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On vous l’avait bien dit que c’est un dingue ce Trump…

Sunday 20 December 2015 at 22:40

Brève de l’Obs ce soir, je n’invente rien :

#TRUMP Il en remet une couche : Donald Trump défend Vladimir Poutine sur les meurtres de journalistes dont il est accusé

Publié le 20/12/15 à 17:51

Le milliardaire américain Donald Trump a défendu ce dimanche Vladimir Poutine contre ceux qui l’accusent d’avoir commandité des meurtres de journalistes.

“Il y a eu des allégations, bien sûr, je les ai vues, mais personne n’a prouvé qu’il avait tué des gens“, a déclaré Donald Trump sur la chaîne ABC. Il passé un long moment à défendre le président russe face au journaliste de la chaîne, George Stephanopoulos, qui a affirmé que Vladimir Poutine était soupçonné dans le meurtre de la journaliste d’investigation russe Anna Politkovskaïa en 2006.

“Pour être tout-à-fait juste avec Poutine, vous dites qu’il a tué des gens. Je n’en sais rien. Êtes-vous capable de le prouver ? Quels sont les noms des journalistes qu’il a tués?” a encore insisté Donald Trump.

Qualifié par Vladimir Poutine d’homme “brillant”, Donald Trump n’avait pas été avare de compliments cette semaine : “[Vladimir Poutine] est un dirigeant fort, il est un dirigeant puissant” avait estimé le républicain, qui fait course en tête pour la primaire en vue de la présidentielle de 2016.

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=> Eh oui, dans notre presse, en 2015, les ragots de bas étages deviennent la vérité dans nos médias !

Et on se retrouve avec des journalistes qui s’étouffent quand un malotru ose demander “mais avez vous le moindre début de commencement de preuve, ou l’avez vous juste rêvé très fort ?”

Amusant aussi, comme à chaque fois (le MH 17, le gaz en Syrie, l’assassinat de l’opposant à Poutine en bas du Kremlin…) on a a des accusations qui feraient se tordre de rire n’importe quel enquêteur sérieux tant elles sont “abracadabrantes”. (indice pour les “journalistes” de l’Obs ; si vous êtes Président de la Russie, et criminel (attention, ce n’est pas un pléonasme), et que vous décidiez de faire assassinez quelqu’un, vous ne prenez pas des petits malfrats qui lui tirent dessus, hein… Vous avez à votre disposition 412 substances pour qu’une mort semble naturelle, ou vous pouvez au pire la faire discrètement enlever et disparaitre sans laisser de traces, etc…

Mais bon, la rasions est toujours absente de ce genre de délire complotiste….

Par ailleurs, pour les mêmes journalistes qui s’étonnent du petit clin d’oeil de Poutine à Trump, ayant depuis longtemps perdu pied avec la réalité, je rappelle que :

1/ les Russes sont désormais officiellement en guerre contre le terrorisme islamique

2/ que, contrairement à nous, les Russes ne font pas semblant, la guerre c’est la guerre – c’est pou cela qu’ils les gagnent d’ailleurs, en général

3/ que l’Occident (et l’administration démocrate actuelle aux USA en premier lieu) soutient les terroristes “modérés”, et leurs financiers : Arabie, Qatar, Turquie

4/ que la possible future adversaire de Trump est “la sainte” Hillary Clinton, qui a juste comparé Poutine à Hitler l’année dernière (elle est donc parfaitement raisonnable et compétente, elle)

5/ que Hitler pour les Russes, c’est comme Hitler pour les Juifs – 20 millions de Russes morts… La comparaison est donc bienvenue…(bien entendu, si elle avait comparé Netanyahu à Hitler, cela aurait probablement été la fin de sa carrière)

6/ Dans la vie, on récolte toujours ce que l’on sème…

Allez, à suivre – je la sens bien 2016 ! (surtout avec les médias de bouse que l’on a)

Source: http://www.les-crises.fr/on-vous-lavait-bien-dit-que-c-est-un-dingue-ce-trump/


[Honte - à vous de jouer !] Le gouvernement bloque en pleine nuit un outil anti-paradis fiscaux, par Christian Chavagneux (Mis à jour !)

Sunday 20 December 2015 at 04:23

Alerte de Christian Chavagneux, qui lutte régulièrement contre la fraude fiscale…

Source : Alterecoplus, Christian Chavagneux, 16-12-2015

Le Premier ministre Manuel Valls, à l’Assemblée nationale. Le gouvernement a fait adopter un amendement annulant le vote en faveur du reporting pays par pays.
©DENIS ALLARD/REA

Mais qu’est-ce qui leur a pris ? Ce fut une nuit de folie à l’Assemblée nationale. A minuit, la France était dotée d’une arme anti-paradis fiscaux très attendue et qui recevait son deuxième vote parlementaire positif en 10 jours. A une heure trente du matin, le vote était annulé par une manœuvre indigne du gouvernement. Pour quel enjeu ?

Une étape clé dans la lutte contre les paradis fiscaux

Il y a 10 jours, l’Assemblée nationale votait positivement en faveur d’un amendement demandant aux entreprises de rendre public, une fois par an, dans chaque pays où elles sont implantées, le montant de leur chiffre d’affaires, le nombre de leurs employés, les profits réalisés et les impôts payés.

Pourquoi ces données sont-elles importantes ? Parce que les paradis fiscaux ne sont pas, contrairement à l’imaginaire public traditionnel, des coffres-forts remplis d’argent. Ce sont des territoires dont les gouvernements vendent la souveraineté aux plus puissants en leur proposant d’écrire les lois qui leur conviennent. Ces lois ont un objectif : découpler, artificiellement, l’endroit où se produit une transaction économique (toucher un salaire, des intérêts, des dividendes, un héritage, réaliser un profit, une plus-value…) et l’endroit où elle est juridiquement enregistrée et donc contrôlée et taxée.

La comptabilité pays par pays, c’est montrer à tous les turpitudes fiscales des entreprises

Avec une comptabilité pays par pays, on peut voir si une entreprise réalise du chiffre d’affaires dans un pays mais cumule des profits dans un autre où elle n’a pratiquement pas d’employés, voire d’activité et toutes sortes de bizarreries comptables. C’est une bonne technique pour repérer ceux qui abusent des paradis fiscaux, avant de déterminer comment les sanctionner.

Le G20 a prévu d’obliger les grandes firmes à fournir ces données aux administrations fiscales. Mais à elles seules. Actionnaires, parlementaires, ONG, journalistes, etc., sont exclus de l’information.

Antidémocratique

La nuit dernière, un amendement soutenu par plusieurs députés socialistes et écologistes visant à rendre publiques ces données reçoit de nouveau un vote positif. Comme le racontent les ONG qui sont suivi le débat, le gouvernement demande alors une suspension de séance, réveille ses partisans et fait voter à 1 h 30 un nouvel amendement annulant le précédent.

Surtout pas de données publiques sur les turpitudes fiscales de nos grandes entreprises. Une honte. Sur cette page de l’Assemblée, vous trouverez les noms des députés présents qui ont permis au gouvernement de réussir sa manœuvre (les votes pour) et ceux des 21 députés de gauche qui ont tenté de sauver l’honneur de leur famille politique.

Une manipulation à 1 h 30 du matin

En 2013, la France avait obligé les banques à fournir ces informations et à les rendre publiques. Le Parlement européen lui avait emboîté le pas et toutes les banques doivent désormais communiquer, à tous, ces informations (une analyse des résultats sera bientôt disponible). L’enjeu était d’étendre cette obligation à toutes les entreprises, au-delà du secteur bancaire.

Cette fois, le gouvernement a suivi le lobbying des grandes entreprises, qui sont vent debout contre la mesure, en refusant la transparence. Avec quel argument ? « On n’est pas sûr que tout ça tourne bien », a déclaré à l’Assemblée nationale Christian Eckert, le ministre du budget… (voir la vidéo)

La France s’enorgueillit d’être un pays moteur dans la lutte contre les paradis fiscaux. Cette nuit, c’était plutôt la France du frein moteur !

CHRISTIAN CHAVAGNEUX
Source : Alterecoplus, Christian Chavagneux, 16-12-2015
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Voici la liste des députés socialistes (pour l’UMP, je ne developpe pas, c’est “normal”) ayant refusé de suivre les préconisations des ONG de lutte contre la fraude fiscale :
  • Frédéric Barbier : barbier.frederic25@gmail.com ; fbarbier@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Marie Beffara : permanence@jeanmariebeffara.fr ; jmbeffara@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Claude Buisine :  jcb.permanence@orange.fr ; jcbuisine@assemblee-nationale.fr, c
  • Christophe Caresche : caresche@club-internet.fr ; ccaresche@assemblee-nationale.fr,
  • Pascal Deguilhem : pascaldeguilhem@free.fr ; pdeguilhem@assemblee-nationale.fr
  • Sébastien Denaja : sdenaja@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Louis Dumont : jldumont@assemblee-nationale.fr ; Jean-Louis.Dumont@wanadoo.fr
  • Jean-Louis Gagnaire : contact@jlgagnaire.com ; jlgagnaire@assemblee-nationale.fr
  • Joëlle Huillier : jhuillier@assemblee-nationale.fr
  • Bernadette Laclais : blaclais@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Yves Le Bouillonnec : jylebouillonnec@assemblee-nationale.fr
  • Viviane Le Dissez : vledissez@assemblee-nationale.fr
  • Bruno Le Roux : bleroux@assemblee-nationale.fr ; brunolerouxdepute@yahoo.fr
  • Victorin Lurel : vlurel@assemblee-nationale.fr
  • Frédérique Massat :  frederique.massat@orange.fr ; fmassat@assemblee-nationale.fr
  • Christine Pires Beaune : cpiresbeaune@assemblee-nationale.fr ; permanence@christinepiresbeaune.fr
  • François Pupponi : fpupponi@assemblee-nationale.fr
  • Valérie Rabault : vrabault@assemblee-nationale.fr ; contact@valerierabault.fr
  • Pascal Terrasse : pterrasse@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Jacques Urvoas : contact@urvoas.org ; jjurvoas@assemblee-nationale.fr
Une semaine après les régionales, n’hésitez donc pas à les interpeller (poliment !) … Bien entendu, si un est votre député, un appel téléphonique à la permanence ou à l’assemblée (01 40 63 60 00) s’imposera lundi…
L’ensemble :

barbier.frederic25@gmail.com ; fbarbier@assemblee-nationale.fr  ; permanence@jeanmariebeffara.fr ; jmbeffara@assemblee-nationale.fr ; jcb.permanence@orange.fr ; jcbuisine@assemblee-nationale.fr ; caresche@club-internet.fr ; ccaresche@assemblee-nationale.fr ; pascaldeguilhem@free.fr ; pdeguilhem@assemblee-nationale.fr ; sdenaja@assemblee-nationale.fr ; jldumont@assemblee-nationale.fr ; Jean-Louis.Dumont@wanadoo.fr ; contact@jlgagnaire.com ; jlgagnaire@assemblee-nationale.fr ; jhuillier@assemblee-nationale.fr ;  blaclais@assemblee-nationale.fr ; jylebouillonnec@assemblee-nationale.fr ; vledissez@assemblee-nationale.fr ; bleroux@assemblee-nationale.fr ; brunolerouxdepute@yahoo.fr ; vlurel@assemblee-nationale.fr ;  frederique.massat@orange.fr ; fmassat@assemblee-nationale.fr ; cpiresbeaune@assemblee-nationale.fr ; permanence@christinepiresbeaune.fr ; fpupponi@assemblee-nationale.fr ; vrabault@assemblee-nationale.fr ; contact@valerierabault.fr ; pterrasse@assemblee-nationale.fr ; contact@urvoas.org ; jjurvoas@assemblee-nationale.fr

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P.S. le PS a réagi vu les mails reçus (comme quoi c’est utile), et c’est du lourd, je vous donne la conclusion :
Je me demande d’ailleurs pourquoi ils parlent de “faux procès”, alors qu’il s’agit d’un vrai procès, si si….
Un socialiste ose tout, c’est même à ca qu’on le reconnait…

Alors on va développer schématiquement.

Les entreprises communiquent sur leur résultat de façon agrégée par pays. Aujourd’hui, on a disons une grande banque qui fait 10 Md€ de chiffre d’affaires et 1 Md€ de bénéfice, monde.

Avec la publicité, le public et les ONG sauront qu’elle fait 8 Md€ de CA en France, avec 0 de bénéfice, et 2 Md€ dans la filiale informatique en Irlande, avec 1 Md€ de bénéfice, peu taxé. Or, c’est bien le groupe qui fixe le niveau de facturation entre l’Irlande et la France, il peut donc simplement transférer du profit là-bas en montant la re-facturation des frais informatiques.

L’avantage, quand c’est public, c’est que tout le monde peut mettre la pression sur l’entreprise (et bientôt sur l’Irlande), qui peut beaucoup moins facilement faire pression sur le fisc.

Alors c’est vraiment se moquer du monde que de parler de “création d’asymétrie d’information”, vu que c’est EXACTEMENT le contraire. Exemple : la banque multinationale communique ses résultats agrégés sur la France et l’Italie. Personne ne sait combien elle gagne en Italie. Mais en revanche, elle, elle sait très bien combien les petites banques italienne non multinationales y gagnent, vu que toute structure communique son résultat global !

Après, une fois que le reporting est public en France, leader, eh bien nous avons un argument de poids pour négocier avec les autres ! Et comme si la concurrente allemande de la banque française soumise à transparence ignorait le niveau de profitabilité en Italie – on croit rêver.

Enfin, c’est débile, la concurrence étant mondiale. Si on continue, on dira qu’on ne peut pas le fait en Europe tant que les USA et la Chine ne l’ont pas fait, etc. Du couillemollisme hollandais dans toute sa splendeur…

On avait déjà l’Europe qui nous obligeait à faire plein de trucs, maintenant on a l’Europe qui nous empêche par son inaction de faire des choses que rien en nous empêche, sinon le lobbying des entreprises… Elles doivent en avoir des choses à cacher…

Bon après, je vais aider le socialistes : quand on veut lutter contre la fraude fiscale, on fait ce que demande Chavagneux, pas Gataz ou Moscovici, c’est un des spécialistes français – et ce n’est pas un trotskyste (mais il est un peu de gauche, attention, vous n’avez plus l’habitude), ça ira très bien pour nos entreprises…

“L’Europe puissance”, quoi…

Source: http://www.les-crises.fr/honte-le-gouvernement-bloque-en-pleine-nuit-un-outil-anti-paradis-fiscaux-par-christian-chavagneux/


La guerre d’Ossétie de 2008 : Une victoire russe (I+II) Par Jacques Sapir

Sunday 20 December 2015 at 03:45

Source : Russeurope, Jacques Sapir,  8-8-2015

La guerre d’Ossétie du Sud, qui a éclaté à la suite de l’agression de la Géorgie en Août 2008 présente certaines analogies avec le conflit qui existe depuis 2014 en Ukraine orientale. C’est pourquoi l’analyse des événements ayant conduit à cette guerre, de l’intervention russe, et de ses suites, s’imposent aujourd’hui. Il faut revenir sur ce conflit en ceci qu’il constitue un prototype des manœuvres provocatrices menées, en partie par les Etats-Unis mais aussi en partie par des autorités locales, ici géorgiennes, là ukrainiennes, contre la Russie.

Cette guerre était un événement certes prévisible, mais qui aurait pu être évité. En effet, les sécessions de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par rapport à la Géorgie ont eu lieu dès la fin de l’Union Soviétique. Elles traduisaient la volonté de populations fondamentalement étrangères à la population Géorgienne de se rapprocher des populations similaires qui vivent sur le territoire de la fédération de Russie. De ce point de vue, ces sécessions témoignent de l’échec de ce qu’il faut bien appeler un ethno-nationalisme, c’est à dire un nationalisme qui se construit autour d’une représentation mythifiée d’une « pureté ethnique » de la Nation, et qui opprime, ouvertement ou insidieusement, des populations considérées dès lors comme « impure » mais qui faisaient auparavant partie de cette Nation. De ce point de vue, cet ethno-nationalisme se révèle le fossoyeur de ces Nations issues de la désintégration de l’Union soviétique car il prétend substituer une « pureté ethnique » à un pacte politique. Cet ethno-nationalismeest aujourd’hui à l’œuvre en Ukraine, et il est le principal responsable de la désintégration du pays. C’est en réaction à cet ethno-nationalisme qu’il faut comprendre tant de la décision de la population de Crimée de rejoindre la Russie que l’insurrection des populations russophones du Donbass.

 Le champ de mines du Caucase et la présence américaine

Le partage des nationalités suivant les lignes administratives fixées du temps soviétique ne pouvait survivre à la fin de l’URSS que si, dans chacun des pays successoraux de l’Union soviétique avait pu s’imposer une conception clairement politique de la Nation. Mais, il faut ici ajouter que les forces qui travaillaient les régions du Caucase du Nord étaient, pour partie, antérieures à la désintégration de l’Union soviétique. En fait, dès les années 1970 les Abkhazes avaient cherché à être rattachés à ce qui n’était encore que la RSFSR. De même, les Ossètes du Sud cherchaient à se rapprocher des Ossètes du Nord, qui eux aussi étaient sur le territoire de la RSFSR. Cependant, c’est bien la guerre civile Géorgienne et l’émergence dans ce pays d’un puissant courant ethno-nationaliste, refusant de prendre en compte la diversité des populations, a radicalisé la situation. L’Ossétie du Sud comme l’Abkhazie se sont séparées de fait de la Géorgie à ce moment, ce qui a donné lieu à une situation tendue, avec une multiplication d’incidents militaires. La Russie a apporté un soutien modéré aux deux régions sécessionnistes dans la période où la Géorgie était dirigé par Shevarnadze. La situation va cependant évoluer à partir de 2002/2004 quand au renforcement de la Russie répond un raidissement de la position géorgienne.

La situation était devenue d’autant plus dangereuse que les Etats-Unis, engagés dans une politique de forte présence au Caucase dans une logique de confrontation avec la Russie, et ce dès la fin des années 1990, ont encouragé les autorités géorgiennes à ne pas chercher de compromis[1]. Les administrations américaines Clinton et Bush ont délibérément encouragé des regroupements de pays tel le GUAM[2] dans une logique d’affrontement avec la Russie. L’aide américaine à la Géorgie a pris une dimension d’aide militaire à partir de 2003 quand Washington a cherché systématiquement des alliés à son intervention en Irak. Les flux financiers issus de cette aide sont rapidement devenus importants et la Géorgie, qui est pourtant un pays fort peu peuplé, entretenait ainsi juste avant le conflit de l’été 2008 l’un des plus gros contingents non-américains en Irak. Cette aide militaire avait aussi pour fonction de crédibiliser la posture du Président Saakashvili qui, dès son arrivée au pouvoir en 2004 n’avait pas fait mystère de sa volonté de récupérer, y compris par la force, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud[3]. La fragilité du système politique géorgien, et du Président Saakashvili lui-même, ne pouvait qu’accentuer les risques. Reconnaissant la dangerosité de la situation, l’ONU avait entériné le principe d’une force de maintien de la paix, composée de soldats russes et géorgiens. L’OSCE maintenait une mission d’observation sur place. On peut ainsi parler pour cette guerre de la chronique d’un désastre annoncé.

 Le piège de l’ethno-nationalisme, fossoyeur des Nations

Mais, il faut revenir sur le phénomène de l’ethno-nationalisme qui se trouve à l’origine de ces guerres civiles, que ce soit en Géorgie ou en Ukraine. Comment, alors, définir un groupe ethnique ? S’opposent ici les tenants entre une vision essentiellement subjective de l’ethnicité et les partisans d’une vision dite « objective »[4]. Il est cependant relativement facile de montrer que ce ne sont pas des faits « objectifs » qui amènent à la constitution d’une Ethnie ou d’un Peuple mais bien des principes politiques. Ceci a été montré par un grand anthropologue, Maurice Godelier, dans son étude sur les Baruya[5]. Il insiste sur l’origine historique des clans et des ethnies. La définition ethnique n’est pas la solution à la constitution de la société :« L’ethnie constitue un cadre général d’organisation de la société, le domaine des principes, mais la mise en acte de ces principes se fait dans une forme sociale qu’on reproduit et qui vous reproduit, qui est la forme tribale »[6]. La distinction entre « tribu » et « ethnie » est essentielle si l’on veut comprendre comment se constituent les peuples. Avec la tribu nous sommes de plein pied dans des formes politiques d’organisations de la société.

Il faut cependant faire une distinction nécessaire entre l’imaginaire et le symbolique pour ce qui est la constitution historique de ce corps social. Dans le domaine du symbolique, il apparaît l’importance de la part du corps dans la constitution de ce sujet social et plus récemment sur la distinction entre les choses que l’on vend, les choses que l’on donne et celles qu’il ne faut ni vendre ni donner mais transmettre. On retrouve ici l’importance des règles, qu’elles soient explicites ou implicites, et qu’elles soient ou non adossées à un tabou. Si les règles symboliques, du fait de l’importance qui leur est conférée, ont bien un effet objectif (nul ne peut s’abstraire sans conséquences des liens familiaux particuliers ni rompre un tabou) leur origine est purement sociale (établir une domination ou organiser des formes de coopération). Le processus d’autonomisation par rapport aux conditions d’émergence et de production est bien de l’ordre du réel, et la situation crée par l’existence d’un mode symbolique en surplomb du monde réel constitue bien une contrainte pour la totalité des acteurs. Pourtant, cela n’empêche pas qu’historiquement, ce qui prime est le processus d’engendrement et de production de ces mêmes règles sociales. La vie en société est donc en réalité antérieure à la construction de l’ethnie. L’ethnie est une construction sociale[7] et non une réalité biologique, et il s’agit parfois d’un mythe discursif utilisé pour séparer une population d’une autre. De ce point de vue, l’ethno-nationalisme qu’il soit géorgien ou qu’il soit ukrainien aboutit à dresser des populations, qui pourtant habitent sur le même territoire, les unes contres autres alors qu’un pacte politique, tel qu’il s’incarne dans une Constitution, permettrait de trouver des médiations assurant une vie commune. Et, ici, on mesure à quel point l’ethno-nationalisme s’avère la fin de la Nation.

 Une défaite américaine ?

Cette guerre a été l’un des événements significatifs de l’évolution du rapport des forces à l’échelle mondiale qui caractérise l’émergence du véritable XXIe siècle politique après la période de transition des années 1992 à 2003. Cette crise a vu la Russie émerger comme un acteur central sur sa périphérie. En effet, l’agression géorgienne, symbolisée par le bombardement sauvage de la ville de Tskhinvali, bombardement qui fait écho aux bombardements que l’on connaît dans le Donbass, a provoqué l’intervention militaire de la Russie. La victoire militaire des forces russes contres les forces géorgiennes, si elle était pleinement prévisible, s’est déroulée de telle manière qu’elle a considérablement ébranlé l’architecture diplomatique et politique de la région. Plus que la Géorgie, ce sont les Etats-Unis qui émergent comme le perdant de cette crise en s’étant avérés incapables soit de la prévenir soit de protéger leur allié local.

Le fait que cette situation soit survenue dix années après la terrible crise financière qui avait frappé en août 1998 la Russie, et simultanément avec une dégradation très sensible de la crise financière américaine, n’est pas seulement symbolique (la crise de Lehmann Brothers surviendra dès le début du mois de septembre 2008). Ceci traduit les effets des évolutions que l’on a connues entre 1998 et aujourd’hui, en Russie et dans le reste du monde. Ainsi, à peine les médias commençaient-ils à reléguer au second plan la crise caucasienne (avec le voyage à Moscou du Président Nicolas Sarkozy de début septembre) que commençait à Wall Street la « Folle semaine » qui vit le gouvernement américain être dans l’obligation de mettre sous tutelle, voire de nationaliser, une partie de son système financier pour éviter un effondrement total. Cette crise est donc symptomatique. Elle est issue des tendances aventuristes de la politique américaine dans les régions de l’ex-URSS et de leurs impacts sur les pays qui ont cherché à s’allier à Washington. En effet, cette guerre aurait pu et aurait dû être évitée, en particulier si la politique américaine dans la région avait fait preuve de plus de sens des responsabilités. Cette guerre s’inscrit aussi dans une succession de crises marquant les effets de la politique américaine en Europe, qui va de la reconnaissance unilatérale de l’indépendance du Kosovo à la décision de déployer un système de missiles anti-missiles en Pologne et République tchèque qui ne peut qu’être perçu comme une agression par la Russie.

Elle a été manipulée pour tenter de ressusciter le climat de la « Guerre Froide » et en ce sens a conduit à une guerre des propagandes dont les effets sont très négatifs. La pratique systématique par une partie des médias européens et américains, à l’initiative des gouvernements, du discours du « double standard » ou de la morale instrumentalisée, a contribué à affaiblir encore plus les principes du Droit international.

Cette crise a aussi posé le problème de l’attitude politique de l’Union Européenne et même de sa simple capacité à avoir une position cohérente avec ses intérêts. De ce point de vue, on peut considérer qu’elle a anticipé sur les positions de l’UE par rapport à la crise ukrainienne. Elle soulève des interrogations importantes quant à la cohérence de la politique internationale française. La Guerre d’Ossétie du Sud apparaît bien comme un événement, en apparence limité, mais qui traduit et impulse des transformations importantes que ce soit dans les rapports de force ou dans les représentations des acteurs.

 Notes

[1] S. Milne, « This is a tale of US expansion not Russian aggression », The Guardian, 14 Août 2008, http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2008/aug/14/russia.georgia

[2] Pour Géorgie-Ukraine-Azerbaidjan-Moldavie.

[3] L’ancien Ministre de la défense géorgien en 2004-2006, Irakli Okrouachvili a indiqué qu’un plan de reconquête militaire de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud existait ainsi dès 2005. Voir Nouvelobs.com, « Le président Saakachvili préparait son offensive dès 2005 », 15 septembre 2009, http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/europe/20080914.OBS1245/le_president_saakachvili_preparait_son_offensive_des_20.html

[4] Simard J-J., « Autour de l’idée de nation. Appropriation symbolique, appropriation matérielle », in Nation, souveraineté et droits, Actes du IVe Colloque Interdisciplinaire de la Société de philosophie du Québec, Bellarmin, Montréal, 1980.

[5] Godelier M., « Ethnie-tribu-nation chez les Baruya de Nouvelle-Guinée», in Journal de la Société des océanistes, N°81, Tome 41, 1985. pp. 159-168. Idem, La production des grands hommes : pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, Paris, Fayard, 1982.

[6] Godelier M., « Ethnie-tribu-nation chez les Baruya de Nouvelle-Guinée», op.cit., p. 163.

[7] Isajiw W.W., « Definition of Ethnicity » in Goldstein J.E. et R. Bienvenue (edit.), Ethicity and Ethnic relations in Canada, Butterworths, Toronto, 1980, pp. 1-11.


Source : Russeurope, Jacques Sapir,  8-O8-2015

 

La guerre d’Ossétie de 2008 – les causes (II)

 Source : Russeurope, Jacques Sapir, 8-08-2015

Qui a piégé qui?

La crise Osséto-Géorgienne a suscité divers commentaires quant à ses causes dans la presse française, pour la plupart faisant porter la responsabilité directe ou indirecte de la crise sur la Russie. Bernard Dreano a soutenu l’idée que les autorités Géorgiennes seraient tombées dans un piège que Moscou leur aurait tendu[1], en faisant croire que la Russie était sur le point d’abandonner l’Ossétie du Sud. Inversement, mais pour aboutir à une conclusion mettant elle aussi la Russie en cause, Bernard Henri-Lévy, à la suite de son très médiatique voyage en Géorgie, a repris la thèse que ce pays aurait déclenché les hostilités pour préempter une attaque russe et que 150 chars russes auraient déjà été présents en Ossétie du Sud[2]. Cette thèse est celle du gouvernement Géorgien, qui a affirmé que son action du 7 août fut une réaction à une entrée massive de l’armée russe via le tunnel de Roki[3]. Notons que ceci fut cependant démenti dès le 7 août par le gouvernement américain qui signalait qu’il n’y avait aucun transfert de troupes de la Russie vers l’Ossétie du Sud[4]. Les nombreuses différences entre la réalité des faits et les déclarations de Henri-Lévy ont d’ailleurs été soulignées par des enquêtes indépendantes[5]. On retrouve ici les mensonges qui ont été proférés six années plus tard sur l’Ukraine.

La thèse Géorgienne, reprise par Bernard Henri-Lévy, a l’intérêt pour les partisans de Tbilissi de réconcilier la constatation indiscutable par tous les observateurs internationaux de ce que l’attaque a été le fait de l’Armée Géorgienne et le droit international. Si ce dernier ne reconnaît pas la légitimité d’une attaque préventive, il admet celle de l’attaque préemptive, qui implique cependant que l’on ait démontré que l’adversaire avait déployé ses unités militaires dans une posture ne laissant aucun doute quant à son intention d’attaquer de manière imminente.

Les deux thèses les plus largement diffusées dans la presse française font donc porter la responsabilité du conflit à la Russie, soit directement en affirmant que ce pays se préparait à envahir la Géorgie et que les troupes géorgiennes ont donc attaqué dans un cadre assimilable à de la légitime défense, soit indirectement en induisant délibérément les autorités géorgiennes en erreur pour les pousser à commettre une attaque légitimant la riposte russe.

En fait, on dispose désormais de bien assez d’éléments pour tenter de débrouiller le vrai du faux. On présente ici un certain nombre d’éléments qui permettent de réfuter ces deux thèses, mais qui montrent aussi qu’il y a bien des questions encore non résolues concernant cette crise.

1. Les manœuvres et les postures.

Le conflit n’a pas éclaté comme l’orage dans un ciel serein dans la nuit du 7 au 8 août 2008. Que ce soit du côté géorgien comme du côté russe s’étaient déroulés des exercices militaires importants qui avaient pour fonction d’envoyer des messages politiques. Les manœuvres précisaient des postures. Ainsi, durant la phase préparatoire aux hostilités qui court de fin juin à début août, deux exercices militaires majeurs ont pris place, en Géorgie comme en Russie. En Géorgie s’est tenu sous commandement américain l’exercice Immediate Response 2008 (IR-08) combinant des forces américaines (US Army et US Marine Corps), de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et de l’Ukraine. Cet exercice s’est déroulé du 15 au 25 juillet et semble avoir considérablement accru la confiance du président Saakashvili dans ses forces armées. À la fin de l’exercice, le nombre des militaires américains (appartenant au US Marine Corps) présents au sein des troupes géorgiennes en tant qu’instructeurs étaient de 117[6].

L’exercice IR-2008 a pris une tournure politique particulière à la suite du sommet de l’OTAN de Bucarest d’avril 2008. On se souvient que la Géorgie avait à cette occasion, cherché à faire valider le principe de son adhésion à l’OTAN. La question était pendante depuis que, à la fin octobre 2004, le Conseil de l’Atlantique Nord avait approuvé le programme Individual Partnership Action Plan qui ouvrait la possibilité d’une accession de la Géorgie au Membership Action Plan (ou MAP), programme qui constitue la phase préparatoire à une adhésion. Mais, durant le sommet de Bucarest, plusieurs pays de l’OTAN, la France, l’Allemagne et l’Italie, se sont opposés à ce que la Géorgie puisse bénéficier du MAP. La déclaration finale du sommet a constitué de ce point de vue un exemple remarquable d’hypocrisie diplomatique puisque si la Géorgie (et l’Ukraine) étaient exclues du bénéfice du MAP, le Président George W. Bush pouvait affirmer sans être démenti que ces deux pays « avaient vocation à entrer dans l’OTAN ». Dans ce contexte, l’exercice Immediate Response 2008 avec l’engagement des forces américaines en Géorgie même qu’il impliquait ne pouvait pas ne pas passer au yeux des autorités géorgiennes comme un engagement moral des Etats-Unis, voire de l’OTAN, à les soutenir.

Dans le même temps, les troupes russes stationnées au Caucase du Nord (la 58e Armée) ont mené, en présence d’observateurs internationaux, l’exercice Kavkaz-2 qui a impliqué des déploiements de force importants. Le thème de cet exercice était le déploiement rapide de troupes à haute efficacité opérationnelles pour assurer la protection d’une région menacée par une intervention extérieure. On ne pouvait plus clairement indiquer aux autorités Géorgiennes la volonté du gouvernement russe d’intervenir en cas d’attaque contre l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud. Cet exercice s’est inscrit dans une suite de manœuvres similaires, dont certaines ont eu lieu en Asie Centrale et dans la Province Maritime d’Extrême-orient de la Russie. Le déroulement de cet exercice, qui a pris fin le 1er août 2008 a souligné le très haut degré de disponibilité des troupes opérationnelles russes, comme l’ont signalé les observateurs de l’OTAN présents. Cet exercice venait à la suite d’autres manœuvres, en particulier navales, qui avaient eu lieu au mois de juin et qui indiquaient elles aussi que la Russie se préparait à venir au secours de l’Abkhazie le cas échéant.

Ces informations auraient du conduire les autorités Géorgiennes a une appréciation plus réaliste et de la disponibilité des forces russe à réagir en cas de reprise des combats soit en Abkhazie soit en Ossétie du Sud et de leurs capacités militaires en cas d’opération contre l’Ossétie du Sud. La question posée est donc de savoir si les Etats-Unis, qui avaient des observateurs à ces manœuvres, ont transmis ces informations (et s’ils ne l’ont pas fait, pourquoi ?) et si elles ont été discutées au sein de la chaîne de commandement Géorgienne. La posture prise par les forces russes était au début d’août 2008 contradictoire avec l’idée que Moscou se préparait à abandonner l’Ossétie du Sud. Ainsi, de même qu’ils auraient du avertir les autorités géorgiennes du message envoyé par les autorités russes à travers les manœuvres Kavkaz-2, les Etats-Unis auraient dû dissiper toutes les illusions géorgiennes quant au degré de leur soutien à une possible initiative militaire, à la suite de l’exercice IR-2008. Pour n’avoir fait ni l’un ni l’autre, ou du moins avoir laissé planer assez de doutes, et avoir laissé subsister assez de zones d’ombre, les Etats-Unis portent une responsabilité directe dans la mise en place d’une désastreuse séquence de décisions du côté géorgien.

2. Les avertissements russes : de l’implicite à l’explicite

Si le déroulement des manœuvres russes de fin juillet 2008 relève de l’avertissement implicite, et de la logique de dissuasion, confronté à la montée des tensions sur la ligne de démarcation entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie, Moscou a adopté une attitude beaucoup plus explicite dans les jours qui précédèrent immédiatement le déclenchement du conflit.

À partir du 31 juillet 2008, les incidents se multiplient en effet entre les forces du gouvernement Ossète et les forces géorgiennes. Des véhicules géorgiens sont victimes de l’explosion d’une bombe sur une route à proximité immédiate de la ligne de démarcation et des miliciens Ossètes sont tués par des snipers géorgiens qui utilisent des armes occidentales (le « fusil de sniper » de 12,7-mm). La succession des incidents ne fait aucun doute, et la responsabilité des deux parties est clairement engagée, même si le but de certaines actions ne semble pas immédiatement politique ou militaire[7]. Dans les quelques jours avant le début des combats (du 2 au 6 août 2008) les autorités russes ont prévenu à plusieurs reprises les autorités Géorgiennes de leur volonté de renforcer les forces de maintien de la paix en raison de la multiplication des incidents sur la ligne de cessez le feu que l’on vient d’évoquer. Les autorités géorgiennes ont protesté contre ce qu’elles ont appelé un renforcement indu de ces forces. Ceci témoigne de ce qu’elles étaient au courant et avaient pris note de la grande réactivité de la partie russe à la dégradation de la situation locale. Le 5 août, l’ambassadeur russe à Tbilissi, Youri Popov, a prévenu officiellement les autorités géorgiennes que la Russie interviendrait en cas de conflit[8]. La position russe avait donc été réaffirmée sans ambiguïtés deux jours avant le début des hostilités. Le 6 août, la presse russe donne un écho particulièrement important à la déclaration de plusieurs responsables d’Ossétie du Sud qui annoncent le risque imminent d’une attaque géorgienne. Rien ne vient donc soutenir la thèse que les autorités russes se seraient préparées à abandonner l’Ossétie du Sud à son sort et auraient pris leur parti d’une opération militaire géorgienne.

La combinaison de la démonstration faite durant les manœuvres de fin juillet et de ces éléments rend très peu crédible l’hypothèse d’une « piège » politique tendu par les autorités russes aux autorités géorgiennes. Si Moscou avait tenté de « piéger » Tbilissi, l’exercice Kavkaz-2 aurait été bien moins explicite, bien moins démonstratif et les autorités russes beaucoup plus passives entre le 2 et le 6 août.

 3. La vacuité de la thèse de l’attaque pré-emptive.

Le renforcement des troupes russes déployées sous mandat ONU en Ossétie du Sud à la veille de l’attaque géorgienne a été limité (environ 350 hommes). Il ne saurait justifier la thèse défendue par Tbilissi qui assimile son action à une attaque préemptive, rendue nécessaire par une menace imminente pesant sur la Géorgie. Les affirmations de BHL sur les « 150 chars russes » ayant traversé le tunnel de Roki le 6 ou le 7 août, qui reprennent le discours des autorités géorgiennes du 7 août (affirmations par ailleurs démenties par l’OSCE et les Etats-Unis), sont incohérentes avec le reste des événements. En effet, si les autorités russes avaient décidé de déployer une telle force ce ne sont pas seulement des chars qui auraient transité (150 chars représentent au moins 4 bataillons – à 33 chars chaque- soit plus que l’effectif en chars d’un régiment blindé) mais l’équivalent d’une large fraction d’une Division Blindée (avec outre cet hypothétique gros régiment de chars, au moins un régiment d’infanterie mécanisé, des moyens d’artillerie et de défense anti-aérienne).

Contrairement à ce qu’affirme BHL et ce que croient des personnes ne connaissant pas la chose militaire, on ne déplace pas des chars comme des jouets. On déplace des unités militaires, qui ont un Tableau des Effectifs et des Equipements connu. Si l’on veut avoir 150 chars dans un point donné, on transfère les unités dont la somme des équipements aboutit à ce nombre. Compte tenu des moyens de soutien aux unités blindées cela fait une force considérable, représentant environ les 2/3 d’une Division Blindée. Même si l’on estime qu’il s’agit de 150 véhicules blindés et non de 150 chars (les déclaration de BHL et des géorgiens ne sont pas toujours très précises)[9], on est quand même en présence de l’équivalent d’au moins un régiment blindé ou mécanisé, soit une unité importante disposant d’équipements et de forces d’appui non négligeables.

Dès la nuit du 7 au 8 août, les forces géorgiennes auraient donc du être confrontées à des moyens de feu puissants de la part de ces très hypothétiques troupes russes, ce qui n’est pas le cas. Les chars russes ne sont arrivés dans les faubourgs nord de Tskhinvali que dans la matinée du 9 août. Les avions géorgiens n’ont pas été pris à partie par une défense anti-aérienne dans la journée du 8 (les films de la télévision russe montrent des Su-25 Géorgiens opérant à basse altitude sans opposition). Un régiment de chars russes a des moyens anti-aériens (missiles et canons à tir rapide) conséquents…L’artillerie géorgienne aurait été immédiatement prise à partie par les moyens d’artillerie russes (tirs de contrebatterie). Ceci ne se produit qu’à partir de la journée du 9 août.

Le déroulement des opérations militaires par la suite est contradictoire avec la thèse géorgienne. Si l’Armée Russe avait été déployée en nombre et posture justifiant une attaque préemptive, les combats du 8 auraient été bien plus violents. Par ailleurs, si réellement l’Armée Russe avait pris position en Ossétie du Sud avec l’intention d’attaquer la Géorgie dans les jours suivants, la seule attitude rationnelle aurait été pour l’Armée Géorgienne de constituer des lignes de défense échelonnées entre l’Ossétie du Sud et les objectifs stratégiques potentiels en Géorgie, afin de tenter de « casser » l’attaque russe tout en faisant la démonstration à l’opinion internationale de son statut de défenseur. Compte tenu du rapport des forces, si l’Armée Russe avait réellement déployé des moyens en Ossétie du Sud qui auraient été susceptibles de menacer directement et immédiatement (deux conditions à remplir pour se prévaloir d’une attaque préemptive) la Géorgie, alors attaquer ces forces était totalement suicidaire de la part des forces géorgiennes.

La pénible réalité qu’il faut bien constater est que les autorités géorgiennes ont eu recours à un subterfuge grossier pour camoufler leur responsabilité dans le déclenchement du conflit et ses conséquences ultérieures. Il est ici significatif que la Secrétaire d’Etat Américaine Mme Condoleeza Rice a admis publiquement que c’était les forces géorgiennes qui avaient lancé le 7 août une opération militaire « majeure » sur Tskhinvali et les autres régions de l’Ossétie du Sud[10].

 4. Les incohérences du discours et de l’attitude géorgienne.

La thèse du « piège » politique tendu par la Russie à la Géorgie peut alors être évoquée. Les autorités russes auraient ainsi laissé les forces Ossètes provoquer les troupes géorgiennes tout en laissant entendre au gouvernement de Tbilissi que la Russie se désintéressait du devenir de l’Ossétie du sud. Pour être moins contraire à la réalité des faits, cette thèse soulève alors une autre question, au-delà de la démonstration faite plus haut que rien dans le comportement russe ne vient accréditer cette thèse. Si le plan des autorités de Tbilissi avait été uniquement de reprendre le contrôle de l’Ossétie du Sud en tablant sur une passivité, voire une connivence de la Russie, pourquoi les forces géorgiennes ont-elles tiré sans sommation et délibérément sur les troupes russes sous mandat ONU dès le 7 août ?

Les faits sont ici très clairs. À 11h40 le 7 août, soit environ 30 minutes après que le Président Géorgien ait fait informer le général russe en charge des forces du Maintien de la Paix qu’il entendait user de la force pour « instaurer l’ordre constitutionnel » à Tskhinvali, une grenade tuait 2 soldats russes dans un des postes d’observation[11]. Dans la nuit du 7 août dès le début du bombardement systématique de Tskhinvali et des environs (les premiers tirs sont enregistrés vers 23h30 et les forces russes de Maintien de la Paix seront prises à partie dès 23h40), une des casernes abritant les soldats russes de la force de Maintien de la Paix est délibérément prise pour cible par l’artillerie Géorgienne. Ce tir provoquera 10 morts du côté russe, portant ainsi à 13 le nombre des victimes dues aux tirs Géorgiens si on inclut un autre soldat tué dans la nuit. Ce tir est délibérément provocateur et ne peut que conduire à une réaction russe. Les autorités géorgiennes ne peuvent l’ignorer. La logique eut voulu d’éviter de prendre à partie ces troupes si on pensait qu’elles pouvaient rester passives. Ceci contredit à nouveau l’hypothèse que les autorités Géorgiennes auraient pris leur décision en escomptant une passivité de la Russie, dans le cadre d’un « piège » qui leur aurait été tendu.

La violence de l’attaque initiale était, elle aussi, volontairement provocatrice vis-à-vis de la Russie, comme le montrent les dommages subis par la population civile dans l’agglomération de Tskhinvali. On renvoie ici au cliché haute résolution de la région présenté dans l’annexe 1. Cette photo satellitaire de bonne résolution ne prend en compte que les dommages « verticaux » (ceux causés par l’artillerie et les lance-roquettes de 122-mm) et les bâtiments brûlés. Les dommages causés par des tirs « horizontaux » (canons de chars ou de BMP-1 et 2, tirs de mitrailleuses) n’apparaissent pas. On constate deux lignes de dommages, qui correspondent à l’évidence à deux axes de tir de l’artillerie géorgienne, l’un orienté Sud-Ouest/Nord-Est et l’autre Sud/Nord.

La photo permet d’évaluer les dégâts. Il semble que des villages au Nord-Est de Tskhinvali, et dont la population était Géorgienne ou mixte Osséto-Géorgienne, furent aussi touchés à ce moment. Il est possible (et probable) que certaines des destructions sur les villages les plus au nord de Tskhinvali soient le résultat ou de combats dans la journée du 9 août ou des représailles exercées par des forces Ossètes après le 11 août. Cependant, on constate très clairement sur la photo que les villages à population géorgienne qui sont hors de la ligne de tir initiale de l’artillerie géorgienne (Dzartsemi et Kheiti) sont beaucoup moins touchés que le reste. Il faut donc retenir comme possible l’hypothèse qu’une bonne partie des dommages relevés avant le 19 août (date du cliché) dans des villages à population géorgienne et imputés aux milices Ossètes soit le résultat du tir des forces géorgiennes dans la nuit du 7 au 8 août.

Nous savons, de plus, que les troupes géorgiennes n’ont pénétré qu’aux deux tiers de Tskhinvali soit à la hauteur de 42°14’ Nord en coordonnées standard. La forme des dégâts à Tskhinvali, leur répartition géographique, confirment plusieurs points :

 
  • L’agglomération a subi un bombardement délibéré et massif de la part de l’artillerie géorgienne.
  • Ce bombardement ne correspond pas aux combats les plus violents, car une partie importante des destructions est située au nord de la ligne d’avance la plus importante des troupes géorgiennes. Ces destructions sont donc l’effet d’un bombardement délibéré sur des objectifs civils et une population sans défense. Ceci les qualifie indiscutablement en crimes de guerre.
  • Les tirs géorgiens semblent avoir répondu à deux objectifs, d’une part détruire un certain nombre de bâtiments clés pour désorganiser le commandement Ossète, et d’autre part provoquer délibérément de fortes pertes civiles afin de provoquer un exode massif de la population. On ne peut donc ici parler d’erreur de tir ou, pour user de l’affreux euphémisme utilisé d’habitude en ce cas de « dommage collatéral ». L’attaque de la population civile faisait partie de la stratégie géorgienne et soulève donc la possibilité d’une accusation en nettoyage ethnique.

Je rappelle que tous les témoignages dont nous disposons concordent sur le point que la majorité des destructions correspond à la nuit du 7 au 8 août lors du bombardement initial, où 5% d’une ville de 30 000 habitants auraient été détruits. Le sud de Tskhinvali, si l’on en croit la télévision russe a été durement touché dans les combats du 8 et du 9, mais les dommages, causés par des tirs horizontaux, ne sont pas visibles sur la photo satellitaire. Il y a eu d’autres bombardements le 8 et le 9 août, mais ils semblent avoir été moins violents que l’attaque initiale. Notons que les observateurs militaires de l’OSCE ont signalé ces faits comme le rapporte désormais le journal Der Spiegel Allemand. Ils ont signalé la possibilité que les Géorgiens aient commis des crimes de guerre lors de l’attaque de Tskhinvali[12]. On cite des cas où les forces géorgiennes s’approchant de la ville ou entrant dans celle-ci auraient mitraillé les civils.

Compte tenu du nombre de bâtiments touchés, du fait que le bombardement a eu lieu de nuit, et de l’effet de surprise, il est très probable que le chiffre des victimes ait été très élevé, et supérieur à 1000 pour cette seule attaque. Un bombardement de cette ampleur, combiné à l’attaque délibérée sur les forces russes présentes sous mandat ONU, ne pouvait pas ne pas provoquer une forte réponse de la part des autorités russes. Si les explications jusqu’ici avancées, celle de Bernard Dreano sur un « piège » politique russe ou celle de BHL et des autorités géorgiennes sur une attaque préventive face à une forte pénétration mécanisée des forces russes ne résistent pas à l’examen des faits[13], on doit tenter de comprendre ce qui s’est passé.

 5. La nature « semi-féodale » de l’armée géorgienne.

Toute analyse des causes du conflit doit d’abord souligner la nature hétérogène et « semi-féodale » de l’armée géorgienne et de la chaîne de commandement militaire. Cette situation est pour partie l’héritage de la guerre civile de 1992-1993 et pour partie le résultat paradoxal des programmes de modernisation de l’armée géorgienne mis en œuvre avec le soutient des Etats-Unis.

L’origine de ces programmes remonte à l’adhésion de la Géorgie au programme « Partenariat pour la Paix » de l’OTAN (Partnership for Peace) en mars 1994. Ceci a établi une base légale pour le développement d’une coopération militaire entre la Géorgie et les Etats-Unis qui s’est concrétisé par le Georgia Train and Equip Program (GTEP) qui se met en place à partir du 29 avril 2002. Avant même le GTEP, les Etats-Unis, qui avaient soutenu la mise en place du groupe GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaijan et Moldavie) comme moyen de favoriser une influence occidentale, avaient joué les intermédiaires pour des livraisons d’armes de l’Ukraine à la Géorgie. Il ne s’agissait cependant que de matériels ex-soviétiques[14]. Dans le cadre du GTEP, les Etats-Unis on développé un programme particulier en direction de la police et des douanes, le Georgia Border Security and Law Enforcement Program (GBSLEP). L’influence américaine s’est donc faite sentir nettement au-delà des forces armées. Le GTEP incluait non seulement l’entraînement et la formation des cadres et personnels de l’armée géorgienne, mais aussi une aide financière et technique ainsi que des livraisons d’armes, soit directement soit indirectement comme lors de la cession par la Grèce d’une vedette lance-missiles de type La Combattante-II devenue la Dioskura dans la marine géorgienne.

On estime que pour 2002, soit l’année de démarrage du programme, l’aide directe et indirecte dans le cadre des deux programmes GTEP et GBSLEP a été équivalente à 50% du budget militaire de la Géorgie, qui à l’époque était il est vrai squelettique. Au total, en 2002 et 2003, ces deux programmes ont représenté une injection de 64 millions de Dollars US dans les forces armées et de sécurité de la Géorgie, soit un doublement des sommes qui étaient inclues dans le budget géorgien pour ces forces et cette période.

L’ampleur des programmes d’aide militaire américains s’est brutalement accrue quand la Géorgie a accepté de soutenir les Etats-Unis dans l’invasion de l’Irak[15]. Le GTEP a été remplacé en 2005 par le Georgia Security and Stability Operations Program (GSSOP) qui a inclus des transferts financiers significatifs. Ainsi le budget militaire de la Géorgie est passé de 18 millions de Dollars par an en 2002 à 879 millions en 2007.

 

La somme de 879 millions de Dollars ne correspond pas au total des dépenses militaires pour 2007 mais uniquement aux dépenses financées sur le budget de l’État géorgien. L’accès à l’aide financière américaine, ainsi que le transfert gratuit d’équipements, de carburants et la prise en charge des dépenses d’entraînement et de garnison des troupes géorgiennes hors du pays a représenté une part considérable des dépenses réelles. Ces dernières ont été estimées par différentes sources à 3 milliards de Dollars US[16], soit 29% du budget. L’aide américaine s’est donc traduite par une injection massive de fonds dans un pays qui reste extrêmement pauvre, avec un PIB par habitant calculé à moins de 2400 dollars US par an.

L’armée géorgienne s’est alors clivée en une fraction soutenue et encadrée par les instructeurs US, et dont la solde est considérable dans les conditions locales (elle peut dépasser les 2000 Dollars par mois pour certaines unités ce qui correspond à une véritable fortune dans la Géorgie actuelle), et le reste des forces armées qui est toujours mal soldé, mal équipé et peu entraîné. Le haut commandement et une partie de la classe politique (le Ministre de la défense, le Chef d’état-major, le Président..) ont pris l’habitude de « patronner » des unités. Ils en tirent une certaine légitimité, mais aussi une garantie pour leur avenir politique dans un pays où les institutions politiques sont peu stabilisées et qui a connu, il y a quelques années, une guerre civile. Pour les soldats et les officiers de ces unités « patronnées », le patronage est une garantie que le flux d’argent et d’équipement ne va pas se tarir, et que leurs chances de promotion sont bien plus grandes que dans les autres unités. Le patronage assure aussi la possibilité de faire nommer dans l’unité privilégiée des membres de sa famille et de sa parentèle et donc d’étendre la liste des bénéficiaires de la « rente militaire ». C’est d’ailleurs un phénomène que l’on constate à nouveau en Ukraine, au sein des forces armées de Kiev. Si l’on accepte l’évaluation totale des dépenses militaires de la Géorgie à 3 milliards de Dollars, compte tenu du montant des dépenses figurant au budget, on aurait un flux de transfert supérieur à 2,1 milliards de Dollars (soit plus de 20% du PIB). La part monétaire directe (les soldes et subventions) et indirecte (les achats faits en Géorgie sur la base des crédits des programmes d’assistance) de ce flux pourrait atteindre 12% à 14% du PIB, bénéficiant directement à une fraction très réduite de la population.

Ceci aboutit à des forces armées qui dans certains cas sont plus fidèles à des hommes qu’à des institutions. La chaîne de commandement est ainsi fragmentée. Ceci aboutit aussi à de grandes différences dans l’efficacité des unités, la motivation et la fidélité des troupes.

Outre les transferts issus de l’aide militaire américaine la principale source de financement extérieur du pays résidait dans le rapatriement des revenus des géorgiens travaillant en Russie. On y estime à 600 000 le nombre d’immigrés géorgiens, ce qui est un nombre considérable quant on sait que la population en Géorgie ne dépasse pas en 2007 4,4 millions. Les chiffres de ces rapatriements diffèrent suivant les statistiques de la Banque Centrale de Russie (qui les estime à 665 millions de Dollars) et ceux des statistiques de la Banque Centrale de Géorgie (545 millions de Dollars). Cependant, la fraude fiscale peut induire des sous-déclarations aux autorités géorgiennes, ce qui expliquerait la différence entre les 2 chiffres. Quant on sait qu’une partie des rapatriements de revenus ne se fait pas en monnaie mais en biens (le migrant achète en Russie des biens de consommation qu’il rapatrie en Géorgie lors d’un séjour dans sa famille et revend alors sur place[17]), le montant des transferts en provenance de Russie pourrait s’établir à près d’un milliard de Dollars, soit environ 10% du PIB.

Il s’agit d’un montant non négligeable. Il est cependant probablement mieux réparti dans la population que les flux issus de l’aide militaire, qui sont beaucoup plus concentrés et par là plus susceptibles d’engendrer des effets rapides d’enrichissement à l’échelle des individus ou des familles. Cette nature « semi-féodale » de l’armée Géorgienne s’accompagne de ce que l’on peut interpréter comme une « euphorie militaire » de l’économie et de la société. En effet l’injection massive de moyens financiers à travers les programmes d’aide militaire permet de comprendre une anomalie des données économiques du Pays. En 2007, les importations de la Géorgie ont atteint 5,2 milliards de Dollars soit pratiquement 50% du PIB. Les exportations restant à 1,2 milliards, on atteint un déficit commercial de 39% du PIB, qui n’est clairement pas supportable à moyen terme.

Le pays, depuis l’arrivée au pouvoir du Président Saakashvili en 2004, est clairement sous perfusion économique et financière du fait de l’aide militaire américaine. La forte accélération de l’accroissement des budgets militaires en témoigne. Les phénomènes de rente liés à la capture des flux financiers liés aux programmes d’aide militaire jouent un rôle important dans la structuration sociale et politique du pays.

 6. Les déterminants internes du choix de la guerre par la Géorgie.

Dans ce contexte, une hypothèse crédible et soutenue par plusieurs sources est que des responsables géorgiens ont tenté une opération militaire sur Tskhinvali essentiellement pour en retirer un bénéfice politique contre le Président Saakashvili, dont la dernière élection a été fortement contestée en raison d’irrégularités évidentes, qui avaient d’ailleurs provoqué de violentes manifestations de la part des partis d’opposition. Le Président Saakashvili a cherché à construire sa légitimité depuis sa prise du pouvoir lors de la « Révolution des Roses » de 2004 sur sa capacité à restaurer l’unité nationale. Si ses efforts face aux tendances centrifuges en Adjarie ont été couronnés de succès, il est allé d’échecs en échecs en ce qui concerne l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud dont les populations se sentent bien plus radicalement étrangères à la Géorgie. L’incapacité de Saakashvili à concrétiser ses promesses nationalistes est venue s’ajouter à l’insatisfaction générale qu’engendre une politique économique qui n’a eu que peu d’effets positifs pour la population. Le PIB de la Géorgie n’atteignait encore que 65% de son niveau de 1990 en 2007. Même si l’on tient compte de la baisse de la population Géorgienne (liée à une très forte émigration) le PIB par tête en 2007 ne dépasse pas les 80% de son niveau de 1990. Au sein même de son parti et de son gouvernement, Saakashvili a été confronté à une contestation forte, en particulier depuis les élections de début 2008 qui ont montré la fragilité de sa position. On peut penser que certains responsables gouvernementaux ont tenté de supplanter le Président comme chef politique en préemptant à leur profit son programme de reconquête de l’Abkhazie et de l’Ossétie. La nature fragmentée et rentière des forces armées, ce que l’on a appelé leur nature « semi-féodale », a certainement été ici un élément favorisant de telles initiatives.

On peut penser que Saakashvili, prenant connaissance dans les premiers jours d’août de ces projets et en mesurant le danger qu’ils faisaient peser sur son avenir politique, aurait été obligé de se lancer dans une surenchère sur la question de l’Ossétie du Sud pour ne pas perdre la face et son pouvoir. Ceci pourrait alors expliquer le discours extrêmement agressif du Président Saakashvili du 7 août que l’on a déjà évoqué et dont on a signalé qu’il était pleinement contradictoire avec la thèse d’une opération Géorgienne volontairement limitée à l’Ossétie du Sud, décidée en se fondant sur une passivité ou une connivence de la Russie. L’ancien Ministre de la Défense de Géorgie Irakli Okrouachvili, qui fut en poste de 2004 à 2006 et qui s’est enfuit de son pays à la suite d’un conflit avec le Président Saakashvili, a révélé publiquement qu’un plan de contrôle militaire de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie avait été préparé en 2005 par les autorités géorgiennes[18]. La date de rédaction de ce plan correspond à la montée en puissance de l’aide américaine. Cependant, ce plan n’avait pas retenu à l’époque le soutien des autorités américaines qui, selon l’ancien Ministre de la Défense, avaient alors explicitement déconseillé aux autorités géorgiennes une aventure militaire.

Le plan géorgien de 2008 n’était pas la simple reprise de 2005 et, d’après ce que l’on peut savoir au début de septembre 2008, aurait alors reposé sur une série d’hypothèses. Supposant que les troupes russes de la 58e Armée ont reçu des permissions massives (ce qui est logique à la fin des grandes manœuvres et de plus quand elles correspondent au début des vacances), les dirigeants géorgiens tablent sur la lenteur de la réaction russe (aggravée par le fait que Vladimir Poutine sera à Beijing pour les Jeux Olympiques et due Dmitry Medvedev est en vacances à Sotchi) et non sur la passivité de la Russie. Ils estiment qu’il faudra au moins 3 jours à la 58e Armée pour commencer à réagir et sans doute 5 ou 6 pour qu’elle se déploie en Ossétie du Sud. Ils s’estiment alors capables d’occuper la majorité du territoire de l’Ossétie du Sud et de provoquer un tel flot de réfugiés vers le Nord que le tunnel de Roki en serait bloqué. La destruction du tunnel, ainsi que celle des ponts situés sur la route allant vers Java a aussi pu être planifiée pour tenter d’isoler l’Ossétie du Sud de renforts russes. Le déploiement des forces russes pourrait ainsi être considérablement retardé, ce qui permettrait aux autorités géorgiennes de mobiliser leurs soutiens politiques internationaux pour faire valider la nouvelle situation de fait et présenter une tardive réaction russe comme une « invasion » délibérée. Pour réussir, un tel scénario implique d’une part que les troupes géorgiennes puissent conquérir très vite Tskhinvali et les environs (d’où la nécessité de déployer des moyens considérables à l’échelle du pays et d’agir de manière très brutale) et d’autre part que la population Ossète soit prise de panique. Il faut donc délibérément provoquer de fortes pertes civiles afin d’induire le flot de réfugiés qui doit rendre le tunnel de Roki impraticable ou détruire ce dernier ainsi que la route qui descend vers Java.

Ce plan cependant est très fragile, et repose sur une succession de « si ». Que l’un vienne à manquer et le plan général s’effondre. L’analyse fournie dans la Jane’s Defence Weekly souligne les erreurs stratégiques commises par les Géorgiens.[19] Si les troupes russes sont plus réactives que ce que les Géorgiens ont prévu, et si l’avance dans Tskhinvali est plus longue que prévue, ou si le tunnel de Roki et la route de Java ne sont pas bloqués, alors les troupes géorgiennes sont prises « la main dans le sac ». Le nombre d’impondérables était très élevé.

On peut penser que le jeu politique interne en Géorgie, le choc des ambitions et des combinaisons politiques, ait conduit à une prise de risque bien excessive de la part des autorités géorgiennes. C’est ici que la confiance placée par le Président Saakashvili dans les forces spéciales géorgiennes entraînées par l’Armée Américaine a pu jouer. Saakashvili et les responsables militaires Géorgiens ont pu croire qu’ils pourraient effectivement isoler l’Ossétie du Sud en détruisant les voies d’accès depuis la Russie. Une prise de risque inconsidérée est ainsi probable et d’autant plus que la chaîne de commandement est fragmentée. Après tout, les dirigeants géorgiens ne seraient pas les premiers à avoir déclenché une guerre sur la base d’une évaluation stratégique erronée…On doit ajouter que les perfusions massives d’équipements et d’argent qui ont été consenties par les Etats-Unis au profit des forces armées et de sécurité de la Géorgie ne pouvaient que créer un sentiment de puissance très illusoire.

Il faut noter que Saakashvili a déclaré le 7 août a la télévision Géorgienne son intention de « mettre fin aux régimes criminels d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie »[20]. Cette déclaration est significative car elle indique la volonté du Président Géorgien de présenter son action comme globale et non comme une simple réaction à la multiplication d’incidents que l’on connaissait depuis le 1er août.

La déclaration du 7 août est irresponsable et incompréhensible si l’on se place du point de vue d’une opération limitée réalisée avec l’assentiment des autorités russes. Elle devient plus logique si l’on considère que Saakashvili est engagé dans une spirale de la surenchère pour des raisons de politique intérieure. La déclaration de Saakashvili, il faut le signaler, est postérieure à une déclaration officielle datant du 5 août, réaffirmant la volonté des autorités russes de garantir et défendre l’Ossétie du Sud[21]. Elle est aussi postérieure à des déclarations du même Saakashvili faites entre le 1er et le 4 août et où le Président géorgien appelle à mettre fin à la « guerre des snipers ». Saakashvili a visiblement changé radicalement de position entre le 4 et le 7 août, ce qui conforte l’hypothèse d’une décision d’attaque prise dans le cadre d’une logique de surenchère politique se développant au sein du gouvernement géorgien.

Il faut donc souligner que si le plan géorgien est bien celui que l’on vient d’indiquer et qui correspond a différents éléments d’information qui ont pu être recueillis entre fin août et début septembre 2008, alors nous retrouvons une cohérence aux actions militaires géorgiennes des 36 premières heures des combats. Ceci est vrai y compris pour l’attaque délibérée sur les troupes russes en position d’observateur, ainsi que le meurtrier bombardement de Tskhinvali et de ses environs, qui ne sont pas compréhensibles autrement.

 7. La responsabilité américaine.

Cependant, l’hypothèse présentée ci-dessus, si elle est cohérente avec l’état sociologique et politique de l’armée géorgienne soulève d’autres problèmes, et en particulier celui de l’attitude des États-Unis. Compte tenu de la présence des conseillers militaires intégrés dans les unités géorgiennes, Washington ne peut pas ignorer ce qui se prépare. D’ailleurs, la mission militaire israélienne (qui entraîne les Géorgiens à l’usage des drones) va se retirer le 6 août. Pourtant, les autorités américaines n’interviennent à aucun moment pour calmer le jeu, alors qu’elles disposent des rapports montrant l’état de disponibilité des forces russes (rapports envoyés par les observateurs qui ont assisté aux manœuvres Kavkaz-2 déjà évoquées) et qu’elles ne peuvent ignorer que les forces géorgiennes n’ont aucune chance face à la 58e Armée. En 2005, si nous en croyons l’ancien Ministre de la Défense de la Géorgie, les Etats-Unis s’étaient explicitement opposés à l’option militaire. Ceci prouve qu’ils en avaient les moyens, et ce à un moment où leur influence à Tbilissi était bien plus faible qu’elle ne l’était en 2008. Cet événement ne rend que plus surprenant le fait qu’une mise en garde analogue n’ait pas été formulée au début août 2008.

À défaut d’une mise en garde, les autorités américaines auraient pu et du retirer leurs conseillers militaires, intégrées au sein des unités géorgiennes. Elles n’en font rien, prenant ainsi la responsabilité que des officiers américains soient directement impliqués dans plusieurs violations du Droit International et dans des crimes de guerre et passent du statut d’instructeurs à celui de conseillers. Elles prennent aussi la responsabilité d’une situation telle que ces officiers puissent être fait prisonniers par les forces russes. De fait, il y a eu à la connaissance de l’auteur deux occasions où, le dimanche 10 août, des troupes russes ont été à deux doigts de capturer des officiers américains. Ils semblent que les officiers russes ont volontairement laissé partir l’unité géorgienne encerclée pour ne pas à avoir à gérer un problème politique quelque peu délicat…

Il faut ici ajouter que les 117 officiers américains présents dans les forces géorgiennes ne sont pas les seuls ressortissants étatsuniens présents sur le terrain. Les précédents en Irak et en Afghanistan montrent que les missions de formation et d’entraînement qui sont mises en place par les forces armées américaines impliquent très souvent la présence de sociétés privées (les « contractors ») auxquelles une partie du travail est sous-traité. La présence d’employés de ces sociétés au sein des unités géorgiennes est très probable. Les autorités russes ont fait mention de « mercenaires » qui auraient été blessés et capturés lors des combats du 9 août à Tskhinvali[22]. Ce point n’a plus refait surface depuis en raison des problèmes juridiques qu’il soulève. En effets, des ressortissants étatsuniens ou de tout autre pays employés par des sociétés de sécurité privées et combattant au sein des unités géorgiennes, même si ces dernières ont un contrat en bonne et due forme avec l’US Army ou les autorités géorgiennes, sont techniquement des mercenaires et pourraient être traités comme tels par les autorités russes. Si des ressortissants américains sont bien tombés entre les mains des forces russes, on peut parier qu’ils ont été discrètement expulsés dès que leur état de santé l’a rendu possible.

Quoi qu’il en soit, le comportement de Washington est ici hautement irresponsable et la responsabilité des Etats-Unis dans le déclenchement de la crise engagé, au moins de manière indirecte. Vladimir Poutine a affirmé que le gouvernement américain aurait commandité l’attaque géorgienne pour favoriser l’élection de McCain. Honnêtement ceci semble à première vue peu crédible ; mais, force est de constater qu’il y a des points troublants dans l’attitude américaine. Il y a ici trop de zones d’ombre pour que l’on puisse balayer du revers de la main la pire des hypothèses, soit celle d’une manipulation délibérée des autorités géorgiennes par les Etats-Unis. A-t-on donc voulu tendre un piège aux Russes en espérant capitaliser sur la réaction anti-russe de certains pays pour faire avancer des dossiers comme celui de l’élargissement de l’OTAN ou le bouclier anti-missiles, voire effectivement pour relancer la candidature McCain ? Est-ce une simple suite d’incompétences dans l’administration US ? Officiellement, les autorités américaines ont nié une dégradation de la situation sur le terrain jusqu’au 7 août alors que la représentation militaire israélienne a commencé à réagir dès le 3 août. À l’heure actuelle, les deux hypothèses évoquées, celle impliquant la manipulation et celle impliquant une suite calamiteuse de catastrophiques erreurs de jugement, sont plausibles. Ce qui n’est pas plausible est la thèse d’une administration américaine qui n’aurait pas été au courant de ce qui se tramait. La réaction israélienne le montre.

 8. La position russe.

Il reste à évaluer ce que fut la position russe. Les avertissements à la Géorgie avaient été clairs fin juillet et début août. Dès la fin juin, les troupes de construction russes avaient achevé la remise en état de la ligne ferroviaire côtière reliant l’Abkhazie à la Russie, et permettant ainsi le déploiement rapide de matériel lourd russe en Abkhazie. Des manœuvres amphibies avaient été conduites par la marine russe de Mer Noire. La Russie avait donc donné des signes manifestes de son inquiétude quant à une possible dégradation de la situation soit en Abkhazie soit, fin juillet, en Ossétie du Sud. À la suite d’un incident survenu le 1er août et où 6 miliciens Ossètes avaient été tués, les autorités russes en Ossétie du Nord-Alanie ont commencé à préparer des convois d’aide humanitaire. À partir du 5 août des civils (essentiellement des enfants) ont été évacués des villages situés sur la ligne de cessez-le-feu. Enfin, le 6 août, un appel de plusieurs personnalités d’Ossétie du Sud indiquant la menace immédiate d’une attaque géorgienne a été publié dans des journaux russes.

Pour autant, on peut s’interroger sur le degré de surprise de la chaîne de commandement russe. La 58e Armée avait été maintenue dans un haut état d’alerte et de réactivité, et les permissions n’ont semble-t-il été octroyées qu’au compte-goutte à la fin des manœuvres Kavkaz-2. Elle semble avoir été mise en état d’alerte au 4 août 2008, ce qui explique la rapidité de sa réaction après l’attaque géorgienne. Ceci indique que les autorités russes suspectaient quelque chose, mais pas nécessairement le 7 août. Le fait est que Vladimir Poutine s’envole pour Beijing, afin d’assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, tandis que Dmitry Medvedev a rejoint la « datcha » présidentielle à Sotchi. On notera la ressemblance avec le coup d’Etat en Ukraine, qui se déroule, lui aussi, en plein Jeux Olympiques, et à un moment où l’on peut penser que les dirigeants russes ne seront pas psychologiquement réactifs. On remarque cependant que les deux dirigeants ont évité de se trouver simultanément hors de Russie. Par ailleurs la représentation locale de l’OSCE en Géorgie, si elle indiquait une montée des tensions, n’indiquait pas la possibilité d’un conflit armé à la date du 7 août[23].

Cependant, on a des indications quant au fait que les responsables russes soupçonnent à partir du 4 août la Géorgie de se préparer à une action militaire dans de brefs délais. Le renforcement des observateurs russes en Ossétie du Sud a été évoqué. Il répond à la multiplication des incidents et à la prise en compte d’une dangereuse montée des tensions, comme l’explosion d’une bombe en secteur géorgien ou des tirs de snipers venant de villages géorgiens et tuant plusieurs miliciens Ossètes, et déclenchant des tirs de représailles[24]. Moins noté est le fait, signalé par la presse russe le 6 août, que des « volontaires » d’Ossétie du Nord serait en train de se rendre en Ossétie du Sud. Il y a eu un mouvement de « troupes irrégulières » vers le sud dans la journée du 6. Ce mouvement n’a pas du dépasser le millier d’hommes. Cependant, ce mouvement a certainement masqué un autre déplacement. Il s’agit d’un groupe de 600 à 800 hommes (rien à voir avec les affabulations d’un BHL ou du gouvernement Géorgien sur plus d’une centaine de blindés), ce qui correspond probablement à un bataillon des forces spéciales de l’Armée Russe (ceux que l’on appelle les « SpetNaz » et techniquement, il s’agit probablement de « reydoviki »)[25].

Ces hommes étaient destinés à sécuriser le tunnel de Roki ainsi que les ponts au nord de Java et à renforcer les défenses de Tskhinvali. Ils seront engagés dans la bataille de Tskhinvali le 8 et le 9 août et c’est eux qui causeront les pertes les plus importantes aux unités blindées et mécanisées Géorgiennes tentant de prendre la ville. L’armée géorgienne disposait de 129 chars (67 T-62 et 62 T-54 et 55) ainsi que 213 véhicules blindés d’infanterie (des BMP et des BTR). Les documents disponibles montrent que les troupes russes ont détruit environ 60 chars à Tskhinvali et ses alentours immédiats et qu’elles ont capturé intact une centaine de blindés (essentiellement des BMP-1) quand les forces géorgiennes se sont débandées à partir du dimanche après-midi[26]. Certains clichés de chars géorgiens détruits dans Tskhinvali même témoignent de l’emploi d’un armement puissant (missile anti-chars)[27]. Ils vont aussi canaliser le flot des réfugiés Ossètes et assurer que la route descendant du tunnel de Roki est bien libre le 8 et le 9 pour permettre aux forces russes de venir au secours des Ossètes.

Ceci montre que la possibilité d‘une agression géorgienne a bien été prise en compte par les autorités russes, qui ont pris les mesures nécessaires pour pouvoir réagir de manière efficace le cas échéant. Cependant, les autorités russes semblent avoir été surprises par la violence de l’attaque initiale et par les fait que les observateurs russes, présents sous mandat ONU, aient été délibérément la cible des tirs géorgiens. On peut penser que les autorités russes, à partir du 5 août considèrent probable une attaque géorgienne, mais estiment que celle-ci sera limitée à la conquête de quelques crêtes et de collines, en réponse aux incidents que l’on a eu sur la ligne de cessez-le-feu. Les mesures prises par le commandement russe et les autorités d’Ossétie du Sud entre le 5 et l’après-midi du 7 août vont dans le sens de précautions face à de possibles dérapages, voire à une reprise des combats sur la ligne de cessez-le-feu, mais à un niveau de violence comparable à celui des combats de 2004. Ce n’est qu’à partir de l’après-midi du 7 août que le commandement russe semble prendre conscience que l’attaque géorgienne pourrait être plus ambitieuse. Les diplomates russes ont tenté, sans succès, de joindre le Président Géorgien dans la soirée du 7 août pour tenter d’éviter un embrasement généralisé. Selon la partie russe, le Président Géorgien serait resté injoignable durant les heures critiques allant de 19h00 le 7 août à 04h50 le 8 août[28]. Les autorités russes n’ont donc pas été surprises au sens stratégique du terme, car on voit qu’elles avaient mis en place toutes les dispositions nécessaires à la gestion d’une crise sérieuse. Elles ont cependant été surprises au sens tactique du terme par le degré de violence des Géorgiens. Celui-ci a déterminé en retour le degré de violence de la réponse russe, comme le montre la réaction de Vladimir Poutine, alors à Beijing, dans les heures qui suivent[29].

La réaction russe, dans sa totalité, correspond cependant au scénario des manœuvres Kavkaz-2, y compris l’opération amphibie vers Poti, qui avait été testée lors de manœuvres navales de la fin juin 2008. On est alors ramené à la question déjà posée : ces différentes manœuvres ayant été accompagnée d’observateurs étrangers et en particuliers des pays de l’OTAN on comprend mal que les autorités géorgiennes n’aient pas été averties des risques qu’elles prenaient et on comprend tout aussi mal la « surprise » des pays occidentaux face à une réaction russe qui était entièrement prévisible en cas d’attaque géorgienne sur l’Ossétie du Sud ou l’Abkhazie.

Si « piège » il y eut, il ne vint pas de Moscou.

 Notes

[1] Bernard Dréano, « Le piège ossète » in Mouvementshttp://www.mouvements.info/spip.php?article314

[2] Bernard Henri-Lévy, « Choses vues dans la Géorgie en guerre », in Le Monde, 19 août 2008, http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/08/19/choses-vues-dans-la-georgie-en-guerre-par-bernard-henri-levy_1085547_3214.html

[3] http://embassy.mfa.gov.ge/index.php?lang_id=ENG&sec_id=461&info . Voir aussi la déclaration du Président Saakashvili dans le Financial Times, « Russia deployed tanks before Georgia attacked », http://www.ft.com/cms/s/O/25ec7414-723c-11dda44a-0000779fdl8c.html

[4] AFP, 7 août 2008, http://afp.google.com/article/ALeqM5gi_jyRnqBYekXz2MyszBj6k_ZMtw

[5] Voir en particulier celle qui a été faite sur le site Rue89 : http://www.rue89.com/2008/08/22/bhl-na-pas-vu-toutes-ses-choses-vues-en-georgie

[6] Ou 123 pour d’autres sources. Ce chiffre n’inclut pas des civils de nationalité étatsunienne travaillant dans des sociétés de sécurité sous contrat des autorités américaines pour l’entraînement des troupes géorgiennes.

[7] Il existe en effet une lucrative activité de contrebande des hydrocarbures entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie qui est source de nombreux règlements de compte.

[8] BBC « Russia vows to defend S. Ossetia », BBC News, 5 août 2008, http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/7543099.stm

La déclaration de Y. Popov est traduite in BBC Monitoring, voir « Talking through gritted teeth », Transitions on line, n°281, Section 1, Article 19821, 6 août 2008.

[9] Mais BHL dans son article dans Le Monde fait bien dire au Président géorgien « 150 chars pointés sur nos villes »…

[10] Mme Rice, qui attribue la décision géorgienne à une réponse à des violations du cessez-le-feu, a reconnu l’attaque géorgienne dans une déclaration faite le 18 septembre 2008 et que l’on peut consulter sur le site du Département d’État. Voir : Secretary Rice Addresses U.S.-Russia Relations At The German Marshall Fund , http://www.state.gov/secretary/rm/2008/09/109954.htm

[11] Voir l’article de la rédaction de Der Spiegel du 25 août 2008 qui confirme cette information,

« The Chronicle of a Caucasian Tragedy, Part 3 : a disastrous décision », consultable sur http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,574812-3,00.html

[12] AFP, le 30 août 2008, via Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/08/30/01011-20080830FILWWW00465-l-osce-met-en-cause-la-georgie.php

Le texte du Spiegel donnant l’information peut être consulté à : http://www.spiegel.de/politik/ausland/0,1518,575396,00.html

L’OSCE a par la suite démenti avoir transmis ces informations « par source diplomatique », mais n’a pas contesté la véracité des faits. Cette combinaison de révélation et de démenti de forme est assez classique dans une organisation comme l’OSCE. Elle indique que les militaires européens détachés auprès de l’OSCE et déployés sur le terrain ont organisé des « fuites » afin de rendre publiques des informations que leurs gouvernements souhaitent ne pas voir diffusées. L’auteur de ce texte en a eu confirmation par des membres de la mission d’observation en Géorgie. Des fuites de ce type ont déjà été pratiquées dans d’autres cas, du Kosovo au Nagorno-Karabagh.

[13] Les observateurs de l’OSCE ont d’ailleurs officiellement démenti l’entrée de troupes mécanisées russes avant le 7 août.

[14] L’Ukraine a livré à la Géorgie la vedette lance-missiles Tbilissi et près de 80 chars T-72 entre 1999 et 2002.

[15] Au 7 août 2008, l’Armée Géorgienne avait déployé 2000 hommes en Irak, sous commandement américain.

[16] Le chiffre de 3 milliards est celui avancé par plusieurs experts occidentaux impliqués dans les programmes d’assistance militaire à la Géorgie. Des experts russes et géorgiens avancent un chiffre de 5 milliards de Dollars, qui semble peu crédible. Une excellente discussion des dimensions économiques de l’effort de guerre géorgien a été faite par L. Grigoriev et M. Salikhov dans Vremja Novostej, 22 août 2008. Ces deux experts de l’Institut de l’Energie et des Finances considèrent eux aussi que le chiffre de 5 milliards est exagéré.

[17] Ces pratiques sont connues et étudiées dans le cas des immigrés Tadjiques, Ouzbèques et Moldaves en Russie. On dispose d’éléments équivalents pour des migrants originaires du Maghreb (essentiellement de l’Algérie et du Maroc).

[18] Dépèche Reuters via Le Nouvel Observateur, « Le Président Saakashvili préparait son offensive dès 2005 », 15 septembre 2008, 16h11. Okrouachvili a obtenu en 2007 le statut de réfugié politique en France. http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/europe/20080914.OBS1245/le_president_saakachvili_preparait_son_offensive_des_20.html

[19] Richard Giragossian, “Georgian planning flaws led to campaign failure”, JDW, 15 août 2008.

[20] Je cite depuis le compte rendu de la BBC du 8 août 2008. http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/7546639.stm

[21] BBC « Russia vows to defend S. Ossetia », BBC News, 5 août 2008, op.cit.. http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/7543099.stm

[22] « B Gospitali Vladikavkaza Postupili Inostrannye Naemniki », [Des mercenaires étrangers admis dans les hôpitaux de Vladikavkaz] Lenta.Ru, 11 août 2008, consultable à : http://lenta.ru/news/2008/08/11/merc/

[23] Der Spiegel, « The Chronicle of a Caucasian Tragedy, Part 3 : a disastrous décision », article cité.

[24] L’arme qui tue les 6 miliciens Ossètes, compte tenu de la distance de tir, est presque certainement un fusil américain Mac Millan de 12,7-mm.

[25] Ce fait n’est pas, à la date du 29 septembre 2008, reconnu par les forces russes. Il correspond à une déduction de l’auteur à partir d’éléments documentaires en particulier visuels.

[26] Les chars géorgiens sont des modèles anciens, qui ne sont plus en service dans les forces russes. Il est ainsi assez facile de distinguer sur les photographies si le véhicule pouvait appartenir aux forces géorgiennes ou russes.

[27] Parmi les clichés que l’auteur a pu visionner on voit deux chars T-62 victimes d’une explosion à l’intérieur de la caisse si violent que la tourelle a été projetée à plus de 10 m du véhicule.

[28] Communication faite à l’auteur par un responsable du MID de Russie. Ceci correspond à la version russe. La partie géorgienne n’a ni confirmé ni infirmé cette information.

[29] AFP, 8 août 2008, « Putin vows retaliation for Georgian action in South Ossetia », http://www.afp.com/english/news/stories/newsmlmmd.9a925eb591bfe404730dee97a82c07ed861.htm

 Source : Russeurope, Jacques Sapir, 8-08-2015

Source: http://www.les-crises.fr/la-guerre-dossetie-de-2008-une-victoire-russe-iii-par-jacques-sapir/


Revue de presse internationale du 20/12/2015

Sunday 20 December 2015 at 02:28

Vous êtes suffisamment compétent en anglais, allemand, espagnol, italien ou autres ? Participez à la constitution des revues de presse internationales en postulant via le formulaire de contact du blog, nous avons besoin de votre aide ! Cette semaine encore des articles aux thèmes variés et quelques-uns en traduction, ainsi qu’une vidéo sous-titrée. Merci à nos contributeurs :) .

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-20122015/


Etat d’urgence : un grenoblois dénoncé pour un drapeau pirate à sa fenêtre

Saturday 19 December 2015 at 03:36

Source : Alexis Kraland, 24-11-2015

L’affaire a fait du bruit sur les réseaux sociaux : un grenoblois a vu la police lui demander d’enlever un drapeau pirate mis à sa fenêtre. Selon les policiers, il a été dénoncé.

le drapeau en question

Pourquoi as-tu mis un drapeau pirate à ta fenêtre ? Combien de temps a-t-il tenu ? Sais-tu comment il a été reçu ?

Etant un poil anarchiste (sans non plus être impliqué dans quelconque mouvement), jamais inscris sur les listes électorales, jamais eu une quelconque confiance dans le système politique français (et mondial). J’ai trouvé ça drôle de faire un peu de provocation face à cette montée de “réappropriation du drapeau” comme ils appellent ça. Sauf que même sous le couvert de ne pas faire du nationalisme, j’ai quand même du mal avec le patriotisme ambiant qui me semble nauséabond.

 Ma compagne est d’origine libanaise, et les problèmes de radicalisation et de guerres nous touchent peut-être plus que la plupart des gens. Alors c’est triste que ça arrive jusqu’à chez nous mais ça fait depuis 60 ans que le monde laisse couler…

Donc c’était à la fois :

- un hommage aux victimes, mais pas sous les couleurs de la France, sous les couleurs du noir et blanc pirates qui me convient mieux.

- un bon troll en plein centre ville de Grenoble au dessus du marché de Noël (place Grenette).

Je l’ai mis vers 13h et la police a débarqué vers 15h15, à priori c’est des gens qui se sont plaints (peut-être un malvoyant qui confond un drapeau de pirate et le drapeau de l’Etat Islamique.

Comment la police est-elle intervenue ?

Ils ont sonné directement chez moi à plusieurs reprises, je pense qu’ils doivent avoir des pass pour entrer dans les immeubles, j’ai pensé au facteur pour les calendriers… On était en train de faire la sieste avec ma compagne et ma fille de tout juste 2 semaines, ça a été un peu un choc quand j’ai vu 3 uniformes de la police nationale. 

Ils m’ont d’abord demandé de confirmer à quel étage j’étais et combien de fenêtres donnaient sur la place avant de me demander si c’était moi qui avait mis ce drapeau de pirate. Ils m’ont ensuite demandé assez poliment de l’enlever que “ça ne passait pas bien étant donné la journée et que des gens s’étaient plaint”, j’ai alors essayé de prendre ça à la rigolade en disant “c’est comme ça qu’on défend la liberté d’expression ?”, bref ils ont continué d’insister et je ne me sentais pas bien à l’aise pour défendre mon droit à laisser ce drapeau…

 J’ai donc accepté de l’enlever, ils ont pris ma carte d’identité et mon numéro de téléphone (aussi bien je suis sur écoute maintenant). Il n’y avait pas de menaces mais face à trois policiers je n’ai pas trop essayé de m’opposer, j’ai finalement conclu la conversation en lançant un “très bien je vais l’enlever, vive l’Etat totalitaire”.

C’est à ce moment là que je suis allé au balcon et que j’ai vu deux autres patrouilles en bas de l’immeuble (du coup ça faisait 7 au total), j’ai enlevé mon drapeau  en criant “tout ça pour moi !?” et j’ai mis un ballon rose (ma première fille fête ses 5 ans demain alors j’en avais tout un tas de gonflés) en disant “ça va, ça !?”.

 Que tires-tu de cette expérience ?

 Je pense que si c’était à refaire j’irai jusqu’au bout. Que l’ignorance de la police leur fait faire vraiment n’importe quoi, on arrive à un abus de pouvoir inconscient par les forces de l’ordre. La peur des gens me fait craindre la montée du nationalisme décomplexé.

 Qu’aimerais-tu éventuellement ajouter ?

 Il y a moins d’un an après les attentats de Charlie, on proclamait haut et fort qu’on était le pays de la liberté d’expression et que l’humour était total, je me rends compte aujourd’hui qu’on est dans un état policier et que ce n’est plus l’humour total.

Source: http://www.les-crises.fr/etat-durgence-un-grenoblois-denonce-pour-un-drapeau-pirate-a-sa-fenetre/


Revue de presse du 19/12/2015

Saturday 19 December 2015 at 02:42

Pour rejoindre la revue et nous aider à collecter des articles, rendez-vous sur la page contact du blog ! Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-19122015/


[L'Obs] Khodorkovski, Pougatchev… Poutine doit des milliards aux oligarques, par Jean-Baptiste Naudet

Saturday 19 December 2015 at 01:45

Un journal de gôôôôôche qui défend les oligarques devenus milliardaire lors de la giga-phase de cirruption des années 1990. Chapeau.

Mais j’ai surtout repris l’article pour l’obsession pathologique visant à ne pas voir qu’il y a un légère différence entre “Poutine” et “La Russie’

Source : Le Nouvel Obs, Jean-Baptiste Naudet,  18-12-2015

Khodorkovski, Pougatchev… Poutine doit des milliards aux oligarques

A Moscou, le tsar Poutine fait et défait les fortunes. Mais certains oligarques déchus ne se laissent pas faire. Réfugiés à l’étranger, ils exigent – et parfois obtiennent – des dizaines de milliards de réparation.

Bientôt ruiné par l’effondrement du prix du pétrole et les sanctions internationales, Vladimir Poutine va-t-il devoir encore passer à la caisse ? Déjà condamnée, en juin 2014, à payer une indemnité record de plus de 50 milliards de dollars (47 milliards d’euros) dans l’affaire Ioukos, la compagnie pétrolière du milliardaire Mikhaïl Khodorkovski, la Russie va-t-elle maintenant devoir aussi indemniser Sergueï Pougatchev, un autre de ses oligarques tombé en disgrâce ?

Ancien très proche ami de Poutine mais devenu critique du régime, Sergueï Pougatchev, 52 ans, réclame devant la cour arbitrale internationale de La Haye, 12 milliards de dollars (11 milliards d’euros) à la Russie qu’il accuse de l’avoir “dépouillé” de ses biens.

Sergueï Pougatchev, ex-sénateur de la région de Touva, dans le sud de la Sibérie, avait bâti un empire en Russie. En 1992, il avait fondé la Mejprombank, devenu au début des années 2000 l’une des principales banques du pays. Il développe jusqu’en 2010 le groupe OPK qui regroupe notamment plusieurs chantiers navals et une entreprise d’exploitation de charbon à coke (EPC).  Il a aussi investit en France, notamment dans l’immobilier de luxe. En 2007, il prend le contrôle de la marque française d’épicerie fine Hédiardet, en 2009, il permet à son fils, Alexandre, de prendre la direction du quotidien “France Soir”. Mais les Pougatchev échouent à redresser ces deux emprises à la dérive.

“Pas d’arguments pour me contrer”

“J’ai tous les documents qui prouvent que l’Etat russe a illégalement exproprié mes avoirs en Russie”, explique à “l’Obs”, tranquillement mais sous bonne garde, dans sa magnifique villa de Nice, Serguei Pougatchev, l’oligarque francophile (il a même la nationalité française depuis 2009). Se sentant menacé en Grande-Bretagne où il avait trouvé un engin explosif sous sa voiture, il s’est réfugié en France en juillet.

Malgré les tentatives d’intimidation, voire de meurtre, Sergueï Pougatchev, 52 ans, n’abandonne pas. Il est sur de son droit. “L’oligarque orthodoxe” – il est très croyant – est recherché par la justice russe pour “escroquerie et détournement de fonds”, accusé de “banqueroute frauduleuse” dans la faillite de sa banque, la Mejprombank, en 2010. Ses avoirs à l’étranger ont été gelés.

“La Russie n’a pas d’arguments pour me contrer”, estime, sûr de lui, le milliardaire russe. Il sait cependant que Moscou fera tout pour ne pas le payer en cas de condamnation. Alors “nous essayons de prendre des mesures préventives, de faire geler des avoirs russes partout dans le monde pour avoir la garantie d’être payé”, explique-t-il.

La Russie n’a pas honoré son amende de 50 milliards de dollars dans l’affaire Ioukos. Et les avocats de Ioukos tentent de faire saisir des biens russes en dédommagement. Vladimir Poutine a donné le ton, en juin, lorsque la décision de La Haye avait contraint plusieurs Etats, dont la France et la Belgique, à saisir des biens russes. “Nous allons défendre nos intérêts. Notre position est claire : nous ne reconnaissons pas ce tribunal” de la Haye, avait tonné le président russe.

L’oligarque s’amuse :

Les Russes sont très préoccupés alors ils ont fait passer une loi qui protège leurs avoirs à l’étranger, une loi que tout le monde appelle à Moscou la ‘loi Pougatchev’.”

Bétonnage juridique

Cette nouvelle loi, qui entrera en vigueur en janvier 2016, stipule que “l’immunité judiciaire d’un Etat étranger et de ses actifs peut être restreinte sur le principe de la réciprocité”. Il s’agit donc, pour Moscou, de répondre à d’éventuelles saisies des actifs de la Fédération de Russie à l’étranger. Mais il n’y a pas d’automaticité. La justice devra se prononcer au cas par cas.

Régulièrement condamnée à Strasbourg, la Russie entend aussi s’affranchir des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’organe judiciaire du Conseil de l’Europe. La Douma, la chambre basse du Parlement russe, vient de voter une loi qui place ainsi la Cour constitutionnelle de Russie au-dessus de la CEDH, une juridiction internationale destinée à assurer le respect des engagements souscrits par les Etats signataires de la Convention européenne des droits de l’homme et ratifiée par la Russie en 1998. Car, en plus de la sanction de la Cour de la Haye, la CEDH avait condamné, en 2014, la Russie à verser 1,9 milliard d’euros aux ex-actionnaires du groupe pétrolier Ioukos.

Lire la suite sur : Le Nouvel Obs, Jean-Baptiste Naudet,  18-12-2015

Source: http://www.les-crises.fr/lobs-khodorkovski-pougatchev-poutine-doit-des-milliards-aux-oligarques-par-jean-baptiste-naudet/


Une loi veut supprimer l’égalité de temps de parole des candidats à la présidentielle

Friday 18 December 2015 at 02:18

Ah, la Démocratie, quand on l’a chevillée au corps…

Source : Le Figaro, Eugènie Bastié, 16-12-2015

Une proposition de loi sera discutée à l’Assemblée cette après-midi qui prévoit notamment la fin de l’égalité stricte du temps de parole des candidats, qui passerait de cinq à deux semaines. Une « honte », dénonce Nicolas Dupont-Aignan.

Une proposition de loi déposée par Bruno Le Roux et Jean-Jacques Urvoas sur la «modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle» sera discutée cette après-midi à l’Assemblée nationale. Cette loi fait plusieurs propositions qui devraient changer sensiblement cette élection majeure, et surtout en limiter l’accès aux petits candidats.

• Vers une complexification de l’accès aux parrainages?

Pour mettre fin au «harcèlement des maires»- selon les mots de Jean-Jacques Urvoas – «les présentations – communément appelées «parrainages» - devront désormais être transmises au Conseil constitutionnel par leur auteur, par voie postale.». Auparavant, les candidats pouvaient aller chercher eux-mêmes les parrainages. Avec ce nouveau système, les petits candidats craignent que la récolte des signatures soit rendue plus difficile.

Autre proposition: la publicité intégrale de la liste des «parrains» de chaque candidat à l’élection présidentielle. Aujourd’hui, cette liste n’est rendue publique que dans la limite de 500 signatures. Ce qui créait une forme d’injustice: les «petits candidats», qui récoltaient à peine plus de 500 parrainages, devaient publier quasiment tous leurs soutiens, tandis que les «gros» étaient soumis à un tirage au sort.

• La fin de l’égalité stricte de temps de parole

Au cœur de la proposition, cette mesure veut mettre fin «aux règles baroques» (Urvoas) qui régissent le temps de parole des candidats à l’élection présidentielle. Selon la règle en vigueur, tous les candidats, de Nicolas Sarkozy à Jacques Cheminade, doivent avoir le même temps de parole médiatique cinq semaines avant l’élection. «Quand Jacques Cheminade fait 0,25 % des voix au moment du vote décisif (de l’élection présidentielle de 2012, Ndlr), il ne me paraît pas anormal qu’il n’ait pas exactement le même traitement» a argumenté Jean-Jacques Urvoas lors de la réunion de la commission des lois le 9 décembre dernier.

En février 2012, neuf directeurs de rédaction de chaînes de radio et de télévision avaient adressé une lettre ouverte au président du Conseil constitutionnel pour demander que la période de stricte égalité du temps de parole soit réduite à deux semaines. Cette proposition avait été reprise par la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par l’ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin en 2012.

La règle d’égalité stricte sera donc remplacée par un «principe d’équité», fondée sur «la représentativité de chaque candidat» et sa «contribution à l’animation du débat électoral». La règle d’égalité stricte sera réservée aux deux dernières semaines avant l’élection.

• Le financement de la campagne passera de un an à six mois

La loi prévoit également de «ramener d’un an à six mois la période pendant laquelle les candidats à l’élection présidentielle doivent faire figurer leurs recettes et leurs dépenses électorales dans leur compte de campagne». Une mesure qui devrait avantager les gros candidats, qui bénéficieront de structures partisanes conséquentes pouvant prendre en charge la campagne avant cette période de six mois. En réalité, cette proposition pourrait permettre de doubler les budgets de campagnes des gros candidats.

• L’harmonisation des horaires de fermeture des bureaux de vote

Problème récurrent lors des élections: la divergence des horaires de fermeture entre les bureaux de vote conduit à ce qu’une partie de la population aille voter au moment où les résultats ont déjà filtré. Pour remédier à cela, la loi proposera de «mettre fin à l’étalement des horaires de fermeture des bureaux de vote entre 18, 19 et 20 heures.», et de fixer l’horaire à 19h pour tous.

Nicolas Dupont-Aignan et Jacques Cheminade révoltés

Sans surprise, les «petits» candidats à l’élection présidentielle sont révoltés par cette proposition de loi. «Une loi scélérate» pour Dupont-Aignan. Joint par Le Figaro, le président de Debout la France, crédité de 4 à 7 points dans un récent sondage pour la présidentielle, dénonce une «fossilisation de la vie politique française.».

«Au lendemain du choc des régionales, nous assistons à une opération socialiste visant à institutionnaliser le tripartisme. Ils veulent rééditer le scénario des régionales en 2017», déplore-t-il.

Le maire de Yerres a d’ailleurs déposé un amendement proposant de supprimer la proposition de publication intégrale des parrainages. «Publier l’intégralité des noms des maires parrains risque de les dissuader de parrainer un candidat si celui-ci n’est pas dans la ligne du parti majoritaire des Elus de son département», argue-t-il.

Quant à Jacques Cheminade, il déplore dans le JDD une tentative d’«empêcher l’oxygénation de la vie politique française. À l’heure où l’on a besoin de renouvellement, on décide de fermer le jeu de la démocratie.  Avec cette proposition de loi, on prend un marteau-piqueur pour écraser un moustique», conclut-il, amer.

Le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde est lui aussi vent debout contre la fin de l’égalité stricte du temps de parole. «L’Elysée et le gouvernement se cachent derrière le Parlement pour verrouiller 2017». Il dénonce un «mauvais coup porté à la démocratie, visant à installer le tripartisme PS/LR/FN dans le paysage politique». «Cinq semaines tous les cinq ans, on a une égalité stricte entre tous les courants politiques, on peut offrir un vrai choix aux Français. C’est déjà trop pour eux», peste-t-il.

En 2013, le Front national s’était dit farouchement opposé à la remise en cause de l’égalité stricte des temps de parole à la présidentielle, dénonçant «une menace grave pour la pluralité des opinions et le bon fonctionnement de notre démocratie.» Aujourd’hui, il n’a pour le moment pas bronché contre cette proposition de loi.

Source : Le Figaro, Eugènie Bastié, 16-12-2015

Source: http://www.les-crises.fr/une-loi-veut-supprimer-legalite-de-temps-de-parole-des-candidats-a-la-presidentielle/


Ca se passe comme ça un conseil des ministres en Ukraine…

Friday 18 December 2015 at 01:10

Sans commentaire – “étrangement” pas trop vu dans nos médias… (pas de place à cause de Star Wars j’imagine…)

Le ministre de l’intérieur est Arseni Avakov, oligarque et corrompu notoire.

Le gouverneur de la région d’Odessa, invité, est Mikheil Saakachvili, ancien Président de la Géorgie, qui a sympathiquement ouvert le feu en 2008 sur des troupes russes…

Le sujet : eh bien, évidemment, privatiser des entreprises publiques – y’a bon millions ! (si on devenait milliardaire par le travail honnête dans ce coin, ça se saurait…)

Ca tourne ! :

C’est à ces gens que l’UE et le FMI ont prété des (nos) milliards…

Source: http://www.les-crises.fr/ca-se-passe-comme-ca-un-conseil-des-ministres-en-ukraine/


Union européenne : ceux qui ont écrasé les Grecs ont frayé la voie au FN, par David Pestieau

Thursday 17 December 2015 at 02:40

Il y a à redire, mais cela ouvrira un peu le débat… :)

Source : PTB, David Pestieau, 11-12- 2015

Photo Sylke Ibach / Flickr

Pour comprendre les causes profondes de la percée du Front national, nous devons toucher aux politiques appliquées par les partis traditionnels en France et en Europe. Nous devons aussi voir pourquoi l’Union européenne est responsable de la montée du FN et comment la remise en cause fondamentale de la politique de l’UE est aussi la seule manière de contrer le FN.

C’était il y a un an, à la veille du Nouvel An, avant les attentats et la crise des réfugiés. Le célèbre économiste Thomas Piketty signait une tribune « 2015 : quels chocs pour faire bouger l’Europe ? » [1] où il écrivait : « Le plus triste, dans la crise européenne, est l’entêtement des dirigeants en place à présenter leur politique comme la seule possible, et la crainte que leur inspire toute secousse politique susceptible d’altérer cet heureux équilibre. (…) Alors, quels chocs pourraient permettre de faire bouger les lignes en 2015 ? Il y a, en gros, trois possibilités : une nouvelle crise financière ; un choc politique venant de la gauche ; ou bien un choc politique venant de la droite. Les dirigeants européens actuels devraient avoir l’intelligence de reconnaître que la deuxième possibilité est de loin la meilleure : les mouvements politiques qui prospèrent aujourd’hui à la gauche de la gauche, comme Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce, sont fondamentalement internationalistes et proeuropéens. Plutôt que de les rejeter, il faudrait au contraire travailler avec eux pour formuler les contours d’une refondation démocratique de l’UE. Faute de quoi, on risque fort de se retrouver avec un choc autrement plus inquiétant, venu de la droite : compte tenu du mode de scrutin, il est tout à fait possible que le FN emporte des régions lors des régionales de décembre 2015. »

Un diktat grec résonnait comme un avertissement aux autres peuples d’Europe : « ne sortez pas des clous, sinon nous allons vous écraser ».

Un an plus tard, nous connaissons le résultat. L’expérience grecque anti-austérité de gauche a été écrasée avec le diktat du 13 juillet, malgré que le peuple s’était exprimé totalement dans un sens contraire, à la fois lors des élections du 25 janvier et du référendum du 6 juillet. Elle a montré que, dans cette Union européenne, sous la garde de la main de fer de Merkel et des kilos de pactes et de traités qui instituent la politique d’austérité, il n’y a aucune latitude pour plier, ou même adapter prudemment, l’obsession de l’austérité. La volonté des peuples de pouvoir avoir une politique sociale et qui s’attaque aux plus riches pour sortir de la crise a été simplement interdite par l’establishment européen.

De Juncker à Merkel, de Dijsselbloem à Hollande, l’unité a été scellée pour prolonger le calvaire grec en imposant un troisième mémorandum encore plus étouffant. Un diktat qui résonnait aussi comme un gigantesque avertissement aux autres peuples d’Europe : « ne sortez pas des clous, sinon nous allons vous écraser ».

Et, en dépit de leurs cris effarouchés d’aujourd’hui sur la montée du Front national en France, tous ces dirigeants sont responsables du choc venu de la droite annoncé par Piketty. Car, en bouchant la voie de l’alternative à gauche, ils ont créé les conditions pour que les gens cherchent à l’extrême droite une solution à leur désespoir. Pire : la politique de l’Union européenne a créé les conditions pour le renouveau du Front national, ce parti fasciste du 21e siècle.

21 avril 2002 – décembre 2015 : qu’ont-ils fait en 13 ans contre l’austérité ?

La vague d’austérité, de précarisation de l’emploi et de privatisations a déferlé en France comme ailleurs en Europe.

Il y a 13 ans, le 21 avril 2002, la France avait déjà vécu un choc : Jean-Marie Le Pen se qualifiait au second tour des élections présidentielles, écartant le candidat du PS Lionel Jospin. Dans les jours qui ont suivi, des centaines de milliers de jeunes sont descendus dans les rues pour faire barrage à l’extrême droite, dans ce qui a été appelé le « nécessaire grand front républicain ». Et le président de droite Chirac a été élu avec un score de 82 %. Beaucoup de promesses ont été faites. On allait lutter contre le chômage, les banlieues pourraient sortir de leur misère, on allait s’attaquer à la « fracture sociale »… Mais rien de tout ça n’est venu. La vague d’austérité, de précarisation de l’emploi (le fameux CPE) et de privatisations a déferlé en France comme ailleurs en Europe, soutenue par toutes les grandes familles traditionnelles européennes, libérales, sociales-démocrates et conservatrices.

En 2007, Sarkozy s’est hissé au pouvoir en reprenant une grande partie du discours du FN. L’identité nationale, la France garante des valeurs chrétiennes, le nettoyage des banlieues au karcher ont été les leitmotivs de Sarkozy qui s’est vanté, au soir de sa victoire, d’avoir réduit Le Pen père à 8 %. En « oubliant » qu’il avait amplifié, élargi et banalisé le discours du FN, qu’il a contribué à lui faire gagner la bataille des idées, qu’il a œuvré à la « lepénisation des esprits ».

Mais la démagogie de Sarkozy – le « moralisateur du capitalisme » de 2008 – s’est écrasée sur la réalité sociale. À l’issue de son mandat, en 2012, le chômage était passé de 8 à 9,4 %, bien plus encore chez les jeunes. Et ce, en ayant retardé l’âge de départ en retraite, supprimé des centaines de milliers d’emplois dans la fonction publique, travaillé main dans la main avec Angela Merkel pour faire aboutir le traité d’austérité européen TSCG… Le tout, en diminuant les impôts sur les plus riches. Ce qui lui a valu son surnom de « président des riches ».

Hollande : la « dernière chance » qui déçoit

Puis est venu Hollande. Pour faire échec à la montée du Front de gauche en 2012, sa rhétorique a viré toujours plus à gauche. Hollande a été jusqu’à promettre dans sa campagne électorale la révision du Pacte de stabilité. Avec son discours « mon ennemi, c’est la finance », une « dernière chance » a été donnée par beaucoup d’électeurs à la sociale-démocratie pour montrer qu’elle ferait les choses autrement que la droite.

Une droite qui court après l’extrême droite et une sociale-démocratie qui mène une politique de droite, tous les ingrédients sont là pour créer la confusion politique.

Or Hollande n’a pas touché à une virgule du Pacte de stabilité et a appliqué les programmes d’austérité européens, reprenant à Sarkozy son rôle dans le duo avec Merkel. Fin 2014, le Premier ministre Manuel Valls confirmait l’objectif de 50 milliards d’euros d’économies à réaliser « en trois ans ». « Tous les acteurs publics sont concernés, » a-t-il déclaré. De cette manière, Hollande continuait la politique antisociale de Nicolas Sarkozy, tout en continuant à transférer de nouveaux cadeaux fiscaux aux plus grandes entreprises.

Hollande a même fait rentrer au gouvernement, comme ministre de l’Économie, un haut représentant de la finance (celle qu’il prétendait pourtant combattre) : Emmanuel Macron, ex-banquier d’affaires chez Rothschild & cie. Celui-ci a fait passer la fameuse loi Macron, qui prévoit d’élargir le travail du dimanche, le travail de nuit, facilite les licenciements, affaiblit considérablement les syndicats, prépare la privatisation des transports… La loi s’est aussi attaquée aux petits indépendants (grandes surfaces ouvertes le dimanche, fin des protections pour les taxis, coiffeurs…). Ceux du CAC-40 (les 40 plus grandes sociétés de la Bourse de Paris) et le MEDEF (la FEB française) ont applaudi des deux mains les mesures du gouvernement Valls. Résultat : le chômage a passé la barre des 10 %[2]  et les inégalités ont continué à exploser. Il y a ainsi eu plus de 700 000 chômeurs supplémentaires en trois ans.

Entre une droite qui court après l’extrême droite et une sociale-démocratie qui se dit de gauche, mais mène une politique de droite, tous les ingrédients sont là pour créer une confusion politique totale. D’abord par une désaffection politique majeure des classes populaires : 50 % n’ont pas voté le 6 décembre, dont 59 % des ouvriers, 65 % des moins de 25 ans et 66 % des inactifs. Ensuite, le FN apparaît, pour beaucoup de ceux qui vont quand même voter, comme la seule alternative qui brise le consensus austéritaire des deux grands partis traditionnels. Cependant, l’analyse doit être plus profonde si on veut aller à la racine des causes du succès du FN.

Le mépris du peuple et la démocratie bafouée

Autre date clé de l’histoire politique française : le 29 mai 2005. Ce soir-là, les résultats du référendum sur la Constitution européenne s’affichent sur les écrans de télévision : 55 % des Français rejettent un traité qui coule dans le marbre l’austérité néo-libérale. Pourtant, la presque totalité des grands partis traditionnels et une grande partie des médias ont milité pour le « oui ». Les commentaires d’après référendum affichent le mépris d’une élite politique envers un peuple qui « n’a pas compris ». Cela ne provoque aucune remise en cause de la politique de l’Union européenne (la Constitution étant aussi rejetée aux Pays-Bas quatre jours plus tard). Au contraire, deux ans plus tard, le texte à peine modifié revient sous le nom de « Traité de Lisbonne » et est adopté sans débat ni référendum. Une gifle aux millions de Français qui avaient fait entendre leur voix en 2005.

L’adoption de la Constitution européenne: une gifle aux millions de Français qui avaient fait entendre leur voix en 2005.

Le cas français n’est d’ailleurs pas unique en Europe. Ainsi, en Irlande, le gouvernement va même faire revoter le peuple trois fois jusqu’au moment où il répond « correctement » à la question posée.

Et en Grèce, le référendum convoqué le 6 juillet dernier sur les mesures imposées par la Troika européenne est sans appel : 61 % des Grecs votent contre. Pourtant, bien que, selon la Constitution grecque, le résultat d’un référendum ait la même valeur qu’une loi adoptée par le Parlement, le Parlement grec se voit obligé, le mercredi 15 juillet, d’accepter l’essentiel de ces mesures sous la menace du diktat de l’Union européenne de Merkel, Hollande et consorts.

Tout cela témoigne de l’autoritarisme d’une Union européenne qui écarte les votes démocratiques qui ne l’arrangent pas, qui prend des décisions essentielles au sein d’organes non élus, comme la Banque centrale européenne ou l’Eurogroupe. La colère latente gronde dans toute l’Europe contre cette Union européenne de l’entre-soi, où la Table ronde des Industriels (regroupant les grandes multinationales) et Business Europe décident en réalité des axes essentiels de la politique. Et, en France, contre les privilégiés du CAC-40, comme les milliardaires Liliane Bettencourt et Bernard Arnault.

Comment ne pas s’étonner, devant cette hypocrisie, qu’une partie de la population ne suive pas les appels à défendre les Hollande et Sarkozy de ce monde et tombe dans les griffes d’une Marine Le Pen qui prétend, elle, incarner le peuple ?

Comme l’écrit The Guardian ce 9 décembre : « La dynamique commune (en Europe) apparaît comme l’interaction de l’insécurité financière et du détachement des élites gouvernementales de leur population. De Paris à Varsovie, les politiciens du centre technocratique professionnel sont perçus comme une caste à part avec ses privilèges, isolée de l’anxiété provoquée dans leur électorat par les turbulences économiques et les changements démographiques. »[3]

La concurrence de l’Union européenne entre les travailleurs, substrat du poison raciste

Deux autres éléments essentiels de la politique de l’Union européenne alimentent le substrat du Front national : la concurrence entre travailleurs érigée en principe cardinal et la politique de guerre et de conquête des grandes puissances européennes.

En dépit des déclarations, l’Union européenne n’est pas dans son essence un projet coopératif entre les peuples. Au contraire : les politiques économiques des traités européens visent à mettre en concurrence les pays de l’Union entre eux dans une spirale vers le bas. Des tableaux socio-économiques comparatifs sont établis pour inciter voire obliger les États à s’en prendre aux « coûts salariaux » trop élevés (avec, du coup, une baisse du pouvoir d’achat), contre « les rigidités du marché du travail » (lisez ultra-flexibilisation et précarisation du travail), contre « l’intervention des États et le non-respect des principes de concurrence » (lisez libéralisation et privatisation des services publics). Durant des mois, les Allemands ont été montés contre « les Grecs paresseux » qui « profitent de l’Union ». Les Belges, Français et Néerlandais ont eux été sommés de rattraper la locomotive allemande en bloquant leurs salaires et en introduisant leurs « mini-jobs ».

D’autre part, avec la directive sur les travailleurs détachés de l’Union européenne, les travailleurs de la construction et du transport routier ici ont vu des travailleurs polonais, roumains et bulgares venir travailler sur les chantiers pour des salaires de misère, sans aucune obligation de leurs patrons de verser des salaires et d’accorder des protections sociales et des conditions de travail égales à celles des travailleurs résidents ici.

En posant le tabou qu’on ne peut pas toucher au 1 % le plus riche et en organisant la concurrence, l’Union européenne alimente le substrat sur lequel le poison du racisme et de la division peut se propager.

Immigration et réfugiés : toujours plus de guerres et de murs

La politique étrangère de grandes puissances européennes comme la France est aussi à remettre en cause. Elle crée toutes les conditions pour alimenter le racisme.

D’une part, les guerres menées par les États-Unis, mais aussi par la France, provoquent « à retardement » la venue de centaines de milliers de réfugiés en Europe (voir notre article « Les réfugiés syriens, irakiens ou afghans sont le miroir à retardement de nos guerres »). Mais l’immigration est aussi provoquée par d’autres décisions de l’Union européenne, comme, par exemple, les politiques climatiques décidées à la COP21 à Paris.

Le refus obstiné d’avoir un programme réellement ambitieux pour le climat, le refus d’adopter comme objectif une limite maximale d’1,5°C pour le réchauffement et celui de ne pas financer à hauteur suffisante les programmes de soutien au Sud (surtout en matière de transfert de technologies) pour réaliser la transition aux énergies renouvelables est aussi à la base de la venue de dizaines de milliers de réfugiés climatiques aujourd’hui, et surtout demain.

D’autre part, l’Union européenne construit des murs toujours plus hauts autour, mais aussi à l’intérieur de l’Europe, comme en Hongrie, Slovénie et même en Autriche, validant en réalité les programmes de l’extrême droite qui désignent l’immigré comme l’ennemi intérieur. Au lieu d’intégrer les populations qui fuient les conséquences des politiques de « nos » gouvernements dans leur pays, les réfugiés sont mis en quarantaine de la société. Dans des camps fermés, voire même dans une « jungle » comme à Calais, où les autorités françaises laissent pourrir une situation inhumaine, au lieu d’offrir un accueil décent à ceux qui fuient une misère indescriptible. Ainsi sont créées les conditions pour des tensions grandissantes avec les habitants voisins.

La politique actuelle de l’Union européenne crée toutes les conditions pour le nationalisme

Comme nous l’avions écrit dans Comment osent-ils ? La crise, l’euro et le grand hold-up (de Peter Mertens), la continuation de la politique actuelle de l’Union européenne ne peut mener qu’à l’autoritarisme (comme on l’a vu en Grèce) ou au nationalisme (comme on le voit aujourd’hui en France). Et nous assistons aujourd’hui aux deux.

On ne peut combattre le nationalisme du Front national de Le Pen en défendant l’autoritarisme de l’Union européenne

Aussi, on ne peut combattre le nationalisme du Front national de Le Pen en défendant l’autoritarisme de l’Union européenne et en ne s’en prenant pas aux racines de sa politique.

Car, si l’on interdit, comme l’Union européenne le fait, des politiques qui touchent les privilèges des plus riches, il ne reste qu’à s’en prendre aux plus faibles. Il n’y a pas de troisième voie. S’il n’y a jamais d’argent pour des nouveaux logements publics, on crée la base pour que ceux d’en bas se battent entre eux pour ceux qui existent. Si l’on coupe dans les budgets de l’enseignement, des services publics et de la vie associative, on crée toutes les conditions pour le repli sur soi et les tensions d’aujourd’hui et de demain.

Remettre en cause la politique antisociale, antidémocratique et guerrière de l’Union européenne est une condition indispensable pour la reconquête des classes populaires.

Une autre est évidemment de dévoiler la nature profonde du Front national derrière sa démagogie sociale. Et on ne peut le faire que si on rejette réellement le néo-libéralisme, qui se cache aussi dans le programme FN.

Le FN : remplacer l’austérité made in Union européenne par une austérité made in France

Car, en effet, le FN reprend en paroles des termes propres aux traditions de gauche. Il critique la mainmise des multinationales sur l’économie, les taxes qui étranglent citoyens et petits entrepreneurs, l’Europe qui impose l’austérité à la France…

Plutôt que de pointer le manque d’emploi, de logement, de places en crèche, etc., le FN veut en priver une partie de la population, et donc justifier la pénurie

Mais, si l’on examine les mesures proposées dans le programme du FN, autant le vague domine le volet social, autant il est précis quand il s’agit de l’immigration. Pour tout ce qui concerne l’emploi et la réindustrialisation de la France, il n’y a que des formules, aucune proposition concrète (et même, il veut réduire le nombre de fonctionnaires, ce qui est loin d’être une mesure créatrice d’emploi).

Par contre, le thème omniprésent est ce que le FN appelle la « priorité nationale ». Celle-ci implique que les citoyens de nationalité française auraient plus droit que les autres à la sécurité sociale et aux services publics, ainsi qu’à l’emploi. Le piège est que, contrairement à l’image que cela veut renvoyer, cette mesure est avant tout une manière de favoriser l’austérité : plutôt que de pointer le manque d’emploi, de logement, de places en crèche, etc., le FN veut en priver une partie de la population, et donc justifier la pénurie. C’est d’autant plus le cas que le FN est très dur vis-à-vis des chômeurs et allocataires sociaux, et compte s’en prendre durement à ceux-ci, Français ou non. D’une part, il fait donc semblant de protéger les « pauvres » français contre les autres, mais, d’autre part, il compte bien traiter tous les défavorisés comme des « parasites » – à l’instar d’un Bart De Wever. Ainsi, dans plusieurs villes dirigées par le FN, les tarifs de cantine scolaire ont explosé pour les familles précaires et les subventions ont diminué – quand elles n’ont pas disparu – pour les associations d’aide aux personnes les plus pauvres.

L’immigré comme cible est un moyen d’épargner les banquiers et grands patrons qui ont profité de la crise pour s’enrichir. Le FN reprend ainsi de nombreuses propositions propres à la droite ultralibérale : on parle d’« alléger le coût du travail », de diminuer le pouvoir des syndicats, de réduire le nombre de logements sociaux, d’offrir des cadeaux fiscaux aux entrepreneurs, etc. Et, quand il semble vouloir s’en prendre aux grandes entreprises, « les 50 plus fortes capitalisations boursières, fleurons des entreprises françaises, devront affecter 15 % de leur résultat net en réserve spéciale de réindustrialisation », c’est en réalité pour la forme, car le programme stipule bien que ce sera « sans incidence sur leur rentabilité » et que les sommes seront « restituées » au terme d’une période de 5 ans.

Malgré des déclarations qui semblent anti-système, le programme du FN est une version nationaliste du libéralisme. Le discours sur « la France d’abord » vise à rallier les travailleurs et petits indépendants français derrière un programme qui servira le 1 %… français.

C’est d’ailleurs dans cette optique que des responsables FN ont mené récemment une opération de séduction vis-à-vis du monde patronal. Ainsi, Christophe Boudot, tête de liste FN en Auvergne-Rhône Alpes, s’est félicité d’une rencontre avec Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, et a déclaré fièrement que « le FN est l’ami de l’entreprise ».

En ce qui concerne la fiscalité, l’ISF, l’impôt sur la fortune, doit passer à la trappe pour le parti de Marine Le Pen qui veut le « fusionner » avec la taxe foncière. Pas étonnant quand on sait que la famille Le Pen est elle-même soumise à l’ISF. La famille tient sa fortune de l’héritage du magnat du béton Hubert Lambert, que Jean-Marie Le Pen a touché en 1985. Les membres de la famille continuent de bénéficier de ce patrimoine à travers de sociétés civiles immobilières. Comme l’a écrit Jean-Marie Le Pen dans la brochure « Droite et démocratie économique » : « Mieux vaut hériter de bons chromosomes conduisant à la richesse, plutôt que de faibles chromosomes qui vous font perdre le magot légué. »

Finalement, le FN ne peut se présenter comme anti-système que parce qu’il trompe sur la nature du système. Il pointe du doigt les immigrés, l’Europe et les pays étrangers. Mais c’est bien l’élite économique française qui a contribué à la construction de cette Europe, ce sont les grands patrons français qui exercent un lobbying acharné pour des traités ultralibéraux qui précarisent les travailleurs, menacent la sécurité sociale et donnent tout le pouvoir aux multinationales. Mais le 1 % des plus riches Français, c’est le grand absent des discours du FN, ce 1 % qui s’enrichit notamment par l’exploitation des travailleurs sans-papiers, dont certaines entreprises bien françaises, comme le géant de la construction Vinci.

C’est là que se situe la grande ligne de fracture : entre une élite économique qui s’enrichit toujours plus et la majorité de la population qui craint toujours plus pour son avenir. Et, dans cette situation, le FN n’offre qu’un discours qui divise les gens. Et propose en réalité, à la place d’une austérité made in Union européenne, une austérité made in France.

Contre l’Europe de la concurrence et de l’inégalité et contre le FN

Nous savons qu’en ces temps de crise, des gens peuvent devenir de plus en plus aigris. Beaucoup voient que le monde ne tourne pas rond, ce qui peut produire le meilleur, dans la recherche d’alternatives, ou le pire, avec des solutions nationalistes et simplistes.

La gauche authentique doit pouvoir transformer positivement cette colère.

La gauche authentique doit pouvoir transformer positivement cette colère. Pas en cherchant un consensus avec ceux, dans l’Union européenne, qui ont frayé la voie au FN, mais, au contraire, en osant désigner les responsables de la crise sociale dans laquelle l’Union européenne s’enfonce depuis sept ans : le 1 % le plus riche. Celui des Arnault, Bettencourt et Albert Frère de ce monde.

La gauche ne doit pas s’unir pour se mettre à la remorque de politiques de droite, comme le fait le PS d’Hollande et Valls, mais bien pour avoir une vraie politique de gauche, qui combatte pied à pied la politique actuelle de l’Union européenne.

« La concurrence et la chasse au profit sur le libre marché sont la base de l’Union européenne. Elles sont gravées dans les textes de base de l’Union. Elles pourrissent et étouffent tout, écrivions Peter Mertens et moi-même en 2011 dans Comment osent-ils ?. Nous ne devons pas rhabiller de neuf cette construction de la concurrence ni donner une nouvelle couche de peinture aux déséquilibres. Nous avons besoin d’autres fondations. La coopération et la solidarité doivent remplacer la concurrence et l’inégalité. Cela suppose une tout autre Europe. »

Ces mots nous semblent plus actuels que jamais. Dans cette Union européenne, il n’y a pas place pour une politique basée sur la coopération, la solidarité, les investissements équilibrés et le développement régional. Si une Europe répondant aux besoins des gens doit grandir, elle ne peut le faire qu’en remettant en cause les fondements de l’Union européenne. Autrement, soit l’Union s’enfoncera dans l’autoritarisme croissant, soit toute l’Union éclatera et les tensions nationalistes du début du 20e siècle referont leur entrée dans ce jeune 21e siècle.

Comme l’écrivait Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Faisons en sorte, ensemble, que les monstres soient arrêtés à temps pour aider à construire un nouveau monde.

Source : PTB, David Pestieau, 11-12- 2015

Source: http://www.les-crises.fr/union-europeenne-ceux-qui-ont-ecrase-les-grecs-ont-fraye-la-voie-au-fn-par-david-pestieau/