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Le 21ème siècle : une époque de corruption, par Paul Craig Roberts

Friday 12 February 2016 at 02:00

Source : Paul Craig Roberts, le 18/01/2016

Paul Craig Roberts

Dans les dernières années du 20e siècle, la corruption est entrée dans la politique étrangère américaine d’une nouvelle manière. Sous de faux prétextes, Washington a démantelé la Yougoslavie et la Serbie afin d’avancer un agenda caché. Au 21e siècle, cette corruption s’est multipliée de nombreuses fois. L’Afghanistan, l’Irak, la Somalie et la Libye ont été détruits, et l’Iran et la Syrie auraient aussi été détruits si le président de la Russie ne l’avait empêché. Washington est également derrière la destruction actuelle du Yémen, et Washington a autorisé et financé la destruction par les israéliens de la Palestine. De surcroît, Washington a effectué des opérations militaires à l’intérieur du Pakistan sans lui déclarer la guerre, assassinant nombre de femmes, d’enfants et de villageois âgés sous couvert de combat contre le terrorisme. Les crimes de guerre de Washington sont comparables à ceux de n’importe quel pays dans l’histoire.

J’ai documenté ces crimes dans mes articles et mes livres (Clarity Press).

Quiconque croit encore à l’intégrité de la politique étrangère de Washington est une âme égarée.

La Russie et la Chine ont maintenant une alliance stratégique trop solide pour Washington. La Russie et la Chine empêcheront de nouvelles attaques de Washington contre leur sécurité et leurs intérêts nationaux. Les pays importants pour la Chine et la Russie seront protégés par cette alliance. Alors que le monde se réveille et constate le mal que l’Occident représente, d’autres pays iront chercher la protection de la Russie et de la Chine.

L’Amérique est aussi en train d’échouer sur le front économique. Mes articles et mon livre, L’Échec du capitalisme du laisser-faire, qui a été publié en anglais, chinois, coréen, tchèque, et allemand, ont montré comment Washington n’est pas intervenu, et de fait a applaudi, au moment où l’investissement à court terme par des comités directeurs, des actionnaires, et Wall Street éviscérait l’économie américaine, envoyant les emplois industriels, les savoir-faire d’entreprise, et la technologie, en même temps que les emplois professionnels qualifiés négociables en Chine, en Inde et dans d’autres pays, laissant l’Amérique avec une économie tellement anémiée que le revenu moyen par foyer est en baisse depuis des années. Aujourd’hui 50% des Américains de 25 ans vivent avec leurs parents ou leurs grands-parents parce qu’ils ne peuvent pas trouver un travail qui leur permette de vivre indépendamment. http://www.zerohedge.com/news/2015-10-27/why-are-half-all-25-year-olds-still-living-their-parents-federal-reserve-answers Ce fait brutal est masqué par la presse-tituée US, source d’histoires imaginaires sur la reprise de l’économie américaine.

Les réalités de nos existences sont tellement différentes de ce qu’il en est rapporté que j’en reste abasourdi. En tant qu’ancien professeur d’économie, éditeur du Wall Street Journal et secrétaire adjoint du Trésor pour les politiques économiques, je suis sidéré par la corruption qui règne dans le secteur financier, le Trésor, les agences de régulation financière et la Réserve fédérale. Au temps où j’exerçais, il y aurait eu des mises en examen, et des peines de prison pour les banquiers et les représentants du gouvernement.

Dans l’Amérique d’aujourd’hui, il n’y a pas de libre marché financier. Tous les marchés sont truqués par la Réserve fédérale et le Trésor. Les agences de régulation, contrôlées par ceux que ces mêmes agences sont censées contrôler, regardent ailleurs, et quand ce n’est pas le cas, elles sont quand même incapables de faire respecter quelque loi que ce soit, parce que les intérêts privés sont plus puissants que la loi.

Même les agences de statistiques gouvernementales ont été corrompues. Les mesures de l’inflation ont été concoctées pour la sous-estimer. Ce mensonge permet non seulement à Washington d’éviter de faire payer à la Sécurité sociale les ajustements au coût de la vie, et cela libère de l’argent pour mener plus de guerres, mais aussi, en sous-estimant l’inflation, le gouvernement peut créer une croissance du “PIB réel” en comptant l’inflation comme une véritable croissance, exactement de la même manière que le gouvernement crée 5% de chômage en ne comptant pas les travailleurs découragés qui ont cherché un emploi jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus assumer le coût de la recherche, et qu’ils laissent tomber. Le taux de chômage officiel est de 5%, mais personne ne peut trouver de travail. Comment le taux de chômage peut-il être de 5% quand la moitié des jeunes de moins de 25 ans vivent chez leurs proches parce qu’ils ne peuvent pas se payer une existence indépendante ? Comme John Williams (de ShadowFacts) le rapporte, le taux de chômage qui inclut ces Américains qui ont arrêté de chercher un emploi parce qu’il n’y a pas de travail peut être estimé à 23%.

La Réserve fédérale, l’outil d’une petite poignée de banques, a réussi à créer l’illusion d’une reprise de l’économie depuis juin 2009 en imprimant des trillions de dollars qui vont se placer non pas dans l’économie mais dans le prix des actifs financiers. Pour la presse-tituée des médias du secteur financier, la hausse artificielle des marchés boursiers et obligataires est la “preuve” que l’économie croît rapidement.

La poignée de gens instruits qui reste en Amérique, et il s’agit seulement d’une petite poignée, comprend qu’il n’y a eu aucune reprise depuis la récession précédente, et que la rechute est juste au coin de la rue. John Williams a souligné que la production industrielle américaine, quand elle est ajustée correctement en tenant compte de l’inflation, n’a jamais retrouvé son niveau de 2008, encore moins de son pic de l’année 2000 ; et elle est de nouveau en train de diminuer.

Le consommateur américain est épuisé, accablé par les dettes et le manque d’augmentation de revenus. Toute la politique économique des États-Unis est focalisée sur la préservation de cette poignée de banques new-yorkaises, pas sur la préservation de l’économie américaine.

Les économistes et leurs compères de Wall Street nieront le déclin de la production industrielle, l’Amérique étant désormais une économie de services. Les économistes prétendent que ces services de la Nouvelle Économie sont high-tech, mais en réalité ce sont des serveuses, des barmen, des commis à temps partiel, et des services de santé ambulatoire qui ont remplacé les emplois de production industrielle et les postes d’ingénieurs, pour un salaire bien moindre, faisant chuter ainsi la demande globale réelle des États-Unis. Dans les quelques occasions où les économistes néolibéraux admettent l’existence de ces problèmes, ils en rejettent la faute sur la Chine.

Il n’est pas sûr que l’économie américaine puisse être réanimée. Pour relancer l’économie américaine, il faudrait re-réguler le système financier, et ramener les emplois et la part de PIB que l’externalisation offshore a donnés aux pays étrangers. Cela nécessiterait, comme Michael Hudson le démontre dans son nouveau livre, Killing the Host, une révolution dans les politiques fiscales, qui empêcherait le secteur financier de capter les profits et de les capitaliser en titres de créance dont il tire rémunération.

Le gouvernement américain, contrôlé aujourd’hui par des intérêts économiques corrompus, ne permettrait jamais des politiques qui affecteraient les bonus des cadres et les profits de Wall Street. Le capitalisme américain d’aujourd’hui fait de l’argent en bradant l’économie américaine et les gens qui en dépendent.

Dans l’Amérique de “la Liberté et la Démocratie”, le gouvernement et l’économie servent des intérêts complètement déconnectés des intérêts du peuple américain. Le bradage du peuple américain est protégé par un immense paravent de propagande fournie par les économistes du libre-échange et la press-tituée financière payée pour mentir.

Quand l’Amérique sombrera, les vassaux de Washington en Europe, au Canada, en Australie et au Japon sombreront également. A moins que Washington ne détruise le monde dans une guerre nucléaire, le monde sera remodelé, et l’Occident corrompu et débauché ne sera plus qu’une partie insignifiante du nouveau monde.

Source : Paul Craig Roberts, le 18/01/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-21eme-siecle-une-epoque-de-corruption-par-paul-craig-roberts/


Le camp du Bien en panique

Friday 12 February 2016 at 01:41

Quelques bon billets du site Chroniques du grand jeu

Source : Chroniques du Grand Jeu, Observatus geopoliticus, 5-02-2016

L’avancée russo-syrienne à Alep fait des dégâts dans le camp autoproclamé du Bien ; Etats-Unis, Arabie saoudite et Turquie sont sur les dents et menacent même, pour les deux derniers, d’entrer dans la mêlée tandis que la guerre de l’information reprend de plus belle.

Depuis une semaine, les forces loyalistes appuyées par les Russes, les Iraniens et le Hezbollah volent de succès en succès dans la région d’Alep, deuxième ville du pays et verrou de la rébellion. La libération des deux villages chiites de Nubul et Zahraa, assiégées depuis trois ans (!) par les “terroristes modérés”, a considérablement changé la donne dans le nord syrien.

La principale route d’approvisionnement d’Al Qaeda et autre Ahrar al-Cham vers la Turquie est coupée et l’étau se resserre autour de la grande ville du nord, déjà occupée pour moitié par les forces loyalistes. Alep est peut-être un tas de ruines mais sa prise constituerait un important tournant, psychologique mais aussi stratégique. La rébellion “modérée” se verrait obligée de se replier sur Idlib et Jisr al-Chougour, ses derniers fiefs au nord, tandis qu’Assad commencerait à reconstruire la Syrie utile avant de se tourner contre Daech en Syrie orientale.

Et comme ailleurs, notamment dans le sud ou dans la province de Lattaquié, la situation n’est pas meilleure pour les salafistes si chers au camp du Bien, ça commence à sentir le roussi pour les protégés de la bande américano-turco-saoudienne… Comme le dit un analyste, “les rebelles battent en retraite partout”.

Les Russes, que les stratèges de Saint-Germain-des-Prés voyaient s’embourber, mènent pour l’instant leur campagne de main de maître. Contrairement à ce que claironnait la propagande saoudienne, ils renforcent même leur présence militaire en Syrie avec l’envoi de quelques Sukhois 35, dernière pépite de l’aviation russe (avant le futur Pak-Fa) et l’un des meilleurs avions du monde.

Idéal pour tester l’avion en conditions réelles et lancer un avertissement à la Turquie.

Plus d’avions + renseignement amplifié (notamment grâce au centre de Bagdad mis sur pied en septembre à la barbe des Américains) = forte recrudescence des raids russes ces derniers jours (25 à 30%) qui mettent au supplice les insurgés.

Dans ces conditions, il n’est guère étonnant de voir le camp du Bien engager une danse du ventre hystérique. La mafia médiatique reprend sa bonne vieille propagande, les osbcures ONG syriennes installées à Londres ou en Turquie (LOL) hurlent au massacre de civils par les méchants navions russes (tout y passe : hôpitaux, écoles, ne manquent plus que les léproseries…), Ankara accuse évidemment Moscou de fournir des armes au PKK (ce qui n’est d’ailleurs peut-être pas tout à fait faux).

Surtout, Turcs et Saoudiens seraient prêts à entrer en guerre en Syrie, sous couvert de combattre leur bébé daéchique (éternel prétexte) ; si ça se confirme, cela signifie qu’ils considèrent la situation comme vraiment mauvaise. Si une intervention saoudienne relève de la farce, les pitres wahhabites étant incapables depuis plusieurs mois de venir à bout de quelques rebelles déguenillés au Yémen, une intervention ottomane est à prendre beaucoup plus au sérieux. Mais elle interroge…

Reprenons l’article qui résume bien la situation de ces derniers jours :

« Nous avons de sérieuses raisons de soupçonner une préparation intensive de la Turquie pour une intervention militaire sur le territoire d’un État souverain : la Syrie », a indiqué, le 4 février, le général Igor Konachenkov, le porte-parole du ministère russe de la Défense,

« L’armée russe observe un nombre croissant de signes d’une préparation secrète des forces armées turques afin de mener des opérations sur le territoire syrien », a ajouté l’officier, faisant état de « l’accumulation en de nombreux points de la frontière turco-syrienne d’équipement du génie servant à préparer une intervention militaire, ainsi que de soldats et d’engins militaires ».

« Ce type de dispositif est utilisé pour permettre des mouvements rapides de colonnes militaires avec armes et munitions en zone de guerre, ainsi que le transfert et l’évacuation du personnel », a souligné le général Igor Konachenkov. « Si quelqu’un à Ankara pense que l’interdiction d’un vol de reconnaissance russe permettra de cacher quoi que ce soit, il n’est pas professionnel », a-t-il poursuivi.

Pour l’instant, les autorités turques ont refusé de faire tout commentaire face à ces accusations russes, se contentant de confirmer « l’interdiction pour raisons de sécurité » d’un vol russe de reconnaissance prévu du 1e au 5 février dans le cadre du traité Ciel ouvert dont les deux pays sont signataires. Ce traité prévoit des survols pour contrôler les installations militaires et d’armements, afin d’entretenir la confiance mutuelle.

Scénarios possibles :

En attendant, Washington reste étrangement silencieuse tandis que les Sukhoi 35 sont en état d’alerte pour les prochaines 24 heures…

Source : Chroniques du Grand Jeu, Observatus geopoliticus, 5-02-2016

 

Batifolages gaziers

Source : Chroniques du Grand Jeu, Observatus geopoliticus, 2, 02, 2016

Le feuilleton de l’or bleu – dont on pourra se remémorer quelques épisodes (iciiciici ou ici) – ne connaît pas la crise et continue de plus belle.

Déjà paniqué par un documentaire de Canal + sur la véritable nature de la révolution néo-nazie du Maidan, le régime clownesque de Kiev vient encore de sortir une idée de génie. Tenez-vous bien, l’Ukraine va porter plainte contre le Nord Stream 2 ! Défense de rire, c’est l’inénarrable Yatseniouk qui le claironne. L’ « argument » de Kiev est que… heu… à vrai dire, on ne le comprend pas trop. En gros, c’est l’éternelle histoire du beurre et de l’argent du beurre : Les Russes sont des vilains mais nous voulons que leur gaz passe par chez nous pour toucher les dividendes. Si vous le dites…

Evidemment, le petit protégé de Victoria “fuck the UE” Nuland n’aurait pu trouver seul cette lumineuse idée, le parrain US n’est pas loin. Est-ce un hasard si, dix jours auparavant, le vice Biden et Tapiocashenko avaient promis de torpiller le gazoduc russe ? On imagine déjà le lobbying américain auprès de la grosse Bertha Angela…

Un bonheur ne venant jamais seul, la Pologne s’y met aussi et insiste pour que les gazoducs de l’ennemi russe passent sur son territoire. Ne craignant pas la contradiction, Varsovie demande également un renforcement de l’OTAN sur son sol ! Vous avez dit schizo ?

Tout cela constitue-t-il une menace pour le Nord Stream 2 ? C’est peu probable. Les intérêts allemands et ceux des compagnies énergétiques européennes impliquées dans le projet sont trop importants. Mémère Merkel est prête à se vendre aux Américains jusqu’à un certain point mais pas plus. Elle a continuellement tenté de torpiller la route sud (South Stream puis Turk Stream) mais s’est faite soudain bien moins véhémente lorsque Moscou a proposé de doubler la route nord.

Et, last but not least, nous en revenons toujours au même problème : les autres sources d’approvisionnement. Comme nous l’annoncions il y a longtemps, le gaz de schiste US est une illusion et sa production a déjà commencé à baisser. Le gaz azéri est une fumisterie et concerne des quantités négligeables. Le gaz turkmène ne passera jamais par un pipeline transcaspien tant que Moscou et Téhéran s’y opposeront.

Reste le gaz iranien. La levée des sanctions a rempli d’espoir les eurocrates (notons en passant l’invraisemblable hypocrisie de ces vassaux de l’empire : le 15 janvier à 23h59, l’Iran était encore le diable en personne ; le 16 janvier à 0h01, l’Iran est soudain devenu, par la grâce de Washington, tout à fait fréquentable). On a même commencé à évoquer un gazoduc vers l’Europe via la Turquie. Mais mais mais… Premier problème : le tracé passerait forcément par les zones kurdes en guerre et où plusieurs tubes ont déjà sauté. Le 6 août, nous écrivions :

Rien ne va plus en Turquie, un troisième pipeline explose ! Et pas n’importe lequel : il s’agit du BTE (Bakou-Tbilissi-Erzurum). Ce corridor Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie est promu sans relâche par les Américains depuis vingt ans afin de détourner l’Europe des hydrocarbures russes et d’isoler Moscou. C’est la route du BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), ouvert en 2005 et transportant le pétrole caspien de l’Azerbaïdjan à travers la Géorgie et la Turquie, évitant soigneusement le territoire arménien, allié de Moscou. C’est la route que devait emprunter l’illusoire Nabucco qui, contrairement à l’opéra de Verdi, est resté définitivement dans les cartons. C’est enfin le projet brinquebalant du TANAP qui, tel Jésus multipliant les pains, est censé “assurer la sécurité énergétique” de l’Europe avec ses malheureux 16 Mds de m3 de gaz annuels. Les Américains ne s’arrêtent pas à ces détails : de gré ou de force, leurs “alliés” européens doivent tout consommer, même du vent, plutôt que du gaz russe… Les Européens ne sont évidemment pas dupes mais n’osent pas contredire frontalement leur maître, d’où ce petit jeu qu’ils croient follement subtil d’un pas en avant puis en arrière, une jambe finissant par faire un croche-pied à l’autre.

Deuxième problème : l’Iran est de toute façon loin, très loin de pouvoir fournir de grosses quantité à l’Europe, du moins dans un avenir proche. Plusieurs récentes analyses ont douché les espoirs fous nés de la levée des sanctions. Le système iranien de transport est archaïque ou inexistant et requiert des centaines de milliards d’investissements, idem pour les gisements. Pire ! Téhéran a également d’autres projets, comme l’IPI (Iran-Pakistan-Inde) vers ses futurs alliés au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai. Conclusion : il faudra attendre au moins jusqu’en 2025 et plutôt 2030 pour que l’Iran soit capable de livrer du gaz à l’Europe, si tant est que le problème kurde soit réglé en Turquie.

Et puisqu’on parle du loup… Ankara a énormément de mal à trouver d’autres fournisseurs que russe après le quasi gel des relations. Ca tombe particulièrement mal, la Turquie n’a jamais autant consommé d’or bleu de son histoire. Au lendemain de la bourde du 24 novembre, Davutoglu s’est précipité en Azerbaïdjan pour humer le bon air gazier. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a été déçu. Répétons-le, on parle ici de quantités insignifiantes (les importations turques de gaz russe sont 1,4 plus importantes que la production totale de gaz azéri !) En plus, Bakou n’a pas trop envie de se mettre Moscou à dos en ce moment, alors que les Russes sont de plus en plus présents en Arménie et peuvent, quand ils le veulent, soutenir plus franchement Erevan dans la dispute du haut Karabagh.

Le sultan aura beau faire des pieds et des mains, il n’y échappera pas et continuera d’avaler du gaz russe. Que dire alors de l’Europe, dont la consommation est dix fois supérieure…

Source : Chroniques du Grand Jeu, Observatus geopoliticus, 2, 02, 2016

 

Les terroristes modérés en difficulté

Source : Chroniques du Grand Jeu, Observatus geopoliticus, 31-01-2016

Les mouchoirs sont de sortie dans les chancelleries occidentales et pétromonarchiques, et il nous semble même entendre quelques sanglots étouffés : leurs si chers terroristes modérés sont partout sur le reculoir en Syrie.

Au sud, l’armée loyaliste a repris il y a quelques jours Cheikh Meskine, une ville stratégiquement importante, coupant plus ou moins les voies de communication des djihadistes dans la province de Deraa. Nous avions d’ailleurs vu que la Jordanie voisine, dans un retournement de veste digne d’elle-même, n’était plus très chaude pour soutenir la rébellion et avait ordonné à ses protégés de ne plus s’en prendre au régime mais à Al Nosra si chère au coeur de Fabius.

A la frontière libanaise, dans les montagnes du Qalamoun globalement mais pas totalement reconquises par le Hezbollah, EI et Al Nosra se sont à nouveau écharpé alors que les poches insurgées se réduisent sans cesse.

A Deir ez-Zoor, enclave loyaliste en plein territoire de l’Etat Islamique, l’armée a repoussé la grande attaque daéchique que nous prévoyions dernièrement. Si l’agence de presse officielle exagère sans doute un peu, il est certain que les petits hommes en noir ont subi des pertes et en ont été pour leurs frais. Là comme ailleurs l’aviation russe a été déterminante.

En parlant de cela, c’est comme si on y était :

Mais c’est surtout au nord que la dynamique du combat a profondément changé. A Alep, l’un des principaux groupes insurgés, jusque-là soutenu par la Turquie et les Etats-Unis, bat en retraite. Chose intéressante : ils affirment ne plus recevoir de munitions et d’armements. Conséquence des bombardements russes ou bisbilles avec leurs parrains ? Toujours dans la région d’Alep, les salafistes d’Ahrar al-Cham et les qaédistes d’Al Nosra, pourtant alliés dans l’Armée de la conquête soutenue à bouts de bras par notre amie l’Arabie saoudite, se bagarrent comme des chiffonniers. Le fait est rapporté, ô divine surprise, par le Monde, à qui il arrive parfois de faire de l’information (ça doit être les bonnes résolutions de 2016). Au fait, où sont donc passés les fameux “rebelles modérés” ?

Et comme dans la province de Lattaquié, les loyalistes reprennent localité sur localité, les bastions insurgés d’Idlib et Jisr Al-Choughour, adossés à la Turquie, sont sur la défensive, commençant à être pris en tenaille par l’ouest, le sud et l’est. La coalition syro-russo-irano-hezbollahi s’approche avec gourmandise de la frontière turque, rendant de plus en plus difficile l’approvisionnement des terroristes modérés. Pas étonnant que le sultan commence à avoir des sueurs froides…

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu avant-hier l’incident que tous les médias ont rapporté, à savoir une possible nouvelle incursion d’un avion russe dans l’espace aérien turc. Ankara postillonne et convoque l’ambassadeur russe, Moscou balaie d’un revers de la main et parle de “grossière propagande”. Ce qui est intéressant ici, c’est que si violation il y a eu, la chasse turque s’est bien gardée cette fois d’abattre l’avion. Faut dire que c’était un Sukhoi 34 protégé par un halo de S-400 et non un vieux Sukhoi 24 solitaire… Et puis le sultan n’a peut-être pas envie d’aller plus loin dans l’escalade avec l’ours vu l’avalanche de sanctions qui lui est tombé sur le crâne.

Les Russkovs doivent maintenant se sentir forts sur la frontière syro-turque. Les batteries de S-400 n’hésiteront pas à descendre les F16 ottomans comme des mouches. C’est sans doute cela qui explique ce qui s’est passé le 23 décembre… Les lecteurs se souviennent sans doute qu’Erdogan avait lancé un ultimatum aux YPG kurdes syriennes : “ne traversez pas l’Euphrate ou nous vous bombarderons”. Eh bien, fait passé inaperçu de tous (y compris de votre serviteur, je dois l’avouer avec honte), les YPG ont bien traversé l’Euphrate le 23 décembre et commencé à faire mouvement pour sceller la frontière afin de couper Daech de la Turquie. Ankara n’a pas réagi ! Erdo-gollum a dû ravaler sa fierté devant les missiles russes pointés sur ses avions.

Guère étonnant dans ces conditions que les Turcs aient fait des pieds et des mains pour que les Kurdes syriens soient exclus du nouveau round de négociations à Genève. Moscou a beau jeu de demander leur participation, se les attachant ainsi encore un peu plus. Il est vrai que sans eux, Genève 3 est une coquille vide. Cela ne gêne pas plus que ça Damas : au vu de la nouvelle dynamique du conflit, le temps joue maintenant pour Assad et ses alliés.

Source : Chroniques du Grand Jeu, Observatus geopoliticus, 31-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-camp-du-bien-en-panique/


["...et c'est le drame"] CATASTROPHE, la candidate des riches a perdu !

Thursday 11 February 2016 at 04:09

Coup de tonnerre :

Gros article dans le Monde : Féministe à contretemps, Hillary Clinton paie ses choix tactiques

Eh oui, si Sainte Clinton perd, c’est forcément un problème tactique, nullement un énorme problème stratégique…

Légère différence entre les candidats – heum…

(admirez les différences de slogan aussi, qui en dit long sur le passage du politique au show-business. On a apparemment échappé à “Youpi Clinton”)

Que donnent les analyses “Sortie des urnes” ?

Vote en fonction du revenu :

Hillary l’emporte donc seulement chez les démocrates de plus de 200 000 $ de revenus – et encore de peu… Mais chuuuut

Par âge ?

Bon, 84 % des 18-30 ans ont voté Sanders, mais chuuuut, nos médias ne vont quand même pas trop le valoriser…

Par sexe ?

Damned, les femmes préfèrent avoir apparemment un président de gauche plutôt qu’une présidente riche…

Mais le Monde nous donne la stratégie gagante :

Ce qui est en effet éclatant :

50 % contre 49 %…

Je rappelle les grands axes du programme de Sanders :

Bizarre, il me semble que ça pourrait intéresser les blacks…

Inégalités de patrimoine USA Etats-Unis suivant origine

(je dis ça, je dis rien…)

 

Bon, ceci étant, n’ayez pas trop d’espoir, il y a peu de chance que Sanders gagne, car 16 % des délégués sont des notables, qui sont acquis à Clinton, qui doit donc obtenir seulement 34 % des délégués élus…

Et en plus, Clinton est donnée en tête des prochaines primaires.

Mais ça pourrait changer… Belle journée pour Sanders :

(Bon site ici pour suivre les sondages pour les primaires)

Terminons par la très grosse blague : comment ont été financés les candidats ? Admirez en cliquant dessus :

Clinton par Wall Street, et pas qu’un peu, et Sanders par les syndicats…

Source: http://www.les-crises.fr/et-cest-de-drame-hillary/


Qui est Bernie Sanders ?

Thursday 11 February 2016 at 02:44

Bon, allez, quelques mots sur Sanders, j’ai finalement un peu creusé.

C’est assez intéressant – on restera bien entendu TRÈS PRUDENTS (www.syriza.gr), mais enfin rien que dire ça et faire plus de 1 % aux USA, c’est déjà miraculeux.

Le Monde nous a encore “informés” :

Hmmm, le type gagne haut la main, mais attention,

1/ j’ai cru que le vieux socialiste avait brillé, mais non, il s’est “installé”, nuance

2/ c’est normal, Clinton s’y attendait, tout va bien (façon 1914 les Allemands sont à porté de canon de Paris, mais c’était prévu…)

3/ pas cool pour Clinton, bouuuuuuuuuuuuuuuu :(

4/ le vainqueur haut la main ne veut pas de contenter du rôle de clown.

(bon, Le Monde a aussi fait un autre papier plus intéressant sur son parcours)

À d’autres époques ou dans d’autres pays, on aurait juste salué le vainqueur (vae victis), mais ici, non, pas cool pour la favorite des démocrates à plus de 200 000 $ par an…

SURTOUT quand on entend ce qu’il dit – de quoi donner envie de lapider un Macron, donc chuuut, ne le dites pas fort :

Admirez cette vidéo de 2015 :

Voici celle du 2 février :

Une de ses affiches :

(Notez le jeu de mots entre US = USA et US = “Nous”)

Ses déclarations :

Un discours féroce de Sanders au Congrès, en 2012. « Il y a une guerre dans notre pays entre les plus riches et ceux qui travaillent. [...] 1% des américains possèdent 23% de la richesse du pays, plus que les 50% les plus pauvres. Et apparemment, ce n’est pas assez pour eux! »

 

Source: http://www.les-crises.fr/mais-qui-est-bernie-sanders/


Hillary Clinton a gagné avec 12 discours aux grandes banques plus que la plupart d’entre nous gagnent dans leur vie, par Zaid Jilani

Thursday 11 February 2016 at 01:41

Source : The Intercept, le 8 janvier 2016.

Hillary Clinton avec le PDG de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, lors d’un événement du Clinton Global Initiative, en septembre 2014, à New York. Photo: Stephen Chernin/AFP/Getty Images

Le candidat démocrate à la présidentielle Bernie Sanders a attaqué cette semaine sa rivale Hillary Clinton pour avoir perçu des cachets importants du secteur financier depuis son départ du Département d’État.

Selon les déclarations publiques, en donnant seulement 12 discours à des banques de Wall Street, des sociétés de capital-investissement et d’autres sociétés financières, Clinton a gagné 2 935 000$ entre 2013 et 2015.

L’année la plus lucrative pour Hillary Clinton fut 2013, juste après sa démission du poste de secrétaire d’État. Cette année-là, elle a gagné 2,3 millions de dollars pour trois discours à Goldman Sachs et des discours à la Deutsche Bank, Morgan Stanley, Fidelity Investments, Apollo Management Holdings, UBS, Bank of America, et à des gestionnaires d’actifs de chez Golden Tree.

L’année suivante, elle a ramassé 485 000 dollars pour un discours à la Deutsche Bank et un autre à Ameriprise. L’année dernière, elle a gagné 150 000 dollars pour une conférence devant la Banque Impériale Canadienne de Commerce.

Pour mettre ces chiffres en perspective, comparons-les aux revenus du travailleur américain moyen au cours d’une vie. En 2011, le Bureau du recensement a estimé que, quelles que soient les disciplines, le « titulaire de licence peut s’attendre à gagner environ 2,4 millions de dollars au cours de sa vie de travail ». Une analyse Pew Research publiée la même année a estimé qu’un ou une « bachelier/e typique » peut s’attendre à gagner seulement 770 000 dollars au cours de sa vie.

Cela signifie qu’en une année — 2013 — Hillary Clinton a gagné presque autant en 10 conférences à des entreprises de la finance qu’un américain titulaire d’une licence gagne de toute sa vie — et près de quatre fois ce que quelqu’un qui détient un diplôme d’études universitaires supérieures pourrait espérer gagner.

Le coup de filet que Hillary Clinton a réalisé grâce à ses discours à Wall Street pâlit en comparaison de celui de son mari, qui a aussi dû être rendu public parce que les deux partagent un compte bancaire.

« Je n’ai pas gagné d’argent jusqu’à mon départ de la Maison Blanche », a déclaré Bill Clinton lors d’un discours en 2009 à un groupe d’étudiants. « J’avais la valeur nette la plus basse, corrigée de l’inflation, de tout président élu au cours des 100 dernières années, y compris le président Obama. J’étais un pauvre vaurien quand j’ai pris mes fonctions. Mais après mon mandat, j’ai gagné beaucoup d’argent. »

L’agence Associated Press note que pendant le mandat de Hillary Clinton comme secrétaire d’État, Bill Clinton a obtenu 17 millions de dollars en conférences pour des banques, des compagnies d’assurances, des fonds alternatifs, des entreprises immobilières, et d’autres sociétés financières. Au total, on estime que le couple a gagné plus de 139 millions de dollars en discours rémunérés.

Source : The Intercept, le 8 janvier 2016.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/hillary-clinton-a-gagne-avec-12-discours-aux-grandes-banques-plus-que-la-plupart-dentre-nous-gagnent-dans-leur-vie-par-zaid-jilani/


L’homme le plus dangereux du monde ? Par Bill Law

Thursday 11 February 2016 at 00:45

Source : The Independent, le 08/01/2016

Le ministre saoudien de la Défense est agressif et ambitieux – et ses ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur sont dans sa ligne de mire

Bill Law

Mohammed bin Salman assiste au sommet des chefs des pays arabes et d’Amérique du Sud à Riyad AP

Quand Mohammed bin Salman avait tout juste 12 ans, il assistait déjà à des réunions dirigées par son père Salman, le gouverneur à cette époque de la province de Riyad en Arabie saoudite. A 29 ans, 17 ans plus tard, l’alors plus jeune ministre de la Défense au monde plonge son pays dans une guerre brutale et sans issue au Yémen.

En ce moment, le Royaume d’Arabie saoudite joute dangereusement avec l’Iran, son ennemi dans cette région, et mené par un homme semblant vouloir devenir le plus vite possible l’homme le plus puissant du Moyen-Orient.

Le prince Mohammed était encore un adolescent quand il commença à spéculer dans les actions et l’immobilier. Et quand il tombait sur un os ou deux, son père était capable de prendre les affaires en main. À la différence de ses plus grands demi-frères, MbS, comme il se fait appeler, n’est pas allé à l’université à l’étranger, préférant rester à Riyad où il étudia le droit à l’université King Saud. Ceux qui le fréquentaient le voyaient comme un jeune homme sérieux, qui ne fumait pas, ne buvait pas, et qui n’avait aucun intérêt pour la fête.

En 2011, son père devint deuxième Prince Héritier et obtint le très convoité ministère de la Défense, avec son budget colossal et ses juteux contrats d’armements. MbS, en tant que conseiller privé, géra la cour royale d’une main ferme en 2012, après que son père fut  nommé Prince Héritier.

A chaque étape de cette ascension dans la hiérarchie de la Maison des Saoud, le Prince Mohamed, fils favori, était au côté de son père. Parmi les Saoudiens influents, tant religieux qu’hommes d’affaires, il était entendu que si vous vouliez voir le père, il fallait passer par le fils.

Les détracteurs soutiennent qu’il a amassé une vaste fortune, mais c’est le pouvoir plutôt que l’argent qui motive le prince. Quand Salman accéda au trône en janvier 2015, sa santé était déjà mauvaise et il s’appuyait beaucoup sur son fils. Âgé de 79 ans, le roi souffrirait de démence et ne serait capable que de quelques heures quotidiennes de concentration. Gardien de l’accès à son père, MbS est donc le véritable détenteur du pouvoir royal.

Ce pouvoir s’est considérablement accru dès les premiers mois du règne de Salman. Le prince Mohamed a été nommé ministre de la Défense, il a été mis à la tête de la compagnie énergétique nationale Aramco, et d’une nouvelle et puissante structure, le Conseil pour l’Économie et le Développement, qui supervise tous les ministères. Il est aussi devenu responsable du fonds d’investissement souverain du royaume. Deuxième Dauphin, il a cependant obtenu l’ascendant sur son rival Mohammed bin Nayef, qui est Prince Héritier en titre et ministre de l’Intérieur, en intégrant la cour de celui-ci à la cour royale.

Mal disposé à l’égard de la bureaucratie, MbS a vite imposé sa marque en exigeant que les ministères définissent et fournissent chaque mois des indicateurs de performance ; ce système économique sclérosé, fondé sur le clientélisme, le capitalisme de connivence et la corruption, n’avait jamais vu ça. Ses descentes inopinées dans les ministères, tôt dans la matinée, où il exigeait de voir les registres, sont vite passées dans la légende tant il secouait et forçait à l’action un Riyad encore ensommeillé, à la grande admiration des jeunes Saoudiens. “Il est très apprécié de la jeunesse. Il travaille dur, il a des projets pour réformer l’économie et il est ouvert aux jeunes. Il les comprend,” s’enthousiasme un homme d’affaires.

Et ça compte, parce que 70% de la population saoudienne a moins de 30 ans, et que le chômage des jeunes est élevé ; certains l’estiment entre 20 et 25% de cette tranche d’âge.

Mais ce même zèle qu’il déploie dans ses réformes économiques a aussi conduit l’Arabie saoudite à une sale guerre chez les voisins du Yémen. En mars dernier, il a lancé une campagne aérienne contre les forces rebelles Houthi qui avaient expulsé du pays le président – installé par Riyad – Abd Rabbuh Mansur Hadi. En menant l’opération Tempête Décisive (“Decisive Storm”), MbS a jeté par la fenêtre les années de circonspection saoudienne.

Cela a dû passer pour une très bonne idée sur le moment : le jeune et ambitieux fils du vieux roi déclenche une guerre contre la rébellion chez un voisin méridional déstabilisé. Le fait que les rebelles fussent soutenus par l’Iran rendait l’aventure encore plus attrayante. L’armée saoudienne étalait fièrement ses nouvelles armes – valant de nombreux milliards de dollars. MbS avait un puissant rival, plus âgé, au ministère de l’Intérieur, et il voulait montrer ce dont il était capable tant à son rival qu’à ses propres supporters. D’après les plans, la victoire allait être rapide, sans appel, donc propre à confirmer sa stature de meneur de troupes, le plaçant dans la lignée du grand roi guerrier et fondateur de l’Arabie moderne, son grand-père Ibn Saoud.

MbS ne tint pas compte du fait que les Houthis constituaient un précieux tampon protecteur contre la vraie menace pour la Maison Saoud : al-Qaïda dans la péninsule arabe (AQPA). Il semble aussi avoir méconnu l’embarras où les tenaces Houthis avaient placé les Saoudiens lors d’une guerre frontalière, à peine quelques années plus tôt. C’était en 2009, lorsqu’ils prirent le port saoudien de Jizan, sur la mer Rouge, et ne le quittèrent qu’en échange d’une substantielle rançon de 70 millions de dollars.

Jusqu’à présent, l’Opération Tempête Décisive n’a rien prouvé du tout. La guerre a traîné en longueur sur près d’une année, plongeant le peuple yéménite dans une misère infinie. Une grande partie des infrastructures du pays a été détruite par d’intenses bombardements aériens, tandis que les Houthis conservent fermement le contrôle de la capitale Sanaa et de l’essentiel du nord. Au sud, AQPA a eu le champ libre. Imperturbable, MbS a juré de continuer, déterminé qu’il est à contraindre les Houthis, par la force des bombes, à venir à la table des négociations.

“Il est très pugnace,” dit Jason Tuvey, économiste pour la zone Moyen-Orient à Capital Economics. Mais Tuvey, comme maints analystes, a été impressionné par la maîtrise dont a fait preuve le prince Mohammed de tous ces problèmes exaspérants de complexité qui empoisonnent l’économie saoudienne. “Sur le front économique, il s’en est très bien sorti. Il a renouvelé la stratégie, il mériterait des éloges pour cela,” dit Tuvey.

Les qualités de son impétueuse nature pourraient être prises en défaut dans le développement de la lutte avec l’Iran pour l’hégémonie régionale. Quand MbS a annoncé la mise en place, mi-décembre, d’un conseil de 34 pays musulmans pour combattre le terrorisme, il visait manifestement l’Iran. Les Iraniens ont vigoureusement appuyé Bachar al-Assad, le président syrien assiégé, tant directement qu’à travers le Hezbollah, une milice que l’Iran a entraînée et armée pendant des années. Les Saoudiens sont résolus à vaincre Assad avant le début de toute négociation de paix en Syrie.

Aujourd’hui, après l’exécution par les Saoudiens du haut dignitaire chiite le cheikh Nimr al-Nimr, la spirale des représailles est enclenchée. Les Iraniens ont permis la mise à sac de l’ambassade saoudienne à Téhéran, et les Saoudiens, de concert avec les autres pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), ont répliqué en rappelant leurs ambassadeurs. La destruction de l’ambassade iranienne à Sanaa, apparemment bombardée, a encore aggravé les tensions.

Dans une lettre ouverte qui a largement circulé l’été dernier, des adversaires du jeune prince au sein même de la famille régnante ont dénoncé son arrogance, allant jusqu’à demander son éviction en même temps que celle de son père et de Mohammed bin Nayef. Mais cet appel n’a pas eu de suite, et MbS continue de surfer sur une crête de popularité en Arabie saoudite. Une question demeure, cependant : jusqu’où son impétuosité naturelle l’emportera-t-elle dans le conflit avec l’Iran ?

On ne peut pas écarter la possibilité que ce jeune et brillant casse-cou, qui se coule dans le moule grand-paternel de guerrier sunnite, ne soit en train de soupeser les options, d’envisager une frappe militaire contre l’Iran chiite – une effrayante perspective pour cette région déjà déchirée par la guerre sectaire.

Source : The Independent, le 08/01/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lhomme-le-plus-dangereux-du-monde-par-bill-law/


Le Brexit maintenant soutenu par 47% des électeurs britanniques

Wednesday 10 February 2016 at 03:49

Source : The Telegraph, le 17/12/2015

Exclusif : Dans le plus gros sondage d’opinion sur l’Europe jamais réalisé au R-U, Lord Ashcroft révèle que la Grande-Bretagne pourrait se diriger vers la porte de sortie, à moins que David Cameron n’obtienne d’importantes réformes


La Grande-Bretagne pourrait se diriger vers la porte de sortie de l’UE d’après un sondage qui a découvert que 47 pour cent des électeurs veulent partir – photo : PA

Kate McCann, Mathew Holehouse et Christopher Hope

Le 17 décembre 2015

Les électeurs britanniques qui veulent quitter l’Union Européenne dépassent maintenant considérablement le nombre de personnes qui veulent y rester, constate aujourd’hui le plus gros sondage jamais réalisé au R-U sur cette question.

Coup dur pour David Cameron, le jour où se tenait à Bruxelles un sommet crucial, une grande enquête auprès de 20 000 électeurs révèle qu’ils sont 47 pour cent du public à vouloir désormais quitter l’UE – contre seulement 38 pour cent choisissant d’y rester et 14 pour cent d’indécis.

M. Cameron a fait savoir à ses amis qu’il allait ce soir suivre l’exemple de Margaret Thatcher et tenir tête aux dirigeants de l’UE comme elle l’avait fait en 1984 quand elle avait obtenu un rabais sans précédent pour le R-U.

Le Premier ministre affrontera ce soir les dirigeants européens et refusera de réviser à la baisse sa tentative controversée d’interdire aux migrants les prestations sociales du R-U pendant quatre ans, malgré l’opposition de la majorité des dirigeants de l’UE, dont Angela Merkel et François Hollande.

La nuit dernière, Mme Merkel a affirmé qu’elle s’opposerait à la principale exigence britannique, mais M. Cameron assurera aux dirigeants de l’UE qu’il “n’a pas de plan B”, dans un effort ultime de maintenir son plan de référendum sur la bonne voie.

François Hollande, le président français, répondra à M. Cameron qu’il ne peut y avoir “de flexibilité” sur les droits des travailleurs en UE et exigera qu’il “réfléchisse à des alternatives”.

Quoi qu’il en soit, M. Cameron refuse de revoir à la baisse ses exigences et maintiendra auprès de ses 27 homologues qu’il a besoin de modifications dans les traités pour garantir que les réformes sur les prestations sociales soient promulguées.

On tend vers un pari aux enjeux très élevés tenu par Downing Street et qui survient après des semaines de propositions qui suggéraient que M. Cameron se préparait à faire des concessions sur ses exigences en matière d’aide sociale.

Une source haut placée dans l’entourage de M. Cameron a déclaré : « Mme Thatcher a dit que lorsqu’elle négociait un rabais elle avait besoin de ’10 clés pour ouvrir la serrure’ quand il y avait 10 autres membres – à présent il a besoin de 27 clés. »

M. Cameron voulait d’ici février passer un marché avec Bruxelles, qui lui permettrait d’organiser le référendum de-maintien-sortie en juin 2016.

Cependant, des sources proches du Premier ministre ont reconnu la nuit dernière que le contrat pourrait ne pas être conclu avant mars ou juin, ce qui signifie un référendum à la fin de l’année 2016.

 

Le Président français s’oppose à un certain nombre de réformes majeures de M. Cameron – Photo: BENOIT TESSIER/REUTERS

Downing Street s’inquiète du fait que n’importe quel vote après l’été prochain – au moment où on s’attend à ce que la crise des migrants soit à son apogée – pourrait pousser la Grande-Bretagne vers la porte de sortie.

Il apparaît aujourd’hui, avec le sondage de Lord Ashcroft, que les Britanniques vont voter pour quitter l’UE à moins que le Premier ministre ne soit capable de convaincre le public qu’il a réussi à conclure un accord satisfaisant, qui ferait partie de ses renégociations avec Bruxelles.

La nouvelle étude a montré que 35 pour cent des gens étaient prêts à voter pour rester dans l’UE, si M. Cameron pouvait obtenir des concessions, dont un pourcentage important de ceux qui penchent actuellement vers la sortie.

Cependant, seulement 19 pour cent des électeurs britanniques croient que M. Cameron reviendra de Bruxelles avec un bon accord pour le R-U.

 

Le sondage a été conduit par Lord Ashcroft – Photo: Julian Simmonds/The Telegraph

Le sondage de Lord Ashcroft a souligné que les détails du plan de renégociation de M. Cameron étaient “à peine enregistrés” par les électeurs.

Il a indiqué clairement que les électeurs conservateurs détiennent “les clés de l’issue du référendum”.

Lord Ashcroft a déclaré : “Les électeurs des conservateurs détiennent la clef de l’issue du référendum. Plus de la moitié de ceux qui ont voté pour les conservateurs en mai se situent du côté “sortie” sur notre spectre, et ils considèrent actuellement que se maintenir dans l’UE est plus risqué que d’en sortir.

“Mais bien qu’il y ait des pessimistes quant aux chances qu’a Cameron de réussir ses renégociations, ce sont eux qui, de loin, ont la plus grande probabilité de bien réagir s’il arrive à crier victoire de façon convaincante.”

 

Le Premier ministre se rend à Bruxelles pour des négociations de crise

Dans l’ensemble, les votants sont partagés équitablement avec 53% qui pensent qu’il est plus risqué de quitter l’UE et 47% qui pensent qu’il est plus risqué de rester dans l’UE, a déclaré Lord Ashcroft.

Des sources venant de Downing Street ont confirmé la nuit dernière qu’il se peut qu’on ne parvienne pas à un accord final en février comme ils l’avaient initialement espéré.

Une source de haut rang proche du Premier ministre a déclaré : “Nous n’allons pas trouver un accord demain, tout est une question de bonne volonté derrière l’accord de février, mars, juin – de faire avancer les choses.”

 

On reste ou on part ?

Lord Ashcroft a interrogé 20 000 personnes dans le cadre d’un sondage

La Grande-Bretagne doit-elle rester dans l’UE ?

38% veulent rester dans l’UE

47% penchent vers une sortie

14% restent indécis

Parmi les indécis, seulement 50% disent qu’ils vont aller voter

1% a disparu en arrondissant les chiffres

Est-ce que cela compte pour vous que la Grande-Bretagne soit dans l’UE ?

81% ça compte énormément

13% ça ne fait pas de grande différence pour moi

Si Cameron annonçait qu’il a trouvé un meilleur accord pour la Grande-Bretagne…

52% déclarent que ça ne changerait rien à leur vote

35% seraient plus enclins à voter pour le maintien dans l’UE

13% voteraient probablement pour la sortie

Pourquoi est-ce important de savoir si le Royaume-Uni va rester ou non dans l’UE ?

Qu’est-ce qui est en jeu ?

Immigration 23%

Contrôle des frontières 18%

Immigration/réfugiés 16%

Liberté de circulation 15%

Contribution du Royaume-Uni au budget de l’UE 13%

Libre-échange 13%

Sécurité économique 12%

Accords commerciaux 11%

Sécurité intérieure 11%

Droits de l’homme 10%

Les personnes interrogées ont choisi trois réponses sur un panel de quarante-et-une options elles-mêmes choisies par des groupes de consommateurs

David Cameron a promis un référendum sur l’adhésion de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne avant la fin de l’année 2017, mais avant qu’il puisse avoir lieu, il a promis la garantie d’un meilleur accord pour son pays.

Janvier 2013 : Le discours de Bloomberg

David Cameron donne les contours d’une vision réformatrice à grande échelle pour sauver l’Europe, mettant l’accent sur la directive sur le temps de travail et sur la bureaucratie excessive de Bruxelles, suivi de l’annonce d’un référendum en 2017 sur le maintien ou non dans l’UE.

1 janvier 2014 : Les frontières britanniques s’ouvrent aux Bulgares et aux Roumains

Bulgares et Roumains ont reçu le droit sans restriction de voyager et de travailler dans l’UE après l’avoir rejointe en 2007. Le gouvernement répond par de nouvelles lois pour expulser les mendiants et pouvoir mettre fin au bout de six mois aux paiements des allocations.

Mai 2015 : l’UKIP [Parti pour l'Indépendance du Royaume-Uni, dirigé par Nigel Farage, NdT] gagne du terrain

L’UKIP recueille la majorité des voix aux élections européennes. Durant l’été, les parlementaires conservateurs Douglas Carswell et Mark Reckless rejoignent les rangs de l’UKIP.

Juin 2014 : Défaite de Cameron

David Cameron est battu par 26 à 2 lors de sa tentative de détrôner Jean-Claude Juncker en devenant président de la Commission européenne. Angela Merkel devait le soutenir, mais a changé d’avis.

Novembre 2014 : Cameron durcit sa politique d’allocations vis-à-vis des migrants

Cameron dévoile son plan de réforme de la politique migratoire de l’UE, qui vise à supprimer les prestations liées à l’emploi pendant quatre ans pour les migrants et à expulser les migrants de l’UE sans-emploi après six mois de chômage.

Décembre 2014 : Une facture de 1,7 milliard de livres pour la Grande-Bretagne

Cameron est furieux après que son pays se voit adresser une facture de 1,7 milliard de livres au titre de l’adhésion à l’UE, calculée en vertu du succès de son économie par rapport à l’Euro-zone.

7 mai 2015 : Cameron – et son engagement à renégocier avec l’Union européenne – est élu par la Grande-Bretagne

David Cameron stupéfie Bruxelles en gagnant les élections législatives sur un programme de réforme et un référendum. Le processus de renégociation est lancé et Cameron se lance dans un tour éclair de l’Europe pour rencontrer ses 27 homologues.

Juin 2015 : La Grande-Bretagne va financer la crise grecque ?

Lors du premier choc désagréable de la renégociation, la Commission européenne menace d’utiliser les contributions budgétaires britanniques pour des prêts d’urgence en Grèce – faisant fi d’une promesse obtenue par David Cameron quatre ans auparavant.

Septembre 2015 : Cameron est contraint de s’engager à aider les réfugiés

Alors que la crise des réfugiés engloutit le continent, l’UE avertit Cameron que s’il ne fait pas plus pour s’attaquer à la crise, il n’obtiendra rien de sa renégociation. Il propose d’accueillir 20 000 réfugiés syriens.

29 novembre 2015 : Le Premier ministre parle fermement

Face à un tollé de protestations, il durcit sa position envers la réforme des allocations – et annonce à plusieurs dirigeants qu’il démissionnera, à moins qu’il n’obtienne quatre ans de politique de restrictions, et déclare qu’il forcera le Conseil européen à prendre une décision en décembre.

3 décembre 2015 : Pas d’accord pour Noël

Angela Merkel s’entretient avec M. Cameron au téléphone. Des heures plus tard, il concède qu’il n’y aura pas d’accord avant Noël, février devient la nouvelle échéance.

17 – 18 décembre 2015 : Conseil européen

M. Cameron espère avoir une “discussion substantielle” durant le Conseil européen mais l’agenda prédéfini est rempli avec les questions liées au terrorisme et à la crise migratoire.

5 janvier 2016 : Cameron accorde aux ministres la liberté de vote

David Cameron a annoncé qu’une fois achevées les négociations avec les dirigeants européens, il supprimera la responsabilité collective et permettra aux ministres de décider leurs propres positions sur la question.

18-19 février 2016 : Date limite

La date-butoir pour que M. Cameron scelle un accord.

Juin 2016 : Date du référendum ?

Si un accord est signé en février, la date la plus proche pour un référendum est juin.

FAQ

Qu’est-ce que le Brexit ?

Que signifie l’expression “Brexit”?

Ce terme est une abréviation couramment utilisée pour désigner la sortie de l’UE de la Grande-Bretagne.

Comment sera-t-il décidé ?

La décision dépend du résultat d’un référendum national, actuellement préparé par le gouvernement.

Quand le référendum aura-t-il lieu ?

David Cameron a promis qu’il se tiendrait avant la fin de l’année 2017, mais il semble probable qu’il se tienne plus tôt, vraisemblablement en 2016.

Quelle sera la question ?

La question sera : « Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? »

Que se passe-t-il ensuite ?

Le parlement doit décider de l’adoption du projet de loi de David Cameron concernant le référendum sur l’UE.

Pendant ce temps, Cameron essaie d’obtenir un meilleur accord de la part de l’UE en négociant avec les ministres des États membres sur des sujets comme l’accès des migrants aux allocations.

Quel est le résultat attendu ?

La plupart des sondages montrent que le public britannique est à peu près également divisé sur l’avenir du pays, avec une légère tendance pour rester dans l’UE.

Source : The Telegraph, le 17/12/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-brexit-maintenant-soutenu-par-47-des-electeurs-britanniques/


« L’UE est au bord de l’effondrement » – Interview de George Soros

Wednesday 10 February 2016 at 02:28

Source : The New York Review of Books, le 11/02/2016

George Soros et Gregor Peter Schmitz

Ce qui suit est une version révisée d’un entretien entre George Soros et Gregor Peter Schmitz du magazine allemand WirtschaftsWoche.

Sean Gallup/Getty Images
Un réfugié syrien tenant une photo de la chancelière allemande Angela Merkel lors de son arrivée à Munich avec des centaines d’autres migrants en provenance de Hongrie, en septembre 2015

Gregor Peter Schmitz : Quand le Time a mis la chancelière allemande Angela Merkel en couverture, il lui a attribué le titre de « Chancelière du monde libre. » Pensez-vous que cela soit justifié ?

George Soros : Oui. Comme vous savez, j’ai critiqué la chancelière par le passé et je continue à fortement critiquer sa politique d’austérité. Mais après l’attaque de l’Ukraine par le président russe Vladimir Poutine, elle devint le leader de l’UE et par conséquent, et indirectement, du monde libre. Jusqu’alors c’était une politicienne douée qui savait lire l’humeur du public et répondre à cette humeur. Mais en résistant à l’agression russe, elle s’est transformée en leader montant au créneau en contradiction avec l’opinion alors dominante.

Elle fut peut-être encore plus perspicace lorsqu’elle a reconnu que la crise migratoire avait le potentiel pour détruire l’UE, d’abord en provoquant une rupture dans le système Schengen de frontières ouvertes et finalement en sapant le marché commun. Elle a pris une initiative audacieuse pour changer l’attitude du public. Malheureusement, le plan n’était pas suffisamment bien préparé. La crise est loin d’être résolue et sa position de dirigeante – non seulement en Europe mais aussi en Allemagne et même dans son propre parti – est menacée.

Schmitz : Merkel était d’habitude très prudente et réfléchie. Les gens pouvaient lui faire confiance. Mais dans le cas de la crise migratoire, elle a agi de manière impulsive et a pris un gros risque. Sa façon de diriger a changé et cela rend les gens nerveux.

Soros : C’est exact mais je suis heureux de ce changement. Il y a plein de raisons d’être nerveux. Comme elle l’avait très justement prédit, l’UE est au bord de l’effondrement. La crise grecque a enseigné aux autorités européennes l’art de patauger d’une crise à une autre. Cette pratique est connue sous le nom de « remettre les choses à plus tard » mais il serait plus approprié de décrire cela comme frapper une balle vers le haut d’une pente si bien qu’elle retombe sans cesse dans vos pieds. L’UE doit aujourd’hui faire face non pas à une crise mais à cinq ou six à la fois.

Schmitz : Pour être plus spécifique, faites-vous référence à la Grèce, à la Russie, à l’Ukraine, au référendum britannique à venir et à la crise migratoire ?

Soros : Oui. Et vous n’avez pas abordé la cause qui est à la racine de la crise migratoire : le conflit en Syrie. Vous n’avez pas non plus abordé l’effet regrettable que les attaques terroristes à Paris et ailleurs ont eu sur l’opinion publique européenne.

Merkel avait prévu le potentiel de la crise migratoire à détruire l’UE. Ce qui était une prédiction est devenu réalité. L’UE a sérieusement besoin de réparations. C’est indéniable mais ce n’est pas irréversible. Et ceux qui peuvent empêcher que la prédiction funeste de Merkel se réalise sont en fait les Allemands. Je pense que les Allemands, sous la direction de Merkel, ont atteint une position d’hégémonie. Mais ils l’ont fait au rabais. Normalement, ceux qui acquièrent une hégémonie doivent faire attention non seulement à leurs propres intérêts mais aussi à ceux qui se trouvent sous leur protection. L’heure du choix a maintenant sonné pour les Allemands : veulent-ils accepter les responsabilités et les engagements incombant à la puissance dominante en Europe ?

Schmitz : Diriez-vous que la direction de Merkel face à la crise migratoire diffère de sa direction face à la crise de l’euro ? Pensez-vous qu’elle est à présent plus encline à devenir une dominatrice bienveillante ?

Soros : Ce serait trop en demander. Je n’ai aucune raison de changer mon point de vue critique sur sa façon de diriger durant la crise de l’euro. Si elle avait fait preuve bien plus tôt du leadership qu’elle montre maintenant, cela aurait été utile à l’Europe. Il est dommage que, lors de la faillite de Lehman Brothers en 2008, elle n’ait pas été disposée à autoriser que le sauvetage du système bancaire européen soit garanti au niveau européen parce qu’elle sentait que l’opinion publique allemande y serait majoritairement opposée. Si elle avait essayé d’infléchir l’opinion publique au lieu de la suivre, la tragédie de l’UE aurait pu être évitée.

Schmitz : Mais elle ne serait pas restée chancelière d’Allemagne pendant dix ans.

Soros : Vous avez raison. Elle a été très habile à satisfaire les exigences et aspirations d’une grande diversité de citoyens allemands. Elle avait le soutien à la fois de ceux qui voulaient être de bons Européens et de ceux qui voulaient qu’elle protège les intérêts nationaux de l’Allemagne. C’est un exploit non négligeable. Elle a été réélue avec une majorité plus forte. Mais, en ce qui concerne la question des migrants, elle a quand même agi par principe, et elle a été prête à mettre en jeu sa position de leader. Elle mérite le soutien de ceux qui partagent ses principes.

Je le prends très personnellement. Je suis un ardent défenseur des valeurs et des principes d’une société ouverte du fait de mon histoire personnelle, avoir survécu à l’holocauste en tant que juif sous l’occupation nazie de la Hongrie. Et je pense qu’elle partage ces valeurs du fait de son histoire personnelle, avoir grandi sous le régime communiste en Allemagne de l’Est sous l’influence de son père qui était pasteur. Ce qui fait que je la soutiens même si nous sommes en désaccord sur de nombreuses questions importantes.

Schmitz : Vous vous êtes tellement impliqué dans la promotion des principes d’une société ouverte et dans le soutien à un changement démocratique en Europe de l’Est. Pourquoi y a-t-il autant d’opposition et de ressentiment envers les réfugiés là-bas ?

Soros : Parce que les principes d’une société ouverte n’ont pas de fortes racines dans cette partie du monde. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán promeut les principes d’une identité hongroise et chrétienne. Combiner identité nationale et religion est un très puissant mélange. Et Orbán n’est pas tout seul. Le chef du parti nouvellement élu pour diriger la Pologne, Jarosław Kaczyński, adopte une approche similaire. Il n’est pas aussi intelligent qu’Orbán, mais c’est un politicien habile et il a choisi la migration comme thème central de sa campagne. La Pologne est l’un des pays les plus homogènes ethniquement et religieusement en Europe. Un immigré musulman en Pologne catholique est la personnification de l’Autre. Kaczyński a réussi à le dépeindre comme le diable.

Schmitz : Plus généralement, comment voyez-vous la situation politique en Pologne et en Hongrie ?

Soros : Bien que Kaczyński et Orbán soient des personnes très différentes, les régimes qu’ils prévoient d’établir sont très similaires. Comme je l’ai suggéré, ils cherchent à exploiter un mélange de nationalisme ethnique et religieux pour se maintenir perpétuellement au pouvoir. Dans un sens, ils essaient de rétablir le genre de démocratie de façade qui a prévalu dans la période entre la Première et la Seconde Guerre Mondiale dans la Hongrie de l’amiral Horthy et la Pologne du maréchal Piłsudski. Une fois au pouvoir, ils sont susceptibles de s’emparer de certaines des institutions de la démocratie qui sont et doivent être autonomes, comme la Banque centrale ou la Cour constitutionnelle. Orbán l’a déjà fait ; Kaczyński commence à peine maintenant. Ils vont être difficiles à éliminer.

En plus de tous ses autres problèmes, l’Allemagne va bientôt avoir un problème polonais. Contrairement à la Hongrie, la Pologne est l’un des pays les plus prospères d’Europe, à la fois économiquement et politiquement. L’Allemagne a besoin que la Pologne la protège de la Russie. La Russie de Poutine et la Pologne de Kaczyński sont hostiles l’une envers l’autre mais elles sont encore plus hostiles aux principes sur lesquels l’UE a été fondée.

Schmitz : Quels sont ces principes ?

Soros : J’ai toujours considéré l’UE comme l’incarnation des principes de la société ouverte. Il y a un quart de siècle, lorsque j’ai commencé à m’impliquer dans la région, vous aviez une Union soviétique moribonde et une Union européenne émergeante. Et, il est intéressant de noter, toutes deux ont entrepris une gouvernance internationale. L’Union soviétique a essayé d’unir les prolétaires du monde et l’Union européenne a essayé d’établir un modèle d’intégration régionale basé sur les principes d’une société ouverte.

Schmitz : Quelle est la comparaison avec la situation actuelle ?

Soros : L’Union soviétique a été remplacée par une Russie renaissante et l’Union européenne se voit dominée par les forces du nationalisme. La société ouverte en laquelle Merkel et moi-même croyons tous deux du fait de nos histoires personnelles, et que les réformateurs de la nouvelle Ukraine veulent rejoindre du fait de leurs histoires personnelles, n’existe pas en réalité. L’Union européenne était supposée être une association délibérée entre parties égales mais la crise de l’euro l’a transformée en une relation entre créanciers et débiteurs dans laquelle les débiteurs ont du mal à faire face à leurs obligations et les créanciers déterminent les conditions que les débiteurs doivent remplir. Cette relation n’est ni délibérée ni égalitaire. La crise migratoire a apporté d’autres brèches. Par conséquent, la survie même de l’UE est menacée.

Schmitz : C’est un point intéressant parce que je me rappelle que vous étiez très critique à l’égard de Merkel, il y a deux ans de cela, au motif qu’elle était trop préoccupée par les intérêts de ses électeurs et la mise en place d’une hégémonie allemande à peu de frais. Maintenant, elle a vraiment changé de cap quant à la question migratoire et ouvert grand la porte aux réfugiés syriens. Cela a créé un appel d’air qui a permis en retour aux autorités européennes de développer une politique d’asile avec un objectif généreux, jusqu’à un million de réfugiés par an avec cet objectif ciblé pour plusieurs années. On peut s’attendre à ce que les réfugiés qualifiés pour être admis demeurent où ils sont jusqu’à ce que leur tour vienne.

Soros : Mais nous n’avons pas de politique d’asile européenne. Les autorités européennes doivent en assumer la responsabilité. Ceci a transformé l’afflux croissant de réfugiés de l’an dernier, d’un problème gérable c’est devenu une crise politique aigüe. Chaque État membre s’est égoïstement concentré sur ses propres intérêts, souvent agissant contre les intérêts des autres. Ce qui a précipité la panique parmi les demandeurs d’asile, le grand public et les autorités responsables du maintien de la loi et de l’ordre public. Les demandeurs d’asile ont été les victimes principales. Mais vous avez raison. C’est à Merkel que revient le crédit d’avoir rendu une politique d’asile européenne possible.

L’UE a besoin d’un plan de réponse complet à la crise, un plan qui réaffirme la gouvernance effective sur le flux de demandeurs d’asile afin qu’ils prennent place d’une manière sûre et ordonnée, et à une allure qui reflète la capacité de l’Europe à les absorber. Pour être complet, le plan doit s’étendre au-delà des frontières de l’Europe. Il est moins déstabilisant et beaucoup moins coûteux pour les potentiels demandeurs d’asile de demeurer où ils sont actuellement, ou pas trop loin.

Ma fondation a développé un plan en six points sur cette base et l’a annoncé exactement au moment où Orban a introduit son plan en six points, mais les deux plans étaient diamétralement opposés. Le plan d’Orban était conçu pour protéger les frontières nationales contre les demandeurs d’asile ; le nôtre vise à protéger les demandeurs d’asile. Nous avons été opposés depuis lors. Orban m’accuse de tenter de détruire la culture nationale de la Hongrie en déversant un flot de réfugiés musulmans sur le pays. Paradoxalement, notre plan laisserait les demandeurs d’asile qualifiés où ils sont actuellement et fournirait des infrastructures à ces emplacements ; ce sont ses politiques à lui qui les incitent à se dépêcher vers l’Europe tant que les portes sont encore ouvertes.

Dmitri Azarov/Kommersant Photo/Getty Images
Vladimir Poutine et Viktor Orban à une conférence de presse à Budapest, février 2015

Schmitz : Pouvez-vous éclaircir votre paradoxe ? Pourquoi votre plan empêcherait-il l’afflux de réfugiés en Europe ?

Soros : Nous en appelons à une politique d’asile européenne commune qui réaffirmerait le contrôle au niveau des frontières européennes plutôt que nationales, et permettrait aux demandeurs d’asile d’atteindre l’Europe d’une manière ordonnée et sûre, et à une allure qui reflète la capacité de l’UE à les absorber. Orban en appelle à l’utilisation des frontières nationales pour empêcher les migrants d’entrer.

Schmitz : Et qui gagne ce conflit?

Soros : En Hongrie, il a largement gagné. Plus dérangeant, il gagne également en Europe. Il dispute à Merkel la direction de l’Europe. Il a lancé sa campagne au congrès de la CSU (Union chrétien-social de Bavière, le parti frère du CDU – Union Chrétienne-démocrate – de Merkel) en septembre 2015, et il l’a fait main dans la main avec Horst Seehofer, le président du parti allemand. Et c’est un vrai défi. Il attaque les valeurs et principes sur lesquels l’Union européenne a été fondée. Orban les attaque de l’intérieur ; Poutine de l’extérieur. Les deux essaient de renverser la subordination de la souveraineté nationale à un ordre supranational européen.

Poutine va plus loin encore : il veut remplacer l’état de droit par la loi du plus fort. Ils reviennent à des pratiques de temps révolus. Heureusement, Merkel a pris le défi au sérieux. Elle réplique et je la soutiens, non seulement par mes déclarations mais également par mes actes. Mes fondations ne font pas que rédiger des plaidoyers ; elles s’efforcent d’apporter une contribution positive sur le terrain. Nous avons créé une fondation en Grèce, « Solidarity Now, » en 2013. Nous avions clairement anticipé que la Grèce, étant donnée son impécuniosité, allait avoir des difficultés à prendre en charge le nombre élevé de réfugiés se trouvant bloqués sur son territoire.

Schmitz : D’où viendrait l’argent nécessaire à votre projet ?

Soros : Il serait impossible à l’UE de financer cette dépense sur le budget actuel. Il lui serait néanmoins possible de trouver de telles ressources en émettant des obligations à long terme bénéficiant de son crédit respecté d’emprunteur noté AAA. La charge des intérêts des emprunts pourrait être équitablement distribuée entre les États membres qui acceptent les réfugiés et ceux qui refusent de le faire ou imposent des restrictions spéciales. Il va sans dire que c’est là que je diverge avec la chancelière Merkel.

Schmitz : Vous avez passé la main de la gestion de votre hedge fund pour consacrer toutes vos énergies à votre fondation. Quels sont vos principaux projets ?

Soros : Ils sont trop nombreux pour être tous cités. Il semble que nous soyons impliqués dans la plupart des questions politiques ou sociales brûlantes dans le monde. Mais je mettrais en avant l’Institute for New Economic Thinking (INET) (Institut pour une Pensée Economique Nouvelle) et le Central European University (CEU) (Centre Universitaire Européen) parce qu’une révolution a lieu dans le domaine des sciences sociales et que j’y suis fortement impliqué tant sur le plan personnel qu’à travers mes fondations. Grâce aux sciences naturelles, l’humanité a pris le pouvoir sur les forces de la nature mais notre capacité à nous gouverner n’a pas connu les mêmes progrès. Nous avons la capacité de détruire notre civilisation et nous en prenons résolument le chemin.

Schmitz : Votre tableau du futur est sombre.

Soros : Oui mais c’est une vision délibérément tendancieuse. Identifier un problème est une invitation à le résoudre. C’est la principale leçon que j’ai tirée de l’expérience formatrice que j’ai vécue, en 1944, quand les Nazis ont occupé la Hongrie. Je n’aurais peut-être pas survécu si mon père n’avait pu se procurer des faux-papiers pour sa famille (et pour beaucoup d’autres). Il m’a appris qu’il valait bien mieux affronter la dure réalité que de fermer les yeux. Une fois que vous avez conscience des dangers, vos chances de survie sont bien meilleures si vous prenez quelques risques que si vous suivez docilement la foule. C’est pourquoi je me suis entraîné à regarder le côté obscur. Cela m’a été d’une grande utilité sur les marchés financiers et guide à présent ma politique philanthropique. Tant que je parviens à trouver une stratégie efficiente, même fragile, je n’abandonne pas. L’opportunité est nichée dans le danger. Il fait toujours le plus sombre avant l’aube.

Schmitz : Quelle est votre stratégie gagnante pour la Grèce ?

Soros : En fait je n’en ai pas. Le cas grec a été mal géré depuis le début. Fin 2009, quand la crise grecque a commencé à se dessiner, l’UE, avec l’Allemagne à sa tête, a organisé un sauvetage financier mais en imposant des taux d’emprunts punitifs sur les prêts accordés. C’est ce qui a rendu la dette grecque intenable. Et la même erreur a été de nouveau commise dans les négociations récentes. L’UE a voulu punir le Premier ministre Alexis Tsipras, et particulièrement son ancien ministre des finances Yanis Varoufakis, tout en n’ayant d’autre choix que d’éviter un défaut grec. Il en résulte des conditions imposées par l’UE qui vont pousser la Grèce dans une dépression plus profonde.

Schmitz : La Grèce présente-t-elle un intérêt pour les investisseurs privés ?

Soros : Pas tant qu’elle fait partie de la zone euro. Avec l’euro, le pays a peu de chance de prospérer un jour, son taux de change est trop élevé pour être compétitif.

Schmitz : Êtes-vous inquiet qu’au milieu de toutes ces crises, un membre important de l’UE comme le Royaume-Uni réfléchit à quitter l’UE ?

Soros : Très inquiet. Je suis convaincu que la Grande-Bretagne doit rester en Europe non seulement pour des raisons économiques mais pour des raisons politiques avant tout. Une UE sans le Royaume-Uni serait une union très affaiblie.

Schmitz : Mais les sondages indiquent qu’une majorité de Britanniques sont pour un Brexit, ou British exit, une sortie de l’UE.

Soros : La campagne pour le Brexit a sciemment induit en erreur le grand public. A l’heure actuelle, la Grande-Bretagne a le meilleur des accords avec l’Europe. Elle a accès au marché commun où près de la moitié des exportations est envoyée sans le poids d’avoir rejoint la zone euro.

Schmitz : Pourquoi le monde des affaires britannique ne fait pas plus état des inconvénients d’un Brexit ?

Soros : Les directions des sociétés multinationales qui ont augmenté leurs capacités de production en Grande-Bretagne comme des tremplins vers le marché commun sont réticentes à exprimer publiquement leur opposition à un Brexit car elles ne veulent pas être entraînées dans un débat politique où leurs clients auraient un point de vue opposé. Mais posez-leur la question en privé, comme je l’ai fait, et ils vous le confirmeront volontiers.

La campagne pour le Brexit a essayé de convaincre le public britannique qu’il était moins risqué de ne pas faire partie du marché commun que d’en faire partie. La campagne a eu le champ libre parce que le gouvernement voulait donner l’impression qu’il résistait pour obtenir le meilleur accord possible.

Schmitz : Pendant longtemps, l’Europe — et le monde — pouvait compter sur la Chine pour être un moteur de croissance et une machine à crédit.

Soros : La Chine, sur le plan historique, reste le pays le plus déterminant. Elle possède toujours de vastes réserves de devises étrangères.

Schmitz : Et cela va protéger le pays ?

Soros : La Chine est en train d’épuiser ces réserves très rapidement. Elle bénéficie également d’un gisement de confiance incroyable de la part de sa population : beaucoup ne comprennent peut-être pas comment fonctionne le régime chinois mais ils croient qu’un régime qui a réussi à surmonter tant de difficultés sait ce qu’il fait. Mais à cause des nombreuses erreurs du gouvernement, la réserve de confiance s’épuise aussi à une cadence extrêmement rapide. Le président Xi Jinping peut poursuivre sa politique actuelle pendant encore trois ans, mais durant cette période, la Chine va exercer une influence négative sur le reste du monde en renforçant les tendances déflationnistes qui ont déjà cours. La Chine a la responsabilité d’une partie plus importante que jamais auparavant de l’économie mondiale et les problèmes qu’elle doit affronter n’ont jamais été plus inextricables.

Schmitz : Le président Xi peut-il se hausser au niveau du défi ?

Soros : Il existe un défaut fondamental dans l’approche de Xi. Il a pris le contrôle direct de l’économie et de la sécurité. S’il réussissait grâce à une solution dans la logique du marché, le monde et la Chine s’en porteraient mieux. Mais vous ne pouvez pas aller dans le sens du marché sans faire certains changements politiques. Vous ne pouvez pas lutter contre la corruption sans médias indépendants. Et c’est bien un point que Xi ne veut pas concéder. Sur ce point, il est plus proche de la Russie de Poutine que de notre idéal de société ouverte.

Schmitz : Quel est votre perception de la situation en Ukraine ?

Soros : En survivant pendant deux ans alors qu’elle faisait face à tant d’ennemis, l’Ukraine a accompli une chose qui touche à l’incroyable. Cependant, elle a besoin de beaucoup plus de soutien extérieur car elle est exsangue. En attachant une laisse financière aussi courte au cou de l’Ukraine, l’Europe répète la même erreur commise avec la Grèce. La vieille Ukraine avait beaucoup de points communs avec la vieille Grèce — elle était dominée par des oligarques et le service public servait des gens qui abusaient de leur position plutôt que servir le peuple. Mais nous voyons une nouvelle Ukraine qui veut être tout le contraire de l’ancienne. La Rada a récemment voté un budget pour l’année 2016 qui respecte les conditions imposées par le FMI. C’est le moment maintenant d’envisager une aide financière supplémentaire dont la nouvelle Ukraine a besoin pour mener des réformes radicales. Ceci permettrait au pays non seulement de survivre mais de prospérer et devenir une destination d’investissement attirante. Retransformer la nouvelle Ukraine en l’ancienne Ukraine serait une erreur fatale parce que la nouvelle Ukraine est l’un des atouts les plus précieux dans la main de l’Europe, à la fois pour résister à l’agression russe et pour re-capturer l’esprit de solidarité qui a caractérisé l’Union européenne des débuts.

Schmitz : Beaucoup reprochent au président des États-Unis Barack Obama d’être trop faible face à la Russie.

Soros : C’est juste. Poutine est un tacticien suprême qui est entré dans le conflit syrien parce qu’il y a vu une opportunité pour améliorer le statut de la Russie dans le monde. Il était prêt à continuer à presser tant qu’il ne rencontrait pas de résistance sérieuse. Le président Obama aurait dû le défier plus tôt. Si Obama avait décrété une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie lorsque la Russie a commencé à fournir des équipements militaires en grande quantité, celle-ci aurait été obligée de la respecter. Mais Obama avait à cœur d’éviter tout risque de confrontation militaire directe avec la Russie. Ainsi la Russie a pu installer des missiles antiaériens et les États-Unis ont dû partager le contrôle des airs syriens avec la Russie. On pourrait presque dire qu’en abattant un avion de chasse russe, le président turc Recep Tayyip Erdogan a fait une fleur à Obama. Poutine a dû admettre que son aventure militaire s’était heurtée à une sérieuse opposition et il semble maintenant prêt pour une solution politique. C’est prometteur.

Il y a aussi l’ÉI et les attaques terroristes qui menacent d’ébranler les valeurs et principes de notre civilisation. Les terroristes veulent convaincre la jeunesse musulmane qu’il n’existe pas d’alternative au terrorisme, et si nous écoutons des gens comme Donald Trump, ils vont parvenir à leurs fins.

Schmitz : Je ne peux m’empêcher de vous poser la question. Connaissez-vous Donald Trump ?

Soros : Cela remonte à pas mal d’années, Donald Trump voulait que je sois le locataire principal d’un de ses premiers immeubles. Il m’a dit : « Je vous veux dans l’immeuble. Donnez-moi votre prix. » Ma réponse fut : « J’ai bien peur que ce soit au-dessus de mes moyens. » Et j’ai décliné son offre.

Source : The New York Review of Books, le 11/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lue-est-au-bord-de-leffondrement-interview-de-george-soros/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Attentats)

Wednesday 10 February 2016 at 01:40

I. Olivier Delamarche

Olivier Delamarche VS Daniel Gerino (1/2): BCE: Un quantitative easing supplémentaire sera-t-il bénéfique ? – 08/02

Olivier Delamarche VS Daniel Gerino (2/2): Quantitative easing américain: Quels impacts ? – 08/02

II. Philippe Béchade

Philippe Béchade VS Phillipe Lesueur (1/2): Quid du recul des marchés financiers ? – 03/02

Philippe Béchade VS Phillipe Lesueur (2/2): Décryptage des premières publications d’entreprise du CAC 40 – 03/02

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (1/2): Quels sont les facteurs de la nouvelle vague de baisse des marchés financiers ? – 09/02

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (2/2): En quoi le ralentissement de la croissance économique américaine est-il inquiétant ? – 09/02

III. Attentats

Attentats du 13 novembre: Sonia, celle qui a permis de neutraliser Abaaoud


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-attentats/


Chris Hedges et Sheldon Wolin à propos du totalitarisme inversé comme menace pour la démocratie

Tuesday 9 February 2016 at 05:14

Source : Naked Capitalism, le 29/10/2014

Sheldon Wolin

Ici Yves [Smith]. Nous vous présentons ce que nous considérons comme des passages remarquables d’une série importante de vidéos de Real News Network. Une discussion approfondie entre Chris Hedges et Sheldon Wolin sur le capitalisme et la démocratie. Aujourd’hui nous nous intéressons à ce que Wolin appelle le « totalitarisme inversé, » ou comment les grandes entreprises et le gouvernement travaillent ensemble pour garder le grand public en esclavage. Wolin traite de la façon dont la propagande et la suppression de l’esprit critique servent à promouvoir une idéologie pro-croissance, pro-entreprises, qui juge la démocratie superflue et potentiellement un obstacle à ce qu’ils considèrent être le progrès. Ils discutent aussi de la façon dont l’Amérique est gouvernée par deux partis en faveur des sociétés et comment le candidat du non, « populaire » comme dans populiste, est piétiné lourdement.

Chris Hedges

Chris Hedges, journaliste lauréat du prix Pulitzer : Bienvenue pour la quatrième partie de notre interview avec le professeur Sheldon Wolin, qui a enseigné la politique de nombreuses années à Berkeley et ensuite à Princeton. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages fondamentaux sur la philosophie politique, dont Politics and Vision et Democracy Incorporated.

J’ai voulu simplement parcourir vos deux livres, Politics and Vision et Democracy Incorporated, et j’ai pris des notes sur les caractéristiques de ce que vous appelez le totalitarisme inversé, que vous utilisez pour décrire le système politique sous lequel nous vivons actuellement. Vous avez déclaré que ce n’était qu’en partie un phénomène centré sur l’État. Que voulez-vous dire par là ?

Sheldon Wolin, professeur émérite en sciences politiques à Princeton : Eh bien ce que je veux dire par cela, c’est que l’une des caractéristiques frappantes de notre ère est que l’on peut constater à quel point ce qu’on appelle les institutions privées, les médias par exemple, sont capables de travailler pour tendre vers le même objectif de contrôle, d’apaisement, que ce qui intéresse le gouvernement, que l’idée d’une opposition sincère est généralement considérée comme subversive, et donc que la critique est maintenant une catégorie que nous devrions vraiment regarder et examiner, et voir si elle équivaut réellement à un peu plus qu’un léger reproche au mieux, et, au pire, à une manière de fournir une sorte de confirmation au présent système en montrant son ouverture d’esprit à l’autocritique.

Hedges : Et vous avez dit qu’il y a une sorte de fusion aujourd’hui, et vous parlez beaucoup des dynamiques internes des entreprises elles-mêmes, de la façon dont elles sont complètement hiérarchiques, même dans quelle mesure ceux qui sont à l’intérieur de ces structures institutionnelles sont poussés à s’identifier à une entreprise sur un plan presque personnel. Je parle en tant qu’ancien journaliste au New York Times, même nous, nous recevions des notes à propos de la famille du New York Times, ce qui est évidemment ridicule. Et vous parlez de la manière dont cet ensemble de valeurs ou cette structure du pouvoir, associé à ce type de propagande, vient tout juste d’être transféré à l’État, que l’État fonctionne désormais exactement de la même façon, de la même façon hiérarchisée, qu’il utilise les mêmes formes de propagande pour que le peuple abandonne d’un coup ses droits politiques mais s’identifie aussi à travers le nationalisme, le patriotisme et la convoitise de la superpuissance elle-même, que nous voyons maintenant dans tout le paysage politique.

Wolin : Oui. Non, je pense que c’est un élément très fort, en fait un élément décisif de notre situation actuelle. Il y a une sorte de conjoncture entre la manière dont les institutions sociales et éducatives ont façonné une certaines forme de mentalité parmi les étudiants, à l’intérieur de l’université, et ainsi de suite, et les médias eux-mêmes qui marchent mécaniquement du même pas dans la direction exigée par l’ordre politico-économique que nous avons actuellement, et le fait que la question fondamentale, je pense, était que nous avons vu ce même genre d’absorption de la politique et de l’ordre politique dans tellement de domaines apolitiques, économie, sociologie, religion même, que nous avons en quelque sorte perdu, il me semble, tout le caractère unique des institutions politiques, qui est qu’elles sont supposées incarner les espoirs substantiels des gens ordinaires, en termes du type de présent et d’avenir qu’ils souhaitent. Et c’est ce dont est censée s’occuper la démocratie.

Mais à la place nous l’avons maintenant subordonnée aux soi-disant demandes de la croissance économique, les soi-disant demandes d’une classe économique qui est chez elle avec les avancées scientifiques et technologiques qui sont appliquées par l’industrie, ce qui conduit l’élément politique du groupe dirigeant à être maintenant façonné et, en grande partie je pense, incorporé dans une idéologie fondamentalement apolitique, ou politique d’une manière antipolitique. Ce que je veux dire par là : c’est une combinaison de forces qui veulent vraiment exploiter la politique sans rechercher ni à la renforcer, ni à la réformer dans une forme significative, ni à la régénérer. Elle voit la structure politique comme une opportunité. Et plus elle sera perméable, mieux ce sera, parce que les groupes dominants ont aujourd’hui tellement d’instruments sous leur contrôle pour réaliser cette exploitation, la radio, la télévision, la presse papier, et autres, que c’est le meilleur des mondes pour eux.

Hedges : De fait, vous citez Nietzsche, en disant le degré de prescience de Nietzsche. Je crois que vous avez dit qu’il était meilleur prophète que Marx, je crois, si je me souviens bien, dans Politics and Vision, mais dans la façon dont Nietzsche a compris la désintégration de la démocratie libérale et de la classe libérale, et également compris la montée du fondamentalisme religieux en plein âge de la laïcité et la dangerosité de ce phénomène.

Wolin : Oui. Je pense que – de toute évidence, je pense que c’est vrai en ce qui le concerne, et je pense qu’il a été très perspicace en la matière. Il n’était pas, bien sûr, favorable à une telle évolution, mais il n’était pas non plus un partisan banal des élites historiques ou même des élites contemporaines, qu’elles fussent capitalistes ou nationalistes, comme c’était le cas en Allemagne.

Nietzsche essayait véritablement de faire émerger une notion de la valeur, de la valeur intrinsèque, de la vie politique. Et il y est parvenu, quoiqu’elle ne fût intelligible à ses yeux qu’en termes d’une sorte de dichotomie séparant l’élite de la masse. Et cela a été, je pense, l’échec de Nietzsche, parce qu’il a perçu tant sur les tendances au sein de notre société et de notre culture qui nous menaient à la ruine en tant que démocratie et qui devaient être corrigées, mais corrigées dans le but de promouvoir la démocratie ; Nietzsche, en revanche, tentait d’en faire des vecteurs de célébration ou d’encouragement de nouvelles élites. Et il ne pouvait tout simplement pas concevoir de société valable dans laquelle les élites n’auraient pas reçu le rôle premier et dirigeant. Il ne pouvait tout simplement pas le concevoir. Il restait dans la notion hégélienne du XIXe siècle, selon laquelle les masses sont ignorantes, intolérantes, réactionnaires, et ainsi de suite. A l’instar de tant d’excellents auteurs du XIXe siècle, il ne savait tout simplement pas quoi faire du « peuple, » entre guillemets.

Hedges : Marx inclus.

Wolin : Non, non, tout à fait. Ils ont soit tenté de neutraliser le peuple, soit de l’enrôler, mais jamais ils n’ont vraiment essayé de le comprendre.

Je pense que le meilleur – le meilleur courant politique, je pense, qui ait vraiment essayé de le comprendre a été, assez étrangement, le courant progressiste américain, qui était très enraciné dans l’histoire américaine, dans les institutions américaines ; mais il a vu assez clairement les dangers dans lesquels il se précipitait et la nécessité pour les éviter, de réformes politiques en profondeur, par des moyens démocratiques, non élitistes, et qui par-dessus tout exigeaient de l’Amérique qu’elle réfléchisse très sérieusement à son rôle dans les relations internationales, parce qu’il a vu qu’il y avait là un piège, tout comme un rôle agressif et dominant dans les relations économiques était un piège parce que ce qu’il exigeait, ce qu’il exigeait de la population en termes de façon de penser, d’éducation, de culture, et de ce qu’il exigeait en termes d’élites à même de diriger cette sorte d’éducation.

Et je pense que c’est pour cette raison que c’était un pessimiste au sens littéral sur ce qui pouvait advenir, et il n’avait rien vers quoi se tourner. Il n’avait pas grande confiance dans le peuple, et il en était venu à se méfier des élites. Je pense qu’en fin de compte il a adopté le point de vue selon lequel les élites devraient se replier et préserver la culture, la préserver dans ses manifestations les plus variées : la littérature, la philosophie, la poésie, et ainsi de suite.

Hedges : Mais il avait certainement compris ce qui était arrivé lorsque l’État s’est séparé de l’autorité religieuse -

Wolin : Oh, que oui.

Hedges : – que l’on verrait la montée de mouvements religieux s’opposer violemment à l’État laïque, primo ; et secundo que l’on assisterait à un effort effréné de l’État pour se faire sacraliser.

Wolin : Oui. Oui, ça c’est vrai. Il a essayé de le faire. Il l’a fait plutôt – beaucoup moins aux Etats-Unis, mais certainement il l’a fait en Allemagne, et à un certain degré en Italie, mais pas complètement.

Oui, je crois jusqu’à un certain point que le problème auquel s’est heurté Nietzsche est une exagération d’une position qui supposait une sorte de religiosité soutenue de la part des gens ordinaires dont je pense qu’elle n’est tout simplement pas vraie. Je ne veux pas dire qu’ils sont devenus sceptiques ou agnostiques ou quoi que ce soit d’autre de ce genre, mais je pense effectivement qu’il y a eu un relâchement et une diminution des engagements religieux et une sorte de marginalisation des groupes mystiques et -

Hedges : Faites-vous référence à la fin de la monarchie ?

Wolin : Non, la fin, vraiment, du rôle significatif de la religion dans la constitution de l’État moderne.

Hedges : Laquelle fin aurait été celle de la monarchie, n’est-ce pas ?

Wolin : C’aurait été la fin de la monarchie, sauf que celle-ci aurait gardé une sorte de rôle symbolique. Oui, elle aurait signifié la fin de la monarchie. Je pense que la monarchie demandera probablement toujours une sorte d’élément sacré. Certainement, les vestiges qu’il en reste dans des pays comme l’Espagne et la Grèce le montrent. Mais, non, la fin du rôle de la religion a sapé la monarchie. Il n’y a pas de discussion là-dessus. La plupart des évolutions contemporaines l’ont déstabilisée, et les rois ont principalement été des objets d’exhibition et guère plus.

Hedges : Vous dites également que le totalitarisme inversé est non seulement un signe de la démobilisation des citoyens, mais également qu’il ne s’exprime jamais en tant que concept idéologique, ou en tant qu’objet de débat public. Qu’entendez-vous par là ?

Wolin : Eh bien, ce que je veux dire, c’est qu’il n’a pas été cristallisé uniquement dans ces deux mots, qu’il est tout un processus opérationnel. Son fonctionnement est une combinaison d’éléments dont l’intrication et la cohérence n’ont jamais été proprement appréhendées ni débattues publiquement de manière durable. Et je pense que cela lui confère une sorte de qualité insidieuse, qui devient de plus en plus importante à mesure que les besoins d’une économie et d’un système éducatif modernes se manifestent, mais il n’a jamais suscité le genre de crise qui conduirait à une remise en question radicale. Il y a eu des critiques, il y a eu des récriminations et ainsi de suite, mais l’opposition ne s’est jamais concentrée sur cette cible de manière à présenter une véritable menace.

Hedges : Parce qu’il n’est jamais nommé explicitement.

Wolin : Il n’est jamais nommé.

Hedges : Il ne se présente jamais sous son nom.

Wolin : Non, non. Vous ne pouvez pas vous servir de ce nom. Je veux dire, c’est simple. Vous ne pouvez pas utiliser le terme capitalisme pour jeter l’opprobre sur lui.

Hedges : Vous avez déclaré que le totalitarisme inversé est alimenté par ceux qui détiennent le pouvoir ainsi que par les citoyens qui semblent tous bien souvent ignorants des conséquences en profondeur de leur action ou de leur inaction. Ce qui m’intéresse dans cette affirmation, c’est que vous dites que même ceux qui détiennent le pouvoir ne savent pas ce qu’ils font.

Wolin : Effectivement, je ne pense pas qu’ils le sachent. Je pense que c’est plus – je pense que cela se voit non seulement chez les membres du gouvernement, ceux que l’on appelle les conservateurs, mais également chez les libéraux. Et je pense que la cause n’est pas à chercher très loin. Les exigences du processus de prise de décision contemporain, c’est-à-dire, avoir réellement à décider d’actes législatifs ou exécutifs dans une société aussi politiquement et économiquement compliquée que la nôtre, dans une société politiquement et économiquement aussi compliquée que peut l’être le monde, demande une réflexion difficile. Extrêmement difficile. Et tout le monde est pris par les exigences immédiates, et c’est compréhensible. C’est une sorte de jeu où l’on essaie de maintenir les choses en l’état, de maintenir le bateau à flot, mais où l’on ne cherche pas sérieusement à changer de cap, sauf peut-être de manière rhétorique.

Je pense que les exigences du monde sont maintenant telles, et si dangereuses, avec toutes ces sortes d’armes et de moyens à la disposition de n’importe quel cinglé dans le monde, qu’il est extrêmement difficile pour un gouvernement de se détendre un moment pour penser à l’ordre social et au bien-être des citoyens d’une façon qui soit séparée des problèmes en puissance de sécurité de la société.

Hedges : Nous avons montré plus tôt comment, puisque des forces privées ont essentiellement pris le contrôle des systèmes non seulement médiatiques mais aussi éducatifs, elles ont effectivement détruit la capacité d’esprit critique à l’intérieur de ces institutions. Et ce qu’elles ont fait c’est éduquer une génération, probablement deux maintenant, de gestionnaires de systèmes, des gens dont l’expertise technique vise à garder le système tel qu’il a été construit, viable et à flot, pour que lorsqu’il y a une – en 2008, la crise financière mondiale, ils pillent immédiatement le Trésor américain pour réinsuffler vie au système grâce à un montant ahurissant de 17 000 milliards de dollars. Et quelles sont les conséquences ? Nous avons expliqué plus tôt comment même ceux au pouvoir ne comprennent pas souvent où ils vont. Quelles sont les conséquences aujourd’hui de ce manque de capacité à critiquer le système ou même à le comprendre ? Quelles sont les conséquences environnementales, économiques, démocratiques même, de nourrir et soutenir ce système de capitalisme institutionnel ou totalitarisme inversé ?

Wolin : Je pense que la seule question serait de quel intervalle de temps vous parlez. L’érosion de ces institutions que vous mentionnez est pour moi si continue que cela ne prendra pas longtemps avant que leur substance soit complètement vidée, et tout ce qu’il vous restera ce sont des organismes qui ne joueront plus le rôle qui était prévu, que ce soit le rôle de légiférer de façon indépendante, ou la critique ou la réactivité face à un électorat, donc je pense que les conséquences sont déjà avec nous.

Et bien sûr le décrochage des électeurs n’est qu’une indication, mais le niveau du débat public en est certainement une autre, et je vois cela comme un processus qui trouve maintenant de moins en moins de voix dissidentes et qui a une plateforme et un mécanisme concrets pour toucher le peuple. Ce n’est pas qu’il n’y ait personne qui ne soit pas d’accord, mais ont-ils des moyens de communiquer, de discuter de leurs points de désaccords et de ce qu’il peut être dit à propos de la situation contemporaine qui doit être traitée ? Le problème à l’heure actuelle, je pense, est que les instruments de relance sont dans un état de délabrement avancé. Et je ne vois aucune perspective immédiate, parce que -

Hedges : Vous voulez dire venant de l’intérieur du système lui-même.

Wolin : Venant de l’intérieur. Vous savez, il y a des années, disons au XIXe siècle, il n’était pas courant qu’un nouveau parti politique se forme et ait sinon un effet dominant, une certaine influence sur les affaires, comme l’a fait le Parti progressif. Aujourd’hui, ce serait aussi impossible que le plan le plus farfelu auquel vous puissiez penser. Les partis politiques sont tellement chers que je n’ai pas besoin de vous détailler les difficultés que rencontrerait quiconque voudrait essayer d’en organiser un.

Le bel exemple que nous avons aujourd’hui, j’y pense à l’instant, il a de nombreuses répercussions, est le rachat par les frères Koch du Parti républicain. Ils l’ont littéralement acheté. Littéralement. Ils avaient un montant spécifique qu’ils ont payé, et maintenant c’est à eux. Il n’y a jamais rien eu de semblable dans l’histoire des États-Unis. Evidemment, des intérêts économiques puissants influencent les partis politiques, en particulier les Républicains, mais ce genre de prise de contrôle grossière dans laquelle le parti tombe dans la poche de deux individus est sans précédent. Cela signifie que c’est sérieux. Cela veut dire qu’entre autres, il n’y a plus de parti viable d’opposition. Et même si beaucoup d’entre nous ne sont pas d’accord avec les républicains, il y a quand même une grande place pour le désaccord. Aujourd’hui il semble que tout cela soit fini. C’est maintenant devenu le véhicule particulier de deux personnes. Dieu seul sait ce qu’ils en feront, mais je ne me fais pas d’illusion si vous pensez que des résultats constructifs vont suivre.

Hedges : Et bien, est-ce que Clinton ne vient pas de changer le Parti démocrate en Parti républicain et forcer le Parti républicain à devenir fou ?

Wolin : Oui, c’est vrai. Le Parti démocrate fait aussi fausse route, à commencer par l’administration Clinton.

Mais j’ai toujours l’espoir, peut-être est-ce plus un espoir qu’un fait, j’ai toujours l’espoir que le Parti démocrate soit suffisamment disparate et désordonné pour que des dissidents aient la possibilité de faire entendre leur voix.

Cela ne durera peut être pas longtemps : pour rivaliser avec les Républicains, les Démocrates seront tentés de les imiter. Et cela signifie moins de démocratie interne, et plus de dépendance au financement d’entreprises.

Hedges : Ne serait-il pas juste de dire qu’après la nomination de George McGovern, le Parti démocrate a créé des mécanismes institutionnels pour qu’aucun candidat populaire ne soit plus jamais nominé à nouveau ?

Wolin : Oh, je pense que c’est vrai. L’épisode McGovern a été un cauchemar pour le parti, pour les responsables du parti. Et je suis sûr qu’ils ont fait le serment que plus jamais quelque chose comme cela ne puisse se reproduire. Et bien sûr, cela n’a jamais été le cas. Cela signifie aussi qu’avec, on a perdu avec l’unique chose qu’avait faite McGovern : raviver l’intérêt populaire pour le gouvernement. Par conséquent, les Démocrates n’ont pas seulement tué McGovern, ils ont tué ce pour quoi il s’est battu, ce qui était plus important.

Hedges : Et vous en avez vu une répercussion en 2000 lorsque Ralph Nader s’est présenté et a suscité le même genre d’enthousiasme de la base populaire.

Wolin : Oui, il en bénéficiait.

Hedges : Et comme si c’était l’establishment démocrate, durant la campagne présidentielle les Démocrates pro-Connolly se sont mis d’accord avec le Parti républicain pour détruire, en substance, leur propre candidat, vous avez vu que c’est le Parti démocrate qui a détruit la viabilité de Nader.

Wolin : Oui, c’est tout à fait vrai. Ce n’est pas surprenant parce que, je l’ai dit de nombreuses fois, les Démocrates jouent le même jeu que les Républicains et ont une nuance et un bagage historique qui les poussent à être un petit peu plus à gauche. Mais il me semble que les conditions actuelles dans lesquelles les partis politiques doivent manœuvrer, des conditions qui impliquent de grosses sommes d’argent, dont l’enjeu est colossal du fait du caractère de l’économie américaine d’aujourd’hui, qui doit être traitée soigneusement et avec prudence, et étant donné le rôle déclinant des États-Unis dans le monde des affaires, je pense qu’il y a toutes les raisons de croire que l’attitude prudente du Parti démocrate est emblématique d’un nouveau genre de politique où la marge de manœuvre et la place pour définir différentes positions significatives se réduisent beaucoup, vraiment beaucoup.

Merci beaucoup. Restez à l’écoute, bientôt la cinquième partie de notre interview avec le professeur Sheldon Wolin.

Source : Naked Capitalism, le 29/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/chris-hedges-et-sheldon-wolin-a-propos-du-totalitarisme-inverse-comme-menace-pour-la-democratie/