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« Nous n’avons aucune vocation à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas !» – Yves Bonnet, ancien patron de la DST

Tuesday 17 November 2015 at 04:00

Intervention de Yves Bonnet, ancien préfet et ancien chef de la DST dans les années 80 sur le plateau de C dans l’air le 8 octobre 2012.

Il explique d’une part les modes opératoires pour quadriller les foyers terroristes, puis d’autre part l’alliance trilatérale entre les USA, l’Arabie et le Qatar dans le financement massif des groupes djihadistes en Afrique, au Proche-Orient et en Occident.

Emission « C dans l’air », diffusée le 8 octobre 2012 sur France 5

Transcription des interventions de Yves Bonnet, ancien Préfet et ancien Directeur de la DST (Direction de la Sécurité du Territoire) :

Autre intervenant (non identifié) : … Je ne crois pas qu’on soit encore menacés par une prise de pouvoir de force ; c’est plus occulte que ça. Encore une fois, tout ce qui est très très visible, et relativement facile à cadrer

YB : Sauf qu’il y à tout de même une propagande salafiste ; il faut quand même appeler un chat un chat : Il y en à deux qu’il faut citer, parmi les pays étrangers : le Qatar et l’Arabie Saoudite ! Ils ne se contentent pas seulement de payer les footballeurs du Paris St Germain, mais quand je vois le Qatar se préoccuper de la situation dans nos banlieues, de quoi se mêlent-ils ? C’est une grande démocratie, le Qatar ?

Présentateur : Yves Bonnet, excusez-moi, vous avez des éléments qui tendent à prouver, par exemple, que les cinquante millions d’euros que la Qatar vamettre, effectivement, dans le développement d’un certain nombre de projets dans les banlieues françaises va aller au financement du terrorisme ?

YB : Comme vous le savez, j’ai été Préfet ; je trouve absolument intolérable qu’un certain nombre de pays étrangers viennent s’occuper de la situation de nos banlieues. C’est à nous de le faire !

Présentateur : C’est une position de principe, mais sur le financement de ces groupes, est-ce qu’on est capables de dire qu’il y à des pays étrangers qui financent des petites cellules ?

YB : Mais attendez ; et l’Arabie Saoudite ? Quelle est la tolérance religieuse de ces pays ? Ce sont des pays qui sont la négation même de l’expression démocratique. Et ce sont ces pays qui viennent s’occuper de nos affaires ! Il y à une propagande salafiste, et tout le monde sait aujourd’hui que la propagande salafiste, mais pas seulement en France, dans les pays de l’Afrique sub-saharienne, est payée par l’Arabie Saoudite et le Qatar. Je pense tout de même qu’il faut que nous posions le problème de façon assez claire avec ces pays qui se prétendent nos alliés, nos amis.

Animateur : Donc le Qatar est un « faux-nez », d’une certaine manière, pour des gens qui ont envie de financer le terrorisme en France ?

YB : Ah ça, je suis incapable de vous le dire…

Animateur : Il est plus compliqué, en France, de surveiller et d’infiltrer des groupes comme celui qu’on vient de démanteler, ou de surveiller et infiltrer les groupes qui étaient responsables, par exemple, dans les années 80 des attentats à Paris ? Est-ce que ça a rendu le métier de surveillance et de renseignement plus difficile ?

YB : C’est-à-dire que le champ n’est pas exactement le même ; aujourd’hui on a un champ qui est pratiquement illimité dans la mesure où c’est l’ensemble de la population qui serait susceptible d’être concerné, alors qu’autrefois le champ était relativement plus restreint.

Animateur : Vous voulez dire que c’est aujourd’hui une aiguille dans une botte de foin ?

YB : Exactement ! Mais ce que je voudrais dire aussi, si vous me permettez de donner un petit coup de projecteur de plus haut, c’est que nous sommes, nous qui sommes une démocratie en train « d’assimiler », en quelque sorte, par ce vieux processus français, des populations nouvelles – qui sont des populations musulmanes et qui, globalement, ne posent pas de problèmes - nous sommes au confluent de deux grandes stratégies : Il y à eu la stratégie américaine de démolition de tous les régimes arabes laïcs. Ca a été fait systématiquement, on voit les merveilleux résultats, avec, je me permets de vous le dire quand même, le problème des chrétiens d’Orient, dont personne ne parle, qui ont disparu ou sont en train de disparaître d’Irak, qui vont disparaître de Syrie… Moi je suis désolé, je ne vois pas on ne prêterait pas aussi attention [à eux ?]. Je pense qu’il y à là aussi un gros problème qu’il nous faut [prendre en compte ?]. Donc il y à cette stratégie américaine, la démolition des régimes arabes laïcs, suspectés d’entretenir des relations plus ou moins sympathiques avec l’union soviétique. Ce sont quand même les américains qui ont fabriqué Al Qaeda, je suis désolé, c’est là un fait qui n’est plus contesté par personne…

Animateur : Ils ont financé les talibans face à l’union soviétique en Afghanistan.

YB : Absolument. Deuxième chose, il y à cette stratégie des pays du golfe qui est de faire monter le salafisme, de le répandre un  peu partout. Je pense que nous sommes bien d’accord ; je dis au passage que le terme « d’antisémite » ne me convient pas du tout, parce que les arabes sont des sémites, et que vous avez les deux tiers des juifs qui ne sont pas sémites ; enfin passons, parlez plutôt de « judéophobie ».

Ces deux politiques ont convergé, parce que ces deux pays du golfe, en particulier le plus puissant , est l’allié indéfectible des Etats-Unis ; et nous sommes pris dans cet espèce de maelström, où nous essayons de préserver notre identité, notre démocratie, avec beaucoup de difficultés, mais il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain, et je pense tout de même que nous sommes dans une société qui est en voie d’apaisement sur le plan de la vie entre communautés. Et je pense que vous êtes d’accord avec moi…

Animateur : Si vous le voulez bien , on passe aux questions SMS : un auditeur demande : »La France ne peut-elle pas refuser cet argent étranger ? » On pensait à l’argent du Qatar ; est-ce que parmi les missions de la DST, DCRI aujourd’hui, il est question de tracer l’argent étranger et de voir où il va ? Y compris quand il arrive avec le visa du gouvernement français ?

Louis Caprioli (conseiller du groupe GEOS – ancien de la DST) : Si cet argent arrive du Qatar, il est totalement blanc ; il va être déposé dans des banques françaises, gérées par, je sais pas, une banque spécialisée dans l’aide aux PME, on peut penser que tout ça est clair. Mais cet argent arrive effectivement suite à la vente de gaz, de pétrole…

Animateur : En poussant volontairement plus loin, peut-on imaginer dans une banlieue une levée d’impôt révolutionnaire islamiste, auprès de ces chefs d’entreprise ? Est-ce que vous l’avez vu ?

LC : Non. Je l’ai vu dans la mouvance kurde, le PKK oui, je peux vous dire qu’ils rackettaient les gens.

YB : je pense qu’il faut être très prudent sur certains versements de fonds. Tout le monde sait aussi que certaines mosquées sont financées par l’Arabie Saoudite ; vous me demanderez combien d’églises chrétiennes, sans même parler des synagogues, sont construites [dans ces pays du golfe ?]

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Toujours en 2012, il indique dans la dépêche du midi :

YB : On n’ose pas parler de l’Arabie Saoudite et du Qatar, mais il faudrait peut-être aussi que ces braves gens cessent d’alimenter de leurs fonds un certain nombre d’actions préoccupantes.

La Dépêche : Comment jugez-vous ce tapis rouge qu’on déroule devant le Qatar en France ?

YB : Personnellement, je suis très choqué. Il va falloir un jour ouvrir le dossier du Qatar car là, il y a un vrai problème. Et je me fiche des résultats du Paris Saint-Germain.

 

 

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Sa réaction après le 13/11 :

« Nous n’avons aucune vocation à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas !»

Source : Algérie patriotique, M. Aït Amara, 14-11-2015

Yves Bonnet : «La France n’a pas à s’immiscer dans les affaires des autres pays». D. R.

Algerie patriotique: Une série d’attentats sans précédent vient d’avoir lieu à Paris. Comment expliquez-vous qu’une action terroriste d’une telle envergure ait pu se dérouler au cœur de la France ?

Yves Bonnet : Ce genre d’attaque est relativement facile à concevoir et organiser. L’assaillant a un coup d’avance sur le défenseur. Quels que soient les dispositifs défensifs, ils pèchent nécessairement par leur caractère statique. En fait, on ne combat et on ne peut prétendre gagner qu’en passant à l’offensive, en identifiant les réseaux et en les démantelant. Le plan Vigipirate ne sert à rien.

Les autorités françaises ont décidé de fermer les frontières terrestres quelques jours avant la survenue des attentats. Est-ce à dire qu’elles redoutaient une telle action et qu’elles étaient informées que quelque chose se préparait ?

La fermeture des frontières était prévue dans le cadre d’une sécurisation avant le Sommet de Paris. Mais ce genre de mesures est lacunaire et ne peut que générer un sentiment de sécurité aléatoire.

Comment la France va-t-elle réagir concrètement après cette vague d’attentats meurtriers ? 

Je ne sais pas ce que le gouvernement décidera, à part une augmentation des moyens humains, techniques et réglementaires. Cela ne suffira pas. Les mesures à court terme ne peuvent résoudre des problèmes devenus structurels. En revanche, des mesures à long terme comme un renforcement de la coopération avec les services amis – et je place l’Algérie au premier rang de ceux-ci – et le rétablissement du service militaire sont des armes de bon rapport. Il va falloir être patient et tirer, sur le plan de notre diplomatie, des enseignements définitifs : la France n’a pas à s’immiscer dans les affaires des autres pays, comme nous l’avons fait en Libye. Elle doit, par contre, bien choisir ses partenaires et ses amis.

L’armée française a, depuis longtemps, prévu un plan pour faire face à ce genre de situation. Jusqu’où ira Hollande dans la mobilisation des forces armées, selon vous ?

Notre armée est devenue une armée de professionnels. On ne peut donc en augmenter rapidement les effectifs. La seule solution consiste à établir un service de conscription.

Y a-t-il une menace sur les libertés et la démocratie dans le sillage des mesures draconiennes que le pouvoir va prendre pour faire face à cette guerre ?

Oui. Il ne faut pas tomber dans le piège de l’illégalité ni des mesures d’exception. Les Français eux-mêmes ne le comprendraient pas.

Ces actes terroristes vont-ils aggraver la dichotomie dans la société française ou, au contraire, souder les Français pour prévenir un déchirement intercommunautaire dont seraient victimes les Français de confession musulmane ? 

Il n’y a pas de «Français musulmans» ; il n’y a que des Français ou des résidents en France qui acceptent nos lois. Je connais le courage avec lequel les Algériens ont abordé et subi la guerre qui leur fut imposée. Je souhaite que mes compatriotes soient également responsables sans tomber dans le faux prétexte de la xénophobie.

Comment protéger à la fois les Français de la menace terroriste et la communauté musulmane d’éventuelles représailles ?

Les droits sont les mêmes pour tous. Je milite pour un rétablissement du service militaire qui ressouderait la communauté au-delà des origines ou des religions.

La France doit-elle poursuivre sa politique interventionniste en Syrie, en Libye, au Sahel, en Ukraine, etc. ou devrait-elle plutôt revenir à la politique de non-ingérence prônée par Chirac ? 

Il ne faut pas tout mélanger. La France a raison d’intervenir en Afrique subsaharienne et elle ne peut d’ailleurs faire autrement puisqu’elle est liée à ces Etats par des accords d’assistance et de coopération. En revanche, elle doit s’abstenir d’intervenir comme elle le fait en Libye ou failli le faire en Syrie. Nous n’avons aucune vocation à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas !

Propos recueillis par M. Aït Amara

Source : Algérie patriotique, M. Aït Amara, 14-11-2015

Source: https://www.les-crises.fr/yves-bonnet-nous-navons-aucune-vocation-a-nous-meler-de-ce-qui-ne-nous-regarde-pas/


Diplomatie française : improvisations, revirements et amateurisme…

Tuesday 17 November 2015 at 02:25

Diplomatie française : improvisations, revirements et amateurisme…

Source : Proche & Moyen-Orient, le 28 septembre 2015.

Quelques semaines avant l’élection de François Hollande, un groupe de hauts fonctionnaires français signait une tribune dans un quotidien parisien, appelant à rompre avec les postures médiatiques de Nicolas Sarkozy. Commentant les propositions du candidat socialiste, ce collectif écrivait : « on ne voit pas encore les axes structurants d’une politique réfléchie. Sans tabous ni autocensure, la première des préoccupations reste la non-prolifération nucléaire et le dossier iranien, mais aussi et peut-être davantage le Pakistan, ainsi que le réarmement d’autres puissances. Quelle est la meilleure politique au regard de nos intérêts? Est-ce pertinent de soutenir Israël quelles que soient les extrémités où l’on risque de nous entraîner? Quelles leçons tire-t-on de l’expédition libyenne – guerre déclenchée au nom des droits humains – dont on ne connaît toujours pas le bilan des victimes, ni l’ampleur des effets déstabilisateurs dans la sous-région sahélienne, sans parler de l’évolution inquiétante des libertés civiles et politiques? Et que penser de la politique de gribouille sur la Syrie, pouvant déboucher sur une militarisation accrue de la crise? L’appel au changement de régime est-il légitime, surtout lorsqu’il est porté par des pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite? Ne reproduit-on pas ici les erreurs commises par les Américains et les Britanniques en Irak ? Cela ne ressemble-t-il pas à un vieux remugle de néo-colonialisme? Quant à l’Afghanistan, il restera à dresser un bilan de notre engagement militaire. Ces questions rompent avec le politiquement correct dominant. Il faut cesser de se gargariser des grands discours ridicules sur notre « diplomatie universelle » et de nier béatement le déclin de la France dans le monde. Il est temps d’élaborer une doctrine de redressement, fondée sur des analyses géostratégiques tenant compte de la réalité, de nos moyens d’agir, de nos intérêts ainsi que de ceux de nos voisins européens, méditerranéens et africains ».

Une fois élu, François Hollande – qui ne s’était guère intéressé aux relations internationales – nommait à la tête de la diplomatie française l’ « ancien plus jeune Premier ministre de la Vème République ». En confiant le Quai d’Orsay à Laurent Fabius, le nouveau président de la République cédait ainsi à son tropisme d’ancien premier secrétaire du PS : ménager les tribus de la rue de Solferino en considérant que Fabius serait moins nuisible à l’intérieur du gouvernement qu’abandonné à la direction d’un courant qui avait mené la bataille contre le projet de constitution européenne, notamment. Du grand art… et un signal fort adressé à nos partenaires européens. Condition de son acceptation du maroquin des Affaires étrangères, Laurent Fabius favorisait le choix d’un conseiller diplomatique faible pour l’Elysée, en l’occurrence le regretté Paul Jean-Ortiz – homme droit et affable, surtout spécialiste de l’Asie, – ne voulant pas s’encombrer d’un sherpa trop pointu, genre Jean-David Levitte qui géra les dossiers internationaux pour Sarkozy tandis que Bernard Kouchner amusait la galerie du Quai d’Orsay, multipliant les voyages et des affaires pas toujours très claires…

Cette inversion hollandaise du dispositif Sarkozy (sherpa fort/ministre faible) pour un ministre fort et un conseiller diplomatique docile ne changea pas grand-chose à une diplomatie qui accentua les évolutions impulsées par une « école française néoconservatrice » qui avait déjà commencé à sévir sous le deuxième Chirac finissant : retour dans le commandement intégré de l’OTAN, alignement sur Washington et Tel-Aviv ! Et l’un de nos grands ambassadeurs de commenter : « avec Laurent Fabius, c’est Guy Mollet, les néo-cons américains et la morgue en prime… » Sans appel, ce jugement s’illustre particulièrement sur les trois grands dossiers proche et moyen-orientaux.

La Syrie d’abord ! En mars 2012, Alain Juppé avait curieusement décidé de fermer l’ambassade de France à Damas, contredisant les fondamentaux de la diplomatie qui consistent, justement, à ne jamais perdre le contact avec les pays qui s’éloignent le plus de nos positions, sinon de nos intérêts… Cherchant à corriger les effets désastreux du soutien passé de Michèle Alliot-Marie au dictateur tunisien, Paris se devait de revenir dans le sens de l’Histoire : Ben Ali dégage, Moubarak dégage, Kadhafi idem… Avec Washington et Londres, Paris s’enferma dans le « Bachar dégage ! », personnalisant une situation syrienne, pourtant très différente des autres mal nommées « révolutions arabes ».

Sur la Syrie, inaugurant une « ligne Juppé consolidée », selon les propres termes d’un ancien ambassadeur de France à Damas, Laurent Fabius a été principalement inspiré par deux personnes : Eric Chevallier – un copain de Kouchner promu par ce dernier « diplomate professionnel », thuriféraire de Bachar jusqu’en juillet 2011, moment où il fut rappelé à Paris pour se faire expliquer que la suite de sa carrière dépendait d’un complet revirement anti-Bachar – et Jean-Pierre Filiu, un ancien diplomate – ayant quelque compte personnel à régler avec le régime baathiste – devenu professeur des universités et militant de la « révolution syrienne ». Fin août, lors de son discours devant la 70ème conférence des ambassadeurs, François Hollande a encore confirmé cette ligne « renforcée » du « ni-ni » – ni Bachar, ni Dae’ch – estimant que bombarder Dae’ch en Syrie pourrait renforcer le « boucher de Damas ».

Début Septembre survient la « crise des migrants », soulevant un mélange d’émotions et de craintes dans les opinions européennes, confirmant l’absence de véritable politique de l’Union européenne en la matière. La décision d’accueil massif d’Angela Merkel, qui pense ainsi combler ses déficits démographique et de main d’œuvre, embarrasse François Hollande qui doit pourtant afficher sa convergence avec la dirigeante de l’Europe. Opposée en Mai 2015 à des quotas migratoires contraignants au sein de l’UE, la France se met à en soutenir le principe en Septembre. Après avoir qualifié de « stupide » l’idée de rétablir un contrôle aux frontières, le gouvernement français affirme qu’il « n’hésitera pas » à le faire si nécessaire, après la décision allemande de fermer certaines de ses frontières. Improvisation totale, le regard rivé sur la ligne d’horizon des présidentielles de 2017, ce revirement pathétique s’opèrera naturellement sous la pression des sondages d’opinion.

Avec la crise des migrants, le Front national retrouve son « cœur de métier », mais récolte aussi les bénéfices d’une équation relativement simple : les migrants affluent pour fuir la guerre civile syrienne dont Dae’ch est l’un des principaux protagonistes. Deux corollaires s’imposent tout aussitôt : 1) il faut lutter plus efficacement contre l’organisation terroriste d’autant que le bilan d’une année de lutte de la Coalition anti-Dae’ch, regroupant les plus puissantes armées du monde, est particulièrement nul. En effet, comment expliquer aux électeurs que la Coalition n’arrive pas à venir à bout d’une organisation qui compte tout au plus 40 à 45 000 hommes, alors qu’elle signe aussi des attentats en Europe ? 2) il faut parler avec Bachar al-Assad. Les affirmations régulièrement répétées du Quai d’Orsay selon lesquelles le « dictateur de Damas » a enfanté Dae’ch tout seul font sourire depuis longtemps les connaisseurs du pays et de la région. Depuis plusieurs mois, l’Espagne, la Pologne, la Tchéquie et d’autres pays de l’UE, plus récemment l’Allemagne, disent de même. Moscou défend cette position depuis l’hiver 2011/2012 et Washington a commencé à nuancer la sienne à partir de mars 2015.

Le coup de grâce du « ni-ni » hollando-fabiusien intervient mi-septembre avec l’officialisation d’un engagement militaire russe accru afin d’épauler Bachar al-Assad pour éviter que les catastrophes d’implosion territoriale et politique, commises en Irak et en Libye, ne se répètent. Durant un déplacement de Laurent Fabius à l’étranger, Jean-Yves Le Drian, dont la compétence en matière de défense n’est plus à prouver, le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA), et le général Benoît Puga, chef d’état-major particulier du Président, finissent par convaincre celui-ci que la position française n’est plus tenable au risque de se trouver marginalisée dans la nouvelle donne inaugurée par l’accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet dernier.

C’est le deuxième échec personnel de Laurent Fabius qui rejaillit sur l’ensemble de la diplomatie française : ne pas avoir accompagné la finalisation de l’accord sur le nucléaire iranien et n’avoir pas anticipé non plus ses conséquences régionales et internationales. Pire, Laurent Fabius s’est opposé pendant plus d’un an et demi aux progrès de la négociation en relayant systématiquement les critiques et les exigences… israéliennes ! Au nom de quels intérêts français ? On se le demande encore… La signature à peine sèche, le ministre français se précipite pourtant à Téhéran afin de devancer son homologue allemand : ce voyage est une telle catastrophe que lors de la dernière visite des patrons du MEDEF à Téhéran, il préfère se faire porter pâle et céder sa place au porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll. Au Quai d’Orsay comme au MEDEF, personne n’ose dire que son entêtement contre l’accord a plombé les grandes, moyennes et petites entreprises françaises pour pas mal de temps ! Heureusement que les Iraniens sont pragmatiques et qu’ils ne mettent jamais tous leurs œufs dans le même panier, mais tout de même ! Pourquoi avoir refusé si longtemps cet inéluctable début de normalisation avec l’une des grandes puissances régionales du Moyen-Orient ? La question reste entière…

Les yeux toujours rivés sur le baromètre intérieur, François Hollande demande instamment à Laurent Fabius d’organiser à Paris, le 8 septembre dernier, une conférence internationale pour venir en aide aux Chrétiens et autres minorités d’Orient. Celui-ci s’exécute à reculons, toujours partisan d’armer l’opposition syrienne « laïque et modérée » pour en finir avec Bachar, c’est-à-dire « les bons p’tits gars de Nosra », comme il l’affirmait en décembre 2012 lors d’un voyage au Maroc. Rappelons que Jabhat al-Nosra, c’est tout simplement Al-Qaïda en Syrie, qui achète et absorbe, depuis plusieurs années, les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) qui n’existe plus que sur le papier. Rien appris, rien oublié ! Laurent Fabius persiste et signe. Cette conférence est un fiasco absolu. Mais un autre dossier inquiète fortement le président de la République : le conflit israélo-palestinien et les gosses des banlieues françaises qui critiquent, d’une manière de plus en plus organisée, les choix inconditionnellement pro-israéliens du gouvernement français.

Laurent Fabius effectue donc plusieurs déplacements en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés. Des projets de résolution pour le Conseil de sécurité des Nations unies sont mis en chantier. Mais là encore, l’improvisation va coûter cher. Le chef de la diplomatie française s’étonne de ne pas trouver un Benjamin Netanyahou enthousiaste et surtout redevable à la France éternelle d’avoir tout mis en œuvre pour faire échec à l’accord sur le nucléaire iranien ! Le 8 juillet 2015, Paris renonce à présenter devant l’ONU son projet de résolution concernant le conflit israélo-palestinien. En coulisses, Tel-Aviv et Washington ont torpillé le texte. « Je peux dire que le projet français de résolution du conflit devant le Conseil de sécurité n’est plus une priorité pour les dirigeants français », déplore le ministre palestinien des Affaires étrangères, Riyad al-Maliki.

Au Liban, Paris tente de débloquer la situation politique pour l’élection d’un président de la République (chrétien selon la constitution). Le palais de Baabda est inoccupé depuis août 2014. A la demande de Laurent Fabius, le patron d’ANMO (Direction Afrique du Nord/Moyen-Orient) Jean-François Girault multiplie vainement les consultations au Pays du cèdre, en Iran, en Jordanie et en Egypte. En fait, Paris ne fait plus rien sans en référer au nouvel allié saoudien. A la « politique arabe » du général de Gaulle et de François Mitterrand s’est substituée une « politique sunnite » de la France ! Il faut dire que cette « évolution » pèse quelque 35 milliards d’euros pour les grandes sociétés du CAC-40. Quant aux droits de l’homme tellement sollicités afin de pouvoir « punir », sinon « neutraliser » Bachar al-Assad, ils n’empêchent guère les ronds de jambe et les courbures d’échine répétés devant les dictateurs du Golfe.

Aux dernières nouvelles, un jeune saoudien chi’ite, Ali Mohamed al-Nimr risque d’être décapité puis crucifié, pour avoir « manifesté » contre le régime saoudien – cet ami de la France qui nous achète nos matériels d’armement et finance les Rafale pour l’Egypte… Une diplomatie époustouflante, en effet !

Richard Labévière
28 septembre 2015

1. « Pour un changement de politique étrangère » – Libération du 13 mars 2012.

2. Eric Chevallier coule aujourd’hui des jours heureux à Doha comme ambassadeur de France. Ayant tellement mis de cœur à l’ouvrage dans son revirement anti-Bachar en faveur de « l’opposition » syrienne, financée par le Qatar, les autorités du petit émirat pétrolier sont intervenues directement auprès de François Hollande pour qu’il y soit nommé représentant de la France.


[2012]Pour un changement de politique étrangère

Source : Les amis d’Etienne Pellot, pour Libération, le 13 mars 2012.

Alors que l’éventualité d’une attaque israélienne des sites nucléaires iraniens préoccupe les chancelleries occidentales, les différents cercles qui conseillent François Hollande s’affrontent à fleuret moucheté. Les gaullo-mitterrandiens préconisent une ligne d’indépendance nationale et de refus d’alignement sur le camp occidental alors que les néoconservateurs se satisferaient d’une politique extérieure proche de celle de Nicolas Sarkozy. Dans son discours devant les ambassadeurs en 2008, celui-ci avait annoncé cinq ruptures : le rapprochement avec les Etats-Unis et l’Otan au sein de la «famille occidentale» ; une nouvelle politique au Proche-Orient reposant sur une amitié affichée avec Israël ; le retour de la France en Europe, appuyé sur la Grande-Bretagne pour équilibrer la relation privilégiée avec l’Allemagne ; un recentrage sur le «business» de notre relation avec l’Afrique ; enfin, les droits de l’homme comme alpha et oméga de notre politique étrangère. Ne parlons pas de Bernard Kouchner qui, à peine nommé, menaçait de déclarer la guerre à l’Iran.

Au-delà de ces ruptures proclamées, c’est en réalité une politique purement opportuniste et souvent incohérente qui a été menée, à coups de postures médiatiques, de volontarisme déclamatoire et d’arrogance, avec de bien piètres résultats. Pire, l’affichage du mépris pour les diplomates non seulement français mais étrangers, les conduites inconsidérées vis-à-vis de nos partenaires, les apparitions minutées dans des pays d’importance majeure tels l’Algérie, l’Inde et la Turquie, les gaffes magistrales au Sénégal, au Mexique ou en Chine, ont considérablement affaibli l’image et la réputation de la France.

Le défi pour François Hollande, s’il est élu, sera de reconstruire une politique cohérente, s’appuyant sur des priorités clairement affichées, des engagements crédibles de coopération à long terme ou encore une capacité à peser sur les crises. Pour redonner à notre pays sa juste place dans le monde, il lui faudra veiller à ce que l’intendance suive en restaurant les moyens de la diplomatie française, sabotés par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et par des réformes ayant tourné court. Les six propositions du candidat socialiste, trois sur l’Europe et trois sur les questions internationales, donnent des orientations mais sont loin d’épuiser le débat que nous réclamons.

L’Europe: au-delà de propositions de sortie de crise privilégiant la croissance et l’emploi, des programmes de réindustrialisation et des règles de réciprocité sociales et environnementales en matière commerciale, il manque une vision politique d’ensemble, d’autant que ce qui se passe en Grèce pose crûment la question de la démocratie et de la souveraineté. La poursuite d’une simple coopération intergouvernementale suffira à résoudre une crise structurelle liée à l’impuissance des Etats face aux marchés ?

Pour le reste – renouveau du multilatéralisme, politique méditerranéenne, abandon de la Françafrique, relance de la francophonie, Afghanistan, reconnaissance de l’Etat palestinien, vocation de l’Otan -, on ne voit pas encore les axes structurants d’une politique réfléchie. Sans tabous ni autocensure, la première des préoccupations reste la non-prolifération nucléaire et le dossier iranien, mais aussi et peut-être davantage le Pakistan, ainsi que le réarmement d’autres puissances. Quelle est la meilleure politique au regard de nos intérêts ? Est-ce pertinent de soutenir Israël quelles que soient les extrémités où l’on risque de nous entraîner ? Quelles leçons tire-t-on de l’expédition libyenne – guerre déclenchée au nom des droits humains – dont on ne connaît toujours pas le bilan des victimes, ni l’ampleur des effets déstabilisateurs dans la sous-région sahélienne, sans parler de l’évolution inquiétante des libertés civiles et politiques ? Et que penser de la politique de gribouille sur la Syrie, pouvant déboucher sur une militarisation accrue de la crise ? L’appel au changement de régime est-il légitime, surtout lorsqu’il est porté par des pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite ? Ne reproduit-on pas ici les erreurs commises par les Américains et les Britanniques en Irak ? Cela ne ressemble-t-il pas à un vieux remugle de néocolonialisme ? Quant à l’Afghanistan, il restera à dresser un bilan sans concessions de notre engagement militaire.

Ces questions rompent avec le politiquement correct dominant. Il faut cesser de se gargariser des grands discours ridicules sur notre«diplomatie universelle» et de nier béatement le déclin de la France dans le monde. Il est temps d’élaborer une doctrine de redressement, fondée sur des analyses géostratégiques tenant compte de la réalité, de nos moyens d’agir, de nos intérêts ainsi que de ceux de nos voisins européens, méditerranéens et africains.

Source: https://www.les-crises.fr/diplomatie-francaise-improvisations-revirements-et-amateurisme/


Préface à Comment le Djihad est arrivé en Europe, par JP Chevènement

Tuesday 17 November 2015 at 00:12

Suite des billets anciens éclairant le présent…

Source : Le Blog de Jean-Pierre Chevènement, le 22 juin 2006.

Comment le Djihad est arrivé en Europe, Jürgen Elsässer, Xenia, 2006, collection Le chaînon manquant, 304 p., traduit de l’allemand par Fred Hissim

Comment le Djihad est arrivé en Europe, Jürgen Elsässer, Xenia, 2006

Comment le Djihad est arrivé en Europe, Jürgen Elsässer, Xenia, 2006

Préface de Jean-Pierre Chevènement :

La traduction française du livre de Jürgen Elsässer Comment le Djihad est arrivé en Europe constitue une mine de révélations pour quiconque cherche à comprendre les enjeux géostratégiques mondiaux.

Que les services spéciaux américains aient prêté la main subrepticement dès 1992 – en violation de l’embargo sur les armes -, puis officiellement à partir de 1994, à l’armement des milices islamistes de Bosnie est un fait bien connu. De même les liens tissés avec Oussama Ben Laden et son organisation en Afghanistan dès les années quatre-vingt mais maintenus longtemps après.

Ce que montre, en revanche, avec un grand luxe de détails Jürgen Elsässer, c’est le véritable chaudron du terrorisme islamiste qu’ont constitué les guerres yougoslaves tout au long des années quatre-vingt-dix. Les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, de Madrid le 11 mars 2003, et du 7 juillet 2005 à Londres font tous émerger des personnages qui, à des titres divers, ont été des vétérans des guerres de Bosnie. Il semble qu’il s’agisse là de connexions si gênantes qu’il faille absolument les taire ou les dissimuler. Certes il faut éviter la vision “bosno-centrée” bien que quelques éclairages a posteriori sur la division SS Hanjar, les “exploits” des djihadistes et les fréquentations douteuses d’Izetbegovic mériteraient à coup sûr d’ébranler la bonne conscience de l’opinion occidentale, tellement manipulée par les Bernard Henri Lévy et consorts : c’est ainsi qu’on voit apparaître El Zawahiri, considéré comme l’actuel numéro deux d’Al Quaïda, dans l’approvisionnement en armes des milices islamistes bosniaques au milieu des années quatre-vingt-dix.

Pourquoi ce soutien apparemment aveugle de la politique américaine, à travers services spéciaux et entreprises mercenaires, à la création d’un Etat musulman au cœur de l’ancienne Yougoslavie ?

Les Etats-Unis étaient-ils poussés par le noble idéal de l’autodétermination des peuples ? Ou bien poursuivaient-ils un but plus obscur dont le monde musulman, en définitive, aurait été le jouet ? Car ce qui intéresse l’Administration américaine c’est quand même avant tout le contrôle des gisements de pétrole et des voies d’acheminement de celui-ci par la voie maritime ou par oléoducs (en Afghanistan et dans le Caucase notamment).

Zbignew Brezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter pour les affaires extérieures, a éclairé d’une lumière crue dans un maître livre paru en 1998, Le grand échiquier, les enjeux centraux de la diplomatie américaine : contrôler l’Eurasie et les régions pétrolifères du Golfe et de la Caspienne, réduire l’influence de la Russie et asseoir la domination des Etats-Unis sur le monde musulman. La mise en œuvre ultérieure de ce grand dessein par les néoconservateurs laisse sans doute quelque peu à désirer … La ” grande guerre déclarée au terrorisme ” rompt-elle vraiment avec la volonté d’instrumenter le monde musulman à travers le soutien des milices fondamentalistes en Afghanistan dans l’ex-Yougoslavie, voire dans le Caucase ? Elle exacerbe les contradictions qui s’y manifestent et l’entraîne tout entier dans une régression sans précédent.

Le livre de Jürgen Elsässer est fort instructif sur le rôle des services spéciaux dans la manipulation des conflits (et des opinions publiques droguées aux idéologies identitaires). Il est vrai que les services se prennent souvent les pieds dans leurs propres intrigues. Dans la société hypermédiatique où nous vivons, leurs manigances finissent toujours par être éventées. C’est l’un des grands mérites du livre de Jürgen Elsässer de nous faire voir par leur petit côté (mais les trous de serrure ne font-ils pas découvrir bien des choses ?) les projets mégalomaniaques ourdis par les ” maîtres de l’heure ” (qui cesseront souvent de l’être dans l’heure qui suit).

Même si Jürgen Elsässer nous étourdit parfois sous la multiplicité de ses sources et l’abondance de ses références, rendons hommage à son érudition : son livre contribuera utilement à un sain pluralisme et à l’éclosion de vérités pas toujours bonnes à dire. Saluons son immense travail et la contribution salubre que son livre apporte à un débat démocratique débarrassé des a priori trompeurs qui obscurcissent la compréhension des enjeux et retardent l’heure d’une paix juste dans les Balkans et ailleurs. Je souhaite que ce livre fasse réfléchir au-delà des passions souvent instrumentées à des fins pas toujours avouables. Je ne doute pas qu’il sera utile au retour de relations pacifiées entre les Etats-Unis, l’Europe et le monde musulman.

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4ème de couverture (écrite par l’éditeur) :
Voici un ouvrage d’investigation exemplaire. Prenant à contre-pied la clameur générale, Jürgen Elsässer a patiemment remonté la piste des kamikazes du 11 septembre. Ce qui l’a mené tout droit en Bosnie, véritable tête de pont de l’activisme islamiste en Europe et en Occident.

Avant de s’attaquer aux populations de l’Occident, les moudjahiddin ont été recrutés, formés, entraînés par les services secrets occidentaux. Sur cette collusion, la « guerre contre le terrorisme » proclamée à grand fracas par Washington au début des années 2000, a jeté un voile de ténèbres et de mutisme.

Passionnant comme un roman d’espionnage, ce livre éclaire les souterrains de la politique mondiale et fait parler le silence. De New York à Istanbul, de Berlin à Tora-Bora, il nous entraîne à la découverte du plus équivoque des réseaux. Composant, au fil de son récit, le tableau d’une guerre occulte où les distinctions communes — Occident/Islam, amis/ennemis, terrorisme/pacification — perdent leur sens.

Source: http://www.les-crises.fr/preface-a-comment-le-djihad-est-arrive-en-europe-par-jp-chevenement/


À qui la faute ? Par Jacques-François Bonaldi

Monday 16 November 2015 at 09:55

Source : Le Grand Soir, Jacques-François BONALDI, 15-11-2015

L’effroi, l’horreur, la barbarie… Ces qualificatifs font florès dans les médias français (et étrangers) après les six attaques terroristes perpétrées à Paris dans la nuit du vendredi 13 (ont-ils choisi à dessein cette journée marquée, comme on le sait, de mauvais augure ?) novembre ? Oui, ces qualificatifs sont justes, indéniablement, et l’on ne saurait passer sous silence le drame vécu par les victimes et les familles directement touchées, compatir à leur douleur. Ceci dit, et qu’il faut dire, il serait trop facile d’en rester à ce que je considère une analyse sommaire et biaisée.

Qui, en France, au sein de la classe politique, de ce qu’on appelle maintenant d’un terme qui ne veut rien dire : la société civile, au sein des mouvements organisés (syndicats, partis, etc.) a, depuis maintenant cinq ans, cinq terribles et longues années, « compati » à la douleur des Syriens, qui vivent au quotidien l’effroi, l’horreur, la barbarie… Leur président, que les politiciens français vouent d’un bel unisson aux gémonies, vient, devant des députés français, de prononcer une phrase que tout le monde, si les œillères n’empêchaient pas de voir, devrait accepter comme une vérité douloureusement exacte : « Paris a connu ce que nous, les Syriens, nous vivons depuis cinq ans » !

Car le point de départ est bel et bien là. L’État islamique a « fleuri » sur le fumier entassé en Syrie par l’OTAN, en tout premier lieu, par la France et son soi-disant « tranquille » président, François Hollande, le principal boutefeu occidental, le plus fanatique va-t-en-guerre, celui qui a fait (et qui fait toujours) du renversement de Bachir el-Assad une question quasiment personnelle, tout autant son prédécesseur Sarkozy avec Kadhafi en Libye. Lui au moins avait des prétextes, guère avouables certes. Mais quels sont les motifs censément plus avouables de Hollande ? Les a-t-il jamais énoncés ? Pour quelles raisons lui et l’OTAN sont-ils allés fomenter de l’extérieur ce que la presse bien-pensante appelle maintenant une « guerre civile » ou, tout simplement, une « crise », et qu’un peu de bon sens permet de qualifier plus justement de « guerre importée » ? Je lis les grandes explications sociologiques du Monde sur la raison pour laquelle la France serait le pays que les djihadistes « aiment haïr ». Un article sans doute satisfaisant sur le plan intellectuel, mais qui, sur le plan politique, laisse dans l’ombre le fond même de la question : pourquoi et comment une organisation (il faudrait trouver un autre mot, bien entendu) terroriste a-t-elle pu surgir et surtout se développer avec une telle vitesse et, surtout encore, se doter en si peu de temps de moyens financiers, logistiques et militaires absolument inouïs qui feraient pâlir d’envie n’importe quelle autre ? Quand un « mouvement » terroriste arrive à s’emparer de territoires aussi grands que ceux qui sont tombés sous la coupe de l’État islamique (nous sommes là très loin du fameux « foco » des guérilleros latino-américains des années 60 et 70), à faire régner sa sinistre loi sur des régions entières, à s’emparer de puits de pétrole, à les faire fonctionner, à vendre leur pétrole sur on ne sait trop quels marchés, c’est, d’une part – comment en douter ? – qu’il bénéficie de très puissants appuis, et, de l’autre, qu’il répond aux attentes de certains États, de vrais États, eux, qui ont besoin de lui pour arriver à leurs propres fins.

Nul n’ignore les visées que s’étaient fixé les États-Unis au Moyen-Orient à l’époque des Bush père et fils – des visées que les administrations démocrates n’ont jamais cherché à infléchir, pas plus Clinton qu’Obama : elles apparaissent dans leur stratégie qui consistait en gros à « foutre le merdier » dans cette région du monde, à la balkaniser en entités inviables et invivables, d’une part, pour pouvoir continuer de dominer plus facilement un coin de la planète richissime en pétrole, d’autre part pour pouvoir mieux « protéger » leur grand allié de la région, Israël. Sur ce plan-là, comme stratégie, c’est réussi, il faut bien le reconnaître. Que ce fût à la longue une stratégie foncièrement stupide crève autant les yeux. À plus forte raison quand, à cette stratégie imbécile sur le long terme, s’en est ajoutée une autre tout aussi stupide, issue du 11 septembre 2001 (un événement aussi « mystérieux » que l’assassinat de Kennedy en novembre 1963, et qui le restera encore très longtemps) : « faire la guerre » au terrorisme, menacer de bombarder une soixantaine de « trous perdus » du monde ! Comme si on pouvait liquider le terrorisme par des bombardements ou alors, en assassinant un par un les chefs les plus connus !

On a vu les conséquences de cette stratégie à la cow-boy en Irak, qui est précisément le fumier sur lequel ont commencé à bourgeonner, à fleurir puis à pousser dru et fort d’abord Al-Qaeda, et maintenant l’État islamique. Le bouillon de culture du terrorisme djihadiste tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec ses terribles conséquences –parce qu’aucun mouvement précédent n’a jamais été dotée de tels moyens de faire du mal – c’est, ne l’oublions pas, l’Iraq et la stratégie politique et militaire fondamentalement erronée de la Maison-Blanche et de son Pentagone.

Mais si l’on peut comprendre que la Maison-Blanche, dont la tradition n’a jamais été, au fond, que celle consistant à « rouler des mécaniques » et à régler les problèmes à coups de feu, comme si notre planète était un saloon du Far West, comme elle l’a fait depuis deux cents ans (sinon, demandez leur opinion aux Latino-Américains), bref, si la diplomatie étatsunienne se caractérise, encore et toujours, par son primitivisme, on a du mal à s’expliquer comment la France (j’entends : son gouvernement), dont la diplomatie a été, des siècles durant, symbole de subtilité, de capacité à analyser et à nuancer les problèmes, emboîte d’une manière si cavalière et si guillerette le pas des nouveaux maîtres du monde (qui le seront, certes, de moins en moins, mais qui le resteront aussi longtemps que l’Europe ne se dotera pas d’une politique internationale à elle) et les accompagne dans toutes leurs équipées. Sur ce point, le « suivisme » est de mise, qu’on se revendique de la droite décomplexée à la Sarkozy ou de la gauche « nominale » : chacun y est allé de sa petite « proxy war ». Sarkozy a eu sa Libye, et Hollande a toujours (hélas) sa Syrie. Au moins, Chirac s’était fait un point d’honneur de ne pas accompagner Bush dans son aventure irakienne… Un beau moment d’indépendance française en politique internationale que ses successeurs auraient dû avoir le bon goût d’imiter, car il n’a été qu’un feu de paille.

Comme si l’Irak n’avait pas été suffisant ! Comme si les conséquences de cette terrible erreur (pour le reste du monde, pas pour les États-Unis, bien entendu, puisque cette décision faisait partie de leur stratégie) n’avaient pas assez sauté aux yeux de tous les gouvernements du monde et qu’il faille en rajouter ! Comme si la décision la plus intelligente quand on veut éteindre un feu, c’est jeter de l’huile dessus ou y rajouter des bûches ? Comme si la politique la plus subtile était de monter sur le char étasunien et d’accompagner toutes les équipées de la Maison-Blanche et du Pentagone (pour lequel, rappelons-le, la guerre est une affaire absolument juteuse) !

Qu’on me dise un peu ce que la France (son gouvernement et ensuite son peuple qui en paie les conséquences) avait à gagner en attaquant la Libye, en détruisant ce qui était jusque-là un État fort et en la transformant en ce qu’elle est maintenant : un patchwork de tribus et d’ethnies ? Qu’on me dise un peu ce que la France avait à gagner en imposant de l’extérieur une guerre à l’un des rares États laïques et solides du Proche-Orient et du monde musulman ?

Et tout ça, quelle pitié ! uniquement pour renverser un président syrien qui n’a pas l’heur de plaire à Washington parce qu’il est l’allié de l’Iran, contre lequel la Maison-Blanche a une dent depuis 1979 ? Faut-il donc adopter sans broncher, quand on se dit représenter la France et mener une politique sensée, la politique saloonesque de Washington selon laquelle les problèmes se règlent à coups de bombes et par la force militaire ? Et maintenant que les États-Unis ont été contraints de mettre de l’eau dans leur vin et de négocier avec l’Iran, faute d’avoir pu renverser son gouvernement, quelle mine fera notre Hollande et son gouvernement et son parti « socialiste », puisque l’un des motifs jamais dits de la guerre contre la Syrie était d’enlever à Téhéran l’un de ses alliés les plus solides et donc de l’affaiblir ?

Alors, oui, il faut le répéter : l’État islamique (ou Daesh, comme on voudra) s’est développé à toute allure sur cette guerre-ci, tout comme les champignons après la pluie. Parce que ce genre d’armée (Valls vient de dire que c’en était une) ne pullule que dans le chaos. Et du chaos, l’OTAN et ses premiers va-t-en guerre, Sarkozy et Hollande, en ont semé à tour de bras : l’Irak, la Libye, la Syrie (autrement dit, ce qui n’est pas un hasard, les gouvernements, les États laïques les plus solides du Moyen-Orient, puisque, contradictoirement, des monarchies archiréactionnaires et théocratiques comme l’Arabie saoudite, n’auront jamais rien à craindre, elles, de l’OTAN dont elles sont les meilleurs alliées).

Les parents aussi bien putatifs que biologique de l’État islamique, ce sont les gouvernements occidentaux qui, nul ne l’ignore, non seulement ne l’ont pas combattu quand il aurait été encore temps, mais l’ont accouché, puis l’ont soutenu, financé, approvisionné en armes (et même de celles dont ne disposent que des gouvernements constitués) tant que celui-ci leur convenait pour renverser Bachir el-Assad (ainsi que les autres groupements terroristes qualifiés ni plus ni moins que d’opposition modérée). Et comme tous les Frankenstein de l’histoire, le monstre inventé de toutes pièces a brisé ses liens, est sorti des laboratoires et, pour se venger (d’on ne sait quoi), fait la guerre à tout le monde, tue à gauche et à droite, pourfend les « infidèles », autrement dit tous ceux qui ne sont pas lui-même. Tandis que ses inventeurs, absolument dépassés par les événements, ne savent plus quoi faire pour le ramener à la raison…

Hollande va lui déclarer la « guerre à mort », qui est, j’ose le rappelle, justement la seule solution que ce sous-doué de Bush avait trouvée pour se venger du 11 septembre… On en a vu le résultat. Espérons du moins qu’il lui fera une « guerre » un peu plus sérieuse que dans le cadre de la « coalition » conduite – une fois de plus – par les États-Unis depuis plus d’un an et qui n’a servi strictement à rien ! (Soit dit en passant, la Russie, avec le soutien du gouvernement légitime – je le rappelle – de Syrie et de son armée à terre a plus fait en un mois pour briser l’avancée de l’État islamique et à en desserrer l’étau et détruire ses infrastructures et sa logistique, ainsi que celles des autres groupes terroristes, que la « coalition » internationale dont tout le monde constate, par comparaison, qu’il ne s’agissait que de la poudre aux yeux. On ne saurait être à la fois l’allié et l’adversaire des terroristes, en choisissant entre bons terroristes, les miens, et mauvais terroristes, ceux d’en face…)

Alors, oui, coupable, Hollande, pour avoir contribué plus que quiconque à faire de l’État islamique – cet amalgame de « fous de Dieu » assoiffés de sang qui ne vivent que de tueries et de massacres d’innocents – ce qu’il est devenu : un Frankenstein incontrôlable !

Mais coupables aussi, les Français, pour avoir permis à leur classe politique de mener cette guerre immonde contre la Syrie ! Car, autant qu’il m’en souvienne, jamais personne, aucun parti, aucun mouvement syndical, aucun groupement d’intellectuels, aucune entité de la prétendue « société civile » n’a protesté contre cette guerre que Hollande et son gouvernement ont pu engager et mener comme s’ils avaient derrière eux l’approbation de la nation entière, toutes tendances confondues. Et ce, depuis maintenant cinq ans !

Combien de morts en France, mais surtout combien de dizaines de milliers d’autres morts en Syrie faudra-t-il donc pour que le peuple français oblige son gouvernement à cesser d’appuyer ses « bons » terroristes et à renoncer à sa si coûteuse idée fixe, qui vire à l’obsession : liquider Bachir el-Assad ?

Parce qu’apparemment les deux cent mille victimes à ce jour des cinq ans de guerre de l’OTAN et de la France contre la Syrie ne suffisent pas à faire prendre conscience aux Français que leur gouvernement fait absolument fausse route. Même pas quand les survivants déferlent en masse sur les côtes européens pour fuir l’horreur, l’effroi, la barbarie dont ils sont victimes ! Celles-ci sont des victimes « interlopes », comme dirait Brassens, des « métèques », qui, apparemment, ne pèsent pas, sur la balance de la vie, autant que les victimes parisiennes. Comme toujours, il faut que les victimes soient européennes ou vivent dans le Premier monde pour que l’horreur éclate aux yeux de tous ! Voilà à peine quelques jours, il y a eu des dizaines de victimes dans un attentat terroriste au Liban, qui n’ont eu droit qu’à de petits entrefilets ! Sans parler des attentats dans le reste du Moyen-Orient, qui y sont devenus le pain quotidien.

Le monde s’émeut devant les attentats absolument condamnables de Paris. Tous les grands de ce monde y vont de leur petit couplet, à commencer par ceux qui sont les premiers responsables de l’existence de Daesh, les créateurs du Frankenstein, les seuls responsables, par leur politique erronée, du chaos régnant au Proche-Orient (je ne parlerai pas des bombardements sur le Yémen de l’Arabie saoudite, ce grand allié occidental qui a plusieurs fers au feu et mange à différents râteliers, sous l’œil complaisant et approbatif de l’OTAN). Mais aucun ne bat sa coulpe…

Mais qui s’émeut en France depuis cinq ans (mais depuis bien avant ailleurs) devant les enfants syriens tués par les bombes et les armes de l’Occident, devant les civils innocents, les femmes, les personnes âgées dont le seul crime est de vivre sous un gouvernement qui ne plaît pas à Hollande et à son grand patron, la Maison-Blanche ?

Oui, je me demande que diantre Hollande avait à faire dans la galère syrienne ? Et les Français qui n’ont jamais dit mot ?

Alors, oui, émouvons-nous avec raison des morts parisiens, mais, vous les Français, agissez pour que votre gouvernement cesse de commettre les crimes qu’il commet aujourd’hui même en Syrie, par action et par omission…

Jacques-François Bonaldi

La Havane

Samedi 14 novembre 2015

Source : Le Grand Soir, Jacques-François BONALDI, 15-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/a-qui-la-faute-par-jacques-francois-bonaldi/


[Recommandé] “La France est en guerre” – ben oui, depuis longtemps, crétins…

Monday 16 November 2015 at 06:30

Je suis évidemment envahi de tristesse ce soir, évidemment, avec une pensée pour les dizaines de victimes.

On a encore droit aux désormais classiques scènes hallucinantes sur les chaines “d’information”, vecteur principal de la diffusion de la terreur en France – scènes qui devraient entrainer la saisie immédiate de la carte de presse des journalistes concernés.

Mention spéciale pour le journaliste ayant hurlé ce soir “La France est en guerre” – ce qu’on confirme facilement, vu qu’on bombarde depuis des années bon nombre de pays (Afghanistan, Libye, Mali, Syrie…), et qu’on y mène nombre d’opérations clandestines.

On est en guerre ? Eh oui, vu que c’est nous qui l’avons déclarée

Mais bon, c’est vrai que “la guerre” ne commence que lorsqu’il y a des morts en France, jamais quand on tue des personnes (qui sont en fait des “non-personnes”) à l’étranger – mêmes victimes innocentes collatérales.

Septembre 2014, on bombarde l’État Islamique en Irak :

(tu m’étonnes…) Septembre 2015, on bombarde l’État Islamique en Syrie :

Ils sont quand même incroyables ces islamistes syriens : on les bombarde depuis 1 ans, et ils osent réagir…

Vendredi à la télé, un autre crétin sur i-télé (Bruce Toussaint ?) a même hurlé  qu’Obama était “le chef du monde libre”, on croit rêver devant tant de bêtise. Je vous laisse lire le billet précédent sur le rôle de la CIA en Syrie. C’est vraiment le tiers-monde intellectuel ces moments-là à la télé, alors qu’on a tellement besoin de lumières…

On notera aussi que, au XXIe siècle, la France est “en guerre” quand elle est attaquée par une multitude de 8 personnes avec des fusils ? Ce qui montre la fragilité de nos sociétés. 250 000 morts en Syrie, à cause de nos politiques occidentales délirantes pour mémoire… Combien dorment encore, chez nous, ou caché dans les masses de réfugiés ?

Pour tout vous dire, je suis particulièrement ému car j’étais dans un bistrot des Halles à Paris ce soir, pas si loin de République, que j’en suis parti à 22h15, que la dernière personne à qui j’ai parlé était un lecteur du blog croisé par hasard, qu’on a parlé géopolitique, Syrie, des dangers de notre politique extérieure, et que, véridique, mes derniers mots avec lui ont été à propos du terrorisme, lui disant “il y a un truc qui m’étonne et me réjouit toujours, c’est qu’il n’est pas encore venu à l’esprit des terroristes d’envoyer 20 ou 50 combattants avec juste une kalachnikov tirer régulièrement dans la foule, un terroriste tous les jours, on se retrouverait sous un régime totalitaire en France en quelques semaines.” Vous imaginez donc ma frayeur et mon émotion quelques minutes après…

Vous imaginez aussi enfin mon immense colère contre, certes les assassins (Hollande les a assurés de notre détermination à les combattre – le fait qu’ils soient dispersés façon puzzle devant cependant limiter leur frayeur…), mais également contre nos dirigeants, qui reviennent comme d’habitude la mine triste sur l’air du “Quelle horreur, mais pourquoi nous attaque-t-on, bien sûr on n’a rien fait de mal…”. Surtout que cela fait désormais des mois qu’on parle ici de la Syrie et des dangers générés.

Rassurez vous : Cazeneuve ne démissionnera probablement pas (il a finalement réussi à protéger les Franciliens aussi bien qu’il a protégé les journalistes de Charlie Hebdo, il pourra continuer – et oui, un autre n’aurait pas fait mieux, mais on serait ici au moins dans le symbole), Fabius non plus (“Al-Nostra, bon boulot sur le terrain”, “il faut armer l’opposition syrienne”, ), et on nous demandera de nous rassembler derrière François Hollande, qu’une commission d’enquête parlementaire n’ennuiera probablement pas quant à ses livraisons d’armes en Syrie pour combattre Assad – qui ne nous a jamais rien fait, lui… – et qui se retrouvent chez les islamistes. Combien de centaines, de milliers de Syriens tués par des armes françaises ? Qui sème le vent… Voilà ce qui se passe quand on passe d’une diplomatie classique basée sur nos intérêts à une diplomatie “des valeurs”, comme le rappelait Kissinger dans cet article (“Le traité de Westphalie a été fondé sur la nécessité de parvenir à un arrangement avec l’autre, pas sur une sorte de moralité supérieure. Les nations indépendantes ont décidé de ne pas intervenir dans les affaires des autres États. Ils ont créé un équilibre des forces qui nous manque aujourd’hui.”) ou Todd dans celui-ci (“Il est inquiétant pour l’anthropologue que je suis de voir les relations internationales sortir d’une logique rationnelle et réaliste pour rentrer dans des confrontations de moeurs dignes de sociétés primitives.”).

“Au cours des cinq dernières années au moins, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, la Jordanie et la Turquie ont tous apporté un soutien financier et militaire considérable à des réseaux militants islamistes liés à al-Qaïda qui ont engendré l’« État islamique » que nous connaissons aujourd’hui. Ce soutien a été apporté dans le cadre d’une campagne anti-Assad de plus en plus intense dirigée par les États-Unis.” [Nafeez Ahmed, journaliste britannique à The Guardian et à la BBC] – (Source : Middleeasteye.net)

“Question : Personne n’évoque le lien entre l’idéologie de ces organisations terroristes et celles diffusées par l’Arabie saoudite et le Qatar… Réponse : A. C. Effectivement, pourtant ce n’est pas faute de le répéter: ce que nous appelons « salafisme », en arabe, cela s’appelle « wahhabisme». Et là nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste.” [Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE] (Source : L’Humanité)

“Le Qatar a financé le Front Al-Nosra (ou Nosra) jusqu’à la scission intervenue en avril 2013. L’organisation, rattachée à Al-Qaïda, est pourtant inscrite sur la liste terroriste des Etats-Unis depuis le 20 novembre 2012 et la déclaration d’Hillary Clinton. Après la scission en avril 2013 – autrement dit la séparation entre Nosra dirigé par le syrien Al-Joulani et l’Etat islamique (EI) conduit par l’irakien al-Baghdadi – le Qatar a choisi de soutenir l’EI contrairement à l’Arabie Saoudite qui continue de financer Nosra.” [Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient  à la Maison de l’Orient] (Source : Challenges)

“Le calcul de l’Occident a été celui d’une chute rapide de Bachar al Assad et pour cet unique objectif, nous n’avons pas hésité à confier la sous-traitance du conflit à certains pays du Golfe, Qatar et Arabie Saoudite en tête. [...] La France soutenait les « opposants » et les laissait financer par les pays du Golfe, Arabie saoudite et Qatar en tête, pays qui ont soigneusement acheté une partie des élites françaises, empêchant ainsi tout débat sur la question. Cette alliance contre nature, court-termiste, est à l’origine d’une des plus grandes erreurs stratégiques de ces dernières années.” [Frédéric Pichon, chercheur associé à l’Equipe Monde Arabe Méditerranée de l’Université François Rabelais (Tours)] (Source : Les-Crises.fr)

Oh, j’imagine aussi qu’on nous demandera de manifester ce dimanche ou un autre contre le terrorisme – bon courage, ça a été super efficace la dernière fois.

Les médias continueront à en faire comme d’habitude des tonnes dans l’émotion, dans le “Revivez minute par minute cette soirée d’horreur“, dans le “oh, il ‘y a aucun équivalent dans l’histoire, dans le monde, etc”, dans le “oh, le monde est solidaire avec nous c’est beau”, alors que le double de morts dans l’avion russe il y a deux semaines a été présenté a minima, qu’Obama n’y a pas vu une atteinte contre toute l’humanité, et où je n’ai vu naitre aucune mobilisation #JeSuisRusse, pas plus que #JeSuisLibanais avant-hier… #Non-Personnes…

On nous enjoindra la sacro-sainte “soupe à l’union nationale” – qui visera à blanchir tout le personnel politique – chuut, ne posez surtout pas de questions, ne demandez pas des comptes, union on a dit.

On se drapera du lin blanc de notre innocence, de notre éternelle “inculpabilité” – meuh non, aucun Syrien n’est mort en raison des actions de notre gouvernement bien sûr, il ne pense qu’à notre sécurité…

On hurlera aux moyens policiers en plus – après tout, il faut juste empêcher des assaillants armés en voiture de tirer sur des gens – trop facile.

On espionnera évidemment encore plus les citoyens – ça marche bien, la preuve.

On ne rappellera pas qu’il n’y a évidemment presque rien à faire pour empêcher des terroristes déterminés à agir dans ces conditions assez “simples”. Et que la bonne solution est plutôt d’empêcher ces hommes de devenir terroristes, et pour cela il faut avoir des politiques étrangères honorables et humaines. On notera que, “étrangement”, les terroristes ne visent jamais la Suisse ou la Hongrie…

Bref SURTOUT on ne demandera aucun compte à nos dirigeants qui ont pour tâche d’assurer notre sécurité directement et surtout indirectement (politique étrangère) – ni responsables, ni coupables, on verra même leur cote de popularité monter, comme d’habitude…

Enfin, mention spéciale aux gouvernements de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de la Turquie, et à la CIA, qui financent et soutiennent les islamistes en Syrie : on vous méprise, allez au diable !

Tout comme nos dirigeants que vous achetez, qui préfèrent faire des communiqués hallucinants avec vous (pour demander à la Russie d’arrêter de bombarder Al-Qaïda !), plutôt que de vous combattre…

EDIT  P.S. la revendication de Daesh (à “l’imbécile de France”…)

Source: http://www.les-crises.fr/la-france-est-en-guerre-ben-oui-depuis-longtemps-cretin/


Mille et un 11 septembre

Monday 16 November 2015 at 03:20

Billet de septembre dernier du journaliste anglais Nafeez Ahmed

Source : Nafeez Ahmed, pour Middle East Eye, le 17 septembre 2015.

Les attentats du 11 septembre n’ont été que le début de l’effusion de sang et des violations éhontées de la loi visant à étendre une autorité étatique injustifiable.

Il y a 14 ans, 2 996 personnes ont été tuées lorsque quatre avions civils américains ont été détournés par des extrémistes d’al-Qaïda, un premier s’écrasant contre le Pentagone et deux autres contre les tours du World Trade Center.

Mais ce n’était que le début de l’effusion de sang.

Les attentats du 11 septembre ont annoncé une nouvelle ère de guerres à l’échelle mondiale dans le but d’éradiquer l’extrémisme. Loin de vaincre al-Qaïda, la « guerre contre le terrorisme » a vu l’ennemi métastaser et former un mouvement autoproclamé « État islamique ».

Au cours de ce périple, nous avons assisté à l’effondrement de la primauté du droit : invasion illégale de l’Irak, fabrication de toutes pièces de renseignements sur des armes de destruction massive (ADM), assassinats extrajudiciaires, torture systématique (toujours employée), kidnappings organisés, détention illimitée et surveillance de masse à l’échelle mondiale.

Nous avons également assisté à des violations éhontées de la loi visant à étendre une autorité étatique injustifiable en Occident : érosion du principe d’habeas corpus, surveillance des citoyens ordinaires, normalisation du profilage racial et criminalisation de la dissidence.

Combattre le feu par le feu

Les chiffres les plus prudents indiquent que depuis le 11 septembre, la « guerre contre le terrorisme » a tué environ 14 000 Afghans, 35 000 Pakistanais et 120 000 Irakiens, sans compter les morts indirectes causées par la destruction d’installations de distribution d’électricité et d’eau, d’assainissement et de soins de santé, ce qui fait au total 150 000 personnes. Cela équivaut à cinquante 11 septembre.

À l’autre extrême, une enquête portant sur des études épidémiologiques majeures menées par Physicians for Social Responsibility, groupe de médecins nobélisé, hisse le nombre de morts directes et indirectes à environ 1,3 million de personnes. Ce qui représente quatre cents 11 septembre. Une autre étude basée sur les données de mortalité de la Division de la population des Nations unies suggère que le nombre de victimes peut s’élever à quatre millions, soit plus de mille 11 septembre.

Le nombre de victimes continue de croître. Une étude réalisée en août par Airwars, projet de journalisme à but non lucratif, est arrivée à la conclusion prudente que les frappes de la coalition contre l’État islamique avaient tué plusieurs centaines de civils (peut-être plus d’un millier) au cours de la première année des opérations.

Les drones, usine à terrorisme

Cette semaine, le gouvernement a annoncé que deux militants britanniques de l’État islamique, Reyaad Khan et Ruhul Amin, ont été tués le 21 août par une frappe de drone britannique en Syrie. Toutefois, le mois précédent, les journaux britanniques avaient annoncé à tort la mort de Khan suite à une attaque de drone américain, reprenant des témoignages locaux.

Reprieve, groupe juridique de défense des droits de l’homme, rapporte que trois attaques de drones sont en moyenne nécessaires pour assassiner une cible répertoriée dans la « kill list ». Combien d’autres ont été tués par erreur par des drones britanniques dans le but de tuer Khan ?

L’an dernier, une étude de Reprieve a conclu que les efforts déployés par les Américains dans le but d’assassiner 41 cibles à l’aide d’attaques de drones avaient entraîné la mort de 1 147 personnes, soit 28 inconnus assassinés pour chaque personne suspectée de terrorisme, dont des femmes et des enfants.

Même le général Michael T. Flynn, ancien haut responsable des services de renseignement militaire d’Obama, reconnaît les griefs légitimes selon lesquels les massacres dont les drones sont à l’origine produisent plus d’extrémistes qu’ils n’en tuent.

L’approvisionnement en armes de groupes à l’origine du 11 septembre

Flynn a dirigé la Defense Intelligence Agency (DIA) du Pentagone de 2012 à 2014. Aujourd’hui, il confirme qu’en août 2012, la DIA avait signalé à la Maison Blanche que la montée de l’État islamique était une conséquence directe du soutien de l’Occident, des pays du Golfe et de la Turquie à al-Qaïda et aux rebelles syriens affiliés.

Étant donné le rôle joué par le gouvernement britannique dans cette politique d’incubation de Britanniques de la trempe de Khan, la réticence officielle face à la « kill list » n’a rien de surprenant.

En juin, les tribunaux britanniques ont cherché à poursuivre Bherlin Gildo, ressortissant suédois qui a été accusé d’avoir participé à un camp d’entraînement extrémiste en Syrie, où il aurait reçu une formation sur le maniement des armes, et de détenir des informations sur des extrémistes.

Lors des audiences préliminaires, le procureur de la Couronne, Riel Karmy-Jones, a déclaré à la cour que de 2012 à 2013, Gildo avait travaillé avec le Front al-Nosra, le « groupe interdit considéré comme étant al-Qaïda en Syrie », dont de nombreux adeptes ont ensuite rejoint l’État islamique.

Le procès s’est effondré lorsque l’équipe de défense de Gildo a souligné qu’il avait rejoint un groupe anti-Assad (le Front al-Nosra) qui avait reçu un soutien du gouvernement britannique, fourni en partie par le biais d’une « rat line », un réseau officieux d’approvisionnement en armes de la CIA et du MI6 facilité par al-Qaïda et allant de la Libye à la Syrie.

Un racket en l’échange d’une protection

Le recours plus ou moins abusif de l’Occident aux militants islamistes n’a rien d’un fait nouveau.

En juillet, dans un entretien avec L’Humanité, Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la Direction générale de la sécurité extérieure française (DGSE), a décrit la « guerre contre le terrorisme » comme une « imposture » dissimulant une « alliance militaire » qui se noue entre « les pays occidentaux et les parrains financiers du djihad ».

Interrogé au sujet de l’idéologie islamiste et de ses États mécènes tels que l’Arabie saoudite et le Qatar, Chouet a répondu :

« Au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., [nous sommes engagés dans des confrontations militaires avec les mêmes types de groupes terroristes islamistes. Or,] nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis 30 ans le phénomène terroriste. »

Ainsi, contrairement au récit officiel de l’assaut contre Oussama ben Laden, plusieurs sources des services de renseignement américains confirment que l’occupation par ben Laden d’une résidence à Abbottabad (Pakistan) entre 2006 et 2011 a eu lieu sous la protection de l’Inter Services Intelligence (ISI) pakistanaise, avec un financement de la famille royale saoudienne.

Simultanément, les États-Unis ont négocié une opération secrète conjointe avec l’Arabie saoudite à travers le prince Bandar ben Sultan, qui dirigeait alors le Conseil de sécurité nationale, pour financer des islamistes affiliés à ben Laden, afin de tenter de repousser l’influence régionale de l’Iran chiite.

Cette stratégie secrète a été corroborée par les conclusions présidentielles et par d’anciens responsables, dont Alastair Crooke, officier retraité du MI6 en fonction pendant 30 ans, et John Hannah, ancien conseiller à la sécurité nationale du vice-président Dick Cheney.

La brigade de Bandar

Pourtant, les États-Unis savaient que le prince Bandar était lié aux attentats du 11 septembre, selon des fuites dans la presse au sujet des célèbres 28 pages classifiées du rapport de l’enquête du Congrès publié en 2002.

Dans son livre Intelligence Matters (2004), le sénateur Bob Graham, vice-président de la commission d’enquête, évoque une note top-secrète de la CIA concernant deux pirates de l’air du 11 septembre, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, qui conclut qu’il y avait « des preuves irréfutables qu’il existe un soutien pour ces terroristes au sein du gouvernement saoudien ».

Al-Mihdhar et al-Hazmi ont été « manipulés » aux États-Unis par plusieurs ressortissants saoudiens entretenant des liens étroits avec des responsables du gouvernement saoudien, qui ont reçu au total plusieurs dizaines de milliers de dollars en chèques de banque (environ 3 500 dollars par mois) de la part du prince Bandar et de son épouse, la princesse Haïfa bint Fayçal. La princesse Haïfa a prétendu plus tard que l’argent versé représentait des dons de bienfaisance, bien que le sénateur Graham et la CIA aient clairement estimé le contraire.

L’administration Obama, au mépris des revendications des familles de victimes du 11 septembre désireuses de déclassifier les 28 pages, a encore une fois tiré profit du prince Bandar à l’occasion de l’assaut de 2011 contre ben Laden. Les États-Unis avaient fait appel à lui les mois précédant l’assaut pour les aider à négocier l’accord stratégique avec le Pakistan qui a conduit à l’opération d’Abbottabad.

La CIA et ben Laden

L’actuelle relation entre l’Arabie saoudite et al-Qaïda est magistralement documentée dans The Eleventh Day (2012), un livre d’Anthony Summers et Robbyn Swan, journalistes de Vanity Fair.

Dès 1995, ont-ils rapporté, la famille royale saoudienne a versé des « paiements de protection » à ben Laden, à la condition qu’il ne prenne pas le royaume pour cible. L’accord a été négocié par le chef des services de renseignement de l’époque, le prince Turki al-Fayçal.

Selon le quotidien Le Figaro, des sources des services de renseignement français ont révélé que deux mois avant le 11 septembre, sous le patronage du prince Turki, ben Laden avait été transféré par avion à l’hôpital américain de Dubaï pour un problème de reins, où le chef d’al-Qaïda a rencontré des responsables de la CIA.

Malgré les réfutations de Washington, Summers et Swan ont obtenu des confirmations intrigantes de cette histoire, de la part de sources crédibles qui ont « décrit la visite de façon indépendante, en détail et en même temps ».

Ils ont aussi interviewé Alain Chouet, qui dirigeait le service de renseignement de sécurité à la DGSE au moment de la réunion présumée :

« Chouet a-t-il donné du crédit au discours sur la prise de contact à Dubaï ? “Oui”, a-t-il répondu. La DGSE avait-elle connaissance à l’époque de la rencontre entre des officiers de la CIA et ben Laden ? “Oui”, a affirmé Chouet. “Avant le 11 septembre, a-t-il observé. Ce n’était pas un scoop pour nous, cela ne nous a pas surpris.” »

La guerre du pipeline

Chouet a indiqué à Summers et Swan que la rencontre entre la CIA et ben Laden avait pour but de persuader le chef d’al-Qaïda « de ne pas s’opposer aux négociations de Berlin » avec les talibans. S’il acceptait, il pouvait « rentrer en Arabie saoudite avec une grâce royale, sous la garantie et le contrôle de Turki », et les États-Unis étaient prêts à « abandonner leurs efforts visant à le traduire en justice » pour les attentats précédents.

À Berlin, l’administration Bush avait menacé les talibans d’une guerre s’ils ne respectaient pas les exigences américaines, qui comprenaient des plans pour l’installation d’un pipeline pétrolier et gazier transafghan qui transporterait les ressources de la mer Caspienne vers les marchés asiatiques, un projet qu’Obama a récemment essayé de relancer. Les négociateurs américains ont également voulu que les talibans élargissent leur régime répressif pour inclure des factions d’opposition dans le but de créer de la « stabilité » pour le pipeline.

D’après Chouet, ben Laden a rejeté la proposition des États-Unis, tout comme les talibans. Une note d’al-Qaïda de 1998 obtenue par le FBI a montré que ben Laden avait une parfaite connaissance des négociations sur les pipelines en cours entre les États-Unis et les talibans.

En effet, dans les années 1990, l’administration Clinton avait fourni une aide militaire et financière aux talibans par l’intermédiaire des services de renseignement saoudiens et pakistanais pour soutenir la conquête de l’Afghanistan par le mouvement, tout cela dans le but de faciliter le projet de pipeline.

L’ami de mon ennemi est toujours mon ami

L’étendue de la complicité du Pakistan avec l’extrémisme de ben Laden a été documentée dans un addendum secret au rapport de la Commission du 11 septembre, demandé par son directeur exécutif Philip Zelikow trois mois avant la publication, mais qui est arrivé trop tard pour y être inclus.

S’appuyant sur des sources pakistanaises sensibles, les auteurs de l’addendum sont arrivés à la conclusion que les officiers supérieurs de l’ISI avaient eu connaissance à l’avance des attentats du 11 septembre et protégeaient ben Laden au Pakistan, et que Pervez Musharraf avait personnellement approuvé son traitement rénal dans un hôpital militaire près de Peshawar.

Comme les 28 pages classifiées, ces conclusions restent étouffées par le gouvernement américain.

Pourquoi les États-Unis, tout en déclenchant de nouveaux 11 septembre à travers le monde, supportent-ils donc ces mêmes régimes qui sont derrière les attentats du 11 septembre 2001 ?

Parce que cette « guerre contre le terrorisme » est une énorme fiction. En réalité, le terrorisme est le prix de cette attitude consistant à continuer comme si de rien n’était, et les États-Unis sont prêts à le payer.

***
- Nafeez Ahmed est un journaliste d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu’il appelle les « crises de civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation Project Censored dans la catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l’intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The IndependentSydney Morning HeraldThe AgeThe ScotsmanForeign PolicyThe AtlanticQuartz,ProspectNew StatesmanLe Monde diplomatique et New InternationalistSon travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et à l’enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.

Source: http://www.les-crises.fr/mille-et-un-11-septembre/


Le communiqué de l’Elysée que vous ne lirez pas, par Viktor Dedaj

Monday 16 November 2015 at 00:35

Source : Viktor Dedaj, Le Grand Soir, 14-11-2015

Suite aux événements tragiques d’hier, il a été décidé que la France réexaminera sa stratégie et politique étrangère.

1) Considérant les soutiens de certains pays avec les mouvements terroristes, soit par leur création à des fins géostratégiques douteuses, soit par leur financement, soit par une complaisance à leur égard, la France révisera ses relations avec les Etats-Unis, le Qatar, l’Arabie-Saoudite, Israël et la Turquie.

2) Considérant le rôle actif joué par la France elle-même dans le point 1), les membres des gouvernements successifs annoncent leur démission en bloc et leur mise à disposition de la Justice française et internationale, non sans avoir au préalable engagé des actions contre les figures politiques, culturelles et médiatiques qui ont défendu et encouragé ces politiques criminelles.

3) Considérant que les 5 années d’interventions occidentales en Syrie et les 15 années de campagnes « d’éradication du terrorisme » ont produit moins de résultats qu’un mois d’intervention russe, la France révisera ses alliances stratégiques en matière de lutte contre le terrorisme et reconsidérera les propositions russes et autres pour une paix au Moyen-orient.

4) Constatant le rôle extrêmement belliqueux et destructeur de l’OTAN ces 30 dernières années, la France se retire de toutes les instances de cette organisation et soumet à l’examen de la Justice la responsabilité des dirigeants de cette organisation pour des actes de guerre illégaux et actes de crimes contre l’humanité.

5) Reconnaissant le rôle indispensable joué par les marchands d’armes dans les guerres, l’Etat français procédera à la nationalisation sans indemnisation et la liquidation de toutes les entreprises privées engagées dans cette filière. Un référendum sera soumis au peuple français sur le devenir d’un éventuel secteur public dédié exclusivement à la Défense.

6) Constatant (pendant qu’on y est) qu’il circule librement et à ciel ouvert des « armes interdites » par les Conventions internationales, la France lancera des mandats d’arrêt internationaux contre les responsables d’entreprises et leurs subordonnés employés dans les services de Recherche et Développement (l’argument « je ne faisais qu’obéir aux instructions » ou « si ce n’est pas nous, c’est quelqu’un d’autre qui le fabriquera » ne saurait être opposé).

7) Considérant que « lorsque nos réactions sont prévisibles, nous devenons manipulables », le Gouvernement de la France se refuse à tomber dans le piège tendu et retire toutes les mesures de surveillance massive et d’atteintes aux libertés publiques et engagera une véritable lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes, d’où qu’il vienne, et contre tous ses promoteurs, alliés ou non (qu’on se le dise).

Vive la France (pour ce qu’il en reste), vive la République (pour ce qu’elle en vaut).

Fait à l’Elysée, le 14 novembre 2015

Le Président

Source : Viktor Dedaj, Le Grand Soir, 14-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/le-communique-de-lelysee-que-vous-ne-lirez-pas/


L’Etat islamique, cancer du capitalisme moderne, par Nafeez Ahmed

Sunday 15 November 2015 at 14:42

Papier fondamental de Nafeez Ahmed, publié en mars dernier.

Rappelons que Nafeez Ahmed, est un politologue britannique et journaliste d’investigation, qui travaille avec la BBC et le Guardian. Il est le directeur de l’Institute for Policy Research and Development de Brighton, et enseigne à l’université du Sussex. Il a été nominé en 2003 pour le prix Napoli, équivalent du Goncourt français.

Source : Nafeez Ahmed, pour Middle East Eye, le 27 mars 2015.

L’« État islamique » est un symptôme brutal de l’aggravation d’une crise de civilisation fondée sur la dépendance aux combustibles fossiles, qui porte atteinte à l’hégémonie occidentale et met à mal le pouvoir des États dans le monde musulman

Le débat sur les origines de l’État islamique a largement oscillé entre deux points de vue extrêmes. Certains accusent l’Occident : l’État islamique n’est rien de plus qu’une réaction prévisible à l’occupation de l’Irak, un autre contrecoup de la politique étrangère occidentale. D’autres attribuent purement et simplement l’émergence de l’État islamique à la barbarie historique ou culturelle du monde musulman, dont les croyances et les valeurs médiévales arriérées sont un incubateur naturel de ce type d’extrémisme violent.

Alors que ce débat banal se poursuit d’un ton monotone, la plus grosse évidence que personne ne veut voir concerne les infrastructures matérielles. Tout le monde peut nourrir des pensées mauvaises, horribles ou dégoûtantes. Mais elles restent de simples fantasmes à moins que l’on ne trouve un moyen de les manifester concrètement dans le monde qui nous entoure.

Ainsi, pour comprendre comment l’idéologie qui anime l’État islamique a réussi à rassembler les ressources matérielles nécessaires pour conquérir un espace plus grand que le Royaume-Uni, nous devons inspecter de plus près son contexte matériel.

Suivez l’argent

Les fondements de l’idéologie d’al-Qaïda sont nés dans les années 1970. Abdallah Azzam, mentor palestinien d’Oussama ben Laden, a alors formulé une nouvelle théorie justifiant la poursuite d’une guerre continue et de faible intensité par des cellules moudjahidines déployées en faveur d’un État panislamiste. Les doctrines islamistes violentes d’Abdallah Azzam ont été popularisées dans le contexte de l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques.

Comme on le sait, les réseaux moudjahidines afghans ont été formés et financés sous la supervision de la CIA, du MI6 et du Pentagone. Les États du Golfe ont apporté des sommes d’argent considérables, tandis que l’Inter-Services Intelligence (ISI) pakistanais a assuré la liaison sur le terrain avec les réseaux militants coordonnés par Azzam, ben Laden et les autres.

L’administration Reagan a par exemple fourni 2 milliards de dollars aux moudjahidines afghans, complétés par un apport de 2 milliards de dollars de l’Arabie saoudite.

En Afghanistan, l’USAID a investi des millions de dollars pour fournir aux écoliers « des manuels remplis d’images violentes et d’enseignements islamiques militants », d’après le Washington Post. La théologie justifiant le djihad violent était entrecoupée de « dessins de fusils, de balles, de soldats et de mines ». Les manuels vantaient même les récompenses divines offertes aux enfants qui « arracheraient les yeux de l’ennemi soviétique et lui couperaient les jambes ».

Selon la croyance populaire, cette configuration désastreuse d’une collaboration entre l’Occident et le monde musulman dans le financement des extrémistes islamistes aurait pris fin avec l’effondrement de l’Union soviétique. Comme je l’ai expliqué lors d’un témoignage au Congrès un an après la sortie du rapport de la Commission du 11 septembre, cette croyance populaire est erronée.

Le chantage de la protection

Un rapport classifié des services de renseignement américains, révélé par le journaliste Gerald Posner, a confirmé que les États-Unis étaient pleinement conscients du fait qu’un accord secret avait été conclu en avril 1991 entre l’Arabie saoudite et ben Laden, alors en résidence surveillée. Selon cet accord, ben Laden était autorisé à quitter le royaume avec ses financements et partisans et à continuer de recevoir un soutien financier de la famille royale saoudienne à la seule condition qu’il s’abstienne de cibler et de déstabiliser le royaume d’Arabie saoudite lui-même.

Loin d’être des observateurs distants de cet accord secret, les États-Unis et la Grande-Bretagne y ont participé activement.

L’approvisionnement massif de pétrole en provenance d’Arabie saoudite est au fondement de la santé et de la croissance de l’économie mondiale. Nous ne pouvions nous permettre d’être déstabilisés, et nous avons donc dû accepter ce compromis : pour protéger le royaume, il fallait le laisser financer ben Laden hors de ses frontières.

Comme l’historien britannique Mark Curtis le décrit minutieusement dans son livre sensationnel, Secret Affairs: Britain’s Collusion with Radical Islam, les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni ont continué de soutenir secrètement des réseaux affiliés à al-Qaïda en Asie centrale et dans les Balkans après la guerre froide, et ce pour les mêmes raisons que précédemment, à savoir la lutte contre l’influence russe, et désormais chinoise, afin d’étendre l’hégémonie américaine sur l’économie capitaliste mondiale. L’Arabie saoudite, première plate-forme pétrolière du monde, est restée l’intermédiaire de cette stratégie anglo-américaine irréfléchie.

En Bosnie

Curtis relate qu’un an après l’attentat du World Trade Center de 1993, Oussama ben Laden a ouvert un bureau dans le quartier de Wembley, à Londres, sous le nom d’« Advice and Reformation Committee », depuis lequel il a coordonné des activités extrémistes dans le monde entier.

Vers la même époque, le Pentagone a acheminé par avion des milliers de moudjahidines d’al-Qaïda de l’Asie centrale vers la Bosnie, violant ainsi l’embargo sur les armes imposé par l’ONU, selon des fichiers des services de renseignement néerlandais. Ces combattants étaient accompagnés par les forces spéciales américaines. Le « cheikh aveugle » qui a été condamné pour l’attentat du World Trade Center était profondément impliqué dans le recrutement et l’envoi de combattants d’al-Qaïda en Bosnie.

En Afghanistan

A partir de 1994 environ et jusqu’au 11 septembre, les services de renseignement militaire américains ainsi que la Grande-Bretagne, l’Arabie saoudite et le Pakistan, ont secrètement fourni des armes et des fonds aux talibans, qui abritaient al-Qaïda.

En 1997, Amnesty International a déploré l’existence de « liens politiques étroits » entre la milice talibane en place, qui venait de conquérir Kaboul, et les États-Unis. Le groupe de défense des droits de l’homme a fait référence à des comptes-rendus crédibles « sur les madrasas (écoles religieuses) fréquentées par les talibans au Pakistan », indiquant que « ces liens peuvent avoir été établis au commencement même du mouvement taliban ».

Amnesty a rapporté que ces comptes-rendus provenaient de Benazir Bhutto, alors Première ministre du Pakistan ; cette dernière, aujourd’hui décédée, avait « affirmé que les madrasas avaient été mises en place par la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Arabie saoudite et le Pakistan au cours du djihad, la résistance islamique contre l’occupation de l’Afghanistan par les Soviétiques ». Sous la tutelle américaine, l’Arabie saoudite continuait de financer ces madrasas.

Les manuels rédigés par le gouvernement américain afin d’endoctriner les enfants afghans avec l’idéologie du djihad violent pendant la guerre froide furent alors approuvés par les talibans. Ils furent intégrés au programme de base du système scolaire afghan et largement utilisés dans les madrasas militantes pakistanaises financées par l’Arabie saoudite et l’ISI pakistanaise avec le soutien des États-Unis.

Les administrations Clinton et Bush espéraient se servir des talibans pour établir un régime fantoche dans le pays, à la manière de leur bienfaiteur saoudien. L’espoir vain et manifestement infondé était qu’un gouvernement taliban assure la stabilité nécessaire pour installer un pipeline trans-afghan (TAPI) acheminant le gaz d’Asie centrale vers l’Asie du Sud, tout en longeant la Russie, la Chine et l’Iran.

Ces espoirs ont été anéantis trois mois avant le 11 septembre, lorsque les talibans ont rejeté les propositions américaines. Le projet TAPI a ensuite été bloqué en raison du contrôle intransigeant de Kandahar et Quetta par les talibans ; toutefois, ce projet est désormais en cours de finalisation sous la direction de l’administration Obama.

Au Kosovo

Mark Curtis indique que l’OTAN a continué de parrainer les réseaux affiliés à al-Qaïda au Kosovo à la fin des années 1990, lorsque les forces spéciales américaines et britanniques ont approvisionné en armes et formé les rebelles de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), parmi lesquels figuraient des recrues moudjahidines. Ces effectifs comptaient une cellule rebelle dirigée par Mohammed al-Zaouahiri, frère du bras droit de ben Laden, Ayman al-Zaouahiri, qui est désormais le leader d’al-Qaïda.

Dans la même période, Oussama ben Laden et Ayman al-Zaouahiri ont coordonné les attentats de 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie depuis le bureau de ben Laden à Londres.

Il y avait toutefois quelques bonnes nouvelles : les interventions de l’OTAN dans les Balkans, conjuguées à la désintégration de la Yougoslavie socialiste, ont ouvert la voie à l’intégration de la région dans l’Europe occidentale, à la privatisation des marchés locaux et à l’établissement de nouveaux régimes en faveur du projet de pipeline trans-Balkans, destiné à transporter le pétrole et le gaz d’Asie centrale vers l’Occident.

Une réorientation de la politique au Moyen-Orient

Même après les attentats du 11 septembre 2001 et du 7 juillet 2005, la dépendance des Américains et des Britanniques aux combustibles fossiles bon marché pour soutenir l’expansion capitaliste mondiale les a poussés à approfondir cette alliance avec les extrémistes.

Vers le milieu de la dernière décennie, les services de renseignement militaire anglo-américains ont commencé à superviser les financements apportés par les États du Golfe, menés une fois de plus par l’Arabie saoudite, aux réseaux extrémistes islamistes à travers le Moyen-Orient et l’Asie centrale pour contrer l’influence chiite iranienne dans la région. Parmi les bénéficiaires de cette entreprise figuraient des groupes militants et extrémistes affiliés à al-Qaïda de l’Irak au Liban en passant par la Syrie, soit un véritable arc du terrorisme islamiste.

Une fois de plus, les militants islamistes furent involontairement entretenus en tant qu’agents de l’hégémonie américaine face aux rivaux géopolitiques émergeants.

Comme Seymour Hersh l’a révélé dans le New Yorker en 2007, cette « réorientation » de la politique consistait à affaiblir non seulement l’Iran, mais aussi la Syrie, où les largesses des États-Unis et de l’Arabie saoudite ont contribué à soutenir les Frères musulmans syriens, entre autres groupes d’opposition. Evidemment, l’Iran et la Syrie étaient étroitement alignés avec la Russie et la Chine.

En Libye

En 2011, l’intervention militaire de l’OTAN pour renverser le régime de Kadhafi a emboîté le pas au soutien important apporté à des mercenaires libyens, qui étaient en fait des membres de la branche officielle d’al-Qaïda en Libye. La France se serait vu proposer le contrôle de 35 % des ressources pétrolières de la Libye en échange de son soutien aux insurgés.

Après l’intervention, les géants pétroliers européens, britanniques et américains étaient « parfaitement prêts à tirer profit » des « opportunités commerciales », d’après David Anderson, professeur à l’université d’Oxford. Les contrats juteux signés avec les membres de l’OTAN ont pu « libérer l’Europe occidentale de l’emprise des producteurs russes qui pratiquent des prix élevés et dominent actuellement leur approvisionnement en gaz ».

Des rapports secrets établis par les services de renseignement ont montré que les rebelles soutenus par l’OTAN entretenaient des liens étroits avec al-Qaïda. La CIA s’est également servie des militants islamistes en Libye pour acheminer des armes lourdes aux rebelles du pays.

Un rapport de 2009 des services de renseignement canadiens décrit le bastion rebelle de l’est de la Libye comme un « épicentre de l’extrémisme islamiste », à partir duquel « les cellules extrémistes » ont agi dans la région. Selon David Pugliese, dont les propos sont repris dans l’Ottawa Citizen, c’est cette même région qui était « défendue par une coalition de l’OTAN dirigée par le Canada ». D’après David Pugliese, le rapport des services de renseignement a confirmé que « plusieurs groupes d’insurgés islamistes » étaient basés dans l’est de la Libye et que beaucoup de ces groupes ont également « exhorté leurs partisans à combattre en Irak ». Les pilotes canadiens plaisantaient même en privé, se disant qu’ils faisaient partie de l’armée de l’air d’al-Qaïda « dans la mesure où leurs missions de bombardement ont contribué à ouvrir la voie aux rebelles alignés avec le groupe terroriste ».

Selon Pugliese, les spécialistes des services de renseignement canadiens ont envoyé un rapport prémonitoire à l’attention des officiers supérieurs de l’OTAN en date du 15 mars 2011, quelques jours seulement avant le début de l’intervention. « Il est de plus en plus possible que la situation en Libye se transforme en une guerre tribale/civile à long terme, était-il écrit. Cela est particulièrement probable si les forces d’opposition reçoivent une assistance militaire de la part d’armées étrangères. »

Comme nous le savons, l’intervention a quand même eu lieu.

En Syrie

Au cours des cinq dernières années au moins, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats arabes unis, la Jordanie et la Turquie ont tous apporté un soutien financier et militaire considérable à des réseaux militants islamistes liés à al-Qaïda qui ont engendré l’« État islamique » que nous connaissons aujourd’hui. Ce soutien a été apporté dans le cadre d’une campagne anti-Assad de plus en plus intense dirigée par les États-Unis.

La concurrence pour dominer les tracés potentiels des pipelines régionaux passant par la Syrie et contrôler les ressources inexploitées en combustibles fossiles en Syrie et en Méditerranée orientale (au détriment de la Russie et de la Chine) a fortement contribué à motiver cette stratégie.

Roland Dumas, ancien ministre français des Affaires étrangères, a révélé qu’en 2009 les responsables du ministère britannique des Affaires étrangères lui avaient indiqué que les forces britanniques étaient déjà actives en Syrie pour tenter de fomenter la rébellion.

L’opération qui se poursuit actuellement a été étroitement contrôlée dans le cadre d’un programme secret toujours en cours, coordonné conjointement par les services de renseignement militaire américains, britanniques, français et israéliens. Des rapports publics confirment qu’à la fin de l’année 2014, le soutien apporté par les États-Unis aux combattants luttant contre Assad s’élevait, à lui seul, à environ 2 milliards de dollars.

Ce soutien aux extrémistes islamistes est communément considéré comme une erreur, et les faits parlent d’eux-mêmes. D’après des évaluations classifiées de la CIA, les services de renseignement américains savaient que le soutien apporté aux rebelles anti-Assad dirigé par les États-Unis à travers ses alliés au Moyen-Orient a toujours fini entre les mains des extrémistes les plus virulents. Toutefois, il a continué.

L’année précédant le lancement de la campagne de l’État islamique pour conquérir l’intérieur de l’Irak, les responsables du Pentagone étaient également conscients que la grande majorité des rebelles « modérés » de l’Armée syrienne libre (ASL) étaient en fait des militants islamistes. Ainsi que l’ont reconnu les responsables, il était de plus en plus impossible d’établir une frontière fixe entre les rebelles dits « modérés » et les extrémistes liés à al-Qaïda ou à l’État islamique en raison de la fluidité des interactions existant entre ces deux composantes.

De plus en plus, les combattants frustrés de l’ASL ont rejoint les rangs des militants islamistes en Syrie, non pas pour des raisons idéologiques mais simplement en raison de leur plus grande puissance militaire. Jusqu’à présent, la quasi-totalité des groupes rebelles « modérés » formés et récemment armés par les États-Unis sont en cours de dissolution et de défection, et leurs membres n’en finissent plus de passer du côté d’al-Qaïda et de l’État islamique dans la lutte contre Assad.

En Turquie

Grâce à un nouvel accord avec la Turquie, les États-Unis coordonnent actuellement l’approvisionnement continu en aide militaire aux rebelles « modérés » pour combattre l’État islamique. Pourtant, ce n’est un secret pour personne que pendant toute cette période, la Turquie a directement parrainé al-Qaïda et l’État islamique dans le cadre d’une manœuvre géopolitique destinée à écraser les groupes d’opposition kurdes et à faire tomber Assad.

On a fait grand cas des efforts « relâchés » de la Turquie pour empêcher la traversée de son territoire par les combattants étrangers souhaitant rejoindre l’État islamique en Syrie. Ankara a récemment répondu en annonçant avoir arrêté plusieurs milliers d’entre eux.

Ces affirmations sont imaginaires : la Turquie a délibérément abrité et acheminé le soutien apporté à l’État islamique et à al-Qaïda en Syrie.

L’été dernier, le journaliste turc Denis Kahraman a interviewé un combattant de l’État islamique recevant un traitement médical en Turquie ; ce dernier lui a dit : « La Turquie nous a ouvert la voie. Si la Turquie n’avait pas fait preuve d’autant de compréhension à notre égard, l’État islamique n’en serait pas là où il en est actuellement. Elle [La Turquie] a manifesté de l’affection à notre égard. Un grand nombre de nos moudjahidines [djihadistes] ont reçu un traitement médical en Turquie. »

Plus tôt cette année, des documents officiels de l’armée turque (le Commandement général de la gendarmerie) divulgués en ligne et authentifiés ont révélé que les services de renseignement turcs (MIT) avaient été surpris par des officiers militaires à Adana alors qu’ils étaient en train de transporter par camions des missiles, mortiers et munitions anti-aériennes « à destination de l’organisation terroriste al-Qaïda » en Syrie.

Les rebelles « modérés » de l’ASL sont impliqués dans le réseau de soutien turco-islamiste parrainé par le MIT. L’un d’eux a expliqué au Telegraph qu’il « gère désormais des refuges en Turquie hébergeant des combattants étrangers qui cherchent à rejoindre le Front al-Nosra et [l’État islamique] ».

Des responsables politiques ont cherché à attirer l’attention sur ce sujet, en vain. L’année dernière, Claudia Roth, vice-présidente du parlement allemand, a fait part de sa consternation face au fait que l’OTAN autorise la Turquie à abriter un camp de l’État islamique à Istanbul, à faciliter les transferts d’armes à destination de militants islamistes à travers ses frontières, et à soutenir tacitement les ventes de pétrole de l’État islamique. Rien ne s’est passé.

La coalition menée par les États-Unis contre l’État islamique finance l’État islamique

Les États-Unis et la Grande-Bretagne ne sont pas seulement restés étrangement silencieux face à la complicité de leur partenaire de coalition qui parraine l’ennemi. Au contraire, ils ont renforcé leur partenariat avec la Turquie et coopèrent âprement avec ce même État-mécène de l’État islamique pour former les rebelles « modérés » afin de lutter contre l’État islamique.

Ce n’est pas uniquement la Turquie qui est en cause. L’année dernière, le vice-président américain Joe Biden a indiqué lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie, entre autres, fournissaient « des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes » aux « éléments djihadistes extrémistes du Front al-Nosra et d’al-Qaïda » dans le cadre d’une « guerre par procuration entre sunnites et chiites ». Biden a ajouté qu’il était impossible, à tous égards, d’identifier les rebelles « modérés » en Syrie.

Rien n’indique que ce financement s’est épuisé. Pas plus tard qu’en septembre 2014, alors même que les États-Unis ont commencé à coordonner les frappes aériennes contre l’État islamique, les responsables du Pentagone ont révélé qu’ils savaient que leurs propres alliés de la coalition finançaient toujours l’État islamique.

Ce même mois, le général Martin Dempsey, chef d’État-major des armées des États-Unis, a été interrogé par le sénateur Lindsay Graham lors d’une audience du Comité des forces armées du Sénat. Quand ce dernier lui a demandé s’il connaissait « un allié majeur arabe qui embrasse l’idéologie de [l’État islamique] », l’intéressé a répondu : « Je connais des alliés arabes majeurs qui les financent. »

Malgré cela, le gouvernement américain n’a pas seulement refusé de sanctionner les alliés en question, mais les a récompensés en les incluant dans la coalition qui est censée combattre cette même entité extrémiste qu’ils financent. Pire encore, ces mêmes alliés continuent de se voir accorder une grande marge de manœuvre dans la sélection des combattants appelés à être formés.

Des membres clés de notre coalition contre l’État islamique bombardent l’État islamique par la voie aérienne tout en parrainant le groupe en coulisses au vu et au su du Pentagone.

L’arc des États musulmans défaillants

En Irak et en Syrie, où l’État islamique est né, l’état de dévastation dans lequel la société se trouve suite à une situation de conflit prolongé ne peut être sous-estimé. L’invasion militaire et l’occupation de l’Irak par l’Occident, avec leur lot de torture et de violence aveugle, ont joué un rôle indéniable pour ouvrir la voie à l’émergence d’une politique réactionnaire extrême. Avant l’intervention occidentale, al-Qaïda était totalement absent du pays. En Syrie, la guerre brutale menée par Assad contre son propre peuple continue de justifier la présence de l’État islamique et d’attirer des combattants étrangers.

L’apport continu aux réseaux islamistes extrémistes d’importantes sommes d’argent et de ressources matérielles à hauteur de centaines de milliards de dollars (que personne n’a encore été en mesure de quantifier dans leur totalité), coordonné par cette même interconnexion entre gouvernements occidentaux et musulmans, a eu un impact profondément déstabilisant au cours du dernier demi-siècle. L’État islamique est l’aboutissement post-moderne surréaliste de cette histoire sordide.

La coalition occidentale contre l’État islamique dans le monde musulman se compose de régimes répressifs dont les politiques nationales ont creusé les inégalités, écrasé les dissensions légitimes, torturé des activistes politiques pacifiques et attisé des rancunes profondes. Ce sont ces mêmes alliés qui ont financé l’État islamique, et qui continuent de le faire, au vu et au su des services de renseignement occidentaux.

Ce, malgré l’escalade de crises convergentes qui sévissent dans la région depuis une décennie. Le professeur Bernard Haykel, de l’université de Princeton, s’est exprimé à ce sujet : « Je vois l’État islamique comme un symptôme d’un ensemble structurel de problèmes beaucoup plus profonds dans le monde arabe sunnite… [C’est] lié à la politique. A l’éducation et notamment au manque d’éducation. A l’autoritarisme. A l’intervention étrangère. Au fléau du pétrole… Je pense que même si l’État islamique venait à disparaître, les causes sous-jacentes qui sont à l’origine de l’État islamique ne disparaîtraient pas. Et ces causes devraient être abordées par des politiques, des réformes et des changements menés sur plusieurs décennies non seulement par l’Occident, mais aussi par les sociétés arabes. »

Pourtant, comme nous l’avons vu avec le Printemps arabe, ces problèmes structurels ont été exacerbés par une véritable tempête de crises politiques, économiques, énergétiques et environnementales interdépendantes, toutes couvées par l’aggravation de la crise du capitalisme mondial.

Dans une région en proie à des sécheresses prolongées, à une défaillance de l’agriculture, à une chute des revenus pétroliers due au pic pétrolier local, à la corruption et à une mauvaise gestion économique aggravées par l’austérité néolibérale, et ainsi de suite, les États locaux ont commencé à s’effondrer. De l’Irak à la Syrie, de l’Egypte au Yémen, c’est cette même interconnexion entre des crises climatiques, énergétiques et économiques qui défait les gouvernements en place.

L’aliénation en Occident

Bien que l’Occident soit beaucoup plus résistant à ces crises mondiales interconnectées, les inégalités persistantes aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Europe de l’Ouest, qui ont un effet disproportionné sur les minorités ethniques, les femmes et les enfants, s’aggravent.

En Grande-Bretagne, près de 70 % des musulmans issus d’ethnies d’Asie du Sud et près de deux tiers de leurs enfants vivent dans la pauvreté. Un peu moins de 30 % des jeunes musulmans britanniques âgés de 16 à 24 ans sont sans emploi. Selon Minority Rights Group International, la situation des musulmans britanniques en termes d’« accès à l’éducation, à l’emploi et au logement » s’est détériorée au cours des dernières années au lieu de s’être améliorée. Cette dégradation a été accompagnée d’une « augmentation inquiétante de l’hostilité ouverte » exprimée par les communautés non-musulmanes et d’une propension croissante des services de police et de sécurité à cibler de manière disproportionnée les musulmans en vertu de l’autorité qui leur est conférée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les reportages constamment négatifs diffusés par les médias sur les musulmans, auxquels s’ajoutent les frustrations légitimes provoquées par une politique étrangère agressive et trompeuse dans le monde musulman, créent chez les musulmans britanniques un sentiment d’exclusion sociale associé à leur identité.

C’est l’ensemble de ces facteurs qui a un effet destructeur sur la formation de l’identité, et non chacun de ces facteurs pris séparément. Observés seuls, la pauvreté, la discrimination, les reportages négatifs sur les musulmans, et ainsi de suite, ne permettent pas nécessairement de rendre une personne vulnérable à la radicalisation. Toutefois, conjointement, ces facteurs peuvent forger un attachement à une identité marquée par l’aliénation, la frustration et l’échec.

La persistance de ces problèmes et leur interaction peuvent contribuer à la façon dont les musulmans de Grande-Bretagne issus de divers horizons commencent à se voir en tant que tout. Dans certains cas, cela peut générer un sentiment ancré de séparation, d’aliénation et de désillusion par rapport à la société en général. L’effet de cette identité d’exclusion sur un individu dépendra de l’environnement spécifique, des expériences et des choix de l’individu en question.

Les crises sociales prolongées peuvent jeter les bases du développement d’idéologies destructrices et xénophobes. Ces crises ébranlent les mœurs traditionnelles de certitude et de stabilité enracinées dans les notions établies d’identité et d’appartenance.

Alors que les musulmans vulnérables pourraient se tourner vers la culture des gangs ou, pire, vers l’extrémisme islamiste, les non-musulmans vulnérables pourraient adopter leur propre identité d’exclusion liée à des groupes extrémistes comme la Ligue de défense anglaise, ou d’autres réseaux d’extrême-droite.

Chez les groupes d’élites plus puissants, le sentiment de crise peut enflammer les idéologies néoconservatrices militaristes qui épurent les structures du pouvoir en place, justifient le statu quo, défendent le système déficient qui soutient leur pouvoir, et diabolisent les mouvements progressistes et ceux des minorités.

Dans ce maelström, l’injection de milliards de dollars au sein de réseaux extrémistes islamistes ayant un penchant pour la violence au Moyen-Orient donne du pouvoir à des groupes qui, auparavant, ne disposaient pas de soutiens locaux.

Alors que plusieurs crises convergent et s’intensifient tout en compromettant la stabilité de l’État et en attisant de plus grandes frustrations, cet apport massif de ressources dont bénéficient les idéologues islamistes est susceptible d’attirer dans le vortex de l’extrémisme xénophobe les individus en colère, aliénés et vulnérables. Ce processus se conclue par la création de monstres.

Une déshumanisation

Tandis que ces facteurs ont élevé à un niveau critique cette vulnérabilité régionale, le rôle joué par les États-Unis et la Grande-Bretagne après le 11 septembre 2001 dans la coordination du financement secret fourni par les États du Golfe aux militants islamistes extrémistes à travers la région a jeté de l’huile sur le feu.

Les liens dont disposent ces réseaux islamistes en Occident signifient que les services de renseignement nationaux ont périodiquement fermé les yeux sur leurs disciples et infiltrés dans leur propre pays, ce qui a permis à ces derniers de croître, recruter et envoyer les candidats au djihad à l’étranger.

C’est pourquoi la composante occidentale de l’État islamique, bien que beaucoup plus petite que le contingent de combattants qui rallient le groupe depuis les pays voisins, reste largement imperméable à tout débat théologique significatif. Ils ne sont pas mus par la théologie, mais par l’insécurité d’une identité et d’un psychisme fracturés.

C’est ici, dans les méthodes de recrutement minutieusement calibrées de l’État islamique et des réseaux qui soutiennent l’organisation en Occident, que nous pouvons voir que le processus d’endoctrinement psychologique s’est affiné à travers les années grâce aux formations menées sous la tutelle des services de renseignement occidentaux. Ces services de renseignement ont en effet toujours été intimement impliqués dans l’élaboration d’outils violents d’endoctrinement islamiste.

Dans la plupart des cas, le recrutement de l’État islamique se fait en exposant les individus à des vidéos de propagande soigneusement élaborées, développées au moyen de méthodes de production avancées, et dont les plus efficaces sont remplies d’images réelles de massacres perpétrés par la puissance de feu occidentale contre les civils irakiens, afghans et palestiniens, ou par Assad contre les civils syriens.

L’exposition constante à ces scènes horribles d’atrocités perpétrées par l’Occident et la Syrie peut souvent avoir un effet similaire à ce qui pourrait arriver si ces scènes avaient été vécues directement, à savoir une forme de traumatisme psychologique qui peut même entraîner un stress post-traumatique.

Ces techniques de propagande sectaire contribuent à attiser des émotions accablantes de choc et de colère, qui à leur tour servent à anéantir la raison et à déshumaniser l’« Autre ». Le processus de déshumanisation est concrétisé à l’aide d’une théologie islamiste pervertie. Ce qui importe, ce n’est pas l’authenticité de cette théologie, mais sa simplicité. Cette théologie peut faire des merveilles sur un psychisme traumatisé par des visions de morts massives et dont la capacité à raisonner est immobilisée par la rage.

C’est pourquoi le recours à une littéralité poussée à l’extrême et à une décontextualisation complète est une caractéristique si commune aux enseignements islamistes extrémistes : en effet, pour un individu crédule ayant une faible connaissance de l’érudition islamique, à première vue tout cela semble vrai sur le plan littéral.

Basées sur des décennies d’interprétation erronée et sélective des textes islamiques par les idéologues militants, les sources sont soigneusement extraites et triées sur le volet pour justifier le programme politique du mouvement : un règne tyrannique, des massacres massifs et arbitraires, l’assujettissement et l’asservissement des femmes, et ainsi de suite ; des éléments qui deviennent tous partie intégrante de la survie et de l’expansion de l’« État ».

Etant donné que la fonction principale de l’introduction du raisonnement théologique islamiste extrême est de légitimer la violence et de sanctionner la guerre, celui-ci est conjugué à des vidéos de propagande qui promettent ce dont la recrue vulnérable semble manquer, à savoir la gloire, la fraternité, l’honneur et la promesse du salut éternel, peu importent les crimes ou délits pouvant avoir été commis par le passé.

Si vous ajoutez à cela la promesse du pouvoir (le pouvoir sur leurs ennemis, le pouvoir sur les institutions occidentales censées avoir éliminé leurs frères et sœurs musulmans, le pouvoir sur les femmes), ainsi qu’un habit religieux et des revendications de piété suffisamment convaincants, alors les sirènes de l’État islamique peuvent devenir irrésistibles.

Cela signifie que l’idéologie de l’État islamique n’est pas le facteur déterminant de son éclosion, de son existence et de son expansion, bien qu’il soit important de la comprendre et de la réfuter. L’idéologie est simplement l’opium du peuple dont il se nourrit et nourrit ses potentiels disciples.

En fin de compte, l’État islamique est un cancer du capitalisme industriel moderne en plein effondrement, un sous-produit fatal de notre dépendance inébranlable à l’or noir, un symptôme parasitaire de l’escalade des crises de civilisation qui secouent à la fois le monde musulman et le monde occidental. Tant que l’on ne s’attaque pas aux racines de ces crises, l’État islamique et ses semblables ne sont pas prêts de disparaître.

 

Source: http://www.les-crises.fr/letat-islamique-cancer-du-capitalisme-moderne-par-nafeez-ahmed/


Alain Chouet : « Nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène djihadiste »

Sunday 15 November 2015 at 12:08

Source : Marc de Miramon, pour L’Humanité, le 3 juillet 2015.

Pour Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE, la « guerre de civilisation » et celle contre le « terrorisme » brandies par le gouvernement comme par l’opposition de droite constituent une imposture qui en masque une autre, celle de l’alliance militaire entre les pays occidentaux et les parrains financiers du djihad.

HD. Comment analysez-vous le profil de Yassin Salhi ? Correspondil à celui du « loup solitaire » ou à celui d’un terroriste agissant pour le compte d’une organisation structurée ?
ALAIN CHOUET. Il ne s’agit pas d’un loup solitaire mais plutôt d’un crétin solitaire! Les réactions médiatiques sont dans l’ensemble pathétiques. La presse a soutenu pendant trois jours que c’était un dangereux terroriste et j’ai refusé toute interview à ce sujet parce qu’il semblait bien qu’il s’agissait d’un acte personnel sans lien avec la mouvance terroriste. Ce type pète les plombs, tue son patron avant de tenter de rationaliser son acte comme le font tous les psychopathes et les sociopathes. Alors il hurle « Allahou Akbar », et il envoie une photo au seul copain qu’il connaît qui se trouve en Syrie, peut-être dans l’espoir que l ’« État islamique » revendique son acte.

HD. Est-il possible d’établir un lien entre la tuerie de Sousse et l’attentat commis au Koweït contre la minorité chiite ?
A. C. On a affaire à deux choses différentes. En Tunisie, on assiste à la poursuite de ce que je dénonce depuis un an et depuis la chute du parti islamiste Ennahdha: avant de quitter le pouvoir, ils ont organisé une réforme fiscale qui ruine la classe moyenne laïcisée, laquelle constitue le pire ennemi des Frères musulmans. Depuis, de nombreux attentats ont ensanglanté la Tunisie visant à tuer son économie, ruiner le secteur touristique, les syndicats, les associations, de façon à revenir au pouvoir. C’est la stratégie systématique des Frères musulmans. Au Koweït, l’attentat s’inscrit davantage dans le contexte de la guerre menée par l’Arabie saoudite contre les minorités chiites.

HD. Dans ce cadre, est-il sérieux, comme l’a fait le premier ministre, d’évoquer une « guerre de civilisation » ?
A. C. Non, on est en train de redécouvrir l’eau tiède de George W. Bush et se lancer dans une guerre contre la terreur. On a vu les résultats désastreux de cette politique aux États-Unis.

HD. D’autres responsables politiques se sont appuyés sur le drame de l’Isère pour évoquer l’urgence d’adopter la loi sur le renseignement.
A. C. D’abord, cette loi constitue un peu une liste à la Prévert. Il y a des choses qui me paraissent utiles d’un point de vue professionnel, en particulier la légalisation des infiltrations. Concernant les écoutes électroniques, j’ai déjà dit ce que j’en pensais. Le « dragage massif » des données n’a jamais produit de résultat probant.

« TOUT CELA EST UNE VASTE PLAISANTERIE: ON NE FAIT PAS LA GUERRE À LA TERREUR MAIS À DES CRIMINELS. »

HD. Personne n’évoque le lien entre l’idéologie de ces organisations terroristes et celles diffusées par l’Arabie saoudite et le Qatar …
A. C. Effectivement, pourtant ce n’est pas faute de le répéter: ce que nous appelons « salafisme », en arabe, cela s’appelle « wahhabisme». Et là nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste.

HD. Depuis le 11 septembre 2001, des sommes colossales ont été investies dans la lutte contre le terrorisme, des lois liberticides ne cessent d’être votées, et jamais pourtant la « menace » terroriste n’a paru aussi présente …
A. C. On s’épuise à s’attaquer aux exécutants, c’est-à-dire aux effets du salafisme, mais pas à ses causes. Sur 1,5 milliard de musulmans, si 1 sur 1 million pète les plombs, cela fait déjà un réservoir de 1 500 terroristes. Cela, on ne pourra jamais l’empêcher à moins de mettre un flic derrière chaque citoyen. Tout cela est une vaste plaisanterie: on ne fait pas la guerre à la terreur mais à des criminels. Cela relève des techniques de police et de justice.

Source: http://www.les-crises.fr/alain-chouet-nous-sommes-allies-avec-ceux-qui-sponsorisent-depuis-trente-ans-le-phenomene-djihadiste/


Attentats de Paris : la responsabilité écrasante de l’exécutif français

Sunday 15 November 2015 at 05:15

Un autre lanceur d’alerte qui a fait un gros travail d’investigation sur la Syrie…

Source : Guillaume Borel, pour Arrêt sur info.ch, le 14 novembre 2015.

La vague d’attentats sans précédent qui a touché Paris hier soir et qui aurait fait, selon un premier bilan, au moins 127 morts, est la conséquence directe de la politique étrangère menée par la France en Syrie et qui vise moins la lutte contre le terrorisme salafiste que la destruction de ce pays et le renversement du président Bachar-al-Assad.

Si plusieurs auteurs du carnage perpétré dans la salle de concert du Bataclan auraient déclaré, selon des témoins : « C’est la faute de Hollande, c’est la faute de votre président, il n’a pas à intervenir en Syrie », il faut ici rappeler quelle a été la réalité de la politique française dans ce pays depuis le début du conflit en 2011.

La république française, comme le révèle le président François Hollande dans un entretien avec le journaliste Xavier Panon, a en effet fourni des armes aux « rebelles » syriens dés 2012. Par l’intermédiaire de la DGSE, ce sont des canons de 20 mm, mitrailleuses, lance-roquettes, missiles anti-chars qui auraient été livrés aux rebelles dits « modérés », en violation de l’embargo mis en place l’été 2011 par l’Union Européenne.

Un conseiller de l’Elysée admet également auprès de Xavier Panon :

« Oui, nous fournissons ce dont ils ont besoin, mais dans la limite de nos moyens et en fonction de notre évaluation de la situation. Dans la clandestinité, vous ne pouvez agir qu’à petite échelle. À moyens limités, objectifs limités. »

La France aurait également envoyé des forces spéciales sur le terrain destinées à la formation et au soutien opérationnel des combattants.

En mars 2012, treize officiers français ont ainsi été capturés par l’armée syrienne lors de la reprise du califat islamique instauré dans le quartier de Baba Amr à Homs par la brigade Al-Farsouq et Al-Waleed. Cette dernière a ensuite rejoint les rangs de l’Etat Islamique.

Le président Hollande, cité par le journal Le Monde a encore confié en août 2014 :

« Nous ne devons pas relâcher le soutien que nous avions accordé à ces rebelles qui sont les seuls à participer à l’esprit démocratique. »

Alors que le président Syrien Bachar-al-Assad a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas de rebelles « modérés » sur le terrain, on peut s’interroger sur la véritable nature des groupes rebelles soutenus et armés par l’état français depuis 2012. Le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a déclaré à ce propos en 2012 que le Front Al-nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, « faisait du bon boulot »… Une plainte de victimes syriennes des groupes rebelles a d’ailleurs été déposé à l’encontre du ministre français à ce sujet auprès du tribunal administratif de Paris pour « les fautes personnelles commises par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, dans ses fonctions. »

Dans un rapport de 2012 l’agence de renseignement militaire américaine (DIA) avançait déjà que le soutien aux rebelles dits « modérés » profitait en réalité essentiellement à l’Etat Islamique. Selon le directeur de l’agence, le général Flynn le soutien indirect des USA et de la coalition occidentale à l’Etat Islamique  « était une décision intentionnelle ». Dans un précédent article sur le rôle trouble de la coalition occidentale en Irak et en Syrie, j’avais également pointé différents éléments factuels qui montraient le soutien et la collaboration opérationnelle de la Turquie, des états-unis et d’Israël avec différents groupes djihadistes.

Ces différents éléments montrent assez clairement que la coalition occidentale, dont fait partie la France, a mené une politique de soutien à divers groupes djihadistes en Syrie dans l’objectif de renverser le président Bachar-al-Assad, sous couvert de la fiction de l’aide apportée à des groupes fictifs de rebelles « modérés ».

La véritable nature de ces prétendus groupes rebelles a été récemment mise en lumière par l’intervention russe qui a entraîné un déchaînement de protestations de la part des chancelleries occidentales au motif que les frappes aériennes auraient visé les rebelles soutenus par l’Occident. Or, les groupes frappés par l’aviation russe appartenaient à l‘Armée de la Conquête, qui regroupe notamment le Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda et des groupes islamistes comme Ahrar al-Cham.

Il est malheureusement fort peu probable que le soutien de l’exécutif français aux groupes djihadistes en Syrie soit dénoncé à la lumière de cette vague d’attentats sans précédents, qui constitue pourtant son aboutissement logique et prévisible. Le chaos auquel a été réduite la Syrie et la prolifération des groupes djihadistes sont en effet le résultat direct de la politique étrangère française au Proche et Moyen-Orient.

Alors que lors des précédents attentats de janvier dernier, l’exécutif avait érigé le réseau Internet, qui aurait favorisé« l’auto-radicalisation » des terroristes, présentés à l’époque de manière mensongère comme des « loups solitaires », en boucs émissaires censés masquer les lacunes et les incompétences des services de renseignement et de sécurité français, et instauré des dispositifs de surveillance de masse des citoyens, cette politique visant essentiellement les libertés individuelles, a montré aujourd’hui son inanité. Il est pour autant fort peu probable que les responsables des services de sécurité, dont le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve – qui ont une fois de plus failli à leur mission – aient à rendre des comptes. Le gouvernement et la classe politique, à quelques exceptions près, se retranchent une fois de plus derrière l’émotion et l’injonction à « l’unité nationale ». Pourtant, les mêmes qui aujourd’hui ont décrété l’état d’urgence et le rétablissement des contrôles aux frontières s’engageaient il y a quelques semaines à peine à participer à l’accueil des migrants syriens, au nom de principes humanitaires, et ce malgré les réserves de l’agence de coopération européenne Eurojust qui affirmait que le trafic clandestin entretenait des liens étroits avec les organisations terroristes en Syrie :

« C’est une situation alarmante parce que nous voyons clairement que le trafic est destiné à financer le terrorisme et que les passeurs sont utilisés parfois pour mener des infiltrations par les membres de l’Etat Islamique. »

Si comme le dit le président François Hollande, la France est « en guerre » aujourd’hui, elle le doit donc pour l’essentiel aux incompétences de l’exécutif et aux incohérences criminelles de la politique étrangère française qui a soutenu et armé les groupes djihadistes ayant plongé la Syrie dans le chaos…

Guillaume Borel

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P.S. : tiens, le 6 novembre, Daesh a récupéré des lance-roquettes français Apilas, merci pour eux M. Hollande, ils en feront probablement bon usage.

Ou ici, un islamiste de la brigade salafiste Ahrar al-Sham avec un missile Milan français :

C’est un peu comme cette mythique vidéo de CNN en 2014 sur un campas d’entrainement d’ISIS / Daesh, où on voit incidemment la provenance de leurs tentes…

Source: http://www.les-crises.fr/attentats-de-paris-la-responsabilite-ecrasante-de-lexecutif-francais/