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Philippe Pascot : “Plus tu es un truand, plus tu as de chances d’être réélu”

Sunday 7 February 2016 at 02:55

Source : Le Point, Hugo Domenach, 27-02-2014

“Délit d’élus” est un livre qui pointe du doigt les politiciens impliqués dans des affaires pénales. Pour Le Point.fr, ses auteurs reviennent sur ce travail.

PAR 

Le couple Balkany a été condamné à plusieurs reprises par la justice (photo d’illustration). © SIPA/ REAU ALEXIS

La journaliste Graziella Riou Harchaoui et l’ancien adjoint de Manuel Valls à Évry Philippe Pascot ont entrepris d’élaborer un dictionnaire des noms propres de la politique impliqués dans de sales affaires. Leur livre Délits d’élus*, dont le premier tome sortira jeudi 27 février, dresse une liste non exhaustive de politiciens, “élaborée avec les moyens du bord, à partir de faits avérés, jugés ou en passe de l’être et relayés par les médias”. Ce premier volet s’attarde sur 400 d’entre eux, dont “environ 200 sont présents sur des listes en 2014″. Les cas les plus marquants sont évoqués dans Le Point qui paraît ce jeudi. Les deux auteurs répondent aux questions du Point.fr.

Le Point.fr : Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Philippe Pascot : Nous avons sorti ce livre pour que les gens soient informés à un mois des municipales. Car le meilleur allié des élus condamnés, c’est l’ignorance et l’oubli. Les élus délinquants sont souvent réélus. Et plus tu es un truand, plus tu as de chances d’être réélu. Il y a un problème de conception de la République. Il faut que les citoyens s’emparent de leur système démocratique.

Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui on peut savoir tout sur tout, mais qu’il n’existe pas de rapport officiel qui regroupe les élus impliqués dans des affaires pénales, alors qu’ils devraient être les premiers contrôlés. Il n’y a que des listes d’élus de gauche faites pour servir les intérêts de la droite et d’élus de droite faites pour servir la gauche. Nous avons volontairement supprimé toute référence partisane, sauf lorsque c’était impossible. Un rapport officieux avait été réalisé en 1995 par les renseignements généraux lorsque Édouard Balladur était Premier ministre. Mais sur les 50 copies, 49 ont été détruites. Un autre, très sévère, a été préparé à la demande du ministère de la Justice en 1999. Il a partiellement fuité dans Le Figaro.

0,2 % des élus sont impliqués dans des affaires pénales

Tous pourris, nos politiques ?

Graziella Riou Harchaoui : Il y a 520 000 élus en France. Selon le rapport 2012 de la Société mutuelle d’assurance des collectivités locales (SMACL), seulement 0,2 % sont impliqués dans des affaires pénales. Ce n’est pas énorme. Mais la proportion d’élus malhonnêtes augmente considérablement si on se focalise uniquement sur ceux qui ont un véritable pouvoir de décision. C’est vrai que, dans l’ensemble, les élus sont honnêtes. Mais quelques-uns organisent leur impunité. Et les élus qui ne sont pas pourris sont complices. Qu’ils commencent à faire le ménage.

Quels enseignements tirez-vous de ce travail d’archives ? 

Philippe Pascot : On s’est aperçu de leurs immenses privilèges. La loi n’est pas la même pour les élus qui bénéficient d’un régime de faveur et les citoyens lambda. Pourquoi défendent-ils la retraite par répartition alors que la leur est par capitalisation ? Pourquoi leurs retraites ne sont pas saisissables, contrairement à celles de tous les citoyens ? Pourquoi les élus qui votent des hausses d’impôt sont ceux qui en payent le moins ? En 2010, un élu a déposé un texte de loi pour que l’ensemble des députés réduisent de 10 % leur indemnité pour participer à l’effort national. Il n’y a eu que deux votes favorables au texte…

Nous avons encore des centaines d’exemples. Pourquoi certains élus condamnés sont automatiquement dispensés de peine ? Pourquoi Jean-Marc Ayrault a été réhabilité ?** Pourquoi le seul fait de rappeler cette condamnation constitue une infraction pénale ? Pourquoi un ancien ministre a signé un moratoire pour payer sa dette en 162 ans ? Pourquoi les élus nous demandent d’aller voter alors qu’eux ne votent pas et qu’ils refusent de donner les chiffres de l’absentéisme au Parlement ? Pourquoi lors de la dernière séance de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale qui a débuté le jeudi 25 juillet 2013 il n’y avait pas de députés présents dans l’hémicycle ? Il a fallu en appeler deux pour commencer la séance. Pourquoi les ex-ministres ainsi que leur femme et leurs enfants ont le droit de voyager gratuitement sur Air France ? Ils ne peuvent plus nous donner des leçons de morale.

Le vote est obligatoire dans 12 pays

Le contrôle exercé sur les élus est-il insuffisant ? 

Philippe Pascot : Les peines encourues ne sont pas dissuasives. Selon le Service central de prévention de la corruption (SCPC), il y a une déconnexion entre le montant des amendes et le profit engendré par l’infraction. Un élu encourt 30 000 euros d’amende s’il fait une fausse déclaration de patrimoine. Alors que si un citoyen publie le patrimoine d’un élu, il risque 45 000 euros d’amende ! Dans les textes préliminaires, le législateur avait prévu de la prison… Et si quelqu’un souhaite consulter le patrimoine d’un élu, celui-ci sera automatiquement au courant.

Petit à petit, les moyens de contrôle se réduisent. Sept chambres régionales des comptes ont été supprimées. Avant, elles contrôlaient les communes de plus de 3 000 habitants. Aujourd’hui, elles contrôlent celles de plus de 5 000. Et pour mettre le téléphone d’un député sur écoutes, il faut l’autorisation du bureau de l’Assemblée nationale et du président de son parti, qui ne se privera sûrement pas de l’en informer. Les élus ont réduit le nombre de juges d’instruction. Il y en avait 623 en 2009, 553 en 2011 et 540 en 2012. Et à chaque fois que ça chauffe pour eux, ils pondent une loi d’amnistie. D’autre part, ils savent très bien organiser leur invisibilité.

Quelles solutions préconisez-vous contre ces abus à répétition ? 

Graziella Riou Harchaoui : Un casier vierge pour pouvoir se présenter, comme c’est le cas pour les pompiers ou les transporteurs de fonds. Il faudrait aussi que le vote soit obligatoire. Douze pays l’ont instauré, pourquoi pas nous ? Pourquoi Valls ne le ferait pas ? Et que le vote blanc soit véritablement comptabilisé. La loi qui vient d’être votée, c’est du pipeau. Elle ajoute une colonne à cocher dans les bureaux de vote, mais les votes blancs ne seront pas annoncés dans les résultats. Les politiciens auraient trop honte d’être élus avec 20 % des voix. Ils ne veulent pas ouvrir la porte à la désapprobation populaire. Ils préfèrent celle du clientélisme. Si ces trois conditions étaient réunies, nous n’aurions pas besoin de préparer de troisième tome [le deuxième tome est en cours de rédaction, NDLR].

Craignez-vous d’être attaqué en justice ? 

Philippe Pascot : C’est vrai que certains sont des spécialistes en la matière et s’en servent comme des tribunes politiques. Manuel Aeschlimann, par exemple, est le roi du procès. Mais nous avons veillé à rester dans le factuel, à ne pas prononcer le mot de trop.

 Source : Le Point, Hugo Domenach, 27-02-2014
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Intervention de Philippe Pascot sur BTLV TV pour défendre la probité en politique.

Source: http://www.les-crises.fr/philippe-pascot-plus-tu-es-un-truand-plus-tu-as-de-chances-detre-reelu/


“Tout n’est pas de la faute à Poutine”, par Stephen Cohen

Sunday 7 February 2016 at 02:49

Source : Oriental Review, 07-12-2015

Prof. Stephen COHEN (USA)

Transcription du discours du Professeur Stephen Cohen au « Center for Citizen Initiatives » au San Francisco Commonwealth Club, le 18 novembre, 2015.

…Je suis ravi de me retrouver ici à San Francisco en votre compagnie. Plus on s’éloigne de Washington et des médias dominants, plus les présentations deviennent aimables !

Quelques-uns parmi vous savent peut-être que notre petit groupe, qui a protesté contre la politique américaine depuis le début de la crise ukrainienne il y a deux ans, se sont vus décrire en termes sévères et désobligeants comme des “apologistes de Poutine, des idiots utiles de Poutine, les meilleurs amis de Poutine en Amérique.”

Paris aurait dû changer tout cela, mais pour ces gens-là, il n’en fut rien. Je suis allé sur Internet ce matin et c’était toujours le même son de cloche. Alors, permettez-moi de commencer en disant quelques mots à mon sujet.

Ma réponse à ces accusations est la suivante, “Non, c’est moi qui suis un patriote de la sécurité nationale américaine, et pas vous… » en fait, je l’ai été depuis que j’ai commencé à étudier la Russie il y a quelque 50 ans.

J’ai débuté au Kentucky, puis je suis allé à l’Université d’Indiana, et de vieux amis ici présents peuvent témoigner que je mon attitude était la même il y a nombre d’années.  En chemin, je suis arrivé à la conviction – il n’importe pas de savoir pourquoi et comment – que la sécurité nationale américaine passe par Moscou.  Ceci signifie qu’un Président américain doit avoir un partenaire au Kremlin – pas un ami, mais un partenaire. C’était vrai au temps de l’Union Soviétique, c’est vrai aujourd’hui.

Et cela demeure vrai quels que soit le danger existentiel ou la menace mondiale grave que vous montiez en épingle. Pour certains, c’est le changement climatique, pour d’autres, les droits humains, pour d’autres [la nécessité] d’étendre la démocratie. Pour moi, depuis un bout de temps, c’est la nouvelle forme de terrorisme qui frappe le monde aujourd’hui. Ces terroristes ont cessé d’être des « acteurs non-étatiques. » Ces types sont organisés, ils ont une armée, ils ont un état auto-proclamé, ils ont d’amples ressources et ils ont la faculté de nous faire beaucoup de mal en diverses parties du monde. Tout le monde semble avoir oublié le 11-septembre et Boston, mais Paris devrait nous rappeler ce qui est en jeu.

Pour moi, donc, le terrorisme international est la menace, aujourd’hui, dans le monde, qui devrait être la priorité de l’Amérique en fait de sécurité nationale. Et je veux dire qu’il devrait être la top priorité pour le Président des Etats-Unis, qu’il ou elle soit un Républicain ou une Démocrate. C’est la menace existentielle représentée par cette nouvelle forme de terrorisme, de guerres civiles menées par des zélotes religieux, ethniques – et, pire que tout, ces types veulent désespérément mettre main basse sur des matières premières dans le but de fabriquer des armes de destruction massive. Le contenu d’une seule tasse de matière radioactive dans un de ces avions du 11-septembre aurait rendu le bas-Manhattan inhabitable, à ce jour.

Les terroristes d’aujourd’hui utilisent des armes conventionnelles, bombes, mortiers et armes à feu. Mais si à Paris ils avaient eu à leur disposition une seule tasse de matière radioactive, il aurait fallu évacuer Paris. C’est ça la vraie menace, aujourd’hui. Cette sorte de menace ne peut pas être diminuée, contenue et encore moins éradiquée à moins d’avoir un partenaire au Kremlin. Voici le premier et le dernier mot de toute cette histoire. Notez encore une fois que je n’ai pas dit un « ami, » mais un partenaire. Nixon et Clinton nous rebattaient les oreilles avec leur « cher ami Brejnev, » et leur ami Eltsine; tout cela, c’était du théâtre. Je me moque que nous aimions ou non le leader du Kremlin; ce qu’il nous faut, c’est reconnaître nos intérêts communs pour former un partenariat – comme deux personnes qui font des affaires ensemble établissent un contrat. Ils ont les mêmes intérêts et ils doivent pouvoir se faire confiance – car si l’une des deux viole le contrat, les intérêts de l’autre sont compromis.

Nous n’avons pas cela avec la Russie, même après Paris, et c’est en substance ce dont nous avons besoin, comme je ne cesse de le dire depuis quelques années. On me rétorque que mes vues sont « pro-Poutine » et non-patriotiques, ce à quoi je réponds : “Non, ceci est la plus haute forme de patriotisme au regard de la sécurité nationale américaine.”

Je vais donc soulever quelques points aujourd’hui, très rapidement et plutôt crûment, plutôt que de prononcer une leçon. Cela m’intéresse moins de faire la leçon que d’apprendre ce que d’autres ici présents ont à dire.

Mon premier point est le suivant:  La chance d’un partenariat stratégique durable Washington-Moscou a été perdue au courant des années 1990 après la fin de l’Union Soviétique.  En fait, on a commencé à la perdre plus tôt, car Reagan et Gorbatchev nous avaient offert l’opportunité d’un partenariat stratégique entre 1985-89.  Et elle prit fin pour de bon sous l’administration Clinton, et ce ne fut pas du fait de Moscou. Elle prit fin à Washington — elle a été gâchée et perdue à Washington.  Et elle fut si mal perdue qu’à présent, depuis ces dernières années à tout le moins (et je soutiendrais, depuis la guerre de Géorgie en 2008), nous nous sommes littéralement retrouvés dans une nouvelle Guerre Froide avec la Russie. Nombre de gens en politique et dans les médias ne veulent pas l’appeler ainsi, parce que s’ils admettent : « Oui, nous sommes dans une Guerre Froide, » il leur faudrait expliquer ce qu’ils ont fait durant ces vingt dernières années. Alors, ils préfèrent dire : « Non , ce n’est pas une Guerre Froide.”

Et voici mon nouveau point.  Cette nouvelle Guerre Froide a tout le potentiel nécessaire pour être encore plus dangereuse que les quarante ans de Guerre Froide précédente, et ce, pour différentes raisons. Tout d’abord, pensez-y. L’épicentre de la Guerre Froide précédente se trouvait à Berlin, et non à proximité de la Russie. Il y avait une vaste zone tampon entre la Russie et l’Occident en Europe de l’Est. Aujourd’hui, l’épicentre est en Ukraine, littéralement aux frontières de la Russie. C’est le conflit en Ukraine qui a provoqué cela et politiquement, l’Ukraine demeure une bombe à retardement. La confrontation aujourd’hui est non seulement aux frontières de la Russie, mais elle se passe au coeur de la « civilisation slave » russo-ukrainienne. Il s’agit d’une guerre civile aussi profonde par certains aspects que la Guerre de Sécession américaine.

Nombre d’antagonistes en Ukraine ont été élevés dans la même foi, parlent le même langage et sont de mariage mixte. Quelqu’un a-t-il une idée combien il y existe de mariages mixtes russo-ukrainiens aujourd’hui ? Des millions. Presque toutes les familles sont mixtes. Ceci continue d’être une bombe à retardement et peut causer encore du dégât, et amener de plus grands dangers encore. Le fait est que ceci se passe juste à la frontière de la Russie et, de fait, au cœur même de l’âme russo-ukrainienne… ou du moins de la moitié de l’âme ukrainienne… et comme une moitié de l’Ukraine désire appartenir à l’Europe de l’Ouest, cela n’en devient que plus dangereux…

Le point suivant est encore pire: vous vous souviendrez qu’après la crise des missiles de Cuba, Washington et Moscou développèrent certaines règles de conduite mutuelle. Ils reconnurent combien ils avaient périlleusement frôlé une guerre nucléaire, et ils adoptèrent des « en-aucun-cas, » encodés soit dans des traités, soit dans des accords non-officiels. Chacun des deux côtés savait où passait la ligne rouge de l’autre. Les deux côtés ont trébuché dessus à l’occasion, mais ils se retiraient immédiatement parce qu’ils étaient mutuellement d’accord qu’il s’agissait de lignes rouges.  AUJOURD’HUI IL N’Y A PAS DE LIGNES ROUGES.

Une des choses que Poutine et son prédécesseur, le Président Medvedev, ne cessent de dire à Washington est:  Vous franchissez nos Lignes Rouges !  Et Washington dit et continue de dire:“Vous n’en avez pas, de lignes rouges. C’est nous qui avons des lignes rouges et nous pouvons avoir autant de bases que nous voulons autour de vos frontières, mais vous ne pouvez pas avoir de bases au Canada ou au Mexique. Vos lignes rouges n’existent pas!”  Ceci illustre clairement le fait qu’aujourd’hui, il n’y existe pas de règles de conduite mutuelles.

Ces dernières années, par exemple, il y a déjà eu trois guerres par procuration entre les Etats-Unis et la Russie; la Géorgie en 2008, l’Ukraine début 2014, et avant Paris …. Il semblait bien que la Syrie serait la troisième.  Nous ne savons pas encore quelle position Washington prendra sur la Syrie. Hollande a pris sa décision; il a déclaré une coalition avec la Russie. D’après ce qu’on comprend à Moscou, Washington “est silencieux ou opposé à une coalition avec Moscou.

Un autre point important:  Aujourd’hui, il n’y existe absolument aucune force politique ni aucun mouvement anti-Guerre Froide ou Pro-Détente aux Etats-Unis, aucun !––ni au sein de nos partis politiques, ni à la Maison Blanche, ni au Département d’Etat, ni dans les médias dominants, ni dans les universités ou les “think tanks [groupes de réflexion].” Je vois qu’une collègue, ici, opine du chef, car nous nous souvenons que, durant les années 1970 et au long des années 1980, nous avions des alliés jusqu’à la Maison Blanche même, parmi les aides du Président. Nous avions des alliés au Département d’Etat, et nous avions des Sénateurs et des Membres de la Chambre des Représentants qui étaient pro-détente et qui nous soutenaient, qui eux-mêmes élevaient la voix, et qui écoutaient nos points de vue avec attention. Rien de tout cela n’existe aujourd’hui. Sans cette forme d’ouverture et de plaidoyer au sein d’une démocratie, que pouvons-nous faire? Nous ne pouvons pas lancer des bombes pour attirer l’attention ! Nous ne pouvons pas nous faire publier dans les médias dominants, nous ne pouvons pas faire entendre notre voix dans le pays. Cette absence de débat au sein de notre société est extrêmement dangereuse.

Mon point suivant sera une question: Qui est responsable de cette nouvelle Guerre Froide? Je ne pose pas la question pour pointer du doigt qui que ce soit. Ce qui m’intéresse, c’est un changement dans la politique des Etats-Unis qui ne peut venir que de la Maison Blanche, quoique le Congrès pourrait y aider. Mais il faut que nous sachions ce qui a mal tourné dans les relations USA-Russie après la fin de l’Union Soviétique en 1991, et pourquoi… sinon il n’y aura pas de nouveau mode de pensée possible.  Et il n’y aura pas de nouvelle politique. Au point où nous en sommes, il n’y a aucun mode de pensée nouveau dans l’élite américaine politico-médiatique. On s’est beaucoup mis à penser au sein du Parlement Européen. Il y a beaucoup d’angoisse en France et en Allemagne, et même Cameron à Londres s’est mis à reconsidérer.

L’attitude de l’establishment politico-médiatique américain actuel est que cette nouvelle Guerre Froide est entièrement de la faute de Poutine – entièrement, sous tous ses aspects. Nous, en Amérique, nous ne nous sommes trompés en rien. A chaque étape, nous avons été vertueux et sages et Poutine était agressif et un méchant bonhomme. Alors, qu’y aurait-il à repenser? C’est l’affaire de Poutine de repenser, pas la nôtre.

Je ne suis pas d’accord. Et c’est cela qui amené ces scandaleuses attaques sur ma tête et sur celles de mes collègues. J’ai été élevé au Kentucky selon l’adage « il y a deux versions de toute histoire.” Et ces gens disent, “Non, cette histoire, l’histoire des relations russo-américaines, n’a qu’une seule version. Il est inutile d’en considérer la moindre portion avec le regard de la partie adverse. Contentez-vous d’aller sur la place publique et de répéter la « narrative conventionnelle de l’élite dominante. »  Si nous continuons dans cette voie, et ne portons pas attention pas à la situation existante, nous allons avoir un autre “Paris,” et pas seulement aux Etats-Unis.

C’est pourquoi je dis que nous devons être des patriotes de la sécurité nationale américaine et tout reconsidérer. Pour une raison quelconque, l’administration Clinton a déclaré une politique du “gagnant-emporte-tout” à l’encontre de la Russie post-soviétique. Elle a dit : “Nous avons gagné la Guerre Froide.”  Ce n’est pas vrai. L’ex-ambassadeur à Moscou durant l’ère Reagan-Gorbatchev, Jack Matlock, explique dans ses livres tout ce qui s’est passé, à chaque étape des négociations avec Gorbatchev. La réalité, c’est que l’administration Clinton a adopté des politiques mal avisées de par son approche du « gagnant-emporte-tout. »

Quelles furent les conséquences de cette politique ? Il y en eut beaucoup. La pire fut qu’elle ruina la chance d’un partenariat stratégique avec la Russie à un tournant décisif de l’histoire.

Les quatre politiques U.S. qui ont le plus offensé les Russes:

1)  La décision d’étendre l’OTAN jusqu’à la frontière même de la Russie:  ça n’a aucun sens de dire que Poutine a violé l’ordre de l’après-Guerre-Froide en Europe. La Russie a été exclue de l’ordre de l’après-Guerre-Froide en Europe du fait de l’expansion de l’OTAN. La Russie a été repoussée « quelque part au-delà » (au-delà d’une zone de sécurité). La Russie insistait: « Procédons à un arrangement de Sécurité Pan-Européenne comme Gorbatchev et Reagan le proposaient. » Les expansionnistes de l’OTAN dirent : « Ceci n’a rien de militaire, c’est une question de démocratie et de libre échange, ce sera bon pour la Russie, avalez le poison et souriez ! » Et quand les Russes n’avaient pas le choix, dans les années 1990, ils l’ont fait; mais lorsqu’ils sont redevenus plus forts et se sont retrouvés dans la possibilité de choisir, ils ont cessé de subir en silence.

La Russie commença à se défendre, comme l’aurait fait tout dirigeant russe qui aurait été sobre et qui avait le soutien de son pays. Je ne dis pas ça pour rire. A la fin, Eltsine pouvait à peine marcher. Il a été poussé hors de la présidence, il n’a pas démissionné volontairement. Mais le fait est que n’importe qui aurait pu prédire cette situation dans les années 1990 – et certains d’entre nous l’ont fait, souvent et aussi fort qu’il nous était permis.

2)  Le refus de la part des Etats-Unis de négocier au sujet des missiles de défense: les missiles de défense sont maintenant un projet de l’OTAN. Ceci veut dire que les installations de missiles de défense, sur terre ou sur mer (celles sur mer étant les plus dangereuses) font maintenant partie de l’expansion de l’OTAN et de son encerclement de la Russie. La défense anti-missiles fait partie de ce système de défense. Les Russes sont absolument certains que ce sont leurs capacités de représailles nucléaires qui sont visées. Nous disons : « Oh, non, cela concerne l’Iran, cela ne vous concerne pas. » Mais allez donc vous entretenir avec Ted Postel à l’MIT [Massachussetts Institute of Technology]. Il explique que les missiles de défense des dernières générations sont des armes offensives qui peuvent frapper les installations russes. Entre-temps, nous accusons la Russie de développer à nouveau des missiles de croisière; et ils ont recommencé à le faire parce que nous sommes retournés à une course aux armements « œil-pour-œil, dent-pour-dent, » pour la première fois depuis nombre d’années.

3)  Le fait de nous mêler des affaires intérieures de la Russie au nom de la promotion de la démocratie:  en plus de financer les programmes d’ « opposition politique » du National Endowment for Democracy partout en Russie et en Ukraine––êtes-vous conscients du fait que lorsque Medvedev était Président de Russie et que Mme Clinton et Michael McFaul procédèrent à leur merveilleuse « réinitialisation, » (c’était un jeu diplomatique truqué, si vous en regardez les conditions), le Vice-Président  Biden se rendit à l’Université d’Etat de Moscou et déclara que Poutine ne devait pas retourner à la Présidence. Il le lui répéta ensuite à la figure. Imaginez Poutine venant ici dans les semaines à venir et disant à Rubio ou à Clinton d’abandonner la course pour la Présidence!

Reste-t-il encore des lignes rouges quand il est question de notre attitude envers la Russie ? Avons-nous le droit de dire et de faire tout ce que nous voulons ? Ceci s’étend à tous les domaines, et certainement à la politique. La Maison Blanche ne peut simplement pas se taire, harcelée comme elle l’est par les lobbies anti-russes accrédités et les médias dominants. Nous croyons tous en la démocratie, mais que cela nous plaise ou non, nous ne pourrons pas imposer la démocratie à la Russie; et si nous pouvions le faire, nous ne serions peut-être pas contents des résultats produits.

Alors posez-vous la question, y-a-t-il une position sur la Russie qui devrait être prudemment repensée, dans l’après-Paris? Et la Russie aurait-elle à tout le moins quelques intérêts légitimes dans le monde ? Et si oui, lesquels ? Qu’en est-il de leurs frontières? Ont-ils des intérêts légitimes en Syrie?

4)  Mon dernier point est un espoir prescriptif (avant Paris, je ne pensais pas qu’il y avait d’espoir du tout). Maintenant il y existe encore une chance de réaliser le partenariat perdu avec la Russie, au moins dans trois domaines :

L’année dernière, la Russie s’est retirée de l’Initiative Nunn-Lugar dont vous vous souvenez peut-être qu’elle fut l’un des articles de législation les plus sages jamais passés par le Congrès.  Durant les années 1990, nous avons donné de l’argent à la Russie pour immobiliser et sécuriser leur matériel de fabrication d’armes de destruction massive. De plus, nous avons payé des salaires à leurs scientifiques qui savaient fabriquer et utiliser ces matériels, et qui autrement auraient pu aller vendre leur savoir et trouver des emplois en Syrie, au Yémen ou au Caucase. La Russie s’est retirée, mais a déclaré qu’elle veut renégocier Nunn-Lugar selon des termes différents. La Maison Blanche a refusé.  Après Paris, on espère qu’Obama aura pris le téléphone et dit : “Je vais vous envoyer quelqu’un, finissons ce boulot.”

Malheureusement, les rapports semblent indiquer que la Maison Blanche et le Département d’Etat pensent avant tout à la manière de contrer les actions de la Russie en Syrie. Ils s’inquiètent, d’après les rapports, de ce que la Russie diminue le leadership américain dans le monde.

ET VOICI LA CONCLUSION:  Nous, aux Etats-Unis, ne pouvons plus diriger le monde tout seuls, si tant est que nous le pûmes jamais. Bien avant Paris, la mondialisation et d’autres développements se sont produits qui ont mis fin au monde monopolaire, dominé par les Etats-Unis. Ce monde est fini. Un monde multipolaire a émergé sous nos yeux, non seulement en Russie mais dans cinq ou six capitales dans le monde. Le refus obstiné de Washington d’embrasser cette réalité nouvelle fait maintenant partie du problème, et non partie de la solution.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui…. Même après Paris.

Le Professeur Stephen F. Cohen est un spécialiste américain de l’étude de la Russie à l’Université de Princeton et à New York University. Son travail universitaire est centré sur l’histoire de la Russie depuis la Révolution Bolchévique et les relations de la Russie avec les Etats-Unis.

Traduction : Anne-Marie de Grazia

Source : Oriental Review, 07-12-2015

Source: http://www.les-crises.fr/tout-nest-pas-de-la-faute-a-poutine-par-stephen-cohen/


Affaire Sauvage : « Ne pas confondre justice et féminisme »

Sunday 7 February 2016 at 01:20

J’ai été intéressé par ce dossier, que je n’ai pas du tout creusé.

On y retrouvait certains éléments classiques de la propagande.

Pitch : Une pauvre femme torturée par son mari (avec un récit révoltant tout être humain), qui brutalement se révolte, et la méchante justice qui la condamne à cause d’une loi trop sévère.

Et comme souvent, la violence de la narrative des médias qui ont la confiance du public mobilise presque par réflexe toute notre compassion, et nos sentiments prennent le pas sur notre raison

Et on ne voit pas la baleine sous gravillon : mais si le récit des médias est juste, comment diable 2 jurys populaires, tout aussi humains que nous, ont-ils pu condamner deux fois cette malheureuse ?

Et la conclusion, si on est dans la minorité de la population assez avertie pour savoir que, non, on ne peut avoir confiance dans les médias, est qu’il nous manque les zones d’ombre de l’affaire – qui sont nombreuses (en particulier les incohérences du récit rendant plausible la préméditation)…

Bref, je n’ai pas d’avis tranché sur l’affaire elle-même – mais il est fascinant de voir tant de gens qui appliquent une position de principe louable à un dossier qu’ils ne connaissent pas…

Source : Le Nouvel Observateur, 02-02-2016

Les avocats de la sexagénaire ont plaidé la légitime défense, sans succès. Depuis le procès et la grâce présidentielle, les partisans d’une extension de la légitime défense montent au créneau.

A Paris, le 23 janvier, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées place de la Bastille, pour réclamer la grâce présidentielle de Jacqueline Sauvage. (SEVGI/SIPA)

Tuer son mari violent peut-il être considéré comme de la légitime défense ? Cette notion était au cœur du procès médiatisé de Jacqueline Sauvage, 66 ans, condamnée en appel, le 3 décembre dernier, à dix années de réclusion criminelle pour le meurtre non-prémédité de son mari qui la frappait et l’agressait sexuellement depuis 47 ans. L’histoire, tout le monde la connaît désormais : un soir de septembre 2012, elle a fini par le tuer de trois balles de fusil de chasse dans le dos, après avoir subi un énième passage à tabac.

Mais la légitime défense, à la barre du tribunal de Blois, ses avocates l’ont plaidée en vain. Elle n’a été retenue ni en première instance, ni en appel. Il est vrai que dans ce cas précis, cette exception du droit, qui dégage de toute responsabilité pénale, était fort difficile à soutenir.

Le droit français est très clair. En substance, le code pénal estime (article 122-1 et suivants) que le champ de la légitime défense recouvre les actes – et seulement eux – qui sont proportionnés, nécessaires et concomitants à une agression. Autant dire que, face à une gifle, le fait de réduire une arcade en miette avec une base de base-ball ne rentre pas dans les critères.

Le droit est-il trop rigide ?

Voilà pourquoi les juges ne l’ont pas entendu de cette oreille : Jacqueline Sauvage s’est emparée du fusil plusieurs minutes après les coups qu’elle a reçus au visage, et a sèchement abattu son agresseur. La riposte n’était ni “immédiate”, ni “proportionnelle”, ont plaidé les avocats de la partie civile. Seule échappatoire pour la sexagénaire, le recours en grâce que lui a finalement accordé le président de la République, dimanche 31 janvier.

Chaque année, entre quatre et cinq femmes tuent leur mari pour sauver leur peau. Le chef de l’Etat ne pourra pas éternellement gracier, au cas par cas, les conjointes qui tuent leur époux après des années de supplice.

Pour ceux qui se battent contre les violences conjugales, la cause est entendue : il faut que le droit, trop rigide, évolue. Ainsi de Marie Allibert, porte-parole d’Osez le féminisme (OLF), jointe par “l’Obs” :

La loi telle qu’elle existe ne prend pas en compte la notion d’emprise. Lorsqu’une femme est victime d’abus pendant des années, elle est constamment sous l’impression que sa vie est menacée, et pas seulement à l’instant t où elle se fait battre.”

L’association va jusqu’à parler de “danger de mort permanent”.

Une légitime défense “différée”

La députée LR Valérie Boyer, qui travaille avec les avocates de Jacqueline Sauvage, concocte un projet de loi en ce sens, lequel intègre la notion de légitime défense “différée”. Celle-ci prend en compte la situation de “survie” dans laquelle est plongée la femme battue. La loi serait très encadrée. “Le diagnostic de la légitime défense différée serait effectué par le législateur, et un comité d’experts”, abonde Marie Allibert. Ce collège jaugerait la nature des violences, la période sur laquelle elles ont cours, l’état de la femme battue, etc.

Spécialiste des violences conjugales, l’avocate Isabelle Steyer mène un autre cheval de bataille. Plutôt en faveur d’une loi cadre sur les violences conjugales faites aux femmes, solution moins draconienne, elle affirme d’expérience :

Les magistrats, les avocats, les experts ne sont pas formés à la question des violences conjugales, ni à apprécier les rapports de domination et d’emprise, qui nécessitent une analyse plus fine de la légitime défense.”

Le droit canadien, souvent pris en exemple, comprend un “syndrome de la femme battue”, qui permet une meilleure appréciation du contexte des violences conjugales, et une meilleure protection. A manier avec précaution : “Il faut une expertise psychiatrique, médicale, une enquête et une contre-enquête si nécessaire”, juge Me Steyer.

Mais l’avocate appuiera la loi sur la légitime défense différée. Car les mentalités évoluant trop lentement, dit-elle, “on est obligés d’y aller au forceps juridique pour faire avancer les choses rapidement, et d’instaurer une discrimination positive, pour que les femmes aient les mêmes droits que les auteurs de violences”.

Permis de tuer ?

Avec ce débat sur la légitime défense “différée”, des pénalistes s’alarment de la création d’un permis de tuer. Toucher à cette fragile définition - dont les policiers souhaitent l’élargissement - pourrait entraîner des dérives. Farouchement opposée à la légitime défense différée, Me Florence Rault s’est fendue d’une tribune dans le Figaro Vox. Sollicitée par “L’Obs”, elle dénonce :

Dans l’emballement actuel, on a l’impression qu’une femme, dès lors qu’elle dénonce des violences conjugales, bénéficierait d’un droit à tuer son mari.”

“Le cas de Jacqueline Sauvage est devenu un objet de militantisme, au service d’une idéologie”, s’emporte encore l’avocate, qui considère néanmoins que “dans le cadre de la légitime défense, la notion de concomitance entre l’acte d’agression et la réplique de l’agressé pourrait évoluer, dans certaines conditions bien précises”.

“La légitime défense différée, c’est un droit de survie quand on est abusée et sous emprise pendant des années, ce n’est pas une logique de vengeance ou d’agressivité”, riposte Marie Allibert d’OLF. “Dans l’idéal, je préfèrerais qu’on pallie l’incrédulité totale à laquelle font face les femmes qui viennent porter plainte au commissariat, où ce qu’elles racontent est en permanence remis en cause, et qui les dissuade de se présenter à la police”. En 47 ans, jamais Jacqueline Sauvage n’avait porté plainte.

Paul Conge

Source : Le Nouvel Observateur, 02-02-2016

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Affaire Sauvage : « Ne pas confondre justice et féminisme »

Source : Le Figaro, Florence Rault, 29-01-2016

Jacqueline Sauvage

FIGAROVOX/ANALYSE – La famille de Jacqueline Sauvage est allée réclamer ce vendredi la grâce présidentielle à François Hollande. Florence Rault voit dans l’émotion suscitée par cette affaire la poussée d’un féminisme victimaire qui voudrait se substituer à la justice.

Florence Rault est avocat à la cour

Le traitement de «l’affaire Sauvage», illustre jusqu’à la caricature ce qu’est devenu le débat public. Approximations, ignorance, inculture juridique, androphobie, hystérie, se marient pour imposer UNE vérité et la mettre au service d’UNE cause.

Les mouvements féministes radicaux ont impulsé une campagne à partir de la condamnation de Jacqueline Sauvage à dix ans de réclusion criminelle pour avoir tué son mari. Le monde politique, celui des médias, et celui de la culture se sont mobilisés de façon moutonnière et dans des proportions assez stupéfiantes pour nous sommer de prendre parti. De dénoncer le fonctionnement de la Justice, et exiger de François Hollande l’utilisation de la procédure de grâce présidentielle que l’on croyait depuis son prédécesseur pourtant tombée en désuétude.

L’histoire que l’on nous raconte est effectivement épouvantable. Jacqueline Sauvage, femme sous emprise d’un mari violent, violeur et incestueux, venant d’apprendre le suicide de son fils et après une ultime raclée, se serait rebiffée pour tuer le monstre. Qui ne serait pas ému par ce récit et choqué par la lourdeur de la peine? Et l’on comprend les réactions de ceux qui y voient l’expression de la violence masculine et l’emprise qu’elle fait peser sur les femmes. Avec le viol et l’inceste, devenus aujourd’hui les crimes suprêmes. Tuer le monstre ne serait ainsi que légitime défense.

Le juriste praticien est pourtant immédiatement interpellé par une donnée incontournable: après une instruction criminelle approfondie dont personne n’a contesté la régularité, deux cours d’assises successives n’ont pas retenu ce récit. Elles ont considéré que la légitime défense n’était pas établie, et que la responsabilité de Jacqueline Sauvage était entière dans le meurtre injustifiable de son mari. Sauf à considérer que les 21 citoyens et 6 magistrats constituant les deux jurys ayant statué étaient tous les tenants d’un patriarcat violent, cela constitue un sérieux problème.

Non, les femmes ne sont pas systématiquement victimes de tout et responsables de rien. Et la violence des femmes n’est pas toujours tentative d’échapper à une emprise.

L’analyse d’un dossier comme source d’information vaut toujours mieux que la notice Wikipédia pour parler sérieusement d’un tel cas. Or ce dossier fait apparaître une autre réalité. Le récit que la clameur vient de nous infliger est tout simplement faux.

Jacqueline Sauvage est restée mariée 47 ans avec un homme dont elle a eu 4 enfants. Les violences qu’elle aurait subies durant toute cette fort longue période ne sont attestées que par un seul certificat médical récent. Même si des témoignages de voisins et de relations parlent d’un homme manifestement colérique. À cette inertie quasi cinquantenaire, les militants répondent: «emprise». Notion commode et utilisée à tout propos, qui devrait pourtant recouvrir des situations très différentes. Non, les femmes ne sont pas systématiquement victimes de tout et responsables de rien. Et la violence des femmes n’est pas toujours tentative d’échapper à une emprise.

En ce qui concerne le passage à l’acte, il faut rappeler que Jacqueline Sauvage a abattu son mari avec son propre fusil alors qu’il était immobile sur sa terrasse, de trois balles dans le dos. Et qu’elle pratiquait la chasse en tireuse expérimentée. À cela, les militants répondent: «souvenirs post-traumatiques». Si l’on comprend bien, à la suite d’une nouvelle altercation Jacqueline Sauvage aurait brutalement été confrontée aux souvenirs de 47 ans de martyr jusqu’alors refoulés.

La théorie de la mémoire retrouvée fait partie des fables que l’on retrouve souvent dans les affaires d’allégations d’abus sexuels.

Concernant les accusations d’inceste, celles-ci n’ont été formulées que plus de trente ans après les faits allégués, et dans le cadre d’un soutien total des filles à leur mère (aliénation parentale?). Des mensonges ou une construction sur ce genre de faits est-elle possible? C’est toute mon expérience professionnelle qui me le démontre. Oui, on peut mentir sur ces choses-là. Les affaires Séché, Iacono et tant d’autres (ma liste est longue hélas) l’ont démontré.

Le phénomène des souvenirs induits ou mémoire retrouvée commence à être connue de la justice pénale et certains ne se laissent plus leurrer.

La théorie de la mémoire retrouvée fait partie des fables que l’on retrouve souvent dans les affaires d’allégations d’abus sexuels. C’est alors que l’on entend trop souvent que la preuve de l’abus résidait justement dans le fait de ne pas s’en souvenir. Ah bon? Et qu’un «flash» miraculeux aurait révélé les causes d’un mal être et permis de «commencer à se reconstruire». Quand ce flash est favorisé, parfois même imposé par des thérapeutes auto-proclamés, il y a vraiment de quoi s’inquiéter.

La MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) est sensibilisée à ce problème qui relève bien cette fois de l’emprise mentale de charlatans spéculant sur la faiblesse de certaines personnes. Il peut aussi arriver qu’un soit disant oubli post-traumatique soit infiniment pratique pour se venger de quelqu’un ou régler ses comptes.

En dehors de cas cliniques précis, il est difficile d’envisager qu’une femme ait pu oublier pendant 47 ans ce qu’elle aurait supporté.

Il en va de même pour les accusations d’inceste. Oui des enfants peuvent mentir, parfois même très sincèrement tant ils sont convaincus par leur théorie. Les mensonges, les inventions, les manipulations et autres fantasmes existent bel et bien. Que dire quand il s’agit de révélations tardives d’adultes revisitant leur passé pour racheter la faute de leur mère?

L’objectif est simple : instrumentaliser la justice pour des fins qui ne sont pas les siennes, à savoir en la circonstance, assurer la promotion d’un féminisme victimaire, et affirmer l’impossibilité de l’existence d’une violence des femmes.

Concernant le contexte familial des Sauvage il est intéressant de rappeler que les quatre enfants du couple avaient fait leur vie depuis longtemps, l’aînée ayant déjà 50 ans… Que la présentation d’une fratrie dévastée par le caractère monstrueux du père ne résiste pas à l’examen du dossier.

Autre détail déplaisant, l’épisode du suicide du fils la veille du meurtre est souvent présenté comme étant aussi à l’origine du déclic. Problème: Jacqueline Sauvage ne le savait pas quand elle a abattu son mari. Les débats ont plutôt fait apparaître un fils trouvant dans la mort le moyen d’échapper à l’emprise de la mère.

C’est sans doute ce récit qu’on retenu ceux qui sont intervenus dans ce dossier et ceux qui l’ont jugé, en toute connaissance de cause après une procédure dont personne n’a contesté la régularité.

Alors pourquoi cette campagne, une telle déformation de la réalité une telle pression sur la justice et sur le pouvoir exécutif? L’objectif est simple: instrumentaliser la justice pour des fins qui ne sont pas les siennes, à savoir en la circonstance, assurer la promotion d’un féminisme victimaire, et affirmer l’impossibilité de l’existence d’une violence des femmes.

Or, lorsqu’on essaye d’enrôler le juge, cela ne peut se faire qu’au détriment à la fois de la vérité, et du respect des libertés publiques. Le juge n’est pas là pour faire triompher une cause, aussi honorable soit-elle. Il est là pour juger des faits de transgression de l’ordre public. Et dans une démocratie, c’est lui qui est légitime à le faire.

Florence Rault

Source : Le Figaro, Florence Rault, 29-01-2016

 

Affaire Jacqueline Sauvage : «L’émotion ignorante et la compassion téléguidée !»

Source : Le Figaro, Philippe Bilger, 28-01-2016

FIGAROVOX/TRIBUNE – Philippe Bilger estime que l’émotion compréhensible qu’a suscité l’affaire Jacqueline Sauvage ne doit pas aller à l’encontre des décisions rendues par la justice.

L’impérialisme de l’émotion ignorante est dévastateur.

Jacqueline Sauvage, accusée du meurtre, au mois de septembre 2012, de son époux, a été condamnée en première instance et en appel, le 3 décembre 2014, par deux cours d’assises à la même peine de dix ans d’emprisonnement.

D’abord trois magistrats plus six citoyens.

Puis trois magistrats plus neuf citoyens.

Depuis ce dernier arrêt, manifestations, pétition en ligne, demande de grâce présidentielle, cette effervescence multiple qui ne manque pas de suivre les procès renvoyant à tort ou à raison à des faits de société. En l’occurrence, les violences faites aux femmes.

Le féminisme – jusqu’aux Femen seins nus, c’est capital! – a trouvé matière, sur cette tragédie, à apposer une grille de dénonciations générales abstraites sans rien connaître des détails et des mystères de cette histoire familiale. Parce qu’une femme a été, durant quarante-sept ans, victime de coups, d’humiliations et d’abus sexuels et qu’elle y a mis fin en tuant son mari odieux, elle serait forcément et légitimement une héroïne de la cause féministe? Parce qu’une mère a vu deux de ses filles sur trois être battues et violées sans réagir pendant longtemps à cause de la terrible emprise de l’époux, elle deviendrait sinon exemplaire du moins judiciairement bénéficiaire de la plus extrême indulgence?

Entendons-nous bien. La réalité de cette vie d’enfer a été prouvée et elle inspire pitié et compassion. De même que l’existence des agressions graves sur les deux sœurs.

Pourquoi cette mort causée par des tirs dans le dos ? Pourquoi, face à l’horreur du quotidien, pas la moindre fuite ni résistance sinon par le meurtre si tardivement ? Rien et, enfin, un tout irréversible !

Il n’en demeure pas moins que l’interrogation de la présidente en appel: «pourquoi ne pas avoir déposé plainte?» est elle-même compréhensible et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir été présent lors des délibérés, quand on a un peu d’expérience, pour appréhender l’ensemble des problématiques qui ont dû être débattues. Par exemple, en effet, pourquoi une si longue passivité même terrorisée alors que les filles étaient passées sous le terrible joug paternel? Pourquoi cette mort causée par des tirs dans le dos? Pourquoi, face à l’horreur du quotidien, pas la moindre fuite ni résistance sinon par le meurtre si tardivement? Rien et, enfin, un tout irréversible!

Je conçois qu’à ces questions qui ne sont pas déshonorantes, on trouve des réponses favorables à l’accusée parce que la psychologie et les profondeurs de l’être entraînent l’humanité parfois sur des chemins imprévisibles, déroutants et pourtant admissibles. Il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas honteux de s’étonner.

Les deux avocates de Jacqueline Sauvage ont plaidé l’acquittement au nom d’une définition extensive de la légitime défense. Pourquoi pas? Mais, à deux reprises, elles n’ont pas convaincu.

Les filles de Jacqueline Sauvage ont immédiatement hurlé à l’injustice et considéré que leur mère aurait dû être acquittée parce que, selon elles, leur père était «un monstre, une bombe…». Leur réaction est évidemment conforme à ce qu’on pouvait attendre d’une telle histoire familiale mais doit-elle forcément, au-delà de la douleur qui l’inspire, servir de guide à tous?

A quel titre un comité de soutien comprenant notamment l’actrice Eva Darlan, Anne Hidalgo, Jean-Christophe Lagarde, Daniel Cohn-Bendit, Jean-Luc Mélenchon, NKM et Valérie Boyer – ces deux dernières lui rendant même visite en prison! – et une cinquantaine de parlementaires, a-t-il cru bon de se constituer et de venir «soutenir» Jacqueline Sauvage comme si la France n’était pas un état de droit et les jurys de cour d’assises composés par des gens honorables? Parce que ce comité, qui n’a pas assisté au procès et n’a pas eu accès au dossier, serait naturellement plus apte que ces citoyens qui ont jugé et condamné à deux reprises? Parce qu’on aurait besoin de lui pour qu’à l’évidence une exécution de la peine, allant jusqu’au plus extrême de l’indulgence pénitentiaire, soit concédée à Jacqueline Sauvage, alors que cela ira de soi!

Ceux qui savent ont jugé. Ceux qui jugent les juges ne savent rien.

Le comble, une accusée acquittée pour le meurtre de son mari, avec une histoire et un comportement différents de ceux de Jacqueline Sauvage, réclame également sa grâce. A quand, on ne sait jamais, des attestations de moralité délivrées par des condamnés pour des coupables!

Il est dramatique, en tout cas pour la démocratie et le respect des pouvoirs qui lui donnent sens et crédit, que des personnalités politiques de tous bords s’immiscent dans ce qu’elles ne connaissent pas et viennent, avec démagogie et dans la confusion, porter atteinte à une institution judiciaire fondamentale de notre pays puisqu’elle permet au peuple, assisté par des professionnels, de juger les crimes. Quelle légèreté derrière ces interventions suscitées par l’émotion ignorante et la compassion téléguidée! Ceux qui savent ont jugé. Ceux qui jugent les juges ne savent rien.

Ou bien faut-il aller jusqu’à considérer, derrière cette fronde à forte tonalité parisienne, une condescendance, un mépris pour ces cours d’assises de province qui seraient incapables de maîtriser le féminisme et d’appréhender la vérité parce qu’elle serait trop complexe et trop politique pour elles?

Alors que c’est exactement le contraire. Ce que ces juridictions ont mesuré est le poids d’un singulier tragique sur lequel les abstractions féministes et plurielles ne pouvaient pas avoir prise parce que les jurés étaient présents et que le comité était absent!

Perversion française. Une justice criminelle assurée à deux reprises. Un mouvement de contestation, un comité de soutien créés de toutes pièces battant en brèche deux arrêts incontestables. Pire encore, l’excellente députée LR Valérie Boyer profite de cette opportunité judiciaire pour proposer une réforme de la légitime défense. La boucle française est là dans sa pureté désastreuse. L’autorité de la justice défaite par ceux qui devraient la faire respecter et le prurit législatif favorisé.

Pour couronner ou dégrader, le président de la République recevra la famille de Jacqueline Sauvage le 29 janvier. Si Nicolas Sarkozy s’était permis cette démagogique démarche, que n’aurait-on pas entendu!

Alors que, avant l’octroi d’une éventuelle grâce présidentielle, il serait apparemment possible, par une procédure devant le TAP d’Orléans, d’obtenir que puisse être envisagée une libération conditionnelle pour l’été 2016.

Celle-ci n’aurait rien de choquant.

Mais, de grâce, que les politiques se mêlent de ce qui les regarde et ne se croient pas trop souvent obligés de se camper tels des Zola de l’infiniment pauvre face à des scandales fantasmés et à des injustices décrétées!

 Philippe Bilger

Chaque semaine, Philippe Bilger prend la parole, en toute liberté, dans FigaroVox. Il est magistrat honoraire et président de l’Institut de la parole. Il tient le blog Justice au singulier et est l’auteur de Ordre et désordres paru aux Éditions Le Passeur en avril 2015.

Source : Le Figaro, Philippe Bilger, 28-01-2016

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Jacqueline Sauvage : « C’est un camouflet pour la justice »

Source : Le Figaro, 01-02-2016

Source : Le Figaro, 01-02-2016

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Pour les curieux qui ont du temps – et comme je n’ai pas le temps de le faire, je serais intéressé par ce que certains indiquent les incohérences relevées lors du procès en commentaire, le détail est là : premier procès, deuxième procès

Source: http://www.les-crises.fr/affaire-sauvage-ne-pas-confondre-justice-et-feminisme/


La Parisienne Libérée: « Les socialistes résignés »

Sunday 7 February 2016 at 00:30

Source : Anti-K, JR,  25-04-2015

Source : Anti-K, JR,  25-04-2015

Source: http://www.les-crises.fr/la-parisienne-liberee-les-socialistes-resignes/


Revue de presse internationale du 07/02/2016

Sunday 7 February 2016 at 00:00

Cette semaine notamment, des fantômes à la pelle, la vie privée sous surveillance et la vie politique à court et long termes aux USA. Bonne lecture et à demain pour la revue francophone.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-07022016/


Valls à l’Assemblée : il faut réviser la Constitution « par respect pour les Français »

Saturday 6 February 2016 at 02:58

Valls ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnait.

Source : Libération, Laure Bretton, 05-02-2016

Valls à l’Assemblée : il faut réviser la Constitution «par respect pour les Français»

Ouvrant le débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle, le Premier ministre en a appelé au «rassemblement» face «à toutes les déchirures de notre société» . Cécile Duflot, elle, juge cette révision «inutile et dangereuse».

On pourrait résumer les vingt-huit minutes du discours de Manuel Valls devant l’Assemblée nationale, ce vendredi, à l’occasion de l’ouverture de l’examen de la révision constitutionnelle, à une formule unique : les Français nous regardent. Pour emballer ce match parlementaire, le Premier ministre place droite et gauche sous le regard de leurs concitoyens, plantant le décor dès ses premiers mots dans l’hémicycle, en évoquant une menace terroriste «inédite, globale et durable». Il faut donc inscrire l’état d’urgence dans la Constitution ainsi que la déchéance de nationalité des terroristes condamnés. «Ce que les Français nous demandent, c’est une unité, une unité sans faille, plaide le chef du gouvernement devant des rangs plus que clairsemés. Face à la menace, face à toutes les déchirures de notre société, face au risque de tensions, nous devons être forts donc unis.» Dans son esprit, celui qui ne vote pas la révision constitutionnelle affaiblit donc la France. CQFD.

Après six semaines de circonvolutions politico-juridiques, Valls ne s’embarrasse pas trop de détails, même s’il confirme le compromis bricolé cette semaine avec la majorité : on ne mentionne plus binationaux et on parle de déchoir les Français «quelle que soit l’origine de leur appartenance à la Nation». C’est-à-dire tout le monde. Et dans la loi d’application, il n’y aura pas de formule interdisant l’apatridie, même si le Premier ministre ne prononce le mot à aucun moment. En termes de formule magique, «Houdini n’est pas dépassé», tacle le radical Roger-Gérard Schwartzenberg, pour qui la déchéance de nationalité est un «encombrant» auquel il ne faut trouver «aucun stockage».

La balle dans le camp de la droite

Pour Valls, «cette révision constitutionnelle est un moment exceptionnel qui se déroule dans un contexte exceptionnel». En meilleur rempart de François Hollande, le Premier ministre explique que cela exige, de «tous, de la hauteur. Par respect de la parole du chef de l’Etat, par respect pour les Français, par respect de leur courage. Cette impressionnante force de caractère doit être pour nous un commandement, une injonction à se rassembler».

La balle est dans le camp de la droite : sur fond de primaire présidentielle et d’opposition, les dirigeants de Les Républicains prendront-ils le risque de ne pas voter une mesure plébiscitée par les Français ? L’exécutif fait le pari, risqué, que non. Et Valls prend un malin plaisir à rappeler le Congrès de Versailles du 16 novembre et l’unité nationale qui s’en était dégagée. «Moi, je garde cette image, ce moment, où l’ensemble des parlementaires étaient tous debout applaudissant le président de la République, le président de tous les Français, lance-t-il sous l’œil de la quinzaine de députés installés à droite. Ce moment solennel nous engage. Cette sincérité de chacun, cette évidence ne doit pas s’évanouir.»

Le tout est dit sur un ton volontairement conciliant, une voix savamment maîtrisée. Mais les interventions des écologistes Cécile Duflot et Noël Mamère vont réveiller le chef du gouvernement, pour qui socialistes et écolos n’ont «plus grand-chose à faire ensemble». Les deux députés ont déposé une motion de rejet et une motion de renvoi, ce qui leur permet de bénéficier d’un temps de parole important pour s’opposer à la révision constitutionnelle. Lors de la discussion générale, qui doit se poursuivre dans l’après-midi, tout est très minuté et les orateurs sont choisis par les présidents de groupes parlementaires. Au PS, les antidéchéance ont ainsi pu être privés de micro.

Pour l’ancienne ministre du Logement, qui livre un exposé de 25 minutes solidement étayé en droit et en citations historiques, «on voit bien que la gauche, en voulant mettre un adversaire dans l’embarras, a jeté aux oubliettes nos valeurs». La révision constitutionnelle est «inutile et dangereuse», estime Cécile Duflot, approuvée sur les rangs de la droite. A ses yeux, avec cette déchéance de nationalité, la gauche fait du Front national: «nous empruntons le chemin de nos ennemis qui rangent les Français dans des catégories». Dans son discours, refusant tout «déterminisme social» aux terroristes, elle attaque quand même Manuel Valls de front. Après les attentats de janvier 2015, «vous avez eu des mots de très forts. Vous avez parlé d’apartheid. Mais au choc des mots a succédé le vide des actes, pourquoi?», interroge la dirigeante verte qui ne veut pas réviser la Constitution, mais réinventer la République.

Laure Bretton

Source : Libération, Laure Bretton, 05-02-2016

Examen du projet de loi de révision constitutionnelle : discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale

Passe d’armes entre Manuel Valls et Cécile Duflot sur la déchéance de nationalité 

 

Discours de Cécile Duflot (recommandé)

Source: http://www.les-crises.fr/valls-a-lassemblee-il-faut-reviser-la-constitution-par-respect-pour-les-francais/


Les faillites pétrolières au plus haut depuis la crise et “il y en aura d’autres”, assure la Fed

Saturday 6 February 2016 at 01:57

Source : Zero Hedge, le 25/12/2015

Proposé par Tyler Durden le 25 décembre 2015

“Deux choses apparaissent clairement si on analyse la santé financière de la production d’hydrocarbures aux US : 1) le secteur n’est pas du tout homogène, révélant de grands éventails dans la santé financière des acteurs ; 2) une partie du secteur semble exposée au risque et la survie pour les producteurs à risques pourrait passer par un investissement public, des ventes d’actifs, des rachats ou des consolidations. Si tout cela échoue, il faudra envisager le Chapitre 11″. Voici l’évaluation de Citi sur la situation de la “révolution du pétrole de schiste” américaine, que les Saoudiens tentent depuis plus d’un an maintenant de détruire.

Comme Citi et d’autres l’ont noté – un an après que nous ayons traité longuement de ce problème – les producteurs non rentables aux US sont totalement dépendants du capital-investisseur pour leur survie. “Le secteur du schiste est maintenant sous stress-test financier, mettant au jour le secret de ce marché : beaucoup de producteurs dépendent d’injection de capitaux pour financer leurs activités car ils ont jusqu’à présent largement excédé leurs liquidités disponibles,” écrit Citi en septembre. Voyons ce que veut dire la banque :

 

Figure 1. Les liquidités disponibles des 50 premiers producteurs américains ont été constamment négatives et s’aggravent en 2015, augmentant la “fracture de financement”

Bien sûr, cela marchait bien dans un monde caractérisé par des coûts élevés du pétrole et par des politiques monétaires très accommodantes. Le coût du capital était bas, les investisseurs en mal de rendement étaient peu regardants, permettant aux pétroliers américains de continuer à forer et à pomper bien au-delà du seuil de faillite. Mais maintenant la proverbiale ardoise doit être réglée. Faisant suite à la hausse de la Fed, HY [l'indice High Yield, haut rendement, NdT] plonge et comme l’a noté UBS cet été, “l’industrie des matières premières représente 22,8% de l’index HY ; les secteurs les plus à risque de défaut (défini comme incapables de payer, en banqueroute et en restructuration) représentent 18,2% de l’index et incluent les industries des producteurs de gaz et pétrole (10,6%), métaux et forage (4,7%) et équipement et services pétroliers (2,9%).” Comme l’a dit à Bloomberg la semaine dernière Bruce Richards, CEO de Marathon Asset Management, “le prix du baril pourrait chuter en dessous de $30 à cause d’une offre surabondante, et jusqu’à un tiers des sociétés d’énergie pourraient faire défaut dans les 3 ans.”

“C’est la pire année hors récession que nous ayons eue en haut rendement,” a déclaré Richards. Marathon, installée à New York, a ajouté des positions à la vente sur les obligations du secteur de l’énergie, a-t-il dit.

// VIDEO

Malgré les gains de cette semaine et à part une prévision probablement erronée de l’impact que la levée de l’interdiction d’exportation de pétrole brut américain aura sur le WTI, les fondamentaux ici sont maintenant un cauchemar. L’Irak produit à des niveaux record, l’Iran va augmenter sa production le mois suivant, une fois les sanctions levées, et l’OPEP se désagrège totalement. En outre, les producteurs se heurtent aux limites du nombre d’emplois qu’ils peuvent supprimer et de dépenses d’investissement qui peuvent être taillées (à terme, il leur faut conserver assez de capital humain et de moyens pour rester opérationnels). Conclusion : les faillites arrivent.

Comme la Réserve fédérale de Dallas le note dans ses dernières prévisions trimestrielles du secteur énergétique, les faillites dans le domaine sont maintenant à leurs niveaux les plus hauts depuis la crise et les perspectives d’avenir sont moroses. Ci-dessous, des extraits du rapport.

*  *  *

De la Réserve fédérale de Dallas

Les cours du pétrole brut West Texas Intermediate (WTI) ont, jusqu’ici, chuté d’environ 23 pour cent dans le courant du quatrième trimestre. Les espoirs se sont reportés sur la perspective d’un prix plus faible étant donné que les sanctions contre l’Iran vont vraisemblablement être levées début 2016, l’OPEC (Organization of the Petroleum Exporting Countries) a balayé toute prétention de plafond de production et le déclin des productions américaines a ralenti. Une offre excédentaire fait chuter le pétrole au cours le plus bas depuis 10 ans. Le déséquilibre entre l’offre et la demande globales a fait chuter le cours du pétrole à des niveaux que l’on n’avait pas vus depuis 10 ans. La production mondiale de pétrole dépassera la consommation de 1,7 million de barils par jour en moyenne en 2015, selon les estimations faites en décembre par l’EIA (Energy Information Administration). Cet excédent est plus grand que pendant la crise financière asiatique et la Grande dépression. La production de l’OPEC a inondé les marchés avec presque un million de barils par jour durant cette année, plus que l’EIA avait prédit en novembre 2014. En 2016, on s’attend à ce que la production globale dépasse la demande de 0,6 million de barils par jour en moyenne (Graphique 1).

 

Graphique 1 : La surproduction globale devrait persister en 2016

Graphique 2 : Retour prévu de la production iranienne sur le marché après la fin des sanctions

Au cours de la réunion de l’OPEC en décembre, la levée imminente des sanctions contre l’Iran avait contribué à accroître la dissonance vocale au sein du cartel. La réunion s’était achevée dans le désordre et les ministres du pétrole abandonnèrent toute prétention à un plafond de production pour la première fois depuis des décennies. Une division profonde se fit jour entre l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe d’un côté et de l’autre l’Iran et les membres restants de l’OPEC. Ces dissensions ont trois causes sous-jacentes. Premièrement, il existe un fort désaccord sur la façon dont devrait être accueillie la production iranienne une fois les sanctions levées étant donné que l’Arabie saoudite, l’Irak et d’autres États cherchent à conserver leur part de marché. Deuxièmement, les tensions en hausse dans le conflit syrien ont creusé les rivalités régionales. Troisièmement, les bas prix du pétrole affectent différemment les pays membres à cause de leur situations fiscales diverses. Ces causes sous-jacentes rendront peu probable tout accord sur le rétablissement de plafonds de production ou sur d’autres actions coordonnées par l’OPEC en 2016.

Les faillites dans le secteur du pétrole et du gaz ont atteint des niveaux trimestriels jamais vus depuis la Grande dépression. Les prix en baisse du pétrole ont coûté cher aux producteurs de pétrole et de gaz américains, en partie parce que beaucoup d’entre eux doivent faire face à des coûts de production plus élevés que leurs homologues internationaux. Au moins neuf compagnies américaines de pétrole et de gaz, accumulant plus de deux milliards de dollars de dettes, ont effectué une demande de dépôt de bilan. Si les faillites continuent à cette cadence, d’autres vont suivre en 2016. En amont, des firmes se sont aussi adaptées aux bas prix du pétrole en coupant dans les dépenses du capital ; les dépenses ont baissé de 51 pour cent entre le quatrième trimestre 2014 et le troisième trimestre 2015 (Graphique 5).

 

Graphique 4 : La production américaine de pétrole se stabilise, mais les licenciements continuent dans le secteur énergétique

Graphique 5 : Les faillites en hausse, les dépenses à la baisse

Comme l’a déclaré Goldman plus tôt ce mois-ci : “… nous réitérons nos craintes que ‘le stress financier’ ne s’avère trop faible et arrive trop tard pour empêcher le marché de se sortir ‘du stress opérationnel’ avec des prix avoisinant le coût au comptant, en toutes probabilités près des 20$ par baril de pétrole.”

Source : Zero Hedge, le 25/12/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-faillites-petrolieres-au-plus-haut-depuis-la-crise-et-il-y-en-aura-dautres-assure-la-fed/


[GEAB] 2016 – Alerte dollar, crise financière, pétrole, banques…

Saturday 6 February 2016 at 00:55

Grand repli stratégique mondial devant le « hard landing » imminent

GEAB 101 3

Notre équipe a choisi de placer l’année 2016 sous le signe du « grand repli stratégique », un repli qui va affecter tous les niveaux d’organisation sociale, en commençant bien sûr par les niveaux nationaux, mais pas uniquement.

Ce repli ne signifiera pas encore en 2016 la fin de la mobilité mondiale, des échanges internationaux ou d’internet, et le monde restera encore cette année un village global, mais les murs vont se monter, les régulations s’imposer, les flux se contrôler, les armées se renforcer, les marchés se fragmenter… tout ceci sur une base non plus internationale, puisque l’échec en matière de réforme de gouvernance mondiale est patent, mais sur la base des seules entités politiques disponibles sur le marché : États-nations, groupes religieux et ethniques, certaines organisations supra-nationales, niveau local.

Fin de la grande orgie globale ; tout le monde rentre chez soi… avec une bonne gueule de bois.

Et les portes béantes vont peu à peu se refermer sur une nouvelle configuration globale en cours de stabilisation. L’année 2015 a connu de très grands changements dans les alliances stratégiques. Le camp occidental s’est fragmenté, certains morceaux se sont même séparés. Mais la confiance n’est pas encore au rendez-vous avec les nouveaux alliés.

Le meilleur exemple de cela nous est fourni par ce très grand changement d’équilibre des alliances au Moyen-Orient. Pour le « camp occidental », et Israël en particulier, l’ennemi n’est plus l’Iran mais l’Arabie saoudite. Mais la prise de conscience de cette réalité a pris trop de temps : l’Arabie saoudite et le wahhabisme militant sont lâchés alors que la confiance n’est toujours pas stabilisée vis-à-vis de l’Iran. Dans ces circonstances, la meilleure solution est le repli.

L’Europe est dans une situation analogue. Ses déboires avec la Russie l’ont coupée de son flanc oriental et même si des efforts sont faits actuellement pour renouer avec le grand voisin, les dégâts en matière de confiance sont faits. Sur son flanc sud-sud-est, le partenaire potentiel qu’aurait dû être la Turquie si on avait travaillé à autre chose avec elle qu’à son intégration à l’UE, est désormais lancé sur des pistes de divergence radicale avec l’Europe. Quant à l’Allié par excellence, les États-Unis, il n’y a plus grand monde en Europe pour faire un bilan positif de la relation transatlantique ces dernières années. Les gigantesques flux migratoires dont l’Europe est devenue la cible en conséquence des erreurs stratégiques majeures dans lesquelles l’Allié nous a entraînés, sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase et l’UE est désormais lancée dans un vaste plan de renforcement interne. Repli.

Le Japon également a bien compris qu’il ne pouvait plus compter sur la puissance déclinante des États-Unis pour le protéger. Et c’est n’est bien évidemment pas auprès de la Chine qu’il va réclamer protection. La Chine est certainement un acteur régional incontournable mais le passé houleux entre ces deux puissances et l’incertitude pesant à moyen-terme sur les velléités hégémoniques chinoises obligent le Japon à reprendre la main sur son propre système de défense.

Ce repli stratégique, qui s’accompagne d’une explosion des dépenses militaires de bien mauvais augure, aurait pu être évité si les grands acteurs occidentaux avaient joué le seul rôle intelligent qui leur était imparti : « facilitateur de transition ». Le G20 a constitué de ce point de vue une bonne tentative, initiative européenne rappelons-le. Mais les efforts furent trop petits et surtout trop contrecarrés par unestablishment américain incapable de comprendre les évolutions mondiales et d’y contribuer positivement.

Certes il y a eu cette grande année 2015 de Barack Obama qui a permis de laisser se faire la réintégration de l’Iran (et de Cuba) dans le jeu international. Mais tout cela arrive trop tard, trop peu, trop contrarié par les tensions croissantes et l’inquiétude grandissante.

Les conditions ne sont plus réunies pour que le monde multipolaire se réunisse autour des mêmes tables pour affronter ensemble les grands enjeux collectifs mondiaux. La confiance a disparu. Même entre nouveaux alliés : par exemple, il est bien peu probable que la Sublime Porte et la Mecque soit devenues en une nuit les meilleurs amis du monde de manière profonde et durable. Les tentatives d’alliances contre nature de ce type ne sont pas vouées à passer l’année 2016. Et elles vont inévitablement s’accompagner d’un processus de repli de part et d’autre.

En ce qui concerne l’Arabie saoudite, là encore, ce pays aura fort à faire en matière de stabilisation sociale interne, sans compter qu’il va être de plus en plus obligé de se désolidariser des monstres, tels que Daesh, que ses pathologies sociales ont engendrés.

Les BRICS également seront concentrés sur eux-mêmes cette année. Le Brésil n’est là pour personne d’autre que pour ses problèmes de luttes politiques intestines, d’économie défaillante, de monnaie déclinante, et d’hypersensibilité sociale. Autant dire que sa contribution aux efforts transnationaux de type BRICS, MERCOSUR, OAS, etc., ne seront pas significatifs cette année.

La Chine l’a dit et répété : sa priorité n’est plus sa balance commerciale, mais le développement de son marché intérieur, de ses infrastructures, de son système social, etc. Ses points de croissance ne sont donc plus destinés à nourrir la croissance mondiale. Dans le même mouvement, elle s’occupe de ses frontières et de la protection de son territoire en investissant dans la modernisation de son système de défense nationale. Et ce n’est pas ce qui est arrivé à la Russie en 2014 qui va la dissuader d’avancer dans cette direction.

L’Inde est encore pour le moment dans la pure logique d’ouverture. Mais nous anticipons qu’en 2016, elle va devoir elle aussi faire montre de plus de réserve. Sa présidence BRICS va en faire la cible de tout un tas de manipulations de part et d’autre. Les tentatives de Modi d’équilibrer ses relations extérieures entre États-Unis, Europe, Chine, Russie, Japon, Pakistan… risquent de se terminer comme celles d’Erdogan en 2011. Le premier ministre indien est notamment en train de se faire piéger dans  son rapprochement avec le Japon, nourri de trains à grande vitesse mais aussi de relents anti-chinois, un écueil qu’il avait pourtant clairement identifié en début de mandat comme à éviter. Il est donc probable que l’Inde mène une présidence BRICS très faible en 2016 (ne parvenant pas à exploiter le potentiel intégrateur que nous avions identifié il y a quelques mois), et qu’elle se mette elle aussi à se concentrer en priorité sur son organisation sociale, son projet d’innovation technologique et son budget militaire. Repli.

Revenons un moment sur l’Europe. C’est probablement la seule région au monde qui va se replier sur autre chose que sur son seul niveau national. La réactivation des outils de la souveraineté nationale est en train de se faire de concert entre niveau national et niveau européen. Nous parlons dans les up and down de ce numéro de la zone Schengen dont nous estimons que, loin de s’affaiblir, elle est en train de se renforcer… à la demande des États membres. De même pour le projet d’armée européenne, la mise en réseau des agences nationales de renseignement, etc. Le transfert des outils de la souveraineté (gestion des frontières, armées, renseignement…) vers le niveau européen, en accord avec et sur la base des États membres, est bel et bien en cours et restera la tendance en 2016. Renforcement concomitant des niveaux nationaux et européen.

Il est affligeant, du point de vue de LEAP, que la phase d’intégration politique du continent se mette en place dans un mouvement de repli et non en une aspiration démocratique. C’est ce qui nous a fait anticiper au dernier numéro que l’Europe allait  entrer dans une nouvelle époque sombre de son histoire. Toutes les conditions sont très visiblement réunies.

Seul internet et la très grande transformation des structures sociales qu’il induit, permettent d’espérer que l’Europe (et le monde) puisse ressortir plus vite d’une phase d’enfermement qui semble impossible à long terme au xxie siècle. Mais le ferment de chaos social que voient les establishments dans cet outil nous fait craindre que la « révolution internet » se transforme en « terreur internet » au cours de l’année 2016 : non plus un outil de liberté et d’ouverture au monde pour les citoyens, mais l’instrument au service de la surveillance et de la propagande par les « rameneurs d’ordre ».

Le thème du grand repli stratégique se retrouve en filigrane dans le reste de ce numéro, et en particulier dans le panorama annuel des « ups and downs » de l’année…

(Pour lire la suite, abonnez-vous)

Source: http://www.les-crises.fr/geab-2016-alerte-dollar-crise-financiere-petrole-banques/


Jean Tirole : “On ne peut pas se targuer de moralité quand on est contre le commerce des organes”

Friday 5 February 2016 at 03:49

Voici la dernière production de Jean Tirole, notre fabuleux “Prix Nobel d’économie” (qui n’est qu’un prix de la banque nationale de Suède pour mémoire)

Une fabuleuse illustration du renversement des valeurs morales fondamentales !

(P.S. quelqu’un aurait-il un moyen de joindre Jean-Claude Michéa par ailleurs, merci de me contacter si oui)

Jean Tirole : La Moralité et le Marché publié par les-crises
Extraits :

Nous avons tous des réticences à l’existence de certains marchés : dons d’organes, mères porteuses, paiement pour éviter la conscription, prostitution… Tous ces marchés sont problématiques. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que nous avons des principes moraux. Mais ces principes moraux eux-mêmes soulèvent des difficultés qu’il importe d’analyse. Ainsi, le professeur Gary Becker remarquait à propos du don d’organes que l’interdiction de vendre son rein limitait les donations, condamnant ainsi chaque année des milliers de personnes aux États-Unis à mourir faute de donneurs. Pour lui, les détracteurs du marché d’organes ne doivent donc pas se draper dans leur vertu, leur idéal de moralité, qui s’avère aussi coupable de la mort des malades en demande d’organes. On ne peut pas se targuer de moralité quand on est contre le commerce des organes, et la question s’avère plus complexe qu’il n’y paraît au premier regard.

On est même un salaud, non ?

Je propose qu’on se cotise pour donner 20 000 € à Tirole en échange d’un de ses reins, pour qu’il connaisse les joies – et les risques – d’une vie avec un rein unique.

Pour 30 000 € de plus, on essaye de trouver un donneur pour lui transplanter un coeur… ?

Plutôt que d’adopter sans réfléchir une posture morale condamnant a priori le marché, il est préférable d’analyser nos tabous moraux ; cette analyse revêt un caractère décisif pour la conception d’une bonne politique publique, et se révèle bien plus utile et efficace qu’une attitude émotive fondée sur nos sentiments moraux comme l’indignation. Pourquoi sommes-nous gênés vis-à-vis du marché du don d’organes ou de la brevetabilité du vivant ?

Kant, dans les Fondements de la métaphysique des Mœurs, distingue les notions de prix et de dignité : « Dans le règne des fins tout a un prix ou une dignité. […] Ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, a une dignité ». La vie n’a pas de prix parce qu’elle n’a pas d’équivalent.

La vie a une forme de sacralité. Elle ne peut donc pas être l’objet d’un marché. Les tabous sur la vie et la mort ont des conséquences. L’explicitation des arbitrages liés à la santé, par exemple, soulève des controverses, dont l’effet premier est parfois l’augmentation du nombre de décès. Nos réticences à faire des calculs entre le nombre de personnes à sauver et les moyens mis en œuvres coûtent des vies à des millions de personnes chaque année. N’est-il pas absurde, par exemple, de dépenser des millions d’euros dans un service chirurgical pour sauver une vie lorsqu’on pourrait consacrer la même somme dans un autre service pour sauver davantage de vies ? La possibilité de ces calculs choque ; mais il est tout aussi choquant de refuser par principe de les faire, car le prix à payer pour ce refus est important en nombre de vies perdues.

Pour argumenter en faveur de leur rejet du calcul, les philosophes ont utilisé des dilemmes célèbres, comme celui du tramway : on demande aux personnes, comme dans une expérience morale, de savoir s’ils accepteraient de faire dérailler un tramway (en tuant pour cela une personne) pour sauver cinq autres personnes. Le calcul est simple: 1 vie contre 5. Pourquoi refuser de penser ce type de calcul ?

Pourquoi ce tabou ? Il convient de nous interroger sur son origine et sur son incidence et ses coûts pour les politiques publiques plutôt que de le valider comme un préalable non discutable. Car, de facto, nous mettons tous implicitement une valeur sur la vie : celles des patients dans les choix de politiques hospitalières, voire celles de nos enfants (dans nos choix de financement de leurs études ou dans nos choix d’acheter une automobile plus ou moins fiable, plus ou moins sécure). Ces tabous doivent donc être interroogés, ce d’autant qu’ils sont changeants dans le temps et dans l’espace. [...]

Beaucoup reprochent au marché de causer une dilution du lien social. [...] Mais cette diminution des liens a aussi des vertus. Par exemple, comme l’expliquait Pierre Bourdieu, l’économie du don et du contredon implique une relation de dépendance, voire de domination du donateur sur le donataire dans le cadre d’une relation de générosité sans calcul, qui peut se traduire par une violence entre les acteurs. Le dogme du renforcement du lien social est donc aussi à questionner. Car une distension du lien social a indéaniablement des effets positifs et souhaitables. Le marché nous apprend par exemple à interagir et à connaître des étrangers. Le marché rend moins dépendant d’un prestataire, d’un acteur, d’un monopole. Montesquieu parlait ainsi du « doux commerce ». [...]

Donc le don, c’est pas super super…

L’égoïsme semble au cœur de l’économie de marché. Mais, comme l’a montré Adam Smith, l’égoïsme est moteur du lien social : l’intérêt personnel motive à l’échange et à l’enrichissement des relations. En soi, la cupidité n’est donc ni bonne ni mauvaise : canalisée au service d’un comportement novateur, concurrentiel, dans le cadre d’un système de lois et de régulation bien conçu, elle peut servir de moteur de l’innovation et aboutir à un développement harmonieux, bénéficiant à chacun  [...]

Quand je pense aux blaireaux qui l’ont classée comme un pêché… ”La racine de tous les maux, c’est la cupidité.” (1 Tm 6, 10)

Adam Smith n’a rien montré, il a juste écrit une phrase, sur le sujet dont parle Tirole, sur la “main invisible” : “Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme”. Mais c’est purement argumentatif, il n’y a rien de plus.

Citons donc encore Adam Smith (lire aussi ici par exemple) :

“Tout pour nous et rien pour les autres, voilà la vile maxime qui paraît avoir été, dans tous les âges, celle des maîtres de l’espèce humaine”

“La naissance et la fortune sont évidemment les deux circonstances qui contribuent le plus à placer un homme au-dessus d’un autre. Ce sont les deux grandes sources des distinctions personnelles, et ce sont, par conséquent, les causses principales qui établissent naturellement de l’autorité et de la subordination parmi les hommes”

“Les membres d’une même industrie se rencontrent rarement par plaisir ou pour se divertir, mais leur conversation aboutit invariablement sur une conspiration contre l’intérêt général ou sur un accord pour augmenter leur prix”

” Les gens du peuple (…) n’ont guère de temps de reste à mettre à leur éducation. Leurs parents peuvent à peine suffire à leur entretien pendant l’enfance. Aussitôt qu’ils sont en état de travailler, il faut qu’ils s’adonnent à quelque métier pour gagner leur subsistance. Ce métier est aussi, en général, si simple et si uniforme, qu’il donne très peu d’exercice à leur intelligence ; tandis qu’en même temps leur travail est à la fois si dur et si constant, qu’il ne leur laisse guère de loisir, encore moins de disposition, à s’appliquer, ni même à penser à autre chose.”

“Assurément, on ne doit pas regarder comme heureuse et prospère une société dont les membres les plus nombreux sont réduits à la pauvreté et à la misère. La seule équité, d’ailleurs, exige que ceux qui nourrissent, habillent et logent tout le corps de la nation, aient, dans le produit de leur propre travail, une part suffisante pour être eux-mêmes passablement nourris, vêtus et logés”

Les libéraux classiques ont toujours voulu réduire les inégalités – et pour atteindre ce but, ils pensaient que la liberté était la meilleure façon de le faire (rappelons qu’ils sortaient de régimes oppressifs) :

“Si j’avais le malheur de ne voir dans le capital que l’avantage de capitalistes, et de ne saisir ainsi qu’un côté, et, assurément, le côté le plus étroit et le moins consolant de la science économique, je me ferais Socialiste ; car de manière ou d’autre, il faut que l’inégalité s’efface progressivement, et si la liberté ne renfermait pas cette solution, comme les socialistes je la demanderais à la loi, à l’État, à la contrainte, à l’art, à l’utopie.” [Frédéric Bastiat]

Nos clowns actuels sont bien lien de ce niveau de réflexion.

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Tirole : thuriféraire du marché, par Frédéric Dessort

Source : Ouvertures, Frédéric Dessort, 24-01-2016

Tirole récidive, enfonce le clou. A l’occasion d’un exposé donné dans le cadre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, le 11 janvier, sous les ors de l’Institut de France, le Nobel toulousain s’est livré à un long plaidoyer pour le marché. Voir ici le lien vers le texte. Jean Tirole répond ici nommément à Michael Sandel, professeur de philosophie à Harvard (cf page Wikipedia), dont la notoriété mondiale de l’ouvrage « Ce que l’argent ne saurait acheter » l’a sans doute révulsé.

Jean Tirole, le 11 janvier 2016, à l’Institut de France. Dans le cadre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques

L’enjeu de cette intervention est en gros de fustiger les moralistes qui veulent empêcher le marché de s’exprimer un peu partout, y compris pour les marchés dits par les économistes « répugnants ». Il cite le marché des organes, de l’amitié, de l’adoption, de l’admission dans une université prestigieuse, de la prostitution.

Il vient vous expliquer que oui, c’est vrai, ces marchés dysfonctionnent, mais que ce n’est pas une question de morale, c’est plus une histoire de mécanisme économique (je ne rentre pas dans le détail). Et que plutôt que les (ces activités) « sortir du marché », on peut leur appliquer « la théorie des incitations », ce qui permettra d’éviter « ces écueils moralement condamnables, tout en bénéficiant des vertus du marché […] « .

Pour mémoire, sa théorie des incitations peut se comprendre, en ce qui concerne un marché répugnant, au travers de l’exemple suivant : le sang. Ainsi, selon Tirole, les gens devraient vendre leur sang plutôt que le donner, car il y aura ainsi plus de sang sur le marché. Mais seulement, lui et ses amis spécialistes de l’économie comportementale ont découvert (sic) que si les gens ne vendent pas leur sang, c’est qu’ils auraient une image de cupidité qu’il ne supporteraient pas. Mais il poursuit : on peut, selon lui, calculer un prix adéquat en dessous duquel les gens n’auront pas cette culpabilité là.

Je me demande comment il veut appliquer cela aux marchés répugnants pré-cités…

Ainsi, il fustige l’hypocrisie des gens en couples qui ne vont pas voir des prostitués, ce qui donc, si on le suit bien, freine le marché de la prostitution pour de mauvaises raisons. Je le cite : « Ainsi, une personne qui serait scandalisée par l’idée même de la prostitution ou de relations tarifées, peut néanmoins rester avec son conjoint, sans amour, par désir de sécurité financière ou par simple peur de la solitude. Parfois, le marché est donc notre bouc-émissaire : il endosse les critiques que nous pourrions adresser à l’humanité-même car il révèle ou met en évidence ce qui peut déplaire dans la nature même de l’humain. Le marché, en tant que miroir de l’humanité, sert alors à nous cacher notre propre hypocrisie et à révéler certains penchants voire certaines parties de notre âme que nous aurions aimé cacher aux autres et à nous-mêmes. » Etrange, non, comme raisonnement…?

Et ce texte est truffé d’affirmations des plus étonnantes… Petit florilège que je commente :

– « On ne peut se targuer de moralité quand on est contre le commerce des organes ».

En gros son argument c’est de dire, vous les moralistes qui vous élevez sans réfléchir, sous le coup de l’émotion, contre la marchandisation des organes, qui apporterait plus d’organes sur le marché à ceux qui en ont besoin, vous êtes des cons. Je me demande qui est le con dans cette histoire. Être contre ce marché, c’est juste une histoire de morale gauchiste semble t-il, pour lui. Il n’y aurait donc pas d’arguments sérieux contre ce phénomène ?
Par contre, outre ses arguments, il a même des idées de mise en oeuvre : dans un autre texte (texte du débat suivant un discours prononcé en 2011 dans le sein de la même académie, lien ici) il estime qu’il « faudrait payer une forte somme d’argent à des gens du Tiers-Monde » pour qu’ils fournissent leurs organes…

– « Le marché […] préserve des risques discrétionnaires, des lobbys et du favoritisme »

Là, j’étais plié de rire. Ah oui, le marché préserve des risques discrétionnaires ? Sans blague ! des lobbys ? Mince alors ! du favoritisme ? MDR !

– « le marché […] empêche les entreprises puissantes d’imposer leurs prix élevés et leurs produits médiocres »

Pareil. On rit… Le marché a t-il empêché Servier de fournir son médiator ? Et Monsanto, ses pesticides ? et le cartel des télécoms, Orange, SFR et Bouygues, ils ne se sont pas entendus pendant 15 ans pour nous infliger des prix délirants sur les communications mobiles ? faut-il allonger la liste ??

– « […] une étude récente a montré que le partage des responsabilités érode les valeurs morales : l’existence d’excuses (‘‘on m’a demandé de le faire’’, ‘‘tout le monde le fait’’, etc.) a permis la mise au rencard des réticences individuelles peu éthiques. » (la phrase est alambiquée…)

Là aussi on sourit, ou on est triste. Il lui a donc fallu une belle étude « récente » réalisée par des économistes (Sic) pour savoir que les gens peuvent se déresponsabiliser dans un groupe ou dans une chaîne de responsabilités. Je pense qu’il n’est point besoin de faire des calculs ou enquêtes savantes pour le savoir. J’imagine qu’il ne connaît pas l’expression « criminel de bureau »…

Jean Tirole se paie en plus le luxe d’un chapitre conclusif sur le marché et les inégalités qu’il génère, dans lequel il explique que la Science économique trouve ses limites à appréhender le problème et à en trouver des solutions. Sans doute pense t-il représenter l’ensemble des économistes ?

Frédéric Dessort

Source : Ouvertures, Frédéric Dessort, 24-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/jean-tirole-on-ne-peut-pas-se-targuer-de-moralite-quand-on-est-contre-le-commerce-des-organes/


[Hommage] Jean Tirole, enfin un libéral récompensé par le Nobel !

Friday 5 February 2016 at 03:15

Article publié initialement le 14/10/2014

Allez, comme ici on aime bien les contrepoints, voici quelques extraits de papiers moins louangeurs de Jean Tirole, Directeur de la Toulouse School of Economics, notre nouveau prix Nobel d’économie.

En plus, ayant lu quelques interviews de lui aujourd’hui, je note un talent réel pour en rester à des généralités sans donner clairement son avis ou sa vision, ou en ne proposant rien de concret….

Ceci étant, il ne dit évidemment pas que des bêtises, mais on va attendre des papiers plus sérieux que ceux des journalistes de ce jour…

Ou du Premier Ministre :

N’étant pas pour ma part un nationaliste chauvin, j’aurais pour ma part préféré qu’on le redonne à Stiglitz ou Sen… Lisez la suite pour comprendre pourquoi…

En tout cas, comme “l’économie, c’est de la politique”, il faudra penser à supprimer ce prix qui n’est pas un prix Nobel, mais un “prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel”, la Banque de Suède ayant ainsi réalisé un hold-up sur l’image du Nobel.

Bref, relire d’urgence ce billet sur Maurice Allais

Les belles valeurs actionnariales de Jean Tirole, par Frédéric Dessort [2013]

Depuis trente ans, le capitalisme a viré à la financiarisation des entreprises, en radicalisant le primat des actionnaires. Or, cette évolution ne constitue pas seulement l’accomplissement légal du profit et de la propriété sur les salariés. Il y a en effet les théoriciens de cette doctrine, ses légitimateurs auprès des classes politiques du monde.

Depuis les années 90, les normes sociales et de gestion des entreprises – il s’agit surtout des grandes entreprises – ont ainsi convergé vers ce fondamentalisme actionnarial. L’une des principales conséquences structurelles ? Le pouvoir est passé des salariés, dans une certaine mesure, et surtout des patrons de l’entreprise aux actionnaires. Ceux-ci, désormais mondialisés, sont très souvent bien distants des réalités de leur objet d’investissement, devenu véritable machine à cash.

Le père spirituel de cette vision mortifère est un prix Nobel : Milton Friedman. En 1970, pendant le débat aux Etats-Unis sur la responsabilité sociale des entreprises, celui-ci affirmait : « Il y a une et une seule responsabilité des affaires – utiliser ses ressources financières et engager des activités désignées à accroître ses profits ».

Dans le sillage de cet économiste, cette dichotomie actionnaires / reste de l’entreprise a connu des développements importants.

Aujourd’hui, l’une des têtes pensantes du capitalisme actionnarial est Jean Tirole, le président de la Toulouse School of Economics (TSE). Membre du Conseil d’Analyse Economique, certains le disent nobélisable.

Il est nécessaire de rappeler son positionnement intellectuel de spécialiste du capitalisme financier quant on sait comment l’école d’économie toulousaine est encensée, tant par les politiques d’une terre résolument à gauche, que par les médias régionaux.

Récemment, Pierre Cohen se félicitait de la reconduction au Conseil d’Analyse Economique de Jean Tirole. Le maire de Toulouse se doute t-il que le projet de délocalisation du centre de recherche de Sanofi s’inscrit pleinement dans ce dogme de la valeur actionnariale que développe le président de TSE ?

Au préalable, bien entendu, il ne s’agit pas de confondre le positionnement des 160 chercheurs de cette institution avec celle de son président. Et Jean Tirole, faut-il le préciser également, ne travaille pas exclusivement sur le financement des entreprises, loin de là.

Une vision « orthodoxe » et « étroite »

Développons quelques éléments clefs de cette doctrine. Pour Jean Tirole comme pour de nombreux économistes, le financement des entreprises et leur gouvernance doivent donc être envisagés avec un axiome de base : la « shareholder value » – en français, la valeur actionnariale. Plus précisément, cette théorie affirme que l’entreprise n’a d’autre vocation que de maximiser les dividendes des actionnaires, et que les autres parties prenantes doivent s’en remettre à la providence de l’Etat !

Je ne l’invente pas, Jean Tirole l’écrit en substance dans plusieurs papiers et notamment dans un ouvrage de plus de 600 pages. Orné de sa belle reliure de Princeton University, ce livre est intitulé « The Theory of Corporate Finance« . Il a reçu de belles critiques dans le monde de la finance : voir par exemple ce discours louangeur en 2007 de Daniel Bouton, alors patron de la Société Générale.

Mais revenons à l’ouvrage lui-même dont j’apporte ici quelques citations.

Page 16 : « La section 1.8 reviendra sur le débat à propos de l’approche de l’entreprise par ses parties prenantes (‘stakeholder society’ en anglais dans le texte), mais nous devons indiquer dès à présent que le contenu de ce livre reflète l’agenda de l’étroite et orthodoxe vision décrite dans la citation ci-dessus ». Ladite citation est la suivante : « La gouvernance d’entreprise (‘corporate governance’) relève des « voies par lesquelles les investisseurs (‘suppliers of finance corporations’) s’assurent de leur retour sur investissement » »

Développée page 56, la section 1.8 s’apparente presque à une profession de foi. En quelques pages, l’apôtre de la financiarisation des entreprises met en perspective la shareholder value par opposition à la stakeholder society. C’est à dire : la gouvernance d’entreprise selon le filtre de la valeur actionnariale, ou bien au travers de l’ensemble de ses parties prenantes. Ces dernières sont constituées par les actionnaires, mais aussi par les employés, les clients, les fournisseurs, son environnement local (communautés, collectivités locales…).

Mais, pour Jean Tirole, “[...] les économistes, et du coup, le cadre et les acteurs réglementaires, ont toujours affirmé que, sur la base de prix reflétant la rareté des ressources, le management doit avoir pour objectif de maximiser la richesse des actionnaires.

Toujours page 56, il cite, je trouve cela piquant, la critique de ses contradicteurs selon laquelle il ne faut pas débarquer des palanquées de salariés tout en payant grassement les patrons. Pour illustrer cette récusation, le chercheur toulousain choisit l’un des pires exemples qui remonte à janvier 1996 : AT&T se délestant alors de 40 000 employés au moment d’un profit record, tandis que le dirigeant recevait 14 millions de dollars. Si l’on comprend bien l’économiste, même si, on peut le présumer, il ne se réjouit pas d’un tel tableau, celui-ci est justifié par l’approche et la théorie de la valeur actionnariale.

Autre contre-argument mis en exergue par M. Tirole : les tenants de la stakeholder society voudraient une gouvernance d’entreprise partagée entre actionnaires et autres parties prenantes, notamment, les salariés.

Vade retro satanas ! doit s’exclamer en son for intérieur le chercheur toulousain, qui souligne qu’une telle organisation rendrait ingouvernable l’entreprise. Soit.

Mais cet argument supposé des opposants à la shareholder value est sans doute présenté de manière extrême. N’y a t-il pas, entre un kolkhoze et un management purement actionnarial, d’autres possibilités plus nuancées pour diriger une entreprise ? Par exemple, les Scop, qui se développent dans le sillage de l’économie solidaire et sociale, sont-elles des parangons d’inefficacité ?

Une dernière citation montrant bien le positionnement de Jean Tirole. Dans une de ses publications plus récente, Individual and corporate social responsibility, 11 novembre 2009, co-signée d’un co-religionnaire de Princeton University, Roland Bénabou, il estime que “Les manuels d’économie ont donc adopté l’approche de la valeur actionnariale, qui stipule que les firmes devraient être contrôlées par la maximisation des profits des actionnaires tandis que les autres parties prenantes sont protégées par les contrats et la régulation« .

Il existe heureusement quelques voix discordantes à cette pensée unique : pensons notamment aux économistes atterrés.

Autre exemple avec Jean-Charles Rochet, co-auteur du récent article « A critique of shareholder value optimization », dont je cite une phrase de l’introduction qui ne manque pas de sel.

Précisons que cet économiste est affiché « en congé » de la TSE, même s’il en apparaît toujours comme membre. Il signe ce travail dans le cadre de l’Institut Suisse de Finance. Les premières lignes du texte plantent le décor :« Tout le monde sait que les entreprises ne sont pas juste des machines à cash pour leurs actionnaires, mais produisent aussi des biens et services pour leurs clients, et des emplois et salaires pour leurs employés. Tout le monde, excepté la plupart des économistes. En effet, dans le débat sur la responsabilité sociale des entreprises, la majorité des économistes académiques partagent la vision exprimée en termes ambigüs par Friedman (1970) :  » il y a une et une seule responsabilité des affaires – utiliser ses ressources financières et engager des activités désignées à accroître ses profits  » »

Une doctrine contre l’entreprise

La doctrine de la valeur actionnariale est claire !

Or, cette radicalité ne colle pas à la réalité du terrain pour ce qui est d’une bonne partie des entreprises non cotées.

Et pour côtoyer et rencontrer des patrons de PME de longue date, il me semble clair que cette approche partielle et exclusive de l’entreprise est contre l’entreprise. Au demeurant, les entreprises à l’organisation de plus en plus horizontales et participatives se multiplient. Faisant mentir cette représentation clivée et morcellée dictée par la doxa de la valeur actionnariale.

Bien sûr, il y aura toujours des patrons-actionnaires cupides – certains me diront qu’ils sont nombreux -, mais la majorité des dirigeants considèrent leur entreprise comme un tout : actionnaires, mais aussi salariés, fournisseurs, clients, collectivité locale, son environnement local, social et institutionnel… comme le définit fort justement l’approche de la stakeholder society. Le profit est certes un aiguillon important de l’aventure entrepreneuriale, mais il ne devrait en être le seul critère.

Par ailleurs, dans le sillage de l’axiome actionnarial, Jean Tirole est aussi un spécialiste de ce qu’on appelle la théorie des incitations et de l’agence. Je renvoie à cette page wikipedia pour en découvrir les arcanes.

Mais on peut donner un exemple parlant : les bonus attribués aux patrons et autres haut-cadres afin que ceux-ci s’échinent au mieux pour optimiser la valeur actionnariale. Pour le coup, le président de la TSE a publié récemment – en décembre 2012 – un article sur ce sujet : “Bonus culture : Competitive pay, screening and multitasking”. Ou comment, à coup de quelques équilibres mathématiques, on peut aboutir au bonus optimum. Objectif : que le manager ne soit pas tenté de se reposer sur des primes trop importantes, ce qui l’endormirait, ou à l’inverse ne « souffre » de trop faibles bonus, ce qui l’amènerait à la concurrence.

Les conséquences désastreuses de l’absolutisme du profit

Accompagnant la dérégulation voulue par Reagan et Thatcher dès le début des années 80, la pensée actionnariale s’est rapidement traduite par la montée en puissance de fonds de capital-investissement, mais aussi des grands investisseurs dits « institutionnels », regroupant des millions de petits et grands porteurs, tels que les fonds de pension.

Ceux-ci ont érigé en norme la rentabilité financière de 15% des firmes cotées dans les places boursières mondiales. Qu’il pleuve ou qu’il vente dans ces entreprises.

Ce taux est sans doute plus élevé dans les entreprises non cotées passées aux mains de grands fonds de Private Equity si prompts à dépecer leurs proies.

Ce dogme de la valeur actionnariale s’est propagé dans une majorité de pays du monde, à quelques exceptions près. En Europe notamment, l’Allemagne a résisté à la financiarisation des entreprises. Un facteur de sa santé économique ?

Mais ailleurs, les corollaires de cette vision de l’entreprise sont nombreux : le capitalisme court-termiste; la virtualisation mondialisée du capital; la spéculation boursière aboutissant aux bulles financières; la deconnexion des salaires vis à vis de la productivité; le déplacement de la valeur ajoutée des salaires vers les actionnaires; l’augmentation des dividendes versés aux actionnaires, au détriment de l’entreprise elle-même qui réinvestit moins; les licenciements boursiers; les dégats écologiques; le morcellement comptable des entreprises, conduisant à la revente par pièces, à l’externalisation des activités insuffisamment rentables vers des sous-traitants qui doivent, du coup, subir une pression maximisée sur leurs prix : une désintégration verticale qui finit par les délocalisations; j’ajouterai aussi : l’évasion fiscale convoquée en règle.

Et pour boucler la boucle : la pression sur les salariés des grandes entreprises, obligés de rendre l’âme dans un délire productiviste.

La liste des conséquences désastreuses de cette grande réification cupide de l’entreprise n’est sans doute pas exhaustive, ici.

La mise en place de ce système de financiarisation des entreprises s’est faite au travers de changement de normes comptables, d’évaluation (par exemple : l’EVA privilégiant la performance financière de ses titres), de gestion (management au service des actionnaires…) et du travail (flexibilité, mobilité géographique,…).

Etude de cas : Sanofi

Cette vision d’une entreprise actionnariale conduit à des décisions telles que la suppression ou la réorganisation de centres de recherche jugés insuffisamment rentables. Illustration régionale patente : Sanofi !

Le groupe, qui a réalisé 35 milliards d’euros de CA et 8 milliards d’euros de bénéfice net en 2012, a récemment annoncé qu’il ne conserverait que 364 salariés sur 617 à Toulouse. Jetant aux orties le rapport Saintouil, qui préconisait le maintien de 500 emplois, après l’avoir officiellement accepté.

L’enjeu ici : augmenter la productivité de la R&D sous le dictat de la valeur actionnariale. Ou comment tordre la réalité, alors que les cycles de développement sont ce qu’ils sont – très longs – dans la création de médicaments. Le constat de la financiarisation depuis une dizaine d’années de cette firme pharmaceutique est établi de manière très claire dans cet excellent documentaire et émission présenté par Franz-Olivier Giesbert : « France : qu’as tu fait de ton industrie ? » (se positionner à la 35ème minute).

Justifiant la démarche de restructuration, Christian Jaloux, le grand patron de Sanofi France, y estime la recherche inefficace. Faux pour Laurence Millet, syndicaliste (Sud) et chercheuse sur le site de Toulouse « Tous les deux ou trois ans, la recherche est cassée, on destructure, et du coup cela déstabilise totalement la recherche. On ne peut imaginer trouver des choses [nouvelles molécules] en deux ans ! », répond-elle.

Depuis trois décennies, le néolibéralisme a érigé l’argent en valeur cardinale de la société. L’argent-roi, il y a ses théoriciens thuriféraires, mais nous sommes tous, citoyens et politiques, responsables d’avoir laissé se développer cette gangrène. Les excès du capitalisme financier ont-ils été suffisants pour que la prise de conscience soit suffisante à le renverser ? Je crains malheureusement que nous n’ayions pas encore touché le fond pour cela.

Frédéric Dessort

Post Scriptum : le dogme de l’actionnaire roi vient de trouver une nouvelle formulation dans un contexte particulier. Jean Tirole, Guillaume Plantin (TSE) et David Thesmar (HEC Paris), signent dans les Notes du Conseil d’Analyse Economiquedont ils sont membresun article intitulé « Enjeux économiques du droit des faillites ». Je propose de lire cette tribune de Christophe Lèguevaques publiée par le Monde. L’avocat toulousain revient sur cette proposition des économistes de renforcer les droits des actionnaires dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire…

Source : Frédéric Dessort (journaliste basé à Toulouse), Ouvertures, 2 aout 2013

L’économie pour améliorer le bien-être général [12/2007]

Une critique est souvent faite à l’économie : tous ses modèles se fondent sur l’hypothèse de choix entièrement rationnels de la part des acteurs, ce que la réalité semble infirmer. Qu’en pensez-vous ?

Jean Tirole : Le modèle de choix rationnel n’est qu’une approximation, utile en première analyse. On peut le comparer à l’idée de gaz parfait en physique. On procède ainsi pour simplifier un problème, et ensuite introduire, si besoin, des déviations par rapport à cette situation idéale. Il est évident que les choix des acteurs ne sont pas entièrement rationnels, qu’ils peuvent par exemple agir contre leur propre intérêt. Mais nous savons de mieux en mieux modéliser ces phénomènes grâce au dialogue, entamé il y a une vingtaine d’années, entre économie et psychologie. On connaît par exemple la manière dont une personne arbitre entre un plaisir pour aujourd’hui et un coût pour demain. Manger gras ou sucré, fumer, rouler trop vite, dépenser plutôt qu’épargner : de très nombreuses situations quotidiennes relèvent de ce schéma, marqué par l’absence de cohérence temporelle ce que je fais aujourd’hui n’est pas cohérent avec ce que je souhaite pour demain, que les psychologues décrivent précisément. À ce sujet j’attends beaucoup des neurosciences, en particulier de l’imagerie cérébrale qui permet de voir les régions du cerveau activées lorsque l’on fait un choix. 

En quoi ces recherches, simples dévoilements de mécanismes cérébraux portant sur des phénomènes psychologiques bien décrits par ailleurs, sont-elles utiles à l’économie ?

Jean Tirole : Je vous accorde que le rapprochement entre économie et neurosciences est un pari, une voie à explorer, qui n’a pas encore permis d’avancées importantes. Mais à terme j’attends beaucoup des spécialistes du cerveau pour qu’ils nous aident à préciser dans quelles circonstances un individu se comporte plutôt de manière rationnelle, ou au contraire, selon d’autres règles. J’attends beaucoup aussi de l’élucidation des mécanismes qui font que l’on accorde sa confiance à une personne ou une institution, car la confiance joue un rôle très important dans les phénomènes économiques. Ces recherches devraient nous aider à affiner nos modèles, en précisant les domaines dans lesquels l’hypothèse du choix rationnel est pertinente, et ceux dans lesquels elle demande à être nuancée.

Mais oui, vive la neuroscience qui va nous permettre de comprendre pourquoi on n’est pas rationnels – genre pourquoi on donne, on aide, bref, on est est humains….

Comment passer de ces choix individuels au niveau microéconomique, au fonctionnement social dans son ensemble, au niveau macroéconomique ?

Jean Tirole : L’opposition entre micro- et macroéconomie est aujourd’hui dépassée. Un consensus s’est formé autour de l’idée que les phénomènes microéconomiques fondent les phénomènes macroéconomiques.

Ah ben, s’il le dit alors… Fin du débat !

Autre critique, celle portée par le mouvement des économistes contre la pensée unique* s’insurgeant contre le rôle excessif de la formalisation mathématique. Elle aboutit, selon eux, à une coupure avec la réalité…

Jean Tirole : Je regrette que ce mouvement comprenne mal l’économie telle qu’elle se pratique aujourd’hui. L’argument de la coupure avec le réel me semble complètement infondé : les problèmes dont nous nous occupons sont très concrets, mais ne peuvent être résolus que par un détour par l’abstraction pour permettre l’élaboration de modèles. Mais nous ne quittons jamais le réel. L’économie est une science à la fois positive, qui décrit le comportement des individus et des groupes, et normative, qui propose des moyens d’améliorer le bien-être général.

C’est beau… Décembre 2007, un visionnaire le gars…

L’économie est tournée vers la prise de décision publique, ce qui explique son succès. 

Tu m’étonnes (puisqu’il vit de ça) ! Et les succès des politiques publiques depuis 20 ans surtout !

Source : La Recherche, 12/2007

La concurrence ne doit pas être une religion. J’y suis favorable, mais il s’agit d’un moyen et non d’une fin [01/2008]

Vous avez également beaucoup travaillé sur les « monopoles naturels » que sont par exemple l’électricité, les télécommunications, la poste. L’introduction de la concurrence est-elle toujours bonne à prendre ?
La concurrence ne doit pas être une religion. J’y suis favorable, mais il s’agit d’un moyen et non d’une fin. L’introduction de la concurrence est un bienfait lorsqu’elle suscite l’apparition de produits nouveaux, fait baisser les prix, oblige l’opérateur historique à sortir de sa torpeur. Mais, mal conçue, elle peut tout aussi bien avoir des effets néfastes. 

Purée, prix Nobel le gars… Il faudra que je pense à postuler l’année prochaine…

On vous doit aussi depuis une dizaine d’années des travaux à la lisière de l’économie et d’autres sciences humaines. Vous vous intéressez particulièrement à la psychologie économique, champ de recherche qui met en question les postulats de l’Homo œconomicus…
La théorie économique considère généralement que les gens sont rationnels, qu’ils maximisent leur utilité, alors qu’en pratique ils ne le font pas toujours. Elle suppose par ailleurs que l’information est toujours utile, alors qu’en pratique, les gens peuvent refuser d’acquérir de l’information, avoir des croyances tout à fait sélectives, s’enferrer à conserver des croyances erronées sur eux-mêmes ou sur la société.
Il existe par exemple de véritables tabous dans la vie économique. Faut-il créer un marché pour les organes humains ? Certains, comme l’économiste Gary Becker, le pensent. N’est-il pas absurde, avance-t-il, que des gens meurent en raison d’une pénurie d’organes ? Ne sauverait-on de nombreuses vies en acceptant que les organes soient rémunérés ? Pourtant, à défendre de telles propositions, les économistes sont souvent considérés comme des gens immoraux. Cela dit, les tabous sont utiles, dans la mesure où ils signalent toujours des problèmes sensibles. Mais ils ont aussi un coût important. Certaines réformes économiques favoriseraient le bien-être général, mais se heurtent à des blocages psychologiques.  .

Ils sont cons ces humains quand même…

Voulez-vous dire que les croyances sont des rigidités qui empêcheraient les sociétés ou les individus d’atteindre un optimum ?
Ce n’est pas toujours le cas. Les individus ont par exemple souvent intérêt à entretenir une bonne image d’eux-mêmes, en demeurant imperméables aux informations qui menaceraient une telle croyance. Platon pensait qu’il est toujours mauvais de se mentir à soi-même. Depuis le xxe siècle, les psychologues considèrent de leur côté que l’estime de soi est importante. Roland Bénabou et moi avons proposé un modèle saisissant l’impact de telles croyances. Considérons un individu qui voudrait entreprendre quelque chose. Nous avons trouvé que vouloir préserver à tout prix une bonne estime de soi est bénéfique pour celui qui a une forte tendance à la procrastination (remettre au lendemain…), car cela le motive à sortir de sa léthargie. En revanche, celui qui en souffre peu risque d’entreprendre des activités trop ambitieuses lorsque ses croyances sont trop optimistes : celui-là ferait mieux d’écouter Platon !

Ouahou, impressionnant… Elle  a couté cher l’étude ?

Qu’est-ce que l’économiste peut apporter au psychologue ?
Il peut contribuer à comprendre certains comportements et aider à engendrer des comportements prosociaux. Il apporte aussi sa connaissance des interactions interindividuelles. J’ai par exemple travaillé avec R. Bénabou sur les idéologies. Si vous interrogez des Américains sur l’origine de la réussite individuelle, ils répondent unanimement : c’est l’effort. Les pauvres ne font pas exception : lorsque, dans les enquêtes d’opinion, on leur demande s’ils méritent leur situation, la plupart répondent oui. On trouve le biais opposé en Europe : la réussite s’explique toujours par les circonstances, la chance, les relations, etc. R. Bénabou et moi avons essayé de comprendre pourquoi. Notre réponse est que l’on a souvent intérêt à adopter les mêmes croyances que les autres membres de la société. S’ils croient que l’effort détermine la réussite, ils ne votent en général pas en faveur de politiques très redistributives car elles risqueraient de décourager l’effort. Du coup, les individus n’ont pas de filet de sécurité auquel se raccrocher et ils ont tout intérêt à se convaincre que l’effort paie, sans quoi ils vont au-devant de grosses difficultés. Inversement, si vous vivez dans une société où la plupart des gens pensent que la chance l’emporte, alors la redistribution est nécessaire, mais dans ce cas, bénéficiant d’un filet de sécurité, vous n’êtes pas obligé de vous convaincre que l’effort paie.

Et ?….

Source : Scienceshumaines.com, 01/2008

On a donné le mauvais exemple [06/2008]


Jean Tirole (TSE) : “On a donné le mauvais… par debateco

Source : l’Expansion, 06/2008

Vidéo [01/2009]


Jean Tirole, directeur – Ecole d’économie de… par easybourse

L’économie de marché a été et restera le moteur de croissance et de bien-être des nations [12/2008]

En quoi la crise économique actuelle est-elle plus ou moins grave que celle de 1929 ?

La crise actuelle est très grave, mais ne peut cependant pas être comparée avec la crise de 1929. Premièrement, elle est de nature différente. Elle est pleinement systémique dans un univers financier largement interconnecté. Deuxièmement, l’amélioration de la compréhension économique et des politiques publiques implique que certaines erreurs commises pendant la crise de 1929 ne seront pas réitérées. L’assurance chômage et l’assurance dépôt vont atténuer quelque peu les effets de la crise. Enfin, les comportements nationalistes des années trente ont apporté une démonstration éclatante des méfaits du protectionnisme et on peut espérer que la leçon aura été apprise.

N’importe quoi… On voit bien le dogmatique écrasant le scientifique/historien…

N’est-ce pas d’abord une crise du capitalisme ?

L’économie de marché a été et restera le moteur de croissance et de bien-être des nations. Mais pour bien fonctionner, l’économie de marché a besoin de régulation pour pallier certaines défaillances de marché et rétablir une bonne responsabilisation des acteurs économiques. Ce qui est en cause aujourd’hui, c’est une mauvaise conception des régulations financières et un grand laxisme dans leur mise en œuvre. D’où la nécessité de réformes en profondeur, y compris sur le plan institutionnel. [...]

Comment justifier le don d’argent public à des banques, des dirigeants qui ont failli, sans contrepartie ?

Donner de l’argent sans contrepartie et en gardant les dirigeants ayant failli était surtout l’apanage du plan Paulson de septembre, aujourd’hui abandonné. Les autres politiques adoptées ont heureusement demandé des contreparties. En cas de renflouement en situation de faillite, il faut évidemment ne rien laisser aux actionnaires (qui n’auraient rien touché autrement), et sauf raison exceptionnelle, écarter les dirigeants.

Amen

Quelles sont les solutions pour en sortir ? L’arrivée d’Obama est-elle une chance ?

Je préconise un certain nombre de réformes : une transparence accrue permettant aux superviseurs de comprendre les expositions des institutions financières qu’ils régulent, en encourageant les échanges de produits financiers standardisés et l’utilisation de chambres de compensation ; la régulation des agences de notation ; la refonte du système prudentiel ; et la création d’un superviseur européen indépendant logé auprès de la BCE.

Ah oui, du très très lourd, une sacrée réforme du système, ou je m’y connais pas !

Le changement d’administration américaine est une chance pour la réforme, avec un président beaucoup plus sensible au contexte international et une équipe d’économistes nettement plus compétente. Ceci dit, la fenêtre de tir pour obtenir des réformes est brève.

Purée, qu’est-ce que cela aurait été alors…

Source : LaDépêche.fr, 12/2008

Ces crises sont les symptômes d’une défaillance des institutions étatiques [12/2012]

Enjeux Les Echos – Quelles leçons les économistes tirent-ils de la crise ?
Jean Tirole – Tout d’abord, la crise financière de 2008 et la crise de l’euro ont toutes deux pour origine des institutions de régulation défaillantes : de supervision prudentielle dans le premier cas, de supervision des Etats dans le second. Dans les deux cas, le laxisme a prévalu tant que « tout allait bien » ; la prise de risque par les institutions financières et par les pays fut tolérée jusqu’à ce que le danger devienne trop évident. Contrairement à ce que l’on pense souvent, ces crises ne sont pas techniquement des crises du marché - où les acteurs réagissent aux incitations auxquelles ils sont confrontés et, pour les moins scrupuleux, s’engouffrent dans les brèches de la régulation pour bénéficier du filet de sécurité public – mais plutôt les symptômes d’une défaillance des institutions étatiques nationales et supranationales. [...]

Ah oui, c’est jamais la faute des marchés ou du système – c’est pas comme si le politique était à la botte du lobby financier actuellement…

L’efficience des marchés est-elle remise en cause ? Avec quels amendements ?
J. T. – La vision selon laquelle les économistes ont une confiance illimitée dans l’efficience des marchés financiers a trente ans de retard. [...]

Pour autant, ces recherches n’ont pas permis de prévoir la crise…
J. T. – Effectivement, si la recherche a fourni les clefs d’une compréhension des facteurs menant à la crise, elle a eu moins de succès à la prévenir. Ceci nous interpelle bien sûr. A mon avis, trois facteurs ont contribué à cet état de fait. Tout d’abord, la quasi-totalité des chercheurs n’a pas conscience de l’étendue des risques qui étaient pris, par exemple les engagements hors-bilan à travers les conduits, ou la taille et les corrélations des contrats de gré à gré.

Merde, ils ne savent pas lire les comptes annuels d’une banque (où figure AUSSI le hors bilan) ?

Consiel : au pire, qu’ils consultent 2 fois par an le site de la Banque des Règlements Internationaux :

encours mondial de produits dérivés OTC

Ensuite, la diffusion de ces nouvelles connaissances a été très parcellaire ; la faute en incombe à la fois aux chercheurs, qui n’ont pas toujours fait le nécessaire pour, et aux décideurs, parfois peu concernés par l’économie quand tout va bien. Enfin, quelques économistes exposés à des conflits d’intérêt ont parfois survendu les vertus des marchés de gré à gré, ou sous-estimé l’importance de la régulation financière.

Quelle est la « bonne finance » ? 
J. T. - La finance est un élément indispensable de l’économie : elle permet le développement des entreprises – PME, start-up, groupes du CAC40 – et leur offre la possibilité de couvrir leurs risques. Elle fait de l’intermédiation entre des épargnants peu informés et les emprunteurs. Enfin, elle participe à une réallocation des fonds disponibles vers les entreprises qui feront le meilleur usage de ces fonds.
Ceci dit, elle peut être dysfonctionnelle. Ici, il s’agit de bien distinguer entre la finance utilisée par des acteurs sophistiqués et ne présentant pas de dangers pour les petits épargnants et les deniers de l’Etat, et celle qui justement requiert une régulation attentive. Que Warren Buffett désire faire un pari sur un produit dérivé complexe ou une entreprise à risque n’est pas en soi un sujet d’inquiétude.

Ben voilà le souci : oui, les paris sur les prix de Warren Buffet, ça pose un GROS problème de stabilité, surtout quand avec ses amis, ils atteignent des dizaines de milliers de milliards de dollars de paris entrecroisés… Alors oui, il n’y a pas d’inquiétude quand tout va bien, mais c’est juste la faillite généralisée quand une grosse institution tombe…

C’est comme pour vous : aucun souci finalement à parier 100 000 € avec plusieurs fois avec plein de vos amis. Sauf si un fait faillite, et ne peut vous verser les 100 000, ce qui vous met en faillite, ce qui vous empêche de payer les 100 000 e que vous deviez, etc

Source : Les Echos, 1/12/2012

Je ne vois pas de crise mondiale grave [01/2012]

LE FIGARO.- Quelles sont les causes profondes de cette crise?

Jean TIROLE.- Je ne vois pas de crise mondiale grave, si ce n’est au niveau de l’environnement.

Énorme… Janvier 2012 !!!

La crise de la zone euro a deux causes principales.

L’existence de l’euro ?

D’abord, les pays les plus touchés font face à un double problème de dette et de compétitivité. N’ayant pas mis en œuvre les réformes structurelles

les réformes, les réformes, les réformes !

et ayant laissé les salaires augmenter beaucoup plus vite que la productivité, les pays d’Europe du Sud ont vu leur compétitivité considérablement réduite au cours de la dernière décennie.

C’était tellement imprévisible en plus après ces décennies de bonne gestion publique…

Grèce, Italie, Portugal, Espagne et Irlande ont perdu de 20 à 30% de compétitivité par rapport à l’Allemagne en dix ans. Ensuite, la crise s’explique par la faiblesse des institutions européennes. Le Conseil EcoFin, en charge du respect de la règle des 3% du PIB maximum pour le déficit budgétaire et 60% pour la dette publique, est trop politique et n’exerce pas une pression suffisante sur les États. De fait, aucune sanction n’a jamais été appliquée en dépit de 68 violations de la règle de déficit excessif. Il faut créer en Europe un contrôle budgétaire indépendant.

Comment résoudre ce problème de compétitivité?

Les options pour restaurer la compétitivité et l’emploi sont maigres et peu attrayantes. Une dévaluation nominale (une inflation élevée et une dévaluation de la monnaie, NDLR) est exclue en raison de la monnaie commune. Une désinflation compétitive, c’est-à-dire une réduction substantielle des prix et des salaires, nécessiterait beaucoup de coordination au sein de chaque pays et est peu imaginable en Europe du Sud. Enfin, une dévaluation fiscale (augmentation de la TVA et baisse des charges sur les salaires, NDLR) nécessiterait une augmentation drastique de la TVA dans des pays parfois déjà enclins à l’évasion fiscale.

Et… ?

L’Europe réagit-elle bien à cette crise?

Les institutions européennes ont eu une gestion discutable. Elles ont tenté de rejeter la responsabilité sur les marchés et les agences de notation, qui certes ne sont pas au-dessus de tout soupçon, mais ne sont pas à l’origine de la crise. Elles ont appliqué des stress tests cléments pour les banques. Enfin, les responsables politiques européens ont été indécis sur qui va payer la facture en cas de défaut souverain: les États ou le secteur privé?

Et… ?

Êtes-vous favorable à une règle d’or?

Ces règles sont utiles, même si elles soulèvent des questions complexes de conception et d’exécution. À cet égard, le sommet du 9 décembre 2011 est encourageant, car il appelle à une règle d’or contraignante, des sanctions automatiques et l’application par la Cour européenne de justice.

Faire condamner un État par la Cour de Justice, il trouve donc ça bien, et ne voit aucun problème politique…

Le plus important consiste à créer des conseils budgétaires indépendants, dont les avis sont respectés et servent de base aux prévisions budgétaires et à l’évaluation de la soutenabilité de l’endettement d’un pays. C’est ensuite aux cours constitutionnelles, telles que celle de Karlsruhe en Allemagne, de faire respecter ces règles. Ce qui exige de renforcer leur expertise économique.

Et oui, les “économistes” vont former les juges, c’est important, ils font n’importe quoi sinon…

L’une des clés pour la réussite d’une règle d’or est un soutien politique et populaire de la discipline budgétaire,

Bah oui, facile…

qui requière un effort soutenu dans la durée. Des pays comme la Suède, l’Allemagne ou le Chili bénéficient d’un large consensus en la matière et leurs réformes ont été en grande partie bipartisanes.

Comment sortir de la crise?

Avec la crise, la perte d’influence de l’Europe va s’accélérer, les pays émergents comme la Chine et l’Inde prenant de toute façon à terme une partie du leadership. Mais on peut être petit au niveau économique et se porter bien en termes de pouvoir d’achat! C’est le cas de la Suisse et de la Finlande. L’important est de donner confiance dans la capacité de l’Europe du Sud à relancer sa croissance. Nos pays doivent faire plusieurs types de réformes pour rééquilibrer leurs budgets. L’Europe du Nord a mené des réformes de compétitivité et des réformes du marché du travail sans casser la solidarité sociale: on a protégé le salarié et non le travail lui-même!

Une telle réforme du marché du travail suppose de remplacer CDD et CDI par un contrat unique offrant une flexibilité aux employeurs, qui parallèlement doivent être responsabilisés et payer une taxe de licenciement. Des réformes structurelles doivent encourager la concurrence dans quelques secteurs protégés cités dans le rapport de la commission Attali. Il faut aussi encourager notre économie de la connaissance basée sur la recherche, l’innovation et les savoir-faire. Ou on mène ces réformes et instaure en parallèle une discipline budgétaire, tant au plan national qu’européen, ou nos États risquent de perdre leur souveraineté en perdant leur statut d’emprunteurs fiables.

Une nouvelle théorie pourrait-elle naître des difficultés à donner des réponses à la crise?

La nouveauté théorique va être de comprendre quelle combinaison définir entre solidarité et responsabilisation des États européens. La nécessité d’instaurer cette nouvelle construction économique en Europe génère de nouvelles réflexions sur les mécanismes de solidarité étatiques: dans quelle mesure les États doivent-ils se porter garants les uns des autres? Est-ce qu’ils doivent émettre des obligations en partie communes? Quels mécanismes d’assurance devons-nous mettre en place avec le reste du monde? Nous travaillons à cette solidarité nouvelle des États européens.

Amen

Attention, le gars, il fait de la SCIENCE HUMAINE ECONOMIQUE, pas de la politique, hein !

Source : Le Figaro, 01/2012

Il faut aller plus loin dans les abandons de souveraineté [2012]

LA TRIBUNE - Quelles réflexions vous inspirent les récents développements de la crise de la dette en Europe?

JEAN TIROLE -  Sur cette question de la dette, on n’a pas voulu voir suffisamment tôt que la dette souveraine, contractée par les États, et la dette privée, contractée par les banques, devaient en fait être considérées comme un tout. La dette privée bancaire est en réalité de la dette publique : si les banques sont fragilisées, les États le sont aussi, et inversement. Or, pendant des années, nous n’avons raisonné, pour déterminer le niveau d’endettement des pays de la zone euro, que sur la dette souveraine. Les critères de Maastricht ne concernent que la dette publique et pas les dettes contingentes comme les retraites à verser ou la dette bancaire. S’ajoute à cela un problème de régulation : concernant la dette bancaire, cette régulation s’exerce au niveau des États.

Si un problème de surendettement des institutions financières survient, comme cela s’est produit en Espagne ou en Irlande, aucun autre État membre de la zone euro ne peut intervenir. Je vous rappelle que les difficultés de l’Espagne et de l’Irlande ont eu en partie pour origine une fragilité bancaire. Si le déficit irlandais est passé brutalement de 12% à 32% du PIB en 2010, c’est bien parce qu’il a fallu renflouer les banques. Je suis convaincu que c’est la première leçon que l’on va tirer de cette crise : il est nécessaire d’établir une régulation bancaire au niveau européen. Les dix-sept autorités nationales ont un budget limité, et n’ont pas des équipes capables de rivaliser avec celles des grandes banques. Elles peuvent aussi fermer les yeux face à une bulle immobilière ou autre. Tout cela plaide pour la constitution d’une seule autorité bancaire en Europe. Or, même si l’on a créé plusieurs institutions de niveau européen, comme l’Autorité bancaire européenne (EBA) ou le Conseil européen du risque systémique (ESRB), la supervision prudentielle des banques reste encore marquée par la règle du pays d’origine.

La régulation au niveau d’un État est un problème. Solution : la régulation au niveau du super État. Imparable…

LT – Que faire, alors?

JT – Il faut aller plus loin dans les abandons de souveraineté.

Attention, le gars, il fait de la SCIENCE HUMAINE ECONOMIQUE, pas de la politique, hein !

Des abandons consentis, gérés, qui vaudront mieux que des abandons contraints auxquels nous exposerait une crise financière majeure. Il faudrait créer des autorités budgétaires indépendantes qui fassent des prévisions de croissance réalistes, et qui analysent le budget et le hors-bilan de l’État grâce à des spécialistes de ces sujets. Et ces agences auraient pour mission d’informer le Parlement, l’opinion publique, le Conseil constitutionnel et la Cour de justice européenne. Ce type d’institution existe dans certains pays, comme la Suède, et n’a pas pour vocation de s’immiscer dans le détail des choix budgétaires, mais de veiller à ce que les grands indicateurs et le plan de marche de contrôle de la dette et des déficits soient suivis.

LT – Comment analysez-vous la stratégie de la Banque centrale européenne dans cette conjoncture?

JT – Elle n’a pas tellement de choix: à partir du moment où le système bancaire est fragilisé, elle doit maintenir les taux d’intérêt à des niveaux très bas. Les institutions financières dans leur ensemble ont beaucoup emprunté à court terme. Dans ces circonstances, toute remontée des taux aurait des effets catastrophiques. Et toutes les banques centrales sont dans cette situation.

Or, cela a un coût. Un taux de 0% n’est pas un taux naturel. Il provoque une redistribution très forte vers les emprunteurs au détriment des épargnants ; et il encourage les institutions financières à emprunter à très court terme, pérennisant la situation de fragilité du système financier.

Elles n’ont pas le choix, mais ce n’est pas le bon. J’adore ce système…

LT – Comment sortir de cette situation?

JT – Il est nécessaire que la confiance revienne en Europe et dans la zone euro.

Y’a qu’à, la situation est rose, et en plus, on est bien gouvernés…

C’est la seule façon de faire diminuer les « spreads ». Des spreads maintenus de 6 à 10 % au sein de la zone euro, c’est la faillite assurée.

Du béton ce système, on vous dit !

Cela affecterait en effet la solvabilité d’un certain nombre d’États, comme l’Italie, dont les fondamentaux économiques ne sont pas mauvais (hormis certains aspects structurels comme l’absence de réforme du marché du travail) mais qui serait emportée si les taux auxquels elle emprunte restaient élevés ou se mettaient à monter.

Mais à part ça, les fondamentaux sont géniaux !

En fait, pour un certain nombre de pays, les crises de liquidité (l’accroissement mécanique de l’endettement sous l’effet de spreads élevés) et de solvabilité s’ajoutent.

LT – Vous parlez de confiance et non de croissance?

JT – La croissance est nécessaire, tout le monde est d’accord là-dessus.

T’as raison Gaston !

Un génie visionnaire le gars…

Ce qui est moins clair, c’est le type d’outils que l’on utilise. On aura beau manier dans tous les sens les concepts d’euro-obligations ou de « project bonds », il faudra bien à un moment ou à un autre, contrôler l’endettement et engager des réformes structurelles, par exemple du marché du travail.

Les réformes, les réformes, les réformes…

Vous notez, pour notre génie national, en fait, il n’y a qu’un problème : le fait de ne pas pouvoir mettre les gens dehors du jour au lendemain – les USA nous montrant au quotidien à quel Eden on aboutit quand enfin, on a REFORMÉ. Tous les autres problèmes sont tout à fait marginaux à côté, comme :

Globalement, on peut dire que l’Europe du nord est beaucoup plus flexible, elle protège moins l’emploi que la personne alors que l’Europe du sud est dans une logique totalement contraire, ce qui explique les taux de chômage très importants et surtout le chômage de longue durée. Bien sûr, ce sont des réformes difficiles à réaliser, surtout lorsqu’il faut les faire en pleine crise économique. Mais cela n’empêche pas de s’engager à les mettre en oeuvre, dans une période de temps raisonnable, de trois ou quatre ans. On pourrait ainsi imaginer, comme je l’ai proposé il y a déjà quelque temps dans un rapport écrit avec Olivier Blanchard [l'économiste en chef du FMI, ndlr] d’imposer à l’entreprise qui licencie d’acquitter une taxe basée sur la durée au cours de laquelle le salarié concerné reste au chômage.

LT – Que voulez-vous dire quand vous parlez de protéger le salarié et non l’emploi?

JT – Aujourd’hui, en France, l’employeur ne paye pas le coût du chômage pour les Assedic quand il licencie, mais il le paye pour les autres entreprises qui licencient. Par ailleurs, on a donné au juge un pouvoir d’appréciation sur les licenciements, alors qu’il n’a pas l’information pour se substituer au dirigeant d’entreprise. Une taxe de licenciement aurait donc une triple vertu?: celle de responsabiliser les entreprises en faisant payer les cotisations chômage aux entreprises qui licencient plutôt qu’à celles qui gardent les salariés, celle d’arrêter de confier une mission impossible aux prud’hommes et tribunaux, et celle d’obliger l’entreprise à former ses salariés de telle sorte qu’ils restent le moins de temps possible au chômage quand un licenciement est nécessaire nos institutions encouragent la création de CDD et découragent celle de CDI ; elles sont défavorables à l’emploi.

Crime de lèse majesté, et en plus, ils sont cons ces juges…

LT – Pour revenir à la confiance au sein de la zone euro, quelle est votre opinion sur les euro-obligations?

JT – Une euro-obligation, c’est une obligation souveraine assortie d’une responsabilité mutuelle de rembourser les investisseurs. Si l’un des États fait défaut, les autres payent. Il est certain qu’une garantie européenne sur la dette souveraine aurait des vertus. Les euro-obligations sont une piste. [...] . Dans les circonstances actuelles, l’Allemagne porterait en quelque sorte le risque ultime

une piste pour la guerre en Europe ?

LT – On parle beaucoup d’une troisième opération de refinancement à long terme de la BCE, qui pourrait être annoncée le 6 juin pour apaiser les tensions en Europe du sud. Quel bilan tirez-vous de ces opérations de LTRO? Jusqu’où et combien de temps la BCE peut-elle intervenir ainsi?

JT – Il n’y a malheureusement pas d’autre solution dans le court terme.

Pas d’alternative ! Arrêtez de voter d’ailleurs braves gens, c’est dangereux…

Il faut gagner du temps et mettre en oeuvre les réformes nécessaires.

les réformes, les réformes, les réformes…

Mais c’est aussi une solution de facilité qui repousse les échéances tout en augmentant le risque pour les contribuables européens, garants implicites des pertes de la BCE. Se pose la même question que pour les euro-obligations : quel sera l’intérêt de l’Allemagne et de l’Europe du nord de venir toujours plus à la rescousse des pays de l’Europe du sud?

Et… ?

La volonté politique de construction européenne, essentiellement, ainsi que des intérêts économiques dans les pays exposés expliquent que bon gré mal gré l’Allemagne ait fait jusqu’ici preuve de solidarité.

euh, en prêtant un peu d’argent, sans en donner ? solidarité ?

Il est difficile de prédire jusqu’où elle acceptera d’aller. Mais le scénario inquiétant est très clairement celui de défaillance d’un grand pays (Espagne ou Italie) entraînant toute l’Europe du sud dans une tourmente que même l’Allemagne ne saurait arrêter en se portant garante.

du béton ce système !

Même en excluant le scénario catastrophique d’une sécession monétaire de l’Europe du nord, la BCE serait alors obligée de permettre à l’Europe une monétisation de sa dette, avec des effets très défavorables pour les ménages les plus modestes et une perte de crédibilité sérieuse pour tous nos pays.

LT – Comment voyez-vous l’avenir de la zone euro?

JT – Je suis convaincu que l’Europe a davantage besoin de discipline à long terme que d’austérité à court terme.

Oh oui, fais nous rêver Jeannot !

L’austérité peut conduire à des conséquences très dommageables, compte tenu des taux de croissance actuels et du nombre de chômeurs. Mais, les promesses faites par les hommes politiques de revenir à une discipline budgétaire stricte dans les quelques années qui viennent manquent de crédibilité, d’où l’insistance d’organisations comme l’Union européenne ou le FMI de voir la mise en oeuvre de plans contraignants.

Le véritable défi que doivent relever les pays européens, c’est de convaincre les investisseurs qu’ils sont réellement décidés à opérer des réformes structurelles.

les réformes, les réformes, les réformes ! (euh, mais lesquelles au fait ?)

Ainsi les pays de la zone euro doivent-ils aussi accepter de tirer les leçons de l’échec du Pacte de stabilité et de croissance en acceptant des abandons de souveraineté, par le biais de la création d’autorités budgétaires totalement indépendantes et d’une régulation financière et bancaire au niveau européen.

Pour ceux qui n’auraient pas compris… Donc le pouvoir aux experts en Europe !

Source : LaTribune, 2012

Laurent Mauduit sur Mediapart, 13/10/2014

“Il y a une autre explication à la déception que ressentiront beaucoup d’économistes, qui tient à la personnalité même du récipiendaire. Car Jean Tirole est à l’origine – et toujours à la direction– de l’École d’économie de Toulouse, qui est la tête de pont au sein de l’université française des courants de pensée libéraux ou ultralibéraux en économie. Plus que cela! C’est lui, effectivement, qui a joué les précurseurs pour inviter la monde de la finance à sponsoriser la recherche économique.”

Jean Tirole publié par les-crises

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P.P.S. bien sûr, les journaux ne se sont pas appesantis sur tout ça :

Libération

Le Monde en pâmoison (si c’est le Nobel qui le dit !) :

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Macron aussi (il nous prend encore pour des couillons avec sa régulationdesmarchés) :

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Source: http://www.les-crises.fr/hommage-jean-tirole/