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[Recommandé] Médias et Information : il est temps de tourner la page, par Viktor Dedaj

Monday 7 December 2015 at 00:01

Article EXCEPTIONNEL de 2012 de Viktor Dedaj, sur les médias, hautement recommandé.

En fait, je le remercie, il m’a évité de l’écrire :)  C’est assez impressionnant, car j’avais justement plusieurs des images qu’il emploie en tête, comme quoi…

Comme vous le savez, je partage pleinement son “Le combat des médias n’est pas un combat annexe : il est devenu le combat.” C’est pour moi le principal sujet à traiter, car sans lui, il est parfaitement inutile d’espérer agir sur d’autres sujets – politiques économiques, sociales, européenne, étrangère, OTAN, euro… -, tout ceci ne peut pas se traiter sans une information libre et pluraliste. Tout simplement car il ne peut pas y avoir de Démocratie sans information (et éducation) de qualité.

D’où l’importance de ce billet majeur.

“Souvent, les gens ne veulent pas voir, entendre, ou parler de la vérité parce qu’ils ne veulent pas que leurs illusions soient détruites.” [Friedrich Nietzsche]

“Apprends à penser par toi-même, sinon d’autres le feront à ta place.” [Jean-Pierre Petit]

Source : Le Grand Soir, Viktor Dedaj, 04/07/2012

Viktor DEDAJ

«  La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » David Bohm, 1977

Préambule

Si un boucher nous empoisonnait en nous vendant de la viande avariée, les consommateurs que nous sommes n’accepteraient jamais l’idée que «  les choses sont comme ça » et qu’il ne nous resterait plus qu’à trouver un autre fournisseur. Mais lorsqu’une journaliste du New York Times ment sciemment sur les armes de destruction massive en Irak – et participe à l’extermination d’un million et demi d’Irakiens innocents – elle se voit simplement «  remerciée » et l’affaire est classée dans le casier «  déontologie ». Ici, l’impunité est quasi-totale et même revendiquée par la profession journalistique au nom d’une «  liberté » qu’elle se garde bien de définir avec précision.

Pourtant, l’idée que «  l’information est devenue un produit de consommation comme un autre » n’est pas nouvelle. Mais ce serait alors le seul produit de consommation pour lequel il n’existe aucune date de péremption, aucun suivi ni traçabilité imposés par des textes, aucune association de consommateurs représentative ni aucune réglementation sur la qualité ou sur les normes.

Comment ont-ils réussi à nous faire admettre pour notre esprit ce que nous n’accepterions jamais pour notre corps ?

État des lieux : vite fait = mal fait

Un jour, j’ai reçu un coup de fil d’une journaliste de France-Info, une certaine Sophie Parmentier, «  grand reporter » est-il précisé sur le site de la radio, qui voulait m’interviewer sur un sujet précis concernant Cuba. Je me suis rapidement aperçu qu’elle ne connaissait pas le sujet et qu’elle cherchait à obtenir des réponses «  attendues ». Lorsque je lui ai demandé depuis quand elle était sur le sujet et proposé quelques sources à consulter et de me rappeler plus tard, elle m’a répondu qu’elle avait commencé à étudier son sujet à 9h00 et qu’elle devait le rendre à 16h00. En clair : elle n’avait pas le temps.

Faisons une expérience. Prenez au hasard un parterre d’inconnus. Examinez-les à tour de rôle et essayez d’énoncer une vérité sur chacun d’entre eux. A part de décrire quelques éléments physiques apparents, vous n’irez pas loin. Pour faire mieux, il faudrait poser des questions, éventuellement recouper des informations, etc. Bref, il vous faudra un élément essentiel à la recherche de la vérité : le temps. A présent, recommencez et, cette fois-ci, énoncez un mensonge. Facile : untel a marché sur la lune, un autre a traversé le Pacifique à la nage.

Cette simple, évidente et incontournable contrainte du temps, contrainte physique, mécanique, induit le truisme suivant : «  La vérité exige du temps alors que le mensonge s’accommode parfaitement avec la vitesse. »

Demandez à un garagiste de faire la révision de votre voiture en une heure. Maintenant demandez-lui de la faire en 5 minutes. Demandez à un médecin de vous ausculter en une demi-heure. Maintenant demandez-lui de le faire en 2 minutes. Par quelle magie les journalistes échapperaient-ils à la dégradation générale et inéluctable du résultat de leur travail induite par la réduction du facteur «  temps » ?

Obnubilés par la technologie qui permet la circulation quasi-instantanée de « données », on en oublie d’analyser le délai, pourtant essentiel, entre un fait et la transmission quasi-instantanée de données présentées comme des informations. Et plus ce délai est court, plus l’écart entre l’information et la réalité risque d’être – et même sera – grand. C’est mécanique, c’est physique, c’est incontournable. L’absence du facteur temps dans un métier où la vitesse est de plus en plus un «  critère » conduit inéluctablement à une dégradation continue de la qualité de l’information. Ceci est vrai même dans le cas de ce que nous appellerons un bon journaliste.

Ce qui nous permet de compléter le truisme : «  La vérité exige du temps alors que le mensonge s’accommode parfaitement avec la vitesse. Il s’ensuit que plus l’information va vite et plus elle est fausse. » Le contraire n’étant pas forcément vrai.

Ce phénomène de dégradation s’amplifie avec la complexité du sujet. En effet, annoncer qu’un train a eu une panne à tel endroit à telle heure peut se faire avec une certaine fiabilité. Après tout, la quantité d’information à traiter est limitée. Pour annoncer les résultats d’un matche de foot, c’est encore plus simple. Ici, la vitesse de traitement n’a qu’un effet mineur sur la vérité. A l’inverse, dans le cas d’un événement complexe (comme la Syrie par exemple), la vitesse de traitement produit inévitablement une dégradation de la qualité de l’information. Puisqu’il faut aller vite, et parce que l’événement est complexe, le résultat est prévisible : ce n’est pas la vitesse de traitement qui sera ralentie, mais l’événement qui sera simplifié pour pouvoir être traité dans les délais impartis. Et parce que la vitesse de traitement est relativement constante, tous les événements se verront donc compressés jusqu’à un niveau de «  compatibilité » avec les formats de transmission. Plus un sujet est complexe et plus la dégradation du significatif sera forte. A vitesse constante, la dégradation de la qualité de l’information est donc proportionnelle à la complexité du sujet traité.

Enjeu, complexité et vitesse : le trio perdant

Nous avons vu que le vitesse de traitement était relativement constante. Relativement, parce qu’il lui arrive de s’accélérer encore plus, notamment dans le cas d’événements exceptionnellement spectaculaires. Alors que la vitesse habituelle ne permet pratiquement aucun recul, aucune analyse sérieuse, il s’avère que dans les cas d’événements exceptionnels, la notion même de recul, de réserves, disparaît, pour céder la place à une débauche de «  savoir-faire » de pure forme.

Or, dans le cas du train en panne, l’enjeu politique est faible pour ne pas dire inexistant. Après tout, ça arrive. Dans le cas de la Syrie, pour garder cet exemple, l’enjeu politique est extrêmement élevé.

Si l’enjeu politique d’un événement est faible, la volonté de le manipuler sera faible. A l’inverse, plus un événement présentera un enjeu politique et plus une manipulation par les parties intéressées (notion plus large que les « parties concernées ») sera tentée – et plus la prudence et la réserve des grands médias devraient être de rigueur. C’est pourtant le contraire qui se produit.

Ainsi, la probabilité d’une manipulation d’un événement est directement proportionnelle à l’importance des enjeux politiques qui l’entourent alors que dans le même temps, la prudence des médias est inversement proportionnelle aux enjeux politiques. Leur prudence est donc – paradoxalement – inversement proportionnelle à la probabilité de manipulation. Conclusion : plus le risque de manipulation est grand, moins les médias jouent leur rôle. Moins les médias jouent leur rôle, plus la manipulation sera facilitée et par conséquence tentée, augmentant ainsi sa probabilité de manière exponentielle jusqu’à devenir «  quasi certaine ».

Notons au passage que l’attitude standard d’un «  consommateur de l’information » est de considérer que plus un événement est couvert par les médias, plus les risques de manipulation sont faibles et mieux nous sommes informés. Erreur classique et aux conséquences tragiques, ne serait-ce que parce que la multiplicité des médias n’a aucun rapport avec la multiplicité des sources et des opinions.

En résumé :

  • Le niveau de couverture médiatique d’un événement ne garantit aucunement la fiabilité des informations.
  • La mal-information (la partie «  involontaire ») est proportionnelle à la complexité d’un événement multipliée par sa vitesse de traitement. Plus un événement est complexe et plus son traitement est rapide, plus nous serons mal informés.
  • La manipulation (la partie «  volontaire ») est proportionnelle aux enjeux politiques multipliés par l’absence de réserve des médias. Plus les enjeux politiques d’un événement sont grands, moins les médias feront leur travail, et plus nous serons désinformés.
  • Lorsqu’un événement présente à la fois une complexité et un enjeu, la probabilité que nous soyons à la fois mal informés et désinformés est quasi certaine. Nos chances de connaître la vérité s’inversent donc et deviennent quasi nulles.

Ramené en une seule phrase : Plus un événement est complexe et présente un enjeu politique, moins nous sommes réellement informés – et ce, quel que soit son niveau de couverture médiatique.

La Mal-information

A l’instar de la malbouffe qui désigne à la fois les productions d’une industrie agroalimentaire et nos propres habitudes alimentaires, la mal-information désigne à la fois les produits de l’industrie de l’information et aussi nos propres habitudes de consommation.

Ce n’est pas le hamburger consommé de temps à autre qui nous bouche les artères pas plus que le sandwich occasionnel avalé à la hâte au coin d’une table de bistrot qui nous déglingue… C’est le train-train quotidien, ce petit morceau de sucre après l’autre, ce fruit chargé de pesticides ou signé Monsanto, le lent empoisonnement via nos assiettes et/ou nos propres habitudes qui se conjuguent pour nous tirer inexorablement vers le mal-être.

De même, ce n’est pas le film américain consommé de temps à autre qui nous bouche les neurones, ce n’est pas une désinformation occasionnelle avalée au coin d’une table du salon qui déglingue notre capacité d’analyse… C’est le train-train quotidien, ce petit mensonge après l’autre, cette information chargée de contre-vérités ou signée TF1, le lent empoisonnement via nos média et/ou nos propres habitudes qui se conjuguent pour nous tirer inexorablement vers le mal-savoir.

Et comme la malbouffe, la mal-information est le résultat de conditions imposées par les forces économiques mais aussi le résultat de nos propres habitudes de consommation.

La confusion entre «  ingurgiter des informations » et s’informer.

«  Moi, ça va, je passe beaucoup de temps à m’informer ». Souvent entendue, cette phrase ne fait qu’exprimer la même confusion qu’entre manger et se nourrir. Dire «  je suis informé parce que je m’informe » équivaut à dire «  je me nourris parce que je mange ». Et si cette dernière expression vous paraît cohérente, relisez la en rajoutant à la fin «  …parce que je mange des cailloux ». Absurde, n’est-ce pas ?

La confusion entre, d’une part, le temps passé à ingurgiter des informations et, d’autre part, le temps consacré à la recherche de l’information est très répandue. L’action brute (comme rester planté toute la journée devant une chaîne d’information en continue ou même l’Internet) remplace, et généralement annule, l’objectif recherché.

La mal-information est la lente et permanente distillation de «  Amadinejad a dit qu’il voulait rayer Israël de la carte », de «  Chavez, populiste – et antisémite », de «  Kadhafi a fait bombarder sa population », de «  l’OTAN est une ONG humanitaire », ainsi que toutes les variations de «  il n’y a pas d’alternative ».

Le «  sédentarisme culturel »

La mal-information est à la fois le résultat d’une information «  institutionnelle » médiocre et de notre propre passivité – par manque de temps, de moyens ou de savoir-faire, peu importe. Mais pour produire un résultat optimum, la mal-information doit se conjuguer avec un autre élément indispensable : le sédentarisme culturel.

Un des aspects les plus agaçants lorsqu’il m’arrive de débattre avec des connaissances, c’est leur évidente et totale incapacité à projeter leur pensée (ou imagination). On peut pourtant ne pas apprécier les Taliban et considérer que les enfants afghans n’ont pas à être massacrés par des cowboys surarmés. On peut ne pas apprécier feu-Kadhafi et penser, ne serait-ce que penser, que le bombardement d’un pays ne fait pas avancer la cause de la «  démocratie ». On devrait pouvoir conceptualiser que la vision de l’occident vue de l’extérieur n’est peut-être pas la même que celle de l’intérieur.

Le sédentarisme culturel annihile la capacité de se «  projeter dans l’autre », d’avoir un authentique recul sur soi et son environnement, d’éprouver une empathie réelle pour quelqu’un qui ne fait pas partie de son environnement immédiat. Par contre, le sédentarisme culturel renforce la capacité d’asséner des formules toutes faites comme des vérités premières et prétendument universelles. Après tout, comme disait l’autre, «  Rien n’est plus dangereux qu’une idée lorsqu’on n’en a qu’une ».

Se forger une vision du monde et de l’histoire à partir de son canapé et devant la télévision (ou Internet…), ou en lisant toujours le même journal, est une opération intellectuellement risquée. Le sédentarisme culturel induit une vision où son auteur se perçoit au «  centre » de quelque chose et par conséquence le reste du monde et des peuples se voient relégués vers une «  périphérie ».

Demandez à n’importe qui comment s’appelle le président des Etats-Unis et vous obtiendrez probablement plus de 99% de bonnes réponses. Demandez qui est le président de la Chine et si vous obtenez plus de 1% de bonnes réponses (et je suis optimiste), je vous offre le champagne. Combien de noms de villes connaissez-vous en Chine à part les deux que tout le monde connaît ? Il ne s’agit pas ici d’un problème de mal-information stricto sensu car vous pourriez le savoir, si vous vouliez le savoir. Mais d’un autre côté, d’où nous vient cette absence de curiosité, cette absence de «  sentiment d’ignorance » ? Le sédentarisme culturel est donc à la fois le produit de la mal-information et son moteur.

Notons au passage qu’être cultivé – au sens «  accumulation de savoir » – n’empêche nullement le sédentarisme culturel. Le passage par la machine à formater du système éducatif – notamment le système éducatif occidental, totalement orienté centre/périphérie – est souvent l’un des meilleurs moyens d’y sombrer. Je ne suis pas le premier – Chomsky l’a bien expliqué et nombreux sommes-nous à l’avoir constaté – à dire que ce sont généralement les catégories les plus «  éduquées » de la population en Occident qui sont les meilleurs piliers du système. Probablement parce que leur éducation a fortement produit une vision «  centrée » du monde et que leur attitude peut se résumer à ceci : «  Pourquoi diable chercher à savoir (ou comprendre) puisque je sais (ou comprend) déjà ? ».

Tous ceux qui ont déjà essayé d’expliquer quelque chose – n’importe quoi – à un enseignant, un journaliste, un diplômé d’une grande école ou un lecteur assidu du Monde savent de quoi je parle.

Obésité intellectuelle.

A l’instar de la malbouffe qui, associée au sédentarisme physique, produit l’obésité physique, on peut prolonger le parallèle et énoncer un nouveau truisme : «  La mal-information associée au sédentarisme culturel produit l’obésité intellectuelle. ».

L’obésité intellectuelle, c’est l’incapacité à suivre une explication de plus de trois phrases ou à lire un long article en entier. C’est l’incapacité à suivre un raisonnement de plus d’un niveau – essoufflé dès les premières marches. C’est lire toujours le même journal. C’est regarder en boucle les chaînes dites d’information. C’est consulter toujours les mêmes sites sur Internet. C’est s’enfoncer dans l’univers ouaté de ses certitudes. C’est ne plus réagir au, et même accepter, le concept infâme de «  guerre humanitaire ». C’est ne plus réagir, ni même réfléchir, aux guerres menées en notre nom. Et enfin, l’obésité intellectuelle est la propension à ne vouloir lire que ce que l’on a (déjà ) envie d’entendre et son corollaire : éviter l’effort de mettre ses certitudes à l’épreuve en les confrontant à des avis divergents.

Journalistes : complices et acteurs, ou victimes ?

Un jour, je discutais avec un journaliste de TF1 qui devait se rendre à Cuba. Nous avons discuté un peu du pays et je ne sais plus exactement comment j’en suis arrivé à reprocher «  le manque de sérieux des journalistes ». Il s’en est défendu, évidemment, en rétorquant que lui ferait son travail en (devinez…) «  toute objectivité ». Je lui ai dit que non. Il m’a dit que si. Non. Si.

«  Faisons une expérience » que je lui dis. «  Imaginez, vous êtes à La Havane, micro à la main, la caméra tourne. Vous commencez votre reportage par la phrase «  à La Havane, le régime communiste de Castro a déclaré… », etc. Votre reportage passera à la télé ? » Il me répond «  oui, bien sûr ». J’ai continué : «  Et maintenant, imaginez, vous êtes devant la Maison Blanche, micro à la main, la caméra tourne. Vous commencez votre reportage par la phrase «  à Washington, le régime capitaliste d’Obama a déclaré… », etc. Et là , votre reportage, il passera à la télé ? ». Il a admis que non, mais il a aussitôt rajouté «  Mais c’est pas pareil  ».

Et parce qu’il n’y pas de meilleur porte-parole d’un mensonge que celui qui y croit, énonçons le truisme suivant : «  Les journalistes sont à la fois les premières victimes et les principaux vecteurs de la malinformation ».

Car aussi étonnant que cela puisse paraître, la plupart des journalistes croient aux conneries qu’ils racontent. Comment s’en étonner puisqu’ils sont les premiers producteurs et consommateurs de la mal-information, l’expression-même du sédentarisme culturel et donc logiquement les plus gros obèses intellectuels ?

La tâche ardue de l’auto-diagnostic.

«  Il est plus facile de tromper les gens que de les convaincre qu’ils ont été troms. » [Mark Twain]

Annoncer que la terre est ronde ou qu’elle tourne autour du soleil a failli mener plus d’un au bûcher. Aujourd’hui, ces anciennes croyances nous font sourire. Lesquelles de nos croyances modernes feront sourire les générations futures ?

Si le résultat de la malbouffe est relativement simple à mesurer, celui de la malinformation présente un véritable casse-tête. Dans le premier cas, une balance et un diagnostic suffisent. Dans le deuxième, le seul outil à notre disposition est notre propre intellect, celui qui est justement la victime et la cible de la malinformation… Ce qui reviendrait à tenter de mesurer la précision d’un outil en ayant recours à l’outil même que l’on veut mesurer. Opération compliquée, mais réalisable.

Donc, comment savoir que l’on est victime de la mal-information ? Comment savoir que l’on ne sait pas ? Mieux encore : comment arriver à admettre qu’on s’est – ou qu’on a été – trompé ? Ce qui est certain, c’est que le réveil peut se révéler une expérience douloureuse car la victime de la mal-information est comme le cocu du village : le dernier à le savoir et le dernier à l’admettre. Mais le fait d’avoir constaté de visu une ou plusieurs manipulations médiatiques facilite le réveil – et provoque aussi une certaine habitude de «  réserve » lorsque les médias aboient à l’unisson.

Choses vues qu’il est impossible de -voir

En 1982 j’ai décidé de me rendre au Nicaragua qui avait connu trois ans auparavant une révolution. En juillet 1979, le Front de Sandiniste de Libération Nationale avait renversé la dictature de Somoza. Entre 1979 et 1982, la presse est passée (comme toujours) d’une attitude de «  sympathie compréhensive » envers ces «  poètes révolutionnaires, marxistes et chrétiens » à une franche hostilité. De la guerre menée par l’armée mercenaire des Etats-Unis, il était rarement question. En 1982, le magazine français l’Express publiait un article qualifiant le pouvoir en place de «  dictature marxiste-léniniste ». Brrr… De quoi annuler son voyage et demander le remboursement du billet. Toujours est-il qu’en arrivant à Managua, la capitale, ma première surprise fut de recevoir à la sortie de l’aéroport (de la capitale donc) un tract de… l’opposition. Ma deuxième surprise fut d’apercevoir tout le long de la route qui menait au centre-ville une série de panneaux publicitaires vantant les partis de … l’opposition. Ma troisième surprise fut de tenter d’acheter des journaux et de ne pouvoir trouver que La Prensa, un journal de… l’opposition. Ma quatrième surprise fut d’allumer la radio de ma chambre d’hôtel et de n’entendre que des voix de… l’opposition. Il m’aura fallu en tout et pour tout quatre heures environ pour m’apercevoir que la presse de chez moi me décrivait un pays où le ciel était vert et l’herbe bleue alors que c’était exactement le contraire. Alors, soit le journaliste de l’Express n’avait jamais mis les pieds au Nicaragua, soit il s’y est rendu mais n’est pas descendu de l’avion. Ou soit il est descendu de l’avion mais n’est pas sorti de l’aéroport. Et s’il est effectivement sorti de l’aéroport, alors il mentait.

(ceux qui connaissent déjà cette histoire peuvent sauter ce qui suit)

En février 1990, je suis retourné au Nicaragua pour suivre la campagne de l’élection présidentielle (car oui, il y avait des élections) qui opposait Daniel Ortega (FSLN au pouvoir) à Violeta Chamorro, candidate de la UNO, une coalition de 14 partis d’opposition créée ex-nihilo sous les auspices des Etats-Unis et où se côtoyaient à la fois l’extrême-droite et l’extrême-gauche (version trotskisme local). J’ai constaté que les journalistes «  envoyés spéciaux » avaient un rayon d’action d’environ 300m autour de l’Hôtel Intercontinental, c’est-à -dire la distance des dernières boutiques de souvenirs qui entouraient le bâtiment. J’ai croisé une équipe de FR3 Guadeloupe qui était venue en reportage et qui ne savait pas que le pays était en guerre depuis 11 ans. J’ai fait connaissance avec le correspondant «  Amérique centrale » de la chaîne états-unienne CBS qui m’a expliqué que l’invasion du Panama par l’armée américaine qui s’était produite quelques mois auparavant «  n’avait pas fait beaucoup de victimes » (Comment le savait-il ? Eh bien, il s’y était rendu quelques semaines plus tard et « Les gens dans la rue avaient l’air normaux » (sic). J’ai constaté comment leurs articles avaient comme «  sources » («  sûres », «  bien informées », «  ayant requis l’anonymat », etc.) un chauffeur de taxi, le barman de l’hôtel ou un obscur «  chargé de presse » d’une ambassade occidentale.

J’ai assisté aussi au dernier meeting de la candidate pro-US qui se tenait sur la Plaza de la Revolucion (ou Plaza de la Republica, selon votre humeur). La Place de la Révolution est située sur la Primera Avenida et elle a une forme presque carrée. Après vérification via Google Maps (la mémoire peut se révéler défaillante), cette place a des dimensions d’environ 70×80 mètres. Arrondissons à 100×100 et disons qu’elle a donc une superficie de 10.000m2. Retenez bien ce chiffre et notez que la place est par ailleurs en partie occupée par la vieille cathédrale (abîmée et désaffectée depuis un tremblement de terre à la fin des années 70).

Arrivés sur place, nous avons été bousculés et traités de «  hijos de putas sandinistas », probablement parce que j’avais eu la mauvaise idée – un geste involontaire – de suspendre mon appareil photo à une bride aux couleurs rouge et noir, les couleurs du Front Sandiniste. Toujours est-il que nous avons préféré nous éloigner et nous poser à l’ombre en attendant l’arrivée de la candidate, comptant sur une certaine retenue de la part de la foule une fois les médias présents.

Alors que nous étions encore en train de profiter de l’ombre, un haut-parleur a soudain annoncé que le meeting allait finalement se tenir dans le parc Carlos Fonseca (un grand terrain vague à l’époque), qui se trouvait juste en face de nous, de l’autre côté de l’avenue, et invitait donc la foule à s’y rendre. Une fois dans le parc, et au bout de quelques minutes, la foule a été invitée à retourner sur la place de la Révolution. Sur le moment, nous nous sommes demandés « que pasa ? ». La candidate est finalement arrivée et pendant son discours, je me suis mêlé à la foule qui n’avait d’yeux que pour elle et ne faisait plus attention à moi et à mes couleurs. Je suis monté en haut de la cathédrale et j’ai pris des photos de la foule présente au moment du discours. La place était loin d’être pleine. Mon estimation à l’époque me disait qu’il y avait environ 5000 personnes. La population totale du Nicaragua à l’époque était d’environ 4 millions, dont un million dans la capitale.

Le lendemain, dans le quotidien de l’opposition, La Prensa, un titre barrait la une en annonçant «  100.000 personnes au meeting de Violeta Chamorro ». En appui, le titre était accompagné de trois photos où l’on voyait des gens sur la place de la Révolution, des gens sur l’avenue et des gens dans le parc en face, le tout destiné évidemment à faire croire que la place de la Révolution avait littéralement «  débordé » à travers l’avenue et jusqu’au parc. Evidemment, nous avons bien rigolé en voyant cette manipulation maladroite, au vu et au su de tous, notamment de la presse internationale qui était présente. Nous avons par contre moins rigolé en constatant que Le Monde annonçait le même chiffre. Et c’est ainsi que j’ai assisté à une manipulation en bonne et due forme – et plutôt artisanale. Une manipulation à laquelle le Monde (et toute la presse en fait), a participé apparemment sans le moindre état d’âme.

Auparavant, Le Monde avait déjà lancé, via son «  spécialiste de l’Amérique latine » de l’époque, Bertrand de la Grange, une campagne sur – retenez votre souffle – «  Le génocide des indiens Miskitos » par le gouvernement sandiniste, sous la forme d’un article occupant pas moins de quatre pages entières du quotidien.

Et enfin, ce fut le Figaro Magazine qui enfonça le clou en publiant une photo d’un tas de «  cadavres d’indiens Miskitos » qu’on faisait brûler et qui avait été supposément massacrés par les sandinistes. La supercherie du magazine fut révélée un peu par hasard lorsque l’auteur reconnut sa photo et porta plainte pour violation du droit d’auteur. En réalité, la photo avait été prise après le tremblement de terre susmentionné. Sur la photo originale, on voyait à l’arrière-plan des gens portant des brassards de la Croix-Rouge. Sur la photo publiée, ces derniers avaient disparu grâce à des retouches photos effectuées par le Figaro Magazine.

C’est pourtant ce magazine-là et cette photo-là qui furent brandis aux Nations-Unies par la représentante des Etats-Unis, Jeanne Kirkpatrick, comme «  preuve » des «  crimes commis » par le gouvernement sandiniste . Et toute ressemblance avec une scène similaire devant les mêmes Nations Unies peu avant l’invasion de l’Irak n’est probablement pas fortuite. Il y a des méthodes éprouvées et tellement simples qu’il faudrait être fou pour ne pas les réutiliser.

Le Figaro Magazine fut condamné à 3500 frs d’amende et le Nicaragua à une «  guerre de libération » sanglante menée par une armée de mercenaires – les «  combattants de la liberté », selon Ronald Reagan. Et nous, nous fûmes condamnés à la désinformation, la propagande et à l’ignorance, du moins pour la grande majorité d’entre nous.

Reste que Bertrand de la Grange a pris sa retraite et le Figaro Magazine a survécu à l’amende. Restent aussi les innombrables croix bleues plantées le long des routes au Nicaragua pour marquer l’emplacement des camarades tombés. Restent encore et toujours la sempiternelle arrogance, incompétence et malhonnêteté de la profession.

La morale de cette histoire : ce n’est pas une sympathie a priori (et très hypothétique) envers le gouvernement syrien – par exemple – qui provoque le doute sur les événements décrits là -bas par les grands médias, mais l’expérience vécue (et un certain entraînement par la suite) qui permet de reconnaître les signes de la malinformation en général et de la désinformation en particulier.

C’est donc fort de ces expériences-là , et de bien d’autres – réelles et concrètes, pas virtuelles – et cet air de «  déjà vu » que nous évitons de crier au loup lorsque les médias chassent en meute.

Nous sommes tous des Truman Burbank

Dans le film «  The Truman Show », le jeune Truman Burbank mène une vie tranquille et pépère dans un environnement cliché du «  rêve américain ». Seulement voilà  : à son insu, Truman est le personnage d’une méga émission de télé-réalité. Depuis sa naissance, ses faits et gestes sont relayés par des caméras astucieusement cachées un peu partout ; sa femme, ses collègues de travail, ses voisins sont des acteurs ; les passants de simples figurants et son environnement un gigantesque décor intérieur de cinéma où il fait presque toujours beau et le ciel n’est qu’un très haut plafond peint. Tout est faux et Truman ne le sait pas.

Mais un jour (attention, spoiler  : ) un projecteur se décroche du faux ciel et tombe à ses pieds. Panique à la régie et sur le plateau. Truman commence à «  remarquer des choses » et à «  se poser des questions ». Il décide pour la première fois de sa vie de partir – où ça ? N’importe où, donnez-moi un billet pour une destination quelconque. Mais il y a «  toujours un problème », le vol est annulé, les pilotes en grève, et puis pourquoi veut-il partir alors qu’on est «  si bien chez soi ? ». Truman ne l’entend pas de cette oreille et s’empare d’une embarcation pour traverser ce qu’il croit être la mer et finit par s’écraser contre le faux horizon qui n’est qu’un mur de studio. Le tout avec des larmes et des violons parce qu’on est à Hollywood, malgré tout. Et à un degré ou un autre, nous sommes tous des Truman Burbank.

Indicateurs de la malinformation : les ruptures narratives et les comportements atypiques.

Toute la profession vous le dira : il faut parler des trains qui déraillent et pas des trains qui arrivent à l’heure et sans encombre. C’est pratiquement leur raison d’être, leur définition résumée de l’information. Il y a d’autres exemples, tout aussi «  incontournables » : l’équité dans le temps de parole lors des débats, la neutralité du journaliste, etc. (et bla bla bla). Autant de leitmotivs répétés en boucle dans toutes les rédactions et dans toutes leurs réponses aux lecteurs en colère. La profession serait donc guidée par des «  lois du métier », des «  comportements types » qui s’appliqueraient «  en toutes circonstances » et en dehors de toute considération personnelle, partisane ou idéologique. Admettons.

Mais tout mensonge finit à la longue par se heurter au mur de la vérité. Pour maintenir le cours du mensonge, il faut donc effectuer un détour, une entorse aux «  lois du métier » susmentionnés car si elles étaient réellement appliquées, elles finiraient par révéler la supercherie, forcément. Et nous avons vu qu’un mensonge est plus facile à énoncer qu’une vérité. Il se trouve aussi qu’il est plus facile de détecter un mensonge que de trouver la vérité.

Prenons l’exemple des astrophysiciens qui ne peuvent pas voir les trous noirs dans l’univers mais détectent leur présence par le comportement «  inhabituel » des corps célestes environnants. Les «  trous noirs » de la mal-information sont généralement invisibles – à moins d’être soi-même bien informé sur le sujet traité – mais sont néanmoins signalés par un comportement «  anormal » du corps médiatique. Et ces anomalies sont comme les ennuis et les trous noirs : plus on en cherche et plus on en trouve.

J’ai assez empiriquement classé ces «  anomalies » en deux catégories : les comportements atypiques et les ruptures narratives.

Comportements atypiques :

Les comportements atypiques désignent les violations des «  lois du métier » par le métier lui-même. Violations qui ne s’expliqueraient pas sans une volonté, consciente ou non, de manoeuvrer pour éviter le fameux mur des réalités. Les comportements atypiques se détectent en se posant une question relativement simple : «  Si j’étais réellement un journaliste mû par la volonté d’informer, à la recherche des trains qui déraillent et de l’exceptionnel, guidé par mon seul souci d’objectivité et ma déontologie, comment procéderais-je ? ». A chaque fois, je suis sidéré par l’écart entre les professions de foi et certaines réalités.

Voici quelques exemples de comportements atypiques :

  • Si vous faites référence à une source d’information telle que la radio/télévision iranienne, ou syrienne (en fait n’importe quelle source située en périphérie), la réaction systématique est de mettre en doute la fiabilité ou l’objectivité de la source. Une mise en doute qui sera accompagnée par une «  explication » de qui est derrière la source en question – mise en doute et questionnement qui ne sont jamais formulés lorsqu’il s’agit d’un média dominant. Alors, voici en guise de petite illustration une question simple à tous les lecteurs : comment s’appelle le rédacteur en chef du journal télévisé de la première chaîne française ?
  • Si on vous mentionnait le procès le plus long de toute l’histoire des Etats-Unis, un procès qui a mobilisé un casting digne d’un blockbuster hollywoodien (des amiraux, des généraux, des dignitaires, accompagné de motions adoptées par des Assemblées nationales de plusieurs pays, des interventions de chefs d’état, des ténors du barreau US, et même des prix Nobel…), on serait en droit de penser qu’il aurait fait ad minima l’objet de nombreux articles et commentaires «  par simple curiosité ». Ce fut exactement le contraire. Le procès est celui des cinq cubains condamnés aux Etats-Unis à d’absurdes peines (double peine de prison à vie «  plus » 15 ans….) pour avoir combattu le terrorisme. Absurde et révoltant. Le comportement atypique ici consiste à éviter une information «  à sensation » alors que la tendance naturelle des médias est de se tourner vers le sensationnel. Le fait qu’ils ne suivent plus leur comportement habituel signale la présence d’un trou noir informationnel.
  • Qui a déjà entendu parler un représentant de la résistance Irakienne ? Les médias ont pris totalement fait et cause pour les envahisseurs, jetant par-dessus bord le moindre semblant de l’objectivité dont ils se gaussent. Le comportement atypique ici est simplement la violation flagrante et ouverte de leur soi-disant «  neutralité de journaliste ».
  • Si l’on vous disait que le président des Etats-Unis en exercice à l’époque avait fait un discours sur la nécessité de combattre sans pitié le terrorisme, et que sur le podium des personnalités invités se trouvait un personnage justement condamné par la justice US pour actes de terrorisme, on serait en droit de penser que les médias relèveraient l’étrange contradiction. Mais pas un mot. Le président en question était George W. Bush et le terroriste s’appelait Aquino.
  • Le plus grand attentat de l’histoire a été moins enquêté que les frasques de DSK. Le comportement atypique ici est de traiter en mode «  mineur » un événement «  majeur » et inversement.
  • Très récemment, le magazine Le Point a admis (avoué) dans un article laconique qu’Amadinejad n’avait effectivement jamais dit qu’il voulait «  rayer Israël de la carte ». Après des années de matraquage et de citations hasardeuses, on aurait pu s’attendre à un examen de conscience ou une remise en cause style «  Faux charnier de Timisoara ». Que nenni. Le magazine, après des années de désinformation continue, prétend avec tranquillité et aplomb nous «  informer » (de ce que nous savions déjà en réalité).
  • Le centre de torture US de Guantanamo. Ici, l’horreur de la situation est traitée avec une décontraction inouïe, en totale contradiction avec les supposés attachements aux droits de l’homme. Est-il réellement nécessaire de s’étendre ? Ah… si ce centre avait été Russe, Chinois, Iranien ou Cubain…

Ruptures narratives :

Les ruptures narratives sont des contradictions, des absurdités, des changements brutaux de ligne sans explication… Comme un navire qui changerait subtilement de cap en faisant semblant de suivre la même route. Les ruptures narratives sont plutôt difficiles à détecter lorsqu’on est «  accroché aux infos », avec l’esprit sans cesse bombardé par de nouvelles informations qui chassent les précédentes – et dont la plupart sont totalement inutiles à notre compréhension, ou totalement incompréhensibles, ce qui revient presque au même.

Sans surprise, c’est lorsqu’on se désintoxique des médias, en prenant une sérieuse distance que les ruptures narratives deviennent cruellement évidentes. Eteignez la télévision pendant un mois ou deux puis revenez-y, vous comprendrez…

Voici quelques exemples de ruptures narratives :

  • Où est passé le fameux trou dans la couche d’ozone ? Vous savez, celui qui annonçait la fin du monde. Disparu, résorbé ou finalement on s’en fiche ?
  • Après un an d’informations sur le printemps de jasmin en Tunisie, les médias nous ont appris la victoire d’un parti dont on n’avait jamais entendu parler auparavant. C’est vous dire si leurs analyses avaient du sens. Le consommateur inattentif pensera simplement qu’il en avait entendu parler mais ne s’en souvenait plus. La rupture narrative ici consiste à ne pas feindre la surprise et de mentionner le parti vainqueur des élections comme si de rien n’était…
  • Les Taliban en Afghanistan, à l’époque de l’occupation soviétique, étaient décrits comme des combattants de la liberté (décidément un terme très en vogue). Les mêmes sont désormais présentés comme des abominations. Une rupture narrative des plus classiques.
  • Lors de l’annonce en 2008 à Cuba du «  licenciement » de «  centaines de milliers de travailleurs » du secteur public, les médias ont trompeté la «  fin d’un modèle ». Deux ans plus tard, on attend toujours les images de foules en guenilles abandonnées à leur sort et errant dans les rues de La Havane.

Les ruptures narratives et les comportements atypiques partagent les caractéristiques suivantes, ce qui permet aussi de les reconnaître :

  • Ils font l’objet d’un non-dit, même lorsqu’ils sont évidents. C’est pour cela qu’on ne les confondra pas avec «  un changement de version » ou un démenti qui sera toujours intégré (récupéré) dans la narrative standard (par exemple lorsqu’ils disent : «  Nous nous sommes trompés, nous le reconnaissons, vous pouvez donc encore nous faire confiance »). Les véritables ruptures narratives et comportements atypiques ne sont jamais annoncés.
  • Ils ne sont jamais reconnus comme tels. Si vous en pointez un du doigt, ils préféreront hausser les épaules ou faire semblant de ne pas comprendre. D’ailleurs, souvent ils ne comprennent pas. Au mieux, vous aurez comme réponse un « Ah, mais, c’est pas pareil ». Les véritables ruptures narratives et comportements atypiques ne sont jamais reconnus
  • Ils sont partagés par l’ensemble de la profession, révélant ainsi des affinités idéologiques profondes.
  • Ils sont indispensables pour préserver la construction narrative qui, sans eux, s’effondrerait.

Médias alternatifs et Internet : une histoire d’amour ou de haine ?

L’assimilation entre Internet et média alternatif est courante. Probablement parce qu’effectivement, pour de simples raisons de moyens matériels, la plupart des médias alternatifs se trouvent sur Internet. Mais cette assimilation est trompeuse et confond le fond et la forme. Il existe des médias réellement alternatifs sur papier (Fakir, Le Sarkophage) comme il existe des médias dominants sur Internet (Rue89.com, par exemple).

Alors à quoi reconnaît-on un «  média alternatif » ? Le premier signe de reconnaissance d’un média authentiquement alternatif est sa capacité à déceler et dénoncer les comportements atypiques et les ruptures narratives dominants, pour tenter de rétablir une courbe de raisonnement ininterrompue et cohérente. Le deuxième est un rapport à l’information qui, contrairement à la propagande véhiculée par les «  grands » médias, est quasi-sacré. Un troisième pourrait être le refus du «  deux poids deux mesures ».

Et l’internet dans tout ça ?

Panacée pour les uns, malédiction pour les autres. Oui, je sais, le printemps arabe, Facebook, Twitter et bla bla et bla. Je n’en crois pas un mot.

Dans l’exemple de l’Egype, je me suis demandé combien de gens avaient Facebook, Twitter et bla bla bla. Les chiffres trouvés sur des services spécialisés sont de l’ordre de grandeur suivants : 20 000 comptes Twitter et 1 million de comptes Facebook. Et «  comptes » ne veut pas dire «  utilisateurs actifs ». Et «  utilisateurs actifs » ne veut pas dire «  opposants ». Et «  opposants » ne veut pas dire «  militants actifs ». Alors, que reste-t-il pour un pays de plus de 80 millions d’habitants ? Pas grand chose en réalité, sinon un autre fantasme de geek et une nouvelle légende urbaine.

Lors d’une interview, Julian Assange, fondateur de Wikileaks, avait abordé ce thème. Il avait expliqué comment les mots d’ordre de la révolution égyptienne avaient été consignés dans un livret qui circulait sous le manteau via le réseau des clubs de football. En première et dernière page de ce manuel, on pouvait lire l’avertissement de ne pas utiliser Facebook ou Twitter, trop facilement infiltrables et manipulables. J’ai observé des nuits entières le déroulement des événements place Tahrir. J’ai été très attentif à certains détails. Comment, par exemple, les groupes qui défendaient la place et les immeubles environnants réussissaient à se protéger des infiltrations et provocations. Tout simplement parce qu’ils se connaissaient entre eux. Ou parce qu’untel connaissait untel qui connaissait untel. Pas vraiment un système à toute épreuve, j’en conviens, mais on en reparlera le jour où votre vie dépendra de la confiance accordée à un pseudo rencontré sur Facebook. Et, dernière puce à l’oreille : l’hommage appuyé d’un personnage aussi grotesque que Hillary Clinton à Facebook, Twitter et bla bla bla et leurs «  cyber-révolutions ». Lorsque quelqu’un comme Hillary Clinton m’indique un chemin à suivre, j’ai tendance à faire demi-tour.

Si l’Internet avait réellement l’importance que d’aucuns semblent lui accorder, il me paraît évident que George Bush, Tony Blair et même Obama seraient en prison, que Guantanamo serait fermé, que Gaza serait libéré, que Sarkozy serait en fuite, que les banques seraient nationalisées, que le Parti Socialiste français serait redevenu un groupuscule. Car les camarades semblent avoir oublié un détail : si l’Internet nous aura bien servi, figurez-vous que l’ennemi s’en sert aussi bien, sinon mieux. Où est le progrès ? Je veux dire, concrètement ?

Il me semble que l’Internet n’a de sens que pour ceux qui ont déjà une expérience en dehors de celui-ci, c’est-à -dire dans les cas où l’Internet n’est qu’un outil complémentaire, un facilitateur, et non une source en elle-même. La cacophonie ambiante, la multiplicité des blogs, du chacun pour soi et chacun son site, la diffusion d’une chose et son contraire, la multiplication des faux-nez, de pseudos-ci et des pseudos-ça, les trolls dans les forums (genre «  J’ai vécu 10 ans en Syrie, et je peux vous dire que… » Signé : Blanche Neige), les lectures en diagonale, l’impatience devant un article trop long, le click trop facile et le butinage incessant… Le zapping à l’état pur.

Le fait est que la grande majorité de la population continue de «  s’informer » via les médias dominants, y compris dans leurs versions internet où l’on retrouve les mêmes «  ennemis de l’information », tout sourires et pas gênés plus que ça par notre présence.

On me rétorque souvent «  sans Internet… ». Oui, mais sans Internet, nous aurions peut-être, et même probablement, mené d’autres combats, d’autres réflexions sur les médias. Nous aurions présenté d’autres exigences au lieu de déserter le champ de bataille et nous retrancher dans le virtuel.

Et je me demande même si, à force de trop de « révélations », parfois contradictoires, l’Internet n’aurait pas eu un effet démobilisateur, provoquant un sentiment de tâche insurmontable, une attitude de « à quoi bon ? ».

Médias alternatifs et Internet : forces et faiblesses

Tous les responsables de médias alternatifs vous le diront : les journalistes sont grosso modo des ignares, à quelques exceptions près. Lorsqu’on a soi-même subi la contrainte du temps qu’il a fallu pour connaître véritablement un sujet et qui leur fait justement défaut (alors même qu’ils sont censés intervenir sur tout et n’importe quoi, sautant du coq à l’âne), comment s’en étonner ? Mais à les voir et les entendre, ils savent tout sur tout et finissent même par le croire.

Les médias alternatifs ont un sacré avantage sur eux : 1) Ils ont le temps. Le temps de choisir leurs sujets, de les étudier en profondeur, 2) Ils n’ont pas de comptes à rendre, pas de pressions à subir, pas de conformisme à suivre…

Ces avantages sont contrebalancés par l’absence de moyens. Et cette absence de moyens pose le problème des sources de l’information. En effet, nombre de médias alternatifs se cantonnent à «  décortiquer » les informations véhiculées par les grands médias, à analyser leurs comportements atypiques et pointer du doigt les ruptures narratives. Un travail utile mais qui a ses limites car ils se retrouvent, malgré toute leur bonne volonté, à travailler sur un produit qui a déjà fait l’objet d’un filtrage par les grands médias. On peut toujours analyser le contenu d’une bouteille d’eau, il est plus difficile de remonter à la source, là où l’eau jaillit…

«  Oui, mais sur place, il y aura un autre média alternatif qui… » Voire. Car comment savoir si ce média alternatif est plus fiable qu’un article de Libération ? Le coup de la fausse blogueuse syrienne et des faux-nez «  anars et antifas » des réseaux Indymedia sont là pour nous rappeler tous les jours la fragilité de tout ce réseau «  alternatif » informel et infiltrable à souhait…

La liberté de la presse (de faire ce que bon lui semble) contre notre droit d’être informés

«  Seule la vérité est révolutionnaire »

Notre comportement vis-à -vis de l’information est déterminé par notre rapport à celle-ci. Pour certains, peut-être la majorité, ce rapport se résume à considérer l’information comme un «  supermarché de faits » où l’on viendrait puiser des certitudes, ce qui en retour rétrécit le champ de réflexion. Petit à petit, le nombre «  d’articles prélevés » diminue pour ne plus se résumer qu’à l’indispensable kit de survie. D’autres ont un rapport boulimique. L’un comme l’autre participent à la malinformation. Mais s’entendre dire qu’il faut réviser notre rapport à l’information, c’est comme s’entendre dire qu’il faudrait faire de la gym : on y pense, on se le promet, et les mois et les années passent tandis que dans les périphéries de notre perception, les dangers et les dégâts s’accumulent.

Personnellement, je ne reconnais aucun droit à aucun journaliste de «  filtrer » l’information, et l’argument qui consiste à rétorquer «  Allez consulter d’autres sources » ne me convient nullement. D’abord parce que les sources en question, si elles se multiplient dans la forme, se raréfient sur le fond. Ensuite parce que c’est faire peu de cas de mon «  Droit à l’information ». Ce droit, je le revendique, je l’exige. Et aucun média ne saurait me convaincre qu’il faut faire avec ce que l’on a, pas plus qu’un boucher indélicat ne me convaincra qu’il me suffit de changer de boutique. De quel droit ? Et comment se sont-ils arrangés pour nous faire nous résigner à cet état de choses ?

Quelle est la gravité de la situation ?

Je vois partout et tous les jours des formes d’indécence s’étaler, des charlatanismes s’exprimer, des horreurs se banaliser.

Je vois des tas de magazines «  sérieux » publier régulièrement une rubrique qui annonce votre avenir selon votre date de naissance. Je connais des ministres condamnés pour propos racistes. Je vis dans un pays qui voue un culte à Napoléon Bonaparte. Je vois les journalistes se montrer révérencieux envers George Bush et Tony Blair. J’entends des gens «  cultivés » et «  intelligents » prôner des «  guerres humanitaires » – et je me demande ce qu’ils penseraient d’un nouveau concept de mon invention, celui de «  torture thérapeutique »…

Voir couler plus d’encre sur une femme portant un voile que sur une bombe larguée sur elle au nom de la société succinctement décrite plus haut me donne envie de vomir.

L’absurdité de la situation et la pauvreté de notre perception sont telles que des lois sur les médias récemment adoptées en Amérique latine (toujours une longueur d’avance sur nous) visant à élargirles espaces de liberté, à donner de la substance à la liberté d’expression, sont fréquemment qualifiées ici – y compris par des militants de gauche – de lois «  liberticides ». Est-il possible d’être plus «  à côté de la plaque » que ça ?

Le combat des médias n’est pas un combat annexe : il est devenu le combat. Certains l’ont bien compris et n’hésitent pas à acheter un journal qui perd des millions d’euros par an. Se pose-t-on assez souvent la question de savoir pourquoi un capitaliste investirait des millions d’euros dans une affaire qui perd de l’argent alors que dans le même temps il n’hésitera pas à fermer une usine qui en gagne, mais pas assez ? Par amour de la démocratie et du pluralisme de la presse, peut-être ?

L’information est une forme d’éducation, elle forge notre vision du monde. Mais accepterions-nous que nos enfants à l’école soient éduqués par des enseignants sortis d’on ne sait où, formés dans des «  écoles de journalisme » privées et indépendantes de toute tutelle, même mineure, indéboulonnables quel que soit leur degré d’incompétence ?

Est-il normal d’exiger le non-cumul des mandats d’un élu (qui, après tout, est élu) tout en acceptant sans broncher l’ubiquité des journalistes ? Est-il normal de limiter le nombre de réélections d’un élu (qui, après tout, est élu) tout en acceptant sans broncher de voir les mêmes têtes partout sur toutes les chaînes et radios pendant vingt ans et plus ? Est-il normal que le premier abruti venu muni d’une carte de presse puisse qualifier Chavez de dictateur dans un journal distribué gratuitement à des dizaines de milliers d’exemplaires ou sur un site Internet pseudo-alternatif ?

N’y aurait-il point de nom pour désigner un système où un pouvoir avant tout économique et commercial et non-élu supplanterait celui des représentants du peuple ?

Forts du leurre que constitue une certaine facilité sur Internet, nous avons de facto abandonné avec armes et bagages le champ de bataille des médias. Champ à partir duquel l’adversaire nous bombarde en toute… liberté.

Alors, si combat pour le pouvoir il doit y avoir, autant viser le véritable pouvoir. Car ce ne sera qu’à partir de ce moment-là , et de ce moment-là seulement, que nous pourrons dire que nous avons enfin tourné la page.

Viktor Dedaj
“J’aurais pu faire plus court, c’est vrai”

Source : Le Grand Soir, Viktor Dedaj, 04-07-2012

Source: http://www.les-crises.fr/recommande-medias-et-information-il-est-temps-de-tourner-la-page-par-viktor-dedaj/


RMC : 25/11 : La Russie est-elle le meilleur allié de la France pour lutter contre l’EI ?

Sunday 6 December 2015 at 04:01

Émission assez intéressante…

Par ailleurs, je lance un appel pour de l’aide d’informaticiens pour sous-titrer des vidéos svp. Nous contacter, merci

Source : RMC, 25-11-2015

Pour écouter l’émission : Carrément Brunet 25/11

Éric Brunet : Mesdames, Messieurs, Vladimir Poutine est-il votre ami ? Est-il votre ennemi ? J’aimerais savoir. Vous le savez, depuis quelques jours j’ai pris la décision de vous demander de m’inspirer en matière de sujets à traiter. Et c’est plutôt bien, j’aime bien cette formule. Là, c’est Jean-Pierre qui habite à Colmar qui m’a envoyé hier soir assez tard ce mail.

Je vous le lis : « Monsieur Brunet, [je vous écris] cet e-mail car nous sommes en guerre contre Daech. Et comme disait Churchill, quand on fait la guerre la seule question qui compte, ça n’est pas qui sont vos amis, mais qui sont vos ennemis. Et nos ennemis, M. Brunet, c’est Daech. Bien sûr jusqu’à présent, la Russie n’avait pas tout fait et n’avait pas tout à fait les mêmes buts de guerre que nous. » M’écrit Jean-Pierre. « Elle voulait remettre Bachar sur son trône à Damas, et ce type qui a tué des centaines de milliers de Syriens n’est pas compatible avec les valeurs de la France, c’est évident. Mais il y a eu, M. Brunet, deux événements majeurs qui ont, à mon avis infléchi la position de Poutine et celle, d’ailleurs, de François Hollande. D’abord le crash d’un charter russe dans le Sinaï revendiqué par l’État islamique, 224 morts et un véritable traumatisme auprès du peuple russe. Et puis il y a eu la nuit du 13 novembre, dont je n’arrive toujours pas, personnellement, à me remettre. » M’écrit Jean-Pierre. « Le Bataclan et le charter russe sont en quelque sorte nos 11 septembre français et russe. Il me semble, par conséquent, que Hollande et Poutine ont changé. Ils ont désormais un objectif commun, un ennemi commun : Daech. Alors arrêtons de nous pincer le nez dès que nous entendons le nom de Vladimir Poutine. Nous ne sommes pas les arbitres des élégances. Il est aujourd’hui celui qui frappe le plus fort et la France en a besoin. » Voilà, c’est Jean-Pierre de Colmar. Ma chère Camille je te salue.

Camille Dahan : Moi aussi je te salue Éric, bonjour à toutes et à tous. Alors qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que Poutine est notre ami, ou notre ennemi ? Vous choisissez votre camp et vous votez sur rmc.fr. Pour toi Éric, Poutine est notre meilleur ami pour vaincre Daech. Allez-y votez, rmc.fr.

Éric Brunet : Tout à fait. À tout de suite.

[Extraits de journaux d'information] : « Vladimir Poutine arrive en homme fort à l’ONU. [Vladimir Poutine] : « Dans quelques jours la Russie va présider une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour coordonner les démarches de toutes les forces armées qui font face au groupe État islamique. » Vladimir Poutine, c’est notre allié en Syrie ? [François Hollande] : « Non, pour l’instant ce n’est pas notre allié. Il est l’allié de Bachar el-Assad. Il peut être demain, et je le souhaite, c’est ce que je lui ai dit, un partenaire. » Vladimir Poutine est donc aujourd’hui un interlocuteur incontournable, une réalité que les Américains comme les Français sont bien obligés d’accepter. [François Hollande] : « La France discute avec tous et n’écarte personne. » Vladimir Poutine se pose en recours alors que les occidentaux n’auraient pas de solution en Syrie. »

Éric Brunet : Vous le savez, Mesdames, Messieurs, je suis plutôt d’accord avec Jean-Pierre qui m’a écrit ce mail de Colmar. Je considère que Poutine est notre meilleur ami pour vaincre Daech. Chaque mot à son importance. Poutine est, aujourd’hui d’ailleurs, notre meilleur ami pour vaincre Daech. Vous votez sur rmc.fr. Je vais vous présenter mes deux intervenants. D’abord il y a, et il est dans le studio, Alexandre del Valle. Bonjour Alexandre.

Alexandre del Valle : Bonjour.

 Éric Brunet : Vous êtes géopolitologue, vous enseignez en plusieurs lieux, mais à Sup de Co à La Rochelle. Et vous êtes un de ceux que je trouve le plus saillant et le plus intéressant depuis les Printemps arabes, sur le monde arabe et sur le Proche-Orient. Vous avez publié Le chaos syrien,  Printemps arabes et minorités face à l’islamisme. C’est chez quelle maison d’édition ?

Alexandre del Valle : Dhow éditions. Avec Randa Kassis, pardon.

 Éric Brunet : Dhow éditions, voilà vous êtes deux auteurs. Il y aura dans quelques instants Viatcheslav Avioutskii, c’est un chercheur franco-russe associé à l’Institut français de géopolitique et qui n’est pas sur la même ligne que vous. Car vous, Alexandre del Valle, vous faites partie de ceux qui considèrent que Poutine est l’allié principal, aujourd’hui, de la France. Vous aurez l’occasion de nous en parler. Je voudrais tout de suite, dans l’ordre, on va prendre Gaël, mais je voudrais tout de suite avant de prendre Gaël au 3216 qui m’a appelé du Var je crois, vous poser une question. Est-ce que Poutine, qu’on a accusé de frapper avec son aviation des rebelles syriens anti-Bachar el-Assad, mais qui était avec la coalition, avec nous, est-ce qu’il continue à faire ça, là, aujourd’hui ? Depuis que le charter russe a été abattu, est-ce que Poutine continue à envoyer des bombes sur la tête de rebelles qui ne sont pas Daech, qui sont plutôt avec nous et qui se battent contre Bachar ?

Alexandre del Valle : Alors je ne dirai pas qu’ils sont avec nous mais c’est vrai que la Russie continue à bombarder des positions de rebelles qui ne sont pas membres de l’État islamique mais qui ne sont pas plus fréquentables. Et c’est ça la grande désinformation dans nos médias, c’est de nous dire « Poutine fait bombarder les rebelles modérés. » Les « rebelles modérés, » c’est qui : Ahrar al-Sham, ce sont des mouvements aussi djihadistes que l’État islamique, le Front islamique composé de djihadistes et de fous furieux aussi fanatiques que l’État islamique. On peut parler de Ansar al-Islam, de Jaysh al-Islam, tous les mouvements soi-disant rebelles qui sont bombardés par les russes, parce que les vrais rebelles modérés ils sont quelques centaines, il faut être franc. Ceux qui ont des moyens, qui ont des munitions, qui ont des armes et qui ont des troupes en très grand nombre, plusieurs dizaines de milliers plus rassemblés que l’État islamique lui-même, ce sont des gens aussi fanatiques, aussi djihadistes que l’État islamique. Et donc il faut arrêter cette désinformation.

Aujourd’hui la Russie est logique, elle commence par se débarrasser des mouvements djihadistes qui sont le plus proche de la capitale. On ne peut pas lui en vouloir. Son intérêt à la Russie, c’est de défendre sa base à Tartous et son allié Syrien. Donc elle va déjà essayer de bombarder les djihadistes qui sont les plus proches et les plus dangereux pour Bachar.

Éric Brunet : Alexandre del Valle, vous venez de balancer à la radio, en direct, une information majeure. Pourquoi, moi qui ne suis pas un spécialiste du Proche-Orient, pourquoi est-ce que personne depuis des jours, des jours et des jours, ne dit ça, ce que vous venez de dire ? C’est-à-dire que les gens qu’on présente comme les victimes du bombardement russe ne sont pas plus fréquentables que Daech. Pourquoi aucun journaliste ne le dit ?

 Alexandre del Valle : Parce que, vous savez, on a des gouvernements qui étaient tenus par le Qatar et on a d’autres gouvernements qui sont tenus par l’Arabie saoudite. On n’a de choix depuis des années, en France comme dans les pays occidentaux, qu’entre des gouvernants qui soient tenus par le Qatar ou l’Arabie saoudite quand c’est pas le Koweit, principaux bailleurs de fonds des mouvements islamistes qui sont soi-disant rebelles. Donc comme nos amis financent Ahrar al-Sham, le Front islamique, Jaish al-Fatah, tous ces mouvements soi-disant rebelles modérés, et bien pour leur faire plaisir, et les turcs aussi les entraînent carrément et les arment, on ne va pas trop déplaire à nos amis. Donc on fait croire, tout le monde souffle, tout le monde se ment, tout le monde fait croire que le seul méchant c’est Daech. On le personnifie comme dans les films de James Bond, le mal vraiment caricatural, et les autres c’est le bien. Or les choses sont beaucoup plus complexes que ça, les djihadistes sont dans une dizaine de mouvements dont de nombreux mouvements armés par nos amis saoudiens, qataris et turcs.

Éric Brunet : On va parler de Poutine dans un instant mais je vous pose une deuxième question factuelle. Hier, un avion de chasse russe, un Soukhoï déployé en Syrie a donc été abattu par l’armée turque. Les Turcs et un certain nombre de personnes ont sous-entendu que c’était un Soukhoï qui bombardait une rébellion turkmène, justement, des Turkmènes qui sont en territoire syrien, qui sont des turcs qui sont en Syrie, en gros, une minorité turque est en Syrie, et qui justement se bat contre Bachar el-Assad. Donc là, effectivement, moi je me suis dit c’est pas possible. Les Russes auraient donc bombardé des turkmènes, qui sont des gentils qui se battent contre Bachar el-Assad, et je comprends, par conséquent, qu’Erdogan ait piqué une colère et ait abattu un avion russe. Est-ce que c’est la vraie histoire ou pas, ça ?

 Alexandre del Valle : La vraie histoire c’est qu’Erdogan est un nouveau sultan et les légions de Turkmènes qui se battent aujourd’hui, qui ne sont pas des Turcs de Turquie, c’est des minorités qui faisaient partie de la Turquie en 1938, et après il y a eu un changement de frontière et ils sont Syriens. Et la Turquie est irrédentiste, elle veut rassembler des territoires de Turkmènes qui sont en Irak ou en Syrie, elle essaie d’élargir son territoire comme elle a fait à Chypre en envahissant le nord de Chypre. La Turquie est un pays irrédentiste qui pratique la politique néo-impériale avec le prétexte de…

Éric Brunet : Ils rêvent de la Grande Turquie…

Alexandre del Valle : Un peu comme les Sudètes à l’époque des Nazis, on justifie l’invasion d’un pays parce qu’il y a une minorité qui nous ressemble qui se trouve ici ou là, et c’est une politique extrêmement dangereuse.

 Éric Brunet : Erdogan rêve de reconstituer la Grande Turquie, en tout cas d’agrandir son territoire, c’est ça ?

Alexandre del Valle : Ah mais bien sûr, carrément. Il l’a fait depuis 1974 en envahissant Chypre, et il continue.

 Éric Brunet : Pour autant fallait-il bombarder les Turkmènes ? J’ignore si c’est ce que faisait Poutine.

Alexandre del Valle : D’un point de vue géopolitique, nous on ne dit pas il faut, il faut pas. On dirait plutôt quel est l’intérêt de la Russie ? Défendre son allié Bachar pour consolider l’ouest, pour ensuite s’attaquer à l’État islamique, mais ce qu’elle fait également en partie. Et il fallait donc affaiblir tous ceux qui affaiblissent le régime. Mais ces Turkmènes ne sont pas non plus des laïcs ou des modérés. Les noms des deux grandes brigades turkmènes, c’est des noms qui font référence au grand sultan et au calife ottoman. Ce sont des milices quand même islamistes qui ont un but, qui veulent participer à cet irrédentisme pour reconstituer une Grande Turquie, élargir le territoire de la Turquie.

Éric Brunet : Donc vous me dites, vous, en fait, ces bombardements opérés par Poutine procèdent d’un plan de bataille cohérent, quel est-il ?

Alexandre del Valle : Très très cohérent. La Russie dit tout simplement : il y a un régime qui connaît le territoire, qui est quand même un régime qui était là, qui était légal, qui a perdu une partie de son territoire. Il faut déjà le consolider parce que nous, les Russes, on a une base à Tartous et notre intérêt, alors on ne va pas être en dehors de cette notion, ce qui compte c’est l’intérêt en géopolitique, l’intérêt des Russes c’est maintenir le régime. Donc on va bombarder tous ceux qui sont le plus capable d’affaiblir le régime, et ça participe d’un plan extrêmement cohérent. Ensuite on s’occupera de l’État islamique qui est plus vers l’est, qui est plus dans les zones désertiques, qui est moins dangereux que les milices djihadistes, notamment liées à Al-Qaïda qui se trouvent dans l’ouest et qui coopèrent avec ces Turkmènes. Ces Turkmènes coopèrent avec des djihadistes, ce ne sont pas non plus des saints qui se battent tous seuls contre tout le monde. Non, ils coopèrent entre eux.

Éric Brunet : Il a quand même bombardé Daech, Poutine ?

Alexandre del Valle : Bien sûr, le pays qui a le plus bombardé, notamment les camions qui transportent le pétrole que Daech vend, hélas, aux Irakiens et aux Turcs qui jouent quand même un double jeu, surtout les Turcs, et bien 500 camions en une semaine et demie ont été éliminés par les avions russes, seulement 116 par les Américains, pour affaiblir Daech.

Éric Brunet : 500 camions.

Alexandre del Valle : 500 camions en une semaine et demie.

Éric Brunet : Attendez, Daech vend son pétrole aux Turcs ?

Alexandre del Valle : Oui, absolument. Le plus grand acheteur de pétrole, alors il y a aussi le régime syrien, il faut être franc parce que les choses sont complexes. Le régime Syrien achète du pétrole à Daech, l’Irak, des Irakiens trafiquants achètent du pétrole à Daech, mais en plus grand nombre c’est la Turquie qui achète le plus de pétrole et d’autres matériaux. Parce que Daech vit de trafics, et donc pour affaiblir Daech, il faut l’affaiblir économiquement en bombardant ses puits de pétrole et ses camions. Ce que l’occident n’a pas fait avant que les Russes s’en mèlent.

Éric Brunet : Ouh, intéressant. Vous restez avec nous Alexandre del Valle. Allez, beaucoup d’appels au 3216. Gaël m’appelle du Var, il a 39 ans, bonjour Gaël.

Gaël : Oui, bonjour Éric Brunet.

Éric Brunet : Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas entendu.

Gaël : Vous m’avez manqué d’ailleurs.

Éric Brunet : Vous aussi. Bon, mon cher Gaël, qu’est-ce qu’on dit de Poutine quand on a 39 ans, qu’on habite dans le Var et qu’on suit ça de très près ? Parce que je vous connaît, vous êtes passionné par l’actualité.

Gaël : Exactement. Et bien quand on a 39 ans et qu’on vit dans le Var, et qu’on regarde pas la télé, et qu’on n’est pas trop influencé par les médias mainstreams, on va dire, et qu’on suit le problème depuis longtemps effectivement, on ne dit pas vive Poutine mais on dit depuis longtemps qu’il fallait peut-être s’intéresser à ce problème bien avant d’ailleurs. Bien entendu que je suis d’accord avec vous, il faut clairement faire alliance avec Poutine, enfin opérer avec Poutine. D’ailleurs je tiens à vous remercier et à vous dire bravo pour ce sujet que je trouve moi, à mon sens, courageux. Personne met les pieds dans le plat en ce moment et ça commence à m’énerver. Donc ça je vous remercie pour ça.

Poutine, ce qu’il faut comprendre, c’est que nous avons besoin, moi ça fait longtemps que je défends cette position-là, on a fait du Poutine-bashing depuis trop de temps à mon avis, à mon sens, et je pense, mais on le saura jamais, que peut-être beaucoup de vies auraient pu être épargnées si on avait, peut-être, fait ça avant. Maintenant qu’on a dit ça, pourquoi il faut faire alliance avec Poutine ? Ce qu’a dit Alexandre del Valle est effectivement très intéressant, c’est à peu près ce que je pense, mais je vais préciser deux ou trois points, à mon sens, je pense qu’il y a eu quelques omissions.

Poutine a prouvé, ce qu’a dit Alexandre del Valle, sa puissance de frappe et sa stratégie. Ils ont frappé fort, ils ont montré leur nouveau missile de croisière Calibre. Ils ont profité de l’occasion pour faire une démonstration au monde entier de leur nouveau matériel. Ils ont montré leur efficacité, ils ont frappé des cibles, ils ont montré qu’il y a eu plus de résultats en peu de temps que nous, la coalition, enfin la soi-disant coalition nous avons montrés jusqu’à maintenant.

Nous avons besoin de Poutine parce que c’est l’allié de Bachar el-Assad, d’ailleurs ce qu’a dit Alexandre del Valle, il disait qu’il bombardait des rebelles, qu’il bombardait pas vraiment Daech, enfin si, il n’a pas dit ça, mais il a dit qu’il bombardait aussi des rebelles. Mais Poutine ne s’en est pas caché, Poutine a dit qu’il soutenait ouvertement Bachar el-Assad, donc à partir de là, tous ceux qui s’opposent à Bachar el-Assad, quels qu’ils soient, ça c’est clair. Nous avons besoin de lui, donc, si nous nous ne voulons pas parler avec la Syrie, nous avons besoin de lui pour que lui fasse tampon avec la Syrie. Et donc lui pourra organiser toute la partie là-bas, la partie de l’est, gérer tout le côté Syrien, et nous on pourrait gérer l’autre. Parce que, franchement, au niveau géostratégique, la partie Européenne et la partie Syrienne encerclent l’État de Daech, donc je vois pas comment on se retrouve dans ce bourbier et qu’on n’arrive pas à s’en sortir, si ce n’est que le problème majeur est cette hostilité qu’on a envers la Russie qui est, pour moi, complètement irrationnelle. Et voila, donc c’est très important, très important. Si je peux me permettre…

Éric Brunet : Oui, Gaël.

Gaël : un tout petit point sur ce qu’à dit…

Éric Brunet : Alexandre del Valle

Gaël : Alexandre del Valle. Sur le pétrole il a dit que la Turquie etc. mais la France aussi en a acheté. Alors, j’espère indirectement.

Éric Brunet : Attendez attendez, vous, vous dites, Gaël, c’est quoi cette information, que la France achète du pétrole de Daech ?

Gaël : Ah mais elle a été donnée sur votre antenne, par Pascal Perri, par le député Marsaud. Elle a été donnée sur plusieurs médias, sur des médias russes.

Éric Brunet : Je ne l’avais pas entendue, peut-être alors.

Gaël : Bien sûr. Je ne sais pas si c’est direct, hein.

Éric Brunet : Alexandre del Valle, oui ?

Alexandre del Valle : Indirectement tout le monde achète le pétrole de Daech, mais par des intermédiaires. Alors on fait croire qu’on ne l’a pas fait parce que c’est des intermédiaires qui nous le revendent.

Éric Brunet : Oui, en gros c’est le pétrole irakien, et donc l’Irak est un des deux, un des trois plus gros producteurs de pétrole avant la guerre, donc effectivement c’est le pétrole Irakien qui est vendu par Daech et qui alimente les comptes de Daech.

Gaël : Bien sûr.

Alexandre del Valle : Absolument, la vraie guerre serait d’éliminer tous les camions qui transportent le pétrole de Daech et prendre, avec des soldats au sol, les puits de pétrole que contrôle Daech. Et là, Daech serait mort.

Gaël : Ça c’est vrai. Ça c’est vrai.

Éric Brunet : C’est ce que fait Poutine, hein, en s’en prenant aux camions.

 Alexandre del Valle : C’est le plan de Poutine.

Éric Brunet : 500 camions, vous disiez, qui acheminent du pétrole depuis les puits de pétrole jusqu’aux ports où il est exporté. Oui, Gaël.

Gaël : Si je peux me permettre de donner un petit point aussi quand il a parlé des rebelles, il a cité le nom des rebelles. Alors je crois qu’ils y sont encore à mes dernières informations, je pense qu’il a oublié aussi de citer le Front al-Nosra, qui est la branche syrienne d’Al-Qaïda.

Alexandre del Valle : Non non, je l’ai cité.

Éric Brunet : Il a cité al-Nosra. Al-Nosra qui est proche d’Al-Qaïda vous dites, Gaël ?

Alexandre del Valle : Absolument.

Gaël : C’est la branche syrienne d’Al-Qaïda.

Éric Brunet : Oui, c’est la branche syrienne, oui bien sûr.

Gaël : Je tiens à dire, je tiens à rappeler aux Français quand même que ce mouvement terroriste, qui a été, enfin fondamentaliste, qui a été soutenu quand même par notre gouvernement, et notamment ouvertement par Laurent Fabius, mais enfin bref. Et un dernier mot aussi parce que ça on n’en parle pas, voilà j’en termine là et je vous laisse tranquille parce que sinon je vais être très long et je vais vous bloquer toute l’émission.

Éric Brunet : Mais attendez, c’est bon d’être avec vous. Allez-y Gaël.

Gaël : Bah merci, ça me fait plaisir. Et un dernier mot quand même, j’aimerai bien qu’on parle aussi de la position d’Israël, parce que j’en ai pas parlé, là ça me vient en en parlant parce que je pensais à la géostratégie etc. On a quand même cet État, Israël, qui a une position très importante là dedans, notamment par sa position sur le Golan, et je pense qu’Israël devrait un petit peu clarifier sa position aussi par rapport à tout ce problème, parce qu’on ne les entend pas et j’aimerais bien, s’il y a une coalition, je pense qu’ils devraient en faire partie. Voilà après c’est un procès d’intention.

Éric Brunet : Oui, oui. Alexandre del Valle.

Alexandre del Valle : Israël on ne les entend pas mais, très discrètement, ils rencontrent les Russes. Il y a eu des rencontres extrêmement importantes au niveau militaire et tout ce qui se fait aujourd’hui de bombardements russes en Syrie est fait en bonne intelligence avec les israéliens, et ça c’est depuis plusieurs semaines déjà le cas. Donc Israël n’a pas trop intérêt à la ramener et à se mêler ouvertement de ce dossier mais elle coopère très efficacement aujourd’hui, notamment avec les Russes et avec les Occidentaux.

Le problème c’est pas Israël, c’est la Turquie aujourd’hui, qui veut absolument saboter la grande coalition que veut mettre au point Vladimir Poutine et maintenant Hollande depuis quelques jours. Et l’ambition, mais de son point de vue c’est logique aussi, du point de vue turc il faut absolument empêcher une grande coalition qui aurait besoin de soldats au sol, et les soldats au sol ce seraient les Kurdes. Et si on arme massivement les Kurdes qui pourront en finir avec l’État islamique, c’est très dangereux pour les Turcs qui pensent que ça va encourager le séparatisme kurde en Turquie. Du point de vue turc, c’est logique. Mais du point de vue de la lutte contre l’État islamique, la Turquie aujourd’hui est un problème. On peut même se poser la question de la pertinence de son maintien dans l’Alliance atlantique, ou carrément de la réforme ou de la suppression un jour de l’Alliance atlantique qui devra être remplacée par une structure adaptée au monde moderne, et pas à la guerre froide.

 Éric Brunet : Merci Alexandre del Valle, vous restez avec nous. Merci à vous cher Gaël, je vous souhaite une journée apaisée.

Gaël : Merci à vous Éric. À Bientôt.

Éric Brunet : À Bientôt, au revoir Gaël. Camille, il est bon le niveau de ceux qui nous appellent au 3216.

Camille Dahan : Ah oui. Je pense qu’on…

Éric Brunet : Tu sais ce qu’il fait comme métier, Gaël ?

Camille Dahan : Il est chauffeur-livreur, non si je ne me trompe pas ?

Éric Brunet : Il est chauffeur-livreur, Gaël. Il a 39 ans, il est dans le Var. T’as vu, voilà, le type, le niveau de documentation ?

Camille Dahan :  Ah y a du level.

Alexandre del Valle : Chapeau.

Éric Brunet : Ils appellent pas pour dire ouais, Poutine euh, y perd ses cheveux. Tu vois ? Tu vois le niveau de documentation de ceux qui nous appellent, tu vois l’apport, l’échange. Bah moi je trouve ça nourrissant, pardon. Et je le dis avec d’autant plus d’humilité que, vous l’avez compris, je suis loin d’être un spécialiste de cette question. Mais animer une émission ça n’est pas être un spécialiste, vous le savez bien. C’est recevoir des opinions et se construire la sienne. Bon, Camille.

Camille Dahan : Vladimir Poutine est notre meilleur ami pour vaincre Daech, c’est ce que pense Éric aujourd’hui. C’est ce que vous pensez aussi, vous qui votez sur le Brunetmétrie. Vous êtes pour l’instant 70 % à voter carrément d’accord. Je voudrais juste rappeler comment on fait pour voter. Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, vous allez sur rmc.fr et vous cliquez. Vous êtes soit carrément d’accord avec Éric soit pas d’accord. Pour Éric, Poutine est notre meilleur allié et notre meilleur ami pour vaincre Daech.

Éric Brunet : Et votez c’est gratuit, mesdames, messieurs. Dans un instant, faudra qu’on parle quand même du cas Obama. Parce que vous imaginez, vous êtes 70 % ah dire oui, le meilleur allié de la France c’est Poutine, c’est les Russes. Mais enfin, vous imaginez quelle inversion des choses, c’est un 180° dans la culture française. C’est considérable, c’est gigantesque ce que vous êtes en train de dire sur rmc.fr mesdames, messieurs. Avant vous auriez dit c’est Obama, c’est les États-Unis. Donc qu’est-ce qu’il s’est passé du côté américain, on en parlera avec Alexandre del Valle et puis également avec mon autre invité qui n’est pas sur la même ligne, qui s’appelle Viatcheslav Avioutskii qui est chercheur, d’origine franco-russe, et qui n’est pas un Poutinien. Voilà, il sera avec nous dans une seconde, à tout de suite.

Mesdames, Messieurs, vous votez. Considérez-vous que Poutine est notre meilleur ami, aujourd’hui, pour vaincre Daech ? Vous êtes 70 % à être plutôt sur cette ligne qui est aussi la mienne. Mais ça n’est probablement pas celle de mon invité Viatcheslav Avioutskii, bonjour.

Viatcheslav Avioutskii : Bonjour.

Éric Brunet : Vous êtes donc Franco-Russe et vous êtes chercheur surtout, c’est la raison de votre présence dans Carrément Brunet, sur RMC. Vous êtes chercheur associé à l’Institut français de géopolitique. Et je défendais l’idée, avant que vous interveniez, que finalement, la tragédie du 13 novembre en France, mais aussi la tragédie de ce charter russe qui s’est crashé dans le Sinaï égyptien, attentat revendiqué par l’État islamique, 224 morts, qui a eu un impact considérable en Russie, que ces deux événements étaient en quelque sorte nos 11 septembre à nous, Français, et aux Russes, et que désormais et bien il y a eu des petits clics. Les positions de Poutine et les positions de Hollande ont quelque peu évolué, et s’étaient quelque peu rapprochées. C’est pour ça que je défend l’idée, aujourd’hui, que les stratégies, les buts de guerre, sont proches, très proches entre les deux hommes et que finalement notre meilleur allié ça n’est plus Obama et c’est désormais Poutine. Voilà, je vous ai fait un résumé Viatcheslav Avioutskii.

Viatcheslav Avioutskii : Oui, probablement. Vous savez, en fait, dans la gestion de tout ce qui s’est passé après les attentats de Paris, je trouve quand même que le président Hollande est trop émotionnel. En fait il agit plutôt, il essaie de ré-élever plutôt les objectifs tactiques alors qu’il faut bien distinguer la tactique et la stratégie. C’est vrai que la Russie et la France ont été frappés d’une manière différente, mais voilà, les résultats sont horribles avec l’avion qui a été abattu, avec des civils innocents qui ont été massacrés à Paris, ça c’est vrai, mais il faut penser aux objectifs stratégiques. Est-ce que, comment dirai-je, l’alliance que prône le président Hollande, est-ce qu’il s’agit d’une alliance viable parce que quand même je rappelle que la France a des divergences stratégiques très très importantes avec la Russie dans le dossier syrien et il s’agit, bien entendu, de l’attitude envers le président Assad. Et normalement, en fait, ce type de rapprochement, moi je crois pas que ça va aboutir sur une alliance durable.

Éric Brunet : Mais alors pour vous, Viatcheslav, vous, vous considérez toujours que Poutine est infréquentable ?

Viatcheslav Avioutskii : Non non, je ne dis pas ça. En fait il faut mobiliser bien entendu tous les moyens possibles, mais de là à dire que Poutine peut mieux combattre le terrorisme que la France, moi je crois que la France, par exemple, a meilleure arme que Poutine, par exemple, plus précise, plus humaine parce qu’on essaie quand même d’épargner les civils alors que les bombardements russes sont quand même plus larges, et voilà, et il faut rappeler aussi…

Éric Brunet : Donc pour vous, Poutine, c’est un armement rustique ?

Viatcheslav Avioutskii : Non, je dis que c’est un armement un peu dépassé, et après le groupement est assez important. Je ne pense pas que Poutine connaît très très bien tout ce qu’il se passe en Syrie, en fait c’est une vision…

Éric Brunet : Mais alors Viatcheslav, j’imaginais en préparant cette émission que vous alliez plutôt, je vous percevais plutôt comme un anti-Poutine, et là vous êtes finalement en train de me dire tout va bien, bon allez, les armes sont peut-être pas… , les Français sont peut-être mieux configurés pour se battre que les Russes qui ont un armement moins sophistiqué mais c’est tout, finalement vous cautionnez cette alliance entre la France et la Russie que souhaiterait Hollande.

Viatcheslav Avioutskii : Ah non non, je ne dis pas ça.

Éric Brunet : Ah, il se réveille.

Viatcheslav Avioutskii : Je dis que c’est une alliance que le président Hollande prône, je ne pense pas que cette alliance est réalisable compte tenu tout le contexte, toute la situation. On peut penser qu’il y aura un rapprochement tactique, c’est-à-dire l’armée russe va réorienter les frappes, ce qu’ils ont déjà commencé à faire. De là à parler d’une alliance durable, ça va être une révolution stratégique, moi je ne pense pas qu’on est dans cette reconfiguration. Voilà, donc moi je pense…

Éric Brunet : Ah, ça y est. Il l’a dit quand même. Mais Viatcheslav, moi ma conviction, mais je ne suis pas un expert, c’est quand même que aujourd’hui les Français se rendent compte que les États-Unis, ce grand frère tout puissant, ce gendarme du monde qui nous tenait la main dans les moments difficiles de l’histoire, d’ailleurs formidables, il est un peu friable, il est peut-être un peu moins présent, il est peut-être un peu moins solide, il est peut-être un peu moins francophile d’ailleurs, disons-le, et que les Français voient en Poutine ce grand frère. Et je fais partie, moi, de ceux-là. J’ai le sentiment que, finalement, la Russie qui est géographiquement proche d’ailleurs de nous peut devenir l’allié durable de la France. C’est ça le débat d’aujourd’hui dans Carrément Brunet sur RMC, Viatcheslav.

Viatcheslav Avioutskii : Oui, mais avec tout le respect que je vous dois, en fait si je peux me permettre, je veux préciser un tout petit peu. Je pense que c’est le peuple russe qui peut être considéré comme un peuple frère, cadet ou grand frère, comme vous voulez. Par contre les dirigeants qui peuvent avoir des divergences très très importantes parce que, quand même, il ne faut pas oublier que Poutine, souvent, il était derrière certaines déclaration très anti-occidentales, qui n’étaient pas seulement anti-américaines mais aussi anti-européennes, anti-françaises, et globalement il considère l’OTAN dont on fait partie comme l’ennemi numéro un aujourd’hui de la Russie. Voilà, c’est le contexte.

Éric Brunet : Il a carrément dit que la frappe turque hier contre son Soukhoï, son avion de chasse qui a été abattu, avait été diligentée par l’OTAN dont fait partie la Turquie. Il a carrément dit ça. Restez avec nous, je rappelle, M. Avioutskii, que vous êtes chercheur à l’Institut français de géopolitique. Je me retourne vers del Valle. Alexandre, qu’est-ce qu’il se passe au niveau des États-Unis, qu’est-ce qu’il se passe ? Obama se contrefiche du sujet, c’est quoi, c’est la fin du mandat qui fait que finalement, ou simplement parce qu’il a eu le prix Nobel de la paix en 2009 et qu’il aime pas la guerre et qu’il a pas envie de se salir les mains dans le bourbier syrien ? Qu’est-ce qu’il se passe, pourquoi est-ce qu’il est moins présent qu’on aurait pu l’imaginer.

Alexandre del Valle : Oui, c’est un peu cela. N’oublions pas qu’il a été élu, quand même, sur un programme qui promettait un désengagement de l’Irak. Alors l’Amérique a eu tort, à mon avis de faire ces guerres en Irak, mais elle a eu également tort de partir d’un coup sans service après vente. Parce qu’on a laissé des Sunnites se faire massacrer par des Chiites revanchards, et on a donné beaucoup d’armes à des tribus sunnites qui ont rejoint Al-Qaïda puis ensuite l’État islamique. En gros, la responsabilité Américaine, par l’intervention comme par un départ non préparé, a permis l’éclosion de l’État islamique. Tout le monde le sait, même la libération d’al-Baghdadi par les Américains. Donc il y a une responsabilité terrible, ce désengagement a été absolument préjudiciable. Et sans le désengagement subit américain entre 2009 et 2011, l’État islamique aujourd’hui n’existerait pas. Il avait été anéanti, il existait déjà dans son ancien nom. Les Américains avec le surge, leur stratégie de Petraeus de mettre plus d’hommes et de retourner des tribus sunnites, on avait réussi à vaincre l’État islamique en Irak. Avec le retrait, tout cela n’a servi à rien, l’État islamique renaît de ses cendres donc la responsabilité d’Obama est écrasante. Autant Bush a eu tort d’intervenir, qu’Obama a eu tort de partir de manière rapide, sans préparation.

Éric Brunet : On dit que les cadres de l’État islamique, de Daech, sont des anciens cadres irakiens, de l’armée, des Sunnites qui étaient plutôt laïc d’ailleurs, qui étaient pas des religieux spécialement, et qui frustrés de voir le pouvoir confié aux Chiites par les Américains en Irak, et bien ont rejoint Daech puis se sont convertis probablement à un islam plus radical, et que ces hommes qui constituaient une armée redoutable sont aujourd’hui les cadres de Daech. Ce qui est pas rassurant d’ailleurs.

Alexandre del Valle : Non, c’est pas rassurant mais c’est ça la force de Daech. Pourquoi Daech arrive à administrer des territoires, à prélever des impôts, à payer des fonctionnaires, des veuves, des militaires ? Parce qu’effectivement, ils sont aujourd’hui composés de très nombreux cadres et militaires de l’ancien État irakien. De là à dire qu’ils sont des laïcs, moi je n’emploierai pas ce mot parce que le mot laïc en Orient n’a pas le même sens. Sécularisés, oui, beaucoup plus, ils soutenaient un régime sécularisé, mais n’oublions pas qu’ils s’étaient ré-islamisés à cause des Américains, d’ailleurs. Les bombardements Américains entre 1990, c’est quand même… , et 2003, enfin c’est deux guerres qui n’ont pas été interrompues parce qu’entre ces deux guerres il y a eu des bombardements réguliers, un embargo terrible. La population irakienne et même le régime irakien de Saddam Hussein avant d’être définitivement défait en 2003…

Éric Brunet : …s’était retourné vers le fait religieux.

Alexandre del Valle : …s’était ré-islamisé considérablement. Et d’ailleurs des salafistes avaient déjà été instrumentalisés par Saddam Hussein dans une logique un peu de chaos. Et donc tout cela ne vient pas de nulle part et aujourd’hui on a un monstre, en grande partie qui a été favorisé par la stupidité, l’incohérence de la stratégie américaine au Moyen-Orient.

Éric Brunet : Donc quand on aime le Moyen-Orient, on est obligé de dire pas de bol, il y a eu deux présidents des États-Unis médiocres sur la question du Moyen-Orient : Bush qui y est allé sans grande raison valable, et surtout, et également pardon, Obama qui en est parti précipitamment, qui a fait n’importe quoi et qui a suscité l’émergence et l’explosion de Daech.

Alexandre del Valle : Et surtout, c’est grave, il arme des rebelles, il arme des tribus sunnites pour les associer à un régime Irakien pour le futur, c’était intelligent, et tout à coup on les laisse tomber. Comment voulez-vous, c’est comme si votre maison brûle, vous demandez pas la couleur du pompier. Les Sunnites qui se sentent abandonnés par les Américains, qui sont tout à coup massacrés par les Chiites revanchards et bien ils ont vu un pompier qui s’appelait l’État islamique, nous on va vous secourir contre les Chiites. Ils ont massivement adhéré à l’État islamique alors que quand les Américains les aidaient et qu’ils étaient encore présents il étaient contre les djihadistes. Donc la responsabilité est absolument écrasante.

Et le chaos irakien a permis le chaos syrien puisqu’en Syrie il s’est passé la même chose : une branche soi-disant du Chiisme, les Alaouites persécutent des Sunnites, les Sunnites voient un pompier arriver qui s’appelle l’État islamique, qui arrive d’Irak, et, pareil, ils adhèrent massivement. En fait, l’État islamique il bénéficie de cadres compétents mais aussi de l’aval des populations. Il faudra une solution politique car il y a beaucoup de gens qui aiment Daech.

 Éric Brunet : Là encore, merci Alexandre del Valle car il est présenté à chaque fois, l’État islamique, comme un État oppresseur, chose qu’il est, comme un État oppresseur mais qui fait fonctionner ses populations à la schlag, et en tuant tout le monde, c’est un raccourci rapide.

Alexandre del Valle : Non.

Éric Brunet : Il doit y avoir également des adhésions de la part de familles sunnites…

Alexandre del Valle : Massives.

Éric Brunet : …de gens pauvres etc. qui aiment l’État islamique dans lequel ils vivent. Vous dites « massives, » des adhésions « massives ».

Alexandre del Valle : D’ailleurs la marque de fabrique, quand ils prennent des…

Éric Brunet : Voilà, attendez pardon mais deuxième contre-vérité qui est éreintée, brisée par Alexandre del Valle. La première, c’était que tous les mouvements d’opposition à Bachar étaient des mouvements vertueux, cette idée selon laquelle il y avait Daech, les méchants, mais que les autres étaient vertueux. Il nous a expliqué que les autres c’étaient souvent des mouvements avec des fanatiques religieux de fanatiques religieux. Et la deuxième chose, c’est cette idée que Daech tiendrait par la terreur. Et vous, vous dites non, dans l’État Daech, il y a des familles, des gens qui aiment sincèrement Daech.

Alexandre del Valle : Ou en tout cas qui pensent que Daech va les secourir contre des Alaouites ou des Chiites.

Éric Brunet : Les protéger.

Alexandre del Valle : Et les protéger. La marque de fabrique de Daech, d’ailleurs, quand ils prennent des territoires, ils font des accords avec les tribus qui gèrent ces territoires depuis des siècles et ils donnent le pouvoir de gestion local à ces tribus. C’est très intelligent parce que, du coup, ils ont l’aval des tribus et des populations qui ont une allégeance envers les chefs de ces tribus. Donc c’est ça, la marque de fabrique.

Éric Brunet : Philippe m’appelle du Rhône, il a 42 ans, il est commercial. Mon cher Philippe, bonjour.

Philippe : Oui, bonjour Éric. Très ravi de vous avoir au téléphone.

Éric Brunet : Moi aussi, je suis ravi mon cher Philippe. Il est bon, del Valle, hein ?

Philippe : Oui, bah il est très très bon, et puis je vous écoute depuis tout à l’heure là, c’est vrai que moi, ça me fait surtout penser à qu’est-ce qu’on a fait ces dernières années, quoi. Parce que, bon, c’est des conflits maintenant qui durent depuis trois ans, la Syrie. Je veux dire c’est pas nouveau. On parle d’État de Daech, je veux dire un État ça se fait pas du jour au lendemain, donc on a quand même laissé faire tout ça. Moi je pense qu’aujourd’hui nos politiques, entre guillemets, je rebondis un peu sur le sujet des Grandes Gueules ce matin, je veux dire, quelque part on a envie de leur mettre leur responsabilité devant eux. En disant mais qu’est-ce qu’ils ont fait ? On s’est mis les Russes à dos depuis trois, quatre ans aujourd’hui, on a refusé de leur vendre des navires, au niveau de la diplomatie, ça a été une catastrophe. Donc tout ça fait que je pense que depuis un an, et bien on paye les conséquences de cinq, six ans où on a trop laissé faire. On vivait dans le monde des Bisounours. On croyait en allant taper chez tout le monde en disant bien non on va faire la guerre là-bas, on va faire la guerre là-bas, mais craignez rien, nous, chez nous on craint rien. Et bien non, aujourd’hui, malheureusement, on s’aperçoit que, et bien, le coup est rude et malheureusement on est, moi je suis effondré par ce qui se passe en ce moment parce que c’était presque prévisible.

Éric Brunet : Prévisible ? Alexandre.

Alexandre del Valle : Bien sûr. Moi, déjà dans les années 1997, je disais qu’il fallait un rapprochement avec la Russie, et dans mon deuxième livre en l’an 2000 donc c’est quand même vieux, je disais qu’il fallait s’allier avec Poutine qui déjà proposait de bombarder l’Afghanistan. Avant le 11 septembre, Poutine disait aux Américains arrêtons les paradigmes de la guerre froide, créons une nouvelle alliance face au nouvel ennemi commun qui était déjà l’islamisme. Et les Américains avaient refusé de bombarder l’Afghanistan des talibans qui a quand même abrité ben Laden. Il a fallu le 11 septembre pour que l’Amérique se rende compte que les talibans étaient des gens dangereux. Mais un an avant, déjà, Poutine proposait une grande alliance. On l’a refusée. Ça fait 15 ans, on a perdu 15 ans. Plutôt que de regarder la Russie comme l’ennemi, parce qu’on a toujours des logiciels de guerre froide, et bien on aurait dû depuis très longtemps, depuis au moins 15 ans bâtir une nouvelle alliance, qui serait nouvelle, qui serait différente de l’OTAN, une alliance avec la Russie, ce que j’appelle le Panoccident. L’Occident élargi à une Russie amie, plutôt que de la considérer comme ennemie.

Éric Brunet : Bertrand. Merci, Philippe du Rhône. Bertrand m’appelle des Pyrénées-Atlantiques où il est enseignant, il a 53 ans. Bertrand, bonjour.

Bertrand : Oui M. Brunet, bonjour. J’écoute avec attention votre émission, j’ai un peu perdu le fil, néanmoins j’abonde dans la direction de M. del Valle effectivement.

Éric Brunet : Poutine est notre meilleur ami pour vaincre Daech, c’est ce que vous pensez ?

Bertrand : Oui, Poutine est notre meilleur ami parce qu’il faut faire une analyse correcte de la guerre en Syrie, d’accord. C’est une guerre du point de vue occidental qui se passe entre élites. La seule raison pour laquelle le gouvernement français est à la pointe de la diabolisation d’Assad, c’est le gas qatari. Il y a un couloir gazier entre le golfe persique et la méditerranée qui vaut des milliers de milliers de milliards de dollars. C’est la seule raison pour laquelle la France veut la tête de Bachar. Il n’y en a pas d’autre. Les autres, ce sont des moyens qu’on met en œuvre pour l’obtenir, cette tête, et rien d’autre. Le gaz qatari, malheureusement, il est dans le golfe persique, et en pointillé au milieu du golfe persique il y a une frontière avec l’Iran. En 2011, juste avant le soulèvement, la pseudo-révolution fabriquée par nous en Syrie, Assad a signé un contrat avec l’Iran et non pas avec le Qatar. Ça a été son signe de mort.

Et la meilleure preuve qu’on a de ça, c’est que vous vous souvenez que le 14 juillet 2008, notre président Sarkozy, il a invité M. Assad à Paris. Et, devant tout notre matériel militaire rutilant, il lui a glissé dans l’oreille ça serait sympa que vous nous donniez, enfin que vous nous louiez, un couloir pour nos copains du Qatar. Et pourquoi il dit ça ? Parce que si on achète du gaz au Qatar, ça diversifie nos approvisionnements par rapport à la Russie d’une part, et d’autre part le Qatar c’est juste un tas de sable, il n’y a rien à faire dessus. À part faire construire des immeubles qui servent à rien de 800m de haut, on ne peut rien faire au Qatar. Donc que fait le Qatar ? L’argent que nous lui donnons pour son gaz, il le réinvestit chez nous. Si jamais c’est l’Iran qui nous vend du gaz, ils ont 80 millions d’habitants qui n’aspirent qu’à développer leur pays, ça va être plus compliqué pour récupérer le pognon. Il faut aller le chercher en concurrence avec d’autres entreprises pour construire des infrastructures en Iran. Les Américains s’en foutent parce que que ce soit le Qatar ou l’Iran, de toute façon, une partie des échanges du gaz se fera en dollars, donc ils regardent ça.

Éric Brunet : Merci beaucoup Bertrand. Vous répondrez là-dessus dans une minute, Alexandre del Valle. D’accord, je vous ai vu prendre des notes. Merci, voilà, encore une fois une intervention assez documentée de Bertrand, je voudrais l’avis d’un expert dans une seconde. Bon il est 13h47, Camille, c’est simple aujourd’hui. Poutine est notre meilleur ami pour vaincre Daech, même si parfois ça nous amène vers des sujets un peu ramifiés, c’est notre axe aujourd’hui. Et que disent ceux qui votent ?

Camille Dahan : Et bien oui, vous dites oui. Vous dites oui, Poutine est notre meilleur ami. La Russie, notre meilleure alliée pour vaincre Daech, c’est ce que vous pensez à 82 % pour l’instant.

Éric Brunet : Et bien, ça monte. Merci, on se retrouve dans une petite seconde avec la réponse de del Valle à ce que nous a dit Bertrand à l’instant, des Pyrénées-Atlantiques.

Mesdames, Messieurs, pour moi, Poutine est notre meilleur ami pour vaincre Daech. Mon invité est Alexandre del Valle. Alexandre, tout à l’heure, Bertrand qui a fait le 3216, qui m’appelle des Pyrénées-Atlantiques me disait, bon, finalement on a inventé, créé cette guerre contre Bachar pour préserver nos intérêts en matière énergétique, quoi. Vous y croyez à cette guerre voulue par les occidentaux pour préserver les… ?

Alexandre del Valle : Franchement, je n’y crois pas plus que pour la Libye. C’était encore pire que ça. La Libye, c’était un agenda de politique intérieure, regrettable, bon ben c’est du passé. Et pour la Syrie, il y avait un affrontement Chiites-Sunnites qui recoupait un affrontement Occident-Russie, donc au moins deux échelons, puis un échelon local entre les différentes minorités. Et les pays comme le Qatar, l’Arabie saoudite, le Koweit sont les bailleurs de fonds des salafistes ou des mouvements islamistes comme les Frères musulmans, qui veulent depuis toujours comme leur objectif numéro un déstabiliser, détruire tous les régimes laïcs. L’objectif des islamistes, qu’ils soient djihadistes ou de gouvernement élu, ce sont tous des gens qui ont comme objectif liquider les apostats, les laïcs, tout ce qui est gouvernement séculier. Et donc ils ont profité des révolutions arabes qui ont permis à certains dictateurs anti-islamistes de perdre leur pouvoir. Ils en ont profité pour essayer de mettre à la place des mouvements islamistes soit radicaux salafistes financés par l’Arabie saoudite, soit Frères musulmans plus ou moins élus financés par le Qatar. C’est ça, la vraie raison.

Ensuite, qu’il y ait aussi une dimension gazière, à mon avis en second niveau. Par contre, ce qui est vrai, c’est que toute la stratégie de l’Occident et des pays pro-Atlantistes, c’est de se débarrasser du gaz et du pétrole russe pour qu’il y ait plus de gaz et de pétrole en provenance des pays musulmans arabes, ou Iran, ou turcophones aussi.

Éric Brunet : Pour diversifier les approvisionnements ?

Alexandre del Valle : Oui, parce qu’en fait plus l’Europe dépend de la Russie…

Éric Brunet : La France, il y a du gaz algérien, il y a du gaz russe, il y a du gaz néerlandais, il y a Groningue, enfin on a quand même un approvisionnement très varié du gaz.

Alexandre del Valle : Oui, mais certains pays européens sont tout à fait dépendants du pétrole et du gaz russes, tout à fait dépendants, et donc cela est très gênant pour les pays de l’OTAN qui essaient d’empêcher la Russie d’augmenter son approvisionnement envers… Et surtout il y avait des oléoducs et des gazoducs de Nord Stream et South Stream, des projets, le nord a réussi mais le South Stream a été empêché. En gros, pour être très simple, les Russes étaient en train d’augmenter, intensifier la construction d’oléoducs pour emporter le gaz et le pétrole vers l’ouest.

Éric Brunet : Alexandre del Valle, question. Si je vous dis que Daech, finalement, c’est l’Arabie saoudite en pauvre, vous êtes d’accord ? Parce que finalement le projet de société de Daech…

Alexandre del Valle : Mais tout à fait d’accord, tout à fait d’accord.

Éric Brunet : Ah.

Alexandre del Valle : Daech, qu’est-ce que c’est ? Quand on nous dit ça n’a rien à voir avec l’islam, j’aimerais le penser, ça me ferait plaisir, bien sûr. Cet islam éclairé on l’aime tous. Cet islam des lumières, il a existé à Bagdad avec les mu’tazilites, il a existé. Mais aujourd’hui, qui tient les lieux saints de l’islam ? Ce ne sont pas des Bisounours et des musulmans à l’eau de rose, ce sont des salafistes qui pratiquent la lapidation, qui favorisent le djihad, la haine envers les Juifs et les mécréants, la haine envers les païens, l’excision des femmes, tout ça, pratiquement tout ce que fait, y compris la crucifixion des apostats, tout ce que fait l’État islamique pratiquement est fondé sur des bases légales qui sont enseignées en Arabie saoudite, pays qui tient les lieux saints de l’islam. Donc nous dire que ça n’a rien à voir avec l’islam, en tout cas ça a à voir avec un islam orthodoxe qui tient les lieux saints de l’islam. Donc le problème, ce n’est pas uniquement l’islam de certains voyous ou de mauvais musulmans. La source du problème, c’est cet islam salafiste qui a souillé l’islam, qui a contaminé, qui a envoyé des métastases partout dans le monde musulman, ce salafisme qui a, à mon avis, défiguré le monde musulman.

Il faut savoir qu’il y a 80 ans, à l’époque d’Ataturk, le monde musulman était beaucoup plus laïc. Il y avait des forces laïques partout dans les pays musulmans, même en Afghanistan, au Pakistan. Aujourd’hui, les forces laïques ont été éradiquées absolument partout à part certains pays qui ont été influencés par le communisme ou la Tunisie. C’est une hécatombe. Les résultats de l’envoi de toutes ces métastases salafistes dans tout le monde musulman, jusqu’à l’Indonésie, même le Sénégal commence à avoir des militants salafistes qui viennent leur dire votre islam africain c’est pas le vrai, le vrai c’est celui de l’école hanbalite qui est à l’origine du salafisme. Tout cela, c’est le vrai problème. Donc tant qu’on n’aura pas réussi à isoler cet islam salafiste dans ses fondements doctrinaux, c’est ce qu’a dit Sissi, le président Sissi a fait un discours devant…

Éric Brunet : Fabuleux. Le maréchal al-Sissi, président égyptien, mon idole.

Alexandre del Valle : Extraordinaire.

Éric Brunet : Il est extraordinaire.

Alexandre del Valle : Il a fait un discours devant la grande université…

Éric Brunet : …en disant je suis croyant etc. je suis parfaitement croyant, je ne permets à personne de remettre en cause ma foi musulmane. Je suis pieux.

Alexandre del Valle : Il est très pieux. Sa femme est même voilée, c’est pas un musulman laïc.

Éric Brunet : Sa femme est voilée, mais après il a envoyé sur les salafistes.

Alexandre del Valle : Mais voilà, et il a dit à tous les grands imams d’al-Azhar, c’est la plus grande université islamique sunnite, il leur a dit vous êtes responsables si aujourd’hui l’islam est en guerre avec le reste du monde. Parce que votre théologie qui a sacralisé le djihad, l’infériorité des femmes, des esclaves et des infidèles, tout ça c’est écrit dans la charia noir sur blanc, dans la charia officielle. Tout cet islam-là qui n’est pas la foi, qui est de la doctrine, il dit de l’idéologie, fiqh. Il dit c’est pas le vrai islam, ça vous devez le réformer parce que ça c’est contingent. Par contre la foi musulmane, moi-même je suis croyant, il dit, c’est vous qui devez réformer cette partie politico-théocratique de la religion islamique.

Éric Brunet : Alors Elder est au téléphone avec moi. Il m’appelle des Yvelines, il a 22 ans, il a une question, Elder. Il n’y a plus beaucoup de temps alors je vous écoute, mon cher Elder, bonjour.

Elder : Oui, bonjour M. Brunet. Donc je suis ravi d’être dans votre émission. En fait, je me pose une question, c’est vraiment quelle est la position de Poutine dans ces enjeux-là, et celle d’Obama ? C’est à dire que les États-Unis qui ont été créés il y a environ 250 ans ont fait déjà plus de guerres que n’importe quel pays au monde, et nous ont bien sûr aidé. Mais la question que je me pose vraiment c’est qu’est-ce qu’il se passe vraiment dans ces politiciens, quels sont leurs buts, leur enjeu d’être en Syrie ? Que bombardent-ils réellement ? Est-ce qu’ils bombardent réellement Daech ? Moi je vois des vidéos sur internet, où on voit ce qu’il se passe en Syrie, des familles qui n’ont rien à voir et qui sont ensevelies par les bombes. C’est là que je me demande, que veulent réellement les États-Unis ?

Éric Brunet : Alors, on a compris Elder. Alexandre del Valle, comme on a peu de temps, les buts, les véritables buts de guerre d’Obama, les véritables buts de guerres, en quelques mots de Poutine ?

Alexandre del Valle : Moi, je crois que les États-Unis ont déstabilisé et détruit le régime Irakien de Saddam Hussein pour permettre l’émergence d’un Kurdistan et pour mieux contrôler un pays qui leur échappait après avoir été allié. Les résultats on les connaît, ça a été le chaos qui a permis le chaos syrien. Obama [il corrige ensuite par Poutine], lui, son intérêt, c’est défendre une base navale qu’il a en Syrie. La seule qu’il a en méditerranée. Et depuis 200 ans toute la phobie de tous les dirigeants russes, Soviets, Tsars, tout ce que vous voulez, ça a été l’accès aux mers chaudes.

Éric Brunet : Vous avez dit Obama, vous vouliez dire Poutine ?

Alexandre del Valle : Oui, pardon. Défendre la base de Tartous, en méditerranée. Toute la stratégie des Russes depuis 200 ans c’est d’essayer d’avoir un accès aux mers chaudes. Donc on ne peut pas dire que Poutine n’a pas un intérêt à préserver ce régime qui est le seul qui lui garantisse sa base.

Éric Brunet : Merci beaucoup. Quand je dis que dans 15 ans, il y aura des ambassades de Daech dans toutes les capitales occidentales, vous dites oui ou non ?

Alexandre del Valle : Ce n’est pas impossible. Beaucoup y pensent déjà parce que si cet État continue à être un État, si on n’arrive pas à l’éradiquer et s’il continue à grossir, et bien on aura des cyniques diplomates ou tout simplement réalistes qui dialogueront avec eux.

Éric Brunet : Merci à Alexandre del Valle. Camille, je voudrais s’il te plaît que tu me donnes le résultat final du Brunetmétrie. Aujourd’hui, je défend l’idée que Poutine est notre meilleur ami pour vaincre Daech. Il n’y a pas eu beaucoup d’opposition parce qu’Avioutskii, ce chercheur de l’Institut français de géopolitique qui en général plutôt très anti-Poutine était assez mesuré aujourd’hui. Je sais pas, c’est peut-être l’effet guerre. Camille.

Camille Dahan : Vous êtes finalement carrément d’accord. Carrément d’accord à 82 % maintenant, ça n’a cessé d’augmenter.

Éric Brunet : Voilà, et je rappelle que del Valle a publié Le chaos syrien, Printemps arabes et minorités face à l’islamisme. Merci beaucoup, dans quelques instants les infos.

Source: http://www.les-crises.fr/rmc-2511-la-russie-est-elle-le-meilleur-allie-de-la-france-pour-lutter-contre-lei/


Pourquoi l’Europe menace la Grèce d’une expulsion de Schengen, par Romaric Godin

Sunday 6 December 2015 at 02:15

Source : La TribuneRomaric Godin, 02/12/2015

Une distribution de nourriture à des réfugiés à la frontière entre la Grèce et l’ARYM (Crédits : Reuters)

Selon le Financial Times, la Grèce pourrait être exclue temporairement de la zone Schengen, en raison de son refus de coopérer pour le contrôle de ses frontières. Mais les raisons invoquées semblent peu justifiées.

Après avoir été menacée d’une expulsion de la zone euro cet été, la Grèce est cette fois menacée d’être expulsée de l’espace Schengen. Selon l’édition de ce mercredi 2 décembre du Financial Times, les institutions européennes menaceraient désormais clairement la Grèce « d’être suspendue » de l’espace de libre-circulation européen. Les ministres de l’Intérieur devraient agiter cette menace lors de leur réunion de jeudi, mais elle devrait être signifiée durant la semaine au gouvernement hellénique par le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, dont le pays exerce ce semestre la présidence tournante de l’UE.

Les raisons invoquées pour l’expulsion

Cette menace avait déjà été évoquée par le président de l’Eurogroupe, la réunion des ministres des Finances de la zone euro, le néerlandais Jeroen Dijsselbloem, fin novembre. En Allemagne, des dirigeants de la CDU d’Angela Merkel l’ont plusieurs fois évoquée, ainsi que des responsables d’Europe centrale comme Viktor Orban, le premier ministre hongrois. Cette fois, la menace semble concrète. Pourquoi ? Le FT évoque des « déficiences sérieuses » dans le contrôle de la frontière gréco-turque. Selon les accords de Schengen, les Etats qui disposent de frontières externes à la zone sont en charge de leurs protections. Mais le FT prétend aussi qu’Athènes refuserait « l’aide extérieure » pour protéger ses frontières.

Les trois raisons de la colère européenne seraient ainsi : le refus de la Grèce de participer à des « patrouilles conjointes » avec la Turquie pour protéger la frontière gréco-turque dans la mer Egée ; le refus d’accepter une mission de l’agence de protection des frontières Frontex et, enfin, les lenteurs de la Grèce à accepter « l’aide humanitaire » de l’UE concernant les réfugiés. Un récit se met donc en place pour justifier l’expulsion de la Grèce de la zone Schengen : la mauvaise volonté grecque. Un scénario qui n’est pas nouveau puisqu’il a été constamment utilisé au cours de la crise financière pour justifier la position la plus sévère à l’égard d’Athènes.

La question des patrouilles avec la Turquie

A y voir de plus près, la situation est bien plus complexe. Concernant les patrouilles avec la Turquie, la demande européenne est assez baroque. La Turquie n’est pas membre de l’UE, ni de la zone Schengen. Il est étonnant de demander à la Grèce de coopérer, pour protéger les frontières de l’espace Schengen, avec ce pays. D’autant qu’Ankara est aussi une part du problème puisque le pays semble incapable de maîtriser le mouvement des réfugiés depuis les frontières syriennes où se situent les principaux camps vers les côtes égéennes. Soit au mieux près de 1.200 kilomètres. Angela Merkel l’a, du reste, bien compris puisqu’elle s’est empressée de se rendre à Istanbul début novembre pour proposer 3 milliards d’euros à la Turquie et la relance du processus d’adhésion à l’UE de ce pays. Son but est clairement qu’Ankara contienne le flux des réfugiés. Cette stratégie a été validée par l’UE ce week-end.

Pour la Grèce, tout ceci est problématique. Les relations entre les deux pays demeurent délicates. Outre la question chypriote qui est en cours avancé de négociations, la Turquie ne reconnaît pas l’intégralité des frontières maritimes grecques et n’a jamais caché ses vues sur certaines îles de l’Egée. L’espace aérien grec est quotidiennement violé par l’aviation turque et les deux pays ont été plusieurs fois au bord du conflit ouvert. Ce fut notamment le cas au milieu des années 1990. La mise en place de patrouilles communes est donc très difficile. Ceci revient à demander la mise en place de patrouilles franco-allemandes en Alsace au début du 20ème siècle.

A cela s’ajoute que la nouvelle politique turque de l’UE prônée par Angela Merkel a de quoi inquiéter Athènes. La Turquie a en effet obtenu beaucoup sans s’engager ouvertement dans sa politique vis-à-vis des réfugiés. Quelles pourraient être les nouvelles demandes d’Ankara ? La Turquie a-t-elle réellement intérêt à bloquer le flux des réfugiés dans l’Egée ? L’UE n’a pas réclamé la reconnaissance des frontières grecques comme conditions à son aide et à la poursuite du processus d’adhésion. Athènes craint légitimement d’être le dindon d’une farce qui se joue entre Berlin et Ankara. Elle a des raisons de le craindre : l’UE et l’OTAN n’ont jamais réellement agi pour régler les différends gréco-turcs.

Le refus des missions de Frontex

Vient ensuite le problème de Frontex qui souhaite le déploiement d’une mission de 400 agents à la frontière avec l’Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM). Le but de cette mission est de contenir les réfugiés souhaitant traverser la frontière pour rejoindre l’Autriche et l’Allemagne. Mais cette frontière n’est pas une frontière interne à Schengen, c’est une frontière extérieure à l’espace de libre-circulation. En théorie, donc, le contrôle doit en revenir soit à l’ARYM, soit aux pays de la zone Schengen qui recevront ensuite les réfugiés. Le problème, c’est que ces pays, comme la Hongrie ou la Slovénie et, plus au nord, l’Allemagne, ont fermé ou régulé leurs frontières. Les réfugiés se massent donc dans les pays en amont : Croatie, Serbie, ARYM… et Grèce. Autrement dit, le problème de la frontière entre la Grèce et l’ARYM est un problème lié à la suspension de Schengen par les pays d’Europe centrale. En théorie, Frontex doit protéger les frontières des entrées illégales, pas des sorties illégales… Demander à la Grèce de contenir le flux de réfugiés à cette frontière revient, en réalité, à vouloir attribuer à la Grèce la responsabilité de l’accueil de l’essentiel des réfugiés. C’est pourtant en partie ce que fait la Grèce puisque l’on a signalé ces derniers jours des émeutes de réfugiés protestant contre leur blocage à la frontière de l’ARYM.

La “mauvaise volonté grecque” ?

Vient ensuite le troisième problème : la Grèce aurait refusé « l’aide » de l’Union européenne. En cause, des retards administratifs qui auraient retardé le versement de 30 millions d’euros par la Commission européenne. La Grèce n’aurait pas été en mesure d’organiser le redéploiement des réfugiés en raison, là aussi, de problèmes administratifs liés à l’enregistrement des réfugiés. 159 réfugiés seulement ont été redéployés, sur les 160.000 prévus. En réalité, ces éléments ressemblent surtout à de bonnes excuses. On voit mal pourquoi la Grèce, qui est débordée par les réfugiés, et que l’on accuse précisément de vouloir faire partir les réfugiés par la frontière de l’ARYM, bloquerait volontairement les départs de réfugiés. En revanche, plusieurs pays, notamment ceux d’Europe centrale, refusent toujours les quotas fixés par l’UE. La Slovaquie a annoncé ce jeudi qu’elle porterait plainte devant la Cour de Justice de l’UE contre ces quotas et la Pologne a pris prétexte des attentats de Paris pour geler l’accueil des réfugiés. Le problème le plus urgent est donc davantage ici. Mais nul ne songe à chasser la Slovaquie ou la Pologne de l’espace Schengen pour leur mauvaise volonté.

Un refus de « l’aide européenne » ?

Concernant l’aide humanitaire, il est assez étrange de voir l’UE blâmer la Grèce sur ce point. En mars, la zone euro avait tout fait pour empêcher l’exécution d’une loi sur l’urgence humanitaire, jugeant que telles mesures étaient incompatibles avec le « programme » de la Grèce. Les créanciers de la Grèce font tout depuis 5 ans pour réduire les dépenses publiques grecques et les moyens de l’Etat grec et tente néanmoins à présent de se présenter comme les « sauveurs » des réfugiés. Mais les 30 millions d’euros promis sont une goutte d’eau. Rappelons que l’Allemagne a débloqué pas moins de 10 milliards d’euros pour l’accueil de « ses » réfugiés et que l’UE a libéré 3 milliards d’euros pour la Turquie. Par ailleurs, les dysfonctionnements administratifs de la Grèce ne tombent pas du ciel. La politique de coupes franches pratiquées depuis 2010 a réduit le nombre de fonctionnaires d’un tiers et a affaibli un Etat déjà faible. Il ne faut pas s’étonner à présent que la Grèce ne puisse faire face au défi de l’arrivée de 730.000 réfugiés, rien que cette année.

Les 30 millions d’euros de l’UE sont une goutte d’eau dans un pays exsangue à qui l’on demande de faire encore des « efforts. » Le ministère de l’Intérieur grec, par exemple, a connu une baisse de 200 millions d’euros de son budget en deux ans. Celui de la santé, d’un milliard d’euros. Qui s’étonnera alors que la situation sur l’île de Lesbos soit effrayante ? Là encore, l’UE feint de ne pas voir l’essentiel : qu’elle ne peut espérer que la Grèce serve de lieu d’accueil pour les réfugiés et maîtrise ses frontières tout en exigeant qu’elle « s’ajuste financièrement » pour pouvoir rembourser ses créanciers. C’est une réalité simple qui semble pourtant échapper aux dirigeants européens, qui, en réalité, mènent surtout un jeu de politique intérieure.

Lire la suite sur  : La Tribune, (Romaric Godin, 02/12/2015)

Source: http://www.les-crises.fr/pourquoi-leurope-menace-la-grece-dune-expulsion-de-schengen-par-romaric-godin/


Revue de presse internationale du 06/12/2015

Sunday 6 December 2015 at 01:10

Avec en particulier une interview de l’ancien otage français Nicolas Hénin sur la guerre en Syrie que nos génies va-t-en guerre testostéronés apprécieront particulièrement, et comme cela devient une bonne habitude, quelques articles traduits. Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-06122015/


“On a affaire à des radicaux qui trouvent dans l’islam une manière de mettre en scène leur radicalité”, par Olivier Roy

Saturday 5 December 2015 at 04:58

Source : RTS, Olivier Roy, 27-11-2015

Olivier Roy

Pour écouter l’emission : Tout un monde,

Éric Guevara-Frey.

Bonjour, Olivier Roy, invité exceptionnel. Le politologue spécialiste de l’islam donne peu d’interviews mais il est dans Tout un monde ce matin. Craint-il le totalitarisme islamique comme d’autres intellectuels ? Qui a la clé dans la lutte contre le groupe État islamique ? On prend le temps d’y réfléchir avec notre invité.

Ça fait plus de 40 ans qu’il ausculte l’évolution de l’islam politique. De l’Afghanistan à l’Iran, en passant par l’Asie centrale et le Moyen-Orient, Olivier Roy a rencontré sur le terrain les acteurs, les combattants, les populations locales. Il est l’un des plus fins analystes du djihadisme et des causes du radicalisme islamique. Ses récentes tribunes dans le New York Times et Le Monde, publiées après les attentats de Paris, ont été très remarquées.

Aujourd’hui, il accorde un entretien à Tout un monde. Patrick Chaboudez l’a rencontré à Florence, où il est professeur à l’Institut universitaire européen. Il lui a d’abord soumis les paroles du président François Hollande : « la France est en guerre contre Daech. » De quelle « guerre » parle-t-on exactement alors que les attentats ont été commis par des jeunes Français radicalisés ? Réponse Olivier Roy.

Olivier Roy : Il y a eu deux choses dans les attentats de Paris. Il y a eu bien sûr une commande faite par Daech pour attaquer la France, mais Daech n’a pas eu à envoyer des troupes de Syrie. Elle a tout simplement recruté dans un réservoir de jeunes radicalisés qui, eux, sont français ou belges ou en tout cas européens. Et donc le problème, c’est est-ce que la guerre contre Daech mettra fin à la radicalisation de ces jeunes ? Ma réponse est simple : non. Parce que ça fait 20 ans qu’on a une vague de radicalisation chez les jeunes, d’ailleurs pas tous forcément d’origine musulmane puisqu’on a une proportion extrêmement importante de convertis. Donc le problème, c’est comment est-ce qu’on traite cette radicalisation, et quel est le lien entre cette radicalisation et les événements du Moyen-Orient.

 Patrick Chaboudez : Quel est le portrait, justement, de ces jeunes radicalisés intérieurs, donc français ou belges ?

Olivier Roy : Alors d’abord il y a deux catégories, il y a les seconde génération, c’est-à-dire des gens dont les parents musulmans ont immigré, en général du Maghreb, il y a très peu de Turcs parmi eux. Et puis vous avez des convertis dont le nombre va croissant, d’ailleurs, et qui en France représentent au moins 25 %, et chez les nouveaux sympathisants, paraît-il, ça monte maintenant à 35-40 %. Ce ne sont pas des jeunes qui ont eu une formation religieuse, aucun n’a mené une vie de piété, bien au contraire. Ce sont des jeunes qui sont complètement investis dans la culture jeune d’aujourd’hui : boîtes de nuit, alcool, filles, drogues, etc. Et une partie significative d’entre eux sont des petits délinquants. Quand ils passent à l’islam, c’est extrêmement rapidement. On a effectivement un point de rupture à un moment donné où le jeune fêtard se laisse pousser la barbe, parle de l’islam etc. Et très rapidement, souvent juste quelques semaines ou quelques mois, il passe à l’action violente. C’est ça, le schéma-type.

Donc on n’a pas du tout, si vous voulez, affaire à la radicalisation d’une partie de la communauté musulmane pour des raisons religieuses, qui ensuite se traduirait par des actes violents, mais on a le passage à l’action violente de jeunes qui sont en marge, et de la société française ou belge, et de la communauté musulmane, et qui connaissent un brusque processus de rupture et, je dirais, de volonté de s’affirmer comme des héros. Mais des héros négatifs bien sûr, des héros qui défient la société. Ce sont donc des gens qui vivent sur une profonde frustration personnelle, ça c’est très très clair. Et en passant à la violence, ils passent de perdants à vainqueurs. Il y a une revanche. Alors, revanche contre quoi, ça c’est une autre question. C’est pas forcément contre les conditions socio-économiques.

Patrick Chaboudez : Souvent c’est ce qu’on entend, c’est que finalement ce sont les conditions économiques, culturelles, l’exclusion en quelque sorte, qui serait le terreau de cette radicalisation.

Olivier Roy : Sauf que beaucoup d’entre eux ne sont pas du tout des exclus. Ils ont des commerces, ils ont des jobs donc on voit bien que la fascination pour le djihad, c’est pas juste une réaction à une situation difficile sur le plan social, économique et culturel. Si c’étaient le racisme et l’exclusion sociale qui poussaient vers le djihadisme on aurait des dizaines de milliers de djihadistes, au lieu des quelques centaines qu’on a aujourd’hui.

Patrick Chaboudez : Donc en fait c’est la radicalité qui les intéresse plus que l’islam dont ils ne connaissent, finalement, pas grand-chose.

 Olivier Roy : Ce sont des radicaux qui trouvent dans l’islam une manière de mettre en scène leur radicalité. Et là je me positionne, disons, transversalement. Regardons ce qu’il se passe à côté d’eux, pas dans la généalogie de l’islam, que dit le Coran etc., mais dans les comportements de jeunes occidentaux aujourd’hui. On a ces phénomènes de violences radicales. Je veux dire, le tireur qui va aux États-Unis à Memphis dans une salle de cinéma et qui tire à la Kalachnikov sur la foule, quelle différence, j’aillais dire structurelle, y a-t-il avec le tireur de Paris qui tire sur une terrasse de café ? La différence, c’est la manière dont ils expriment, dont ils racontent leur acte. Mais dans la pratique de leur acte, c’est la même chose, de même que Breivik en Norvège. Tous les témoins, d’ailleurs, soulignent le calme absolu de ces tireurs.

Patrick Chaboudez : Vous faites la comparaison contemporaine avec d’autres phénomènes actuels. On pourrait faire la comparaison, ou peut-on la faire ?, avec les années 70 où il y avait des mouvements, on l’a connu en Europe, les Brigades rouges, la Fraction armée rouge.

 Olivier Roy : Il y a beaucoup de points communs. Un, c’est la rupture générationnelle. Tous ces mouvements sont des mouvements de jeunes. Ça n’est pas une communauté, que ça soit le prolétariat, ou les musulmans qui se révoltent, ce sont des jeunes qui se révoltent au nom d’une communauté qu’ils ne connaissent pas. La bande à Baader, c’était au nom du prolétariat universel mais aucun d’entre eux ne travaillait en usine, aucun d’entre eux n’était lié aux syndicats locaux. Les jeunes radicaux islamiques d’aujourd’hui, c’est au nom de la oumma, la communauté musulmane universelle, mais aucun n’est inséré dans une communauté concrète, dans une « paroisse » si je peux dire, musulmane.

Ce sont des jeunes qui sont en révolte contre ce que leurs parents représentent, et ça je crois que c’est très très important. L’argument de la bande à Baader c’était le silence de la génération de leurs parents par rapport au nazisme. Et les révoltés s’emparaient donc d’une espèce de grand récit d’héroïsme contre le nazisme, le fascisme, le capitalisme, tout ce que vous voulez. Quand on regarde les jeunes radicaux islamistes, on a exactement le même phénomène. Ils reprochent à leurs parents de ne pas leur avoir transmis le « bon » islam. Ils reprochent à leur parents de s’être occidentalisés, d’avoir accepté une vie de déclassés, de ne pas se révolter, en un mot. Ils estiment, et ça c’est très important, c’est la même chose que dans l’ultragauche des années 60, que personne n’est neutre, qu’il n’y a pas d’innocent. Que, en gros, tous ceux qui ne sont pas avec les révoltés assurent la permanence du système honni, du système qu’on veut abattre. Donc on peut tirer dans le tas. Et puis on se bat au nom d’une grande cause universelle, la Révolution avec un grand R dans les années 70, et le djihad aujourd’hui. C’est une lutte violente, globale, internationale, mais imaginaire. C’est-à-dire qu’on peut passer du jour au lendemain de la Bolivie à la Palestine à l’époque de Baader, et aujourd’hui de la Tchétchénie à l’Afghanistan en passant par la Syrie.

Patrick Chaboudez : Donc il y a un côté incantatoire, d’une certaine façon.

Olivier Roy : Oui. Ils vivent dans un mythe. Ce ne sont pas des militants politiques qui voudraient créer une nouvelle société. Ils ne croient pas, dans le fond, à la réalisation de leur utopie. Prenez en Syrie, par exemple, les jeunes djihadistes qui vont en Syrie, ils ne se mêlent pas du tout à la population locale. Ils se battent et ils meurent. Et ces jeunes sont donc dans une situation, j’allais dire, à la fois utopiste et suicidaire parce qu’ils savent que l’utopie ne marchera pas, ou ça ne les intéresse pas. Donc dans le fond ils sont dans une logique de la mort, de la mort pour les autres, bien sûr, mais de leur propre mort aussi. C’est un mouvement profondément nihiliste.

Patrick Chaboudez : Du coup, j’imagine, c’est très difficile de tenter de dé-radicaliser ces jeunes, jeunes nihilistes coupés de tout. Est-ce que c’est possible, est-ce qu’on peut l’envisager, comment le faire ?

Olivier Roy : Ils ne deviennent pas radicaux parce qu’on leur enseignait l’islam radical, ils vont chercher l’islam radical parce qu’ils veulent du radical. Donc leur offrir un islam Bisounours, gentil, bien élevé, modéré, c’est absurde. C’est comme si on décidait que pour dé-radicaliser l’extrême gauche, il faut leur donner des cours de libéralisme économique. C’est absurde. Par contre, ces jeunes se réclament d’un grand récit du djihad, de l’islam des origines, etc. Et là on peut agir en cassant ce grand récit. Pour ça, il faut qu’effectivement un islam, disons normal, banal, soit visible, qu’ils n’occupent pas un vide. Et donc au lieu de mobiliser les autorités musulmanes pour lutter contre le radicalisme, ce qui ne peut pas marcher, il faut au contraire, justement, laisser les musulmans centristes, si je peux dire, s’exprimer comme musulmans. Il faut occuper la spiritualité. Il faut occuper l’espace religieux. Et ça contribuera à la marginalisation de ces jeunes-là et surtout encore une fois à la destruction de l’image qu’ils se construisent de héros, que l’on renforce en faisant d’eux l’avant-garde de je ne sais quelle vague d’islamisation.

Eric Guevara-Frey : Olivier Roy en entretien exceptionnel dans Tout un monde. Autre perspective, celle de Boualem Sansal que nous recevions mardi dans cette émission. L’écrivain algérien s’inquiétait de la menace croissante, selon lui, d’un totalitarisme islamique.

Boualem Sansal : J’observe depuis une trentaine d’années une évolution rapide, galopante de l’islamisme qui, évidemment, a commencé dans les pays musulmans un peu à la marge, et puis ensuite il s’est emparé des centres urbains, puis il est passé dans les pays voisins et ainsi de suite. Et voilà qu’il prend pied en Occident, dans des banlieues, et puis le voilà maintenant apparaissant au plein jour, convertissant de plus en plus de monde et jouant magnifiquement de tous les instruments à sa disposition : la terreur mais aussi la communication, la politique, la technologie, la finance, l’art militaire. Il dispose d’une énergie colossale, il avance et, pendant ce temps, partout dans le monde nous reculons face à lui.

Eric Guevara-Frey : L’« énergie colossale » de l’islamisme face auquel le monde recule, dit Boualem Sansal. Réplique d’Olivier Roy.

 Olivier Roy : C’est une vision panoramique et paranoïaque, si je peux dire. Il n’y a pas de grande vague d’islamisation. Prenez la Tunisie par exemple. Il y a eu un moment paroxystique qui a été le Printemps arabe, et puis quand on a laissé le jeu de la démocratie fonctionner normalement on a eu un reflux de l’islamisme politique. Un, parce qu’Ennahdha a perdu les élections, mais deux, parce qu’Ennahdha s’est complètement modéré, et on a maintenant un gouvernement de coalition tout ce qu’il y a de plus séculier, si je peux dire, entre Ennahdha et les autres partis. Alors, bien sûr, cette normalisation de l’islamisme politique traditionnel, celui des Frères musulmans, se paye par l’apparition d’une marge de radicaux qui refusent le compromis, qui commettent des actes terroristes en Tunisie. Donc je dirai, moi, que c’est, au contraire, la normalisation de l’islam qui entraîne une réaction violente de réaction contre cette normalisation de la part de jeunes marginaux.

Je ne crois pas à l’extension énorme du salafisme. Le salafisme occupe un vide, à la fois vide territorial, le fait que dans certains endroits il n’y a rien, l’État n’est pas là, l’islam majoritaire, l’islam culturel, n’est pas là, et puis un vide dans la tête, c’est-à-dire, de gens qui sont déculturés. Je crois que le problème, c’est la crise des islams culturels. Il faut qu’il y ait un islam qui se re-culture, qui se ré-enracine dans l’Europe où il est, et ça c’est le travail des deuxième et troisième générations. C’est pour ça qu’il y a très peu de troisième génération dans les radicaux. Ils parlent français, ou allemand, ou flamand avec leurs parents, ils inventent des pratiques de l’islam compatibles, Euro-compatibles. Et ça, on ne veut pas le voir parce que c’est gens-là sont très individualistes, et puis ils sont de plus en plus classes moyennes, alors qu’on se concentre sur les banlieues déclassées. Évidemment les banlieues déclassées, la situation n’est pas bonne parce que ce qu’on ne voit pas, c’est que ceux qui réussissent quittent le quartier déclassé. Ils vont ailleurs, deviennent médecins, avocats, professeurs, etc. Et ceux-là, un, on ne les voit pas, et deux, on les rend responsables de la radicalisation des autres, donc là on est dans une perspective complètement contradictoire.

 Patrick Chaboudez : « On ne les vois pas, » vous dites, et le risque précisément, maintenant, peut-être, c’est que justement cette petite minorité agissante, radicale, occulte encore d’avantage cette communauté majoritaire, largement majoritaire, et que finalement cet amalgame renforce l’islamophobie en France, en Europe. C’est quelque chose que vous craignez ?

Olivier Roy : Bien, en disant que ces jeunes radicaux, dans le fond, représentent une tradition centrale dans l’islam, celle du djihad etc., on fait d’eux l’avant-garde de l’islam. C’est exactement la propagande de Daech, c’est de dire, nous, représentants de l’islam, les autres sont des traîtres.

 Patrick Chaboudez : Comment expliquer que ce discours fonctionne relativement bien, que pas mal d’intellectuels occidentaux l’entendent, et réagissent à ce discours-là.

 Olivier Roy : Parce qu’on est aujourd’hui dans une vision complètement culturaliste. Huntington a gagné. Donc on a l’idée qu’une culture c’est une religion, et que même les pas-croyants continuent à avoir dans leur tête le logiciel religieux, un petit Coran sécularisé qui fonctionne dans leur cerveau et qui détermine leur comportement par rapport aux politiques, à la société, etc. Ce qu’on ne voit pas c’est que ce qu’il s’est passé, c’est exactement le contraire. C’est la déculturation du religieux. Les fondamentalismes sont les expressions d’une crise de la culture, et en particulier de la culture religieuse. Et donc tous les fondamentalismes, pas seulement musulman, réinventent la religion comme une norme, une norme absolue coupée de toute réelle pratique sociale, coupée de toute histoire, de toute historicité et de toute culture. D’où la violence. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a un tel décalage avec la vie en général qu’on ne peut être que violent. Que ça soit le converti ou le bornagain, celui qui a fait un retour à la religion. Il est forcément en rupture avec la société dominante. Et je crois que ces moments de rupture sont des conséquences, effectivement, d’une crise de la culture. Et l’immigration renforce la crise de la culture, par définition, mais aussi la globalisation.

Donc le problème, c’est de reconnecter le religieux au culturel. Mais c’est en train de se faire. Je veux dire, on voit, par exemple, maintenant, à Paris des dizaines de restaurants halal, chics, où il n’y a pas de couscous, où on vous fait du bœuf bourguignon halal, des soufflés halal, etc. On voit par exemple comment, effectivement, dans certains quartiers la période du ramadan n’est pas seulement la période du jeûne, que c’est aussi la période de festivités où participent des non-musulmans. Parce que dans beaucoup de quartiers, dans le fond, il y a une crise de la vie sociale, du lien social. Et on voit ce lien social se reconstruire avec une tentative d’intégrer, justement, les fêtes. Alors, encore une fois, pas le jeûne, les non-musulmans mangent dans la journée. Mais le soir ils vont aller faire la fête, et là on a la recréation d’un lien social. Toute la question est là, c’est celle du lien social.

 Eric Guevara-Frey : [Nous sommes de retour] pour la troisième et dernière partie de l’entretien avec Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. Nous voulions lui demander son analyse sur la façon de combattre le groupe État islamique sur le terrain. Écoutez d’abord ce que disait le photographe Reza, que nous avons joint jeudi dernier, alors qu’il se trouvait dans la ville de Sinjar dans le Kurdistan irakien, ville qui venait d’être libérée par les combattants kurdes.

Reza : Pour eux, c’est dire que nous avons tenu, malgré tout, malgré les problèmes pendant deux ans. On vous a prévenu, c’est pas qu’on n’a pas crié dans toute la presse, et partout, en disant attendez, il faut aider les kurdes, il faut aider les kurdes contre Daech et même pour la région. Imaginez que nous sommes dans une partie du Moyen-Orient avec une forme d’islam très modérée, démocratique, presque laïque. Imaginez que, comme vous avez vu, les femmes combattantes se battent sans foulard à côté des gens, ici, donc il y a une vraie démocratie chez ce peuple. C’est un peuple qui peut éventuellement avoir la clé de la réussite pour un Moyen-Orient meilleur et démocratique.

Eric Guevara-Frey : Les peshmergas sont-ils effectivement l’exemple, la « clé de la réussite » ? Analyse Olivier Roy.

 Olivier Roy : Les peshmergas sont un bon exemple dans le sens où ils résistent à Daech et où ils n’ont pas d’autre objectif que d’assurer leur autonomie, voire leur indépendance, ce qui est une revendication j’allais dire légitime. Ceci dit, il ne faut pas non plus trop idéaliser. Le PKK n’est pas un parti démocratique, c’est un parti plutôt stalinien, et les deux régions du Kurdistan autonome irakien ne connaissent pas véritablement un système démocratique. D’autre part, il y a parfois tendance chez les Kurdes à expulser des populations arabes, en pensant au fait qu’ils ont été expulsés eux-mêmes autrefois etc. Donc il faut surtout éviter de se trouver des nouveaux héros par rapport au diable. Mais effectivement, les Kurdes font partie des l’équation contre Daech mais ils ne sont pas la solution pour vaincre Daech.

Patrick Chaboudez : Ce qui frappe d’ailleurs dans cette situation-là, c’est que tous les acteurs régionaux sont pour le moins ambivalents face à Daech. Qu’on pense à la Turquie, qu’on pense évidemment à la Syrie de Bachar, qu’on pense à l’Arabie saoudite, personne, finalement, n’est prêt à lutter jusqu’au bout et avec détermination contre Daech. Grosse ambiguïté tout de même.

Olivier Roy : Tous les acteurs locaux ont un ennemi plus important que Daech. Pour les Turcs c’est les Kurdes, pour les Kurdes c’est les Arabes en général, pour Bachar el-Assad c’est l’opposition non-Daech qui le menace vraiment, pour les Iraniens c’est les Saoudiens et pour les Saoudiens c’est les Iraniens. Alors tant qu’on sera dans cette configuration-là, aucun des acteurs régionaux ne sera prêt à reprendre le terrain à Daech baïonnette au canon. Or, les Occidentaux, en tout cas les Américains, ont décidé de ne pas envoyer de troupe au sol. Ils sont prêts à appuyer des acteurs locaux au sol par des bombardements aériens, mais les Américains n’enverront pas 100 000 hommes. Voilà. Donc ça ne sert à rien de déclarer la guerre à Daech. Soit on travaille d’abord à constituer d’abord une coalition politique qui ensuite pourrait se transformer en coalition militaire, mais annoncer qu’on va éradiquer Daech c’est de la fanfaronnade.

Patrick Chaboudez : Mais est-ce à dire qu’il faut alors se résoudre à accepter que Daech puisse instaurer une sorte de califat dans cette région-là, ou bien Daech est quand même condamnée, à terme, à disparaître ?

Olivier Roy : Le projet de Daech est contradictoire parce qu’ils ont une base locale qui sont les Arabes sunnites écœurés d’avoir perdu le pouvoir, tout simplement, particulièrement à cause de l’intervention militaire Américaine de 2003 en Irak. Donc ils occupent la zone qui est tenue aujourd’hui par Daech, c’est logique. Mais le projet de Daech n’est pas de créer un État arabe sunnite, parce que, ça, ça serait négociable. De créer de même un Kurdistan, un État arabe sunnite, un État irakien chiite, un réduit alaouite, c’est-à-dire recomposer le Moyen-Orient comme on l’a recomposé dans les années 20 après la chute de l’empire ottoman, c’est intellectuellement pensable. Difficilement réalisable, mais enfin, bon, on peut négocier. Tandis que le projet de Daech n’est pas là. Le projet de Daech, c’est un califat en expansion permanente. Donc on part de Falloujah et Raqqa, mais on contient l’ensemble de la Syrie, l’ensemble de l’Irak et on rêve de recréer le califat du Ier siècle de l’islam, du Maroc jusqu’à l’Indus. Et là, évidemment, c’est un projet qui est non négociable. Donc tant qu’ils n’auront pas renoncé à ça, il n’y a rien à négocier. Et pour le moment ils ne renoncent pas, c’est même, au contraire, pour ça qu’ils se lancent dans la globalisation par le terrorisme.

Patrick Chaboudez : Mais justement, cette « globalisation par le terrorisme » : Ankara, Paris, Beyrouth, c’est quoi, c’est un aveu de faiblesse, d’une certaine façon, de Daech ?

Olivier Roy : Oui, c’est parce qu’ils sont bloqués sur le terrain. Donc ils attaquent sur les arrières, et ils attaquent en privilégiant bien sûr ceux qui font partie de la coalition qui les bombarde ou qui les combat sur le terrain. S’ils pouvaient ils attaqueraient l’Amérique, s’ils pouvaient ils attaqueraient l’Iran. Ils n’ont pas les moyens de le faire, en tout cas pour le moment. Mais ils ont atteint leurs limites sur le terrain.

Et il y a une autre contradiction chez eux, enfin qui est une conséquence de cette contradiction entre le global et le local, c’est que leurs fers de lance sont un corps d’internationalistes, de 15 000, autour de 15 000 combattants internationalistes qui, eux, ne font que se battre. Ces Brigades internationales sont en complet décalage avec la population locale. La population locale, elle est arabe, elle a sa culture, elle a ses coutumes en particulier ses coutumes matrimoniales et ils n’ont évidemment aucune envie de donner leurs filles à des jeunes venus de la banlieue de Lyon, par exemple. Or Daech veut implanter ces jeunes. Daech veut que les Brigades internationales, finalement, s’enracinent sur ce territoire-là. Donc ça crée inévitablement des tensions avec la population locale. Et puis la population locale, très probablement, serait preneuse d’une territorialisation, c’est-à-dire de créer, effectivement, un espace dont on négocierait les frontières. Tant que Daech refuse, tant que Daech veut l’expansion, les populations locales arabes sunnites n’auront jamais la paix. On sera en guerre permanente. Donc je pense que, et on le sait d’ailleurs, il y a des tensions croissantes entre une partie de la population locale et l’appareil de Daech. Et ça c’est le plus gros point faible de Daech.

 Éric Guevara-Frey : Olivier Roy, politologue, grand spécialiste de l’islam, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence en interview dans Tout un monde. Entretien réalisé par Patrick Chaboudez que vous pouvez réécouter ou podcaster sur rts.ch. Dites nous, d’ailleurs, ce que vous en avez pensé sur Twitter @RTSmonde ou par e-mail toutunmonde@rts.ch

Source : RTS, Olivier Roy, 27-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/on-a-affaire-a-des-radicaux-roy/


État d’urgence : Le précédent des « lois scélérates », par Mathilde Larrère

Saturday 5 December 2015 at 02:30

Source : Politis, 29-11-2015

TRIBUNE. En 1893-1894, après des attentats anarchistes, les républicains « opportunistes » avaient fait voter trois lois liberticides dont la ressemblance avec des personnages et événements contemporains devrait nous faire réfléchir.

Photo : Assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste italien Santo Caserio à Lyon, le 24 juin 1894, vue par « Le Petit Journal » (ANN RONAN PICTURE LIBRARY / PHOTO12).

Au début des années 1890, la République semblait installée après des débuts difficiles. Elle avait triomphé de la crise boulangiste grâce à un réflexe de défense républicaine qui avait rassemblé derrière les républicains « opportunistes », entendez libéraux, une large gauche (radicaux et souvent socialistes). Mais la naissance d’une extrême droite nationaliste était désormais une menace claire dans le paysage politique.

Or les opportunistes qui tenaient le pouvoir sortent de la crise en opérant un virage conservateur les conduisant à s’arc-bouter sur leur politique de libéralisme économique, réprimant dans le sang le mouvement social. Le 1er mai 1891, les forces de l’ordre tirent à Fourmies sur une manifestation pacifiste pour la limitation du temps de travail : dix morts, dont des enfants, une trentaine de blessés [1]. Ce virage conservateur explique, entre autre, le ralliement de l’Église catholique à la république, amorcé en 1890 suite au toast d’Alger et scellé en 92 après l’encyclique pontificale Au milieu des Sollicitudes, ce qui permet la naissance d’une droite républicaine et cléricale.

Depuis la fin des années 1870, une partie des anarchistes avaient opéré un tournant tactique en optant pour la « propagande par le fait », recourant à l’attentat politique pour provoquer une prise de conscience populaire. Deux attentats provoquent en France des chocs retentissants : la bombe qu’Auguste Vaillant lance le 9 décembre 1893 dans l’hémicycle, faisant une cinquantaine de blessés ; plus encore l’assassinat le 24 juin 1894 du président de la République, Sadi Carnot.

Une véritable chasse aux sorcières

Dans l’émotion de ces deux attentats, le gouvernement fait passer trois loiscensées lutter contre cette menace anarchiste, mais qui arment surtout le gouvernement contre la gauche et enterre les libertés. Des lois qui restent dans l’histoire sous le nom de lois scélérates. Bismarck avait procédé exactement de la même façon en imposant des lois anti-socialistes au lendemain d’une tentative d’assassinat de l’empereur d’Allemagne en 1881.

Les deux premières lois sont imposées dans l’hémicycle à peine remis de l’explosion de l’avant veille, la troisième, dans la foulée de la mort du président. Ces lois réduisent considérablement la liberté de la presse, pourtant tout juste proclamée depuis 1881. Mais cette réduction ne vise que l’extrême gauche… Il s’agit désormais de pouvoir poursuivre et condamner tout discours « anarchiste » menaçant « la sûreté de l’état », même en l’absence du moindre fait délictueux. De pouvoir poursuivre et inculper tout « militant », tout « sympathisant » anarchiste, sans que la moindre distinction soit faite entre les deux, et sans qu’il y ait le moindre fait à leur reprocher si ce n’est leur opinion. La délation était officiellement encouragée.

Avec la troisième loi, tout propos anarchiste était susceptible d’être interdit et sanctionné. C’est une véritable chasse aux sorcières qui commence alors. Les services de renseignements établissent de longues listes de militants suspects, fichant aussi nombre de sans domicile fixe… Perquisitions, arrestations se succèdent. Nombre de procès également… Les journaux anarchistes sont interdits, ainsi du Père peinard par exemple, mais toute la gauche socialiste révolutionnaire est visée par ces mesures qui permettent de frapper les formes politiques et sociales du mouvement ouvrier.

Pendant ce temps, la presse ultra nationaliste prospère, les journaux assomptionnistes (La Croix) peuvent se targuer d’être « les plus antisémites de France »…. Bientôt, ce sera le déchaînement contre Dreyfus… Sans la moindre interdiction.

Suite à lire sur Politis, 29-11-2015

Pour approfondir le sujet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_sc%C3%A9l%C3%A9rates

Source: http://www.les-crises.fr/etat-durgence-le-precedent-des-lois-scelerates-par-mathilde-larrere/


Revue de presse du 05/12/2015

Saturday 5 December 2015 at 02:10

La revue de la semaine, bonne lecture !

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-05122015/


Poutine : “On na va pas jouer les gros bras, mais Erdogan ne va pas s’en tirer comme ça : nous savons quoi faire…”

Friday 4 December 2015 at 05:00

Poutine a donc prononcé son discours annuel hier (Source)

Nos médias :

Le discours :

“Chaque pays civilisé doit contribuer à la lutte contre le terrorisme, réaffirmant leur solidarité, non pas en paroles, mais en actes.

Cela signifie que les terroristes ne doivent pouvoir trouver refuge nulle part. Il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures. Aucun contact avec des organisations terroristes. Aucune tentative de les utiliser pour des buts égoïstes. Aucune entreprise criminelle avec des terroristes.

Nous savons qui se remplit les poches en Turquie et qui laisse les terroristes prospérer de la vente du pétrole qu’ils ont volé en Syrie. Les terroristes utilisent ces revenus afin de recruter des mercenaires, acheter des armes et planifier des attaques terroristes inhumaines contre des citoyens russes et contre les habitants en France, au Liban, au Mali et dans d’autres pays. Nous nous souvenons que les militants qui opéraient dans le Caucase du Nord dans les années 1990 et 2000 ont trouvé refuge et ont reçu une aide morale et matérielle en Turquie. Nous les trouvons toujours là.

Pendant ce temps, le peuple turc est gentil, travailleur et talentueux. Nous avons beaucoup d’amis bons et fiables en Turquie. Permettez-moi de souligner qu’ils doivent savoir que nous ne les assimilons pas à la partie de l’élite dirigeante actuelle qui est directement responsable de la mort de nos militaires en Syrie.

Nous ne pourrons jamais oublier leur collusion avec les terroristes. Nous avons toujours considéré comme une trahison de la pire et de la plus honteuse espèce d’agir ainsi, et cela ne changera jamais. Je voudrais qu’ils se souviennent de ceci – de ceux en Turquie qui ont tiré sur nos pilotes dans le dos, ces hypocrites qui ont tenté de justifier leurs actions et de protéger les terroristes.

Je ne comprends même pas pourquoi ils l’ont fait. Toutes les questions qu’ils pourraient avoir, les problèmes, les désaccords que ne nous connaitrions même pas, tous auraient pu être réglés d’une manière différente. De plus, nous étions prêts à coopérer avec la Turquie sur toutes les questions les plus sensibles qu’elle avait ; nous étions prêts à aller plus loin, là où ses alliés ont refusé d’aller. Allah seul sait, je suppose, pourquoi ils l’ont fait. Et sans doute, Allah a décidé de punir la clique au pouvoir en Turquie en s’emparant de leur esprit et de leur raison.

Mais, s’ils s’attendaient à une réaction nerveuse ou hystérique de notre part, s’ils voulaient nous voir devenir un danger pour nous-mêmes autant que pour le Monde, ils ne l’obtiendront pas. Ils ne recevront aucune réponse pour le spectacle ou même pour un gain politique immédiat. Ils ne l’obtiendront pas.

Nos actions seront toujours guidées principalement par la responsabilité – envers nous-mêmes, envers notre pays, envers notre peuple. On ne va pas jouer les gros bras. Mais, s’ils pensent qu’ils peuvent commettre un crime de guerre odieux, tuer nos concitoyens et s’en trier comme ça, en ne souffrant de rien de plus qu’une interdiction des importations de tomates, ou quelques restrictions dans la construction ou d’autres industries, ils délirent. Nous allons leur rappeler ce qu’ils ont fait, plus d’une fois. Ils vont le regretter. Nous savons ce qu’il faut faire.”  (Source)

D’où le titre que j’ai retenu, et qui me semble plus honnête que ceux des “journalistes”…

En tous cas, sans Poutinophilie particulière, je trouve que c’est beau un Président (quelq u’ils oit) qui agit vraiment contre le terrorisme et ses soutiens… Bref, qui est à la hauteur des évènements.

Nous, on a ça :

Manuel Valls : Je rencontre aujourd’hui le Premier ministre du Qatar, qui est également ministre de l’Intérieur, que je connais bien, et qui est particulièrement déterminé à lutter contre le terrorisme. Et donc, nous aurons cette discussion pour voir comment nous pouvons les uns et les autres être beaucoup plus efficaces contre le terrorisme, bien évidemment, mais aussi pour lutter contre tout ce qui, aujourd’hui, depuis des années, fonde la progression de cet islamisme radical.

France Inter : C’est un partenaire loyal ?

Manuel Valls : Le pouvoir en Arabie Saoudite, comme au Qatar, lutte contre Daech. Ça c’est incontestable…

France Inter : Vous êtes certain ?

Manuel Valls : … Et moi, je n’ai pas de raison de douter aujourd’hui de l’engagement de ces deux gouvernements.

France Inter : Il y a de grandes fortunes, dans ces deux pays, et le pouvoir lutte-t-il assez contre ces grandes fortunes ?

Manuel Valls : Reste la question de l’ensemble de ces financements, mais dans le Proche et dans le Moyen Orient, les choses sont toujours très compliquées, et vous savez aussi les liens qui existent par exemple entre le régime de Bachar et Daech, vous savez les liens qui existent entre le régime de Bachar et l’Iran, vous savez qu’il y a la confrontation entre le monde sunnite et le monde chiite. Donc, il faut avoir en permanence en tête ces questions. Mais pour nous l’essentiel, chacun l’a bien compris, c’est la lutte contre le terrorisme et contre Daech. Et donc nous ne pourrions accepter aucun élément qui participe au financement de ce terrorisme contre nous.

======================================

=> Et donc, je pense que ça finira mal, les choses étant désormais trop graves…

À suivre…

Source: http://www.les-crises.fr/poutine-on-na-va-pas-jouer-les-gros-bras-mais-ils-ne-sen-tireront-pas-comme-ca/


[Tout va bien] La Russie accuse officiellement Erdogan de traficoter avec Daech

Friday 4 December 2015 at 03:44

I. Réactions russes après la destruction du Su 24

Rappelons que à propos de l’avion, une chose n’est pas claire :

une chose l’est : dans les deux versions, l’avion russe a bien été attaqué alors qu’il était au-dessus de la Syrie et ne représentait aucune menace pour la Turquie…

(N.B. Qu’on n’arrive jamais à avoir la vérité dans ce genre de cas, ou dans les vols de la Malaysian Airlines, en 2015, moi ça me dépasse…)

Pour mémoire, j’avais attiré l’attention ici sur la violence du discours de Poutine envers la Turquie, que je trouvais très mal relayée par nos médias. Pratiquement seul le Parisien avait cité la fin de la phrase de Poutine :

=> la Turquie “complice des terroristes”… Et il a continué quelques jours après :

Le Premier Ministre en avait remis une couche :

“On a le nom des Trucs qui s’engraissent avec Daech”…

Il est évident que quand on en est là, les choses ne peuvent se calmer tranquillement.

II. La conférence du Vive-Ministre russe de la Défense

Eh bien, en effet, ça a continué avant hier, avec la conférence de presse du vice-Ministre de la Défense :

Donc là, on en est donc au stade où le gouvernement russe accuse la Président turc de trafiquer avec les terroristes….

Bien.

Moi, ça commence à m’inquiéter énormément, mais a priori pas nos médias, ok.

Pourtant, la logique impose de conclure qu’un de ces deux gouvernements est fou à lier. Et on est allié avec un des deux. Tout roule.

Suite de la conférence :

 

En attendant, Obama traficote toujours avec Erdogan – de bon coeur on dirait :

Et l’Union européenne, euh, comme d’hab quoi :

Après les néo-nazis ukrainiens, 3 Md€ pour les complices de Daech, “les valeurs européennes” j’imagine…

Quelqu’un sait s’il reste des dignitaires nazis allemands survivants – vu l’âge, il faut qu’ils se dépêchent d’organiser une rencontre….

Bon, en conclusion, aucune campagne médiatique, aucune commission d’enquête parlementaire : rien d’important…

III. La Russie devoile trois itinéraires de livraison du pétrole de l’EI en Turquie

Source : Sputnik, 02-12-2015

La Turquie est le principal consommateur du pétrole volé en Syrie et en Irak, rapporte le ministère russe de la Défense.

“La Turquie est le principal consommateur du pétrole volé en Syrie et en Irak. Selon les informations recueillies, le président turc Erdogan et sa famille sont impliqués dans le système de trafic de pétrole volé par l’EI en Syrie”, a déclaré le vice-ministre de la Défense Anatoly Antonov.

“Nous connaissons la valeur des paroles d’Erdogan. Il a été déjà pris une fois en flagrant délit de mensonge par les journalistes turcs qui avaient révélé la livraison par la Turquie d’armes aux terroristes, sous couvert d’aide humanitaire. Pour cette raison les journalistes ont été emprisonnés. Les dirigeants turcs, notamment Erdogan, ne démissionneront pas et ne reconnaîtront rien, même si leurs visages sont souillés par le pétrole volé “, a martelé Anatoli Antonov.

Néanmoins, la Russie a la preuve que la Turquie est le point d’arrivée du pétrole syrien provenant des gisements contrôlés par l’EI.

Sites de production et de stockage de produits pétroliers

Après avoir franchi la frontière turco-syrienne, les camions-citernes transportent le pétrole de l’EI vers des ports où l’or noir est ensuite acheminé vers des pays tiers en vue de son raffinage.

La Russie a détecté trois itinéraires de livraison du pétrole de l’EI en Turquie depuis la Syrie. L’itinéraire ouest est connecté aux ports turcs de la Méditerranée, l’itinéraire nord mène à Batman, et l’itinéraire est à la base de transit dans la municipalité de Cizre.

Trois itinéraires de livraison du pétrole de Daech

A titre d’exemple, le ministère russe de la Défense a dévoilé les photographies des convois de camions-citernes transportant du pétrole jusqu’à la frontière entre la Syrie et la Turquie.

Premier itinéraire

L’itinéraire ouest est principalement utilisé de nuit afin de transporter les hydrocarbures produits dans les gisements situés près de la ville de Raqqa, fief de Daech dans le nord-ouest de la Syrie, à travers les villes frontalières d’Azaz (Syrie) et Reyhanli (Turquie) vers les ports turcs d’Iskenderun et Dörtyol.

Sur la photo prise le 13 novembre dernier, on peut voir l’accumulation des véhicules automobiles transportant des produits pétroliers sur la route reliant la Turquie et la Syrie, près de la ville d’Azaz.

Une accumulation de véhicules transportant des produits pétroliers près de la ville d’Azaz (Syrie)

Sur la photo prise le 16 novembre dernier, on peut voir une accumulation au moins de trois cent soixante camions et véhicules lourds dans la région de Reyhanli, à proximité de la frontière syrienne.

Une accumulation d’au moins 360 camions et véhicules lourds dans la région de Reyhanli, en Turquie (15 novembre 2015)

Le renseignement spatial a également révélé qu’après avoir traversé la frontière, les camions-citernes et les véhicules lourds chargés du pétrole se dirigeaient vers les ports d’Iskenderun et de Dörtyol, équipés de quais spécialisés pour les pétroliers.

Une partie du pétrole est chargée à bord des navires et envoyée pour traitement hors de Turquie, et le reste est vendu sur le marché intérieur.

Deuxième itinéraire

Le deuxième itinéraire démarre dans les champs pétrolifères sur la rive droite de l’Euphrate. La ville de Deir ez-Zor (en Syrie) est l’un des centres de production de pétrole contrôlés par Daech. Elle abrite de nombreuses raffineries.

Une accumulation de camions-citernes est constamment enregistrée dans cette région. Le ministère russe a présenté des images de colonnes de véhicules à courte distance les unes des autres.

Les images prises le 18 octobre dernier dans les environs de Deir ez-Zor par le renseignement par satellite ont permis de découvrir au moins 1.722 camions-citernes garés essentiellement sur des parkings non aménagés en dehors des routes.

Des camions-citernes garés essentiellement en dehors des routes, dans les environs de Deir ez-Zor

 

Des camions-citernes garés essentiellement en dehors des routes, dans les environs de Deir ez-Zor

 

Leur nombre s’est considérablement réduit depuis le début des frappes russes contre les sites d’infrastructure pétrolière tenus par Daech, selon les militaires russes.

Après avoir fait le plein de pétrole, les convois venant des régions orientales de la Syrie vont vers la frontière turque et y attendent leur tour.

Les images prises au mois d’août présentent des centaines de camions-citernes et de poids lourds allant vers la frontière turque et vice-versa.

Une grande partie du pétrole transféré des régions orientales de la Syrie arrive à la raffinerie turque de Batman, à 100 km de la frontière syrienne.

Troisième itinéraire

Le troisième itinéraire de transport du pétrole vers la Turquie prend sa source dans les champs de pétrole situés dans le nord-est de la Syrie et dans le nord-ouest de l’Irak. Il passe à travers les villes frontalières de Karatchok et de Cham Khanik sur le territoire syrien et à travers les villes irakiennes de Tavan et de Zakho.

Les camions-citernes traversent la frontière turco-syrienne sans discontinuer dans la région de la ville irakienne de Zakho, d’où le pétrole est envoyé aux raffineries, dont la plus proche est située à Batman, ou dans le plus grand centre logistique de cet itinéraire, situé près de Silopi.

A l’heure actuelle, au moins 8 500 camions-citernes sont engagés dans le trafic criminel de produits pétroliers. Ils transportent quotidiennement jusqu’à 200.000 barils de pétrole.

L’aviation russe continuera de frapper les sites d’infrastructure pétrolière de Daech, et Moscou appelle ses collègues de la coalition à en faire de même.

Source : Sputnik, 02-12-2015

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Pour approfondir :

-http://abonnes.lemonde.fr/international/article/2015/12/02/moscou-accuse-erdogan-et-sa-famille-d-etre-impliques-dans-le-trafic-de-petrole-avec-l-ei_4822504_3210.html

-http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/12/02/97001-20151202FILWWW00176-erdogan-implique-dans-un-trafic-avec-l-ei.php

-http://www.challenges.fr/europe/20151202.CHA2233/crise-russo-turque-lavrov-rencontrera-son-homologue-turc-a-belgrade.html

-http://fr.euronews.com/2015/12/02/achat-de-petrole-de-daech-par-la-turquie-la-russie-precise-ses-accusations/

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-accuse-officiellement-erdogan-de-traficoter-avec-daech/


[2014] Les coups de fil qui révèlent la corruption d’Erdogan, par Ola Claësson

Friday 4 December 2015 at 01:45

Pour information, de ce que j’ai pu lire, beaucoup accusent le fils d’Erdogan d’être mouillé dans le trafic de pétrole, sa fille d’organiser un réseau de soin pour les djihadistes, et, cerise sur la loukoum, la semaine passé le gendre d’Erdogan a été nommé ministre de l’énergie ! (donc du pétrole…)

Article de 2014 pour mémoire…

Source : courrier international, 26/02/2014

Coup de chaud pour Erdogan qui a dénoncé un complot contre lui. A un mois des municipales, cinq enregistrements d’appels téléphoniques révélant la corruption du Premier ministre turc ont fuité sur YouTube. En voici la retranscription.

En l’espace de quelques heures, la vidéo diffusant ces enregistrements – que le Premier ministre accuse d’être un montage – a totalisé plus d’un million de vues. Pourquoi ? Parce qu’elle révèle au grand jour l’étendue de la fortune occulte de Recep Tayyip Erdogan et de sa famille.

Corruption de père en filsL’essentiel des conversations figurant sur les enregistrements aurait eu lieu entre Recep Tayyip Erdogan et son fils Bilal Erdogan le 17 décembre, le jour où une enquête pour corruption a été ouverte inopinémentcontre des ministres du cabinet de Recep Tayyip Erdogan et leurs fils.

Tayyip Erdogan, qui se trouve à Ankara, appelle son fils, qui dormait semble-t-il et n’avait pas eu vent de l’agitation provoquée par l’ouverture de l’enquête. Il est 8 heures du matin :

R. TAYYIP ERDOGAN : Tu es chez toi ?

N. BILAL ERDOGAN : Oui, père.

R.T.E. : Ils viennent de lancer ce matin une opération contre Ali Agaoglu, Reza Zerrab, le fils d’Erdogan [un autre Erdogan], le fils de Zafer, le fils de Muammer, ils sont en train de perquisitionner chez eux.

N.B.E. : Redonnez-moi les noms, père.

R.T.E. : Je te dis le fils de Muammer, le fils de Zafer, le fils d’Erdogan, Ali Agaoglu, Reza Zerrab, 18 personnes à l’heure qu’il est. Ils viennent de lancer une vaste opération anticorruption et ils sont en train deperquisitionner.

N.B.E. : Oui.

R.T.E. : D’accord ? Maintenant écoute-moi, quoi que tu puisses avoir chez toi, tu me le fais disparaître ! D’accord ?

N.B.E. : Qu’est-ce que je peux avoir, père ? Il y a votre argent dans le coffre.

R.T.E. : C’est de cela que je te parle ! Je t’envoie ta sœur tout de suite, d’accord ?

N.B.E. : Qui m’envoyez-vous ?

R.T.E. : Je te dis que je t’envoie ta sœur !

N.B.E.: Ah, d’accord !

R.T.E. : Assure-toi qu’elle est au courant, d’accord ? Parle à ton frère !

N.B.E. : Oui !

R.T.E. : Faisons comme cela, parle à ton oncle aussi, il faut aussi qu’il fasse le ménage chez lui, parle à ton beau-frère, il faut que lui aussi…

N.B.E. : Que doit-on en faire, père, où faut-il que je le mette ?

R.T.E. : A des endroits précis, fais-le !

Dans d’autres enregistrements transcrits ci-dessous, Bilal Erdogan rappelle son père pour lui rendre compte de ses progrès. Après avoir passé une journée à réunir des sommes astronomiques en liquide – il serait question de 1 milliard de dollars répartis dans 5 maisons différentes – pour les faire disparaître en achetant des appartements et en payant d’avance des hommes d’affaires avec lesquels ils travaillent, il n’est pas encore parvenu à tout cacher.

Cet appel a lieu à 23 h 15 le même jour :

N.B.E.: Bonjour papa, j’appelle pour… on a presque fini. Oh, c’est vous qui m’avez appelé, père ?

R.T.E. : Non, ce n’est pas moi, c’est toi.

N.B.E. : J’ai été appelé par un numéro masqué.

R.T.E. : Venons-en au fait, tu as pu le faire disparaître ?

N.B.E. : Pas encore la totalité, père. Laissez-moi vous expliquer. Il reste 30 millions d’euros qu’on n’a pas réussi à faire disparaître. Berat [gendre d’Erdogan et directeur général de Çalik Holding] a eu une idée. On peut donner 25 millions de dollars de plus [au fondateur de Çalik Holding] Ahmet Çalik. Ils disent de lui donner. Et, quand l’argent sera là, on fera quelque chose, ils ont dit. Et avec le reste, on peut acheter un appartement deSehrizar, il m’a dit. Qu’en pensez-vous, père ?

Tayyip Erdogan accepte les propositions de son fils pour dissimuler les 30 millions d’euros restants. Le lendemain, 18 décembre, Bilal Erdogan appelle son père et l’informe que l’argent a été dissimulé en intégralité

Quelles conséquences pour les municipales ?

A ce jour, il est difficile de prédire dans quelle mesure ces enregistrements influeront sur l’issue des municipales du 30 mars. Naturellement, les partis d’opposition ont immédiatement réclamé la démission d’Erdogan, pendant que le Premier ministre affirmait que cet enregistrement, qui dure plus de onze minutes, était un montage, ajoutant qu’il avait l’intention de poursuivre en justice les individus qui se cachent derrière cet “odieux complot” dirigé contre lui et sa famille.

Cependant, il est certain que la réaction des électeurs après la révélation de ces enregistrements sera décisive pour l’avenir proche de la Turquie. Si ces enregistrements ne font pas chuter Erdogan lors des prochaines élections, il est clair que rien ne pourra le faire. La vidéo des enregistrements :

Ola Claësson

Source : courrier international, 26/02/2014

Source: http://www.les-crises.fr/les-coups-de-fil-qui-revelent-la-corruption-derdogan-par-ola-claesson/