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Revue de presse du 09/04/2016

Saturday 9 April 2016 at 04:55

Avec cette semaine notamment pas mal d’OTAN et pas trop de Panama qui est partout, du nucléaire dangereux et cher (surprise !), mais pas autant que le réchauffement. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-09042016/


Nous ne revendiquons rien, par Frédéric Lordon

Saturday 9 April 2016 at 03:00

Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 29-03-2016

Source : Convergence des luttes

Source : Convergence des luttes

Au point où nous en sommes, il faut être épais pour ne pas voir qu’il en va dans les mouvements sociaux actuels de bien plus qu’une loi et ses barèmes d’indemnités. Mais l’épaisseur, en tout cas en ce sens, c’est bien ce qui manque le moins à ceux qui nous gouvernent et à leurs commentateurs embarqués. Aussi tout ce petit monde continue-t-il de s’agiter comme un théâtre d’ombres, et à jouer une comédie chaque jour plus absurde, les uns affairés à peser au trébuchet leurs concessions cosmétiques, les autres leurs gains dérisoires, les troisièmes à faire l’éloge du raisonnable ou à préparer gravement « la primaire ». Et tous se demandent quelle est la meilleure couleur pour repeindre la clôture du jardinet qu’ils continuent d’entretenir sur les flancs du volcan déjà secoué de grondements.

Par un paradoxe caractéristique des époques finissantes, ce sont les seigneurs du moment qui accélèrent eux-mêmes le processus de la décomposition, dont on reconnaît les étapes aux seuils de corruption du langage enfoncés l’un après l’autre. On a pour habitude en cette matière de faire d’Orwell une référence. Mais Orwell était un petit joueur qui manquait d’imagination. Soyons juste : il n’était pas complètement sans talent, il a d’ailleurs fallu attendre un moment pour que son clou lui soit rivé. Enfin c’est fait. Et c’est Bruno Le Roux, président du groupe « socialiste » à l’Assemblée, qui s’est chargé de lui enseigner à quels sommets on peut emmener le prodige du renversement des mots : « il faut que le CDI ne soit pas une prison pour le chef d’entreprise (1». Il faut admettre qu’on peine à faire le tour d’un trait de génie pareil et qu’il faut être bien accroché pour ne pas céder complètement au vertige. Ceux qui s’en souviennent penseront également à cet extrait des Nouveaux chiens de garde (2) où Bénédicte Tassart (RTL), croyant vitupérer les séquestrations de patrons, s’exclamait qu’il « est inadmissible de retenir des personnes contre leur volonté dans des bureaux », manifestement sans se rendre compte qu’elle livrait par-là même un point de vue éditorial aiguisé sur le rapport salarial (sans doute limité au secteur tertiaire mais aisément généralisable). La malheureuse cependant était tout à fait innocente. Les évocations carcérales de Bruno Le Roux sont bien mieux pesées. Tellement bien d’ailleurs qu’elles donnent considérablement à penser — quoique peut-être hors de ses intentions de départ.

Il se pourrait en effet que tout ce qui se passe en ce moment se joue précisément autour de la connexion, puissamment mise en évidence par Bruno Le Roux, du contrat salarial et de la prison. Qui se trouve enfermé vraiment, c’est bien sûr là le point de controverse résiduel, auquel par bonheur ne s’arrêtent pas trop longtemps tous ceux qui, bombes de peinture à la main, réélaborent pour leur propre compte, et de manière assez vigoureuse, la grande intuition rouquinienne.

Loi travail : des étudiants s’expriment sur la « jeunesse » du mouvement Source : lundi.am

Loi travail : des étudiants s’expriment sur la « jeunesse » du mouvement
Source : lundi.am

À franchement parler, le travail ne nous intéresse pas Source : lundi.am

À franchement parler, le travail ne nous intéresse pas
Source : lundi.am

Et pas seulement celle-là. Car c’est décidément un gouvernement qui ne manque pas de philosophes et s’y entend dans l’art de donner à penser. On se souvient d’Emmanuel Macron méditant sur les fins dernières et qui suggérait qu’« il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardaires ». Passer à l’article indéfini pour lui faire dire qu’il faudrait que « les jeunes aient envie de devenir milliardaires » serait-il faire violence à une pensée que, visiblement, seule la crainte de réactions arriérées retient de la conséquence ? De l’un à l’autre en tout cas — de Le Roux à Macron — et quoique par des voies différentes, c’est bien une idée générale de l’existence qui nous est proposée.

Il y a là une invitation et il faut y être sensible. Prenons donc les choses au niveau même de généralité où elles nous sont soumises — le seul moyen de leur apporter une réponse adéquate. Disons avec honnêteté que celle-ci a pris du temps à murir. Il est vrai que tant la brutalité de l’assaut néolibéral que l’effondrement de l’« alternative communiste » n’étaient pas propices à reprendre rapidement ses esprits. Cependant trois décennies d’expérimentation soutenue en vraie grandeur ne pouvaient pas ne pas produire quelques aperceptions. Le travail du réel fait son chemin, et il le fait d’autant mieux que se développent les lieux de mise en commun (au tout premier chef le site #OnVautMieuxQueCa), où les gens découvrent que ce qu’ils vivaient chacun par devers soi est en fait très largement partagé.

Et puis, mais il faut en savoir gré à ce gouvernement dont les stimulations à penser n’ont jamais cessé, ladite « loi travail » vient là, comme une sorte d’apothéose, qui aide considérablement à ce que s’opèrent les dernières clarifications. L’idée de la vie que ces personnes nous offrent nous apparaît maintenant avec une grande netteté. C’est pourquoi, désormais en toute connaissance de cause, et y ayant bien réfléchi, nous pouvons leur répondre que non. Soulignons-le à l’usage des mal-entendants, qui se sont toujours comptés en grand nombre du côté du manche : c’est de cela qu’il est question aujourd’hui. Pas de CDD télescopiques, de comptes rechargeables, ou de barèmes à mollette : de cela, une idée de l’existence.

On peut convaincre avec des principes, on le peut encore mieux avec des images. Pour qui n’aurait pas encore les idées bien fixées quant au type de monde que la philosophie gouvernementale désire pour nous — en tous les sens de l’expression : à notre place et pour nous l’imposer —, il suffirait de regarder une ou deux choses dont le pouvoir d’éloquence posera un rude défi à la pédagogie ministérielle. Il y a bien sûr, mais tout le monde les a vues, ces images d’une controverse entre trois policiers et un lycéen parisien surarmé, celles également d’un retour des CRS sur les bancs de la faculté de Tolbiac, qui font entendre une résonance particulière des propos de François Hollande en 2012 — « Je veux redonner espoir aux nouvelles générations » — ou bien plus récemment de Najat Vallaud-Belkacem (24 mars 2016) — « Education : ce que nous faisons pour la jeunesse ». A moins qu’il ne s’agisse en fait de leur note tout à fait juste.

Petit collage aimablement proposé par le compte Twitter @vivelefeu de Sébastien Fontenelle.

Petit collage aimablement proposé par le compte Twitter @vivelefeu de Sébastien Fontenelle.

La réalité de l’ordre social se trouve pourtant autrement mieux figurée dans deux vidéos dont la première, de pur témoignage, a été faite par Fakir et laisse Henri (son nom n’est pas donné) raconter comment, employé d’un sous-traitant, il s’est trouvé dénoncé par Renault où il intervenait pour avoir, depuis sa messagerie personnelle, fait la promotion du film Merci patron ! auprès des syndicats du Technocentre… Dénoncé et puis, il va sans dire, interdit d’accès au site… et maintenant en procédure de licenciement auprès de son propre employeur. Plus confondante encore, cette scène filmée au bureau de Poste d’Asnières, lors d’une réunion syndicale à laquelle des étudiants sont venus participer pour informer de leur mobilisation… tous se retrouvant face à des policiers armés de flashball, semble-t-il appelés par la direction, et que seule la cohésion du groupe, emmené par une grande gueule de Sud PTT, armée de ce qu’il reste de droits syndicaux, permet de refouler.

Et c’est peut-être celle-là la scène canonique, celle qui dit tout : la hantise du pouvoir — la réunion des étudiants et des salariés ; la surveillance en dernière instance policière du salariat rétif, c’est-à-dire la fusion de l’Etat et du capital, paradoxalement — ou à plus forte raison — quand il s’agit du capital public ; l’alternative radicale de la soumission ou de la lutte collective. Il est bien certain qu’avec de pareils spectacles la clarté de l’entendement reçoit un puissant renfort de l’imagination. Une fameuse poussée des affects aussi. Et voici ce que cette belle propulsion nous permet de leur dire : comprenez bien que nous ne revendiquons rien. Entendez qu’après quelques décennies à faire, vous et vos semblables, la démonstration de vos talents et de votre hauteur de vue, l’idée de négocier quoi que ce soit avec vous nous apparaît absolument sans objet. C’est que « revendiquer » n’a de sens que dans un certain cadre qu’on reconnaît par-là implicitement comme légitime, et tautologiquement comme hors du champ de la revendication elle-même — puisqu’il en est le cadre… Or, vient fatalement un moment où, à force de combats dérisoires pour des miettes, et même en l’occurrence pour simplement résister à la diminution des miettes, l’impensé du cadre revient à la pensée. Non plus comme objet de « revendication » mais comme objet de renversement.

Certes, nous le savons, pour continuer d’entretenir l’illusion, vous pouvez compter sur le syndicalisme du bouton d’or, celui qui voit des « ambitions de progrès (3» au fond des plus notoires régressions, et dont la science héraldique a maintenant établi aussi bien les armoiries — « de serpillière sur balais de pont croisés » — que l’éternelle devise : « Affalé toujours déjà ». Contre un certain syndicalisme couché, ce qui naît en ce moment serait plutôt de l’ordre du mouvement debout. Comme on sait, le mouvement, entendu en ce sens, commence par le rassemblement. Des gens ont opiné que simplement manifester une fois de plus sur des trajets convenus, c’est-à-dire « revendiquer », ne serait plus suffisant. En conséquence de quoi, ils ne rentreront pas chez eux et se retrouveront quelque part pour commencer quelque chose de tout autre. Nuit Debout (4), est le nom de cette initiative, et son exposé des motifs, décalqué à même le message du film Merci patron ! dit assez son nouveau rapport au « cadre » : « leur faire peur »… Nous rassembler, ne pas rentrer, ne pas revendiquer : concentré d’inquiétante étrangeté en effet pour les administrateurs de cadre.

Et c’est vrai que, même si nous ne connaissons pas encore bien notre force, ce qui ne fait peut-être que commencer ici a tout du cauchemar pour l’Etat, qui voit ses grand-peurs s’aligner dans une conjoncture astrale du pire : la hantise de la convergence, l’abandon « en face » de la revendication, son remplacement par des affirmations.

Il se pourrait en effet que nous soyons sur le point de vivre un de ces moments bénis de l’histoire ou des groupes ordinairement séparés redécouvrent ce qu’ils ont de profondément en commun, ce commun massif institué par le capitalisme même : la condition salariale. Salariés maltraités d’aujourd’hui, lycéens et étudiants, maltraités de demain, précarisés de toutes sortes, mais aussi toutes les autres victimes indirectes de la logique générale du capital : objecteurs aux projets d’aménagement absurdes, mal-logés, sans-papiers corvéables à merci, etc.

Mais que peut faire un ministre, ou son directeur de cabinet, de tous ces gens qui en ont soupé de revendiquer ? Rien, absolument rien, ils le savent d’ailleurs, et c’est bien ce qui leur fait peur. C’est que, quand ils abandonnent le registre infantile de la revendication, les gens retrouvent aussitôt le goût du déploiement affirmatif — effroi de l’Etat qui s’est réservé le monopole de l’affirmation. Pour son malheur, la loi El Khomri aura peut-être été l’abus de trop, celui qui fait passer un point de scandale et produit dans l’esprit des gens un remaniement complet de la vision des choses, des places et des rôles. Nous n’avons aucune intention de nous battre pour des codicilles : nous voulons affirmer de nouvelles formes de l’activité et de la politique (5).

Il faut entendre le poignant appel de Michel Wieviorka à « sauver la gauche de gouvernement (6» pour mesurer le degré d’inclusion des desservants intellectuels du « cadre », et par suite leur incompréhension radicale, fussent-ils sociologues, de ce qui se passe dans la société. Dans une tentative de redéfinition performative des catégories politiques qui dit tout de la glissade à droite de ce personnel d’accompagnement (à la suite de leurs maîtres auxquels il s’agit de toujours bien coller), Wieviorka fait désormais représenter « la gauche de la gauche » par… Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ! Manière d’indiquer où se situent à ses yeux les bords du monde fini — car par définition, à gauche de la gauche de la gauche… il n’y a plus rien. Ou plutôt si : il y a les fous. « La gauche folle », c’est l’expression préférée de tous les éberlués de gauche passés à droite qui n’en reviennent pas qu’on puisse ne pas se rendre à la simple raison qui donne à choisir entre « la gauche libérale-martiale de Manuel Valls » (sic), « la gauche sociale-libérale d’Emmanuel Macron », et donc « la gauche de la gauche, de Benoît Hamon à Arnaud Montebourg ». Et qui s’efforcent sans cesse, repliés dans leur peau de chagrin, de ramener toujours plus près d’eux le commencement du domaine de la folie. Alors il faut le dire à Wieviorka et à tous ses semblables, Olivennes (7), Joffrin, etc. : c’est vrai, nous sommes complètement fous. Et nous arrivons.

Frédéric Lordon

Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 29-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/nous-ne-revendiquons-rien-par-frederic-lordon/


TTIP : Selon un document rendu public, les multinationales et les États-Unis vont avoir une grande influence dans les traités commerciaux de l’UE par Paul Gallagher

Saturday 9 April 2016 at 01:44

Source : Independent, le 17/03/2016

Exclusif : Le document obtenu par un groupe militant montre que la législation va se trouver sous influence avant même d’arriver au Parlement européen

Paul Gallagher | jeudi 17 mars 2016

TTIP-AFP-Getty

Les militants manifestent devant le Parlement européen contre le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’industrie) entre l’Union européenne et les États-Unis | AFP/Getty

La Commission européenne sera obligée de consulter l’administration des É-U avant d’adopter de nouvelles propositions de lois, Selon un point d’une série controversée de négociations commerciales poursuivies, pour la plupart, dans le secret.

Le groupe militant l’Observatoire de l’Europe industrielle (CEO) et le quotidien britannique, The Independent, ont obtenu et rendu public un document qui fait partie des négociations du Partenariat transatlantique de commerce et d’industrie (TTIP). Il y est révélé que la Commission européenne, instance non élue, va avoir l’autorité pour décider dans quels secteurs il faudra coopérer avec les États-Unis, mettant ainsi sur la touche les États membres de l’UE et le Parlement européen.

Le principal objectif du TTIP est d’harmoniser les règles transatlantiques dans un ensemble de domaines, y compris la sécurité des produits de consommation, les produits alimentaires, les services financiers et bancaires.

Qu’est-ce que le TTIP ?

Le document rendu public concerne le volet des pourparlers sur la coopération réglementaire. Cette partie du traité aura, selon l’Union européenne, pour conséquence de réduire la bureaucratie, tout en respectant tout de même certaines règles. Il y a là, suivant l’analyse du CEO, tout un labyrinthe de procédures capables de museler toutes les propositions de l’UE qui pourraient porter préjudice aux intérêts des États-Unis.

Pour l’Observatoire, ce document révèle aussi à quel point les grandes sociétés et les groupes industriels seront capables d’influencer le développement de la coopération réglementaire en faisant ce qu’on y appelle une « importante proposition » qui sera mise à l’ordre du jour de la Commission et des instances américaines.

Les plans dévoilés par ce document donneront aux autorités réglementaires étatsuniennes « un rôle contestable » dans la législation de Bruxelles et affaibliront le Parlement européen, fait valoir l’Observatoire.

Selon Kenneth Haar, chercheur au CEO, «L’Union européenne et les États-Unis ont résolu de placer les grandes entreprises au cœur de la prise de décision, ce qui constitue une menace directe pour les principes démocratiques. Ce document montre à quel point la coopération réglementaire va favoriser l’influence des grandes entreprises – et celle des États-Unis – sur la législation avant même qu’une loi n’ait été proposée aux parlements. »

Nick Dearden, directeur du groupe militant Global Justice Now (la Justice Mondiale, c’est Maintenant), affirme : « Cette fuite confirme nos craintes à propos du TTIP. Il s’agit là de donner aux grandes entreprises davantage de pouvoir sur un large ensemble de lois et de règlements. En fait, les lobbies industriels, c’est de notoriété publique, veulent écrire les lois avec les gouvernements et, avec ce traité, ils approchent de leur but. Ce n’est pas là un élément accessoire ou une petite partie du TTIP, c’en est un élément absolument central. »

Pour M. Dearden, il est tout à fait “terrifiant” que les États-Unis aient le pouvoir de remettre en question et d’amender les réglementations européennes avant que des politiques européens – élus – n’aient eu une chance d’en débattre.

Se référant au référendum sur l’UE, qui va avoir lieu très bientôt, il affirme : « Nous parlons, en ce moment, dans notre pays de souveraineté, et il est difficile d’imaginer une plus sérieuse menace à notre souveraineté que ce traité commercial. »

Selon le CEO, une intensification de la coopération réglementaire entre l’Union européenne et les États-Unis a déjà mené à des problèmes de santé publique : ainsi l’Union européenne s’est-elle abstenue de réguler l’emploi des perturbateurs hormonaux et a-t-elle permis la controverse récente sur le renouvellement du pesticide de Monsanto, le glyphosate.

Toujours selon l’Observatoire, dans ces deux dossiers, la Commission a prêté une oreille très attentive aux instances étatsuniennes et aux grandes entreprises en dépit des risques pour la santé publique que constituent ces substances chimiques.

Un porte-parole de la Commission européenne a déclaré : « Ces accusations ne reposent sur rien et ne se retrouvent pas dans la proposition de l’Union européenne pour la simplification des règles pour les exportateurs de l’Union européenne. Le texte sur la coopération règlementaire ne tardera pas à être publié pour que chacun se rende compte que cette prétendue analyse est complètement fausse, qu’elle présente une vue tendancieuse du travail de la Commission européenne et ignore la réalité des textes de l’Union européenne. Ce sont les autorités en charge de la réglementation, non les négociateurs commerciaux, qui vont continuer à prendre les initiatives en matière de coopération réglementaire, à la fois dans l’Union européenne et aux États-Unis.

Explicatif : Le TTIP

Le Partenariat transatlantique de commerce et d’industrie est un projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis, qui vise à promouvoir le commerce et une croissance économique multilatérale.

Selon l’Union européenne, le but du TTIP est d’aider les peuples et les entreprises en ouvrant les États-Unis aux entreprises, en aidant à réduire la bureaucratie que doivent affronter les firmes quand elles exportent et en établissant de nouvelles règles pour rendre les exportations, les importations et les investissements à l’étranger plus faciles et plus équitables.

Pour les militants anti-TTIP, le traité va augmenter le pouvoir des multinationales aux dépens de la démocratie et de l’intérêt  général.

Que ces pourparlers aient, pour la plupart, eu lieu dans le secret et que les fuites dans les médias aient été le seul moyen d’informer le public de ce qui se passe constitue l’un des grands problèmes de ces négociations.

La Commission européenne affirme que le Partenariat transatlantique de commerce et d’industrie pourrait relancer l’économie européenne, avec 120 milliards d’euros à la clé, l’économie étatsunienne avec 90 milliards et le reste du monde avec 100 milliards. À ce traité s’opposent les syndicats, les associations caritatives, les ONG et les écologistes, surtout en Europe. Les critiques ont déjà dit au quotidien The Independent que le TTIP aurait des impacts négatifs comprenant “la réduction des barrières réglementaires au commerce pour les grandes entreprises, des mesures pour la sécurité alimentaire et environnementale, des réglementations dans le domaine bancaire et les pouvoirs souverains des États,” ou même serait tout simplement “une attaque contre les sociétés européennes et étatsuniennes par le biais de multinationales.”

Selon la Commission européenne, une fois qu’un texte aura été définitivement approuvé, ce sera aux États membres et aux députés européens de décider de son entrée en vigueur.

Le document fuité met en lumière le sérieux danger que court la démocratie

Par Kenneth Haar, chercheur au CEO

La prétendue « coopération réglementaire » dans les actuels pourparlers sur le TTIP Union européenne/États-Unis cherche à harmoniser la législation des deux côtés de l’Atlantique. Ce volet des négociations vise à raser les barrières réglementaires déjà en place et à empêcher l’apparition de nouvelles.

Des procédures longues, dont la validation par les entreprises des répercussions économiques possibles, sont ainsi envisagées dans les nouvelles réglementations. De telles mesures ont déjà été utilisées de manière informelle pour affaiblir l’ambition de l’Union européenne dans la supervision du secteur financier dans les années précédant l’effondrement de 2008, pour offrir un laissez-passer aux entreprises des États-Unis sur la protection des données personnelles, et pour retarder ou édulcorer les propositions de l’Union européenne sur l’expérimentation animale et les émissions dans l’aviation.

Plus récemment, dans le cas des perturbateurs endocriniens toxiques, nous avons vu la Commission européenne s’aligner de près aux autorités des États-Unis et aux grandes entreprises en refusant de prendre des mesures pour restreindre l’usage de ces substances, malgré les menaces sur la santé bien documentées qui se posent aux citoyens de l’UE.

Consacrer de telles procédures dans la législation sous le TTIP mènera à l’intensification des attaques contre les lois qui protègent la santé, les droits des travailleurs et les normes environnementales.

Ce document fuité des négociations confirme les craintes que la Commission soit obligée de consulter les autorités des États-Unis avant d’adopter de nouvelles propositions législatives, alors que les États membres sont mis sur la touche. La fuite nous offre aussi un aperçu de la proposition de labyrinthe bureaucratique d’évaluations d’impact, dialogues, consultations et audits qui pourraient lier toute proposition qui irait contre les intérêts des entreprises américaines.

Au final, les grandes entreprises pourront influer sur les réglementations par ces propositions à un degré tel qu’il est une sérieuse menace à la démocratie telle qu’on la connaît.

Source : Independent, le 17/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Un rapport américain sur le TTIP est “sans appel”: “Les Européens n’ont pas grand-chose à gagner”

Source : RTL, 22-12-2015

L’eurodéputé PS Marc Tarabella

L’eurodéputé PS Marc Tarabella a pu consulter le rapport d’évaluation des gains des projets de TTIP sur la table, émis par le ministère de l’agriculture américain. Selon lui, ses “conclusions sont sans appel : d’une part, le secteur agricole Européen serait le grand perdant de cet échange, d’autre part les européens pourraient même subir des effets négatifs en cas d’accord. De l’aveu même des américains, les Européens n’ont pas grand-chose à y gagner. Au vu de ces résultats, je demande l’arrêt pur et simple des négociations avec les États-Unis. Je ne veux pas voir mener à l’abattoir l’agriculture européenne et dans son sillage la subsistance alimentaire européenne”, tempête le député européen, en charge de l’agriculture et de la Protection des consommateurs au Parlement européen, dans un communiqué émis ce mardi.

Il ajoute que “le volet agricole ne peut être la variable d’ajustement des autres chapitres de la négociation TTIP. Ce serait se moquer des agriculteurs et des consommateurs européens.”

Les gains financiers pour les USA seraient incroyablement plus grands que pour les Européens

Dans ce communiqué, on apprend que plusieurs scénarii sont envisagés par les Américains. Deux leur sont extrêmement favorables. Il s’agit premièrement de l’abolition des droits de douane, qui rapporterait 5,5 milliards de dollars aux Etats-Unis là où l’Union européenne ne gagnerait que 800 millions. Le second serait cette même abolition à laquelle on ajouterait la suppression des mesures non tarifaires. Là, les USA gagneraient 10 milliards de dollars tandis que l’Union européenne seulement 2 milliards.

Cette disproportion entre les gains potentiels au niveau agriculture de la signature d’un tel accord transatlantique –qualifiée de “déséquilibre astronomique” par Marc Tarabella- aurait de lourdes conséquences pour notre agriculture. En effet, cette nouvelle concurrence ferait plonger les prix pour les producteurs européens, selon le député.

Les Américains qui ont réalisé l’enquête l’avouent eux-mêmes: “les Européens n’ont pas grand-chose à gagner” en signant un tel accord.

Si les citoyens européens préfèrent la qualité, les USA n’auraient rien à y gagner

Ils ont également évalué leurs gains dans d’autres scénarii. Celui qui leur serait le moins profitable ? “Dans le texte, on peut également lire que le scénario qui leur serait néfaste serait celui de citoyens faisant de la qualité et des questions sanitaires une priorité”, détaille encore M. Tarabella. Les autorités US expliquent qu’alors les consommateurs se tourneraient vers la production locale. Dans un tel cas, les Américains conviennent que le TTIP n’aurait aucun intérêt. “On imagine volontiers toute la détermination outre Atlantique d’éviter un tel scénario catastrophe pour les entreprises US”, estime l’eurodéputé.

“Ce rapport vient conforter une position déjà défendue au Parlement européen : il faut cesser les négociations TTIP avec les États-Unis afin que ne soient sacrifiés ni l’agriculture européenne ni le citoyen européen !”, conclut M. Tarabella.

Source : RTL, 22-12-2015

Source: http://www.les-crises.fr/ttip-selon-un-document-rendu-public-les-multinationales-et-les-etats-unis-vont-avoir-une-grande-influence-dans-les-traites-commerciaux-de-lue-par-paul-gallagher/


[4 min. de la haine] Quand France 2 et Etienne Leenhardt cherchent à paniquer la population

Friday 8 April 2016 at 05:00

La propagande de guerre, c’est çale 6 avril 2016, l’ouverture du JT se fait sur cette annonce pressante :

En effet, comme c’était une petite journée calme au niveau du terrorisme, ils ont dû trouver autre chose :

Pujadas, ouverture : “Bonsoir à tous. Dans l’actualité ce soir, le réarmement de l’Europe face au réveil de la menace russe. Les dépenses militaires font un bond en Pologne, en Slovaquie ou dans les pays baltes. Ont-ils raison d’avoir peur ? – Etienne Leenhardt nous répondra“.

J’ai du mal à voir en quoi une augmentation des dépenses militaires au fin fond de l’Europe mérite la Une (que n’a pas eu ce soir-là le référendum sur l’UE aux Pays-Bas, en revanche…), mais passons.

Par chance, les “journalistes” n’ont pas non plus évoqué le fait que l’industrie d’armement est aussi une des plus corruptrices au monde – ce qui ne peut évidemment avoir le moindre lien avec ce fait…

Pujadas : “Bienvenue à tous. C’est un virage pour l’Europe, après des années de baisse continue de l’effort militaire, le réarmement est en cours. C’est le cas de la France ou du Royaume-Uni, dont les budgets repartent à la hausse. Mais c’est la cas, bien davantage encore, pour l’Europe Centrale. En cause, le réveil de la menace russe.”

Reportage : “En Pologne… : total : 40 milliards d’euros (!). En Estonie, on accueille à bras ouverts les navires de l’OTAN venus en renfort dans la région (sic.).

pologne

Ca, c’est de l’information utile qui nous aurait manqué…

pologne-2

Belle fin de reportage

(Dommage, ils n’ont pas pu mettre ça vu que c’est un terroriste modéré syrien qui goûte le foie d’un soldat de l’armée syrienne (chuuuuut, on ne vous le montrera pas au JT), et pas un russe…)

Retour plateau :

Pujadas : “Bonsoir Etienne Leenhardt : ces pays d’Europe centrale ont-ils raison d’avoir peur ?

Etienne Leenhardt, directeur adjoint de l’information de France 2 : “Oui. cette inquiétude elle se comprend. Si vous êtes letton, estonien, polonais, et que vous entendez Vladmir Poutine dire “qu’il faut restaurer la puissance de la Russie dans sa zone historique d’influence”.

Je n’ai pas trouvé la source de cette déclaration – si quelqu’un peut chercher et l’indiquer en commentaire, merci.

J’ai trouvé cette interview de la BBC de décembre 2015 : Russia is not trying to bring back the USSR, but “nobody wants to believe it” […] I would like to think that there is not a person on the planet crazy enough to decide to use nuclear weapons,” he said, adding that this would lead to a “planetary catastrophe

Effrayant en effet…

Que pour la seule année 2015 vous constatez que les dépenses militaires russes ont représenté plus de 20 % du budget de l’État, que vous voyez Vladimir Poutine subtiliser la Crimée à l’Ukraine il y a 2 ans sans aucune réaction de la communauté internationale.

1/ c’est amusant, il me semblait qu’on avait lancé des sanctions contre la Russie, j’ai rêvé ?

2/ mais sinon, c’est quoi alors une “réaction” : la guerre ? Qu’il n’hésite pas, ils embauchent dans l’armée ukrainienne (90 € par mois)

3/ elle avait réagi comment la “communauté internationale” (sic.) quand, en 1954, l’Ukraine avait subtilisé la Crimée à la Russie via le dictateur communiste Khrouchtchev ?

4/ il est au courant que le parlement de Crimée a voté pour, puis la population aussi ? Et que des sondages occidentaux disent que le résultat des votes est conforme à la volonté de la population ?

Eh bien OUI, il y a de quoi être inquiet !

C’est beau la subtilité quand même…

Pujadas : “on peut effectivement parler de menace russe ?”

Leenhardt : “2 opérations militaires l’Ukraine et la Syrie, à la fois limitées mais efficaces.

Sérieusement ?

Il a vu l’armée russe opérer en Ukraine ? C’est dommage qu’en 2014, on n’arrive pas à avoir d’mages quand même… Et ils ne sont pas allés jusqu’à Kiev du coup ?

Quand au rapport avec la Syrie… Après, c’est sûr que ce n’est pas comme si on avait attaqué l’Irak ou la Libye sous de faux prétexte, ou soutenu en sous-main en Syrie les terroristes ayant abattu un avion russe…

“La Russie de Poutine a atteint un de ses objectifs : elle fait à nouveau peur.”

Tiens, celle-là je la mets direct dans mon Best-of des saloperies de “journalistes”, elle est vraiment belle.

Il aurait fait merveille dans les médias il y a un siècle, pour parler du boche. Ou en Allemagne un peu plus tard…

Et même si très peu d’observateurs pensent qu’elle ira au delà,

1. Ah, ben oui, peu se défoncent au crack, c’est sûr, et encore moins sont “journalistes” par chance…

2. ben alors, c’est quoi le micmac dont on parle depuis 3 minutes en terrorisant la population ?

notamment parce que les guerres, ça coûte cher, et que l’économie russe est au plus mal.

ah pardon, j’ai cru que c’était parce que les guerres ça tuait du monde, et que la prochaine risquera même d’anéantir l’espèce humaine – je suis bête…

Et ce n’est pas comme si la Russie avait perdu 20 millions d’habitants la dernière fois, hein… La guerre, ça les fait bien rire j’imagine…

 morts de la seconde guerre mondiale décès pertes deuxième

Donc prions pour que “Poutine” n’obtiennent pas un petit crédit Sofinco, sinon, boum, la guerre…

L’OTAN a annoncé que 4 000 seraient déployés à l’année en Europe de l’Est, pour parer à toute éventualité.

De quoi stopper net l’armée russe, c’est clair… Comme les 8 missiles Patriot polonais.

En tous cas, la Russie n’a en rien menacé la Pologne ou les pays Baltes, mais elle se retrouve avec plus de soldats juste à sa frontière – c’est subtil pour améliorer notre sécurité collective…

Une grande première depuis 30 ans. [Fin]

Ce genre de discours, il avaient en effet les mêmes en URSS durant la guerre froide…

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Eh bien voilà donc une jolie trace pour l’Histoire du niveau intellectuel du directeur adjoint de l’information d’une grande chaîne française en 2016 – je pense que ça aidera probablement les historiens à mieux comprendre ce qui s’est passé ensuite – s’il en reste évidemment…

C’est le moment où je vous renvoie au formidable discours de fin de mandat du Président Eisenhower :

“Nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée dans les structures gouvernementales, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant. Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques. Nous ne devons jamais rien considérer comme acquis. Seul un peuple informé et vigilant réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble.” [Dwight Eisenhower, Discours de fin de mandat resté connu sous le nom du Discours du Complexe Militaro-Industriel, 17/01/1961]

Je vous ai enfin préparé une série de graphiques, que ces pantins télévisuels auraient dû faire s’ils avaient encore un peu de professionnalisme, pour informer les téléspectateurs avec quelques faits tangibles :

ue-russie-1

ue-russie-2

otan-russie-1

N.B. vous notez visuellement dans ce schéma que, par habitant, l’OTAN dépense donc en moyenne bien plus que la Russie… En fait, 980 $ contre 630 $/hbt, soit la bagatelle de 50 % de plus...

otan-russie-2

Eh oui, tu penses que les Russes rêvent d’un conflit avec une structure 7 fois plus peuplée et disposant d’un budget militaire 10 fois supérieur – qui ne ferait pas pareil ?

depenses-ue

On note qu’il n’y a que la Pologne parmi les pays cités qui augmente véritablement sur longue période ses dépenses – ce qui n’est ne rien rassurant…

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En conséquence, si tout ceci vous choque, je vous recommande vraiment de ne pas rester inactif et d’écrire (poliment !! Soyez courtois, exigeants mais modérés, sinon cela vous nuira à votre demande légitime…) :

“L’ennemi est bête : il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui !” [Pierre Desproges]

“Un instant plus tard, un horrible crissement, comme celui de quelque monstrueuse machine tournant sans huile, éclata dans le grand télécran du bout de la salle. C’était un bruit à vous faire grincer des dents et à vous hérisser les cheveux. La Haine avait commencé.

 

Comme d’habitude, le visage d’Emmanuel Goldstein, l’Ennemi du Peuple, avait jailli sur l’écran. Il y eut des coups de sifflet çà et là dans l’assistance. La petite femme rousse jeta un cri de frayeur et de dégoût. Goldstein était le renégat et le traître. Il y avait longtemps (combien de temps, personne ne le savait exactement) il avait été l’un des meneurs du Parti presque au même titre que Big Brother lui-même. Il s’était engagé dans une activité contre-révolutionnaire, avait été condamné à mort, s’était mystérieusement échappé et avait disparu. Le programme des Deux Minutes de la Haine variait d’un jour à l’autre, mais il n’y en avait pas dans lequel Goldstein ne fût la principale figure. Il était le traître fondamental, le premier profanateur de la pureté du Parti. Tous les crimes subséquents contre le Parti, trahisons, actes de sabotage, hérésies, déviations, jaillissaient directement de son enseignement. Quelque part, on ne savait où, il vivait encore et ourdissait des conspirations. Peut-être au-delà des mers, sous la protection des maîtres étrangers qui le payaient.” [George Orwell, 1984 – lire le remarquable extrait entier ici]

 

Goering : “Bien sûr que les gens ne veulent pas la guerre. Pourquoi est-ce qu’un pauvre plouc dans une ferme voudrait risquer sa vie dans une guerre alors que le mieux qu’il puisse en espérer est de retourner dans sa ferme en un seul morceau ? Bien sûr que les gens normaux ne veulent pas la guerre : ni en Russie, ni en Angleterre, ni en Amérique, ni pour la même raison en Allemagne. C’est évident. Mais, après tout, ce sont les dirigeants d’un pays qui en déterminent la politique et il s’agit toujours d’une formalité que de canaliser les gens, que ce soit dans une démocratie, une dictature fasciste, un système parlementaire ou une dictature communiste“.

Gilbert : “Il y a [tout de même] une différence. Dans une démocratie, les gens ont voix au chapitre en la matière au travers de leurs représentants élus et, aux États-Unis, seul le Congrès peut déclarer une guerre“.

Goering : “Ah, tout cela est bel et bon mais, voix ou pas voix, les gens peuvent toujours être amenés à s’offrir à leurs dirigeants. C’est facile. Tout ce que vous avez à faire est de leur expliquer qu’ils sont attaqués ; de dénoncer les pacifistes pour leur manque de patriotisme ; puis d’exposer le pays à un danger. Ca marche de la même manière dans tous les pays“. [Nuremberg, 1946.]

Source: http://www.les-crises.fr/quand-france-2-et-etienne-leenhardt-cherchent-a-paniquer-la-population/


La classe politique européenne a abandonné tout intérêt national, par Sergueï Glaziev

Friday 8 April 2016 at 02:55

Sergueï Glaziev est un économiste russe, né à Zaporojié (Ukraine) en 1961. Il a commencé une carrière politique à partir de 1990, tantôt dans les cabinets ministériels, tantôt sur les bancs de la Douma, le parlement russe. Il est passé du camp ultra-libéral aux communistes. Allié de Vladimir Poutine qu’il conseille, il a été nommé coordinateur des agences travaillant à l’union douanière entre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan. Barack Obama l’a placé dans la liste des sept premières personnes sous sanctions, en 2014.

On dispose donc ici de la vision d’un proche conseiller du gouvernement russe, ce qui permet de mieux cerner leur vision (N.B : pour Manuel Valls : comprendre ne veut pas dire approuver hein…)

Cet article, à prendre bien entendu avec recul, est en lien avec l’article suivant, vu que Glaziev accuse nos médias de nourrir la peur d’une menace russe infondée…

Source : Russia-Insider d’après Lenta, 29/03/2016

M. Glaziev, y a-t-il la moindre raison de s’attendre à la levée des sanctions américaines ? 

Les sanctions constituent l’un des éléments de la guerre hybride que les États-Unis mènent contre nous. Ils le font, non pas parce qu’ils n’aiment pas «l’annexion» de la Crimée par la Russie , mais plutôt principalement en raison de la défense des seuls intérêts objectifs et subjectifs de l’oligarchie dirigeante américaine.

Les États-Unis sont en train de perdre leur hégémonie mondiale : ils fabriquent déjà moins de produits et exportent moins de technologies que la Chine. La Chine est également en train de rattraper l’Amérique pour le nombre de scientifiques et d’ingénieurs, et nombre de technologies innovantes chinoises sont en train de s’emparer des marchés mondiaux. Le taux de développement de la Chine est cinq fois supérieur à celui des États-Unis. Le système international des entités économiques récemment mis en place en Chine illustre bien le nouvel ordre économique mondial.

Les entités économiques qui dominent aux États-Unis, au seul service d’une oligarchie financière, ont complètement déstabilisé le système monétaire et financier américain, qui fait presque défaut deux fois par an. Les causes de la crise financière mondiale de 2008 n’ont en rien disparu et la bulle de la dette américaine – pyramides financières composées de dérivés et de dette nationale – ne cesse de croître davantage de jour en jour.

Selon la théorie des systèmes, ce processus ne peut pas continuer indéfiniment. L’oligarchie américaine est désespérée d’arriver à se débarrasser de son fardeau de la dette, et c’est la raison principale pour laquelle elle mène une guerre hybride, non seulement contre la Russie , mais contre l’Europe et le Moyen-Orient.

Comme il arrive toujours dans un ordre économique mondial en mutation, le pays qui est en train de perdre son leadership tente alors de déclencher une guerre mondiale pour le contrôle de la périphérie. Depuis que les Américains considèrent l’ancien espace soviétique comme étant leur périphérie financière et économique, ils tentent sans cesse d’en prendre le contrôle.

L’élite politique américain a été élevée selon des chimères de géopoliticiens du XIXième siècle. Les étudiants américains s’imprègnent encore dans les classes de sciences politiques des fondamentaux géopolitiques anglais et allemands de leur époque. La principale question qui revient sans cesse reste comment ruiner l’Empire Russe, et ils regardent encore le monde à travers les yeux des «faucons» du XIXième siècle, quand la Grande-Bretagne a tenté de sauver son hégémonie en déclenchant la Première Guerre mondiale, puis qu’elle a perdu son empire colonial après la seconde guerre mondiale.

Voilà ce qu’étudient toujours les géopoliticiens américains dans le Département d’État et la Maison Blanche , en continuant de regarder le monde à la fois à travers le prisme de la guerre froide, et des confrontations britanniques entre la Russie et l’Allemagne au XIXième siècle ; c’est donc maintenant le tour des États-Unis de vouloir déclencher une autre guerre mondiale.

La combinaison des problèmes objectifs de l’oligarchie financière américaine et de l’étrange état d’esprit des géopoliticiens américains fait peser la menace d’un conflit mondial. Cela n’a strictement rien à voir avec la Crimée. N’importe quel prétexte fera l’affaire.

Nous devons donc agir en fonction des contradictions qui amènent les États-Unis à toute attitude agressive à risque, avec le danger d’une guerre hybride avec le monde entier. Ils ont choisi la Russie comme étant leur objectif principal, et l’Ukraine, occupée par eux, comme étant leur principal moyen de destruction.

Pour survivre dans de telles conditions, arriver à maintenir notre souveraineté et développer notre économie, nous devons construire une large coalition antimilitaire, poursuivre notre stratégie de développement prioritaire, récupérer notre souveraineté financière et économique et continuer l’intégration eurasienne. Pour éviter la guerre, nous devons réaliser l’objectif du président Poutine d’une zone de développement commune de Lisbonne à Vladivostok. Il est très important de convaincre nos partenaires européens, ainsi que nos partenaires d’Extrême-Orient et dans le Sud, que nous avons besoin de coopérer, non pas par le chantage ou bien par des menaces, mais plutôt à travers des projets mutuellement bénéfiques, en combinant nos potentiels économiques tout en respectant la souveraineté de chaque État.

 

Peut-on améliorer les relations avec l’UE et comment ? 

Une condition nécessaire pour coopérer avec l’Union européenne est qu’elle ait rétabli sa souveraineté. Le fait que des politiciens européens soient aller tenir des discours devant la foule de l’euromaïdan comprenant des nazis déchaînés a montré à quel point s’est dégradée la culture politique européenne. Les dirigeants de l’UE ne sont plus indépendants : ils sont devenus de simples marionnettes des États-Unis.

Ceci est dû à une spécificité de l’espace politique de l’UE : il est dominé par les médias américains. Ils ont ancré dans l’esprit du public tout un tas de chimères antirusses, les affolant avec une soi-disant menace russe. Leurs politiciens se retrouvent donc obligés de suivre la ligne médiatique fournie par Washington afin de pouvoir gagner des voix. Cela a conduit à la catastrophe que nous contemplons aujourd’hui à Bruxelles et dans tant d’autres villes européennes, qui se retrouvent tout d’un coup envahies par la peur que leurs gouvernements ne réussissent pas à assurer leur sécurité.

Malheureusement, la souveraineté de l’Europe ne peut être restaurée uniquement par une clarification de l’esprit du public. Ces problèmes ne sont pas apparus d’un seul coup : ils sont le résultat d’une classe politique européenne qui a abandonné tout intérêt national. L’Europe se retrouve confrontée à une période de transition très difficile, au cours de laquelle elle ne peut pas encore devenir un partenaire, mais sera simplement l’ombre de Washington.

Les Européens ont perdu leur boussole. Ils vivent dans une mosaïque, un monde fragmentaire, qui a perdu de vue le système global de relations. Mais la vie va les forcer à revenir à la réalité, et je crois que les traditions démocratiques européennes et l’humanisme européen vont jouer un rôle important dans le retour du bon sens.”

Source : Russia-Insider d’après Lenta, 29/03/2016

Traduction librement adaptée par Didier Arnaud pour www.les-crises.fr, librement reproductible en indiquant la source.

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Source: http://www.les-crises.fr/les-etats-unis-sont-sur-le-chemin-dune-guerre-mondiale-par-serguei-glaziev/


Allemagne : les moteurs de la baisse du chômage, par Romaric Godin

Friday 8 April 2016 at 02:00

Source : La Tribune, Romaric Godin, 31/03/2016

Le taux de chômage au sens national est stable à 6,2 % en mars en Allemagne. (Crédits : © Thomas Peter / Reuters)

Le taux de chômage au sens national est stable à 6,2 % en mars en Allemagne. (Crédits : © Thomas Peter / Reuters)

Le nombre de demandeurs d’emplois a reculé de 87.000 personnes sur un an en mars, en données brutes. Le taux de chômage allemand est le plus bas de l’UE. Quels sont les ressorts qui expliquent cette performance ?

L’emploi allemand demeure le plus vigoureux d’Europe. En mars 2016, le nombre de chômeurs en données brutes et selon la définition de l’agence fédérale de l’Emploi (BA) a reculé de 86.614 personnes à 2,84 millions de demandeurs d’emplois. C’est un recul de 3 % par rapport à mars 2015. En données corrigées des variations saisonnières, le nombre de chômeurs est stable, ce qui met fin à une baisse de cinq mois. Le taux de chômage au sens national est resté stable à 6,2 %, mais au sens de l’Organisation internationale du Travail (OIT), il demeurait en février le plus faible de l’Union européenne avec 4,3 % de la population active.

Malgré les apparences du chiffre brut, le mois de mars n’a donc pas été un grand cru pour l’emploi allemand. Mais il n’en demeure pas moins que le marché du travail allemand reste celui qui a connu l’amélioration la plus spectaculaire de ces dix dernières années. Voici dix ans, en février 2006, le taux de chômage allemand était à 10,5 % au sens de l’OIT, il était même monté à 11,2 % à l’été 2005. La décru est donc spectaculaire. D’autant plus que, la population active a, parallèlement, stagné.

L’effet conjoncturel limité

A l’heure où la France s’interroge sur le fonctionnement de son marché du travail, il n’est pas inutile de rappeler quels ont été les moteurs de cette baisse du chômage outre-Rhin. On peut identifier trois éléments. Le premier est conjoncturel. La croissance allemande s’est montrée depuis 2005 plus vigoureuse en moyenne que celle de la zone euro, à l’exception de 2009. Cette croissance a été un pourvoyeur important d’emplois, notamment dans la construction et l’industrie. Mais, cet effet conjoncturel devient de plus en plus faible. « Depuis la grande récession de 2008 et 2009, les évolutions de la conjoncture et de l’emploi semblent être de plus en plus découplées », souligne la BA dans son bulletin mensuel de ce jeudi 31 mars. Une étude publiée en 2014 estimait que l’impact conjoncturel a été divisé par deux par rapport aux années 1990 et 1970. Ainsi, la force industrielle de l’Allemagne n’est pas le vrai moteur de l’emploi. En un an, en janvier 2016, l’industrie manufacturière a certes créé 89.400 emplois, mais ce n’est que 12,2 % du total des créations.

Le vieillissement de la population

Le deuxième élément expliquant la baisse du chômage allemand est donc structurel. Il s’explique d’abord par une évolution sectorielle liée au vieillissement de la population. Les besoins dans les secteurs des services à la personne, des aides aux personnes âgées et de la santé sont de forts pourvoyeurs d’emploi outre-Rhin. Sur un an, en janvier 2016, pas moins de 207.300 emplois ont été créés dans ces secteurs, soit 28,4 % des emplois créés. Les besoins continuent à être immenses dans ce domaine. Selon les prévisions de l’office fédéral des statistiques, Destatis, la population de plus de 65 ans devrait croître entre 2013 et 2020 de 1,5 million de personnes, puis, entre 2020 et 2030, de 3,5 millions de personnes. Cet élément est structurel, il s’accompagne du reste d’une tension sur le marché du travail du fait de la structure démographique qui soutient le marché du travail. Les sorties massives du marché du travail ont créé un appel d’air qu’il alimente précisément par les besoins qu’il crée. Ce phénomène est naturellement plus lent dans des pays à la démographie plus dynamique et à la protection sociale (publique ou privée) moins développée.

La faiblesse de la productivité dans les services

Un autre moteur des créations d’emplois outre-Rhin réside dans la faiblesse de la productivité du secteur des services. C’est un des apports des « réformes Schröder », mais surtout de la forte modération salariale qui les a accompagnées. Disposant d’une main d’œuvre bon marché et « flexible » en temps, les entreprises des services ont préféré embaucher que d’augmenter leur productivité. Entre 2005 et 2015, la productivité par tête de l’ensemble de l’économie allemande a progressé de 4,8 %. Mais tous les secteurs des services affichent une croissance de la productivité plus faible. Dans le commerce de détail, elle a progressé de 2,3 %, mais dans les services aux entreprises, elle a reculé de 15 % !

Même si la phase de modération salariale est terminée depuis 2013, cette situation de faible productivité perdure. Du coup, ce secteur a créé beaucoup d’emplois sur la période et encore 78.300 entre janvier 2015 et janvier 2016, soit quasi autant que l’industrie. Cette baisse de la productivité liée à une forte modération salariale a été le fer de lance de l’amélioration de la compétitivité allemande dans les années 2005-2010. Avec une conséquence néanmoins au niveau européen. En améliorant par la modération salariale des fournisseurs de services des entreprises la compétitivité externe de ses exportateurs, l’Allemagne a réduit celle de ses “partenaires” de l’union monétaire. Ce qui a conduit à la formation de bulles au sein de l’union monétaire qui ont débouché sur la crise de 2010 et sur une “adaptation” violente qui a créé un fort chômage dans certains pays. Dans une certaine mesure, l’Allemagne a donc « exporté » son chômage vers ces pays. Autre conséquence : la faible productivité dans ces secteurs pourrait conduire à une perte de compétitivité hors coût et à des difficultés d’embauches à terme compte tenu de l’évolution démographique.

Rééquilibrage de l’économie

Enfin, le rééquilibrage en cours de l’économie allemande autour de la consommation des ménages dope l’emploi dans les secteurs du commerce de détail et de l’hôtellerie-restauration. Ce jeudi 31 mars, on a appris la forte hausse de 5,4 % des ventes au détail en février sur un an, une hausse se concentrant précisément sur ces deux secteurs. S’il y a un aspect conjoncturel dans cette progression, on remarque que la fin de la modération salariale depuis 2013 et le quasi plein-emploi permet d’envisager cette forte consommation comme un nouveau « pilier » de l’économie allemande. Logiquement, le secteur de l’hôtellerie-restauration recrute donc aussi beaucoup : 50.000 personnes sur un an en janvier 2016.

Partage accru du temps de travail

Outre la conjoncture et les éléments sectoriels, le dernier élément d’explication de la croissance de l’emploi en Allemagne est le partage du temps de travail. Selon les statistiques publiées par l’institut de recherche de la BA, l’IAB,en mars dernier, le volume d’heures travaillées a progressé en Allemagne de 6,3 % entre 2005 et 2015, mais le nombre de salariés a progressé de 10,8 %. On a donc divisé l’activité pour créer davantage d’emplois. Le nombre d’heures travaillées en moyenne par chaque salarié, en prenant en compte les travaux secondaires, les heures supplémentaires et les arrêts maladies a ainsi, sur cette même période reculer de 2,3 % à 1.303,9 heures annuelles en 2015, soit 30,99 heures par semaine. En incluant tous les actifs, ce nombre d’heures travaillés recule même de 2,9 %.

Une baisse du chômage basée sur les emplois à temps partiel

Le « miracle allemand » de l’emploi est donc celui d’une division accrue du temps de travail. Les salariés travaillent davantage, mais moins longtemps. Le développement des minijobs est un exemple souvent cité pour illustrer ce phénomène, mais l’introduction du salaire minimum fédéral le 1er janvier 2015 a réduit son attrait et le nombre de personne sous ce régime décroît. En revanche, les emplois créés sont encore très majoritairement des emplois à temps partiels. En janvier 2016, 731.000 emplois avaient été créés sur un an et 414.000 d’entre eux, soit 57 % du total étaient des emplois à temps partiel. La tendance est, du reste, très favorable à ces emplois partiels : ils ont progressé entre janvier 2015 et janvier 2016 de 5,2 % contre une hausse de seulement 1,5 % pour les emplois à temps plein.

La baisse du chômage outre-Rhin est surtout fondée sur des emplois à temps partiel. Entre 2005 et 2015, selon l’IAB, le nombre salariés travaillant à temps partiel a progressé de 2,9 millions, tandis que le nombre de salariés travaillant à temps plein est en hausse d’un peu moins d’un million, soit trois fois moins ! Leur proportion sur le total des salariés est passée de 34,3 % à 38,3 %. On constate, du reste, que si le volume d’heures travaillées par des salariés à temps plein a reculé de 0,35 % en dix temps, tandis que le volume d’heures travaillées par des salariés à temps partiel a cru de 10,1 %. Bref, l’essentiel de l’activité nouvelle a été réalisée par des emplois à temps partiel. En Allemagne, les réformes et la flexibilité du marché du travail n’ont donc pas permis de réduire la dualité de ce marché, elle l’a au contraire accrue et ceci ne va pas sans poser de problèmes : plus de 3 millions de salariés souhaiteraient aujourd’hui travailler davantage, selon Destatis. En moyenne, un salarié à temps partiel travaille 19 heures outre-Rhin.

Quelle évolution dans les mois à venir ?

Malgré ces éléments structurels, la situation du marché du travail allemand pourrait se stabiliser, voire ensuite se dégrader tout en restant à un niveau de chômage très faible. Le sous-indice emploi de l’enquête IFO a montré une détérioration ces derniers mois. La situation actuelle de l’industrie allemande n’est pas claire, mais le ralentissement des pays émergents pourrait l’amener à créer moins d’emplois. La hausse des salaires devrait se poursuivre et inciter les chefs d’entreprise à jouer davantage sur les gains de productivité et moins sur les embauches. Enfin, comme le souligne le bulletin mensuel de la BA, l’entrée progressive sur le marché du travail des réfugiés arrivés en 2015 en Allemagne devrait « être progressivement de plus en plus visible. » En mars, on a compté outre-Rhin 54.000 étrangers non-européens au chômage, une hausse de 78,9 % sur un an… La BA assure cependant que les effets à terme de cette immigration pourraient être positifs sur un marché du travail où l’on identifie de plus en plus de manque de main d’œuvre.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 31/03/2016

Source: http://www.les-crises.fr/allemagne-les-moteurs-de-la-baisse-du-chomage-par-romaric-godin/


La Doctrine Obama [5/5] : L’action directe ou l’inaction

Friday 8 April 2016 at 00:01

Cette série de 5 billets est une traduction d’un article de Jeffrey Goldberg, qui a interviewé à de multiples reprises Obama pour le rédiger.

C’est une sorte de “Testament diplomatique”, où il fait le bilan des décisions les plus difficiles qu’il a dû prendre concernant le rôle de l’Amérique dans le monde.

Merci aux contributeurs qui ont traduit ce très long article.

Obama a fermement résisté aux demandes de Kerry, et semblait ressentir une impatience grandissante face à son lobbying. Récemment, lorsque Kerry tendit un résumé écrit des futures étapes pour mettre plus de pressions encore sur Assad, Obama dit : « Ho, une autre proposition ? » Des représentants de l’administration m’ont dit que le vice-président Biden également commençait à être irrité des demandes de Kerry pour plus d’action. Il a dit en privé au Secrétaire d’État : « John, tu te souviens du Vietnam ? Tu te souviens comment ça a commencé ? » Lors d’une réunion du Conseil sur la sécurité nationale se tenant au Pentagone en décembre, Obama annonça que personne, excepté le secrétaire à la Défense, ne devrait lui amener des propositions pour une action militaire. Les officiels du Pentagone comprirent que la déclaration d’Obama était une remarque directement adressée à Kerry.

Obama a fait le pari que le prix d’une action directe en Syrie serait supérieure à celui de l’inaction.

Un jour en janvier, dans le bureau de Kerry au Département d’État, j’exprimai l’évidence : Il avait plus qu’un parti pris à l’égard de l’action menée par le président.

« Probablement, » a reconnu Kerry. « Ecoutez, sur ces choses il a le dernier mot… Je dirais que je pense que nous avons eu une relation très symbiotique, synergique, ou peu importe comment vous appelez ça, qui fonctionne très efficacement. Parce que je viendrai avec un parti pris “Essayons de faire ceci, essayons de faire ça, faisons ça.” »

La prudence d’Obama en Syrie a vexé ceux qui dans l’administration avaient vu des occasions, à différents moments durant les quatre dernières années, de préparer le terrain contre Assad. Certains pensaient que la décision de Poutine de combattre au nom d’Assad aurait décidé Obama à intensifier les efforts américains pour aider les rebelles anti-régime. Mais Obama, au moins au moment de l’écriture de ces lignes, ne bougerait pas, en partie parce qu’il pensait que ce n’était pas à lui d’empêcher la Russie de faire ce qu’il jugeait une terrible erreur. « Ils sont débordés, ils saignent, » me dit-il. « Et leur économie s’est contractée durant trois années de suite, de façon drastique. »

Obama rencontre le roi de Jordanie Abdullah II à la Maison-Blanche en février 2015.

Durant les dernières réunions du Conseil de sécurité nationale, la stratégie d’Obama se référait occasionnellement à “l’approche Tom Sawyer”. La vision d’Obama était que si Poutine voulait dépenser les ressources de son régime en allant peindre les clôtures en Syrie, le gouvernement américain devrait les laisser faire. Plus tard durant l’hiver, cependant, lorsqu’il apparut que la Russie réalisait des avancées dans sa campagne pour solidifier le régime d’Assad, la Maison-Blanche commença à discuter des possibilités de renforcement de l’aide aux rebelles, toutefois l’hésitation du président sur un engagement plus intensif persista. Lors de conversations que j’eus avec des membres du Conseil pour la sécurité nationale durant les deux derniers mois, j’eus le pressentiment qu’un événement – une autre attaque du style de San Bernardino par exemple – forcerait les États-Unis à prendre des mesures nouvelles et plus directes en Syrie. Pour Obama, ce serait un cauchemar.

S’il n’y avait pas eu l’Irak, l’Afghanistan et la Libye, me dit Obama, il aurait peut-être été plus prompt à prendre des risques en Syrie. « Un président ne prend pas de décisions dans le vide. Il n’a pas une ardoise vierge. Tout président sensé, je pense, reconnaîtrait qu’après une décennie de guerre, avec des obligations qui requièrent encore aujourd’hui un important niveau de ressources et d’attention en Afghanistan, avec l’expérience de l’Irak, avec le stress que cela met sur notre armée – tout président sensé hésiterait à s’engager à nouveau dans la même région du globe avec les mêmes dynamiques à l’œuvre et probablement la même issue insatisfaisante. »

Etes-vous trop prudent ?, demandais-je.

« Non, » dit-il. « Est-ce que je pense que si nous n’avions pas envahi l’Irak et n’étions pas toujours engagés à envoyer des milliards de dollars, de nombreux formateurs et conseillers militaires en Afghanistan, j’aurais pu penser prendre davantage de risques afin d’essayer d’aider à l’amélioration de la situation en Syrie ? Je ne sais pas. »

Ce qui me frappa est que, alors même que son secrétaire d’État l’avertit à propos d’une dramatique apocalypse européenne alimentée par la Syrie, Obama n’avait pas fait basculer la guerre civile du pays dans la catégorie des menaces prioritaires.

L’hésitation d’Obama à rejoindre la bataille en Syrie est relevée comme une preuve par ses détracteurs de sa trop grande naïveté ; sa décision de 2013 de ne pas envoyer les missiles est une preuve, avancent-ils, qu’il est un bluffeur.

Cette critique irrite le président. « Plus personne ne se souvient de ben Laden, » dit-il. « Plus personne ne me parle du fait que j’ai mobilisé 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan. » La crise de la ligne rouge, dit-il, « est le point de la pyramide inversée sur lequel toutes les autres théories reposent. »

Un après-midi à la fin de janvier, alors que je quittais le bureau ovale, je fis allusion auprès d’Obama à un moment d’une interview de 2012 lorsqu’il m’avait dit qu’il n’autoriserait pas l’Iran à obtenir l’arme nucléaire. « Vous avez dit, “Je suis le président des États-Unis, je ne bluffe pas.” »

Il dit, « Je ne bluffe pas. »

Peu de temps après cette interview, il y a quatre ans, Ehud Barak, qui était alors le ministre de la Défense d’Israël, me demanda si je pensais que la promesse d’Obama de ne pas bluffer était elle-même un bluff. Je répondis que je trouvai cela difficile à imaginer que le leader des États-Unis blufferait à propos de quelque chose de si important. Mais la question de Barak ne me quitta pas. Donc, alors que je me trouvais sur le pas de la porte avec le président, je demandai : «Était-ce du bluff ? » Je lui dis que certaines personnes aujourd’hui pensaient qu’il aurait bien attaqué l’Iran pour l’empêcher d’obtenir l’arme nucléaire.

« C’est intéressant, » dit-il, de manière évasive.

Je commençais à dire : « Est-ce que vous… »

Il m’interrompit. “Je l’aurais vraiment fait,” dit-il, sous-entendant le bombardement des installations nucléaires iraniennes. “Si je les avais vues se développer.”

Il ajouta : “La question est maintenant insoluble, parce que c’est complètement conjoncturel, ce que constitue l’obtention” de la bombe. “C’était la dispute que j’avais avec Bibi Netanyahou.” Netanyahou voulait qu’Obama empêche l’Iran d’être capable de construire une bombe, et non simplement d’avoir une bombe.

“Vous aviez raison de le croire,” dit le président. Et il  a ajouté l’élément capital. “Ceci entrait dans la catégorie des intérêts américains.”

Je me suis alors souvenu de ce que Derek Chollet, un ancien membre du Conseil de la sécurité nationale, m’avait dit : “Obama est un parieur, pas un bluffeur.”

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Le président avait joué très gros. En mai dernier, alors qu’il tentait de faire passer l’accord nucléaire iranien devant le Congrès, je lui dis que cet accord me rendait nerveux. Sa réponse était éloquente. “Écoutez, dans 20 ans, si Dieu le veut, je serais encore là. Si l’Iran a une arme nucléaire, mon nom sera là-dessus,” dit-il. “Je pense qu’il est juste de dire qu’en plus de nos intérêts profonds de sécurité nationale, j’ai un intérêt personnel à bien verrouiller tout cela.”

Au sujet du régime syrien et de ses soutiens iraniens et russes, Obama avait parié, et semblait prêt à continuer à parier que le prix d’une intervention américaine directe serait plus élevé que le prix de l’inaction. Et il est suffisamment sanguin pour vivre avec les ambiguïtés périlleuses de ses décisions. Bien qu’Obama ait dit, lors de son discours du prix Nobel de la paix 2009, que “l’inaction déchire notre conscience et peut amener à une intervention plus coûteuse par la suite,” aujourd’hui les opinions des interventionnistes humanitaires ne le touchent pas, du moins pas publiquement. Il sait certainement que la prochaine génération de Samantha Power critiquera sa réticence à faire plus pour arrêter la boucherie en cours en Syrie. (A ce sujet, Samantha Power sera aussi critiquée par la prochaine Samantha Power.) À l’approche de la fin de son mandat, Obama croit qu’il a fait un grand cadeau à son pays en restant en dehors du maelström – et je soupçonne qu’il croit qu’un jour, les historiens le jugeront sage pour cela.

Les collaborateurs de l’aile Ouest de la Maison-Blanche [The West Wing, titre d’un feuilleton sur la vie quotidienne du président et de ses collaborateurs, NdT] disent d’Obama, comme président ayant hérité de son prédécesseur d’une crise financière et de deux guerres actives, qu’il souhaite vivement laisser “des affaires en ordre” à quiconque lui succédera. Voilà pourquoi le combat contre l’ÉI, un groupe qu’il considère comme une menace directe contre les États-Unis, quoique non existentielle, est la priorité la plus urgente du reste de son mandat ; tuer le soi-disant calife de l’État Islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, est un des objectifs prioritaires de l’appareil de sécurité nationale américain pour la dernière année d’Obama.

Bien entendu, l’ÉI doit en partie son existence au régime d’Assad. Pourtant selon les normes exigeantes d’Obama, le maintien du régime d’Assad pour le moment ne s’élève pas au niveau d’un défi direct à la sécurité nationale américaine.

Voilà ce qui est si controversé dans l’approche du président, et qui restera controversé pour des années encore – la norme qu’il a utilisée pour définir ce qui, précisément, constitue une menace directe.

Obama a tiré un certain nombre de conclusions cohérentes sur le monde, et sur le rôle qu’y tient l’Amérique. La première est que le Moyen-Orient n’est plus extrêmement important pour les intérêts américains. La deuxième est que même si le Moyen-Orient était nettement plus important, il n’y aurait pas grand-chose qu’un président américain puisse faire pour l’améliorer. La troisième est que le désir inné des Américains de remédier aux problèmes de la sorte de ceux qui se manifestent le plus radicalement au Moyen-Orient amène inévitablement à la guerre, à la mort de soldats américains, et à la perte éventuelle de la crédibilité et de la puissance des États-Unis. La quatrième est que le monde ne peut se permettre une diminution du pouvoir des États-Unis. Au moment où les dirigeants de plusieurs alliés américains jugeaient que la direction d’Obama n’était pas à la hauteur des tâches à mener, il a trouvé lui-même la direction du monde insuffisante : des partenaires internationaux généralement sans vision ni volonté pour poursuivre des objectifs progressistes de grande ampleur, et des adversaires qui dans son esprit, ne sont pas aussi rationnels que lui. Obama est convaincu que l’histoire prend parti, et que les adversaires de l’Amérique – et certains de ses alliés potentiels – se sont placés eux-mêmes du mauvais côté, celui où fleurissent le tribalisme, le fondamentalisme, le sectarisme et le militarisme. Ils ne comprennent pas que l’histoire va dans son sens.

“L’argument central est qu’en empêchant l’Amérique de plonger au milieu des crises du Moyen-Orient, le personnel des Affaires étrangères pense que le président précipite notre déclin,” m’a dit Ben Rhodes. “Mais le président de son côté est de l’opinion contraire, à savoir que l’extension excessive au Moyen-Orient nuira à notre économie, à notre capacité à trouver d’autres opportunités et relever d’autres défis, et, surtout, mettra en danger les vies des membres des services américains pour des raisons qui ne sont pas dans l’intérêt direct de la sécurité nationale américaine.”

Si vous soutenez le président, sa stratégie est éminemment sensée : doubler la mise dans les parties du monde où le succès est plausible, et limiter l’exposition américaine pour le reste. Ses critiques pensent toutefois que les problèmes tels que ceux du Moyen-Orient ne se résolvent pas d’eux-mêmes – que sans intervention américaine, ils métastasent.

À cet instant, la Syrie, où l’histoire semble pencher vers toujours plus de chaos, constitue le défi le plus direct à la conception du monde du président.

George W. Bush était aussi un parieur, pas un bluffeur. On se souviendra de lui sévèrement pour ce qu’il a fait au Moyen-Orient. Barack Obama parie qu’il sera bien jugé pour les choses qu’il n’a pas faites.

Source : The Atlantic, le 09/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Source: http://www.les-crises.fr/la-doctrine-obama-55-laction-directe-ou-linaction/


Référendum sur l’Ukraine : les Pays-Bas disent « Non » à 61%

Thursday 7 April 2016 at 00:40

Pour mémoire, c’est le 1er référendum d’initiative populaire des Pays-Bas, ce droit ayant été concédé en juillet 2015.

Ces référendums sont simplement consultatifs, et doivent obtenir 30 % des voix pour êtres valides (pourquoi me direz-vous, vu que c’est consultatif – hmmm, no sé…), ce qui a été le cas.

Aucune inquiétude, ça va sûrement être contourné (pour le moment, le Premier Ministre a dit qu’il allait suspendre le processus de ratification, mais on voit le genre : négociations, re-vote etc…), mais bon, tout démocrate devrait être ravi ce soir (quel qu’en ait été le résultat d’ailleurs…).

Vivement qu’ils en fassent un sur le TAFTA, ce sera drôle…

Source : Le Soir, 06/04/2016

Il s’agit d’un nouveau camouflet infligé à la construction européenne.

Le référendum néerlandais sur l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne est valide, a affirmé mercredi soir l’agence de presse néerlandaise ANP.

Se fondant sur les résultats de 191 municipalités, l’ANP prévoit une victoire du non avec 61% des voix, contre presque 38% pour les partisans de cet accord, avec une participation de 32 %, dépassant les 30% nécessaire pour la validation du scrutin. [NB. Résultat définitif]

« Crise européenne »

Le référendum — dont les organisateurs admettent qu’il ne concerne pas l’Ukraine mais répond à une animosité plus large envers l’UE — était suivi de près par les Européens, Kiev et Moscou. Les résultats seront également examinés à la loupe en Grande-Bretagne, quelques mois avant le vote de juin sur une sortie de l’Union européenne, surnommée «Brexit».

Le Premier ministre libéral Mark Rutte, qui a voté dans une école primaire de La Haye, avait appelé dans la journée ses concitoyens à approuver l’accord, qui vise à renforcer le dialogue politique ainsi que les échanges économiques et commerciaux entre l’UE et l’Ukraine.

«Nous devons aider l’Ukraine à bâtir un Etat de droit, à construire sa démocratie, à soutenir ses minorités, notamment les juifs, et la communauté homosexuelle», a-t-il lancé. «L’Europe a besoin de stabilité à ses frontières extérieures».

OB : Bon, moi il me semblait que le souci MAJEUR était actuellement surtout avec la minorité russe, mais bon, je suis un peu bête…

Les Pays-Bas sont le dernier pays de l’UE à ne pas avoir ratifié l’accord, qui a cependant reçu le feu vert du Parlement. Le vote de mercredi n’est pas contraignant mais un non «pourrait ouvrir la voie à une crise européenne», avait prévenu le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Source : Le Soir, 06/04/2016

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Source : Jean Quatremer, Libération, 07/04/2016

Les Pays-Bas vers le «Nederxit» ?

Plus de 12 millions de Néerlandais votaient mercredi sur l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine. Le «non» massif a des allures de coup de tonnerre…

Après le «Grexit», évité de justesse en juillet 2015, et le possible «Brexit» à venir (le 23 juin), le «Nederxit» ?

OB : Mais on va se demander QuiRestexit en fait…

En effet, selon les sondages de sortie des urnes, les citoyens néerlandais ont voté, ce mercredi, par 64 % contre 36 % contre la ratification de l’accord d’association entre l’Europe et l’Ukraine. Même si la consultation ne portait pas directement sur l’appartenance à l’Union des Pays-Bas, l’un des six membres fondateurs de la construction communautaire, c’était bien la question qui était posée en filigrane. Cette réponse négative pourrait ouvrir une nouvelle crise européenne, une de plus, «à l’échelle continentale», selon l’expression de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, si le taux de participation dépasse les 30 % requis pour que le référendum soit validé (l’estimation à 21 heures se situait entre 29 et 32 %).

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Résultat définitif : Participation 32 %, Non : 61 %

Cette consultation d’initiative populaire, une première, ce droit ayant été seulement reconnu en juillet 2015, a été lancée par le collectif GeenPeil («pas de sondage») qui rassemble deux think tanks eurosceptiques et le site GeenStijl.nl, afin d’obtenir l’annulation de la loi néerlandaise autorisant la ratification de l’accord d’association. Il fallait, pour l’organiser, réunir 300 000 signatures, objectif largement atteint avec 428 000 paraphes obtenus en six semaines seulement. L’extrême droite (PVV de Geert Wilders qui est en tête des intentions de vote dans les sondages), la gauche radicale (SP) et le «Parti pour les animaux» (PvdD), en bref tout ce que ce pays compte comme partis europhobes, se sont joints à cette campagne. Car, même si ce référendum est en théorie consultatif, le Parlement néerlandais sera politiquement obligé d’en tenir compte si, au final, la participation dépasse bien les 30 %.

La campagne du «non», comme celle qui a eu lieu en 2005 aux Pays-Bas sur le traité constitutionnel européen (non à 61,5%), a fait feu de tout bois et a été particulièrement virulente dans un pays travaillé par l’euroscepticisme et par la défiance à l’égard des partis politiques de gouvernement, à l’image de ce qui se passe ailleurs en Europe : crainte d’un possible élargissement de l’Union à l’Ukraine, peur d’être envahi par les travailleurs ukrainiens, dénonciation de la corruption endémique de ce pays (le président Petro Porochenko est impliqué dans le scandale des Panama papers), rappel de la catastrophe du Boeing MH-17 de la Malasya Airlines abattu en juillet 2014 au-dessus de l’Ukraine et qui transportait de nombreux Néerlandais, rejet l’euro, des migrants, des réfugiés, peur qu’un super-Etat européen raye de la carte le pays et bien sûr critique du bilan du gouvernement libéral-social-démocrate de Mark Rutte…

OB : In-com-pré-hen-sible qu’ils aient voté non…

Une Union européenne ingouvernable ?

Cette addition des peurs et des mécontentements a finalement, comme on pouvait le craindre, débouché sur un non massif. D’autant que les partisans du «oui», essentiellement les partis de gouvernement, ont eu du mal à faire entendre leurs arguments sur un texte extrêmement technique qui vise à créer une zone de libre-échange entre Kiev et l’Union afin d’aider économiquement ce pays ravagé par la guerre.

C’est bien entendu un mensonge : bien entendu, la zone de libre est prévue dans les négociations depuis des années, et elle n’a aucunement pour but d’aider ce pays ravagé par la guerre – vu qu’elle a justement été déclenchée au final par ce funeste traité…

Mais c’est comme avec la Turquie : si on commençait par un référendum de principe pour ouvrir les négociations, ça éviterait les problèmes des années après vu qu’on n’en veut pas…

Enfin, si le texte est une horreur de centaines de page, n’importe qui comprend bien ce que veut dire “libre échange” avec un pays dont le salaire minimal tourne autour de 50 € par mois…

Surtout, après avoir eux-mêmes pratiqué la critique tous azimuts de l’Europe à des fins électorales, ils ont été pris à leur propre piège… Comment mobiliser un électorat que l’on a consciencieusement éloigné de l’Europe ? Ce n’est donc pas un hasard si les Néerlandais se sont massivement désintéressés de ce scrutin et si ce sont les partisans du «non» qui se sont mobilisés afin de le transformer en un vote de défiance à l’égard de l’Union, un argument autrement plus vendeur que l’accord d’association proprement dit. Un pari gagné.

Quelles seront les conséquences de ce refus populaire, si le seuil des 30 % est finalement atteint ? En bonne logique, le Parlement néerlandais devrait le dénoncer, ce qui rendrait ce texte caduc, puisque l’unanimité des États est requise dans ce domaine. Un «opt out» néerlandais, envisagé par certains responsables néerlandais, serait difficile à appliquer puisque le pays restant dans l’Union, les marchandises, les services, les capitaux et les hommes continueront à circuler librement. Techniquement, rétablir des contrôles aux frontières néerlandaises afin de bloquer tout ce qui provient d’Ukraine est impossible, car cela constituerait une violation des règles du marché intérieur et de Schengen. La seule option semble donc être la dénonciation de l’accord d’association, ce qui risque de déstabiliser davantage l’Ukraine…

En réalité, l’irruption de la démocratie directe dans le champ de la politique commerciale et des relations extérieures de l’Union va réduire à néant toutes ses marges de manœuvre, les traités internationaux pouvant désormais être remis en cause, à tout moment, par un seul pays.

Le risque de contagion est énorme : les partis populistes d’autres pays auront beau jeu de réclamer les mêmes droits que les Néerlandais au nom de la démocratie.

Moi j’aurais dit “n’importe quel parti démocratique”, mais bon…

D’ailleurs, ce n’est pas censé être ça “l’harmonisation européenne”, “plus de Démocratie”, “plus de droits”, toutçatoutça ?

Mais bon, c’est vrai que, finalement, un parti qui demande que le peuple vote, est populiste, étymologi7quement. Les autres sont élitistes.

En clair, l’Union deviendrait imprévisible et partant ingouvernable. En outre, le vote négatif néerlandais va renforcer les partisans d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, ceux-ci trouvant là à la fois un argument supplémentaire sur le refus des peuples de poursuivre l’aventure européenne et sur sa paralysie annoncée…

Enfin, à plus long terme, c’est la place des Pays-Bas au cœur de la construction communautaire qui est désormais posée : les europhobes néerlandais ne désespèrent pas de pouvoir organiser à terme un référendum sur une sortie de leur pays de l’Union, comme le souhaite le PVV qui caracole actuellement en tête des sondages, tout comme le FN en France, son parti frère.

OK, la pub pour le FN a bien été faite (normal quand on parle d’un référendum néerlandais), tout va bien

Or, un «Nederxit» serait autrement plus mortel pour l’Union qu’un «Brexit», le Royaume-Uni bénéficiant déjà de nombreuses dérogations à la différence des Pays-Bas.

Tiens, ça, ça sent le sapin à cause du Brexit non ?

Dire qu’à Bruxelles on est inquiet est un euphémisme.

#UEDelendaEst

Source : Jean Quatremer, Libération, 07/04/2016

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Conclusion :

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Peuple sage : peuple votant comme M. Quatremer #DémocratieToutCourt

Vous allez voir qu’ils vont dire que ce sont les Pays-Bas qui déstabilisent l’Ukraine maintenant – alors qu’il y a 5 ans, seuls des défoncés au cracks auraient imaginé que cette ex-République de l’URSS quasi-recordman mondial de la corruption se joindrait à l’UE. L’UE : “Ils sont venus, Ils ont merdé, C’est de votre faute…”

Bonus qui n’a rien à voir, mais on prend quand même :

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P.S. : Bonus 2 : on voit que les médias se sont mobilisés sur le sujet – ce soir à 0h40 :

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Source: https://www.les-crises.fr/referendum-sur-lukraine-les-pays-bas-disent-non-a-61/


Google avait l’intention d’aider les rebelles syriens à affaiblir le régime d’Assad, révèlent les mails d’Hillary Clinton

Thursday 7 April 2016 at 00:20

Source : Independent, le 22/03/2016

Un des outils interactifs de Google aurait été destiné à encourager les désertions au sein du gouvernement d’Assad, laissent présumer des mails obtenus par Wikileaks

Doug Bolton | mercredi 23 mars 2016

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Hillary Clinton témoignant devant la commission parlementaire sur les évènements de Benghazi en 2012 | Chip Somodevilla/Getty Images

Un outil interactif créé par Google a été conçu pour encourager les rebelles syriens et faciliter la chute du régime d’Assad, révèlent encore les mails d’Hillary Clinton.

En pistant et cartographiant les désertions internes des dirigeants syriens, il aurait été destiné à encourager plus de personnes à déserter et à “avoir confiance” en l’opposition rebelle.

Il a été prétendument décrit comme une “plutôt bonne idée” par le conseiller supérieur de Clinton, Jake Sulllivan, et Google a dit qu’il avait demandé l’aide d’Al Jazeera pour la diffusion de l’outil en Syrie.

Quelques milliers de mails personnels d’Hillary Clinton ont été publiés et répertoriés par Wikileaks, et plusieurs révèlent des faits intéressants, notamment les relations qu’entretiennent le département d’État et d’importantes sociétés.

L’email détaillant l’existence du pisteur de désertion de Google viendrait de Jared Cohen, conseiller de Clinton jusqu’en 2010 et dorénavant président de Jigsaw, anciennement Google Ideas, un groupe de réflexion politique de la société, basé à New York.

Dans un mail de juillet 2012 aux membres de l’équipe de Clinton, dont la parution par Wikileaks présume qu’il a été transmis plus tard à la secrétaire d’État elle-même, Cohen déclarerait : “Mon équipe prévoit d’envoyer un programme ce dimanche qui enregistrera et établira la carte publique des désertions en Syrie en précisant les responsabilités gouvernementales des déserteurs.”

“Notre logique sous-jacente est la suivante : alors que beaucoup de personnes suivent la trace des atrocités, personne ne représente visuellement ni ne cartographie les désertions, ce que nous pensons être important pour encourager plus de désertions et donner confiance à l’opposition.”

Le mail annonce que Google “s’associerait avec Al Jazeera” qui prendrait “la principale propriété” du programme, l’entretenant et le diffusant en Syrie.

Cohen demanda à l’équipe de Clinton de lui dire s’il n’y avait rien que la société [Jigsaw] avait besoin de prévoir avant de lancer le programme, avant d’ajouter : “Nous croyons que cela peut avoir une réelle incidence.”

La visualisation fut finalement publiée par Al Jazeera en anglais et en arabe, et le site de Jigsaw déclara qu’il est devenu l’une des visualisations les plus consultées du site.

Sur le site, un post à propos du programme déclare qu’il a montré avec succès les “tendances et modèles” des soutiens du régime, mais ne fait aucunement mention d’une stimulation des désertions ou d’aide à l’opposition.

Wikileaks a précédemment été responsable de la publication des liens entre Google et des membres haut placés du Département d’État, et le livre When Google Met Wikileaks de 2014 du fondateur Julian Assange accuse la société d’aider à promouvoir la politique étrangère du gouvernement des États-Unis.

Comme le Daily Mail le rappelle, la nouvelle est apparue simultanément à la révélation par Google de ses plans pour développer l’accès à internet à Cuba, et coïncide avec la visite historique de Barack Obama sur l’île.

Les avis de Clinton sur les projets de Google n’ont pas été révélés par le communiqué de WikiLeaks, mais elle aurait ordonné à un assistant d’imprimer les mails de Cohen pour des références ultérieures.

Google n’a pas fourni de commentaire.

Source : Independent, le 22/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/google-avait-lintention-daider-les-rebelles-syriens-a-affaiblir-le-regime-dassad-revelent-les-mails-dhillary-clinton/


La Doctrine Obama [4/5] : L’Asie et la Russie

Thursday 7 April 2016 at 00:01

Cette série de 5 billets est une traduction d’un article de Jeffrey Goldberg, qui a interviewé à de multiples reprises Obama pour le rédiger.

C’est une sorte de “Testament diplomatique”, où il fait le bilan des décisions les plus difficiles qu’il a dû prendre concernant le rôle de l’Amérique dans le monde.

Merci aux contributeurs qui ont traduit ce très long article.

« Tous les présidents ont des forces et des faiblesses, » répondit-il. « Et il ne fait aucun doute qu’il y eut des moments où je ne fus pas assez attentif aux sentiments, aux émotions et à la politique en communiquant ce que nous faisions et comment nous le faisions. »

Mais pour que l’Amérique soit performante comme leader du monde, continua-t-il, « Je crois que nous devons éviter d’être simplistes. Je pense que nous devons renforcer la capacité de résistance et s’assurer que nos débats politiques sont ancrés dans la réalité. Ce n’est pas que je n’apprécie pas la valeur du théâtre dans les communications politiques ; c’est que les habitudes que nous avons – les médias et politiciens – et la façon dont nous parlons de ces questions, sont souvent si éloignées de ce dont nous aurions besoin de faire, que, pour moi, satisfaire la frénésie des programmes d’information sur le câble nous mènerait à prendre de plus en plus de décisions. »

APEC Philippines CEO Summit

Obama avec Jack Ma, le président d’Alibaba, au sommet de l’APEC dans les Philippines en novembre dernier – quelques jours après que l’État Islamique a tué 130 personnes à Paris.

Alors que Air Force one commençait sa descente sur Kuala Lumpur, le président fit allusion aux efforts victorieux conduits par les États-Unis pour stopper l’épidémie d’Ébola en Afrique de l’Ouest comme un bon exemple de gestion continue et mesurée d’une crise terrifiante.

« Durant les deux mois où tout le monde était convaincu qu’Ébola allait détruire la planète et qu’il y avait une couverture médiatique 24h/24 – 7j/7, si j’avais alimenté la panique ou, d’une façon ou d’une autre, m’étais éloigné de « Voici les faits, voici ce qui doit être fait, voici comment nous gérons la situation, la probabilité que vous attrapiez Ébola est très faible, et voici ce que nous devons faire sur le territoire national et à l’étranger pour endiguer cette épidémie », puis « peut-être que les gens auraient dit “Obama prend cela vraiment au sérieux” » mais alimenter la panique en sur-réagissant aurait pu arrêter les voyages vers et depuis les pays africains qui étaient déjà incroyablement faibles, d’une façon qui aurait pu détruire leur économie – ce qui aurait probablement signifié, parmi d’autres choses, une récurrence d’Ébola. Il ajouta : « Cela aurait également signifié que nous aurions gâché une importante quantité de ressources dans nos systèmes de santé public normalement consacrées aux vaccinations et aux autres causes qui tuent réellement les gens » en grand nombre en Amérique.

L’avion atterrit. Le président, allongé dans le fauteuil de son bureau sans sa veste et la cravate de travers, n’a pas eu l’air de le remarquer. Dehors, sur le tarmac, je pouvais voir ce qui semblait être une importante partie des forces armées malaisiennes assemblées pour l’accueillir. Comme il continuait de parler, j’ai commencé à m’inquiéter que les soldats et les dignitaires qui l’attendaient prennent chaud. « Je pense que nous sommes en Malaisie, » dis-je.

Il concéda que cela était vrai, mais ne semblait pas être pressé, donc je lui demandais d’expliquer sa réaction publique au terrorisme : s’il montrait plus d’émotion, cela ne calmerait-il pas les gens plutôt que de les agacer ?

« J’ai des amis qui ont des enfants à Paris actuellement, » dit-il. « Et vous et moi et un bon nombre de personnes qui écrivent sur ce qui s’est passé à Paris ont arpenté les mêmes rues où les gens ont été tués. Et il est normal d’avoir peur. Et il est important pour nous de ne jamais être complaisants. Il y a une différence entre résistance et complaisance. » Il décrit une autre différence – entre prendre des décisions mûrement réfléchies et les prendre dans la précipitation, sous le coup de l’émotion. « Ce que cela signifie, en réalité, c’est que vous voulez tellement bien arranger les choses et vous n’allez céder à aucune réponse impétueuse, voire dans certains cas, fabriquée qui sonne bien mais ne produit aucun résultat. Les enjeux sont trop élevés pour jouer ce genre de jeux. »

« L’Etat Islamique n’est pas une menace existentielle aux Etats-Unis. Le changement climatique est une menace existentielle potentielle dans le monde entier, si nous ne faisons pas quelque chose. »

Sur ce, Obama se leva et dit : « Ok, on doit y aller. » Il sortit de son bureau et descendit de l’avion, sur le tapis rouge, devant les gardes d’honneur et le parterre d’officiels malaysiens réunis pour l’accueillir, puis dans sa limousine armoriée, s’envola vers Kuala Lumpur. (Au début de son premier mandat, toujours peu accoutumé aux opérations militaires d’envergure qui emmènent un président d’un endroit à un autre, il faisait remarquer avec une pointe d’humour : « J’ai la plus grosse empreinte carbone du monde. »)

Le premier arrêt du président était un autre de ces événements destinés à mettre en lumière son tour d’Asie, celui-là, une assemblée publique d’étudiants et entrepreneurs membres de l’administration de Young Southeast Asian Leaders Initiative (Action des jeunes leaders d’Asie du Sud-Est). Obama entra dans la salle de conférence de l’université Taylor sous un tonnerre d’applaudissements. Il fit un petit discours d’ouverture, puis charma son audience avec une longue séance de questions/réponses.

Mais ceux d’entre nous qui regardaient la section presse furent distraits par les nouvelles arrivant sur nos téléphones au sujet d’une nouvelle attaque djihadiste, cette fois au Mali. Obama, occupé à envouter les entrepreneurs asiatiques, n’avait aucune idée de ce qui se passait. Il ne le sut que lorsque Susan Rice lui dit une fois dans la limousine.

L’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unis, Samantha Power (à gauche), et le Secrétaire d’État John Kerry (au centre), écoutant Obama parlé de l’épidémie d’Ébola en septembre 2014.

Plus tard dans la soirée, je rendis visite au président dans sa suite du Ritz-Carlton dans le centre de Kuala Lumpur. Les rues autour de l’hôtel avaient été fermées. Les véhicules armoriés encerclaient le bâtiment ; le hall était rempli d’équipes du SWAT. Je pris l’ascenseur jusqu’à un étage plein d’agents des services secrets, qui m’indiquèrent un escalier ; l’ascenseur de l’étage d’Obama avait été désactivé pour raison de sécurité. Deux étages plus haut, dans un couloir avec plus d’agents encore. Un moment d’attente, puis Obama ouvrit la porte. Ses deux suites étaient étranges : des rideaux et des divans surchargés. C’était immense, triste et catastrophique tout à la fois.

« C’est comme le Hearst Castle, » [gigantesque propriété du magnat de la presse William Randolph Hearst, NdT], observai-je.

« Eh bien, c’est loin de Hampton Inn à Des Moines, » [hôtel à des Moines, Iowa, NdT], dit Obama.

La chaîne ESPN était en fond sonore.

Lorsqu’il s’assit, je soulignais au président un défi majeur de son tour d’Asie. Plus tôt dans la journée, au moment où il était en train d’essayer d’encourager un groupe d’entrepreneuses indonésiennes talentueuses et enthousiastes portant le hijab, l’attention fut détournée par la dernière attaque terroriste islamiste.

Ecrivain dans l’âme, il eut une suggestion : « C’est probablement une façon assez simple de commencer une histoire, » dit-il, se référant à cet article.

Peut-être, dis-je, mais c’est une astuce assez facile.

« C’est facile, mais ça fonctionne, » dit Obama. « Nous parlons à ces enfants, et là, il y a cette attaque qui survient. »

L’écran partagé du jour entraîna une conversation au sujet de deux récentes réunions qu’il avait tenues, une qui avait généré une contestation internationale majeure et des gros titres, et une qui passa inaperçue. Celle qui attira tant d’attention sera en définitive jugée comme ayant le moins de conséquences, suggérai-je. C’était le sommet du Golfe en mai 2015 à Camp David, destiné à apaiser les cheikhs et princes en visite, qui craignaient l’accord imminent avec l’Iran. L’autre réunion s’était déroulée deux mois plus tard, dans le bureau ovale, entre Obama et le secrétaire général du parti communiste vietnamien, Nguyen Phu Trong. Cette réunion n’avait lieu que parce que John Kerry avait poussé la Maison-Blanche à violer le protocole, puisque le secrétaire général n’était pas un chef de l’État. Mais les objectifs l’emportèrent sur le décorum : Obama voulait mettre la pression sur les Vietnamiens concernant l’Accord de partenariat trans-pacifique – ses négociateurs avaient arraché la promesse des Vietnamiens qu’ils légaliseraient les syndicats indépendants – et il souhaitait approfondir la coopération sur les questions stratégiques. Les représentants de l’administration m’avaient suggéré à plusieurs reprises que le Vietnam pourrait dans un avenir proche accueillir une présence militaire américaine permanente, pour contenir les ambitions du pays qu’il craint le plus aujourd’hui, la Chine. Le retour de la marine américaine à Cam Ranh Bay serait un des plus improbables évènements de l’histoire récente de l’Amérique. « Nous avons amené le parti communiste vietnamien à reconnaître les droits des travailleurs, ce qui n’aurait pu être fait en les harcelant ou les effrayant, » me dit Obama, appelant cela une victoire clé dans sa campagne pour remplacer la menace du bâton par la persuasion diplomatique.

Je faisais remarquer que les deux cent jeunes asiatiques du sud-est dans la pièce plus tôt dans la journée – incluant des citoyens de pays communistes – semblaient aimer l’Amérique. “C’est le cas,” dit Obama. “Au Vietnam actuellement, les sondages en faveur de l’Amérique atteignent 80%.”

Obama Asia Malaysia

Obama en visite dans un centre de réfugiés à Kuala Lumpur lors d’un voyage en Asie du Sud-Est l’automne dernier. Il considère la région comme faisant plus partie intégrante de l’avenir de l’Amérique que le Moyen-Orient.

La popularité renaissante de l’Amérique en Asie du Sud-Est signifie que “nous pouvons vraiment faire d’importantes choses – qui, d’ailleurs, auront des ramifications plus générales,” dit-il, “parce que lorsque la Malaisie rejoint la campagne anti-ISIS, cela nous aide à lever des ressources et gagner de la crédibilité pour notre combat contre le terrorisme. Lorsque nous avons de fortes relations avec l’Indonésie, cela nous aide lorsque nous allons à Paris et essayons de négocier un traité sur le climat, lorsque la tentation de la Russie ou d’autres de ces pays peut être de rendre l’accord sans objet.”

Obama cita ensuite l’influence accrue de l’Amérique en Amérique latine – accrue, dit-il, en partie par sa suppression d’un obstacle majeur dans la région en rétablissant des liens avec Cuba – comme preuve que son approche délibérément diplomatique et non menaçante des relations étrangères fonctionne. Le mouvement ALBA, un groupe de gouvernements d’Amérique latine axé sur l’anti-américanisme, s’est significativement affaibli depuis qu’il est devenu président. “Quand je suis entré en fonction, au premier Sommet des Amériques auquel j’ai assisté, Hugo Chavez – le dernier dictateur vénézuélien anti-américain – “était encore la figure dominante dans les discours,” a-t-il dit. “Nous avons pris une décision très stratégique dès le début, et qui était, plutôt que de le faire exposer comme un adversaire géant de 3 mètres, évaluons correctement le problème et disons : Nous n’aimons pas ce qui se passe au Venezuela, mais ce n’est pas une menace pour les États-Unis.”

Obama dit que pour atteindre ce rééquilibrage, les États-Unis doivent aller au-delà des diatribes et insultes du vieillissant Castro manqué. « Lorsque j’ai vu Chavez, je lui ai serré la main et il m’a tendu une critique marxiste des relations États-Unis-Amérique latine, » rappela Obama. « Et j’ai dû m’asseoir là et écouter Ortega » – Daniel Ortega, le président d’extrême gauche du Nicaragua – « faire une diatribe d’une heure contre les États-Unis. Mais nous étant là, sans prendre tout cela au sérieux – parce que ce n’était vraiment pas une menace pour nous » – a aidé à neutraliser l’anti-américanisme.

La volonté du président de ne pas mordre à l’appât tendu par les adversaires de l’Amérique me paraît émotionnellement non satisfaisant, dis-je, et je lui dis que de temps en temps, j’aimerais le voir faire un doigt d’honneur à Vladimir Poutine. C’est atavique, dis-je, connaissant mon audience.

« Ça l’est, » répondit calmement le président. « C’est ce qu’ils attendent. »

Il décrivit une relation avec Poutine qui n’était pas tout à fait conforme à la perception commune. J’avais l’impression qu’Obama voyait Poutine comme un homme mauvais, brutal et petit. Mais Obama me dit que Poutine n’est pas particulièrement mauvais.

« La vérité est, en réalité, que Poutine, lors de toutes nos rencontres, est scrupuleusement poli, très franc. Nos réunions ressemblent beaucoup à des réunions d’affaires. Il ne me fait jamais attendre deux heures comme il le fait avec beaucoup d’autres. » Obama dit que Poutine pensait que sa relation avec les États-Unis était plus importante que les Américains tendaient à le penser. » Il est toujours intéressé à ce qu’on le voit comme notre pair et comme travaillant avec nous, parce qu’il n’est pas complètement stupide. Il comprend que la position générale de la Russie dans le monde est très diminuée. Et le fait qu’il envahisse la Crimée ou essaye de soutenir Assad ne fait pas soudainement de lui quelqu’un de la partie. Vous ne le voyez dans aucune des réunions aider à donner forme au plan d’action. De même, il n’y a pas de réunion du G20 où les Russes établissent un plan d’action sur aucune des questions importantes. »

L’invasion russe de la Crimée début 2014, et sa décision d’utiliser la force pour renforcer le régime de son client Bachar el-Assad, a été vu par les critiques d’Obama comme une preuve que le monde post-ligne rouge ne craignait plus l’Amérique.

Donc lorsque fin janvier je parlais au président dans le bureau ovale, j’amenais encore cette question de crédibilité dissuasive. « L’argument est donné, » dis-je, « que Vladimir Poutine vous regarde en Syrie et pense, Il est trop logique, il est trop rationnel, il est trop dans le retranchement. Je vais le pousser encore un peu plus loin en Ukraine. »

Obama n’apprécia pas beaucoup la voie que j’empruntai. « Ecoutez, cette théorie est si souvent avancée que je suis toujours perplexe face au gens qui l’avancent. Je ne pense pas que qui que ce soit pensait que George W. Bush était trop rationnel ou prudent dans son usage de la force militaire. Et comme je vous le rappelle, parce qu’apparemment personne dans cette ville ne s’en rappelle, Poutine est allé en Géorgie durant le mandat de Bush, juste pile au moment où nous avions 100 000 hommes de troupes déployés en Irak. » Obama se référait à l’invasion de la Géorgie par Poutine en 2008, une ancienne République soviétique, qui fut entreprise pour des raisons similaires à l’invasion par la suite de l’Ukraine – pour garder une ancienne République soviétique dans la sphère d’influence de la Russie.

« Poutine a agi en Ukraine en réponse à un État client qui était en train de lui échapper. Et il improvisa de sorte à y garder le contrôle, » dit-il. « Il fit exactement la même chose en Syrie, avec un énorme coût pour le bien-être de son propre pays. Et la vision selon laquelle d’une certaine façon la Russie est davantage en position de force actuellement, en Syrie et en Ukraine, qu’elle ne l’était avant d’envahir l’Ukraine ou avant de déployer ses forces militaires en Syrie est fondamentalement une mauvaise compréhension de la nature du pouvoir dans les affaires étrangères ou dans le monde en général. Le pouvoir réel signifie que vous pouvez obtenir ce que vous voulez sans avoir à exercer la force. La Russie était bien plus puissante lorsque l’Ukraine ressemblait à un pays indépendant mais était une “kleptocracie” où il tirait les ficelles. »

La théorie d’Obama est simple : l’Ukraine a un intérêt fondamental pour les Russes mais pas pour les Américains, donc la Russie sera toujours capable d’y maintenir une domination.

« Le fait est que l’Ukraine, qui n’est pas un pays membre de l’Otan, sera vulnérable face à la domination russe quoi que l’on fasse, » dit-il.

Je demandai à Obama si sa position en Ukraine était réaliste ou fataliste.

« Elle est réaliste, » dit-il. « Mais c’est un exemple où nous devons être très clair sur ce que sont nos intérêts fondamentaux et sur quoi nous sommes prêt à partir en guerre. Et à la fin de la journée, il y aura toujours une certaine ambiguïté. » Il fit alors part d’une critique qu’il avait entendue à son sujet, afin de la démonter. « Je pense que le meilleur argument que vous puissiez avoir du point de vue de ceux qui critiquent ma politique étrangère est que le président n’exploite pas assez l’ambiguïté. Il ne réagit peut-être pas de façon à ce que les gens pensent, Wow, le gars est peut-être un peu fou. »

« La “folle approche de Nixon”, » dis-je : dérouter et effrayer nos ennemis en leur faisant penser que vous êtes capable d’actes irrationnels.

« Mais analysons cette théorie de Nixon, » dit-il. « Donc nous larguons plus d’obus sur le Cambodge et le Laos que sur l’Europe durant la Seconde Guerre mondiale, et pourtant, Nixon se retire, Kissinger va à Paris, et tout ce que nous avons laissé derrière c’est le chaos, le massacre et des gouvernements autoritaires qui finalement, avec le temps, ont émergé de cet enfer. Lorsque je vais visiter ces pays, j’essaie de comprendre comment nous pouvons, aujourd’hui, aider à enlever les bombes qui font encore sauter les jambes des enfants. En quoi cette stratégie a-t-elle promu nos intérêts ? ».

Mais que se passerait-il si Poutine s’en prenait à, disons, la Moldavie – un autre ex-État soviétique vulnérable ? Serait-il utile pour Poutine de penser qu’Obama pourrait se mettre en colère et devenir irrationnel ?

Jeffrey Goldberg parle avec James Bennet du processus de synthèse des entretiens et de l’écriture de “The Obama Doctrine”.

« Il n’y a aucun indice dans la politique étrangère américaine moderne de la façon dont les gens réagissent. Les gens réagissent en fonction de ce que leurs impératifs sont, et ce qui est vraiment important pour quelqu’un, ne l’est pas autant pour nous, ils le savent et nous le savons, » a-t-il dit. « Il existe des moyens de dissuasion, mais cela oblige à savoir très clairement à l’avance ce qui vaut la peine d’entrer en guerre ou pas. Maintenant, si quelqu’un dans cette ville prétendait que nous envisagions d’entrer en guerre contre la Russie au sujet de la Crimée et de l’Ukraine, il devrait s’exprimer très clairement à ce sujet. L’idée que tenir des discours musclés ou se livrer à une action militaire indirecte par rapport à ce territoire en particulier va en quelque sorte influencer la prise de décision de la Russie ou de la Chine va à l’encontre de toutes les preuves que nous avons observés au cours des 50 dernières années. »

Obama a continué en disant que la croyance dans la possibilité de montrer sa force est enracinée dans “des mythologies” de la politique étrangère de Ronald Reagan.

“Si vous pensez à, disons, la crise des otages en Iran, il y a un récit qui a été mis en avant aujourd’hui par certains candidats républicains selon lequel le jour où Reagan a été élu, parce qu’il avait l’air dur, les Iraniens ont décidés, “Nous ferions mieux de libérer les otages,”.” Lorsque vous pensez aux actions militaires menées par Reagan, vous avez Grenade – dont il est difficile de dire qu’elle a aidé notre capacité à façonner les évènements mondiaux, bien que ce fut, pour lui, une bonne politique de retour à la maison. Vous avez l’affaire Iran-Contra, dans laquelle nous avons soutenu les paramilitaires de droite et qui n’a en rien contribué à améliorer notre image en Amérique centrale, et ce ne fut pas du tout un succès.” Il me rappela que le grand ennemi de Reagan, Daniel Ortega, est aujourd’hui l’irrécupérable président du Nicaragua.

Obama cita également la décision de Reagan de retirer quasi immédiatement les forces américaines du Liban après que 241 militaires ont été tués par une attaque du Hezbollah en 1983. “Apparemment toutes ces choses nous ont vraiment aidés à gagner en crédibilité avec les Russes et les Chinois,” parce que “c’est le récit qui est donné,” dit-il sarcastiquement. “Maintenant, je pense en réalité que Ronald Reagan a eu un grand succès en politique étrangère qui fut de se rendre compte de l’opportunité que représentait Gorbatchev et d’engager une diplomatie intensive – qui fut beaucoup critiquée par certaines des personnes qui aujourd’hui utilisent Ronald Reagan pour promouvoir la vision selon laquelle nous devrions aller bombarder des gens un peu partout.”

Lors d’une conversation fin janvier, je demandai au président de décrire pour moi les menaces qui l’inquiétaient, alors qu’il s’apprête, dans les mois qui viennent, à transmettre le pouvoir à son successeur.

« Telles que je vois les 20 prochaines années, le changement climatique m’inquiète profondément à cause des effets qu’il a sur tous les autres problèmes auxquels nous faisons face, » dit-il. « Si vous commencez à prêter attention à la grave sécheresse ; la famine de plus en plus importante ; les déplacements du sous-continent indien et des régions côtières en Afrique et en Asie ; les continuels problèmes de pénurie, les réfugiés, la pauvreté, la maladie – cela aggrave tous les autres problèmes que nous avons. Ça va bien au-delà de simples problèmes existentiels dans une planète qui commence à entrer dans une mauvaise boucle de rétroaction. »

Le terrorisme, dit-il, est aussi un problème à long terme « quand il se combine avec le problème des États en déliquescence. »

Quel pays considère-t-il comme représentant le plus grand défi pour l’Amérique dans les décennies à venir ? « En termes de relations traditionnelles entre grandes puissances, je pense vraiment que la relation entre les États-Unis et la Chine va être la plus problématique, » dit-il. « Si nous comprenons bien cela et que la Chine continue son essor pacifique, alors nous avons un partenaire dont la capacité à supporter avec nous les charges et responsabilités du maintien de l’ordre international augmente. Si la Chine échoue ; si elle n’est pas capable de maintenir une trajectoire qui satisfasse sa population et doive recourir au nationalisme comme principe directeur ; si elle se sent si dépassée qu’elle ne puisse assurer les responsabilités d’un pays de cette taille dans le maintien de l’ordre international ; si elle voit seulement le monde en termes de sphères régionales d’influence – alors, nous ne faisons pas seulement face au potentiel conflit avec la Chine, mais nous aurons également davantage de difficultés à gérer les autres défis qui vont survenir. »

Beaucoup de gens, fis-je remarquer, veulent que le président soit plus énergique dans une confrontation avec la Chine, spécialement en mer de Chine du Sud. On a entendu Hillary Clinton, par exemple, dire en privé : « Je ne veux pas que mes petits-enfants vivent dans un monde dominé par les Chinois. »

« J’ai été très clair en disant que nous avions plus à craindre d’une Chine faible et menacée que d’une Chine en plein essor et performante, » dit Obama. « Je pense que nous devons être fermes lorsque les actions de la Chine minent les intérêts internationaux, et si vous regardez comment nous avons opéré en mer de Chine du Sud, nous avons été capables de mobiliser la plus grande partie de l’Asie pour isoler la Chine d’une façon qui la surprenne, franchement, et le renforcement de nos alliances a énormément servi nos intérêts. »

Une Russie faible et gesticulante constitue également une menace, mais cependant pas la menace numéro un, « contrairement à la Chine, ils ont des problèmes démographiques, des problèmes économiques structurels, qui ne demanderaient pas seulement une vision mais une génération pour les surmonter, » dit Obama. « Le chemin que Poutine est en train d’emprunter ne va pas les aider à relever ces défis. Mais dans cet environnement, la tentation d’envoyer des forces militaires pour montrer sa puissance est forte, et montre quelle est l’inclination de Poutine. Donc, je ne sous-estime pas les dangers de ce côté-là. » Obama revint à un point qu’il avait développé à plusieurs reprises avec moi, un point qu’il espérait que le pays et le prochain président intègrent : « Vous savez, la vision selon laquelle la diplomatie et les technocrates et les bureaucrates aident en quelque sorte à garder l’Amérique en sécurité, beaucoup de gens pensent, “He, c’est un non-sens.” Mais c’est vrai. Et d’ailleurs, c’est l’élément du pouvoir américain que le reste du monde apprécie sans ambiguïté. Lorsque nous déployons des troupes, il y a toujours un sentiment dans les autres pays que, même lorsque c’est nécessaire, la souveraineté est violée. »

Durant les dernières années, John Kerry est régulièrement venu à la Maison-Blanche demander à Obama de violer la souveraineté syrienne. A plusieurs reprises Kerry a demandé à Obama de lancer des missiles sur des cibles spécifiques du régime, durant la nuit, pour « envoyer un message » au régime. Le but, disait Kerry, n’est pas de renverser Assad mais de l’encourager, ainsi que l’Iran et la Russie, à négocier la paix. Lorsque l’alliance d’Assad a eu la main haute sur le champ de bataille, comme elle l’a eu ces derniers mois, elle n’a pas montré de dispositions particulières à prendre au sérieux les appels insistants de Kerry à négocier de bonne foi. Quelques missiles de croisière, argumentait Kerry, pourraient attirer l’attention d’Assad et de ses alliés. « Kerry est regardé comme un idiot par les Russes, parce qu’il n’a aucun levier, » me dit un représentant de l’administration haut placé.

Les États-Unis n’auraient pas à se prévaloir des attaques, disait Kerry à Obama – mais Assad reconnaîtrait certainement l’expéditeur des missiles.

Source : The Atlantic, le 09/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Source: http://www.les-crises.fr/la-doctrine-obama-45-lasie-et-la-russie/