiquait du nazisme.” [Wikipédia]

Pour mémoire, il a créé le parti néo-nazi ukrainien “Parti social-national ukrainien” en 1991, devenu Svoboda en 2004 – au moment où il l’a quitté. Il en a longtemps dirigé la milice paramilitaire (les SA locaux quoi)…

Il faut le voir pour le croire… Par chance, nous avions réalisé un long dossier là-dessus en 2014… :

Dès 1993, le SNPU crée des unités paramilitaires de garde populaire. Fin 1999, il les transforme en une aile pour la jeunesse, à vocation paramilitaire : les Patriotes d’Ukraine, dont le premier responsable a été Andriy Parubiy. Sa création a été saluée par un immense défilé aux flambeaux dans Lviv.

Manifestation SNPU

Manifestation SNPU

Manifestation SNPU

Manifestation SNPU

l’organisation des Patriotes d’Ukraine

l’organisation des Patriotes d’Ukraine

 Andrii Parubii, alors l'un des leaders du SNPU

Andrii Parubii, alors l’un des leaders du SNPU

Il a d’ailleurs rencontré en 1999 Jean-Marie Le Pen (et Samuel Maréchal, son gendre)…

… qui lui a fait une gentille dédicace à lui et à ses patriotes ukrainiens :

Je rappelle au passage que le FN de Jean-Marie Le Pen a fini par rompre avec les Ukrainiens, bien trop extrémistes peur eux (véridique).

Et il s’est donc trouvé ce jour 284 députés ukrainiens pour trouver que ce type méritait d’être leur Président…

Silence sur un ex néo-nazi à la tête du Parlement du plus grand pays d’Europe en conflit larvé avec la Russie grande victime du nazisme : Chapeau les artistes !

Source: http://www.les-crises.fr/un-ex-neo-nazi-nouveau-president-du-parlement-ukrainien/


Emmanuel Macron, “Nuit debout”… même combat ! Par Renaud Dély

Thursday 14 April 2016 at 02:30

Les ravages de la drogue…

Évidemment tout le monde aura noté l’opération de propagande médiatique en faveur d’Emmanuel Macron – qu’on avait déjà vue avec DSK en 2010-2011 (du genre, 4 ans avant, personne n’aurait pensé à lui, et il n’a rien fait d’objectif pu mériter un tel traitement). Revoir le 27 aout 2014 ici sur BFM : “Macron présidentiable” – alors quil était inconnu à l’époque…

Source : Le Nouvel Obs, Renaud Dély, 11-04-2016

Les deux mouvements ont - chacun à leur façon - un seul objectif : renverser la table. (JOEL SAGET/AFP)

Les deux mouvements ont – chacun à leur façon – un seul objectif : renverser la table. (JOEL SAGET/AFP)

L’écho recueilli par l’envol du ministre de l’Économie comme la sympathie suscitée par le rassemblement de la place de la République illustrent un même besoin de rupture. Et de nouveauté.

Peut-on se mettre “en marche” tout en passant la “nuit debout” ? Certes, l’exercice nécessite une grande souplesse et paraît pour le moins compliqué… Pourtant, en ces temps de “convergence des luttes”, un mot d’ordre s’impose : Macron – “Nuit debout”, même combat !

Sans doute le ministre de l’Economie comme les militants rassemblés nuitamment place de la République à Paris n’apprécieront-ils guère le parallèle. Il y a tout de même quelque chose de frappant à observer le développement simultané des deux initiatives politiques qui germent en ce début de printemps. Leurs partisans auront beau réfuter toute gémellité, et même toute forme de parenté, l’envol d’Emmanuel Macron et l’enracinement du mouvement “Nuit debout” sont bel et bien jumeaux.

Car “En Marche” et “Nuit debout” sont les deux faces d’une même médaille, les deux thermomètres d’un même diagnostic : celui de l’épuisement d’un système politique dont la représentativité, et la légitimité même, sont jour après jour plus contestés.

MAIS OUI, Macron antisystème !!!!

Dans le collimateur : le “vieux monde”

Après quatre ans de hollandisme, la gauche sociale-démocrate est épuisée, et les gauches, radicales ou écologistes, ne sont pas en meilleur état. Au-delà de ce seul camp, et de ce seul pouvoir, les partis politiques sont largement désertés et les syndicats tout aussi dépeuplés, la montée de l’abstention assèche la démocratie parlementaire, la démocratie sociale tourne à vide, bref, l’ensemble des institutions représentatives sont remises en cause et c’est toute la société qui apparaît bloquée. L’ascenseur social est en panne, la précarité se développe, et toute une génération de jeunes, entrepreneurs ou salariés, semblent condamnés à être sacrifiés sur l’autel d’une mondialisation mal maîtrisée.

C’est face à cette perspective que se dressent de concert Emmanuel Macron et “Nuit debout”. Le locataire de Bercy veut faire sauter les vieux clivages d’antan et les étiquettes surannées sans rapport avec la réalité politique et sociale présente, rassembler réformateurs de gauche comme de droite, changer de paradigme pour gouverner autrement,

Définition : “Faire de la politique autrement” : slogan utilisé par totu jeune loup qui fera après la même politique qu’avant

oser ce que ses prédécesseurs n’ont jamais tenté,

Oh, une vraie politique de gauche ? Et du patriotisme ? Et une France qui s’émancipe du carcan usa-otan-ue ???

bref bousculer un système sclérosé pour rendre à la politique sa raison d’être : l’efficacité, et même, tout bonnement, l’utilité.

Les squatteurs de la République, eux, rêvent d’accoucher d’un autre système qui dépasserait la logique productiviste du capitalisme et mettrait à bas les rapports de domination et d’aliénation du salariat pour esquisser les contours d’un nouveau monde.

Oui, presque comme Macron, quoi…

Les médias sautent sur l’occasion

L’attitude des médias contribue un peu plus à renforcer la gémellité des deux phénomènes. Car l’un comme l’autre sont largement surmédiatisés. Pour l’heure, “Nuit debout” n’a pas grand chose à voir avec les mobilisations massives impulsées par les Indignés espagnols. Et nul ne sait ce que pèse vraiment dans les urnes un Emmanuel Macron qui ne s’est encore jamais présenté à une élection.

C’est CA la vraie politique autrement : même plus d’élection !

Rappel : être parachuté dans une zone très socialiste, ça ne qualifie pas pour “élection”

Il n’empêche qu’avide de nouveauté, et redoutant de rater l’émergence d’un vrai phénomène, la presse s’est emparée des deux événements avec une fébrilité qui en dit long sur sa fragilité.

Bravo – mais c’est une grosse blague là ?

Les médias sont aujourd’hui tellement faibles et décriés qu’ils pullulent sous les tentes de la place de la République comme dans le sillage du ministre de l’Economie de peur de se voir reprocher un jour prochain d’avoir négligé un phénomène supposé s’adresser directement aux “vrais gens” par-delà les canaux et représentants traditionnels.

“Il y a crise lorsque l’ancien monde meurt et que le nouveau ne peut pas naître”, disait Antonio Gramsci.

A ce titre, les démarches d’Emmanuel Macron comme de Nuit debout sont d’inspiration gramscistes. C’est bien un combat culturel qu’ils engagent l’un comme l’autre pour apporter une bouffée d’air frais à même de changer un vieux système à bout de souffle.

Pas sûr que le ministre de l’Economie en vienne pour autant à camper place de la République. Ou que les activistes de “Nuit debout” adhèrent en masse au mouvement “En marche”. Pourtant, si le slogan en vogue de “convergence des luttes” se concrétisait par l’alliance des révoltes juvéniles de Macron et de “Nuit debout”, le vieux monde (politique) aurait du souci à se faire…

???

Renaud Dély

Source : Le Nouvel Obs, Renaud Dély, 11-04-2016

macron

Source: http://www.les-crises.fr/emmanuel-macron-nuit-debout-meme-combat-par-renaud-dely/


Les 2 minutes (et la semaine) de la Haine dans 1984, de George Orwell

Thursday 14 April 2016 at 01:20

Petits extraits de cette œuvre TOTALEMENT INDISPENSABLE. Toute ressemblance avec des événements réels etc…

Extraits relatifs aux « 2 minutes de la Haine »

1/ I Chapitre I

« Il était presque onze heures et, au Commissariat aux Archives, où travaillait Winston, on tirait les chaises hors des bureaux pour les grouper au centre du hall, face au grand télécran afin de préparer les Deux Minutes de la Haine. […]

[…] O’Brien, à ce moment, regarda son bracelet-montre, vit qu’il était près de onze heures et décida, de toute évidence, de rester dans le Commissariat aux Archives jusqu’à la fin des Deux Minutes de la Haine. Il prit une chaise sur le même rang que Winston, deux places plus loin. […]

Un instant plus tard, un horrible crissement, comme celui de quelque monstrueuse machine tournant sans huile, éclata dans le grand télécran du bout de la salle. C’était un bruit à vous faire grincer des dents et à vous hérisser les cheveux. La Haine avait commencé.

Comme d’habitude, le visage d’Emmanuel Goldstein, l’Ennemi du Peuple, avait jailli sur l’écran. Il y eut des coups de sifflet çà et là dans l’assistance. La petite femme rousse jeta un cri de frayeur et de dégoût. Goldstein était le renégat et le traître. Il y avait longtemps (combien de temps, personne ne le savait exactement) il avait été l’un des meneurs du Parti presque au même titre que Big Brother lui-même. Il s’était engagé dans une activité contre-révolutionnaire, avait été condamné à mort, s’était mystérieusement échappé et avait disparu. Le programme des Deux Minutes de la Haine variait d’un jour à l’autre, mais il n’y en avait pas dans lequel Goldstein ne fût la principale figure. Il était le traître fondamental, le premier profanateur de la pureté du Parti. Tous les crimes subséquents contre le Parti, trahisons, actes de sabotage, hérésies, déviations, jaillissaient directement de son enseignement. Quelque part, on ne savait où, il vivait encore et ourdissait des conspirations. Peut-être au-delà des mers, sous la protection des maîtres étrangers qui le payaient. Peut-être, comme on le murmurait parfois, dans l’Océania même, en quelque lieu secret. […] […] Le diaphragme de Winston s’était contracté. Il ne pouvait voir le visage de Goldstein sans éprouver un pénible mélange d’émotions. C’était un mince visage de Juif, largement auréolé de cheveux blancs vaporeux, qui portait une barbiche en forme de bouc, un visage intelligent et pourtant méprisable par quelque chose qui lui était propre, avec une sorte de sottise sénile dans le long nez mince sur lequel, près de l’extrémité, était perchée une paire de lunettes. Ce visage ressemblait à celui d’un mouton, et la voix, elle aussi, était du genre bêlant. Goldstein débitait sa venimeuse attaque habituelle contre les doctrines du Parti. Une attaque si exagérée et si perverse qu’un enfant aurait pu la percer à jour, et cependant juste assez plausible pour emplir chacun de la crainte que d’autres, moins bien équilibrés pussent s’y laisser prendre. Goldstein insultait Big Brother, dénonçait la dictature du Parti, exigeait l’immédiate conclusion de la paix avec l’Eurasia, défendait la liberté de parler, la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté de pensée. Il criait hystériquement que la révolution avait été trahie, et cela en un rapide discours polysyllabique qui était une parodie du style habituel des orateurs du Parti et comprenait même des mots novlangue, plus de mots novlangue même qu’aucun orateur du Parti n’aurait normalement employés dans la vie réelle. Et pendant ce temps, pour que personne ne pût douter de la réalité de ce que recouvrait le boniment spécieux de Goldstein, derrière sa tête, sur l’écran, marchaient les colonnes sans fin de l’armée eurasienne, rang après rang d’hommes à l’aspect robuste, aux visages inexpressifs d’Asiatiques, qui venaient déboucher sur l’écran et s’évanouissaient, pour être immédiatement remplacés par d’autres exactement semblables. Le sourd martèlement rythmé des bottes des soldats formait l’arrière-plan de la voix bêlante de Goldstein.

Avant les trente secondes de la Haine, la moitié des assistants laissait échapper des exclamations de rage. Le visage de mouton satisfait et la terrifiante puissance de l’armée eurasienne étaient plus qu’on n’en pouvait supporter. Par ailleurs, voir Goldstein, ou même penser à lui, produisait automatiquement la crainte et la colère. Il était un objet de haine plus constant que l’Eurasia ou l’Estasia, puisque lorsque l’Océania était en guerre avec une de ces puissances, elle était généralement en paix avec l’autre. Mais l’étrange était que, bien que Goldstein fût haï et méprisé par tout le monde, bien que tous les jours et un millier de fois par jour, sur les estrades, aux télécrans, dans les journaux, dans les livres, ses théories fussent réfutées, écrasées, ridiculisées, que leur pitoyable sottise fût exposée aux regards de tous, en dépit de tout cela, son influence ne semblait jamais diminuée. Il y avait toujours de nouvelles dupes qui attendaient d’être séduites par lui. Pas un jour ne se passait que des espions et des saboteurs à ses ordres ne fussent démasqués par la Police de la Pensée. Il commandait une grande armée ténébreuse, un réseau clandestin de conspirateurs qui se consacraient à la chute de l’État. On croyait que cette armée s’appelait la Fraternité. Il y avait aussi des histoires que l’on chuchotait à propos d’un livre terrible, résumé de toutes les hérésies, dont Goldstein était l’auteur, et qui circulait clandestinement çà et là. Ce livre n’avait pas de titre. Les gens s’y référaient, s’ils s’y référaient jamais, en disant simplement le livre. Mais on ne savait de telles choses que par de vagues rumeurs. Ni la Fraternité, ni le livre, n’étaient des sujets qu’un membre ordinaire du Parti mentionnerait s’il pouvait l’éviter.

À la seconde minute, la Haine tourna au délire. Les gens sautaient sur place et criaient de toutes leurs forces pour s’efforcer de couvrir le bêlement affolant qui venait de l’écran. Même le lourd visage d’O’Brien était rouge. Il était assis très droit sur sa chaise. Sa puissante poitrine se gonflait et se contractait comme pour résister à l’assaut d’une vague. La petite femme aux cheveux roux avait tourné au rose vif, et sa bouche s’ouvrait et se fermait comme celle d’un poisson hors de l’eau. La fille brune qui était derrière Winston criait : « Cochon ! Cochon ! Cochon ! » Elle saisit soudain un lourd dictionnaire novlangue et le lança sur l’écran. Il atteignit le nez de Goldstein et rebondit. La voix continuait, inexorable. Dans un moment de lucidité, Winston se vit criant avec les autres et frappant violemment du talon contre les barreaux de sa chaise. L’horrible, dans ces Deux Minutes de la Haine, était, non qu’on fût obligé d’y jouer un rôle, mais que l’on ne pouvait, au contraire, éviter de s’y joindre. Au bout de trente secondes, toute feinte, toute dérobade devenait inutile. Une hideuse extase, faite de frayeur et de rancune, un désir de tuer, de torturer, d’écraser des visages sous un marteau, semblait se répandre dans l’assistance comme un courant électrique et transformer chacun, même contre sa volonté, en un fou vociférant et grimaçant.

Mais la rage que ressentait chacun était une émotion abstraite, indirecte, que l’on pouvait tourner d’un objet vers un autre comme la flamme d’un photophore. Ainsi, à un moment, la haine qu’éprouvait Winston n’était pas du tout dirigée contre Goldstein, mais contre Big Brother, le Parti et la Police de la Pensée. À de tels instants, son cœur allait au solitaire hérétique bafoué sur l’écran, seul gardien de la vérité et du bon sens dans un monde de mensonge. Pourtant, l’instant d’après, Winston était de cœur avec les gens qui l’entouraient et tout ce que l’on disait de Goldstein lui semblait vrai. Sa secrète aversion contre Big Brother se changeait alors en adoration. Big Brother semblait s’élever, protecteur invincible et sans frayeur dressé comme un roc contre les hordes asiatiques. Goldstein, en dépit de son isolement, de son impuissance et du doute qui planait sur son existence même, semblait un sinistre enchanteur capable, par le seul pouvoir de sa voix, de briser la structure de la civilisation.

On pouvait même, par moments, tourner le courant de sa haine dans une direction ou une autre par un acte volontaire. Par un violent effort analogue à celui par lequel, dans un cauchemar, la tête s’arrache de l’oreiller, Winston réussit soudain à transférer sa haine, du visage qui était sur l’écran, à la fille aux cheveux noirs placée derrière lui. […] […] La Haine était là, à son paroxysme. La voix de Goldstein était devenue un véritable bêlement de mouton et, pour un instant, Goldstein devint un mouton. Puis le visage de mouton se fondit en une silhouette de soldat eurasien qui avança, puissant et terrible dans le grondement de sa mitrailleuse et sembla jaillir de l’écran, si bien que quelques personnes du premier rang reculèrent sur leurs sièges. Mais au même instant, ce qui provoqua chez tous un profond soupir de soulagement, la figure hostile fut remplacée, en fondu, par le visage de Big Brother, aux cheveux et à la moustache noirs, plein de puissance et de calme mystérieux, et si large qu’il occupa presque tout l’écran. Personne n’entendit ce que disait Big Brother. C’étaient simplement quelques mots d’encouragement, le genre de mots que l’on prononce dans le fracas d’un combat. Ils ne sont pas précisément distincts, mais ils restaurent la confiance par le fait même qu’ils sont dits. Le visage de Big Brother disparut ensuite et, à sa place, les trois slogans du Parti s’inscrivirent en grosses majuscules :

LA GUERRE C’EST LA PAIX

LA LIBERTÉ C’EST L’ESCLAVAGE

L’IGNORANCE C’EST LA FORCE

[…] L’assistance fit alors éclater en chœur un chant profond, rythmé et lent : B-B !… B-B !… B-B !… – encore et encore, très lentement, avec une longue pause entre le premier « B » et le second. C’était un lourd murmure sonore, curieusement sauvage, derrière lequel semblaient retentir un bruit de pieds nus et un battement de tam-tams. Le chant dura peut-être trente secondes. C’était un refrain que l’on entendait souvent aux moments d’irrésistible émotion. C’était en partie une sorte d’hymne à la sagesse et à la majesté de Big Brother, mais c’était, plus encore, un acte d’hypnose personnelle, un étouffement délibéré de la conscience par le rythme. Winston en avait froid au ventre. Pendant les Deux Minutes de la Haine, il ne pouvait s’empêcher de partager le délire général, mais ce chant sous-humain de « B-B !… B-B !… » l’emplissait toujours d’horreur. Naturellement il chantait avec les autres. Il était impossible de faire autrement. Déguiser ses sentiments, maîtriser son expression, faire ce que faisaient les autres étaient des réactions instinctives. Mais il y avait une couple de secondes durant lesquelles l’expression de ses yeux aurait pu le trahir. […]

2/I Chapitre IV

« […] Winston ne savait même pas leurs noms, bien qu’il les vît chaque jour se dépêcher dans un sens ou dans l’autre dans les couloirs ou gesticuler pendant les Deux Minutes de la Haine.

Il savait que, dans la cabine voisine de la sienne, la petite femme rousse peinait, un jour dans l’autre, à rechercher dans la presse et à éliminer les noms des gens qui avaient été vaporisés et qui étaient par conséquent, considérés comme n’ayant jamais existé. Il y avait là un certain à-propos puisque son propre mari, deux ans plus tôt, avait été vaporisé.

Il existait toute une suite de départements spéciaux qui s’occupaient, pour les prolétaires, de littérature, de musique, de théâtre et, en général, de délassement. Là, on produisait des journaux stupides qui ne traitaient presque entièrement que de sport, de crime et d’astrologie, de petits romans à cinq francs, des films juteux de sexualité, des chansons sentimentales composées par des moyens entièrement mécaniques sur un genre de kaléidoscope spécial appelé versificateur.

Il y avait même une sous-section entière – appelée, en novlangue, Pornosex – occupée à produire le genre le plus bas de pornographie. Cela s’expédiait en paquets scellés qu’aucun membre du Parti, à part ceux qui y travaillaient, n’avait le droit de regarder.

Trois autres messages étaient tombés du tube pneumatique pendant que Winston travaillait. Mais ils traitaient de questions simples et Winston les avait liquidés avant d’être interrompu par les Deux Minutes de la Haine.

Lorsque la Haine eut pris fin, il retourna à sa Cellule. Il prit sur une étagère le dictionnaire novlangue, écarta le phonoscript, essuya ses verres et s’attaqua au travail principal de la matinée. […]»

3/II Chapitre III

[…] Toutes ces marches et contre-marches, ces acclamations, ces drapeaux flottants, sont simplement de l’instinct sexuel aigri. Si l’on était heureux intérieurement, pourquoi s’exciterait-on sur Big Brother, les plans de trois ans, les Deux Minutes de Haine et tout le reste de leurs foutues balivernes ? […] Il pensa que c’était tout à fait exact. Il y avait un lien direct entre la chasteté et l’orthodoxie politique. Sinon, comment aurait-on pu maintenir au degré voulu, chez les membres du Parti, la haine et la crédulité folles dont le Parti avait besoin, si l’on n’emmagasinait quelque puissant instinct et ne l’employait comme force motrice ?  […] »

4/ II Chapitre V

« […] Elle avait, un nombre incalculable de fois, lors des rassemblements du Parti, et au cours de manifestations spontanées, demandé en criant à tue-tête, pour des crimes supposés auxquels elle n’ajoutait pas la moindre créance, l’exécution de gens dont elle n’avait jamais entendu les noms. Quand il y avait des procès publics, elle tenait sa place dans les détachements de la Ligue de la Jeunesse qui entouraient les tribunaux du matin au soir et chantaient à intervalles réguliers « Mort aux traîtres ». Pendant les Deux Minutes de la Haine, les insultes qu’elle proférait contre Goldstein dominaient toujours celles des autres. Elle n’avait pourtant qu’une idée très vague de Goldstein et des doctrines qu’il était censé représenter. Elle avait grandi après la Révolution et était trop jeune pour se rappeler les batailles idéologiques de 1950 à 1969. Une chose telle qu’un mouvement politique indépendant dépassait le pouvoir de son imagination et, en tout cas, le Parti était invincible. Il existerait toujours et serait toujours le même. On ne pouvait se révolter contre lui que par une désobéissance secrète ou, au plus, par des actes isolés de violence, comme de tuer quelqu’un ou de lui lancer quelque chose à la tête. […] […] Elle était, par certains côtés, beaucoup plus fine que Winston et beaucoup moins perméable à la propagande du Parti. Il arriva une fois à Winston de parler, à propos d’autre chose, de la guerre contre l’Eurasia. Elle le surprit en disant avec désinvolture qu’à son avis il n’y avait pas de guerre. Les bombes-fusées qui tombaient chaque jour sur Londres étaient probablement lancées par le gouvernement de l’Océania lui-même, « juste pour maintenir les gens dans la peur ». C’était une idée qui, littéralement, n’était jamais venue à Winston. Julia éveilla encore en lui une sorte d’envie lorsqu’elle lui dit que, pendant les Deux Minutes de la Haine, le plus difficile pour elle était de se retenir d’éclater de rire. Mais elle ne mettait en question les enseignements du Parti que lorsqu’ils touchaient, de quelque façon, à sa propre vie. Elle était souvent prête à accepter le mythe officiel, simplement parce que la différence entre la vérité et le mensonge ne lui semblait pas importante.

Elle croyait, par exemple, l’ayant appris à l’école, que le Parti avait inventé les aéroplanes. Winston se souvenait qu’à l’époque où il était, lui, à l’école, vers 1958-59, c’était seulement l’hélicoptère que le Parti prétendait avoir inventé. Une douzaine d’années plus tard, pendant les années de classe de Julia, il prétendait déjà avoir inventé l’aéroplane. Dans une génération, il s’attribuerait l’invention des machines à vapeur. Et quand il lui dit que les aéroplanes existaient avant qu’il fût né et longtemps avant la Révolution, elle trouva le fait sans intérêt aucun. Après tout, quelle importance cela avait-il que ce fût celui-ci ou celui-là qui ait inventé les aéroplanes ?

Ce fut plutôt un choc pour Winston de découvrir, à propos d’une remarque faite par hasard, qu’elle ne se souvenait pas que l’Océania, il y avait quatre ans, était en guerre contre l’Estasia et en paix avec l’Eurasia. Il est vrai qu’elle considérait toute la guerre comme une comédie. Mais elle n’avait apparemment même pas remarqué que le nom de l’ennemi avait changé.

– Je croyais que nous avions toujours été en guerre contre l’Eurasia, dit-elle vaguement.

Winston en fut un peu effrayé. L’invention des aéroplanes était de beaucoup antérieure à sa naissance, mais le nouvel aiguillage donné à la guerre datait de quatre ans seulement, bien après qu’elle eût grandi. Il discuta à ce sujet avec elle pendant peut-être un quart d’heure. À la fin, il réussit à l’obliger à creuser sa mémoire jusqu’à ce qu’elle se souvînt confusément qu’à une époque c’était l’Estasia et non l’Eurasia qui était l’ennemi. Mais la conclusion lui parut encore sans importance.

– Qui s’en soucie ? dit-elle avec impatience. C’est toujours une sale guerre après une autre et on sait que, de toute façon, les nouvelles sont toujours fausses.

Il lui parlait parfois du Commissariat aux Archives et des impudentes falsifications qui s’y perpétraient. De telles pratiques ne semblaient pas l’horrifier. Elle ne sentait pas l’abîme s’ouvrir sous ses pieds à la pensée que des mensonges devenaient des vérités.

Il lui raconta l’histoire de Jones, Aaronson et Rutherford et de l’important fragment de papier qu’il avait une fois tenu entre ses doigts. Elle n’en fut pas très impressionnée. Elle ne saisit pas tout de suite, d’ailleurs, le nœud de l’histoire.

– Étaient-ce tes amis ? demanda-t-elle.

– Non. Je ne les ai jamais connus. C’étaient des membres du Parti intérieur. En outre, ils étaient beaucoup plus âgés que moi. Ils appartenaient à l’ancienne époque, d’avant la Révolution. Je les connaissais tout juste de vue.

– Alors qu’y avait-il là pour te tracasser ? Il y a toujours eu des gens tués, n’est-ce pas ?

Il essaya de lui faire comprendre. C’était un cas exceptionnel. Il ne s’agissait pas seulement du meurtre d’un individu.

– Te rends-tu compte que le passé a été aboli jusqu’à hier ? S’il survit quelque part, c’est dans quelques objets auxquels n’est attaché aucun mot, comme ce bloc de verre sur la table. Déjà, nous ne savons littéralement presque rien de la Révolution et des années qui la précédèrent. Tous les documents ont été détruits ou falsifiés, tous les livres récrits, tous les tableaux repeints. Toutes les statues, les rues, les édifices, ont changé de nom, toutes les dates ont été modifiées. Et le processus continue tous les jours, à chaque minute. L’histoire s’est arrêtée. Rien n’existe qu’un présent éternel dans lequel le Parti a toujours raison. Je sais naturellement que le passé est falsifié, mais il me serait impossible de le prouver, alors même que j’ai personnellement procédé à la falsification. La chose faite, aucune preuve ne subsiste. La seule preuve est à l’intérieur de mon cerveau et je n’ai aucune certitude qu’un autre être humain quelconque partage mes souvenirs. De toute ma vie, il ne m’est arrivé qu’une seule fois de tenir la preuve réelle et concrète. Des années après.

– Et à quoi cela t’avançait-il ?

– À rien, parce que quelques minutes plus tard j’ai jeté le papier. Mais aujourd’hui, si le cas se reproduisait, je garderais le papier.

– Eh bien, pas moi, répondit Julia. Je suis prête à courir des risques, mais pour quelque chose qui en vaut la peine, pas pour des bouts de vieux journaux. Qu’en aurais-tu fait, même si tu l’avais gardé ? […]

5/II Chapitre IX

« […] On attend d’un membre du Parti qu’il n’éprouve aucune émotion d’ordre privé et que son enthousiasme ne se relâche jamais. Il est censé vivre dans une continuelle frénésie de haine contre les ennemis étrangers et les traîtres de l’intérieur, de satisfaction triomphale pour les victoires, d’humilité devant la puissance et la sagesse du Parti. Les mécontentements causés par la vie nue, insatisfaisante, sont délibérément canalisés et dissipés par des stratagèmes comme les Deux Minutes de la Haine. Les spéculations qui pourraient peut-être amener une attitude sceptique ou rebelle, sont tuées d’avance par la discipline intérieure acquise dans sa jeunesse. […] »

Extraits relatifs à la« Semaine de la Haine »

6/II Chapitre V

« […] Syme avait disparu. Un matin, il avait été absent de son travail. Quelques personnes sans cervelle commentèrent son absence. Le jour suivant, personne ne mentionna son nom. Le troisième jour, Winston se rendit au vestibule du Commissariat aux Archives pour regarder le tableau des informations. L’une des notices contenait une liste imprimée des membres du Comité des Échecs dont Syme avait fait partie. Cette liste paraissait à peu près semblable à ce qu’elle était auparavant. Rien n’avait été raturé. Mais elle avait un nom en moins. C’était suffisant. Syme avait cessé d’exister, il n’avait jamais existé.

Le temps chauffait dur. Dans le labyrinthe du ministère, les pièces sans fenêtres, dont l’air était conditionné, gardaient leur température normale, mais à l’extérieur, les pavés brûlaient les pieds et la puanteur du métro aux heures d’affluence était horrible. Les préparatifs pour la Semaine de la Haine battaient leur plein et le personnel de tous les ministères faisait des heures supplémentaires.

Processions, réunions, parades militaires, conférences, exhibition d’effigies, spectacles de cinéma, programmes de télécran, tout devait être organisé. Des tribunes devaient être dressées, des effigies modelées, des slogans inventés, des chansons écrites, des rumeurs mises en circulation, des photographies maquillées. On avait enlevé à la Section de Julia, dans le Commissariat aux Romans, la production des romans. Ce Département sortait maintenant, à une cadence précipitée, une série d’atroces pamphlets. Winston, en plus de son travail habituel, passait de longues heures chaque jour à parcourir d’anciennes collections du Times et à changer et embellir des paragraphes concernant les nouvelles qui devaient être commentées dans des discours. Tard dans la nuit, alors qu’une foule de prolétaires bruyants erraient par les rues, la ville avait un curieux air de fébrilité. Les bombes-fusées s’abattaient avec fracas plus souvent que jamais. Parfois, dans le lointain, il y avait d’énormes explosions que personne ne pouvait expliquer et à propos desquelles circulaient de folles rumeurs.

Le nouvel air qui devait être la chanson-thème de la Semaine de la Haine (on l’appelait la chanson de la Haine), avait déjà été composé et on le donnait sans arrêt au télécran. Il avait un rythme d’aboiement sauvage qu’on ne pouvait exactement appeler de la musique, mais qui ressemblait au battement d’un tambour. Quand, chanté par des centaines de voix, il scandait le bruit des pas, il était terrifiant. Les prolétaires s’en étaient entichés et, au milieu de la nuit, il rivalisait dans les rues avec l’air encore populaire « Ce n’est qu’un rêve sans espoir. » Les enfants de Parsons le jouaient de façon insupportable à toutes les heures du jour et de la nuit, sur un peigne et un bout de papier hygiénique. Les soirées de Winston étaient plus occupées que jamais. Des escouades de volontaires, organisées par Parsons, préparaient la rue pour la Semaine de la Haine. Elles cousaient des bannières, peignaient des affiches, érigeaient des hampes de drapeaux sur les toits, risquaient leur vie pour lancer des fils par-dessus la rue et accrocher des banderoles.

Parsons se vantait que seul le bloc de la Victoire déploierait quatre cents mètres de pavoisement. La chaleur et les travaux manuels lui avaient même fourni un prétexte pour revenir dans la soirée aux shorts et aux chemises ouvertes. Il était partout à la fois à pousser, tirer, scier, clouer, improviser, à réjouir tout le monde par ses exhortations familières et à répandre par tous les plis de son corps un stock qui semblait inépuisable de sueur acide.

Les murs de Londres avaient soudain été couverts d’une nouvelle affiche. Elle ne portait pas de légende et représentait simplement la monstrueuse silhouette de trois ou quatre mètres de haut d’un soldat eurasien au visage mongol impassible aux bottes énormes, qui avançait à grands pas avec sur la hanche, une mitrailleuse pointée en avant. Sous quelque angle qu’on regardât l’affiche, la gueule de la mitrailleuse semblait pointée droit sur vous.

Ces affiches avaient été collées sur tous les espaces vides des murs et leur nombre dépassait même celles qui représentaient Big Brother. Les prolétaires, habituellement indifférents à la guerre, étaient excités et poussés à l’un de leurs périodiques délires patriotiques. Comme pour s’harmoniser avec l’humeur générale, les bombes-fusées avaient tué un nombre de gens plus grand que d’habitude. L’une d’elles tomba sur un cinéma bondé de Stepney et ensevelit sous les décombres plusieurs centaines de victimes. Toute la population du voisinage sortit pour les funérailles. Elle forma un long cortège qui dura des heures et fut, en fait, une manifestation d’indignation. Une autre bombe tomba dans un terrain abandonné qui servait de terrain de jeu. Plusieurs douzaines d’enfants furent atteints et mis en pièces. Il y eut d’autres manifestations de colère. On brûla l’effigie de Goldstein. Des centaines d’exemplaires de l’affiche du soldat eurasien furent arrachés et ajoutés aux flammes et un grand nombre de magasins furent pillés dans le tumulte. Puis le bruit courut que des espions dirigeaient les bombes par ondes, et on mit le feu à la maison d’un vieux couple suspect d’être d’origine étrangère. Il périt étouffé. Dans la pièce qui se trouvait au-dessus du magasin de M. Charrington, Winston et Julia, quand ils pouvaient s’y rendre, se couchaient côte à côte sur le lit sans couvertures, nus sous la fenêtre ouverte pour avoir frais. Le rat n’était jamais revenu, mais les punaises s’étaient hideusement multipliées avec la chaleur. Cela ne semblait pas avoir d’importance. Sale ou propre, la chambre était un paradis. […] »

7/II Chapitre IX

« […] Au sixième jour de la Semaine de la Haine, après les processions, les discours, les cris, les chants, les bannières, les affiches, les films, les effigies de cire, le roulement des tambours, le glapissement des trompettes, le bruit de pas des défilés en marche, le grincement des chenilles de tanks, le mugissement des groupes d’aéroplanes, le grondement des canons, après six jours de tout cela, alors que le grand orgasme palpitait vers son point culminant, que la haine générale contre l’Eurasia s’était échauffée et en était arrivée à un délire tel que si la foule avait pu mettre la main sur les deux mille criminels eurasiens qu’on devait pendre en public le dernier jour de la semaine, elle les aurait certainement mis en pièces ; juste à ce moment, on annonça qu’après tout l’Océania n’était pas en guerre contre l’Eurasia. L’Océania était en guerre contre l’Estasia. L’Eurasia était un allié.

Il n’y eut naturellement aucune déclaration d’un changement quelconque. On apprit simplement, partout à la fois, avec une extrême soudaineté, que l’ennemi c’était l’Estasia et non l’Eurasia.

Winston prenait part à une manifestation dans l’un des squares du centre de Londres quand la nouvelle fut connue. C’était la nuit. Les visages et les bannières rouges étaient éclairés d’un flot de lumière blafarde. Le square était bondé de plusieurs milliers de personnes dont un groupe d’environ un millier d’écoliers revêtus de l’uniforme des Espions. Sur une plate-forme drapée de rouge, un orateur du Parti intérieur, un petit homme maigre aux longs bras disproportionnés, au crâne large et chauve sur lequel étaient disséminées quelques rares mèches raides, haranguait la foule. C’était une petite silhouette de baudruche hygiénique, contorsionnée par la haine. Une de ses mains s’agrippait au tube du microphone tandis que l’autre, énorme et menaçante au bout d’un bras osseux, déchirait l’air au-dessus de sa tête.

Sa voix, rendue métallique par les haut-parleurs, faisait retentir les mots d’une interminable liste d’atrocités, de massacres, de déportations, de pillages, de viols, de tortures de prisonniers, de bombardements de civils, de propagande mensongère, d’agressions injustes, de traités violés. Il était presque impossible de l’écouter sans être d’abord convaincu, puis affolé. La fureur de la foule croissait à chaque instant et la voix de l’orateur était noyée dans un hurlement de bête sauvage qui jaillissait involontairement des milliers de gosiers. Les glapissements les plus sauvages venaient des écoliers.

L’orateur parlait depuis peut-être vingt minutes quand un messager monta en toute hâte sur la plate-forme et lui glissa dans la main un bout de papier. Il le déplia et le lut sans interrompre son discours. Rien ne changea de sa voix ou de ses gestes ou du contenu de ce qu’il disait mais les noms, soudain, furent différents. Sans que rien ne fût dit, une vague de compréhension parcourut la foule. L’Océania était en guerre contre l’Estasia ! Il y eut, le moment d’après, une terrible commotion. Les bannières et les affiches qui décoraient le square tombaient toutes à faux. Presque la moitié d’entre elles montraient des visages de l’ennemi actuel. C’était du sabotage ! Les agents de Goldstein étaient passés par là. Il y eut un interlude tumultueux au cours duquel les affiches furent arrachées des murs, les bannières réduites en lambeaux et piétinées. Les Espions accomplirent des prodiges d’activité en grimpant jusqu’au faîte des toits pour couper les banderoles qui flottaient sur les cheminées. Mais en deux ou trois minutes, tout était terminé.

L’orateur, qui étreignait encore le tube du microphone, les épaules courbées en avant, la main libre déchirant l’air, avait sans interruption continué son discours. Une minute après, les sauvages hurlements de rage éclataient de nouveau dans la foule. La Haine continuait exactement comme auparavant, sauf que la cible avait été changée.

Ce qui impressionna Winston quand il y repensa, c’est que l’orateur avait passé d’une ligne politique à une autre exactement au milieu d’une phrase, non seulement sans arrêter, mais sans même changer de syntaxe.

À ce moment-là, Winston avait eu d’autres sujets de préoccupation. C’est pendant le désordre du moment, pendant que les affiches étaient déchirées et jetées, qu’un homme dont il ne vit pas le visage lui avait frappé l’épaule et dit : « Pardon, je crois que vous avez laissé tomber votre serviette. »

Il prit la serviette d’un geste distrait, sans mot dire. Il savait qu’il faudrait attendre quelques jours avant qu’il eût la possibilité de l’ouvrir. Dès la fin de la manifestation, il se rendit tout droit au ministère, bien qu’il fût près de vingt-trois heures. L’équipe entière du ministère avait fait comme lui. Les ordres que déjà émettaient les télécrans pour les rappeler à leurs postes étaient à peine nécessaires.

L’Océania était en guerre contre l’Estasia. L’Océania avait donc toujours été en guerre contre l’Estasia. Une grande partie de la littérature politique de cinq années était maintenant complètement surannée. Exposés et récits de toutes sortes, journaux, livres, pamphlets, films, disques, photographies, tout devait être rectifié, à une vitesse éclair. Bien qu’aucune directive n’eût jamais été formulée, on savait que les chefs du Commissariat entendaient qu’avant une semaine ne demeure nulle part aucune mention de la guerre contre l’Eurasia et de l’alliance avec l’Estasia.

Le travail était écrasant, d’autant plus que les procédés qu’il impliquait ne pouvaient être appelés de leurs vrais noms. Au Commissariat aux Archives, tout le monde travaillait dix-huit heures sur vingt-quatre, avec deux intervalles de trois heures de sommeil hâtif. Des matelas furent montés des caves et étalés dans tous les couloirs. Les repas consistaient en sandwiches, et du café de la Victoire était apporté sur des chariots roulants par des gens de la cantine. […] »

[P.S. un grand merci à Didier pour la compilation !!!] :)


Big Brother Is Watching You

Source: http://www.les-crises.fr/minute-semaine-de-la-haine-1984/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Onfray, Guénolé, Jauvert, ScienceEtonnante)

Wednesday 13 April 2016 at 04:12

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute de Delamarche: Pétrole, il va y avoir une réunion avec des gens qui veulent s’égorger

Olivier Delamarche VS Sarah Thirion (1/2): Comment expliquer le flou sur les marchés boursiers européens ? – 11/04

Olivier Delamarche VS Sarah Thirion (2/2): Quid de la santé et des risques inhérents au secteur bancaire européen ? – 11/04

II. Philippe Béchade

La minute de Béchade : USA, mieux vaut être étudiant que BAC +5 – 06/04

Les indés de la finance: Les banques espagnoles, italiennes et portugaises ont enregistré 15 séances de baisse – 08/04

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (1/2): Y a-t-il une explication conjoncturelle au regain d’inquiétudes sur le marché européen ? – 06/04

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (2/2): Quelles leçons tirer de l’échec du rapprochement Orange / Bouygues Telecom ? – 06/04

III. Jacques Sapir

La minute de Sapir : Les risques qui guettent l’Allemagne – 05/04

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (1/2): Dette grecque: Quid du bras de fer entre le FMI et la Grèce ? – 05/04

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (2/2): Le Brexit impactera-t-il les marchés ? – 05/04

Les points sur les “i”: Jacques Sapir: “La création d’un fonds structurel pour aider les banques fragiles n’est pas rassurant” – 12/04

IV. Michel Onfray

Michel Onfray : “Il y a des catégories mentales qui m’échappent dans les cerveaux de l’épiscopat français”

V. Thomas Guénolé

Thomas Guénolé sur LCI : “Manuel Valls raconte en boucle n’importe quoi sur l’Islam et les musulmans”

VI. Vincent Jauvert

“La face cachée du Quai d’Orsay”: deux ans d’enquête sur un ministère à la dérive

VII. ScienceEtonnante

Le paradoxe de Simpson — Science étonnante #7


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

brexit

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-onfray-guenole-jauvert-scienceetonnante/


Complotisme et anti-complotisme, par François-Bernard Huyghe

Wednesday 13 April 2016 at 02:37

Je vous propose un texte et une vidéo de François-Bernard Huyghe, spécialiste français de l’information et de la stratégie.

Je vous recommande son dernier ouvrage, “La désinformation – Les armes du faux

Source : François-Bernard Huyghe, 24-03-2016

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Le complotisme, qu’il est si à la mode de dénoncer – nous l’avons nous-même fait ces dernières années- implique un premier paradoxe. Le complotiste est celui qui prend les désirs de son adversaire pour la réalité. Tout va mal. Pourquoi ? Parce que des hommes puissants dirigent tout dans l’ombre et trompent les naïfs. Comment le savez-vous ? Parce que je suis plus malin, que j’ai décrypté des indices (leur conspiration n’est donc pas parfaitement efficace) : je distingue les réalités, stratégies, manœuvres, manipulations, etc. ; la plupart ne le savent pas, mais j’ai compris et, faute de pouvoir améliorer ledit monde, je sais au moins pourquoi il va mal. Cqfd.

Le complotiste est donc à la fois malheureux (les méchants gagnent et personne ou presque ne s’en aperçoit) et satisfait – car lui, il sait-. Du coup, il mélange une grande intelligence (il faut beaucoup d’esprit critique pour distinguer les contradictions de la “version officielle” et découvrir des intérêts dissimulés qui expliqueraient tout) et une grande naïveté. La naïveté ne consiste pas à croire que les autorités ou les médias puissent nous tromper (ou se tromper), ni à imaginer que des actions officielles ou des nobles déclarations dissimulent des desseins inavouables. Cela arrive. L’erreur ne consiste même pas à croire qu’il y a des complots, car il y en a vraiment, si l’on entend par là que des groupes ou des États essaient de parvenir à leur but en coordonnant des influences et sans le proclamer sur la place publique . Le conspirationniste est naïf en supposant :
a ) que tant de faits apparemment contradictoires résultent d’une seule volonté (sans rendre justice à la pluralité des acteurs, au hasard, aux ratages, aux conflits et contradictions),
b ) que cette volonté est consciente et que des gens qui ont des intérêts, une formation et des moyens d’action communs ont besoin de se réunir pour penser leurs plans et faire à peu près la même chose
c ) qu’il est si facile de monter des mises en scène gigantesques ou des milliers de complices sans se prendre les pieds dans le tapis ou sans se faire prendre.

Les “vrais” complots au sens défini plus haut ne sont hélas ni si puissants, ni si explicites, ni si habilement dissimulés. Hélas, car s’il y avait un coupable unique, nous pourrions espérer nous en débarrasser.

En dépit de son succès qui se mesure en nombre de “croyants” (il y a des millions de fans de ces théories, surtout en ligne), le complotisme se condamne à l’impuissance. Il est incapable de comprendre le poids des déterminismes, des idéologies, des imaginaires, des effets de comportement de groupe, et de la culture au sens le plus large (tout ce qui guide nos choix “dns la tête”) dans l’action humaine. Du coup, tout en prétendant critiquer le “système”, il pense en réalité “des gens” (et de méchantes gens) et pas du tout ce qu’est vraiment un système.

Donc tout à fait d’accord pour moquer les obsédés des extra-terrestres, des Illuminatis, des sociétés secrètes, des services d’espionnage omnipotents et autres variantes des maîtres du monde. Le monde ne dissimule pas un arrière-monde si organisé et si grotesque.

Mais le complotisme produit un autre effet pervers plus subtil. Il contamine son adversaire. En tant que catégorie explique-tout et baîllone-tout, l’accusation de complotisme, présenté comme le nouveau péril mais qu’il est si facile (et gratifiant) de dénoncer, se prête aussi à des usages douteux .

– Exagération du péril complotiste. Ainsi lorsque le magazine Society proclame couverture que le complotisme est “la nouvelle idéologie dominante” (ce qu’elle n’est certainement pas sauf à imaginer que Society, mais aussi l’ensemble de la presse écrite, des médias audiovisuels, des autorités, etc soient les foyers de résistance à une idéologie qui contrôlerait les esprits, où ça d’ailleurs ? sur le Facebook ou dans les cours de récréation?).
Ou encore lorsque le gouvernement se réfère de plus en plus souvent au complotisme comme ennemi de la jeunesse. Il lance des campagnes type #ontemanipule pour initier les jeunes cerveaux à des méthodes de critique du discours manipulateur (curieusement, cette campagne qui conclut que “Daesh te manipule” ne donne aucun exemple qui ait le moindre rapport avec le jihadisme, l’islam, la religion, le terrorisme, etc.). L’idée qu’une bureaucratie d’État, quelle que soit sa couleur politique, nous apprenne à distinguer la vérité et à avoir l’esprit critique n’est pas totalement rassurante.

Plus exactement, si le complotisme présente un tel danger politique (et pas seulement pour l’équilibre mental de ceux qui s’y adonnent), en quoi consiste ce péril ? En ce qu’il nourrit les “discours de peur” et les “discours de haine”, nous répondra-t-on ! Et si c’était l’inverse ? En ce qu’il est un facteur de dépolitsation objective ? En effet quand vous croyez que nous sommes dirigés par les Illuminati, vous n’avez guère envie de militer. Le complotisme serait-il si terrible par ce qu’il favoriserait l’extrémisme et la radicalisation, deux autres catégories valises ? Ou est-ce l’autre qui explique l’un ? La référence à des catégories aussi vagues – qui ne précisent ni de quelle idéologie, ni de quelle catégorie sociale ou politique ils faudrait se méfier- favorise les projections et les fantasmes. On finit ainsi par produire une version complotiste du complotisme qui le réduit à une opération souterraine menée par des groupes malintentionnés et professionnalisés).

L’emploi du terme “thèse complotiste” comme injure politique qui décrédibilise un discours par son intention et non pour son fond, suppose des amalgames. Or il y a quand même une différence entre les maniaques de l’invasion reptilienne et les dénonciareurs de la haute finance, ou entre Ron Hubbard et Noam Chomsky.

Dire que nous sommes menacés par l’idéologie complotiste ou que toutes les idéologies “dangereuses” reposent sur la théorie du complot, est une opération profondément idéologique. C’est suggérer que les opinions s’éloignant trop de notre modèle politique et économique, par ce que trop critiques, trop utopistes, trop catastrophistes, ne prtraduisent pas un autre système de valeurs, d’autres espérances ou d’autres intérêts, mais sont les symptômes d’une quasi folie. La croyance au complot serait un problème d’équilibre individuel et de mauvaises intentions. Ou alors ceux qui adhèrent à des “idéologies anti systèmes”, moins malins que nous, auraient été trompés par des artifices rhétoriques : une réfutation rationnelle de ces mensonges les amènerait, comme le fait tout être humain normal, à approuver nos démocraties libérales tolérantes de marché et de progrès. Dingo ou gogo, le complotiste avec ses pauvres fantasmes nous rassure : tous les gens raisonnables savent bien que…

L’obsession complotiste et l’obsession du complotisme obligent à plus de disciplines encore dans un monde numérique où se concurrencent les représentations les plus contradictoires. Quand toutes les verrsions de la réalité sont à portée d’écranMais il existe un critère simple. Celui qui allègue d’un fait imaginaire qu’il ne peut prouver (alors qu’il est si brillant pour critiquer les représentations communes) et qui affirme, par exemple, que les maîtres du monde, ou les envahisseurs, ou les gros capitalistes, se sont réunis et ont décidé que…, celui là est complotiste. Celui qui renvoie à une cause abstraite comme l’impérialisme, le capitalisme ou l’islamisme – et pas à des gens supposés tout puissants-, celui-là dit peut-être une bêtise, mais il faut le réfuter et non pas le congédier.

Source : François-Bernard Huyghe, 24-03-2016

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La désinformation : un enjeu stratégique

02/2016 : François-Bernard Huyghe est directeur de recherche à l’IRIS. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage “La désinformation – Les armes du faux” (Armand Colin).
– La désinformation est-elle un phénomène nouveau ou bien s’est-elle démocratisée à travers internet et les réseaux sociaux ?
– Vous dites que la désinformation constitue un enjeu politique majeur. Pouvez-vous nous en dire plus ?
– L’établissement d’une vérité des faits acceptée par tous est-elle possible ?

Source: http://www.les-crises.fr/complotisme-et-anti-complotisme-par-francois-bernard-huyghe/


Il n’y a pas 36 façons de faire la paix. Il n’y en a que cinq, par Bruno Arcidiacono

Wednesday 13 April 2016 at 01:00

Source : Université de Genève, Bruno Arcidiacono, mars 2015

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Depuis des siècles, des penseurs ont imaginé des modèles d’organisation du système international pour établir une paix durable dans le monde. Bruno Arcidiacono, professeur à l’IHEID, les a répertoriés dans un ouvrage

A en croire Jean-Jacques Rousseau, nous vivons dans un état de guerre permanent, la paix n’étant que d’heureuses parenthèses. Pourtant, dès le Moyen Age, des penseurs ont imaginé changer radicalement cette réalité et ont proposé des solutions permettant, à leurs yeux, de passer de l’état de guerre permanent à celui de paix perpétuel, un état dans lequel, par définition, la guerre serait tout simplement impossible. Ces plans de pacification, loin d’être des utopies, ont une histoire que Bruno Arcidiacono, professeur d’histoire des relations internationales à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), retrace dans un ouvrage paru en 2011 : Cinq types de paix, une histoire des plans de pacification perpétuelle (XVIIe- XXe siècles).

Même éloignés de plusieurs siècles, la centaine d’auteurs étudiés par le chercheur genevois sont d’accord sur le fait qu’il ne sert à rien, pour parvenir à la paix, d’espérer changer la nature humaine ni celle des Etats. Même la meilleure éducation ou des régimes politiques par définition pacifiques, comme la démocratie libérale, n’empêchent pas un pays d’entrer en conflit avec un autre. Là où il faut agir, estiment-ils, c’est sur l’organisation de ces pays entre eux, c’est-à-dire sur les relations internationales.

«L’idée générale consiste à réformer le système international pour aboutir à un ordre nouveau dans lequel le recours à la force serait sanctionné de manière certaine et irrésistible, explique Bruno Arcidiacono. Les auteurs ne vendent pas du rêve en disant cela. Ils ne parlent pas d’utopie. Ils proposent des recettes qu’ils pensent réellement efficaces.»

L’hégémon Le premier type de paix recensé par l’historien, le plus ancien, est l’hégémonie. Selon la bonne vieille méthode hiérarchique, calquée sur l’organigramme divin, il suffit de disposer d’un souverain absolu qui dicte la loi pour imposer la paix au reste du monde.

«Le texte le plus ancien que j’ai trouvé proposant un tel modèle de pacification est De Monarchia, écrit par Dante au XIVe siècle, poursuit Bruno Arcidiacono. Pour lui, l’hégémon est un juge qui se place au-dessus des autres rois et règle leurs contentieux, évitant ainsi qu’ils ne recourent à la force. Cette ligne de pensée, j’ai pu la suivre à travers les âges, de Dante jusqu’aux tenants actuels de l’hyperpuissance américaine en passant par les adeptes du roi d’Espagne et de Napoléon. Les arguments sont exprimés différemment, mais au fond ils ne changent pas beaucoup.»

La difficulté de l’exercice, c’est que l’hégémon doit disposer d’une puissance qui dépasse celle de tous les autres souverains ou Etats réunis. Les candidats à ce poste changent avec le temps. Ainsi, le moine et philosophe italien Thomas Campanella (1568-1639) commence par voir le pacificateur de l’Europe dans la figure du roi d’Espagne avant de changer d’avis et de se ranger derrière le roi de France au moment où celui-ci devient le monarque le plus puissant, recevant de ce fait la mission sacrée de servir le reste du monde.

C’est cependant Napoléon qui s’est approché le plus près de la position hégémonique. Durant quelques années, entre 1807 et la campagne désastreuse de Russie, l’empereur français peut tout se permettre sur le continent. Ses partisans le présentent alors non seulement comme le libérateur des peuples mais aussi comme le pacificateur de l’Europe. Après des siècles de guerres ininterrompues depuis la chute de l’Empire romain, on rêve d’une nouvelle paix romaine, sous l’égide d’un hégémon. Le songe ne durera pas longtemps.

«Les Etats-Unis ont également pu prétendre à ce rôle durant la décennie suivant la chute du bloc soviétique avant de compromettre leur position, en grande partie à cause de leurs propres erreurs», précise Bruno Arcidiacono.

La solution hégémonique pose un autre problème : l’arbitraire. Comment s’assurer que le maître du monde, qui peut tout, imposera la paix plutôt que la guerre ? Selon Dante, si quelqu’un est aussi puissant, il n’a aucune raison de vouloir le mal. Il a déjà tout. Que voudrait-il d’autre que la stabilité du système ?

Erasme de Rotterdam (1467-1536), lui, s’oppose à un tel acte de foi en précisant qu’il acceptera un hégémon le jour où naîtra un souverain «semblable à Dieu». Même son de cloche chez les adversaires de Napoléon. Les monarques prussiens, anglais, autrichiens ou russes refusent en effet de placer le sort du monde entre les mains d’un seul souverain, qui plus est celui-là. Au modèle hégémonique, ils préfèrent, et de loin, la paix dite d’équilibre.

L’équilibre L’espoir suscité par ce type de pacification ne repose pas sur une seule hyperpuissance mais sur l’idée de balance entre deux superpuissances de force équivalente. Dans cette situation d’égalité des forces, la guerre n’a plus aucun intérêt puisque ses coûts excéderaient ses éventuels bénéfices. De plus, aucune des deux superpuissances n’attaquera un Etat tiers, car celui-ci serait immédiatement soutenu par l’adversaire. Non pas par esprit de justice mais pour éviter que l’autre ne gagne trop en puissance.

Cette idée de neutralisation mutuelle est inspirée de la réalité puisque l’Europe tend effectivement vers la bipolarité dès le XVIe siècle et durant deux cents ans avec la domination de la France et de la maison d’Autriche puis, plus tard, de la France et de l’Angleterre.

«Ces deux siècles ont été tout sauf pacifiques, note Bruno Arcidiacono. Concrètement, ce modèle ne marche pas, même si la Guerre froide au XXe siècle peut être considérée comme un argument plutôt en sa faveur.»

Le modèle est toutefois défendu par certains auteurs même lorsque la situation devient plus complexe en raison de l’émergence de non pas deux mais cinq superpuissances de force plus ou moins égale à la fin du XVIIIe siècle, avec la Russie, la Prusse, l’Autriche, l’Angleterre et la France. Pour les penseurs hostiles à l’hégémonie napoléonienne, il est en effet vital d’apporter un espoir de paix perpétuelle. C’est alors que des esprits brillants s’emparent de la métaphore newtonienne et comparent les puissances européennes à un système planétaire avec cinq corps gravitant en équilibre grâce à un jeu subtil d’interactions. Les négociateurs au Congrès de Vienne tentent un tel exercice en 1815 afin de rétablir une paix durable en Europe.

«L’image du système planétaire est tirée par les cheveux et, surtout, elle est contredite par les faits, note Bruno Arcidiacono. Le XIXe siècle, issu du Congrès de Vienne, est relativement pacifique en Europe, mais en 1914 l’équilibre ne suffit pas à empêcher l’éclatement d’une guerre générale.»

L’union fédérale Peu convaincus que l’hégémonie ou l’équilibre puisse apporter la paix, d’autres penseurs imaginent un troisième type de solution : l’union politique. Les Etats, selon eux, devraient s’organiser selon une fédération disposant d’organes suprêmes comme un tribunal, un parlement et un bras armé. Le premier principe de cette construction internationale serait d’exclure toute possibilité de recours à la force entre ses membres.

William Penn(1644-1718), un quaker anglais émigré en Amérique et qui a donné son nom à l’Etat de Pennsylvanie, est le premier à avoir théorisé ce concept à la fin du XVIIe siècle. L’écrivain et diplomate français Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre, dit l’abbé de Saint-Pierre (1658-1743), reprend l’idée à son compte. Selon lui, il suffit de convaincre la poignée de monarques européens qui comptent qu’une fédération représente la bonne solution pour parvenir à un monde sans guerre. Tout lui paraît tellement simple qu’il est persuadé que la paix régnera dans les mois suivant la publication de son manuel Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe. Il ne réussit à s’attirer que des sarcasmes.

«L’union fédérative des Etats devient plus problématique à concevoir avec l’arrivée de la démocratie, souligne Bruno Arcidiacono. Pour avoir la paix de cette façon, on risque en effet d’empiéter sur la liberté politique des peuples puisque l’existence d’un gouvernement suprême leur enlèverait une part de souveraineté qu’ils détiennent au niveau national.»

Pour répondre à cette objection, les fédéralistes du XIXe siècle, dont le philosophe français Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825), évoquent l’idée de rendre les institutions fédérales représentatives des peuples européens, et non seulement des monarques ou des gouvernements. Inspirées de l’organisation des Etats-Unis, les propositions prennent souvent la forme de deux chambres, l’une représentant les Etats et l’autre, les peuples. On parle alors beaucoup des Etats-Unis d’Europe. Une revue intitulée Etats-Unis d’Europe est même créée à Genève après la Conférence de paix de 1867. Elle paraîtra jusqu’en 1939.

L’union confédérale Certains auteurs, considérant qu’une fédération d’Etats est soit impossible à réaliser, soit indésirable en raison de son déficit de représentativité, privilégient l’idée d’une confédération. Dans ce cas de figure, les Etats conservent leur totale souveraineté et ne sont liés que par un nouveau contrat social qui met notamment hors la loi tout recours à la force. Le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804) décrit pour la première fois en 1795 dans son ouvrage Zum Ewigen Frieden cette solution qui poursuit l’idéal de paix tout en préservant la liberté politique des peuples.

Toute la question consiste dès lors à savoir comment s’assurer, dans ces conditions, que les Etats respectent le contrat alors qu’il n’existe pas d’armée confédérale pour les y contraindre. Kant évoque une «sécurité collective», assurée solidairement par tous les pays. Mais l’échec de la Société des Nations, qui est basée sur cette idée kantienne, est la démonstration qu’un tel système ne fonctionne pas.

Le directoire Finalement, l’hégémon ne récoltant pas la majorité des suffrages, l’équilibre étant par nature instable, la fédération impossible et la confédération inefficace, quel modèle de paix perpétuelle pourrait redonner l’espoir aux peuples ? Certains auteurs, moins ambitieux mais plus réalistes, proposent alors une forme de directoire. Exprimée pour la première fois en 1815 par Friedrich von Gentz (1764-1832), le secrétaire du diplomate autrichien Metternich, l’idée consiste à constituer un club de grandes puissances (cinq à l’époque) dans l’arène duquel il n’est possible d’agir que si tous les membres sont d’accord, ce qui diminue le risque d’arbitraire. Si l’unanimité est atteinte, alors le directoire possède une force irrésistible et peut imposer ses vues aux autres Etats et imposer la paix.

Un tel système serait lent, car il faudrait négocier chaque question. L’idée fait néanmoins son chemin durant tout le XIXe siècle. Elle est à la base de la création de l’Organisation des Nations unies (ONU). Le Conseil de sécurité et ses cinq puissances majeures est le directoire proprement dit, et le droit de veto des membres assure qu’aucune décision ne soit prise sans atteindre l’unanimité.

Ce système fonctionne tant que les cinq puissances sont disposées à jouer le jeu. Si une seule s’y refuse, le mécanisme se bloque, ce qui a très rapidement été le cas de l’ONU avec le démarrage de la Guerre froide.

«La fantaisie humaine quand il s’agit d’imaginer des modèles de paix éternelle est finalement très limitée, s’étonne Bruno Arcidiacono. Je n’en ai répertorié que cinq types autour desquels les penseurs débattent depuis des siècles. On observe des raffinements, des changements d’appellation mais, fondamentalement, ce sont toujours les mêmes et le plus récent date de 1815. Rien d’autre, depuis, n’a été proposé comme alternative au désordre et à la guerre.»

Source : Université de Genève, Bruno Arcidiacono, mars 2015

Source: http://www.les-crises.fr/il-ny-a-pas-36-facons-de-faire-la-paix-il-ny-en-a-que-cinq-par-bruno-arcidiacono/


2e AfterWork pour les 5 ans du blog ! [CONFIRMÉ]

Tuesday 12 April 2016 at 04:25

Je n’ai pas voulu faire trop nombriliste, mais dimanche dernier c’était les 5 ans du blog, et vous êtes responsable du succès – 20 millions de pages vues en 2015 !

frequentation

Afin de fêter ça, et vu le succès du premier Afterwork, je propose aux Parisiens de nous retrouver pour prendre un verre le jeudi 14 avril à 19h00, dans le quartier des Halles.

L’idée est de faire connaissance, de discuter du blog et de l’actualité, de répondre à vos questions, et surtout de faire se rencontrer la communauté qui s’est créée, pleine de gens sympathiques…

Afin de gérer tranquillement les inscriptions, qui doivent être limitées, nous avons créé une application dédiée aux inscriptions aux rencontres du blog (qui est donc en rodage…), qui vont être plus fréquentes en 2016.

Pour cela, il faut : 1/ créer une fois pour toute un compte utilisateur, et 2/ s’inscrire ensuite à la rencontre.

Bref, les inscriptions pour le 2e Afterwork, c’est ici.  (Me contacter s’il y a des bugs informatiques – un premier vient d’être corrigé)

Rendez-vous donc de nouveau au Café Paris Halles – Adresse : 41 Boulevard de Sébastopol, 75001 Paris – Métro Châtelet/Les Halles, ou bus 69 – Téléphone : 01 40 26 49 19 (1 conso obligatoire pour le bar svp)

En espérant vous y croiser…

Amitiés

Olivier Berruyer

P.S. Quand je vois à quel point les contacts ont été rapides entre vous – il est important de ne pas se sentir isolé -, je vais peut-être rebondir sur la proposition d’un provincial : il pourrait se tenir en même de l’afterwork parisien dans les zones assez denses, sans moi évidemment (mais le but n’est pas non plus de me voir moi… :)  ). Je ne sais pas si certains peuvent être intéressés, mais en tous cas cela ne se fera que si je trouve un volontaire pour coordonner au niveau national… Me contacter si vous vous sentez, on fera peut être des groupes régionaux par la suite…

Source: http://www.les-crises.fr/2e-afterwork-pour-les-5-ans-du-blog/


Comment la France est devenue une cible « légitime » pour les groupes djihadistes, par Alain Gresh et Jean-Pierre Sereni

Tuesday 12 April 2016 at 02:29

Source : Le Grand Soir, Alain Gresh, Jean-Pierre Sereni, 29-03-2016

arton30149-50ab4Il n’existe aucun rapport entre la politique française au Proche-Orient ou au Sahel et les attentats dont elle a été la victime : telle est la doxa qui domine à Paris. Ce ne seraient pas les guerres que la France mène « là-bas » qui provoqueraient des répliques meurtrières sur son sol, mais la haine de « nos valeurs », de « nos idéaux », voire du mode de vie hexagonal. Pourtant, toute l’histoire récente enseigne le contraire.

Au temps des colonies, le scénario des expéditions militaires outre-mer était simple : la guerre se déroulait exclusivement sur le territoire de la victime et l’agresseur n’imaginait pas que ses villes et ses villages puissent être la cible de contre-attaques ennemies. Non sans raison. La supériorité de ses armements, sa maîtrise absolue des mers et l’absence de toute « cinquième colonne » active sur son sol l’interdisaient. Le Royaume-Uni et la France ont conquis la presque totalité du globe au XVIIIe et au XIXe siècle selon ce schéma très différent des guerres européennes où les destructions, les morts et les blessés n’épargnaient aucun pays ni aucune population civile en dehors de l’insulaire Royaume-Uni.

Désormais, il n’en va plus de même. Certes, la bataille reste toujours inégale, même si l’Organisation de l’État islamique (OEI) dispose d’un territoire, administre des millions d’habitants et défend ses frontières. Mais un équilibre de la terreur s’ébauche et les spécialistes parlent de « guerre asymétrique », les uns ayant des avions, des drones et des missiles, les autres maniant Internet, l’explosif et la « kalach ». « Donnez-nous vos avions, nous vous donnerons nos couffins », expliquait en substance Larbi Ben M’Hidi, l’un des chefs de l’insurrection algérienne arrêté en 1957 à ses bourreaux qui lui reprochaient de déposer des bombes camouflées dans des couffins.

Les ennemis de la France ou des États-Unis, que ce soient des États ou des organisations politico-militaires, ne sont plus impuissants au-dehors et peuvent désormais atteindre d’une façon ou d’une autre le territoire d’où partent les opérations qui les visent, comme on vient encore de le voir à San Bernardino en Californie où 14 civils ont payé de leur vie la vengeance d’un couple inspiré par l’OEI que l’US Air Force combat à plusieurs milliers de kilomètres.

De la guerre Irak-Iran au conflit algérien et aux bombardements contre l’OEI

Moins de 25 ans après la fin de la guerre d’Algérie avec son long cortège de fusillades, de sabotages et d’attentats en métropole, la France fait à nouveau connaissance avec le terrorisme. Le 17 septembre 1986, au 140 de la rue de Rennes, à Paris, face au magasin populaire Tati, une poubelle municipale en fer explose ; bilan : 7 morts et 55 blessés. C’est le dernier d’une série de 14 attentats commis en moins d’un an par un mystérieux « Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient ». L’intitulé cache le véritable objectif de son « cerveau », Fouad Ali Saleh, un Tunisien converti au chiisme, qui cherche moins à libérer ses camarades emprisonnés qu’à faire cesser le soutien militaire de Paris à l’Irak dans le conflit meurtrier qui l’oppose à la République islamique d’Iran depuis 1980.

Élu en mai 1981, François Mitterrand ne cache pas son penchant pro-irakien. Mais l’attentat de l’immeuble Drakkar à Beyrouth occupé par l’armée française (58 parachutistes tués) le 23 octobre 1983 et attribué à des groupes liés à Téhéran le pousse à autoriser la livraison de munitions aux forces armées iraniennes. Celles-ci sont équipées en petite partie de matériel français livré avant la chute du chah en 1979. Cinq cent mille obus de 155 et 203 mm sont acheminés vers l’Iran par le biais de pays sud-américains et balkaniques qui fournissent des certificats de complaisance. Avec la victoire de Jacques Chirac et de la droite aux élections parlementaires de 1986 commence la « cohabitation ». Le ministre de la défense, André Giraud, ordonne l’arrêt immédiat de toute livraison de munitions à destination de l’Iran et livre à la justice les protagonistes de ce qu’on appellera « l’affaire Luchaire » [1]. La réponse iranienne aura lieu rue de Rennes.

Depuis l’interruption des premières élections législatives libres en Algérie en décembre 1991, soldées par la victoire du Front islamique du salut (FIS), Mitterrand et son gouvernement oscillent entre le soulagement — les islamistes ne sont pas au pouvoir — et la dénonciation du putsch, contraire à leurs principes. En mars 1993, Édouard Balladur devient premier ministre. En décembre 1994, un Airbus d’Air France est détourné à Alger et se pose à Marseille où le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) le prend d’assaut sans qu’il ait pu atteindre son objectif : s’écraser sur la Tour Eiffel. Charles Pasqua, nouveau ministre de l’intérieur, avait rompu avec l’attitude de son prédécesseur socialiste qui fermait les yeux sur les complicités agissantes dont bénéficiaient le Groupe islamique armé (GIA) en France dans la diaspora algérienne. Il avait lancé des opérations de répression, multiplié les perquisitions et les assignations à résidence contre les soutiens plus ou moins discrets du GIA, obligés alors de quitter la France pour la Suisse ou la Belgique.

Entre juillet et octobre 1995, une nouvelle vague de 8 attentats vise l’Hexagone. Le plus meurtrier, le 25 juillet 1995 à la station Saint-Michel du RER B à Paris, fait 8 morts et 55 blessés. Attribués au GIA, ces attentats font encore suite aux prises de position politique de Paris vis-à-vis de la guerre civile algérienne. Le nouveau président de la République, Jacques Chirac, élu en 1995, comprend parfaitement le message et se place en retrait par rapport à l’Algérie, celle du président Liamine Zeroual comme celle des islamistes.

Janvier 2015. Moins de 5 mois après le début des bombardements français sur l’Irak, Paris est à nouveau ensanglanté par le terrorisme. Si les deux agresseurs de Charlie Hebdo sont mus par l’intolérance religieuse la plus extrême, Amedy Coulibaly, celui de la supérette cacher de la porte de Vincennes prétend venger les victimes de l’intervention française dans son pays d’origine, le Mali. Le 13 novembre, moins de 3 mois après l’extension des bombardements à la Syrie, l’OEI revendique les fusillades meurtrières de l’Est parisien (130 morts, plus de 400 blessés).

Inflexions de la politique de Paris

Comme on le voit, les attentats, aussi condamnables soient-ils, ne peuvent se comprendre (et donc se combattre) que dans un cadre politique et diplomatique. Après le 11 septembre 2001, et surtout la guerre déclenchée par les États-Unis contre l’Irak en mars 2003, le sol européen est à nouveau un objectif : deux attentats majeurs frappent Madrid en mars 2004 et Londres en juillet 2005. Ils ne visent pas « le mode de vie » occidental, mais deux pays parmi les plus actifs de la coalition qui démolit l’Irak. La France est épargnée, sans doute grâce, entre autres, au discours anti-guerre du 14 février 2003 de son ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin, au Conseil de sécurité des Nations unies.

On ne mesure pas à quel point les guerres menées par les Occidentaux dans le monde musulman nourrissent une haine qui dépasse très largement les cercles extrémistes. Les centaines de milliers de morts, les millions de réfugiés, les tortures d’Abou Ghraib, les « dommages collatéraux », les tirs de drones — tous concentrés sur les pays musulmans — alimentent la propagande de l’OEI dénonçant une guerre des « Croisés » contre l’islam et une impunité aussi injuste qu’unilatérale : aucun des responsables étasuniens de la catastrophe irakienne n’a été jugé, ni même inquiété par la Cour pénale internationale (CPI).

Au Proche-Orient, la voix de la France a perdu cette petite musique qui faisait sa spécificité. Paris s’est aligné, après 2003, sur les États-Unis dans les dernières années de la présidence de George W. Bush, a entériné l’occupation de l’Irak, est intervenue militairement en Libye, au Mali, en RCA, et finalement en Irak puis en Syrie. Son appui va — sans réserve publiquement exprimée — à l’écrasement du Yémen par l’Arabie saoudite, à laquelle elle fournit de l’armement. Aucune autre puissance occidentale, à l’exception des États-Unis, n’est aussi présente militairement en terre d’islam. Et quand Paris fait entendre sa différence, c’est pour critiquer le président Barack Obama, jugé trop souple avec l’Iran sur le dossier nucléaire et insuffisamment interventionniste à ses yeux en Syrie.

Sans oublier l’infléchissement français sur le conflit israélo-palestinien. Depuis l’écrasement de la seconde intifada par les chars israéliens en 2002-2003, l’opinion a assisté, souvent en direct à la télévision, aux attaques massives contre Gaza en 2008, 2012 et 2014. À chaque fois, le gouvernement français, de droite comme de gauche, les a entérinées au nom du « droit d’Israël à se défendre ». Comment le Quai d’Orsay, à l’instar de nombre d’intellectuels, peut-il prétendre que la rage contre l’Occident et contre la France ne résulte pas aussi du drame palestinien ? Le général étasunien David Petraeus, alors chef du Central Command [2], était plus lucide :

Les tensions israélo-palestiniennes se transforment souvent en violence et en confrontations armées à grande échelle. Le conflit provoque un sentiment anti-américain, à cause de la perception du favoritisme des États-Unis à l’égard d’Israël. La colère arabe sur la question palestinienne limite la puissance et la profondeur de nos relations avec des gouvernements et des peuples de cette zone et affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe. Pendant ce temps, Al-Qaida et d’autres groupes militants exploitent la colère pour mobiliser.

L’oubli du lien entre la politique étrangère menée dans le monde arabe et le développement du djihadisme amène une cécité qui explique quinze ans d’échec de la « guerre contre le terrorisme ». Cette omission paralyse la réflexion stratégique et entraîne la France dans un engrenage infernal dont elle ne peut que payer le prix fort.

[1] NDLR. Scandale de ventes occultes d’armes à l’Iran par la société d’armement Luchaire et de reversement de commissions occultes aux partis politiques français dans les années 1980.

[2] Le Central Command, le plus important des cinq commandements régionaux américains, couvre le Proche et le Moyen-Orient. Discours prononcé devant le Sénat le 25 mars 2010.

25 mars 2016

Source : Le Grand Soir, Alain Gresh, Jean-Pierre Sereni, 29-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/comment-la-france-est-devenue-une-cible-legitime-pour-les-groupes-djihadistes-par-alain-gresh-et-jean-pierre-sereni/


Lexique pour temps de grèves et de manifestations, par Henri Maler et Yves Rebours

Tuesday 12 April 2016 at 01:29

Source : ACRIMED, Henri Maler, Yves Rebours, 21-03-2016

Le lexique que nous avions publié en 2003 devait être révisé et complété en permanence. Notre version actualisée de 2010 aurait mérité d’être réactualisée. Malheureusement la réactualisation ne semble pas nécessaire, comme chacun pourra le constater. Nous y travaillerons cependant…

La langue automatique du journalisme officiel est une langue de bois officielle. 

I. Consensus sous surveillance

« Réforme » : Quand une réforme proposée est imposée, cela s’appelle « LA réforme ». Et s’opposer à cette réforme devient : le « refus de la réforme ». Ne plus dire : « les travailleurs combattent les politiques libérales qui favorisent chaque jour davantage les revenus du capital et dissolvent l’Etat social ». Ecrire : « Une autre chose dont on peut être sûr – et qui nourrit l’antienne d’un pays impossible à réformer -, c’est la nature difficile des rapports sociaux en France. La conflictualité l’emporte sur le consensus. Vieil héritage de la culture ouvrière revendicative du XIXe siècle du côté des organisations syndicales, crispées sur la défense des droits acquis […]. »(Le Monde Economie, mardi 7 juin 2005, page I). Le terme peut désigner spécialement les attaques successives du système des retraites par répartition. En 2003,  « Sur France 2, Arlette Chabot réforme la France » : une émission “Mots croisés” benoîtement intitulée : « Pourquoi est-il impossible de réformer la France ? ». En 2007, au sujet des régimes spéciaux, grand « retour des gardiens du consensus » et de LA réforme.
Henri Maler et Yves Rebours

« Réformistes » : Désigne ou qualifie les personnes ou les syndicats qui soutiennent ouvertement les réformes gouvernementales ou se bornent à proposer de les aménager. Les partisans d’autres réformes constituent un « front du refus ».

« Modernisation » : Synonyme de « réforme » ou de l’effet attendu de « LA réforme ». « LA modernisation » est, par principe, aussi excellente que « LA réforme »… puisque, comme l’avait fort bien compris, M. de La Palisse, fondateur du journalisme moderne, la modernisation permet d’être moderne. Et pour être moderne, il suffit de moderniser. Le modernisme s’oppose à l’archaïsme. Seuls des esprits archaïques peuvent s’opposer à la modernisation. Et seuls des esprits tout à la fois archaïques, réactionnaires et séditieux peuvent avoir l’audace et le mauvais goût de proposer de subordonner “LA modernisation” au progrès social. D’ailleurs, « LA modernisation » est indifférente à la justice sociale, que la modernité a remplacée par l’« équité ». Voir ce mot.

« Ouverture » : Se dit des opérations de communication du gouvernement. L’ « ouverture » se traduit par des « signes ». Les « signes d’ouverture » traduisent une « volonté d’apaisement ». Ne pas confondre avec cette autre ouverture : « l’ouverture de négociations », qui pourrait manifester un dommageable « recul ».

 « Apaisement » : Se dit de la volonté que l’on prête au gouvernement. Par opposition au « durcissement » de la mobilisation. Voir « ouverture ».

« Concertation » : Se dit des réunions convoquées par un ministre pour exposer aux organisations syndicales ce qu’il va faire et pour écouter leurs doléances, de préférence sans en tenir aucun compte. Selon les besoins, la « concertation » sera présentée comme un équivalent de la « négociation » ou comme son substitut. Le gouvernement est toujours « ouvert » à la « concertation ». Voir « ouverture ».

« Négociation » : Selon les besoins, tantôt synonyme, tantôt antonyme de « concertation ». On est prié de ne pas indiquer que, à la différence de la « concertation », la « négociation » est généralement terminée avant d’avoir commencé. Inutile aussi de souligner ce miracle : au printemps 2003, dix heures de « négociation » ont suffi au gouvernement pour ne céder que sur les quelques points qu’il avait déjà prévu de concéder.

« Dialogue social » : Se dit des rencontres où un ministre parle aux syndicats, par opposition au « conflit social », comme si le « dialogue » n’était pas généralement de pure forme : destiné à dissimuler ou à désamorcer le « conflit ».

« Pédagogie » : Devoir qui, pour les journalistes communicants, s’impose au gouvernement (plus encore qu’aux enseignants…). Ainsi, le gouvernement fait preuve (ou doit faire preuve…) de « pédagogie ». Tant il est vrai qu’il s’adresse, comme nos grands éditorialistes, à un peuple d’enfants qu’il faut instruire patiemment. Et si « la réforme » passe, c’est que la pédagogie (et non la force) a triomphé, comme s’en félicitait par avance Challenges (13 septembre 2007) à propos de la « réforme des régimes spéciaux » : « Si (…) cette réformepassait sans coup férir, ce serait le signal que la pédagogie finit toujours par triompher ».

II. Déraison des foules

« Crispation » : Un mot parmi d’autres pour désigner l’attitude des salariés qui se battent contre les délocalisations, le chômage, le dumping social, la destruction du droit de travail, du système de santé et des retraites par répartition. La France « crispée » est rigide et s’oppose à la France moderne et flexible. Un exemple ici.

« Égoïsme » : Frappe les chômeurs, les travailleurs précaires, les classes populaires en général. Exemple : le refus du dumping social est un symptôme évident d’égoïsme. Vice dont sont dépourvus les bénéficiaires de stock-options.

« Individualisme » : Peut être vice ou vertu. Vice quand il entame la solidarité des dominés avec les dominants, vertu quand il détruit les défenses immunitaires des mouvements sociaux. En parler beaucoup, pour ne rien dire des conditions collectives de l’émancipation des individus.

« Corporatisme » : Mal qui menace n’importe quelle catégorie de salariés qui défend ses droits, à l’exclusion des tenanciers des médias. Dans ce dernier cas, s’exclamer, comme Jean-Michel Aphatie : « Trouvez un argument de meilleure qualité que le corporatisme, s’il vous plaît, s’il vous plaît ! ». L’accusation de « corporatisme » est en effet un argument de bonne qualité, sauf quand elle vise des éditorialistes de qualité supérieure. (Voir ici pour un exemple récent de non-corporatisme)

« Malaise » : Se dit du « trouble », plus ou moins profond, qui peut aller jusqu’au « mal-être », vécu ou ressenti par une profession. Depuis le printemps 2003, le « malaise » affecte particulièrement les enseignants. Le « malaise » peut se traduire par des « revendications » qui ne sont alors que des « symptômes ». Le « malaise » et ses « symptômes », diagnostiqués par les éditorialistes et les experts, réclament un « traitement » approprié.

« Grogne » : Un des symptômes les plus graves du « malaise », un signe de l’animalité privée de mots des « grognons ». Voir ce mot, son analyse et un exemple récent opposant les « grognons » universitaires aux « diplomates » gouvernementaux.

III. Paroles, paroles

« Grognements » : Ne se dit pas mais tient lieu de parole des « grognons.

« Témoins » : Exemplaires de la foule des grévistes et manifestants, interrogés en quelques secondes à la télé ou en quelques lignes dans les journaux. Le « témoin » témoigne de ses affects, jamais de ses motifs ou du sens de son action. Seuls les gouvernants, les « experts » et l’élite du journalisme argumentent, connaissent les motifs, et maîtrisent le sens. L’élite pense, le témoin « grogne ». Voir ce mot.

« Expert » : Invité par les médias pour expliquer aux grévistes et manifestants que le gouvernement a pris les seules mesures possibles, dans l’intérêt général. Déplore que les « grognements » des « jusqu’auboutistes » et des « ultras » (voir ce mot), ces privilégiés égoïstes et irresponsables (voir « corporatisme »), empêchent d’entendre le « discours de raison » des artisans du « dialogue social ». Un exemple de service public, daté de 2005.

« Éditorialiste » : Journaliste en charge des éditoriaux. Pour ne pas se laisser enfermer dans cette lapalissade sortie du dictionnaire, l’éditorialiste est condamné à changer de titre pour se répandre simultanément dans plusieurs médias. Dans certains d’entre eux, il devient « chroniqueur ». Dans d’autres, il est « interviewer ». Dans tous, il est « invité ». Exemple : Alain Duhamel. Exemple de « chroniqueur » : Pierre-Luc Séguillon, particulièrement performant, en 2003.

« Interviewer » : Journaliste en charge des entretiens. Les meilleurs d’entre eux sont des éditorialistes modestes puisqu’ils ne livrent leurs précieuses opinions que dans la formulation des questions qu’ils posent. L’interviewer est un éditorialiste condamné aux points d’interrogation. Ou presque : Christine Ockrent est une intervieweuse, Jean-Pierre Elkabbach aussi. Aphatie l’est indiscutablement, comme on peut le vérifier ici même, face à un représentant de Sud-Rail.

« Débat »  : Se dit notamment des sessions de papotage qui réunissent autour d’une table l’élite pensante des « experts » et « éditorialistes ». Certains d’entre eux peuvent même « refaire le monde », comme on a pu le constater en 2005.

« Tribunes libres » : Souvent invoquées pour répondre à ceux qui s’inquiètent de l’état du pluralisme dans les médias. Ces espaces réservés à l’expression des « experts » dominants, peuvent être occasionnellement décorés par la présence de contestataires, pour peu qu’ils se rendent respectables en s’abstenant de toute critique des médias.

« Courrier des lecteurs »  : Dans la presse écrite, se dit de la sous-rubrique où sont relégués les propos, soigneusement triés, des non-experts.

« Micro-trottoir » : Equivalent audiovisuel du courrier des lecteurs, cette forme avancée de la démocratie directe, concurrencée par les SMS, permet de connaître et de faire connaître l’opinion des « gens ». Technique recommandée pour faire dire en quinze secondes à chaque exemplaire d’un échantillon soigneusement sélectionné ce que l’on attend qu’il dise. Ne pas confondre avec « entretien » : trop long. Quelques cas d’école, ici, ou .

« Opinion publique » : S’exprime dans les sondages et/ou par l’intermédiaire des « grands journalistes » qui lui donnent la parole en parlant à sa place. Quelques exemplaires de l’opinion publique sont appelés à « témoigner » dans les journaux télévisés. Les grévistes et les manifestants ne font pas partie de « l’opinion publique », qui risque de (ou devrait…) se retourner contre eux.

« Contribuables » : Nom que porte l’opinion publique quand elle paie des impôts qui servent au service public. Quand l’argent public est dépensé pour consentir des avantages fiscaux aux entreprises, cet argent n’a plus d’origine identifiée. On dira : « les régimes de retraites du secteur public sont payées par les contribuables ». On ne dira pas : « les exonérations de charges consenties aux entreprises sont payées par les contribuables.

IV. Mouvements de troupes

« Troupes » : Mode d’existence collective des grévistes et des manifestants, quand ils répondent (ou se dérobent) aux appels et aux consignes des syndicats. Parler de « troupes de manifestants », de « troupes syndicales », de syndicats qui « mobilisent » ou « ne contrôlent pas » leurs « troupes ». (Re)voir Pierre-Luc Séguillon en 2003.

« Troubles sociaux »  : Se dit des effets de la mobilisation des « troupes ». Un journaliste rigoureux se garde généralement de les désigner comme des « soubresauts » (ainsi que le fit au cours du journal télévisé de 20 h sur TF1 le mercredi 28 mai 2003, le bon M. Raffarin).

« Concernés » : Se dit des secteurs ou des personnes qui sont immédiatement visés par « LA réforme ». Sinon, dire : « les cheminots ne sont pas concernés par la réforme des retraites » ou « les enseignants ne sont pas concernés par la décentralisation ». Vous pouvez pousser le souci de la rigueur jusqu’à affirmer que « les cheminots ne sont pas directement concernés ». Dans les deux cas, vous pouvez même ajouter qu’ils « se sentent menacés ». D’où l’on peut déduire ceci : se sentir menacé, ce n’est pas être menacé, et en tout cas être ou se sentir menacé, ce n’est pas être concerné. (« La CGT de la SNCF qui n’est pourtant pas du tout concernée par le CPE a déposé un préavis de grève nationale pour le mardi 28 », décrète Jean-Pierre Pernaut, qui déplore ainsi, le 21 mars 2006, que les cheminots ne soient pas assez corporatistes.)

« Usagers » : Se dit de l’adversaire potentiel des grévistes. Peut également se nommer « élèves qui préparent le bac » et « parents d’élèves inquiets ». « La grève […] s’annonce massive et dure. Dure surtout pour les usagers », précise David Pujadas, compatissant et soucieux de l’avenir des cheminots le 13 novembre 2007.

« Otages » : Synonyme d’« usagers ». Terme particulièrement approprié pour attribuer les désagréments qu’ils subissent non à l’intransigeance du gouvernement, mais à l’obstination des grévistes. « Victimes » des grèves, les « otages » sont d’excellents « clients » pour les micros-trottoirs : tout reportage se doit de les présenter comme excédés ou résignés et, occasionnellement, solidaires. Parmi les « otages », certains méritent une compassion particulière. Nous vous laissons découvrir deux d’entre eux : un  premier et un second.

« Pagaille » : Se dit des encombrements un jour de grève des transports. Par opposition, sans doute, à l’harmonie qui règne en l’absence de grèves.

« Galère » : Se disait (et peut se dire encore…) des conditions d’existence des salariés privés d’emploi et des jeunes privés d’avenir, vivotant avec des revenus misérables, de boulots précaires en stages de réinsertion, assignés à résidence dans des quartiers désertés par les services publics, sans loisirs, et subissant des temps de transports en commun démesurés. Phénomène presque invisible à la télévision, ses responsables ne sont pas identifiables. « Galère » se dit désormais des difficultés de transports les jours de grève : on peut aisément les mettre en images et les imputer à un coupable désigné, le gréviste. Un seul exemple (en fin d’article) : quelques titres de la PQR en 2007.

« Noir » : Qualifie un jour de grève. En 2005, c’était un mardi. En 2009, un jeudi – un « jeudi noir » finalement « plutôt gris clair », d’ailleurs, selon le contemplatif Jean Pierre Pernaut [1]. Peut également se dire des autres jours de la semaine. « Rouge » ou « orange » sont des couleurs intermédiaires réservées aux embouteillages des week-ends, des départs ou des retours de vacances. Le jour de grève, lui, est toujours « noir », couleur du « chaos » (toujours en 2009).

« Chaos » : Se dit sobrement des conséquences des journées « noires ». Pour désigner les conséquences d’un tsunami ou d’un tremblement de terre… chercher un autre mot ?

« Surenchère » : Se dit, particulièrement au Figaro, de tout refus des mesures imposées par le gouvernement, dont l’attitude au contraire se caractérise par la « fermeté ».

« Durcissement » : Se dit de la résistance des grévistes et des manifestants quand elle répond à la « fermeté » du gouvernement, une « fermeté » qui n’est pas exempte, parfois d’ « ouverture ». Voir ce mot.

« Essoufflement » : Se dit de la mobilisation quand on souhaite qu’elle ressemble à ce que l’on en dit.

« Ultras » : Désigne, notamment au Figaro, les grévistes et les manifestants qui ne se conforment pas au diagnostic d’« essoufflement ». Vaguement synonyme d’ « extrême gauche », lui-même synonyme de… au choix ! Autre synonyme : Jusqu’auboutistes.

« Violence » : Impropre à qualifier l’exploitation quotidienne, les techniques modernes de « management » ou les licenciements, le terme s’applique plus volontiers aux gens qui les dénoncent, et aux mots qu’ils emploient pour le faire. Par exemple quand les patrons de Caterpillar sont qualifiés de « chiens ». A condition de respecter cette règle d’usage, la « violence » est presque toujours « condamnable ». Et condamnée.

Henri Maler et Yves Rebours

Source : ACRIMED, Henri Maler, Yves Rebours, 21-03-2016

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Source: http://www.les-crises.fr/lexique-pour-temps-de-greves-et-de-manifestations-par-henri-maler-et-yves-rebours/