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AFP : “Svoboda, un parti d’extrême-droite rodé aux affrontements”

Thursday 4 February 2016 at 02:30

Je ressors ce billet du coup… L’AFP finit par dire clairement la vérité sur l’Ukraine, mais plus d’un après…

Il me semble que je n’ai pas dit grand chose de plus que ce qu’il y a de décrit ici et qui m’a valu tant de quolibets…

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Je vous avoue que j’attendais ce moment depuis un an et demi.

Vu la personnalité de Svoboda, j’attendais le moment où nos médias finiraient par cracher la vérité, en reprenant en gros ce que nous disons sur ce blog depuis le début.

Eh bien c’est fait – et de quelle manière avec LCI TF1  ici (qui fait un copier coller d’une dépêche AFP). Bon, il faut encore décrypter, mais c’est un bon début…

Ce qui démontre que nos médias sont capables de dire la vérité – mais uniquement quand elle arrange le gouvernement – bref, c’est Chomsky de base. CQFD

“Dans une société bien huilée, on ne dit pas ce que l’on sait, on dit ce qui est utile au pouvoir”  [Noam Chomsky]

Source : Alexandre Decroix, pour LCI/TF1, le 31 août 2015.

Mis en cause dans les violences de lundi devant le Parlement à Kiev, le parti Svoboda est un mouvement d’extrême droite autrefois connu pour son antisémitisme avant de s’illustrer dans les protestations du Maïdan et les combats contre les séparatistes prorusses.

Parmi les centaines de manifestants réunis devant le Parlement, les membres de Svoboda étaient de loin les plus nombreux. Tous étaient là pour protester contre le projet controversé de révision constitutionnelle visant à octroyer davantage d’autonomie à l’Est rebelle prorusse, une trahison à leur yeux parce que synonyme d’abandon de la souveraineté de Kiev sur une partie des régions orientales industrielles.

Après les affrontements qui ont fait un mort et une centaine de blessés, le ministre de l’Intérieur Arsen Avakov a immédiatement mis en cause Svoboda. Selon lui, l’homme qui a jeté une grenade de combat en direction des forces de l’ordre et des journalistes a ainsi avoué après son arrestation être un militant de ce parti nationaliste et un volontaire du bataillon Sitch, qui participe aux combats contre les rebelles prorusses dans l’Est.

Créé l’an dernier après le début du conflit armé avec les séparatistes, ce bataillon est composé de volontaires de Svoboda. Il a ensuite été intégré aux forces du ministère de l’Intérieur. Oleg Tiagnybok, chef incontesté de Svoboda, diplômé en chirurgie et en droit et qui s’est illustré dans le passé par des propos antisémites, a pour sa part rejeté ces accusations et fustigé une “provocation organisée par le pouvoir”.

Selon des photos diffusées sur les réseaux sociaux, plusieurs manifestants ont toutefois passé à tabac un membre des forces de l’ordre devant M. Tiagnybok, qui a observé la scène sans intervenir. Des journalistes de l’AFP présents sur place n’ont par ailleurs vu aucun protestataire blessé, même si une trentaine d’entre eux ont été interpellés par la police.

Un mouvement clé du Maïdan

Créé en 1991 sous le nom de “Parti social-national”, avant de devenir Svoboda (Liberté en ukrainien et en russe) en 2004, ce parti revendique 20.000 membres et s’est engagé dans la bataille contre les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine ces seize derniers mois. Dix-neuf de ses membres ont été tués dans les combats, selon son site internet officiel.

Le mouvement, bête noire de Moscou qui qualifie ses militants de “fascistes”, avait déjà pris début 2014 une part active dans les protestations pro-européennes du Maïdan, qui avaient débouché sur le renversement du régime prorusse après une sanglante répression.

Bien entendu, on ne parlera pas des enquêtes occidentales (pas françaises, évidemment, pas de danger) montant qu’une partie des morts a été causée par des manipulateurs, et que la “sanglante répression” a aussi fait officiellement 1 130 polciiers blessés, dont 200 par balle dont 17 morts. 

Svoboda y avait perdu 16 de ses militants, nombre record parmi tous les mouvements politiques impliqués dans la contestation. Un des dirigeants du Parti, qui était vice-président du Parlement à l’époque, avait été filmé par des journalistes en train d’aider à porter des brancards sur lesquels étaient allongés des protestataires blessés au plus fort de la tuerie.

Populaire essentiellement dans l’ouest nationaliste, cette formation n’a réussi à entrer au Parlement ukrainien qu’une seule fois en obtenant 10% des voix aux législatives de 2012 quand beaucoup ont vu dans ce parti un moteur de la résistance au régime prorusse. Des députés de Svoboda n’hésitaient pas alors souvent à en venir aux mains avec leurs collègues prorusses dans l’hémicycle même.

À la faveur du Maïdan, des membres de Svoboda ont obtenu divers postes ministériels dans le gouvernement de transition qui a suivi la fuite du président Viktor Ianoukovitch

LOh, pas grand chose, juste le Vice Premier-Ministre, la Défense, l’Éducation, l’Agriculture, la Jeunesse, l’Écologie… Ah donc, on a une belle révolution démocratique qui met donc des ministres d’extrême-droite au gouvernement, d’un parti avec un leader antisémite et anti-Russes, et pas un seul représentant des russophones de l’Est. Merci, je n’avais pas bien entendu en 2014. Bon, il est vrai que ce genre d’attitude peut évidemment avoir des conséquences graves dans certaines région du pays, mais bon…

, puis l’ont progressivement quitté avant et après leur défaite aux élections législatives d’octobre 2014.

Battus quand même par d’autres nationalistes, hein… Mais pour savoir ça, il faudra attendre 2018…

Le parti nationaliste avait également un temps obtenu la direction du Parquet ukrainien, chargé notamment d’enquêter sur les morts survenues pendant la contestation pro-européenne.

Enquête qui a été menée de main de maitre, comme on se rappelle, toutes les pièces ayant disparu…

Malgré une montée de patriotisme en Ukraine depuis la chute du régime prorusse et le déclenchement du conflit avec les séparatistes, Svoboda n’a obtenu que 4,7% aux législatives de 2014 et ne compte actuellement que deux parlementaires élus à titre individuel. Ce parti a cherché à se rendre respectable après des années marquées par de nombreuses déclarations antisémites.

En 2004, le chef de Svoboda avait été exclu d’un groupe parlementaire plus modéré après avoir évoqué dans un discours public la lutte de l’Armée insurrectionnelle d’Ukraine (UPA) “contre les russkofs, les Allemands, les youpins et autres canailles”.

Le passé et le passif de l’UPA pendant la Deuxième Guerre mondiale est une question controversée en Ukraine, les uns la considérant comme un mouvement armé antisoviétique au sens où elle se battait pour l’indépendance de l’Ukraine, les autres leur rétorquant qu’elle a collaboré avec les nazis.

Et aussi qu’elle a un peu massacré 80 000 civils Polonais, mais on c’est un petit “point de détail” de la seconde guerre mondiale, non ? Mais il est vrai que l’humanité des Russes et d’autres sous-hommes est assez controversée en Ukraine…

Svoboda a en outre maintes fois protesté contre l’organisation de gay prides en Ukraine.

On les voit en effet protester ici contre les homosexuels :

Une vieille habitude, comme quand ils furent “réprimés” par la police Ukrainienne (enfin, je crois) :

Et à l’automne 2011, le parti avait organisé un défilé contre l’arrivée massive de juifs hassidiques (ultra-orthodoxes), qui effectuent chaque année en Ukraine un pèlerinage sur la tombe d’un célèbre rabbin.

Son programme prévoit toujours l’interdiction des avortements, sauf pour raison médicale ou grossesse due à un viol, ainsi que la nationalisation des entreprises “stratégiques”.

Il prévoit d’autres trucs pas mal, le mieux étant quand même les armes nucléaires, mais bon…

* * *
Mais comme l’a dit Laurent Fabius le 11 mars :

“Le parti Svoboda est un parti plus à droite que les autres, [mais il n'est pas] d’extrême droite” [Laurent Fabius, 11 mars 2014, France Inter]

Fabius (à droite), face à l’antisémite d’extrême-droite donc (à gauche) :

Source: http://www.les-crises.fr/afp-svoboda-un-parti-dextreme-droite-rode-aux-affrontements/


Le Congrès a supprimé l’interdiction de financement des néo-nazis de son projet de loi de dépenses de fin d’année, par James Carden

Thursday 4 February 2016 at 01:59

Source : The Nation, le 14/01/2016

Sous la pression du Pentagone, le Congrès a éliminé du projet de loi de dépenses un amendement qui empêchait que des fonds tombent entre les mains de groupes néo-fascistes ukrainiens.

Par James Carden

Le 14 janvier 2016

Recrues du bataillon de volontaires ukrainien, le régiment du bataillon Azov, participant à des tests après un entrainement à la base du bataillon Azov à Kiev, en Ukraine, le 28 novembre 2015. (Photo par STR / NurPhoto)

A la mi-décembre 2015, le Congrès a adopté un projet de loi de dépenses de plus de 2 000 pages pour l’année fiscale 2016. Les deux partis ont rapidement déclaré victoire après l’adoption du package de 1 800 milliards de dollars. Le porte-parole de la Maison-Blanche Josh Earnest a annoncé aux reporters “Nous sommes confiants quant au résultat, principalement parce que nous avons trouvé un compromis sur l’accord budgétaire qui a combattu une large variété d’amendements idéologiques.” Le Bureau du Président de la Chambre Paul J. Ryan a vanté le projet de loi pour ses “64 milliards alloués aux opérations d’urgence à l’étranger” pour, entre autres, “assister les pays européens confrontés à l’agression russe.”

On peut supposer sans risques que l’un des pays qui se trouvera bénéficier de cette mesure générale – en partie censée combattre une “agression russe” – serait l’Ukraine, qui, selon la Maison-Blanche, a déjà reçu 2 milliards de dollars en garanties de prêts, et environ 760 millions de dollars en “assistance de sécurité, programmatique, et technique” depuis février 2014.

Cependant, certains ont exprimé leur inquiétude qu’une partie de cette aide ne parvienne jusqu’aux mains de groupes néo-nazis, tels que le bataillon Azov. L’été dernier, le Daily Beast avait publié une interview par les journalistes Will Cathcart et Joseph Epstein dans laquelle un membre du bataillon Azov racontait “avec plaisir l’expérience de son bataillon avec des entraîneurs et des volontaires américains, mentionnant même des ingénieurs et médecins volontaires qui continuent aujourd’hui à les assister.”

Et ainsi, en juillet de l’année dernière, les membres du Congrès américain John Conyers du Michigan et Ted Yoho de Floride ont établi un amendement au projet de loi de crédits à la défense (HR 2685) qui “limite l’armement, l’entraînement et tout autre forme d’aide à la milice ukrainienne néonazie, le bataillon Azov.” Il a été adopté par un vote unanime de la Chambre.

Et pourtant, une fois venu le mois de novembre, et entamé le débat sur le projet de loi de crédits de fin d’année, la mesure Conyers-Yoho a semblé remise en cause. Et c’était effectivement le cas. Un responsable familier du débat a indiqué à The Nation que le comité des crédits à la défense avait subi des pressions du Pentagone pour supprimer l’amendement Conyers-Yoho du texte du projet de loi.

L’objection du Pentagone à l’amendement Conyers-Yoho repose sur l’affirmation selon laquelle il fait double emploi du fait d’une législation similaire déjà existante connue sous le nom de loi Leahy qui empêcherait le financement d’Azov. Il se trouve que c’est faux. La loi Leahy couvre seulement les groupes pour lesquels le “Secrétaire d’État a une information crédible selon laquelle telle unité a commis une violation évidente des droits humains.” Cependant le Département d’État n’a jamais prétendu avoir de telles informations à propos d’Azov, aussi la loi Leahy ne peut-elle bloquer le financement du groupe. La source du Congrès à laquelle j’ai parlé a fait remarquer que “même si Azov était déjà couvert par Leahy, alors il n’y avait aucune raison de le retirer de la loi finale.” De fait, la loi Leahy ne peut empêcher le financement de groupes, quelle que soit la nocivité de leur idéologie, en l’absence d’”information crédible” selon laquelle ils auraient commis des violations des droits humains. L’amendement Conyers-Yoho était conçu pour remédier à ce manque.

Considérant que l’armée des États-Unis a entraîné les forces armées ukrainiennes et les troupes de la garde nationale, l’amendement Conyers-Yoho avait tout son sens ; empêcher le bataillon Azov ouvertement néonazi de recevoir l’assistance des É-U renforcerait ce que mentionne souvent le président Obama, “notre intérêt et nos valeurs.”

Ces néonazis (ou néofascistes, si vous préférez) sont une tendance distinctement minoritaire en Ukraine de l’ouest, clairement et sans discussion. Dernièrement, cependant, il y a eu des signes troublants qu’ils puissent devenir une force avec laquelle compter. D’après le Jerusalem Post, aux élections municipales ukrainiennes d’octobre dernier, le parti néonazi Svoboda a gagné 10 pour cent des voix à Kiev et est arrivé deuxième à Lviv. Le candidat du parti Svoboda a en fait gagné l’élection à la mairie de la ville de Konotop. Pendant ce temps, Radio Free Europe/Radio Liberty rapportait en novembre qu’Azov gérait un camp d’entraînement exposant des enfants à “l’idéologie d’extrême droite du régiment.”

Il n’est pas clair que le porte-parole de la Maison-Blanche Josh Earnest fasse allusion, en partie, à l’amendement Conyers-Yoho comme un de ces “cavaliers idéologiques” que l’administration a combattus afin de les repousser. Mais il est clair qu’en supprimant cet alinéa anti-néonazi, le Congrès et l’administration ont ouvert la voie au financement américain des éléments les plus nocifs circulant en Ukraine aujourd’hui.

Source : The Nation, le 14/01/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-congres-a-supprime-linterdiction-de-financement-des-neo-nazis-de-son-projet-de-loi-de-depenses-de-fin-dannee-par-james-carden/


1er AfterWork du blog :) BILAN

Wednesday 3 February 2016 at 07:00

EDIT 03/02 : je tenais à remercier les participants à l’Afterwork.

Je suis heureux que la mayonnaise à prise aussi rapidement, et j’ai l’impression que beaucoup ont passé une belle soirée.

C’était en tous cas mon cas :)

Merci en particulier pour l’accueil chaleureux qui m’a vraiment touché.

On va en refaire un rapidement pour les autres.

Quand je vois à quel point les contacts ont été rapides entre vous – il est important de ne pas se sentir isolé -, je vais peut-être rebondir sur la proposition d’un provincial : il pourrait se tenir en même de l’afterwork parisien dans les zones assez denses, sans moi évidemment (mais le but n’est pas non plus de me voir moi… :)  ). Je ne sais pas si certains peuvent être intéressés, mais en tous cas cela ne se fera que si je trouve un volontaire pour coordonner au niveau national… Me contacter si vous vous sentez, on fera peut être des groupes régionaux par la suite…

 

 

EDIT 26/01 : C’est COMPLET, merci beaucoup.

Je demande donc aux seuls inscrits la semaine passée du Doodle de venir (ça ne rentrera pas sinon). Mais on en refera un autre dans 3 à 5 semaines du coup…

Vu le nombre, nous nous retrouverons donc à partir de 19h30 au Café Paris Halles - Adresse : 41 Boulevard de Sébastopol, 75001 Paris – Métro Châtelet/Les Halles, ou bus 69 – Téléphone : 01 40 26 49 19

Enfin, je vous remercie bien entendu de prendre une consommation pour le bar qui nous accueille… :)

 

Suite à plusieurs demandes, je propose aux Parisiens (oui, je sais, c’est un peu injuste pour les autres, comme vous me l’écrivez à raison à chaque fois… Mais les Polynésiens peuvent toujours m’inviter, hein… :) ) de nous retrouver pour prendre un verre (puis dîner pour ceux qui voudront) le 1er février à 19h30, dans le quartier des Halles.

L’idée est de faire connaissance, de discuter du blog et de l’actualité (mais ce n’est pas une conférence, j’en ferai bientôt une quand j’aurai le temps de trouver une salle), de répondre à vos questions, et surtout de faire se rencontrer la communauté qui s’est créée, pleine de gens sympathiques…

J’ajusterai le nombre d’inscrits au fur et à mesure, en fonction du lieu que je retiendrai.

Je communiquerai à la fin de la semaine le lieu publiquement dans une mise à jour future de ce billet ou par mail, selon le succès…

En espérant vous y croiser…

Amitiés

Olivier Berruyer

Source: http://www.les-crises.fr/1er-fevrier-1er-afterwork-du-blog/


Dans le piège de l’État Islamique, par William R. Polk

Wednesday 3 February 2016 at 02:44

Source : Consortiumnews.com, le 17/11/2015

Reportage spécial : l’État Islamique a entamé la “phase 2″ de son plan. Après avoir établi un rudimentaire “califat” en Syrie et Irak (phase 1), il cherche maintenant à provoquer une réaction “fatale” de l’Occident, un piège dans lequel les politiciens “durs” sont en train de tomber, selon l’historien William R. Polk.

Par William R. Polk

A la suite de l’attaque terroriste de Paris, on a réagi comme “le stratège de l’État Islamique” – en supposant qu’une telle personne existe – l’attendait et le souhaitait : un bombardement massif de représailles.

Un stratège sait qu’une telle action militaire occidentale contient sa propre défaite, comme l’ont prouvé les opérations d’Afghanistan, d’Irak, de Libye et ailleurs. Ces réactions prévisibles et exagérées ont non seulement échoué à arrêter les insurgés, mais les ont même aidés à recruter de nouveaux soutiens en blessant des spectateurs non engagés. L’État Islamique a appris la leçon ; pas nos leaders apparemment.

 

Le président Barack Obama réunit son équipe de sécurité nationale pour discuter de la situation en Syrie, dans la salle de crise de la Maison-Blanche, le 30 août 2013. De gauche à droite autour de la table : la Conseillère à la sécurité nationale Susan E. Rice, le procureur général Eric Holder, le Secrétaire d’État John Kerry, et le vice-président Joe Biden. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Pete Souza)

La colère et la vengeance sont émotionnellement satisfaisantes mais elles ne sont pas productives. Le problème que nous rencontrons n’est pas juste de répliquer contre l’État Islamique, ce qui est simple, mais de rétablir une sécurité mondiale à moindre coût. Les premières étapes pour cela sont de comprendre d’où viennent ces extrémistes, pourquoi certains les soutiennent, et ce qu’ils veulent. Alors seulement nous saurons lutter contre eux.

Mais lorsque je lis la presse, que j’écoute les déclarations des chefs d’États et que je regarde décoller les chasseurs bombardiers, je ne vois pas le signe que nos chefs aient trouvé une voie vers la sécurité. Je n’ai pas la satisfaction de trouver, dans ce qui m’est donné à lire ou à entendre, les premières étapes d’une analyse prudente et élaborée. Je propose donc ici, tirant parti de nombreuses années d’observation, quelques réflexions sur le terrorisme et les politiques de contre-insurrection, en me focalisant sur l’ÉI (connu également sous le nom de ISIS, ISIL, Daech ou État Islamique).

Mes commentaires sont de cinq ordres : (1) analyse de nos forces et de celles de nos adversaires ; (2) notre stratégie et la leur ; (3) ce qui motive leurs actions ; (4) le résultat de nos actions ; et (5) les choix qui s’offrent à nous. Je commencerai par nos forces et nos faiblesses puis les leurs :

– Les États-Unis, la puissance occidentale majeure et la Russie ont à leur disposition de vastes services de renseignement qui collectent des informations à travers de nombreux biais (écoutes téléphoniques, interceptions radio, décryptage, images aériennes et satellites et d’autres moyens, parfois plus ésotériques, de filature, d’observation et d’identification des personnes).

De plus, nos services de sécurité continuent d’employer les moyens traditionnels de l’action secrète et ont un budget quasi illimité pour acheter de l’information, pour encourager la désertion ou pour “louer” des loyautés temporaires. De plus, la majorité des personnes au sein de la communauté d’où émanent les attaques souhaiteraient que celles-ci s’arrêtent. Ainsi, notre plus grand avantage réside dans le fait que la vaste majorité des membres de toutes les sociétés concernées ne désirent pas voir leurs vies perturbées. Ils veulent tout simplement vivre en paix.

Choisir son camp

– Les populations locales dans les zones tenues par les rebelles sont sans doute neutres. Mais elles sont prises entre deux feux : l’ÉI et nous. Ce que nous faisons et ce que nous ne faisons pas les fera pencher en faveur d’un camp ou d’un autre. Les “stratèges de l’ÉI” ont compris cela et cherchent à nous pousser à faire du mal ou à effrayer les populations. Dès que possible, beaucoup fuiront le proche danger là où elles le pourront (des centaines de milliers de personnes l’ont fait).

Mais l’arme de prédilection de la guerre contre-insurrectionnelle – le bombardement aérien – fait qu’il y a peu de différence entre “la proximité” et “le lointain”. Les tirs ciblés tuent peut-être les chefs (et les personnes à proximité), mais les bombardements aériens sont plus massifs et moins ciblés. Le “stratège de l’ÉI” sait que plus nos attaques seront massives, plus il y aura de soutiens pour rallier la bannière de l’ÉI.

– Le grand avantage dont jouit l’ÉI c’est la grande asymétrie dans la nature des cibles que chaque protagoniste offre à l’autre : les États modernes et industriels comme les nôtres sont des structures très élaborées et nécessairement complexes, alors que l’organisation de l’ÉI est forcément mobile, peu coûteuse et dispersée. Nous avons perçu ce contraste clairement, avant l’avènement de l’ÉI ; lors des attaques d’al-Qaïda du 11 septembre 2001. Les attaques ont coûté la vie à seulement quelques dizaines de terroristes et ont coûté sans doute moins de 100 000 dollars, mais ont tué plusieurs milliers de victimes et le coût pour l’économie américaine dépasse les 100 milliards de dollars (en comptant les longues guerres qui en ont résulté en Afghanistan et en Irak).

De plus, il faut y ajouter les coûts psychologiques, légaux et politiques. al-Qaïda n’avait pas grand-chose à perdre en termes de légalité ou de moralité, mais ils ont poussé les États-Unis à des actes qui ont affaibli leurs valeurs traditionnelles et créé la défiance de leurs propres citoyens. Pour al-Qaïda, ce fut une victoire acquise à moindre coût.

– La plus grande faiblesse de l’ÉI c’est que la vaste majorité des musulmans veut, comme tout individu, pouvoir “vaquer à ses occupations”, se réunir et consommer, travailler et se divertir, rivaliser et procréer. Ce ne sont pas des fanatiques et ils ne veulent pas finir martyrs ou héros.

En vérité, le “stratège de l’ÉI” n’a pas une très haute opinion de ces gens ordinaires. Dans un document qui décrit la stratégie de l’ÉI – Idarah at-Tawhish (la gestion de la sauvagerie) – le ou les stratèges écrivent :

“Notez que … nous disons que les masses posent des difficultés… nous savons que nous ne pouvons généralement pas leur faire confiance, étant donné la façon dont les impérialistes étrangers et les traîtres locaux les ont formés, et nous comprenons qu’il n’y aura pas d’amélioration pour la population avant la victoire finale. En conséquence notre stratégie est de gagner leur sympathie, ou au moins de les neutraliser.”

Comment le “stratège de l’ÉI” compte-t-il faire cela ? La réponse réside dans un programme socio-politique qui vise à “unir le cœur du peuple” en donnant de l’argent, de la nourriture ou des services médicaux et en fournissant un système judiciaire efficace pour remplacer celui – corrompu – de ses rivaux locaux. Ce programme a enregistré quelques succès, mais il est fragilisé et mis en danger par la violence de l’ÉI et la terreur qu’il suscite.

(On peut considérer que Sayyid Qutb, un théoricien islamiste exécuté en Égypte en 1966, est le philosophe à l’origine de l’Islam fondamentaliste. Ce que j’appelle “le stratège” est peut-être – ou a été – Abu Bakr Naji, il s’agit éventuellement d’un nom de guerre ou même d’un pseudonyme de comité. Pour plus de détails, voir “Comprendre l’Islam fondamentaliste” sur Consortiumnews.com)

Des guerres mal gérées

– Les stratégies euro-américaines et russes contre les guérillas et les terroristes se sont toutes appuyées avant tout sur l’action militaire. Ce fut évident lors de notre campagne en Afghanistan. Les Russes répètent aujourd’hui en Syrie à peu près la stratégie qui fut la leur en Afghanistan, tout comme nous avons nous-même répété notre stratégie du Vietnam lors de notre engagement en Afghanistan. Les É-U, nos alliés et la Russie sont maintenant apparemment embarqués dans la même stratégie générale en Syrie et en Irak.

Les stratégies prétendument plus sophistiquées (comme la formation, les campagnes anticorruption, les programmes “de sécurité”, la création d’emplois, diverses formes de corruption et autres activités économiques) reçoivent assez peu d’attention. La partie la moins discutée est la dimension politique de l’insurrection.

Pourtant, tout du moins selon moi, la réalité de l’insurrection est exactement l’inverse des priorités sur lesquelles nous misons notre argent et mettons nos efforts. Dans mon calcul, lors d’une insurrection, la politique compte sans doute pour 80% du problème, l’administration pour 15% et la composante militaire et paramilitaire ne compte que pour 5%. Un bref regard sur les sommes engagées démontre que nos attributions de fonds, notre action politique, nos compétences administratives et notre puissance militaire se font dans l’ordre exactement inverse.

– Trois raisons expliquent pourquoi cet ordre d’attribution, même s’il a démontré son inefficacité, est toujours employé : la première est l’incapacité des “experts” de la contre-insurrection à comprendre la nature politique de celle-ci ; la seconde est que l’attitude martiale, les roulements de tambours et l’appel à l’action militaire permettent aux dirigeants politiques de se faire remarquer ; et la troisième, c’est que les fabricants d’armes et les travailleurs qui les fabriquent veulent gagner de l’argent.

Sur ce dernier point, le président Dwight Eisenhower avait raison, c’est le monde à l’envers : le complexe militaro-industriel (auquel il faut adjoindre le Congrès corrompu par les lobbies) dirige la vie politique américaine.

Nous n’avons pas besoin de deviner quelle est la stratégie de l’ÉI. Ses chefs nous l’ont dit. La gestion de la sauvagerie (utilisant le terme arabe de tawhish, qui évoque la répugnance, et s’applique à un lieu désolé, hanté de bêtes sauvages, dans lequel il n’y a aucune humanité ni douceur, mais seulement la sauvagerie, la terreur et la cruauté) détaille la campagne à long terme de destruction du pouvoir des États et des sociétés que Daech appelle “les Croisés” – c’est-à-dire les puissances occidentales, que l’ÉI dénonce comme impérialistes – et d’élimination des traîtres qui les soutiennent au sein des sociétés musulmanes.

Les Trois Étapes

– La campagne de l’État Islamique se répartit en trois étapes :

La première étape est de harceler l’ennemi afin de créer un chaos par lequel le pouvoir des forces étrangères et leurs mandataires locaux sont distraits et affaiblis, tandis que les terroristes musulmans et les guérilleros apprennent à se servir de leur pouvoir de manière efficace.

La deuxième étape est “la propagation de la sauvagerie”, qui commence localement par des attaques à faible échelle pour ensuite se métastaser. Des individus et des groupes locaux reprennent la cause, et agissent d’eux-mêmes ou en coordination limitée. Ceux qui mettent à exécution les programmes de l’ÉI le font parce qu’ils en ont adopté les idées, et non parce qu’ils sont dirigés par une autorité centrale.

Pendant que sa campagne se déploie, les ennemis de l’ÉI, en particulier les États-Unis, chercheront à répliquer, mais ils n’y parviendront pas. “L’Amérique ne trouvera pas d’État sur lequel se venger, parce que les seuls États qui restent sont ses clients,” d’après le plan. “Elle n’aura d’autre choix que d’occuper le terrain et d’installer des bases militaires dans la région… ceci la fera entrer en guerre contre les populations locales. Il est évident qu’à ce moment-là cela accélère les mouvements qui favorisent l’expansion djihadiste et crée des vocations chez de nombreux jeunes qui observent les évènements et cherchent un moyen de résistance.

“Ainsi,” poursuit le “stratège de l’ÉI”, la tactique correcte est de “diversifier et d’élargir les frappes de harcèlement partout dans le monde musulman, et même à l’extérieur si c’est possible, afin de disperser les efforts de l’alliance ennemie et ainsi les vider, autant que possible, de leur énergie, de leur volonté et de leurs fonds.”

“Par exemple : si une destination touristique indonésienne prisée par les Croisés est frappée, alors toutes les destinations touristiques dans tous les États du monde devront être protégées par l’emploi de forces additionnelles, ce qui causera une forte augmentation de la dépense.”

Ainsi, dans le cadre de ce plan, l’ÉI a déclaré récemment que ses membres avaient abattu un avion de ligne russe au-dessus du Sinaï, alors qu’il revenait de la station balnéaire égyptienne de Sharm-el-Sheikh au bord de la mer Rouge.

Le plan poursuit : “Si une banque usuraire des Croisés est frappée en Turquie, alors toutes les banques appartenant aux Croisés devront être sécurisées dans tous les pays, drainant ainsi les ressources (c’est à dire le coût de la sécurité).”

“Si des intérêts pétroliers sont frappés près du port d’Aden, d’importantes mesures de sécurité devront être mises en place par l’ensemble des compagnies pétrolières, sur leurs tankers, le long de leurs pipe-lines afin de les protéger, augmentant ainsi les coûts. Si deux des auteurs apostats sont tués dans une opération simultanée dans deux pays différents, ils devront assurer la sécurité de centaines d’écrivains dans les autres pays musulmans.

“Ainsi, il y a diversification et élargissement du cercle des cibles et des attaques, accomplies par de petits groupes séparés. De plus, frapper répétitivement le même type de cibles deux ou trois fois leur montrera clairement que ce type de cibles est vulnérable.”

L’attaque de Paris ne fut pas, comme l’a annoncé le New York Times le 16 novembre, un changement de tactique de l’ÉI ; c’était au contraire un évènement qui s’intégrait parfaitement à sa stratégie à long terme.

“Société combattante”

La troisième étape est constituée de “la gestion de la sauvagerie” afin de créer une “société combattante”. Pour minimiser l’effet de la puissance aérienne de ses ennemis, l’ÉI s’est transformé en État nomade, pratiquement sans frontières. Mais à l’intérieur des zones qu’il contrôle, il a mis en place un programme socio-politique afin “d’unifier le cœur du peuple en fournissant moyens financiers, nourriture et services médicaux et en mettant en place un système judiciaire fondé sur la charia. Sur cette base, il devient possible de créer un État rudimentaire.”

Le “stratège de l’ÉI” a tiré les leçons de la défaite russe en Afghanistan. Comme les Afghans ne pouvaient pas vaincre les Russes dans une bataille rangée, ils ont cherché à provoquer les Russes afin de les obliger à étendre excessivement leurs forces, ce qui les engagea dans un conflit coûteux et sans issue. Ce conflit a acculé l’économie soviétique à la banqueroute, tandis que les méthodes cruelles employées par l’armée Rouge ont coûté à l’Union Soviétique le soutien à la fois de son propre peuple et celui des Afghans. L’Amérique et l’Europe, selon le “stratège de l’ÉI”, peuvent être attirées dans le même piège.

Dans ce combat, le “stratège de l’ÉI” considère la violence comme la stratégie-clé. Elle affaiblit l’ennemi et en même temps agit comme l’école – presque “l’hôpital” social – nécessaire pour transformer les sociétés corrompues actuelles en “véritables croyants” du monde islamique de demain. L’ÉI a pu s’inspirer de Franz Fanon, un psychiatre franco-carribeo-africain, dont le livre, “Les Damnés de la Terre”, a eu une large audience dans le tiers-monde.

Selon Fanon, la violence est “une force régénératrice. … Elle libère l’indigène de son complexe d’infériorité, de son désespoir et de son inaction ; elle le rend courageux et lui rend sa dignité.”

Le stratège de l’ÉI pense la violence dans ces termes, ainsi qu’en termes d’impact sur ses opposants, en écrivant : le djihad “n’est rien que la violence, la cruauté, le terrorisme, la terreur (inspirée aux autres) et le massacre.”

Il doit être conduit sans pitié : “Le djihad ne peut être poursuivi par la douceur. … La douceur est un facteur d’échec dans toute action djihadiste. … Que nous employions la douceur ou la dureté, nos ennemis ne nous épargnerons pas s’ils se saisissent de nous. Donc, il nous est nécessaire de leur donner de quoi réfléchir mille fois avant de s’attaquer à nous…”

“En conséquence, rien ne nous retient de faire couler leur sang ; au contraire, nous voyons que c’est l’une des plus importantes obligations, puisqu’ils ne se repentent pas, qu’ils ne prient pas et ne donnent pas les aumônes (comme l’Islam l’exige). Toutes les religions appartiennent à Dieu.”

Faire “payer l’ennemi” peut être fait partout : “si le régime apostat d’Égypte tente de capturer ou tuer un groupe de moudjahidines (combattants) … les moudjahidines d’Algérie et du Maroc peuvent frapper directement l’ambassade d’Égypte et revendiquer cette action, ou ils peuvent kidnapper un diplomate égyptien jusqu’à ce que le groupe de combattants soit libéré…”

“La politique de la violence exige également que, si les demandes ne sont pas exaucées, les otages doivent être liquidés de la façon la plus atroce, afin de terroriser au plus profond l’ennemi et ses soutiens.”

Comme nous le savons, liquider des captifs de façon atroce est une spécialité de l’ÉI. Mais, si nous regardons l’ensemble des guérillas, nous voyons que cela a été largement pratiqué.

Le petit livre de la guérilla

– La doctrine politico-militaire de l’ÉI que décrit le “stratège” peut être vue comme une version religieuse des guerres dont se réclamaient Mao Zedong et Ho-Chi Minh : une combinaison de terrorisme lorsque c’était la seule option, guérilla lorsque cela était possible quand les zones d’opération étaient sûres, et enfin – lorsque le conflit devenait “mature” – la création d’un État minimal mais belliqueux. Cet enchaînement des faits s’est souvent répété pendant les dix-neuvième et vingtième siècles, comme je l’ai rapporté dans mon livre “Violent Politics”. Cette stratégie est sale, brutale et coûteuse, mais elle a presque toujours réussi. L’ÉI l’a adoptée.

Comme nous le disent les chefs de l’ÉI, de leur point de vue il ne s’agit pas d’un combat “économique, social ou politique” entre des adversaires étatiques pour le contrôle d’un territoire, mais d’une “bataille des esprits,” sous-tendue par une proclamation déterminée de l’Islam. Nous n’avons rien vu de tel dans le monde depuis les grandes guerres de religion en Europe il y a quelque 400 ans.

Pourquoi les nations occidentales plongeraient-elles aujourd’hui dans un tel conflit ? Si nous ne répondons pas à cette question – ou si nous ne sommes pas à la hauteur de la réponse – nous risquons de passer quelques années très douloureuses.

– Le guide de l’ÉI, La Gestion de la Sauvagerie, commence par une analyse du monde dont les musulmans ont hérité des impérialistes et des colonisateurs. Non seulement les musulmans, mais tous les peuples du tiers-monde ont grandement souffert. Et leurs descendants continuent d’entretenir la mémoire de la “destruction de leur âme”. Selon l’ÉI, les grandes puissances et leurs alliés locaux “ont fait plus de victimes que tous les djihads de ce siècle.”

Est-ce seulement une exagération destinée à enflammer la haine de l’Occident ? Malheureusement, non. Que nous nous souvenions de ces évènements ou non, les descendants des victimes, eux, s’en souviennent.

Le souvenir des années qui ont suivi la traversée de l’Atlantique par Colomb devient de plus en plus amer. Alors que les Européens tout d’abord, puis les Américains et les Russes – le monde du “Nord” – ont gagné en puissance relative, ils ont plongé vers le “Sud”, détruisant les États locaux, défaisant les sociétés et supprimant les ordres religieux. L’impérialisme, et l’humiliation et les massacres de masse qu’il a engendrés, bien que largement oubliés par les coupables, sont néanmoins bien présents dans la mémoire actuelle des victimes.

Les chiffres sont ahurissants : dans une région relativement petite d’Afrique, le Congo, où un habitant sur dix est musulman, on estime que les Belges ont tué deux fois plus d’indigènes que les nazis n’ont tué de Juifs et de Roms – 10 à 15 millions de personnes.

Presque aucune société de ce que j’appelle “le Sud” n’est épargnée par le souvenir d’évènements similaires, infligés par “le Nord”. Il suffit de considérer l’histoire militaire récente :

A Java, les Hollandais ont imposé un régime colonial aux indigènes et, lorsque ceux-ci ont tenté de recouvrer leur indépendance, environ 300 000 “rebelles” ont été tués entre 1835 et 1840 ; de même les “rebelles” de Sumatra ont été éliminés entre 1873 et 1914.

En Algérie, après un conflit de 15 ans commencé en 1830, les Français ont volé la terre des locaux, rasé des centaines de villages, massacré un nombre incalculable d’autochtones et imposé un régime d’apartheid aux survivants.

En Asie centrale, les Russes et les Chinois ont appauvri puis expulsé des populations auparavant prospères. Alors dans une âpre guerre dans le Caucase, les Russes, comme le raconte Tolstoï, ont éliminé des sociétés tout entières.

En Inde, après une tentative de révolte en 1857, les Britanniques ont détruit l’Empire moghol et ont tué des centaines de milliers d’Indiens. En Libye, les Italiens ont tué environ les deux tiers de la population de Cyrénaïque.

Anciens et nouveaux griefs

On pourrait considérer que tout cela appartient au passé et devrait être oublié. Peut-être, mais il y a d’autres massacres datant de la dernière décennie, et qui ne peuvent être excusés ainsi. Lors de la campagne américaine au Vietnam (un pays non-musulman), le napalm, les bombes à fragmentation et les mitrailleuses ont été suivis par la défoliation, les produits chimiques cancérigènes et un programme d’assassinats qui, au total, ont causé la mort de peut-être 2 millions de civils.

En Afghanistan, les chiffres sont inférieurs, parce que la population est moins nombreuse mais, en plus du demi-million de morts estimé, toute une génération d’Afghans a été “marquée” et n’atteindra jamais sa taille physique normale ou, peut-être, ne développera pas ses capacités intellectuelles. Les victimes dues au conflit russe en Afghanistan ne sont pas connues, mais ne peuvent être inférieures au demi-million. En Irak, on estime qu’à la suite de l’invasion par les É-U en 2003, environ un million d’Irakiens sont morts.

La mort n’est que l’une des conséquences de la guerre ; les survivants doivent faire face à la peur, la famine, l’humiliation et la misère. Alors que la structure même de la société est endommagée, la vie civile est souvent remplacée par la guerre des gangs, la torture, le kidnapping, le viol et la peur généralisée.

En étudiant ces évènements, les mots de Thomas Hobbes décrivant l’humanité avant la civilisation me sont revenus : “pauvre, méchante, brutale et petite.”

Collectivement, ces conséquences de l’impérialisme, du colonialisme et des incursions militaires dans “le Sud” du monde constituent un holocauste fondateur de l’action musulmane, autant que l’holocauste par les nazis a été fondateur pour l’action juive.

Les blessures ne se sont pas entièrement refermées dans bien des sociétés. Nous en voyons la conséquence dans la fragilité – et parfois même la destruction complète – des organisations civiques, dans la corruption des gouvernements ou dans la violence.

Comme l’écrit “le stratège de l’ÉI”, et comme je l’ai entendu de nombreux connaisseurs de l’Afrique et de l’Asie, nous, du “Nord”, pratiquons le deux poids deux mesures dans le domaine racial et religieux. Lorsqu’il arrive qu’”ils” tuent un Européen, nous réagissons bien sûr avec horreur. Mais quand “nous” tuons un Africain ou un Asiatique, ou même quand un grand nombre d’Africains ou d’Asiatiques sont tués par l’ÉI ou par un autre groupe de terroristes, nous le remarquons à peine.

Le 13 novembre, la veille de l’attaque de Paris, une attaque similaire a été perpétrée à Beyrouth, au Liban, dans laquelle 41 personnes ont été tuées et 200 blessées. Presque personne en Europe et en Amérique ne l’a relevée. Ce n’est pas seulement une question morale – bien que cela en soit une aussi – mais cela touche aussi à un aspect fondamental de la question du terrorisme.

Le souvenir de tels évènements explique en grande partie pourquoi de jeunes hommes et femmes, même ceux issus de sociétés sûres et prospères, rejoignent l’ÉI. Mettre de côté cet aspect, comme l’a remarqué récemment un journaliste connaisseur de l’Asie, nous empêchera de comprendre la nature de ce que nous affrontons et comment bâtir une sécurité mondiale.

Insurrections victorieuses

– Les résultats d’une insurrection sont décrits dans mon livre “Violent Politics”. J’y ai montré que dans les deux derniers siècles, dans des sociétés très diverses, en plusieurs endroits d’Afrique, d’Asie et d’Europe, les guérillas ont toujours accompli leurs objectifs malgré les mesures les plus draconiennes de contre-insurrection.

Prenons simplement un exemple, l’Afghanistan : les Russes, puis les Américains ont déployé des centaines de milliers de soldats, un grand nombre de mercenaires et de troupes locales et ont utilisé un niveau de force létale sans précédent au cours d’un demi-siècle de guerre.

Si le résultat n’est pas définitif à ce jour, il est toutefois clair que la guérilla n’a pas été vaincue. L’Afghanistan a été surnommé “le tombeau de l’impérialisme.” Son rôle dans la destruction de l’Union Soviétique a été correctement décrit. Ils n’en n’ont pas encore fini avec nous.

Considérons aussi les résultats dans les régions du monde où les hostilités ont relativement décru. Lorsque j’étais un jeune homme, dans les années 40 et 50, je pouvais aller pratiquement n’importe où en Afrique ou en Asie et être reçu cordialement, être nourri et protégé. Aujourd’hui, partout où j’irai, je serai en danger d’être abattu.

Quelles sont nos alternatives dans ce monde de plus en plus dangereux ? Soyons honnêtes et admettons qu’aucune n’est satisfaisante. La colère et la peur en rendent certaines difficiles voire impossibles à mettre en œuvre. Mais je vais toutes les mettre “sur la table” afin de les évaluer en termes de coûts et d’efficacité potentielle.

La première réponse, qui fut annoncée par les présidents François Hollande et Barack Obama quelques heures à peine après les attaques de Paris, est de s’engager dans une guerre totale. L’Armée de l’Air française a immédiatement procédé au bombardement de zones supposées abriter des camps d’entrainement de l’ÉI.

L’étape suivante, sans doute, et bien qu’aucun des deux chefs n’ait été précis sur ce point, inclura sans doute l’envoi de troupes au sol en Syrie et en Irak, en addition de la campagne de bombardement de ces deux pays maintenant rejoints par la Russie. Il s’agit d’une extension et d’une intensification de la politique déjà en œuvre, et, si l’on en juge par le résultat de l’expérience russe en Afghanistan et de la nôtre en Afghanistan et en Irak, les chances de détruire l’ÉI sont faibles. Ces chances diminueront encore si nous tentons un “changement de régime” en Syrie.

Une seconde option, qui je suppose est envisagée à Washington alors que j’écris ces lignes, est de voir Israël envahir la Syrie et l’Irak tout en utilisant sa puissance aérienne pour augmenter ou remplacer celles qui opèrent actuellement. Cette option serait douloureuse pour l’ÉI mais elle collerait parfaitement à sa stratégie à long terme.

De plus, elle démolirait le bloc anti-ÉI qui émerge actuellement, constitué de l’Iran, de la Russie et de la Syrie. Si Israël avançait cette idée, ce qui me semble probable, celle-ci serait rejetée et Israël recevrait en échange une large compensation.

Une troisième option consisterait pour les États-Unis à cesser leur politique anti-Assad et à rejoindre la Russie et l’Iran dans une campagne coordonnée contre l’ÉI. Bien que cette solution soit plus rationnelle que les deux premières, et qu’elle puisse initialement avoir du succès, je ne crois pas qu’à elle seule elle remplisse nos objectifs.

Les drones et les forces spéciales sont déjà utilisés et continueront à l’être, en appui de l’effort principal, quel qu’il soit, mais ils n’ont pas non plus été décisifs là où ils ont été utilisés. A vrai dire, en Afghanistan, ils ont même été contre-productifs.

Comme l’avait prévu “le stratège de l’ÉI”, ces attaques ne feront qu’augmenter l’hostilité des locaux à l’égard des étrangers, tandis que les combattants de l’ÉI, s’ils sont assez astucieux pour cela, disparaîtront simplement pour réapparaître un autre jour. Pire, en “décapitant” une guérilla dispersée, on ouvrira la voie à de nouveaux chefs, plus jeunes, plus agressifs.

Répression intérieure

Simultanément aux trois options précédemment citées, je tiens pour presque certain que les gouvernements des États-Unis et d’Europe vont renforcer leurs programmes de surveillance sur leur territoire. Contrôle des déplacements, expulsions (en particulier en France) de populations étrangères ou quasi-étrangères, raids dans les zones urbaines défavorisées, surveillance et autres activités de ce type vont augmenter.

Ces tactiques sont ce que l’ÉI espérait. Les dépenses de “sécurité” vont augmenter et des populations seront confrontées à des mesures “vexatoires”. Mais ces politiques n’assureront pas la sécurité. Lorsque des terroristes sont prêts, comme ceux de l’attaque de Paris, à se faire sauter ou à se faire tuer, il faut s’attendre à de nouvelles attaques, quelles que soient les mesures de sécurité.

Quelles sont alors les mesures non-policières et non-militaires ? Quelles options doit-on considérer ? Deux combinaisons d’économie et de psychologie apparaissent :

La première est l’amélioration des conditions de vie de la communauté nord-africaine en France. Les bidonvilles qui encerclent Paris sont un terrain de choix pour recruter des agents de l’ÉI. Une amélioration des niveaux de vie peut faire une différence, mais au vu de l’expérience passée en Amérique et même en France, le “renouveau urbain” n’est pas la panacée.

Même si elle l’était, cette politique serait difficile à mettre en œuvre par l’administration française. Elle serait fort coûteuse, alors que le gouvernement français se considère déjà comme surendetté, et que les sentiments antimusulmans en France étaient déjà vifs avant les attentats de Paris. Maintenant, l’opinion publique se détourne de la solution sociale et incline à la répression.

Comme dans d’autres pays européens, la combinaison de la peur du terrorisme et de l’afflux de réfugiés rendra difficile la mise en œuvre d’une politique décrite comme pro-musulmane.

Il existe une autre approche, peut-être encore plus improbable, et que l’ÉI redoute particulièrement à mon sens. Le “stratège de l’ÉI” nous a dit qu’une des ressources majeures du mouvement est la communauté, mais il a reconnu que, malgré les terribles souvenirs laissés par l’impérialisme, le public est resté relativement passif.

Cette attitude pourrait grandement évoluer sous le coup d’une invasion ou d’une intensification des bombardements aériens. L’ÉI en est convaincu, et que cela ferait basculer un grand nombre de civils, actuellement “neutres”, en soutien des djihadistes, voire en djihadistes eux-mêmes.

Clairement, ce serait à l’avantage des autres pays d’empêcher cela d’advenir.

On peut empêcher, peut-être dans une certaine mesure, la violence de l’ÉI, par des mesures de sécurité, mais je suggère qu’un programme multinational orienté vers des questions de protection sociale, psychologiquement satisfaisant, puisse rendre moins virulents les sentiments de haine dont se nourrit l’ÉI.

Par inadvertance, l’ÉI en a identifié pour nous les éléments cruciaux : combler les besoins des communautés, offrir des compensations aux transgressions récentes, et lancer des appels à un nouveau départ. Un tel programme n’aurait pas besoin d’être massif, et pourrait se limiter, par exemple, aux enfants en établissant des mesures de santé publique, en fournissant des améliorations en nourriture et vitamines.

Des organisations existantes (comme Médecins Sans Frontières, la Fondation Rostropovitch, la Croix Rouge et le Croissant Rouge) pourraient mener à bien ce projet, et, en vérité, elles en font déjà beaucoup. L’ajustement serait surtout psychologique – sur la volonté des nations de reconnaître leurs torts – comme nous l’avons vu dans le cas des “excuses” allemandes pour l’holocauste ou l’absence de remords des Japonais pour le sac de Nankin. Cela coûterait peu et ferait beaucoup, mais à l’heure actuelle cela paraît illusoire.

Ainsi donc, malheureusement, je crains que nous nous dirigions vers une nouvelle décennie de peur, de colère, de misère et de perte des libertés fondamentales.

(Pour plus d’informations sur ce sujet par William R. Polk, lire “Pourquoi beaucoup de musulmans haïssent l’Occident” et “Souvenir musulman de l’impérialisme Occidental” sur Consortiumnews.com)

Source : Consortiumnews.com, le 17/11/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/dans-le-piege-de-letat-islamique-par-william-r-polk/


Patriarche Aphrem II : « Je demande une seule chose à l’Occident : arrêtez d’armer nos assassins »

Wednesday 3 February 2016 at 02:15

Mais l’avis des chrétiens de Syrie intéresse-t-il quelqu’un ?

Source:la Stampa, 29-06-2015

Interview du patriarche orthodoxe syrien Aphrem II : le martyre n’est pas un sacrifice humain offert à Dieu afin d’obtenir ses faveurs. C’est pourquoi il est blasphématoire d’appeler les auteurs d’attentats suicide des martyrs ».

« Quand on regarde les martyrs, on voit que l’Église n’est pas une église unique, sacrée, catholique et apostolique. Dans sa traversée de l’Histoire, l’Église a aussi été une Église qui souffre. » D’après le patriarche orthodoxe syrien d’Antioche, Moran Mor Ignatius Aphrem II, le martyre révèle un élément essentiel de la nature de l’Église. Une connotation qui pourrait être ajoutée à celles professées dans le Credo et qui accompagne toujours ceux qui suivent les traces du Christ, quels que soient les aléas qu’ils traversent dans la vie, agissant comme ses disciples. C’est un trait distinctif qui peut être clairement observé maintenant à travers les multiples expériences auxquelles les chrétiens et les Églises du Moyen-Orient sont confrontés.

Dans un passé récent, le Patriarche Aphrem — qui a rencontré le Pape à Rome le 19 juin — a été impliqué dans les épreuves et les vicissitudes qui affligent son peuple. Sa dernière mission pastorale, qui vient de se terminer, se situait à Kameshli, sa ville de résidence. Il y est allé pour rencontrer les milliers de nouveaux réfugiés chrétiens qui avaient fui devant l’offensive lancée par les djihadistes de Daech contre le centre urbain voisin de Hassaké, dans la province de la Jezire au nord-est de la Syrie.

Votre Sainteté, quelles sont les caractéristiques du martyre des chrétiens ?

« Jésus a souffert sans raison, gratuitement. Étant donné que nous le suivons, la même chose peut nous arriver. Et lorsque cela se produit, les chrétiens ne posent pas d’exigences, ne protestent pas « contre » le martyre. Après tout, Jésus nous a promis qu’il ne nous abandonnerait jamais, il ne nous prive jamais du secours de sa grâce, comme l’attestent les histoires des premiers martyrs et aussi des martyrs actuels. Ils font face au martyre avec une expression de joie et le cœur en  paix . Le Christ lui-même le dit : soyez bénis lorsqu’on vous persécute à cause de moi. Les martyrs ne sont pas des vaincus, ils ne sont pas des personnes discriminées qui ont besoin de se libérer de la dite discrimination. Le martyre est un mystère d’amour gratuit. »

Et cependant, nombreux sont ceux qui continuent de parler du martyre comme d’une anomalie qui devrait être supprimée, ou comme d’un phénomène qui doit être dénoncé et contre lequel nous devrions nous mobiliser et nous opposer.

« Le martyre n’est pas un sacrifice offert à Dieu, comme ces sacrifices qui sont offerts aux dieux païens. Les martyrs chrétiens ne cherchent pas le martyre pour prouver leur foi. Et ils ne cherchent pas à verser leur sang pour obtenir des faveurs de Dieu ou une autre récompense comme le Paradis. Donc il est complètement blasphématoire de désigner les auteurs d’attentats suicide par le terme de martyrs. »

En Occident, nombreux sont ceux qui insistent pour que quelque chose soit fait en faveur des chrétiens du Moyen-Orient. Est-ce qu’une intervention militaire est nécessaire ?

« Nous ne demandons pas à l’Occident une intervention militaire pour défendre les chrétiens et tous les autres. Nous leur demandons de cesser d’armer et de soutenir les groupes terroristes qui détruisent notre pays et massacrent notre peuple. S’ils veulent nous aider, ils n’ont qu’à soutenir les gouvernements locaux qui ont besoin de forces armées en nombre suffisant pour maintenir la sécurité et pour défendre leur population respective contre les attaques. Les institutions d’État ont besoin d’être renforcées et stabilisées. Au lieu de cela, ce que nous voyons est leur démantèlement  par la force encouragé de l’extérieur.

Avant votre récent voyage en Europe, vous, ainsi que les évêques de l’Église orthodoxe syrienne, avez rencontré le Président Assad. Que vous a-t-il dit ?

« Le Président Assad nous a enjoint de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que les chrétiens ne quittent la Syrie. « Je sais que vous souffrez », a-t il-dit « mais je vous en prie, ne quittez pas cette terre, qui a été votre patrie pendant des milliers d’années, même avant que l’Islam naisse ». Il nous a dit que le pays aura besoin des chrétiens lorsque le temps de la reconstruction de ce pays dévasté viendra. »

Est-ce que Assad vous a demandé de transmettre un message quelconque au Pape ?

« Il nous a dit de demander au Pape et au Saint-Siège d’utiliser leur diplomatie et leur réseau de contacts pour aider les gouvernements à comprendre ce qui se passe réellement en Syrie. De les aider à prendre la mesure du véritable état de choses. »

Il y a des cercles à l’Ouest qui accusent les chrétiens de l’Est de se soumettre à des régimes autoritaires.

« Nous ne nous sommes pas soumis  à Assad et à des gouvernements prétendument autoritaires. Simplement nous reconnaissons les gouvernements légitimes. La majorité des citoyens syriens soutiennent le gouvernement Assad et l’ont toujours soutenu. Nous reconnaissons les autorités légitimes et prions pour ceux qui en font partie, ainsi que l’enseigne le Nouveau Testament. Nous constatons aussi que de l’autre côté il n’y a pas d’opposition démocratique, seulement des groupes extrémistes. Par-dessus tout, nous voyons qu’au cours des années récentes, ces groupes ont fondé leurs actions sur une idéologie qui vient de l’extérieur, apportée ici par des prêcheurs de haine qui viennent d’Arabie saoudite, du Qatar, d’Égypte, et sont soutenus par ces pays. Ces groupes reçoivent  également des armes à travers la Turquie, comme les médias nous l’ont montré. »

En fait, qu’est réellement l’État islamique ? Est-ce le vrai visage de l’Islam ou est-ce une entité artificielle utilisée dans des jeux de pouvoir ?

« L’État islamique (Daech), n’est certainement pas l’Islam qu’on nous a enseigné et avec lequel nous avons vécu pendant des centaines d’années. Il y a des forces qui l’alimentent en armes et argent parce que c’est utile à ce que le Pape François appelle « la guerre sporadique ». Mais tout ceci attire aussi une idéologie religieuse perverse qui se prétend inspirée par le Coran. Et c’est possible parce que dans l’Islam il n’y a aucune structure d’autorité qui ait la force d’offrir une interprétation authentique du Coran et fasse preuve d’autorité en rejetant les prêcheurs de haine. Chaque prédicateur peut aussi donner son interprétation littérale de versets isolés, qui semblent justifier la violence et le lancement de fatwas sur cette base, sans aucune autorité supérieure pour les contredire. »

Vous avez mentionné la Turquie. Les autorités turques essayent de faire revenir le Patriarcat orthodoxe syrien. Pendant quelques siècles il avait été déplacé vers un emplacement près de Mardin. Que ferez-vous ?

« Notre Patriarcat porte le nom d’Antioche. Quand il est apparu, Antioche faisait partie de la Syrie. C’était la capitale de la Syrie à l’époque. Nos églises antiques en Turquie ont une grande valeur historique pour nous, mais Damas, la capitale actuelle de la Syrie, est notre base maintenant et donc le restera. C’est notre libre choix et aucune pression de gouvernements ou de partis politiques ne nous fera changer d’avis. Nous avons donné son nom à la terre qui est appelée la Syrie, un nom qu’elle a gardé. Et nous n’allons pas partir. »

Quels sont les effets des souffrances subies par les Chrétiens au Moyen-Orient sur les relations œcuméniques entre les différentes Églises et communautés ?

« Ceux qui tuent des chrétiens ne font pas de différence entre les catholiques, les orthodoxes et les protestants. Le pape François le rappelle continuellement quand il parle d’œcuménisme du sang. Les choses ne restent pas en l’état. Vivre ensemble de telles situations nous rapproche, nous conduit à découvrir la source de notre unité. Les prêtres se découvrent frères dans la même foi et peuvent prendre ensemble d’importantes décisions. Par exemple, il sera important de décider d’une date commune pour célébrer Pâques. Au regard des épreuves et des malheurs du peuple de Dieu, que nous subissons ensemble, les disputes à propos de questions concernant le pouvoir ecclésiastique s’avèrent dénuées de pertinence. »

Que manque-t-il pour réaliser une communion sacramentelle pleine et entière ?

« Il nous faut professer ensemble la même foi et régler les questions doctrinales et théologiques sur lesquelles existent toujours des divergences. Mais je dois dire que les chrétiens syriens ont déjà progressé en ce domaine parce qu’il existe un accord d’accueil réciproque entre les chrétiens orthodoxes syriens et les catholiques. Quand les croyants ne peuvent pas participer à la liturgie et recevoir les sacrements de leur propre Église, ils peuvent participer aux célébrations dans les lieux de culte d’autres Églises. Et ils peuvent même participer à l’Eucharistie. »

Vous avez récemment participé à une conférence organisée par la communauté de Sant’Egidio à Rome, sur le Sayfo, le génocide perpétré par les Jeunes Turcs à l’encontre des chrétiens syriens au même moment que le génocide arménien. Pourquoi tenez-vous tellement à préserver le souvenir de ces événements douloureux ?

« A Kameshli, alors que j’étais un jeune garçon, je me rendais souvent à l’église une heure avant la prière. Je m’asseyais parmi les anciens et j’écoutais leurs histoires. Nombre d’entre eux étaient des survivants du Sayfo. Ils évoquaient des familles déchirées, des enfants arrachés à leur famille et donnés À des musulmans. J’ai compris que pour eux, parler de ces épreuves terribles était un moyen de se soulager d’un grand poids. Mais pendant longtemps il a été impossible de parler de cela en public. Ces dernières années, quand les Églises ont commencé à commémorer publiquement ces événements tragiques, de nombreuses personnes ont pu entendre des histoires qui avaient été enfouies dans la mémoire familiale comme taboues, quelque chose dont vous ne deviez même pas faire mention. Pour elles, ce fut une libération. Quand nous parlons du Sayfo en tant qu’Églises, notre but n’est autre que d’encourager ce sentiment intérieur de réconciliation. Et nos amis turcs devront comprendre ceci tôt ou tard : se souvenir de ces faits n’est pas pour nous un prétexte pour nous opposer à eux, mais peut aussi les aider à mieux comprendre leur passé et se réconcilier avec lui. »

Source:la Stampa, le 29 juin 2015.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/patriarche-aphrem-ii-je-demande-une-seule-chose-a-loccident-arretez-darmer-nos-assassins/


Chuck Hagel : la Maison-Blanche a tenté de me « détruire »

Wednesday 3 February 2016 at 01:44

C’est juste l’ancien ministre de la Défense d’Obama…

L’intérêt n’est pas tant sa vision que la compréhension du niveau de chaos politique dans l’administration américaine…

Source : Foreignpolicy.com, 18-12-2015

Dans un entretien exclusif, Chuck Hagel a déclaré que l’administration Obama était intervenue de manière invasive dans la gestion du Pentagone, l’avait poignardé dans le dos sur le chemin de la sortie et n’avait toujours aucune stratégie pour régler le problème syrien.

Par Dan De Luce

De retour d’un long voyage à l’étranger et souffrant de décalage horaire, le ministre de la Défense Chuck Hagel venait juste de s’installer avec sa femme à la table d’un bon restaurant italien au nord de la Virginie pour un dîner tranquille, quand son téléphone a sonné. Au bout du fil, c’était la Maison-Blanche. Le président Barack Obama voulait lui parler.

C’était le 30 août 2013 et l’armée des États-Unis était prête pour la guerre. Obama avait publiquement averti l’homme fort de la Syrie, Bachar el-Assad, que son régime devrait faire face aux conséquences, s’il franchissait « une ligne rouge » en employant des armes chimiques contre son propre peuple. Assad le fit quand même et Hagel avait passé la journée à approuver des plans finaux pour lancer contre Damas un barrage de missiles de croisière Tomahawk. Des navires de guerre américains étaient en Méditerranée, attendant l’ordre de tirer.

Au lieu de cela, Obama dit à Hagel, stupéfié, de démissionner. L’attaque chimique d’Assad le 21 août dans une banlieue de Damas avait tué des centaines de civils, mais le Président dit que les États-Unis n’allaient lancer aucune opération militaire contre le gouvernement syrien. Le Président avait décidé d’ignorer sa propre ligne rouge — une décision qui, pense Hagel, a porté un coup sévère à la crédibilité tant d’Obama que des États-Unis.

« L’histoire déterminera si c’était ou non la bonne décision », a déclaré Hagel à Foreign Policy dans un entretien de deux heures sur la politique étrangère, ses premiers commentaires publics détaillés depuis son départ forcé de ses fonctions en février. « Il n’y a aucun doute dans mon esprit que cela a nuit à la crédibilité du discours présidentiel quand cela s’est produit. »

Durant les jours et les mois suivants, dans le monde entier, les homologues de Hagel lui dirent que leur confiance envers Washington avait été ébranlée par la volte-face d’Obama. Et l’ancien ministre de la Défense a dit qu’à ce jour il entend toujours des plaintes de dirigeants étrangers. « La parole d’un Président est importante et quand le Président parle, on en fait grand cas », dit-il.

Hagel, à présent que le temps a  passé et qu’il est disposé à parler de son mandat ministériel, a cité cet épisode pour illustrer la difficulté pour la Maison-Blanche de formuler une politique cohérente sur la Syrie, tenant d’interminables réunions qui n’aboutissaient souvent à aucune décision, tandis que les conditions sur le terrain empiraient et que le nombre de morts allait sans cesse grandissant.

L’ancien sénateur du Nebraska âgé de 69 ans et vétéran de la guerre du Vietnam, parlant pour la première fois du traitement qui fut le sien dans le gouvernement Obama, a dit que le Pentagone était soumis à l’ingérence paralysante et à la micro gestion de la Maison-Blanche — une critique faisant écho à celle de ses prédécesseurs, Robert Gates et Leon Panetta.

En repensant à son rôle, Hagel a dit dans l’entretien du 10 décembre qu’il restait perplexe quant au motif pour lequel certains représentants de l’administration ont cherché à le « détruire » personnellement dans les derniers jours de son mandat, le critiquant via des commentaires anonymes dans les journaux, et cela même après qu’il eut remit sa démission.

Bien qu’il ne la désigne pas par son nom, les critiques de Hagel visent clairement la conseillère à la sécurité nationale d’Obama, Susan Rice et certains membres de son équipe. Les anciens collaborateurs de Hagel et d’anciens responsables de la Maison-Blanche disent que le ministre de la Défense était souvent en conflit avec Rice sur la politique en Syrie et sur la prison militaire américaine à Guantánamo.

L’ancien chef du Pentagone offre la vision interne d’une administration qui fut prise au dépourvu par le conflit complexe en Syrie et par l’offensive de l’État islamique qui s’en suivit. Son compte-rendu décrit une administration qui a manqué de stratégie claire sur la Syrie pendant la période où il était en fonction et suggère qu’elle n’en aura pas de sitôt — malgré l’extension du carnage et des vagues de réfugiés.

La Maison-Blanche a refusé de commenter ce récit après avoir été informée des commentaires de Hagel sur les retombées de l’annulation des frappes contre Damas sur injonction d’Obama, l’absence d’une politique claire sur la Syrie et le traitement que lui a réservé l’administration.

Mais un haut responsable de l’administration, parlant sous couvert de l’anonymat, a dit que le Président n’était pas prêt procéder à des opérations militaires en 2013 sans avoir au préalable consulté le Congrès et en avoir reçu l’approbation. Et le résultat final de la décision d’Obama a ouvert la voie à un accord diplomatique négocié par la Russie qui a vu le régime d’Assad remettre ses réserves d’armes chimiques déclarées. « Le résultat final de tout ceci est une Syrie débarrassée de son programme d’armes chimiques », a déclaré ce responsable à Foreign Policy.

Le haut responsable a aussi souligné que pour battre l’État islamique, le Président possédait une stratégie claire reposant sur la puissance aérienne américaine et la formation de forces locales, tout en promouvant des tentatives diplomatiques pour mettre fin à la guerre civile en Syrie et négocier le départ d’Assad.

Nommé pour faire évoluer les objectifs du Pentagone sur des bases pacifistes et superviser des coupes budgétaires strictes, Hagel a du faire face à l’incursion de la Russie en Ukraine et à une nouvelle guerre au Moyen-Orient peu après son entrée en fonction en février 2013.

Et au sein du département de la Défense, il faisait face à une série de crises : la réduction systématique des budgets, l’arrêt des activités gouvernementales qui provoqua le chaos dans les budgets du Pentagone, une fusillade meurtrière qui fit 12 morts dans le complexe maritime de Washington, une vague d’affaires d’agressions sexuelles dans l’armée et un scandale lié à une fraude commise par certaines des équipes des missiles nucléaires.

En tant que ministre de la Défense, Hagel exécuta scrupuleusement la politique de l’administration. Mais ses commentaires publics nébuleux semblaient inappropriés en ces moments d’agitation et, bien qu’il n’ait commis aucune grosse erreur, il n’avait pas non plus de réussite majeure. Au plus fort des mesures répressives d’Abdel Fattah al-Sissi, alors  ministre de la Défense, contre les Frères Musulmans en Égypte, les assistants de Hagel se vantaient des dizaines d’occasions durant lesquelles le chef de la défense des USA parlait à son homologue égyptien, dépeignant Hagel comme le principal lien entre l’administration et Le Caire. Ce qui ne se disait pas est que Sissi ignorait les exhortations de Hagel et continua sa campagne de répression brutale contre le groupe.

Cependant, le plus grand obstacle rencontré par Hagel est qu’il n’a jamais vraiment été intégré par le cercle rapproché de l’équipe d’Obama. Avant même qu’il occupe ce poste, sa réputation avait été salie par une audition de confirmation du sénat exceptionnellement tendancieuse, durant laquelle de nombreux anciens collègues républicains le dénonçaient comme inapte à cette position, le dépeignant comme hostile à Israël et faible dans sa position sur l’Iran.

Quelques Républicains l’avaient averti à l’avance qu’ils auraient à le « malmener » à l’audition à cause de leur mécontentement envers le président. Des sites conservateurs l’avaient décrit comme « antisémite » avant que l’audition ne commence. Mais le niveau de virulence à l’audition — de la part de législateurs avec lesquels il avait longtemps travaillé et pour lesquels il avait même récolté des fonds — fut un choc pour Hagel.

Plus d’un sénateur prirent les commentaires de Hagel hors de leur contexte ou déformèrent simplement ses propos. Pendant la guerre du Liban de 2006, Hagel avait appelé à la fin de « l’écœurant massacre » perpétré par les deux camps, mais les législateurs républicains l’accusèrent à tort de cibler Israël.

Le sénateur Ted Cruz (Républicain-Texas), un des principaux candidats à la Maison-Blanche aujourd’hui, accusa Hagel de recevoir d’éventuelles indemnités d’allocution en provenance de « groupes extrêmes ou radicaux », mais ne fournit aucune preuve.

« Il est au moins pertinent de savoir si les 200 000 $ qu’il a déposés sur son compte en banque proviennent directement d’Arabie Saoudite ou de Corée du Nord, » dit-il dans une prestation que certains commentateurs ont comparée au style diffamatoire de Joe McCarthy.

Hagel sembla déconcerté, mais choisit de ne pas résister. « Tout cela m’avait sidéré », dit Hagel à Foreign Policy. À un moment, Hagel rapporta incorrectement les propos du président sur sa politique en Iran, disant que le but était de « contenir » Téhéran.

Face à l’opposition sévère des Républicains, l’ex-sénateur dit à la Maison-Blanche qu’il était prêt à retirer sa candidature « parce que je ne veux entraîner ni le président ni le pays là-dedans. »

Obama, le vice-président Joe Biden — un vieil ami du temps où il siégeait au sénat — et le chef de cabinet de la Maison-Blanche, Denis McDonough, l’appelèrent tous pour l’encourager à persévérer. Mais certains responsables ne rallièrent pas sa cause. « Je sais que tout le monde à la Maison-Blanche n’était pas aussi compatissant », dit-il sans apporter d’autres précisions.

Après un blocage de ses collègues républicains, un événement sans précédent pour la nomination d’un ministre de la Défense, Hagel a été élu par un vote serré de 58 voix contre 41 suivant majoritairement la ligne du Parti. Seuls quatre Républicains votèrent en sa faveur. Après-coup, raconte Hagel, certains sénateurs républicains lui présentèrent, en privé, leurs excuses pour leurs attaques.

Pour Hagel, le combat amer pour sa confirmation illustrait le nouveau style de politique qui a pris les commandes à Washington : extrêmement partisan et ne faisant pas de quartier. Et il a fait office d’énième rappel de la quasi disparition de la branche modérée qu’il représentait au parti Républicain. Hagel se voit comme un républicain dans la lignée de l’ancien président George H.W. Bush et de l’ex-conseiller à la Sécurité Nationale Brent Scowcroft, des pragmatistes rationnels qui favorisaient une politique étrangère centrée sur les intérêts nationaux et des décisions applicables. Mais ce courant « va en se tarissant », dit-il.

« Je ne suis pas sûr que si vous demandiez au gens, ‘Qu’est-ce que le parti Républicain ?’ ils pourraient vous répondre », dit Hagel. Quand le poste de ministre de la Défense lui a été offert après la réélection  d’Obama en 2012, un poste pour lequel il dit n’avoir jamais fait de demande ou de démarche, sa seule requête fut d’avoir accès au président.

Une fois en poste, sa requête était généralement acceptée. Mais il découvrit que parfois l’accès au président ne voulait pas forcément dire une réunion en tête à tête dans le bureau ovale. « Il y a des fois où j’avais appelé et demandé à avoir une réunion privée avec le président, mais quand j’arrivais, il y avait d’autres personnes dans la pièce », dit-il.

Ajournement des décisions

Alors que Hagel préférait les réunions en plus petit comité et les conversations téléphoniques à deux, la Maison-Blanche le convoquait souvent à de grandes sessions dans la Salle de crise dont l’ordre du jour de dernière minute était envoyé la veille au soir ou le matin même de la réunion.

Les délibérations de la Maison-Blanche sur la politique en Syrie et d’autres sujets conduits par Rice et ses adjoints semblaient ne mener nulle part, d’après Hagel. « D’abord, il y avait beaucoup trop de réunions et elles n’étaient pas productives », a déclaré Hagel. « Je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup d’occasions où nous soyons parvenus là où nous aurions dû. Nous avons continuellement reporté les décisions difficiles. Et puis il y avait toujours trop de monde dans la pièce. »

Au milieu d’assemblées plus grandes, comprenant des employés qu’il ne connaissait même pas, Hagel éprouvait des réticences à développer ses propos, de crainte que son point de vue ne se retrouve dans les médias. « Plus vous avez de monde dans une pièce,  plus il y a de possibilités de fuites — servant des intérêts tout personnels — afin de modeler et influencer les décisions au sein de la presse », a-t-il révélé.

Hagel quant à lui préférait transmettre ses opinions au cours de réunions hebdomadaires que lui-même et le général Martin Dempsey, à l’époque commandant de l’état-major interarmées, avaient avec le Président ou lors d’échanges téléphoniques et de rencontres avec Rice, Biden ou le ministre des Affaires étrangères, John Kerry.

Les conseils sur la sécurité nationale conduits par le Président contrastaient par leur efficacité et leur précision, sans temps perdu à partir sur des digressions, précise-t-il.

« En deux temps trois mouvements », dit Hagel. « J’ai fini par atteindre le point où j’ai dit à Susan Rice que je ne passerai pas plus de deux heures dans ces réunions. Certaines d’entre elles duraient quatre heures. »

Mais le même haut fonctionnaire du gouvernement défendait les longues réunions du Conseil national de sécurité,  plaidant que leur longueur s’expliquait naturellement par la complexité des défis que le pays rencontrait. « Cela démontre le processus politique rigoureux que nous menons. »

Toutefois Hagel déclara qu’on passait trop de temps à « couper les cheveux en quatre et à chercher des poux dans la tête », tandis que des questions plus importantes étaient ignorées. « On semblait se détourner des grandes questions. Quelle était donc notre stratégie politique en Syrie? »

Bien qu’il fût d’accord avec les réticences d’Obama à déployer un grand nombre de troupes au sol en Syrie ou en Irak,  il voulait que le gouvernement forge un plan pour une résolution diplomatique en Syrie et clarifie si Bachar el-Assad devait partir et dans quelles conditions, a-t-il ajouté.

Tandis que la Maison-Blanche cherchait à rester en dehors du conflit syrien, l’avancée foudroyante de l’État islamique dans le nord de l’Irak en juin 2014 — alors que l’armée de Bagdad s’effondrait dans sa retraite — eu l’effet d’un « choc » sur le gouvernement,  nous dit Hagel.

En août de cette même année, à la question posée par des journalistes lors d’une conférence de presse sur la nature de la menace posée par l’État islamique, Hagel répondit que : « cela dépasse tout ce que nous avons connu jusqu’ici ». Il fit référence aux compétences militaires, aux ressources financières du groupe et à  son habile propagande en ligne comme à des dangers sans précédent qui surpassaient les organisations terroristes connues auparavant.

De hauts représentants du gouvernement n’étaient pas satisfaits de la description de Hagel, ce qui « me valut quelques critiques de la part de la Maison-Blanche » dit-il. Cependant les événements ont validé ses observations.

« Ensuite, on m’a accusé d’essayer de faire un battage médiatique, d’exagérer et d’amplifier les faits », dit Hagel. « Je n’avais pas toutes les données mais je savais que nous affrontions là quelque chose que nous n’avions jamais vu auparavant. Et qu’à bien des égards, nous n’étions pas préparés à cela. »

Pour Hagel, l’indécision de l’administration sur la façon de s’occuper du conflit syrien fut révélée avec force durant une audition du Congrès en septembre 2014, quand il fut cuisiné par des sénateurs à propos des plans du gouvernement pour constituer une force de combattants rebelles pour attaquer l’État islamique.

Le sénateur John McCain (Républicains – Arizona), un critique véhément de la stratégie anti-État islamique de la Maison-Blanche, demanda à Hagel si l’administration viendrait au secours des rebelles soutenus par les États-Unis s’ils se faisaient attaquer par le régime Assad. L’administration avait débattu de cette question pivot des semaines sans prendre de décisions et Hagel fut forcé d’improviser.

« Nous n’étions jamais arrivés à une réponse ou à une conclusion à la Maison-Blanche », dit Hagel à Foreign Policy. « J’ai dit ce que je pensais devoir dire. Je ne pouvais pas dire ‘Non.’, Bon Dieu, tous nos alliés nous auraient lâchés au Moyen-Orient. »

McCain le pressa et Hagel dit aux législateurs : « Nous aiderons ceux que nous avons entraînés et qui nous soutiennent en cas d’attaque contre eux. »

Mais la question resta une « criante » lacune dans la politique de l’administration, ce qu’il fit remarquer lors des réunions suivantes.

« Est-ce qu’on va soutenir nos gars ou est-ce qu’on ne va pas les soutenir ? » dit Hagel à Foreign Policy. « C’est une question cruciale. » Sollicité cette semaine pour faire ses commentaires, le haut responsable du gouvernement a rejeté le portrait dressé par Hagel comme trompeur et dit que le Département de la Défense avait un rôle majeur dans l’établissement du programme d’entraînement et aurait pu faire face à tous les problèmes survenant.

Un mois plus tard, ses inquiétudes s’accumulant à propos de l’absence d’une politique globale concernant la Syrie et le combat contre l’État islamique, Hagel écrivit une note de deux pages à Rice et Kerry — et une copie au président — disant que l’administration devait décider de son approche sur le conflit en Syrie et sur sa position envers le régime Assad. Le mémo soutenait que « nous n’avons pas de ligne politique », déclara Hagel à Foreign Policy.

« J’y écrivais : Nous ne parvenons pas à nos fins, souhaitées et souhaitables », disait-il « parce que c’est ce que me disent tous mes collègues du monde entier. Tous mes homologues m’interpellent au cours de réunions de l’OTAN et partout ailleurs, avec les mêmes questions : Que faites-vous donc ? Où cela va-t-il nous conduire ? »

Mais Hagel a dit que la note — qui ne fut pas bien reçue par la Maison-Blanche — ne devait être entendue que comme un appel à inventer une marche à suivre cohérente et non une tentative de dicter une politique.

« Dans la note, je n’accusais personne. Nom de Dieu, je faisais partie du Conseil de Sécurité nationale! », dit Hagel.

Depuis qu’il a quitté ses fonctions en février, Hagel dit n’avoir vu aucune stratégie sur la Syrie se concrétiser. « Le gouvernement a encore des difficultés à établir une stratégie politique mais le ministre des Affaires étrangères, John Kerry, effectue des progrès dans la bonne direction », a encore déclaré Hagel, citant des entretiens avec la Russie, l’Iran ainsi que plusieurs gouvernements arabes.

Bien que Hagel s’oppose à une escalade majeure de la campagne militaire contre l’État islamique, ses critiques de l’administration vont très certainement nourrir une critique républicaine menée par McCain, disant que l’administration Obama a été faible et indécise sur le conflit syrien.

Ce résultat prend une tournure ironique pour Hagel dont les violentes critiques envers l’administration du Président George W. Bush à propos de la guerre en Irak — et son opposition au déferlement de troupes de 2007 — ont généré un ressentiment durable parmi ses confrères républicains, McCain inclus.

Ingérences au Pentagone

Le penchant de la Maison-Blanche à intervenir était un problème fréquent, dit Hagel. Dempsey se plaignait que des membres de la Maison-Blanche appelaient des généraux « et posaient des questions de niveau 5 dans lesquelles la Maison-Blanche ne devrait pas être impliquée », dit-il

Les prédécesseurs  de Hagel, Gates, Panetta ainsi que Michèle Flournoy, l’ancienne n°3 au Pentagone, ont tous critiqué les prises de décisions centralisées de la Maison-Blanche et ses interférences dans les rouages du département de la Défense.

Hagel dit que les ingérences politiquement motivées combinées avec une prolifération de la bureaucratie au Conseil National de Sécurité posent un vrai problème pour la branche exécutive — pouvant potentiellement enrayer le bon fonctionnement du Pentagone et de  bureaux dans d’autres cabinets.

« Il y a un danger dans tout ça », dit-il. « Il s’agit ici de gouvernance; pas d’objectifs politiques. Il s’agit de faire fonctionner le pays et de devancer les dangers et les menaces que vous voyez arriver. »

Réagir à la Russie

La prise de la péninsule de Crimée en mars 2014 par la Russie et son soutien aux séparatistes pro-Russes en Ukraine a pris de court Washington et produit un autre désaccord entre Hagel et les représentants de la Maison-Blanche.

Lors des réunions du Conseil de Sécurité nationale, Hagel dit qu’il avait souligné l’importance d’éviter une confrontation directe avec Moscou et de garder les canaux de communication ouverts avec les militaires russes. Mais il exhorta l’administration à envoyer un signal clair à Moscou — et aux alliés des Américains en Europe — en expédiant des messages et du matériel au gouvernement ukrainien pour son combat contre les séparatistes pro-Russes.

« J’ai aussi fait remarquer que les États-Unis devraient donner plus d’équipement non-létal aux Ukrainiens que nous ne le faisions et beaucoup plus rapidement », dit-il. « Il faut garder à l’esprit qu’il y avait une optique de leadership global. Le monde, nos partenaires de l’OTAN compris, observait pour voir comment nous allions répondre. »

L’administration bougea trop lentement pour aider Kiev, dit-il, bien qu’il ne pense pas que Washington aurait dû donner des armes aux Ukrainiens.

« Je pense que nous aurions dû faire plus, que nous aurions pu faire plus », dit-il.

Discorde sur Guantánamo

A part son irritation vis à vis des dérives de l’administration concernant la Syrie, Hagel dit que certains de ses plus gros désaccords avec la Maison-Blanche venaient du controversé centre de détention de la baie de Guantánamo à Cuba.

Suite à une loi adoptée par le Congrès, Hagel, en tant que ministre de la Défense, avait la responsabilité ultime de l’approbation du transfert de prisonniers vers d’autres pays. Ce qui voulait dire qu’il serait tenu responsable si un détenu relâché prenait plus tard les armes contre les États-Unis.

La Maison-Blanche, dans une tentative de tenir la promesse d’Obama de fermer l’établissement, qui avait été condamné par des groupes de défense des droits humains comme une zone de non-droit, fit pression sur Hagel pour approuver les extraditions de prisonniers.

Mais Hagel refusait ou retardait souvent la signature de dizaines de transferts quand il jugeait le risque envers la sécurité trop important, se fondant souvent sur des avis internes au département de la Défense.

La Maison-Blanche fut de plus en plus profondément exaspérée par Hagel et ses retards.

« C’est devenu assez méchant, assez brutal », dit Hagel. « Je me faisais tout le temps rentrer dedans à ce propos à la Maison-Blanche. »

Bien qu’il ait soutenu depuis longtemps la fermeture du centre de détention, Hagel soutint qu’il ne voulait pas être poussé à approuver des transferts. La Maison-Blanche continua à faire pression, arguant que les intérêts de sécurité devaient être comparés aux dommages causés à l’image de l’Amérique à l’étranger tant que Guantánamo restait ouvert et aux arguments que cela fournissait à la propagande extrémiste.

Les querelles concernant les prisonniers de Guantánamo furent citées par des responsables de la Maison-Blanche comme la dernière goutte qui obligea Hagel à démissionner. Mais durant ses deux années en poste, Hagel avait approuvé 44 transferts de détenus. Son successeur, Ash Carter, a autorisé seulement 15 transferts selon le Pentagone, citant des chiffres datant du 15 décembre. À ce rythme, à la fin du second mandat d’Obama, Carter aura autorisé moins d’extraditions que Hagel.

Après s’être affronté régulièrement à la Maison-Blanche, Hagel dit qu’il était probablement inévitable qu’il ait à démissionner du poste de chef du Pentagone, étant donné les désaccords qui s’étaient développés. Mais il n’était pas préparé à la façon humiliante dont il fut écarté, « avec certaines personnes qui m’ont calomnié officieusement comme des lâches. »

La Maison-Blanche demanda à Hagel s’il voulait rester jusqu’à ce qu’un successeur soit trouvé et il accepta. Mais même après qu’il ait accepté de partir, dit-il, certains officiels le démolirent dans des commentaires anonymes dans les journaux, affirmant qu’il parlait rarement aux réunions de crises et s’en remettait à Dempsey, le chef d’état-major des armées.

« Ils avaient déjà ma démission, quel intérêt y avait-il à continuer d’essayer de me détruire ? » dit-il.

C’était une fin douloureuse pour une carrière durant laquelle Hagel avait remporté succès après succès. Après avoir combattu au Vietnam en 1968, où il a été décoré de deux médailles Purple Heart, il a servi en tant que membre du personnel du Capitol Hill, le siège du congrès, puis il a travaillé comme administrateur adjoint à l’administration des vétérans sous la  présidence de Ronald Reagan, fait fortune au début de l’industrie du téléphone portable, gagné habilement deux mandats de sénateur du Nebraska et fut à un moment considéré comme un éventuel candidat à la Maison-Blanche.

Malgré la façon dont son passage au Pentagone s’est terminé, Hagel dit toujours tenir Obama en haute estime  « J’ai toujours eu une très bonne et positive relation avec le Président. »

Hagel — qui partage avec Obama un scepticisme sur l’usage de la force militaire — se félicite que le président n’ait pas réagi de manière excessive aux menaces terroristes, pour chercher un rééquilibrage stratégique envers l’Asie-Pacifique et pour avoir scellé un traité marquant avec l’Iran visant à limiter son programme nucléaire.

Mais Hagel reste peiné par la façon dont son mandat en tant que chef du Pentagone a été détruit par ce qu’il voit comme des coups de poignard dans le dos de la part de certains membres de la Maison-Blanche.

« Je ne sais pas quel était le but. A ce jour, j’en suis toujours perplexe. Mais je vais de l’avant. Je suis fier de mes états de service », dit-il.

Cependant, il ajoute : « J’aurais préféré que mes jours en tant que ministre de la Défense ne se terminent pas de cette façon. »

Photo crédit: NICHOLAS KAMM/AFP/Getty Images

Source : Foreignpolicy.com, 18 décembre 2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/chuck-hagel-la-maison-blanche-a-tente-de-me-detruire/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 3 February 2016 at 01:10

I. Olivier Delamarche

Olivier Delamarche VS Sarah Thirion (1/2): Quels sont les enjeux d’une éventuelle crise financière chinoise ? – 01/02

Olivier Delamarche VS Sarah Thirion (2/2): Les stratégies des banques centrales ont-elles porté leurs fruits sur l’économie ? – 01/02

II. Philippe Béchade

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): La fébrilité des marchés va-t-elle persister ? – 27/07

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): Une politique monétaire plus accommodante de la Fed impactera-t-elle positivement les marchés ? – 27/01

Les indés de la finance: La BoJ surprend les marchés en abaissant son taux de dépôt à -0,1% – 29/01

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (1/2): Banques centrales: Quelles solutions adopter pour faire revenir l’inflation à 2% ? – 02/02

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (2/2): Quels sont les impacts de la baisse du pétrole sur l’économie mondiale ? – 02/02


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-7/


[Recommandé] Destructions wahhabites : les lieux saints de l’islam en péril

Tuesday 2 February 2016 at 02:30

Par Corinne Autey-Roussel, pour Les-Crises.fr

Au delà de l’émotion, la destruction de sites historiques majeurs par Daech en Syrie et en Irak pose question : le vandalisme de l’organisation terroriste relève-t-il de la simple irresponsabilité ou au contraire, est-il fondé sur une idéologie précise ? A l’examen des attitudes wahhabites envers les lieux de mémoire, la réponse se trouve en Arabie Saoudite. Si la destruction de lieux sacrés – et avant tout ceux de l’islam lui-même – a eu ses adeptes dans le passé, dont les premiers Abassides au VIIIème siècle et les premiers Séfévides persans au XVIème siècle, ce n’est qu’avec l’arrivée du wahhabisme, au XVIIIème siècle, qu’elle s’inscrit au cœur même de l’islam réformiste radical. Or, le wahhabisme est aux fondements de l’Arabie Saoudite.

En 1703, à Al-Uyaynah, une oasis du nord de Riyad, naît Muhammad ibn Abd al-Wahhab. En esprit aussi individualiste que puritain, n’écoutant que ses propres perceptions, al-Wahhab conteste l’autorité de ses professeurs et, selon certaines sources, puise dans les prescriptions de l’école hanbalite (la plus rigoriste des quatre écoles de l’islam) pour fonder une ligne doctrinale à même de purger l’islam de ce qu’il considère comme des éléments de décadence et le ramener à une pureté originelle dont il définit personnellement les conditions. D’autres sources, en particulier wahhabites, nient tout rapport avec l’école hanbalite et proclament l’originalité absolue d’al-Wahhab, dont l’inspiration aurait émané d’une révélation divine directe. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, une autre mouvance musulmane fondamentaliste, le Salafisme, est aussi liée au wahhabisme qu’à l’école hanbalite dont elle tire son origine.

Après qu’il ait pris sur lui d’infliger des punitions à ceux qui ne se joignaient pas aux prières communales, détruit de ses mains la tombe d’un saint de l’islam et mené un groupe de zélotes à lapider une femme, l’activisme religieux d’al-Wahhab lui vaut un bannissement de sa ville pour hérésie. A Dariya, un village distant de quelques soixante kilomètres, il trouve la protection de l’émir local, Mohammed ibn al-Saoud. Al-Whabbab qui, à l’instar d’un Luther ou d’un Calvin, rejette les exégèses des oulémas accumulées au cours des siècles pour y substituer le libre examen individuel du Coran, des hadiths et de la Sunna, décrie le culte populaire des saints de l’islam et rejette violemment les innovations inacceptables (bid’ah) constituées, selon lui, par le chiisme et le soufisme, est si bien accueilli qu’al-Saoud officialise sa doctrine moyennent un pacte : le minuscule émirat adopte les vues d’al-Wahhab contre le soutien loyal de tous les wahhabites à sa famille régnante. Ainsi, dès ses débuts au XVIIIème siècle, le wahhabisme a représenté le socle du pouvoir politique des Saoud. Il le reste à ce jour.

Le wahhabisme, instrument guerrier et politique

A l’époque, l’empire ottoman administre La Mecque et Médine, mais l’émirat wahhabite-saoudien entreprend une série de campagne de conquêtes militaires et s’étend rapidement. Dès 1790, les wahhabites dominent de vastes territoires de la péninsule arabique et lancent des raids contre Médine et des villages d’Irak et de Syrie. Entre leurs mains, le rejet de “l’idolâtrie” devient un outil de contrôle politique par la terreur : les accusations d’hérésie justifient toutes les discriminations et tous les massacres. En 1801, outre leurs habituels raids meurtriers contre les “apostats” des villages d’Arabie, les troupes d’Abdelaziz ben Mohammed ben Saoud mettent à sac la ville sainte chiite de Karbala, profanent la mosquée de l’imam Al-Hussein ibn Ali, rasent sa tombe et assassinent des milliers de chiites, femmes et enfants compris. Le coup de main forge une réputation de cruauté telle à  Abdelaziz qu’en 1803, les habitants de La Mecque, pris de panique, se rendent sans combattre – une victoire que les wahhabites fêteront par une véritable orgie de destruction de sites historiques, de mosquées et de tombeaux de saints de l’islam. Et même si, la même année, un assassin chiite tue Abdelaziz pour venger Karbala, la guerre de conquête saoudienne, poursuivie par son fils, continue d’avaler des pans entiers de l’empire ottoman, dont Médine en 1804. Face au désarroi des musulmans, en 1812, le sultan ottoman Mahmoud II se décide à envoyer une armée égyptienne renforcée de tribus arabes anti-wahhabites à la reconquête des territoires perdus. Au terme de deux ans de combats, La Mecque, Djeddah et Médine repassent sous contrôle ottoman. Les Égyptiens poussent leur avantage et en 1818, les forces wahhabites finissent décimées, leur capitale Dariya en ruines et leur émir Abdallah ben Saoud, décapité pour ses profanations de lieux saints.

Le premier État saoudien n’existe plus.

Au début du XXème siècle, à la tête des Ikhwan, une milice wahhabite recrutée au sein de tribus bédouines sédentarisées dont il se débarrassera une fois la victoire acquise, Ibn Saoud ressuscite le rêve saoudien de conquête de la péninsule arabique et reprend Riyad en 1902, la région du Hasa en 1913 puis, à la faveur de l’engagement ottoman dans la Première Guerre mondiale, La Mecque en 1924 et Médine en 1925. Les méthodes sanguinaires de groupes terroristes actuels tels que Daech ou Boko Haram copient à la lettre celles des Ikhwan, des adeptes par tradition ancestrale de la razzia mués en combattants fanatiques : la conversion ou l’épée. En 1924, à Ta’if, près de La Mecque, la résistance des habitants aboutit au sac de la ville, au massacre de trois cent  hommes adultes et à la réduction en esclavage de leurs femmes et enfants.
Sur les décombres de l’empire ottoman, le 22 septembre 1932 Ibn Saoud annonce la création d’un nouvel état, l’Arabie Saoudite. Principalement composé de vastes étendues désertiques, le royaume est misérable, mais cela ne durera pas. Dès l’année suivante, la découverte d’immenses champs de pétrole place l’Arabie Saoudite au rang des pays les plus importants de la planète et le wahhabisme, avec ses moyens dorénavant inépuisables, au centre des débats sur l’islam.

Wahhabisme et lieux de mémoire, une incompatibilité structurelle

Selon al-Wahhab, le monde musulman doit être purifié des tombes, reliques et sanctuaires qui “divinisent des êtres humains” et à ce titre, représentent un polythéisme déguisé. Quant aux pèlerins qui se pressent dans les lieux saints de l’Islam, ce sont à ses yeux des “infidèles”. Le double dogme de l’excommunication (takfir) et de la destruction des lieux de pèlerinage représente donc un axe du puritanisme wahhabite. La première tombe à raser, choisie par al-Wahhab lui-même, sera celle de Zayd ibn al-Khattab, compagnon de Mahomet et frère du second calife Omar. Al-Wahhab signifie par ce choix que tous les lieux de pèlerinage de l’islam doivent être démantelés, pas seulement les lieux saints chiites ou soufis.

Après leur seconde prise de La Mecque et Médine, les Saoudiens progresseront dans leurs déprédations, mais probablement à cause de leur nouveau statut de gardiens des lieux centraux de l’islam, avec une certaine mesure  – Jusqu’à ces deux dernières décennies, qui ont vu le rythme des démolitions s’accélérer.

Kaaba, La Mecque, avant. Photo non datée.

Kaaba, La Mecque, aujourd’hui.

L’Arabie Saoudite, une terre millénaire transformée en méga-complexe hôtelier

Destruction en cours des portiques ottomans, La Mecque 2014.

Depuis 1985, 98% des sites religieux et des édifices millénaires de l’Arabie Saoudite ont disparu. En 2014, les portiques ottomans qui entouraient la Kaaba depuis des siècles ont été enlevés, officiellement pour permettre l’extension de la grande mosquée de La Mecque. Auparavant, la maison de l’oncle de Mahomet, Hamza, avait déjà cédé la place à un hôtel ; la maison de Khadijah, sa première épouse, à des toilettes publiques et celle d’Abou Bakr, le premier calife de l’islam, à un hôtel Hilton flanqué d’un Burger King.  Aujourd’hui, l’hôtel Mecca Royal Clock Tower construit par l’entreprise de bâtiment Saudi Binladin Group (groupe Ben Laden), qui fait partie d’un complexe ultra-moderne comportant un centre commercial de cinq étages, des hôtels de luxe et des parkings, surplombe la Kaaba à la place de la forteresse Al-Ajyad, une citadelle ottomane bâtie en 1780 pour protéger la ville sainte et ses sanctuaires.  L’acte a été qualifié “d’acte de barbarie” et de “massacre culturel” par la Turquie.

Forteresse al-Ajyad vue de la Kaaba. La Mecque, 1889

Mecca prayer, 1889.tif
By ʻAbd al-Ghaffār, al-Sayyid, Physician of Mecca, photographer - http://hdl.loc.gov/loc.pnp/cph.3b06798, Public Domain, $3

La forteresse al-Ajyad vue de près. La Mecque.
http://www.somalinet.com/forums/viewtopic.php?t=316140

Les bulldozers et les pelleteuses à l’œuvre. La forteresse a été rasée et la colline nivelée.

Forteresse ottomane Al-Ajyad en surplomb de la grande mosquée al-Haram, aujourd’hui détruite et remplacée par un complexe urbain, dont un hôtel 5 étoiles et un centre commercial. La Mecque.

Le complexe érigé à côté de la Kaaba (La Mecque) à la place de la forteresse ottomane Al-Ajyad.

Bibliothèque du lieu présumé de naissance de Mahomet. Démolition en cours, 2014.

À côté de ces bouleversements flagrants de l’espace public, d’autres changements plus discrets sont tout aussi définitifs. Des maisons anciennes, mosquées et sanctuaires ont disparu par centaines. Selon le témoignage de l’activiste saoudienne Nimah Ismail Nawwab à Time, les bulldozers sortent à la nuit noire. “Tout arrive la nuit. Le matin suivant, le monument est parti”. Même le lieu présumé de naissance de Mahomet, d’abord transformé en bibliothèque au cours des années 60, est aujourd’hui voué à la destruction dans le cadre d’un grand projet d’extension du palais royal.

Les bulldozers saoudiens actuels ne font que finir le travail entamé lors de la première prise de La Mecque, en 1803. A l’époque, entre autres destructions (comme celle de la coupole de la source Zamzam), les dômes des tombes de personnages centraux du cimetière Jannatul Mu’alla, dont celles du grand-père et de la première épouse de Mahomet, avaient fait place à une esplanade désertique jalonnée de cailloux marquant leur emplacement. Et, pour ne plus laisser aux pèlerins la moindre chance de les situer, même ces repères discrets ont été détruits ou déplacés lors des purges de 1925. A Abwa, la tombe de la mère de Mahomet, rasée, arrosée d’essence et brûlée, n’est plus signalée aujourd’hui que par un cercle de pierres perdu dans une étendue de rocailles.

Jannatul Mu’alla, à La Mecque, tombe de la première épouse de Mahomet, Khadija. Avant.

Jannatul Mu’alla, à La Mecque, où reposent la première épouse du prophète Mahomet et d’autres personnages centraux de l’islam, avant.

Jannatul Mu’alla, La Mecque, aujourd’hui.

A Médine, le cimetière Jannatul Baqi’ situé à quelques mètres de son cœur religieux, la mosquée al-Nabawi ou mosquée du prophète, a également vu ses dômes et mosquées rasés entre 1806 et 1925. Entre autres mausolées des nombreux proches, compagnons et membres de tribu de Mahomet, ont disparu ceux de son oncle, de ses tantes, de son fils, de sa fille, de ses épouses et des imams Al-Hassan ibn Ali, Muhammad al-Baqir, Ali Zayn al-Abidin et Ja’far al-Sâdiq. Et aujourd’hui, le lieu où le prophète de l’islam s’était réfugié au cours de la bataille d’Uhud a été scellé au ciment ; les sept mosquées de la Bataille du fossé, officiellement fermées pour restauration en 2006, avaient en réalité été laissées à l’abandon avant leur démolition, en 2014 ; une mosquée ayant appartenu à Abou Bakr a laissé place à un guichet automatique bancaire, et un projet officiel présenté sur 61 pages en 2014 suggère de détruire le tombeau de Mahomet abrité dans la mosquée al-Nabawi et de transférer ses restes dans une tombe anonyme. Étant donnée la levée de boucliers déclenchée par le projet, les Saoudiens l’ont pour le moment mis en sommeil, mais pour combien de temps ?

Mosquée d’Abou Bakr, Médine. Aujourd’hui disparue.

Tout la région du Hedjaz y est passée : de sites scellés au ciment ou dynamités en habitations historiques, mosquées et mausolées rasés, en deux décennies, le pays s’est mué en royaume de l’immobilier moderne où hôtels, parkings et centres commerciaux effacent toute trace d’histoire, à tel point que nombre de musulmans, lettrés comme simples fidèles, comparent ses villes saintes à Las Vegas.

Mais – car il y a un mais – la destructivité des Saoud envers le patrimoine de l’islam et au-delà, à travers les saccages d’organisations wahhabites comme Daech, envers l’héritage culturel général de l’humanité, exclut celui de l’Arabie Saoudite elle-même. Que ce soit de l’hypocrisie, du chauvinisme, une volonté d’afficher une façade de normalité ou une démonstration implicite de pouvoir, un fait inexpliqué demeure : en Arabie Saoudite, des fouilles archéologiques soigneuses mettent régulièrement au jour des objets antiques, aussi bien musulmans que préislamiques, que le musée national de Riyad et des musées de Djeddah se chargent d’exposer et de prêter à des musées du monde entier, représentations anthropomorphes interdites par le wahhabisme incluses. Et ceux-là, idolâtrie ou non, pas question pour eux d’y toucher.

Stèle anthropomorphe prêtée au Louvre en 2010. Arabie préislamique, 4000 av J.C. Musée National de Riyad.

Site archéologique nabatéen Al-Hijr, Arabie Saoudite. Classé patrimoine de l’humanité par l’Unesco.

District At-Turaif de Dariya, première capitale des Saoud. Travaux de restauration en cours. Classé patrimoine de l’humanité par l’Unesco.

Quoi qu’il en soit, l’Arabie Saoudite d’al-Wahhab a développé une version sui generis de sa religion, le wahhabisme saoudien et qatari, animé d’un inlassable zèle prosélyte financé par ses pétrodollars, s’étend chaque jour un peu plus dans le monde, avec son cortège de destructions. Mais, par un étonnant retour des choses – qui ne consolera toutefois pas des centaines de monuments millénaires disparus – des tombes de moudjahiddines wahhabites particulièrement réputés pour leur baraka sont aujourd’hui devenues des lieux de pèlerinage “miraculeux”où les fidèles vont demander leur intercession, qui pour avoir des enfants, qui pour recouvrer la santé, trouver du travail ou d’autres faveurs… “Chassez le naturel, il revient au galop”.

Jannatul Baqi’, à Médine, aujourd’hui. Tombes de quatre imams et de l’oncle de Mahomet.

ANNEXE, photos et vidéos

La Mecque en 1930, vidéo

Destruction of Islamic heritage: How and Why, par le Dr Irfan Al Alawi de l’Islamic Heritage Research Foundation de Londres et Jerome Taylor, journaliste pour The Independent. En anglais.

Al Baqi’, le cimetière sacré et islamique détruit, avant-après.Vidéo.

Jannatul Baqi’, à Médine, où reposent des membres de la famille et des compagnons du Prophète, avant sa destruction de 1925 par Ibn Saoud.

Jannatul Baqi’, à Médine, aujourd’hui.

Autre vue de Jannatul Baqi’, à Médine, aujourd’hui.

La grande mosquée al-Haram de La Mecque, aujourd’hui.

Travaux d’extension et démolitions, grande mosquée de La Mecque, 2013

Portiques ottomans aujourd’hui démolis ou déplacés, La Mecque.

Médine, mosquée (Al-Masjid) al-Nabawi ou mosquée du prophète, avec le célèbre dôme vert qui marque la tombe de Mahomet située à l’intérieur.

ANNEXE 2, photos d’Arabie Saoudite

Le hadj à travers les âges. La Mecque, avant. Photos non datées.

La Mecque, avant. Photo non datée.

La grande mosquée de la Mecque, avant, avec ses arches et ses portiques ottomans encore intacts.

La Mecque, aujourd’hui.

La Mecque, quatre images de destructions d’arches et de portiques ottomans dans le cadre des travaux d’agrandissement du mataf (espace de circumambulation autour de la Kaaba).



La Mecque, décembre 2014.

La Mecque, décembre 2014. Au premier plan, les dômes des portiques ottomans.

Pelleteuses à La Mecque, décembre 2014.

Pelleteuses à La Mecque, décembre 2014.

Portiques ottomans défoncés, La Mecque 2014.

Sans commentaire…



LA La Mecque, les travaux ne s’arrêtent pas la nuit. 2014.




La Mecque by night, chantier et pèlerins.

Nouveaux portiques autour de la Kaaba. Briques, pas de décorations.

Plans de l’extension du mataf (espace de circumambulation autour de la Kaaba).


Sur la gauche, travaux d’extension du palais du roi. Décembre 2014.
http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=1237079&page=380

Vidéo de la chute d’une arche :
https://www.instagram.com/p/wM4bBjDBoW/

…et une photo de plus. La Mecque, décembre 2014.

La tradition cède le pas à une modernité sans concessions qui n’est pas sans rappeler le style architectural des aéroports : pylônes de béton, escaliers mécaniques, sobriété des volumes et luminosité du marbre. La Mecque, décembre 2014.

Enlèvement de la dernière colonne ottomane, 22 décembre 2014. Aux dernières nouvelles, l’intervention de la Turquie a sauvé les colonnes et portiques ottomans de la destruction. Après leur enlèvement, ils ont été pris en charge par une entreprise turque de restauration.

Médine, derrière la façade ouest de la mosquée du prophète. 12 300 bâtiments ont été démolis aux alentours de la mosquée. Décembre 2014.

Médine, mosquée du prophète, travaux d’extension de l’esplanade sur douze hectares de terrain exproprié, décembre 2014.

Médine, mosquée du prophète, aujourd’hui. 2016.

Intérieur de la mosquée du prophète, Médine.

Deux images de l’intérieur de la mosquée du prophète pendant le ramadan, Médine 2012.

Une des façades de la niche entourant la tombe de Mahomet, mosquée du prophète, Médine. La tombe elle-même ne peut pas être vue.

Fidèles devant la façade. Mosquée du prophète, Médine.

Une vidéo explicative de l’agencement intérieur de la niche contenant les tombes de Mahomet, d’Abou Bakr et d’Omar.

Par Corinne Autey-Roussel, pour Les-Crises.fr

Source: http://www.les-crises.fr/recommande-destructions-wahhabites-les-lieux-saints-de-lislam-en-peril/


“L’Europe sociale” des salaires…

Monday 1 February 2016 at 04:52

Comme on le sait, l’Europe sociale avance (presque) à grands pas :

Depuis 35 ans donc (en fait 60 ans, mais bon, ok, commençons avec les 1ères élections de 1979), les choses ont bien progressé, vu qu’on est passé de ça :


à ça :

Et donc, on a eu une convergence évidente au niveau du salaire minimal :

(j’ai rajouté quelques pays hors UE pour comparer…)

Bien entendu, des salaires qui vont de 1 à 5 dans une même zone monétaire, c’est du jamais vu, hein, cela relève de la psychiatrie lourde (simple, imaginez ce qui va se passer si vous mettez le SMIC à 300 € en Alsace… C’est sûr que le chômage va bien y baisser, mais ailleurs, ça ne va pas être rose…)

 

Mais comme il fallait aller encore plus loin dans l’Europe sociale, l’UE s’étend encore à l’Est avec le “partenariat oriental” (j’imagine que l’étape suivante c’est la partenariat grand-oriental avec l’Afghanistan, puis, enfin, le Japon):

Et nous avons donc signé un accord de libre échange avec l’Ukraine appliqué depuis le 01/01/2016…

Et donc, l’Europe sociale des salaires avance encore plus !

Donc nous voilà dans une zone de libre-échange avec des salaires de 1 à 30, (contre 1 à 8 avant l’arrivée de l’Ukraine) pas de souci. Cela semble certes totalement délirant de prime abord, mais grâce à l’UE, on en aura ainsi la preuve par l’exemple – ça manquait…

On déplorera au passage, par esprit de solidarité, la concurrence salariale déloyale que l’Ukraine réalise au détriment du Bangladesh… (mais soyons honnêtes, le salaire minimal ukrainien devrait monter vers 50 € en 2016…)

 

Voici la situation des salaires médians :

(hélas Eurostat n’a pas refait d’étude depuis 2010, sujet annexe pour eux, les salaires, j’imagine… Les chiffres Chine, Turquie et Ukraine sont bien de 2015 eux)

L’Europe sociale est donc en marche – mais prévoir un délai, hein…

P.S. Comme on a étudié la semaine passée les débats des élus qui ont voté ça, n’hésitez pas à les contacter pour leur demander des explications…

Source: http://www.les-crises.fr/leurope-sociale-des-salaires/


[Mobilisation] Référendum néerlandais sur l’accord UE/Ukraine

Monday 1 February 2016 at 02:00

Comme on nous refuse un référendum démocratique sur l’accord de libre-échange avec l’Ukraine, je vous propose de nous inviter dans le référendum auquel ont droit les Néerlandais, prévu le 6 avril.

Et pour cela, j’ai besoin de vous.

J’ai préparé la traduction de 2 graphiques qui vont drôlement plaire là-bas, je pense. Il s’agit de ceux-ci :



http://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2016/02/minimum-loon-europa-1.jpg

http://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2016/02/minimum-loon-europa-2.jpg

L’idée est de les tweeter en masse, pour qu’ils soient visibles aux Pays-Bas, et finissent par être repris et s’y propager, pour montrer pourquoi il faut voter non…

Mais pour que cela soit visuel et donc efficace, ne vous contentez pas de re-tweeter des tweets existants, créez bien des tweet avec l’image visible que vous téléchargez.

Il ne vous reste qu’à mettre un texte d’accompagnement :

Lonen in Europa. Beste nederlanders : stem goed, Europa rekent op U !

(“Salaires en Europe. Amis Néerlandais, votez bien, les Européens comptent sur vous !)

Voici les comptes Twitter des grands médias néérlandais :

@nrc@Webcare_VK@telegraaf@ADnl@Webcare_Parool@vrij_nederland@HPdeTijdNL@NOS@RTLNL@NUnl

 

On va passer la 1ère couche, on y reviendra 1 ou 2 fois d’ici le 6/4 :)

Je compte donc sur vous, vu votre nombre, si vous vous mobilisez régulièrement (étalez un peu les tweets sur quelques jours) ça ne devrait pas passer complètement inaperçu….

Courage, on les aura ! :)

Source: http://www.les-crises.fr/referendum-neerlandais-sur-laccord-ue-ukraine/