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De l’Ukraine, du Syrak et de quelques autres choses

Wednesday 16 December 2015 at 04:43

Source : Chroniques du Grand Jeu, 11-12-2015

Ben Erdogan semble condamné à réparer chaque bourde antérieure par une aventure encore plus folle. C’est sans doute dans ce contexte qu’il faut voir son escapade nord-irakienne. L’incident du Sukhoi lui a semble-t-il définitivement fermé les portes de la Syrie et créé les conditions propices à l’émergence de ce qu’il craignait le plus : un Kurdistan autonome sous direction PYD le long de la frontière turque. Passant de Charybde en Scylla et jouant sa dernière carte, il se rabat sur l’Irak, surfant sur la profonde division du Kurdistan et les liens très lâches entre cette province et Bagdad.

L’idée finale est-elle de favoriser, après la chute du califat, la création d’un “sunnistan” sous égide turque ? Le sultan pense-t-il sérieusement que l’Iran et la Russie laisseront faire ? Il y a quelque chose de profondément suicidaire chez lui, qui se coupe tour à tour de ses seuls fournisseurs possibles en énergie (Russie, Irak, Iran).

En tout cas, sa folle équipée offre l’Irak sur un plateau à Poutine, à la grande rage des Américains, obligés de soutenir publiquement quoique à demi-mot leur encombrant allié otanien tout en désapprouvant en privé cette nouvelle frasque (est-ce un hasard si, pour la première fois, Washington a reconnu que le pétrole daéchique prenait la direction de la Turquie ?). Le Parlement irakien prévoit maintenant de revoir et peut-être d’annuler l’accord de sécurité entre l’Irak et les Etats-Unis. On devine aisément par qui les Américains seraient alors remplacés en Irak :

En attendant, c’est le statu quo. La Turquie semble quand même avoir pris conscience de cette nouvelle impasse et commence à mettre les petits plats dans les grands. Faut dire que de l’autre côté, ça rigole pas, Ankara recommandant même à ses ressortissants de quitter l’Irak !

En Syrie même, où la coopération franco-russe atteint d’ailleurs de nouveaux niveaux, Poutine a lancé un cinglant avertissement : “Toute menace envers les forces russes doit être immédiatement détruite”. Le sultan sera obligé de raisonner ses F16 récalcitrants. Déjà qu’il est occupé à emprisonner des enfants qui arrachent ses affiches de campagne… (oui, oui, bonnes gens, c’est ce même Erdogan que l’UE courtise et à qui elle offre 3 milliards)

De Turquie en Ukraine, il n’y a qu’un pas – est-ce d’ailleurs un hasard si les dirigeants de ces deux républiques bananières s’entendent soudain très bien ? A Kiev, les députés de la Rada s’amusentcomme des petits fous (le lancer de nain putschiste deviendra-t-il nouvelle discipline olympique ?) :

L’Italie a fait preuve d’audace en bloquant l’extension des sanctions européennes contre la Russie. On imagine les eurocrates et autres hommes de paille de Washington se précipiter sur les vols à destination de Rome pour “amicalement” convaincre nos amis transalpins de changer leur position. Le summum de l’hypocrisie a été atteint il y a quelques jours par le Département d’Etat US, critiquant presque dans la même minute les sanctions russes contre la Turquie et justifiant les sanctions occidentales contre la Russie.

Le FMI vient d’entrer à son tour dans la Guerre froide 2.0 en changeant les conditions d’attribution de son aide pour venir au secours des putschistes installés par la CIA à Kiev et leur permettre de ne pas rembourser leur dette à la Russie. Nous avions déjà vu à quel point les institutions financières internationales mises en place au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale visaient à assurer l’hégémonie du dollar. A défaut d’aider directement l’Ukraine (voir cette étonnante histoire de livraisons de matériel US périmé et inutilisable), l’empire continue d’utiliser tous les moyens à sa disposition, et notamment sa mainmise sur les institutions financières, pour mener sa guerre hybride contre Moscou.

On comprend dans ces conditions la croisade dédollarisatrice mondiale lancée par la Russie, la Chine et quelques autres. De la kyrielle de banques parallèles qui en sont nées – BAAI chinoise, Banque des BRICS, Fonds route de la Soie – une nouvelle pourrait bientôt être créée : un organisme financier propre à l’Organisation de Coopération de Shanghai !

Et puisque nous évoquons le monde multipolaire concurrent de l’Occident américanisé, un mot tout de même sur l’élection de Macri en Argentine. Candidat de la droite libérale, traditionnellement proche des Etats-Unis en Amérique latine, le nouveau président pourrait faire sortir son pays du grand mouvement dans lequel l’avait engagé les Kirchner (alliance avec la Russie et la Chine, future entrée dans les BRICS, dédollarisation…). Macri prétend vouloir maintenir des liens privilégiés avec Moscou. Wait and see

Cela n’empêche certes pas la Russie de signer contrats sur contrats dans le domaine militaire (derniers en date : Mexique et Inde) ni la Chine de faire feu de tout bois. Pékin ouvre sa première basemilitaire en Afrique, continue sa course folle aux armements révolutionnaires et prévoit de lancer en collaboration étroite avec la Russie 100 satellites dont la finalité n’est pas tout à fait claire…

 Source : Chroniques du Grand Jeu, 11-12-2015

Ca continue de plus belle…

Source : Chroniques du Grand Jeu, 8-12- 2015

Nous avons évoqué hier trois incendies – Irak vs Turquie, Russie vs Turquie, Etats-Unis vs Damas – qui, s’ils se ne sont pas éteints, pourraient bien faire s’embraser le Moyen-Orient. Or, loin de se calmer, le feu repart de plus belle.

Jusqu’où ira donc la république bananière d’Erdogan ? Ankara refuse en effet de retirer ses troupes d’Irak comme le lui intime pourtant Bagdad. La situation est ubuesque et Davotuglu, le premier ministre turc, ne craint pas le ridicule quand il affirme que les autorités irakiennes ont autorisé le déploiement – ce dont elles n’ont apparemment pas le souvenir. Encore plus absurdes sont ses récriminations sur les… “provocations” irakiennes !

Résumons : la Turquie envoie des troupes dans un pays souverain sans sa permission, prétend contre toute vraisemblance que ce pays l’a autorisé à le faire et ose parler de “provocation” quand le pays envahi se plaint. Erdogan ou le foutage de g…. en 3D. Au XIXème siècle, la Turquie était souvent appelée “l’homme malade de l’Europe” du fait de sa faiblesse. Le sultan a réussi en ce début de XXIème à faire de son pays le malade mental de l’Eurasie. Que pense l’OTAN de la pomme pourrie dans son panier ?

En plus de la menace porter l’affaire devant le Conseil de sécurité de l’ONU qui devrait se concrétiser ces prochaines heures, Bagdad envisage maintenant des sanctions contre la Turquie. Quant aux milices chiites irakiennes parrainées par l’Iran, qui avaient déjà de sérieux griefs envers Ankara accusée avec raison de soutenir Daech, elles appellent maintenant à cibler tout intérêt turc en Irak (pour ce genre de milice, “cibler” veut dire “éliminer”).

Bien sûr, Ankara a d’excellentes raisons stratégiques : avoir une tête de pont près des champs pétroliers du nord de l’Irak et au coeur des voies de communication de ses ennemis de toujours (PKK et YPG), avoir son mot à dire lorsque l’EI perdra Mossoul et que le nord de l’Irak sera recomposé. Mais le sultan en herbe, tout à son rêve néo-ottoman, se rend-il compte de l’isolement de plus en plus sinistre de son pays, désormais en froid avec tous ses voisins ?

Et puisqu’on en parle, l’inénarrable Davotuglu remplit parfaitement son rôle de bouffon du pacha et s’en prend maintenant verbalement à la Russie qu’il menace de contre-sanctions, oubliant sans doute que c’est la Turquie qui a abattu un avion russe et non l’inverse – on ne voit d’ailleurs pas très bien quelles sanctions Ankara serait susceptible de mettre en oeuvre -, et, fait nouveau, à l’Iran.

Sur le front, cela n’empêche en tout cas pas l’armée irakienne de continuer son avancée : une partie de Ramadi a été reprise à Daech. Le fait a son importance car Ramadi est sur les arrière de Fallujah, ville symbole de l’Etat Islamique en passe d’être encerclée, comme Mossoul au nord.

Sur le théâtre d’opération syrien, les Sukhois continuent leurs mortelles (pour les terroristes modérés) escapades : 600 cibles en trois jours ainsi que les fameux missiles Klibr lancés à partir d’un sous-marin . L’armée syrienne progresse lentement mais sûrement sur à peu près tous les fronts. Mais un nouveau bombardement attribué aux Américains provoque une levée de boucliers. Un jour après avoir tué 3 soldats du régime à Deir Ez Zor et en avoir accusé de manière ridicule la Russie, l’oncle Sam frappe encore, tuant des dizaines de civils. Encore quelques bombardements comme ça et Poutine aura le prétexte tout trouvé pour déployer ses S400 sur tout le territoire syrien. D’ailleurs, deux nouvelles bases russes sont sur le point d’être achevées, se rapprochant dangereusement et de Daech et des avions américains.

Source : Chroniques du Grand Jeu, 8-12- 2015

Source: http://www.les-crises.fr/de-lukraine-du-syrak-et-de-quelques-autres-choses/


Comment la CIA fabrique des informations contre le gouvernement du Venezuela (La Jornada)

Wednesday 16 December 2015 at 00:16

Suite à la victoire de l’opposition libérale aux législatives du Venezuela (tssss, ces dictateurs, pas efficaces quand même…), un petit rappel.

Source : Le Grand Soir, José Manuel Martín Medem, 11-12-2015

Quand Felipe Gonzalez dit que le Venezuela vit sous un régime tyrannique, personne ne demande à l’ancien chef du gouvernement espagnol qu’il expose ses arguments qui soutiendraient un mensonge aussi éhonté. Et lui de rajouter que le Chili de Pinochet respectait plus les droits de l’homme que le Venezuela de Maduro. Par contre quiconque voudrait lui répondre se verrait obligé d’apporter milles et une preuve, lesquelles n’auraient de toute façon aucun effet contre la mauvaise foi. Le Venezuela n’est pas une démocratie jusqu’à ce que l’on démontre le contraire, c’est une tyrannie bien que cette accusation ne tienne que… “parce que tout le monde le sait“.

Pour Fernando Casado, parler de “tyrannie au Venezuela” est un parfait exemple de sound bites, des messages courts qui résument des idées complexes et dont le but est d’être injectés l’opinion publique internationale. Spécialiste en droit et communication, Casado vient de publier à Madrid un livre (1) qui reprend ses conclusions après cinq années de recherches sur le rôle des informations contre le gouvernement du Venezuela dans les médias les plus influents d’Espagne et d’Amérique latine.

Il explique le système de triangulation mis en place pour tergiverser l’information et se base sur ses interviews de plusieurs journalistes reconnus travaillant pour de grands médias, qui reconnaissent l’influence que joue la ligne éditoriale antigouvernementale dans leurs articles.

La triangulation consiste à semer des informations de la CIA dans la presse madrilène, provenant toujours de “sources confidentielles”, pour ensuite les reproduire à Miami et par le biais du Groupe de Journaux d’Amérique. Ces informations sont ensuite rediffusées à Caracas par le journal El Nacional,comme s’il s’agissait de la parole divine.

Il est important de souligner ici qu’il ne s’agit pas de l’opinion de Casado ou de la mienne, mais de l’expérience vécue et racontée par des journalistes qui travaillent pour les médias impliqués. Le Groupe de Journaux d’Amérique est constitué de O Globo (Brésil), El Mercurio (Chili), La Nación(Argentine), El Tiempo (Colombie), El Comercio (Equateur et Pérou), El Universal (Mexique), El País(Uruguay) et El Nacional (Venezuela). Des journaux comme El Nuevo Herald (Miami), El Espectador(Colombie) et ABCEl Mundo et El País (Madrid) sont sur la même longeur d’onde.

Les faits que révèlent les journalistes interviewés par Casado lèvent le voile sur un supposé journalisme de qualité qui laisse en fait fort à désirer. Angelica Lagos, éditrice de la rubrique internationale du journal El Espectador, parle d’une “construction dévastatrice pour l’image du Venezuela”. Maye Primera et Clodovaldo Hernández, tous deux collaborateurs d’El País à Caracas, parlent d’un “effort pour créer une opinion publique défavorable” et d’ “une pression insupportable pour raconter les choses comme eux voulaient les voir”. Miguel Angel Bastenier : “Nous savons tous qui est notre propriétaire ; l’immense majorité de ceux qui se trouvent à l’intérieur du système ne sortent pas de ce cadre”. Angel Expósito, directeur du journal ABC : « Nous avons accès à des informations de la CIA ».

La CIA sème des infos dans la presse à Madrid

Le 6 janvier, la DEA et la CIA ont offert un petit cadeau au journal madrilène ABC. Ils ont exfiltré de Caracas le déserteur Leasmy Salazar -présenté comme un officier membre des gardes du corps d’Hugo Chavez et de Diosdado Cabello, le président de l’Assemblée Nationale- ils l’ont emmené à Madrid afin qu’il se fasse interviewer par Emili J. Blasco, correspondant à Washington du journal. Salazar lui a relaté en exclusivité les chefs d’accusation qu’il allait négocier avec le procureur aux Etats-Unis : “le Venezuela est un narco-état construit par Hugo Chavez et aujourd’hui dirigé par Diosdado Cabello”. Je n’invente pas cette histoire. Blasco la raconte lui-même dans le livre (2) qu’il a écrit à partir des révélations de Salazar, mis à sa disposition par la DEA et la CIA. Expósito [le directeur du journal ABC] a admis à Casado que l’information “provenait de la CIA” et Blasco confirme dans son ouvrage qu’il a eu accès à des rapports des services secrets. Le correspondant d’ABC est devenu la référence de base pour tous les médias qui sont disposés à utiliser l’information des services secrets des Etats-Unis préalablement blanchie par ABC.

Le livre de Blasco assure aussi que le Venezuela a mis en place un système de fraude électorale permanent grâce à l’intervention d’assesseurs cubains. Ses seules preuves sont les “accusations de témoins protégés par la Justice américaine” et des révélations de “figures du chavisme qui ont établi des contacts avec les autorités américaines mais qui préfèrent attendre encore avant de prendre la fuite”.

Le Wall Street Journal a participé à la légitimation de l’intervention de la CIA dans les médias, en l’auréolant de son prestige de Mecque du journalisme international. Pourtant, il est intéressant de lire avec attention les articles au sujet du Venezuela. En effet, le WSJ reconnaît que toute l’information utilisée provient de fonctionnaires du gouvernement des Etats-Unis et de ses services secrets. Le journal reconnaît aussi que les Etats-Unis tentent depuis dix ans de monter des affaires judiciaires liées au narcotrafic contre le gouvernement du Venezuela sans y parvenir faute de preuves indiscutables, et qu’une opération en cours consiste en provoquer des désertions de fonctionnaires et de militaires afin de leur donner le statut de témoins en échange de compensations comme un titre de séjour aux Etats-Unis. “Les services secrets américains –reconnaît le WSJ- ont accéléré le processus de recrutement de déserteurs qui offrent des informations utiles”. Des agents de ces services ont expliqué au journal que des exilés vénézuéliens les aident à contacter des fonctionnaires gouvernementaux afin de leur proposer qu’ils deviennent des déserteurs et partent se réfugier aux Etats-Unis.

« Tout le monde sait que »

Un second livre (3) récemment publié a lui aussi alimenté les accusations de supposée complicité entre Cuba et le Venezuela. Son auteur est un vénézuélien, Gustavo Azócar, conseiller électoral de l’opposition, et ses sources proviennent aussi d’informations récoltées par le journal espagnol ABC. Il réitère les accusations de Blasco, utilise les mêmes “rapports des services secrets” et a souvent recours au “tout le monde sait que“, assurant ainsi que les militaires cubains contrôlent l’Université des Forces Armées dans le cadre de la formation des officiers vénézuéliens pour réprimer les protestations populaires qui auront lieu suite à la fraude électorale lors des prochaines législatives du 6 décembre.*

The Guardian (et qui oserait prétendre qu’il s’agit d’un journal chaviste et bolivarien ?) a envoyé au Venezuela l’économiste américain Mark Weisbrot afin qu’il informe au sujet des mobilisations de l’opposition. Après deux semaines d’observation sur place, il a publié une chronique intitulée La vérité sur le Venezuela : une révolte des riches**, dans laquelle il explique que la vérité n’a pas grand-chose à voir avec celle décrite par les médias qui ont le plus d’influence auprès de l’opinion publique internationale. Weisbrot en arrive à la conclusion suivante : une stratégie insurrectionnelle de l’extrême droite vénézuélienne est en cours, avec le soutien des Etats-Unis.

José Manuel Martín Medem

L’auteur a été correspondant de RTVE au Mexique, en Colombie et à Cuba. Membre de la Commission Exécutive du Syndicat des Journalistes de Madrid (SPM).

Source : Le Grand Soir, José Manuel Martín Medem, 11-12-2015

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Texte de 2014..

La vérité sur le Venezuela : une révolte des classes aisées, pas une « campagne de terreur » (The Guardian)

Source : Le Grand Soir, Mark WEISBROT, 26-03- 2014

La rhétorique de John Kerry est déconnectée de la réalité sur le terrain, où la vie continue – même sur les barricades.

Une manifestante pose pour la photo, sur la place Altamira à Caracas. Photo : Jorge Silva / Reuters

Les images forgent la réalité et octroient un pouvoir à télévision et aux vidéos et même aux photos qui peuvent s’enfoncer profondément dans la conscience des gens sans même qu’ils s’en rendent compte. Moi aussi j’ai pensé que j’étais à l’abri de ces représentations répétitives du Venezuela comme un état défaillant pris dans les affres d’une révolte populaire. Mais je ne m’attendais pas à ce que j’ai vu à Caracas ce mois-ci : combien peu de la vie quotidienne semble être affectée par les manifestations et combien la normalité prévalait dans la grande majorité de la ville. Moi aussi, j’avais été happé par les images des médias.

De grands médias ont déjà indiqué que les pauvres du Venezuela n’ont pas rejoint les protestations de l’opposition de droite, mais c’est un euphémisme : ce ne sont pas seulement les pauvres qui s’abstiennent – à Caracas, c’est pratiquement tout le monde à l’exception de quelques zones riches comme Altamira, où de petits groupes de manifestants se livrent à des batailles nocturnes avec les forces de sécurité, jetant des pierres et des bombes incendiaires et fuyant les gaz lacrymogènes.

En marchant dans le quartier de la classe ouvrière de Sabana Grande au centre de la ville, il n’y avait aucun signe que le Venezuela est en proie à une « crise » qui nécessite une intervention de l’Organisation des États américains (OEA), et peu importe ce que John Kerry vous raconte. Le métro fonctionnait normalement aussi, même si je n’ai pas pu descendre à la gare d’Alta Mira, où les rebelles avaient établi leur base d’opérations avant leur expulsion cette semaine.

J’ai eu mon premier aperçu des barricades à Los Palos Grandes, une zone de revenus supérieurs où les manifestants ont le soutien populaire, et où les voisins s’en prennent à ceux qui tentent de démonter les barricades – une opération risquée (au moins quatre personnes ont apparemment été abattues en tentant de le faire). Mais même ici, sur les barricades, la vie est à peu près normale, à part quelques embouteillages. Le week-end, le Parque del Este était plein de familles et de coureurs en sueur dans la chaleur étouffante – avant Chávez, on m’a raconté qu’il fallait payer pour y entrer, et les résidents ici étaient déçus quand les moins bien lotis ont été autorisés à entrer gratuitement. Le soir, les restaurants sont toujours pleins.

Voyager permet plus qu’une simple vérification de la réalité, bien sûr, et j’ai visité Caracas principalement pour recueillir des données sur l’économie. Mais je suis revenu très sceptiques quant aux récits rapportés chaque jour dans les médias et selon lesquels les pénuries croissantes de produits alimentaires de base et des biens de consommation sont une motivation sérieuse pour les manifestations. Les gens qui sont les plus incommodés par ces pénuries sont, bien sûr, les pauvres et les classes ouvrières. Mais les habitants de Los Palos Grandes et Altamira, où j’ai vu de véritables manifestations, ont des serviteurs qui font la queue pour eux et ils ont les moyens et l’espace pour faire des stocks.

Ces gens-là ne souffrent pas – ils s’en sortent très bien. Leur revenu a augmenté à un rythme constant depuis que le gouvernement Chávez a pris le contrôle de l’industrie pétrolière, il y a dix ans. Ils bénéficient même d’une mesure coûteuse pour le gouvernement : n’importe qui avec une carte de crédit (ce qui exclut les pauvres et les millions de personnes qui travaillent ) a droit à 3000 $ par an à un taux de change subventionné. Ils peuvent ensuite vendre ces dollars à 6 fois le prix qu’ils ont payé, ce qui équivaut à une subvention annuelle de plusieurs milliards de dollars pour les privilégiés – mais ce sont eux qui fournissent la base et les troupes de la rébellion.

La nature de classe de cette lutte a toujours été évidente et incontournable, aujourd’hui plus que jamais. En passant devant la foule qui s’est présentée pour les cérémonies du 5 Mars pour marquer l’anniversaire de la mort de Chávez, c’était une marée humaine de Vénézuéliens de la classe ouvrière, des dizaines de milliers d’entre eux. Il n’y avait pas de vêtements de luxe ou de chaussures à $300. Quel contraste avec les masses mécontentes de Los Palos Grandes, avec leurs Jeeps Grand Cherokee à $40 000 affichant le slogan du moment : SOS VENEZUELA.

Quand il s’agit du Venezuela, John Kerry sait de quel côté de la guerre de classe il se situe. La semaine dernière, alors que je quittais la ville, le secrétaire d’État des États-Unis a redoublé de violence dans sa rhétorique contre le gouvernement, accusant le président Nicolás Maduro de mener une « campagne de terreur contre son propre peuple ». Kerry a également menacé d’invoquer la Charte démocratique interaméricaine de l’OEA contre le Venezuela, ainsi que des sanctions.

Brandissant la Charte démocratique contre le Venezuela est un peu comme menacer Vladimir Poutine avec un vote parrainé par l’ONU sur la sécession en Crimée. Peut-être que Kerry ne l’a pas remarqué, mais quelques jours avant ses menaces, l’OEA s’est saisi d’une résolution que Washington a présenté contre le Venezuela en l’a retourné contre lui, en déclarant « la solidarité » de l’organisme régional avec le gouvernement de Maduro. Vingt-neuf pays l’ont approuvé, seuls les gouvernements de droite de Panama et le Canada se sont rangés du côté des États-Unis.

L’article 21 de la Charte démocratique de l’OEA s’applique à l’ « interruption inconstitutionnelle de l’ordre démocratique d’un Etat membre » (comme le coup d’état militaire de 2009 au Honduras que Washington a contribué à légitimer, ou le coup d’État militaire de 2002 au Venezuela, appuyé encore plus par le gouvernement des Etats-Unis). Compte tenu de son récent vote, l’OEA serait plus susceptible d’invoquer la Charte démocratique contre le gouvernement américain pour ses meurtres sans procès de citoyens américains par drones que de condamner le Venezuela.

La rhétorique de Kerry sur la « campagne de terreur » est également déconnectée de la réalité, et de façon prévisible a provoqué une réaction équivalente du ministre des Affaires étrangères du Venezuela, qui a qualifié Kerry d’ « assassin ». Voici la vérité sur ces accusations de Kerry : depuis que les manifestations au Venezuela ont commencé, il semble que plus de gens ont été tués par des manifestants que par les forces de sécurité. Selon les décès signalés par le CEPR le mois dernier, en plus de ceux tués pour avoir tenté de démonter des barricades, environ sept ont apparemment été tués par des obstacles installés par les manifestants – dont un motard décapité par un fil tendu à travers la route – et cinq officiers de la Garde nationale ont été tués.

Quant à la violence de la répression, au moins trois personnes semblent avoir été tués par la Garde nationale ou d’autres forces de sécurité – dont deux manifestants et un militant pro-gouvernemental. Certains blâment le gouvernement pour trois meurtres supplémentaires par des civils armés ; dans un pays avec une moyenne de plus de 65 homicides par jour, il est tout à fait possible de ces gens aient agi de leur propre chef.

21 membres des forces de sécurité sont en état d’arrestation pour abus, y compris pour certains des meurtres. Il n’y a pas de « campagne de terreur ».

Dans le même temps, il est difficile de trouver une dénonciation sérieuse de la violence des principaux dirigeants de l’opposition. Les sondages indiquent que les protestations sont très impopulaires au Venezuela, même si elles font beaucoup mieux à l’étranger où elles sont présentées comme des « manifestations pacifiques » par des gens comme Kerry. Les sondages indiquent également que la majorité des Vénézuéliens voient ces perturbations pour ce qu’elles sont : une tentative de renverser le gouvernement élu.

La politique intérieure de la posture de Kerry est assez simple. D’une part, vous avez le lobby de la droite cubano-américaine en Floride et leurs alliés néo-conservateurs qui réclament à cors et à cris le renversement du gouvernement. A gauche de l’extrême droite, il n’y a… rien. Cette Maison Blanche se soucie très peu de l’Amérique latine, et il n’y a pas de conséquences électorales à faire en sorte que la plupart des gouvernements du continent soient un peu plus dégoûtés de Washington.

Peut-être que Kerry pense que l’économie vénézuélienne va s’effondrer et que cela entraînera quelques Vénézuéliens pas-si-riches dans les rues contre le gouvernement. Mais la situation économique se stabilise – l’inflation a diminué en Février, et le dollar sur le marché noir a fortement baissé à l’annonce que le gouvernement mettait en place un nouveau taux de change, basé sur le marché. Les obligations souveraines du Venezuela ont eu un rendement de 11,5% entre le 11 Février (veille des manifestations) et le 13 Mars, soit le rendement les plus élevé de l’indice du marché Bloomberg en dollars des pays émergents. Les pénuries seront probablement réduites dans les semaines et mois à venir.

Evidemment, c’est justement là le problème principal de l’opposition : la prochaine élection est prévue dans 18 mois, et à ce moment, il est probable que les pénuries économiques et l’inflation qui avaient tellement augmenté au cours des 15 derniers mois auront diminué. L’opposition perdra alors probablement les élections législatives, car elle a perdu toutes les élections de ces 15 dernières années. Et la stratégie insurrectionnelle actuelle n’aide pas sa cause et semble avoir divisé l’opposition et réuni les chavistes.

Le seul endroit où l’opposition semble recueillir un large soutien est Washington.

Mark Weisbrot

Traduction « de Kiev à Caracas, les mêmes stratégies ne produisent pas forcément les mêmes résultats » par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

Source : Le Grand Soir, Mark WEISBROT, 26-03- 2014
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Pourquoi la victoire de la droite n’a-t-elle déclenché aucune liesse dans les rues ?

VENEZUELA : PAYSAGE AVANT LA BATAILLE

Thierry DERONNE – 10/12/2015

Avec l’élection de deux tiers de députés de droite vient de se répéter le scénario médiatique qui accompagna la défaite électorale des sandinistes au Nicaragua en 1990. Le pays semble rentrer dans l’ordre néo-libéral, on reconnaît que la « dictature » est une démocratie, on félicite les perdants pour leur reconnaissance immédiate des résultats.

Mais pourquoi Caracas, au lendemain du scrutin, était-elle si triste ? Pourquoi une telle victoire n’a-t-elle déclenché la moindre liesse dans le métro, dans les rues ? Comment comprendre la mobilisation de collectifs populaires, ou que les syndicats se déclarent en « état d’urgence », alors qu’il y a trois jours une partie de même cette base populaire ne s’est pas mobilisée en faveur des députés bolivariens ?

Dès l’élection de Chavez en décembre 1998, nombre d’institutions révolutionnaires se sont peuplées du « chiripero » – surnom donné à la masse d’employé(e) qui troquèrent en 24 heures la casquette du populisme des années 90 pour une chemise rouge (alors que souvent les révolutionnaires authentiques étaient écartés). L’angoissante guerre économique a rendu insupportables la corruption et la surdité de ce secteur de fonctionnaires face à l’exigence d’une protection forte, d’un État plus efficace, plus participatif, travaillant à écouter les citoyen(ne)s.

Parallèlement, le « changement » promis par la droite a été interprété comme la fin de la guerre économique : les rayons des magasins se rempliraient de nouveau, les files disparaîtraient avec le retour du secteur privé au pouvoir. Or les leaders de l’opposition ont d’ores et déjà annoncé qu’il ne sera pas possible de régler le « problème économique » à court terme et que la priorité sera d’appliquer un programme visant à « modifier » les lois et acquis sociaux. Fedecámaras, organisation des commerçants et des chefs d’entreprises du secteur privé, demande à l’assemblée nationale d’annuler la Loi du Travail (1).

En ligne de mire : les hausses de salaire, la protection des travailleurs contre les licenciements, les conditions trop favorables des congés de maternité, la réduction de la durée du travail, les samedis libres, le paiement des heures sup, les bons d’alimentation. Les syndicats annoncent déjà des mobilisations de rue, réclament la nationalisation de la banque. Menacée et traitée de « cloaque » par le leader de l’opposition Ramos Allup, la chaîne parlementaire ANTV vient d’être remise intégralement à ses travailleurs par le gouvernement, et le président Maduro décrètera une loi pour protéger les travailleurs du service public, en étendant l’interdiction de licenciement de 2016 à 2018.

La droite – elle ne s’en cache pas – veut revenir sur la plupart des acquis de la révolution (loi de contrôle des prix, loi des semences anti-OGM, loi de la réforme agraire, de protection des locataires, éducation gratuite, santé gratuite, construction de logements publics, pensions…), organiser avec les États-Unis la privatisation du pétrole et des autres ressources du pays, annuler les accords de coopération énergétique avec les pays plus pauvres des Caraïbes et de tout autre accord qui défie la vision unipolaire de Washington (PetroCaribe, ALBA, etc..), etc… Elle annonce aussi une « amnistie » pour les militants et le leader de “l’Aube Dorée” locale Leopoldo Lopez, organisateurs de violences meurtrières – celles de 2013 ont fait 43 morts, la plupart dans le camp bolivarien, et six membres des forces de l’ordre tués par balles. Ce sont eux que les médias internationaux appellent des “prisonniers d’opinion” au motif qu’ils appartiennent à l’extrême droite. Pour réaliser tout cela au plus vite, la droite cherchera, dans les mois qui viennent, à destituer le président bolivarien par un coup parlementaire comme celui subi par Fernando Lugo au Paraguay.

Faire la révolution n’est pas simple.

On voit la difficulté de construire une révolution socialiste sans démocratiser la propriété des médias, sans s’émanciper de cette prison culturelle de consommation massive, d’invisibilisation du travail, de fragmentation du monde, de passivité du spectateur. Le récent « rapport sur l’imaginaire et la consommation culturelle des vénézuéliens » réalisé par le ministère de la culture est en ce sens une excellente analyse politique. Il montre que la télévision reste le média préféré et que la majorité associe le Venezuela à l’image de Venevision ou Televen : « jolis paysages/jolies femmes ». Comment mettre en place une production communale à grande échelle, sans la corréler avec un imaginaire nouveau où la terre n’est plus la périphérie de la ville mais le centre et la source de la vie, de la souveraineté alimentaire ? Comment transformer des médias en espaces d’articulation et d’action populaire, de critique, de participation, si le paradigme anglo-saxon de la communication sociale (« vendre un message à un client-cible ») reste la norme ?

En conclusion

Une immense bataille commence, et deux issues sont possibles : soit un repli du camp bolivarien, avec répression des résistances sociales (l’histoire répressive (2) et les liens de la droite vénézuélienne avec le paramilitarisme colombien et la CIA sont bien documentés (3) ), vague de privatisations, retour à l’exploitation et à la misère des années 90, et silence des médias internationaux – comme lors du retour des néo-libéraux au Nicaragua de 1990 à 2006.

Soit les politiques de la droite serviront de fouet à la remobilisation populaire que Nicolas Maduro a appelée de ses vœux en provoquant la démission du gouvernement et en organisant une réunion avec les mouvements sociaux et le Parti Socialiste Uni (PSUV). Malgré l’usure de 16 ans de pouvoir et ces deux dernières années de guerre économique, la révolution bolivarienne conserve un socle remarquable de 42 % des suffrages. Même si les deux tiers des sièges parlementaires donnent à la droite une grande marge d’action, le chavisme dispose pour l’heure du gouvernement et de la présidence, de la majorité des régions et des mairies, et de l’appui d’un réseau citoyen – conseils communaux, communes, mouvements sociaux. Si le président réussit à repartir rapidement sur des bases nouvelles, sans diluer ses décisions dans une négociation interne entre groupes de pouvoir, si toutes ces énergies de transformation se reconnectent et agissent en profondeur, la leçon aura été salutaire.

Thierry Deronne, Caracas, 9 décembre 2015

Notes :

(1) Lire « La nouvelle loi du travail au Venezuela »,https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/05/04/nouvelle-loi-du-travai…

(2) Lire « la jeunesse d’aujourd’hui ne sait rien de ce qui s’est passé il y a trente ou quarante ans »https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/01/19/la-jeunesse-daujourdhu… et « comment la plupart des journalistes occidentaux ont cessé d’appuyer la démocratie en Amérique Latine »https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/03/16/comment-la-plupart-des…

(3) Lire « Venezuela : la presse française lâchée par sa source ? »https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/08/04/venezuela-la-presse-fr…

Source : Le Grand Soir 10/12/2015

Lire aussi par exemple https://venezuelainfos.wordpress.com/

Source: http://www.les-crises.fr/comment-la-cia-fabrique-des-informations-contre-le-gouvernement-du-venezuela-la-jornada/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 16 December 2015 at 00:08

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: Hausse des taux de la FED: “Ça n’aura absolument…” – 14/12

Olivier Delamarche VS Marc Riez (2/2): Peut-on espérer un rebond de l’économie mondiale en 2016 ? – 14/12

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: “Aujourd’hui on est sur des encours à risque ou potentiellement en défaut” – 09/12

Philippe Béchade VS Sarah Thirion (1/2): Quels sont les enjeux majeurs sur les matières premières en 2016 ? – 09/12

Philippe Béchade VS Sarah Thirion (2/2): En 2016, peut-on espérer une accélération de la croissance économique en Europe ? – 09/12

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir: Hausse des taux de la FED: “il y a une incertitude majeure sur l’économie américaine” – 15/12

Jacques Sapir VS Jacques Tebeka (1/2): Quel discours accompagnera la hausse des taux de la FED ? – 15/12

Jacques Sapir VS Jacques Tebeka (2/2): Quels sont les risques et les opportunités pour 2016? – 15/12


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-3/


Le FMI modifie ses règles pour aider l’Ukraine, Moscou enrage

Tuesday 15 December 2015 at 02:15

C’est bien, encore un pas de plus vers la destruction des anciennes structures post-1945…

Source : Le Figaro, Marine Rabreau, 11/12/2015

Christine Lagarde, directrice générale du FMI

VIDÉO – La Russie dénonce une «décision politique» et met en doute l’impartialité de l’institution, encore, il est vrai, largement dominée par l’Occident.

«Le Fonds monétaire international (…) a pour la première fois de son histoire pris une décision destinée à soutenir un État emprunteur à l’encontre des accords existants, uniquement pour des raisons politiques», accuse le premier ministre russe Dmitri Medvedev. Le FMI a en effet décidé de modifier une règle interne, celle qui lui interdisait d’assister financièrement un État ayant fait défaut vis-à-vis d’un autre pays. Ce qui permet, in extremis, au plan d’aide accordé en mars dernier à l’Ukraine de survivre.

Ces accusations à l’encontre du FMI, d’une force inédite, remettent sur le devant de la scène les critiques que subit régulièrement l’institution monétaire sur la question de son impartialité. Le FMI, créé en 1944 et dont le rôle a profondément changé avec le temps, est encore largement dominé par les Occidentaux. Quelle est l’origine du problème financier entre l’Ukraine et la Russie? Pourquoi la Russie se fâche contre le FMI? Le FMI est-il vraiment sous influence politique? Toutes les clés pour comprendre.

• Un plan d’aide financière de 40 milliards de dollars négocié en mars 2015

L’Ukraine est dans une situation financière catastrophique. Comme l’a résumé la ministre ukrainienne des Finances, Natalie Jaresko, quand elle a pris ses fonctions il y a un an: «Nous sommes dans une situation très difficile, avec une guerre sur une partie de notre territoire, avec 70 ans de communisme et des décennies de corruption derrière nous.» Le pays, en quasi-faillite, «n’a pas eu d’autre choix» que de faire appel à l’aide financière internationale. Une demande qui s’est soldée en mars dernier par un plan de 40 milliards d’euros (la dette s’élevait alors à 71 milliards de dollars fin 2014), dont 17,5 milliards d’euros de la part du FMI, en échange -comme c’est toujours le cas lorsque l’institution intervient- de sévères mesures d’austérité. Fin août dernier, après cinq mois de négociations acharnées pour restructurer sa dette, l’Ukraine obtient un effacement de 20% de sa dette. De quoi, a pensé le FMI, rendre la dette ukrainienne «soutenable».

» LIRE AUSSI:Pourquoi Kiev se bat avec ses créanciers pour réduire sa dette


• La descente aux enfers de l’Ukraine

Mais cet accord d’août 2015 n’a pas effacé la dette que le pays avait contracté en 2013 (sous l’ère du pro-russe Viktor Ianoukovitch) auprès de la Russie, qui atteint 3 milliards de dollars avec échéance au 20 décembre 2015. Or, ces derniers mois, la situation économique du pays s’est encore empirée: la contraction du PIB en 2015 devrait finalement atteindre 12%, quand l’inflation frôle les 50%, plombant le portefeuille des Ukrainiens. La monnaie (la hryvnia) s’enfonce dans les abysses, renchérissant la partie de la dette publique libéllée en devises étrangères, et engloutissant les réserves de change. Tout indique que la dette explose au-delà des précédentes estimations à 95% du PIB. L’Ukraine reste privée de sa richesse industrielle à l’est du pays, les réformes tardent à se mettre en place, et si le niveau de corruption a baissé, les oligarques ont encore la main sur des pans entiers de l’économie.

Source: Banque Mondiale avec Datawrappe

Source: Banque Mondiale avec Datawrappe

 Le FMI modifie in extremis son règlement intérieur 

Asphyxiée, l’Ukraine de Petro Porochenko a menacé en octobre de ne pas rembourser cette dette de 3 milliards de dollars qu’elle doit à la Russie. Auquel cas, cela placerait techniquement, au 20 décembre, le pays en situation de défaut de paiement. Or, normalement, le FMI n’a pas le droit d’apporter son assistance financière à un pays en situation de défaut. Mais depuis ce mardi, c’est devenu possible: le FMI a précisément modifié cette partie de son réglement intérieur. «Le conseil d’administration du FMI (composé de 188 États membres, NDLR) s’est réuni et a décidé de changer la règle actuelle sur le refus d’arriérés de paiement vis-à-vis de créanciers officiels (publics, ndlr)», a déclaré le porte-parole du FMI Gerry Rice. Cette décision permet de maintenir en vie le plan d’aide du FMI accordé en mars à l’Ukraine, et obtenu à bout de bras par les Occidentaux, notamment les Américains.

«J’ai le sentiment que l’Ukraine ne paiera pas car ce sont des escrocs»

Dmitri Medvedev, le Premier ministre

• La double colère de la Russie

Double colère pour la Russie. D’abord contre l’Ukraine: Vladimir Poutine a ordonné mercredi 3 décembre à son gouvernement d’attaquer l’Ukraine devant la justice internationale si cette dernière ne rembourse pas. «Si la Russie poursuit l’Ukraine, nous sommes prêts à aller en justice avec la Russie», a aussitôt rétorqué à Kiev le premier ministre Arseni Iatseniouk. Ensuite contre le FMI: dans une tribune publiée ce jeudi dans l’influent Financial Times, le ministre russe des Finances Anton Silouanov a averti que cette décision, «pourrait soulever des questions quant à l’impartialité d’une institution qui joue un rôle essentiel» et dont les fondements ne devraient être modifiés «qu’après mûre réflexion».

• La réponse du FMI

«La nécessité de cette réforme était claire depuis un certain temps maintenant», a assuré Hugh Bredenkamp, un des cadres de l’institution, en dévoilant les détails de la nouvelle règle. Selon lui, un tel changement était nécessaire pour éviter qu’un plan du FMI ne soit «pris en otage» par le refus d’un pays de renégocier sa créance. Le FMI s’était d’ailleurs penché sur cette question dans un rapport de mai 2013 «avant même que le prêt de la Russie à l’Ukraine n’existe», a-t-il rappelé.

Le calendrier pose toutefois question. «C’était une bonne chose d’agir mais le timing n’est pas bon», affirme à l’AFP Andrea Montanino, ancien représentant italien au FMI. «C’était une erreur de faire ça dans la précipitation et cela donne l’impression que c’est une simple décision de circonstance», ajoute-t-il.

• Le FMI attaqué au cœur

Le FMI, une institution sous influence? Le conflit financier russo-ukrainien place à nouveau le FMI face à des soupçons d’instrumentalisation et à la question de son impartialité. L’institution internationale, créée en 1944 et dont le rôle a complètement changé avec le temps, reste surreprésentée par les Occidentaux.

Pourquoi a-t-il été créé? Quelles ont été ses missions au fil du temps? A quoi il sert aujourd’hui? Comment il fonctionne? Pourquoi l’institution est critiquée? La vidéo ci-dessous permet de tout comprendre:

Les cas de la Grèce et de la Chine

Ce n’est pas la première fois que le Fonds se retrouve ainsi sur le banc des accusés. L’institution avait déjà fait grincer des dents en changeant ses règles en 2010 pour prêter davantage d’argent à la Grèce en arguant d’un nouveau «risque systémique». Certains pays émergents, sous-représentés au sein du FMI, n’avaient pas hésité à voir la main des Européens derrière cette décision.

Bien plus récemment, fin novembre, le Fonds a décidé d’inclure le yuan chinois dans son panier de réserves et d’en faire ainsi une monnaie de référence sur le globe. La décision a été globalement saluée même si certains experts l’ont aussi interprétée comme un geste en faveur de Pékin, en quête d’une plus grande reconnaissance sur la scène internationale. «C’était une bonne décision mais elle est évidemment politique. Il fallait envoyer un signal à la Chine qui n’a pas assez de poids au FMI», assure ainsi Andrea Montanino. Le Fonds s’en est farouchement défendu. «C’est un processus technique qui s’est déroulé sur une longue période», a rétorqué son porte-parole Gerry Rice la semaine dernière.

Source : Le Figaro, Marine Rabreau, 11/12/2015

Source: http://www.les-crises.fr/le-fmi-modifie-ses-regles-pour-aider-lukraine-moscou-enrage/


Aux racines du djihadisme : Surenchères traditionalistes en terre d’islam, par Nabil Mouline

Tuesday 15 December 2015 at 00:45

Source : Le Monde Diplomatique, Nabil Mouline, 03-2015

Le monde musulman sunnite est confronté à un phénomène de réislamisation, avivé par la faiblesse des forces modernistes et des sociétés civiles ainsi que par la duplicité des pouvoirs politiques. Tout porte à croire que, malgré leur opposition idéologique, le wahhabisme saoudien et le courant des Frères musulmans vont poursuivre leur expansion. Leur avatar commun, le djihadisme, devrait lui aussi se renforcer.

Dans le monde arabe, les ambitions hégémoniques du traditionalisme musulman ne datent pas d’hier. Quelles que soient sa forme ou sa dénomination, ses dépositaires ont réussi à y occuper, depuis la seconde moitié du IXe siècle, une place centrale. Cela s’est fait au prix de combats acharnés, et au détriment d’autres discours dont certains étaient novateurs, ou du moins rénovateurs.

Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que l’ordre ancien est progressivement, quoique involontairement, secoué par le choc colonial. Des discours s’appuyant sur les systèmes de valeurs et de représentations occidentaux s’introduisent en terre d’islam. Ils offrent une nouvelle conception du monde et permettent à des courants intellectuels, politiques et religieux de s’épanouir. Le traditionalisme musulman ne disparaît pas pour autant. Après une période d’adaptation forcée au début du XXe siècle, ses promoteurs réapparaissent et prétendent jouer un rôle structurant en tant que défenseurs des vraies valeurs de l’islam contre une modernité trop envahissante. Le renouveau et l’expansion du traditionalisme, qu’il soit religieux (wahhabisme (1)) ou politico-religieux (frérisme (2) et djihadismes), ont plusieurs causes. Sans négliger les facteurs socio-économiques, dont l’importance est indéniable, il nous paraît nécessaire ici d’isoler quelques variables déterminantes et de les mettre en perspective.

Tout au long du XXe siècle, plusieurs pays musulmans ont essayé d’utiliser leur capital religieux pour étendre leur prestige et leur influence au niveau international. Mais l’expérience saoudienne est la plus impressionnante, par son ampleur et par sa longévité. Le wahhabisme, avatar du hanbalisme (l’une des quatre écoles juridiques et théologiques du sunnisme), se conçoit dès son apparition au XVIIIe siècle comme la seule vraie religion. Son interprétation littéraliste, conservatrice et exclusiviste de l’islam doit donc s’imposer à tous ; ceux qui la refusent sont déclarés égarés, hypocrites, hérétiques, voire mécréants. Cependant, les autorités politiques et religieuses saoudiennes n’ont pas les moyens humains et financiers de réaliser leurs ambitions, d’autant que leur doctrine souffre d’une mauvaise réputation en raison des accusations d’extrémisme portées par ses détracteurs, non sans fondement. Les choses vont changer radicalement au lendemain de la première guerre mondiale.

Le roi Abdel Aziz (dit Ibn Séoud), fondateur du royaume saoudien moderne, profite du contexte de recomposition de la région au lendemain du conflit pour tirer son épingle du jeu. Il entreprend, entre autres, une opération de grande envergure pour redorer le blason du wahhabisme, qu’il rebaptise salafisme. Son objectif : convaincre que cette doctrine est conforme aux croyances et aux pratiques orthodoxes des salaf — les trois premières générations de musulmans. Sa plus belle réussite dans ce domaine est sans doute d’avoir séduit plusieurs intellectuels et oulémas influents. L’entreprise de réhabilitation, doublée du prestige d’être resté le seul pays arabe indépendant entre les deux guerres (3), permet à cette doctrine d’acquérir le statut de nouvelle orthodoxie.

Pétrodollars et prosélytisme

La grande expansion du wahhabisme commence durant les années 1960, à la faveur des luttes qui opposent l’Arabie saoudite à l’Egypte et de l’augmentation substantielle des revenus du royaume grâce à l’exportation du pétrole. Pour se prémunir contre les ambitions panarabes du président égyptien Gamal Abdel Nasser, le pouvoir saoudien se pose comme le champion de l’islam et des valeurs traditionnelles en inaugurant une politique de « solidarité islamique ». Ainsi plusieurs organisations politiques, économiques, sociales, éducatives et religieuses (la Ligue islamique mondiale, l’Université islamique de Médine, etc.) voient-elles le jour, grâce notamment au concours des Frères musulmans exilés d’Egypte par Nasser et bien accueillis à cette époque.

Après la guerre israélo-arabe de juin 1967, qui sonne le glas du panarabisme, l’Arabie saoudite augmente son influence. Elle utilise ces organisations pour exporter son islam, et dépense sans compter. Alors que la Ligue islamique mondiale étend ses activités à des dizaines de domaines (construction de mosquées, aide humanitaire, jeunesse, enseignement, fatwas, apprentissage du Coran, etc.), l’Université islamique de Médine forme des Saoudiens et des étrangers à porter la « bonne nouvelle » à travers le monde. Depuis sa création en 1961, cette université a produit environ quarante-cinq mille cadres religieux de cent soixante-sept nationalités. Il faut ajouter à cela des milliers d’étudiants étrangers qui passent par d’autres organismes d’enseignement saoudiens, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, et par des réseaux d’enseignement informels. D’autres organismes officiels, officieux et privés ont vu le jour depuis, pour répondre à la demande d’un marché du religieux en perpétuelle croissance. Parallèlement aux voies institutionnelles, Riyad finance, généralement en toute discrétion, des individus, des groupes et des organisations qui servent plus ou moins ses desseins. Il aurait ainsi dépensé plus de 4 milliards de dollars pour soutenir les moudjahidins en Afghanistan durant les années 1980.

En tant que moyen de visibilité et d’expansion de premier ordre, le monde médiatique et virtuel n’échappe bien sûr pas à la vigilance des autorités politico-religieuses du royaume. Il est investi dès les années 1990. Des dizaines de chaînes satellitaires et des centaines de sites Internet éclosent. Les réseaux sociaux sont également pris d’assaut. Toutes sortes de services y sont proposés, parfois en plusieurs langues. Cet engagement dans les nouvelles technologies, financé par l’Etat, ne doit toutefois pas faire oublier les moyens de diffusion traditionnels. Par exemple, des millions de brochures, de cassettes, de CD et de livres pieux ont été distribués à travers le monde à des prix modiques, si ce n’est gratuitement, depuis les années 1980.

Grâce aux pétrodollars, à la présence de Lieux saints de l’islam sur le territoire saoudien, à la simplicité de ses préceptes et au zèle de ses adeptes, le wahhabisme s’est imposé comme une orthodoxie par rapport à laquelle tous les autres acteurs se positionnent désormais. Son arme la plus efficace reste sans doute la capacité de ses dépositaires à s’allier avec n’importe quel régime, ou tout au moins à s’en accommoder, pourvu qu’il les autorise à islamiser la société par le bas. La restauration du califat ne compte pas parmi leurs préoccupations. Ce qui n’est pas le cas de leurs principaux concurrents : les Frères musulmans.

Dès sa fondation vers 1928 par Hassan Al-Banna, la confrérie des Frères musulmans a pour objectif de recréer l’unité politique et religieuse originelle de l’oumma. Pour réaliser cette utopie, son fondateur envisage une stratégie téléologique : il faut d’abord islamiser la société par le bas en dépassant toutes les écoles juridiques et théologiques avant de conquérir le pouvoir et de créer des Etats islamiques. Ces Etats, qui assurent la suprématie des valeurs religieuses traditionnelles, s’engagent dans un processus d’intégration à travers des programmes de coopération intenses. Cela aboutit tout naturellement à l’abolition des frontières et à la proclamation du califat.

Bien que traditionaliste, le discours des Frères est relativement modéré durant les premières années de leur existence. Beaucoup d’idées occidentales, du moins dans leurs procédés rhétoriques, sont adoptées pour permettre l’entrée dans le champ politique moderne en vue de le contrôler. Si la confrérie s’étend très rapidement en Egypte et ailleurs, elle échoue à conquérir le pouvoir. A la fin des années 1940, elle s’engage dans un processus de radicalisation qui s’intensifie la décennie suivante à cause de la répression féroce que mène le régime de Nasser contre ses membres.

C’est dans ce contexte de crise que sont nées les idées de Sayyed Qotb (1906-1966), l’un des idéologues de la confrérie. En 1950, cet ancien journaliste opère un revirement idéologique qui aura des conséquences immenses sur le champ politico-religieux arabo-musulman. Il considère en effet que le monde dans lequel il vit est tombé dans l’apostasie. Les vrais croyants, désormais minoritaires, doivent accomplir une « émigration » en se séparant spirituellement et physiquement des sociétés impies. Après avoir créé une plate-forme solide, ces élus doivent se lancer à la conquête du pouvoir pour instaurer l’Etat et la loi islamiques dans le cadre d’un djihad intégral. Cette culture d’enclave, qui n’est pas nouvelle dans l’histoire musulmane, devient très rapidement le socle du djihadisme contemporain. Son hybridation avec le wahhabisme, le mawdoudisme (4) et des idéologies européennes — notamment fascistes et communistes — la rendent encore plus redoutable entre les mains de groupes comme Al-Qaida, le Front Al-Nosra et l’Organisation de l’Etat islamique.

Si la majorité des Frères musulmans conteste les arguments de Qotb, ne bascule pas dans le djihadisme et lui préfère l’activisme, elle ne s’éloigne toutefois pas du traditionalisme ; elle doit en effet conserver sa part de marché. Même s’il y a des particularismes locaux, le dénominateur commun des mouvements se réclamant de près ou de loin de ce groupement est la volonté d’islamiser les sociétés. Cela sans pour autant abandonner le rêve d’une prise, partielle ou intégrale, du pouvoir, soit par l’entrisme, soit par le jeu démocratique.

De leur côté, et quelle que soit leur obédience politique, les régimes qui s’installent au pouvoir après les indépendances instrumentalisent la religion, notamment le traditionalisme. L’échec ou l’inexistence d’un projet de construction nationale leur permet d’utiliser cette valeur refuge par excellence. Dans un premier temps, ils estiment que le contrôle des acteurs et le monopole du discours religieux passent par la mainmise sur les institutions, comme Al-Azhar en Egypte, la Zitouna en Tunisie et la Qaraouiyine au Maroc. Cette politique a un effet pervers : les représentants de ces institutions, qui étaient en situation de quasi-monopole, se retrouvent non seulement discrédités durablement, mais également concurrencés par de nouveaux acteurs religieux, notamment les Frères musulmans et les wahhabites. Le champ spirituel se retrouve ainsi fragmenté. Pis, une surenchère traditionaliste s’engage.

Les Frères musulmans contre la gauche

Tout en restant sur leurs gardes, la plupart des régimes essaient d’utiliser ces entrepreneurs religieux à leur avantage dès le début des années 1970. Pour se débarrasser des mouvements d’opposition, plusieurs régimes, dont ceux d’Anouar El-Sadate en Egypte et de Hassan II au Maroc, utilisent ainsi les Frères musulmans. Sous l’œil bienveillant des autorités, ces derniers affaiblissent durablement les positions de la gauche, notamment dans les établissements d’enseignement, les universités, les syndicats, etc. Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Les régimes vont jusqu’à puiser dans le répertoire des Frères, à la fois pour les satisfaire et pour leur couper l’herbe sous le pied. Cela concerne non seulement le domaine de la loi (la constitutionnalisation de l’islam, voire de la charia, le statut personnel, des articles du code pénal, etc.), mais également l’éducation (les programmes scolaires) et les médias. Pour couronner le tout, les chefs d’Etat ne manquent plus aucune occasion de manifester publiquement leur piété (accomplissement des rituels, notamment le pèlerinage à La Mecque, organisation de cérémonies religieuses, construction d’édifices de culte, etc.).

Même si les régimes tolèrent et instrumentalisent les Frères musulmans, la méfiance reste de mise. Ils n’oublient pas que l’objectif ultime de ces derniers demeure la prise du pouvoir. Ils ne manquent ainsi aucune occasion d’essayer de les décrédibiliser, de les affaiblir et même de les anéantir. Cela a été par exemple le cas en Arabie saoudite après une contestation frériste au début des années 1990. D’autres régimes ont essayé, notamment après les attentats du 11 septembre 2001, de s’appuyer sur les confréries soufies pour arriver au même objectif. En vain.

C’est ainsi que, devant la montée des Frères musulmans après les soulèvements populaires de 2011, plusieurs régimes de la région découvrent les « bienfaits » du wahhabisme : l’antifrérisme, l’antimodernisme politique et l’appel à obéir absolument aux gouvernants. Ils n’ont pas manqué de les utiliser, ce qui laisse prévoir des collusions dans les prochaines années. Tout laisse donc penser que le traditionalisme religieux poursuivra son expansion, d’autant que les sociétés civiles sont balbutiantes et que le champ intellectuel, notamment moderniste, est en ruine.

Nabil Mouline

Chercheur au Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux (CEIFR) à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de l’ouvrage Les Clercs de l’islam. Autorité religieuse et pouvoir politique en Arabie saoudite (XVIIIe-XXIesiècle), Presses universitaires de France (PUF), Paris, 2011.
Source : Le Monde Diplomatique, Nabil Mouline, 03-2015

Source: http://www.les-crises.fr/aux-racines-du-djihadisme-surencheres-traditionalistes-en-terre-dislam-par-nabil-mouline/


Espagne : vers des élections générales indécises, par Romaric Godin

Monday 14 December 2015 at 02:15

Source : La Tribune, Romaric Godin, 04/12/2015

La campagne officielle a débuté pour le scrutin législatif du 20 décembre. Aucun parti ne devrait obtenir la majorité absolue et le nombre d’indécis est encore considérable. Mode d’emploi.

Ce vendredi 4 décembre marque le lancement officiel de la campagne pour les élections générales espagnoles du 20 décembre prochain. Cette élection sera divisée en deux : celle pour la chambre haute, le Sénat et celle pour le Congrès des Députés, la chambre basse, qui dispose du droit de renverser le gouvernement. Les deux chambres réunies s’appellent les Cortès.

Le Sénat

Le Sénat est généralement peu actif, mais il peut disposer de certains pouvoirs clés. Par exemple, son accord est nécessaire pour activer l’article 155 de la constitution qui autorise le gouvernement à faire rentrer dans le rang une communauté autonome (plus ou moins une région) « par tous les moyens », y compris la suspension de l’autonomie. Les sénateurs sont élus au scrutin de liste à la proportionnelle selon la méthode d’Hondt dans chaque province (plus ou moins équivalentes aux départements français), à raison de 4 par province continentale, moins par province insulaire (d’une à trois) et de deux chacune pour Melilla et Ceuta, les enclaves espagnoles au Maroc. Seuls 208 des 266 sénateurs sont élus, les autres étant nommés par les communautés autonomes.

Le mode d’élection des députés

Parallèlement, les électeurs éliront donc leurs 350 représentants au Congrès des Députés. Là aussi, la base de l’élection est la province. Chacune des 50 provinces dispose d’office de deux députés, sauf un pour Ceuta et un pour Melilla. Les 248 représentants restants sont répartis par province selon leur population. Ainsi, Ceuta et Melilla en restent à un député chacun, tandis que la province de Madrid aura 34 élus et celle de Barcelone, 31. Dans chacune des provinces, les députés sont élus au scrutin de liste à la proportionnelle selon la méthode d’Hondt du « plus fort reste. »

Ce mode de scrutin favorise largement les régions rurales et peu peuplées et conduit à de fortes disparités entre la répartition des votes et celles des sièges. Il revient souvent à accorder une prime majoritaire au parti arrivé en tête dans le plus de provinces possibles. Le mode de scrutin favorise donc les grands partis. Ainsi, le Parti populaire (PP) conservateur de Mariano Rajoy, l’actuel président du gouvernement espagnol, avait obtenu en 2011 44,63 % des voix, mais arraché 54 % des sièges au Congrès. Les partis les plus petits, eux, sont fortement désavantagés. L’alliance de gauche Izquierda Unida (IU) avait ainsi obtenu 6,92 % des voix, mais seulement 3,14 % des sièges.

Malgré tout, la présence de partis régionaux forts rend les majorités absolues assez rares, même pour les grands partis. Depuis 1979, seules quatre des dix élections ont permis d’attribuer des majorités absolues à un parti. Cette année, la lecture du scrutin sera rendue encore plus délicate en raison de la forte atomisation de l’électorat, tant au plan national que dans certaines régions clés comme la Catalogne. En tout cas, une chose ne doit jamais être perdue de vue : des sondages nationaux en voix ne sauraient traduire la composition future du Congrès.

Effondrement des grands partis traditionnels

Après une politique d’austérité très sévère et une crise économique dure, le paysage politique espagnol est en effet très différent de celui de 2011. Les deux partis traditionnels, le PP et le PSOE, qui dominaient la vie politique depuis le milieu des années 1980, sont désormais en fort recul. Selon la dernière enquête du 3 décembre du CIS, le centre d’enquête sociologique, qui produit les sondages les plus complets, PP et PSOE obtiendraient 49,4 % des voix à eux deux, contre 70 % en 2011 et 84 % en 2008. Une dégringolade qui a laissé la place à deux autres partis : le parti des Citoyens (« Ciudadanos ») qui se présente comme centriste, mais qui est un parti assez complexe dans son positionnement et Podemos, le parti issu du mouvement des Indignés, qui représente une option à la gauche du PSOE. Ensemble, ces deux nouveaux partis pourraient cumuler 34,7 % des voix. Cette élection de 2015 marque donc un changement majeur dans l’histoire électorale de l’Espagne. Cette situation rend assez difficile les pronostics, car 41 % des personnes interrogés par le CIS peuvent encore changer d’avis.

Le PP en tête, mais grand perdant

Le CIS estime que le PP restera en tête le 20 décembre, avec 28,6 % des intentions de vote. Mais les Conservateurs seraient les principaux perdants de l’élection puisqu’ils céderaient 16 points. En termes de sièges, le PP obtiendrait de 120 à 128 sièges, contre 184 en 2011. Le PP resterait la première formation politique du pays, mais son influence serait très diminuée. Jamais depuis 1977, un premier parti n’aurait aussi peu de députés. Mariano Rajoy devra donc trouver un ou plusieurs alliés puissants pour rester au Palais de la Moncloa, le siège de la présidence du gouvernement.

PSOE et Ciudadanos en lutte contre la deuxième place

En deuxième position, on assiste à une lutte serrée entre le PSOE, qui ne bénéficie pas de l’affaiblissement du PP mais qui, au contraire, s’affaiblit également, et Ciudadanos, qui a connu une forte poussée depuis la rentrée dans l’électorat. Selon le CIS, le PSOE obtiendrait 20,8 % des voix (soit huit points de moins qu’en 2011) et Ciudadanos 19 % des voix (en 2011, le parti n’avait pas participé aux élections générales). En sièges, le PSOE serait à 83-89 députés et Ciudadanos à 63-66 députés. Ce dernier parti, dirigé par le très populaire Albert Rivera, bénéficie de plusieurs éléments favorables. Son programme mélange des éléments de critiques de l’austérité tout en défendant des réformes très « libérales. » Il est ainsi favorable à un complément de revenus pour les bas salaires, mais aussi à la mise en place d’un contrat de travail unique. Ce programme lui permet de progresser tant à gauche qu’à droite. Par ailleurs, le cœur du programme de ce parti est un discours très « centraliste », notamment face à l’indépendantisme catalan. Il apparaît pour une partie de l’électorat comme une palissade contre cet indépendantisme qui a gagné les élections catalanes du 27 septembre.

Podemos en quête des indécis

Quatrième larron du nouveau jeu politique espagnol, Podemos a perdu beaucoup de sa superbe par rapport au début de l’année, où les sondages lui prédisaient la première place. Il reste cependant dans une position assez forte, notamment malgré les événements de Grèce où l’allié du parti, Syriza, a subi une défaite face aux créanciers. Le leader de Podemos, Pablo Iglesias demeure assez populaire et a réalisé, mardi 1er décembre, une prestation saluée dans le débat des leaders organisé par El Pais auquel n’a pas participé Mariano Rajoy. L’enjeu du parti de gauche radicale sera de parvenir à séduire les indécis pour progresser dans les deux dernières semaines. Le score de Podemos au soir du 20 décembre sera difficile à lire. Le parti ne se présente pas directement dans toutes les régions. Dans certaines régions, il a formé des alliances complexes. En pays valencien, il se présente avec les écologistes d’Equo et les régionalistes de Compromis. En Catalogne et en Galice, il s’est allié avec la Gauche Unie et les formations de gauche régionalistes. En associant toutes ces listes, on atteint 15 % des voix et de 45 à 56 députés. En revanche, la tentative d’une alliance nationale avec la gauche, regroupée dans l’alliance Unité Populaire (UP), donné nationalement à 3,6 % et à 3 ou 4 sièges, a échoué.

Les régionalistes plus à gauche

Enfin, dernier élément important : le rapport de force entre les forces nationalistes au Pays Basque et en Catalogne. Dans cette dernière région, l’élection du 20 décembre sera suivie de près après les élections du 27 septembre. Le rapport de force entre les deux partis indépendantistes, la gauche républicaine ERC et le centre-droit d’Albert Mas, pourra peser sur l’avenir du processus d’indépendance. Au Pays Basque et en Navarre, l’extrême-gauche indépendantiste de Bildu pourrait dépasser le parti régionaliste centriste du PNV, traditionnellement premier parti de la région. Selon le CIS, Bildu aurait 6 à 7 sièges contre 5 pour le PNV.

Une alliance Ciudadanos-PP ?

Au lendemain des élections, la question de la future coalition au pouvoir sera centrale. Le PP pourrait naturellement s’allier à Ciudadanos, qui est un parti idéologiquement proche. Les deux partis disposeraient, selon le CIS, de la majorité absolue avec 183 à 194 sièges. Mais une telle coalition sera des plus difficiles à construire. Albert Rivera a fondé la croissance de Ciudadanos sur la lutte contre la corruption. Or, le PP est miné par les affaires de corruption. Ciudadanos est aussi très sévère envers la politique économique du PP. Certains pensent qu’Albert Rivera pourrait faire dépendre un soutien de son parti au départ de Mariano Rajoy. Mais le leader du premier parti du pays peut-il renoncer à la Moncloa ? Peut-être une aggravation de la crise catalane pourrait conduire à cette coalition pour « faire face. »

Pas de majorité alternative

Les majorités alternatives, en tout cas, seront quasiment impossibles. La coalition Ciudadanos-PSOE, qui gouverne l’Andalousie, ne serait pas majoritaire. Pas davantage que l’alliance de toutes les gauches, incluant le PSOE, Podemos et UP. Une « grande coalition » PSOE-PP serait certes majoritaire, mais elle semble peu probable compte tenu des différends entre les deux partis et de l’affaiblissement du PSOE qui n’aurait pas grand-chose à gagner d’une telle alliance. Sinon, le PP pourrait tenter un gouvernement minoritaire qui constituerait des majorités ad hoc sur chaque sujet. En tout cas, une alliance du PP avec les régionalistes, comme celle de José Maria Aznar en 1996, est aujourd’hui impossible compte tenu du durcissement des positions et de l’affaiblissement des régionalistes « modérés. »

Incertitudes et fragilités

In fine, l’élection du 20 décembre ouvrira sans doute une période d’incertitude et de fragilité pour l’Espagne. Même en cas de constitution d’une alliance entre le PP et Ciudadanos, cette alliance restera incertaine. Son principal ciment sera la lutte contre l’indépendantisme catalan, mais une telle coalition risque précisément de resserrer les liens entre les formations indépendantistes catalanes. Ce qui sera une source de fragilité pour l’Espagne.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 04/12/2015

Source: http://www.les-crises.fr/espagne-vers-des-elections-generales-indecises-par-romaric-godin/


L’OTAN héberge l’État Islamique, par Nafeez Ahmed

Sunday 13 December 2015 at 05:55

Source : Insurge Intelligence, le 19/11/2015

Pourquoi la guerre nouvelle génération de la France contre l’État islamique est une mauvaise plaisanterie et une insulte aux victimes des attaques de Paris

Par Nafeez Ahmed

« Nous nous tenons aux côtés de la Turquie dans ses efforts pour la protection de sa sécurité nationale et dans son combat contre le terrorisme. La France et la Turquie sont du même côté dans le cadre de la coalition internationale engagée contre le groupe terroriste ÉI. »

Déclaration du ministre français des affaires étrangères, juillet 2015

Le massacre du 13 novembre à Paris restera, comme le 11 septembre, un moment décisif dans l’histoire mondiale.

L’assassinat de 129 personnes et les blessures de plus de 352 autres, par des sbires de « l’État Islamique » (ISIS) frappant simultanément différentes cibles au cœur de l’Europe, marquent un changement radical dans la menace terroriste.

Pour la première fois, une attaque rappelant celle de Bombay s’est produite en Occident – la pire attaque en Europe depuis des décennies. Une première qui a déclenché une réponse apparemment proportionnée de la France : la déclaration d’un état d’urgence national, du jamais vu depuis la guerre d’Algérie en 1961.

ISIS a ensuite menacé d’attaquer Washington et New York.

En attendant, le président Hollande a appelé les dirigeants de l’UE à suspendre les accords de Schengen sur l’ouverture des frontières, pour permettre d’importantes restrictions à la liberté de déplacement en Europe. Il exige aussi l’adoption par l’UE du système dit des “données des dossiers passagers” (PNR), qui permettra aux services de renseignements de pister les voyages des Européens, en plus d’une prolongation de l’état d’urgence pour au moins trois mois.

Pendant toute cette durée, la police française peut bloquer n’importe quel site web, assigner des gens à résidence sans procès, perquisitionner sans mandat, et empêcher des suspects d’en rencontrer d’autres s’ils sont considérés comme des menaces.

« Nous savons que d’autres attentats sont en préparation, pas seulement contre la France, mais aussi contre d’autres pays européens, » a déclaré le premier ministre français Manuel Valls. « Nous allons avoir à vivre longtemps avec cette menace terroriste. »

Hollande prévoit de renforcer les pouvoirs de la police et des services de sécurité grâce à une nouvelle législation antiterroriste et d’apporter des modifications à la Constitution qui mettraient l’état d’urgence permanent au cœur de la politique française. “Il nous faut un outil approprié que l’on puisse utiliser sans avoir à recourir à l’état d’urgence,” a-t-il expliqué.

En écho aux lois martiales à l’intérieur des frontières, Hollande a rapidement intensifié l’action militaire à l’étranger, en lançant 30 attaques aériennes sur une douzaine de cibles à Raqqa, capitale de facto de l’État islamique.

L’engagement provocant de la France, selon Hollande, est de “détruire” l’ÉI.

Le remous provoqué par les attaques en terme d’impact sur les sociétés occidentales sera probablement permanent. De la même manière que le 11 septembre a vu l’émergence d’une nouvelle ère de guerre perpétuelle contre le monde musulman, les attaques du 13 novembre à Paris sont déjà en train de provoquer une phase nouvelle et résolue dans cette guerre permanente : une nouvelle ère de Vigilance Permanente, dans laquelle les citoyens sont des complices indispensables de l’État policier, promulgué au nom de la défense d’une démocratie rongée par l’acte même qui est censé la défendre, la Vigilance Permanente.

La surveillance généralisée sur le plan intérieur et l’intervention militaire extérieure perpétuelle sont les deux faces d’une même sécurité nationale qu’il faut tout simplement développer le plus possible.

“La France est en guerre,” a affirmé Hollande devant les parlementaires français réunis au château de Versailles.

“Nous ne sommes pas engagés dans une guerre de civilisation, parce que ces assassins n’en représentent aucune. Nous sommes dans une guerre contre le terrorisme djihadiste qui menace le monde entier.”

Les amis de nos ennemis sont nos amis

Une absence flagrante cependant se remarquait dans la déclaration de guerre faite d’un ton décidé par Hollande. Aucune mention n’y était faite du plus gros tabou : le soutien des états.

Les passeports syriens découverts près des corps de deux auteurs supposés des attentats à Paris étaient, selon la police, des faux, vraisemblablement fabriqués en Turquie.

Plus tôt cette année, le quotidien turc Meydan a rapporté que, selon une source ouïgoure, plus de 100 000 faux passeports turcs ont été donnés à l’ÉI. Ce chiffre, selon le Bureau Militaire des Études Étrangères (FSMO) de l’armée américaine, est probablement exagéré, mais semble confirmé “par des Ouïghours arrêtés avec de faux passeports turcs en Thaïlande et en Malaisie.”

Une autre confirmation vint d’un rapport du correspondant de Sky News Arabia, Stuart Ramsey, qui révéla que le gouvernement turc certifiait les passeports de militants étrangers qui franchissaient la frontière turco-syrienne pour rejoindre l’ÉI. Ces passeports, obtenus grâce à des combattants kurdes, portait le tampon officiel de la police des frontières turque, ce qui indique que l’entrée de ces militants de l’ÉI en Syrie étaient parfaitement connue des autorités turques.

Le FSMO résume le dilemme auquel fait face le gouvernement Erdogan : “Si le pays prend des mesures contre les passeports illégaux et les militants qui traversent le pays, ceux-ci pourraient prendre la Turquie pour cible. Cependant, si la Turquie laisse perdurer l’état actuel des choses, ses relations diplomatiques avec d’autres pays et sa situation politique internationale vont tourner à l’aigre.”

Ce n’est que le début. Un responsable occidental de haut rang, bien au fait d’un vaste ensemble de renseignements obtenus cet été grâce à un important raid dans un refuge de l’ÉI, a déclaré au Guardian que “des relations directes entre officiels turcs et haut membres de l’ÉI sont maintenant ‘indéniables’.”

Ce même responsable a confirmé que la Turquie, membre de longue date de l’OTAN, soutient non seulement l’ÉI, mais aussi d’autres groupes djihadistes, y compris Ahrar al-Cham et Jabhat al-Nosra, des groupes affiliés à al-Qaïda en Syrie. “La différence qu’ils établissent [avec d'autres groupes d'opposition] est particulièrement ténue,” déclara aussi celui-ci. “Il ne fait aucun doute qu’ils coopèrent militairement avec chacun d’eux.”

Dans un rare aperçu de ce soutien étatique éhonté à l’ÉI, Newsweek a rapporté il y a un an le témoignage d’un ancien technicien en communications de l’ÉI, qui était parti en Syrie pour combattre le régime de Bachar el-Assad.

L’ancien combattant de l’ÉI a raconté à Newsweek que la Turquie autorisait les camions de l’ÉI provenant de Raqqa à “franchir la frontière, traverser la Turquie puis franchir à nouveau la frontière pour attaquer les Kurdes syriens dans la ville de Serekaniye, au nord de la Syrie, en février.” Les militants de l’ÉI pouvaient librement “traverser la Turquie en convoi,” et s’arrêter “dans des lieux sûrs tout au long du chemin.”

L’ancien technicien en communications de l’ÉI a aussi admis qu’il avait régulièrement “mis en relation des capitaines sur le terrain et des commandants de l’ÉI de Syrie avec des personnes en Turquie en d’innombrables occasions,” ajoutant que “les gens à qui ils parlaient étaient des officiels turcs… Les commandants de l’ÉI nous ont dit que nous n’avions rien à craindre parce que la coopération avec les Turcs était totale.”

En janvier, des documents officiels de l’armée turque authentifiés ont ‘fuité’ sur internet, ils montraient que les services de renseignement turcs avaient été surpris par des officiers à Adana alors qu’ils transportaient en camion des missiles, des mortiers et des munitions anti-aériennes “destinés à l’organisation terroriste al-Qaïda” en Syrie.

Selon les autres suspects de l’ÉI en procès en Turquie, les services secrets turcs (MIT) ont commencé la contrebande d’armes, y compris celles de l’OTAN, avec les groupes djihadistes en Syrie dès 2011.

Ces accusations ont été corroborées par un procureur et un témoignage en justice d’officiers de la police militaire turque qui ont confirmé que les services de renseignement turcs livraient des armes aux djihadistes syriens depuis 2013 et jusqu’à 2014.

Des documents ayant ‘fuité‘ en septembre 2014 ont montré que le prince saoudien Bandar ben Sultan a financé des expéditions d’armes destinées à l’ÉI en passant par la Turquie. Un avion clandestin venant d’Allemagne a livré des armes à l’aéroport d’Etimesgut en Turquie et la livraison a été répartie en trois conteneurs, dont deux ont été délivrés à l’ÉI.

Un rapport de l’Institut Turc des Statistiques (TurkStat) a confirmé que le gouvernement a fourni pendant cette période pour au moins un million de dollars d’armes aux rebelles syriens, ce qui contredit les dénégations officielles. On peut compter parmi ces armes des grenades, de l’artillerie lourde, des canons anti-aériens, des armes à feu, des munitions, des fusils de chasse, ainsi que d’autres armes. Mais l’institut a refusé de préciser à quels groupes ont bénéficié ces envois.

Des informations de même nature sont apparues séparément. Il y a tout juste deux mois, la police turque a perquisitionné dans un journal ayant révélé comment le directeur des douanes local avait approuvé des envois d’armes de la Turquie vers l’ÉI.

La Turquie a également joué un rôle clé en rendant possible un élément vital pour l’expansion de l’ÉI : la vente de pétrole sur le marché noir. Des hommes politiques de haut rang et des sources des renseignements en Turquie et en Irak confirment que les autorités turques ont largement facilité les ventes de pétrole de l’ÉI à travers le pays.

L’été dernier, un homme politique de l’opposition a estimé le montant des ventes de pétrole de l’ÉI en Turquie à près de 800 millions de dollars. C’était il y a plus d’un an.

Cela signifie que la Turquie a facilité à ce jour la vente au marché noir de pétrole par l’ÉI pour une valeur supérieure à un milliard de dollars.

Selon Martin Chulov, du Guardian, il n’existe aucune “économie autosuffisante” pour l’ÉI contrairement aux affirmations fantaisistes du Washington Post et du Financial Times dans leurs dernières pseudo-enquêtes :

” … les camions-citernes transportant le pétrole brut issu des raffineries de fortune arrivent toujours à la frontière turco-syrienne. Un membre de l’ÉI estime que l’organisation est encore loin d’avoir établi une économie autosuffisante dans la région de la Syrie et de l’Irak qu’elle contrôle. “Ils ont besoin des Turcs. Je suis au courant de beaucoup de collaborations, et ça m’effraie,” dit-il. “Je ne vois pas comment la Turquie peut attaquer l’organisation sérieusement. Ils partagent les mêmes intérêts.”"

Des hauts dirigeants de l’AKP ont reconnu l’ampleur du soutien du gouvernement à l’ÉI.

Le quotidien libéral turc Taraf a cité un fondateur de l’AKP, Denigr Mir Mehmed Firat, qui a admis : “Dans le but d’affaiblir les développements à Rojava (province kurde en Syrie), le gouvernement a fait des concessions à des groupes extrémistes religieux et les a armés… Le gouvernement soignait les blessés. Le ministre de la santé aurait dit : “c’est une obligation humaine de soigner les blessés de l’ÉI.”

L’article rapporte aussi que les militants de l’ÉI reçoivent habituellement des soins médicaux dans les hôpitaux du sud-est turc – y compris le bras droit d’al-Baghdadi.

Dans le Hurriyet Daily News, le journaliste Ahu Ozyurt a décrit le choc qu’il a reçu en apprenant les “sentiments pro-ÉI des poids lourds de l’AKP” à Ankara et au-delà, y compris “l’admiration pour l’ÉI de quelques hauts fonctionnaires civils, même à Şanliurfa. Ils sont comme nous, combattant contre sept grandes puissances dans la Guerre d’Indépendance,” dit l’un. Plutôt que le PKK en face, je préférerait avoir l’ÉI comme voisin, ” dit un autre.”

Pendant ce temps, les dirigeants de l’OTAN feignent l’indignation et les savants pontes libéraux continuent de se gratter la tête, perplexes devant l’extraordinaire résistance et l’inexorable expansion de l’ÉI.

Sans surprise, les bombardements turcs anti-ÉI ont largement été des gestes symboliques. Sous couvert de combattre l’ÉI, la Turquie en a largement profité pour bombarder les forces kurdes du Parti de l’Union Démocratique (YPG) en Syrie et le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie et en Irak. Pourtant, ces forces sont largement reconnues comme les plus efficaces dans le combat sur le terrain de l’ÉI.

En attendant, la Turquie a bien du mal à contrecarrer quasiment chaque effort américain pour s’opposer à l’ÉI. Cet été, lorsque le Front al-Nosra – branche d’al-Qaïda en Syrie – a pu kidnapper 54 combattants à peine sortis du programme à 500 millions de dollars d’entraînement et d’équipement des rebelles syriens “modérés” mis en place par le Pentagone, ce fut à cause d’un ‘tuyau’ des services de renseignement turcs.

Le double jeu de la Turquie a été confirmé à Mac Clatchy par de nombreuses sources rebelles, mais nié par un porte-parole du Pentagone, qui déclara, en se voulant rassurant :

“La Turquie est un pays allié de l’OTAN, un ami proche des États-Unis et un membre important de la coalition internationale.”

Et tant pis si la Turquie a facilité la vente de près d’un milliard de dollars de pétrole de l’ÉI.

Selon un officier de la division 30 entraînée par les États-Unis qui a eu accès à des informations sur l’incident, la Turquie tentait “d’amplifier l’incident pour exagérer le rôle des islamistes de Nosra et Ahrar dans le nord” et ainsi convaincre les États-Unis “d’accélérer l’entraînement des rebelles.”

Comme l’a souligné le professeur de la London School of Economics David Graeber :

“Si la Turquie avait placé le même genre de blocus absolu sur les territoires contrôlés par l’ÉI que celui qu’elle avait imposé sur les zones kurdes de Syrie… ce “califat” taché de sang se serait effondré depuis longtemps – et on peut penser que les attaques de Paris ne se seraient jamais produites. Et si la Turquie le faisait aujourd’hui, l’ÉI s’effondrerait probablement en quelques mois. Pourtant, y a-t-il eu un seul dirigeant occidental pour demander à Erdoğan de le faire ?”

Ce paradoxe a bien été mis en avant par certains responsables, mais en vain. L’année dernière, la vice-présidente de l’assemblée parlementaire allemande, Claudia Roth, s’est montrée scandalisée que l’OTAN autorise la Turquie à héberger un campement de l’ÉI à Istanbul, qu’elle facilite l’acheminement d’armes aux militants islamistes à travers ses frontières et qu’elle soutienne tacitement les ventes de pétrole par l’ÉI.

Il ne s’est rien passé.

Au lieu de cela, la Turquie a été grandement récompensée pour son alliance avec le même état terroriste qui commit le massacre de Paris le 13 novembre 2015. Tout juste un mois plus tôt, la chancelière allemande Angela Merkel proposait d’accélérer le processus d’entrée de la Turquie dans l’UE, ce qui permettrait aux Turcs de voyager en Europe sans passeport.

Ce serait sans aucun doute une bonne nouvelle pour la sécurité des frontières de l’Europe.

Parrainage d’État

Il ne s’agit pas seulement de la Turquie. Des sources provenant de dirigeants politiques et du renseignement du Gouvernement Régional Kurde (KRG) ont confirmé la complicité de fonctionnaires de haut niveau du KRG en tant que facilitateurs concernant les ventes de pétrole de l’ÉI, pour en tirer un bénéfice personnel ainsi que pour faire face à la baisse des revenus du gouvernement.

Malgré une enquête parlementaire officielle qui corrobore ces accusations, il n’y a eu aucune arrestation, aucune inculpation et aucune poursuite.

Les intermédiaires du KRG et les autres fonctionnaires du gouvernement qui facilitent ces ventes continuent leurs activités sans entrave.

Lors de son témoignage devant la commission des forces armées du sénat en septembre 2014, le général Martin Dempsey, alors chef d’état-major général des armées des États-Unis, a été interrogé par le sénateur Lindsay Graham quant à sa connaissance d’un “quelconque allié arabe important qui soit favorable à l’ÉI” ?

Le général Dempsey a répondu :

“Je connais des alliés arabes importants qui les financent.”

En d’autres termes, le plus haut responsable militaire américain du moment a confirmé que l’ÉI était financé par ces mêmes “alliés arabes importants” qui venaient de se joindre à la coalition anti-ÉI menée par les États-Unis d’Amérique.

Ces alliés incluent l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis et le Koweït en particulier – qui, ces quatre dernières années au moins, ont fait circuler des milliards de dollars largement à destination des extrémistes rebelles en Syrie. Il n’y a donc rien d’étonnant que leurs frappes aériennes anti-ÉI, déjà minuscules, se soient maintenant réduites presque à néant, se concentrant plutôt sur le bombardement des chiites houtis au Yémen, ce qui, incidemment, ouvre la voie à la montée de l’ÉI là-bas.

Des liens poreux entre les rebelles de l’Armée Syrienne Libre (FSA) et des groupements militants islamistes comme al-Nosra, al-Cham et l’ÉI ont permis de prolifiques transferts d’armes des rebelles “modérés” aux militants islamistes.

Les transferts constants des fournitures d’armes de la CIA, des pays du Golfe et de la Turquie vers l’ÉI ont été établis par l’analyse des numéros de série des armes par le Conflict Armament Research (CAR) (Étude de l’Armement des Conflits), organisme basé au Royaume-Uni dont la base de données concernant les ventes d’armes illicites est financée par l’UE et le Département Fédéral des Affaires Étrangères suisse.

“Les forces de l’État Islamique se sont emparées d’importantes quantités d’armes légères produites aux États-Unis et les ont employées sur le champ de bataille,” a conclu un rapport du CAR en septembre 2014. “Des missiles antichars M79 90mm saisis par les forces de l’ÉI en Syrie sont identiques aux M79 transférés par l’Arabie saoudite aux forces opérant sous l’égide de “l’Armée Syrienne Libre” en 2013.”

Le journaliste allemand Jurgen Todenhofer, qui a passé 10 jours dans l’État Islamique, a rapporté l’année dernière que l’ÉI était “indirectement” armé par l’Occident :

“Ils achètent les armes que nous donnons à l’Armée Syrienne Libre, ainsi ils obtiennent des armes occidentales – des armes françaises… j’ai vu des armes allemandes, des armes américaines.”

L’ÉI, en d’autres termes, est parrainé par des États. Il est effectivement parrainé par des régimes prétendument pro-occidentaux dans le monde musulman, qui font partie intégrante de la coalition contre l’ÉI.

Ce qui amène à se demander pourquoi Hollande et d’autres dirigeants occidentaux qui expriment leur détermination à “détruire” l’ÉI par tous les moyens nécessaires, préféreraient éviter le facteur le plus significatif d’entre tous : l’infrastructure matérielle permettant l’avènement de l’ÉI sur fond de soutien permanent du Golfe et de la Turquie aux militants islamistes de la région.

Il y a de nombreuses explications, mais peut-être que l’une d’entre elles se démarque : l’abjecte dépendance occidentale aux régimes musulmans terroristes, principalement en vue de maintenir leur accès aux ressources de pétrole et de gaz du Moyen-Orient, de la Méditerranée et de l’Asie Centrale.

Gazoducs

Une grande partie de la stratégie qui a cours actuellement a été décrite sans équivoque dans un rapport RAND financé par l’armée américaine en 2008, Exposition de l’Avenir de la Longue Guerre (pdf). Le rapport note que “les économies des pays industrialisés continueront à dépendre fortement du pétrole, ce qui en fait une ressource d’importance stratégique.” Comme la plus grande part du pétrole sera produite au Moyen-Orient, les États-Unis ont un “motif pour maintenir la stabilité et les bonnes relations avec les états du Moyen-Orient” Il se trouve que ces états soutiennent le terrorisme islamiste :

“La zone géographique de réserves prouvées de pétrole coïncide avec la base du pouvoir d’une grande partie du réseau salafiste djihadiste. Cela crée un lien entre l’approvisionnement en pétrole et la longue guerre qu’on ne peut pas rompre facilement ni décrire en termes simplistes … Dans un avenir prévisible, la croissance de la production mondiale de pétrole et la production totale seront dominées par les ressources du Golfe Persique … La région restera donc une priorité stratégique, et cette priorité va interagir fortement avec celle de poursuivre la longue guerre.”

Des documents gouvernementaux déclassifiés précisent, sans l’ombre d’un doute, que la motivation principale de la guerre en Irak en 2003, dont la préparation avait commencé juste après le 11 septembre, a été l’installation d’une présence militaire américaine permanente dans le Golfe Persique pour garantir l’accès au pétrole et au gaz de la région.

L’obsession de l’or noir n’a pas pris fin avec l’Irak, cependant – et celle-ci n’est pas une exclusivité de l’Occident.

« La plupart des belligérants étrangers dans la guerre en Syrie sont des pays exportateurs de gaz ayant des intérêts dans l’un des deux projets de gazoducs concurrents qui cherchent à traverser le territoire syrien pour délivrer soit le gaz qatari soit le gaz iranien en Europe, » a écrit le professeur Mitchell Orenstein du Centre Davis des études sur la Russie et l’Eurasie de l’Université de Harvard, dans Foreign Affairs, la revue du Conseil de Washington DC sur les affaires étrangères (Council on Foreign Relations).

En 2009, le Qatar avait proposé de construire un gazoduc pour acheminer son gaz au nord-ouest, via l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Syrie jusqu’à la Turquie. Mais Assad “a refusé de signer,” rapporte Orenstein. “La Russie, qui ne veut pas voir ses positions sur le marché européen du gaz sapées, l’a soumis à une intense pression pour qu’il refuse.”

Le russe Gazprom vend 80% de son gaz à l’Europe. Donc, en 2010, la Russie a mis tout son poids derrière “un pipeline concurrent Iran-Irak-Syrie qui pomperait du gaz iranien provenant du même champ via des ports syriens tels que Lattaquié puis sous la Méditerranée.” Le projet permettrait à Moscou “de contrôler les importations de gaz d’Europe depuis l’Iran, la région de la mer Caspienne, et l’Asie centrale.”

Alors, en juillet 2011, un accord pour le gazoduc Iran-Irak-Syrie d’une valeur de 10 milliards de dollars était annoncé, ainsi qu’un accord préliminaire dûment signé par Assad.

Plus tard dans l’année, les États-Unis, l’Angleterre, la France et Israël intensifiaient leur aide secrète aux factions rebelles en Syrie pour obtenir “l’effondrement” du régime d’Assad “de l’intérieur”.

“Les États-Unis… soutiennent le gazoduc qatari comme moyen de contrebalancer l’Iran et de diversifier l’approvisionnement en gaz de l’Europe loin de la Russie,” explique Orenstein dans Foreign Affairs.

Un article du Journal des Forces Armées publié l’année dernière par le commandant Rob Taylor, instructeur à l’US Army Command and General Staff College de Fort Leavenworth, offrait une critique acerbe des comptes rendus des médias conventionnels ne prenant pas en compte la question du gazoduc.

“Toute analyse du conflit actuel en Syrie qui négligerait l’économie géopolitique de la région est incomplète… D’un point de vue géopolitique et économique, le conflit en Syrie n’est pas une guerre civile, mais le résultat d’un placement sur l’échiquier géopolitique de plusieurs acteurs internationaux en prévision de l’ouverture du gazoduc… La décision d’Assad à propos du gazoduc, qui pourrait sceller l’avantage des trois états chiites sur le gaz naturel, démontre également les liens de la Russie avec le pétrole syrien et avec la région par l’intermédiaire d’Assad. L’Arabie saoudite et le Qatar, tout comme al-Qaïda et d’autres groupes, manœuvrent pour renverser Assad et capitaliser sur l’espérée conquête sunnite de Damas. En agissant ainsi, ils espèrent obtenir une part de contrôle sur le “nouveau” gouvernement syrien, et une part des richesses apportées par le gazoduc.”

Les gazoducs n’accéderaient pas seulement au gisement de gaz irano-qatari, mais aussi à de nouvelles ressources de gaz côtières potentielles dans l’est de la Méditerranée – englobant les territoires côtiers d’Israël, de Palestine, de Chypre, de Turquie, d’Égypte, de Syrie et du Liban. On estime que la zone renferme 1,7 milliards de barils de pétrole et jusqu’à 3400 milliards de mètres cube de gaz naturel, ce qui pourrait ne représenter que le tiers des quantités totales d’énergies fossiles non-découvertes au Proche-Orient selon les géologues.

Un rapport de l’US Army War College’s Strategic Studies Institute datant de décembre 2014, rédigé par un ancien directeur du ministère de la défense anglaise, remarque que la Syrie détient un potentiel significatif de pétrole et de gaz côtier :

“Une fois le conflit syrien résolu, les perspectives de production côtière – à condition que les ressources commerciales soient trouvées –  seront importantes.”

La brutalité et l’illégitimité d’Assad est indiscutable  - mais jusqu’à ce qu’il ait démontré qu’il n’était pas disposé à rompre avec la Russie et l’Iran, en particulier pour ce qui est du projet proposé de gazoduc, la politique américaine envers Assad a été ambivalente.

Les câbles du département d’état obtenus par Wikileaks révèlent que la politique américaine a oscillé entre financer les groupes d’opposition syriens pour faciliter le “changement de régime,” et utiliser la menace du changement de régime pour inciter un “changement du comportement.”

La préférence du président Obama pour la deuxième solution eut pour résultat des représentants américains, John Kerry inclus, courtisant sans honte Assad dans l’espoir de l’éloigner de l’Iran, d’ouvrir l’économie syrienne aux investisseurs américains et d’aligner le régime sur la vision israélo-américaine de la région.

Ainsi, lors des manifestations du printemps arabe de 2011 qui ont donné lieu à des brutalités de la part des forces de sécurité d’Assad envers des manifestants civils pacifiques, à la fois Kerry puis la secrétaire d’état américaine Hillary Clinton ont insisté sur le fait qu’il était un « réformateur » – ce qu’il a donc interprété comme un feu vert pour répondre par de nouveaux massacres au cours des manifestations suivantes.

La décision d’Assad de se ranger du côté de la Russie et de l’Iran, ainsi que son approbation à leur projet de gazoduc favori, a été l’un des facteurs clés dans la décision des États-Unis à agir contre lui.

Quand l’Europe danse avec le diable

La Turquie, en tant que plaque tournante gazière permettant d’exporter sur les marchés européens tout en évitant la Russie et l’Iran, joue un rôle clé dans le projet soutenu par les États-Unis, le Qatar et l’Arabie saoudite.

Il ne s’agit que d’un des nombreux pipelines qui pourraient passer par la Turquie.

Le directeur de l’initiative sur l’avenir des énergies eurasiatiques auprès du Conseil Atlantique, David Koranyi, qui fut également conseiller en sécurité intérieure auprès du premier ministre hongrois, a averti : “La Turquie est déterminante pour la diversification de l’approvisionnement en gaz de l’intégralité de l’Union Européenne. Ce serait une erreur catastrophique que de poursuivre l’enrayement de notre coopération énergétique.”

Koranyi a indiqué que la récente “découverte de vastes quantités de gaz dans l’est de la Méditerranée,” ainsi que de “réserves de gaz dans le nord de l’Irak” pourraient être utilisées pour alimenter le marché turc et être acheminées au-delà vers l’Europe.

Étant donné la dépendance de l’Europe envers la Russie pour environ un quart de son approvisionnement en gaz, la priorité stratégique urgente est de minimiser cette dépendance et de réduire la vulnérabilité de l’UE face au risque de réduction de cet approvisionnement. Cette priorité se calque parfaitement avec les efforts entrepris de longue date par les États-Unis pour arracher l’Europe Centrale et l’Europe de l’Est de la zone d’influence de la puissance russe.

La Turquie occupe la position de pivot sur la nouvelle carte de l’énergie envisagée par les États-Unis et l’UE.

“L’Union Européenne y gagnerait une source d’approvisionnement fiable pour diversifier un peu plus ses importations en provenance de Russie. La Turquie, en tant que plaque tournante, en bénéficierait au travers de taxes de transit et d’autres recettes liées à l’énergie. Si l’on considère que dans l’ensemble de la région, des ressources en gaz supplémentaires pourront être rendues disponibles à l’export dans les cinq à dix prochaines années, il est clair que la Turquie représente la route naturelle par laquelle celles-ci pourraient être acheminées vers l’Europe.”

L’an dernier, un rapport du Global Sustainability Institute (GSI) de l’université Anglia Ruskin a déjà averti que l’Europe faisait face à une crise énergétique imminente au cause d’”une pénurie critique des ressources naturelles,” tout particulièrement au Royaume-Uni, en France et en Italie.

“Les ressources en charbon, pétrole et gaz en Europe s’épuisent et nous avons besoin d’alternatives,” dit Victoria Andersen, professeur du GSI.

Elle a également recommandé une réorientation rapide vers les énergies renouvelables, mais la plupart des dirigeants européens ont apparemment d’autres idées en tête  -  à savoir, s’appuyer sur un réseau de pipelines qui puisse transporter pétrole et gaz depuis le Moyen-Orient, la Méditerranée occidentale et l’Asie centrale vers l’Europe : par l’intermédiaire de notre très chère amie, la Turquie d’Erdogan.

Qu’importe que, sous Erdogan, la Turquie soit le principal soutien du barbare “État islamique”.

Nous ne devons surtout pas poser de questions antipatriotiques à propos de la politique étrangère occidentale, ou sur l’OTAN à ce sujet.

Nous ne devons pas nous étonner du spectacle inutile des attaques aériennes et des pouvoirs policiers dignes de la Stasi, ni de notre honteuse liaison avec le régime de terreur d’Erdogan qui finance et arme notre propre ennemi.

Nous ne devons pas poser de question sur les motivations de nos dirigeants qui, bien qu’ils dissimulent cette information depuis des années, continuent, aujourd’hui, de nous mentir ouvertement, alors que le sang de 129 français n’a pas encore séché, prétendant vouloir “détruire” une bande d’ordures, d’assassins, de psychopathes, armés et financés par l’OTAN.

Non, non, et non. La vie continue. Le cours normal des affaires doit continuer. Les citoyens doivent maintenir leur confiance en la sagesse de la sécurité de l’état.

Les États-Unis doivent continuer d’appuyer les renseignements turcs qui contrôlent et entraînent les rebelles “modérés” en Syrie, et l’Union Européenne doit continuer d’étendre sa coopération avec le régime d’Erdogan tout en accélérant le processus d’accès à l’union du parrain de l’ÉI.

Mais n’ayez pas peur, Hollande a toujours l’intention de “détruire” l’État Islamique. Tout comme Obama et Cameron  – et Erdogan.

Certaines lignes rouges ne peuvent simplement pas être franchies.

Source : Insurge Intelligence, le 19/11/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

 

 

Source: http://www.les-crises.fr/lotan-heberge-letat-islamique-par-nafeez-ahmed/


Otan: le Monténégro invité à être le 29e pays

Sunday 13 December 2015 at 05:18

On croit rêver… Les pays de la poudrière des Balkans maintenant… Un hommage à 1915 ?

Source : Le Figaro, 02/12/2015

Les ministres des Affaires étrangères de l’Otan ont invité aujourd’hui le Monténégro à devenir son 29e Etat membre, poursuivant l’élargissement de l’Alliance de l’Atlantique nord dans les Balkans au grand dam de Moscou.

Cette “décision historique d’entamer des pourparlers d’adhésion avec le Monténégro” a été prise à l’unanimité par les 28 chefs de la diplomatie de l’Otan lors d’une réunion à Bruxelles, a constaté le secrétaire général de l’Alliance Jens Stoltenberg. La Russie a dénoncé à maintes reprises ce que son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a décrit comme “une provocation”. ”Ce genre d’initiative est porteuse d’un fort potentiel de confrontation. Elle ne permet pas la poursuite de la paix et de la stabilité dans les Balkans et en Europe en général. Elle est de nature à compliquer davantage les relations déjà compliquées entre la Russie et l’Otan”, avait jugé la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, la semaine dernière.

Elle avait mis en garde le Monténégro sur “les possibles conséquences qu’impliquerait une entrée de Podgorica dans l’Alliance”. Invité à se joindre à la réunion de l’Otan mercredi matin, le ministre des Affaires étrangères de cette petite République de 600.000 habitants, Igor Luksic, s’est félicité de la décision. “C’est un grand jour pour mon pays, qui le mérite bien”, a-t-il déclaré.

Source : Le Figaro, 02/12/2015

Source: http://www.les-crises.fr/otan-le-montenegro-invite-a-etre-le-29e-pays/


Pierre Conesa : “On ne lutte pas contre le terrorisme avec des moyens militaires”

Sunday 13 December 2015 at 03:16

Source :  Toute l’Europe, 12/03/2015


Pierre Conesa : “On ne lutte pas contre le… par www-touteleurope-eu

1° Comment définir la radicalisation ?

Le sociologue définit la radicalisation comme la posture de légitimation ou de passage à l’acte dans le domaine de la violence.

Donc si on prend cette définition, ça veut dire que la radicalisation touche beaucoup de domaines aujourd’hui, qui sont le domaine politique avec une radicalisation d’extrême gauche ou d’extrême droite, avec les identitaires, avec les black blocs, ça touche les domaines religieux puisque l’Islam n’est pas la seule grande religion touchée par les phénomènes de radicalisation, ça touche aussi des domaines tout à fait inattendus comme la défense des animaux etc.

La radicalisation est un phénomène générique, qui d’ailleurs pose des problèmes à toutes les sociétés démocratiques, mais évidemment la radicalisation qui nous préoccupe le plus pour le moment à cause des attentats terroristes est évidemment la radicalisation djihadiste.

2° La France pourrait-elle prendre exemple sur les programmes de déradicalisation mis en place ailleurs ?

Toutes les analyses de radicalisation ne tiennent pas compte de la dimension de politique extérieure, parce que je considère que ce qui caractérise la radicalisation musulmane ou disons la radication sectaire salafiste djihadiste, si on la compare à d’autres sectes, c’est que c’est une mobilisation qui se fait sur des thèmes internationaux : les musulmans sont victimes, le complot judéo-américano-français etc., donc toute la théorie du complot, et la dimension de la politique extérieure est très importante dans la mobilisation.

Quand vous trouvez sur des sites djihadistes « 2000 morts à Gaza on fait rien, 4 occidentaux égorgés on envoie l’armée », vous ne pouvez pas avoir de contre argument face à ce type de posture diplomatique.

Donc, tant qu’on ne prend pas en compte cette dimension de politique extérieure, une des causes de cette mobilisation et radicalisation ne sera pas arrêtée.

3° Qu’attendez-vous de la stratégie européenne de lutte contre le terrorisme ?

J’ai bien peur que les européens oublient cette dimension, c’est-à-dire on ne lutte pas contre le terrorisme avec des moyens militaires.

Ce n’est pas vrai, c’est un mensonge qui a été énoncé par George Bush après le choc de 2001, mais vous avez vu le résultat de la guerre en Irak, ça a été une catastrophe absolue.

Moi je pose une question de fond, c’est-à-dire pourquoi aller se battre contre l’état islamique parce qu’il égorge les gens, il coupe les mains des voleurs, il opprime les femmes, il interdit les autres religions pour défendre l’Arabie Saoudite qui coupe les mains des voleurs et décapite, opprime les femmes et interdit les autres religions.

Il y a une espèce de schizophrénie si vous voulez, dans laquelle je ne comprends pas quelle est la légitimité ou la conditionnalité politique de notre intervention.

Et tant qu’on n’a pas une conditionnalité politique forte en disant « on intervient si vous changez de votre coté, si vous faites l’effort de faire disparaitre tous vos radicaux, tous vos imams qui nous diffusent à nous des discours de la radicalité », je ne vois pas quelle va être le résultat politique d’une action militaire.

Pierre CONESA.

Source :  Toute l’Europe, 12/03/2015

Source: http://www.les-crises.fr/pierre-conesa-on-ne-lutte-pas-contre-le-terrorisme-avec-des-moyens-militaires/


Revue de presse internationale du 13/12/2015

Sunday 13 December 2015 at 02:20

En sus de la VO, plusieurs articles traduits pour varier les plaisirs… Si vous avez des compétences pour sélectionner des articles en langues étrangères, rejoignez nous pour aidez à la constitution des revues de presse internationales en remplissant le formulaire de contact du blog. Bonne lecture !

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-13122015/