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Le syndrome Tolstoïevsky, par Slobodan Despot

Thursday 17 March 2016 at 00:48

Source : Slobodan Despot, 08-09-2014

Le problème, avec l’approche occidentale de la Russie, n’est pas tant dans le manque de volonté de comprendre que dans l’excès de volonté de ne rien savoir.

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Cette nation qui a donné Pouchkine et Guerre et Paix, Nijinsky et le Lac des Cygnes, qui a l’une des plus riches traditions picturales au monde, qui a classé les éléments de la nature, qui fut la première à envoyer un homme dans l’espace (et la dernière à ce jour), qui a produit des pelletées de génies du cinéma, de la poésie, de l’architecture, de la théologie, des sciences, qui a vaincu Napoléon et Hitler, qui édite les meilleurs manuels — et de loin — de physique, de mathématiques et de chimie, qui a su trouver un modus vivendi séculaire et pacifique, sur fond de respect et de compréhension mutuelle, avec ses Tatars et ses indénombrables musulmans, khazars, bouddhistes, Tchouktches, Bouriates et Toungouzes, qui a bâti la plus longue voie de chemin de fer au monde et l’utilise encore (à la différence des USA où les rails légendaires finissent en rouille), qui a minutieusement exploré et cartographié les terres, usages, ethnies et langues de l’espace eurasien, qui construit des avions de combat redoutables et des sous-marins géants, qui a reconstitué une classe moyenne en moins de quinze ans après la tiers-mondisation gorbatcho-eltsinienne, cette immense nation, donc, qui gouverne le sixième des terres émergées, est soudain traitée, du jour au lendemain, comme un ramassis de brutes qu’il s’agit de débarrasser de leur dictateur caricatural et sanglant avant de les éduquer à servir la « vraie » civilisation !

*

L’Occident ressort la même guignolerie haineuse à chaque crise, depuis Ivan le Terrible à « Putler »-Poutine, en passant par le tsar Paul, la guerre de Crimée, le pauvre et tragique Nicolas II, et même l’URSS où tout succès était dit « soviétique » et tout échec dénigré comme « russe ».

Des nations serviles qui accordent aux Américains un crédit illimité de forfaiture et de brigandage « parce-qu’ils-nous-ont-libérés-en-45 » n’ont pas un mot, pas une pensée de gratitude pour la nation qui a le plus contribué à vaincre l’hydre national-socialiste… et qui en a payé le prix le plus lourd. Ses élus sont traités en importuns, son président caricaturé avec une haine obsessionnelle, la liberté de mouvement et de commerce de ses citoyens, savants, universitaires et hommes d’affaires est suspendue au bon vouloir d’obscures commissions européennes dont les peuples qu’elles prétendent représenter ne connaissent pas le nom d’un seul membre, ni pourquoi il y siège plutôt qu’un autre larbin des multinationales.

Mais tout ceci n’est encore rien. C’est dans l’ordre des choses. L’Occident et la Russie ne font que jouer les prolongations, à l’infini, du conflit Rome-Byzance en l’étendant aux continents voisins voire à l’espace interplanétaire. La vraie guerre des civilisations, la seule, est là. Barbare comme le sac de Constantinople, apocalyptique comme sa chute, ancienne et sournoise comme les schismes théologiques masquant de perfides prises de pouvoir. Tapie dans les replis du temps, mais prête à bondir et à mordre comme un piège à loups. C’est le seul piège, du reste, que l’empire occidental n’ait pas posé tout seul et qu’il ne puisse donc désamorcer. (Étant entendu que la menace islamique n’est que le produit des manœuvres coloniales anglo-saxonnes, de la cupidité pétrolière et de l’action de services d’État occupés à cultiver des épouvantails pour effrayer leurs propres sujets, puis à les abattre pour les convaincre de leur propre puissance et de leur nécessité.)

La menace russe, elle, est d’une autre nature. Voici une civilisation quasi-jumelle, ancrée sur ses terres, consciente d’elle-même et totalement ouverte aux trois océans, à l’Arctique comme à l’Himalaya, aux forêts de Finlande comme aux steppes de Mongolie. Voici des souverains qui — depuis la bataille de Kazan remportée par ce même Ivan qui nous sert de Père Fouettard — portent le titre de Khans tatars en même temps que d’Empereurs chrétiens siégeant dans l’ultime Rome, la troisième, Moscou, qui fleurit au moment où Byzance gémissait sous l’Ottoman et le pape sous la verge de ses mignons. Voici une terre aux horizons infinis, mais dont les contours sont gravés dans l’histoire du monde, inviolables bien que diffus. Voici des gens, enfin, et surtout, aussi divers qu’on peut l’imaginer, mêlant au sein d’un même peuple le poil blond des Vikings aux yeux obliques et aux peaux tannées de l’Asie. Ils n’ont pas attendu le coup de départ du métissage obligé, les Russes, ils l’ont dans leur sang, si bien assimilé qu’ils n’y pensent plus. Les obsédés de la race au crâne rasé qu’on exhibe sur les chaînes anglo-saxonnes ont la même fonction que les coucous suisses : des articles pour touristes.

*

Cela ressemble tellement à l’Europe. Et c’en est tellement loin ! Tellement loin que les infatigables arpenteurs des mers — génois, anglais, néerlandais, espagnols —, qui connaissent l’odeur de la fève de tonka et la variété des bois de Sumatra, ne savent rien de la composition d’un borchtch. Ni même de la manière dont on prononce le nom de cette soupe. Ce n’est pas qu’ils ne pourraient pas l’apprendre. C’est qu’ils n’en ont pas envie. Pas plus qu’ils ne veulent connaître, vraiment, l’esprit, les coutumes et la mentalité des immigrants exotiques qu’ils accueillent désormais par millions et qu’ils laissent s’agglutiner en ghettos parce qu’ils ne savent comment leur parler.

J’ai dû, moi, petit Serbe, apprendre deux langues et deux alphabets pour entamer ma vie d’immigré. J’en ai appris d’autres pour mieux connaître le monde où je vis. Je m’étonne sincèrement de voir que mes compatriotes suisses ne savent pas, pour la plupart, les deux autres grandes langues de leur pays. Comment connaître autrui si vous ne savez rien de la langue qu’il parle ? C’est le minimum de la courtoisie. Et cette courtoisie, désormais, se réduit de plus en plus à des rudiments d’anglais d’aéroport.

De même font les Russes, dont l’éducation intègre la culture ouest-européenne en sus de la leur propre. Où voit-on la réciproque, à l’ouest du Dniepr ? Depuis Pierre le Grand, ils se considéraient européens à part entière. Les artistes de la Renaissance et les penseurs des Lumières sont les leurs. Leontiev, le père Serge Boulgakov, Répine, Bounine, Prokofiev et Chestov sont-ils pour autant les nôtres? Non, bien entendu. Parler français fut deux siècles durant la règle dans les bonnes maisons — et le reste encore parfois. Ils se sont intensément crus européens, mais l’Europe s’est acharnée à leur dissiper cette illusion. Quand les jeunes Russes vous chantent Brassens par cœur, vous leur répondez en évoquant « Tolstoïevsky ». L’Europe de Lisbonne à Vladivostok n’aura été réelle qu’à l’Est. A l’Ouest, elle ne fut jamais que la projection livresque de quelques visionnaires.

L’Europe de Lisbonne à Vladivostok ! Imagine-t-on la puissance, la continuité, le rayonnement, les ressources d’un tel ensemble ? Non. On préfère definitely se mirer dans l’Atlantique. Un monde vieillissant et ses propres outlaws mal dégrossis s’étreignant désespérément par-dessus la mer vide et refusant de voir dans le monde extérieur autre chose qu’un miroir ou un butin. Leur derniers échanges chaleureux avec la Russie remontent à Gorbatchev. Normal : le cocu zélé avait entrepris de démonter son empire sans autre contrepartie qu’une paire de santiags au ranch de Reagan. Vingt ans plus tard, les soudards de l’OTAN occupaient toutes les terres, de Vienne à Lviv, qu’ils avaient juré de ne jamais toucher ! Au plus fort de la Gorbymania, Alexandre Zinoviev lançait son axiome que tous les Russes devraient apprendre au berceau : « Ils n’aimeront le tsar que tant qu’il détruira la Russie ! »

*

« Ah, vous les Slaves ! » — ouïs-je souvent dire — « Quel don pour les langues ! » Je me suis longtemps rengorgé, prenant le compliment pour argent comptant. Puis, ayant voyagé, j’ai fini par comprendre. Ce n’est pas « nous les Slaves » qui avons de l’aisance pour les langues : c’est vous, les « Européens » qui n’en avez pas. Qui n’en avez pas besoin, estimant depuis des siècles que votre packagelinguistique (anglais, français, allemand, espagnol) gouverne le monde. Pourquoi s’escrimer à parler bantou ? Votre langue, étendard de votre civilisation, vous suffit amplement, puisqu’au-delà de votre civilisation, c’est le limes (comme au temps de César), et qu’au-delà du limes, mon Dieu… Ce sont les terres des Scythes, des Sarmates, des Marcheurs Blancs, bref de la barbarie. Voire, carrément, le bord du monde où les navires dévalent dans l’abîme infini.

Voilà pourquoi le russe, pour vous, c’est du chinois. Et le chinois de l’arabe, et l’arabe de l’ennemi. Vous n’avez plus même, dans votre nombrilisme, les outils cognitifs pour saisir ce que les autres — qui soudain commencent à compter — pensent et disent, réellement, de vous. Ah ! Frémiriez-vous, si vous pigiez l’arabe des prédicateurs de banlieue ! Ah ! Railleriez-vous si vous entraviez des miettes de ce que les serveurs chinois du XIIIe dégoisent sur vous. Ah ! Ririez-vous s’il vous était donné de saisir la finesse de l’humour noir des Russes, plutôt que de vous persuader à chacun de leurs haussements de sourcil que leurs chenilles sont au bord de votre gazon.

Mais vous ne riez pas. Vous ne riez plus jamais. Même vos vaudevilles présidentiels sont désormais commentés avec des mines de fesse-mathieu. Vous êtes graves comme des chats qui caquent dans votre quiétude de couvre-feu, alors qu’eux, là-bas, rient, pleurent et festoient dans leurs appartements miniatures, leur métro somptueux, sur leur banquise, dans leurs isbas et jusque sous les pluies d’obus.

Tout ceci n’est rien, disais-je, parlant du malentendu historique qui nous oppose. La partie grave, elle arrive maintenant. Vous ne leur en voulez pas pour trois bouts d’Ukraine dont vous ignoriez jusqu’à l’existence. Vous leur en voulez d’être ce qu’ils sont, et de ne pas en démordre ! Vous leur en voulez de leur respect de la tradition, de la famille, des icônes et de l’héroïsme — bref, de toutes les valeurs qu’on vous a dressés à vomir. Vous leur en voulez de ne pas organiser pour l’amour de l’Autre la haine du Soi. Vous les enviez d’avoir résolu le dilemme qui vous mine et qui vous transforme en hypocrites congénitaux : Jusqu’à quand défendrons-nous des couleurs qui ne sont pas les nôtres ?

Vous leur en voulez de tout ce que vous avez manqué d’être !

Ce qui impressionne le plus, c’est la quantité d’ignorance et de bêtise qu’il vous faut déployer désormais pour entretenir votre guignolerie du ramassis de brutes qu’il s’agit de débarrasser de leur dictateur caricatural et sanglant avant de les éduquer à servir la « vraie » civilisation. Car tout la dément : et les excellentes relations de la Russie avec les nations qui comptent et se tiennent debout (BRICS), et le dynamisme réel de ce peuple, et l’habileté de ses stratèges, et la culture générale du premier Russe venu, par opposition à l’inculture spécialisée du « chercheur » universitaire parisien qui prétend nous expliquer son obscurantisme et son arriération. C’est que ce ramassis de brutes croit encore à l’instruction et au savoir quand l’école européenne produit de l’ignorance socialisée ; croit encore en ses institutions quand celles de l’UE prêtent à rire ; croit encore en son destin quand les vieilles nations d’Europe confient le leur au cours de la Bourse et aux banquiers de Wall Street.

Du coup, la propagande a tout envahi, jusqu’à l’air qu’on respire. Le gouvernement d’Obama prend des sanctions contre le régime de Poutine : tout est dit ! D’un côté, Guantanamo, les assassinats par drones aux quatre coins du monde, la suspension des droits élémentaires et le permis de tuer sans procès ses propres citoyens — et, surtout, vingt-cinq ans de guerres coloniales calamiteuses, sales et ratées qui ont fait du Moyen-Orient, de la Bosnie à Kandahar, un enfer sur terre. De l’autre, une puissance qui essaie pas à pas de faire le ménage à ses propres frontières, celles justement dont on s’était engagé à ne jamais s’approcher. Votre gouvernement contre leur régime

Savez-vous de quoi vous vous privez en vous coupant ainsi, deux fois par siècle, de la Russie ? Du refuge ultime des vos dissidents, en premier lieu du témoin capital Snowden. Des sources d’une part considérable de votre science, de votre art, de votre musique, et même, ces jours-ci, du dernier transporteur capable d’emmener vos gens dans l’espace. Mais qu’importe, puisque vous avez soumis votre science, votre art, votre musique et votre quête spatiale à la loi suicidaire du rendement et de la spéculation. Et qu’être traqués et épiés à chaque pas, comme Snowden vous l’a prouvé, ne vous dérange au fond pas plus que ça. A quoi bon implanter une puce GPS à des chiens déjà solidement tenus en laisse ? Quant à la dissidence… Elle n’est bonne que pour saper la Russie. Tout est bon pour saper la Russie. Y compris les nazis enragés de Kiev que vous soutenez sans gêne et n’hésitez pas à houspiller contre leurs propres concitoyens. Quelle que soit l’issue, cela fera toujours quelques milliers de Slaves en moins…

Que vous a-t-il donc fait, ce pays, pour que vous en arriviez à pousser contre lui les forces les plus sanguinaires enfantées par la malice humaine : les nazis et les djihadistes ? Comment pouvez-vous songer à contourner un peuple étendu sur onze fuseaux horaires ? En l’exterminant ou en le réduisant en esclavage ? (Il est vrai que « toutes les options sont sur la table », comme on dit à l’OTAN.) Destituer de l’extérieur un chef d’État plus populaire que tous vos polichinelles réunis ? Êtes-vous déments ? Ou la Terre est-elle trop petite, à vos yeux, pour que l’« Occident » puisse y cohabiter avec un État russe ?

C’est peut-être cela, tout compte fait. La Russie est l’avant-poste, aujourd’hui, d’un monde nouveau, de la première décolonisation véritable. Celle des idées, des échanges, des monnaies, des mentalités. A moins que vous, atlantistes et eurocrates, ne parveniez à entraîner la nappe dans votre chute en provoquant une guerre atomique, le banquet de demain sera multipolaire. Vous n’y aurez que la place qui vous revient. Ce sera une première dans votre histoire : mieux vaut vous y préparer.

Source : Slobodan Despot, 08-09-2014

Source: http://www.les-crises.fr/le-syndrome-tolstoievsky-par-slobodan-despot/


Les nouveaux plans de torture du Parti Républicain, par Nat Parry

Wednesday 16 March 2016 at 02:00

16Source : Consortiumnews.com, le 14/02/2016

Le 14 février 2016

L’échec du président Obama à poursuivre les tortionnaires de l’époque de Bush a créé une impunité qui a encouragé quelques candidats républicains au poste présidentiel à vanter les mérites de nouveaux plans pour plus de torture, s’ils parviennent à la Maison-Blanche. Un exemple grotesque de « l’exceptionnalisme américain », comme l’explique Nat Parry.

Par Nat Parry

Des commentaires troublants dans la campagne des républicains à l’élection présidentielle sur l’éventuel rétablissement de la torture et la mise en œuvre d’autres crimes de guerre ont attiré la critique récemment, avec le candidat républicain à la présidentielle investi en 2008, le sénateur de l’Arizona John McCain, qui s’est même senti contraint à la modération, la semaine dernière, déplorant les « propos grossiers » de la primaire républicaine.

Le 9 février, McCain a condamné au Sénat des remarques de ses collègues républicains à propos de l’utilisation de la torture, déclarant que « ces propos ne doivent pas rester sans réponse, car ils induisent en erreur les Américains sur la réalité des interrogatoires, la façon de recueillir des renseignements, ce qu’il faut pour défendre notre sécurité et au niveau le plus fondamental, ce contre quoi nous nous battons en tant que nation et quelle nation nous sommes. »

10 Nov 2008, Washignton DC, USA --- President-Elect Barack Obama is escorted to the Oval Office by President George W. Bush at the White House. This is the first visit for Barack Obama to the White House before he is sworn into office as President of the United States. First lady Laura Bush took soon to be first lady Michelle Obama on a tour of the White House as the President and Mr. Obama walked along the colonnade to the Oval Office where they will have a meeting. --- Image by © Gary Fabiano/Pool/Corbis

Barack Obama, alors président élu, et le président George W. Bush à la Maison-Blanche lors de la transition de 2008.

Les remarques de McCain furent un souffle bienvenu de santé mentale dans une course républicaine à la présidentielle qui a été récemment dominée par un discours qui sonne beaucoup comme une compétition tordue pour voir qui serait le plus brutal et hors la loi dans le traitement de présumés terroristes. Le débat télévisé du 6 février, par exemple, présentait les candidats Marc Rubio, Ted Cruz et Donald Trump, rivalisant pour l’élection  du “dur à cuire”, chacun exprimant divers niveaux de soutien à la torture par noyade et à d’autres honteuses “techniques d’interrogation améliorées”.

Tandis que Cruz a déclaré qu’il soutiendrait la torture par noyade dans des circonstances limitées, Trump a promis de non seulement réintroduire largement la technique, mais aussi d’introduire des pratiques de torture encore plus cruelles, s’il est élu : “Je rétablirais la torture par noyade et je rétablirais vraiment bien pire que la torture par noyade,” a-t-il dit.

Rubio a réaffirmé son soutien à la torture par noyade, affirmant que les affaires de terrorisme ne doivent pas être conduites avec les mêmes normes traditionnelles d’application de la loi. “Eh bien, quand les gens parlent d’interroger des terroristes, ils parlent comme si c’était une sorte de fonction de l’application de la loi,” a-t-il dit. L’application de le loi concerne la collecte de preuves pour juger et condamner une personne. L’anti terrorisme c’est trouver des informations pour prévenir une attaque future, donc les mêmes tactiques ne sont pas applicables.”

Cela mène logiquement à la conclusion que ce que Rubio semble dire est qu’il est parfaitement permis de retenir des individus soupçonnés de liens avec le terrorisme, sans procédure régulière, de les torturer pour qu’ils fournissent des informations, qui peuvent être vraies ou pas – comprenant peut-être l’identification d’autres présumés terroristes – dans un processus sans limite de détention extra-légale et de torture qui ne produit ni renseignement exploitable, ni preuve qui puisse être utilisée dans une cour de justice.

C’était précisément cette sorte de stratégie qui a mené à la détention non justifiée et à la torture d’au moins 26 détenus sur 119, dans le programme d’extraditions spéciales de la CIA sous George W. Bush, selon le rapport sur la torture fait par le Sénat, diffusé fin de 2014. (Une fois questionné à ce sujet plus tard, l’ancien vice-président Dick Cheney a froidement déclaré qu’il est « plus concerné par les méchants qui sont sortis libres que par les quelques-uns qui, en fait, étaient innocents. »)

Cette conception de la détention sans fin et des interrogatoires est aussi en grande partie responsable de l’abomination légale de Guantanamo et a compliqué les efforts du président Obama pour fermer la prison. Une grande partie des preuves contre les détenus étant entachées par la torture, les preuves ne sont donc pas recevables devant un tribunal, ce qui rend impossible de les déférer devant la justice aux États-Unis.

Mais Rubio – ainsi que d’autres candidats républicains – a précisé que c’est une erreur de fermer la prison de Guantanamo, qui pendant 14 ans a servi de trou noir légal où on a refusé aux détenus les droits et protections qu’auraient dû leur procurer les Conventions de Genève ou la Déclaration des Droits de l’Homme.

Au lieu de fermer la prison, Rubio a soutenu qu’elle devrait être gardée en fonction indéfiniment : « Voici le plus grand problème avec tout ça, » a-t-il dit. « Nous n’interrogeons personne actuellement. Guantanamo ayant été vidé par ce président. Nous devrions mettre des gens à Guantanamo, ne pas le vider et nous ne devrions pas libérer ces tueurs qui rejoignent le champ de bataille contre les États-Unis. »

Dans un précédent débat présidentiel, Rubio a fait comprendre que sous son administration, la détention sans limite et la torture seraient les bienvenues. “Si nous capturons des terroristes, a-t-il dit, ils iront à Guantanamo, et nous découvrirons tout ce qu’ils savent.

Quant à Trump, quand ses déclarations de retour à la torture par noyade et d’invention de tortures encore plus brutales ont attiré l’attention sur lui, il a décidé de doubler la mise plutôt que de revenir en arrière.

Le 7 février, le magnat-de-l’immobilier-devenu-star-de-la-téléréalité-devenu-candidat-à-la-présidentielle est apparu à « This Week » avec George Stephanopoulos. « En tant que président, vous autoriseriez la torture ? » a demandé Stephanopoulos à Trump.

« J’autoriserais absolument quelque chose au-delà de la torture par noyade, » a dit Trump. « Et croyez-moi, ce sera efficace. Si nous avons besoin d’information, George, on a notre ennemi qui coupe les têtes de chrétiens et beaucoup d’autres, par centaines, par milliers. »

A la question « gagnerons-nous en leur ressemblant davantage, » c’est-à-dire, en imitant les tactiques de l’État islamique terroriste, Trump a répondu catégoriquement, « Oui ».

« Je suis désolé, a-t-il développé, il faut faire ainsi. Et je ne suis pas sûr que tout le monde soit d’accord avec moi. Je suppose que beaucoup de gens ne le sont pas. Nous vivons à une époque aussi mauvaise qu’elle puisse être. Vous savez, quand j’étais jeune, j’ai étudié l’époque médiévale. C’est ce qu’ils ont fait, ils ont coupé des têtes. »

« Donc, nous allons trancher des têtes ? » a demandé Stephanopoulos.

« Nous allons faire des choses au-delà de la torture par noyade peut-être, cela peut se produire à l’avenir, » a répondu Trump.

Trump a même insinué que Cruz est assez « faux cul » pour laisser entendre qu’il pourrait faire preuve d’un certain degré de retenue dans l’utilisation de la torture. Avec cette sorte de discours, il est clair que du côté républicain, la discussion s’est enclenchée, amenant plusieurs groupes de droits de l’homme à rappeler aux États-Unis ses obligations morales et légales de ne pas s’engager dans des pratiques sadiques et cruelles comme la torture par noyade.

« La torture par noyade est conforme à la définition légale de la torture et est donc illégale, » a rappelé, le 11 février, Raha Walla de Human Rights First. « La torture selon la loi des États-Unis et le droit international désigne les actes qui causent de graves souffrances ou supplices psychiques ou physiques. Sans aucun doute la torture par noyade répond à cette définition. »

Naureen Shah d’Amnistie internationale a aussi publié une réfutation au débat sur la torture par noyade, qu’elle a décrite comme « une asphyxie au ralenti ». Elle a indiqué qu’à l’évidence « les atrocités du groupe armé s’appelant l’État Islamique et d’autres groupes armés ne rendent pas acceptable la torture par noyade. »

Ce que le « débat » actuel sur le retour de la torture met au premier plan, outre à quel point le dialogue républicain est devenu pervers, est pourquoi les poursuites contre le programme de torture de la CIA à l’époque de Bush sont essentielles, et pourquoi il est si destructeur que l’administration Obama se soit soustraite à ses responsabilités à cet égard pendant plus de sept ans.

Comme les avocats des droits de l’homme l’ont longtemps maintenu, poursuivre en justice l’administration de Bush et les membres de la CIA impliqués dans la torture de suspects de terrorisme dans la période après le 11-Septembre, est nécessaire pour que la torture ne soit pas répétée à l’avenir par les administrations suivantes qui – à cause des décisions précédentes de ne pas poursuivre en justice – peuvent se considérer au-dessus de la loi.

Voilà donc précisément pourquoi il est nécessaire, en vertu du droit international, que les accusations de torture soient suivies d’enquêtes et de poursuites – afin que la torture ne devienne pas une « option stratégique » utilisée ou suspendue selon les caprices politiques du moment.

C’est un point sur lequel Amnesty International, pour sa part, a insisté après la publication du rapport du Sénat sur la torture par la CIA, en décembre 2014. Dans une déclaration intitulée « Le rapport de synthèse du Sénat sur le programme de détention de la C.I.A. ne doit pas être la fin de l’histoire, » Amnesty a déploré que les enquêtes limitées du ministère de la Justice lors des interrogations de la CIA se soient terminées en 2012 sans inculpations.

Human Rights Watch est de cet avis, notant qu’à moins que la sortie du rapport du Sénat ne mène aux poursuites, la torture restera “une option politique” pour de futurs présidents.

Le rapporteur spécial de L’ONU sur les droits de l’homme et le contre-terrorisme, Ben Emmerson, a clairement affirmé que de hauts fonctionnaires de l’administration de Bush qui ont autorisé des crimes, tout autant que les représentants de la CIA et du gouvernement américain qui les ont effectués, doivent être mis en examen et poursuivis.

« Il est maintenant temps d’agir, » a déclaré Emmerson, le 9 décembre 2014. « Les personnes responsables de l’association de malfaiteurs révélée dans le rapport d’aujourd’hui doivent être traduites en justice, et doivent faire face à des sanctions pénales proportionnelles à la gravité de leurs crimes. Le fait que les politiques révélées dans ce rapport ont reçu une autorisation à un niveau élevé du gouvernement américain ne fournit aucune excuse. En effet, cela renforce la nécessité de la responsabilité pénale. »

Le droit international interdit l’octroi d’immunité aux fonctionnaires qui se sont impliqués dans des actes de torture, fait remarquer Emmerson. Il a plus loin souligné l’obligation internationale des États-Unis de poursuivre pénalement les organisateurs et les auteurs des méthodes de torture décrites dans le rapport :

« Comme le droit international le prescrit, les États-Unis sont légalement obligés à traduire en justice les responsables. La convention de l’ONU contre la torture et celle sur les disparitions forcées exigent que des États poursuivent les actes de torture et la disparition forcée là où il y a une preuve suffisante à fournir une perspective raisonnable de condamnation. Les États ne sont pas libres de maintenir ou de permettre l’impunité pour ces crimes graves. »

Zeid Raad al-Hussein, le Haut-commissaire de l’ONU pour les Droits de l’homme, a dit qu’il est « clair comme de l’eau de roche » que les États-Unis ont l’obligation, conformément à la convention de l’ONU contre la Torture, d’assumer leur responsabilité.

« Dans tous les pays, si quelqu’un commet un meurtre, il est poursuivi et emprisonné. S’il commet un viol ou une attaque à main armée, il est poursuivi et emprisonné. S’il ordonne, permet ou commet la torture – reconnue internationalement comme un crime grave – on ne peut pas simplement lui accorder l’impunité à cause d’une opportunité politique, » a-t-il dit.

Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a exprimé l’espoir que la publication du rapport sur la torture était « le début d’un processus » vers des poursuites, parce que « l’interdiction de la torture est absolue, » a dit le porte-parole de Ban Ki-moon.

Inutile de le dire, ces appels sont en grande partie tombés dans l’oreille d’un sourd, sans ouverture de quelque enquête criminelle que ce soit. Au lieu de cela, le Congrès américain a répondu par « une réaffirmation » symbolique de l’interdiction de la torture – un texte législatif en grande partie superflu et inutile, puisque la torture est depuis longtemps interdite sans équivoque en vertu du droit international, de la Constitution des États-Unis et des lois pénales américaines.

De son côté, Obama a utilisé la publication du rapport du Sénat comme une occasion de vanter les mérites des vertus des États-Unis et a en fait loué la CIA de son professionnalisme dans l’exécution de ses responsabilités.

Suivant la publication du rapport du Sénat, dans une déclaration claironnant indirectement sur la notion d’« exceptionnalisme américain », Obama a dit : « Au cours de notre histoire, les États-Unis d’Amérique ont fait plus que toute autre nation pour défendre la liberté, la démocratie et la dignité intrinsèque et les droits de l’homme pour les peuples de par le monde. » Il a continué à offrir une défense tacite des techniques de torture tout en vantant sa propre vertu à mettre fin à ces politiques.

« Dans les années après le 11-Septembre, avec des craintes légitimes de nouvelles attaques et avec la responsabilité de prévenir des pertes de vies plus catastrophiques, la précédente administration a fait face à des choix atroces sur la façon de poursuivre al-Qaïda et empêcher des attaques terroristes supplémentaires contre notre pays, » a-t-il dit. Bien que les États-Unis aient fait « de nombreuses choses bien dans ces années difficiles, » il a reconnu que « certaines actions qui ont été prises étaient contraires à nos valeurs. »

« C’est pourquoi j’ai sans équivoque proscrit la torture quand j’ai pris mes fonctions, » a dit Obama, « parce que l’un de nos outils les plus efficaces dans le combat contre le terrorisme et le maintien de la sécurité des Américains est de rester fidèle à nos idéaux chez nous et à l’étranger. » Il a continué en promettant d’utiliser son autorité en tant que président « pour m’assurer que nous n’ayons plus jamais recours à ces méthodes à nouveau. »

Mais clairement, en obstruant les enquêtes criminelles sur les responsables politiques, Obama a fait très peu en pratique pour garantir que ces méthodes ne soient pas à nouveau utilisées.

Dans une tribune libre publiée par Reuters après la sortie du rapport du Sénat, le directeur de Human Rights Watch Kenneth Roth a interpellé le président sur son « refus ferme de permettre une enquête large sur l’usage de la torture après le 11-Septembre, ne permettant qu’une enquête réduite sur des techniques d’interrogatoire non autorisées qui n’ont pas abouti à des poursuites. »

À moins que les révélations du rapport du Sénat ne mènent à des poursuites de hauts responsables, la torture restera une « option politique » pour les futurs présidents, a relevé l’Observatoire. C’est exactement ce que nous voyons se passer aujourd’hui avec le « manque de retenue », comme l’appelle McCain, au sujet du retour de la torture comme politique officielle des États-Unis.

Après le premier anniversaire de la publication du rapport du Sénat sur la torture, Human Rights Watch a réitéré ses appels à des poursuites dans un rapport de 153 pages, « No More Excuses: A Roadmap to Justice for CIA Torture » [Plus d’excuses : une feuille de route vers la justice pour la torture de la CIA]. Le rapport de l’Observatoire, sorti le 1er décembre, conteste les affirmations que les poursuites ne sont pas possibles légalement et souligne les obligations légales des États-Unis à offrir une réparation aux victimes de la torture. Il détaille aussi des mesures que les autres pays devraient prendre pour poursuivre les enquêtes criminelles sur la torture de la CIA.

Bien sûr, ce rapport, comme pratiquement tous les appels à la justice sur la question de la torture des sept dernières années, a été soigneusement ignoré par les hautes sphères de Washington. Et avec les Républicains qui se prennent maintenant les pieds dans le tapis en soutenant des politiques illégales de torture et de brutalité, nous voyons les fruits du refus d’Obama de faire respecter la loi du pays.

Source : Consortiumnews.com, le 14/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-nouveaux-plans-de-torture-du-parti-republicain-par-nat-parry/


« Le complexe sécuritaro-numérique menace de prendre le contrôle » Par Ignacio Ramonet

Wednesday 16 March 2016 at 01:00

Source : Le Grand Soir, Ignacio Ramonet, 24-01-2016

Dans son dernier ouvrage, l’Empire de la surveillance, où il reproduit les entretiens du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, et de l’intellectuel étasunien, le linguiste Noam Chomsky, l’ancien directeur du Monde diplomatique, aujourd’hui directeur de son édition en espagnol, Ignacio Ramonet alerte sur une surveillance privatisée et généralisée lourde de conséquences pour la démocratie.

La mise en place d’un « État d’exception » s’inscrit dans ce que vous appelez la « société de contrôle ». Quelle analyse faites-vous de la volonté de constitutionnaliser l’état d’urgence ?

Ignacio Ramonet : Le contrôle de la société – savoir qui est qui, qu’est-ce qu’il fait, où il est, qui il fréquente… – est une des obsessions permanentes des gouvernants, de tous les gouvernants. C’est pour cela qu’on a inventé les statistiques, la sociologie… et les services de renseignements. Le prétexte de cette volonté de savoir, bien entendu, c’est de mieux connaître la société pour mieux la servir, mieux ­répondre à ses besoins, à ses carences… Mais, à l’inverse des dictatures, un pouvoir démocratique ne peut pas aller trop loin dans ce contrôle inquisiteur sans empiéter sur le périmètre des libertés individuelles. Il a donc besoin, ­objectivement, de « secousses de frayeur collective », comme celles que provoque le terrorisme, pour renforcer au maximum son contrôle des populations. Constitutionnaliser l’état d’urgence est une façon, dans l’arsenal des mesures sécuritaires possibles, de pérenniser l’avancée en matière de contrôle que permettent les récents actes terroristes.

Dans votre récent ouvrage, l’Empire de la surveillance (1), vous publiez un entretien avec Noam Chomsky dans lequel l’intellectuel étasunien réaffirme que « l’ennemi principal de tout gouvernement est son propre peuple ». Les démocraties changent-elles de nature ?

Ignacio Ramonet : Ce que dit Chomsky est une évidence lorsqu’il s’agit de dictatures. Mais ce qui change, avec la mise en place des « sociétés de contrôle et de surveillance », c’est que désormais ce sont les démocraties qui regardent avec méfiance et appréhension leur propre société. Tous les dispositifs répressifs dont on parle – Patriot Act, loi sur le renseignement, etc. – visent à contrôler, voire à châtier le peuple, tout le peuple, au prétexte que pourraient se nicher en son sein quelques terroristes. On ne peut donc plus parler de démocraties tout court, mais de « démocraties sécuritaires » ou d’« États de contrôle ».

Cette transgression des principes démocratiques de base semble faire écho à la déclaration de Manuel Valls sur la nécessité pour la gauche de renoncer à « ses grandes valeurs » ?

Ignacio Ramonet : Les « grandes valeurs » de la gauche figurent en toutes lettres sur les frontons des écoles de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Y renoncer serait tout simplement trahir la République. À l’instar naguère de George W. Bush, Manuel Valls pense que la (juste) lutte contre le terrorisme autorise tous les reniements et tous les abandons de principes. Ce qui est trop dangereux pour nos libertés. Songeons à l’utilisation que pourrait faire éventuellement, demain, un gouvernement d’extrême droite de toutes ces lois sécuritaires…

Vous décrivez un monde dans lequel se développe une surveillance à la fois « privatisée » et « démocratisée ». Comment cela se traduit-il dans la vie quotidienne ?

Ignacio Ramonet En effet, la surveillance s’est « privatisée » parce que ce sont essentiellement les grandes firmes privées (toutes américaines) de la sphère Internet, les célèbres Gafam – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft – qui ­désormais nous surveillent et qui récoltent le maximum d’informations sur nous. Il faut dire, d’ailleurs, que le plus souvent c’est volontairement que nous leur remettons, de notre propre gré, ces informations nous concernant. Des données qui constituent, disons, la « matière première » que commercialisent ces firmes. Elles en vivent. Plus elles nous soutirent des informations personnelles, plus elles gagnent de l’argent. Et par ailleurs, elles transfèrent ces données aux grandes agences américaines de renseignements… La surveillance s’est également « démocratisée » dans la mesure où elle s’est généralisée. Les trois milliards et demi de personnes qui utilisent ­Internet sont automatiquement surveillées. Tout utilisateur d’un téléphone intelligent (smartphone) ou d’un ordinateur est, je le répète, automatiquement surveillé.

Peut-on dire que la vie privée n’existe plus ?

Ignacio Ramonet : Elle est très menacée. Et ne sera bientôt qu’un doux souvenir. Aujourd’hui, mettre quelqu’un sur écoute est devenu d’une déconcertante facilité. À la portée du premier venu. Une personne ordinaire voulant espionner son entourage trouve en vente libre, dans le commerce, un large choix d’options. D’abord des manuels d’instruction très didactiques « pour apprendre à pister et à espionner les gens ». Et pas moins d’une demi-douzaine de logiciels espions (mSpy, GsmSpy, FlexiSpy, Spyera, EasySpy) qui « lisent » sans problème les contenus de nos téléphones portables : sms, emails, comptes Facebook, Whatsapp, ­Twitter, etc. À moins de crypter toutes nos communications électroniques et de n’avoir jamais recours à Internet, on ne peut pratiquement plus éviter d’être surveillé. Et qui dit surveillé, dit contrôlé. Par l’État, et par les géants du Net. D’où les appels de plus en plus nombreux à une résistance de la part de quelques lanceurs d’alerte comme Julian Assange ou ­Edward Snowden qui sont indiscutablement les grands héros de notre temps.

En vous appuyant sur les propos de Julian Assange, dont vous avez également réalisé l’entretien ­reproduit dans votre ouvrage, vous mettez en lumière les liens étroits entre les grandes firmes informatiques privées et les services de l’État, notamment américains. Comment ces liens se nouent-ils ?

Ignacio Ramonet Oui, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, soutient que les mégasociétés qui dominent Internet, comme Google, Apple, Amazon et Facebook ont établi des liens étroits avec l’appareil d’État à Washington, en particulier avec les responsables de la politique étrangère. Cette relation, selon lui, serait devenue une évidence parce qu’ils ont les mêmes idées politiques et partagent une vision du monde identique. Et, au bout du compte, les liens étroits et la vision du monde commune de Google, notamment, et de l’administration américaine sont au service des objectifs de la politique étrangère des États-Unis. Cette alliance sans précédent entre l’État, l’appareil militaire de sécurité et les industries géantes du Web a donc produit cet « Empire de la surveillance » dont l’objectif très concret et très clair est de mettre Internet, tout Internet, et tous les internautes, sur écoute.

Comment comprendre que ­jamais la surveillance n’a été à ce point généralisée et que des actes terroristes dont on semble connaître les commanditaires puissent passer entre les mailles si serrées d’un tel filet global ?

Ignacio Ramonet : C’est une question que se posent de nombreux citoyens. À ce stade, il est important de dire que, dans un État démocratique, les autorités ont toute légitimité, en s’appuyant sur la loi et avec l’autorisation préalable d’un juge, de placer sous surveillance toute personne qu’elles estiment suspecte. Car le problème n’est pas la surveillance en soi, c’est la surveillance de masse clandestine qui nous rend tous suspects par principe. Et qui ne semble pas très efficace. Parce qu’à force de surveiller tout le monde, les services de renseignements se révèlent incapables de « mettre le paquet » sur la surveillance des vrais suspects. Ce qui prouve aussi l’importance de méthodes éprouvées de lutte contre le terrorisme basées sur le renseignement humain et l’infiltration des groupes violents. La paresseuse facilité de la surveillance électronique et automatique a « endormi » les réflexes des services de renseignements.

La loi sur le renseignement, votée en France en juin 2015, autorise des pratiques de surveillance de masse. Après le 13 novembre, beaucoup ont critiqué cette orientation car les services de l’État n’auraient pas les capacités d’analyser toutes les données emmagasinées. Êtes-vous d’accord ?

Ignacio Ramonet : Les systèmes automatiques de surveillance électronique enregistrent ce qu’on appelle les « métadonnées » des communications, c’est-à-dire : qui appelle qui, d’où, pendant combien de temps… À la longue, ces métadonnées permettent de configurer une sorte de cartographie spatiale et relationnelle du suspect. Mais elles n’enregistrent pas le contenu des échanges. Pour disposer du contenu, il faut un « écouteur » humain, un agent qui, personnellement, « suit » chaque suspect et écoute et analyse le contenu de toutes ses communications téléphoniques. Il faut donc un agent par suspect. Or les autorités ont rappelé qu’il y avait plusieurs milliers de personnes fichées par la police pour « islamisme radical ». Et le procureur de la République de Paris, François Molins, a révélé que, sur ces milliers de suspects, les services de renseignements en surveillaient à peine 1 700… Et qu’il leur était impossible, pour des raisons budgétaires, de les surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre…

On a longtemps parlé du « complexe militaro-industriel », vous démontrez qu’il est supplanté par le « complexe sécuritaro-numérique ». Qu’est-ce que cela change au niveau des pouvoirs politiques et à l’échelle mondiale ?

Ignacio Ramonet : Oui, c’est une alliance totalement inédite entre le pouvoir politique, l’appareil du renseignement et les titans technologiques qui contrôlent les télécommunications, l’électronique, l’informatique, Internet, les industries du câble en fibre optique, les satellites, les logiciels, les serveurs, etc. Une telle complicité entre la première puissance militaire du monde et les entreprises privées globales qui dominent les nouvelles technologies de la sphère Internet institue, en effet, un véritable « complexe sécuritaro-numérique » qui menace de prendre le contrôle de l’État démocratique et de dominer la géopolitique mondiale. Ses caractéristiques les plus inquiétantes étant précisément la banalisation de la surveillance de masse et la tentation du contrôle social intégral. Cette large privatisation de l’espionnage est en train de créer, en démocratie, une nouvelle entité politique – l’« État de surveillance » – face à la puissance de laquelle le citoyen se sent de plus en plus désarmé, désemparé.

Cette cybersurveillance généralisée, qui vise à créer une « docilité des citoyens », ne va-t-elle pas, au contraire, entraîner un nouvel engagement politique. Si oui, à partir de quels leviers ?

Ignacio Ramonet : Les expériences historiques montrent que la simple existence d’un système de surveillance à grande échelle, quelle que soit la manière dont on l’utilise, est en elle-même suffisante pour réprimer les dissidents. Une société consciente d’être surveillée en permanence devient très vite docile et timorée. Mais, arrivée à ce stade, la société produit toujours des résistances.

Vous parlez de la nécessité d’une charte d’Internet ? Quelles sont les forces qui peuvent permettre de résister et de changer la donne ?

Ignacio Ramonet : Beaucoup de militants anticybersurveillance proposent en effet, à l’instar de la Charte de l’ONU, le lancement d’une Grande Charte d’Internet pour définir ce que devraient être les « droits numériques ». Quelles valeurs devons-nous nous efforcer de protéger ? Et comment allons-nous les garantir ? À l’ère numérique, sans un Internet libre et neutre, sur lequel nous pouvons nous appuyer – sans avoir à nous soucier de qui nous espionne en coulisses –, nous ne pouvons pas avoir de gouvernement ouvert. Ni d’authentique démocratie.

Enfant de républicains espagnols ayant fui le franquisme au Maroc, Ignacio Ramonet s’installe en France en 1972. Ancien élève de Roland Barthes, il enseignera la théorie de la communication à l’université Paris-VII. Entré au Monde diplomatique en 1973, il en devient directeur de la rédaction et président du directoire de janvier 1990 à mars 2008. Cofondateur d’Attac, promoteur du Forum social mondial de Porto Alegre, il est l’un des initiateurs du mouvement altermondialiste. Auteur de plusieurs livres de géopolitique et de critique des médias, il est actuellement directeur de l’édition espagnole du Monde diplomatique et président de l’association Mémoire des luttes.

(1) L’Empire de la surveillance, Éditions Galilée, 208 pages, 16 euros.

Entretien réalisé par Pierre Chaillan

 Source : Le Grand Soir, Ignacio Ramonet, 24-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-complexe-securitaro-numerique-menace-de-prendre-le-controle-par-ignacio-ramonet/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Béchade, Onfray, Ukraine, Kepel)

Wednesday 16 March 2016 at 00:21

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Oliver Delamarche : Mario Draghi : “Comment peut-il être aussi idiot ?” – 14/03

Olivier Delamarche VS Alain Pitous (1/2): Mario Draghi a-t-il pris les bonnes décisions ? – 14/03

Olivier Delamarche VS Alain Pitous (2/2): Quelle stratégie Janet Yellen pourrait-elle adopter ? – 14/03

II. Philippe Béchade

Les indés de la finance: “L’abaissement des prévisions de croissance en Europe n’est pas très brillant”, Philippe Béchade – 11/03

Philippe Béchade VS Julien Nebenzahl (1/2): Les banques centrales agissent-elles comme une drogue sur les marchés ? – 09/03

Philippe Béchade VS Julien Nebenzahl (2/2): Janet Yellen et Mario Draghi empruntent-ils les bonnes stratégies ? – 09/03

III. Michel Onfray

IV. Ukraine

Reportage-choc de la chaîne ukrainienne ICTV

V. Kepel

Gilles Kepel : la France “a sous-estimé les soutiens à Bachar”

VI. ScienceEtonnante

Comment est apparu Homo Sapiens ? — Science étonnante #3

Savez-vous comment est apparue notre espèce, Homo Sapiens ? Venez découvrir une histoire bien plus riche que celle qu’on vous a racontée jusqu’ici !

 


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

Je commence par ça, car ça vaut tous les dessins d’humour : le journal “d’opposition” qui prie le gouvernement de tenir bon…

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-bechade-onfray-ukraine-kepel/


DiEM échouera, DiEM perdidi, par Frédéric Lordon

Tuesday 15 March 2016 at 02:42

1515Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 16-02-2016

Carpe diem par Eco Dalla Luna

Carpe diem
par Eco Dalla Luna

 

n’en pas douter, le lipogramme est un exercice littéraire de haute voltige – en tout cas selon la lettre sacrifiée, puisque le lipogramme consiste précisément à tenter d’écrire un texte en renonçant totalement à l’usage d’une certaine lettre. Il fallait tout le talent de Perec pour affronter la mère de tous les lipogrammes en langue française, le lipogramme en « e ». Trois cents pages de livre, La Disparition – forcément… –, sans un seul « e » (Il suffira au lecteur de s’essayer à former une seule phrase qui satisfasse la contrainte pour prendre aussitôt la mesure de l’exploit). Fidèle à la tradition oulipienne, on pourrait généraliser l’exercice et demander de faire une phrase en interdisant certains mots ou groupes de mots (lipolexe ? liporème ? liposyntagme ?). Par exemple demander à Yves Calvi de faire une phrase sans « réforme », ou à Laurent Joffrin sans « moderne », Christophe Barbier sans « logiciel » (« la gauche doit changer de logiciel » – on notera au passage cet indice du désir constant de l’éditocratie que la gauche devienne de droite que jamais personne n’enjoint la droite de « changer de logiciel »), etc. Au grand silence qui s’abattrait alors sur l’espace public on mesurerait enfin le talent exceptionnel de Perec. La langue altereuropéiste elle aussi fait face à ses propres défis lipolexiques. Qu’il ne lui soit plus permis de dire « repli national » et la voilà à son tour mise en panne.

« Le repli national », l’impossible lipolexe de l’altereuropéisme

Sous un titre – « Démocratiser l’Europe pour faire gagner l’espoir » (1) – qui n’est pas sans faire penser au Robert Hue de « Bouge l’Europe » (ou bien à un reste de stage « Power point et communication événementielle »), Julien Bayou, après avoir parcouru réglementairement les évocations de notre « passé le plus sombre », nous met en garde contre « le repli national, même de gauche », et avertit que « la dynamique d’un repli sur des agendas purement nationaux » pourrait « accélérer la défiance entre Européens ». Dans une veine très semblable, Katja Kipping, co-présidente de Die Linke se dit « totalement opposée à l’idée d’un retour aux Etats nationaux » (2). Qui serait « un retour en arrière », pour ainsi dire un repli donc – national. Or, « en tant que gauche, nous devons avoir le regard tourné vers l’avenir » – oui, c’est un propos très fort. Au passage, on se demande quelles sont, à Die Linke, les relations de la co-présidente et du président, Oskar Lafontaine qui, lui, plaide franchement pour un retour au Système monétaire européen (SME), et ce faisant regarde à l’évidence dans la mauvaise direction. Moins de surprise à propos de Yanis Varoufakis, qui répète de longue date son hostilité à toute sortie de l’euro, à laquelle il donne la forme d’un refus de « l’affreux dilemme entre d’un côté notre système actuel en pleine déconfiture, et de l’autre le retour en force de l’idéologie de l’Etat-nation voulue par les nationalistes » (3).

Ce qui frappe le plus dans ces extraits presque parfaitement substituables n’est pas tant leur stéréotypie que la force d’inertie de leurs automatismes et leur radicale imperméabilité à tout ce qui se dit par ailleurs dans le débat de l’euro – et pourrait au moins les conduire à se préoccuper d’objecter aux objections. Mais rien de tout ça n’arrivera plus semble-t-il, en tout cas dans ce noyau dur de « l’autre Europe » qui se retrouve dans le mouvement DiEM (4) de Varoufakis. Tous les liens n’ont pourtant pas été rompus partout à ce point avec la réalité extérieure du débat, et il faut reconnaître avec honnêteté qu’à la suite de l’été grec, bon nombre de ceux qui tenaient la ligne altereuropéiste avec fermeté se sont sensiblement déplacés. Non pas que le débat soit tranché ni les convergences parfaites, mais au moins les exigences dialogiques élémentaires n’ont pas toutes succombé. Pas de ce genre d’embarras à DiEM, où l’automatique de la répétition a parfois des airs de canard à la tête tranchée courant droit devant soi – « repli national ».

Ça n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de dire des choses, et depuis un certain temps déjà. D’avoir fait remarquer par exemple la parfaite ineptie de l’argument « obsidional » qui fait équivaloir sortie de l’euro et retranchement du monde : 180 pays ayant une monnaie nationale, tous coupés du monde ? L’économie française jusqu’en 2002, coupée du monde ? Le Royaume-Uni, déjà hors de l’euro, peut-être bientôt hors de l’UE ? Tellement coupé du monde !

On reste plus perplexe encore du refus borné d’entendre quoi que ce soit des différentes propositions de reconfiguration de l’internationalisme, précisément faites pour montrer qu’il y a bien des manières d’en finir avec l’euro, et parmi elles certaines qui, parfaitement conscientes du péril des régressions nationalistes, travaillent précisément à le contrecarrer. Faut-il être idiot, bouché, ou autiste – on est bien désolé d’en venir à ce genre d’hypothèse, mais c’est qu’on n’en voit guère plus d’autres – pour continuer d’ânonner aussi mécaniquement « repli national » quand on explique qu’il est urgent de développer les liens de toutes les gauches européennes, mais sans attendre une impossible synchronisation des conjonctures politiques nationales, pour préparer celui qui sera en position à l’épreuve de force et à la sortie ? Faut-il être idiot, bouché ou autiste pour continuer de glapir au péril nationaliste quand on fait remarquer que les réalisations européennes les plus marquantes (Airbus, Ariane, CERN) se sont parfaitement passées de l’euro, que si l’intégration monétaire pose tant de difficultés, rien n’interdit – sauf l’obsession économiciste qui ne mesure le rapprochement entre les peuples que par la circulation des marchandises et des capitaux – de concevoir une Europe intensifiée autrement, par d’autres échanges : ceux des chercheurs, des artistes, des étudiants, des touristes, par l’enseignement croisé des littératures, des histoires nationales, par la production d’une histoire européenne, par le développement massif des traductions, etc. ? Mais à quoi sert de répéter tout ceci : dans l’ultime redoute de « l’autre euro » qu’est DiEM, on n’entend plus rien et on ne répond plus à rien – on court tout droit (comme le canard).

Europe démocratique ou Europe anti-austérité ?

Il y a sûrement bien des réserves à garder à l’endroit du plan B, pour l’heure plan de papier dont les volontés réelles sont toujours incertaines, mais dont au moins les intentions, et les créances, internationalistes, elles, sont peu contestables. Mais peu importe, pour lui comme pour les autres, et comme pour tout le monde, ce sera le même tarif : « repli national ». Il est à craindre pourtant que l’internationalisme-contre-le-repli-national soit mal parti s’il se donne pour seul critère l’euro authentiquement démocratisé. Pour toute une série de raisons qui ont été abondamment développées ailleurs (5), l’euro démocratique n’aura pas lieu, en tout cas pas dans son périmètre actuel. Car la démocratisation de l’euro est un processus self defeating comme disent les anglo-saxons : la possibilité croissante qu’il réussisse entraîne la probabilité croissante de la fracture de l’eurozone. Et sa dynamique de succès a donc pour terminus… son échec. On voudrait d’ailleurs, comme un argument a fortiori, poser deux questions simples à Yanis Varoufakis : 1) n’a-t-il pas fait partie de ces gens qui, dès 1992 et le Traité de Maastricht, ont immédiatement vu l’indépendance de la Banque centrale européenne comme une anomalie démocratique majeure (dont on ne se guérira pas par la simple publication des minutes ou quelque autre gadget de « transparence ») ? ; et 2) pourrait-il soutenir sans ciller que les Allemands seraient prêts à abandonner bientôt le statut d’indépendance de la banque centrale ? La question subsidiaire s’ensuit aussitôt qui demande par quel miracle, dans ces conditions, l’euro des dix-neuf pourrait devenir pleinement démocratique…

Mais Varoufakis a pris une telle habitude de se mouvoir dans un entrelacs de contradictions qu’on commence à s’interroger sur les finalités réelles de son mouvement DiEM. C’est qu’en réalité il y a deux « autre-Europe-possible », qu’on fait souvent subrepticement passer l’une dans l’autre, ou l’une pour l’autre : l’Europe anti-austéritaire et l’Europe démocratique. Qu’il puisse se constituer une force politique européenne pour obtenir, au cas par cas, quelques accommodements ponctuels, peut-être même une renégociation de dette (pour la Grèce par exemple), et pouvoir ensuite clamer avoir fait la preuve que l’Europe peut échapper à la fatalité austéritaire, la chose est peut-être bien possible. Et certainement serions-nous mieux avec ces rustines que sans. Mais il faut savoir ce qu’on veut, et savoir en tout cas qu’une Europe démocratique ne consiste pas en une brassée de points de dette en moins, et qu’une faveur de déficit primaire « mais n’y revenez plus » ne remplace pas le droit à délibérer de tout – la définition la plus robuste de la démocratie (et, en passant, de la souveraineté).

Dans ces conditions, il faut dire sans ambages que toute ambition d’une « Europe démocratique » en retrait de ce critère-là – délibérer de tout – a le caractère d’une tromperie. On vante souvent la logique raisonnable du compromis, celle qui, par exemple, pour garder l’Allemagne, et « parce qu’il faut accepter de ne pas tout avoir », concèderait la banque centrale indépendante, ou bien un TSCG « détendu », ou quelque autre chose encore – qui ne voit là la destination réelle de DiEM ? Mais c’est le genre de prévisible maquignonnage qui fait bon marché des principes – derrière lesquels usuellement on s’enveloppe avec grandiloquence, avant de tout céder en rase campagne. Or le principe démocratique ne se modère pas. Ou bien tout ce qui intéresse le destin collectif du corps politique, politiques monétaire et budgétaire comprises et en tous leurs aspects, est offert à la délibération, ou bien ça n’est pas la démocratie. Ne serait-il pas cependant envisageable de trouver un groupe de pays qui, quant à eux, se retrouveraient sur cette question de principe et comprendraient formellement la souveraineté de leur ensemble de la même manière que leurs souverainetés séparées, c’est-à-dire sans restriction de périmètre ? C’est bien possible après tout. Mais ce qui est certain, c’est que ce ne seront pas les dix-neuf actuels, et notamment pas l’Allemagne. Et que, sous cette configuration réduite, à plus forte raison sans l’Allemagne, l’euro d’aujourd’hui aurait vécu.

La stratégie de la désobéissance comme vérification expérimentale

Le secteur de l’altereuropéisme qui a conservé la tête au bout de son cou – il y en a un – semble bien conscient que l’épreuve de force, sous la forme, par exemple, de la désobéissance ouverte à laquelle il appelle désormais plutôt que d’envisager la sortie « brute » et unilatérale, a toute chance de déboucher sur une rupture – au moins, de la rupture, assume-t-il maintenant la possibilité, et c’est un progrès considérable.
Ce préalable qui demande que l’abcès soit ouvert et puis qu’on voie, au lieu de claquer immédiatement la porte, on peut l’accorder tout à fait. Pour ma part je ne l’ai jamais écarté. Mais c’est que, dans l’état où était alors le débat, on en était à seulement faire entendre la possibilité de la sortie. La chose faite et l’idée d’une stratégie de la tension acquise, c’est surtout qu’on peut déjà raconter la fin de l’histoire : ça rompra. Ça rompra, car l’euro démocratique, l’Allemagne n’en veut pas – et n’en voudra pas pour encore un moment. De son point de vue à elle d’ailleurs, il n’y a dans la constitution monétaire qui porte son empreinte aucune carence démocratique. Toutes les sociétés n’ont-elles pas leurs principes supérieurs, leurs points d’indiscutable en surplomb de tout ce qui reste offert à la discussion ? L’Allemagne a les siens, et ses principes supérieurs à elle sont monétaires. C’est ainsi et nul ne pourra lui en faire le reproche. S’il y a des reproches à adresser, ils doivent aller aux inconscients qui se sont toujours refusés à la moindre analyse, qui pensent que les rapports objectifs de compatibilité, ou plutôt d’incompatibilité, sont solubles dans le simple vouloir, qui n’ont jamais mesuré de quels risques il y allait de faire tenir ensemble à toute force des complexions hétérogènes au-delà d’un certain point – notamment quand la même question, monétaire, fait à ce degré l’objet de divergences quant à l’appréciation du caractère démocratique, ou non, de son organisation : terriblement problématique pour certains, aucunement pour d’autres. Est-ce ainsi, à l’aveugle et dans le refus de toute pensée, que DiEM entreprend de « démocratiser l’euro », avec le simple enthousiasme du volontarisme en remplacement de l’analyse ?

Cependant, que la fin de l’histoire soit connue n’empêche pas de se soumettre à une sorte de devoir d’en parcourir toutes les étapes – on évite simplement de se trouver pris de court au moment (anticipé) où les choses tourneront mal… On pourrait arguer à ce propos d’une sorte de pari, mais lucide et sans grand espoir, qui laisserait sa chance au miracle : s’il y a une probabilité même infinitésimale d’un dernier sursaut, ou bien d’une conversion inouïe de l’Allemagne, rendue au point d’avoir à choisir entre elle-même et l’Europe, alors il faut la jouer. La jouer pour s’être assuré de sa position en réalité, et ne pas l’avoir laissée qu’à une conjecture – et l’on peut consentir d’autant plus à cette sorte d’acquit de conscience expérimental qu’en l’occurrence l’affaire devrait être vite pliée…

Il entre aussi dans ce « devoir » la logique plus politique du partage public des responsabilités. Car la question démocratique sera posée à tous, et chacun sera sommé de répondre : si l’on appelle démocratie la prérogative souveraine de délibérer et de décider de tout, comment l’eurozone peut-elle justifier l’anomalie patente d’y avoir soustrait des choses aussi importantes que la politique budgétaire, le statut de la banque centrale, la nature de ses missions, les orientations de sa politique monétaire, etc. ? On verra bien alors qui répond quoi à cette question. C’est-à-dire qui est vraiment démocrate et qui ne l’est pas. À ce moment précis, ceux qui ne pratiquent pas la restriction mentale quant au périmètre de la démocratie seront entièrement légitimes à ne plus vouloir appartenir au même ensemble que ceux qui la pratiquent – puisque c’est bien là l’issue qu’on anticipe : il y aura d’irréductibles opposants à la déconstitutionnalisation des politiques économiques. Aussi, revêtus de leur plein droit à vivre sous une constitution entièrement démocratique, et d’ailleurs prévenus de longue date de cette issue, les démocrates réels pourront désigner les démocrates factices, rompre avec eux, et reprendre en main leur propre destin. L’euro sera mort, mais on saura par la faute de qui.

Mais DiEM ne veut rien voir de tout ceci. Par conséquent DiEM échouera. DiEM échouera parce que l’attente du miracle ne saurait remplacer l’analyse des complexions et des tendances réelles, c’est-à-dire, en l’occurrence, l’analyse de l’impossibilité du miracle. DiEM échouera… et en prime DiEM nous fera perdre dix années supplémentaires – puisque tel est bien l’horizon qu’il se donne à lui-même pour refaire « démocratiquement » les traités. Diem perdidi ? Si seulement : decennium perdidi oui ! Et comme toujours dans ces affaires, les dépenses temporelles sont faites aux frais des populations. On reste d’ailleurs rêveur qu’un ancien ministre grec puisse épouser avec une telle légèreté les perspectives grandioses de l’histoire longue quand son propre peuple, à toute extrémité, et dont il devrait pourtant connaître l’épuisement, ne tiendra plus très longtemps.

Pourtant, à supposer que cette douce négligence temporelle n’ait pas dans l’intervalle ouvert la voie à quelque monstrueuse alternative, DiEM, s’il échouera, n’aura pas fait qu’échouer. À part son intenable promesse, il aura produit autre chose : son mouvement même. Pour sûr, le mouvement échouera – c’est en tout cas la conjecture qu’on forme ici. Mais il restera, après l’échec, le mouvement lui-même. Un mouvement européen. Or, à qui considère avec un peu de conséquence que l’internationalisme réel consiste en le resserrement aussi étroit que possible des liens autres qu’économiques, monétaires et financiers entre les peuples européens, l’idée d’une initiative politique transversale européenne ne peut pas être accueillie autrement qu’avec joie, et ceci quel que soit son destin : elle est bonne par elle-même. DiEM échouera donc, mais pas tout à fait pour rien.

Post-scriptum : du désir collectif de bifurcation

Les illusions de DiEM mises à part, il se pourrait que le paysage de la question de l’euro à gauche soit en cours de clarification. Mais qu’en est-il au sein des populations mêmes ? Quand tout lui échappe, il reste toujours à l’éditocratie la planche de salut des sondages frauduleux. Elle en aura recueilli du monde cette planche-là, lors de l’été grec 2015 : « la population ne veut pas » – c’étaient les sondages qui l’assuraient. Mais les sondages n’assurent rien d’autre que leur propre ineptie quand ils posent à brûle-pourpoint une question à des personnes dépourvues du premier moyen, notamment temporel, d’y réfléchir, individuellement et surtout collectivement. Comme on sait les sondages de janvier 2005 donnaient le TCE gagnant haut la main – malheureusement pour eux, cinq mois plus tard, après un vrai débat… Si un sondage n’a de sens qu’après (et non avant) un débat collectif, force est de constater que, de débat sur la sortie de l’euro, il n’y en aura jamais eu d’ouvert en Grèce. D’abord parce que Tsipras n’en voulait à aucun prix, ensuite parce que la minorité de la Plateforme de gauche, qui était la plus désireuse de le porter, s’est tenue à une obligation de solidarité gouvernementale et de silence jusqu’au 13 juillet 2015 – et quand personne ne propose au pays l’ouverture d’un authentique débat politique, il reste… la bouillie des sondages.

Il est bien certain qu’en France, par exemple, où la situation est infiniment moins critique qu’en Grèce, les incitations à ouvrir le débat y sont encore plus faibles. C’est que les effets de la contrainte européenne, quoique très réels, n’y ont pas pris le caractère extrêmement spectaculaire qu’ils ont revêtu en Grèce ou au Portugal, et que dans ces conditions la question de l’euro reste une abstraction au trop faible pouvoir d’« embrayage ». Mais c’est au travail politique qu’il appartient de faire « ré-embrayer », c’est-à-dire de construire les problèmes, et en l’occurrence de rendre perceptibles, on pourrait presque dire sensibles, les abstractions lointaines, et pourtant opérantes, de la monnaie européenne.

En réalité, on le sait bien, l’obstacle principal à une proposition politique de sortie de l’euro est d’une autre nature : la peur. Et plus précisément la peur de l’inconnu. C’est un affect politique très général qui sert ici d’ultime rempart à la monnaie européenne, une asymétrie qui a toujours servi de soutènement à l’état des choses, et qui voit les peuples préférer un désastre connu à un espoir assorti d’inconnu, la servitude dont ils ont l’habitude à une libération risquée. La « catastrophe », voilà alors le destin systématiquement promis à ceux qui oseraient.

À DiEM, pas moins qu’ailleurs, on n’est pas feignant de l’évocation apocalyptique – « le cataclysme qu’entrainerait la sortie de l’euro », prophétise l’économiste Julien Bayou . Il n’est pas une année depuis le début de leur crise où l’on n’ait averti les Grecs du « désastre » qui les attendait si jamais leur venait l’idée de s’extraire. Mais au juste, comment pourrait-on nommer la situation où ils ont été rendus selon les règles européennes… sinon un désastre ? 25% d’effondrement du PIB, 25% de taux de chômage, plus de 50% chez les moins de 25 ans, délabrement sanitaire, misère, suicides, etc., est-ce que ce ne serait pas par hasard le portrait-type du désastre ?

La grande force de l’ordre en place, c’est qu’il tolère les désastres accomplis dans les règles, selon ses conventions

La grande force de l’ordre en place, c’est qu’il tolère les désastres accomplis dans les règles, selon ses conventions, et qu’en réalité le pire désastre n’y recevra jamais la qualification de désastre – celle-là on la réserve à toute expérience alternative et à la première difficulté qu’elle rencontrera. L’ordre en place peut avoir échoué pendant des décennies, on n’en réclamera pas moins de la politique qui rompt avec lui qu’elle réussisse dans le trimestre, sous le regard distordu des médias bien sûr, certificateurs asymétriques des « désastres ».

Alors oui, toutes les entreprises de transformation politique en général, celle de la sortie de l’euro en particulier, doivent compter avec ces effets, et d’abord avec la peur, la préférence pour le désastre connu. Aussi faut-il que le corps politique soit porté à un point de crise intolérable, pour qu’il consente enfin à révoquer ses habitudes et à envisager de nouveau des voies inédites. Ce point d’intolérable, c’est le point où même l’asymétrie est défaite, le point où le connu est devenu si haïssable que même l’inconnu lui est préféré. Où se situe ce point, nul ne le sait – sans doute très loin, à voir ce que le peuple grec a enduré sans l’avoir encore rencontré. La réduction de la distance qui nous en sépare pourtant n’est pas laissée qu’au travail des causes extérieures. Le travail politique a aussi pour effet de le déplacer, en faisant voir comme anormal ce que l’idéologie en place donne pour normal, comme… désastreux ce qu’elle donne pour habituel, comme contingent ce qu’elle donne pour naturel. Et surtout comme possible ce qu’elle donne pour impossible.

On n’a d’ailleurs jamais si belle attestation du mensonge de l’impossibilité que lorsque c’est l’ordre en place lui-même qui, pour se sauver de l’écroulement, révoque d’un coup ses propres partages allégués du faisable et de l’infaisable. Ainsi à l’automne 2008, où l’on ne compte plus les choses faites qui quelques mois à peine auparavant auraient été déclarées délirantes – procédures extraordinaires des banques centrales, nationalisations flash et massives, oubli soudain du droit européen des aides d’Etat, etc. Mais si tout peut de nouveau être envisagé quand il s’agit pour le système de se sauver lui-même, pourquoi tout ne pourrait-il pas l’être quand il s’agit de le congédier ?

Frédéric Lordon

Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 16-02-2016

Source: http://www.les-crises.fr/diem-echouera-diem-perdidi-par-frederic-lordon/


Frédéric Lordon, l’intransigeant colérique, par Philippe Douroux

Tuesday 15 March 2016 at 01:00

Encore un “bel article” à charge de Libération…

Un vrai concentré “d’intelligence journalistique”

Amitiés à Frédéric, indispensable

Source : Libération, Philippe Douroux, 29-02-2016,

Lordon

Le philosophe et économiste souverainiste Frédéric Lordon pratique le coup de poing idéologique et prône un «soulèvement» contre les tenants du système. De quelle nature ? Nous n’aurons pas la réponse, puisqu’il refuse tout débat, sauf quand l’exposition médiatique lui semble suffisante.

S’engueuler tout de suite, sans attendre, avant que l’envie d’écouter l’autre ne vous prenne. A quoi bon écouter, à quoi bon discuter quand on sait que l’on a raison. Frédéric Lordon a raison et il pratique, très logiquement, le coup de poing idéologique, une forme de close-combat intellectuel dont le but est de rendre l’adversaire incapable de répliquer. Professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), polémiste vivifiant, il a le physique de son discours : sec, solide et musclé. Il aurait fait merveille dans les services d’ordre qui encadraient les 1er Mai de l’extrême gauche. Mais il est né trop tard, le 15 janvier 1962, pendant que se discutaient les accords d’Evian.

Pourquoi s’intéresser à Frédéric Lordon ? Parce qu’il représente, sans doute, la quintessence extrême, le plus petit échantillon de cette manière un peu rude et parfois violente de mener le débat. Emmanuel Todd a adopté une posture similaire : on assène les arguments qui deviennent indiscutables. Résultat : on est pour ou contre. Pas de lieu commun pour un débat.

Qui est Frédéric Lordon ? Disons-le tout de suite, il refuse de participer à tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un portrait. Il refuse, en outre, de répondre aux questions, aux invitations, aux sollicitations de Libération. Le journal de Jean-Paul Sartre a trahi la cause du peuple, alors on ne parlera pas au «chantre de la modernité néolibérale».Publiquement, il explique que Libération, c’est «le caniveau»responsable d’avoir donné la parole aux économistes et d’avoir introduit, dans le débat public, Patrick Artus, Daniel Cohen, Olivier Blanchard ou Thomas Piketty et d’autres qu’il traite de «crapules»devant un parterre acquis à sa cause. Ils sont 200, peut-être plus, réunis pour un forum économique à Aix-en-Provence.

Ce refus de s’adresser à un journaliste de Libération, par ailleurs complice et responsable des turpitudes du journal pour avoir été chef du service Economie, sous l’autorité de Serge July, oblige à repartir de zéro, c’est-à-dire de son curriculum vitæ. Sur le site des Economistes atterrés, le curriculum vitæ se réduit à sa plus simple expression : «DR», pour directeur de recherches, et «CNRS», pour la case employeur. Pas grand-chose de plus sur Internet. Il faut donc extraire le curriculum vitæ déposé auprès du CNRS pour suivre son parcours, qui commence avec un diplôme d’ingénieur civil de l’Ecole des ponts et chaussées, promotion 1985. Peut-être l’envie de manier le manche de pioche vient-elle de cette époque.

Ensuite, on le retrouve sur les bancs de l’Ecole des hautes études commerciales (HEC), pour un troisième cycle, à l’Institut supérieur des affaires (ISA). Nul n’est parfait. Un DEA et une thèse de doctorat soutenue à l’EHESS, en mars 1993, l’installent comme économiste et un rattachement à la section 35 du CNRS, en 2012, l’autorise à se présenter comme philosophe. Frédéric Lordon est donc économiste, philosophe mariant les deux disciplines avec intelligence dans, entre autres, son Essai d’anthropologie économique spinoziste (1).

Mauvais procès

Après, il faut écouter ce que dit Frédéric Lordon et reconnaître qu’il fait du bien à l’heure finissante du ni droite ni gauche, du «tout le monde a un peu raison». On peut lire la page courrier des lecteurs du Figaro ou lire Lordon pour retrouver son sens de l’orientation. Les uns et les autres fournissent des points d’appui pour s’extraire des sables mouvants.

Si la lecture de ses ouvrages rebute à force d’être difficile d’accès, il se débrouille parfaitement dans les médias. Et si Frédéric Lordon ne parle pas à Libération (2), ça ne l’empêche pas de débattre sur France 2 dans Ce soir (ou jamais !), l’émission de Frédéric Taddeï, avec Thomas Piketty, alors chroniqueur à Libé, et d’accepter l’invitation de Nicolas Demorand, ancien directeur de la rédaction du journal honni, pour répondre aux questions des auditeurs pour Le téléphone sonne, sur France Inter.

Que dit Frédéric Lordon ? Qu’il faut déconstruire une Europe qui n’a plus rien de démocratique, que l’austérité tue le malade, que l’euro est mort et qu’il faut revenir au franc, à la drachme ou à la peseta, et que la France doit retrouver sa souveraineté. Dit comme ça, caricaturalement, on peut se dire qu’il s’agit de propos de tribune sans grand intérêt, proches du Front national. Ce serait un mauvais procès. Il argumente et pose le problème. «L’Europe est-elle démocratique ?» lui demande Nicolas Demorand, sur l’antenne de France Inter. «La réponse est non, nous ne sommes pas en démocratie. […] Le caractère non démocratique de la construction européenne est inscrit dans ses traités. Les traités sont l’équivalent d’un texte constitutionnel qui devrait régir l’organisation du débat politique par des représentants interposés, sans présager du résultat de cette délibération parlementaire. Or, précisément, les traités européens préjugent de ce que doit être la politique monétaire, de la politique budgétaire et ils sont irréversibles […] alors que ces dispositions devraient tomber dans le périmètre de délibérations parlementaires.» Voilà posé ce que beaucoup appellent un «déficit de démocratie». Comment en sortir ? La réponse de Frédéric Lordon tombe comme un couperet : «Les chances de réformes sont nulles.» Là, on approche de la zone dangereuse, Frédéric Lordon devient punk : «No Future». Avec cette posture, on en vient logiquement à n’avoir que des ennemis, et on assiste à un émiettement consciencieux et quasi systématique de la gauche de la gauche.

Frédéric Lordon ne s’arrête pas là. Le Monde en général, Edwy Plenel et Laurent Mauduit, cofondateurs de Mediapart sont dans le même bateau des traîtres. En d’autres temps, on parlait des «sociaux traîtres.» A l’été 2012, alors que Frédéric Lordon vient de débattre avec courtoisie au côté de Laurent Mauduit, il sort les couteaux dans un forum du Monde diplo. Pour qualifier l’ancien journaliste de Libération et du Monde, il évoque l’acteur principal «de la conversion de la gauche, je veux dire de la fausse gauche, de la gauche de droite, je veux dire de la fraction modérée de la droite au social-libéralisme».Et contre ceux qui ont retourné leur veste, il prévient : «J’ai mauvais caractère, je ne pratique par le pardon des péchés et, en plus, j’ai des archives bien tenues.» Bref, pour ceux qui n’auraient pas compris, il revendique «la colère» comme mode d’expression.

«Unanimité médiatique»

L’analyse de Thomas Piketty, déçu par un Parti socialiste qui a oublié de réaliser la réforme fiscale capable de lutter contre l’approfondissement des inégalités, fait-elle avancer le débat ? Frédéric Lordon y va à la hache. Il reconnaît l’ampleur du travail mené par l’économiste, mais rejette l’ensemble avec un argument étrange. Tout le monde salue le Capital au XXIe siècle ; il est donc suspect. Dans le Monde diplomatique, en avril 2015, Frédéric Lordon se lance dans une critique sans nuances. Dès les premières lignes, il évoque une «tromperie inséparablement intellectuelle et politique, dont le plus sûr indice est donné, en creux, par une unanimité médiatique sans précédent». Il poursuit : «Il faudrait vraiment que le monde ait changé de base pour que Libération, l’Obs, le Monde, l’Expansion et aussi le New York Times, le Washington Post, etc. communient à ce degré de pâmoison.» Voilà l’ennemi : le reste du monde.

Il ne reste donc, en définitive, que le Monde diplo, qui héberge son blog, la Pompe à phynance, avec lequel il mène un compagnonnage un peu distant, ou les Economistes atterrés avec lesquels il cultive le dedans dehors. On pourrait appeler ça le syndrome de Spinoza. Baruch Spinoza que Frédéric Lordon a longuement fréquenté et préfère finir seul, enfermé avec sa bibliothèque, exclu par la communauté juive d’Amsterdam, plutôt que de renoncer à ses idées. Personne ne donnera tort à Spinoza, mais sa solitude ne fonde pas sa raison.

Violence symbolique

De toute manière, à quoi bon débattre, encore faudrait-il que l’échange d’idées lui-même ait un sens. Il n’en a pas : «L’incrustation institutionnelle est tellement profonde que l’on n’arrivera pas à s’en débarrasser avant une décennie.» Il évoque un «soulèvement». Il faut «leur faire peur», répète-t-il sans donner plus de contenu à cette intention. Au XIXe siècle, on parlait du nihilisme. Dans les années 70, en France, en Allemagne ou en Italie, cela s’appelait le terrorisme, ou la lutte armée. Frédéric Lordon s’arrête à la violence symbolique portée par des mots dont il ne dit pas qu’ils dépassent sa pensée. On s’interrogera plus tard sur la responsabilité de l’intellectuel si des petites mains passent à l’acte en reprenant les mots d’Aragon dans Front rouge : «Descendez les flics / Camarades / Descendez les flics[…]. Feu sur Léon Blum […]. Feu sur les ours savants de la social-démocratie.» Le poète admirateur de Staline écrivait cela au début des années 30, peu de temps avant que Moscou ne valide la stratégie d’union avec la SFIO au sein du Front populaire.

Quand il dit, publiquement, «il faut leur mettre les jetons» aux gens de la finance, quand il prône «le soulèvement», lui-même semble un peu embarrassé.

Un jour qu’il entre au cinéma, il se retrouve avec Baudouin Prot, alors patron de la BNP, il songe bien à en venir aux poings, se propose de lui raser le crâne, comme il le raconte lui-même dans un colloque organisé par le Monde diplomatique, mais, finalement, il va s’installer dans la salle. Il était visiblement très en colère ce soir-là.

(1) L’Intérêt souverain. Essai d’anthropologie économique spinoziste, coll. Armillaire, aux éditions La Découverte, 250 pp., 2006, réédition Poche, augmentée d’une préface inédite, 2011.

(2) Nous avons eu un échange de mails avec Frédéric Lordon qui se termine par une injonction : «Ce dont il ne saurait être question également, c’est que la moindre partie de notre présent échange perde son caractère strictement privé.» Un off épistolaire en quelque sorte qui place son interlocuteur dans une position intenable.

Philippe Douroux

Source : Libération, Philippe Douroux, 29-02-2016,

Source: http://www.les-crises.fr/frederic-lordon-lintransigeant-colerique-par-philippe-douroux/


[Vidéo] Faut-il croire au réchauffement climatique ? — Science étonnante #20

Tuesday 15 March 2016 at 00:01

Source : Science étonnante, Youtube, 27-11-2015

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Vous y croyez, vous, au réchauffement climatique ? Vraiment ?
Oui, probablement. Enfin peut-être. En tout cas c’est ce qu’on nous dit. Mais vous êtes sûrs ?
Dans cette vidéo, on va se demander si physiquement parlant, il est raisonnable de croire à l’idée du réchauffement climatique induit par l’homme.

Source : Science étonnante, Youtube, 27-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/video-faut-il-croire-au-rechauffement-climatique-science-etonnante-20/


Donald Trump inquiète l’Allemagne

Monday 14 March 2016 at 04:28

OB : Petite analyse du Trump Bashing.

C’est très intéressant finalement, car on retrouve les méthodes poutinophobes classiques.

Ce qui montre bien, finalement, que le fait qu’on parle pour Poutine de la Russie n’a pas d’importance vraiment décisive.

Le tout est juste d’être un ennemi du Système, de refuser la mondialisation – et ce même si le type est un milliardaire de droite !

Donald Trump inquiète l’Allemagne

Source : Le Monde, AFP, 06-03-2016

« Donal Trump, Marine Le Pen ou Geert Wilders ne représentent pas seulement une menace pour la paix et la cohésion sociale mais aussi pour le développement économique », affirme le vice-chancelier allemand (SPD) Sigmar Gabriel. Gerald Herbert / AP En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/elections-americaines/article/2016/03/06/donald-trump-inquiete-l-allemagne_4877423_829254.html#MLxwRLcosd3eVf1V.99

« Donal Trump, Marine Le Pen ou Geert Wilders ne représentent pas seulement une menace pour la paix et la cohésion sociale mais aussi pour le développement économique », affirme le vice-chancelier allemand (SPD) Sigmar Gabriel. Gerald Herbert / AP

Le milliardaire américain Donald Trump, favori du Parti républicain dans la course à la Maison Blanche, représente une menace pour la paix, la cohésion sociale et la prospérité, déclare le vice-chancelier allemand (SPD) Sigmar Gabriel au quotidien dominical Welt am Sonntag.

M. Gabriel y compare le magnat de l’immobilier, qu’il qualifie de « populiste de droite », comme Marine Le Pen en France et Geert Wilders aux Pays-Bas

« Qu’il s’agisse de Donald Trump, de Marine Le Pen ou de Geert Wilders, ces trois populistes de droite ne représentent pas seulement une menace pour la paix et la cohésion sociale mais aussi pour le développement économique. […] Les populistes de droite promettent à leurs partisans de revenir à un monde de conte de fées où il n’y a de vie économique qu’à l’intérieur des frontières nationales. »

Sigmar Gabriel, qui est aussi ministre de l’économie, souligne que les pays ne peuvent prospérer par un isolement volontaire, mais que, dans les puissances exportatrices comme l’Allemagne, il faut « faire l’effort d’expliquer comment bâtir une mondialisation équitable ».

OB : on est bien d’accord, le vice-chancelier “socialiste” allemand vient non seulement de dire que Trump était une “menace pour la paix”, mais EN PLUS, que, plus grave, il était aussi menace pour le développement économique !!! Mais il y a vraiment des dingues au pouvoir…

Merkel ne connaît pas Trump et rend hommage à Hillary Clinton

Appelée dans une interview séparée au quotidien Bild am Sonntag à se prononcer sur Donald Trump, la chancelière Angela Merkel se contente de répondre : « Je ne le connais pas personnellement. »

Interrogée sur les critiques acerbes de Trump contre sa politique d’accueil des réfugiés, qu’il a qualifiée d’« insensée », la chancelière a indiqué qu’elle « ne [voyait] pas de raisons de répondre à cela ».

Mme Merkel rend hommage à la favorite du Parti démocrate Hillary Clinton pour l’élection présidentielle :

« J’apprécie son expérience politique approfondie, son engagement en faveur des droits des femmes, de la protection de la famille et de la santé. […] J’apprécie sa pensée stratégique et le fait qu’elle soit une fervente partisane du partenariat transatlantique. […] A chaque fois que j’ai travaillé avec Hillary Clinton, cela a été avec un grand plaisir. »

Source : Le Monde, AFP, 06-03-2016

Donc la chancelière de “droite”, soutient le candidat de “gauche” américain, tout va bien.

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Pour mémoire :

Débat à Londres pour «interdire» Donald Trump d’entrée au Royaume-Uni

Source : Le journal de Montréal, AFP, 18-01-2016

Les députés britanniques ont commencé à débattre lundi de l’opportunité d’interdire Donald Trump de séjour au Royaume-Uni.

Les députés britanniques ont commencé à débattre lundi de l’opportunité d’interdire Donald Trump de séjour au Royaume-Uni.

Des députés britanniques ont étrillé lundi le milliardaire américain et candidat à la Maison Blanche Donald Trump, qualifié de «corrosif, vénéneux» voire «imbécile», lors d’un débat de trois heures, sans vote, sur une éventuelle interdiction de séjour au Royaume-Uni.

Les discussions ont souvent été passionnées, mais elles n’ont qu’une portée symbolique puisque le gouvernement britannique, seul habilité à prononcer une telle interdiction, a déjà annoncé qu’elle n’appliquerait pas une telle interdiction.

Aucun vote n’avait d’ailleurs été prévu à l’issue du débat parlementaire organisé dans une petite pièce à Westminster Hall et non à la Chambre des Communes proprement dite.

Ce débat intervenait après le succès d’une pétition qui a recueilli plus de 574 000 signatures et demandant l’interdiction de séjour de Donald Trump au Royaume-Uni après ses déclarations contre les musulmans.

Faisant fi des critiques évoquant une «perte de temps» voire une «hypocrisie», le député travailliste Paul Flynn, qui présidait le débat, a souligné qu’il était «très difficile» d’ignorer une pétition ayant reçu plus d’un demi million de signatures.

 «On a vu aujourd’hui le Parlement à son tout meilleur», a-t-il assuré en clôture d’échanges très animés.

Comme une majorité de députés, il s’est déclaré opposé à une interdiction de séjour pour M. Trump, malgré des remarques «extrêmement dangereuses», car cela lui conférerait un rôle «de martyre». Il a estimé préférable de recevoir le candidat républicain «avec courtoisie» et de lui demander de trouver ces zones où la police aurait “soi-disant peur de se rendre à Londres”. La travailliste Naz Shah, députée de Bradford West, l’a aussi conviée à venir goûter «un curry».

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D’autres députés ont été plus caustiques.

«Donald Trump est un imbécile. Il a le droit d’être un imbécile. Il n’a pas le droit d’être un dangereux imbécile sur nos terres», a notamment clamé le député travailliste Jack Dromey.

Sa collègue Tulip Siddiq a estimé qu’il fallait «empêcher cet homme corrosif et vénéneux, qui salit l’ensemble de la communauté musulmane, d’entrer dans le pays».

Une députée du SNP, Anne McLaughlin, a, elle, présenté ses «excuses pour les origines écossaises de M. Trump».

L’Écosse, d’où est originaire la mère du milliardaire américain, avait déjà pris ses distances avec le candidat républicain en lui retirant notamment un doctorat honorifique et un titre d’ambassadeur d’affaires.

Certains députés, à l’image du conservateur Edward Leigh, ont cependant regretté que le parlement soit «tombé dans le piège» et que le débat offre une publicité gratuite à M. Trump.

La vice-présidente de l’entreprise écossaise Trump International Golf Links, Sarah Malone a elle estimé lundi «absurde de perdre un temps parlementaire précieux pour débattre de questions soulevées dans le cadre de la campagne présidentielle américaine». Elle a également rappelé que son patron investissait des centaines de millions d’euros en Ecosse.

Donald Trump s’était attiré une pluie de critiques dans le monde entier après avoir proposé début décembre d’empêcher les musulmans d’entrer aux Etats-Unis à la suite de la mort de 14 personnes dans une fusillade à San Bernardino, en Californie.

Il avait de plus affirmé qu’il existait à Paris et à Londres des zones radicalisées où les policiers refusaient d’entrer, une assertion immédiatement démentie dans les deux capitales.

Le Premier ministre britannique David Cameron avait qualifié ces déclarations de «clivantes, stupides et fausses». «S’il venait dans notre pays, nous serions tous unis contre lui», avait-t-il ajouté.

Source : Le journal de Montréal, AFP, 18-01-2016

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Pour Vladimir Poutine, Donald Trump est un “homme brillant et plein de talent”

Source : Huffington Post, 17-12-2015

Russian President Vladimir Putin speaks during his annual end-of-year news conference in Moscow, Russia, December 17, 2015. REUTERS/Maxim Zmeyev - RTX1Z32R

INTERNATIONAL – Encore une sortie à contre-courant pour Vladimir Poutine. Selon le chef du Kremlin, le candidat à la primaire républicaine aux Etats-Unis, Donald Trump, est un “homme brillant et plein de talent”, le “favori incontesté de la course présidentielle”, a-t-il déclaré ce jeudi 17 décembre cité par les agences russes.

“Il dit qu’il souhaite un autre niveau de relations, des relations plus étroites, plus profondes, avec la Russie, comment pourrait-on ne pas saluer cela ? Evidemment que nous le saluons”, a déclaré Vladimir Poutine cité par des agences russes après sa conférence de presse annuelle devant près de 1.400 journalistes russes et étrangers.

“Sa façon de parler et ce qui lui permet d’augmenter sa popularité” ne concernent pas la Russie, a déclaré le président russe à propos du milliardaire Donald Trump, 69 ans, qui a multiplié les déclarations provocatrices.

“Poutine n’aime pas Obama du tout”

Si le président russe se montre bienveillant avec celui qui a déclaré récemment qu’il faudrait interdire d’entrée aux États-Unis les musulmans, Donald Trump s’est aussi récemment trouvé des points communs avec Vladimir Poutine. Le mois dernier en effet, le candidat à la primaire républicaine avait déclaré qu’il pourrait “probablement très bien s’entendre avec Vladimir Poutine”, car il “n’aime pas Obama du tout”. Il avait en effet estimé qu'”une partie du problème entre l’Ukraine et les Etats-Unis vient du fait que Vladimir Poutine ne respecte absolument pas (le) président” Barack Obama.

“Tant que (Poutine) attaque l’EI, je suis pour” les bombardements russes en Syrie, avait-il ajouté au cours d’un entretien diffusé sur la chaîne chaîne CBS.

Joseph Blatter, un “homme respectable”

Plus tôt dans la journée, le chef du Kremlin avait affiché son soutien à une autre personnalité controversée, le président démissionnaire de la Fifa, Sepp Blatter. “Joseph Blatter a fait un travail considérable pour le football mondial. Sa contribution dans le domaine humanitaire est colossale (…) Voilà la personne à qui il faut donner le prix Nobel de la Paix”, a-t-il affirmé lors de sa conférence de presse annuelle, alors que la Fifa est ébranlée par plusieurs scandales de corruption concernant, notamment, les conditions d’attribution du Mondial-2018 à la Russie.

“Il a toujours utilisé ou cherché à utiliser le football pour développer l’amitié entre les peuples”, a ensuite ajouté le président russe. “Aucun pays n’a le droit d’étendre sa juridiction à d’autres gouvernements, encore moins à des organisations internationales”, a continué Vladimir Poutine, alors que certains des plus hauts dirigeants de la Fifa ont été arrêtés en Suisse à la demande de la justice américaine.

Source : Huffington Post, 17-12-2015

OB : C’est là que c’est très intéressant. Parce que les médias se sont gaussés sur la considération affichée par Poutine pour en remettre une couche sur la Poutinophobie.

Alors que Poutine a juste conscience que son métier consiste à faire en sorte de gérer au mieux des intérêts russes les relations de la Russie avec les USA, et que Trump pourrait être le prochain Président.

Et que par rapport à son métier, uriner sur son pantalon n’est pas la meilleure façon de commencer une relation.

Donc Poutine use de langue de bois classique en diplomatie pour ne pas insulter l’avenir – pensant sans doute que certaines déclarations de Trump sont à vomir.

Et pendant ce temps, on a des clowns en Europe qui continuent avec leur “diplomatie des valeurs”, qui est juste une excellente façon de créer du conflit…

P.S. Oups, j’avais oublié ça :

schultz

Président du Parlement Européen le clown…

VIDÉO. Donald Trump comparé à Adolf Hitler par de nombreuses personnalités politiques et médiatiques américaines

Source : Huffington Post, Paul Guyonnet, 08-03-2016

ÉTATS-UNIS – “S’il vous plaît, arrêtez de voter pour Donald Trump. C’était amusant cinq minutes, mais ce type, c’est Hitler.“ Samedi 5 mars, le comédien Louis C.K. a fait parler de lui avec un email adressé à ses fans dans lequel il les implorait de ne pas soutenir celui qui domine pour le moment la primaire républicaine en vue de l’élection présidentielle américaine de la fin d’année.

Un cri d’alerte qui n’hésite pas à comparer le magnat de l’immobilier à Adolf Hitler. Mais l’acteur n’est pas le premier à faire cette comparaison entre Trump et leader de l’Allemagne nazie.

Depuis le début de la course à l’investiture au sein du Grand Old Party, nombreuses sont les personnalités politiques et médiatiques qui ont tenu à mettre en garde l’électorat américain contre un candidat aux innombrables dérapages et aux propositions plus que douteuses, comme le montre notre vidéo en tête d’article.

“Un drôle de personnage qui dit ce que certains pensent”

Dans le magazine Newsweek, c’est par exemple la demi-sœur d’Anne Frank, Eva Schloss qui a pris position contre le milliardaire. “Si Donald Trump devenait le prochain président des États-Unis, ce serait un désastre complet”, expliquait-elle. “Je pense qu’il se comporte comme Hitler en incitant au racisme.”

De la même manière, l’humoriste et présentateur sur HBO, Bill Maher, mais aussi les comédiens du “Saturday Night Live”, le républicain John Kasich ou encore l’éditorialiste pourtant très conservateur Glenn Beck ont tous comparé les deux hommes. La justification de ce rapprochement ? Pour Beck par exemple, c’est la crainte de voir l’Amérique voter pour “un candidat amusant, qui dit tout haut ce que certains pensent”, avant de se retrouver gouvernée par un dangereux tyran.

Déjà interrogé sur ces comparaisons, Donald Trump n’avait alors pas semblé plus inquiet que cela. Alors en pleine polémique concernant sa proposition d’interdire l’entrée sur le territoire national aux Musulmans, il n’avait pas hésité à se comparer à un ancien président : Franklin Delano Roosevelt. “Ce que je fais n’est pas différent de la solution de FDR pour les Allemands, les Italiens, les Japonais”, assurait-il en évoquant en creux des camps d’internement. “Il [Roosevelt] a fait la même chose, et si vous regardez de près, il a même fait bien pire.”

Source : Huffington Post, Paul Guyonnet, 08-03-2016

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L’humour du week-end : quand les médias qui “informent” le public vérifient que celui-ci a bien tout gobé…

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Pour avoir un peu d’infos non déformées, le débat républicain en VO

Débat de Donald Trump sur CNN du 02/25/2016

Source : Youtube, 26-02-2016

Le débat de CNN du 25-02-2016 avec Donald Trump contre ses rivaux Marco Rubio et Ted Cruz  pour l’Investiture républicaine à la présidentielle 2016.

Source : Youtube, 26-02-2016

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Source: http://www.les-crises.fr/donald-trump-inquiete-lallemagne/


Mario Draghi peut-il encore convaincre de l’efficacité du QE ? Par Romaric Godin

Monday 14 March 2016 at 03:31

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10/03/2016

Mario Draghi a mis beaucoup de ses forces dans la bataille ce 10 mars. (Crédits : © Ints Kalnins / Reuters)

Mario Draghi a mis beaucoup de ses forces dans la bataille ce 10 mars. (Crédits : © Ints Kalnins / Reuters)

La BCE change de braquet en tentant d’agir plus directement sur l’économie réelle. Mais rien ne se fera sans retour de la confiance dans l’efficacité de ces mesures. Mario Draghi peut-il encore convaincre ?

Ces annonces de la BCE du 10 mars marqueront sans doute une nouvelle étape dans la (courte) histoire de la politique monétaire européenne. Certes, une partie des mesures annoncées par Mario Draghi s’inscrivent dans la continuité et sont un renforcement « quantitatif » du programme. Les rachats d’actifs sont élargis de 20 milliards d’euros mensuels (soit un tiers de plus), les taux sont encore abaissés et le programme de prêts à long terme aux banques est encore réactivé.

Les rachats de dette privée

Mais la BCE a pris un nouveau tournant en tentant d’atteindre directement l’économie réelle. Pour cela, deux mesures nouvelles ont été prises. L’élargissement à l’univers de la dette privée des rachats d’actifs et le fonctionnement du TLTRO. En acceptant pour la première fois, et à la surprise de beaucoup, de racheter de la dette d’entreprises, la BCE reconnaît qu’il existe un problème de transmission de sa politique par le secteur bancaire. La décision de porter de 33 % à 50 % la part de ce que la BCE peut racheter pour les agences supranationales, comme la Banque européenne d’investissement (BEI) va dans le même sens.

Le TLTRO II

L’autre mesure prise est celle des prêts à long terme aux banques de 4 ans, baptisés dans le jargon de la BCE TLTRO. Ces prêts sont d’une nouvelle sorte que ceux mis en place jusqu’ici. Dans sa version précédente, le TLTRO I, la BCE posait une condition pour la participation des banques à ce mode de refinancement : qu’elles disposent d’un important portefeuille de prêts aux entreprises. Sans être absolument inefficace, ce dispositif s’est révélé insuffisant. Le TLTRO II passe donc à la vitesse suffisante : les conditions d’accès ne changent pas, mais les banques qui auront au cours de la vie du prêt augmenté leur stock de prêts verront leur taux baisser jusqu’à la différence entre le taux de refinancement (taux de départ) et le taux de dépôt. Concrètement, ceci signifie qu’une banque peut espérer être rémunérée à hauteur de 0,4 % de son emprunt auprès de la BCE. En clair : la BCE subventionne directement les prêts bancaires. Là encore, c’est une tentative pour agir plus concrètement sur les prêts bancaires.

La logique du dispositif de la BCE

La BCE est donc allée très loin. Mario Draghi teste la patience allemande jusqu’à ses limites et il fait preuve d’audace. Il a aussi pris acte du fait que la politique monétaire non conventionnelle telle qu’elle l’a pratiquait jusqu’ici ne suffit pas. Elle passe donc à un niveau supérieur, celui de « contourner » le secteur bancaire et de l’inciter plus directement. Comme l’a souligné Mario Draghi, il existe une « synergie », une « logique d’ensemble » dans cette démarche. L’incitation des banques à prêter ne s’appuie donc plus que sur le seul taux interbancaire négatif, il est complété par un mécanisme, le TLTRO II, qui permet aux banques de compenser les effets des taux négatifs sur leur rentabilité tout en les incitant à prêter avec une récompense directe. Parallèlement, les banques vont devoir faire face à la concurrence du marché obligataire soutenu par les rachats de la BCE. Bref, le nouveau dispositif est centré sur la reprise du crédit et de l’activité.

L’obligation de convaincre

A cela s’ajoute l’effet psychologique escompté par Mario Draghi. Le président de la BCE devait absolument effacer l’effet désastreux du 3 décembre, où il avait déçu les marchés. Il devait donc frapper très fort. L’annonce de nombreuses mesures, d’un « paquet complet et cohérent » avait cette fonction. La baisse des taux de refinancement, peu significatifs, avait la fonction de participer à cette « effet de masse ». Le changement du discours sur l’avenir, avec des taux qui devrait rester à ce niveau ou en deçà après même la fin du QE, visait aussi à ce but. Il s’agissait de prouver que la BCE avait encore des armes et était déterminées à s’en servir. Le but visé est évidemment de créer un effet de confiance en redressant les anticipations d’inflation. Ce redressement doit permettre aux agents économiques de reprendre confiance dans l’avenir et donc de retrouver le goût de l’investissement. L’effet sur l’offre de crédit est donc ainsi complété par l’effet sur la demande.

Les limites de la crédibilité

Reste que cette ambition demeure sujette à un doute certain. A plusieurs niveaux. D’abord, l’action de la BCE demeure déséquilibrée entre l’offre et la demande de crédits. Très active et concrète sur l’offre, elle demeure limitée à l’effet de confiance sur la demande. Or, la confiance dans la BCE est très nettement entamée désormais. La remontée spectaculaire de l’euro jusqu’à 1,11 dollar lorsque Mario Draghi a annoncé que les taux n’allaient pas baisser « sauf si les faits changent » durant la conférence de presse prouve avec cruauté cet état de fait. Du reste, après avoir applaudi pendant quelques minutes les annonces de Mario Draghi, les marchés boursiers ont fini la journée de jeudi en baisse.

La BCE est soumise à un phénomène bien connu sur les marchés : plus on veut prouver qu’on peut agir, plus on donne des signes de son impuissance. En vidant une grande partie de son arsenal, en prenant un tournant pour essayer d’atteindre l’économie réelle, la BCE vient de prouver qu’elle est en réalité en panique devant une situation qui lui échappe. Comment croire un président de la BCE qui promet que les taux ne baisseront plus quand par deux fois il a déjà fait la même promesse en se déjugeant ? Mario Draghi a certes bien tenté encore de prouver que le QE avait marché, mais son discours a été nettement plus « défensif » : par deux fois, il a défendu son action avec un cet argument : si le QE n’avait pas été mis en place, on aurait eu une déflation catastrophique. C’est un discours un peu différent de celui tenu jusqu’ici qui voyait un effet positif du QE sur la croissance.

Le problème de la crédibilité

La confiance dans la BCE n’est donc plus une donnée acquise. Et c’est bien le nœud gordien auquel Mario Draghi doit faire face. Il doit rétablir la crédibilité de la BCE avec des mesures qui ne peuvent fonctionner qu’avec une confiance totale dans les actions de la BCE. Le serpent se mord la queue et la politique monétaire reste perdue dans le labyrinthe.

Car l’efficacité même des mesures proposées peut être mise en doute. On ignore le montant exact des rachats de dettes privées, ni la faisabilité technique et légale de ces actions sur un marché peu liquide. La BCE va devoir avancer prudemment et ne pas devenir l’acteur qui fixe les prix sur ce marché, sinon comment pourra-t-il en sortir sans provoquer un « krach obligataire » à terme ? Le rachat massif des prêts de la BEI est positif, mais quel intérêt si la BEI ne change pas de politique et ne devient pas plus active ? Au final, 240 milliards d’euros de plus pour agir sur l’économie réelle, c’est peu. Le taux négatif de dépôt a déjà prouvé sa faible influence et les taux de refinancement ne sont plus pertinents pour les banques. Quant au TLTRO II, c’est un outil séduisant et pertinent, mais sera-t-il suffisamment efficace s’il n’y a pas de demande de crédit des entreprises ?

L’option budgétaire peu probable

La BCE arrive au bout de ses possibilités. L’impossibilité dans la structure de la zone euro mise en place en 2011-2013 de mener une véritable politique de relance budgétaire pour agir sur la demande rajoute encore au problème. L’attachement répété de la BCE à ces règles est normal et logique pour une institution « fédérale » de la zone euro. Mais elle nuit également à sa crédibilité. L’affirmation de Mario Draghi qu’il existe un « biais légèrement positif » de la politique budgétaire en zone euro apparaît comme la preuve d’un aveuglement qui ne peut participer à la construction de la confiance nécessaire à la BCE.

Une dernière carte, l’hélicoptère monnaie ?

Mario Draghi a abattu une de ses dernières cartes. En a-t-il encore beaucoup d’autres ? Rien n’est moins sûr, mais les mesures qui jadis apparaissaient comme extrêmes, comme l’usage de la monnaie hélicoptère, sont clairement, désormais, une possibilité. Ce serait une façon d’agir sur la demande, même s’il n’est pas certain que cette méthode soit plus efficace que la politique budgétaire. Certes, la BCE ne veut pas y songer pour le moment, Mario Draghi l’a affirmé ce jeudi 10 mars, mais face à une politique qui montre des limites aussi claires, qui sait jusqu’où la banque centrale ira ? La réponse à cette question dépend sans doute du rapport interne au sein de la BCE et de l’influence relative de la Bundesbank et de Mario Draghi.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10/03/2016

Source: http://www.les-crises.fr/mario-draghi-peut-il-encore-convaincre-de-lefficacite-du-qe-par-romaric-godin/


Michel Sapin égratigne Emmanuel Macron à propos de ses critiques de la politique budgétaire de l’UE

Monday 14 March 2016 at 00:01

Les ravages de l’UE sur les cerveaux…

Source : Le Nouvel Obs, AFP, 08-03-2016

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Le ministre des Finances Michel Sapin a jugé que son collègue de l’Économie Emmanuel Macron “aurait pu s’abstenir” de critiquer la politique budgétaire de l’Union européenne, comme il l’a fait récemment, soulignant être le seul ministre français habilité à s’exprimer sur ce sujet.

“Il aurait pu s’en abstenir. Il y a un ministre qui est chargé de ça c’est moi!”, a dit Michel Sapin, interrogé lors d’une conférence de presse à Bruxelles, à l’issue d’une réunion des ministres des Finances de l’UE.

Le 29 février, lui aussi en marge d’une réunion dans la capitale européenne, Emmanuel Macron avait critiqué les exigences de la Commission en matière de déficit, dénonçant une politique budgétaire commune “mauvaise” car “beaucoup trop restrictive”.

“Je pense important qu’au niveau européen, on redéfinisse […] ce qu’est une bonne politique budgétaire européenne. Nous avons une politique budgétaire aujourd’hui en consolidé, de type déflationniste, donc elle est mauvaise”, avait affirmé le ministre de l’Économie.

Michel Sapin, pour sa part, a décrit “une situation budgétaire globale en Europe” qui est “légèrement expansionniste”, même s’il y a des déséquilibres en observant la situation “de pays à pays” au sein de la zone euro.

No comment.

Source : Le Nouvel Obs, AFP, 08-03-2016

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Source: http://www.les-crises.fr/michel-sapin-egratigne-emmanuel-macron-a-propos-de-ses-critiques-de-la-politique-budegaire-de-lue/