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On assiste à la faillite de la puissance intellectuelle de la France, par Guy Mettan

Tuesday 5 April 2016 at 03:02

Guy Mettan

Guy Mettan

Guy Mettan est un journaliste et une personnalité politique suisse. Il a été rédacteur en chef de le Tribune de Genève et président de la Croix Rouge Genevoise. Aujourd’hui, il est député PDC (centriste) au Grand Conseil du canton de Genève et directeur du Club suisse de la presse. En 2015, il a publié Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne aux Éditions des Syrtes.

Guy Mettan, bonjour. Commençons par votre livre. Vous pensez que la russophobie que l’on observe depuis la Deuxième guerre mondiale sert à structurer le patchwork des sociétés occidentales « contre un ennemi commun ». Est-ce là sa seule fonction?

Non, le « contre un ennemi commun » n’est que l’une de ses fonctions. La russophobie, comme je l’explique dans ce livre, est un phénomène qui remonte très loin et qui concerne un large espace géographique. J’ai effectivement voulu en montrer les racines profondes et les manifestations. Elle trouve des formes nouvelles à chaque génération, mais découle d’un substrat qui est, lui, très ancien.

Concrètement, depuis une dizaine d’années, plus la crise de l’Union européenne s’intensifie, plus la russophobie s’accroît. C’est comme si l’UE avait elle aussi besoin de se créer un ennemi pour exister : c’est le sens de cette expression. Cependant, la russophobie n’est absolument pas limitée à l’UE, bien au contraire : elle est encore plus virulente aux États-Unis.

Pensez-vous qu’il y ait réellement une russophobie chez les Européens ou s’agit-il d’une fabrication de la propagande américaine ?

Historiquement, la russophobie n’est pas venue des USA. En France, elle était déjà présente de la fin du XVIIIe siècle au XIXe siècle ; c’est suite à sa défaite face à l’Allemagne en 1870 que la France a renoué avec la Russie pour faire face à la menace de l’Empire allemand.

La russophobie a dès lors émigré en Grande Bretagne. Après les guerres napoléoniennes, elle a servi à justifier le conflit géopolitique entre l’Empire britannique et la Russie en Asie centrale. Elle a ensuite émigré en Allemagne à la fin du XIXème siècle : les Allemands cherchaient en effet à agrandir leur empire à peine unifié et se sont tournés vers les territoires d’Europe de l’Est. C’était la fameuse théorie du Lebensraum, l’espace vital, d’abord mise en place par le IIe Reich et ensuite reprise avec une violence extrême par Hitler. La russophobie est donc avant tout un phénomène européen qui a ensuite  migré aux États-Unis. Une fois la Deuxième Guerre mondiale gagnée grâce à l’apport soviétique – 26 millions de morts dont 13 millions de Russes – les Américains se sont emparés de cette russophobie pour en faire le fondement idéologique de la Guerre froide et justifier leur propre expansionnisme. Les États-Unis, au fond, sont les derniers héritiers de cette longue tradition russophobe.

On constate donc qu’il n’existe pas de russophobie intrinsèquement européenne. Il existe effectivement un conflit, qui remonte selon moi à Charlemagne et au schisme religieux de 1054. Cette vieille division a fait naître une profonde rivalité entre ces deux mondes, qui resurgit aujourd’hui à la faveur de circonstances politiques. Elle relève plus de facteurs politiques que d’une haine inextinguible. Il existe d’ailleurs aussi une forme de russophilie : avant, elle  se situait dans les partis communistes occidentaux. Elle existe encore à gauche, mais de façon plutôt marginale. De nos jours, la russophilie est surtout dans le camp conservateur.

La Russie a toujours généré en Europe des sentiments de forte sympathie et/ou de forte haine. Simplement, ces haines, ces phobies dominent au niveau officiel, celui des chancelleries et des médias, parce qu’elles servent des intérêts politiques. En l’occurrence, elles servent à légitimer l’expansionnisme occidental. Sous prétexte de s’opposer à un supposé expansionnisme russe, on légitime son propre expansionnisme. C’est le rôle de la propagande russophobe. On le voit à propos de la Syrie et plus largement à chaque fois que la Russie s’exprime ou agit : les propos russophobes s’exacerbent, deviennent même violents.

Selon certains analystes américains, la Guerre froide a été la « colle sociale » qui a servi à structurer les USA. Pensez-vous que l’UE réussisse aussi à se forger une identité avec cet ennemi ?

Oui, je crois que la russophobie a deux fonctions. D’une part, elle permet de structurer l’espace géopolitique. C’est l’argument avancé pour justifier les incursions, les agressions, pour ne pas dire les invasions effectuées par l’Occident (appelons-le l’Occident puisque, que ce soit l’UE ou les États-Unis, ce sont deux composantes d’une même réalité géopolitique).

D’autre part, la russophobie permet de façonner politiquement et sociologiquement l’opinion. Elle permet, via une forme de propagande, d’obtenir l’adhésion des opinions populaires à ce programme d’expansion, qui est, osons le dire, un programme impérialiste. Voilà pourquoi la russophobie est si utile et si souvent exploitée par les médias, par les chancelleries et par les Think Tanks qui structurent l’opinion publique en Occident.

Nous allons en venir à la façon dont votre livre a été accueilli. En Suisse dont vous êtes originaire et où vous résidez, il a reçu un bon accueil. Est-ce que cela a été le cas en France ?

En Suisse, cela fait 35 ans que je connais le milieu du journalisme et cela s’est plutôt bien passé. Ajoutons que la Suisse est un pays particulier : nous avons quatre langues, deux religions et quatre cultures. Nous sommes donc habitués à prendre en considération des opinions qui ne sont pas forcément les nôtres. Et, contrairement à la France, nous n’avons pas l’habitude de stigmatiser quelqu’un parce qu’il serait de gauche ou de droite. Pendant les campagnes politiques, tout le monde débat autour d’une même table. En France, si vous êtes estampillé de gauche, il est impossible de débattre avec quelqu’un de droite, et inversement. Nous avons donc une tradition un peu différente. Enfin, en raison de notre neutralité, nous sommes plus habitués à écouter des points de vue qui ne sont pas ceux de la majorité.

En France, mon livre a été bien reçu par le public. Il se vend bien mais son succès repose sur le bouche-à-oreille. Les médias français m’ont tous boycotté.

 Pensez-vous que la censure dont vous avez fait l’objet était orchestrée ? 

Non, je ne pense pas que ce soit orchestré. Cela relève de la tendance générale : les médias de gauche ou de droite, en tous cas sur la Russie, disent tous à peu près la même chose. On ignore donc simplement une opinion divergente parce qu’elle ne rentre pas dans le cadre. Fait curieux, même le Monde Diplomatique, qui est pourtant beaucoup plus ouvert à d’autres points de vue, notamment de pays émergents ou de pays du Sud, et qui est le moins russophobe des médias français, n’a pas publié de critique. J’ai pu faire paraître une opinion dans Libération, grâce à un ami. Aucun autre passage dans les médias, qu’ils soient écrits ou audiovisuels.

En revanche, et c’est un point intéressant, plus on s’éloigne de la France et des États-Unis, meilleur est l’accueil. Les Italiens, les Chinois vont traduire et éditer le livre d’ici la fin de l’année. La Russie aussi, cela va de soi.

Ce n’est pas surprenant puisque la russophobie est un phénomène exclusivement européen et américain. En Amérique latine, en Afrique, en Asie, même au Japon malgré les deux guerres qui ont opposé Russie et Japon, les réactions russophobes sont absentes.

Pensez-vous que la censure de l’UE, et des médias mainstream occidentaux en général, soit la marque d’une faiblesse ? Quand on n’accepte pas d’écouter un dissident, est-ce parce qu’on a une position fragile et qu’on est mal à l’aise ?

Certainement. La Russie met le doigt sur nos propres insuffisances en matière de politique étrangère. Elle les dévoile aux opinions politiques occidentales qui ont été largement endormies par la propagande, qui parlait d’ « expansion de démocratie », de « lutte pour les droits de l’homme », etc. Mais ces raisons d’intervenir ne servaient en réalité qu’à masquer des intérêts purement économiques et géopolitiques. La Russie révèle cette vérité dérangeante aux franges les plus lucides de l’opinion occidentale.

C’est exactement ce qui se passe aussi avec la Syrie. Pendant des années, on nous a vendu les rebelles syriens comme des « combattants de la liberté ». C’est ainsi qu’on les nommait en 2011. Ensuite, on les appelait « djihadistes », « combattants de la foi », ce qui est encore une dénomination politique. Jusqu’à ce qu’enfin, on se rende compte que ces gens étaient des purs terroristes. Il a fallu deux attaques à Paris, celle de Charlie Hebdo et celle du 13 novembre pour que les Français se rendent compte qu’on avait affaire à des terroristes purs et durs, et aucunement à des « combattants de la liberté » comme on nous l’avait seriné pendant des années. Les Russes l’avaient dit bien avant et leur intervention l’a démontré.

Pensez-vous que dans l’UE, c’est l’amplification de ce malaise qui engendre une surenchère dans la russophobie allant jusqu’à des insultes régulières envers Vladimir Poutine ?

Le malaise, aujourd’hui amplifié, a commencé en 2003, c’est-à-dire au moment où la Russie a voulu récupérer sa souveraineté nationale sur ses ressources, et qui parallèlement s’est opposée à l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Entre 2001 et 2003, après les attentats du 11 Septembre, la Russie et les États-Unis s’entendaient très bien. Poutine avait même offert ses bons services à Bush dans sa lutte contre l’islamisme.

Début 2003, vint l’affaire Khodorkovski : le président russe s’est opposé à la mainmise des Américains sur le pétrole russe. Kodorkovski a été mis en prison parce qu’il cédait tous les actifs russes de Ioukos aux Américains pour une bouchée de pain, et qu’il voulait se présenter aux élections afin d’être élu président et devenir le relais de la politique américaine en Russie. Ensuite, à l’automne 2003, la Russie s’est opposée à l’invasion de l’Irak. Ces deux événements ont suscité une recrudescence de la propagande anti-russe dans les médias occidentaux.

Puis vint l’affaire de la Géorgie, en 2008. Alors même que c’était le président Saakachvili qui avait attaqué les forces russes en Ossétie, on a vu la propagande occidentale affirmer le contraire. Encore aujourd’hui, bien qu’un rapport accessible à tous sur le site du Conseil de l’Europe démontre que c’est bien la Géorgie qui avait attaqué, les journaux continuent à diffuser la fausse version.

Les propos hostiles à la politique de la Russie ont ensuite été alimentés par l’Ukraine. On sait maintenant que la révolution du Maïdan a été largement fomentée, comme l’a dit Victoria Nuland, Secrétaire d’État américaine adjointe, par l’investissement dans des ONG de 5 milliards de dollars destinés à renverser le gouvernement Ianoukovitch. Bien sûr, le peuple ukrainien était excédé par la corruption ambiante, mais nous avons attisé ce mouvement et nous avons profité de cette frustration populaire pour mener à bien un coup d’État qui n’était pas du tout le changement voulu par le peuple. Et deux ans plus tard, le gouvernement mis en place avec Iatseniouk apparaît tout aussi corrompu que le précédent.

Mais par le biais de cette révolution vampirisée par des oligarques pro-occidentaux, l’Ukraine a basculé dans le camp occidental, réalisant un rêve américain vieux de 50 ans. Brzezinski écrivait noir sur blanc : « l’Amérique doit absolument s’emparer de l’Ukraine, parce que l’Ukraine est le pivot de la puissance russe en Europe. Une fois l’Ukraine séparée de la Russie, la Russie n’est plus une menace ». C’est ce programme qui a été réalisé en 2014. On s’en apercevra avec éclat, mais dans dix ou quinze ans, quand la vérité commencera à sortir peu à peu. Comme pour le début de la guerre du Vietnam et l’incident du golfe du Tonkin, la vérité finira par émerger, mais seulement quand elle sera devenue indolore et surtout, irréversible.

Revenons aux médias. Quand on observe le paysage médiatique américain, on y constate un pluralisme beaucoup plus marqué que chez nous. Là-bas, il va de la droite dure neocon de Fox News jusqu’à des publications de gauche grand public comme Salon.com et à des voix radicales, des journalistes très engagés contre le système qui ne sont absolument pas des marginaux, comme par exemple Glenn Greenwald. On a même eu récemment une tribune du neveu du président Kennedy contre la politique étrangère américaine. Pourquoi la France, et même l’Union Européenne, sont-elles plus royalistes que le roi anglo-saxon et pourquoi tente-t-on à ce point d’étouffer le débat d’idées ici ?

Pour moi qui suis francophone, qui ai passé mon bac en France, qui vis constamment aux coté de Français, c’est une immense déception et un grand mystère. Comme vous l’avez dit, si les médias dominants aux États-Unis sont totalement anti-russes, il existe aux États-Unis des médias marginaux ou des voix marginales qu’on peut entendre. Il y a beaucoup de recherches universitaires, même dans de petites universités, qui dénoncent ces manipulations, cette mainmise des médias mainstreams sur l’opinion générale.

Il existe même des publications d’universités aussi célèbres que Princeton contre le système américaniste…

Oui. Ces voix sont marginales, certes, au sein des publications générales des universités, mais elles existent toutes. Mon livre ne cite d’ailleurs que des sources américaines, anglaises ou européennes. En Allemagne aussi on peut trouver ces voix-là, même si elles sont périphériques. En revanche en France, c’est totalement exclu. Pour moi, c’est une immense déception, parce que cela marque l’abdication des grands intellectuels français.

La France, depuis le XVIIIe siècle, a toujours été un phare intellectuel pour le monde. Elle a un peu perdu de sa puissance politique mais elle était restée, jusqu’au début des années 90, disons une grande puissance intellectuelle ; maintenant on assiste à sa faillite.

Aujourd’hui, les intellectuels sont tous complètement alignés dans une sorte d’unanimisme. Ils expriment une vision du monde totalement sectaire qui prétend s’appuyer sur le culte des droits de l’homme, de la démocratie, de l’humanisme et qui, de fait, se révèle être une manière d’instrumentaliser l’esprit des Lumières et des droits de l’homme pour le mettre au service de causes et d’intérêts totalement médiocres. Pour vendre des armes à l’Arabie Saoudite, on est capables de diaboliser Poutine et de ne pas dire un mot sur ce qui se passe en Arabie saoudite, où c’est cent fois pire que tout ce que l’on peut voir et que l’on pourrait critiquer en Russie. C’est pareil pour la Turquie.

Pour l’observateur que je suis, cet aveuglement paraît absolument incompréhensible. Cette espèce de subjugation intellectuelle représente une démission intellectuelle face aux États-Unis et aux Anglo-saxons ou tout du moins, face à une partie de l’establishment intellectuel anglo-saxon.

Cet aveuglement des intellectuels fait écho à un aveuglement politique. Si en février 2014, la France  avait joué le rôle que l’on attendait d’elle dans la crise ukrainienne, elle se serait précipitée à Moscou pour exiger le respect de l’accord qui avait été signé le 21 février 2014 par Laurent Fabius, Steinmeyer et d’autres. Ianoukovitch aussi l’avait signé. Alors la guerre civile aurait été évitée. La Crimée, le Donbass seraient toujours ukrainiens. Poutine serait sorti de ce guêpier en sauvant la face, la tête haute, ce qui est toujours important en politique. Même chose en Syrie : s’obstiner à vouloir absolument faire du renversement d’Assad un préalable à toute négociation est politiquement suicidaire.

On assiste à un alignement total de la France sur les États-Unis, une démission, une capitulation. S’il s’agissait d’un rapport de force, on pourrait comprendre. Mais vu de l’extérieur, sur le plan intellectuel, qu’aucun journaliste français ne conteste cette position est incompréhensible.

Une dernière question : récemment, pour alimenter l’hystérie, les médias ont mis en avant des opposants à Poutine qui ne sont tout bonnement pas crédibles, comme Garry Kasparov. La montée dans l’hystérie est-elle une bonne stratégie de propagande ? Cela a-t-il un impact efficace sur les foules ?

J’ai reçu Kasparov. Dans la presse que je dirige, je donne la parole à Poutine, aux opposants, je donne la parole à tout le monde parce que justement, j’estime que c’est une règle de base du journalisme intellectuellement honnête. Ce qui ne veut pas dire que l’on doive adhérer à tout ce qui est dit, mais quand on fait ce travail, on est d’autant plus autorisé à émettre sa propre opinion que l’on donne aussi à l’opinion publique les moyens de juger.

Pour répondre à votre question, il est vrai que l’hystérisation peut être efficace. On l’a vu pendant les années 30, où l’on avait affaire à un hystérique qui a réussi à captiver les foules, à les drainer. L’hystérie peut être un moyen de communication redoutable. Quand la conscience collective est anesthésiée, elle finit par adhérer aux discours les plus extrémistes.

C’est un sujet de préoccupation grave pour les vrais démocrates. Un vrai démocrate ne peut pas accepter qu’un homme politique s’exprime de façon hystérique. Face à une société éveillée, lucide, critique, informée, le danger de l’hystérie est faible ; en revanche, quand l’opinion est en permanence bombardée par de la propagande, elle commence à y adhérer, et l’hystérie l’emporte. Ce point devrait mobiliser une attention toute particulière de la part des démocrates.

Interview réalisée par Corinne Roussel pour www.les-crises.fr

Source: http://www.les-crises.fr/on-assiste-a-la-faillite-de-la-puissance-intellectuelle-de-la-france-par-guy-mettan/


La Doctrine Obama [2/5] : La stratégie au Moyen-Orient

Tuesday 5 April 2016 at 01:08

Cette série de 5 billets est une traduction d’un article de Jeffrey Goldberg, qui a interviewé à de multiples reprises Obama pour le rédiger.

C’est une sorte de “Testament diplomatique”, où il fait le bilan des décisions les plus difficiles qu’il a dû prendre concernant le rôle de l’Amérique dans le monde.

Merci aux contributeurs qui ont traduit ce très long article.

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Barack Obama, lorsqu’il était sénateur

J’ai d’abord parlé avec Obama de la politique étrangère lorsqu’il était sénateur des États-Unis, en 2006. À l’époque, je connaissais surtout le texte d’un discours qu’il avait prononcé quatre ans plus tôt, lors d’un rassemblement contre la guerre à Chicago. Ce fut un discours inhabituel pour un rassemblement contre la guerre en ce qu’il n’était pas contre la guerre ; Obama, alors sénateur de l’Illinois, a argumenté contre une seule guerre en particulier et, à l’époque, encore théorique. “Je ne me fais pas d’illusions sur Saddam Hussein,” a-t-il déclaré. “C’est un homme brutal. Un homme impitoyable… Mais je sais aussi que Saddam ne pose pas de menace imminente et directe aux États-Unis ou à ses voisins.” Il a ajouté : “Je sais que l’invasion de l’Irak sans une justification claire et sans un soutien international fort ne fera que souffler sur les flammes du Moyen-Orient, et encourager les pires, et non les meilleurs, élans du monde arabe, et renforcer le recrutement de l’armée d’al-Qaïda.”

Ce discours m’avait rendu curieux au sujet de son auteur. J’ai voulu comprendre comment un sénateur de l’État de I’Illinois, professeur de droit à temps partiel qui a passé son temps à voyager entre Chicago et Springfield, en était venu à une compréhension plus éclairée du bourbier qui s’annonçait que les plus expérimentés des penseurs en politique étrangère de son parti, y compris des figures telles que Hillary Clinton, Joe Biden et John Kerry, sans parler de, bien sûr, la plupart des républicains et de nombreux écrivains et analystes de la politique étrangère, dont moi.

Depuis cette première réunion en 2006, j’ai interrogé Obama périodiquement, principalement sur des sujets liés au Moyen-Orient. Mais pendant ces quelques derniers mois, j’ai passé plusieurs heures à parler avec lui de thèmes plus larges de sa politique étrangère « à long terme », y compris des sujets dont il aime particulièrement s’entretenir, ceux qui n’ont rien à voir avec le Moyen-Orient.

« Daech n’est pas une menace existentielle pour les États-Unis, » m’a-t-il dit dans une de ces conversations. « Le changement climatique est une menace existentielle potentielle pour le monde entier, si nous ne faisons pas quelque chose. » Obama a expliqué que le changement climatique l’inquiète en particulier parce que « c’est un problème politique parfaitement conçu pour repousser l’intervention gouvernementale. Il implique chaque pays et c’est un cas d’urgence comparativement lent, ainsi il y a toujours quelque chose apparemment plus urgent à l’ordre du jour. »

À l’heure actuelle, bien sûr, la Syrie est la plus urgente des questions « apparemment plus urgentes ». Mais à n’importe quel moment, l’entière présidence d’Obama pourrait être renversée par une agression nord-coréenne ou une attaque de la Russie contre un membre de l’OTAN, ou une attaque planifiée de l’État Islamique sur le sol américain. Peu de présidents ont fait face à de telles épreuves diverses au niveau international comme Obama et le défi pour lui, comme pour tous les présidents, a été de distinguer la simple urgence de l’urgence vraiment importante et de se concentrer sur cette dernière.

Mon but dans nos récentes conversations était de voir le monde par les yeux d’Obama et comprendre ce qu’il croit devoir être le rôle de l’Amérique dans le monde. Cet article est nourri par notre récente suite de conversations, qui ont eu lieu dans le bureau ovale ; lors de déjeuners dans sa salle à manger ; à bord de Air Force One ; et à Kuala Lumpur pendant sa visite la plus récente en Asie, en novembre. Il tire aussi ses informations de mes précédents entretiens avec lui, de ses discours et des nombreuses considérations publiques, aussi bien que des conversations avec ses principaux conseillers en politique étrangère et en sécurité nationale, avec les dirigeants étrangers et leurs ambassadeurs à Washington, avec les amis du président et d’autres qui ont parlé avec lui de ses politiques et de ses décisions, et ses adversaires et détracteurs.

Obama Defense Strategy

Leon Panetta (à gauche) assiste à un point de presse sur la stratégie militaire en janvier 2012. Panetta, alors ministre de la Défense nationale d’Obama, a critiqué l’échec présidentiel à faire respecter la ligne rouge syrienne.

Pendant la durée de nos conversations, je suis venu voir Obama comme un président devenu progressivement plus fataliste à propos des limites du pouvoir de l’Amérique à diriger les événements mondiaux, même si, à la fin de sa présidence, il a accumulé un ensemble d’avancées majeures potentiellement historiques en politique étrangère – des avancées controversées, provisoires, sans aucun doute, mais néanmoins réalisées : l’ouverture de Cuba, l’entente sur le changement climatique de Paris, la négociation de l’accord sur le Partenariat Trans-Pacifique et, bien sûr, l’accord nucléaire avec l’Iran. Un travail qu’il a accompli malgré son impression croissante que de plus grandes forces – le contre-courant du sentiment tribal dans un monde qui devrait avoir abandonné ses atavismes ; la résistance des petits hommes qui gouvernent de grands pays de façon contraire à leurs propres intérêts supérieurs ; la persistance de la peur en tant qu’émotion humaine dominante conspirant contre les meilleures intentions de l’Amérique. Mais il a aussi appris, m’a-t-il dit, que très peu de choses sont accomplies dans les affaires internationales sans la gouvernance américaine.

Obama m’a parlé de cette apparente contradiction. “Je veux un président qui sente que vous ne pouvez tout résoudre,” dit-il. D’autre part, “si nous ne fixons pas l’agenda, il ne se passe rien.” Il explique ce qu’il voulait dire. “Le fait qu’il n’y a pas un sommet où j’ai assisté depuis que je suis président où nous n’avons pas fixé l’agenda, où nous n’étions pas responsables pour les résultats-clés,” dit-il. “C’est aussi vrai quand vous parlez de sécurité nucléaire, de sauvetage du système financier international ou si vous parlez du climat.”

Un jour, lors d’un lunch dans la salle à manger du bureau ovale, j’ai demandé au président comment il pensait que la politique étrangère serait comprise par les historiens. Il commença par me décrire la grille à quatre cases représentant les écoles principales de pensée de la politique étrangère américaine. Une des cases s’appelle l’isolationnisme, il l’a écartée d’un geste de la main. “Le monde rapetisse de jour en jour,” dit-il. “Le retrait est intenable.” Il a appelé les autres cases réalisme, interventionnisme libéral et internationalisme. “Je suppose que vous pouvez m’appeler un réaliste car je pense que nous ne pouvons à aucun moment soulager toute la misère du monde,” dit-il. “Nous devons choisir où nous pouvons avoir un réel impact.” Il a aussi noté qu’il était assez évidemment un internationaliste, étant donné son dévouement au renforcement des organisations multilatérales et des normes internationales.

Je lui ai dit mon impression que les différents traumatismes des sept années précédentes avaient en tout cas intensifié son engagement envers une modération guidée par le réalisme. Est-ce que presque deux termes complets à la Maison-Blanche l’avaient aigri sur l’interventionnisme ?

“Malgré tous nos défauts, les États-Unis ont clairement été une force du bien dans le monde,” dit-il. “Si vous nous comparez à toutes les super puissances antérieures, nous agissons moins sur les bases restreintes à notre propre intérêt, et nous nous sommes intéressés à établir des normes qui bénéficient à tout le monde. S’il est possible de faire le bien à un coût supportable, nous le faisons.”

OB : on sent ici tout le poids de la pensée de la “destinée manifeste des USA

Si une crise, ou une catastrophe humanitaire, ne respecte pas les critères stricts de ce qui constitue une menace directe à la sécurité nationale, Obama dit qu’il ne croit pas qu’on devrait le contraindre au silence. Il a suggéré être réaliste au point de pouvoir porter un jugement sur les autres dirigeants. Même s’il n’a pas jusqu’ici exclu l’usage direct de la puissance américaine pour détrôner Assad, il a estimé qu’il n’avait pas eu tort de l’avoir appelé à partir. « Souvent, quand vous recevez des détracteurs de notre politique syrienne, une des choses qu’ils vont pointer du doigt est que “vous avez appelé Assad à partir mais vous ne l’y avez pas forcé. Vous n’avez pas envahi.” Et l’idée est que si vous n’alliez pas renverser le régime, il n’aurait fallu rien dire. Pour moi, c’est un argument étrange, l’idée que si nous utilisons notre autorité morale pour dire “c’est un régime brutal et ce n’est pas la façon dont un dirigeant devrait traiter son peuple,” une fois que vous avez dit cela, vous êtes obligés d’envahir le pays et mettre en place un gouvernement que vous préférez.”

« Je suis très internationaliste, » a dit Obama dans une conversation ultérieure. « Et je suis aussi un idéaliste, dans la mesure du possible, parce que je crois que nous devons promouvoir des valeurs comme la démocratie et les droits de l’homme et des normes et des valeurs, parce qu’elles ne servent pas uniquement nos intérêts lorsque plus de gens adoptent les valeurs que nous partageons – de la même façon qu’économiquement, si les gens adoptent l’État de droit et le droit de propriété et ainsi de suite, c’est à notre avantage – mais parce que cela fait du monde un endroit meilleur. Et je souhaite le dire d’une façon très bête, et d’une façon dont Brent Scowcroft ne le dirait probablement pas. »

« Maintenant que j’ai dit cela, » a-t-il ajouté, « je crois aussi que le monde est un endroit rude, compliqué, confus, et plein de souffrance et de tragédie. Et pour faire avancer à la fois nos intérêts sécuritaires et ces idéaux et valeurs auxquels nous tenons, nous devons être têtus tout en gardant un grand cœur, bien choisir les endroits, et reconnaître que certaines fois, le mieux que nous pourrons faire sera de mettre un coup de projecteur sur une chose terrible, mais sans croire que nous pourrons automatiquement la résoudre. Certaines fois, nos intérêts sécuritaires s’opposeront à nos soucis à propos des droits de l’homme. Certaines fois, nous pourrons faire quelque chose pour des innocents qu’on tue, mais certaines fois nous ne pourrons pas. »

Si Obama ne s’était jamais demandé si l’Amérique était vraiment l’unique nation indispensable au monde, il a arrêté de le faire. Mais il est l’un des rares présidents à parfois sembler s’indigner contre ce caractère indispensable plutôt qu’y adhérer. « Les resquilleurs m’exaspèrent, » m’a-t-il dit. Récemment, Obama a averti que la Grande-Bretagne ne serait plus capable de prétendre à une « relation spéciale » avec les États-Unis si elle ne s’engageait pas à dépenser au moins 2% de son PIB à la défense. « Vous devez payer votre part, » a dit Obama à David Cameron, qui a par la suite respecté le seuil de 2%.

Obama a expliqué qu’une partie de sa mission de président est d’aiguillonner les autres pays pour qu’ils agissent d’eux-mêmes, plutôt que d’attendre d’y être amenés par les États-Unis. La défense de l’ordre international libéral contre la terreur djihadiste, l’aventurisme russe et les pressions chinoises dépendent en partie, croit-il, de la volonté des autres nations d’en partager la charge avec les États-Unis. Voilà pourquoi la controverse autour de cette assertion – faite par un fonctionnaire anonyme au New Yorker durant la crise en Libye de 2011 – selon laquelle sa politique consisterait à “diriger depuis l’arrière” l’a perturbé. “Nous n’avons pas à être toujours ceux qui sont à l’avant,” m’a t-il dit. “Quelquefois nous allons obtenir ce que nous voulons précisément parce que nous partageons les mêmes objectifs. L’ironie est que c’était précisément afin d’empêcher les États européens et arabes de s’accrocher à nos basques pendant que nous menions tous les combats, que nous avons insisté à dessein,” pour qu’ils mènent la mission pour renverser Mouammar Khadafi en Libye. “Cela faisait partie de la campagne contre les resquilleurs.”

Le président semble également croire que le partage du leadership avec d’autres pays est un moyen de contenir les pulsions les plus incontrôlées de l’Amérique. « L’une des raisons pour lesquelles je me suis tant concentré sur une intervention multilatérale où nos intérêts directs ne sont pas en jeu, c’est que le multilatéralisme régule la démesure, » a-t-il expliqué. Il évoque constamment ce qu’il estime des échecs du passé de l’Amérique à l’étranger comme un moyen de contrôler l’arrogance américaine. « Nous avons l’histoire, » dit-il. « Nous avons l’histoire en Iran, nous avons l’histoire en Indonésie et en Amérique centrale. Nous devons donc être attentifs à notre histoire lorsque nous commençons à parler d’intervention, et comprendre la source de la méfiance d’autres peuples. »

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Obama et le président cubain Raúl Castro lors du Sommet des Amériques au printemps dernier.

Dans ses efforts pour décharger l’Amérique de certaines responsabilités en matière de politique étrangère sur ses alliés, Obama semble être un président de désengagement classique à la manière de Dwight D. Eisenhower et Richard Nixon. Le désengagement, dans ce contexte, est défini comme « faire marche arrière, dépenser moins, limiter les risques et se décharger de tâches sur les alliés, » m’a expliqué Stephen Sestanovich, un expert de la politique étrangère présidentielle au Conseil des relations étrangères. « Si John McCain avait été élu en 2008, vous auriez toujours vu un certain degré d’austérité, » a déclaré Sestanovich. « Il est ce que le pays voulait. Si vous entrez en fonction au milieu d’une guerre qui ne se déroule pas bien, vous êtes convaincu que le peuple américain vous a embauché pour faire moins. » Une différence entre Eisenhower et Nixon, d’une part, et Obama, d’autre part, dit Sestanovich, est que Obama « semble avoir eu un engagement idéologique personnel à l’idée que la politique étrangère avait consommé trop d’attention et de ressources de la nation. »

Je questionnai Obama à propos de ce désengagement. “Presque toutes les puissances du monde ont succombé” à l’expansionnisme, dit-il. « L’idée qu’à chaque fois qu’il y a un problème, nous envoyons nos militaires pour imposer l’ordre, ne me semble pas une idée intelligente. Nous ne pouvons pas faire cela. »

Mais une fois qu’il a décidé qu’un défi particulier représente une menace directe à la sécurité nationale, il a montré une volonté d’agir unilatéralement. C’est une des plus grandes ironies de la présidence d’Obama : il a inlassablement remis en cause l’efficacité de l’usage de la force, mais il est également devenu le plus performant des chasseurs de terroristes de l’histoire de la présidence, un qui transmettra à son successeur un ensemble d’outils à faire rêver un assassin accompli. « Il applique différents standards à la menace directe des États-Unis, » dit Ben Rhodes. « Par exemple, malgré ses réticences au sujet de la Syrie, il n’a pas eu une hésitation pour le drone. » Certains détracteurs avancent qu’il aurait dû y réfléchir à deux fois sur ce qu’ils perçoivent comme une utilisation excessive des drones. Mais John Brennan, le directeur de la CIA d’Obama, m’a dit récemment que lui et le président « avaient des vues similaires sur la théorie de la guerre juste. » Le président réclame une quasi-certitude d’absence de dommages collatéraux.

Ceux qui parlent avec Obama de la pensée djihadiste disent qu’il possède une compréhension sans illusions des forces qui animent la violence apocalyptique parmi les musulmans radicaux, mais il a été prudent en l’exprimant publiquement, par crainte d’exacerber la xénophobie antimusulmane. Il comprend le réalisme tragique du péché, la lâcheté et la corruption, et a une appréciation hobbesienne de la façon dont la peur façonne le comportement humain. Et pourtant, il a toujours et avec une apparente sincérité, professé avec optimisme que le monde s’incline vers la justice. Il est, en quelque sorte, un optimiste hobbesien.

Jeffrey Goldberg parle au conseiller adjoint à la sécurité nationale Ben Rhodes des nouveaux liens des États-Unis avec Cuba et de leur impact sur la politique américaine dans son ensemble. Visionnez la conversation en entier avec Ben Rhodes ici.

Les contradictions ne finissent pas là. Bien qu’il ait une réputation de prudence, il a également souhaité remettre en question certaines hypothèses de longue date concernant la conception traditionnelle de la politique étrangère des États-Unis. À un degré remarquable, il est prêt à se demander pourquoi les ennemis de l’Amérique sont ses ennemis, ou pourquoi certains de ses amis sont ses amis. Il a renversé un demi-siècle de consensus bipartite afin de rétablir les liens avec Cuba. Il s’est demandé pourquoi les États-Unis devraient éviter d’envoyer leurs forces au Pakistan pour tuer les dirigeants d’al-Qaïda, et, en privé, se demande pourquoi le Pakistan, qu’il considère comme un pays désastreusement dysfonctionnel, devrait être considéré comme un allié des États-Unis. Selon Leon Panetta, il s’est demandé pourquoi les États-Unis devrait maintenir le prétendu avantage militaire qualitatif d’Israël, ce qui lui donne accès à des systèmes d’armes plus sophistiqués que ce que les alliés arabes de l’Amérique reçoivent ; mais il a également remis en question, souvent durement, le rôle que les alliés arabes sunnites de l’Amérique jouent à fomenter le terrorisme anti-américain. Il est clairement irrité que l’orthodoxie de la politique étrangère l’oblige à traiter l’Arabie saoudite comme un allié. Et bien sûr, il a décidé dès le début, en face d’une importante critique, qu’il voulait tendre la main aux plus ardents ennemis de l’Amérique au Moyen-Orient, l’Iran. L’accord nucléaire qu’il a conclu avec l’Iran prouve, au moins, qu’Obama ne craint pas le danger. Il a parié la sécurité mondiale et son propre héritage que l’un des principaux États commanditaires du terrorisme au monde adhérera à un accord de limitation de son programme nucléaire.

« Lâcher des bombes sur quelqu’un pour prouver que vous êtes prêt à lacher des bombes sur quelqu’un est simplement la pire raison d’utiliser la force. »

On considère, au moins parmi ses détracteurs, qu’Obama a cherché à conclure un accord avec l’Iran parce qu’il a une vision du rapprochement historique américano-persan. Mais son désir d’un compromis sur le nucléaire était né autant du pessimisme que de l’optimisme. « L’accord iranien n’a jamais eu pour principal objectif d’essayer d’ouvrir une nouvelle ère de relations entre les États-Unis et l’Iran, » m’a dit Susan Rice. « Il était bien plus pragmatique et minimaliste. Le but était très simplement de rendre un pays dangereux considérablement moins dangereux. Personne ne s’attendait à ce que l’Iran devienne un acteur bienveillant. »

J’ai un jour cité à Obama une scène du Parrain 3, dans laquelle Michael Corleone est en colère et se plaint de son échec à échapper à l’emprise du crime organisé. J’ai dit à Obama que le Moyen-Orient était à sa présidence ce que la pègre est à Corleone, et j’ai commencé à citer Al Pacino : « Juste quand je m’en croyais sorti – »

« Ils m’y ramènent, » a dit Obama, terminant l’idée.

L’histoire de la rencontre d’Obama avec le Moyen-Orient suit une courbe de désillusion. Pendant sa première période prolongée de gloire, en tant que candidat à la présidentielle en 2008, Obama a souvent parlé de la région avec espoir. À Berlin cet été, dans un discours devant 200 000 Allemands en adoration, il a dit « C’est le moment où nous devons aider à répondre à l’appel d’une nouvelle aube au Moyen Orient. »

L’année suivante, en tant que président, il a fait un discours au Caire afin de rétablir les relations des États-Unis avec les musulmans du monde. Il a parlé des musulmans dans sa propre famille, de son enfance en Indonésie, et a confessé les péchés de l’Amérique même lorsqu’il critiquait ceux du monde musulman qui diabolisaient les États-Unis. Sa promesse de régler le conflit israélo-palestinien, ce qu’on a alors cru être la préoccupation centrale qui animait les musulmans arabes, a cependant attiré mon attention. Sa sympathie pour les Palestiniens a ému l’auditoire mais a compliqué ses relations avec Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, en particulier parce que Obama a aussi décidé d’éviter Jérusalem lors de sa première visite présidentielle au Moyen-Orient.

Quand j’ai demandé à Obama ce qu’il avait récemment espéré accomplir avec son discours de rétablissement du Caire, il a dit qu’il avait essayé – sans succès, il l’a admis – de persuader les musulmans d’examiner de plus près les racines de leur mécontentement.

« Mon argument était le suivant : nous allons tous arrêter de prétendre que la cause des problèmes du Moyen-Orient est Israël, » m’a-t-il dit. « Nous voulons travailler à aider les Palestiniens à parvenir à un État et à la dignité, mais j’espérais que mon discours pourrait déclencher une discussion, pourrait créer un espace aux musulmans afin de régler les vrais problèmes auxquels ils sont confrontés, les problèmes de gouvernance et le fait que certains des courants de l’Islam ne sont pas passés par une réforme qui aiderait les gens à adapter leurs doctrines religieuses à la modernité. Ma pensée était : je communiquerai sur le fait que les États-Unis ne bloquent pas la voie de ce progrès, que nous aiderons, de toutes les manières possibles, à l’avancement des objectifs d’un programme arabe pratique réussi qui procure une vie meilleure aux gens ordinaires. »

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Le Premier ministre britannique David Cameron, entouré de représentants du Royaume-Uni, assiste à un diner à la Maison-Blanche en janvier 2015.

Grâce à la première vague du Printemps arabe, en 2011, Obama a continué à parler avec optimisme de l’avenir du Moyen-Orient, à coller aussi près que jamais de l’ordre du jour de ce que l’on appelle la liberté de George W. Bush, qui a été caractérisé en partie par la conviction que les valeurs démocratiques pourraient être implantées au Moyen-Orient. Il a assimilé les manifestants en Tunisie et de la place Tahrir avec Rosa Parks [une militante de la lutte contre la ségrégation raciale, NdT] et les « patriotes de Boston » [victoire de Lexington et de Concord en 1775, lors du premier conflit de la guerre d’indépendance des États-Unis, NdT].

« Après les décennies d’acceptation du monde tel qu’il est dans la région, nous avons une chance d’atteindre le monde tel qu’il devrait être, » a-t-il dit dans un discours à l’époque. « Les États-Unis soutiennent un ensemble de droits universels. Et ces droits incluent la liberté d’expression, la liberté d’assemblée pacifique, la liberté de religion, l’égalité des hommes et des femmes dans le cadre de l’État de droit et le droit de choisir vos propres dirigeants… Notre soutien à ces principes n’est pas d’un intérêt secondaire. »

Mais au cours des trois années suivantes, comme le printemps arabe a renoncé à ses promesses initiales et que la brutalité et les dysfonctionnements ont submergé le Moyen-Orient, le président a renoncé à ses illusions. Certaines de ses déceptions les plus profondes concernent les leaders du Moyen-Orient eux-mêmes. Benjamin Netanyahou est dans sa propre catégorie : Obama a longtemps cru que Netanyahou pourrait apporter une solution à deux États qui protégerait le statut d’Israël en tant que démocratie majoritairement juive, mais il est trop timoré et politiquement paralysé pour le faire. Obama n’a aussi eu guère de patience envers Netanyahu et d’autres leaders du Moyen-Orient qui mettent en doute sa vision de la région. Lors d’une des réunions de Netanyahou avec le président, le Premier ministre israélien s’est lancé sur un discours professoral à propos des dangers de la région violente dans laquelle il vit. Obama a estimé que Netanyahou se comportait d’une façon condescendante et évitait aussi le sujet du jour : les négociations de paix. Finalement, le président a interrompu le Premier ministre : « Bibi, vous devez comprendre quelque chose, » a-t-il dit. « Je suis le fils afro-américain d’une mère célibataire et je vis ici, dans cette maison. Je vis à la Maison Blanche. Je suis parvenu à être élu président des États-Unis. Vous pensez que je ne comprends pas de quoi vous parlez, mais je le comprends. » D’autres dirigeants le frustrent aussi énormément. Dès le début, Obama a vu Recep Tayyip Erdogan, le président de la Turquie, comme le genre de dirigeant musulman modéré qui comblerait le fossé entre l’Est et l’Ouest – mais Obama le considère maintenant comme un échec et un partisan de l’autorité, en tant qu’il refuse d’utiliser son énorme armée pour apporter la stabilité en Syrie. Et dans la coulisse d’un sommet de l’OTAN au Pays de Galles en 2014, Obama a pris à part le roi Abdullah II de Jordanie. Obama a dit qu’il avait entendu dire qu’Abdullah s’était plaint à des amis au Congrès américain de son aptitude à diriger et avait dit au roi que s’il avait des plaintes, il devrait les lui faire directement. Le roi a nié qu’il avait dit du mal de lui.

Ces derniers jours, le président s’est mis à plaisanter en privé, « Tout ce dont j’ai besoin au Moyen-Orient c’est de quelques autocrates intelligents. » Obama avait toujours une affection pour les assistants pragmatiques et efficaces, des technocrates aux émotions contenues, « si seulement tout le monde pouvait ressembler aux Scandinaves, tout serait facile. »

L’écroulement du Printemps arabe a brouillé la vision du président sur ce que les États-Unis pourraient réaliser au Moyen-Orient et lui a fait prendre conscience à quel point le chaos prenait la place d’autres priorités. “Le président a reconnu au cours du Printemps arabe que le Moyen-Orient nous épuisait,” m’a dit récemment John Brennan, qui a exercé sous le premier mandat d’Obama la fonction de principal conseiller en contre-terrorisme.

Mais ce qui a scellé le point de vue fataliste d’Obama a été l’échec de l’intervention de son administration en Libye en 2011. Cette intervention avait pour but d’empêcher le dictateur d’alors du pays, Mouammar Kadhafi, de massacrer le peuple de Benghazi, puisque c’est ce qu’il menaçait de faire. Obama ne voulait pas se joindre à la bataille, il a été conseillé par Joe Biden et, parmi d’autres, son secrétaire à la Défense dont c’était le premier mandat, de rester à l’écart. Mais un groupe puissant au sein de l’équipe de sécurité nationale, la secrétaire d’État Hillary Clinton, Susan Rice, alors ambassadrice aux Nations Unies, ainsi que Samantha Power, Ben Rhodes et Antony Blinken, alors conseiller en sécurité nationale de Biden, ont fait un intense lobbying pour protéger Benghazi, et l’ont emporté. (Biden, acerbe à propos du jugement de politique étrangère de Clinton, a dit en privé, « Hillary veut seulement être Golda Meir. ») Les bombes américaines ont plu, le peuple de Benghazi a été épargné par ce qui aurait pu ou ne pas être un massacre, et Kadhafi a été capturé et exécuté.

Mais Obama dit aujourd’hui de l’intervention, « Cela n’a pas marché. » Les États-Unis, pense-t-il, ont soigneusement planifié l’opération en Libye et pourtant le pays est toujours dans un état catastrophique.

Pourquoi, étant donné ce qui semble être la réticence naturelle du président à s’embarquer militairement là où la sécurité nationale américaine n’est pas directement en jeu, a-t-il accepté la recommandation de ses conseillers les plus militants d’intervenir ?

« L’ordre social en Libye est en panne, » a déclaré Obama, expliquant sa pensée à l’époque. « Vous avez des protestations massives contre Kadhafi. Vous avez des divisions tribales à l’intérieur de la Libye. Benghazi est un point focal pour le régime d’opposition. Et Kadhafi met en marche son armée vers Benghazi, et il a dit : « Nous allons les tuer comme des rats. »

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Les milices en Libye

« Maintenant, la première option serait de ne rien faire, et certains dans mon administration ont dit, aussi tragique que la situation en Libye puisse être, ce n’est pas notre problème. La façon dont je l’ai considéré, c’était que ce serait notre problème si, en fait, le chaos complet et la guerre civile avaient éclaté en Libye. Mais ce n’est pas au cœur des intérêts américains ni logique pour nous de frapper unilatéralement le régime de Kadhafi. À ce moment-là, vous avez l’Europe et un certain nombre de pays du Golfe qui méprisent Kadhafi, ou qui sont concernés sur une base humanitaire, qui appellent à l’action. Mais l’habitude au cours des dernières décennies dans ces circonstances est que les gens nous poussent à agir mais se montrent réticents à mettre leur peau en jeu. »

« Resquilleurs ? » suis-je intervenu.

« Resquilleurs », a-t-il dit, et a continué : « Donc, ce que je disais à ce moment-là c’était que nous devons agir dans le cadre d’une coalition internationale. Mais parce que ce n’est pas au cœur de nos intérêts, nous avons besoin d’obtenir un mandat de l’ONU ; nous avons besoin de la participation active à la coalition des Européens et des pays du Golfe ; nous appliquerons les capacités militaires qui nous sont uniques, mais nous nous attendons que d’autres assument leur soutien. Et nous avons travaillé avec nos équipes de défense pour assurer que nous puissions exécuter une stratégie sans mettre les pieds sur le terrain et sans engagement militaire à long terme en Libye.

« Donc nous avons en réalité exécuté ce plan aussi bien que je pouvais m’y attendre : nous avons obtenu un mandat de l’ONU, nous avons construit une coalition, cela nous a coûté un milliard de dollars ce qui, s’agissant d’opérations militaires, est très bon marché. Nous avons évité des pertes humaines civiles à grande échelle, nous avons empêché ce qui presque sûrement aurait été un conflit civil prolongé et sanglant. Et malgré tout cela, la Libye est en désordre. »

Désordre est le terme diplomatique du président ; en privé, il appelle la Libye un « spectacle de merde », en partie parce qu’il est ensuite devenu un havre pour l’ÉI – celui qu’il a déjà ciblé par des frappes aériennes. Il est devenu un spectacle de merde, pense Obama, pour des raisons qui avaient moins à voir avec l’incompétence américaine qu’avec la passivité des alliés de l’Amérique et le pouvoir obstiné du tribalisme.

« Quand je me retourne et que je me demande ce qui c’est mal passé, » a dit Obama, « il y a place pour la critique, parce que j’avais plus foi dans les Européens, étant donné la proximité de la Libye, étant investis dans le suivi, » a-t-il dit. Il a noté que Nicolas Sarkozy, le président français, a perdu son emploi l’année suivante. Et il a dit que le Premier ministre britannique David Cameron cessa rapidement de prêter attention, « distrait par une série d’autres choses. » De la France, il dit : « Sarkozy voulait proclamer partout qu’il prenait part à la campagne aérienne, malgré le fait que nous avions anéanti toutes les défenses aériennes et mis en place l’essentiel de l’infrastructure » pour l’intervention. Ce genre de vantardise était parfait, a dit M.Obama, parce qu’elle a permis aux États-Unis d’« acheter la participation de la France d’une manière qui la rendait moins chère et moins risquée pour nous. » En d’autres termes, donner à la France un crédit supplémentaire en échange de moins de risques et de coût pour les États-Unis était un utile compromis, sauf que « du point de vue d’un grand nombre de gens parmi les décideurs de la politique étrangère, eh bien, ce fut terrible. Si nous voulons faire quelque chose, de toute évidence, nous devons être au premier plan, et personne d’autre ne doit en partager l’honneur. »

Obama blâme également les dynamiques internes libyennes. “Le degré de division tribale en Libye était plus important que nos analystes ne l’avaient prévu. De même que notre capacité à avoir une quelconque structure avec laquelle nous pourrions interagir, commencer à entraîner et fournir des ressources s’est très vite détériorée.”

La Libye lui a prouvé qu’il était préférable d’éviter le Moyen-Orient. « Nous ne devrions nous engager au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en aucune façon, » a-t-il dit à un ancien collègue du Sénat. « Cela serait une erreur élémentaire et fondamentale. »

Le président Obama n’est pas entré en fonction préoccupé par le Moyen-Orient. Il est le premier enfant du Pacifique à devenir président – né à Hawaï, élevé là-bas, et durant quatre ans en Indonésie – et il fait une fixation sur la nécessité de tourner l’attention de l’Amérique vers l’Asie. Pour Obama, l’Asie représente l’avenir. L’Afrique et l’Amérique latine, selon lui, méritent mieux que l’attention qu’ils ont reçue jusqu’ici des États-Unis. L’Europe, au sujet de laquelle il est très prosaïque, est une source de stabilité qui requiert, durant d’occasionnelles déconvenues, que l’Amérique lui tienne la main. Et le Moyen-Orient est une région à éviter – une qui, grâce à la révolution énergétique de l’Amérique, sera bientôt de peu d’intérêt pour l’économie des États-Unis.

Ce n’est pas le pétrole mais une autre exportation du Moyen-Orient, qui façonne la compréhension d’Obama de ses responsabilités là-bas. Au début 2014, les conseillers du renseignement d’Obama lui ont dit qu’ISIS était d’une importance marginale. Selon les représentants de l’administration, le général Lloyd Austin, puis le commandant du commandement central, qui supervise les opérations militaires  américaines au Moyen-Orient, ont dit à la Maison-Blanche que l’État Islamique n’était qu’un « feu de paille ». Cette analyse a conduit Obama, dans une interview au New Yorker, à décrire la constellation des groupes djihadistes en Irak et Syrie comme « l’équipe junior » du terrorisme. (Un porte-parole d’Austin m’a dit « à aucun moment le général n’a considéré Daech comme un phénomène « feu de paille ».)

« Désordre est le terme diplomatique du Président pour caractériser ce que l’intervention américaine a laissé en Libye ; à titre privé, il l’appelle « un spectacle de merde ».

Source : The Atlantic, le 09/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Source: http://www.les-crises.fr/la-doctrine-obama-25-la-strategie-au-moyen-orient/


Double standard de la CIA quant à la torture

Tuesday 5 April 2016 at 00:01

Mehfi Hasan demande à l’ancien chef de la CIA Michael Hayden (directeur de la NSA de 1999 à 2005, puis directeur de la CIA entre 2006 et 2009) de s’expliquer sur la torture – en l’espèce le waterboarding (vidéo).

Double standard hallucinant…

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Source: http://www.les-crises.fr/double-standard-de-la-cia-quant-a-la-torture/


Emmanuel Todd : “La France n’est plus dans l’histoire”

Monday 4 April 2016 at 03:00

Source : Le Nouvel Obs, Aude Lancelin, 23-03-2016

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L’historien et démographe ne s’était pas exprimé en France depuis la polémique suscitée par son livre, “Qui est Charlie?”, paru au printemps 2015. Crise des réfugiés, attentats du 13 novembre, jeunesse économiquement sinistrée, autant de sujets qu’il aborde en exclusivité dans un grand entretien à paraître demain dans “L’Obs”. En voici quelques extraits.

L’OBS. Nous sommes en présence de la vague de réfugiés la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Face à cela, les derniers grands piliers qui soutiennent encore une construction européenne déjà très malmenée par la crise des dettes souveraines semblent en passe de céder. Quel regard portez-vous sur ces événements?

Emmanuel Todd. Il faut d’abord souligner que, pour la France, la crise des réfugiés est un phénomène idéologique sans substance: tout simplement parce que les réfugiés ne veulent pas venir chez nous. C’est d’ailleurs extrêmement vexant pour notre pays, parce que la capacité à attirer des immigrés est un signe de dynamisme. Cela a d’abord un rapport avec le fait que la France est dans une situation démographique satisfaisante, que le taux de fécondité est de deux enfants par femme, mais surtout avec le fait qu’il y a beaucoup de jeunes au chômage chez nous.

Tout autre est la situation de l’Allemagne, un pays qui se bat contre le vieillissement démographique, et qui est en recherche permanente de main-d’œuvre. L’Allemagne et le Japon, deux pays sur lesquels j’ai beaucoup travaillé, ont actuellement les deux populations les plus âgées du monde, puisque l’âge médian y est respectivement de 46,2 ans et de 46,5 ans, alors qu’il est de 38 ans aux Etats-Unis, de 40 ans au Royaume-Uni et de 41,2 ans en France.

La différence entre l’Allemagne et le Japon, c’est que ce dernier se refuse à utiliser une immigration massive et qu’il s’est résigné à gérer le déclin de sa puissance. L’Allemagne, elle, est un pays totalement paradoxal puisque, quoique étant l’un des deux plus vieux du monde, elle n’a nullement renoncé à la puissance économique.

Concernant les réfugiés, vous considérez donc que l’Allemagne fait preuve de réalisme économique face à sa faiblesse démographique, et non, comme on veut souvent le considérer dans les cercles médiatiques français, que la chancelière Merkel fait preuve d’un sens des responsabilités remarquable…

La politique migratoire d’Angela Merkel est dans la continuité exacte de ce qui s’est fait en Allemagne depuis les années 1960. Avant tout, il faut comprendre que l’obsession des classes dirigeantes allemandes, c’est le renouvellement de la force de travail. Je me souviens d’une couverture extraordinaire du «Spiegel». Au moment même où le monde entier accusait l’Allemagne de détruire les économies grecque, italienne, espagnole et portugaise par des politiques d’austérité et de contraction budgétaire drastiques, on vit paraître cette une qui présentait l’Allemagne comme le nouveau paradis pour la jeunesse du Sud, avec les visages heureux de jeunes Méditerranéens qualifiés, compétents, appelés à participer au bon fonctionnement de l’économie allemande.

Les Français sont aveugles sur ces choses-là, car sur ce sujet aussi, la France vit dans une idée fausse d’elle-même. Nous pensons que c’est nous, le grand pays ouvert d’immigration. Alors que ça n’a été vrai que très ponctuellement dans le passé. En fait, tout au long de son histoire la plus ancienne, c’est l’Allemagne qui a eu un rapport extrêmement créatif à l’immigration. La Prusse, par exemple, est un pays qui a été inventé, en partie créé par l’apport de populations étrangères, y compris de huguenots français. Et dans toutes les années d’après-guerre, il y a eu en Allemagne une importante immigration yougoslave, et turque, puis issue de tous les pays de l’Est.

Le grand pays d’immigration, depuis la guerre, en Europe, c’est l’Allemagne. Je sais que certains en France aiment penser qu’en s’ouvrant aujourd’hui aux immigrés du Proche et du Moyen-Orient l’Allemagne essaie encore de racheter ses fautes passées, d’apparaître comme le génie du bien… Pure naïveté. Les Allemands ne sont plus du tout dans cet état d’esprit et ne pensent plus qu’ils ont des fautes à expier.

Cela a longtemps été le cas, tout de même, et cela a beaucoup pesé sur la construction européenne.

Oui, mais on en est tout à fait sorti. Et ce qu’on a pu voir, l’été dernier notamment, à l’occasion de la crise grecque, c’est une totale bonne conscience chez les Allemands. La réunification a eu lieu en 1990. En vingt-cinq ans, l’Allemagne a retapé sa partie orientale sinistrée par le communisme. Elle a remis en ordre de marche économique toute l’Europe de l’Est, intégré ses populations actives à son système industriel, écrasé la concurrence à l’ouest et au sud dans la zone euro, et est devenue quasiment le premier exportateur mondial pour les produits de haut niveau technologique, bien avant la Chine, les Etats-Unis ou le Japon. Le tout avec une population de 82 millions d’habitants, extrêmement âgée.

Si on réfléchit deux minutes, on se dit: oui, l’Allemagne est un pays extraordinaire. Un pays qui a en tout cas des qualités d’organisation, d’efficacité et de compétence exceptionnelles. C’est à cette lumière-là qu’il faut analyser cette vague migratoire que l’Allemagne a appelée,stimulée. Car il y a bien eu un appel de cet ordre, quand on observe toute la séquence.

Aujourd’hui pourtant, même en Allemagne, on cherche à stopper ces transferts massifs de population, ne parlons même pas des murs et des barbelés qui se dressent partout à l’est. Finalement, la politique prudente de la France dans cette affaire est-elle aussi critiquable que certains ont pu le dire?

Fondamentalement, ce que fait le gouvernement français n’a plus la moindre importance, et du reste les Allemands n’en tiennent aucun compte. Etre lucide, de nos jours, c’est voir que la France n’est pas un pays où se fait l’histoire. Je repense à ce concept utilisé par Friedrich Engels à l’époque des révolutions de 1848, par lequel il définissait les Tchèques comme un «peuple non historique», par opposition aux Hongrois ou aux Polonais qui se soulevaient, qui faisaient l’histoire.

Actuellement, les Français sont un peuple «non historique». Il y a vraiment un changement de cycle. L’élection présidentielle française n’aura pas le moindre impact, tandis qu’avec la montée en puissance de Trump et même de Sanders aux Etats-Unis, avec le retour efficace de la Russie au Moyen-Orient, et, bien sûr, avec les choix de l’Allemagne, on a affaire à des tournants possibles de l’histoire mondiale. Cela étant posé, oui, je dois dire que Manuel Valls a eu un certain courage de déclarer à Munich ce qu’il pensait de cette question. A ce moment-là, j’ai même eu un petit mouvement, je me suis dit que, peut-être, il valait quand même mieux que François Hollande. (Rires.)

Reste qu’une dure réalité va s’imposer aux ­Allemands: assimiler des gens d’Europe de l’Est, c’était facile, car il n’y a jamais eu aucune homogénéité ethnique en Allemagne, pays dont une bonne partie de la population a toujours consisté en Slaves germanisés. Mais, désormais, il s’agit de tout autre chose, d’une autre espèce d’immigration. Avec les Turcs, la machine avait déjà commencé à caler. Pas tellement parce qu’ils sont musulmans, contrairement à ce que beaucoup aiment à agiter en France. Mais parce que leurs structures familiales sont patrilinéaires, c’est-à-dire très favorables aux hommes, et, plus important encore, endogames.

C’est ça le marqueur important, la grande différence entre les Européens et les habitants du sud et de l’est de la Méditerranée: une tradition du mariage entre cousins qui, chez ces derniers, fait que le système familial tend à se refermer sur lui-même. La question n’est donc pas de savoir s’ils sont musulmans ou non, c’est de savoir à quel point leur système familial s’éloigne de nos cultures exogames dans lesquelles le taux de mariage entre cousins germains est toujours inférieur à 1%.

Et dans le cas des migrants syriens ou libyens, de quelles structures familiales s’agit-il?

35% de mariages entre cousins germains pour les Syriens sunnites, 19% seulement pour les Alaouites qui soutiennent Bachar al-Assad. 36-37% chez les Irakiens. Il n’existe pas de chiffres fiables pour la Libye. C’est donc beaucoup trop. Honnêtement, je pense qu’absorber brutalement des millions d’immigrés endogames venus de Syrie, d’Irak et bientôt d’ailleurs – car ce n’est que le début, je pense en effet que l’Arabie Saoudite est aussi en cours d’effondrement –, dans un pays aussi vieilli que l’Allemagne, c’est un défi absolument incroyable. L’Allemagne ne pourrait intégrer, contrôler et utiliser efficacement de telles masses de population, à de tels niveaux de différence culturelle et à un tel rythme accéléré, qu’en se stratifiant et en se durcissant. Le prix à payer serait sa transformation en une société policière ou militarisée.

Emmanuel TODD. (©Xavier Romeder pour L'OBS)

Emmanuel TODD. (©Xavier Romeder pour L’OBS)

A une époque, vous sembliez toutefois beaucoup moins pessimiste qu’aujourd’hui sur l’intégration des populations immigrées, notamment en France. Vos adversaires vous ont même parfois caricaturé en chantre de l’immigration heureuse. Vous déclariez encore au milieu des années 2000 que le raidissement réactionnaire autour des questions migratoires serait balayé dans notre pays par l’explosion des mariages mixtes et par l’arrivée de nouvelles générations ne partageant nullement ce genre d’anxiétés. Avez-vous revu vos prévisions?

Le livre que j’avais écrit sur le sujet en 1994, «le Destin des immigrés», était un livre optimiste effectivement, mais c’était aussi un livre réaliste. Il y a des gens aujourd’hui, des populistes de gauche, qui semblent découvrir les questions d’identité. Je pense notamment à ceux qui travaillent sur «l’insécurité culturelle». La différence culturelle et ses dangers, j’en avais déjà fait une analyse très brutale au milieu des années 1990. J’ai du reste été l’un des premiers à dire qu’il fallait revenir au concept d’assimilation. Donc elles retardent vraiment, ces analyses-là.

L’immigration n’est jamais un phénomène facile, même si toutes les populations sont assimilables en fin de compte. Je n’ai jamais fait partie de ces gens qui pensent qu’accueillir tous les migrants est une priorité morale absolue, un quasi-impératif catégorique, et qui négligent le droit légitime des populations européennes à un minimum de sécurité territoriale. Cette attitude morale abstraite, je l’ai toujours trouvée totalement irresponsable. Je profite de l’occasion pour signaler à ces bien-pensants qu’installer en masse en Europe les Arabes éduqués, lourdement surreprésentés parmi les réfugiés, c’est priver le Moyen-Orient de ses élites, et le condamner à des siècles de désintégration et de régression. Le destin d’Haïti…

Je reviens à la France. L’une des conditions fondamentales de l’assimilation, c’est que la machine économique tourne et que l’ascenseur social fonctionne. Or c’est cela qui a dramatiquement failli en France. Mon modèle était raisonnablement réaliste dans l’hypothèse d’une France qui ne se serait pas enferrée dans l’euro, qui ne tournerait pas à un taux de croissance zéro, garantissant la rigidification de tous les milieux sociaux. Quelle occasion gâchée pour la France, une société douée dans son rapport à l’étranger et à l’universel, assez indifférente aux différences d’apparence physique! Mais c’est ainsi. Tant qu’on aura ce blocage économique, on observera des phénomènes de pourrissement, qui pourront prendre en banlieue une forme islamique, tout simplement parce qu’il y a dans ces zones-là beaucoup de Français d’origine musulmane.

Ces phénomènes de radicalisation qui ont produit les grandes vagues d’attentats de 2015 sont l’objet de conflits d’interprétations aujourd’hui en France. Pour certains, comme Olivier Roy, l’islam n’est qu’un habillage, un prétexte à la radicalisation d’une fraction de la jeunesse totalement à l’abandon, pour d’autres, comme Gilles Kepel, une telle analyse revient à minimiser la percée du salafisme dans notre pays, et plus généralement la puissante attraction exercée par le religieux.

Je suis clairement aux côtés d’Olivier Roy ou de Farhad Khosrokhavar, des types sérieux qui savent de quoi ils parlent. D’ailleurs, l’un des problèmes actuels du gouvernement et autres islamologues obsessionnels, qui veulent tenir le pays en agitant des caricatures de Mahomet et en chantant la laïcité, c’est qu’ils redécouvrent l’existence d’une fureur populaire bien de chez nous, qu’elle prenne la forme du désespoir paysan ou de ces jeunes qui refusent la réforme du marché du travail. C’est rassurant: enfin on revient aux vraies questions.

Evidemment, le terrorisme islamique est un problème crucial. Mais, pour bien gouverner une société en crise, il faut prendre de la distance, et voir que ce drame n’est qu’un morceau d’une tragédie globale: notre société est paralysée parce que la France n’a plus de monnaie et ne peut plus avoir de politique économique. Tout est parodique dans nos débats politiques actuels. Chacun des candidats nous raconte qu’il va gouverner différemment alors qu’il sait très bien qu’il ne pourra, dans l’euro, qu’exécuter les directives de Berlin. Ou peut-être qu’il n’a même pas compris.

Alain Juppé sera bientôt le jeune espoir de la politique française. (Rires.) Je me souviens d’avoir découvert avec émerveillement durant un débat avec lui en 1988, après qu’il eut été ministre du Budget, je crois, qu’il refusait ou ignorait l’analyse économique keynésienne – ce qui nous promet de grands moments. Nous sommes vraiment devenus le pays de la Belle au Bois dormant.

Notre problème, on ne peut le restreindre à ces jeunes d’origine maghrébine qui perdent les pédales, passent parfois à la délinquance, puis de là, dans un tout petit nombre de cas, au terrorisme. L’une des choses qui m’ont le plus tristement impressionné le 13 novembre dernier, lors de ces attentats horribles, c’est justement la vision que la classe politique et les médias ont alors donnée de la jeunesse française. D’un côté, les jeunes terroristes déments, barbares, islamisés jusqu’au fond des yeux, etc. De l’autre, des jeunes tout de jovialité, parfaitement sains, et radieux, sirotant des bières à la terrasse des bistrots. Alors qu’on a aujourd’hui toutes les statistiques en main sur les difficultés effarantes pour les jeunes à entrer dans la vie adulte, la baisse de leurs revenus, leurs taux d’emploi misérables, les stages sous-payés voire non payés.

Etre jeune en France, ce n’est pas juste siroter un demi en terrasse. Cette vision-là, c’est typiquement celle d’une société âgée qui a des problèmes de prostate. Dans notre prostate civilization, c’est juste trop génial d’être jeune. Le problème fondamental de la France, ce n’est pas seulement la déviance atroce de certains parmi les plus largués de la société, c’est notre capacité à inclure les jeunes, tous les jeunes, qui ne cesse de faiblir. A nouveau, nous sommes devant ce choix que je pointais dans «Qui est Charlie?», ce livre qui a fait de moi l’ennemi public numéro un. Ou bien rester la tête dans le sac avec de pseudoproblèmes religieux, et se chauffer sur l’islam, la laïcité, etc. Ou bien affronter nos vrais problèmes économiques et sociaux, et le blocage général de la machine.

Vous n’aviez pas repris jusqu’à ce jour la parole en France depuis la violente polémique consécutive à la parution de “Qui est Charlie ?” au printemps 2015. Pourquoi un si long silence?

Avec ce livre, j’ai voulu défendre le droit à la paix de l’âme pour nos concitoyens musulmans. Il restera comme l’un des gestes dont je suis le plus fier dans ma vie, peut-être ma justification en tant qu’être humain. Mais dès que j’ouvre la télé ou la radio, je ne peux ignorer que les intellectuels comme moi fo4nt partie des vaincus de l’histoire. Partout, des obsédés de la religion, des identitaires hystériques, des types complètement méprisables intellectuellement, et qui ne travaillent pas.

Je tiens toutefois à profiter de votre question pour présenter solennellement mes remerciements à François Hollande et à Manuel Valls qui, en lançant leur projet de loi sur la déchéance de nationalité, ont validé à 100% la thèse la plus discutée de «Qui est Charlie?»: l’identification du néorépublicanisme comme pétainiste et vichyste. Je considère désormais que j’ai une dette personnelle envers le président de la République, et c’est d’avoir validé mon livre jusqu’à la dernière virgule.

“Le projet socialiste n’était plus qu’un banal cas d’escroquerie en bande organisée”

Qu’est-ce qui selon vous a à ce point heurté dans ce livre? Quel a été le cœur du différend?

C’est assez simple. Je ne me suis pas contenté de pointer la responsabilité de notre classe politique de dire qu’Hollande était nul, de suggérer que le projet socialiste n’était plus qu’un banal cas d’escroquerie en bande organisée, etc., ce que tout le monde sait désormais. Ce que j’ai dit, c’est: les classes moyennes françaises sont nulles. J’ai mis en accusation tout un monde, le mien, et ça c’est beaucoup plus grave. J’ai acté le fait que les classes moyennes françaises d’aujourd’hui ne sont plus les héritières de la Révolution. Qu’elles ne sont plus ce peuple qui croit en la liberté, en l’égalité, que tout ça c’est désormais du pipeau. Et, bien entendu, ça a énormément choqué, parce que c’est vrai.

Tout le monde s’abrite derrière le paravent d’élites politiques stupides. Mais Hollande, quelque part, est une fiction. Quand on l’entend, avec sa petite voix, quand on le voit ne prendre aucune décision… Il n’existe pas, Hollande. C’est un mythe, un fantasme collectif. Et les gens se planquent derrière leur mépris d’Hollande pour ne pas se juger eux-mêmes. Cela leur permet de ne pas se dire: eh bien voilà, je suis un Français vieillissant des classes moyennes, j’ai encore quelques super privilèges économiques, j’ai pu élever tranquillement mes enfants aux frais de l’Etat, mais maintenant, que les jeunes se démerdent, qu’ils croupissent dans les banlieues, dans les prisons, ou, s’ils sont sages, qu’ils se défoncent dans des boulots pourris. C’est là qu’était la violence du livre, et le problème qu’il pose demeure entier.

Propos recueillis par Aude Lancelin

Source : Le Nouvel Obs, Aude Lancelin, 23-03-2016

P.S. commentaires supprimés et fermés, vu les propos pouvant valoir des poursuites judiciaires

  1. ©Xavier Romeder pour L'OBS
  2. ©Xavier Romeder pour L’OBS

Source: https://www.les-crises.fr/emmanuel-todd-la-france-nest-plus-dans-lhistoire/


La Doctrine Obama [1/5] : Syrie, la crédibilité des Etats-Unis en jeu

Monday 4 April 2016 at 02:30

Cette série de 5 billets est une traduction d’un article de Jeffrey Goldberg, qui a interviewé à de multiples reprises Obama pour le rédiger.

C’est une sorte de “Testament diplomatique”, où il fait le bilan des décisions les plus difficiles qu’il a dû prendre concernant le rôle de l’Amérique dans le monde.

Réflexions intéressantes – mais on notera que la responsabilité d’Assad dans le bombardement chimique est présenté comme une certitude, ce qui est bien loin d’être le cas… Consulter par exemple la simple page Wikipédia sur le sujet (ou ici en anglais).

Merci aux contributeurs qui ont traduit ce très long article.

Vendredi 30 août 2013, le jour où l’incapable Barack Obama a conduit à une fin prématurée le règne de l’Amérique  en tant que seule superpuissance mondiale indispensable – ou, alternativement, le jour où le perspicace Barack Obama regarda attentivement l’abysse du Moyen-Orient et fit marche arrière face au gouffre – a commencé avec un discours tonitruant donné au nom d’Obama par son secrétaire d’État John Kerry, à Washington D.C. Le sujet de l’intervention anormalement churchillienne de Kerry, prononcée dans la salle du Traité (Treaty Room) du Département d’État, était le gazage des civils par le président syrien, Bachar el-Assad.

Obama, dans le cabinet duquel Kerry sert loyalement mais avec quelque exaspération, est lui-même doté d’une éloquence de haute voltige, mais pas généralement dans le style martial associé à Churchill. Obama croit que le manichéisme, éloquemment rendu belliqueux, communément associé à Churchill était justifié par la montée d’Hitler et était à l’époque défendable dans la lutte contre l’Union soviétique. Mais il pense également que la rhétorique devrait être utilisée comme une arme avec parcimonie, si elle doit l’être, aujourd’hui que nous sommes dans une arène internationale plus ambiguë et compliquée. Le président croit que la rhétorique de Churchill et, plus encore, les habitudes de raisonnement churchilliennes, ont concouru à amener son prédécesseur, George W. Bush, dans une guerre ruineuse en Irak. Obama est entré à la Maison-Blanche déterminé à en finir avec la guerre en Irak et en Afghanistan ; il n’était pas en quête de nouveaux dragons à terrasser. Et il était particulièrement attentif à une victoire prometteuse dans des conflits qu’il croyait ingagnables. « Si vous me disiez, par exemple, que nous allions débarrasser l’Afghanistan des Talibans et construire une démocratie à la place, le président est au courant que quelqu’un, sept ans plus tard, va vous demander de tenir cette promesse, » m’a dit il y a peu de temps Ben Rhodes, conseiller à la sécurité nationale adjoint, et son adjoint pour la politique étrangère.

John Kerry, le 30 Août 2013

Mais la vibrante intervention de Kerry en ce jour d’août, écrite en partie par Rhodes, était parsemée d’une colère vertueuse et de promesses téméraires, incluant la menace à peine voilée d’une attaque imminente. Kerry, comme Obama lui-même, était horrifié par les péchés commis par le régime syrien dans sa tentative de mettre fin à une rébellion en cours depuis deux ans. A Ghouta, dans la banlieue de Damas, neuf jours plus tôt l’armée d’Assad avait tué 1 400 civils au gaz sarin. Le sentiment profond au sein de l’administration Obama était qu’Assad méritait un terrible châtiment. Dans la salle de crise de la Maison-Blanche, au cours des réunions qui ont suivi l’attaque de Ghouta, seul le chef de cabinet, Denis McDonough, a averti explicitement des périls de l’intervention. John Kerry plaidait en vociférant pour l’action.

« Au cours de l’histoire, alors que des nuages menaçants s’accumulaient à l’horizon, lorsqu’il était en notre pouvoir de stopper des crimes innommables, nous avons été mis en garde contre la tentation de détourner le regard, » a dit Kerry dans son discours. « L’histoire est remplie de dirigeants  qui ont mis en garde contre l’inaction, l’indifférence et spécialement contre le silence lorsque c’est important. »

Kerry comptait Obama parmi ces dirigeants. Une année plus tôt, lorsque l’administration suspectait que le régime d’Assad envisageait le recours aux armes chimiques, Obama avait déclaré : « Nous avons été très clairs avec le régime d’Assad… qu’une ligne rouge pour nous est lorsque nous voyons toutes sortes d’armes chimiques circuler ou être utilisées. Cela changerait mes calculs. Cela changerait mon équation. »

Malgré cette menace, beaucoup de critiques trouvaient Obama froidement détaché de la souffrance d’innocents Syriens. Plus tard au cours de l’été 2011, il a appelé au départ d’Assad. « Pour le bien du peuple syrien, » a dit Obama, « le temps est venu pour le président Assad de se retirer. » Mais Obama a initialement peu fait pour obtenir ce départ.

Il a résisté aux demandes d’agir notamment parce qu’il supposait, en se fondant sur les analyses des services secrets américains, qu’Assad tomberait sans son aide. « Il pensait qu’Assad suivrait le même chemin que Moubarak, » m’a dit Denis Ross, ancien conseiller sur le Moyen-Orient d’Obama, en se référant au départ rapide du président égyptien Hosni Moubarak début 2011, un moment qui a représenté le point d’orgue du Printemps arabe. Mais alors qu’Assad s’accrochait au pouvoir, la résistance d’Obama à une intervention directe ne faisait qu’aller croissant. Après plusieurs mois de réflexion, il autorisa la CIA à entrainer et financer les rebelles, mais il partageait aussi la vision de son ancien secrétaire à la défense, Robert Gates, qui demandait continuellement lors des réunions : « Ne devrions-nous pas terminer les deux guerres déjà en cours avant d’en chercher une autre ? »

Samantha Power

L’actuelle ambassadrice américaine aux Nations-Unis, Samantha Power, qui est la plus disposée à l’intervention parmi les hauts conseillers d’Obama, a très tôt argumenté en faveur de l’armement des rebelles. Power, qui durant cette période était au Conseil pour la sécurité nationale, est l’auteur d’un livre encensé dénonçant une succession de présidents américains pour leurs manques à prévenir un génocide. Le livre, A Problem from hell, publié en 2002, a rapproché Obama de Power alors qu’il était sénateur, bien que les deux ne soient pas selon toute évidence sur la même longueur d’onde idéologiquement. Power est une partisane de la doctrine connue comme promouvant une « responsabilité de protéger », selon laquelle la souveraineté ne devrait pas être considérée comme inviolable lorsqu’un pays massacre ses propres citoyens. Elle a fait pression sur lui pour qu’il intègre cette doctrine au discours qu’il a donné lorsqu’il a accepté le prix Nobel de la paix en 2008, mais il a refusé. Obama ne croit pas de manière générale qu’un président devrait mettre les soldats américains en danger afin d’empêcher des désastres humanitaires, à moins que ces désastres ne constituent une menace directe pour la sécurité des États-Unis.

Power débattait quelquefois avec Obama devant le reste des officiels du Conseil pour la sécurité nationale, jusqu’au point où il ne pouvait plus longtemps dissimuler son insatisfaction, « Assez, Samantha, j’ai déjà lu votre livre, » lui répondit-il sèchement une fois.

Obama dans le bureau ovale où deux ans et demi plus tôt il choquait les délégués à la sécurité nationale en annulant les frappes aériennes en Syrie

Obama, contrairement aux interventionnistes libéraux, est un admirateur du réalisme de la politique étrangère du président George H. W. Bush père et, en particulier, du conseiller en sécurité nationale de Bush, Brent Scowcroft (« J’adore ce type, » m’a une fois dit Obama). Bush et Scowcroft ont délogé l’armée de Saddam Hussein du Koweït en 1991, et ils ont adroitement géré la désintégration de l’Union soviétique ; Scowcroft a aussi, au nom de Bush, dénoncé les dirigeants chinois peu après le meurtre de la place de Tiananmen. Alors qu’Obama écrivait son manifeste de campagne, The Audacy of Hope, en 2006, Susan Rice, alors conseillère informelle, a jugé nécessaire de lui rappeler d’inclure au moins une ligne de louange pour la politique étrangère de Bill Clinton, pour équilibrer quelque peu les éloges dont il couvrit Bush et Scowcroft.

Dès le début du soulèvement syrien, début 2011, Power défendait l’idée que les rebelles, extraits des rangs des citoyens ordinaires, méritaient le soutien enthousiaste des Américains. D’autres notèrent que les rebelles étaient des fermiers, des médecins et des charpentiers, comparant ces révolutionnaires aux hommes qui avaient gagné la guerre d’indépendance américaine.

Obama retourna cette idée. « Lorsque vous avez une armée professionnelle, » m’a-t-il dit une fois, « qui est bien armée et sponsorisée par deux grands États » – l’Iran et la Russie – « qui ont d’énormes intérêts en jeu et qui combattent contre un fermier, un charpentier ou un ingénieur, qui ont commencé en tant que manifestants puis soudainement se voient au milieu d’une guerre civile… ». Il fit une pause. « L’idée que nous aurions pu – d’une façon qui n’engageait pas les forces armées américaines – changer la donne sur le terrain n’a jamais été vraie. » Le message qu’Obama faisait passer dans ses discours et interviews était clair : il ne finirait pas comme le second président Bush – un président qui s’est tragiquement laissé embourber au Moyen-Orient, dont les décisions ont rempli les salles de Walter Reed de soldats gravement blessés, qui a été incapable de stopper la destruction de sa réputation, même lorsqu’il réajusta sa politique lors de son second mandat. Obama avait pour habitude de dire en privé que la première tâche d’un président américain dans l’ère post-Bush était : « Ne fais pas de conneries. »

La réticence d’Obama a frustré Power et d’autres dans son équipe de sécurité nationale qui avaient une préférence pour l’action. Hillary Clinton, lorsqu’elle était secrétaire d’État d’Obama, argumentait en faveur d’une réponse prompte et ferme aux violences d’Assad. En 2014, après avoir quitté son poste, Clinton m’a dit que « l’échec à créer une force de combat crédible avec les gens qui étaient les organisateurs et les manifestants contre Assad … a laissé un grand vide que les djihadistes ont maintenant rempli. » Lorsque The Atlantic publia cette déclaration et aussi l’affirmation de Clinton selon laquelle « les grandes nations ont besoin de principes directeurs et “Ne fais pas de choses stupides” n’est pas un principe directeur, » Obama devint fou de rage, selon l’un de ses hauts conseillers. Le président ne comprenait pas comment « Ne fais pas de conneries » pouvait être considéré comme un slogan prêtant à controverse. Ben Rhodes se rappelle que « les questions que nous posions à la Maison-Blanche étaient “qui exactement est dans le parti de la connerie ? Qui est pro-conneries ?” ». Obama pensait que l’invasion de l’Irak aurait dû apprendre aux interventionnistes démocrates comme Clinton, qui avait voté pour son autorisation, les dangers de faire des conneries. (Clinton s’est rapidement excusée auprès d’Obama pour ses commentaires et le porte-parole de Clinton a annoncé que les deux allaient « arranger ça par une accolade » sur l’île Martha’s Vineyard, où ils se croisèrent un peu plus tard.)

Vidéo : La “ligne rouge” d’Obama

La Syrie représentait pour Obama une pente potentiellement aussi glissante que celle de l’Irak. Durant son premier mandat, il en est arrivé à penser que seul un petit nombre de menaces au Moyen-Orient pouvaient justifier l’intervention militaire américaine. Cela incluait la menace posée par al-Qaïda ; les menaces quant à l’existence d’Israël (« ce serait un échec moral pour moi en tant que président des États-Unis » de ne pas défendre Israël, m’a-t-il une fois dit) ; et, non sans relation avec la sécurité d’Israël, la menace posée par l’arme nucléaire iranienne. Le danger pour les États-Unis du régime d’Assad n’était pas du même acabit.

Étant donné la réticence d’Obama à propos de l’intervention, la ligne rouge vif qu’il a tracée pour Assad durant l’été 2012 était étonnante. Même ses propres conseillers étaient surpris. « Je ne l’ai pas vu arriver, » m’a dit à l’époque son secrétaire à la Défense Leon Panetta. On m’a dit que le vice-président Joe Biden avait à plusieurs reprises mis en garde Obama contre le fait de tracer une ligne rouge pour les armes chimiques, de peur que cela ne survienne un jour.

Kerry, dans son intervention du 30 août 2013, suggérait qu’Assad devrait être puni en partie parce que « la crédibilité et les intérêts futurs des États-Unis et de leurs alliés » étaient en jeu. « C’est directement en lien avec notre crédibilité et le fait que les pays croient encore les États-Unis lorsqu’ils disent quelque chose. Ils regardent pour voir si la Syrie peut s’en tirer sans être inquiétée, parce qu’alors ils pourront eux aussi mettre le monde en grand danger. »

Quatre-vingt-dix minutes plus tard, à la Maison-Blanche, Obama renforçait le message de Kerry lors d’une déclaration publique : « Il est important pour nous de reconnaître que lorsque plus de mille personnes sont tuées, y compris des centaines d’enfants innocents, par l’usage d’une arme dont 98 à 99 pour cent de l’humanité disent qu’elle ne devrait jamais – pas même en temps de guerre – être utilisée, et que cela n’est suivi d’aucune conséquence, alors nous envoyons un message comme quoi la norme internationale ne signifie pas grand-chose. Et cela constitue un danger pour notre sécurité nationale. »

Il semblait que Obama avait tiré la conclusion que les torts causés à la crédibilité américaine dans une région du monde allaient faire tache d’huile, et que la crédibilité dissuasive des États-Unis était bien en jeu en Syrie. Assad, semble-t-il, avait réussi à pousser le président dans ses retranchements. Obama pensait de manière générale que l’establishment de la politique étrangère à Washington, qu’il dédaigne secrètement, fétichise la « crédibilité » – particulièrement la crédibilité achetée par la force. La préservation de la crédibilité, dit-il, conduisit au Vietnam. A la Maison-Blanche, Obama affirmait que « larguer des bombes sur quelqu’un pour prouver que vous êtes décidé à larguer des bombes sur quelqu’un est à peu près la pire raison d’employer la force. »

La crédibilité de la sécurité nationale américaine, comme elle est traditionnellement comprise au Pentagone, au département d’État et dans le regroupement de think tanks ayant leurs quartiers généraux à proximité de la Maison-Blanche, est une force immatérielle mais puissante – qui, lorsqu’elle est bien entretenue, maintient le sentiment de sécurité des amis de l’Amérique et maintient stable l’ordre international.

Joe Biden

Lors des réunions à la Maison-Blanche durant cette semaine cruciale d’août, Biden, qui d’ordinaire partage les inquiétudes d’Obama quant à l’excès de zèle américain, défendait avec passion l’idée que « les grandes nations ne bluffent pas ». Les alliés les plus proches des États-Unis en Europe et au Moyen-Orient pensaient qu’Obama menaçait d’une action militaire, et ses propres conseillers pensaient de même. Au cours du mois de mai précédent, lors d’une conférence de presse conjointe à la Maison-Blanche entre Obama et David Cameron, le Premier ministre britannique avait dit « l’histoire de la Syrie est en train de s’écrire dans le sang de son peuple et cela se produit sous nos yeux. » La déclaration de Cameron, m’a dit l’un de ses conseillers, avait pour objectif d’encourager Obama à une action plus décisive. « Le Premier ministre avait certainement l’impression que le président ferait respecter la ligne rouge, » m’a dit le conseiller. L’ambassadeur saoudien à Washington à cette période, Adel al-Jubeir, a dit à des amis, et à ses supérieurs à Riyad, que le président était finalement prêt à frapper. Obama « a compris à quel point c’est important, » a alors affirmé Jubeir, qui est maintenant le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite. « Il va sans aucun doute passer à l’attaque. »

Obama avait déjà donné l’ordre au Pentagone de développer une liste de cibles. Cinq destroyers de classe Arleigh Burke étaient stationnés en Méditerranée, prêts à lancer des missiles de croisière sur des cibles du régime. Le président français François Hollande, le plus enthousiaste des pro-interventionnistes parmi les dirigeants d’Europe, se préparait également à frapper. Toute la semaine, les représentants de la Maison-Blanche martelaient que Assad avait commis un crime contre l’humanité. Le discours de Kerry allait marquer le point culminant de cette campagne.

Mais le président était de plus en plus mal à l’aise. Obama me racontait plus tard que, durant les jours qui suivirent le gazage de Ghouta, il répugnait de plus en plus à l’idée de procéder à une attaque non validée par le droit international ou par le Congrès. Le peuple américain ne semblait pas se réjouir d’une éventuelle intervention en Syrie ; tout comme l’un des rares dirigeants étrangers que Obama respecte, Angela Merkel, la chancelière allemande. Elle lui a dit que son pays ne participerait pas à une campagne en Syrie. Et de façon inattendue, le 29 août, le parlement britannique refusa à David Cameron son accord pour une attaque. John Kerry me dit plus tard que lorsqu’il avait entendu cela : « intérieurement, je me suis dit Oups. »

Obama a également été déstabilisé par la visite surprise plus tôt dans la semaine de James Clapper, son directeur des services secrets, qui interrompit le briefing journalier du président – le rapport sur les menaces qu’Obama reçoit chaque matin des analystes de Clapper – pour rendre clair le fait que les informations issues du renseignement sur l’usage du gaz sarin en Syrie, bien que solides, n’étaient pas « exemptes de tout doute ». Il a choisi ce terme avec précaution. Clapper, le chef d’une communauté du renseignement traumatisée par ses échecs durant la préparation de la guerre en Irak, ne souhaitait pas faire de promesses excessives, à la manière de l’ancien directeur de la CIA George Tenet, qui avait garanti à George W. Bush, concernant l’Irak, qu’il n’y avait aucun doute à avoir.

Obama et le vice-président Joe Biden en réunion avec les membres du Conseil pour la sécurité nationale, incluant Susan Rice et John Kerry (deuxième et troisième en partant de la gauche) en décembre 2014.

Alors que le Pentagone et les organes de la sécurité nationale de la Maison-Blanche se dirigeaient vers la guerre (John Kerry m’a dit qu’il s’attendait à une frappe le lendemain de son discours), le président en était arrivé à penser qu’il s’avançait vers un piège – mis en place à la fois par ses alliés et ses adversaires, et par les attentes traditionnelles de ce qu’un président américain est supposé faire.

Beaucoup de ses conseillers n’ont pas saisi l’ampleur de ses réticences ; son cabinet et ses alliés n’en avaient certainement pas conscience. Mais ses doutes grandissaient. Le vendredi en fin d’après-midi, Obama décida qu’il n’était tout simplement pas prêt à autoriser une frappe. Il demanda à McDonough, son chef de cabinet, d’aller faire un tour avec lui dans les jardins de la Maison-Blanche (South Lawn). Obama n’a pas choisi McDonough par hasard : il est l’adjoint d’Obama le plus réticent à une intervention militaire, et quelqu’un qui, selon un de ses collègues, « pense en termes de pièges ». Obama, ordinairement un homme extrêmement confiant, cherchait en l’occurrence l’approbation et essayait de trouver un moyen d’expliquer son changement d’avis, à la fois à ses adjoints et au public. Lui et McDonough restèrent dehors durant une heure. Obama lui dit qu’il craignait qu’Assad utilise des civils comme « boucliers humains » autour des cibles les plus évidentes. Il soulignait aussi un défaut sous-jacent de la frappe proposée : les missiles américains ne seraient pas tirés sur les dépôts d’armes chimiques, par peur de propager du poison dans l’air. La frappe ciblerait les unités militaires qui avaient utilisé ces armes, mais pas les armes elles-mêmes.

Obama partagea également avec McDonough un ressentiment de longue date : il était fatigué de voir Washington dériver de manière irréfléchie vers la guerre dans les pays musulmans. Il estimait que, quatre ans auparavant, le Pentagone l’avait « coincé » concernant l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan. Maintenant, avec la Syrie, il commençait à se sentir de nouveau coincé.

Lorsque les deux hommes revinrent au bureau ovale, le Président dit à ses adjoints de la sécurité nationale qu’il prévoyait d’attendre. Il n’y aurait pas d’attaque le lendemain ; il voulait soumettre la question au vote du Congrès. Les adjoints dans la pièce étaient sous le choc. Susan Rice, à présent conseillère pour la sécurité nationale d’Obama, rétorquait que les dommages pour la crédibilité américaine seraient sévères et durables. D’autres eurent du mal à saisir comment le président pouvait changer d’avis la veille de l’attaque prévue. Obama, toutefois, était tout à fait calme. « Si vous êtes dans son entourage, vous savez quand il est incertain sur quelque chose, lorsque c’est une décision à 51 contre 49, » me dit Ben Rhodes. « Mais là il était totalement à l’aise. »

Il y a peu de temps, j’ai demandé à Obama de décrire son état d’esprit ce jour-là. Il lista les considérations pratiques qui l’avaient préoccupé. « Nous avions des inspecteurs des Nations Unies sur le terrain qui terminaient leur travail et nous ne pouvions prendre de risques tant qu’ils y étaient. Le deuxième facteur majeur fut l’échec de Cameron à obtenir le consentement de son parlement. »

Le troisième facteur, et le plus important, m’a-t-il dit était « notre analyse que bien que nous puissions infliger des dommages à Assad, nous ne pouvions pas, via une frappe de missiles, éliminer les armes chimiques elles-mêmes, et j’aurais alors été confronté à la possibilité qu’Assad survive à l’attaque et prétende avoir réussi à défier les États-Unis, que les États-Unis avaient agi illégalement en l’absence de mandat des Nations Unies, et cela aurait potentiellement renforcé plutôt qu’affaibli sa position. »

Le quatrième facteur, dit-il, était d’importance plus philosophique. « C’est une de ces idées que je ruminais depuis un certain temps, » dit-il. « J’étais arrivé en fonction avec la forte conviction que l’étendue du pouvoir exécutif concernant les questions de sécurité nationale est très large, mais pas illimitée. »

Barack Obama et Manuel Valls

Obama savait que sa décision de ne pas bombarder la Syrie allait probablement contrarier les alliés de l’Amérique. Ce fut le cas. Le Premier ministre français, Manuel Valls, m’a dit que son gouvernement était déjà inquiet des conséquences de l’inaction en Syrie lorsque l’information de la suspension de la frappe est arrivée. « En n’intervenant pas rapidement, nous avons créé un monstre, » m’a dit Manuel Valls. « Nous étions absolument certains que l’administration américaine dirait oui. Travaillant avec les Américains, nous avions déjà vu ensemble les cibles. Cela fut une grande surprise. Si nous avions bombardé comme nous l’avions prévu, je pense que les choses seraient différentes aujourd’hui. » Le prince couronné d’Abou Dhabi, Mohammed bin Zayed al-Nahyan, qui était déjà contrarié par Obama pour avoir « abandonné » Hosni Moubarak, l’ancien président de l’Égypte, fulminait face aux visiteurs américains que les États-Unis étaient dirigés par un président « non digne de confiance ». Le roi de Jordanie, Abdullah II – déjà consterné parce qu’il voyait comme le désir illogique d’Obama d’éloigner les États-Unis de ses traditionnels alliés arabes sunnites et de créer une nouvelle alliance avec l’Iran, le sponsor chiite d’Assad – se plaignait en privé : « Je pense que j’ai plus foi dans le pouvoir américain que Obama. » Les Saoudiens aussi étaient furieux. Ils n’avaient jamais fait confiance à Obama – il s’était, bien avant qu’il ne devienne président, référé à eux comme de « soi-disant alliés » des États-Unis. « L’Iran est la nouvelle grande puissance du Moyen-Orient et les États-Unis l’ancienne, » avait dit Jubeir, l’ambassadeur saoudien à Washington, à ses supérieurs à Riyad.

La décision d’Obama a causé des secousses à Washington également. John McCain et Lindsey Graham, les deux meneurs des faucons républicains au Sénat, avaient rencontré Obama à la Maison-Blanche plus tôt dans la semaine et une attaque leur avait été promise. Ils furent furieux du volte-face. Des dommages furent causés même au sein de l’administration. Ni Chuck Hagel, alors secrétaire à la Défense, ni John Kerry n’étaient dans le bureau ovale lorsque le président a informé son équipe de sa décision. Kerry n’apprit le changement que tard dans la soirée. « J’ai juste été baisé, » a-t-il dit à un ami peu de temps après avoir parlé avec le président cette nuit-là. (Lorsque j’ai interrogé Kerry récemment au sujet de cette nuit tumultueuse, il m’a dit « Je n’ai pas arrêté de l’analyser. J’ai compris que le président avait eu raison de prendre cette décision et, honnêtement, j’ai compris l’idée. »)

Les jours suivants furent chaotiques. Le président demanda au Congrès d’autoriser l’usage de la force – l’irrépressible Kerry servit de lobbyiste en chef – et il devint rapidement évident à la Maison-Blanche que le Congrès s’intéressait peu à la frappe. Lorsque j’ai parlé avec Biden récemment au sujet de la décision de la ligne rouge, il fit une allusion particulière à ce fait : « Il est important d’avoir le Congrès avec soi, en terme de capacité à soutenir ce que vous prévoyez de faire, » dit-il. Obama « n’est pas allé au Congrès pour se décharger de sa responsabilité. Il avait des doutes à ce moment donné, mais il savait que s’il faisait quelque chose, il ferait mieux d’avoir le public avec lui, ou la balade aurait été de courte durée. » L’ambivalence évidente du Congrès a convaincu Biden que Obama avait raison de craindre la pente glissante. « Qu’arrive-t-il lorsque vous avez un avion abattu ? N’allons-nous pas le secourir ? » demanda Biden. « Vous avez besoin du soutien du peuple américain. »

Dans la confusion, un deus ex machina apparut sous la forme du président russe Vladimir Poutine. Au sommet du G20 à Saint-Pétersbourg, qui se tenait la semaine suivant le retournement syrien, Obama prit Poutine à part, me rappela-t-il, et lui dit « que s’il forçait Assad à se débarrasser des armes chimiques, cela éliminerait le besoin pour eux de procéder à une frappe militaire. » Durant des semaines, Kerry, travaillant avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, conçurent l’élimination de la plus grande partie de l’arsenal d’armes chimiques de Syrie – un programme dont Assad avait jusqu’ici refusé de reconnaître ne serait-ce que l’existence.

Le moment où Obama décida de ne pas appliquer sa ligne rouge et bombarder la Syrie, il rompit avec ce qu’il appelle, avec dérision, «le Manuel de Washington. » Ce fut son jour de libération.

Benyamin Netanyahou et Barack Obama

L’accord valut au président l’éloge de Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien avec qui il a eu une relation constamment litigieuse. L’élimination des stocks d’armes chimiques syriennes représentait « un rayon de lumière dans une région très sombre, » me dit Netanyahou peu de temps après que l’accord a été annoncé.

John Kerry n’exprime aujourd’hui aucune patience pour ceux qui argumentent, comme il l’a lui-même fait, que Obama aurait dû bombarder les sites du régime d’Assad afin de renforcer la capacité de dissuasion américaine. « Vous auriez toujours les armes présentes, et vous seriez probablement en train de combattre Daech» pour le contrôle des armes, dit-il, se référant à l’État islamique. « Cela n’a juste pas de sens. Mais je ne peux pas nier que cette conception du franchissement d’une ligne rouge et de l’inaction d'[Obama] ait acquis sa propre vie. »

Obama comprend que la décision qu’il a prise de renoncer aux frappes aériennes et de permettre la violation impunie de la ligne rouge qu’il avait lui-même tracée sera impitoyablement mise en question par les historiens. Mais aujourd’hui cette décision est source de grande satisfaction pour lui.

« Je suis très fier de ce moment, » m’a-t-il dit. « L’écrasant poids de la pensée conventionnelle et de la machinerie de notre organe de sécurité nationale était allé assez loin. Le sentiment était que ma crédibilité était en jeu, que la crédibilité de l’Amérique était en jeu. Et donc pour moi presser le bouton à ce moment, je le savais, m’aurait coûté politiquement. Et le fait que j’ai été capable de repousser les pressions immédiates et de penser par moi-même ce qui était dans l’intérêt de l’Amérique, pas seulement eu égard à la Syrie mais aussi eu égard à notre démocratie, a été la décision la plus difficile que j’ai prise – et je pense finalement que c’était la bonne décision à prendre. »

Ce fut le moment où le président pense qu’il a finalement rompu avec ce qu’il appelle, avec dérision, « Le manuel de Washington. »

« Où suis-je contesté ? Lorsqu’il s’agit de l’usage du pouvoir militaire, » dit-il. “C’est la source de la contestation. Il y a un manuel à Washington que les présidents sont supposés suivre. C’est un manuel qui provient de l’establishment de la politique étrangère. Et le manuel prescrit les réponses aux différents évènements, et ces réponses tendent à être des réponses militaires. Lorsque l’Amérique est directement menacée, le manuel fonctionne. Mais le manuel peut aussi être un piège qui peut conduire à de mauvaises décisions. Au milieu d’un défi international comme la Syrie, vous êtes jugé sévèrement si vous ne suivez pas le manuel, même s’il y a de bonnes raisons pour qu’il ne s’applique pas. »

J’en suis arrivé à penser que, dans l’esprit d’Obama, le 30 août 2013 a été le jour de sa libération, le jour où il a défié non seulement l’establishment de la politique étrangère et son manuel missile croisière, mais aussi les demandes des alliés frustrés et exigeants de l’Amérique au Moyen-Orient, se plaint-il en privé à ses amis et conseillers qui cherchent à exploiter le « muscle » américain au service de leurs intérêts étroits et sectaires. Depuis 2013, les ressentiments d’Obama ont été bien développés. Il éprouve du ressentiment envers les dirigeants militaires qui pensaient qu’ils pouvaient résoudre tout problème si le commandant en chef leur donnait simplement ce qu’ils voulaient, et il éprouve du ressentiment pour l’ensemble des think tanks sur la politique étrangère. Un sentiment largement partagé au sein de la Maison-Blanche est que beaucoup des plus importants think tanks à Washington font le jeu de leurs pourvoyeurs de fonds arabes et pro-Israéliens. J’ai entendu un représentant de l’administration se référer à l’avenue Massachusetts, le siège de beaucoup de ces think tanks, comme « Arab occupied territory » (territoire occupé arabe).

Obama parle avec le président russe Vladimir Poutine avant l’ouverture de la session du G20 à Antalya en novembre 2015.

Pour certains experts de politique étrangère, même au sein de sa propre administration, la volte-face d’Obama sur l’application de la ligne rouge a été un moment décourageant dans lequel il apparaît irrésolu et naïf, et a causé des dommages durables à la position des États-Unis dans le monde. “Une fois que le commandant en chef tire cette ligne rouge, » Leon Panetta , qui a servi comme directeur à la CIA, puis comme secrétaire de la Défense dans le premier mandat d’Obama, m’a dit récemment, “je pense que la crédibilité du commandant en chef et de cette nation est en jeu s’il ne l’applique pas.” Juste après le changement d’avis d’Obama, Hillary Clinton dit en privé : “Si vous dites que vous allez frapper, vous devez frapper. Il n’y a pas le choix.”

“Assad est effectivement récompensé pour l’utilisation d’armes chimiques, plutôt que « puni » comme prévu initialement.” Shadi Hamid, chercheur à la Brookings Institution, écrivait pour The Atlantic à l’époque. “Il a réussi à éliminer la menace d’une action militaire des États-Unis tout en donnant très peu en retour.”

Même les commentateurs qui ont été largement favorables à la politique d’Obama ont estimé calamiteux cet épisode. Gideon Rose, rédacteur en chef de Foreign Affairs, a écrit récemment que le traitement de cette crise par Obama – “premièrement l’annonce désinvolte d’un engagement majeur, puis l’hésitation à le respecter, puis le lancer frénétique de la balle dans le camp du Congrès pour qu’il prenne une décision – était un exemple d’improvisation et d’amateurisme embarrassant.”

Les défenseurs d’Obama, cependant, affirment qu’il n’a pas causé de dommages à la crédibilité des États-Unis, citant l’accord ultérieur d’Assad pour la suppression de ses armes chimiques. “La menace de la force était suffisamment crédible pour qu’ils renoncent à leurs armes chimiques, » m’a dit Tim Kaine, un sénateur démocrate de Virginie. “Nous avons menacé d’action militaire et ils ont répondu. C’est la crédibilité de la dissuasion.”

L’histoire peut enregistrer le 30 août 2013 comme le jour où Obama a empêché les États-Unis d’entrer dans une autre guerre civile musulmane désastreuse, et le jour où il a supprimé la menace d’une attaque chimique sur Israël, la Turquie ou la Jordanie. Ou on pourrait s’en souvenir comme le jour où il laisse le Moyen-Orient s’échapper des griffes de l’Amérique, pour s’en remettre aux mains de la Russie, de l’Iran et de Daech.

Source : The Atlantic, le 09/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Source: http://www.les-crises.fr/la-doctrine-obama-15-syrie-la-credibilite-des-etats-unis-en-jeu/


Panama Papers : le plus gros scandale d’évasion fiscale de l’histoire [Edité]

Monday 4 April 2016 at 01:35

On retrouve ici l’illustration d’un propos que j’ai déjà tenu : on luttera contre la fraude fiscale non pas tant par des réformes, mais par la disparition de la confiance des fraudeurs à cause de ce genre de trahisons, rendues possibles par l’informatique.

Je milite donc pour une mesure à l’américaine : amnistie, asile et rémunération de 50 % des sommes récupérées par le fisc pour les dénonciateurs étrangers de Français fraudeurs, valable en particulier si le dénonciateur commet des actes illégaux dans son pays pour ce faire, vu que c’est le but. Ainsi, impossible pour un fraudeur d’avoir confiance envers un banquier, son assistant, son avocat, sa secrétaire, ses informaticiens, les hackers attaquant la banque, etc. Plus de confiance, plus de fraude.

Source : L’Obs, 03/04/2016

C’est le plus gros scandale d’évasion fiscale de l’histoire : que sont les Panama Papers ?

Des décennies de montages financiers opaques refont surface : “Le Monde” et 106 journaux internationaux publient tout au long de la semaine le fruit de neuf mois d’enquête sur les fuites d’un cabinet panaméen.

“La plus grande fuite de données de l’histoire du journalisme” : le quotidien “Le Monde”, qui révèle le scandale ce dimanche 3 avril en même temps que 106 autres médias du monde entier, n’est guère connu pour galvauder ses effets d’annonce. Responsables politiques de tous les continents, milliardaires en vue, pontes du football mondial ou anonymes, ils sont des milliers à être mouillés : l’affaire des Panama Papers est un violent coup de pied dans la fourmilière de l’évasion fiscale.

# Une ampleur de données jamais vue

Les chiffres suffisent presque à caractériser l’importance de cette fuite. Les “Panama Papers”, ce sont près de 11,5 millions de documents, piratés dans les archives d’un “champion du monde” de la création de sociétés offshore : le cabinet panaméen Mossack Fonseca.

Le tableau esquissé à travers ces fichiers, qui remontent à la création du cabinet en 1977, est à peine croyable : plus de214.000 entités “offshore” créées ou administrées par cette seule société sur 38 ans, dans 21 paradis fiscaux différents et pour des clients de plus de 200 pays. Et ces clients ne sont pas n’importe qui : 12 chefs d’Etat dont 6 en activité, 128 responsables politiques et hauts fonctionnaires de premier plan du monde entier, et 29 membres du classement Forbes des 500 personnes les plus riches de la planète.

Au total, plus de 2,6 téraoctets (2.600 Go) de données ont été sortis des placards de Mossack Fonseca, et épluchés par 370 journalistes de 107 médias du monde entier, qui ont travaillé pendant 9 mois pour en tirer des informations et les mettre en forme. Ils révèlent les bénéficiaires se trouvant derrière plus de 214 000 sociétés offshore situées dans 21 paradis fiscaux.

# D’où viennent les informations ?

Comme dans les affaires WikiLeaks ou UBS Leaks, ces révélations proviennent de l’initiative individuelle d’un lanceur d’alerte. Tout commence début 2015, lorsque des journalistes du quotidien allemand “Süddeutsche Zeitung” commencent à enquêter sur le rôle de Mossack Fonseca dans la fraude fiscale présumée de la Commerzbank, deuxième banque d’Allemagne.

C’est alors qu’ils entrent en contact avec cette source anonyme, dont la collaboration va dépasser toutes leurs espérances : grâce à un accès pirate au serveur de messagerie électronique du cabinet panaméen, l’individu commence à leur transmettre cette “mine d’or” au compte-goutte.

Face à cette masse de données dont l’authenticité ne fait plus de doute, la rédaction du quotidien munichois décide d’appeler à l’aide de l’ICIJ, le Consortium international du journalisme d’investigation, basé à Washington. “Le Monde” participe à ce gigantesque travail commun, aux côtés de médias indiens, suisses, russes, américains, brésiliens ou japonais.

# Quelles personnalités y figurent ?

Les révélations paraîtront en feuilleton tout au long de la semaine. Néanmoins, on sait d’ores et déjà que le président russe Vladimir Poutine, par le biais de son entourage, la famille al-Assad en Syrie ainsi que le Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson, font partie des chefs d’Etat éclaboussés par le scandale.

Oh, ils sont forts : “l’entourage” de Poutine et Assad en premier – c’est un métier “journaliste” !

Le quotidien “Le Soir” cite également le Premier ministre du Pakistan Nawaz Sharif, le roi Salman d’Arabie saoudite, les enfants du président d’Azerbaïdjan, le président argentin Mauricio Macri, le président ukrainien Petro Porochenko, l’ancien Premier ministre irakien Ayad Allawi ou son homologue ukrainien Pavlo Lazarenko. Le sommet de l’Etat brésilien serait également concerné.

Ceux-là m’intéressent déjà bien plus…

Le monde du football n’est pas en reste. Des sociétés offshore créées par les Français Michel Platini (ex-président de l’UEFA) et Jérôme Valcke, récemment suspendus de la Fifa, figurent dans les fichiers. Le footballeur argentin Lionel Messi est également cité pour l’affaire portant sur ses droits à l’image.

Des révélations spécifiques sur la France, mais aussi sur le milieu bancaire mondial, le continent africain et la Chine, suivront au fil de la semaine.

# Qu’apprend-on sur les techniques d’évasion fiscale ?

Le Panama est considéré internationalement comme une plaque tournante du blanchiment d’argent, et le cabinet Mossack Fonseca, implanté dans le petit pays d’Amérique centrale, s’est spécialisé dans la création de sociétés-écrans dans les paradis fiscaux qui permettent à leurs propriétaires de dissimuler leur identité grâce à des prête-noms. Toutes ces sociétés ne sont pas illégales : chez Mossack Fonseca, comme le résume “Le Monde”, “l’argent propre côtoie l’argent sale, et l’argent gris, celui de la fraude fiscale, côtoie l’argent noir – celui de la corruption et du crime organisé”.

Ce brassage indifférencié et cynique explique qu’on retrouve aussi bien grandes fortunes, stars du football, chefs d’Etat corrompus et réseaux criminels parmi les clients de la compagnie. Tous n’ont pas le même niveau de dissimulation : les clients qui veulent se rendre complètement indétectables s’abritent derrière trois ou quatre sociétés imbriquées les unes dans les autres, créées si possible dans des paradis fiscaux différents.

Et les courriels des employés de Mossack Fonseca, consultés par “Le Monde”, confirment que “les artisans de l’offshore parviennent toujours à conserver un coup d’avance sur les tentatives de régulation mondiale”, écrit le quotidien. La multiplication des intermédiaires fournit un argument tout trouvé au cabinet, qui, mis en accusation, renvoie la responsabilité vers les quelque 14.000 opérateurs (banques mondiales, fiduciaires, gestionnaires de fortune) qui mettent ses clients en relation.

Dans un récent entretien accordé à la télévision panaméenne, le cofondateur du cabinet, Ramon Fonseca, comparait son entreprise à une “usine de voitures”. Un constructeur automobile doit-il répondre des forfaits commis par les criminels qui roulent dans ses voitures ?

Sauf que la comparaison a ses limites. Dans l’écrasante majorité des pays du monde, Mossack Fonseca a l’obligation de se renseigner sur les ayant-droit des sociétés qu’elle administre. Et à la lecture de ses correspondances internes, on s’aperçoit que “l’usine” connaît le plus souvent parfaitement l’identité des personnes à qui elle vend ses produits clés en main…

T.V.

Source : L’Obs, 03/04/2016

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Tiens, on n’apprend presque rien sur les Français…

Pourtant pour les Belges, leurs médias indiquent : “732 Belges exposés

En proportion, il devrait donc y avoir 2 ou 3 Français hein…

EDIT : réponse ici  pour la France (mais c’est peut-être partiel ?) : 285 entreprises, 77 clients, 105 bénéficiaires, 757 actionnaires

france-panama

Le site des Panama Papers est ici

panama

On a quand même ça :

cahuzac

Mais c’est donc à suivre… On va rire…

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EDIT : ah pardon, on rit déjà :

legion-fraudeur-1

On lui retire quand ?

legion-fraudeur-2

Source: http://www.les-crises.fr/panama-papers-le-plus-gros-scandale-devasion-fiscale-de-lhistoire/


[Pas trop vu à la télé] Trump renouvelle ses attaques contre l’Otan

Monday 4 April 2016 at 00:56

Tu m’étonnes que ça plait bien à l’électeur républicain de base qui se demande pourquoi il paie des impôts pour semer la désolation sur la planète et “protéger” les autres pays aussi riches que le sien… “Populiste” va !

C’est rigolo ça, imaginez que Clinton, élue, finisse, à force de provocations non maitrisées par déclencher une guerre nucléaire qui décime l’espèce, eh bien il ne restera personne pour se moquer des médias et de leur rôle dans tout ceci…

Donald Trump continue sa charge contre l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) malgré le rappel à l’ordre de Barack Obama concernant ses propos sur la politique étrangère.

En meeting pour les primaires républicaines dans le Wisconsin, le milliardaire a jugé l’Alliance atlantique“obsolète” et défavorable aux Etats-Unis.

Selon lui, les autres membres de l’Otan “ne payent pas leur dû”.

“Nous les protégeons à grand renfort de troupes et de matériels militaires et ils arnaquent les Etats-Unis. Ils vous arnaquent. Je ne veux pas de ça. Soit ils payent davantage, y compris pour les insuffisances passées, soit ils quittent l’Alliance. Et si ça mène à un éclatement de l’Otan, et bien, ça mènera à un éclatement de l’Otan”.

Des propos jugés irresponsables par ses deux rivaux républicains et par l’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, en lice pour l’investiture démocrate :

“Lorsqu’il insulte l’Otan et nos alliés asiatiques en disant que nous allons quitter l’organisation, il met en danger la coalition de nations dont nous avons besoin pour battre l’Etat Islamique. Il fait empirer et rend notre situation dangereuse dans le monde”, a estimé Hillary Clinton.

Cette semaine, le Pentagone est entré dans le débat, à sa manière, en annonçant qu’il y aurait en permanence, à partir de février 2017, une brigade blindée américaine en Europe de l’Est.”

Mais on nage en plein délire – ami contribuable américain, ne finance pas la future guerre stp…

Source : Euronews, 03/04/2016

trump-otan

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Tiens au passage, on m’a signalé une vidéo de janvier, qui analyse des discours de Trump avec du fond – hélas en anglais, mais Youtube peut la sous titrer en français (option en bas à droite)

Source: http://www.les-crises.fr/pas-trop-vu-a-la-tele-trump-renouvelle-ses-attaques-contre-lotan/


[Vidéo-Jeu] Cours de propagande Anti-Trump par C dans l’air

Sunday 3 April 2016 at 04:25

FA-BU-LEU-SE émission de propagande anti-Trump !

Je vous propose un petit jeu collaboratif : analysez-la en commentaire, en notant le “Best of” des paroles prononcées et méthodes de propagande utilisées

Mon préféré : à la fin le type qui s’étouffe parce que Trump propose une diplomatie de deals avec Poutine ou la Chine, au lieu de s’occuper des “valeurs” (alors que le deal est le propre d’une diplomatie qui ne conduise pas à la guerre) – à noter aussi :)

Source : C dans l’air  France5, 16-03-2016

L’émission “C dans l’air” présenté par Ives Calvi qui a pour titre “L’Amérique selon Trump”.

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Résumé

cda160316bisLes primaires américaines viennent de connaitre un tournant. La conséquence du « mini Super Tuesday » qui avait lieu cette nuit et vu cinq États voter et départager sans doute définitivement Hillary Clinton et Bernie Sanders, pour le camp démocrate.

En effet, l’ancienne Secrétaire d’État a réalisé un grand chelem et bénéficie désormais d’une confortable avance sur Bernie Sanders, avec 1 092 délégués déjà acquis contre seulement 774 à son adversaire. Et cela sans compter sur les “super-délégués”, pour l’instant acquis à sa cause.

« Nous nous rapprochons de la nomination du parti et de la victoire en novembre », a confirmé la candidate dans son discours de victoire. Signe de cette position de force, Hillary Clinton focalise désormais son attention et ses critiques sur Donald Trump et le camp républicain. L’ex-First Lady appelle les Américains à combattre « la vantardise et l’intolérance ».

Pour autant, Bernie Sanders ne lâche pas l’affaire pour l’instant. « Plus de la moitié des délégués doivent encore être désignés et le calendrier nous est favorable dans les semaines et les mois à venir, assure le sénateur dans un communiqué. Nous restons confiants que notre campagne est en route pour gagner l’investiture [démocrate] ».  A défaut de gagner, l’autoproclamé « socialiste » pourra continuer à développer son discours sur la nécessité de combattre les inégalités économiques aux Etats-Unis, le combat de sa vie.

Côté Républicains, Donald Trump, qui déchire son propre camp, a de nouveau frappé fort en l’emportant dans quatre états sur cinq. La victoire éclatante du milliardaire de 69 ans en Floride marque la fin de l’aventure pour le jeune sénateur Marco Rubio. Un temps présenté comme le « Obama républicain », Marco Rubio, 44 ans, a tâtonné, n’a pas su trouver le ton juste et a été incapable de l’emporter dans son propre fief. Il a donc jeté l’éponge.

De son côté, avec une victoire dans son Etat de l’Ohio, le gouverneur John Kasich est devenu de facto le candidat de la base traditionnelle du parti. Reste également un troisième homme en course : l’ultra-conservateur sénateur du Texas Ted Cruz.

Les invités sont  :

Nicole Bacharan :  politologue franco-américaine, spécialiste de la société américaine et des relations franco-américaines.

Laurence Nardon : Docteur en science politique de l’Université de Paris 1dirige les programmes Etats-Unis et Canada de l’Ifri.

Michel Wieviorka : Docteur d’Etat ès Lettres et Sciences Humaines, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, est le Président du directoire de la Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme (FMSH). Il a été directeur du Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS, EHESS-CNRS) entre 1993 et 2009.

François Clemenceau : Rédacteur en chef au Journal du dimanche, chargé de l’actualité internationale et de la politique étrangère. On peut suivre son vidéo-blog [Le Grand Angle Diplo sur le site web du JDD. Il était précédemment rédacteur en chef de la matinale d’Europe1. Il a été auparavant correspondant d’Europe 1 à Washington pendant sept ans.

Source : France5, 16-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/cours-de-propagande-anti-trump-par-c-dans-lair/


Je suis la guerre, par Michel Goya

Sunday 3 April 2016 at 02:25

Source : La voie de l’épée, Michel Goya, 26-03-2016

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Je suis fatigué, fatigué de voir la succession des « Je suis » (une ville européenne, les autres sont visiblement de catégorie empathique inférieure), fatigué des bisous, des bougies, des « continuons comme avant ». Je ne suis pas insensible, tout cela est sympathique et même nécessaire, je suis juste fatigué et affligé de constater, qu’accompagné de fausses postures, cela constitue un substitut au combat. Le pathos c’est bien, l’écrasement de l’ennemi c’est mieux.

Je suis écœuré de voir la Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères s’effondrer en larmes. Imagine-t-on un Clemenceau ou un Churchill s’effondrer de la sorte ou, pour ne pas être taxé de machisme (un mal visiblement plus dangereux pour certains que tous les terroristes de la Terre), une Margaret Thatcher ou une Indira Gandhi ? Ajoutons que, pour ne pas être taxé non plus de chauvinisme, que notre propre Président-chef des armées n’était pas loin de l’état de Federica Mogherini le soir du 13 novembre. Nous avons visiblement plus d’hommes et de femmes de beurre ou, au mieux, de carton que de « Tigre » ou de « Dame de fer ».
En parlant d’Etat justement où est-il ? Vous savez, cette institution dont l’obligation première est d’assurer la sécurité de ses citoyens et la victoire sur ses ennemis, grâce à son monopole de la violence ? Il fut un temps où Français, Belges, Britanniques et autres Alliés, affrontaient des monstres autrement plus forts que l’Etat islamique ou Al Qaïda et en triomphaient par leur courage et leur volonté. Là encore avouons que Verdun, la bataille d’Angleterre ou Bir Hakeim sont bien loin. Oui mais voilà, à l’époque on mobilisait les forces de la nation et on prenait des risques. Quand, après dix-neuf mois de guerre contre Daech (pour ne parler que de cet ennemi), 100 % des pertes françaises sont civiles, c’est clairement que nous ne la faisons pas vraiment et qu’on ne me parle pas des quelques frappes aériennes supplémentaires depuis novembre comme réponse forte. Quand on constate simplement l’incapacité depuis des années à démêler la structure byzantine (vous savez, Byzance et ses débats stériles devant les « musulmans radicaux » de l’époque ?) de l’organisation française du contre-terrorisme, on ne peut que douter d’une réelle volonté d’assurer la sécurité du territoire.

Continuons donc d’accumuler les « Je suis » en espérant que lorsque toutes les grandes villes de l’Union européenne auront été frappées, le gros machin continental impuissant dans lequel nous sommes englués se réveillera. Continuons à tolérer chez nous « l’intelligence avec l’ennemi » et la progression de l’obscurantisme (oui, je sais le « quiétisme », tout ça…mais il y avait aussi beaucoup de « Nazis quiétistes » en Allemagne au début des années 1930), voire à décorer ses promoteurs de nos plus hautes distinctions. Continuons à ne pas nommer les choses pour ne pas froisser. Continuons à ne pas soutenir les démocrates arabes. Continuons à ne pas réfléchir car « réfléchir l’ennemi c’est l’excuser ». Continuons donc à faire semblant. Nous sommes dans la position du grand mou qui prend des gifles de la part des petites frappes de la cour d’école, ne fait rien mais promet à chaque fois, avec ses voisins tout aussi mous, que c’est la dernière.

Il paraît que notre Premier ministre est un admirateur de Clemenceau, mais visiblement il s’est arrêté à l’époque où celui-ci était ministre de l’intérieur (pas la meilleure partie de sa carrière). Clemenceau a été aussi et surtout un de nos plus grands chefs de guerre. Essayons juste d’imaginer quelques instants ce qui se passerait s’il était d’un seul coup au pouvoir à la place de substituts en plastique.

Source : La voie de l’épée, Michel Goya, 26-03-2016

 

Détruire Daech, point de situation

Source : La voie de l’épée, Michel Goya, 28-03-2016

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Depuis août 2014, les Etats-Unis sont à nouveau en guerre en Irak à la tête d’une coalition. Ils y affrontent une nouvelle fois comme ennemi principal, aux côtés de l’Etat irakien, une coalition de forces rebelles sunnites réunies sous le drapeau de l’Etat islamique, dernier avatar de l’organisation d’Abou Moussab al-Zarquaoui en 2003. La victoire était restée en 2007 aux Américains et à leurs alliés. L’EI est pourtant revenu au premier plan en 2013, par la responsabilité première de la politique de l’Etat irakien et dans un contexte rendu encore plus complexe par l’interaction des théâtres de guerre irakien et syrien. Presque deux ans plus tard, la situation opérationnelle reste bloquée par les limites imposées aux forces de la coalition mais surtout par les faiblesses des adversaires locaux de Daech.

Une action de la coalition superficielle

Après de nombreux atermoiements, les Etats-Unis accèdent à la demande d’aide de l’Etat irakien après les succès militaires spectaculaires de Daech en juin 2014. Excluant tout nouvel engagement des forces terrestres directement au combat, le Président Obama n’engage qu’un dispositif aérien, une force de conseillers techniques et une aide matérielle. Le mode opératoire proposé est donc « indirect », consistant en une campagne de frappes sur l’ensemble du système ennemi, y compris en Syrie (en y incluant Jabhat al-Nosra) et un appui à la reconquête du terrain par les forces irakiennes. Une coalition est formée pour soutenir les Etats-Unis qui réunit les principaux pays européens, le Canada et l’Australie. Les monarchies du Golfe y participent symboliquement, préférant utiliser leurs moyens militaires au Yémen. Les forces alliées déployées sont strictement intégrées dans le mode opératoire défini par les Américains, dont les moyens représentent environ 80% du total.

L’action de la coalition, dont il était inconcevable qu’elle suffise seule à la victoire, a d’abord permis de résister aux offensives de l’Etat islamique au Kurdistan irakien puis syrien. Ils n’ont pas permis en revanche d’empêcher l’Etat islamique de s’emparer de Ramadi, capitale de la grande province irakienne d’Anbar, en mai 2015, preuve à la fois de la capacité d’adaptation tactique de l’EI et de la persistance des faiblesses de l’armée régulière irakienne. On peut considérer cependant que cette offensive sur Ramadi, jointe à celle, simultanée, sur Palmyre en Syrie, représente le point culminant de l’extension de l’Etat islamique. En l’absence d’unités de combat étrangères, le refoulement de Daech ne peut cependant survenir que des forces terrestres locales, or, si celles-ci sont nombreuses, elles présentent aussi de grandes faiblesses.

Secondaire pour tous en Syrie

Sur le territoire syrien, l’Etat islamique fait face à trois adversaires différents.

Les premiers combats de l’EI ont d’abord porté contre les autres mouvements arabes sunnites. Profitant de son expérience et de la présence d’anciens officiers irakiens dans ses rangs, l’Etat islamique a assez facilement refoulé les autres groupes arabes de l’Euphrate syrien à partir d’avril 2013. Les mouvements rebelles arabes syriens représentent un ensemble extrêmement fragmenté, aux faibles capacités offensives. La presque totalité de leur effort se porte contre les forces du régime de Bachar el-Assad le long de l’axe de guerre nord-sud qui coupe le pays d’Alep à Deraa. Leur centre de gravité se situe au nord-ouest, dans la province d’Idlib, proche du soutien turc et qui n’est que peu en contact avec la zone tenue par l’Etat islamique. Actuellement, aucun groupe rebelle arabe syrien ne constitue seul une menace sérieuse contre l’Etat islamique.

Il en est sensiblement de même avec le régime syrien, qui a d’abord utilisé l’Etat islamique comme un allié de revers contre les autres mouvements arabes et comme un argument utile dans sa communication. Le cœur du territoire contrôlé par l’Etat islamique étant éloigné de l’axe principal de guerre, l’armée syrienne et ses alliés étrangers n’affrontent Daech que sur quelques points de contact comme dans la région centrale de Hama et de Homs ou encore près d’Alep. L’axe d’effort du régime de Damas se situe depuis plutôt dans le nord, face à Idlib et à Alep. Grâce à l’intervention russe et l’aide accrue de l’Iran, le régime a pu rétablir  sa situation dans cette région et entreprendre la reconquête de Palmyre, lien entre le front principal et l’Euphrate. La destruction de l’Etat islamique ou, plus simplement, la prise de Raqqa ne constituent toujours pas, pour l’instant, la priorité des forces d’Assad. La Russie a par ailleurs consacré une partie réduite de ses moyens pour lancer sa propre campagne de frappes contre Daech, peu décisive. Elle désengage actuellement ses unités de combat, ce qui réduit à terme les capacités offensives de l’armée syrienne.

Le principal adversaire de Daech en Syrie a, pour l’instant, été constitué par le Parti de l’union démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat, PYD), branche syrienne du Parti des travailleurs kurdes (PKK). Le PYD dispose de sa propre armée, forte de peut-être 40 000 hommes, dont au moins 7 à 8 000 permanents. Contrairement à la rébellion arabe, très divisée, le PYD exerce un quasi-monopole sur les trois districts kurdes le long de la frontière avec la Turquie. Son objectif de réunion de ces trois zones dans un même ensemble géographique autonome se heurte directement aux organisations qui souhaitent maintenir le lien avec la Turquie et en particulier Daech. L’affrontement entre l’Etat islamique et le PYD, aidé des mouvements kurdes extérieurs, de groupes arabes syriens et des forces américaines s’est terminé par le refoulement de Daech de la frontière turque à l’exception de la région d’Halab, au nord d’Alep.

La région de Raqqa, capitale politique de l’Etat islamique, n’est menacée actuellement par personne, protégée par sa position géographique au cœur du désert syrien, et surtout par le fait que sa prise ne constitue une priorité pour aucun des acteurs syriens, si tant est qu’ils disposent des moyens de la réaliser. Il est possible en Syrie de porter des coups sévères à l’organisation en la coupant définitivement à la frontière turque ou en dégageant Deir ez-Zor mais ces coups, par ailleurs difficiles à réaliser, ne seraient pas décisifs.

Trois faibles armées irakiennes 

Même si son projet dépasse de loin le cadre du Levant et s’il a symboliquement banni les frontières, le centre de gravité de l’Etat islamique reste en Irak.

Pour défendre l’ensemble de son territoire, Daech dispose de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, les estimations les plus fiables évoquant 30 000 combattants permanents, dont 40% d’étrangers à l’Irak et à la Syrie, auxquels il faut ajouter environ 70 000 auxiliaires des milices locales et des différents services. C’est, en dépit de quelques matériels lourds, une force d’infanterie équipée de véhicules légers et d’armements soviétiques anciens, mais c’est une force compétente tactiquement et surtout plus motivée que ses adversaires. L’Etat islamique, dont les forces sont nécessairement dispersées sur un vaste espace, ne peut guère déployer plus de quelques brigades (une brigade représente environ un millier d’hommes et 150 véhicules) pour défendre une seule ville, sans doute dix au maximum pour une objectif important, comme Mossoul. Trois forces terrestres sont à l’œuvre contre cette armée.

Au moment du départ des forces américaines à la fin de 2011, l’armée irakienne représentait 13 divisions d’infanterie et une division mécanisée, soit environ 210 000 hommes. Après des années de mainmise politique du Premier ministre Maliki, plus soucieux de se préserver d’un coup d’état militaire que d’assurer la sécurité du pays, et malgré l’aide de la coalition (4 500 conseillers et un plan d’équipement de neuf brigades) on pouvait estimer, en janvier 2015, la capacité de manœuvre de cette armée irakienne à 48 000 hommes, réparties dans quelques divisions opérationnelles. Après avoir été à nouveau surprise et humiliée à Ramadi en mai 2015, cette armée a cependant été capable, avec l’aide américaine et après quatre mois de combat avec un rapport de forces de 10 contre 1, de reprendre cette ville à la fin de l’année.

Pour faire face à l’offensive de Daech au printemps 2014, le gouvernement irakien a d’abord fait confiance aux unités de « mobilisation populaire » (Hachd al-Chaabi), soutenues par l’Iran. Cette réunion de milices chiites a permis de défendre Bagdad et ses environs mais elle ne dispose guère de capacités offensives. Il a fallu ainsi attendre le mois de mars 2015 pour réunir les 20 000 hommes nécessaires à une offensive sur Tikrit, à 200 km au nord de la capitale. Malgré un rapport de forces très favorable, il a été nécessaire de faire appel à l’aide américaine pour parvenir à prendre la ville et la contrôler après plusieurs semaines. Pendant toute cette offensive, les milices se sont également signalées par leur brutalité vis-à-vis de la population locale.

La troisième force est constituée par les Peshmergas (combattants) du gouvernement autonome kurde irakien. Celle-ci se compose de trois entités : une force commune de 15 brigades et les armées des deux partis rivaux, le Parti démocratique kurde (PDK) dirigé par la famille Barzani et l’Union patriotique kurde (UPK) de la famille Talabani. Ces forces rarement permanentes, 100 000 hommes en théorie, ont été grandement négligées par le gouvernement commun alors que le Kurdistan bénéficiait depuis 2003 de la paix et des ressources du pétrole. L’offensive de Daech d’août 2014 a donc surpris les Kurdes irakiens dans une situation de démobilisation psychologique et matérielle et alors que les Peshmergas avaient toujours résisté seuls à Saddam Hussein, ils ont été obligés cette fois de faire appel à l’appui aérien des Etats-Unis et à l’aide matérielle des Occidentaux. Après plus d’un an de combat statique et, avec l’aide de renforts extérieurs, ils ont cependant été capables de reprendre le terrain perdu dans les monts Sinjar, victoire qui permet de couper la route  qui relie Raqqa à Mossoul.

Une reprise de contrôle difficile

En l’Etat actuel des rapports de force, c’est en Irak seulement que la reconquête du terrain est possible, même si des actions secondaires de fixation en Syrie seront sans doute nécessaires pour cela.

Reprendre le terrain que Daech contrôle encore en Irak et en particulier sur le Tigre jusqu’à Mossoul, objectif prioritaire, nécessite de mener encore plusieurs batailles de la même ampleur que celles de Tikrit ou Ramadi. Chacune de ces batailles nécessitera donc de réunir une force d’environ 20 000 hommes, sans doute plus pour Mossoul, et d’envisager entre un ou deux mois de préparation et de bouclage suivis d’une durée équivalente pour la prise de la ville, au prix d’un ou deux mille tués ou blessés. C’est donc, si on n’assiste pas à un effondrement soudain de l’Etat islamique, un effort d’au moins un an qui est demandé aux forces irakiennes. Cela représente sensiblement le délai qu’il avait fallu aux forces américaines (alors 130 000 hommes et 15 brigades) pour, à partir d’avril 2004, vaincre l’armée du Mahdi et reprendre le contrôle du Tigre et de l’Euphrate.

Cet effort, les forces irakiennes, telles qu’elles sont organisées actuellement auront beaucoup de mal à le fournir. Les forces kurdes n’ont que de faibles capacités offensives et elles n’ont pas la volonté de se porter en territoire arabe. Les milices chiites, dont le volume financé par le gouvernement s’est réduit de moitié en un an, sont également incapables de réaliser seules un tel effort au cœur des provinces sunnites. Ce sont ces forces régulières qui auront donc probablement la plus lourde tâche. Leur masse de manœuvre est cependant encore insuffisante et les troupes sont usées. Au rythme actuel de redéveloppement et à condition d’une volonté forte du gouvernement irakien on peut envisager qu’il faudra attendre la fin de l’année 2016 et sans doute le début de 2017 pour que l’armée irakienne ait la consistance suffisante pour mener les batailles successives qui seront nécessaires pour reprendre le terrain à l’ennemi. Le problème est qu’il ne s’agit pas là du plus difficile.

Beaucoup d’arabes sunnites irakiens n’adhérent pas au projet de Daech de Califat indépendant et à cheval sur les territoires actuels de la Syrie et de l’Irak mais ils adhérent sans doute encore moins à celui d’un retour à la situation d’avant 2013. Autrement-dit, si la conquête des territoires actuellement tenus en Irak par l’EI est possible après beaucoup d’efforts, leur contrôle par des forces de sécurité, et pire encore, des milices, toutes presque entièrement chiites, ne mettrait certainement pas fin à la guerre. Il est probable que dans une telle configuration l’Etat islamique, qui pourrait éventuellement bénéficier d’une base arrière en Syrie comme lors de la présence américaine, passerait simplement à la clandestinité. Contrôler militairement les provinces sunnites irakiennes après leur reconquête nécessiterait alors une présence permanente d’au moins 100 000 hommes soumis à une guérilla constante. Cette guérilla sera menée par Daech mais aussi sans doute, la clandestinité entraînant plutôt une fragmentation, par beaucoup d’autres mouvements locaux, anciens ou nouveaux. On ne peut exclure à cette occasion l’apparition d’une nouvelle tendance et d’un nouveau projet qui supplanterait même celui de l’Etat islamique.

L’Etat irakien dispose-t-il, quantitativement et qualitativement, d’une telle force de maintien de l’ordre ? Assurément non en l’état actuel des choses et sa constitution est, là encore, une œuvre de longue haleine. Cela ne suffirait sans doute pas, par ailleurs, à assurer la paix. En réalité, en l’absence de réels changements politiques en Irak, prenant en particulier en compte les aspirations des arabes sunnites, et une transformation de la gouvernance, on ne voit pas très bien comment cette paix pourrait survenir. Le remplacement de Nouri al-Maliki par Haydar al-Abadi, en septembre 2014, n’a pour l’instant guère changé la donne à cet égard.

Quel rôle pour la coalition ?

La victoire contre l’Etat islamique ne peut être sérieusement envisagée sans un projet politique cohérent. Le centre de gravité de la guerre se trouve donc surtout à Bagdad dans la capacité à transformer la pratique locale. Une pression internationale forte sera sans doute nécessaire pour y parvenir, avec la nécessaire coopération de l’Iran. La Russie et l’Arabie saoudite y ont leur part également.

Dans ce contexte, outre cette action politique et diplomatique, le rôle militaire des nations de la coalition, qui pourrait englober la Russie, tout en restant dans le cadre d’un appui au gouvernement irakien et à ses forces armées, peut évoluer selon trois axes pour accélérer le processus de reconquête et permettre de surmonter les blocages tactiques éventuels.

Dans le premier cas, l’action en profondeur sur l’ensemble du « système Daech » peut être rendue beaucoup plus efficace par l’adjonction de moyens de frappes nouveaux comme les hélicoptères et avions d’attaque ainsi que les raids d’infanterie légère, blindés ou d’artillerie. Il ne s’agirait pas de conquérir le terrain à la place des forces irakiennes mais, au prix de risques humains supérieurs, de sortir des limites actuelles du tout aérien.

Ces moyens peuvent aussi, deuxième axe, être employés , à la manière russe en Syrie ou française dans le Sahel, pour l’appui direct des forces terrestres. Ils s’y révèlent bien plus efficaces dans ce rôle, et en tout cas complémentaires, que les chasseur-bombardiers.

Le troisième axe d’effort possible est le renforcement des unités régulières irakiennes par l’injection de forces alliées selon différents modes : logistique, appui-feux et conseil-coordination. On retrouverait ainsi le modèle, militairement efficace, de la force irakienne de l’époque de la présence américaine.

Le dernier niveau est celui d’engagements d’unités de combat. Il ne s’agirait pas, là-encore, de prendre le tout le combat à son compte mais il est évident que l’engagement d’une force mécanisée du niveau brigade ou division agissant en « fer de lance » faciliterait considérablement les opérations de reconquête et permettrait de reprendre Mossoul avant la fin de l’année 2016.

Ces différents modes d’engagement complémentaires des modes actuels sauront dans tous les cas à reconsidérer une fois la mission de reconquête terminée en fonction des perspectives politiques. Ils supposent tous l’acceptation de pertes humaines et pour l’Irak, de ce qui peut apparaître comme une nouvelle intrusion étrangère. Constatons que pour l’instant personne n’y semble prêt, en Irak comme dans la coalition. La France, qui a subi des coups importants de la part de Daech et qui n’a pas les contraintes institutionnelles ou psychologiques des Américains, aurait pu imposer une extension de son champ d’action militaire. Elle a finalement décidé de ne pas prendre plus de risques.

En dehors d’une rupture stratégique toujours possible, le scénario le plus probable est donc une poursuite des opérations actuelles avec une lente progression des forces irakiennes, pour autant qu’elles soient appuyées par la coalition, et leur enlisement dans un long combat de contre-guérilla. On peut même envisager, pour peu que l’Irak échoue à se transformer politiquement, à l’établissement d’un statu quo et la création de fait d’un « Sunnistan » contrôlé par Daech. Une nouvelle fois l’intolérable finirait par être toléré.

Source : La voie de l’épée, Michel Goya, 28-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/je-suis-la-guerre-par-michel-goya/


13e voyage de Le Drian au Qatar : “Le Qatar est un partenaire stratégique de la France”

Sunday 3 April 2016 at 01:14

13 voyages chez un pays croupion qui soutient le terrorisme, pour quelques milliards – le prix de notre âme…

Source : Le Point, AFP, 29/03/2016

L’armée qatarie a passé commande de 24 Rafale en 2015 pour 6,3 milliards d’euros et plusieurs gros contrats pourraient être signés prochainement.

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Ce mardi, le ministre français de la Défense a défendu les couleurs de l’industrie française de l’armement, sur les rangs pour de juteux contrats au Qatar dans la foulée du succès de l’avion de combat Rafale. “Le Qatar est un partenaire stratégique de la France. Il ne faut pas mégoter sur les mots”, a déclaré Jean-Yves Le Drian en marge du salon de l’industrie militaire navale DIMDEX à Doha, faisant référence à la proximité de vues entre les deux pays sur la situation régionale et aux liens de défense bilatéraux.

Signe le plus concret de ce partenariat, l’armée qatarie a passé commande de 24 Rafale en 2015 pour 6,3 milliards d’euros. “Ce succès, je l’espère, en appellera d’autres”, a déclaré le ministre devant les industriels français présents au Doha International Maritime Defense Exhibition (Dimdex). Le groupe de construction navale militaire DCNS est candidat pour la vente de trois frégates antimissiles au Qatar – un marché de trois à quatre milliards d’euros – et le constructeur Nexter pour celle de 300 véhicules de combat de type VBCI (deux milliards). “Peut-être que le chiffre 13 est un chiffre de chance”, a lancé le ministre, qui effectuait son 13e déplacement à Doha depuis sa prise de fonctions en mai 2012.

Le Qatar, soutien actif des Frères musulmans

Au Dimdex, Jean-Yves Le Drian a fait le tour de plusieurs stands tricolores avec le jeune émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, visiblement très à l’aise en français. “Je connais”, a souri l’émir devant le stand de Dassault, constructeur du Rafale. Les deux hommes ont aussi échangé quelques mots sur le match de football qui opposera le PSG, financé par le Qatar, à Lorient, ville natale du ministre français en Bretagne, en demi-finale de la Coupe de France en avril. Jean-Yves Le Drian a aussi eu l’occasion de vanter les mérites du “made in France” lors d’un entretien avec le ministre d’État qatari à la Défense, Khaled ben Mohamed al-Attiya. À l’appui du savoir-faire français, la frégate L’Aconit, déployée dans la région, avait fait escale au Dimdex, au côté de sept autres bâtiments étrangers (britannique, italien, indien…)

Le Qatar, soutien actif des Frères musulmans et de groupes armés radicaux en Syrie, est un allié jugé parfois encombrant pour Paris, même s’il rejette, comme l’Arabie saoudite, tout lien politique ou financier avec le groupe État islamique. “Nous parlons très franchement (..) Nous avons une relation saine“, a riposté Jean-Yves Le Drian aux critiques politiques en France sur la proximité entre les deux pays. DCNS est en concurrence avec une offre de l’Italien Fincantieri. Doha, qui veut acquérir ces bâtiments avant le Mondial de football de 2022, devrait annoncer d’ici l’été sur quel constructeur se porte son choix, la première livraison devant intervenir dès 2021.

Le prix du baril, trouble-fête

Le Qatar a par ailleurs entrepris la modernisation de son armée de terre avec, outre 60 chars Leopard-2 allemands commandés en 2013, un appel d’offres pour 300 véhicules de combat. En 2014, Doha a également signé une lettre d’intention pour l’achat de 22 hélicoptères européens NH90. Ce contrat de près de deux milliards d’euros est “prêt, mais pas encore signé”, relève-t-on à Paris. Les appareils doivent être fabriqués en France et en Italie. L’effondrement des prix des hydrocarbures a bousculé le calendrier d’acquisitions du Qatar, en difficulté budgétaire comme d’autres pays du Golfe et qui du coup a fait des frégates sa priorité. Doha s’inquiète du potentiel militaire de l’Iran chiite, puissance régionale rivale des monarchies sunnites du Golfe, et cherche à se doter de capacités antimissiles pour protéger notamment sa plateforme gazière offshore. Le Qatar constitue un enjeu important à l’export pour DCNS en 2016, avec l’Égypte et l’Australie.

Le Caire pourrait commander deux corvettes Gowind supplémentaires au constructeur français – outre les quatre déjà négociées – et deux bateaux plus petits pour un total de 500 millions d’euros, selon plusieurs sources françaises. DCNS est également sur les rangs pour le “contrat du siècle”, la vente de 12 sous-marins à l’Australie pour plus de 20 milliards d’euros. Sur ce créneau, la partie s’annonce toutefois très serrée face à l’allemand ThyssenKrupp et à un consortium japonais. Si le Qatar passe commande, les trois frégates seront construites à Lorient, une bouffée d’air pour le site industriel et la ville natale de Jean-Yves Le Drian, également président de la région Bretagne.

Source : Le Point, AFP, 29/03/2016

Source: http://www.les-crises.fr/13e-voyage-de-le-drian-au-qatar-le-qatar-est-un-partenaire-strategique-de-la-france/