les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

“On a affaire à des radicaux qui trouvent dans l’islam une manière de mettre en scène leur radicalité”, par Olivier Roy

Saturday 5 December 2015 at 04:58

Source : RTS, Olivier Roy, 27-11-2015

Olivier Roy

Pour écouter l’emission : Tout un monde,

Éric Guevara-Frey.

Bonjour, Olivier Roy, invité exceptionnel. Le politologue spécialiste de l’islam donne peu d’interviews mais il est dans Tout un monde ce matin. Craint-il le totalitarisme islamique comme d’autres intellectuels ? Qui a la clé dans la lutte contre le groupe État islamique ? On prend le temps d’y réfléchir avec notre invité.

Ça fait plus de 40 ans qu’il ausculte l’évolution de l’islam politique. De l’Afghanistan à l’Iran, en passant par l’Asie centrale et le Moyen-Orient, Olivier Roy a rencontré sur le terrain les acteurs, les combattants, les populations locales. Il est l’un des plus fins analystes du djihadisme et des causes du radicalisme islamique. Ses récentes tribunes dans le New York Times et Le Monde, publiées après les attentats de Paris, ont été très remarquées.

Aujourd’hui, il accorde un entretien à Tout un monde. Patrick Chaboudez l’a rencontré à Florence, où il est professeur à l’Institut universitaire européen. Il lui a d’abord soumis les paroles du président François Hollande : « la France est en guerre contre Daech. » De quelle « guerre » parle-t-on exactement alors que les attentats ont été commis par des jeunes Français radicalisés ? Réponse Olivier Roy.

Olivier Roy : Il y a eu deux choses dans les attentats de Paris. Il y a eu bien sûr une commande faite par Daech pour attaquer la France, mais Daech n’a pas eu à envoyer des troupes de Syrie. Elle a tout simplement recruté dans un réservoir de jeunes radicalisés qui, eux, sont français ou belges ou en tout cas européens. Et donc le problème, c’est est-ce que la guerre contre Daech mettra fin à la radicalisation de ces jeunes ? Ma réponse est simple : non. Parce que ça fait 20 ans qu’on a une vague de radicalisation chez les jeunes, d’ailleurs pas tous forcément d’origine musulmane puisqu’on a une proportion extrêmement importante de convertis. Donc le problème, c’est comment est-ce qu’on traite cette radicalisation, et quel est le lien entre cette radicalisation et les événements du Moyen-Orient.

 Patrick Chaboudez : Quel est le portrait, justement, de ces jeunes radicalisés intérieurs, donc français ou belges ?

Olivier Roy : Alors d’abord il y a deux catégories, il y a les seconde génération, c’est-à-dire des gens dont les parents musulmans ont immigré, en général du Maghreb, il y a très peu de Turcs parmi eux. Et puis vous avez des convertis dont le nombre va croissant, d’ailleurs, et qui en France représentent au moins 25 %, et chez les nouveaux sympathisants, paraît-il, ça monte maintenant à 35-40 %. Ce ne sont pas des jeunes qui ont eu une formation religieuse, aucun n’a mené une vie de piété, bien au contraire. Ce sont des jeunes qui sont complètement investis dans la culture jeune d’aujourd’hui : boîtes de nuit, alcool, filles, drogues, etc. Et une partie significative d’entre eux sont des petits délinquants. Quand ils passent à l’islam, c’est extrêmement rapidement. On a effectivement un point de rupture à un moment donné où le jeune fêtard se laisse pousser la barbe, parle de l’islam etc. Et très rapidement, souvent juste quelques semaines ou quelques mois, il passe à l’action violente. C’est ça, le schéma-type.

Donc on n’a pas du tout, si vous voulez, affaire à la radicalisation d’une partie de la communauté musulmane pour des raisons religieuses, qui ensuite se traduirait par des actes violents, mais on a le passage à l’action violente de jeunes qui sont en marge, et de la société française ou belge, et de la communauté musulmane, et qui connaissent un brusque processus de rupture et, je dirais, de volonté de s’affirmer comme des héros. Mais des héros négatifs bien sûr, des héros qui défient la société. Ce sont donc des gens qui vivent sur une profonde frustration personnelle, ça c’est très très clair. Et en passant à la violence, ils passent de perdants à vainqueurs. Il y a une revanche. Alors, revanche contre quoi, ça c’est une autre question. C’est pas forcément contre les conditions socio-économiques.

Patrick Chaboudez : Souvent c’est ce qu’on entend, c’est que finalement ce sont les conditions économiques, culturelles, l’exclusion en quelque sorte, qui serait le terreau de cette radicalisation.

Olivier Roy : Sauf que beaucoup d’entre eux ne sont pas du tout des exclus. Ils ont des commerces, ils ont des jobs donc on voit bien que la fascination pour le djihad, c’est pas juste une réaction à une situation difficile sur le plan social, économique et culturel. Si c’étaient le racisme et l’exclusion sociale qui poussaient vers le djihadisme on aurait des dizaines de milliers de djihadistes, au lieu des quelques centaines qu’on a aujourd’hui.

Patrick Chaboudez : Donc en fait c’est la radicalité qui les intéresse plus que l’islam dont ils ne connaissent, finalement, pas grand-chose.

 Olivier Roy : Ce sont des radicaux qui trouvent dans l’islam une manière de mettre en scène leur radicalité. Et là je me positionne, disons, transversalement. Regardons ce qu’il se passe à côté d’eux, pas dans la généalogie de l’islam, que dit le Coran etc., mais dans les comportements de jeunes occidentaux aujourd’hui. On a ces phénomènes de violences radicales. Je veux dire, le tireur qui va aux États-Unis à Memphis dans une salle de cinéma et qui tire à la Kalachnikov sur la foule, quelle différence, j’aillais dire structurelle, y a-t-il avec le tireur de Paris qui tire sur une terrasse de café ? La différence, c’est la manière dont ils expriment, dont ils racontent leur acte. Mais dans la pratique de leur acte, c’est la même chose, de même que Breivik en Norvège. Tous les témoins, d’ailleurs, soulignent le calme absolu de ces tireurs.

Patrick Chaboudez : Vous faites la comparaison contemporaine avec d’autres phénomènes actuels. On pourrait faire la comparaison, ou peut-on la faire ?, avec les années 70 où il y avait des mouvements, on l’a connu en Europe, les Brigades rouges, la Fraction armée rouge.

 Olivier Roy : Il y a beaucoup de points communs. Un, c’est la rupture générationnelle. Tous ces mouvements sont des mouvements de jeunes. Ça n’est pas une communauté, que ça soit le prolétariat, ou les musulmans qui se révoltent, ce sont des jeunes qui se révoltent au nom d’une communauté qu’ils ne connaissent pas. La bande à Baader, c’était au nom du prolétariat universel mais aucun d’entre eux ne travaillait en usine, aucun d’entre eux n’était lié aux syndicats locaux. Les jeunes radicaux islamiques d’aujourd’hui, c’est au nom de la oumma, la communauté musulmane universelle, mais aucun n’est inséré dans une communauté concrète, dans une « paroisse » si je peux dire, musulmane.

Ce sont des jeunes qui sont en révolte contre ce que leurs parents représentent, et ça je crois que c’est très très important. L’argument de la bande à Baader c’était le silence de la génération de leurs parents par rapport au nazisme. Et les révoltés s’emparaient donc d’une espèce de grand récit d’héroïsme contre le nazisme, le fascisme, le capitalisme, tout ce que vous voulez. Quand on regarde les jeunes radicaux islamistes, on a exactement le même phénomène. Ils reprochent à leurs parents de ne pas leur avoir transmis le « bon » islam. Ils reprochent à leur parents de s’être occidentalisés, d’avoir accepté une vie de déclassés, de ne pas se révolter, en un mot. Ils estiment, et ça c’est très important, c’est la même chose que dans l’ultragauche des années 60, que personne n’est neutre, qu’il n’y a pas d’innocent. Que, en gros, tous ceux qui ne sont pas avec les révoltés assurent la permanence du système honni, du système qu’on veut abattre. Donc on peut tirer dans le tas. Et puis on se bat au nom d’une grande cause universelle, la Révolution avec un grand R dans les années 70, et le djihad aujourd’hui. C’est une lutte violente, globale, internationale, mais imaginaire. C’est-à-dire qu’on peut passer du jour au lendemain de la Bolivie à la Palestine à l’époque de Baader, et aujourd’hui de la Tchétchénie à l’Afghanistan en passant par la Syrie.

Patrick Chaboudez : Donc il y a un côté incantatoire, d’une certaine façon.

Olivier Roy : Oui. Ils vivent dans un mythe. Ce ne sont pas des militants politiques qui voudraient créer une nouvelle société. Ils ne croient pas, dans le fond, à la réalisation de leur utopie. Prenez en Syrie, par exemple, les jeunes djihadistes qui vont en Syrie, ils ne se mêlent pas du tout à la population locale. Ils se battent et ils meurent. Et ces jeunes sont donc dans une situation, j’allais dire, à la fois utopiste et suicidaire parce qu’ils savent que l’utopie ne marchera pas, ou ça ne les intéresse pas. Donc dans le fond ils sont dans une logique de la mort, de la mort pour les autres, bien sûr, mais de leur propre mort aussi. C’est un mouvement profondément nihiliste.

Patrick Chaboudez : Du coup, j’imagine, c’est très difficile de tenter de dé-radicaliser ces jeunes, jeunes nihilistes coupés de tout. Est-ce que c’est possible, est-ce qu’on peut l’envisager, comment le faire ?

Olivier Roy : Ils ne deviennent pas radicaux parce qu’on leur enseignait l’islam radical, ils vont chercher l’islam radical parce qu’ils veulent du radical. Donc leur offrir un islam Bisounours, gentil, bien élevé, modéré, c’est absurde. C’est comme si on décidait que pour dé-radicaliser l’extrême gauche, il faut leur donner des cours de libéralisme économique. C’est absurde. Par contre, ces jeunes se réclament d’un grand récit du djihad, de l’islam des origines, etc. Et là on peut agir en cassant ce grand récit. Pour ça, il faut qu’effectivement un islam, disons normal, banal, soit visible, qu’ils n’occupent pas un vide. Et donc au lieu de mobiliser les autorités musulmanes pour lutter contre le radicalisme, ce qui ne peut pas marcher, il faut au contraire, justement, laisser les musulmans centristes, si je peux dire, s’exprimer comme musulmans. Il faut occuper la spiritualité. Il faut occuper l’espace religieux. Et ça contribuera à la marginalisation de ces jeunes-là et surtout encore une fois à la destruction de l’image qu’ils se construisent de héros, que l’on renforce en faisant d’eux l’avant-garde de je ne sais quelle vague d’islamisation.

Eric Guevara-Frey : Olivier Roy en entretien exceptionnel dans Tout un monde. Autre perspective, celle de Boualem Sansal que nous recevions mardi dans cette émission. L’écrivain algérien s’inquiétait de la menace croissante, selon lui, d’un totalitarisme islamique.

Boualem Sansal : J’observe depuis une trentaine d’années une évolution rapide, galopante de l’islamisme qui, évidemment, a commencé dans les pays musulmans un peu à la marge, et puis ensuite il s’est emparé des centres urbains, puis il est passé dans les pays voisins et ainsi de suite. Et voilà qu’il prend pied en Occident, dans des banlieues, et puis le voilà maintenant apparaissant au plein jour, convertissant de plus en plus de monde et jouant magnifiquement de tous les instruments à sa disposition : la terreur mais aussi la communication, la politique, la technologie, la finance, l’art militaire. Il dispose d’une énergie colossale, il avance et, pendant ce temps, partout dans le monde nous reculons face à lui.

Eric Guevara-Frey : L’« énergie colossale » de l’islamisme face auquel le monde recule, dit Boualem Sansal. Réplique d’Olivier Roy.

 Olivier Roy : C’est une vision panoramique et paranoïaque, si je peux dire. Il n’y a pas de grande vague d’islamisation. Prenez la Tunisie par exemple. Il y a eu un moment paroxystique qui a été le Printemps arabe, et puis quand on a laissé le jeu de la démocratie fonctionner normalement on a eu un reflux de l’islamisme politique. Un, parce qu’Ennahdha a perdu les élections, mais deux, parce qu’Ennahdha s’est complètement modéré, et on a maintenant un gouvernement de coalition tout ce qu’il y a de plus séculier, si je peux dire, entre Ennahdha et les autres partis. Alors, bien sûr, cette normalisation de l’islamisme politique traditionnel, celui des Frères musulmans, se paye par l’apparition d’une marge de radicaux qui refusent le compromis, qui commettent des actes terroristes en Tunisie. Donc je dirai, moi, que c’est, au contraire, la normalisation de l’islam qui entraîne une réaction violente de réaction contre cette normalisation de la part de jeunes marginaux.

Je ne crois pas à l’extension énorme du salafisme. Le salafisme occupe un vide, à la fois vide territorial, le fait que dans certains endroits il n’y a rien, l’État n’est pas là, l’islam majoritaire, l’islam culturel, n’est pas là, et puis un vide dans la tête, c’est-à-dire, de gens qui sont déculturés. Je crois que le problème, c’est la crise des islams culturels. Il faut qu’il y ait un islam qui se re-culture, qui se ré-enracine dans l’Europe où il est, et ça c’est le travail des deuxième et troisième générations. C’est pour ça qu’il y a très peu de troisième génération dans les radicaux. Ils parlent français, ou allemand, ou flamand avec leurs parents, ils inventent des pratiques de l’islam compatibles, Euro-compatibles. Et ça, on ne veut pas le voir parce que c’est gens-là sont très individualistes, et puis ils sont de plus en plus classes moyennes, alors qu’on se concentre sur les banlieues déclassées. Évidemment les banlieues déclassées, la situation n’est pas bonne parce que ce qu’on ne voit pas, c’est que ceux qui réussissent quittent le quartier déclassé. Ils vont ailleurs, deviennent médecins, avocats, professeurs, etc. Et ceux-là, un, on ne les voit pas, et deux, on les rend responsables de la radicalisation des autres, donc là on est dans une perspective complètement contradictoire.

 Patrick Chaboudez : « On ne les vois pas, » vous dites, et le risque précisément, maintenant, peut-être, c’est que justement cette petite minorité agissante, radicale, occulte encore d’avantage cette communauté majoritaire, largement majoritaire, et que finalement cet amalgame renforce l’islamophobie en France, en Europe. C’est quelque chose que vous craignez ?

Olivier Roy : Bien, en disant que ces jeunes radicaux, dans le fond, représentent une tradition centrale dans l’islam, celle du djihad etc., on fait d’eux l’avant-garde de l’islam. C’est exactement la propagande de Daech, c’est de dire, nous, représentants de l’islam, les autres sont des traîtres.

 Patrick Chaboudez : Comment expliquer que ce discours fonctionne relativement bien, que pas mal d’intellectuels occidentaux l’entendent, et réagissent à ce discours-là.

 Olivier Roy : Parce qu’on est aujourd’hui dans une vision complètement culturaliste. Huntington a gagné. Donc on a l’idée qu’une culture c’est une religion, et que même les pas-croyants continuent à avoir dans leur tête le logiciel religieux, un petit Coran sécularisé qui fonctionne dans leur cerveau et qui détermine leur comportement par rapport aux politiques, à la société, etc. Ce qu’on ne voit pas c’est que ce qu’il s’est passé, c’est exactement le contraire. C’est la déculturation du religieux. Les fondamentalismes sont les expressions d’une crise de la culture, et en particulier de la culture religieuse. Et donc tous les fondamentalismes, pas seulement musulman, réinventent la religion comme une norme, une norme absolue coupée de toute réelle pratique sociale, coupée de toute histoire, de toute historicité et de toute culture. D’où la violence. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a un tel décalage avec la vie en général qu’on ne peut être que violent. Que ça soit le converti ou le bornagain, celui qui a fait un retour à la religion. Il est forcément en rupture avec la société dominante. Et je crois que ces moments de rupture sont des conséquences, effectivement, d’une crise de la culture. Et l’immigration renforce la crise de la culture, par définition, mais aussi la globalisation.

Donc le problème, c’est de reconnecter le religieux au culturel. Mais c’est en train de se faire. Je veux dire, on voit, par exemple, maintenant, à Paris des dizaines de restaurants halal, chics, où il n’y a pas de couscous, où on vous fait du bœuf bourguignon halal, des soufflés halal, etc. On voit par exemple comment, effectivement, dans certains quartiers la période du ramadan n’est pas seulement la période du jeûne, que c’est aussi la période de festivités où participent des non-musulmans. Parce que dans beaucoup de quartiers, dans le fond, il y a une crise de la vie sociale, du lien social. Et on voit ce lien social se reconstruire avec une tentative d’intégrer, justement, les fêtes. Alors, encore une fois, pas le jeûne, les non-musulmans mangent dans la journée. Mais le soir ils vont aller faire la fête, et là on a la recréation d’un lien social. Toute la question est là, c’est celle du lien social.

 Eric Guevara-Frey : [Nous sommes de retour] pour la troisième et dernière partie de l’entretien avec Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. Nous voulions lui demander son analyse sur la façon de combattre le groupe État islamique sur le terrain. Écoutez d’abord ce que disait le photographe Reza, que nous avons joint jeudi dernier, alors qu’il se trouvait dans la ville de Sinjar dans le Kurdistan irakien, ville qui venait d’être libérée par les combattants kurdes.

Reza : Pour eux, c’est dire que nous avons tenu, malgré tout, malgré les problèmes pendant deux ans. On vous a prévenu, c’est pas qu’on n’a pas crié dans toute la presse, et partout, en disant attendez, il faut aider les kurdes, il faut aider les kurdes contre Daech et même pour la région. Imaginez que nous sommes dans une partie du Moyen-Orient avec une forme d’islam très modérée, démocratique, presque laïque. Imaginez que, comme vous avez vu, les femmes combattantes se battent sans foulard à côté des gens, ici, donc il y a une vraie démocratie chez ce peuple. C’est un peuple qui peut éventuellement avoir la clé de la réussite pour un Moyen-Orient meilleur et démocratique.

Eric Guevara-Frey : Les peshmergas sont-ils effectivement l’exemple, la « clé de la réussite » ? Analyse Olivier Roy.

 Olivier Roy : Les peshmergas sont un bon exemple dans le sens où ils résistent à Daech et où ils n’ont pas d’autre objectif que d’assurer leur autonomie, voire leur indépendance, ce qui est une revendication j’allais dire légitime. Ceci dit, il ne faut pas non plus trop idéaliser. Le PKK n’est pas un parti démocratique, c’est un parti plutôt stalinien, et les deux régions du Kurdistan autonome irakien ne connaissent pas véritablement un système démocratique. D’autre part, il y a parfois tendance chez les Kurdes à expulser des populations arabes, en pensant au fait qu’ils ont été expulsés eux-mêmes autrefois etc. Donc il faut surtout éviter de se trouver des nouveaux héros par rapport au diable. Mais effectivement, les Kurdes font partie des l’équation contre Daech mais ils ne sont pas la solution pour vaincre Daech.

Patrick Chaboudez : Ce qui frappe d’ailleurs dans cette situation-là, c’est que tous les acteurs régionaux sont pour le moins ambivalents face à Daech. Qu’on pense à la Turquie, qu’on pense évidemment à la Syrie de Bachar, qu’on pense à l’Arabie saoudite, personne, finalement, n’est prêt à lutter jusqu’au bout et avec détermination contre Daech. Grosse ambiguïté tout de même.

Olivier Roy : Tous les acteurs locaux ont un ennemi plus important que Daech. Pour les Turcs c’est les Kurdes, pour les Kurdes c’est les Arabes en général, pour Bachar el-Assad c’est l’opposition non-Daech qui le menace vraiment, pour les Iraniens c’est les Saoudiens et pour les Saoudiens c’est les Iraniens. Alors tant qu’on sera dans cette configuration-là, aucun des acteurs régionaux ne sera prêt à reprendre le terrain à Daech baïonnette au canon. Or, les Occidentaux, en tout cas les Américains, ont décidé de ne pas envoyer de troupe au sol. Ils sont prêts à appuyer des acteurs locaux au sol par des bombardements aériens, mais les Américains n’enverront pas 100 000 hommes. Voilà. Donc ça ne sert à rien de déclarer la guerre à Daech. Soit on travaille d’abord à constituer d’abord une coalition politique qui ensuite pourrait se transformer en coalition militaire, mais annoncer qu’on va éradiquer Daech c’est de la fanfaronnade.

Patrick Chaboudez : Mais est-ce à dire qu’il faut alors se résoudre à accepter que Daech puisse instaurer une sorte de califat dans cette région-là, ou bien Daech est quand même condamnée, à terme, à disparaître ?

Olivier Roy : Le projet de Daech est contradictoire parce qu’ils ont une base locale qui sont les Arabes sunnites écœurés d’avoir perdu le pouvoir, tout simplement, particulièrement à cause de l’intervention militaire Américaine de 2003 en Irak. Donc ils occupent la zone qui est tenue aujourd’hui par Daech, c’est logique. Mais le projet de Daech n’est pas de créer un État arabe sunnite, parce que, ça, ça serait négociable. De créer de même un Kurdistan, un État arabe sunnite, un État irakien chiite, un réduit alaouite, c’est-à-dire recomposer le Moyen-Orient comme on l’a recomposé dans les années 20 après la chute de l’empire ottoman, c’est intellectuellement pensable. Difficilement réalisable, mais enfin, bon, on peut négocier. Tandis que le projet de Daech n’est pas là. Le projet de Daech, c’est un califat en expansion permanente. Donc on part de Falloujah et Raqqa, mais on contient l’ensemble de la Syrie, l’ensemble de l’Irak et on rêve de recréer le califat du Ier siècle de l’islam, du Maroc jusqu’à l’Indus. Et là, évidemment, c’est un projet qui est non négociable. Donc tant qu’ils n’auront pas renoncé à ça, il n’y a rien à négocier. Et pour le moment ils ne renoncent pas, c’est même, au contraire, pour ça qu’ils se lancent dans la globalisation par le terrorisme.

Patrick Chaboudez : Mais justement, cette « globalisation par le terrorisme » : Ankara, Paris, Beyrouth, c’est quoi, c’est un aveu de faiblesse, d’une certaine façon, de Daech ?

Olivier Roy : Oui, c’est parce qu’ils sont bloqués sur le terrain. Donc ils attaquent sur les arrières, et ils attaquent en privilégiant bien sûr ceux qui font partie de la coalition qui les bombarde ou qui les combat sur le terrain. S’ils pouvaient ils attaqueraient l’Amérique, s’ils pouvaient ils attaqueraient l’Iran. Ils n’ont pas les moyens de le faire, en tout cas pour le moment. Mais ils ont atteint leurs limites sur le terrain.

Et il y a une autre contradiction chez eux, enfin qui est une conséquence de cette contradiction entre le global et le local, c’est que leurs fers de lance sont un corps d’internationalistes, de 15 000, autour de 15 000 combattants internationalistes qui, eux, ne font que se battre. Ces Brigades internationales sont en complet décalage avec la population locale. La population locale, elle est arabe, elle a sa culture, elle a ses coutumes en particulier ses coutumes matrimoniales et ils n’ont évidemment aucune envie de donner leurs filles à des jeunes venus de la banlieue de Lyon, par exemple. Or Daech veut implanter ces jeunes. Daech veut que les Brigades internationales, finalement, s’enracinent sur ce territoire-là. Donc ça crée inévitablement des tensions avec la population locale. Et puis la population locale, très probablement, serait preneuse d’une territorialisation, c’est-à-dire de créer, effectivement, un espace dont on négocierait les frontières. Tant que Daech refuse, tant que Daech veut l’expansion, les populations locales arabes sunnites n’auront jamais la paix. On sera en guerre permanente. Donc je pense que, et on le sait d’ailleurs, il y a des tensions croissantes entre une partie de la population locale et l’appareil de Daech. Et ça c’est le plus gros point faible de Daech.

 Éric Guevara-Frey : Olivier Roy, politologue, grand spécialiste de l’islam, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence en interview dans Tout un monde. Entretien réalisé par Patrick Chaboudez que vous pouvez réécouter ou podcaster sur rts.ch. Dites nous, d’ailleurs, ce que vous en avez pensé sur Twitter @RTSmonde ou par e-mail toutunmonde@rts.ch

Source : RTS, Olivier Roy, 27-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/on-a-affaire-a-des-radicaux-roy/


État d’urgence : Le précédent des « lois scélérates », par Mathilde Larrère

Saturday 5 December 2015 at 02:30

Source : Politis, 29-11-2015

TRIBUNE. En 1893-1894, après des attentats anarchistes, les républicains « opportunistes » avaient fait voter trois lois liberticides dont la ressemblance avec des personnages et événements contemporains devrait nous faire réfléchir.

Photo : Assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste italien Santo Caserio à Lyon, le 24 juin 1894, vue par « Le Petit Journal » (ANN RONAN PICTURE LIBRARY / PHOTO12).

Au début des années 1890, la République semblait installée après des débuts difficiles. Elle avait triomphé de la crise boulangiste grâce à un réflexe de défense républicaine qui avait rassemblé derrière les républicains « opportunistes », entendez libéraux, une large gauche (radicaux et souvent socialistes). Mais la naissance d’une extrême droite nationaliste était désormais une menace claire dans le paysage politique.

Or les opportunistes qui tenaient le pouvoir sortent de la crise en opérant un virage conservateur les conduisant à s’arc-bouter sur leur politique de libéralisme économique, réprimant dans le sang le mouvement social. Le 1er mai 1891, les forces de l’ordre tirent à Fourmies sur une manifestation pacifiste pour la limitation du temps de travail : dix morts, dont des enfants, une trentaine de blessés [1]. Ce virage conservateur explique, entre autre, le ralliement de l’Église catholique à la république, amorcé en 1890 suite au toast d’Alger et scellé en 92 après l’encyclique pontificale Au milieu des Sollicitudes, ce qui permet la naissance d’une droite républicaine et cléricale.

Depuis la fin des années 1870, une partie des anarchistes avaient opéré un tournant tactique en optant pour la « propagande par le fait », recourant à l’attentat politique pour provoquer une prise de conscience populaire. Deux attentats provoquent en France des chocs retentissants : la bombe qu’Auguste Vaillant lance le 9 décembre 1893 dans l’hémicycle, faisant une cinquantaine de blessés ; plus encore l’assassinat le 24 juin 1894 du président de la République, Sadi Carnot.

Une véritable chasse aux sorcières

Dans l’émotion de ces deux attentats, le gouvernement fait passer trois loiscensées lutter contre cette menace anarchiste, mais qui arment surtout le gouvernement contre la gauche et enterre les libertés. Des lois qui restent dans l’histoire sous le nom de lois scélérates. Bismarck avait procédé exactement de la même façon en imposant des lois anti-socialistes au lendemain d’une tentative d’assassinat de l’empereur d’Allemagne en 1881.

Les deux premières lois sont imposées dans l’hémicycle à peine remis de l’explosion de l’avant veille, la troisième, dans la foulée de la mort du président. Ces lois réduisent considérablement la liberté de la presse, pourtant tout juste proclamée depuis 1881. Mais cette réduction ne vise que l’extrême gauche… Il s’agit désormais de pouvoir poursuivre et condamner tout discours « anarchiste » menaçant « la sûreté de l’état », même en l’absence du moindre fait délictueux. De pouvoir poursuivre et inculper tout « militant », tout « sympathisant » anarchiste, sans que la moindre distinction soit faite entre les deux, et sans qu’il y ait le moindre fait à leur reprocher si ce n’est leur opinion. La délation était officiellement encouragée.

Avec la troisième loi, tout propos anarchiste était susceptible d’être interdit et sanctionné. C’est une véritable chasse aux sorcières qui commence alors. Les services de renseignements établissent de longues listes de militants suspects, fichant aussi nombre de sans domicile fixe… Perquisitions, arrestations se succèdent. Nombre de procès également… Les journaux anarchistes sont interdits, ainsi du Père peinard par exemple, mais toute la gauche socialiste révolutionnaire est visée par ces mesures qui permettent de frapper les formes politiques et sociales du mouvement ouvrier.

Pendant ce temps, la presse ultra nationaliste prospère, les journaux assomptionnistes (La Croix) peuvent se targuer d’être « les plus antisémites de France »…. Bientôt, ce sera le déchaînement contre Dreyfus… Sans la moindre interdiction.

Suite à lire sur Politis, 29-11-2015

Pour approfondir le sujet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_sc%C3%A9l%C3%A9rates

Source: http://www.les-crises.fr/etat-durgence-le-precedent-des-lois-scelerates-par-mathilde-larrere/


Revue de presse du 05/12/2015

Saturday 5 December 2015 at 02:10

La revue de la semaine, bonne lecture !

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-05122015/


Poutine : “On na va pas jouer les gros bras, mais Erdogan ne va pas s’en tirer comme ça : nous savons quoi faire…”

Friday 4 December 2015 at 05:00

Poutine a donc prononcé son discours annuel hier (Source)

Nos médias :

Le discours :

“Chaque pays civilisé doit contribuer à la lutte contre le terrorisme, réaffirmant leur solidarité, non pas en paroles, mais en actes.

Cela signifie que les terroristes ne doivent pouvoir trouver refuge nulle part. Il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures. Aucun contact avec des organisations terroristes. Aucune tentative de les utiliser pour des buts égoïstes. Aucune entreprise criminelle avec des terroristes.

Nous savons qui se remplit les poches en Turquie et qui laisse les terroristes prospérer de la vente du pétrole qu’ils ont volé en Syrie. Les terroristes utilisent ces revenus afin de recruter des mercenaires, acheter des armes et planifier des attaques terroristes inhumaines contre des citoyens russes et contre les habitants en France, au Liban, au Mali et dans d’autres pays. Nous nous souvenons que les militants qui opéraient dans le Caucase du Nord dans les années 1990 et 2000 ont trouvé refuge et ont reçu une aide morale et matérielle en Turquie. Nous les trouvons toujours là.

Pendant ce temps, le peuple turc est gentil, travailleur et talentueux. Nous avons beaucoup d’amis bons et fiables en Turquie. Permettez-moi de souligner qu’ils doivent savoir que nous ne les assimilons pas à la partie de l’élite dirigeante actuelle qui est directement responsable de la mort de nos militaires en Syrie.

Nous ne pourrons jamais oublier leur collusion avec les terroristes. Nous avons toujours considéré comme une trahison de la pire et de la plus honteuse espèce d’agir ainsi, et cela ne changera jamais. Je voudrais qu’ils se souviennent de ceci – de ceux en Turquie qui ont tiré sur nos pilotes dans le dos, ces hypocrites qui ont tenté de justifier leurs actions et de protéger les terroristes.

Je ne comprends même pas pourquoi ils l’ont fait. Toutes les questions qu’ils pourraient avoir, les problèmes, les désaccords que ne nous connaitrions même pas, tous auraient pu être réglés d’une manière différente. De plus, nous étions prêts à coopérer avec la Turquie sur toutes les questions les plus sensibles qu’elle avait ; nous étions prêts à aller plus loin, là où ses alliés ont refusé d’aller. Allah seul sait, je suppose, pourquoi ils l’ont fait. Et sans doute, Allah a décidé de punir la clique au pouvoir en Turquie en s’emparant de leur esprit et de leur raison.

Mais, s’ils s’attendaient à une réaction nerveuse ou hystérique de notre part, s’ils voulaient nous voir devenir un danger pour nous-mêmes autant que pour le Monde, ils ne l’obtiendront pas. Ils ne recevront aucune réponse pour le spectacle ou même pour un gain politique immédiat. Ils ne l’obtiendront pas.

Nos actions seront toujours guidées principalement par la responsabilité – envers nous-mêmes, envers notre pays, envers notre peuple. On ne va pas jouer les gros bras. Mais, s’ils pensent qu’ils peuvent commettre un crime de guerre odieux, tuer nos concitoyens et s’en trier comme ça, en ne souffrant de rien de plus qu’une interdiction des importations de tomates, ou quelques restrictions dans la construction ou d’autres industries, ils délirent. Nous allons leur rappeler ce qu’ils ont fait, plus d’une fois. Ils vont le regretter. Nous savons ce qu’il faut faire.”  (Source)

D’où le titre que j’ai retenu, et qui me semble plus honnête que ceux des “journalistes”…

En tous cas, sans Poutinophilie particulière, je trouve que c’est beau un Président (quelq u’ils oit) qui agit vraiment contre le terrorisme et ses soutiens… Bref, qui est à la hauteur des évènements.

Nous, on a ça :

Manuel Valls : Je rencontre aujourd’hui le Premier ministre du Qatar, qui est également ministre de l’Intérieur, que je connais bien, et qui est particulièrement déterminé à lutter contre le terrorisme. Et donc, nous aurons cette discussion pour voir comment nous pouvons les uns et les autres être beaucoup plus efficaces contre le terrorisme, bien évidemment, mais aussi pour lutter contre tout ce qui, aujourd’hui, depuis des années, fonde la progression de cet islamisme radical.

France Inter : C’est un partenaire loyal ?

Manuel Valls : Le pouvoir en Arabie Saoudite, comme au Qatar, lutte contre Daech. Ça c’est incontestable…

France Inter : Vous êtes certain ?

Manuel Valls : … Et moi, je n’ai pas de raison de douter aujourd’hui de l’engagement de ces deux gouvernements.

France Inter : Il y a de grandes fortunes, dans ces deux pays, et le pouvoir lutte-t-il assez contre ces grandes fortunes ?

Manuel Valls : Reste la question de l’ensemble de ces financements, mais dans le Proche et dans le Moyen Orient, les choses sont toujours très compliquées, et vous savez aussi les liens qui existent par exemple entre le régime de Bachar et Daech, vous savez les liens qui existent entre le régime de Bachar et l’Iran, vous savez qu’il y a la confrontation entre le monde sunnite et le monde chiite. Donc, il faut avoir en permanence en tête ces questions. Mais pour nous l’essentiel, chacun l’a bien compris, c’est la lutte contre le terrorisme et contre Daech. Et donc nous ne pourrions accepter aucun élément qui participe au financement de ce terrorisme contre nous.

======================================

=> Et donc, je pense que ça finira mal, les choses étant désormais trop graves…

À suivre…

Source: http://www.les-crises.fr/poutine-on-na-va-pas-jouer-les-gros-bras-mais-ils-ne-sen-tireront-pas-comme-ca/


[Tout va bien] La Russie accuse officiellement Erdogan de traficoter avec Daech

Friday 4 December 2015 at 03:44

I. Réactions russes après la destruction du Su 24

Rappelons que à propos de l’avion, une chose n’est pas claire :

une chose l’est : dans les deux versions, l’avion russe a bien été attaqué alors qu’il était au-dessus de la Syrie et ne représentait aucune menace pour la Turquie…

(N.B. Qu’on n’arrive jamais à avoir la vérité dans ce genre de cas, ou dans les vols de la Malaysian Airlines, en 2015, moi ça me dépasse…)

Pour mémoire, j’avais attiré l’attention ici sur la violence du discours de Poutine envers la Turquie, que je trouvais très mal relayée par nos médias. Pratiquement seul le Parisien avait cité la fin de la phrase de Poutine :

=> la Turquie “complice des terroristes”… Et il a continué quelques jours après :

Le Premier Ministre en avait remis une couche :

“On a le nom des Trucs qui s’engraissent avec Daech”…

Il est évident que quand on en est là, les choses ne peuvent se calmer tranquillement.

II. La conférence du Vive-Ministre russe de la Défense

Eh bien, en effet, ça a continué avant hier, avec la conférence de presse du vice-Ministre de la Défense :

Donc là, on en est donc au stade où le gouvernement russe accuse la Président turc de trafiquer avec les terroristes….

Bien.

Moi, ça commence à m’inquiéter énormément, mais a priori pas nos médias, ok.

Pourtant, la logique impose de conclure qu’un de ces deux gouvernements est fou à lier. Et on est allié avec un des deux. Tout roule.

Suite de la conférence :

 

En attendant, Obama traficote toujours avec Erdogan – de bon coeur on dirait :

Et l’Union européenne, euh, comme d’hab quoi :

Après les néo-nazis ukrainiens, 3 Md€ pour les complices de Daech, “les valeurs européennes” j’imagine…

Quelqu’un sait s’il reste des dignitaires nazis allemands survivants – vu l’âge, il faut qu’ils se dépêchent d’organiser une rencontre….

Bon, en conclusion, aucune campagne médiatique, aucune commission d’enquête parlementaire : rien d’important…

III. La Russie devoile trois itinéraires de livraison du pétrole de l’EI en Turquie

Source : Sputnik, 02-12-2015

La Turquie est le principal consommateur du pétrole volé en Syrie et en Irak, rapporte le ministère russe de la Défense.

“La Turquie est le principal consommateur du pétrole volé en Syrie et en Irak. Selon les informations recueillies, le président turc Erdogan et sa famille sont impliqués dans le système de trafic de pétrole volé par l’EI en Syrie”, a déclaré le vice-ministre de la Défense Anatoly Antonov.

“Nous connaissons la valeur des paroles d’Erdogan. Il a été déjà pris une fois en flagrant délit de mensonge par les journalistes turcs qui avaient révélé la livraison par la Turquie d’armes aux terroristes, sous couvert d’aide humanitaire. Pour cette raison les journalistes ont été emprisonnés. Les dirigeants turcs, notamment Erdogan, ne démissionneront pas et ne reconnaîtront rien, même si leurs visages sont souillés par le pétrole volé “, a martelé Anatoli Antonov.

Néanmoins, la Russie a la preuve que la Turquie est le point d’arrivée du pétrole syrien provenant des gisements contrôlés par l’EI.

Sites de production et de stockage de produits pétroliers

Après avoir franchi la frontière turco-syrienne, les camions-citernes transportent le pétrole de l’EI vers des ports où l’or noir est ensuite acheminé vers des pays tiers en vue de son raffinage.

La Russie a détecté trois itinéraires de livraison du pétrole de l’EI en Turquie depuis la Syrie. L’itinéraire ouest est connecté aux ports turcs de la Méditerranée, l’itinéraire nord mène à Batman, et l’itinéraire est à la base de transit dans la municipalité de Cizre.

Trois itinéraires de livraison du pétrole de Daech

A titre d’exemple, le ministère russe de la Défense a dévoilé les photographies des convois de camions-citernes transportant du pétrole jusqu’à la frontière entre la Syrie et la Turquie.

Premier itinéraire

L’itinéraire ouest est principalement utilisé de nuit afin de transporter les hydrocarbures produits dans les gisements situés près de la ville de Raqqa, fief de Daech dans le nord-ouest de la Syrie, à travers les villes frontalières d’Azaz (Syrie) et Reyhanli (Turquie) vers les ports turcs d’Iskenderun et Dörtyol.

Sur la photo prise le 13 novembre dernier, on peut voir l’accumulation des véhicules automobiles transportant des produits pétroliers sur la route reliant la Turquie et la Syrie, près de la ville d’Azaz.

Une accumulation de véhicules transportant des produits pétroliers près de la ville d’Azaz (Syrie)

Sur la photo prise le 16 novembre dernier, on peut voir une accumulation au moins de trois cent soixante camions et véhicules lourds dans la région de Reyhanli, à proximité de la frontière syrienne.

Une accumulation d’au moins 360 camions et véhicules lourds dans la région de Reyhanli, en Turquie (15 novembre 2015)

Le renseignement spatial a également révélé qu’après avoir traversé la frontière, les camions-citernes et les véhicules lourds chargés du pétrole se dirigeaient vers les ports d’Iskenderun et de Dörtyol, équipés de quais spécialisés pour les pétroliers.

Une partie du pétrole est chargée à bord des navires et envoyée pour traitement hors de Turquie, et le reste est vendu sur le marché intérieur.

Deuxième itinéraire

Le deuxième itinéraire démarre dans les champs pétrolifères sur la rive droite de l’Euphrate. La ville de Deir ez-Zor (en Syrie) est l’un des centres de production de pétrole contrôlés par Daech. Elle abrite de nombreuses raffineries.

Une accumulation de camions-citernes est constamment enregistrée dans cette région. Le ministère russe a présenté des images de colonnes de véhicules à courte distance les unes des autres.

Les images prises le 18 octobre dernier dans les environs de Deir ez-Zor par le renseignement par satellite ont permis de découvrir au moins 1.722 camions-citernes garés essentiellement sur des parkings non aménagés en dehors des routes.

Des camions-citernes garés essentiellement en dehors des routes, dans les environs de Deir ez-Zor

 

Des camions-citernes garés essentiellement en dehors des routes, dans les environs de Deir ez-Zor

 

Leur nombre s’est considérablement réduit depuis le début des frappes russes contre les sites d’infrastructure pétrolière tenus par Daech, selon les militaires russes.

Après avoir fait le plein de pétrole, les convois venant des régions orientales de la Syrie vont vers la frontière turque et y attendent leur tour.

Les images prises au mois d’août présentent des centaines de camions-citernes et de poids lourds allant vers la frontière turque et vice-versa.

Une grande partie du pétrole transféré des régions orientales de la Syrie arrive à la raffinerie turque de Batman, à 100 km de la frontière syrienne.

Troisième itinéraire

Le troisième itinéraire de transport du pétrole vers la Turquie prend sa source dans les champs de pétrole situés dans le nord-est de la Syrie et dans le nord-ouest de l’Irak. Il passe à travers les villes frontalières de Karatchok et de Cham Khanik sur le territoire syrien et à travers les villes irakiennes de Tavan et de Zakho.

Les camions-citernes traversent la frontière turco-syrienne sans discontinuer dans la région de la ville irakienne de Zakho, d’où le pétrole est envoyé aux raffineries, dont la plus proche est située à Batman, ou dans le plus grand centre logistique de cet itinéraire, situé près de Silopi.

A l’heure actuelle, au moins 8 500 camions-citernes sont engagés dans le trafic criminel de produits pétroliers. Ils transportent quotidiennement jusqu’à 200.000 barils de pétrole.

L’aviation russe continuera de frapper les sites d’infrastructure pétrolière de Daech, et Moscou appelle ses collègues de la coalition à en faire de même.

Source : Sputnik, 02-12-2015

====================================

Pour approfondir :

-http://abonnes.lemonde.fr/international/article/2015/12/02/moscou-accuse-erdogan-et-sa-famille-d-etre-impliques-dans-le-trafic-de-petrole-avec-l-ei_4822504_3210.html

-http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/12/02/97001-20151202FILWWW00176-erdogan-implique-dans-un-trafic-avec-l-ei.php

-http://www.challenges.fr/europe/20151202.CHA2233/crise-russo-turque-lavrov-rencontrera-son-homologue-turc-a-belgrade.html

-http://fr.euronews.com/2015/12/02/achat-de-petrole-de-daech-par-la-turquie-la-russie-precise-ses-accusations/

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-accuse-officiellement-erdogan-de-traficoter-avec-daech/


[2014] Les coups de fil qui révèlent la corruption d’Erdogan, par Ola Claësson

Friday 4 December 2015 at 01:45

Pour information, de ce que j’ai pu lire, beaucoup accusent le fils d’Erdogan d’être mouillé dans le trafic de pétrole, sa fille d’organiser un réseau de soin pour les djihadistes, et, cerise sur la loukoum, la semaine passé le gendre d’Erdogan a été nommé ministre de l’énergie ! (donc du pétrole…)

Article de 2014 pour mémoire…

Source : courrier international, 26/02/2014

Coup de chaud pour Erdogan qui a dénoncé un complot contre lui. A un mois des municipales, cinq enregistrements d’appels téléphoniques révélant la corruption du Premier ministre turc ont fuité sur YouTube. En voici la retranscription.

En l’espace de quelques heures, la vidéo diffusant ces enregistrements – que le Premier ministre accuse d’être un montage – a totalisé plus d’un million de vues. Pourquoi ? Parce qu’elle révèle au grand jour l’étendue de la fortune occulte de Recep Tayyip Erdogan et de sa famille.

Corruption de père en filsL’essentiel des conversations figurant sur les enregistrements aurait eu lieu entre Recep Tayyip Erdogan et son fils Bilal Erdogan le 17 décembre, le jour où une enquête pour corruption a été ouverte inopinémentcontre des ministres du cabinet de Recep Tayyip Erdogan et leurs fils.

Tayyip Erdogan, qui se trouve à Ankara, appelle son fils, qui dormait semble-t-il et n’avait pas eu vent de l’agitation provoquée par l’ouverture de l’enquête. Il est 8 heures du matin :

R. TAYYIP ERDOGAN : Tu es chez toi ?

N. BILAL ERDOGAN : Oui, père.

R.T.E. : Ils viennent de lancer ce matin une opération contre Ali Agaoglu, Reza Zerrab, le fils d’Erdogan [un autre Erdogan], le fils de Zafer, le fils de Muammer, ils sont en train de perquisitionner chez eux.

N.B.E. : Redonnez-moi les noms, père.

R.T.E. : Je te dis le fils de Muammer, le fils de Zafer, le fils d’Erdogan, Ali Agaoglu, Reza Zerrab, 18 personnes à l’heure qu’il est. Ils viennent de lancer une vaste opération anticorruption et ils sont en train deperquisitionner.

N.B.E. : Oui.

R.T.E. : D’accord ? Maintenant écoute-moi, quoi que tu puisses avoir chez toi, tu me le fais disparaître ! D’accord ?

N.B.E. : Qu’est-ce que je peux avoir, père ? Il y a votre argent dans le coffre.

R.T.E. : C’est de cela que je te parle ! Je t’envoie ta sœur tout de suite, d’accord ?

N.B.E. : Qui m’envoyez-vous ?

R.T.E. : Je te dis que je t’envoie ta sœur !

N.B.E.: Ah, d’accord !

R.T.E. : Assure-toi qu’elle est au courant, d’accord ? Parle à ton frère !

N.B.E. : Oui !

R.T.E. : Faisons comme cela, parle à ton oncle aussi, il faut aussi qu’il fasse le ménage chez lui, parle à ton beau-frère, il faut que lui aussi…

N.B.E. : Que doit-on en faire, père, où faut-il que je le mette ?

R.T.E. : A des endroits précis, fais-le !

Dans d’autres enregistrements transcrits ci-dessous, Bilal Erdogan rappelle son père pour lui rendre compte de ses progrès. Après avoir passé une journée à réunir des sommes astronomiques en liquide – il serait question de 1 milliard de dollars répartis dans 5 maisons différentes – pour les faire disparaître en achetant des appartements et en payant d’avance des hommes d’affaires avec lesquels ils travaillent, il n’est pas encore parvenu à tout cacher.

Cet appel a lieu à 23 h 15 le même jour :

N.B.E.: Bonjour papa, j’appelle pour… on a presque fini. Oh, c’est vous qui m’avez appelé, père ?

R.T.E. : Non, ce n’est pas moi, c’est toi.

N.B.E. : J’ai été appelé par un numéro masqué.

R.T.E. : Venons-en au fait, tu as pu le faire disparaître ?

N.B.E. : Pas encore la totalité, père. Laissez-moi vous expliquer. Il reste 30 millions d’euros qu’on n’a pas réussi à faire disparaître. Berat [gendre d’Erdogan et directeur général de Çalik Holding] a eu une idée. On peut donner 25 millions de dollars de plus [au fondateur de Çalik Holding] Ahmet Çalik. Ils disent de lui donner. Et, quand l’argent sera là, on fera quelque chose, ils ont dit. Et avec le reste, on peut acheter un appartement deSehrizar, il m’a dit. Qu’en pensez-vous, père ?

Tayyip Erdogan accepte les propositions de son fils pour dissimuler les 30 millions d’euros restants. Le lendemain, 18 décembre, Bilal Erdogan appelle son père et l’informe que l’argent a été dissimulé en intégralité

Quelles conséquences pour les municipales ?

A ce jour, il est difficile de prédire dans quelle mesure ces enregistrements influeront sur l’issue des municipales du 30 mars. Naturellement, les partis d’opposition ont immédiatement réclamé la démission d’Erdogan, pendant que le Premier ministre affirmait que cet enregistrement, qui dure plus de onze minutes, était un montage, ajoutant qu’il avait l’intention de poursuivre en justice les individus qui se cachent derrière cet “odieux complot” dirigé contre lui et sa famille.

Cependant, il est certain que la réaction des électeurs après la révélation de ces enregistrements sera décisive pour l’avenir proche de la Turquie. Si ces enregistrements ne font pas chuter Erdogan lors des prochaines élections, il est clair que rien ne pourra le faire. La vidéo des enregistrements :

Ola Claësson

Source : courrier international, 26/02/2014

Source: http://www.les-crises.fr/les-coups-de-fil-qui-revelent-la-corruption-derdogan-par-ola-claesson/


La vraie nature de Monsieur Erdogan, par Alexandre del Valle

Friday 4 December 2015 at 00:34

Source : Politique Internationale, n°148

Essayiste et éditorialiste. Auteur, entre autres publications, de : La Turquie dans l’Europe, un cheval de Troie islamiste ?, Les Syrtes, 2003 ; Le Complexe occidental. Petit traité de déculpabilisation, Éditions du Toucan, 2014 ; Le Chaos syrien. Printemps arabes et minorités face à l’islamisme, Dohw éditions, 2015.

la vraie nature de MONSIEUR ERDOGAN

Depuis l’arrivée au pouvoir, en 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP) d’inspiration islamiste, la Turquie a connu une mutation économique, politique, socio-religieuse et stratégique impressionnante. Le changement porte surtout sur l’identité nationale et la nature du régime politique : construction massive de mosquées ; renvoi des militaires dans leurs casernes ; autorisation du port du voile dans les écoles ; projets de révision de la Constitution instaurant un présidentialisme fait sur mesure pour Erdogan.

Mais la politique étrangère n’est pas en reste : tout en maintenant sa candidature à l’Union européenne, Ankara a mené une diplomatie à la fois « néo-ottomane », tournée vers le monde arabo-musulman, et multilatérale en direction des pays asiatiques. Cette Turquie post-kémaliste se pose en championne des Frères musulmans et des Palestiniens. Rompant brutalement avec son vieil allié Bachar el-Assad, elle a pris fait et cause pour les rebelles sunnites en guerre contre le régime syrien, jusqu’à adopter une attitude ambiguë envers les groupes islamistes djihadistes, y compris l’État islamique… Arguant de sa situation de corridor énergétique, Ankara a également resserré ses liens avec la Chine, la Russie et l’Iran.

Surenchère anti-israélienne pour séduire la rue arabe et islamiste

Tribun « islamo-populiste » hors pair, Recep Tayyip Erdogan a su jouer, depuis 2002, la carte de la réislamisation en vue de fidéliser son électorat sunnite et de permettre à la Turquie de reprendre pied dans ses anciennes possessions ottomanes (Égypte, Gaza-Palestine, Liban-Syrie, Maghreb, Balkans…). Cette stratégie s’est déployée de façon progressive afin de ne pas braquer ses alliés occidentaux qui l’ont aidé à arriver au pouvoir et à vaincre l’« État profond » kémaliste (1). Mais, à partir de la fin des années 2000, elle s’est intensifiée à coups de surenchères verbales anti-israéliennes destinées à séduire les millions de musulmans attachés à la cause palestinienne.

Plusieurs événements ont marqué la fin de l’amitié turco-israélienne (2). Le point de quasi-rupture a été atteint avec l’affaire de la flottille de Gaza, en mai 2010, lorsque des commandos israéliens ont tué neuf militants turcs pro-palestiniens à bord d’un ferry turc chargé d’aide humanitaire qui tentait de briser le blocus de Gaza. Un prétexte tout trouvé pour dénoncer l’ex-allié israélien. Ankara a par la suite pleinement approuvé l’obtention, par la Palestine, d’un statut d’observateur à l’ONU, puis appelé à la création d’un « État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale », ce que refuse l’État hébreu, avec lequel la Turquie reste pourtant liée par un traité (3). Emboîtant le pas à son président, le premier ministre Davutoglu a déclaré, lors d’une réunion de l’Organisation de la coopération islamique (à Djibouti, novembre 2012), que les « attaques dans la bande de Gaza – prison à ciel ouvert – sont un crime contre l’humanité » (4).

Déjà très liée aux Frères musulmans, qui organisent chaque année à Istanbul leur réunion internationale, la Turquie de l’AKP est devenue la nouvelle terre d’accueil du Hamas, branche palestinienne des Frères. Des membres de son aile armée s’entraînent sur son sol avec l’assentiment des autorités turques. D’évidence, ce soutien, qui a culminé avec l’installation officielle à Istanbul du siège du Hamas après son expulsion de Damas en 2011, pose un problème sécuritaire aux pays de l’Otan qui considèrent toujours ce mouvement comme terroriste. Malgré les protestations israéliennes et américaines, en 2013, Ankara a permis au Hamas d’élargir les activités de son siège turc, dirigé par Salah Al-Arouri.

Parmi les personnalités du Hamas installées en Turquie, on dénombre aujourd’hui vingt anciens prisonniers reconnus coupables d’actes terroristes, qui ont été libérés dans le cadre de l’échange avec le soldat israélien Gilad Shalit, notamment Zaher Jabarin et Jihad Yarmur, impliqués dans l’assassinat du soldat Nachshon Wachsman en 1994. Plus étonnant encore pour un pays qui s’est souvent présenté comme un rempart contre le terrorisme islamiste, la Turquie d’Erdogan tolère que le Hamas profite de son bureau à Istanbul pour recruter de jeunes Palestiniens étudiant en Turquie, en Jordanie ou en Syrie. Depuis que la Jordanie n’autorise plus les membres du Hamas à suivre une formation militaire sur son sol, les nouvelles recrues sont envoyées au siège stambouliote d’où elles sont ensuite acheminées vers des camps d’entraînement. En décembre 2014, Khaled Mechaal, chef du Bureau politique du Hamas, a été reçu avec tous les honneurs lors du congrès annuel de l’AKP et a prononcé à cette occasion un discours invitant à renforcer la coopération entre la Turquie et les Palestiniens en vue de « lutter pour libérer Jérusalem » (5).

Les postures anti-israéliennes des autorités turques méritent toutefois d’être relativisées : 1) l’AKP n’a jamais réellement rompu avec Israël, dont l’armée continue de coopérer avec l’armée turque ; 2) les déclarations d’Erdogan ou de Davutoglu reprochant à Israël sa politique de « colonisation » et de construction de milliers de logements dans des colonies juives sonnent comme des accusations miroirs, car la Turquie n’a jamais mis fin à la politique d’occupation et de colonisation – condamnée par l’ONU et le Conseil de l’Europe – de 37 % du nord de l’île de Chypre (« république turque de Chypre du Nord, RTCN, non reconnue internationalement »). Depuis 2008, Ankara a même menacé à plusieurs reprises la république de Chypre (membre de l’UE) d’intervenir militairement si jamais elle accordait des permis d’exploration gazière à Total ou à des consortiums franco-russe, italien (ENI) et sud-coréen (Kogas) (6).

Soutien aux révolutionnaires islamistes sunnites et échec de la diplomatie « zéro ennemi »

À partir du printemps 2011, pariant sur le succès des révolutions arabes, la Turquie a rompu avec ses anciens alliés nationalistes hostiles aux insurgés islamistes (Syrie de Bachar el-Assad, Libye de Kadhafi et, depuis 2013, Égypte du maréchal-président al-Sissi). Ankara a également perdu de son crédit au Liban et en Tunisie, où elle avait misé sur les Frères musulmans. En soutenant les révolutionnaires fréristes et en sous-estimant la capacité de réaction des forces hostiles aux islamistes, Ankara a en réalité réduit sa « profondeur stratégique » plus qu’elle ne l’a élargie, consacrant ainsi l’échec de la doctrine chère à Davutoglu du « zéro ennemi ».

La stratégie d’Ankara visant à obtenir le renversement du régime baasiste de Damas pour gagner les coeurs des masses sunnites solidaires des rebelles syriens a encouragé le gouvernement turc à soutenir pratiquement toutes les forces combattantes susceptibles de renverser Bachar el-Assad : de façon officielle, les rebelles sunnites « modérés » puis, de façon moins officielle, le Front islamique, l’Armée de la conquête (7) et même l’État islamique (Daech (8)).

Dès le début des opérations militaires occidentales en Syrie et en Irak, Ankara a refusé que l’aviation américaine utilise les bases de l’Otan pour bombarder les positions de l’EI – et cela, au risque d’apparaître comme un partenaire objectif des djihadistes. Rappelons que la Turquie abrite 24 bases de l’Otan (9), que l’armée de l’air turque dispose des dernières technologies issues de l’industrie militaire américaine et que ses pilotes sont formés par les États-Unis… Consternés, les stratèges de l’Otan et des pays en guerre contre Daech savent que, depuis le début de la guerre civile syrienne, Ankara a fermé les yeux sur les camps d’entraînement de l’EI installés sur son territoire et sur le passage à travers sa frontière d’armes et de djihadistes du monde entier. Ils sont souvent recrutés en Turquie – dans les mosquées, les écoles et même parmi les forces de sécurité -, ce pays étant devenu une base arrière pour la plupart des groupes islamistes syriens, y compris ceux liés à Daech et à al-Nosra (branche syrienne d’Al-Qaïda).

C’est d’ailleurs par la Turquie que transitent les volontaires européens, comme Hayat Boumeddiene, la compagne du terroriste français Amedy Coulibaly, auteur de la tuerie de l’Hyper Cacher en janvier 2015, ou encore les trois lycéennes londoniennes (10) qui ont été approchées sur Twitter par une militante djihadiste. Certes, le gouvernement turc assure qu’il fait tout ce qui est en son pouvoir pour sécuriser les 800 kilomètres de frontière séparant les deux pays ; mais selon les passeurs, les combattants sunnites et les réfugiés, il est clair que les mafias locales et les forces de l’ordre corrompues ont organisé un véritable business. Pour 25 dollars, n’importe quel candidat au djihad peut franchir la frontière turque pour rejoindre Daech, al-Nosra, al-Ahram ou le Front islamique. Certains passeurs turcs « louent » carrément des sections de la frontière syro-turque à des « émirs » de Daech. Ajoutons que, jusqu’à présent, les autorités d’Ankara se sont bien gardées de mettre un terme à la contrebande d’hydrocarbures en provenance d’Irak et de Syrie – ce qui est loin d’être anodin lorsque l’on sait que les dizaines de champs pétroliers et de raffineries contrôlés par l’EI génèrent quelque 2 millions de dollars de recette par jour !

Pis encore : fin 2014, alors que le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, tentait de convaincre Ankara de participer à l’offensive occidentale contre Daech, le président Erdogan refusa de soutenir militairement les forces kurdes qui défendaient la ville frontalière de Kobané (nord de la Syrie), assiégée depuis plusieurs mois par les combattants de l’État islamique (reprise par les Kurdes en janvier 2015) et d’ouvrir la base militaire d’Inçirlik aux avions de la coalition internationale. L’armée de l’air turque alla même jusqu’à bombarder des cibles du PKK dans le sud-est de la Turquie, une première depuis le cessez-le-feu décrété par les rebelles kurdes en mars 2013.

Le refus d’Ankara de se joindre aux opérations de la coalition a contribué à compromettre le fragile accord de paix conclu en 2013 avec le PKK. Et le succès inattendu du parti kurde HDP à l’occasion des élections générales turques du 7 juin 2015 (13 %, 80 députés) n’est pas étranger à ce refroidissement des relations turco-kurdes sur fond de chaos syrien et régional. En novembre et décembre 2014, les manifestations pro-kurdes se sont multipliées en Turquie, faisant plusieurs dizaines de morts. Mais Ankara a toujours comme priorité la lutte contre le régime d’Assad. D’où la revendication d’une zone d’exclusion aérienne au nord-ouest de la Syrie en échange d’une participation turque – pour l’heure toute symbolique – à la lutte contre l’EI (11). Et le gouvernement AKP continue de refuser que les forces kurdes de Syrie soient intégrées au programme d’entraînement des rebelles syriens mis en place en avril 2015 conjointement avec le Qatar, l’Arabie saoudite et les États-Unis.

Préférer les rebelles djihadistes syriens aux Kurdes ?

En fait, la position d’Ankara obéit à une logique  nationale-islamiste : les djihadistes sunnites ne sont pas considérés comme l’ennemi principal mais comme des forces – certes à surveiller – susceptibles de contribuer à la chute du régime de Bachar el-Assad. Ils permettent aussi de lutter contre l’ennemi intérieur que constitue l’irrédentisme kurde du PKK turc dans la mesure où ce PKK dispose d’une base arrière en Syrie tenue par le Parti de l’union démocratique (PYD) et ses combattants. De ce point de vue, les exigences des Occidentaux, qui voudraient voir la Turquie favoriser l’envoi de combattants du PKK turc pour aider leurs frères du PYD turc en Syrie, sont inacceptables aux yeux d’Ankara.

On ne saurait toutefois réduire la politique kurde d’Ankara à l’expression d’une simple inimitié. Les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît et l’hostilité envers les indépendantistes kurdes du PKK turc et leurs alliés de Syrie est compensée par une coopération économique, politique et culturelle étroite avec le Kurdistan autonome d’Irak. Celui-ci est gouverné notamment par le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani, historiquement opposé aux partis-guérillas marxistes kurdes de Syrie (PYD) et de Turquie (PKK). Après l’intervention anglo-américaine de 2003 (12), le Kurdistan irakien est devenu, dès 2005-2006, un allié d’Ankara. Près de 70 % des importations irakiennes de produits turcs sont destinées à la province kurde, où la Turquie s’approvisionne en pétrole et en gaz. C’est dans le cadre de cette alliance pragmatique qu’Ankara a fourni une assistance logistique et une aide en matière de renseignement aux forces irakiennes en guerre contre l’EI (13). Mais la collaboration d’Ankara à la lutte contre l’EI s’est arrêtée là, l’armée turque ne pouvant mener une action militaire directe contre Daech qu’en cas de légitime défense (14).

Cette posture prudente a valu à la Turquie d’être jusqu’à présent épargnée par le terrorisme djihadiste et a permis aux services spéciaux de négocier avec succès la libération des 46 ressortissants turcs enlevés par l’EI en juin 2014 à Mossoul. Une fois les otages libérés sans violence, le 20 septembre 2014, le gouvernement d’Ankara a exprimé sa volonté de rejoindre la coalition internationale et a fait voter au Parlement une motion autorisant son armée à se déployer en Irak et en Syrie. Mais à deux conditions : que le régime de Bachar el-Assad soit clairement désigné comme la cible principale et qu’une zone d’exclusion aérienne soit instaurée. Aujourd’hui, la Turquie soutient, avec le Qatar et l’Arabie saoudite, l’Armée de la conquête, qui s’est emparée de la province d’Idleb dans le nord-ouest de la Syrie, et qui n’est en fait qu’une création d’Al-Qaïda « canal historique » via le Front al-Nosra. Ce faisant, Ankara aide indirectement d’autres djihadistes anti-Assad, dans la mesure où la pression exercée par l’Armée de la conquête sur Damas a obligé le régime syrien à abandonner l’est du pays à Daech afin de concentrer ses efforts sur Homs, Alep, la côte et la capitale.

En mars 2015, la Turquie a certes officiellement déclaré qu’elle changeait d’attitude, notamment en annonçant un ralliement tout symbolique à la coalition anti-Daech, mais le premier ministre Ahmet Davutoglu a clairement confirmé qu’Ankara n’enverrait pas de troupes pour combattre l’État islamique, la contribution turque se limitant à une aide logistique et humanitaire. Des avions-cargos remplis de matériels militaires (tenues de camouflage, rangers, tentes, couvertures, etc.) ont été envoyés à Bagdad. La Turquie a également poursuivi sa politique d’évacuation des populations civiles et d’accueil massif de réfugiés syriens au nom de sa politique de la « porte ouverte » – une politique très critiquée par l’opposition kémaliste qui voit dans les deux millions de déplacés irakiens et syriens présents en Turquie une réserve de cellules terroristes dormantes…

La voie eurasiatique et la vocation turque de corridor énergétique

Suite (recommandée) à lire sur :  Politique internationale

Notes :
(1) Derin devlet : littéralement, l’« État profond » (de l’arabe dawla, État, et du turc derin, « profond »). Manière dont la Turquie appréhende la question de l’intérêt national et de l’État (« fort et sacré ») dont les droits transcendent ceux de l’individu. Le derin devlet traduit une conception ultra-nationaliste de la souveraineté qui inspire à la fois l’état-major de l’armée turque et les nationalistes kémalistes ainsi que l’extrême droite. Il désigne aujourd’hui ceux qui demeurent prêts à intervenir (face aux « gauchistes », aux « séparatistes » ou aux « islamistes réactionnaires ») pour « empêcher le démantèlement de la Turquie ». Celle-ci serait « menacée » par ses voisins hostiles (Grecs, Arméniens, Iraniens, Arabes, Kurdes, etc.), toujours prêts à revenir au traité de Sèvres qui prévoyait la division de l’actuelle Turquie après la défaite définitive de l’Empire ottoman (ce traité fut invalidé en 1923 par le traité de Lausanne qui a fondé la République turque moderne).(2) Les deux gouvernements s’étaient violemment opposés au sujet de la guerre contre le Hamas (27 décembre 2008-17 janvier 2009) et l’arraisonnement par Israël (31 mai 2010) de la flottille se dirigeant vers Gaza (voir infra).(3) Rappelons enfin qu’à partir de 1994 quatorze accords militaires ont été signés entre les deux parties. Le 18 septembre 1995 fut signé à Tel-Aviv le « mémorandum » sur l’aviation militaire. Quelques mois plus tard, le 23 février 1996, le directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, le général David, et le premier secrétaire de la représentation turque, Cevik Bir, signaient des « accords de coopération et d’entraînement ». Ces accords portaient sur les entraînements conjoints entre les forces aériennes et maritimes des deux pays, l’échange de personnel militaire ou encore la possibilité offerte aux deux parties d’utiliser leurs bases militaires respectives. L’alliance militaire entre les deux pays est officiellement rompue en juin 2010, au lendemain de l’attaque d’un navire turc en route pour la Palestine (« Flottille de la paix ») par Tsahal, qui fait 9 morts civils. Mais depuis 2013, dans le contexte du chaos syrien et régional, les relations entre la Turquie et Israël se sont  réchauffées : Ankara a repris ses achats d’armements auprès de l’État hébreu, notamment des systèmes logistiques électroniques destinés à équiper des avions Awacs.(4) Voir Alexandre del Valle, « La stratégie néo-ottomane d’Erdogan pour réislamiser la Turquie et influencer le Proche-Orient », Atlantico, 12 novembre 2012, http://www.atlantico.fr/decryptage/turquie-proche-orient-strategie-neo-ottomane-erdogan-pour-reislamiser-turquie-et-influencer-proche-orient-alexandre-del-valle-564237.html.

(5) Des centaines de recrues ont été formées à l’utilisation d’armes légères, à la fabrication de bombes et aux opérations spéciales en Turquie, avant d’être envoyées sur le théâtre syrien ou cisjordanien. Les services de renseignement israéliens ont révélé, en 2014, à l’occasion de l’arrestation de cent terroristes qui préparaient des attentats dans l’Autorité palestinienne, que le chef du réseau, Riad Nasser, était un ancien du Hamas ayant opéré en liaison avec le siège d’Istanbul. De même, le chef du groupe de trente terroristes arrêtés en septembre 2014, Manaf Ajbara, étudiant originaire de Tulkarem, a été recruté en Turquie. Les assassins des trois adolescents israéliens tués en juin 2014 ont également été recrutés par le siège stambouliote. Et une part importante des armes du Hamas en Cisjordanie a été achetée par le siège d’Istanbul.

Concernant l’implication de la Turquie aux côtés des djihadistes et notamment de l’État islamique en Syrie, elle est constatée par tous les services de renseignement des pays occidentaux qui savent qu’une partie du territoire turc frontalier de la Syrie a servi depuis 2013 au moins de base arrière aux djihadistes de Daech et aujourd’hui au Front al-Nosra (branche syrienne d’Al-Qaïda) et à Ahrar Cham, organisations étrangement épargnées par les frappes aériennes de l’armée américaine. La présence de forces turques aux côtés des djihadistes de l’EI a été signalée en plusieurs lieux du Kurdistan syrien, notamment à Solipkaran, à 8 kilomètres de Tell Abyad, où les militaires turcs ont épaulé les djihadistes face aux rebelles kurdes. Des blindés turcs franchissent régulièrement la frontière turco-syrienne, comme on l’a vu lorsqu’ils ont prêté main-forte aux djihadistes assiégeant Jiimayé-Almalik (à 20 kilomètres de Tell Abyad) face au PYD kurde syrien. Les sections d’élite turques ont supervisé des attaques de Daech contre le village de Khan al-Jaradé, faits confirmés non seulement par le régime syrien mais aussi par l’opposition syrienne, notamment l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). C’est également par la Turquie que transitent les djihadistes venus d’Europe, du Maghreb, du Caucase, d’Asie centrale, du Pakistan et même de Chine ou d’Inde.

(6) Ankara a également menacé d’exclure de ses futurs projets énergétiques les compagnies internationales signant des contrats d’exploration de gaz dans les eaux territoriales de Chypre, sur lesquelles la Turquie n’a pourtant aucun droit.

(7) Coalition militaire composée de nombreuses factions rebelles islamistes syriennes, dont la branche syrienne d’Al-Qaïda, le Front al-Nosra, surtout actives autour d’Idleb, de Hama et de Lattaquié. Créée le 24 mars 2015, l’Armée de la conquête a pris la ville d’Idleb le 28 mai 2015. Cette alliance bénéficie d’une aide qatarie, saoudienne et surtout turque considérable en matière financière et logistique, de livraisons d’armes et de facilités de passage sur le territoire turc.

(8) Acronyme de Dawla al islamiyya fi Irak wa sham, État islamique en Irak et au Levant, devenu en juin 2014 État islamique. Voir Alexandre del Valle et Randa Kassis, Le Chaos syrien, Dhow éditions, 2014.

(9) Voir « NATO’s Eastern Anchor. 24 NATO bases in Turkey », Global Research, 14 février 2011, http://www.globalresearch.ca/nato-s-eastern-anchor-24-nato-bases-in-turkey/23205.

(10) Cf. Sophia Jones, « Il suffit de 25 $ pour rejoindre Da’ech en Syrie en passant par la Turquie », Huffington Post, 7 mars 2015, https://fr.news.yahoo.com/suffit-25-rejoindre-daech-syrie-063843398.html

(11) Voir l’article d’Abdullah Bozkurt, « Erdogan’s mosque building frenzy » (Zaman, 9 mai 2015), qui annonce une opération militaire de l’armée turque visant à renverser le régime d’Assad qui a subi des revers en mai 2015. En fait, la Turquie mène une politique plus qu’ambiguë. Elle prétend, en effet, aider la colalition anti-Daech tout en posant des conditions impossibles à sa participation militaire active (zone d’exclusion aérienne et zone tampon) et en aidant directement ou indirectement Daech face aux Kurdes et au régime syrien, considérés par Ankara comme ses principaux ennemis.

(12) Le 20 mars 2003, l’intervention militaire anglo-américaine « Liberté pour l’Irak » est lancée contre l’Irak – sans mandat de l’ONU – avec pour buts de guerre de « lutter contre le terrorisme international » et de mettre fin au régime de Saddam Hussein, soupçonné de détenir des « armes de destruction massive ». Cette opération provoque la chute du régime de Saddam Hussein après 20 jours de combats. Bagdad est rapidement occupée ; les forces de la coalition américano-britannique instaurent une Autorité provisoire, dirigée par le diplomate américain Paul Bremer. Saddam Hussein, qui a pris la fuite en avril 2003, est arrêté en décembre. Les troupes d’occupation doivent faire face à des mouvements de résistance, chiites comme sunnites (islamistes et baasistes), qui s’organisent dans un contexte de chaos général et de démantèlement des structures étatiques irakiennes. Le pays sombre dans la guerre civile. Les chiites majoritaires et revanchards, appuyés à la fois par les forces anglo-américaines et par l’Iran, prennent le contrôle de ce qui reste de l’État irakien, après des décennies de domination sunnite. De leur côté, les nationalistes kurdes, associés au nouveau pouvoir et dotés de forces militaires propres (Peshmergas), créent de facto un État indépendant, ce qui va déclencher une vague d’anti-américanisme sans précédent en Turquie. À partir de janvier 2007, le Congrès et l’opinion publique américains ne soutiennent plus l’Administration Bush, le conflit ayant occasionné la mort de 3 000 soldats américains. En 2008, l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis change la donne géopolitique. Le nouveau président propose un calendrier pour le retrait progressif des troupes : les derniers soldats américains quittent le pays en décembre 2011. Le vide soudainement provoqué par le retrait américain permettra à l’État islamique de refaire surface en Irak puis en Syrie.

(13) En fait, la stratégie turque varie selon les théâtres d’opérations : si l’armée turque collabore plus facilement avec les autres États de la coalition contre Daech en Irak, elle aide objectivement l’État islamique en Syrie face aux Kurdes liés au PKK et au régime alaouite-baasiste de Bachar el-Assad.

(14) Parce qu’elle considère comme ses ennemis principaux les Kurdes syriens indépendantistes pro-PKK et le régime alaouite de Damas, et parce qu’elle craint à juste titre une déstabilisation interne et des vagues d’attentats djihadistes facilités par les nombreuses cellules pro-Daech et pro-Al-Qaïda au sein des deux millions de réfugiés syriens présents sur son territoire, la Turquie n’a pas intérêt à intervenir militairement contre Daech et d’autres groupes djihadistes. D’autant qu’elle aide désormais officiellement l’Armée de la Conquête dont l’une des composantes n’est autre qu’Al-Qaïda en Syrie (Front al-Nosra)…

 

Source : politiqueinternationale, n°148

Source: http://www.les-crises.fr/la-vraie-nature-de-monsieur-erdogan-par-alexandre-del-valle/


UE : les néoconservateurs de Bruxelles choisissent la confrontation avec la Russie, par Alain Pucciarelli

Thursday 3 December 2015 at 23:40

Source : Alain Pucciarelli, 03-12-2015

A la faveur de la « crise des réfugiés », l’UE fait risette à la Turquie et désavoue M. Hollande  dans sa quête d’une aide militaire auprès de la Russie

Le « problème » des réfugiés conduit donc l’UE à rouvrir les négociations avec la Turquie en vue de son adhésion, et à répondre de la sorte positivement à une vieille demande des Etats Unis.

Elle fait cela au motif officiel que sans accord de fond avec la Turquie, le problème des réfugiés ne peut pas être résolu. Elle agit sans consultation officielle des pays concernés, sans tenir compte de leurs opinions publiques.

-Elle le fait juste après que la Turquie a abattu un chasseur russe en Syrie sans raison apparente autre que celle de la provocation, dont l’origine peut sans doute être recherchée du côté de Washington, qui a la haute main sur l’usage des armements sophistiqués que les Etats Unis livrent à leurs alliés. En la matière, on est en droit de supposer que la Turquie a appuyé sur la détente, mais qu’elle ne tenait pas le viseur.

-Elle le fait à la suite des événements du 13 novembre en France, et de la visite à Moscou de M. Hollande quêtant une aide pour abattre « Daesh » (alors que l’UE a reconduit les sanctions contre la Russie). Cette escale moscovite succédait à  une entretien humiliant à Washington avec M. Obama, qui a maintenu son préalable, le départ de M. Assad (inacceptable pour la Russie), pour s’engager dans une coalition anti Daech en dépit de l’agression qu’a subie la France. Autrement dit, M. Hollande a été piteusement éconduit par notre « grand allié » qui n’a pas pu voir d’un bon œil l’éventuel rapprochement de la France et de la Russie.

-Et voilà que sur le mode Tartuffe, elle ridiculise le président français à peine rentré de Moscou en se rapprochant brutalement et étroitement d’un agresseur de fraîche date de la Russie. De sa seule initiative ? Peut-on attribuer tout cela au hasard des calendriers et des contraintes diverses et variées de la politique internationale ? A chacun d’en juger.

Une vérité paradoxale 

La Turquie est donc en apparence considérée suffisamment importante dans la gestion des flux de réfugiés qu’il convient de la museler avec de l’argent (on parle de trois milliards d’euros au moins) et avec la réanimation d’une perspective politique ancienne d’intégration. On ne peut pas mieux reconnaître dans tous les cas qu’elle est largement à l’origine de l’invasion migratoire  qui secoue l’UE.

Cette réouverture officielle des négociations visant à permettre son entrée dans l’UE intervient à un moment où le régime de M. Erdogan donne des signes d’autoritarisme réels, par exemple à travers la mise au pas de la presse d’opposition, ou l’emprisonnement de journalistes dénonçant la collusion entre la Turquie et Daech, alors que M. Poutine dénonce cette collusion et accuse Ankara de commercialiser le pétrole vendu par l’  « Etat islamique ». L’UE prend cette décision lourde de conséquences au moment où les avions turcs supposés frapper Daech s’en prennent surtout aux Kurdes, qui se battent précisément contre Daech, comme le faisait le chasseur russe abattu dernièrement. Tout cela se produit sur fond d’islamisation accélérée de la société turque et d’alliance étroite avec les états sunnites de la région, dont le Qatar et l’Arabie Saoudite, proches alliés eux aussi des Etats Unis et soutiens puissants des islamistes qui mettent la Syrie à feu et à sang.

Autrement dit, l’UE tend symboliquement la main à Daech  alors que M. Hollande tente, ou fait semblant de tenter d’organiser une coalition contre ce groupe terroriste dont la naissance doit tout aux Etats Unis (lire les déclarations du général Desportes devant le Sénat le 12 décembre 2014, Les crises.fr).

Cet étrange rebondissement intervient après que des preuves ont été apportées de l’implication illégale, secrète et très concrète (armes, argent, conseillers) des pays européens (aux côtés des Etats Unis), dont la France, dans la guerre menée par les groupes terroristes, modérés ou pas, contre le pouvoir de M. Assad. M. Hollande a reconnu des livraisons d’armes en direction de « rebelles modérés » faites en toute illégalité internationale. M. Fabius a légitimé le soutien à un « groupe modéré » (Al Nosra), qui vient d’applaudir au massacre du 13 novembre à Paris, en parlant du « boucher Assad » et du sang que ce dernier aurait sur les mains.

Si tel est le cas, et pourquoi pas, en a-t-il autant que M. Obama, ou que son prédécesseur M. Bush (la liste des bourreaux est infinie) ? Est-ce là un argument recevable en politique internationale, surtout quand les monarchies moyenâgeuses et barbares du golfe sont nos alliées ?

Un désastre européen programmé ?

On peut opter pour deux visions de la situation actuelle, dont la gravité ne semble pas mobiliser nos médias, qui s’extasie sur la COP21 ou les nouvelles frappes occidentales (avec l’Allemagne et le Royaume Uni) autour des Etats Unis qui, espérons-le, seront plus efficaces que les précédentes. A moins qu’une nouvelle provocation anti russe ne vienne égayer nos soirées.

La première vision, rebattue par la « grande » presse, s’en tient à la prise en compte du cours « normal » des politiques européennes, faites d’accommodement, de compromis et d’arrangements entre amis dans un contexte aujourd’hui délicat, celui des réfugiés. Ce qui est oublier les conditions et le moment où cet accord intervient. Et sauf bien entendu que cette mollesse supposée des instances européennes fait place dès que nécessaire à une rigueur et à une brutalité sans pareilles, par exemple à l’occasion de l’affaire grecque.

A noter que la « une » du Monde.fr du mardi 1er décembre (au moins dans la matinée) ne souffle pas un mot sur cet énorme événement, la reprise des négociations d’adhésion avec la Turquie, et que le 20h d’Antenne 2 du même jour fait de même, ce qui en dit probablement  toute l’importance véritable.

 Une autre réalité ?

On a parallèlement le droit, et sans doute le devoir civique, de voir les choses d’un autre œil, au moins pour essayer de comprendre une réalité qui, peut-être, paraît plus complexe qu’elle n’est.

Personne ne peut nier que l’afflux brutal des réfugiés dont l’essentiel vivaient dans des camps au Liban et en Turquie déstabilise les pays de l’UE, quoiqu’en disent les droitdelhommistes professionnels. Cet afflux s’est déclenché soudainement et massivement, et il est permis de voir à l’origine de cet événement un chef d’orchestre, la Turquie (par exemple!), conviée pour prix de cette action d’éclat à accéder à son vieux projet européen par ceux-là mêmes qui subissent son agression violente par flots de malheureux migrants interposés.

Cela ne « colle » évidemment pas. Récompense-t-on un état qui fait preuve d’un tel pouvoir de nuisance ? Et bien… oui ! Les réfugiés en provenance du Moyen orient sont si nombreux qu’ils feraient presque oublier les flux meurtriers de « boat peoples » qui tentent toujours de traverser la Méditerranée depuis les rivages de feu la Lybie.

Si, comme l’accord avec la Turquie paraît l’indiquer, ce pays a donc eu un rôle majeur dans ce désastre humanitaire si parfaitement mis en oeuvre, nonobstant le fait que la tragédie humanitaire globale au Moyen Orient trouve sa source dans les politiques occidentales, au premier rang desquelles celle des Etats Unis, on ne peut qu’être intrigué par la soudaine précipitation de l’UE à reprendre dans de telles conditions des négociations plus ou moins suspendues avec la Turquie, qui n’a par ailleurs jamais été officiellement découragée dans son entreprise d’intégration de l’UE, cette vieille stratégie US comme il l’a été évoqué plus haut.

Autrement dit, le vrai fil de cette histoire peut être lu en sens inverse de ce qui nous est asséné quand certains médias prennent la peine de parler de cela: le flux de réfugiés a pu être déclenché par les Occidentaux, dont les dirigeants européens, avec l’aide décisive de la Turquie, pour permettre la « nécessaire » intégration de la Turquie à l’UE selon la vision atlantiste.

On pourrait alors interpréter cette hypothèse vraisemblable comme un plan brillant destiné à duper les opinions publiques occidentales, et à renforcer la politique US au Moyen orient en adossant enfin la Turquie à l’UE, tout en accélérant le processus de désintégration des Etats européens qui de la sorte ne s’opposeront plus aux Etats Unis d’aucune manière : l’allié turc, avec les amis des états Unis déjà nombreux parmi nos partenaires européens, contribuera mieux encore à vassaliser le vieux continent et à l’ensabler dans des querelles sociétales monstrueuses depuis Bruxelles.

Nous aurons ainsi une traduction libre et imparfaite, du vieux rêve fédéraliste porté par Jean Monnet (se reporter à tous les arguments qui militent rationnellement contre une entrée de la Turquie dans l’UE et pour une sortie de la France de cette même UE).

Implications objectives

Les attentats Charlie ont conduit à la mise en œuvre de la « loi sécurité », sur le modèle du Patriot Act américain. Ceux du 13 novembre débouchent sur l’état d’urgence, comme en prolongation de la loi qui de toute évidence protège peu contre le terrorisme, surtout quand le gouvernement français a refusé (2013) les informations des services syriens relatifs aux « Français » combattant avec Daech et qu’après le 13 novembre, il ne rouvre toujours pas son ambassade à Damas, seul moyen de collecter des informations fiables en temps réel. On peut considérer à ce titre que l’Etat ne fait pas tout ce qui est indispensable à la lutte contre les terroristes, tout en instrumentalisant au maximum les conséquences des actes de ces derniers, et sans remettre en cause sa politique extérieure, qui est  celle de l’UE et donc de Washington en dépit des velléités de M. Hollande de se rapprocher de la Russie.

L’UE tend la main à la Turquie, qui trempe apparemment dans des pratiques mafieuses la liant à la nébuleuse terroriste, soutenue et financée puissamment on l’a dit par les grands amis de la Turquie et de la France que sont les monarchies pétrolières. La Turquie facilite aussi grandement les allées et venues des terroristes, leurs approvisionnements, leur encadrement, mettant à ce titre aussi la sécurité des états européens en cause. Si l’on considère que l’UE est une construction politique même si on l’oublie parfois, elle nous engage donc à la fois dans le soutien à la politique impériale de M. Erdogan et dans sa complicité avec les groupes terroristes y compris ceux qui sont susceptibles de nous frapper ; la Turquie nous entraîne également, mécaniquement, dans sa confrontation avec la Russie, traduction de la stratégie belliciste des Etats Unis où certains, en haut lieu, évoquent sans recul une éventuelle aventure guerrière avec cette même Russie.

Comment aujourd’hui la Russie ne peut-elle pas prendre acte du fait que l’UE se rapproche significativement du pays agresseur qui a abattu son chasseur bombardier, et que, par voie de conséquence, elle devient ouvertement, « es qualité », un adversaire déclaré, (bientôt ennemi?) car rallié clairement aux Etats Unis, dont la responsabilité (active ou passive) dans l’attaque turque est plus que probable pour les dirigeants russes ? 

La COP 21, un nuage de fumée ?

Dans ce contexte dangereux, que penser de la COP21, sinon qu’elle est à présent un rideau de fumée « bienvenu », puisque la presse nationale ne parle en gros que de cela, même si elle a été programmé bien avant ces événements ? On aurait aimé d’ailleurs que la détresse écologique de la planète fasse l’objet d’une véritable mobilisation internationale et non d’un faux semblant théâtralisé porteur d’illusions et donc de futures déceptions. On peut en effet douter de l’efficacité d’une procédure non contraignante, quels que soient les accords obtenus entre états. Il suffit à ce titre de se demander si les négociations à propos du Traité transatlantique (TAFTA, plus le traité sur les services TISA) et l’existence du traité transpacifique ne réduisent pas à néant tout projet écologique éventuel produit par les pays engagés dans la mise sur pied d’un monde qui verrait les oligarchies financières et économiques imposer leurs lois aux puissances publiques.  Derrière ce nuage de fumée, donc, s’affirment la problématique Turque, et la toute puissance du parrain US déterminé à avancer ses pions contre la Russie après le choc produit par l’intervention de M. Poutine en Syrie. La soudaine décision de l’UE serait la réponse de Washington à Moscou.

Une « consolation » cependant dans cet apparent chaos protéiforme: le jour où la Turquie sera dans l’UE, les réfugiés n’en seront plus, et pourront se répandre en Europe en toute légalité !

Il est donc légitime de tirer la sonnette d’alarme, et de dénoncer les petits pas qui nous entraînent vers une possible catastrophe militaire et un probable séisme social et sociétal que non seulement Bruxelles n’anticipe pas, mais semble promouvoir.  Il est vraiment temps de sortir de l’UE et de son asservissement originel aux stratégies US de domination du monde dans lesquelles nous n’avons rien à gagner, et beaucoup à perdre. Avant qu’il ne soit trop tard.

 Source : Blog MediapartAlain Pucciarelli, 03-12-2015

Source: http://www.les-crises.fr/ue-les-neoconservateurs-de-bruxelles-choisissent-la-confrontation-avec-la-russie-par-alain-pucciarelli/


« Mon usine était le quartier général de l’État islamique à Alep » par Farès el-Chehabi

Thursday 3 December 2015 at 02:46

Pour avoir d’autres regards…

Source : lorientlejour, 28/11/2015

Farès el-Chehabi

INTERVIEW Farès el-Chehabi, homme d’affaires alépin sunnite, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Syrie, fait part des ravages causés par quatre années de guerre sur sa ville et ses alentours. Depuis septembre 2011, il est inscrit sur la liste des personnes sanctionnées par l’Union européenne, accusé d’apporter un soutien économique au régime.

Propos recueillis par Caroline HAYEK

Quelles ont été les conséquences de la guerre sur la zone industrielle d’Alep ?
Alep était la capitale économique de la Syrie. Nous avions plus de 80 000 usines. Bien plus qu’aucune ville au Moyen-Orient. En 2011, dès le deuxième mois de la guerre, les destructions et les pillages ont commencé. Dès les premiers mois, les rebelles nous ont distribué des tracts exigeant la fermeture de nos entreprises, sinon elles seraient brûlées. Ils ont envoyé ces menaces à tous les magasins et entreprises. Les gens ont immédiatement pris peur. Une vingtaine de mes amis industriels, membres de la Chambre de commerce, ont été assassinés car ils refusaient de fermer leurs usines. En 2011, les rebelles avaient réduit en cendres plus de 100 manufactures.

L’une de mes usines se trouvait à Cheikh Najjar, la plus grande zone industrielle. Les rebelles s’en sont emparés en 2011. On m’a dit qu’elle ne m’appartenait plus et que je n’avais pas le droit de la réclamer sous peine de représailles. Mon usine, qui produisait de l’huile d’olive, que je croyais être entre les mains de l’Armée syrienne libre (ASL), était en fait le quartier général de l’État islamique (EI). Une fois cette zone libérée en juillet 2014, j’ai constaté les dégâts. Sur les murs, étaient peints le drapeau de l’EI, il restait les vêtements des jihadistes, leurs tracts. Dans la zone, j’ai remarqué qu’il y avait près de 500 enfants qui avaient été privés d’éducation pendant deux ans. J’ai alors décidé de transformer cette usine en école gratuite.

Vous avez accusé le gouvernement turc d’être derrière le pillage des usines d’Alep…
Oui. Et j’ai des preuves sérieuses. J’ai déposé deux plaintes contre le gouvernement turc, aux tribunaux de Strasbourg et à La Haye. J’ai recueilli des preuves solides, des vidéos, des confessions et des témoins. Beaucoup d’industriels m’appelaient en panique me disant que les rebelles étaient dans leur usine et que des experts turcs étaient avec eux. Les hommes armés ne font pas la différence entre les différentes lignes de production d’une usine. Ils ne savent pas comment désassembler les machines sans les endommager. C’est pourquoi les experts turcs étaient présents, pour choisir leur butin et les envoyer à Gaziantep, à Adana… J’ai reçu plus de 5 000 plaintes d’industriels, victimes de vols. Le butin est parti en Turquie avec la complicité de la police turque. Impossible de faire passer du matériel d’usine facilement. Certaines machines font 20, 30 mètres de long. Ils ont utilisé des camions, sont passés aux postes-frontières, pas à travers des champs d’oliviers. C’est de la contrebande organisée. Ils ont vidé les zones industrielles d’Alep. C’est un champ de ruines.

Une usine de la zone industrielle de Cheikh Najjar, à Alep.

Aujourd’hui, comment Alep s’organise pour survivre?
Depuis neuf mois, nous n’avons plus Internet. Depuis que la route Hama-Alep a été libérée, les produits du quotidien arrivent facilement. L’eau est contrôlée par al-Nosra (branche syrienne d’el-Qaëda). L’Onu l’a déclarée organisation terroriste en 2014. La Coalition nationale syrienne essaye de rendre al-Nosra acceptable, en l’encourageant à couper ses liens avec el-Qaëda, pour qu’elle puisse rejoindre les modérés. Le Front contrôle en grande partie l’électricité. Et la grande centrale électrique est sous contrôle de l’EI. Donc nous n’avons que très peu d’électricité à Alep. Le gouvernement négocie avec eux. « Les terroristes » vous disent : « On donne à Alep 5 % d’électricité et on prend le reste. » Ce qui équivaut à 5 mégawatts pour 3 millions de personnes. Ce n’est pas de la négociation, c’est du chantage sur l’électricité comme pour l’eau. Nous attendons la libération de la plus grande station électrique près de l’aéroport de Kweires. Personne ne peut l’attaquer, car il y a des risques de contamination, de radiations… On a une autre centrale à Zorba qui devrait être libérée dans les prochains jours.

Est-ce que les Alépins habitant les zones contrôlées par le gouvernement craignaient que le régime ne les laisse tomber ?
Beaucoup de gens étaient frustrés au début et furieux, car ils se sentaient abandonnés. Nous n’étions pas en mesure de nous défendre contre les rebelles. Nous étions face à deux choix : soit détruire nous-mêmes ce qui reste d’Alep et les combattre, ou bien les assiéger sans détruire la ville. Et c’est la seconde option qui est en cours.

Les gens bradent leurs maisons alépines à l’ancienne, juste pour partir. Et les plus visés sont les chrétiens et les Arméniens. Il ne reste que 10 000 Arméniens à Alep, alors qu’ils étaient plus de 200 000 avant la guerre. J’ai rendu visite aux patriarches et aux prêtres de toutes les communautés, et tous tiennent le même discours : ceux qui les attaquent sont des islamistes qui veulent les forcer à quitter le pays. Mais les islamistes oublient que la communauté chrétienne à Alep n’est pas une invitée. Ce sont les habitants originels de la ville. Ils étaient là avant les musulmans. Et on espère qu’un jour, les chrétiens reviendront.

Vous critiquez les rebelles, mais de son côté, le gouvernement syrien achète le pétrole de l’EI…
Déjà, ce pétrole n’est pas à l’EI. Il appartient aux Syriens. Donc, si un groupe contrôle ma production de blé, de coton ou d’huile, c’est mon travail de libérer mon usine ou de racheter la production par tous les moyens possibles. Il m’appartient. Donc, c’est hypocrite de pointer du doigt les efforts du gouvernement syrien qui rachète ce pétrole à l’EI pour le redonner à ses citoyens. Et puis le régime bombarde par ailleurs certains champs pétroliers.

Que pensez-vous des futures élections, décidées à Vienne, qui devront se tenir dans 18 mois ?
Nous décidons qui doit nous gouverner à travers des élections libres. Nous n’avons aucun problème si ces élections sont contrôlées par une organisation internationale tant qu’elle n’est pas corrompue. Si vous souhaitez le départ d’un président, organisez des élections. Mais nous n’acceptons pas les groupes rebelles comme Jaïch al-islam ou autre… Laissons les groupes dit « modérés » participer aux élections. S’ils gagnent, nous seront obligés de l’accepter. C’est la loi du bulletin de vote. Mais personne ne veut réellement d’élections et ils exigent que le président démissionne. Car ils savent que si Bachar el-Assad y participe, il gagnera. Il aura la majorité, peut-être pas 90 %, mais 45 % lui suffirait pour gagner. Et pour l’instant, personne du côté de l’opposition ne peut rallier autant de suffrages.

Comment voyez-vous votre pays dans quelques années ?
La Syrie ne sera jamais plus comme avant. Elle est détruite. Nous avons des réfugiés partout malheureusement. En 2010, nous n’avions aucune dette étrangère. Je pense que dix ans après la fin de la guerre, nous serons à nouveau considérés comme un pays fort. Mais pour guérir nos blessures, cela prendra des générations et des générations, comme c’est encore le cas au Liban.

Source : lorientlejour, 28/11/2015

Source: http://www.les-crises.fr/mon-usine-etait-le-quartier-general-de-letat-islamique-a-alep-par-fares-el-chehabi/


Grèce : l’économie s’est effondrée au troisième trimestre

Thursday 3 December 2015 at 01:00

Source : La tribune, Romaric Godin, 27/11/2015

L’économie grecque s’est contractée de 0,9 % au troisième trimestre. (Crédits : Reuters)

 Le chiffre révisé du PIB hellénique entre juillet et septembre a mis en lumière une contraction de 0,9 %, au lieu des 0,5 % annoncés d’abord. Tous les signaux sont au rouge, notamment le tourisme et la consommation.

Voici deux semaines, la publication « flash » de l’évolution du PIB grec pour le troisième trimestre avait surpris les observateurs. La baisse annoncée, -0,5 % sur un trimestre, semblait particulièrement faible au regard des événements de ce trimestre. Rappelons qu’un contrôle des capitaux a été mis en place le 28 juin avec une restriction des retraits de liquide aux guichets. Les banques ont également été fermées pendant trois semaines et, durant le mois de juillet, les transferts financiers entre la Grèce et le reste du monde ont été quasiment stoppés.

En réalité, la contraction de la richesse grecque était évidemment plus prononcée. L’office des Statistiques helléniques, Elstat, l’a, ce vendredi 27 novembre, revu à la baisse « en prenant en compte des données inconnues lors de la première estimation. » On est, cette fois, sur un chiffre proche des estimations des économistes (- 1 %). Le tableau de la situation économique du pays est, partant, fort inquiétant. D’autant que la croissance du deuxième trimestre a également été révisée à la baisse de 0,4 % à 0,3 %.

Tous les signaux au rouge

Pour retrouver une contraction supérieure à ces 0,9 %, il faut remonter au premier trimestre 2013 (-1,8 %). Le niveau de PIB du troisième trimestre 2015 est inférieur de 1,1 % à celui du troisième trimestre 2014. En euros de 2010, le PIB de ce troisième trimestre est le plus faible enregistré depuis le deuxième trimestre 2014. Reste évidemment que tous les indicateurs de l’économie grecque sont au rouge. La consommation des ménages affichent un recul de 0,8 % sur un trimestre qui semble presque modéré au vue des conditions dans lesquelles les Grecs ont dû vivre en juillet.

L’investissement recule de 9,5 %, l’investissement productif de 7 %. Et si le commerce extérieur a apporté une contribution positive à la croissance, c’est surtout parce que la mise à l’arrêt de l’économie a fait s’effondrer les importations (-16,9 % sur le trimestre). Mais les exportations sont en forte baisse (-7,1 %), particulièrement les exportations de services qui ont reculé de 16,1 %. Ceci est très préoccupant, car elle souligne l’impact de la crise en pleine saison sur le secteur touristique qui pèse pour près de 18 % du PIB grec.

Rares éléments positifs

Reste qu’il existe quelques rares éléments positifs. D’abord, malgré le contrôle des capitaux, la baisse des investissements a ralenti au troisième trimestre de près de moitié. Entre mars et juin, le recul des investissements avait atteint 18,8 % sur un trimestre. Il a été, de juillet à septembre, de 9,5 %. Ceci est également vrai dans le seul domaine des investissements productifs qui ont reculé de 7 % contre 8,9 % au deuxième trimestre. Evidemment, c’est une très faible consolation tant les baisses sont marquées. Autre élément positif : les exportations de biens ont continué à progresser, malgré les conditions, de 1,5 % au troisième trimestre. Mais ce poste reste trop peu significatif pour peser sur la conjoncture.

Quelle responsabilité ?

Reste, enfin, la question de la responsabilité de ce désastre. La version officielle et largement admise à présent par les observateurs est de faire porter cette responsabilité au gouvernement grec coupable d’un « fol entêtement » face aux créanciers. Ce scénario permet d’épargner à bon compte toute culpabilité aux Etats créanciers et à la BCE. La réalité peut cependant être un peu plus nuancée. Le gouvernement grec a cherché à construire pendant des mois un compromis prenant en compte des éléments de son programme électoral. Ce compromis a été systématiquement rejeté. Les créanciers ont joué sur la faiblesse du système bancaire grec pour faire céder les autorités de ce pays. Quel qu’en soit le prix pour l’économie hellénique. C’est aussi cette stratégie qui a conduit au désastre décrit par Elstat. Car, non seulement cet affaiblissement du système bancaire a conduit au contrôle des capitaux, mais la capitulation du gouvernement grec le 13 juillet a laissé présager avec raison une nouvelle vague d’austérité sévère, ce qui n’est pas réellement de nature à favoriser l’investissement.

Stabilité sur trois mois

Et maintenant ? Si l’on cumule les PIB des trois premiers trimestres de l’année, compte tenu d’un deuxième trimestre bien meilleur en 2015 qu’en 2014 (+0,3 % contre -0,3 %), le PIB grec affiche en volume encore une légère croissance de 0,07 %. Il est possible d’espérer que la contraction sera inférieure aux prévisions de la Commission européenne (-1,4 %) et du mémorandum (-2,3 %). Le dernier trimestre sera déterminant de ce point de ce point de vue. Il jouera sur un effet de base plutôt positif, car le dernier trimestre de 2014 avait été faible (-0,5 % sur un trimestre), mais la sévérité des mesures mises en place par le gouvernement en octobre et novembre laisse présager d’un mauvais trimestre.

Programme chargé pour Alexis Tsipras

Alexis Tsipras, le premier ministre hellénique, peut cependant espérer que la recapitalisation des banques qui aura lieu dans les semaines à venir, conduise à une stabilisation de la situation. D’autant que, une fois cette mesure prise, la BCE pourrait accorder à la Grèce une dérogation pour la faire entrer dans son programme de rachat d’actifs publics (« QE »), deux éléments qui pourrait permettre une levée des restrictions de retraits de fonds et de circulation des capitaux. Mais le poids des « réformes » risque d’être considérable, notamment celle des retraites.

Car les créanciers demeurent très exigeants. Ce vendredi 27 septembre, l’Euro working group, le groupe de travail de l’Eurogroupe a publié 13 mesures à prendre avant le 11 décembre pour toucher la dernière tranche de la première partie du prêt du MES, soit un milliard d’euros. On y trouve la volonté de faire passer une nouvelle grille salariale dans le privé et le lancement de nouvelles privatisations pour commencer à alimenter le fameux fonds de privatisations de 50 milliards d’euros. Viendra ensuite, en décembre, la réforme, sûrement très douloureuse, du système de retraite. L’économie grecque sera donc encore mise à rude épreuve dans les prochains mois.

Source : La tribune, Romaric Godin, 27/11/2015

Source: http://www.les-crises.fr/grece-leconomie-sest-effondree-au-troisieme-trimestre/