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Trump craint une Convention “négociée”, par Peter W. Dickson

Thursday 31 March 2016 at 01:04

Source : Consortiumnews.com, le 09/03/2016

9 mars 2016

En exclusivité : Nous apprenons par l’ancien analyste de la CIA Peter W. Dickson que le dernier sursaut de l’élite du parti républicain contre Donald Trump pourrait se traduire par une réécriture des règles de la convention.

Par Peter W. Dickson

Le spectacle d’une convention républicaine bloquée aboutissant à une nomination “achetée” ou négociée à Cleveland en juillet est une possibilité que les initiés ont commencé à prendre de plus en plus au sérieux au regard des résultats des “caucus” observés ces derniers mois.

C’est un scénario qui menace en particulier le favori, Donald Trump, qui a admis que s’il ne gagne pas la majorité des délégués avant la convention, il sera “désavantagé”. Il n’y a aucun doute que les pontes du Parti Républicain [GOP: Grand Old Party] le considèrent inéligible (et comme une menace pour les institutions du parti) et qu’ils explorent toutes les pistes permettant de le stopper à la convention, voire de lui “voler” la nomination.

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Donald Trump, milliardaire et candidat républicain à la présidence.

Étant donné que les 11 primaires du “Super Mardi” (1er mars) n’ont pas eu de gagnant incontesté, Trump n’a pas pu mettre hors-jeu ses concurrents principaux, les sénateurs Ted Cruz et Marco Rubio. Sept États ont dispersé leurs délégués sur les candidats, Trump a gagné 240 délégués au lieu des 300 que les initiés prédisaient avant la colère provoquée par l’attitude évasive de Trump sur un soutien du nationaliste David Duke et du Ku Klux Klan.

Les principaux rivaux de Trump réussirent souvent à remplir les conditions minimales pour avoir des délégués lors du “Super Mardi”. Mais Trump récupéra son élan lors des nominations du 8 mars en gagnant trois États – Michigan, Mississippi et Hawaii – pendant que Cruz emportait l’Idaho.

Une règle importante de la convention républicaine, la règle 40, pourrait détruire les projets des élites du parti et offrir à Trump sa nomination sur un plateau d’argent, car elle limite le nombre de nominés et interdit certaines méthodes pour voler la nomination au concurrent favori.

Le but de cette règle était d’assurer le couronnement d’une tête de liste incontestable et d’offrir au nominé présumé le meilleur lancement possible pour l’élection générale. Avant la convention de 2012, cette règle exigeait de tout candidat à la nomination du parti d’avoir gagné une majorité relative de délégués dans au moins cinq États pour qu’il puisse être accepté dans les nominations à la convention.

Toutefois, une fois que Mitt Romney s’est assuré qu’il avait suffisamment de délégués pour remporter la nomination de 2012, ses partisans (en particulier son conseiller en chef Ben Ginsburg) ont fait réviser cette règle afin d’empêcher toute personne d’être nominée lors de la convention, à moins qu’il ou elle n’ait remporté au préalable une majorité de délégués dans au moins huit États. (Une partie du raisonnement de Romney était d’éliminer une grande manifestation de soutien de la base au libertaire républicain texan Ron Paul et ainsi de présenter à la nation devant sa télévision un parti uni et rallié derrière l’ancien gouverneur du Massachusetts.)

En plus d’interdire l’enregistrement de tout délégué acquis par un candidat n’ayant pas atteint le seuil des huit États, la règle 40 interdit aux délégués lors de la convention de manifester leur soutien à toute personne qui n’a pas participé aux primaires dans les États. Par conséquent, cette règle empêche une version moderne du “Nous voulons Willkie” qui avait conduit à la nomination de Wendell Willkie lors de la convention républicaine de 1940. (Ironiquement, cela bloquerait toute tentative des caciques du parti de lancer au cri de “Romney, Romney” une révolte des élites à la convention de Cleveland.)

Reste à voir si et quand Trump et ses rivaux sont en mesure de s’assurer une majorité des délégués dans huit États. Trump a franchi ce seuil dans sept des quinze États où il a eu le plus de votes le laissant avec un unique État à convaincre.

Cruz a gagné le plus de votes dans sept États et assuré une majorité des délégués dans quatre : Idaho, Kansas, Maine et Texas. En d’autres termes, le sénateur du Texas est à mi-chemin. En revanche Rubio et Kasich n’ont fait que peu ou pas de progrès jusqu’ici, le premier n’ayant obtenu une majorité des délégués qu’à Porto-Rico.

La possibilité d’assurer une majorité des délégués d’un État est devenue plus facile après le 15 mars lorsque les États peuvent mener des primaires du genre “tout ou rien”. Cela implique que les candidats n’auront besoin que de la majorité relative des électeurs pour gagner les vingt élections de ce type (elles sont toutes en dehors du Sud, si l’on ne tient pas compte de la Floride) qui auront lieu après le 15 mars. (Cinq autres États donneront au mieux élu la majorité de leurs délégués.)

Le nombre de délégués à distribuer selon ces règles est de 960 au total. Cela représente presque 40 pour cent de tous les délégués de la convention. La situation actuelle paraît favoriser Trump et Cruz car étant les plus près de franchir la ligne des huit États.

Même si Rubio et Kasich emportent le 15 mars leurs États d’origine, respectivement la Floride et l’Ohio, où la règle est celle du “tout ou rien” ; ils devront relever le défi herculéen d’emporter une majorité de délégués lors d’élections à quatre candidats dans huit États avec des intentions de vote bien arrêtées. Cela permet d’imaginer une convention républicaine avec Trump seul ou, peut-être, Trump avec Cruz comme nominés à la candidature présidentielle. Les délégués de Rubio et Kasich se retrouveraient effectivement hors-jeu.

Ce résultat signifierait que le nombre magique – une simple majorité – pour gagner la nomination tomberait sous le niveau connu de 1 237 délégués. En éliminant du vote les délégués des candidats qui ne franchissent pas la limite des huit États, la règle 40 rend une victoire d’un candidat au premier tour d’une élection quasiment certaine étant donné qu’il est seul ou opposé à un seul adversaire.

Bien sûr, il reste la possibilité que la direction du parti républicain, occupée frénétiquement à monter un mouvement anti-Trump, puisse agir pour modifier la règle 40 avant la convention. Curly Haugland, le représentant du Comité National pour le Dakota du Nord et membre du Comité pour le règlement de la convention nationale républicaine (RNC), expliqua mardi au journal The Daily Star qu’il y aura une tentative de modifier la règle 40 pour ouvrir la convention à tout candidat qui a obtenu des délégués.

Un tel changement de règles devrait avoir lieu avant la convention et elle exigerait une majorité des délégués pour être acceptée. Cela s’annonce difficile si Trump contrôle la majorité des votes. S’il n’a pas cette majorité, la manœuvre aboutirait à la nomination d’un autre candidat. Cela passerait par un premier tour sans vainqueur, ouvrant la porte à des négociations qui permettront d’orienter les tours vers l’attribution du grand prix à un autre candidat. La convention serait alors plus le résultat de négociations que le résultat d’un choix par les délégués, autrement dit ce serait une convention “négociée”.

Si un changement de dernière minute est mis en place pour bloquer Trump – ou même simplement proposée en vote lors du congrès – Trump et ses partisans pourraient rendre cette convention aussi chaotique que celle des Démocrates à Chicago en 1960. Il pourrait aussi décider de se présenter en candidat indépendant, comme il l’a suggéré, s’il n’était pas “traité correctement”.

Des précédents historiques

Il n’y a que peu d’exemples historiques récents d’une convention négociée du GOP. La dernière convention républicaine sérieusement disputée eut lieu en 1978 où le gouverneur de Calfornie, Ronald Reagan, défia et perdit contre le président en place, Gerald Ford. Auparavant, il n’était pas rare d’avoir un congrès des délégués du parti bloqué par leur incapacité à choisir un candidat pour l’élection principale. Cela laissait les chefs de factions décider pour les délégués. C’était possible car les premiers jouissaient d’une influence solide sur les seconds.

Dans ce contexte, il vaut la peine de se pencher sur un cas charnière, et même emblématique, de la longue histoire du Parti Républicain : sa deuxième convention nationale qui s’est tenue en 1860 au “Wigwam” de Chicago. Ce fut la convention présidentielle ayant eu le plus de conséquences de toute l’histoire de ce parti. Elle aboutit à une nomination dramatique d’un outsider nommé Abraham Lincoln dont la nomination a été indéniablement « achetée » par un gros marchandage dans une chambre d’hôtel enfumée à minuit bien passé, seulement quelques heures avant le début du vote.

Le directeur de la campagne de Lincoln, David Davis, “vola” la nomination républicaine à l’icône de l’élite de la côte Est, le fameux sénateur de New York William Seward. Défiant les fastidieuses instructions répétées de Lincoln qui, depuis sa maison Springfield, en Illinois, lui interdisait tout “marchandage” et “tout contrat qui me lierait”, Davis fit tout cela et plus, comme d’entasser des partisans munis d’entrées illégitimes dans l’arène de la convention.

Le tournant eu lieu quand Davis fit des promesses à la délégation de la Pennsylvanie pour qu’elle abandonne son candidat préféré (Simon Cameron) et se tourne vers Lincoln au second tour. Cela bloqua la montée de Seward vers une majorité des délégués et anéantit son couronnement avant le début du quatrième tour.

Les partisans de Seward furent blancs de rage. Pour la sécurité de Lincoln, Davis et son équipe envoyèrent huit télégrammes (conservés dans les papiers de Lincoln à la Bibliothèque du Congrès) le suppliant de refuser de nombreuses demandes pour qu’il vienne à Chicago accepter sa nomination.

Malgré son peu de goût pour les manœuvres de Davis, Lincoln suggéra au sénateur Joshua Giddings que toutes les “conditions” (i.e. les accords ou les promesses) faites à la convention étaient “honorables”. Lincoln fit quand même quelques nominations conformes aux promesses de Davis. Pour le bien de l’unité du parti, Lincoln nomma Cameron secrétaire de la Guerre, bien que ce dernier fut viré après neuf mois et remplacé par l’ancien camarade de classe de Davis au collège de Kenyon, Edwin Stanton.

Les biographes et autres spécialistes de Lincoln ont pendant longtemps détourné notre attention de ce qui s’est passé à cette convention de Chicago. La révélation que Lincoln – une figure christique après son assassinat le vendredi saint de 1865 – a eu besoin d’un “faiseur de rois” comme Davis, ôte toute majesté au parcours exemplaire de Lincoln allant de ses humbles origines à son martyre pour une cause juste : le sauvetage de l’Union et l’abolition de l’esclavage.

Visiblement, les règles de nomination ont changé depuis l’époque de Lincoln et même de celle de Willkie – avec des primaires et des caucus du parti donnant une voix beaucoup plus forte aux républicains de la base. Cette “démocratisation” du processus de sélection a permis à un riche outsider comme Trump de passer en tête de la course en s’opposant aux membres influents du parti tout en rejetant avec dédain le soutien financier de la “classe des donneurs” du GOP.

Maintenant, les représentants républicains du système jettent des millions de dollars dans une campagne anti-Trump visant à casser l’attrait de la population pour sa personne et à soutenir ses trois adversaires restants pour bloquer son chemin vers une claire majorité des délégués. Cela rendrait possible le scénario d’une convention où les règles pourraient être réécrites pour ouvrir la porte à d’autres choix.

À côté des délégués choisis par les électeurs, la hiérarchie du GOP aura 168 délégués non élus, surtout des membres du comité national républicain (RNC) qui pourront voter. Mais contrairement aux 712 “super délégués” de la convention démocrate, ils seront supposés soutenir le candidat qui a gagné le plus de votes dans leur État.

Dans tous les cas, l’affrontement principal de cette convention républicaine commençant le 18 juillet se fera sans doute sur les règles décidant de qui est éligible à la nomination et qu’est-ce qui se passera si personne n’est élu au premier tour.

Peter W. Dickson est un ancien analyste politique et militaire de la CIA et l’auteur de “Old Kenyon” et “Lincoln’s Kenyen Men”.

Source : Consortiumnews.com, le 09/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Source: http://www.les-crises.fr/trump-craint-une-convention-negociee-par-peter-w-dickson/


Des PDG de sociétés technologiques et des dirigeants du Parti Républicain s’unissent dans une conspiration anti-Trump

Thursday 31 March 2016 at 00:01

Et après, on s’étonne qu’il y ait des “complotistes”…

A leur assemblée secrète, des PDG de sociétés technologiques et des dirigeants du Parti Républicain s’unissent dans une conspiration anti-Trump

Source : The Huffington Post, le 07/03/2016

Karl Rove a transmis ses trouvailles sur des groupes cibles permettant aux pontes du GOP d’espérer réussir.

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SEAISLAND.COM

Décrit sans imagination mais avec précision comme « opulent », Sea Island, en Géorgie, a accueilli un groupe de dirigeants républicains et de PDG de sociétés technologiques pour le forum mondial annuel de l’American Enterprise Institute.

Des milliardaires, des PDG de sociétés technologiques et des membres haut placés du Parti Républicain se sont envolés vers une station balnéaire privée sur une île au large de la Géorgie pour le Forum mondial annuel de l’American Enterprise Institute, d’après des sources familières de ce rassemblement secret.

Le principal sujet de ces conciliabules inaccessibles à la presse ? Comment arrêter le grand favori républicain, Donald Trump.

Le PDG d’Apple, Tim Cook, le cofondateur de Google, Larry Page, le créateur de Napster et investisseur de Facebook, Sean Parker, le grand manitou de Tesla Motors et Space X, Elon Musk, étaient tous présents ; ainsi que le représentant de la majorité au Sénat, Mitch McConnell (Républicain, Kentucky), le gourou politique Karl Rove, le président de la Chambre Paul Ryan, les sénateurs républicains Tom Cotton (Arkansas), Cory Gardner (Colorado), Tim Scott (Caroline du sud), Rob Portman (Ohio), et Ben Sasse (Nebraska) qui a récemment fait parler de lui en affirmant qu’il “ne peut soutenir Donald Trump”.

En plus de Ryan, le parlement était représenté par le président du comité “Énergie et Commerce” Fred Upton (Michigan), le député républicain Kevin Brady (Texas) et le quasi-porte-parole Kevin McCarthy (Californie), selon nos sources, avec l’important personnage qu’est Cathy McMorris Rodgers (Washington), le président du comité du budget Tom Price (républicain, Géorgie), le président du comité des services financiers Jeb Hensarling (Texas) et Diane Black (Tennessee).

Philip Anschutz, le donateur milliardaire du GOP dont la société a une participation dans le complexe immobilier de Sea Island, était également présent avec le sénateur démocrate John Delaney, qui représente le Maryland. Arthur Sulzberger, l’éditeur du New York Times était aussi là. Une porte-parole du Times l’a confirmé.

Kristol écrivit qu'”un spectre hantait ce forum global – le spectre de Donald Trump,” dans un compte rendu électronique de la conférence. Il a emprunté ici l’introduction du manifeste communiste de Karl Marx. “L’émergence [de Trump] a mis tout le monde mal à l’aise et a fait beaucoup parler de lui à tort et à raison sur les raisons de son succès et sur les espoirs de le voir battu.”

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En route pour le “AEI World Forum”. Beaucoup d’invités intéressants. Comme ce n’est pas un forum officiel, veuillez considérer mes tweets comme étant officieux.

“La tâche essentielle maintenant, pour encore paraphraser Karl Marx, n’est pas de comprendre Trump mais de le stopper,” écrivit Kristol. “En général, il y a ici trop de mea-culpa, de froncements de sourcils et de fatalisme et pas assez de détermination à sauver le parti et le pays d’une nomination puis d’une élection à la présidence de quelqu’un qui ne devrait même pas être dans la course.”

Un grand moment de la réunion fut une conférence de Rove sur ses conclusions, établies à l’aide de groupes témoins, sur Trump. La plus grande faiblesse du nabab des affaires, selon Rove, est que les électeurs ont beaucoup de peine à le voir “présidentiable” et comme un exemple pour leurs enfants. Il le voit aussi comme quelqu’un de fantasque ne devant jamais avoir ses (petits) doigts près du bouton nucléaire.

La présentation de Rove concernait la façon dont William McKinley gagna en 1896, selon un agenda obtenu après la réunion par le HuffPost. Rove vient d’écrire un livre dont le titre est The Triumph Of William MaKinley: Why the Election of 1896 Still Matters. Le directeur de campagne de McKinley, Mark Hanna, est souvent présenté comme le premier Karl Rove – le premier ingénieur politique du système américain. McKinley affrontait William Jennings Bryan, un populiste et un raciste qui rassemblait les masses en attaquant les élites de la côte et les banquiers. La campagne eut lieu durant le premier “âge d’or” (des barons voleurs, NdT). Avec le second âge d’or (de leurs descendants, NdT), le parallèle est clair.

Cook n’assista pas à la séance de Rove et évita toute manipulation politicienne, selon une source proche de ce dernier. Musk a tweeté mercredi qu’il a participé à la réunion pour parler de “Mars et des énergies renouvelables”, pas de Trump.

Des sources internes à la réunion – qui demandèrent à rester anonymes car le forum est officieux – dirent que la plus grande part des conversations tournait beaucoup autour de Trump et des raisons de cet événement et peu autour des façons de l’arrêter.

Trump, qui dispose déjà d’un tiers des délégués dont il a besoin pour obtenir la nomination du GOP, affrontera la semaine prochaine des primaires en Floride et dans l’Ohio qui orienteront la suite de sa course. S’il gagne les deux États, il n’aura besoin que de la moitié des délégués restants pour être sûr de sa nomination.

Il n’était pas le seul sujet de cette ample conférence. À un moment, Cotton et Cook d’Apple ont violemment débattu sur le cryptage des téléphones cellulaires, selon une source du HuffPost présente à la discussion. “Cotton était carrément dur avec Cook,” selon la source et “chacun se sentait un peu mal à l’aise devant l’hostilité de Cotton.” (Apple est au milieu d’une bataille juridique avec le département de la justice et le FBI au sujet d’un iPhone crypté qui appartenait à l’un des tireurs de San Bernardino.)

AEI organise ce forum de Sea Island depuis des années. Il est si secret que Bloomberg News, en 2105, s’est plaint que personne ne parlerait du temps qu’il y a fait.

Selon les statistiques de la “Federal Aviation Administration” accessibles sur FlightAware.com, une flotte d’avions privés a atterri et décollé des petits aéroports près de Sea Island ce weekend. Cinquante-quatre ont quitté l’aéroport de St. Simons Island, Georgia, dimanche – près de quatre fois plus que le dimanche précédent.

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Bien. Je suppose que c’est presque fini car les gros jets bruyants décollent les uns après les autres.

La plupart de ces avions sont enregistrés dans des sociétés de location comme NetJets et Flexjet ou des compagnies de service comme Jetsetter. Au moins deux d’entre eux sont allés directement à San José, Californie, un lieu de grande concentration des géants de la technologie, ce dimanche.

Un autre avion, arrivé d’Eaton au Colorado mercredi et reparti dimanche, est enregistré chez “Monfort Aviation, LLC”, un trust privé libre d’impôts. Les registres de la FAA n’indiquent pas qui possède Monfort Aviation, mais il est homonyme de Monfort Dick et Charlie, les héritiers d’une fortune faite dans l’emballage de la viande qui possède l’équipe de baseball du Colorado, les Colorado Rockies. L’avion est un Raytheon Hawker 800XP de 15 places. Anschutz, le milliardaire dont la société a une part de Sea Island est aussi du Colorado.

Un autre jet privé, un Canadair Challenger, traversa le pays depuis St. Simons à l’aéroport de Van Nuys en Californie du Sud ce vendredi dernier. Cet aéroport est lié à des millionnaires et des milliardaires se disputant assez violemment pour des places sur le tarmac pour que les médias en parlent occasionnellement.

Un troisième avion, un trimoteur Dassault Falcon 900, arriva jeudi à St. Simons, de Westchester County, New York, et en est reparti dimanche. Il est enregistré chez “Northwood Investors LLC”, dirigé par John Kukrai dont la biographie officielle rapporte qu’il a été mêlé à des opérations immobilières de plus de 40 milliards de dollars.

“L’évènement est privé et officieux. Par conséquent, nous cessons toute déclaration sur le contenu et les participants,” a déclaré Judy Stecker, porte-parole d’AEI. Elle a décrit le forum comme “une réunion informelle de penseurs de haut niveau, venant de tous les horizons idéologiques, venus discuter des défis que les États-Unis et le monde libre affrontent en économie, en sécurité et prospérité de la société.”

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DAVID BOHRER/ASSOCIATED PRESS/THE WHITE HOUSE

L’ancien vice-président Dick Cheney participe à la cérémonie d’inauguration du 26ème forum mondial d’AEI en 2007. Ce forum a été conçu par l’ancien président Gérald Ford et attire des meneurs politiques et économiques du monde entier.

Le complexe touristique de Sea Island – qui annonce trois parcours de golf et un centre de spa et de remise en forme d’une superficie de 6 000 mètres carrés qui remplirait presque les deux tiers d’un Home Depot – est célèbre pour son isolement. Il est entouré par des marais et assez loin du plus proche aéroport commercial d’importance. En 2004, quand le président George W. Bush reçut le sommet annuel du G8 sur cette île, le centre de presse était à Savannah en Géorgie à 80 miles de là.

La Anschutz Corp., Starwood Capital Group Global, Avenue Capital Group et le Oaktree Capital Management ont acheté le complexe en faillite à l’époque – et qui recouvre toute l’île – en 2010 pour 212,4 millions de dollars.

“Ce n’est vraiment pas l’endroit pour découvrir l’Amérique moyenne,” écrivit The New York Times sur Sea Island en 2004. “Mais c’est un endroit parfait pour se couper du reste du monde quand on observe l’usage d’une architecture ostentatoire et les plages pratiquement sans accès pour le public.

En 2015, le gala de Sea Island organisé par l’AEI attira la plupart des hommes qui devaient devenir les candidats républicains à la présidence selon un agenda obtenu par Bloomberg à l’époque. Les orateurs prévus incluaient l’ancien gouverneur de Floride, Jeb Bush, le gouverneur du New Jersey, Chris Christie, le sénateur du Texas, Ted Cruz, le sénateur de Caroline, Lindsay Graham, le gouverneur de Louisiane, Bobby Jindal et l’ancien sénateur de Pennsylvanie, Rick Santorum. (Il se peut que certains orateurs annoncés ne soient pas venus à cause d’une tempête de neige qui perturba les transports ce week-end.)

AEI paya 32 490,97 dollars pour les 11 membres du Congrès qui assistèrent à la conférence en 2015 selon les registres publiés sur Legistorm.com.

Les officiels démocrates comme le sénateur Cory Booker du New Jersey, Jason Furman, président du conseil des économistes de Barack Obama, Gene Sperling, un autre important conseiller d’Obama en économie, et l’ancien secrétaire au trésor Larry Summers, étaient sur la liste des participants de l’édition de 2015, selon ce qu’en a rapporté Bloomberg à l’époque.

Christie devait ouvrir la conférence de cette année par ses remarques préliminaires.

Il y a quelques semaines, il a déclaré son soutien à Trump.

Jennifer Bendery a contribué au reportage.

Source : The Huffington Post, le 07/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/a-leur-assemblee-secrete-des-pdg-de-societes-technologiques-et-des-dirigeants-du-parti-republicain-sunissent-dans-une-conspiration-anti-trump/


La politique monétaire a joué un rôle central dans le déclenchement de la crise financière, par Jacques de Larosière

Wednesday 30 March 2016 at 03:07

Source : Académie des sciences morales et politiques, le 01/12/2010

Université de Columbia, 1er décembre 2010, par Jacques de Larosière

publishable

La thèse que je vous présente aujourd’hui est tirée d’un article que j’ai publié dans Central Banking au début de 2010. C’était le résultat d’une réflexion et d’un travail dans lequel je m’étais embarqué quelques années auparavant.

À l’époque, l’article n’a reçu quasiment aucune réaction. Mais durant ces dix dernières années, un certain nombre d’économistes ont aussi écrit sur le sujet. De plus, les banquiers centraux ont dernièrement commencé à faire attention aux liens entre la politique monétaire et les bulles d’actifs. En outre, la création récente en Europe et aux États-Unis de Comités du risque systémique implique pour les banques centrales un devoir d’analyser en permanence les risques macroéconomiques et financiers et d’en tirer des recommandations (y compris sur les questions de politique monétaire) pour éviter le retour de crises comme celle que nous venons de traverser avec ses conséquences dramatiquement négatives sur la croissance, l’emploi et les politiques fiscales.

Un certain nombre de banquiers centraux et leurs conseillers économiques considèrent que la politique monétaire n’a joué aucun rôle ou un rôle mineur dans le déclenchement de la crise. De ce point de vue, le bouleversement financier était principalement le résultat d’un choc macroéconomique externe mal géré par certaines institutions financières imprudentes.

Leur argument peut se résumer de la façon suivante :

  1. Je crois que cet argument est singulièrement fallacieux et que l’explosion du crédit — qui est un phénomène monétaire — fut un facteur majeur derrière la crise.

Par exemple, aux États-Unis, le ratio entre la dette du secteur privé et le PIB a explosé, passant de 112% en 1976 à 295% en 2008. En Grande-Bretagne, le ratio entre la dette hypothécaire des ménages et le revenu disponible est monté en flèche, passant de 80% en 1911 à 140% en 2008. Aux États-Unis, le crédit s’est accru d’environ 10 à 15% par an entre 2004 et 2008, alors que la croissance économique en valeur nominale tournait autour de 5% (les chiffres équivalents pour la zone euro étaient de 8 à 10% pour une croissance du PIB en valeur nominale de 4%).

Cette explosion de la dette ne pouvait qu’engendrer des conséquences monétaires. « Les crédits font les dépôts » comme nous l’enseignent les manuels scolaires. De nombreuses banques centrales — et en particulier la Réserve fédérale qui permit aux taux d’intérêts réels de planer autour de zéro pendant plusieurs années — alimentèrent l’expansion du crédit ; ce qui, en retour, affecta les agrégats monétaires.

Sur le plan extérieur, nous savons — d’après les recherches menées par Jacques Polar dans les années 60 — que c’est l’évolution des actifs intérieurs nets (les crédits à l’économie et au secteur public) qui est le déterminant principal des déséquilibres du déficit courant.

Donc, étant donnée l’importance du crédit pour la stabilité monétaire à la fois domestique et extérieure, il semble quelque peu mystérieux que les banques centrales ne lui aient guère prêté attention en tant qu’indicateur, et ce alors que le développement du crédit est traditionnellement un élément majeur dans l’analyse et la boîte à outils des décideurs en matière de politique monétaire. La moindre des choses eût été que l’ampleur de la bulle du crédit soulève des questions quant à la pertinence des politiques monétaires.

La réponse des banquiers centraux à cette vision des choses fut quelque chose comme : « puisque l’inflation (IPC) demeurait morose, il aurait été irresponsable de notre part de resserrer nos politiques et d’augmenter les taux d’intérêt, au risque d’entraver la croissance économique et d’augmenter le chômage ». Mais ce qu’implique une telle réponse, c’est de limiter les opérations de politique monétaire à la réussite d’un concept strict de cible d’inflation — les prix des biens et services (ou d’une cible de croissance potentielle non inflationniste, comme c’est le cas pour les États-Unis).

À présent, après le passage de la crise et les pertes massives dans son sillage (aux États-Unis : une variation du PIB de -4,5% entre 2007 et 2009 et près de 10% de chômage), même les défenseurs les plus acharnés des politiques passées des banques centrales devraient concéder qu’il aurait été approprié de surveiller les indicateurs de crédit de plus près et d’agir sur eux. En tout cas, ils adhèrent à la proposition d’un « Conseil du risque systémique » afin d’éviter une répétition de l’expérience passée. Certains sont même d’accord pour dire que si les instruments de régulation se révélaient insuffisants, la politique monétaire pourrait être utilisée comme outil complémentaire.

À ce point de l’analyse, je voudrais souligner cinq des aspects « monétaires » de la bulle du crédit :

Étant donné le haut effet de levier des banques d’investissement des États-Unis, on comprend à quel point le système financier avait sombré dans la dette (c’est-à-dire qu’aux États-Unis, de 1978 à 2008, la dette nette des institutions financières rapportée au PIB s’est élevée de 16% à 121%). D’où les terribles conséquences provenant du cercle vicieux précédemment décrit. Quelqu’un peut-il raisonnablement affirmer que les cinq problèmes monétaires que je viens d’analyser n’ont rien à voir avec la politique monétaire et la responsabilité des banques centrales ?

Lorsqu’il y a une poussée de la liquidité et du crédit dans un environnement de taux d’intérêt faibles alors que l’IPC reste stable (en grande partie à cause du faible coût des salaires associé aux importations des pays émergents), tant que la flexibilité du taux de change ne peut plus jouer son rôle de soupape de sécurité, la seule issue est l’augmentation du prix des actifs. Les bulles ont naturellement accompagné les faibles taux d’intérêt et une posture monétaire asymétrique inappropriée. En effet, l’assouplissement de la politique monétaire pour éviter une récession a été décidé avec une rapidité et une détermination bien plus grandes que ce qui a été affiché pendant des périodes de resserrements progressifs lorsque l’économie était en surchauffe. C’était une invitation au danger moral, puisque cela a créé les prévisions que les banques centrales prendraient des mesures correctrices en cas de chute du prix des actifs. [4]

Une illustration de cette approche asymétrique de la politique monétaire est l’injection de liquidité par la Fed pour prévenir en 2002 une tendance déflationniste redoutée, mais fausse. Cette sur-réaction a produit une bulle massive de la demande. [5]

  1. Pour éviter la répétition de tels événements, les banques centrales devront recommencer à surveiller l’expansion du crédit et donc les bulles.

L’objectif n’est surtout pas de « viser » les prix des actifs. Les banques centrales ne peuvent évidemment pas déterminer la « juste » valeur des actifs. Cette « cible » est souvent présentée par les défenseurs d’un « statu quo » des banques centrales comme la solution alternative. C’est en partie destiné à discréditer l’idée que nous avons besoin que les banques centrales réagissent suffisamment tôt à l’émergence de bulles.

L’objection est souvent que les banquiers centraux ne sont pas en position d’identifier une bulle.

Cela semble être un argument particulièrement faible. Vous n’aviez pas besoin de déterminer scientifiquement la « juste » valeur, par exemple, des maisons aux États-Unis en 2005-2006 pour savoir qu’il y avait une augmentation excessive des prix. Tout le monde le savait. Nous le savions certainement d’autant mieux que nous pouvions prévoir l’inflation ou les écarts de production, ce sont des jugements considérés comme « normaux » que les banques centrales peuvent porter. Le National Bureau of Economic Research a récemment publié une étude [6] qui montre comment « l’augmentation du prix des maisons, la chute du taux des crédits hypothécaires et les refinancements plus efficaces […] ont appâté les masses de propriétaires pour qu’ils refinancent leur maison et extraient de la liquidité de leur hypothèque en même temps, augmentant le risque systémique du système financier ». L’étude établit que ces trois tendances donnent des résultats explosifs lorsqu’elles sont utilisées simultanément. Elle montre que « l’extraction seule de liquidité de son logement peut être à l’origine d’une augmentation dramatique du risque systémique posé par le marché résidentiel aux États-Unis, qui a été l’épicentre de la crise financière de 2007-2008 ».

Que devraient faire les banques centrales devant des circonstances aussi inquiétantes ? Devraient-elles rester inactives ? Attendre l’éclatement et ensuite « passer la serpillière » avec une relance ? Au contraire, je crois qu’elles devraient « aller à contre-courant » et qu’elles peuvent utiliser différentes options politiques pour ce faire.

  1. Elles devraient aller contre le courant pour « améliorer la performance macroéconomique en réagissant systématiquement aux décalages du prix des actifs, au-delà de leur réaction aux projections d’inflation et d’écarts de production » [7].

La raison de ce point de vue est que les bulles du prix des actifs créent des distorsions dans l’investissement, la consommation et l’inflation et mènent ainsi à des augmentations excessives puis à de graves chutes à la fois dans la production réelle et dans l’inflation. [8]

La politique monétaire peut adoucir et modérer ces excès et fluctuations au travers de mesures sur le taux d’intérêt. Mon opinion est qu’une banque centrale réaliserait une meilleure performance si elle intégrait dans son processus de ciblage d’inflation l’évolution du prix des actifs, et pas seulement l’inflation de l’IPC et les écarts de production.

On devrait garder en tête que le coût des bulles peut être très haut. Le FMI a estimé sur la base de l’expérience passée que l’éclatement des bulles immobilières prend en moyenne 5 ans pour revenir à la normale, et est associé à des pertes de production qui peuvent atteindre 8% du PIB.

Puisque les variations du prix des actifs affectent bien, et sont le reflet, des anticipations d’inflation, et étant donné que l’objectif des banques centrales est de limiter l’inflation, pourquoi ne prennent-elles pas en compte l’inflation du prix des actifs dans leurs instruments politiques ?

  1. Les banques centrales ont à leur disposition différentes options politiques :
  1. Adopter une politique monétaire moins accommodante. Cela enverra les bons signaux au marché, rendra plus crédible la posture anti-inflationniste (dans sa définition la plus complète) et aidera ainsi à ancrer les anticipations futures des prix. Si le marché savait ex ante que la politique monétaire réagirait à des bulles émergentes du prix des actifs, cela pourrait réduire la possibilité de bulles.
  2. Adopter des dispositions réglementaires pour modérer l’expansion du crédit en général ou dans des secteurs spécifiques (c’est-à-dire opter pour un provisionnement dynamique, augmenter les obligations de constitution de réserves, établir des règles plus rigoureuses en ce qui concerne les rapports prêt/valeur, etc.). Elles pourraient être utilisées comme alternative au point a) ou comme complément.

On pourrait objecter que le point a) est un instrument trop brutal pour empêcher l’explosion d’une bulle et que des mesures réglementaires ne sont pas toujours de la compétence des banques centrales. Ces arguments ne sont pas convaincants : les taux d’intérêt devraient être utilisés quand c’est nécessaire, pour aller contre le sens du courant, et les dispositions réglementaires devraient être mises en avant par les banques centrales si on exige d’elles qu’elles préviennent l’instabilité financière. C’est la raison pour laquelle le rapport du Système européen de supervision a proposé la création d’un « Conseil du risque systémique » regroupant les banquiers centraux de l’UE et les superviseurs pour détecter suffisamment tôt les risques systémiques et proposer des mesures précises (y compris réglementaires) pour les traiter. [9]

Enfin, certains peuvent estimer que si les banques centrales étaient responsables non seulement de la stabilité des prix mais aussi de la stabilité financière, cela pourrait entraîner des conflits entre les deux objectifs et pourrait affaiblir leur mission principale (la stabilité des prix) ou même leur indépendance.

Je crois, au vu de ce qui s’est passé ces deux dernières années, que ce n’est pas un argument convaincant.

Premièrement, les banques centrales ont traditionnellement la charge des deux missions. La pratique de ces dix dernières années ne devrait pas nous faire oublier les faits historiques de base. Par ailleurs, un certain nombre de banques centrales ont la charge de micro-superviser les banques. Deuxièmement, accorder aux banques centrales et aux régulateurs la responsabilité de l’action dans la prévention des crises financières ne peut que renforcer leur autorité (et leur indépendance). Et enfin, considérons les conséquences monétaires qu’aurait une inaction dans la prévention des bulles. Nous avons vu :

Au final, il ne me semble pas y avoir de doute que la politique monétaire a contribué significativement à l’émergence de la crise.

Ainsi le moment est venu de remettre en question le « modèle opérationnel » de la politique monétaire qui a prévalu ces dix à quinze dernières années. Ses principes basiques ont été essayés tout au long de la crise et n’ont pas résisté à l’épreuve, c’est mon point de vue.

C’est quelque peu paradoxal, dans un monde où la complexité financière augmente, les banques centrales ont trop tendu à simplifier leur politique opérationnelle. Un unique objectif étroitement défini a prévalu (avec quelques variations limitées) : cibler l’IPC. Un unique outil politique a dominé : l’utilisation des taux d’intérêt officiels. Et la plupart a fermé les yeux sur l’expansion du crédit et la poussée du prix des actifs. En fait, extraire de la valeur d’un prix d’actifs élevé est devenu l’un des instruments principaux pour certains décisionnaires pour soutenir la croissance. Nous avons vu les dangers de telles méthodes artificielles, destruction de valeur et récession généralisée. Je voudrais aussi souligner que ce « consensus » sur la politique monétaire est assez récent et que l’histoire des banques centrales nous fournit une foule d’objectifs et outils opérationnels plus détaillés.

À ce sujet, on peut observer que le ciblage de l’inflation tel qu’il a été pratiqué était basé sur des prévisions de l’IPC sur deux à trois ans. Cet horizon à court terme a eu pour effet de pondérer insuffisamment les décalages des prix qui sont à la source des bulles des actifs.

Contrairement au soi-disant consensus et en évitant toute approche dogmatique, je considère que :

Rien de tout cela n’affaiblirait l’indépendance des banques centrales. Au contraire, confier aux banques centrales un mandat de stabilité détaillé ne pourrait qu’améliorer leur crédibilité.

Le thème sous-jacent de cette analyse est que les institutions financières jouent un rôle fondamental dans les mécanismes de transmission de la politique monétaire. Cependant, les autorités monétaires n’étaient pas préparées, ni analytiquement ni opérationnellement, à prévenir ou à modérer les excès de l’expansion du crédit qui a fini par mettre le système à terre.

Un grand nombre de banques dans lequel le modèle anglo-saxon « octroyer et céder » prévalait, fournissait aux investisseurs des produits financiers opaques et mal compris dont les notes des agences de crédit étaient sans fondement. Cet approvisionnement en produits financiers complexes était satisfait par une demande croissante de la part d’investisseurs dont la liquidité était abondante, en particulier à cause de déséquilibres internationaux massifs et de taux d’intérêt bas. À travers le processus de titrisation, les banques pouvaient « réutiliser » leur capital pour octroyer et céder à nouveau. [11] Des taux d’intérêt très bas avaient, par conséquent, un effet de transmission beaucoup plus fort que par le passé lorsque les déséquilibres mondiaux, la titrisation de produits complexes, la mondialisation financière et l’existence d’un vaste système de shadow banking n’existait pas ou peu.

Les conséquences étaient inévitables : plus la liquidité était abondante, plus le financement à court terme était facile à travers les marchés interbancaires et de papier commercial, pour les institutions (banques, fonds communs, fonds de pension, hedge funds, etc.) qui se sont engagées à investir dans ces produits financiers complexes.

La marée montait irrésistiblement mais les banques centrales se focalisaient sur l’inflation de l’IPC.

Il est à noter que les économistes avaient étudié avec soin et précision les dangers d’un « canal du crédit » dans les années de la Grande dépression. Ils avaient à juste titre montré que les banques pouvaient être les transmetteurs majeurs et les « artisans » des politiques monétaires : les banques pouvaient resserrer leurs prêts à cause de défauts à venir, à cause du risque élevé des emprunteurs, et, par conséquent, à cause du coût élevé du capital.

Pourquoi alors est-ce que ces économistes n’ont pas fait plus attention, pendant les années de prospérité, au risque inverse mais symétrique que comportait l’attitude des institutions financières ? Leurs profits étaient artificiellement gonflés par les normes comptables, leurs effets de levier et leur propension au risque étaient élevés dans un contexte de taux d’intérêt bas, et les inquiétudes sur le risque du crédit des emprunteurs étaient réduits puisque la titrisation était censée « disperser » le risque.

Le canal de transmission du crédit était en fait beaucoup plus puissant que supposé. Effectivement, il a été mis en parallèle et amplifié par l’augmentation de l’effet de levier de certaines institutions financières (les banques d’investissement, particulièrement celles aux États-Unis, hedge funds, etc.) qui se comportaient comme des banques (en transformant des financements à court terme sur les marchés en actifs à plus long terme) mais en n’étant pas assujetties à des réglementations contraignantes comme les banques. Le résultat a été un arbitrage réglementaire énorme en direction des hedge funds, du hors-bilan, des placements structurés parrainés par les banques mais, en théorie, gérés de manière indépendante…

Ces « banques parallèles » se sont révélées être des « catalyseurs » de l’expansion du crédit et, par conséquent, ont contribué à détendre les conditions monétaires. La plupart avait peu de capital et était surendettée. La garantie qu’elles ont fournie à leurs créanciers était dans beaucoup de cas d’une qualité douteuse (les CDO étaient souvent acceptées).

Lorsque les marchés ont finalement compris que les prix de l’immobilier baissaient, toute la structure a été réduite en miettes. La pratique honteuse des États-Unis d’accorder des prêts hypothécaires subprime aux emprunteurs qui étaient connus des courtiers comme des banquiers et superviseurs comme incapables de servir leur dette, est devenue publique. Les produits financiers basés sur des produits de prêts en subprime dont des agences de notation ineptes avait accordé des notes triple A ont soudain été vus comme ce qu’ils étaient : c’est-à-dire sans aucune valeur. Les banques et les hedge funds ont soudain perdu leur financement à court terme et beaucoup n’avaient ni le capital ni la liquidité pour survivre. Ces banques imprudentes devaient être sauvées à grand frais pour les contribuables, et les hedge funds étaient sévèrement touchés pendant qu’ils aggravaient la chute des marchés à travers la vente de leurs actifs. La titrisation a pratiquement disparu. Loin de constituer un tampon institutionnel contre la chute des marchés, ce qu’elles avaient souvent été par le passé, les institutions financières étaient devenues tellement dépendantes des marchés financiers qu’elles ont été les premières à être affectées par la chute du prix des actifs et à accentuer la récession des marchés.

Et c’est ainsi qu’est réapparu le vieux canal « négatif » comme dans les années 30. Mais personne n’a vraiment tiré la sonnette d’alarme dans les années de sur-extension.

Qu’est-ce qui explique cette asymétrie ? Est-ce la Grande Modération de l’inflation ? Est-ce l’illusion que les marchés ne chuteraient jamais ? Est-ce l’obsession de la déflation qui est apparue il y a quelques années ? Est-ce à cause de la croyance tacite que les cycles avaient disparu et que les gains de productivité assureraient, pour toujours, une croissance potentielle haute et non-inflationniste ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la grande récession avec ses millions de chômeurs, ses milliers de milliards de renflouement, sa spectaculaire montée et la détérioration du bilan des banques centrales, ne peut pas être écartée à la légère comme le résultat de quelques accidents externes. Des questions difficiles ont besoin de réponses de la part des décideurs, gouvernements, banques centrales, régulateurs, superviseurs, tout comme des institutions financières. Il est essentiel qu’elles abordent les causes réelles de la crise (déséquilibres internationaux majeurs, politique monétaire inadéquate dans un contexte de bulles du prix des actifs, expansion excessive du crédit, manque de professionnalisme des superviseurs, procyclicité de la réglementation prudentielle et des règles comptables, liquidité insuffisante, levier excessif des banques d’investissement majeures et des hedge funds, mauvaise gouvernance menant souvent à des comportements moutonniers, biais et motivation court-termistes, etc.) et que les banques centrales participent vraiment à la stabilité financière, pour que le risque moral immense et inacceptable qui est un fléau pour le monde ne se reproduise pas.

Les efforts actuels pour réformer le système sont-ils adéquats ? Ce sont certainement, dans beaucoup d’aspects, un pas en avant dans la bonne direction. Mais l’accent sur l’augmentation de capitaux tampons dans le système bancaire me semble quelque peu déplacé. Un capital insuffisant était loin d’être la cause majeure de la crise. Une mauvaise supervision et la liquidité étaient les problèmes réels et nous devons y répondre d’une façon cohérente sans mettre en danger les fonctions vitales d’intermédiation et de transformation du système bancaire. Une attention plus grande devrait être consacrée à l’expansion probable du système de shadow banking qui tirera parti des contraintes plus fortes de capitaux des banques régulées. Et sans une surveillance macroéconomique internationale détaillée, les déséquilibres continueront de fleurir…

Dans ce contexte, la surveillance macro prudentielle devrait jouer pleinement son rôle en avertissant les gouvernements et les marchés des déviances naissantes ou des bulles. Espérons qu’ils rempliront leur mission avec indépendance, compétence et énergie.

[1] Voir Franceso Giavazzi – Alberto Giovannini. 19 juillet 2010 (© vox EU)

[2] Les contrôles traditionnels de l’expansion des crédits par les banques centrales ont été éliminés dans les années 70 et 80. En 2004, les banques d’investissement des États-Unis ont pratiquement été exonérées des ratios de levier. Cette décision a joué un rôle majeur dans l’expansion des crédits.

[3] Voir Markus K. Brunneheier: Bubbles, Liquidity and the Macroeconomy, NBER reports – n° 2, 2010

[4] Voir le Geneva  Report, Center for Economic and Policy Research et International Centre for Monetary and Banking Studies, 2000

[5] Voir l’étude de John B. Taylor, professeur à Stanford, Getting off track: how Government Actions and Interventions caused, prolonged and worsened the Financial Crises. Le Pr. Taylor affirme qu’il y a « une preuve évidente d’un excédent de monnaie pendant la période qui a mené au boom immobilier. »

[6] NBER: Systemic Risk and the Refinancing Ratchet Effect, document de travail n° 15362, par Amir Khandari, Andrew Lo et Robert Merton. Voir NBER Digest. Décembre 2009.

[7] Voir Sushil Wadhwani : Should monetary policy respond to asset price bubbles? Revisiting the debate, colloque du SUERF, Munich, 12 juin 2008

[8] Voir FMI, 2003 – World Economic Outlook

[9] Groupe de haut niveau sur la supervision financière de l’UE présidé par J. de Larosière, Bruxelles, 25 février 2009

[10] Le prix des actifs significativement plus haut que les « fondamentaux » (c’est-à-dire la valeur actuelle de probables futurs flux de trésorerie) sont un signe d’anticipations de l’inflation. Les banques centrales devraient essayer d’empêcher ou limiter de tels décalages pour améliorer la stabilité macroéconomique et limiter la taille de futures corrections des marchés.

[11] En 2007, sur 24 000 milliards de dollars d’encours de crédit aux États-Unis, les prêts titrisés représentaient 41%, alors que les prêts sur les livres de comptes des banque étaient de 35% et les obligations 24% (source : IIF Capital Markets Monitor, février 2010).

Source : Académie des sciences morales et politiques, le 01/12/2010

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source

Source: http://www.les-crises.fr/la-politique-monetaire-a-joue-un-role-central-dans-le-declenchement-de-la-crise-financiere-par-jacques-de-larosiere/


Marcher les yeux fermés vers la catastrophe, par James W Carden

Wednesday 30 March 2016 at 01:00

Source : Consortiumnews.com, le 07/03/2016

7 mars 2016

Parce que les médias grand public américains restent dominés par les néoconservateurs, il y a eu peu de débats rationnels au sujet des risques de glisser vers une guerre nucléaire avec la Russie, comme l’écrit James W. Carden

Par James W Carden

Une question que les sans nul doute intrépides animateurs des prochains débats opposant Républicains et Démocrates pourraient méditer et poser aux candidats restants est : Étant donné que les États-Unis et la Russie s’encerclent l’un l’autre dans la mer Noire, en Ukraine, et dans le ciel de la Syrie, est-il possible que les responsables politiques ne soient pas pleinement conscients des risques inhérents à de telles manœuvres ?

La question vaut d’autant plus la peine d’être posée depuis que l’équilibre mondial en 2016 n’est pas seulement en danger, mais porteur de risques bien plus importants que la dernière fois où les grandes puissances ont accidentellement glissé vers la catastrophe. Après tout, contrairement à l’été 1914, aujourd’hui, toutes les grandes puissances mondiales ont l’arme nucléaire. Un bref examen de la Grande Guerre révèle de saisissants parallèles avec la situation actuelle.

obama-putin

Plus tôt dans la crise syrienne, le président de la Russie Vladimir Poutine a accueilli le président Barack Obama au sommet du G20 au Palais Constantin de Saint-Pétersbourg en Russie, le 5 septembre 2013. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Pete Souza)

Dans les jours qui ont immédiatement suivi l’assassinat de l’archiduc Ferdinand, personne n’aurait pu imaginer ce qui allait suivre – et cela apporte une leçon qui reste très pertinente aujourd’hui : que dans les relations internationales les intentions des autres États-nations sont en grande partie insondables. Ainsi, le statu quo précédant la guerre s’est effondré sous le poids de cette incertitude.

Ce qui suivit est un exemple éclatant de ce que le politologue Robert Jervis appelait « Le dilemme de la sécurité ». Il postule que lorsqu’un État adopte des mesures pour augmenter sa sécurité, ces mesures seront inévitablement perçues comme offensives plutôt que comme défensives par les autres États, qui prendront alors des contre-mesures pour augmenter leur propre sécurité, et ainsi de suite. En d’autres termes, les prétendues « armes de défense » n’apparaissent pas comme “défensives” aux yeux des États contre lesquels elles sont dirigées.

Comme l’éminent universitaire européen, le Pr David Calleo, l’a écrit, les Allemands ne se considéraient pas comme agresseurs. « Les Allemands de l’empire », écrivait-il, « maintenaient qu’ils faisaient la guerre avec des objectifs défensifs, ils protégeaient leur unité nationale de la fureur des Français qui étaient déterminés à la défaire. » Les puissances de l’Entente voyaient les choses différemment.

Il est aussi instructif de noter la manière dont les sociétés démocratiques se sont comportées durant la période qui a précédé la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, des think tanks bien financés et influents promeuvent l’idée que les États-Unis doivent s’engager dans une croisade pour apporter la démocratie à l’étranger car « les démocraties ne se combattent pas entre elles ». Pourtant la Grande Guerre a apporté la preuve contraire, tout particulièrement si l’on considère que le droit de vote en Allemagne était plus étendu que celui existant en Amérique à cette époque.

La théorie de la paix démocratique ignore également à dessein l’un des principaux problèmes de la démocratie, qui est que lorsqu’il est question de la guerre, ses citoyens sont enclins à tomber dans l’hystérie collective. Et l’hystérie collective et la fièvre de la guerre est exactement ce qui s’est emparé des démocraties en Europe dans la période précédant la Grande guerre.

Dans un éditorial publié une semaine avant que ne commencent les hostilités, le magazine Nation rapportait : « A Vienne, à Paris, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, il y avait des signes d’une psychose aiguë affectant une large partie de la population. La psychologie de foule se montre souvent sous des formes démoralisantes et alarmantes, mais ce n’est jamais si repoussant et effroyable que lorsqu’elle est vue dans d’immenses foules appelant à la guerre. N’oublions pas en effet – qu’il n’y a rien que la foule oublie aussi rapidement que la guerre. »

L’éditorial concluait : “Si quelqu’un regardait uniquement ces manifestations de surface, il pourrait être tenté de conclure que l’Europe est en train de devenir une gigantesque maison de fous.”

Le Pr Calleo relate qu’après que le chancelier allemand, Bethmann-Hollweg, a été renversé, il écrivait qu’il considérait lui aussi le rôle de l’opinion publique comme « l’élément crucial – sinon comment expliquer le zèle passionné et insensé qui a conduit des pays comme l’Italie, la Roumanie, et même l’Amérique qui n’étaient à l’origine pas impliqués dans la guerre, à ne trouver de repos tant qu’ils n’auraient eux aussi plongé dans le bain de sang ? »

Notre hâte actuelle, également insensée et passionnée, à recommencer la guerre froide est largement le produit de la société d’admiration mutuelle qui a vu le jour entre le Pentagone, et ses responsables bellicistes, et leurs peu scrupuleux admirateurs dans les médias.

La propagande véhiculée par “l’ensemble médias-militaires–think tanks” de Washington aurait été bien familière aux poètes Wilfried Owen et Siegfried Sassoon, qui tous d’eux ont servi sur les lignes du front durant la Grande Guerre en France.

Le poème d’Owen « Dulce et Decorum est » a été écrit en 1917 et décrit la mort d’un camarade soldat qui a été gazé par les Allemands. Dans la dernière strophe du poème, Owen s’adresse directement à un propagandiste civil de guerre de retour en Angleterre, lui disant qu’il avait vu de ses propres yeux les horreurs de la guerre :

“Ami, avec ce bel entrain plus ne direz

Aux enfants avides de quelque gloire désespérée,

Ce mensonge de toujours : Dulce et decorum est Pro patria mori

Il est doux et glorieux de mourir pour sa patrie”

Owen a été tué sur le front une semaine avant que l’Armistice ne soit signée. Son ami Sassoon a survécu. Contrairement à Owen, Sassoon a vécu une longue vie et produit quelques-uns des plus célèbres textes de la littérature anti-guerre à ce jour.

Sur le front il a produit ce qui est peut-être un des plus mémorables de ses écrits, Suicide in the Trenches (Suicide dans les tranchées), dans lequel il fustige également la chaleureuse bande de propagandistes encourageant depuis les coulisses :

“Vous, les foules aux airs suffisants et aux yeux embrasés,

Qui applaudissez lorsque défilent les jeunes soldats,

Vous vous éclipsez chez vous en priant de ne jamais connaître

L’Enfer où succombent la jeunesse et les rires”

On ne peut s’empêcher de se demander ce que Owen et Sassoon auraient pu écrire des légions de généraux en pantoufles et des parasites de la politique étrangère qui leur sont assortis et composent les rangs s’étendant sans limite de la nouvelle guerre froide de Washington aujourd’hui.

James W. Carden collabore à The Nation et est rédacteur du Comité américain pour East-West Accord’s eastwestaccord.com. Il a précédemment servi de conseiller sur la Russie du représentant spécial des Affaires Intergouvernementales mondiales au Département d’État américain. [Cet article est adapté d’un cours donné aux étudiants à l’Université d’État de Moscou en février.]

Source : Consortiumnews.com, le 07/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/marcher-les-yeux-fermes-vers-la-catastrophe-par-james-w-carden/


Miscellanées du mercredi (Sapir, Béchade, Onfray, Erdogan, ScienceEtonnante)

Wednesday 30 March 2016 at 00:01

I. Philippe Béchade

La minute de Béchade : Le pire scénario c’est l’anticipation du retour de l’inflation – 23/03

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): Les marchés financiers peuvent-ils s’adapter à la complexité du contexte géopolitique actuel ? – 23/03

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): Le rebond des matières premières peut-il actionner une hausse durable sur les marchés financiers ? – 23/03

II. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir: “Les indicateurs de l’emploi ne sont pas fiables” – 29/03

Jacques Sapir VS Régis Begué (1/2): Y-aurait-il des raisons objectives de s’inquiéter de la situation économique mondiale ? – 29/03

Jacques Sapir VS Régis Begué (2/2): La politique monétaire ultra accommodante de la BCE peut-elle soutenir la croissance économique de la zone euro ? – 29/03

III. Michel Onfray

Le Monde selon Michel Onfray : Samedi 26 mars 2016

IV.Erdogan

Incroyable (si Poutine avait ça…) :

erdogan

La vidéo (en allemand, mais Youtube la traduit très bien : en bas à droite, vous cochez Sous-titres, puis, juste à côté, dans Paramètres, vous choisissez pour les Sous-titres : Français)

V. ScienceEtonnante

La Théorie des Cordes — Science étonnante #5


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-sapir-bechade-onfray-erdogan-scienceetonnante/


ENTRETIEN – « Tuer pour exister, et mourir » avec David Thomson

Tuesday 29 March 2016 at 04:31

Très important article, d’un des spécialistes français des jihadistes. A lire en entier sur Non fiction

Source : Non Fiction, David Thomson, 23-03-2016

5f08bf8dada63010715fdfca926f9000-0David Thomson est journaliste à RFI. En mars 2014, il publiait Les Français jihadistes (Les Arènes), une vaste enquête basée sur une vingtaine d’entretiens avec des jeunes Français ayant décidé de partir combattre le régime syrien auprès des troupes islamistes. A ce jour, c’est encore la seule enquête de terrain disponible sur le sujet. Dans cet entretien, il revient sur les profils, les motivations et les itinéraires de ces jeunes jihadistes dont la voix révèle des pans considérables du mystère de la « radicalisation » à qui prend le temps de les écouter.

Nonfiction.fr – Votre livre demande Qui sont ces citoyens en rupture avec la République ? Au-delà de la rupture avec la République, observez-vous des régularités dans les profils sociaux des jihadistes que vous avez interrogés ?

David Thomson – Ce qu’il faut prendre en compte avant tout, c’est qu’il n’existe pas de statistiques sur ce sujet, et que la sociologie n’est pas tout-à-fait la même pour les hommes et pour les femmes. Pour les hommes, on a clairement une majorité de personnes qui ont grandi dans les quartiers populaires français, ce qui ne veut pas dire qu’on ait une majorité de personnes désocialisées. Au contraire, un grand nombre étaient bien installés dans la vie active, avec une famille et des salaires corrects voire supérieurs à la moyenne nationale, avant de tout quitter pour partir en raison de leurs convictions religieuses ou politiques. D’autres jeunes hommes ou jeunes femmes viennent par ailleurs des classes moyennes, ou du monde rural : c’est par exemple le cas de celle que j’appelle « Clémence », qui s’est convertie après avoir trouvé un exemplaire du Coran à la Fnac et qui y a trouvé les réponses aux questions religieuses qu’elle se posait en tant que catholique pratiquante. Ce qui l’a conduite à adopter l’Islam, c’est qu’elle y a trouvé le monothéisme pur qui résolvait à ses yeux les complexités de la Trinité.

Incontestablement, la majorité appartient à une même génération, ou plutôt à une même fourchette d’âge, qui s’étend en gros de 16 à 30 ans. Mais dans l’ensemble, les profils sociaux sont donc extrêmement variés, comme c’était d’ailleurs déjà le cas dans les années 1990 et 2000, lorsque des Français partaient rejoindre les troupes islamistes de Bosnie ou d’Afghanistan : dans le « gang de Roubaix », Christophe Caze et Lionel Dumont étaient tous les deux blancs, ancien étudiant en médecine pour l’un et ancien militaire pour l’autre. La seule nouveauté à cet égard aujourd’hui, c’est l’ampleur inédite du phénomène.

S’il existe un dénominateur commun entre tous les « Français jihadistes », au-delà des générations et des époques, c’est qu’ils se reconnaissent tous une djahilia, c’est-à-dire une période d’« ignorance » pré-islamique. Certains étaient dans la musique, beaucoup étaient dans le rap, d’autres étaient militaires, fonctionnaires, intérimaires ou employés, certains étaient dans la délinquance mais d’autres menaient une existence familiale tout-à-fait rangée. Mais tous évoquent une vie en-dehors de la piété avant de se convertir, ou de retourner à un Islam religieux et non seulement culturel.

On est néanmoins frappé de constater dans le livre que quelque soit leur origine, tous vos interviewés (en tout cas ceux qui s’expriment sur la question) disent avoir reçu une éducation religieuse, mais une éducation religieuse assez souple, peu pratiquante. Confirmez-vous cette impression ? 

Oui, effectivement. C’est bien sûr le cas pour les musulmans de culture qui découvrent la foi et se mettent à pratiquer, mais les convertis non-musulmans viennent aussi souvent de familles catholiques ou protestantes plus ou moins pratiquantes. Il existe aussi de rares personnes issues d’autres horizons religieux ou politiques : l’un de ceux que j’ai interrogé était passé par le bouddhisme avant de faire le choix de l’Islam, et j’ai même rencontré des jihadistes issus de familles juives ou encore d’autres qui militaient dans les rangs de l’extrême-droite. En fait on trouve un peu de tout, et toutes sortes de cas qui ne sont absolument pas représentatifs. Mais dans l’ensemble, il est assez clair que la conversion s’inscrit dans une quête spirituelle, une démarche rédemptrice, ou en tout cas, qu’elle apporte une réponse à une question latente. Ce mélange de découverte et de retour au religieux est quelque-chose qui vaut pour tous les jihadistes, de « Clémence » à Abou Moussab Al-Zarqaoui .

Dans ce sens, tous sont des « convertis » et se regardent comme tels. Et cette bascule est structurante : un jihadiste issu de la grande délinquance, qui avait déjà du sang sur les mains avant de se convertir, me disait même que son passé criminel le renforçait dans sa vérité, dans la mesure où ce passé le rapprochait des compagnons du Prophète Mohamed, passés de la violence séculière à la violence religieuse. Cette personne a intégré la police islamique, et il m’a un jour confié qu’il prenait du plaisir à tuer des gens. Dans son cas, le jihadisme lui a permis de légitimer sa violence, il lui a offert une raison d’assouvir totalement ses pulsions meurtrières. Ce n’est bien sûr pas le schéma majoritaire – il n’y en a pas – mais chacun à sa manière, tous font nettement la différence entre un avant et un après.

Le débat sur l’interprétation du phénomène jihadiste invoque parfois la relégation sociale des personnes qui se radicalisent, leur mise à l’écart de la société par le système scolaire lui-même. On peut aussi avoir l’impression d’avoir affaire à des personnes mal armées intellectuellement pour faire face aux discours complotistes et obscurantistes des islamistes. Observez-vous quelque chose comme le produit d’un échec de l’école républicaine ? 

En l’absence de chiffres, il est difficile de dire quoi que ce soit de précis concernant le niveau de formation des Français jihadistes. Si je m’en tiens aux personnes dont je parle dans mon livre, quelques uns ont fait des études universitaires – en lettres, en sciences, en droit… – mais la plupart se sont arrêtés après le bac, voire après un BEP. C’est d’ailleurs un motif de blagues entre eux, qui prouve qu’il existe une conscience collective assez forte de ce niveau général d’instruction (universitaire et religieux) assez bas.

Plus généralement, ce qui revient en permanence, c’est un sentiment de frustration très largement partagé qui touche tous les milieux pour des raisons différentes. Le jihadisme propose à des égos froissés d’accéder au statut valorisant de héros de l’islam sunnite. Il y a un volet individualiste dans ce projet. Chez certains, elle vient du fait d’être issus d’une minorité, ce qui fait naître le sentiment de vivre en situation d’infériorité du fait de son origine. L’une des personnes dont je dresse le portrait dans mon livre menait une vie active et familiale en apparence très satisfaisante, mais il me disait : « Là, en tant que fils d’immigré, j’ai atteint le maximum de ce que je pouvais espérer. » Et il ajoutait que pour lui comme pour la plupart de ses frères d’armes, l’Islam leur avait rendu la « dignité » après que la France les a « humiliés ». De fait, parmi les convertis, on trouve aussi beaucoup de personnes issues des territoires d’outre-mer et de Français issus d’autres immigrations – subsaharienne, portugaise, mais aussi coréenne, vietnamienne… – pour lesquels la donnée identitaire doit être prise en compte.

La frustration peut aussi être religieuse, notamment chez un certain nombre de personnes qui se sont d’abord tournées vers un salafisme quiétiste, et qui ont eu le sentiment de ne pas pouvoir exercer leur religion en France en raison de la place de la laïcité. Ces personnes perçoivent la législation française comme un instrument tourné contre l’Islam. Là, on a un motif de frustration qui ne se limite en rien aux milieux populaires.

D’autres racontent aussi avoir vécu un traumatisme d’ordre privé ou un choc qui a débouché sur un processus de réflexion et une quasi-révélation: un jeune raconte ainsi s’être converti après avoir échappé miraculeusement à un accident de voiture, un autre est revenu vers l’islam après avoir survécu à un coup de couteau dans une bagarre parce qu’il « avait récité en continu la shahada » disait-il. Certains ont vécu des violences sexuelles, d’autres ont été confrontés à la mort brutale, la maladie, la toxicomanie voire la prostitution, l’absence ou l’abandon d’un de leurs parents. Des dysfonctionnements, parfois imperceptibles de prime abord au sein des cellules familiales, sont souvent aussi à prendre en compte. Les acteurs concernés vivent ainsi le jihadisme comme une purification qui les laverait de ce qu’ils perçoivent comme étant des souffrances ou des péchés qu’eux ou leurs proches auraient commis. En ce sens, cette idéologie les soulage, les apaise et leur redonne foi en un avenir promis comme paradisiaque dans l’au-delà, avec un code de conduite qui régit tous les aspects de la vie terrestre et qui leur redonne un sentiment de fierté, de supériorité sur les non-croyants, l’impression d’une renaissance en appartenant à la communauté des élus. Bien sûr, l’addition de ces cas particuliers ne suffit pas non plus pour dresser des tendances lourdes tout simplement parce que beaucoup de jihadistes n’ont jamais vécu le moindre traumatisme et affichent un parcours scolaire et familial qui frappe uniquement par sa grande banalité.

Et puis il y a aussi le vide « idéologique » contemporain, l’absence de « transcendance » dont le sentiment offre un terrain très favorable à l’accueil de la propagande jihadiste. Finalement, un certain nombre de jeunes vivent mal de se retrouver dans un monde sécularisé. Dans ces cas-là, le jihadisme vient s’installer dans le désœuvrement spirituel ou matériel. L’un de mes interviewés raconte par exemple que pour lui, tout a commencé à un moment de sa vie où il se retrouvait chez lui sans avoir rien à faire. Par ennui, il s’est mis à poster sur Facebook des vidéos jihadistes qui lui ont valu de plus en plus de « likes », et qui lui ont donc donné un sentiment d’importance dont il était totalement privé jusque-là. Le même jeune homme me racontait d’ailleurs qu’une fois arrivé en Syrie, il postait des photos de lui avec sa « kalach » qui lui valaient une dizaine de demandes en mariage par jour, alors qu’en France il n’avait jamais pu avoir de relation sexuelle. Pour beaucoup finalement, le jihadisme, c’est une manière d’exister, de trouver un sens.

Au-delà des critères socio-économiques, ethniques ou culturels, le vécu semble donc prépondérant face aux échecs réels ou supposés de la machine d’intégration.

Le terrain économique, les difficultés sociales ne sont pas toujours un facteur de compréhension. Tout simplement parce que les classes moyennes, voire, dans de rares cas, supérieures de la société, sont également concernées. Et cela vaut pour la France comme pour la Tunisie où j’ai commencé à étudier cette question en 2011 et qui est actuellement le pays le plus touché au monde par ce phénomène. Mais pour tous ceux qui n’étaient « rien » en France, pour tous les jihadistes issus de milieux pauvres ou de l’assistance publique, il est évident que le jihad permet de se réaliser spirituellement mais aussi socialement. Mais quand on regarde la situation d’autres personnes bien installées avant de se radicaliser, on voit bien que c’est le sentiment qui prime, plus que la réalité matérielle. Pour bien comprendre ces motivations, il est en réalité assez utile de déplacer le regard et de s’extraire des spécificités du contexte français. Quand j’ai commencé mon enquête, j’étais en Tunisie, dans une société musulmane où le parti islamiste Ennahdha était au pouvoir : ce n’est donc clairement pas la prégnance des sentiments islamophobes qui a conduit près de 6000 jeunes Tunisiens à partir rejoindre l’EI en Syrie, en Irak ou en Libye. En revanche, en l’espace d’un an, ce sont les mêmes Tunisiens qui cherchaient initialement à rejoindre l’Europe via Lampedusa en 2011 qui, par la suite, en 2012, ont commencé à partir en masse vers la Syrie. Leurs espoirs se sont déplacés, et ils sont en quelque-sorte passés de l’idéal d’un pays de Cocagne matériel à celui d’un paradis céleste. Et parmi eux, il y avait toutes sortes de personnes : de jeunes médecins, des chanteurs ou des sportifs, et pas seulement des chômeurs de Sidi Bouzid. Il se trouve qu’Al-Qaïda (qui se cachait derrière le groupe « rebelle » Jabhat Al-Nosra) et surtout l’EI aujourd’hui ont réussi à offrir un débouché à leurs espoirs, en promouvant une nouvelle forme d’universalisme.

Le nombre de jeunes femmes qui partent pour la Syrie est impressionnant, ahurissant même aux yeux de nombre d’Occidentaux qui perçoivent l’islamisme comme un régime d’oppression des femmes. À leur sujet, peut-on aussi penser les choses en termes de frustrations et d’espoirs ?

Le cliché est effectivement que les femmes jihadistes sont des femmes soumises qui obéissent et suivent leur mari. Mais c’est plutôt l’inverse que j’ai observé depuis que je travaille sur ce sujet : l’engagement féminin est souvent plus déterminé que celui des hommes. Dans certains couples, c’est la femme qui est le moteur de la radicalisation, et certaines sont plus favorables aux attentats terroristes que leurs époux. Cela peut paraître incompréhensible, mais toutes celles avec qui je discute après leur retour me disent qu’elles ont vécu le port du sitar – qui dissimule jusqu’aux yeux et aux mains – comme une « libération ». Elles rejettent violemment et elles combattent (par les armes si elles le pouvaient) à la fois le modèle de société que leur impose la République française mais aussi les obligations perçues comme étant celles de la femme moderne: l’injonction sociétale de réussir sa vie professionnelle, sociale et familiale dans un contexte concurrentiel entre les individus. Dans cette idéologie, sans pour autant avoir toujours grandi dans des quartiers populaires, elles disent trouver la satisfaction de ne plus être jugées sur le physique ou sur la marque de leurs vêtements, de se retrouver dans une situation d’« égalité », entre elles mais pas seulement. Même si en Syrie, là aussi, elles sont encore jugées sur le physique, lorsqu’elles doivent passer par le mariage.

À côté de l’enjeu spirituel et de la quête de reconnaissance, quelle place ont les considérations politiques ?

La grande majorité des jihadistes que j’ai interviewés est aussi motivée par des questions politiques. Ils combattent la démocratie et le modèle de société français perçus comme « ennemis de l’islam » et ils partent en ayant la conviction de participer à un moment historique en réalisant l’utopie d’une cité idéale pour les musulmans. Et pour construire « cet État » régi par leur lecture littéraliste de la religion, ils estiment que la seule solution est de passer par la violence, la guerre perçue comme obligation religieuse et moyen politique. Même lorsqu’ils tuent, ils sont convaincus de faire le bien. En ce sens, ce sont des acteurs rationnels et pas uniquement de simples fous au sens psychiatrique. Même si des cas cliniques existent aussi dans ce milieu. Mais beaucoup basculent dans cette croyance après être passés par des théories complotistes (qu’ils rejettent en bloc par ailleurs) qui témoignent d’une perte de confiance absolue vis-à-vis des médias traditionnels et des institutions. Au départ, on a souvent une démarche de recherche individuelle de la vérité, qui explique notamment l’importance de l’usage d’internet dans l’adhésion à la cause jihadiste – car il n’y a plus que sur internet qu’on trouve aujourd’hui la propagande, l’actualité et la production idéologique jihadistes.

Mais l’engagement dans le jihad a lui-même un contenu politico-religieux assez clair. Deux ans avant la proclamation du « Califat », des jeunes qui avaient une vision totalement eschatologique de l’histoire me disaient voir des signes précis de la fin des temps, et pensaient se trouver au moment de l’histoire qui allait voir le dernier rassemblement des fidèles et la dernière grande bataille apocalyptique avant le retour de l’Antéchrist. De fait la propagande fait correspondre étroitement les prophéties coraniques avec les événements ou les lieux de l’histoire récente. Deux ans avant la proclamation de l’ « État islamique », l’un deux m’a dit : « tu verras, nous allons créer un Califat ». Et il me disait également : « selon un hadith, à ce moment-là, une grande coalition internationale se mettra en branle contre nous, dans laquelle il y aura 80 étendards, et sous chaque étendard, 12 000 combattants ». Cet argument est utilisé pour motiver les troupes depuis l’Afghanistan… Mais de fait, la mise en relation des prophéties et des événements par la propagande fournit aux yeux de nombreux jihadistes la preuve de la vérité coranique dont ils pensent détenir le monopole.

L’EI (Etat Islamique) est très habile à établir ces correspondances, dont la force est telle que rien ne peut les combattre. Les jeunes qui découvrent les hadiths sur internet sont complètement sourds à tous ceux qui, à la mosquée, peuvent essayer d’expliquer que le sens des prophéties s’inscrit dans un contexte : pour eux, qui sont venus aux textes sacrés seuls ou avec la propagande jihadiste, l’interprétation historique ou figurée est une « innovation », c’est-à-dire la pire des choses puisqu’elle dénature et biaise le sens qu’ils pensent être original.

Cette conception politico-religieuse est en réalité assez « rationnelle », ou en tout cas cohérente : les jihadistes combattent la démocratie parce que la souveraineté populaire usurpe le droit à produire la Loi, qui n’appartient qu’à Dieu, et parce que ce faisant, elle met l’homme à la place de Dieu.

À partir de ces convictions, le passage à l’acte est-il le résultat d’un long processus de radicalisation dont on pourrait dessiner un itinéraire standard ?

Non il n’existe pas de schéma type. Certains sont dans une quête spirituelle et basculent dans la violence idéologique, mais d’autres partent sans aucune conviction, pour rejoindre un copain du quartier ou un frère, et s’initient seulement ensuite à l’Islam et à l’islamisme. La logique mimétique du « groupe de potes » n’est pas universelle, mais elle est aussi un facteur important. C’est celle qui a prévalu dans la ville de Lunel, d’où on a compté une vingtaine de départs parmi un groupe de copains : après eux, le mouvement s’est tari. L’un deux me racontait d’ailleurs qu’un de ses frères, qui dealait et faisait du rap, avait été envoyé en Syrie pour qu’un autre de ses frères lui remette les idées en place. Il est mort à Deir Ezzor en Syrie quelques mois après son arrivée.

Du côté des filles aussi, certaines sont absolument indifférentes aux raisons religieuses ou autres, et partent seulement parce qu’elles sont tombées amoureuses de jeunes hommes dont elles ont vu les photos en armes. Là on a affaire à des jeunes femmes qui pensent que les Occidentaux ne sont plus des hommes, et qui ont l’idéal de cette virilité d’hommes pieux et en armes. Ces idéaux sont souvent aux antipodes des convictions familiales. Bref on trouve toujours des cas qui font mentir les grandes tendances, et un grand nombre de facteurs secondaires qui rendent les parcours très divers et parfois incomparables.

[…]

Les jihadistes reprochent donc aux quiétistes leur compromission avec les régimes se revendiquant de la souveraineté populaire : quel est, globalement, le rapport de ceux qui choisissent la guerre de religion vis-à-vis des musulmans de France ?

À ce sujet, on entend souvent un discours très erroné qui voudrait que le jihadisme, en France, soit le fruit du communautarisme. C’est exactement l’inverse : l’un des points communs à presque tous ces jeunes est justement qu’ils n’étaient pas insérés dans une communauté. Et c’est peut-être plutôt l’absence de communauté qui leur a donné l’envie d’en retrouver une, de recréer une grande fratrie universelle – même si cette « communauté » est en réalité déchirée sur place par les rivalités internes. Dans ce sens, leur idéologie se construit contre l’Islam de France qu’ils déclarent « apostat » : en tant que tel, il est lui aussi à combattre et à éliminer.

 

[…]

La différence aujourd’hui est donc que tous – Al-Qaïda comme l’EI – sont d’accord pour considérer comme étant de leur devoir de revenir combattre en France. Il existe encore des débats sur les cibles et sur l’opportunité de tuer des civils, mais la plupart des jihadistes considèrent que cela ne pose aucun problème puisqu’au fond, il n’y a pas de civils. En septembre, je discutais avec un Français de l’EI directement lié aux attentats 13 novembre qui affirmait que dans un État où les gens participent au financement de leur armée par l’impôt, tout le monde était l’ennemi. Il refusait ainsi le statut de civils et donc d’innocents. La majorité des Français soutenaient les frappes de la coalition, donc la majorité des Français étaient des « cibles légitimes » pour reprendre son expression. Cette idée est par ailleurs renforcée par leur prétention à appliquer la loi du talion : puisque les bombardements tuent des civils, il leur semble légitime de frapper des civils en France.

Depuis 2014, observez-vous d’autres évolutions du « jihadisme français », dans le recrutement ou sous d’autres aspects ?

 

Lire la suite sur Non Fiction, David Thomson, 23-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/entretien-tuer-pour-exister-et-mourir-avec-david-thomson/


Pourquoi les Arabes ne veulent pas de nous en Syrie, par Robert F. Kennedy Jr

Tuesday 29 March 2016 at 03:29

Source : Politico, le 23/02/2016

John Foster Dulles (R), Republican Party Foreign p

John Foster Dulles (à droite), expert en politique étrangère du Parti Républicain, est salué par son frère, Allen Dulles, à son arrivée à New York en octobre 1948 | AFP/AFP/Getty Images

Ils ne détestent pas « nos libertés ». Ils détestent que nous ayons trahi nos idéaux dans leurs propres pays – pour du pétrole.

Par ROBERT F. KENNEDY, JR

En partie parce que mon père a été assassiné par un arabe, j’ai fait un effort pour comprendre l’impact de la politique américaine au Moyen-Orient, et particulièrement des facteurs qui motivent parfois des réponses sanguinaires de la part du monde islamique envers notre pays. Tandis que nous nous concentrons sur l’émergence de l’État Islamique et recherchons l’origine de la barbarie qui a pris tellement de vies innocentes à Paris et San Bernardino, nous pourrions vouloir regarder au-delà des explications confortables relatives à la religion et l’idéologie. Nous devrions plutôt examiner les explications plus complexes de l’Histoire et du pétrole et comment elles pointent un doigt accusateur vers nos propres rivages.

Le peu glorieux registre d’interventions violentes américaines en Syrie, très peu connu des Américains mais cependant très bien connu des Syriens, a créé un terrain fertile à un djihadisme islamique violent qui complique toute réponse effective de nos gouvernements pour relever le défi de l’État Islamique. Aussi longtemps que l’opinion publique américaine et les politiciens ignoreront ce passé, les interventions à venir vont vraisemblablement se limiter à empirer la crise. Le secrétaire d’État John Kerry a annoncé cette semaine un cessez-le-feu “provisoire” en Syrie. Mais comme les moyens et le prestige des É-U en Syrie sont très faibles – et que le cessez-le-feu ne concerne pas des belligérants importants comme l’ÉI et al-Nosra – il est condamné à se limiter au mieux à une fragile trêve. De même, le renforcement de l’intervention militaire du président Obama en Libye – des frappes aériennes des É-U ont visé un camp d’entraînement de l’ÉI la semaine dernière – va probablement renforcer les radicaux au lieu de les affaiblir. Comme le New York Times l’a rapporté à la Une le 8 décembre 2015, les chefs politiques de l’ÉI et ses planificateurs stratégiques cherchent à provoquer une intervention militaire américaine. Ils savent d’expérience qu’elle inondera leurs rangs de combattants volontaires, asséchera les voix de la modération et unifiera le monde islamique contre l’Amérique.

Pour comprendre cette dynamique, nous devons regarder l’histoire dans la perspective des Syriens et particulièrement les sources du conflit actuel. Bien avant notre occupation de l’Irak en 2003 qui a déclenché la révolte sunnite, désormais devenue l’État Islamique, la CIA avait alimenté un djihadisme violent en l’utilisant comme une arme en période de guerre froide et mis à mal les relations diplomatiques entre les États-Unis et la Syrie.

Cela ne s’est pas passé sans controverse. En juillet 1957, après un coup d’État manqué en Syrie par la CIA, mon oncle, le sénateur John F. Kennedy exaspéra la Maison-Blanche d’Eisenhower, les dirigeants des deux partis politiques, et nos alliés européens, avec un discours d’anthologie soutenant le droit à un gouvernement indépendant dans le monde arabe, et appelant à mettre fin à l’ingérence impérialiste américaine dans les pays arabes. Tout au long de ma vie, et particulièrement durant mes fréquents voyages au Moyen-Orient, d’innombrables Arabes m’ont volontiers rappelé ce discours comme la plus claire expression d’idéalisme qu’ils attendaient des É-U. Le discours de Kennedy était un appel pour que l’Amérique s’engage de nouveau dans les hautes valeurs que notre pays avait défendues dans la Charte Atlantique ; dont la promesse solennelle que toutes les anciennes colonies européennes auraient droit à l’autodétermination après la Seconde Guerre mondiale. Franklin D. Roosevelt avait tordu le bras de Winston Churchill et des autres responsables alliés pour qu’ils signent la Charte Atlantique en 1941 comme précondition du soutien américain dans la guerre européenne contre le fascisme.

USA-DEMOCRATIC CONVENTION-KENNEDY

Le procureur général des États-Unis, Robert Kennedy, prononce un discours le 2 septembre 1964

Mais en grande partie grâce à Allen Dulles et à la CIA, dont les intrigues en matière de politique étrangère étaient souvent en totale opposition avec les déclarations politiques de notre nation, le chemin idéaliste tracé dans la Charte Atlantique ne fut pas emprunté. En 1957, mon grand-père, l’ambassadeur Joseph P. Kennedy, fit partie d’une commission secrète chargée d’enquêter sur les coups foireux de la CIA au Moyen-Orient. Le rapport dénommé “Rapport Bruce-Lovett”, dont il fut signataire, décrivait les complots de coup d’État de la CIA en Jordanie, Syrie, Iran, Irak et Égypte, tous bien connus de la rue arabe, mais pratiquement ignorés du peuple américain qui prenait pour argent comptant les démentis de son gouvernement. Le rapport faisait grief à la CIA de l’anti-américanisme larvé qui était alors en train de s’enraciner mystérieusement “dans de nombreux pays du monde aujourd’hui.” Le rapport Bruce-Lovett soulignait que de telles interventions étaient contraires aux valeurs américaines et avaient compromis la prééminence américaine internationale et son autorité morale sans que le peuple américain n’en sache rien. Le rapport disait aussi que la CIA n’avait jamais envisagé comment faire face à de tels agissements si un gouvernement étranger en fomentait dans notre pays.

Telle est l’histoire sanglante que de modernes interventionnistes comme George W. Bush, Ted Cruz et Marco Rubio oublient quand ils récitent leur discours narcissique selon lequel les nationalistes du Moyen-Orient “nous détestent en raison de nos libertés.” Pour la plupart, c’est faux ; au lieu de cela, ils nous détestent pour la façon dont nous avons trahi ces libertés – notre propre idéal – à l’intérieur de leurs frontières.

* * *

Pour que les Américains comprennent réellement ce qui se passe, il importe de rappeler certains détails de cette histoire sordide mais méconnue. Pendant les années 50, le président Eisenhower et les frères Dulles – Allen Dulles, directeur de la CIA et John Foster Dulles, Secrétaire d’État – repoussèrent les propositions de traité soviétiques visant à faire du Moyen-Orient une zone neutre dans la guerre froide et laisser les Arabes gouverner l’Arabie. Au lieu de quoi, ils élaborèrent une guerre clandestine contre le nationalisme arabe – qu’Allen Dulles considérait comme du communisme – en particulier quand l’autogestion arabe menaçait les concessions pétrolifères. Ils fournirent une aide militaire américaine secrète aux tyrans en Arabie saoudite, en Jordanie, en Irak et au Liban, favorisant des marionnettes à l’idéologie djihadiste conservatrice qu’ils considéraient comme un antidote sûr au marxisme soviétique. Lors d’une réunion à la Maison-Blanche en septembre 1957 entre Frank Wisner, directeur des programmes de la CIA, et John Foster Dulles, Eisenhower conseilla à l’Agence : “Nous devrions faire tout ce qu’il est possible pour insister sur l’aspect ‘guerre sainte’,” selon une note prise par son secrétaire d’équipe, le général Andrew J. Goodpaster.

La CIA commença à intervenir activement en Syrie en 1949 – à peine un an après la création de l’Agence. Les patriotes syriens avaient déclaré la guerre aux nazis, expulsé les administrateurs coloniaux français du gouvernement de Vichy et élaboré une fragile démocratie laïque inspirée du modèle américain. Mais en mars 1949, le président syrien démocratiquement élu, Shukri-al-Quwatli, hésita à donner son accord au pipeline trans-arabique, un projet américain destiné à relier les champs pétrolifères d’Arabie saoudite aux ports libanais via la Syrie. Dans son livre, “Legacy of Ashes” [“L’Héritage des Cendres”], Tim Weiner, l’historien de la CIA, raconte que pour se venger du manque d’enthousiasme d’Al-Quwatli à l’égard du pipeline américain, la CIA mit au point un coup d’État qui remplaça Al-Quwatli par le dictateur qu’elle avait choisi, un escroc auparavant condamné du nom de Husni al-Za’im. Al-Za’im eut tout juste le temps de dissoudre le parlement et d’approuver le pipeline américain avant que ses concitoyens ne le destituent, après quatre mois et demi d’exercice.

A la suite de plusieurs contrecoups dans le pays fraîchement déstabilisé, le peuple syrien essaya une nouvelle fois la démocratie en 1955, élisant à nouveau Al-Quwatli et son Parti National. Al-Quwatli était toujours un tenant de la neutralité dans la guerre froide, mais, piqué au vif par l’implication américaine dans sa destitution, il se tourna à présent vers le camp soviétique. Cette attitude poussa Dulles, le directeur de la CIA, à déclarer que “la Syrie est mûre pour un coup d’État” et à envoyer ses deux sorciers du coup d’État, Kim Roosevelt et Rocky Stone, à Damas.

Deux ans auparavant, Roosevelt et Stone avaient orchestré un coup d’État en Iran contre le président démocratiquement élu Mohammed Mossadegh, après que celui-ci eut tenté de renégocier les termes des contrats inéquitables que l’Iran avait passés avec le géant pétrolier britannique, la Compagnie Pétrolière Anglo-Iranienne (aujourd’hui BP). Mossadegh, premier dirigeant élu en 4 000 ans d’histoire iranienne, était un populaire champion de la démocratie dans le monde en voie de développement. Mossadegh avait expulsé tous les diplomates britanniques après la découverte d’une tentative de coup d’État émanant d’agents du renseignement du Royaume-Uni travaillant main dans la main avec BP. Mossadegh, cependant, commit l’erreur fatale de résister aux demandes de ses conseillers d’expulser également la CIA qui, comme ils l’en soupçonnaient avec raison, était complice du complot britannique. Mossadegh avait une vision idéaliste des É-U comme modèle pour la nouvelle démocratie iranienne, incapables de telles perfidies. Malgré les pressions de Dulles, le président Harry Truman avait interdit à la CIA de se joindre aux conjurés pour renverser Mossadegh. Quand Eisenhower prit ses fonctions en janvier 1953, il libéra immédiatement Dulles de ses contraintes. Après avoir renversé Mossadegh au cours de “l’Opération Ajax”, Stone et Roosevelt installèrent le Shah Reza Pahlavi, favorable aux compagnies pétrolières des É-U mais dont les deux décennies de sauvagerie patronnée par la CIA à l’encontre de son propre peuple depuis le trône du Paon firent finalement exploser la révolution islamique de 1979 qui a miné notre politique étrangère depuis 35 ans.

IRAN-POLITICS-MOSSADEGH

Mohammed Mossadegh, le Premier ministre démocratiquement élu de l’Iran de 1951 à 1953, à gauche en 1951. La même année il a été nommé Personnalité de l’année par Time, à droite. Son mandat a été interrompu par un coup d’État mené par les États-Unis en 1953, qui installa le Shah Reza Pahlavi.

Dans la foulée du “succès” de son opération Ajax en Iran, Stone arriva avec 3 millions de $ à Damas en avril 1957 pour armer et inciter des militants islamiques, ainsi que, par la corruption, des officiers syriens et des hommes politiques, à renverser le régime laïque et démocratiquement élu de al-Quwatli, selon “Safe for Democracy: The Secret Wars of the CIA” (Sans Danger pour la Démocratie : les Guerres secrètes de la CIA), de John Prados. Travaillant avec les Frères Musulmans et disposant de millions de dollars, Rocky Stone planifia l’assassinat du chef du renseignement syrien, du chef de son État-Major et du chef du parti communiste, et fomenta “des complots nationaux et diverses provocations” en Irak, au Liban et en Jordanie qui auraient pu être imputés aux baasistes syriens. Tim Weiner explique dans “Legacy of Ashes” que le plan de la CIA consistait à déstabiliser le gouvernement syrien et créer un prétexte à une invasion par l’Irak et la Jordanie, dont les gouvernements étaient déjà sous contrôle de la CIA. Kim Roosevelt prévoyait que le nouveau gouvernement fantoche installé par la CIA “s’appuierait au premier chef sur des mesures de répression massives et un exercice arbitraire du pouvoir”, selon un document déclassifié de la CIA publié dans le journal The Guardian.

Mais tout cet argent de la CIA échoua à corrompre les officiers syriens. Les soldats firent part des tentatives de corruption par la CIA au régime baasiste. En réponse, l’armée syrienne envahit l’ambassade américaine, et fit prisonnier Stone. Après un rude interrogatoire, Stone confessa à la télévision son rôle dans le coup d’État iranien et la tentative avortée de la CIA de renverser le gouvernement légitime de la Syrie. Les Syriens expulsèrent Stone et deux collaborateurs de l’ambassade des É-U – le premier diplomate du Département d’État américain à être banni d’un pays arabe. Hypocritement, la Maison-Blanche d’Eisenhower rejeta la confession de Stone comme une “invention” et une “calomnie”, un déni entièrement gobé par la presse américaine conduite par le New York Times et auquel crut le peuple américain, qui partageait la vision idéaliste que Mossadegh avait de leur gouvernement. La Syrie épura tous les politiciens favorables aux É-U et exécuta pour trahison tous les officiers impliqués dans le coup d’État. Pour se venger, les É-U amenèrent la Sixième Flotte en Méditerranée, menacèrent de guerre et incitèrent la Turquie à envahir la Syrie. Les Turcs massèrent 50 000 hommes à la frontière syrienne et ne firent machine arrière que face à l’opposition unanime de la Ligue Arabe, dont les dirigeants étaient furieux de l’intervention des É-U. Même après avoir été expulsée, la CIA poursuivit ses efforts secrets pour renverser le gouvernement baasiste syrien démocratiquement élu. La CIA conspira avec le MI6 britannique pour créer un “Comité pour la Syrie Libre”, et fournit des armes aux Frères Musulmans pour assassiner trois membres du gouvernement syrien qui avaient contribué à rendre publique “la conspiration américaine”, selon ce qu’écrit Matthew Jones dans “The ‘Preferred Plan’: The Anglo-American Working Group Report on Covert Action in Syria, 1957” (Le ‘plan favori’ : rapport du groupe de travail anglo-américain sur l’action clandestine en Syrie, 1957). La bêtise malveillante de la CIA éloigna encore davantage la Syrie des É-U et la poussa à des alliances renouvelées avec la Russie et l’Égypte.

A la suite de la seconde tentative de coup d’État en Syrie, des émeutes anti-américaines éclatèrent au Moyen-Orient, du Liban à l’Algérie. Parmi ses retombées, il faut compter le coup d’État du 14 juillet 1958, mené par une nouvelle vague d’officiers anti-américains qui renversèrent le roi d’Irak favorable aux Américains, Nuri al-Said. Les meneurs de ce coup d’État rendirent publics des documents gouvernementaux secrets révélant que Nuri al-Said était une marionnette grassement payée par la CIA. En réponse à la traîtrise américaine, le nouveau gouvernement irakien invita des diplomates et des conseillers économiques soviétiques et tourna le dos à l’Occident.

Ayant provoqué l’hostilité de l’Irak et de la Syrie, Kim Roosevelt quitta le Moyen-Orient pour travailler comme cadre dans l’industrie pétrolière qu’il avait si bien servie pendant sa carrière de fonctionnaire à la CIA. Son remplaçant comme chef de station à la CIA, James Critchfield, tenta un complot avorté pour assassiner le nouveau président irakien, en utilisant un mouchoir empoisonné, selon Weiner. Cinq ans plus tard, la CIA réussit finalement à renverser le président irakien et à porter au pouvoir le parti Baas. Un jeune assassin charismatique du nom de Saddam Hussein était l’un des chefs distingués de l’équipe baasiste mise sur pied par la CIA. Le secrétaire du parti Baas, Ali Saleh Sa’adi, qui prit ses fonctions en même temps que Saddam Hussein, déclarera plus tard : “Nous sommes arrivés au pouvoir dans les bagages de la CIA,” selon “A Brutal Friendship: The West and the Arab Elite” (Une amitié brutale : l’Occident et les élites arabes), de Said Aburish, journaliste et écrivain. Aburish raconta que la CIA avait fourni à Saddam et ses copains une liste de personnes à assassiner qui “devaient être immédiatement éliminées pour garantir le succès.” Tim Weiner écrit que Critchfield reconnut plus tard que la CIA avait, de fait, “créé Saddam Hussein”. Pendant les années Reagan, la CIA a fourni à Saddam Hussein pour plusieurs milliards de dollars d’entraînement, de soutien aux forces spéciales, d’armes et de renseignements opérationnels, en sachant qu’il utilisait du gaz moutarde, des gaz innervant et des armes biologiques – y compris de l’anthrax obtenu du gouvernement des É-U – dans sa guerre contre l’Iran. Reagan ainsi que son directeur de la CIA, Bil Casey, considéraient Saddam comme un ami potentiel pour l’industrie pétrolière des É-U et un solide rempart contre l’expansion de la révolution islamique iranienne. Leur émissaire, Donald Rumsfeld, lui offrit des éperons de cowboy en or et un choix d’armes tant chimiques ou biologiques que conventionnelles lors d’un voyage à Bagdad en 1983. Dans le même temps, la CIA fournissait illégalement à l’Iran, adversaire de Saddam, des milliers de missiles antichars et anti-aériens pour combattre l’Irak, un crime rendu célèbre par le scandale de l’Irangate. Des djihadistes de chaque camp retournèrent plus tard nombre de ces armes fournies par la CIA contre le peuple américain.

Alors même que l’Amérique assiste à une intervention violente de plus au Moyen-Orient, la plupart des Américains n’ont pas conscience de combien les “retours de flamme” des précédentes gaffes de la CIA ont contribué à la formation de la crise actuelle. Les échos de plusieurs décennies de manigances de la CIA continuent à résonner aujourd’hui à travers le Moyen-Orient dans les capitales, de mosquées en médersas, sur le paysage dévasté de la démocratie et de l’islam modéré que la CIA a contribué à anéantir.

Une flopée de dictateurs iraniens et syriens, parmi lesquels Bachar el-Assad et son père, ont utilisé l’histoire des coups sanglants de la CIA comme prétexte à leur gouvernement autoritaire, leurs tactiques répressives et leur besoin d’une alliance forte avec la Russie. Ces affaires sont donc bien connues des gens en Syrie et en Iran qui interprètent naturellement les rumeurs d’intervention des É-U à la lumière de cette histoire.

Alors que la presse conformiste américaine répète comme un perroquet que notre soutien à la rébellion syrienne est de nature purement humanitaire, de nombreux arabes considèrent la crise actuelle comme une simple guerre en sous-main de plus à propos de pipelines et de géopolitique. Avant de nous précipiter plus avant dans la conflagration, il serait sage de prendre en considération la masse de faits sur laquelle s’appuie cette perspective.

De leur point de vue, notre guerre contre Bachar el-Assad n’a pas commencé avec les manifestations civiles pacifiques du printemps arabe en 2011. Elle a bien plutôt commencé en 2000, quand le Qatar a proposé la construction, à travers l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie, d’un pipeline long de 1 500 kilomètres pour un coût de 10 milliards de dollars. Le Qatar partage avec l’Iran les champs gaziers de South Pars/Noth Dome, la plus grande réserve de gaz naturel au monde. L’embargo commercial mondial interdisait à l’Iran jusqu’à récemment de vendre du gaz à l’étranger. Dans le même temps, le gaz qatari ne peut être livré sur les marchés européens que s’il est liquéfié et transporté par voie maritime, une route qui restreint les volumes et accroît considérablement les coûts. Le pipeline envisagé aurait directement connecté le Qatar aux marchés d’énergie européens, via des terminaux de redistribution en Turquie, qui aurait empoché de grasses commissions de transit. Le pipeline turco-qatari aurait conféré aux royaumes sunnites du Golfe persique une prédominance décisive dans les marchés mondiaux du gaz naturel et renforcé le Qatar, le plus proche allié de l’Amérique dans le monde arabe. Le Qatar abrite deux énormes bases militaires américaines et le Haut commandement des É-U au Moyen-Orient.

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Des Syriens regardent un poster du président syrien Bachar el-Assad | Louai Beshara/AFP/Getty Images

L’Union européenne, qui obtient 30% de son gaz de la Russie, désirait elle aussi ardemment ce pipeline, qui aurait procuré à ses membres une énergie à bas coût et l’aurait soulagée de l’influence économique et politique étouffante de Vladimir Poutine. La Turquie, deuxième plus gros client du gaz russe, avait particulièrement à cœur de mettre un terme à sa dépendance envers son ancienne rivale et d’occuper la lucrative position de hub transversal entre les énergies asiatiques et les marchés européens. Le pipeline qatari aurait profité à la monarchie sunnite conservatrice d’Arabie saoudite en lui permettant de prendre pied dans une Syrie dominée par les chiites. L’objectif géopolitique des Saoudiens est de limiter le pouvoir économique et politique du principal adversaire du royaume, l’Iran, un État chiite et proche allié de Bachar el-Assad. La monarchie saoudienne considérait la prise de pouvoir des chiites en Irak, soutenue par les É-U (et plus récemment la fin de l’embargo commercial contre l’Iran) comme une rétrogradation de son statut de puissance régionale et était déjà engagée dans une guerre par procuration contre Téhéran au Yémen, mise en lumière par le génocide perpétré par les Saoudiens à l’encontre de la tribu Houthi soutenue par les Iraniens.

Bien entendu, les Russes, qui vendent 70% de leurs exportations de gaz à l’Europe, considéraient le pipeline turco-qatari comme une menace existentielle. Du point de vue de Poutine, le pipeline du Qatar est un complot de l’OTAN pour modifier le statu quo, priver la Russie de sa seule implantation au Moyen-Orient, étrangler l’économie russe et mettre fin à l’influence qu’elle exerce sur le marché énergétique européen. En 2009, Assad annonça qu’il ne signerait pas l’accord permettant au pipeline de traverser la Syrie, “pour protéger les intérêts de notre allié russe.”

Assad rendit encore plus furieux les monarques sunnites du Golfe en adhérant à un “pipeline islamique” approuvé par les Russes, traversant la Syrie depuis le côté iranien du champ gazier jusqu’aux ports du Liban. Le pipeline islamique ferait de l’Iran chiite, et non du Qatar sunnite, le principal fournisseur du marché européen de l’énergie et augmenterait considérablement l’influence de Téhéran au Moyen-Orient et dans le monde. Israël était, de manière compréhensible, également déterminé à faire dérailler le projet de pipeline islamique, qui enrichirait l’Iran et la Syrie et renforcerait sans doute leurs sous-marins, le Hezbollah et le Hamas.

Des télégrammes confidentiels et des rapports des services de renseignement américain, saoudien et israélien montrent qu’à partir du moment où Assad a rejeté le pipeline qatari, les décideurs de l’armée et des renseignements se sont rapidement mis d’accord sur le fait que fomenter un soulèvement sunnite en Syrie pour renverser le peu coopératif Bachar el-Assad était un moyen viable d’atteindre l’objectif commun d’établir une liaison gazière entre le Qatar et la Turquie. Selon Wikileaks, en 2009, peu après que Bachar el-Assad eut rejeté le pipeline qatari, la CIA a commencé à financer des groupes d’opposition en Syrie. Il est important de noter que c’était bien avant le soulèvement contre Assad, déclenché par le printemps arabe.

La famille de Bachar el-Assad est alaouite, d’un groupe musulman largement reconnu comme étant aligné sur les positions chiites. “Bachar el-Assad n’était pas censé devenir président,” m’a dit le journaliste Seymour Hersh dans une interview. “Son père l’a fait revenir de l’école de médecine à Londres quand son frère aîné, l’héritier supposé, fut tué dans un accident de la route.” Avant que la guerre commence, selon Hersh, Assad prenait des mesures pour libéraliser le pays. “Ils avaient internet et des journaux et des distributeurs de billets de banque et Assad voulait se rapprocher de l’Occident. Après le 11 septembre, il a donné à la CIA des milliers de dossiers inestimables concernant des djihadistes radicaux qu’il considérait comme des ennemis communs.” Le régime d’Assad était délibérément laïque et la Syrie était incroyablement diverse. Le gouvernement et l’armée syrienne par exemple étaient à 80% sunnites. Assad maintenait la paix entre les différentes populations grâce une armée forte, disciplinée et loyale à la famille Assad, une allégeance assurée par un corps d’officiers estimé de la nation et très bien rémunéré, un service de renseignement froidement efficace et un penchant pour la brutalité qui, avant la guerre, était plutôt modéré en comparaison avec ceux d’autres dirigeants du Moyen-Orient, dont nos alliés actuels.” Selon Hersh, “il ne décapitait certainement pas des gens chaque vendredi comme le font les Saoudiens à la Mecque.”

Un autre journaliste chevronné, Bob Parry, fait écho à ce constat. “Personne dans la région n’a les mains propres, mais en matière de torture, de meurtres de masse, de [suppression des] libertés civiles et de support au terrorisme, Assad est bien meilleur que les Saoudiens.” Personne ne pensait que le régime serait susceptible d’être affecté par l’anarchie qui a déchiré l’Égypte, la Libye, le Yémen et la Tunisie. Au printemps 2011, il y eut de petites manifestations pacifiques à Damas contre la répression par le régime d’Assad. C’était surtout des effluves du printemps arabe qui s’était répandu de manière virale dans les pays de la Ligue Arabe l’été précédent. Néanmoins, les dépêches de Wikileaks indiquent que la CIA était déjà sur le terrain en Syrie.

Mais les royaumes sunnites qui avaient énormément de pétrodollars en jeu voulaient une participation beaucoup plus importante des États-Unis. Le 4 septembre 2013, le secrétaire d’État John Kerry déclara durant une séance du congrès que les royaumes sunnites avaient offert de payer la facture d’une invasion américaine de la Syrie visant à évincer Assad. “En fait, certains ont dit que si les États-Unis étaient prêts à faire les choses en grand, comme nous l’avons déjà fait ailleurs [Irak], ils payeraient les coûts.” Kerry a réitéré l’offre à la Républicaine Ileana Ros-Lehtinen (Floride) : “A propos de l’offre des pays arabes d’assumer les coûts [d’une invasion américaine] pour renverser Assad, la réponse est absolument oui, ils l’ont proposée. L’offre est sur la table.”

Malgré la pression des Républicains, Barack Obama s’est refusé à engager de jeunes Américains pour aller mourir comme mercenaires à la solde d’un conglomérat du pipeline. Obama a sagement ignoré les Républicains réclamant à cor et à cri d’envoyer des troupes en Syrie ou de faire passer plus de fonds aux “insurgés modérés.” Mais fin 2011, la pression des Républicains et nos alliés sunnites ont poussé le gouvernement américain à entrer en lice.

Obama, Biden And Members Of Nat'l Governors Association Meet At White House

Le président des États-Unis Barack Obama | Mark Wilson/Getty Images

En 2011, les États-Unis ont rejoint la France, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie et le Royaume-Uni pour constituer les amis de la coalition syrienne “qui exigeait officiellement le départ d’Assad. La CIA a fourni 6 millions de dollars à Barada, une chaîne de télévision britannique, pour produire des émissions exhortant à l’éviction d’Assad. Des documents des services de renseignement saoudiens, publiés par Wikileaks, montrent qu’en 2012, la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite armaient, entraînaient et finançaient des combattants djihadistes sunnites radicaux de Syrie, d’Irak et d’ailleurs pour renverser le régime d’Assad allié des chiites. Le Qatar, qui a le plus à gagner dans l’affaire, a investi 3 milliards dans la création de l’insurrection et a invité le Pentagone à entraîner les insurgés dans les bases américaines au Qatar. D’après un article de Seymour Hersh d’avril 2014, les livraisons d’armes de la CIA étaient financées par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.

L’idée de fomenter une guerre civile sunnite-chiite pour affaiblir les régimes syrien et iranien dans le but de maintenir le contrôle sur les fournitures pétrochimiques de la région n’était pas une notion nouvelle dans la terminologie du Pentagone. Un rapport accablant de Rand financé par le Pentagone avait proposé en 2008 un plan précis de ce qui allait bientôt se passer. Ce rapport note que le contrôle du pétrole et du gaz du golfe Persique restera pour les États-Unis “une priorité stratégique” qui “a des liens étroits avec celle de poursuivre la guerre dans la durée.” Rand recommande l’usage “d’actions clandestines, d’opérations d’information, de guerre non-conventionnelle” pour imposer une stratégie du “diviser pour mieux régner.” “Les États-Unis et leurs alliés locaux pourraient utiliser les nationalistes djihadistes pour lancer des campagnes par procuration” et “les dirigeants américains pourraient aussi choisir de tirer profit d’un conflit chiite-sunnite prolongé en prenant parti pour les régimes conservateurs sunnites contre les mouvements autonomistes chiites dans le monde musulman… éventuellement en soutenant les gouvernements sunnites autoritaires face à un Iran continuellement hostile.”

Comme prévu, la réaction excessive d’Assad à cette crise fomentée par des puissances étrangères – en larguant des barils d’explosifs sur les bastions sunnites et en tuant des civils – a polarisé la division sunnites/chiites et a permis aux dirigeants des É-U de vendre aux Américains l’idée que cette bataille des gazoducs était une guerre humanitaire. Lorsque des soldats sunnites de l’armée syrienne commencèrent à déserter en 2013, la coalition occidentale arma l’Armée Syrienne Libre pour déstabiliser davantage la Syrie. Le portrait fait par la presse de l’ASL comme un bataillon soudé de Syriens modérés était délirant. Les unités dissoutes se regroupaient en des centaines de milices indépendantes, la plupart commandées par, ou alliées à des militaires djihadistes, qui étaient les combattants les plus engagés et les plus efficaces. Dans le même temps, les armées sunnites d’al-Qaïda en Irak franchissaient la frontière entre l’Irak et la Syrie et unissaient leurs forces aux bataillons de déserteurs de l’Armée Syrienne Libre, dont bon nombre étaient entraînés et armés par les É-U.

Malgré le portrait largement répandu dans les médias de l’Arabe modéré luttant contre le tyran Assad, les stratèges du renseignement des É-U savaient dès le départ que leurs agents pro-gazoduc étaient des djihadistes radicaux qui se tailleraient probablement un tout nouveau califat islamique dans les régions sunnites de la Syrie et de l’Irak. Deux ans avant que les égorgeurs de l’ÉI ne montent sur scène, un rapport de sept pages, réalisé par l’US Defense Intelligence Agency et obtenu par le groupe de droite Judicial Watch, alertait sur le fait que grâce au soutien en cours des É-U et de la coalition sunnite aux djihadistes sunnites, “les salafistes, les Frères Musulmans et AQI (aujourd’hui l’ÉI) sont les forces majeures pilotant l’insurrection en Syrie.”

Utilisant les fonds des États du Golfe et des États-Unis, ces groupes ont détourné les protestations pacifiques contre Bachar el-Assad “dans une direction clairement sectaire (chiites vs. sunnites).” La note indique que le conflit est devenu une guerre civile sectaire encouragée par les “pouvoirs politiques et religieux” sunnites. Le rapport décrit le conflit syrien comme une guerre globale pour le contrôle des ressources de la région avec “l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie soutenant l’opposition [à Assad], tandis que la Russie, la Chine et l’Iran soutiennent le régime.” Les auteurs de ce rapport de sept pages du Pentagone semblent avaliser l’avènement prévu d’un califat d’ISIS : “Si la situation se dégrade, il y a la possibilité que s’établisse une principauté salafiste déclarée ou non, dans l’est de la Syrie (Hassaké et Deïr ez Zor) et c’est précisément ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition de façon à isoler le régime syrien.” Le rapport du Pentagone avertit que cette nouvelle principauté pourrait déborder la frontière irakienne vers Mossoul et Ramadi, et “proclamer un État Islamique en s’unissant à d’autres organisations terroristes en Irak et en Syrie.”

Et bien sûr, c’est précisément ce qui est arrivé. C’est tout sauf une coïncidence si les régions de Syrie qui sont occupées par l’ÉI incluent exactement le tracé proposé du pipeline qatari.

Mais voilà qu’en 2014, nos mercenaires sunnites ont horrifié le peuple américain en coupant des têtes, et en faisant fuir un million de réfugiés vers l’Europe. “Les stratégies fondées sur l’idée que l’ennemi de mon ennemi est mon ami peuvent s’avérer quelque peu illusoires,” dit Tim Clemente, qui a dirigé de 2004 à 2008 la Task Force du FBI contre le terrorisme, et qui a assuré en Irak la liaison entre le FBI, la police nationale irakienne et l’armée américaine. “Nous avons commis la même erreur quand nous avons entraîné les moudjahidines en Afghanistan. Sitôt après le départ des Russes, nos supposés amis ont commencé à écrabouiller des antiquités, à réduire des femmes en esclavage, à découper des gens en morceaux et à nous tirer dessus,” m’a dit Clemente lors d’une interview.

Quand “Jihadi John” de l’ÉI commença à assassiner des prisonniers à la télévision, la Maison-Blanche a retourné sa veste, parlant moins de renverser Assad que de stabilité régionale. L’administration Obama mit un peu plus de distance entre elle et les insurgés que nous avions financés. La Maison-Blanche pointa un doigt accusateur sur nos alliés. Le 3 octobre 2014, le vice-président Joe Biden dit à des étudiants du forum JF Kennedy Junior, à l’Institute of Politics de Harvard, que “notre plus grand problème en Syrie, c’est nos alliés.” Il expliqua que la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis étaient “si déterminés à renverser Assad” qu’ils avaient lancé “une guerre par procuration entre chiites et sunnites” en acheminant “des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes vers quiconque accepterait de combattre Assad. Sauf que les gens qui recevaient ces armes, c’étaient al-Nosra et al-Qaïda” – les deux groupes qui ont fusionné en 2014 pour former l’ÉI. Biden semblait irrité de constater qu’on ne pouvait plus compter sur nos “amis” de confiance pour appliquer l’agenda américain.

Au Moyen-Orient, les leaders arabes accusent fréquemment les É-U d’avoir créé l’État Islamique. Pour la majorité des Américains, ces accusations semblent insensées. Pourtant, pour de nombreux Arabes, les preuves de la participation américaine sont si évidentes qu’ils concluent que notre soutien à l’État Islamique a dû être délibéré.

De fait, de nombreux combattants de l’État Islamique ainsi que leurs chefs sont à la fois les successeurs idéologiques et les héritiers des organisations djihadistes que la CIA a soutenues depuis plus de 30 ans, de la Syrie à l’Égypte en passant par l’Afghanistan et l’Irak.

US President George W. Bush makes a few

L’ancien président des États-Unis Georges W. Bush | Tim Sloan/AFP/Getty Images

Avant l’invasion américaine, al-Qaïda n’existait pas dans l’Irak de Saddam Hussein. Le président George W. Bush a détruit le gouvernement laïque de Saddam, et son “vice-roi”, Paul Bremer, dans un acte d’incompétence monumentale, a créé de manière effective l’Armée Sunnite, aujourd’hui appelée l’État Islamique. Bremer installa les chiites au pouvoir et bannit le parti dirigeant Baas de Saddam, limogeant quelque 700 000 personnalités politiques et fonctionnaires, en majorité des sunnites, des ministres aux instituteurs. Il dispersa ensuite l’armée de 380 000 soldats, dont 80% étaient sunnites. Les actions de Bremer déchurent un million de sunnites irakiens de leur rang, de leur possession, de leur richesse et de leurs pouvoirs ; abandonnant une sous-classe désespérée de sunnites furieux, éduqués, compétents, entraînés, lourdement armés et n’ayant plus grand-chose à perdre. L’insurrection sunnite se baptisa al-Qaïda en Irak (AQI). A partir de 2011, nos alliés financèrent l’invasion de la Syrie par les soldats d’AQI. En avril 2013, une fois en Syrie, AQI changea son nom en ISIL. D’après Dexter Filkins du New Yorker, “ISIS est commandé par un conseil d’anciens généraux irakiens… Beaucoup d’entre eux sont des membres du parti laïque Baas de Saddam Hussein, qui se sont convertis à l’islam radical dans les prisons américaines.” Les 500 millions de dollars d’aide militaire qu’Obama a envoyés en Syrie ont au final très certainement bénéficié à ces militants djihadistes. Tim Clemente, l’ancien responsable de la Task Force du FBI, m’a rapporté que la différence entre les conflits en Irak et en Syrie réside dans les millions d’hommes en âge de combattre qui fuient le champ de bataille pour l’Europe, plutôt que de se battre pour leurs communautés. L’explication évidente à ce phénomène est que les patriotes modérés fuient une guerre qui n’est pas la leur. Ils veulent simplement éviter d’être écrasés entre l’enclume de la tyrannie d’Assad soutenue par la Russie et le marteau des djihadistes cruels que nous tenions en main dans une bataille générale pour des gazoducs concurrents. On ne peut pas blâmer la population syrienne de ne pas adhérer massivement à un plan national qui serait proposé soit par Washington soit par Moscou. Les superpuissances n’ont laissé aucune chance à un avenir idéal pour lequel les Syriens modérés pourraient se battre. Et personne ne veut mourir pour un gazoduc.

* * *

Quelle est la solution ? Si notre objectif est la paix à long terme au Moyen-Orient, des gouvernements indépendants pour les nations arabes et la sécurité nationale, nous devons envisager toute nouvelle intervention dans la région avec un regard sur l’Histoire et un intense désir d’en apprendre les leçons. C’est seulement une fois que nous, les Américains, aurons compris le contexte historique et politique de ce conflit, que nous observerons avec la vigilance appropriée les décisions de nos dirigeants. Utilisant les mêmes images et le même langage qui ont justifié notre guerre contre Saddam Hussein en 2003, nos dirigeants politiques font croire aux Américains que notre intervention en Syrie est une guerre juste contre la tyrannie, le terrorisme et le fanatisme religieux. Nous avons tendance à rejeter comme pur cynisme le point de vue des Arabes qui considèrent la crise actuelle comme une reprise des vieilles intrigues pour les gazoducs et la géopolitique. Mais, si nous voulons avoir une politique étrangère efficace, nous devons reconnaître que le conflit syrien est une guerre pour le contrôle des ressources, qui n’est pas différente de la myriade de guerres du pétrole clandestines et cachées que nous avons menées depuis 65 ans au Moyen-Orient. C’est seulement en envisageant ce conflit comme une guerre par procuration pour un gazoduc que les évènements deviennent compréhensibles. C’est le seul paradigme qui explique pourquoi le Parti Républicain au Capitole, et l’administration Obama sont toujours obnubilés par un changement de régime plutôt que par la stabilité régionale, pourquoi l’administration Obama ne trouve pas de Syriens modérés pour se battre dans cette guerre, pourquoi l’ÉI a fait exploser un avion de ligne russe, pourquoi les Saoudiens ont exécuté un influent dignitaire religieux chiite avec pour seul résultat de voir leur ambassade à Téhéran brûler, pourquoi les Russes bombardent les combattants ne faisant pas partie de l’ÉI et pourquoi la Turquie est allée jusqu’à se permettre d’abattre un avion de chasse russe. Les millions de réfugiés inondant l’Europe sont les réfugiés d’une guerre pétrolière et des bévues de la CIA.

Clemente compare l’ÉI aux FARC colombiennes – un cartel de la drogue avec une idéologie révolutionnaire afin d’inspirer ses fantassins. “Vous devez penser l’ÉI comme un cartel du pétrole,” affirme Clemente. “Au bout du compte, l’argent est le fondement de ce mouvement. L’idéologie religieuse est un outil qui inspire ses soldats afin qu’ils donnent leurs vies pour un cartel du pétrole.”

Une fois que l’on a décapé ce conflit de son vernis humanitaire et que l’on a compris que le conflit syrien est une guerre du pétrole, notre politique étrangère devient claire. Comme les Syriens qui s’enfuient vers l’Europe, aucun Américain ne veut envoyer son enfant mourir pour un gazoduc. Notre priorité devrait plutôt être celle que personne ne mentionne jamais : nous devons virer nos compagnies pétrolières du Moyen-Orient – objectif de plus en plus réaliste à mesure que les É-U s’approchent de l’indépendance énergétique. Ensuite, nous devons réduire drastiquement notre puissance militaire au Moyen-Orient et laisser les Arabes gouverner l’Arabie. Exceptés l’aide humanitaire et le fait de garantir la sécurité des frontières d’Israël, les É-U n’ont pas de rôle légitime dans ce conflit. Alors que les faits prouvent que nous avons joué un rôle dans l’émergence de cette crise, l’Histoire montre que nous n’avons que peu de pouvoirs pour la résoudre.

En réfléchissant à l’histoire, il est stupéfiant de constater l’étonnante cohérence avec laquelle pratiquement chaque intervention brutale de notre pays au Moyen-Orient depuis la Seconde Guerre mondiale a abouti à un lamentable échec et à des répercussions terriblement coûteuses. Un rapport de ministère de la Défense américain de 1997 a constaté que « les données montrent une forte corrélation entre l’engagement américain à l’étranger et une augmentation des attaques terroristes contre les États-Unis. » Soyons réalistes, ce que nous appelons « la guerre contre le terrorisme » est en fait tout simplement une nouvelle guerre pétrolière. Nous avons gaspillé 6 000 milliards de dollars pour mener trois guerres à l’étranger et instaurer un état de sûreté nationale guerrière chez nous, depuis que le pétrolier Dick Cheney a déclaré « la longue guerre » en 2001. Les seuls gagnants ont été les fournisseurs des armées et les compagnies pétrolières qui ont empoché des profits historiques, les services de renseignements dont le pouvoir et l’influence ont grandi exponentiellement au détriment de nos libertés et les djihadistes qui ont invariablement utilisé nos interventions comme leur outil de recrutement le plus efficace. Nous avons mis en péril nos valeurs, massacré notre propre jeunesse, tué des centaines de milliers de personnes innocentes, mis à mal notre idéalisme et gaspillé nos trésors nationaux dans des aventures à l’étranger stériles et coûteuses. Dans ce processus, nous avons aidé nos pires ennemis et fait de l’Amérique, autrefois le phare mondial de la liberté, un État de surveillance policier et un paria moral aux yeux du monde.

Les pères fondateurs de l’Amérique ont mis en garde les Américains contre des armées permanentes, des embrouilles à l’étranger et, selon les mots de John Quincy Adam, « le départ à l’étranger à la recherche de monstres à détruire. » Ces hommes sages avaient compris que l’impérialisme à l’étranger est incompatible avec la démocratie et les droits civils à l’intérieur. La Charte Atlantique a répercuté leur idéal américain fondateur que chaque nation devrait avoir le droit à l’autodétermination. Pendant les sept dernières décennies, les frères Dulles, la bande à Cheney, les néoconservateurs et leurs semblables ont détourné ce principe fondamental de l’idéalisme américain et ont déployé notre armée et notre dispositif de renseignement pour servir les intérêts mercantiles de grandes sociétés et, en particulier, des entreprises pétrolières et des fabricants d’armes qui s’en sont littéralement mis plein les poches dans ces conflits.

Il est temps pour les Américains de tourner le dos à ce nouvel impérialisme, et de reprendre le chemin des idéaux et de la démocratie. Laissons les Arabes gouverner l’Arabie, et consacrons notre énergie à ce grand projet : l’édification de notre propre nation. Il nous faut entamer ce processus, non pas en envahissant la Syrie, mais en mettant un terme à notre ruineuse dépendance à l’égard du pétrole, qui a perverti la politique étrangère américaine pendant un demi-siècle.

Robert F. Kennedy Jr est le président de Waterkeeper Alliance. Son livre le plus récent est Thimerosal: Let The Science Speak. C’est le fils de Robert Kennedy, assassiné en 1964.

Source : Politico, le 23/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Source: http://www.les-crises.fr/pourquoi-les-arabes-ne-veulent-pas-de-nous-en-syrie-par-robert-f-kennedy-jr/


Pakistan : trop loin (ou trop musulmans ?) pour de la solidarité, désolé…

Monday 28 March 2016 at 23:15

C’est le problème, quand on agit toujours sous le coup de l’émotion. Non seulement on fait le jeu de nos ennemis (en les laissant changer nos comportements),

bruxelles

(ça alors, le gouvernement français qui change son drapeau, il faut le faire – regardez bien le logo… Et encore, la page complète était à cette couleur, j’ai oublié de sauvegarder :( )

mais en plus, on arrive vite à être carrément piégés dans un 2 poids 2 mesures mortifère…

Alors que si on réfléchit :

valls-11

Oups, non… Si on réfléchit :

“En 1961, durant la guerre d’Algérie, nous étions dans une situation qui frisait la guerre civile. […] Il y avait des parpaings élevés à hauteur d’homme devant les commissariats. Ça n’a pas empêché les gens d’aller en boîtes de nuit et de s’amuser. Trente ans plus tard, durant la guerre du Golfe, il n’y avait personne dans les rues. Des gens achetaient de l’huile et du riz pour faire des réserves. En France ! En l’espace de trente ans, les gens se sont ramollis. Ils ont peur. Mes compatriotes, dans l’ensemble, ont peur de tout.” [Gérard Chaliand, décembre 2015]

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“27/03 : Une énorme explosion, 72 morts dont une trentaine d’enfants, plus de 300 blessés... L’attentat-suicide commis près d’une aire de jeux pour enfants, à l’entrée d’un parc municipal bondé, dimanche soir, à Lahore, à l’est du Pakistan, est l’un des pires de ces dernières années. Il visait des chrétiens, en ce jour de Pâques, mais la majorité des victimes sont musulmanes : principalement des femmes et des enfants venus pique-niquer dans le parc, près des balançoires et des auto-tamponneuses. L’attaque a été revendiquée par Jamaat-ul-Ahrar, groupe issu du mouvement des talibans du Pakistan. “La cible était les chrétiens”, a indiqué son porte-parole”

pak-blast-afp-wb

Ce qui, comme pour Bruxelles :

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a “évidemment” fait la une des médias – enfin presque :

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Alors, vous pensez que cette horreur mériterait bien un geste de solidarité, du genre, hmmm eh bien :

Tour Eiffel aux couleurs de la Belgique

Alors des personnes à l’esprit mal tourné (ou simplement humaines peut-être) se sont étonné ce lundi que la mairie de Paris ne mette pas la tour Eiffel aux couleurs pakistanaises.

Et là, la mairie de Paris s’en est expliqué (admirez, le 2 poids 2 mesures, c’est la règle, mais c’est rarement assumé !) :

“Un lien très particulier et exceptionnel avec la Belgique”. Contactée par Europe 1, la mairie de Paris confirme qu’il n’y aura pas d’illumination de la tour Eiffel aux couleurs du Pakistan. “Il y a des attentats régulièrement dans le monde et nous rendons hommage aux victimes de différentes manières“, explique-t-on. “Les attentats de Bruxelles ont une portée très particulière car nous avons un lien exceptionnel avec Bruxelles”. Et de citer “cette histoire, cette filiation qu’il y a entre Bruxelles et Paris, ces liens d’amitié”. La mairie de Paris ajoute que “l’illumination de la Tour Eiffel est un geste exceptionnel”.

Et pour souligner cette proximité avec la capitale belge, la municipalité rappelle que mardi matin, le maire de Bruxelles doit se déplacer à Paris. Il assistera et ouvrira la séance au conseil de Paris, ce qui n’était encore jamais arrivé pour un maire d’une capitale étrangère.

En fin de journée, la maire de Paris a, dans une série de tweets, tenu à rendre hommage aux victimes de l’attentat de Lahore mais sans évoquer la tour Eiffel. Anne Hidalgo écrit : “Quelques jours après les attentats de Bruxelles, même tristesse et même colère suite au terrible attentat qui a touché Lahore, au Pakistan. Cet acte odieux et lâche a ôté la vie à plus de 70 personnes, de confessions chrétienne et musulmane, en majorité des femmes et des enfants. Une fois encore, les terroristes ont frappé des innocents, de façon aveugle et arbitraire”. L’édile poursuit : “Ce crime barbare vise à répandre la terreur et la guette dans les sociétés qui ont appris à vivre ensemble dans le respect des différences (…)”. Anne Hidalgo conclut en adressant ses condoléances aux victimes. (Source)

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Allez, amis Pakistanais, une autre fois… :

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Source: http://www.les-crises.fr/pakistan-trop-loin-pour-de-la-solidarite-desole/


Bahar Kimyongür à Algerie patriotique : « La Belgique a sous-estimé le cancer wahhabite »

Monday 28 March 2016 at 04:00

Source : Algérie Patriotique, Mohamed El-Ghazi, 24-03-2016

Des membres d'une organisation extrémiste tolérée par les autorités belges. D. R.

Des membres d’une organisation extrémiste tolérée par les autorités belges. D. R.

Algeriepatriotique : La capitale belge vient d’être frappée par deux attentats meurtriers. Quelle lecture en faites-vous ?

Bahar Kimyongür : La même lecture aujourd’hui partagée par tous les Belges, du chef de l’Etat au simple citoyen. Tout le monde savait que les terroristes allaient frapper Bruxelles de manière lâche et sauvage. Le drame était théoriquement prévisible et attendu, Bruxelles étant une cible facile. L’autre raison qui laissait p28enser à une attaque imminente est le nombre phénoménal de djihadistes belges par tête d’habitant. La Belgique compte proportionnellement le plus grand nombre de nationaux dans les rangs de Daech par rapport à son nombre d’habitants. Officiellement, 117 djihadistes belges sont revenus du front syrien. La plupart d’entre eux ne sont même pas passés par la case prison.

Le déploiement de militaires et les mesures de sécurité prises depuis des mois, en Belgique, n’ont pas pu empêcher ce drame. Comment l’expliquez-vous ? 

A moins d’un réflexe miraculeux, aucun moyen de détection ne peut stopper des kamikazes déterminés qui débarquent par surprise au milieu de la foule, ni à Bruxelles, ni à Beyrouth, ni à Homs, ni à Bagdad. Les attaques suicides sont imparables. Signalons aussi qu’à l’entrée de l’aéroport de Zaventem, il n’y a jamais eu de portique de sécurité. Quand bien même la sécurité à l’aéroport aurait été plus sérieuse, nous n’aurions pas pu éviter l’attentat. Il se serait probablement produit à l’entrée de l’aéroport…

Comment va réagir le gouvernement belge, concrètement, après ces attentats ? 

Avec une certaine impuissance. L’Etat belge accueille le siège de l’Otan, vend des armes, participe de manière symbolique à des coalitions guerrières, mais n’est pas du tout préparé à une guerre asymétrique menée sur son propre territoire. La Belgique n’a plus connu la guerre sur son sol depuis plus de 70 ans. Ses polices, son armée, ses citoyens n’ont ni le bagage politique ni militaire pour affronter cette situation de guerre larvée face à un ennemi extrêmement imprévisible et difficile à identifier.

La Belgique a toléré, et parfois encouragé, l’existence de bandes armées salafistes sur son sol lesquelles profitent d’une législation très souple en matière de surveillance. Le gouvernement belge réussira-t-il à endiguer ces cellules terroristes implantées depuis les années 1990, lorsque la Belgique donnait refuge aux terroristes du GIA ?

La Belgique a commis plusieurs fautes. Durant les années 60 et 70, le roi Baudouin s’est rapproché de l’Arabie Saoudite en pensant que la religion prêchée par la monarchie pétrolière allait pouvoir encadrer les travailleurs immigrés originaires de pays musulmans comme le Maroc ou la Turquie. Cet accord belgo-saoudien s’est traduit par la mise à disposition et la transformation du pavillon oriental du parc du Cinquantenaire en siège de la Grande Mosquée de Bruxelles. Les comportements de repli sur soi et de rejet de l’autre ont peu à peu gagné les diverses communautés musulmanes en partie à cause des prédicateurs formés en Arabie Saoudite. Malheureusement, la Belgique a sous-estimé le cancer djihadiste en pensant que le takfirisme wahhabite était un phénomène culturel relevant de la liberté d’expression et non d’une idéologie terroriste, voire génocidaire. A l’époque de la guerre froide, cette idéologie arrangeait bien le patronat belge et les hautes sphères du pouvoir. Le travailleur musulman bigot était en effet bien moins revendicatif que les ouvriers italiens ou espagnols davantage coutumiers des luttes syndicales et de l’activisme politique au sein de partis communistes.

C’est dans ce contexte que l’Etat belge a laissé prospérer certains imams ultra-conservateurs. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, lorsque le théoricien néo-con Fukuyama a frauduleusement décrété la «fin de l’histoire», les terroristes du GIA ont profité du vide laissé par la défaite du camp socialiste. En tant qu’allié historique des États-Unis, la Belgique a contribué à l’effondrement des idéaux et des valeurs progressistes au sein du monde arabe et musulman comme le socialisme, le panarabisme et la laïcité. L’émergence du djihadisme en Belgique est le résultat de plusieurs décennies de collaboration avec les ennemis arabes du progressisme arabe. Ceux qui ont connu les luttes sociales des années 70 et 80 ont une meilleure vision du processus d’érosion culturelle et idéologique qui a gagné l’immigration musulmane en Belgique sous l’action des mosquées salafistes. Il y a 50 ans, personne n’aurait pu prévoir la djihadisation des esprits dans les rues de Bruxelles. Mais dès 2012, les autorités belges ont laissé partir les jeunes musulmans vers la Syrie dans l’espoir qu’ils liquident Assad. Cette erreur de calcul a été fatale, car pour Daech, il n’y a aucune différence entre la Syrie «mécréante» et la Belgique «mécréante». Vous évoquez les législations belges trop souples en matière de surveillance. Il y a en effet l’illusion que l’Etat de droit peut suffire à désamorcer des bombes.

Depuis que la menace terroriste cible l’Europe, les Occidentaux promettent une lutte sans merci contre le terrorisme transnational. Seulement, sont-ils, selon vous, disposés à s’attaquer à la racine d’un mal qui arrange leurs intérêts ? 

Comme vous le dites, ce n’est pas dans leur intérêt. Du moins à court terme. S’ils avaient raisonné en tant que leaders politiques responsables et respectueux de leurs citoyens, ils auraient réfléchi par deux fois avant de se coucher devant les djihadistes en col blanc comme Erdogan ou en dichdacha blanche comme le roi Salmane (d’Arabie) ou le prince Mohammed Ben Nayef (d’Arabie – décoré de la légion d’honneur).

Les empires occidentaux ont miné ou détruit tous les États arabes souverains, laïcs et modernes au nom des droits de l’Homme et de la lutte contre les dictateurs. Résultat : l’Etat irakien de Saddam a été remplacé par une entité défaillante assistée par des milices confessionnelles. L’Afghanistan laïc s’est transformé en polygone de tirs pour les seigneurs de guerre et les drones américains. Les ruines de la Libye débarrassée de Kadhafi servent de décor pour une guerre entre clans et tribus. Quiconque connaît la fragilité de ces pays en l’absence d’un Etat peut aisément anticiper le scénario catastrophe. Avec la multiplication des fronts djihadistes de par le monde, on peut aujourd’hui parler d’une apocalypse de longue durée.

La Belgique, comme la France, a développé une politique de harcèlement, de diabolisation, de mépris et de racisme vis-à-vis de la communauté musulmane. Comment protéger cette dernière d’éventuelles représailles d’extrémistes de droite, selon vous ? 

En cultivant l’unité entre musulmans et non-musulmans. Dans la foulée des attentats de Bruxelles, des milliers de musulmans se sont engagés corps et âmes dans la campagne citoyenne d’entraide avec les victimes des attentats, qui en servant de chauffeur, qui en ouvrant sa porte, qui en ouvrant son cœur. Ce sursaut citoyen qui s’est exprimé dans les rues de Bruxelles est la meilleure réponse à donner aux ennemis du genre humain, qu’ils se réclament de l’islam ou de l’anti-islam.

Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi

Source : Algérie Patriotique, Mohamed El-Ghazi, 24-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/bahar-kimyongur-a-algerie-patriotique-la-belgique-a-sous-estime-le-cancer-wahhabite/


Pere Daniël : Lettre Ouverte a son Excellence Monsieur Didier Reynders Ministre Belge des Affaires Etrangères

Monday 28 March 2016 at 02:00

La vision d’un prêtre chrétien belge en Syrie.

Source : Bid 24 Uur, Daniël Maes, 11-03-2016

Père Daniël

Père Daniël

LETTRE OUVERTE

 

A son Excellence Monsieur Didier Reynders Ministre Belge des Affaires Etrangères,

Excellence,

Permettez-moi, comme compatriote belge en Syrie, de me diriger vers vous pour vous informer sur ma situation et celle du peuple syrien, afin de vous demander la protection nécessaire dans la mesure que vous la pouvez donner.

En 2010 moi, Daniel Maes, père Prémontré de l’abbaye flamande Postel-Mol je suis arrivé en Syrie, au service de la communauté religieuse de Mar Yakub à Qâra, Qalamoun, Syrie. Malgré les préjugés et les méfiances, le contact avec le peuple et le pays m’a donné vraiment un choc culturel. C’est vrai, les libertés, personnelles politiques n’étaient pas si nombreuses ni désirées (ce qui a entre-temps profondément changé, à travers l’acceptation de plusieurs partis politiques). De l’autre côté, c’était une société harmonieuse où les différentes religions et groupes ethniques vivaient entre eux en paix pendant des siècles. L’hospitalité orientale était une qualité bien vécue et on vivait une sécurité que nous n’avons jamais connue dans notre pays. Le phénomène de vol et de vandalisme était quasi inexistant. Le pays n’avait pas de dettes et il n’y était pas de sans-logis. Au contraire, des centaines de milliers des refugiés d’autres pays étaient accueillis ici et entretenus comme les propres habitants. La vie journalière était bon marché. Les écoles, les universités, les hôpitaux étaient gratuits, même pour nous, les étrangers résidants dans une communauté syrienne.

Entretemps une terrible guerre a éclaté. Avec nos propres yeux nous avons vu comment cette révolte a commencé dans notre village et comment des étrangers (pas des syriens) ont organisé des manifestations contre le gouvernement. Eux même faisaient des photos et vidéos, qui étaient diffusées par la TV station Al Jazeera à Qatar, avec le message mensonger que tout le peuple était en révolte contre une dictature. Ils invitaient les jeunes du village de les rejoindre. Des meurtres et des attentats se multipliaient, une fois dans un milieu sunnite, et après dans un milieu chrétien pour faire croire qu’il s’agissait d’une revanche pour but de provoquer une guerre civile interne. Malgré toute tentative de déstabilisation les syriens sont restés unis. Comme une seule famille ils ont résisté à la provocation de la haine entre les différents groupes. Ensemble ils ont manifestés contre les terroristes de l’extérieur et contre les pays qui les soutenaient. Des centaines de milliers de victimes innocentes ont été tuées, dont principalement des soldats et des gens de la sécurité. Des écoles, des hôpitaux et l’infrastructure ont été détruits. Quelques millions de gens ont quitté le pays mais la plupart des réfugiés restaient dans le pays même. Ils ont déménagé vers une zone protégée par l’armée. Le gouvernement avait notamment décidé de ne pas protéger les puits de pétrole dans le désert, mais bien le peuple, y compris toutes les minorités. En novembre 2013 nous étions nous aussi la cible. Les attaques et les tirs étaient si forts qu’il n’y avait plus d’espoir de les survivre. Dieu merci, nous sommes tous restés en vie jusqu’ici, à une manière plus que miraculeuse, ainsi que le peuple de Qâra, grâce à l’armée. Puis l’intervention russe, à la demande du gouvernement syrien, a vraiment repoussé les groupes terroristes d’une manière efficace. Et le peuple syrien est très reconnaissant pour cette aide militaire. Les citoyens reprennent espoir, bien que le flux continue des djihadistes du monde entier, armés, entrainés et payés grassement, par des puissances extérieures.

Ainsi nous vivons la plus grande tragédie humanitaire d’après la deuxième guerre mondiale. Nous tâchons de faire le possible pour soulager les souffrances de chaque personne ou famille qui est en détresse. Avec notre communauté nous étions capables d’ériger trois centres d’aides humanitaires : à Damas, à Tartous et dans notre monastère à Qâra. En outre nous étions capables de distribuer récemment plus que 8.500 paquets d’aides humanitaires, une ambulance et le quatrième « hospitainer » (un très précieux hôpital mobile). C’est pourquoi, mère Agnès-Mariam, la fondatrice et supérieure de ce monastère, a reçu à Moscou dernièrement, au nom du monastère, le prix important Femida pour un engagement exceptionnel de paix et de justice. Bien sûr, cette aide n’est possible que grâce à nos innombrables bienfaiteurs, de quelques organisations internationales et de quelques pays comme les Pays-Bas, qui veulent nous aider.

Avec une grande confiance nous nous dirigeons maintenant vers vous pour demander de ne plus soutenir la désinformation grave des médias mais de reconnaître en toute honnêteté ce qui ce passe réellement en Syrie. N’oublions jamais l’exemple des tragédies récentes. Avec de gros mensonges des peuples et des pays ont été massacrés et détruits. Apparemment certains pouvoirs mondiaux voulaient avoir le pétrole, l’or, les banques et la réserve des armes. Aussi notre pays a activement aidé à transformé certains pays dans le chaos complet, comme nous les trouvons maintenant. Pourquoi?

La Syrie est un pays souverain, le berceau des civilisations les plus anciennes et de la plus précieuse foi chrétienne. Il a un gouvernement soutenu par une grande majorité du peuple avec toutes ses différentes religions et groupes ethniques, ses minorités et ses majorités, sa diversité. Il n’y a aucune loi qui permet à un étranger de s’ingérer en lieu et place du peuple lui-même. Toute intervention en dehors des accords internationaux est illégale et inhumaine. Et il appartient aussi exclusivement au peuple syrien de décider sur son future et son gouvernement. Nous attendons de vous que vous rejetez fermement toutes les manipulations et mensonges que vous avez diffusé pour légitimer le massacre du peuple et la destruction du pays. Est-ce-que le flux misérable des réfugiés doit encore s’agrandir ? Est-ce-que cela vous plait que tout un peuple soit précipité dans la plus grande misère et souffre sous des sanctions, qui ne sont rien d’autre que du terrorisme économique, à cause d’une pipe-line, à cause du pétrole ou du gaz, ou à cause du lieu stratégique extrêmement important ? La paix et la sécurité pour ce peuple exigent la préservation de l’intégrité territoriale, de l’indépendance, de l’unité nationale et de l’identité culturelle. En outre, la cessation actuelle des hostilités, bien que fragile, doit-elle être détruite par des nouvelles actions militaires illégales?

Excellence, un vrai homme d’état prépare l’avenir, il respecte les lois internationales, il reconnaît la souveraineté d’autres peuples comme il veut que son identité soit respectée et dont il est le serviteur (ce qui est en latin la signification du mot « « ministre »). Soyez courageux, prenez contact avec le gouvernement syrien, enlevez immédiatement toutes les sanctions et offrez votre soutien nécessaire et possible, de la part du peuple belge. Celui qui sert, au contraire, les intérêts des pouvoirs étrangers pour aider à massacrer des peuples innocents est un leader des terroristes, indigne d’ être nommé un politicien digne. Nous vous supplions de ne plus vous mettre à côté des meurtriers, mais à côté des victimes innocentes. Voilà, ce que nous, le peuple syriens et tant de gens de bonne volonté en Belgique et ailleurs attendent de vous. Nous tous, vous en serions très reconnaissants et l’histoire vous honorera comme quelqu’un qui mérite d’être nommé un vrai homme d’état.

Veuillez accepter nos sentiments de reconnaissance ensemble avec notre cri de cœur,

P. Daniel Maes (de Postel-Mol) – Deir Mar Yakub, Qâra, Syrië – 11 mars 2016

Source : Bid 24 Uur, Daniël Maes, 11-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/pere-daniel-lettre-ouverte-a-son-excellence-monsieur-didier-reynders-ministre-belge-des-affaires-etrangeres/