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Accord turco-européen sur les migrants : “Nous avons affaire à des maîtres chanteurs”

Friday 11 March 2016 at 01:16

Les médias Belges sont plus francs que les nôtres…

Source : Le Soir, Jurek Kuczkiewicz, 08-03-2016

Les 28 et la Turquie se sont entendus sur un schéma d’accord suite à une proposition surprise présentée par le chef de gouvernement turc.

Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu. © Photo News

Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu. © Photo News

Qui avait parlé d’une réunion cruciale ? Il y a quinze jours, à l’issue du sommet précédent, nombre de dirigeants européens avaient dit tout haut ou laissé entendre que d’ici la réunion extraordinaire de ce lundi, ils voulaient voir des résultats tangibles des efforts des autorités turques pour faire baisser les traversées de migrants et réfugiés par les réseaux de passeurs vers la mer Egée.

Un schéma d’accord

Qu’en est-il, à l’issue du sommet informel où les 28 se sont réunis à Bruxelles avec le premier ministre turc Davutoglu ? « Nous avons franchi une étape supplémentaire dans la bataille pour résoudre la crise des réfugiés », a commenté sobrement le premier ministre belge Charles Michel. Lequel avouait ensuite son « sentiment mitigé : je ne dis pas ‘eurêka ‘, nous avons trouvé la solution. C’est un pas dans la bonne direction. »

Les 28 et la Turquie se sont mis d’accord sur le cadre d’un nouveau plan, basé sur une proposition surprise présentée par le chef de gouvernement turc. L’élément le plus spectaculaire : la Turquie accepte désormais de se faire renvoyer par la Grèce tous les migrants qui y arriveront irrégulièrement. C’est-à-dire tant les migrants économiques qui ne peuvent prétendre à l’asile, que les réfugiés syriens. L’UE quant à elle acceptera d’accueillir directement à partir de la Turquie un réfugié syrien pour un Syrien réadmis par la Turquie.

Les contreparties acceptées par les Européens

L’UE va doubler – de 3 à 6 milliards d’euros – le montant de l’enveloppe qu’elle avait déjà consentie en novembre dernier pour venir en aide aux réfugiés présents en Turquie.« Ce n’est pas de l’argent pour la Turquie qui n’en a pas besoin et qui ne mendie rien, s’emportait M. Davutoglu en conférence de presse : c’est une répartition équitable de la charge. »

Par ailleurs, l’UE va accélérer la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs. Cette mesure était prévue pour octobre dans le plan conjoint conclu avec la Turquie en novembre. Elle sera effective en juin, pour autant qu’Ankara adopte une série de lois liées à la sécurité de documents de voyage. « Mais cela va aussi de pair avec les réadmissions, ajoutait Charles Michel. De facto, il y aura d’abord les réadmissions par la Turquie, et ensuite seulement la libéralisation des visas. »

Enfin, l’UE laisse entrevoir l’ouverture de cinq nouveaux chapitres des négociations d’adhésion de la Turquie. L’ouverture d’un nouveau chapitre décidée dans le premier plan d’action EU-Turquie de novembre, avait déjà fait sensation, vu que ces négociations étaient gelées depuis des années, et que plus personne, de part et d’autre, ne croit sérieusement à une adhésion dans un avenir prévisible…

Tout cela ne reste encore à l’heure actuelle qu’un schéma d’accord. Les 28 ont chargé le président du Conseil européen Donald Tusk d’en « élaborer les détails avec la partie turque d’ici la prochaine réunion ordinaire du Conseil européen ». Celle-ci se tiendra dans dix jours, les 18 et 19 mars.

Par ailleurs, les 28 se sont entendus comme annoncé par Le Soir dimanche pour déclarer urbi et orbi « qu’il est mis fin au flux irrégulier de migrants sur la route des Balkans occidentaux » : la route qu’empruntaient les migrants pour remonter de Grèce vers l’Europe du Nord, et que l’Autriche et les pays de l’ex-Yougoslavie s’étaient entendus pour bloquer. Mais, comme l’avait souhaité la chancelière allemande, la phrase la plus dure («  cette route est maintenant fermée ») a été supprimée. Cela ne change rien à l’affaire : les 28 ont bel et bien décidé unanimement d’entériner les faits, et d’en faire un principe : les migrants et réfugiés ne pourront plus circuler sur cette route – et a priori sur d’autres non plus – conformément aux règles de Schengen et du règlement européen de Dublin sur l’asile qui avaient volé en éclat ces derniers mois.

Pléthore de doutes

Pour en revenir aux aspects neufs du « deal » avec la Turquie, il reste pléthore de doutes. À commencer par la base légale des renvois de réfugiés syriens vers la Turquie, pour les réadmettre ensuite en Europe. Selon Jean-Claude Juncker et ses services, la légalité est assurée, dans la mesure où la Turquie est considérée (en l’occurrence par la Grèce) comme un pays d’origine sûre. Mais nombre de diplomates ont des doutes, et Donald Tusk lui-même indiquait que « nous devons rester prudents à ce sujet ».

Mais tous les dirigeants et leurs collaborateurs assuraient que l’on a trouvé dans ce schéma de réadmission la meilleure façon de réduire le business modèle des passeurs et trafiquants. « Cela ne concernera probablement pas plus de 10.000 réfugiés syriens qui arriveront encore sur les îles grecques, expliquait une source européenne. Et ce n’est qu’un instrument temporaire pour ramener à zéro le flux de passages irréguliers. C’est cet accord qui permettra ensuite d’entamer le plan à grande échelle de réinstallation en Europe de réfugiés directement à partir de la Turquie, que nous avons planifié depuis longtemps. »

Un plan que le Premier ministre belge aurait voulu voir déjà « beaucoup plus opérationnel ». Notamment aussi sur le volet européen de partage de réfugiés, par relocalisations (à partir de la Grèce et l’Italie) ou par réinstallations (directement de Turquie). Mais les pays d’Europe centrale expriment toujours leurs réticences ou, dans le cas de la Hongrie, leur refus catégorique d’y participer. « J’ai rappelé que les fonds de cohésion (qui bénéficient aux pays ou régions les plus retardés, NDLR) représentent quelque 280 milliards d’euros. Alors qu’on parle par exemple de 3 ou 6 milliards d’aide aux réfugiés de Turquie », a insisté Charles Michel ; Lequel reproche aux pays d’Europe centrale d’avoir une conception d’Europe-Bancontact, mais de refuser de faire montre de solidarité envers les autres.

L’offre de la Turquie de mettre en œuvre à brève échéance la réadmission de tous les migrants qui arriveront désormais en Grèce est un véritable « game changer », soutenait encore notre source européenne. Qu’est-ce qui explique ce déblocage turc, auquel personne ne s’attendait ? « C’est l’aveu de leur impuissance à juguler les trafics des passeurs chez eux, confiait au Soir une source haut placée, et c’est notamment dû à l’extraordinaire corruption. » Et ce serait la longue négociation nocturne d’Ahmet Davutoglu avec Merkel et Rutte qui aurait produit la rédaction de l’offre turque, que beaucoup de diplomates pensent avoir été directement rédigée par les Allemands et les Néerlandais.

Au passage, nombre de délégations ne se sont pas privées pour critiquer en « off » la façon dont Donald Tusk a été débordé par le duo Merkel-Rutte, qui a négocié séparément avec Davutoglu pour débarquer au sommet avec un projet qu’ils pensaient faire accepter séance tenante par les autres. « C’est scandaleux », confiait un diplomate de haut rang, tandis qu’un collègue tout aussi haut placé qualifiait de « très rock’n’roll » le déroulement du sommet.

La Turquie et son adhésion à l’UE

Les 28 ont encore, selon la déclaration finale, « discuté de la situation de la presse en Turquie avec le Premier ministre turc ». Allusion à la descente et la prise de contrôle du quotidien d’opposition Zaman. Charles Michel s’est voulu plus offensif sur ce sujet : « Je ne change pas d’opinion. Je continue de penser que la Turquie est très très loin de rencontrer les conditions d’un processus comme celui de l’adhésion. La liberté de la presse est un droit intangible non négociable. Nous avons plaidé pour l’insertion d’une phrase à ce sujet [dans la déclaration finale]. Cette phrase est un pas dans la bonne direction, mais elle est à mon sens insuffisante. » En conférence de presse, après Ahmet Davutoglu qui assurait que « la liberté d’expression est une valeur de base pour nous » et que « personne ne peut accuser la Turquie d’en être privée », Donald Tusk a repris la parole brièvement pour clore à sa façon le sujet : « La liberté de la presse reste l’une des principales conditions à l’adhésion à l’UE ».

Façon de dire qu’on en est loin. Mais ce n’est clairement pas cela qui empêchera la coopération avec la Turquie pour endiguer le flux migratoire vers l’Europe, y compris des renvois massifs de migrants. Un haut dirigeant portait ce jugement lapidaire, après les douze heures de sommet avec ou autour de la Turquie : « Nous avons affaire à des maîtres chanteurs. Et ils savent très bien jouer de nos divisions et de nos faiblesses européennes. »

Source : Le Soir, Jurek Kuczkiewicz, 08-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/accord-turco-europeen-sur-les-migrants-nous-avons-affaire-a-des-maitres-chanteurs/


[Entraide] Spécial entreprises : offre de traductions, corrections et rédactions marketing + Entraide MOA Informatique

Thursday 10 March 2016 at 05:30

I. Proposition “Spécial entreprises”

Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas demander de l’aide, mais me servir du site pour en proposer…

Et ce afin de soutenir deux personnes qui m’aident beaucoup sur le blog.

Je me demandais donc si des entreprises (ou des particuliers, notez…) auraient besoin ponctuellement de prestataires (ce sont des autoentrepreneurs à rémunérer normalement) dans ces domaines :

ou approchant.

Personnes très sérieuses et compétentes, et offre à tester sans engagement :)

Contactez-moi ici, je ferai suivre – merci d’avance ! :)

II. Développement d’un projet informatique d’Entraide Métier pour le site

Du coup, comme j’ai pu constater que nombre de lecteurs sont dans des situations pas toujours faciles, il me semblerait intéressant de développer une page informatique de mise en contact gratuite pour des “coups de pouce professionnels” comme je le fais ici (façon Potes’Emploi), pour des chômeurs ou petits autoentrepreneurs.

Cela devrait être assez simple à faire, et ma foi, si ça peut aider des mises en relation fructueuses…

Je souhaiterais donc une aide pour rédiger un cahier des charges informatique pour voir comment cela pourrait être développé au niveau informatique ; si vous avez l’habitude de mener ce genre de projets, contactez-moi ici.

Merci d’avance ! :)

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-special-entreprises-offre-de-traductions-corrections-et-redactions-marketing-entraide-moa-informatique/


[2015] De nouvelles frontières signifieraient-elles moins de conflits au Moyen-Orient ? Par Yaroslav Trofimov

Thursday 10 March 2016 at 02:17

Source : The Wall Street Journal, le 10/04/2015

La région vit avec l’héritage inflammable d’États artificiellement découpés dans les vestiges de l’Empire ottoman.

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ILLUSTRATION: LUCI GUTIERREZ

Par YAROSLAV TROFIMOV

Peu de temps après la fin de la Première Guerre mondiale, les Premiers ministres français et britannique interrompirent un instant leur dur travail de redéfinition de la carte de l’Europe pour discuter du sujet plus facile des frontières à tracer dans un Moyen-Orient fraîchement conquis.

Deux ans plus tôt, en 1916, les deux alliés s’étaient entendus sur leurs zones d’influence respectives par un pacte secret — connu sous le nom d’accord Sykes-Picot. Mais une fois l’Empire Ottoman vaincu, le Royaume-Uni, qui avait mené l’essentiel du combat contre les Turcs, pensait qu’il avait bien mérité une récompense plus profitable.

“Dites-moi ce que vous voulez,” demanda Georges Clemenceau représentant la Frances à David Lloyd George alors qu’ils déambulaient dans l’ambassade française de Londres.

“Je veux Mossoul,” répondit le Premier ministre britannique.

“Vous l’aurez. Autre chose ?” demanda Clemenceau.

Quelques secondes, et c’était fait. L’immense province impériale ottomane de Mossoul, où se trouvent des Arabes sunnites, Kurdes et beaucoup de pétrole, finirent par faire partie de l’Irak nouvellement créé, et non de la nouvelle Syrie.

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Damat Ferid Pacha, chef de la délégation turque, arrivant à Vaucresson (France) en 1920, pour signer le Traité de Sèvres abolissant l’Empire ottoman après sa défaite lors de la Première Guerre mondiale. PHOTO: MAURICE BRANGER/ROGER-VIOLLET/THE IMAGE WORKS

Les Ottomans géraient un empire multilingue et multi-religieux, dirigé par un sultan qui portait aussi le titre de calife – commandeur de tous les musulmans du monde. Ayant rejoint le camp des perdants de la Grande Guerre, les Ottomans virent leur empire sommairement démantelé par des politiciens européens qui connaissaient peu de choses des habitants, de la géographie et des coutumes de la région.

Les États du Moyen-Orient qui en résultèrent étaient généralement des créations artificielles, dont certaines frontières étaient d’improbables lignes droites. Ils ont persisté, dans leur ensemble, restant dans leurs frontières de l’ère coloniale en dépit de tentatives répétées d’unification panarabe.

Les déséquilibres intrinsèques de certains de ces nouveaux États remodelés — en particulier la Syrie et l’Irak — engendrèrent des dictatures brutales qui parvinrent pendant des décennies à museler des majorités rétives au profit du règne d’une minorité.

Mais aujourd’hui tout ceci pourrait prendre fin. La Syrie et l’Irak ont cessé de fonctionner en tant qu’États. De grandes parties des deux pays sont hors de contrôle du gouvernement, et la signification même de nationalité syrienne et irakienne a été vidée de sa substance par la domination sectaire des identités ethniques.

L’ascension de l’État Islamique est le résultat direct de cette débâcle. Le leader du groupe extrémiste sunnite, Abu Bakr al-Baghdadi, s’est proclamé le nouveau calife et a juré d’effacer la honte de « la conspiration Sykes-Picot”. Après que ses hommes ont déferlé de leur bastion en Syrie l’été dernier et ont capturé Mossoul, à présent une des plus grandes villes de l’Irak, il a promis de détruire les anciennes frontières. Dans cette offensive, une des premières actions de l’ISIS (nom par lequel son groupe est aussi connu) devait être de faire sauter les points de contrôle douaniers entre la Syrie et l’Irak.

« Ce dont nous sommes témoin est la mort de l’ordre post-ottoman, la mort des États légitimes, » dit Francis Ricciardone, ancien ambassadeur américain en Turquie et en Égypte, qui est maintenant au Conseil Atlantique, un groupe de réflexion de Washington. « ISIS est un morceau de ça et il vient remplir un vide dû à l’écroulement de cet ordre. »

Dans le chaos engloutissant désormais le Moyen-Orient, ce sont principalement les pays créés il y a un siècle par des Européens colonialistes qui se disloquent. Dans les nations plus “naturelles” de la région, un sens plus fort de l’histoire et des traditions partagées a, jusqu’à présent, empêché une semblable implosion.

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Une carte jointe à l’accord secret Sykes-Picot de 1916 répartit le Moyen-Orient entre la Grande-Bretagne et la France. PHOTO: THE NATIONAL ARCHIVES OF THE UK

“La plupart des conflits du Moyen-Orient sont le résultat de l’insécurité d’États artificiels,” dit Husain Haqqani, un auteur et ancien ambassadeur du Pakistan aux États-Unis. “Les États artificiels ont besoin d’idéologies d’État pour compenser leur manque d’histoire, et jouent souvent les gros bras contre leur propre peuple ou contre leurs voisins pour consolider leur identité.”

En Égypte, avec son histoire millénaire et son fort sens de l’identité, presque personne n’a remis en cause « l’égyptianité » de base du pays à travers le bouleversement qui a suivi l’éviction du Président Hosni Mubarak lors de la révolution de 2011. En conséquence, la plupart des institutions de l’Égypte a réchappé de l’agitation relativement intacte et la violence s’est bien arrêtée, sauf la guerre civile ouverte.

La Turquie et l’Iran – tous d’eux, jadis, centre de vastes empires –ont également été largement épargnés ces dernières années, même s’ils possèdent d’importantes minorités ethniques, incluant des Arabes et des Kurdes.

Les pays « artificiels » du Moyen-Orient ne sont pas nécessairement voués à l’échec, et certains – notamment la Jordanie – ne se sont pas effondrés, du moins pas encore. Le monde, après tout, est plein d’États multiethniques et multi-confessionnaux qui réussissent et prospèrent, de la Suisse à Singapour et aux États-Unis, qui reste un nouveau venu en tant que nation, par exemple, par rapport à l’Iran.

Dans tous ces endroits, un contrat social — d’habitude fondé sur de bonnes pratiques de gouvernement et des opportunités économiques — fait souvent de la diversité religieuse et ethnique une source de force, et non un moteur de déstabilisation. Au Moyen-Orient, au contraire, “dans les cas où les choses ont déraillé, il n’y avait pas eu de bonne  gouvernance — il y avait en fait une gouvernance exécrable,” déclare M. Ricciardone.

Il y a un siècle, beaucoup de gens espéraient que Syrie et Irak, aussi, suivraient la voie de la Suisse. À l’époque, le président Wilson avait envoyé une commission au Moyen-Orient pour étudier quelles nouvelles nations devaient s’élever des ruines de l’Empire ottoman.

Sous la domination ottomane, ni la Syrie ni l’Irak n’existaient en tant qu’entités séparées. En gros trois provinces ottomanes – Bagdad, Basar et Mossoul – correspondaient à l’Irak d’aujourd’hui. Beyrouth, Alep et Deir ez-Zor comprenaient ce qui est à l’heure actuelle la Syrie, le Liban, une grande partie de la Jordanie et de la Palestine, ainsi une large bande de la Turquie méridionale. Toutes ces régions étaient peuplées par un méli-mélo de communautés : Arabes sunnites et chiites, Kurdes, Turcomans et chrétiens en Irak et, en Syrie, tous ces groupes auxquels s’ajoutent Alaouites et Druzes.

Les commissaires du président Wilson, Henry King et Charles Crane, ont témoigné de leurs observations en août 1919. À ce moment en Europe, l’éclatement des empires austro-hongrois et russe était en train de donner naissance à des nations fondées sur des racines ethniques. Mais les responsables américains avaient d’autres plans : ils ont conseillé à Wilson d’ignorer les différences ethniques et religieuses.

Ce qui est maintenant l’Irak, ont-ils suggéré, devrait rester uni car “la sagesse d’un pays uni est évidente dans le cas de la Mésopotamie.” Ils ont aussi conseillé une Syrie élargie qui aurait inclus ce qui constitue aujourd’hui  le Liban, la Jordanie, Israël et les territoires palestiniens.

King et Crane ont donné leur raison : “la fin du règne ottoman donne une chance inespérée de construire […] un état au Proche-Orient sur la base moderne de la liberté religieuse totale, en incluant délibérément des fois différentes, et particulièrement en préservant le droit des minorités.” Les autochtones, ajoutaient-ils, “devraient mieux réussir dans un État aux principes modernes” que sous la loi ottomane.

Les espoirs des Américains ne se sont pas réalisés.

En Syrie, les autorités coloniales françaises, confrontées à une majorité sunnite hostile, ont cherché la faveur des Alaouites, une ramification minoritaire de l’islam chiite qui avait souffert de discrimination sous le règne ottoman. Les Français ont même brièvement créé un état alaouite séparé sur ce qui est maintenant la côte méditerranéenne de la Syrie, et ont incorporé de nombreux Alaouites dans leurs nouvelles forces armées.

En Irak, où les chiites sont majoritaires, les administrateurs britanniques, confrontés à une révolte chiite juste après le début de leur occupation, ont joué un jeu similaire. La nouvelle administration s’est appuyée sans mesure sur la minorité arabe sunnite. Celle-ci avait prospéré sous les Ottomans et s’était maintenant ralliée au nouveau roi d’Irak, sunnite, que la Grande-Bretagne avait importé de Hedjaz, province nouvellement indépendante, anciennement ottomane et depuis conquise par l’Arabie saoudite.

Ces décisions ont aidé à configurer l’avenir de l’Irak et de la Syrie, une fois les institutions coloniales disparues. La famille Assad dirige la Syrie depuis 1970 ; Saddam Hussein est devenu président de l’Irak en 1979. Malgré une rhétorique hautaine au sujet d’une nation arabe unique, les deux régimes ont fait de leurs pays des endroits où les minorités au pouvoir (Alaouites en Syrie, Arabes sunnites en Irak) étaient résolument plus égales que les autres.

Les tentatives par la majorité sunnite en Syrie ou par la majorité chiite en Irak de remettre en cause ces régimes terriblement autoritaires ont été impitoyablement écrasées. En 1982, le régime syrien passa au bulldozer la ville de Hama, majoritairement sunnite, après une révolte islamiste. De même, après la guerre du Golfe en 1991, Saddam Hussein déchargea sa colère en écrasant un soulèvement chiite dans le sud de l’Irak.

Aujourd’hui en Syrie, le président Bachar el-Assad est soutenu par beaucoup d’alaouites contre les rebelles majoritairement sunnites. Ce soutien est mû par leur peur qu’un effondrement du régime puisse signer la disparition de leur communauté – une menace que renforce l’État Islamique, dont la mouvance sunnite extrémiste n’offre aux alaouites et aux chiites modérés qu’un choix cornélien entre la conversion et la mort.

En Irak, les gouvernements à majorité chiite qui ont été au pouvoir depuis l’invasion des États-Unis en 2003 ont inversé les rôles avec les anciens dirigeants en exerçant une discrimination contre la minorité sunnite. En conséquence, l’État Islamique est parvenu, l’année dernière, à s’emparer d’une partie de l’Irak quasiment sans opposition parce qu’ils étaient perçus par la population locale comme un moindre mal.

« Le problème ce n’est pas seulement les frontières territoriales – c’est aussi le cadre de gouvernance que l’Europe a imposé, » dit Vali Nasr, doyen de l’École d’Études internationales avancées à l’Université Johns Hopkins et ancien conseiller au Département d’État. « Les puissances coloniales au sein des États ont créé des administrations coloniales qui ont formé, recruté et placé des minorités au pouvoir. Après leur départ, ils ont laissé le pouvoir entre les mains de ces minorités – ils ont laissé en place la dictature des minorités. »

Le Dr Nasr ajoute : “Le pouvoir a été tellement déséquilibré en Irak, en Syrie et beaucoup d’autres de ces pays qu’il n’existe pas de bonne solution pour remédier à la situation. Les vainqueurs ne veulent pas partager, les perdants ne veulent pas renoncer au pouvoir. Le Moyen-Orient traverse une période de grand trouble, dont il sortira configuré très différemment au niveau politique et peut-être aussi au niveau territorial.”

Mais quelle envie a-t-on au Moyen-Orient de modifier ces configurations territoriales ? Et si elles devaient changer, à quoi pourrait ressembler une nouvelle carte de la région ?

Une possibilité évidente implique les Kurdes, dont le désir d’obtenir un État indépendant dans les actuels Turquie orientale et Irak septentrional avait été cautionné par le Traité de Sèvres (1920), un pacte éphémère entre les alliés occidentaux et les Ottomans. Ce traité fut rapidement dénoncé par les nationalistes turcs, dirigés par le fondateur de l’État turc moderne, Mustapha Kemal Atatürk. En fait, jusqu’à une époque récente, la Turquie a nié jusqu’à l’existence d’une ethnie kurde.

Les Kurdes, qui vivent dispersés à cheval sur l’Irak, la Turquie, La Syrie et l’Iran, ont déjà savouré des décennies d’indépendance virtuelle sous un gouvernement autonome dans le nord de l’Irak – la partie montagneuse de ce qui était autrefois la province ottomane de Mossoul. Ils ont maintenant établi trois “cantons” autonomes au nord de la Syrie.

“Je serais surpris qu’il n’y ait pas dans les 20 prochaines années de pays appelé Kurdistan,” dit Karim Sadjapour, un spécialiste du Moyen-Orient à la Fondation Carnegie. “De fait, il existe déjà.”

Avec leur propre langue et leur propre culture, les Kurdes d’Irak contrôlent déjà leurs frontières, limitant le passage des Arabes irakiens. Alors que la guerre civile faisait rage en Syrie, les milices kurdes sur place se sont identifiées, dans leur ensemble, à un projet national différent. “Les autres rebelles combattent pour la Syrie, mais nous avons notre propre Kurdistan, et c’est ce dont nous nous préoccupons,” dit Farid Atti, un officiel de la milice laïque qui combat l’État Islamique près de Kobane, l’un des trois “cantons” autonomes kurdes de Syrie.

Au-delà du Kurdistan, cependant, la situation de nouvelles nations séparées devient beaucoup moins claire, malgré les horreurs ethniques et confessionnelles qui tourmentent la région aujourd’hui.

Bien qu’au départ artificiels, les États post-ottomans se sont montrés étonnamment résilients. Prenez le Liban, un pays de 18 communautés religieuses querelleuses qui a survécu à une guerre civile sanglante, aux multiples camps, de 1975 à 1990 et a contredit à de nombreuses reprises les prévisions de sa disparition imminente. Malgré, ou peut-être à cause de, cette histoire remplie de conflits, le Liban reste un îlot de stabilité relative au milieu du bouleversement religieux actuel, même débordé par les plus d’un million de réfugiés syriens fuyant le chaos voisin.

“Les dirigeants de ces pays qui ont été formés sur des frontières reconnues comme artificielles ont placé beaucoup d’efforts dans la construction d’un sentiment nationaliste. La question est : à quel point y sont-ils parvenus ?” demande Michele Dunne, une ancienne responsable du Département d’État, aujourd’hui spécialiste du Moyen-Orient à la Fondation Carnegie. “Ça n’est peut-être pas aussi fort que dans un pays dont l’identité date de plusieurs siècles, mais pourrait quand même exister.”

En effet, même dans un Irak et une Syrie dévastés, les sentiments nationalistes restent vivaces. “N’importe quel pays qui aurait subi ce que l’Irak a subi pendant les 12 dernières années aurait été démembré depuis longtemps,” d’après Ayad Allawi, vice-président et ancien Premier ministre irakien. “Ce qui a maintenu le pays, c’est la volonté du peuple.”

En Syrie, un étudiant de 19 ans Mohammed Ali s’est récemment rappelé comment les habitants ont réagi à l’arrivée de l’État Islamique dans sa ville natale d’al-Boukamal, près de la frontière irakienne. Dans leur campagne pour effacer les frontières coloniales, les nouveaux chefs ont détaché al-Boukamal de la province syrienne à laquelle elle appartient et l’ont incorporée dans la nouvelle « Province de l’Euphrate » de l’État islamique, gouvernée par la ville irakienne de Qaim.

D’abord, a dit M. Ali, les habitants étaient ravis par la destruction de la frontière à proximité. « Durant 30 ans, nous n’avons pas été capables de traverser et rendre visite à notre famille de l’autre côté, » a raconté M. Ali. Mais depuis lors, l’état d’esprit s’est changé en réaction patriotique chargée de rancœur vis-à-vis des Irakiens qui affluaient dans la zone, asservissant al-Boukamal et passant la frontière avec des camions de pétrole syrien « volé ». « Nous ne voulons pas d’eux ici ; maintenant, nous voulons à nouveau nos frontières, » a-t-il dit.

S’opposer à de possibles nouvelles partitions dans la région apporte un nouveau lot de problèmes : où exactement tracer les lignes ? Et à quel prix ?

Malgré le nettoyage ethnique des dernières années, sunnites et chiites vivent toujours ensemble dans de nombreuses régions d’Irak, dont Bagdad, et une grande majorité de sunnites syriens préférerait habiter dans des villes contrôlées par le régime d’Assad plutôt que dans des zones ravagées par la guerre sous l’emprise rebelle.

M. Allaoui, le vice-président irakien, fait remarquer que de nombreux groupes tribaux traditionnels du pays comportent à la fois des chiites et des sunnites, et que beaucoup de familles irakiennes, en particulier dans les grandes villes, sont mélangées elles aussi. « Il faudrait entrer dans la chambre des habitants pour séparer le pays, » s’amuse-t-il. Et en Irak comme ailleurs, sunnites, chiites et Kurdes sont loin d’être des groupes unitaires qui décident par consensus ; les rivalités sont nombreuses parmi eux.

La partition récente d’un pays arabe, le partage du Soudan entre le nord arabe et la nouvelle République du Soudan du Sud non arabe en 2011, n’est pas un précédent encourageant pour les éventuels apprentis créateurs de frontières. Le Soudan du Sud a rapidement dérapé vers sa propre guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts et déraciné deux millions d’habitants.

« Il n’y a pas d’alternative pour remplacer le système étatique, » dit Fawaz Gerges, qui enseigne sur le Moyen-Orient à la London School of Economics. « Sinon, vous pourriez remplacer une guerre civile par de multiples guerres civiles, et c’est exactement ce qu’il peut se passer en Syrie ou en Irak. C’est un cycle catastrophique. »

“Forger un contrat social de la base au sommet à l’intérieur des frontières actuelles de la région – ce qui ne sera envisageable qu’une fois que les populations se seront lassées de ces guerres sans fin – est le seul moyen d’avancer,” dit Stephen Hadley, ancien conseiller à la sécurité nationale pour le président George W. Bush et maintenant président du conseil de l’Institut des États-Unis pour la Paix.

“Le vrai problème au Moyen-Orient, dit-il, est un effondrement, pas des frontières, mais de ce qui se passait à l’intérieur des frontières : des gouvernements qui, au départ, n’avaient pas une grande légitimité et qui n’en ont pas acquis face à leur peuple. On ne va pas résoudre ces problèmes en retraçant les frontières.”

Trouver ces solutions, reconnaît M. Hadley, ne sera pas facile.

« Cela peut permettre de se racheter du passé, » dit-il. « En sortir sera le travail d’une génération. »

Source : The Wall Street Journal, le 10/04/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/de-nouvelles-frontieres-signifieraient-elles-moins-de-conflits-au-moyen-orient-par-yaroslav-trofimov/


[2013] Réinventer la carte du Moyen-Orient, par Robin Wrigh

Thursday 10 March 2016 at 01:01

Source : The New York Times, le 29/09/2013

Par ROBIN WRIGH

La carte du Moyen-Orient, un pivot politique et économique de l’ordre international, est en lambeaux. La guerre désastreuse de Syrie en a été le tournant décisif. Or les forces centrifuges des croyances, tribus et ethnies en concurrence – renforcées par les conséquences fortuites du Printemps arabe – sont en train de démanteler une région définie, il y a un siècle de cela, par les puissances coloniales et défendue depuis sans relâche par les autocrates arabes.

Une carte différente constituerait un changement stratégique du jeu pour à peu près tous les intéressés, avec la possibilité de causer une reconfiguration des alliances, mais aussi du commerce et de la circulation de l’énergie pour la plus grande partie du monde.

La situation de choix et le poids de la Syrie en font le centre stratégique du Moyen-Orient. Mais c’est un pays complexe, riche d’une variété ethnique et religieuse et, par-là, fragile. Une fois indépendante, la Syrie a vu défiler plus d’une demi-douzaine de coups d’État entre 1949 et 1970 lorsque la dynastie des Assad s’est emparée du pouvoir. Aujourd’hui, après 30 mois d’effusion de sang, la diversité s’est révélée mortelle, perpétuant la mort à la fois de la population et du pays. La Syrie s’est écroulée en trois régions distinctes, chacune avec son drapeau et ses forces de sécurité propres. Un avenir différent se dessine : un mini-État étroit comme un couloir allant du sud à travers Damas, Homs et Hama jusqu’à la côte méditerranéenne Nord et contrôlé par la secte minoritaire alaouite des Assad. Au nord, un petit Kurdistan largement autonome depuis la mi-2012. Le plus gros des morceaux en est le centre du pays, dominé par les sunnites.

Le détricotage de la Syrie créait un précédent pour la région, à commencer chez ses voisins immédiats. Jusqu’à présent, l’Irak a résisté à l’effondrement à cause de la pression de l’étranger, de la peur de faire cavalier seul qui régnait dans la région et de la loyauté achetée, du moins sur papier, par la richesse pétrolière. Mais la Syrie est en train d’aspirer l’Irak dans sa propre tourmente.

Les champs de bataille sont en train de fusionner,” a déclaré en juillet Martin Kobler, envoyé de l’ONU, au Conseil de sécurité. “L’Irak est la ligne de faille entre les mondes chiite et sunnite et tout événement en Syrie a évidemment des répercussions sur le paysage politique en Irak.

Avec le temps, la minorité sunnite d’Irak – notamment dans la province occidentale d’Anbar, théâtre de manifestations antigouvernementales – pourrait se sentir plus de points communs avec la majorité sunnite de l’est de la Syrie, les liens tribaux et la contrebande étant de nature transfrontalière. Ensemble, ils pourraient former un Sunnistan de fait ou officiel. Le sud de l’Irak deviendrait le Chiitestan, quoiqu’une délimitation aussi nette soit peu probable.

Les partis politiques dominants dans les deux régions kurdes de Syrie et d’Irak ont des différends qui remontent loin dans le temps, mais quand la frontière s’est ouverte en août dernier, plus de 50 000 Kurdes syriens ont fui vers le Kurdistan irakien, créant ainsi de nouvelles communautés transfrontalières. Massoud Barzani, du Kurdistan irakien a annoncé la préparation, pour l’automne prochain, d’une réunion au sommet de 600 Kurdes de quelques 40 partis d’Irak, de Syrie, de Turquie et d’Iran.

“Nous pensons que les conditions sont maintenant adéquates,” a déclaré Kamal Kirkuki, l’ancien interlocuteur du parlement kurde d’Irak, en parlant des efforts pour mobiliser l’ensemble disparate des Kurdes en vue de discuter de leur avenir.

Le Moyen-Orient est depuis longtemps un terrain de jeu pour étrangers : et si l’Empire ottoman n’avait pas été découpé par des étrangers après la Première Guerre mondiale ? Ou si la nouvelle carte avait reflété la réalité du terrain ou les identités ? Le redécoupage géographique a rendu les Arabes furieux car ils suspectaient des complots étrangers ayant pour but de les diviser et de les affaiblir une fois de plus.

Je n’ai jamais joué aux cartes. Je vivais au Liban pendant les 15 années de guerre civile et pensais que le pays pouvait survivre des clivages entre ses 18 différentes sectes. Par ailleurs je ne pensais pas que l’Irak volerait en éclats dans les années 2006-2007. Mais un double déclic m’a fait changer d’opinion.

Le printemps arabe a mis le feu aux poudres. Les Arabes ne voulaient pas seulement chasser les dictateurs, ils voulaient un pouvoir décentralisé qui reflète les identités locales et les droits aux ressources. La Syrie, s’enflammant d’elle-même, a réduit en cendres la sagesse conventionnelle sur les questions géographiques.

De nouvelles frontières peuvent être tracées de manière hétéroclite et potentiellement chaotique. Les pays pourraient se défaire en passant par des phases de fédération, de partition modérée ou d’autonomie, finissant en un divorce géographique.

Le soulèvement en Libye était dirigé en partie contre la domination du colonel Mouammar Kadhafi. Mais il reflétait également la recherche de séparation de Benghazi de la domination de Tripoli. Les tribus ne se ressemblent pas : les Tripolitains sont tournés vers le Maghreb ou le monde musulman occidental, tandis que les habitants de la Cyrénaïque sont tournés vers le Machrek ou monde musulman oriental. Par ailleurs, la capitale monopolise les revenus tirés du pétrole dont 80% proviennent cependant de la région Est.

Ainsi la Libye pourrait être décentralisée et divisée en deux, voire trois. Le Conseil national de la Cyrénaïque, dans la partie est de la Libye, a déclaré son autonomie en juin. Au sud, le Fezzan possède également des identités tribales et géographique propres. Plus sahélien que nord-africain de par ses tribus, identité et culture, il pourrait faire scission aussi.

D’autres États sans conscience d’un intérêt général ni identité, ingrédients du ciment politique, sont vulnérables, en particulier les démocraties naissantes qui ont du mal à prendre en compte des circonscriptions disparates avec leurs nouvelles attentes.

Après avoir chassé son dictateur de longue date, le Yémen a lancé en mars un débat national intermittent afin de plancher sur un ordre nouveau. Mais dans un pays depuis longtemps déchiré par une rébellion au Nord et des séparatistes au Sud, un succès durable pourrait dépendre de l’acceptation de l’idée de fédération – et la promesse de donner au Sud un vote sur sa sécession.

Une nouvelle carte peut même se montrer encore plus fascinante. Les Arabes sont en effervescence à propos de la fusion possible à terme d’une partie du Sud-Yémen avec l’Arabie saoudite. Les yéménites du sud sont en majorité sunnites, comme le sont la plupart des saoudiens ; beaucoup d’entre eux ont des liens familiaux avec le royaume. Les yéménites, les plus pauvres d’entre les arabes, pourraient bénéficier de la prospérité saoudienne. De leur côté, les saoudiens gagneraient un accès direct à l’Océan Indien pour leur commerce, encore tributaire du Golfe Persique où ils craignent le contrôle du détroit d’Ormuz par l’Iran.

Les idées les plus fantaisistes impliquent la balkanisation de l’Arabie saoudite, qui en est déjà à sa troisième édition pour un pays ayant rassemblé, sous le coup de l’Islam wahhabite rigide, des tribus rivales. La sécurité matérielle du royaume paraît assurée dans ses hautes tours vitrées et ses autoroutes à huit voies, néanmoins y cohabitent des cultures disparates, des identités tribales distinctes et des tensions entre une majorité sunnite et une minorité chiite, notamment dans la région de l’Est riche en pétrole.

Les tensions sociales, dues à la corruption effrénée ainsi qu’au chômage des jeunes (30 pour cent), vont s’aggravant dans un pays qui ne se refuse rien et pourrait être réduit à importer du pétrole d’ici deux décennies. En passant à la génération suivante, la maison des Saoud sera quasiment obligée de créer une nouvelle famille régnante à partir de milliers de princes, ce qui représente un processus litigieux.

D’autres changements peuvent être de fait. Des cités-États – oasis aux multiples identités comme Bagdad, ou enclaves fortement armées comme Misrata, la troisième plus grande ville de Libye, ou encore zones homogènes comme Djébel el-Druze dans le sud de la Syrie – peuvent réapparaître, même si elles feraient partie de pays, techniquement parlant.

Un siècle après le découpage de la région par Sir Mark Sykes, l’aventurier-diplomate britannique, et l’envoyé français François Georges-Picot, le nationalisme est ancré à des degrés variés dans des pays initialement définis par des goûts et un commerce tout britanniques, et non par la logique. La question maintenant est de savoir si le nationalisme est plus fort que des sentiments d’identité plus anciens, en temps de conflit ou de rudes transitions.

Les Syriens aiment à affirmer que le nationalisme prévaudra dès que la guerre cessera. Le problème c’est que la Syrie a désormais un nationalisme multiple. “L’épuration” devient un fléau. Et les armes à feu ne font qu’aggraver les différends. D’une manière générale, le conflit sectaire traduit maintenant dans la territorialité la division entre sunnites et chiites, de façons inconnues du Moyen-Orient moderne.

Mais d’autres facteurs pourraient empêcher la dégradation du Moyen-Orient – une bonne gouvernance, des services et une sécurité décents, une justice équitable, des emplois et des ressources partagées équitablement, ou même un ennemi commun. Les pays sont faits de mini-alliances. Mais ces facteurs semblent bien éloignés du monde arabe. Et plus longtemps la guerre en Syrie fera rage, plus il y aura d’instabilité et de dangers dans toute la région.

Source : The New York Times, le 29/09/2013

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

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Source : The New York Times, le 29/09/2013

Lentement, la carte du Moyen-Orient pourrait être redessinée. Une analyse de Robin Wright.

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SYRIE : LE DECLENCHEUR ?

Des rivalités ethniques et confessionnelles pourraient la briser en au moins trois morceaux :

1. Alaouites, une minorité qui a contrôlé la Syrie pendant des décennies, domine un couloir côtier.

2. Un Kurdistan syrien pourrait se détacher et finalement fusionner avec les Kurdes d’Irak.

3. Le cœur du pays sunnite fait sécession et pourrait ensuite être combiné avec des provinces d’Irak pour former un Sunnistan.

DEBORDEMENT VERS L’IRAK

L’option la plus simple parmi plusieurs solutions verrait les Kurdes du nord rejoindre les Kurdes syriens. De nombreuses zones centrales, dominées par des sunnites, rejoindraient les sunnites syriens. Et le Sud deviendrait un Chiitistan. Il y a peu de chances que cela se passe de façon aussi nette.

DESINTEGRATION DE LA LIBYE

Du fait de rivalités tribales et régionales importantes, la Libye pourrait se retrouver scindée en ses deux parties historiques — Tripolitaine et Cyrénaïque — et éventuellement un troisième État, le Fezzan dans le sud-ouest.

ARABIE SAOUDITE PRE-MONARCHIQUE

À long terme, l’Arabie saoudite fera face à ses propres divisions internes (réprimées) qui pourraient faire surface avec l’arrivée au pouvoir de la prochaine génération de princes. L’unité du royaume est d’autant plus menacée par les différences tribales, la division sunnites-chiites et les défis économiques. Elle pourrait se morceler et revenir aux cinq régions qui ont précédé l’État moderne.

DIVISION DU YEMEN

Le pays arabe le plus pauvre pourrait (à nouveau) être coupé en deux à la suite d’un éventuel référendum sur l’indépendance au Yémen du sud.

Dans une tournure des événements plus drastique, tout ou partie du Yémen du sud pourrait alors intégrer l’Arabie saoudite. Presque tout le commerce saoudien se fait par la mer, et l’accès direct à la mer d’Arabie diminuerait la dépendance au Golfe persique – et la crainte d’un possible blocage du détroit d’Ormuz par l’Iran.

Source : The New York Times, le 29/09/2013

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reinventer-la-carte-du-moyen-orient-par-robin-wrigh/


[2006] Frontières de sang, par Ralph Peters

Thursday 10 March 2016 at 00:17

Source : Armed Forces Journal, le 01/06/2006

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A quoi ressemblerait un Moyen-Orient amélioré

Les frontières internationales ne sont jamais complètement justes. Mais le degré d’injustice qu’elles infligent à ceux qu’elles forcent à vivre ensemble ou qu’elles séparent fait une énorme différence – bien souvent la différence entre liberté et oppression, tolérance et atrocité, légalité et terrorisme, ou même la paix et la guerre.

Les frontières les plus arbitraires et les plus déformées du monde se situent en Afrique et au Moyen-Orient. Dessinées par les intérêts particuliers des Européens (qui ont eu eux-mêmes suffisamment de problèmes à définir les leurs), les frontières africaines continuent de provoquer la mort de millions d’habitants de ces régions. Mais les frontières injustes du Moyen-Orient – pour emprunter à Churchill – génèrent plus de mal que ce qui peut être résorbé localement.

Alors que le Moyen-Orient a – et de loin – de nombreux autres problèmes que de simples frontières dysfonctionnelles – de la stagnation culturelle aux scandaleuses inégalités et au fanatisme religieux le plus sanglant– le plus grand tabou dans la difficulté à rendre l’échec de cette région compréhensible n’est pas l’Islam mais les horribles et pourtant sacro-saintes frontières internationales adorées par nos diplomates.

Bien sûr, aucune modification de frontières, même draconienne, ne pourrait satisfaire toute les minorités du Moyen-Orient. Dans certains cas, des groupes ethniques et religieux sont entremêlés et se sont mariés entre eux. Partout ailleurs, les réunions fondées sur “La Foi ou le Sang” semblent ne pas être aussi joyeuses que ce que leurs partisans en attendent. Les frontières projetées sur les cartes qui accompagnent cet article redressent les erreurs dont souffrent les groupes de populations les plus significatifs, tels que les Kurdes, les Baloutchis, les chiites arabes, mais n’arrivent toujours pas à prendre correctement en compte les chrétiens du Moyen-Orient, les Bahaïs, les Ismaïliens, les Naqshbandis et de nombreux autres minorités moins nombreuses. Et un autre tort qui nous hante ne pourra jamais être redressé par le don d’un territoire : le génocide perpétré contre les Arméniens par l’Empire Ottoman en voie de disparition.

Toutefois, même avec toutes les injustices que ces limites réinventées ne résolvent pas, sans révisions majeures de ces frontières, on ne verra jamais un Moyen-Orient plus pacifique.

Même ceux qui ont en horreur le sujet du changement de frontières seraient bien inspirés de s’engager dans un exercice de réflexion où ils chercheraient à concevoir des délimitations nationales entre le Bosphore et l’Indus, qui irait vers plus de justice, en dépit d’imperfections éventuelles. On peut admettre le fait que les instances gouvernementales internationales n’ont jamais été capables de trouver, hormis la guerre, une façon efficace d’ajuster les frontières qui posaient problème, néanmoins, un effort intellectuel pour saisir ce que peuvent être les frontières “organiques” du Moyen-Orient nous aide à comprendre l’étendue des difficultés auxquelles nous faisons face et continuerons à faire face. Nous sommes en présence de monstruosités colossales, créées par l’homme et qui ne cesseront de générer haine et violence jusqu’à ce qu’elles soient corrigées.

Quant à ceux qui refusent de “penser l’impensable,” qui déclarent que les frontières ne doivent pas changer et que c’est ainsi, il serait utile de leur rappeler que les frontières n’ont cessé de changer au cours des siècles. Les frontières n’ont jamais été statiques et, beaucoup, du Congo au Caucase en passant par le Kosovo, continuent de changer (tandis qu’ambassadeurs et représentants spéciaux détournent le regard pour étudier le vernis sur la pointe de leurs souliers).

Oh, et un petit secret vieux de 5 000 ans d’histoire : l’épuration ethnique, ça marche.

A commencer par la question frontalière la plus délicate pour les lecteurs américains : pour qu’Israël ait un quelconque espoir de vivre dans des conditions de paix raisonnables avec ses voisins, il devra retourner à ses frontières d’avant 1967 – avec des réajustements locaux essentiels pour des raisons de sécurité. Mais la question des territoires entourant Jérusalem, ville maculée de milliers d’années sanglantes, restera probablement insoluble de notre vivant. Là où tous les partis ont transformé leur Dieu en magnat de l’immobilier, des conflits sur les terrains – littéralement – démontrent une pugnacité avec laquelle ne rivalisent pas la rapacité pour la richesse pétrolière ou les querelles ethniques. Laissons donc de côté cette seule question étudiée à n’en plus finir et tournons-nous vers celles qui restent soigneusement ignorées.

L’injustice la plus manifeste dans ces territoires notoirement injustes qui se trouvent entre les montagnes des Balkans et l’Himalaya, est l’absence d’un État kurde indépendant. Entre 27 et 36 millions de Kurdes vivent dans des pays qui jouxtent le Moyen-Orient. (Le nombre exact de Kurdes n’est pas connu avec précision puisqu’aucun État n’a jamais autorisé un recensement fiable.) Ils sont plus nombreux que les Irakiens, et même si l’on choisit de prendre en compte le chiffre le plus bas, ils représentent le plus grand groupe ethnique du monde à ne pas avoir son propre État. Pire encore, les Kurdes ont été opprimés par tous les gouvernements qui ont contrôlé les collines et les montagnes où ils vivent depuis l’époque de Xénophon.

Les États-Unis et les membres de leur coalition ont, après la chute de Bagdad, une magnifique chance de commencer à remédier à cette injustice. L’Irak, ce monstre à la Frankenstein, cet État rapiécé avec des lambeaux disparates, aurait dû être divisé immédiatement en trois États. Nous avons échoué par lâcheté et par manque de vision, forçant les Kurdes à soutenir le nouveau gouvernement irakien, ce qu’ils font en contrepartie de notre bonne volonté à leur égard. Toutefois ne nous y trompons pas : si un référendum libre était organisé, 100 pour cent des Kurdes voteraient pour l’indépendance.

Comme le feraient les Kurdes de Turquie, une population durement et longuement éprouvée, ayant enduré des décennies d’oppression militaire violente pendant lesquelles ils étaient ravalés au rang de “Turcs des montagnes” et ce afin de détruire leur identité. Tandis que la situation critique des Kurdes aux mains d’Ankara s’était quelque peu allégée au cours de la dernière décennie, récemment la répression s’est à nouveau intensifiée et le cinquième oriental de la Turquie peut être considéré comme territoire  occupé. Comme les Kurdes de Syrie et d’Iran, eux aussi, se précipiteraient pour rejoindre un Kurdistan indépendant s’ils le pouvaient. Le refus des démocraties légitimes du monde occidental de promouvoir l’indépendance des Kurdes est un péché d’omission contre les droits de l’homme bien pire que les péchés par commission, mineurs et malhabiles, qui régulièrement enflamment nos médias. A propos, un Kurdistan libre, s’étendant du Diyarbakir en passant par Tabriz serait  l’État le plus pro-occidental entre la Bulgarie et le Japon.

Si l’on procédait à des regroupements équitables dans cette région, nous aurions trois provinces à majorité sunnite qui formeraient un État tronqué. Celui-ci pourrait finir par choisir de s’unir avec une Syrie qui perdrait son littoral en faveur d’un Grand Liban, orienté vers la Méditerranée : la Phénicie qui renaîtrait. Le sud chiite de l’ancien Irak formerait la base d’un État arabe chiite qui borderait la plus grande partie du golfe Persique. La Jordanie garderait son territoire actuel avec une avancée au sud, aux dépens des Saoudiens. L’État artificiel qu’est l’Arabie saoudite subirait, quant à lui, un démantèlement aussi important que le Pakistan.

La famille royale saoudienne considère La Mecque et Médine comme son fief, et c’est là une cause fondamentale de la grande stagnation du monde musulman. Avec les sanctuaires les plus sacrés de l’Islam sous contrôle de l’État policier d’un des régimes les plus fanatiques et oppressifs du monde — un régime à la tête d’une énorme rente pétrolière, imméritée — les Saoudiens ont pu projeter bien au-delà de leurs frontières leur vision wahhabite d’une foi intolérante aux règles rigoristes. L’ascension des Saoudiens à cette richesse, dont ils ont tiré leur influence, a été la pire chose qui pouvait arriver au monde musulman, dans son ensemble, depuis le temps du Prophète, et la pire chose pour les Arabes depuis la conquête, sinon par les Mongols, par les Ottomans.

Certes les non-musulmans ne pourraient rien changer dans le contrôle des cités saintes de l’islam, mais imaginez donc à quel point le monde musulman se porterait mieux si La Mecque et Médine étaient gouvernées par un conseil tournant, représentatif des plus importants mouvements et universités d’un État islamique sacré, un peu comme un Super-Vatican musulman. Au lieu de procéder par arrêtés, on y débattrait de l’avenir de cette grande foi. La vraie justice consisterait — même si cette perspective  ne nous enthousiasme pas vraiment — à donner les champs de pétrole de l’Arabie saoudite aux Arabes chiites qui vivent dans cette région, tandis qu’un quart-de-cercle sud-est irait au Yémen. Voyant son domaine restreint aux Saudi Homelands Independent Territory (le Territoire indépendant des Saoudiens autour de Riyad), la famille royale n’aurait plus la même capacité de nuisance vis-à-vis de l’Islam et du monde.

L’Iran, un État aux frontières complètement loufoques, perdrait une grande partie de son territoire au profit de l’Azerbaïdjan unifié, du Kurdistan libre, de l’État arabe chiite et du Baloutchistan libre ; mais il gagnerait les provinces situées autour d’Hérat, dans l’actuel Afghanistan. C’est là une région qui a des affinités linguistiques et culturelles avec la Perse. L’Iran deviendrait donc ainsi, de nouveau, un État ethniquement perse et la question la plus difficile serait de décider s’il doit garder le port de Bandar Abbas ou le céder à l’État chiite arabe.

Ce que l’Afghanistan perdrait au profit de la Perse à l’ouest, il le gagnerait à l’est, les tribus de la frontière nord-ouest du Pakistan seraient réunies avec leurs frères afghans (le but de cet exercice n’est pas de dessiner des cartes telles qu’on les aimerait mais telles que les populations locales les préféreraient). Le Pakistan, un autre État artificiel, perdrait aussi son territoire baloutche au profit du Baloutchistan libre. Le Pakistan « naturel » restant se situerait entièrement à l’est de l’Indus, à l’exception d’une pointe près de Karachi.

Les villes-États des Émirats Arabes Unis auraient un destin mitigé – ce qui, dans la réalité sera probablement le cas. Certaines pourraient être incorporées à l’État chiite arabe bordant une grande partie du golfe Persique (un État qui évoluera probablement comme un contrepoids, plus qu’un allié, de l’Iran persique). Puisque toutes les cultures puritaines sont hypocrites, Dubaï, par nécessité, serait autorisée à garder son statut pour riches débauchés. Le Koweït resterait dans ses frontières actuelles, tout comme Oman.

Dans chaque cas, ce redécoupage hypothétique des frontières reflète le communautarisme religieux ou ethnique, dans certains cas les deux. Bien entendu, si nous pouvions donner un coup de baguette magique et modifier les frontières en discussion, nous préférerions certainement le faire de façon sélective. Néanmoins, l’examen de la carte révisée, par contraste avec celle montrant les frontières actuelles donne une idée des grands torts que des frontières dessinées par les Français et les Anglais au XXe siècle ont pu faire dans une région qui peinait à émerger des humiliations et défaites du XIXe siècle.

Corriger les frontières pour refléter la volonté du peuple est peut-être impossible. Pour l’instant. Mais avec du temps, et l’inévitable bain de sang qui se produira, des frontières nouvelles et naturelles émergeront. Babylone est tombée plus d’une fois.

En attendant, nos hommes et nos femmes en uniforme continueront de se battre pour la protection contre le terrorisme, pour la perspective de la démocratie et pour l’accès à des sources de pétrole dans une région vouée à une lutte interne. Les divisions humaines actuelles et unions forcées entre Karachi, ajoutées aux malheurs auto-infligés de la région, forment un terrain aussi propice à l’extrémisme religieux, à une culture du reproche et au recrutement de terroristes que quiconque souhaiterait le concevoir. Partout où les hommes et les femmes regrettent leurs frontières, ils se cherchent avec enthousiasme des ennemis.

De la surproduction de terroristes dans le monde à la raréfaction des sources d’énergie, les déformations actuelles du Moyen-Orient promettent une aggravation de la situation, pas une amélioration. Dans une région où seuls les pires aspects du nationalisme ont jamais pris le contrôle et où les aspects les plus dégradés de la religion menacent de dominer une foi désabusée, les États-Unis, leurs alliés et, par-dessus tout, nos forces armées peuvent chercher des crises sans fin. Alors que l’Irak semble fournir un contre-exemple d’espoir – si nous ne quittons pas prématurément son sol – le reste de cette vaste région présente des problèmes qui empirent sur presque tous les fronts.

Si les frontières du grand Moyen-Orient ne peuvent être modifiées pour refléter les liens naturels du sang et de la foi, nous pouvons considérer comme un article de foi qu’une partie du sang versé dans la région sera le nôtre.

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QUI GAGNE, QUI PERD

Les gagnants

Afghanistan

Arménie

Azerbaïdjan

Baloutchistan libre

État arabe chiite

État islamique sacré

Iran

Jordanie

Kurdistan libre

Liban

Yémen

Les perdants

Afghanistan

Arabie saoudite

Cisjordanie

Émirats Arabes Unis

Irak

Iran

Israël

Koweït

Pakistan

Qatar

Syrie

Turquie

Ralph Peters est l’auteur du nouveau livre “Never Quit the Fight”, à paraître le 4 juillet.

Source : Armed Forces Journal, le 01/06/2006

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Frontières de sang : Une proposition visant à redessiner un “Nouveau Moyen-Orient”

Source : Brilliant Maps, le 11/06/2015

La carte apporterait des changements de grande envergure à travers la région, tels que :

Israël : Retourne à ses frontières d’avant 1967.

La Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Irak perdent tous du territoire pour créer un Kurdistan libre.

Le Kurdistan libre : Nouvel État créé pour les Kurdes.

Le Grand Liban : Renaissance de la Phénicie qui gagne aussi du territoire aux dépens de la Syrie.

La Grande Jordanie : Gagne du territoire aux dépens des Saoudiens.

L’Irak sunnite : Un des trois États successeurs de l’Irak, celui-là étant évidemment principalement sunnite.

L’État Arabe Chiite : Un autre successeur de l’Irak, hébergerait la population chiite actuelle de l’Irak tout en gagnant du territoire de l’Iran.

L’État Sacré Islamique : Un nouvel État qui agirait comme un Vatican musulman pris à l’Arabie saoudite.

L’Arabie saoudite : Perd du territoire au profit de la Jordanie, de l’État Arabe Chiite, du Yémen et de l’État Sacré Islamique.

Le Yémen : Prend des terres à l’Arabie saoudite.

Les Émirats Arabes Unis : Perdent des territoires au profit de l’État Arabe Chiite, même si Dubaï restera probablement un terrain de jeu indépendant pour les riches.

Le Koweït et Oman garderaient leurs frontières actuelles.

L’Azerbaïdjan : Gagne du territoire sur l’Iran.

L’Iran : Perd du terrain au profit du Kurdistan, de l’État Arabe Chiite, de l’Azerbaïdjan et du Baloutchistan libre, mais gagne du territoire sur l’Afghanistan. Le but est de rendre l’Iran encore plus persique.

Baloutchistan libre : Nouvel État destiné au peuple baloutche à découper à partir du Pakistan et de l’Iran.

Afghanistan : Perd du terrain au profit de l’Iran à l’ouest, mais gagne du terrain sur le Pakistan à l’est.

Pakistan : Perd du territoire au profit à la fois du Baloutchistan et de l’Afghanistan. Il se situerait dès lors presque entièrement à l’est de l’Indus.

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Source : Brilliant Maps, le 11/06/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/2006-frontieres-de-sang-par-ralph-peters/


« Pour que l’Europe soit sauvée, il faut lever le tabou sur les nations », par Wolfgang Streeck

Wednesday 9 March 2016 at 02:00

Très beau papier paru dans le Monde – et qui a dû désespérer pas mal de lecteurs…

Source : Source : Le Monde, Wolfgang Streeck, 02-03-2016

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“Si, pour toute réponse, la gauche persiste à accabler de son mépris culturel ses anciens électeurs, l’« Europe », au lieu de se refonder de façon relativement ordonnée, se décomposera chaotiquement par suite de la stagnation économique et d’une immigration illimitée. Une hypothèse rendue plausible par la rigidité des élites européennes, qui est en fait de la lâcheté.”

 Par Wolfgang Streeck

Le projet d’un Etat-providence européen a échoué depuis longtemps. L’Etat-providence existe encore en Europe, mais seulement au pluriel, à l’échelon national et en tant qu’acquis démocratique national. Son remplacement ou même son simple accompagnement par une « dimension sociale » conférée au marché unique, dont Jacques Delors s’était fait l’avocat dans les années 1990, est resté un vœu pieux.

L’idée selon laquelle Margaret Thatcher et les Britanniques en seraient seuls responsables est un mythe de la gauche. En réalité, la participation de l’Etat et des syndicats à la régulation politique du capitalisme relève de traditions qui étaient différentes d’un pays européen à l’autre, et le sont toujours. La cogestion par représentation des salariés dans les conseils d’administration de grandes entreprises, à l’allemande, et la cogestion par occupation de bureaux directoriaux et séquestration de PDG, à la française, ne peuvent être ramenées à un dénominateur commun.

Ce n’est pas en laissant les Britanniques aller leur propre chemin, voire en provoquant leur départ – à supposer que ce soit encore nécessaire – qu’on fera de l’« Europe » un Etat-providence supranational. Un Brexit n’aura même pas pour conséquence de rendre le régime monétaire et fiscal de l’euro plus à gauche ou plus keynésien, c’est-à-dire plus expansionniste. On sait que la Grande-Bretagne n’appartient pas à la zone euro, et n’y appartiendra jamais. La stagnation en Europe du Sud et en France n’est pas le fait de Londres.

Même une coalition des Etats européens du Sud qui, sous direction française, mettrait en minorité l’Allemagne au sein d’un Parlement européen, comme l’ont récemment proposé Thomas Piketty et d’autres, ne parviendrait pas à imposer une politique socialiste dans l’Union européenne. A côté de ce Parlement, qui resterait encore à créer mais qui ne se créera jamais, il y aurait la Banque centrale européenne et la Cour de justice européenne.

Certes, la BCE achète en sous-main la complaisance de certains gouvernements par de nouvelles formes de financement monétaire public. Mais elle s’en tient étroitement à son calendrier de réformes néolibérales, malgré l’absence de mandat politique. Ce faisant, elle n’hésite pas – voir la Grèce – à faire pression sur un gouvernement national démocratiquement élu en lui coupant les vivres.

La Cour de justice européenne, elle non plus, ne se prive pas de s’immiscer dans le jeu démocratique et, en imposant une interprétation extensive des traités, ne renoncera pas à faire prévaloir ses fameuses quatre libertés [qui fondent les traités : libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux], si besoin aux dépens du droit de grève – pour ne rien dire du droit européen de la concurrence, auquel contrevient son interdiction des aides d’Etat. Cela non plus, les Britanniques n’en sont pas responsables, ou pas principalement : les inventeurs se trouvent en Allemagne.

L’épouvantail européen

Rien d’étonnant si la « ever closer union among the peoples of Europe » (« une union sans cesse plus étroite ») envisagée avec enthousiasme dans les traités européens est entre-temps devenue, partout en Europe, un épouvantail. Sur ce plan, la Grande-Bretagne n’a rien d’une exception. Toute nouvelle avancée possible vers un super-Etat européen, si fédéral soit-il, échouera aujourd’hui sous la pression des électeurs, même là où un référendum n’est pas nécessaire.

Cela vaut aussi pour l’Allemagne – le pays qui donnerait le la dans une Europe unie en un Etat. Il est donc grand temps, penserait-on, et en particulier pour la gauche, de lancer l’indispensable débat sur ce qu’on appelle en jargon bruxellois la finalité du processus d’intégration européenne – et l’exigence britannique d’une redéfinition du rapport entre l’Europe et ses Etats membres aurait pu en être le prétexte idéal.

Mais il ne s’est rien produit de tel. Les eurocrates et les gouvernements qui les soutiennent craignent les débats sur le but dernier de l’intégration européenne comme le diable craint l’eau bénite. S’il fallait encore une preuve de l’impuissance politique auto-imposée de Bruxelles – de la paralysie de la politique européenne prise dans son impasse historique –, ce serait la façon dont ont été reçues les exigences britanniques.

Après les polémiques obligées sur le traitement de faveur que réclament éternellement les Britanniques, alors que toutes les nations européennes rêvent depuis belle lurette d’en réclamer autant, on est passé à la procédure bruxelloise classique : la négociation d’un bon vieux communiqué grâce auquel tous les gouvernements concernés ainsi que l’eurocratie peuvent croire et faire croire qu’ils ont eu gain de cause. L’établissement de tels textes, où de grands thèmes se trouvent émiettés en petits détails technocratiques incompréhensibles pour le profane, est désormais un art développé à la perfection par Bruxelles ; peut-être son seul art et, en tout cas, de loin le plus marquant.

Le problème, qui n’a pourtant jamais gêné les responsables politiques européens, c’est que, régulièrement, l’accord ainsi atteint perd sa substance au bout de quelques mois et exige alors une nouvelle révision collective, une nouvelle pseudo-solution. Mais en attendant, on a obtenu le calme, et tant qu’au round suivant nul ne se souvient du dernier, le travail sur ce qu’on ose appeler l’idée européenne peut tranquillement se poursuivre.

Les peuples européens vivant en démocratie attendent de leur gouvernement qu’il protège leur attachement à l’autodétermination nationale, y compris contre Bruxelles et, dans tous les cas, contre Berlin

Ainsi a donc été gâchée une nouvelle chance d’échafauder un plan B. Pour que l’Europe soit sauvée, il faudrait qu’un tel plan lève résolument le tabou sur la nationalité, les frontières nationales et les intérêts nationaux. Ce qui, après le naufrage des « illusions delorsiennes », ne devrait pas donner tant de mal à la gauche, elle qui entend défendre l’Etat-providence européen.

L’Europe organisée est condamnée à disparaître, aussi longtemps que le gouvernement allemand, se réclamant du droit européen, peut faire prescrire par Bruxelles à des pays comme la Pologne ou le Danemark une restructuration de leur population par l’ouverture de leurs frontières à des contingents de migrants, contingents calculés en pourcentage d’un chiffre total qui ne cesse de gonfler – simplement pour que l’Allemagne et l’économie allemande puissent ériger leur problème démographique autogénéré en problème européen, et ainsi légitimer sur le plan intérieur la restructuration de leur propre population par une immigration illimitée.

Les peuples européens vivant en démocratie attendent de leur gouvernement qu’il protège leur attachement à l’autodétermination nationale, y compris contre Bruxelles et, dans tous les cas, contre Berlin. C’est pourquoi une politique extérieure intra-européenne qui s’exerce dans le respect de la souveraineté nationale ne saurait être tout bonnement remplacée par une politique intérieure paneuropéenne centralisée.

« Non à un super-Etat, oui à la coopération » : ce slogan, qu’on entend aujourd’hui décliner sous diverses formes dans bien des pays européens, pourrait être une piste – ce qui lui vaut d’être dénoncé comme antieuropéen par les Européens de profession. Mais les grands Etats hétérogènes ne sont pas l’avenir, quoi que nous serinent avec un bel ensemble le philosophe allemand Jürgen Habermas et Peter Sutherland, représentant cosmopolite du capital européen [Irlandais, il est président de Goldman Sachs International].

C’est précisément dans la tradition française qu’on pourrait puiser la formule d’une future Europe, formule ouverte et qui, bien sûr, resterait à développer : l’Europe des patries chère à de Gaulle. Ou l’Europe des patries et des matries, proposerais-je en guise de premier pas vers un rebranding (« un renouvellement d’image ») politiquement correct.

Une occasion manquée

Quoi qu’il en soit, nous ne tarderons pas à payer cette occasion historique manquée. Il est probable que l’accord de Bruxelles avec David Cameron et une partie de son gouvernement ne suffira pas aux électeurs britanniques. Dans ce cas, il faut espérer qu’un retrait de la Grande-Bretagne n’entraînera pas un réveil des fantasmes centralistes d’intégration, une alliance renouvelée entre la gauche européenne et la technocratie européenne.

Il en résulterait plus de résistances encore, non seulement à droite, où le nationalisme est ancré depuis toujours, mais aussi dans la clientèle traditionnelle de la gauche, qui, face à la fusion du vieil internationalisme prolétarien avec le nouvel internationalisme de la finance, n’a plus guère d’autre choix que de rejoindre les partis protestataires, aujourd’hui majoritairement de droite.

Si, pour toute réponse, la gauche persiste à accabler de son mépris culturel ses anciens électeurs et à ne voir en eux qu’un « ramassis » (Sigmar Gabriel, vice-chancelier allemand SPD), l’« Europe », au lieu de se refonder de façon relativement ordonnée, se décomposera chaotiquement par suite de la stagnation économique et d’une immigration illimitée. Une hypothèse rendue plausible par la rigidité des élites européennes, qui est en fait de la lâcheté.

Ce scénario ne serait pourtant pas inévitable. En plein essor à gauche comme à droite, le populisme, comme le désigne péjorativement un centre réduit à peau de chagrin, pourrait juguler l’abstentionnisme qui se développe depuis plusieurs décennies dans les démocraties européennes. Les gouvernements, eux, pourraient réagir en fermant un peu plus les voies décisionnelles, pour prémunir leurs certitudes politiques contre ceux à qui elles ne disent plus rien. Mais il n’est pas sûr que cela fonctionne, et alors se ferait peut-être jour la possibilité – et d’ailleurs la nécessité – d’une reconfiguration par le bas des chances de participation démocratique.

On en trouverait de premiers exemples en Grande-Bretagne, justement, avec l’élection de Jeremy Corbyn à la tête d’un Labour Party renouvelé, mais aussi le référendum organisé par le gouvernement Cameron pour damer le pion à l’UKIP (parti britannique antieuropéen) et autres. La nouvelle vague de participation démocratique dont l’Europe a besoin ne peut s’amorcer ni sur un mode supranational ni au sein d’institutions conçues ou réaménagées par les Juncker et les Draghi de ce monde pour servir leurs propres buts et les intérêts qu’ils représentent.

La démocratie ayant besoin d’air pour respirer, il faut pourtant aussi une réforme de l’Europe supranationale. La renégociation du rapport entre l’UE et la Grande-Bretagne, qui serait à l’ordre du jour après un éventuel Brexit, en offrirait une nouvelle occasion, peut-être la dernière. La pression autoritaire exercée par la Cour de justice de l’UE pour imposer la libéralisation devrait notamment être contrée par un renforcement des Parlements nationaux, et la BCE, désormais cantonnée dans ses tâches fondamentales, devrait renoncer, tout comme la Commission, à vouloir prescrire aux Pays membres leur politique budgétaire, par exemple.

Si cela n’allait pas, il faudrait envisager rien de moins qu’un rétablissement partiel et coordonné de la souveraineté monétaire dans les pays européens qui subissent l’euro. En comparaison, la querelle sur les réfugiés ne serait plus qu’une bagatelle.

(Traduit de l’allemand par Diane Meur)

Wolfgang Streeck (Sociologue de l’économie et professeur à l’université de Cologne)

Source : Source : Le Monde, Wolfgang Streeck, 02-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/pour-que-leurope-soit-sauvee-il-faut-lever-le-tabou-sur-les-nations-par-wolfgang-streeck/


Elections en Slovaquie : comment Bruxelles a favorisé l’euro-scepticisme, par Romaric Godin

Wednesday 9 March 2016 at 00:10

Source : La Tribune, Romaric Godin, 07-03-2016

Le premier ministre slovaque, Robert Fico, a subi une lourde défaite samedi. (Crédits : Reuters)

Le premier ministre slovaque, Robert Fico, a subi une lourde défaite samedi. (Crédits : Reuters)

Les élections slovaques de samedi 5 mars ont clairement favorisé les partis de droite eurosceptique. Un résultat auquel les politiques européennes ne sont pas étrangères. Et pas seulement sur la question migratoire.

Les élections parlementaires slovaques qui se sont tenues samedi 5 mars sont une nouvelle gifle pour l’Europe telle qu’elle fonctionne actuellement. En Slovaquie, comme en Irlande une semaine plus tôt, le système politique traditionnel a éclaté. Mais alors qu’en Irlande, on a connu un basculement vers la gauche, la Slovaquie a connu un fort basculement vers la droite eurosceptique.

La défaite du « centre-gauche »

Ainsi, le parti du Premier ministre sortant Robert Fico, le Smer, considéré comme « social-démocrate » (mais à la rhétorique très nationaliste) est passé de 44 % des voix en 2012 à 28 % des voix. Le grand vainqueur du scrutin est le parti Liberté et Solidarité (SaS) qui arrive deuxième en doublant son score avec 12,3 % des voix. SaS est un parti marqué par le libertarisme étatsunien, qui, en 2012, avait fait chuter le gouvernement en votant contre toute « aide » à la Grèce. Il est talonné par un parti assez proche, quoique plus conservateur, Oľano (« gens ordinaires ») qui obtient 11%.

La victoire des partis xénophobes

Viennent ensuite des partis ouvertement xénophobes. D’abord, le Parti national slovaque (SNS), à 8,5 % (+4,1 points), allié du Smer dans la coalition sortante et de l’UKIP britannique au parlement européen, ouvertement nationaliste. Ensuite, Kotleba-ĽSNS, un parti ouvertement fascisant, allié des néo-nazis allemands du NPD et grecs d’Aube Dorée, qui obtiennent – à la surprise générale – 8 % des voix, plus de 6 points de plus qu’en 2012. Enfin, le parti Sme Rodina, de l’homme d’affaires Boris Kollár, qui entre au parlement avec 6,6 % des voix et qui, lui aussi, a une rhétorique nationaliste.

La disparition de la droite pro-européenne

Cinq des huit partis du parlement – représentant 80 des 150 sièges du parlement – sont désormais clairement eurosceptiques, à des degrés différents et pour des raisons différentes. Mais la droite pro-européenne membre du Parti populaire européen de Jean-Claude Juncker ou à l’alliance des Libéraux (ALDE) subissent une cuisante défaite. Si le parti de la minorité hongroise, Most-HID, membre du PPE, maintient ses positions en tant que représentants des Magyars de Slovaquie, avec 6,4 % des voix, les Chrétiens-démocrates du KDH, membre du PPE et deuxième parti du pays en 2012, ont obtenu moins des 5 % des voix nécessaires à l’entrée au parlement. Celui qui devait prendre le relais de l’opposition de centre-droit, le parti Sieť (Réseau), membre de l’ALDE, n’a obtenu que 6 % des voix, moins de la moitié que ce que les sondages lui prédisaient.

La campagne anti-migrants de Robert Fico, raison première du désastre

Comment comprendre ces résultats ? D’abord, c’est le fruit de la campagne de Robert Fico, centrée sur la question des réfugiés et sur son refus de participer aux quotas de redéploiement des migrants en Slovaquie. En focalisant sa campagne sur ce terrain, le Smer a alimenté le nationalisme. Sauf qu’à ce petit jeu, Robert Fico s’est rapidement fait débordé sur sa droite et a clairement ouvert la voie à une extrême-droite qui a pu dénoncer la participation du gouvernement à la gestion de la crise des réfugiés en Europe. Mais la faute de Robert Fico est aussi la faute de l’Europe.

Les Européens ont permis la campagne de Fico

D’abord parce que les Européens ont laissé la rhétorique anti-migrants de Robert Fico se développer. Le Premier ministre slovaque a pu appuyer son discours sur des réalités : le refus partagé par les autres pays d’Europe centrale (Pologne, République tchèque, Hongrie) de respecter les quotas, mais aussi la décision de l’Autriche de limiter les entrées le 19 février dernier qui a singulièrement rapproché Bratislava et Vienne. Robert Fico a alors pu défendre l’idée d’une Angela Merkel isolée et d’un front « du refus » des quotas dominants en Europe. D’autant que certains pays d’Europe occidentale, à commencer par la France, se sont montrés fort peu pressés d’accepter des réfugiés. Pourquoi Robert Fico aurait-il alors accepté ces quotas et pourquoi n’aurait-il pas fait de ce refus son principal élément de bilan ? Mais, on l’a vu, cette stratégie s’est révélée très périlleuse.

L’absence de réaction des Sociaux-démocrates européens

En passant, on soulignera la responsabilité de la social-démocratie européenne. Malgré des appels répétés, malgré une alliance du Smer avec le SNS, malgré une rhétorique de plus en plus nationaliste, le parti socialiste européen (PSE) n’a jamais voulu sanctionner le parti de Robert Fico. En octobre dernier, le Smer s’était contenté d’assurer son « engagement avec les valeurs du PSE. » Mais ce manque de vigilance des socialistes européens a été un des éléments qui n’ont pas freiné le premier ministre slovaque. Et qui, partant, ont alimenté son discours anti-migrants. Moyennant quoi, le PSE a subi ce samedi une nouvelle défaite électorale cuisante, une semaine après l’effondrement du Labour irlandais.

Quelles « valeurs communes » ?

Evidemment, ce désastre électoral slovaque traduit également l’absence de vraie gestion de la crise migratoire. Lorsqu’Angela Merkel a accepté d’ouvrir les frontières en espérant une solidarité européenne, elle a clairement surestimé l’engagement européen des pays d’Europe centrale et sous-estimé leur nationalisme latent. Du coup, l’ouverture des frontières allemandes a conduit à une clôture des frontières de ses pays dont les populations se sont clairement renfermées sur eux-mêmes. Peu importe que ces pays, à la démographie déclinante, figurent parmi ceux qui ont le plus a gagné de l’immigration, peu importe aussi qu’ils sont ceux qui ont le moins d’immigrés sur leur sol : le fait est qu’ils ne semblent pas prêts à accepter des immigrés du Moyen-Orient. Pour les Slovaques, comme pour les Polonais ou les Hongrois, l’accueil des migrants ne fait pas partie des valeurs européennes. Ceci soulève donc une question assez brûlante : celle des « valeurs communes » à l’Europe. Angela Merkel a cru que l’accueil des migrants faisait partie de ces valeurs. Les électeurs slovaques se sont empressés de lui démontrer le contraire.

Le refus de la solidarité européenne

Avec le recul, il est donc sans doute temps de réfléchir au bilan de cette intégration. Au-delà des chiffres idylliques de croissance, ces élections slovaques, comme les élections polonaises l’automne dernier, viennent prouver que le bilan de l’élargissement de 2004 est en demi-teinte. Les transferts financiers et les délocalisations industrielles vers ces pays n’ont mis fin au nationalisme latent dans ces pays. La crise économique et celle des migrants l’a rapidement réveillé. Certes, l’Europe centrale n’est pas un cas unique : la xénophobie connaît une expansion à l’ouest et au nord du continent. Mais il y a dans cette région un vrai paradoxe : elle a considérablement profité de l’intégration européenne, mais elle recule devant tout acte de solidarité européenne. On peut se contenter de se lamenter sur cette version unilatérale de l’engagement européen de ces pays, qui seraient prêts à recevoir mais pas à donner. Mais il convient aussi de se souvenir de quelques réalités.

La croissance ne pourvoit pas à tout

D’abord, l’erreur de l’Europe qui a cru que la croissance pourvoirait à tout et assurerait le succès de l’esprit européen. Mais c’est oublier quelques éléments. Cette croissance de 4 % entre 2001 et 2011 a un revers : elle s’est faite aux prix de « réformes » qui ont détruit un peu partout l’Etat social. Ceux qui défendent ces politiques en faisaient d’ailleurs des modèles « d’adaptation » et « d’efforts » qui ont payé. Mais parmi les raisons du rejet du Smer ce 5 mars, les électeurs citaient, outre la question des migrants, le mauvais état des systèmes scolaires et médicaux et des infrastructures. La Slovaquie fière qui donnait des leçons budgétaires à la Grèce en 2015 souffre également d’un sous-investissement public constant. La défaite du Smer est aussi la défaite de la social-démocratie convertie à l’austérité.

D’autant que la croissance slovaque est très inégalitaire. Un seul chiffre permettra de le prouver. Au classement régional des PIB par habitant d’Eurostat, la région de Bratislava arrive en sixième position avec un PIB par habitant supérieur à 86 % de la moyenne de l’UE, soit plus que la Bavière et l’Île de France. Mais les trois autres régions slovaques se situent à un niveau inférieur de 28 % à 49 % à cette moyenne. Par ailleurs, malgré la croissance, le chômage reste élevé : 10,8 % de la population active, traduisant le fait qu’une part des actifs, souvent issus des industries traditionnelles « liquidées » par la modernisation, mais aussi des minorités, comme les Roms, ne profitent guère de la croissance.

Les dividendes de la crise grecque

Le modèle de croissance promu par l’Europe a donc son revers qui de plus en plus insupportable pour les citoyens slovaques qui, rejet logique du communisme oblige, se tourne vers l’extrême-droite pour tenter de trouver des solutions. Et là encore, la responsabilité de l’Europe n’est pas nulle. Lors de la crise de la zone euro, et particulièrement lors de la crise grecque de l’an passé, l’Allemagne, la France et les institutions européennes ont utilisé la Slovaquie comme contre-exemple de la lutte contre Alexis Tsipras. Il s’agissait de mettre en avant le modèle slovaque de réformes et de modernité contre l’archaïsme et la mauvaise volonté grecque, en oubliant l’apport de l’UE dans la croissance slovaque. Le gouvernement slovaque a pris ce rôle – qui le flattait fort – très au sérieux. Son ministre des Finances, Petr Kažimír, a été un des plus violents contre la Grèce. Mais c’était un jeu dangereux : on flattait ainsi le nationalisme slovaque et on encourageait son refus de solidarité.

Le jeu dangereux de Berlin en 2015

Berlin, qui avait allumé la mèche, vient, ce samedi, de constater les conséquences de ce jeu dangereux. Le deuxième parti du pays, le SaS est un parti qui s’oppose à toute forme de solidarité interne à la zone euro comme il l’a prouvé en 2012 en rejetant l’aide à la Grèce. C’est le parti qui assume pleinement le discours de Petr Kažimír. Les électeurs slovaques se sont montrés logiques : flattés l’an dernier dans leur « supériorité » supposée vis-à-vis du sud de l’Europe, ils ont choisi un parti qui assurera une politique de non solidarité avec cette région. Cet « égoïsme » ne tombe pas du ciel : en 2012, SaS, après son rejet de l’aide à la Grèce, avait perdu 7 points de pourcentage. Il en regagne 6 aujourd’hui.

Logiquement : le gouvernement de Robert Fico, avec l’appui de Wolfgang Schäuble, lui a donné raison l’an passé… Lorsque, lors de la crise grecque, on a encouragé le gouvernement slovaque à tenir un discours méprisant pour un autre peuple, égoïste et « supérieur », on ne doit pas s’étonner de voir ce même gouvernement refuser la solidarité sur les migrants (du reste, le gouvernement a continué à accuser la Grèce sur les migrants) et, in fine, l’extrême-droite investir le parlement de Bratislava.

Au final, le bilan de ces élections slovaques sont désastreuses. Elles rendent le pays ingouvernable et en font un partenaire très difficile pour les Européens de l’ouest. Mais il convient de ne pas oublier que plusieurs erreurs de l’Europe ont conduit à ce désastre. Angela Merkel va sans doute apprendre à ses dépens que s’appuyer en 2015 sur la Slovaquie contre la Grèce pourrait se révéler avoir été une erreur tactique lourde de conséquences.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 07-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/elections-en-slovaquie-comment-bruxelles-a-favorise-leuro-scepticisme-par-romaric-godin/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Béchade, ScienceEtonnante)

Wednesday 9 March 2016 at 00:01

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : Olivier Delamarche: loi El Khomri:” on est en train de se foutre de la gueule du monde!” – 07/03

Olivier Delamarche VS Jean-François Robin (1/2): Quels sont les enjeux de la prochaine réunion de la BCE ? – 07/03

Olivier Delamarche VS Jean-François Robin (2/2): La loi El Khomri peut-elle faire baisser le chômage ? – 07/03

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: Croissance américaine: “1% de hausse c’est terrible!” – 02/03

Philippe Béchade VS Alexandre Baradez (1/2): Un nouveau relèvement des taux de la FED risque-t-il de freiner le rebond des marchés ? – 02/03

Philippe Béchade VS Alexandre Baradez (2/2): Quels messages les banques centrales veulent-elles transmettre via les taux négatifs ? – 02/03

III. ScienceEtonnante

Stephen Hawking et la Théorie du Tout — Science étonnante # 2

Qu’est-ce que la Théorie du Tout ? Pourquoi on l’appelle comme ça ? Pourquoi on la recherche ? Et qu’a fait Hawking dans tout ça ?

En savoir plus sur la mécanique quantique : https://sciencetonnante.wordpress.com…

…et sur la Relativité Générale d’Einstein : https://sciencetonnante.wordpress.com…


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 


 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-bechade-scienceetonnante/


La BCE va tenter de sauver sa crédibilité avec de nouvelles mesures, par Romaric Godin

Tuesday 8 March 2016 at 03:39

C’est triste un système monétaire qui meurt, et est placé en soins palliatifs…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 06/03/2016

La BCE doit jeudi réussir à convaincre de sa capacité à redresser les anticipations d'inflation. (Crédits : Reuters)

La BCE doit jeudi réussir à convaincre de sa capacité à redresser les anticipations d’inflation. (Crédits : Reuters)

Jeudi 10 mars, Mario Draghi va prendre de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif. L’enjeu sera de rassurer les marchés sur sa capacité à maîtriser le risque déflationniste. Un défi de plus en plus difficile.

C’est peu de dire que la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE jeudi 10 mars est attendue. Après 3 décembre, où les annonces du président Mario Draghi avaient tant déçu, ce dernier a tenté de corriger le tir le 21 janvier en annonçant à mots à peine couvert une nouvelle vague de mesures en mars. Depuis, l’attente est devenue encore plus forte. Et pour cause : les indicateurs reviennent progressivement dans le rouge. Le sentiment économique de la zone euro se dégrade dans la foulée du ralentissement chinois depuis le début de l’année, le PMI manufacturier a ainsi reculé de 52,3 à 51,1 : encore en zone positive, mais en forte chute…

Réagir à la baisse de l’inflation

L’élément qui place encore davantage la BCE sous pression, c’est le chiffre d’inflation pour février. Non pas tant parce qu’on y a encore connu une baisse des prix de 0,2 %, mais parce que le chiffre sous-jacent, hors effet de l’énergie, a également chuté. « Il y a dans ce recul de l’inflation sous-jacente des éléments inquiétants auxquels la BCE se doit de réagir fermement », souligne Frédérik Ducrozet, économiste chez Pictet Wealth Management à Genève. Ces éléments inquiétants, ce sont les « effets de second tour », autrement dit une forme de « contagion » de la baisse des prix de l’énergie vers d’autres biens et services. Un danger que Mario Draghi avait publiquement mis en avant le 21 janvier. Et pour cause : si cette « contagion » se produit, « l’effet de base » des prix de l’énergie qui devrait faire remonter l’inflation (et que l’on attend toujours) sera plus faible. Les anticipations d’inflation ne remonteront donc pas.

Effacer le « couac » du 3 décembre

Or, dans l’esprit de l’institution, c’est le redressement de ces anticipations qui est la clé du succès de sa politique. Si le marché (et, donc, pour la BCE, les agents économiques) anticipe davantage d’inflation, les comportements s’ajusteront : le futur s’éclaircira, investir et embaucher sera plus simple. Sinon, les agents économiques s’attendront à un ralentissement de la baisse des prix. Ils se montreront davantage prudents et reporteront leurs actions, sans risque puisque l’inflation est faible. L’avantage du présent disparaîtra devant celui du passé et la logique déflationniste aura gagné. Il est donc impératif pour la BCE de convaincre les marchés qu’elle est déterminée à combattre l’inflation faible afin d’agir sur leurs anticipations. Et pour cela, il lui faut absolument faire oublier le «couac » du 3 décembre.

Prendre en compte l’opposition de la Bundesbank

Comment faire ? La BCE n’a cessé de dire qu’elle avait encore assez d’outils à sa disposition. Mais, jeudi, elle devrait surtout amplifier l’usage des outils déjà existants. Malgré une politique désormais très accommodante, la BCE demeure par essence une institution prudente, soumise à de multiples contraintes, parfois contradictoires. La difficulté de l’exercice consistera pour Mario Draghi à lancer un message fort jeudi, tout en restant dans des limites acceptables au regard de ses adversaires, notamment de la Bundesbank. Car si son président, Jens Weidmann, ne votera pas lors du Conseil des gouverneurs de ce jeudi, il sera présent et conserve une influence certaine sur l’assemblée.

Encore plus d’argent dans le QE

La première mesure, la plus attendue, conserve le programme de rachat d’actifs publics, souvent identifié à l’assouplissement quantitatif (QE). Le 3 décembre, la BCE n’avait que prolongé jusqu’en mars 2017 ce programme, ce qui avait beaucoup déçu un marché qui attendait une augmentation du volume des rachats. « L’allongement de la durée du programme n’a pas d’effet immédiat, il ne répond pas aux inquiétudes actuelles. Les marchés ne s’occupent pas pour le moment de mars 2017, ils veulent des mesures efficaces maintenant », explique Frédérik Ducrozet qui considère que la date de fin du programme pourrait ne pas changer jeudi. Cette fois, la BCE rajoutera en revanche sans doute entre 10 et 15 milliards d’euros au programme de rachat actuellement fixé à 60 milliards d’euros mensuels. Ceci représenterait une hausse de 17 à 25 % des injections de liquidités. En tout, d’ici à mars 2017, 110 à 165 milliards d’euros de plus. Frédérik Ducrozet imagine même une action plus forte : « la BCE pourrait augmenter temporairement les rachats à 20 milliards d’euros mensuels pour frapper fort, quitte à ralentir ensuite lorsque les inquiétudes actuelles seront passées. »

Le problème de la rareté des titres à acheter

Ce sera, en tout cas, le cœur du message de Mario Draghi : le QE2 est plus fort que le QE1. Reste une contrainte : les titres disponibles au rachat sont de moins en moins nombreux. La BCE s’est en effet donnée deux contraintes lors de la création de son QE : ne pas acheter des titres au rendement inférieur à son taux de dépôt et ne pas acheter plus de 33 % d’une dette pour ne pas influer sur le marché et ne pas être soumise aux clauses collectives qui, en cas de défaut, contraindrait la BCE à accepter une restructuration. Ces deux éléments étaient des gages donnés à l’Allemagne pour l’assurer que la BCE ne réalisait pas d’opérations « risquées » ou « à perte. » Dans le même esprit, les volumes des rachats par pays ont été fixés proportionnellement à la clé de répartition du capital de la BCE. L’Allemagne et la France sont donc les deux principales dettes concernées.

L’ennui, c’est que ces « garanties » données à la Bundesbank limitent considérablement le stock de titres à racheter. Aujourd’hui, la moitié des titres allemands sont inéligibles pour cause de baisse des taux et, comme l’Allemagne se désendette, la difficulté ne va cesser de croître. Pour rendre son action crédible, Mario Draghi devra donc l’accompagner de mesures permettant d’élargir le spectre des achats. Cet élargissement pourrait être l’occasion de rapprocher le QE de l’économie réelle en rachetant des prêts non titrisés, voire des actions d’entreprises européennes, mais aussi de cibler le QE sur des économies plus fragiles comme ceux du sud de l’Europe. Le problème, c’est qu’il s’agit d’une « ligne rouge » de la Bundesbank et qu’un tel élargissement pourrait provoquer une nouvelle plainte devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Quelles mesures d’accompagnement ?

On voit le dilemme de la BCE : ou ne rien faire et risquer une perte de crédibilité des mesures annoncées car le marché se posera la question de la faisabilité des rachats, ou agir et affronter l’Allemagne. Mario Draghi pourrait choisir d’agir prudemment en élargissant le QE à de nouvelles structures parapubliques (les « agences » dans le jargon de marché) comme ERDF ou RFE, par exemple. Mais, prévient Frédérik Ducrozet, il n’y aura pas d’élargissement massif des rachats à d’autres types de produits. « La BCE veut aussi se conserver des armes pour l’avenir », ajoute-t-il. Il sera, en tout cas, intéressant d’observer si Mario Draghi va plus avant dans son combat contre la Buba en s’attaquant à la clé de répartition des achats ou à la limite du taux de dépôt pour le rendement des titres rachetés. Dans les deux cas, Jens Weidmann pourrait y voir un casus belli qui favoriserait le financement des « mauvais élèves » de la zone euro et ferait prendre des risques aux contribuables allemands.

Troisième action : une nouvelle baisse du taux de dépôt ?

La BCE devrait également annoncer une nouvelle baisse de son taux de dépôt de 10 points de base, donc de -0,3 % à -0,4 %. « Cette nouvelle baisse est indispensable pour répondre aux attentes du marché », assure Frédérik Ducrozet. L’institution irait donc plus avant en territoire négatif, mais, en réalité, elle se contentera de s’ajuster aux attentes du marché avant le 3 décembre. Le but de cette baisse des taux est, rappelons-le, la même que celle d’une baisse du taux de refinancement en période « normale » : il s’agit de favoriser la circulation des excès de liquidités issues des rachats de la BCE pour faire baisser le taux interbancaire et favoriser ainsi les prêts à l’économie réelle. L’efficacité de ce schéma reste cependant à démontrer et l’ambition de ces taux négatifs est souvent plutôt de peser sur la devise. Or, la BCE a besoin d’urgence que l’euro s’affaiblisse davantage pour exercer une pression haussière sur l’inflation. Après l’entrée de la Banque du Japon en territoire négatif également, la réponse semblait devoir s’imposer.

Le risque bancaire

Reste que, là aussi, le mouvement n’est pas simple. Ces taux négatifs agitent le marché qui craint un impact sur la rentabilité d’un secteur bancaire dont la santé n’est pas assurée. Une crainte alimentée, du reste, par le secteur lui-même, qui se plaint beaucoup des taux négatifs. Selon Frédérik Ducrozet, ces craintes sont exagérées : « j’estime le coût des taux négatifs à environ 2 milliards d’euros, ce qui est gérable au regard des bénéfices cumulés qui s’élèvent à 315 milliards d’euros. » Mais, là encore, l’effet psychologique joue. L’abaissement du taux négatif pourrait alimenter encore les craintes sur la rentabilité des banques. Nouveau dilemme, donc pour la BCE, soumise à un besoin de couper ses taux et à un risque de provoquer une crise du secteur bancaire.

Un taux négatif à « deux niveaux » ?

Pour le résoudre, une solution « à la suisse » semble se dessiner. Comme dans la Confédération, la BCE pourrait décider de ne taxer les excès de liquidités qu’au-delà d’une certaine proportion. Les banques disposeraient alors d’un « coussin de sécurité » et seraient moins touchées par le coût du taux négatif, même plus élevé. Benoît Cœuré, le membre français du directoire de la BCE, a évoqué ce mécanisme voici peu. Mais cela ne risque-t-il pas de réduire l’efficacité, déjà contestée, des taux négatifs ? « Pas vraiment, estime Frédérik Ducrozet, car sur les 700 milliards d’euros d’excès de liquidité, 300 milliards seulement sont « utilisés » pour faire baisser les taux. » Par ailleurs, les « excès de liquidité » concernent de « l’argent de banque centrale » qui ne circule qu’entre les banques et la banque centrale. Ce montant va logiquement augmenter avec le QE, réduisant l’impact du « coussin de sécurité. »

La BCE est-elle encore crédible ?

Reste une dernière question, la plus centrale : la BCE peut-elle, malgré tout, encore convaincre ? La BCE a engagé sa baisse des taux en octobre 2013, elle a pris ses premières mesures non conventionnelles en juin 2014 et a lancé son QE en mars 2015. Et l’inflation reste désespérément basse. Même si la BCE conserve des armes, sa capacité à agir réellement s’émousse. Les outils qui demeurent à sa disposition commencent à s’amenuiser. On sait que les prochaines étapes seront plus délicates à mettre en place, en raison de l’opposition allemande. Surtout, les marchés commencent à prendre conscience que le QE n’a qu’un caractère « défensif » contre la déflation, mais que sa capacité à faire remonter l’inflation est faible. Or, dans un contexte international où les banques centrales sont fortement en concurrence pour « exporter » leur déflation, la tâche devient très difficile.

Les limites de la politique monétaire

Rajouter 10, 15 ou 20 milliards d’euros mensuels au QE sera-t-il alors suffisants pour rétablir cette crédibilité ? Sans doute à très court terme pour rassurer les marchés et stabiliser la situation. Mais la BCE est en permanence sur la corde raide. « La BCE est crédible tant qu’il y aura une augmentation même lente de l’inflation sous-jacente », estime Frédérik Ducrozet. Mais plus l’inflation reste faible longtemps, plus il est difficile de redresser les anticipations, et plus l’inflation demeure faible : c’est la principale leçon de l’histoire récente du Japon. Or, la BCE, isolée, utilise et renforce un outil qui a montré son incapacité à redresser l’inflation. Et si le problème n’était pas quantitatif, mais qualitatif ?

De plus en plus, il semble évident que sans utilisation du levier budgétaire, la bataille de la BCE est perdue d’avance. Elle combat une réalité qu’elle maîtrise de moins en moins bien. « Sans recours à une politique d’investissement public forte, le QE conduit à des mauvaises allocations des ressources et a un impact faible sur l’inflation et l’action de la BCE semble vaine », remarque Christopher Dembik, économiste chez Saxo Bank. Lequel redoute un scénario à la japonaise : « Au Japon, l’action budgétaire a été trop tardive et redresser les anticipations des agents économiques relève de la gageure, c’est ce qui menace désormais la zone euro. » Tout se passe comme si la politique monétaire, sur laquelle les Etats se sont quasi exclusivement appuyés depuis 2007, arrivait au terme de ses possibilités.

Les contradictions de la BCE

Sauf que, dans le cadre budgétaire de la zone euro, encore renforcé en 2011 et 2012, le levier budgétaire est inopérant. Il l’est d’autant plus que l’Allemagne, qui dispose de marge de manœuvre, refuse d’agir. Et la BCE est prise dans un piège. En tant qu’institution, elle ne peut remettre en cause le cadre budgétaire et, mercredi 2 mars, Benoît Cœuré a ainsi martelé qu’il n’y a pas de marge de manœuvre budgétaire. Et pourtant, elle ne peut plus être efficace sans ce levier budgétaire. Elle est donc prise dans ses contradictions. Le risque, c’est que le marché ne croit plus à sa capacité à agir seule. Comme la politique budgétaire ne viendra pas, la BCE risque de ne plus convaincre à terme. Et la reprise en zone euro, déjà faible, sera désormais en grand danger.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 06/03/2016

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Je vous ai mis à jour le bilan de la BCE (de l’EuroSystème pour être exact, c’est-à-dire la BCE + toutes les banques centrales nationales):

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On voit bien le QE en cours, où la BCE rachète essentiellement des obligations publiques, augmentant donc son risque…

La BCE, une incroyable aventure historique dont votre argent est le héros… (sic.)

Source: http://www.les-crises.fr/la-bce-va-tenter-de-sauver-sa-credibilite-avec-de-nouvelles-mesures-par-romaric-godin/


Risquer une guerre nucléaire pour al-Qaïda ? Par Robert Parry

Tuesday 8 March 2016 at 01:01

Source : Consortiumnews.com, le 18/02/2016

Le 18 février 20168

Exclusif : Le risque que le conflit multilatéral syrien déclenche une Troisième Guerre mondiale persiste, alors que la Turquie, l’Arabie saoudite et les néoconservateurs américains réfléchissent à une invasion capable d’arrêter les troupes russes – et potentiellement de faire dégénérer la crise syrienne en une confrontation nucléaire, tout ça pour protéger des terroristes d’al-Qaïda, a déclaré Robert Parry.

Par Robert Parry

Quand le président Barack Obama a répondu aux questions des journalistes mardi, celle qui aurait dû être posée – mais ne l’a pas été – était de savoir si oui ou non il avait interdit à la Turquie et à l’Arabie saoudite d’envahir la Syrie, car c’est bien ça qui pourrait faire dégénérer l’épouvantable guerre civile syrienne en une Troisième Guerre mondiale, voire en un conflit nucléaire.

Si la Turquie (avec des centaines de troupes massées près de la frontière syrienne) et l’Arabie saoudite (et son aviation de pointe) mettent leurs menaces à exécution et interviennent militairement en Syrie pour sauver leurs obligés rebelles, dont le Front al-Nosra d’al-Qaïda, de la forte offensive du gouvernement syrien soutenue par la Russie, alors cette dernière devra prendre une décision concernant la protection de ses quelque 20 000 militaires présents en Syrie.

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Le président Barack Obama réunit le vice-président Joe Biden et d’autres conseillers dans le bureau ovale le 2 février 2016. [Photo de la Maison-Blanche]

Une source proche du président Vladimir Poutine m’a dit que les Russes avaient prévenu le président turc Recep Tayyip Erdogan que Moscou était prête à utiliser des armes nucléaires tactiques pour sauver ses troupes face une attaque turco-saoudienne. La Turquie étant membre de l’OTAN, un tel conflit pourrait rapidement tourner en une confrontation nucléaire de grande envergure.

Étant donné la mégalomanie d’Erdogan ou encore l’instabilité mentale, l’agressivité et l’inexpérience du prince saoudien Mohammed bin Salman (ministre de la Défense et fils du roi Salman), la seule personne capable d’empêcher une invasion turco-saoudienne est le président Obama. Mais je me suis laissé dire qu’il était réticent à interdire complètement une telle intervention, même s’il a cherché à calmer Erdogan et a clairement indiqué que les États-Unis ne participeraient pas à l’invasion.

Pour l’instant, Erdogan a limité l’implication militaire directe de la Turquie en Syrie à des tirs d’obus transfrontaliers sur les forces kurdes, soutenues par les États-Unis, qui avaient repris du terrain à l’État Islamique (ISIS) dans le nord de la Syrie. La Turquie considère les combattants kurdes, le YPG, comme des terroristes, mais le gouvernement américain les voit comme de précieux alliés contre l’État Islamique, groupe dérivé d’al-Qaïda qui contrôle de larges territoires en Syrie et en Irak.

Mais Erdogan a sans doute encore perdu le peu de patience qui lui restait après qu’un attentat à la voiture piégée a tué au moins 28 personnes mercredi à Ankara, la capitale turque. La bombe visait apparemment un convoi militaire et les officiels turcs suspectent des militants kurdes, également visés par les forces turques à l’intérieur du pays.

Alors qu’aucune preuve n’a été avancée, les officiels turcs suggèrent que l’attaque a été commanditée par l’Iran ou la Russie, encore un signe du degré de complexité du chaos géopolitique syrien. “Ceux qui pensent qu’ils peuvent détourner notre pays de ses objectifs en utilisant des organisations terroristes verront qu’ils ont échoué,” a déclaré Erdogan selon le Wall Street Journal.

(Mercredi soir la Turquie a bombardé des positions kurdes dans le nord de l’Irak en représailles à l’attentat d’Ankara.)

Le dilemme pour Obama est que la plupart des alliés traditionnels des États-Unis comme la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, ont été les principaux soutiens et sources de financement des groupes terroristes sunnites en Syrie, y compris le Front al-Nosra d’al-Qaïda et – quoique dans une moindre mesure – l’État Islamique. Maintenant, ces “alliés” voudraient que les États-Unis risquent une confrontation nucléaire avec la Russie pour, de fait, protéger al-Qaïda.

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Le président turc Recep Tayyip Erdogan

Biden laisse échapper la vérité

L’ironie de la situation a même été reconnue par le vice-président Joe Biden lors d’une conférence à Harvard en 2014. Biden répondait à la question d’un étudiant en disant que la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avaient “versé des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers d’armes à quiconque se battrait contre [le président syrien Bashar el] Assad”. Le résultat, dit Biden, est que “ceux qui ont été approvisionnés sont al-Nosra, al-Qaïda et les djihadistes extrémistes venus du monde entier.”

Les risques de ces alliances nébuleuses ont aussi été soulignés par le rapport de la Defense Intelligence Agency (DIA) en août 2012 qui avait averti l’administration Obama que la force grandissante d’al-Qaïda et des autres djihadistes sunnites en Syrie pourrait mener à la création d’un “État Islamique” dont les militants pourraient se replier en Irak où la menace était originellement apparue après l’invasion américaine.

La DIA précisait que la force grandissante d’al-Qaïda en Syrie “crée le climat idéal pour que AQI [al-Qaïda en Irak] retourne dans son berceau de Mossoul et de Ramadi et apporte une nouvelle impulsion sous couvert d’unifier le djihad entre l’Irak et la Syrie sunnites et le reste du monde arabe sunnite contre ce qu’ils considèrent l’ennemi, les dissidents [i.e. les chiites].

ISI [L’État Islamique en Irak, ancêtre d’ISIS, connu comme l’État Islamique] pourrait également déclarer un État Islamique au travers d’une union avec les organisations terroristes en Irak et en Syrie, ce qui créerait de graves risques pour l’unification de l’Irak et la protection de son territoire.”

Malgré la clairvoyance du rapport de la DIA et l’aveu de Biden (pour lequel il a rapidement présenté des excuses), le président Obama n’a pas modifié la stratégie de soutien aux opposants d’Assad. Il a laissé l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie continuer à faire passer des armes aux éléments les plus extrémistes de la rébellion. Dans le même temps, le gouvernement américain insistait sur le fait qu’il n’armait que les rebelles “modérés”, alors que ces groupes étaient pour la plupart absorbés ou contrôlés par al-Nosra d’al-Qaïda et/ou ISIS, un dérivé ultraviolent d’al-Qaïda.

En Syrie, au lieu de coopérer avec la Russie et l’Iran pour aider l’armée d’Assad à vaincre les djihadistes, l’administration Obama a continué à la jouer fine en insistant – comme le secrétaire d’État John Kerry l’a dit récemment – sur le fait que des “groupes d’opposition légitimes” armés existaient indépendamment du Front al-Nosra d’al-Qaïda.

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Le secrétaire d’État John Kerry saluant les journalistes à Genève le 8 Novembre 2013. (Crédit photo : Département d’État)

Cependant, en réalité, les prétendus rebelles modérés autour d’Alep et d’Idlib sont des seconds couteaux d’al-Qaïda dont la valeur pour la cause est justement de pouvoir prétendre aux livraisons d’armements de la CIA qui peuvent être ensuite transmises à al-Nosra ou à l’allié clé d’al-Nosra, Ahrar al-Sham, ainsi qu’à d’autres combattants djihadistes.

Nosra et Ahrar al-Sham, les principaux éléments de la création saoudienne “l’Armée de Conquête,” ont déployé des missiles TOW américains aux effets dévastateurs sur l’armée syrienne dans la victoire des djihadistes l’année dernière dans la province d’Idlib ; un succès qui a finalement décidé Poutine à envoyer l’aviation russe pour défendre le gouvernement syrien en septembre dernier.

Aider l’État Islamique

Pendant ce temps la Turquie a laissé près de 100 km de frontière ouverte pour que différents groupes djihadistes puissent passer des renforts et de l’armement tout en laissant l’État Islamique sortir son pétrole pour le revendre au marché noir. L’automne dernier, après que la Russie (et des États-Unis réticents) ont commencé à bombarder les convois de pétrole d’ISIS, la Turquie a abattu un avion de chasse russe près de la frontière turque, entraînant la mort du pilote et d’un membre de l’équipe de sauvetage.

Maintenant, alors que l’armée syrienne, soutenue par la Russie, fait des progrès considérables dans sa lutte contre les rebelles majoritairement dominés par al-Nosra autour d’Alep et commence à refouler l’État Islamique hors de son fief Raqqa, et que les forces kurdes soutenues par les États-Unis avancent aussi dans leur front contre l’ÉI, la Turquie d’Erdogan commence à redouter fiévreusement que son projet de soutien aux djihadistes syriens, vieux de 5 ans, ne s’effondre.

Au milieu de ce tumulte, la Turquie presse le président Obama de soutenir une invasion limitée de la Syrie ayant pour but de créer une “zone sûre”, censée protéger les rebelles syriens ainsi que les civils du nord de la Syrie. Mais derrière ce plan aux allures humanitaires se cache un plan plus ambitieux de marcher sur Damas et ainsi renverser le président Assad.

C’est un objectif que se partagent la Turquie, l’Arabie saoudite et d’autres États sunnites, ainsi qu’Israël et l’influent bloc néoconservateur américain et ses “interventions libératrices”. Pour sa part, Obama a appelé Assad à “démissionner” mais favorise une solution diplomatique. La Russie a soutenu une solution politique, en organisant des élections libres, laissant ainsi au peuple syrien le choix du destin d’Assad.

Les Russes ne se sont pas gênés de rappeler le subterfuge occidental en Libye de 2011, lorsque les États-Unis et l’OTAN ont sanctionné une résolution “humanitaire” du conflit au travers du Conseil de Sécurité des Nations Unies, prétendant protéger le peuple libyen, mais se couvrant derrière cette dernière afin de provoquer un violent changement de régime ; un cas typique du pied dans la porte.

Alors qu’en Syrie, la Russie fut témoin durant plusieurs années du soutien apporté par les États-Unis, la Turquie, le Qatar et d’autres États sunnites aux différents groupuscules rebelles sunnites tentant de renverser Assad, un alaouite, représentant d’une branche de l’islam chiite. Bien qu’Assad ait été violemment critiqué pour son attitude radicale face au soulèvement, il a tout de même réussi à maintenir un gouvernement laïque qui tâche de défendre chrétiens, alaouites, chiites et d’autres minorités.

En plus d’être la cible des puissances sunnites régionales, Assad est depuis longtemps sur la liste des néoconservateurs israéliens car il est vu comme la pièce maîtresse du “croissant chiite”, qui s’étire de l’Iran à l’Irak en passant par la Syrie et le Liban. Depuis que les dirigeants israéliens (et donc les néocons américains) perçoivent l’Iran comme le plus grand ennemi d’Israël, les efforts pour démolir le “croissant chiite” se sont concentrés sur la défection d’Assad – même si son éviction risquerait de créer un vide politico-militaire qui pourrait être rempli par al-Qaïda et/ou l’État Islamique.

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Le président syrien Bachar el-Assad

Faire de la Syrie le lieu de cette guerre par procuration a eu des conséquences catastrophiques sur les Syriens. Depuis cinq ans, la violence des engagements tant des rebelles que de l’armée a ravagé le pays, tuant plus de 250 000 personnes et en forçant à l’émigration des vagues entières de réfugiés désespérés vers l’Europe, déstabilisant l’Union européenne à son tour.

En conséquence, alors que les États-Unis et leurs alliés au Moyen-Orient – notamment l’Arabie saoudite et la Turquie – ont encore nourri le conflit en approvisionnant les rebelles, dont notamment le Front al-Nosra, branche d’Al-Qaïda, avec des missiles américains TOW et d’autres armes sophistiquées, le président russe Poutine a décidé qu’il était temps d’aider le gouvernement syrien à juguler l’expansion du terrorisme sunnite, une menace planant également sur la Russie.

Se moquer de la Russie

Dans un premier temps, Washington se moqua des efforts russes, les qualifiant de peu efficaces, cependant les récentes victoires de l’armée syrienne ont eu comme effet de transformer, sous la surprise, les moqueries initiales en colère. Par exemple, le Washington Post, figure de proue du néo-conservatisme, a publié à jet continu un flot d’éditoriaux et de lettres ouvertes dénigrant les victoires russo-syriennes.

“La Russie, l’Iran et le gouvernement syrien conduisent une offensive majeure avec pour objectif la reconquête de la ville d’Alep et les territoires contrôlés par les rebelles qui la connectent à la frontière turque,” se lamente le Post. “Ils ont coupé une route de ravitaillement de la ville et sont près d’en contrôler une autre, piégeant les rebelles, ainsi que des centaines de milliers de civils.”

Alors qu’on aurait pu penser qu’éjecter les forces d’al-Qaïda hors d’un centre urbain majeur comme celui d’Alep soit en soi une bonne chose, les rédacteurs néocons du Post prétendent que seuls de nobles rebelles “modérés” contrôlent cette zone, et qu’en conséquence il est du devoir des États-Unis de les protéger. Il n’est fait aucune mention du Front al-Nosra d’al-Qaïda, sûrement afin de ne pas abîmer la belle image souhaitée par cette propagande.

Le Post pressa alors Obama de faire quelque chose : « Face à cette offensive, qui promet de détruire toute chance d’une fin acceptable de la guerre civile syrienne, l’administration Obama a observé une attitude de passivité et de confusion morale. Le président Obama reste silencieux. »

Dans un autre éditorial hystérique, les rédacteurs du Post ont évoqué ce qu’ils ont appelé « le monde réel » où « le meilleur scénario possible, après cinq ans d’inaction américaine, est une paix partielle laissant la Syrie divisée en zones contrôlées par le régime [d’Assad] et l’État Islamique, et quelques enclaves coincées laissées à l’opposition et aux Kurdes. Même cela exigerait que l’administration Obama intensifie énergiquement son assistance militaire à des groupes rebelles et affronte la Russie avec plus que des discours. »

Cependant, dans le vrai « monde réel », l’administration Obama a fait passer des équipements militaires aux rebelles cherchant à renverser un gouvernement internationalement reconnu depuis des années. Cette aide a évité de faire apparaître aux yeux des Américains le fait que beaucoup de ces groupes rebelles collaboraient avec le Front al-Nosra d’al-Qaïda et/ou l’État Islamique.

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Le président iranien Hassan Rouhani (à gauche) serre la main du président russe Vladimir Poutine au sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai dans la capitale kirghize de Bishkek, le 13 septembre 2013. (Crédit photo : Press TV)

Comme l’expert du Moyen-Orient Gareth Porter l’a rapporté, “Les frappes aériennes russes en question ont pour ambition de séparer la ville d’Alep, qui est à l’heure actuelle le principal centre de pouvoir d’al-Nosra en Syrie, de la frontière turque. Pour réussir, les forces russes, syriennes et iraniennes ont attaqué les troupes rebelles déployées dans les villes se situant le long des routes d’Alep jusqu’à la frontière. Ces rebelles comprennent des unités d’al-Nosra, de leurs proches alliés d’Ahrar al-Sham et d’autres groupes d’opposition armés – certains d’entre eux avaient reçu des armes de la CIA dans le passé…

“Selon de nombreuses sources, y compris de certaines qui ont été explicitement soutenues par les États-Unis, il est clair que toute unité organisationnelle anti-Assad armée dans ces provinces est engagée dans une structure militaire contrôlée par des militants d’al-Nosra. Tous ces groupes rebelles se battent au côté du Front al-Nosra et coordonnent leurs actions militaires avec lui.”

Mais le Washington Post et ses acolytes grand public américains ne veulent pas que vous connaissiez la réalité du “monde réel” qui est que les saints rebelles “modérés” de Syrie combattent côte à côte avec al-Qaïda, qui fut responsable de la mort de près de 3 000 Américains lors du 11-Septembre et de la participation de l’armée américaine dans une série de conflits au Moyen-Orient qui ont coûté la vie à environ 8 000 soldats américains.

L’étrange objectif de sauver la peau d’al-Qaïda ne serait certainement pas un bon argument de vente pour obtenir le soutien du peuple américain à une nouvelle guerre, qui pourrait opposer l’arme nucléaire russe à l’arme nucléaire américaine, avec toutes les horreurs qu’un tel conflit pourrait entraîner.

Toutefois, la gênante vérité sur le rôle d’al-Qaïda se glisse occasionnellement dans les médias grand public, quoique seulement en passant. Par exemple, la correspondante du New York Times Anne Barnard a rapporté samedi dernier qu’un cessez-le-feu avait été proposé en Syrie, en écrivant : “Avec la condition que le Front al-Nosra, la branche d’al-Qaïda en Syrie, puisse être encore bombardé, la Russie met les États-Unis dans une position difficile ; les groupes d’insurgés qu’ils soutiennent coopèrent en certains endroits avec la bien armée et bien financée Nosra dans ce qu’ils appellent une alliance tactique par nécessité contre les forces du gouvernement.”

Le dilemme d’Obama

Donc, le dilemme auquel Obama fait face est de savoir si les États-Unis devraient se joindre à la Turquie et à l’Arabie saoudite dans une flagrante invasion de la Syrie pour sauver la cause d’al-Qaïda. Bien sûr, ce n’est pas comme cela que ce serait vendu au peuple américain. Le projet serait formulé avec de jolis mots sur “l’humanitarisme” et le besoin de maintenir la “crédibilité” américaine.

Mais Obama semble suffisamment se rendre compte de la réalité actuelle pour résister jusqu’ici aux appels frénétiques des néoconservateurs et des faucons de Washington. Je me suis dit également qu’Obama avait découragé la Turquie et l’Arabie saoudite de prendre les choses en main eux-mêmes.

Après tout, une invasion à grande échelle par la Turquie et l’Arabie saoudite en soutien d’al-Qaïda et d’autres rebelles sunnites opposerait la force d’envahisseurs non seulement à l’armée syrienne mais à ses alliés l’Iran et le Hezbollah (chiite) – et plus dangereusement à la Russie, qui manque d’effectifs à l’intérieur de la Syrie pour être au niveau de l’armée turque, mais pourrait déployer des armes nucléaires tactiques, si nécessaire, pour sauver la vie de soldats russes.

Voici donc les différences significatives entre Obama et l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton. Elle a publiquement appelé l’armée des États-Unis à établir une « zone de sécurité » à l’intérieur de la Syrie, ainsi qu’une zone d’exclusion aérienne. Même si tout cela a l’air joli et paisible, cela exigerait en fait la même invasion que la Turquie recherche et exigerait que la force aérienne des États-Unis élimine la plupart des forces aériennes et des défenses antiaériennes syriennes. Ce serait un acte de guerre majeur.

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La secrétaire d’État Hillary Clinton et le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov. (Crédit photo : Département d’État)

Mardi, lors d’une conférence de presse Obama a été a interrogé sur le conflit syrien mais c’était dans le cadre typique grand public insinuant que Obama est trop faible pour traiter avec Poutine. Durant cinq ans, les médias grand public des États-Unis n’ont pas pu aller plus loin qu’inciter Obama à accroître l’intervention des États-Unis en Syrie et ainsi apporter un autre « changement de régime ».

Malgré la preuve du contraire, une illusion chère à Washington demeure que quelques opposants « modérés » pourraient remplacer Assad et apporter une heureuse démocratie à la Syrie. De similaires illusions ont précédé les catastrophes des « changements de régime » en Irak et en Libye – et l’on pourrait même revenir sur l’objectif de l’administration Reagan de « changer de régime » en Afghanistan qui a conduit à l’émergence des Talibans, d’al-Qaïda et, en premier lieu, du djihadisme moderne.

Mais aujourd’hui les enjeux incluent un risque potentiel de confrontation nucléaire avec la Russie – les États-Unis étant exhortés à se charger du risque existentiel pour toute l’humanité au nom de la préservation des espoirs d’al-Qaïda de hisser son drapeau noir sur Damas. Il est difficile d’imaginer une exigence plus folle de la part des acteurs principaux de la politique étrangère dans les hautes sphères de Washington.

[Pour aller plus loin sur le sujet, voir sur Consortiumnews.com “Tangled Threads of US False Narratives,” “Hidden Origins of Syria’s Civil War,” et “Obama’s Most Momentous Decision.”]

Source : Consortiumnews.com, le 18/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/risquer-une-guerre-nucleaire-pour-al-qaida-par-robert-parry/