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25/09/2015 Le juge Marc Trévidic : “Les jours les plus sombres sont devant nous.”

Sunday 15 November 2015 at 03:53

Source : Paris Match, le 25 septembre 2015.

"On manque d'hommes pour neutraliser les terroristes"

Vendredi 25 septembre, le juge Trévidic est à Paris pour évoquer ses dossiers avec ses successeurs.© Noël Quidu

Pendant dix ans, il a animé le Pôle judiciaire antiterroriste. Forcé de quitter ses fonctions en pleine tempête pour devenir vice-Président du tribunal de grande instance de Lille, Marc Trévidic nous avait longuement parlé, en septembre dernier. Son cri d’alarme a malheureusement trouvé un écho vendredi soir avec une série d’attentats sans précédent à Paris. Voici la version intégrale de cet entretien terriblement prémonitoire.

Paris Match. Pouvez-vous estimer aujourd’hui le niveau de risque que courent les Français ?
Marc Trévidic. La menace est à un niveau maximal, jamais atteint jusqu’alors. D’abord, nous sommes devenus pour l’Etat islamique [EI] l’ennemi numéro un. La France est la cible principale d’une armée de terroristes aux moyens illimités. Ensuite, il est clair que nous sommes particulièrement vulnérables du fait de notre position géographique, de la facilité d’entrer sur notre territoire pour tous les djihadistes d’origine européenne, ­Français ou non, et du fait de la volonté clairement et sans cesse exprimée par les hommes de l’EI de nous frapper. Et puis, il faut le dire : devant l’ampleur de la menace et la diversité des formes qu’elle peut prendre, notre dispositif de lutte antiterroriste est devenu perméable, faillible, et n’a plus l’efficacité qu’il avait auparavant. Enfin, j’ai acquis la conviction que les hommes de Daech [acronyme de l'Etat islamique] ont l’ambition et les moyens de nous atteindre beaucoup plus durement en organisant des actions d’ampleur, incomparables à celles menées jusqu’ici. Je le dis en tant que technicien : les jours les plus sombres sont devant nous. La vraie guerre que l’EI entend porter sur notre sol n’a pas encore commencé.

Pourquoi un constat si alarmant ?
Nous avons en face de nous un groupe ­terroriste plus puissant que jamais. Bien plus puissant qu’Al-Qaïda à sa grande époque. L’EI, fort d’environ 30 000 «soldats» sur le terrain, a recruté plus de membres que l’organisation fondée par Ben Laden en quinze ans ! Et ce n’est pas fini. La France est, de fait, confrontée à une double menace. Celle du déferlement de ce que j’appelle les «scuds» humains du djihad individuel, ces hommes qui passent à l’action sans grande formation ni préparation, agissant seuls, avec plus ou moins de réussite, comme on a pu le voir ces derniers temps. Et celle, sans commune mesure, que je redoute : des actions d’envergure que prépare sans aucun doute l’EI, comme celles menées par Al-Qaïda, qui se sont soldées parfois par des carnages effroyables.

Disposez-vous d’éléments indiquant qu’on se dirige vers ce type d’actions d’envergure ?
Ceux que l’on arrête et qui acceptent de parler nous disent que l’EI a l’intention de nous frapper systématiquement et durement. Comprenez-moi bien, il ressort de nos enquêtes que nous sommes indubitablement l’ennemi absolu. Les hommes de Daech ont les moyens, l’argent et la faculté d’acquérir facilement autant d’armes qu’ils veulent et d’organiser des attaques de masse. Le terrorisme est une surenchère ; il faut toujours aller plus loin, frapper plus fort. Et puis, il reste «le prix ­Goncourt du terrorisme» à atteindre, et je fais là référence aux attentats du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center. Je n’imagine pas un instant qu’un homme tel qu’Abou Bakr ­al-Baghdadi et son armée vont se satisfaire longtemps d’opérations extérieures de peu d’envergure. Ils sont en train de penser à quelque chose de bien plus large, visant en tout premier lieu l’Hexagone.

“L’EI A RECRUTÉ PLUS DE MEMBRES QU’AL QAÏDA EN QUINZE ANS”

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi la France ?
Parce qu’on revient à cette idée qu’on est la cible idéale ! Traditionnellement, l’adversaire numéro un du terrorisme djihadiste a longtemps été les Etats-Unis, mais les paramètres ont changé. Les Américains sont plus difficiles à atteindre. La France, elle, est facile à toucher. Il y a la proximité géographique, il y a des relais partout en Europe, il y a la facilité opérationnelle de renvoyer de Syrie en France des volontaires aguerris, des Européens, membres de ­l’organisation, qui peuvent revenir légalement dans l’espace Schengen­ et s’y fondre avant de passer à l’action.

Il y a aussi des raisons politiques, idéologiques ?
Evidemment ! La France est devenue l’allié numéro un des Etats-Unis dans la guerre contre Daech et les filières djihadistes. Nous combattons par les armes aux côtés des Etats-Unis. Nous avons mené des raids aériens contre l’EI en Irak. Maintenant, nous intervenons en Syrie. De plus, la France a un lourd «passif» aux yeux des islamistes. Pour eux, c’est toujours une nation coloniale, revendiquant parfois ses racines chrétiennes, soutenant ouvertement Israël, vendant des armes aux pays dits «mécréants et corrompus» du Golfe ou du Moyen-Orient.

OB : Sérieusement, on se demande où ils vont chercher tout ça…

Et une nation qui opprimerait délibérément son importante communauté musulmane. Ce dernier argument est un axe de propagande essentiel pour l’EI. Nos forces armées sont aussi intervenues au Mali pour arrêter les islamistes, même si ce ne sont pas les mêmes réseaux. Ajoutons enfin que, en France, nous sommes depuis des années en première ligne pour combattre le “djihad global”. Longtemps notre dispositif antiterroriste nous a permis de porter des coups sévères aux terroristes et aux ­djihadistes de toute obédience.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui ?
Non, la donne a changé. L’évidence est là : nous ne sommes plus en mesure de prévenir les attentats comme par le passé. On ne peut plus les empêcher. Il y a là quelque chose d’inéluctable. Bien sûr, on arrête des gens, on démantèle des cellules, on a de la chance aussi, comme on a pu le voir avec certaines affaires récentes, mais la chance ou le fait que les terroristes se plantent dans leur mode opérationnel, ou encore que des citoyens fassent preuve de grande bravoure, ça ne peut pas durer éternellement. Quant aux moyens affectés à la lutte antiterroriste, ils sont clairement devenus très insuffisants, et je pèse mes mots. On frise l’indigence à l’heure où la menace n’a jamais été aussi forte. Ces deux dernières années, j’ai constaté par moi-même qu’il n’y avait parfois plus d’enquêteurs pour mener les investigations dont nous avions besoin ! On fait donc le strict minimum, sans pouvoir pousser les enquêtes, sans «SAV», au risque de passer à côté de graves menaces. Les politiques prennent des postures martiales, mais ils n’ont pas de vision à long terme. Nous, les juges, les policiers de la DGSI, les hommes de terrain, nous sommes complètement débordés. Nous risquons d’«aller dans le mur».

Marc Trévidic répond aux questions de Frédéric Helbert

“LES KOUACHI N’ÉTAIENT PAS PARTIS POUR UNE OPÉRATION SUICIDE !”

Et le dispositif Sentinelle, qui mobilise des milliers d’hommes pour protéger des lieux symboliques, des sites sensibles, il n’est pas efficace ?
Ce dispositif protège certains endroits, rassure la population. Mais, en fait, il déplace la menace. Cela n’évitera jamais que des hommes déterminés passent à l’action ici ou ailleurs. Si cela leur paraît trop compliqué de s’en prendre à un objectif sous surveillance, ils en trouveront un autre. Un cinéma, un centre commercial, un rassemblement populaire… Sentinelle, Vigipirate, on ne peut pas se permettre de s’en priver, la population ne le comprendrait pas, mais fondamentalement cela ne résout rien. Cela ne freinera pas les hommes de l’EI le jour où ils décideront de passer à la vitesse supérieure et de commettre des attentats d’ampleur. D’autant que nous sommes incapables d’enrayer leur montée en puissance constante. Nul doute que le groupe soit actuellement en train de bâtir les structures, les réseaux, de former les hommes pour concevoir des plans d’attentats de masse. Ils préparent le terrain pour pouvoir frapper fort.

Que penser, alors, de la nouvelle stratégie française ? Des ­premières frappes aériennes ont visé Daech sur le sol syrien. La France invoque un «droit de légitime défense» et dit vouloir cibler les terroristes à la base…
Procéder à des frappes «extra-judiciaires» revient à se calquer sur le modèle américain. Cela fait des années que les Etats-Unis éliminent des chefs, des stratèges, des recruteurs au Yémen, en Afghanistan, en Somalie, mais sans affaiblir les groupes visés. Cela n’a jamais marché ! Je ne crois pas au bien-fondé de la stratégie française. Peut-on penser déstabiliser Daech et nuire à ses objectifs en éliminant des leaders, des «opérationnels» qui auraient été repérés ? Y a-t-il des chefs d’une telle importance qu’ils ne puissent être remplacés dans l’heure par d’autres hommes ? Rien n’est moins sûr. De toute façon, ils nous ont «dans le collimateur» et, de ce point de vue-là, ça ne changera rien ! Cela peut même avoir l’effet inverse que celui recherché en créant des «vocations». Si, d’aventure, il y avait quelques ciblages réellement pointus, le bras de la justice n’étant pas très long, j’aurais tendance à me dire qu’une petite roquette fera l’affaire ; mais, clairement, il n’est rien dans cette stratégie qui permette de renverser le cours d’une guerre contre une armée de terroristes et de la gagner.

Marc Trévidic répond aux questions de Frédéric Helbert

La France a-t-elle la capacité d’affronter Daech?
Les moyens dont disposent les juges en charge de l’anti-terrorisme sont aujourd’hui insuffisants. On pourrait presque dire indigents. Le nombre d’enquêteurs notamment est tout à fait insuffisant pour faire face aux menaces. Les experts judiciaires de la DGSI sont débordés. Nous n’avons pas les moyens humains pour recueillir des preuves, neutraliser des terroristes. Ici en France, un Etat de droit, on ne va pas se mettre à lâcher des drones pour éliminer de simples suspects. La force du système français a reposé pendant 30 ans sur la prééminence des juges, et leur capacité à établir des stratégies, à anticiper pour frapper en amont au meilleur moment, en synergie avec les services de renseignement. A la faveur des évènements du 7 janvier dernier, les tueries de «Charlie Hebdo» et de la supérette casher, le pouvoir a décidé d’une loi donnant tout pouvoir au renseignement hors contrôle judiciaire. Il oublie une chose élémentaire : En France, ce sont les juges qui décident où non d’arrêter les gens, de les mettre en garde à vue, de les placer en détention. Tout ce qui se décide sur la base de renseignements purs, hors contrôle d’un juge, n’a aucune valeur légale. Et le danger lorsque le renseignement tourne en roue libre, c’est qu’on intervienne trop tardivement… Notre système a été très efficace pendant des années parce qu’on intervenait très en amont, et en parfaite adéquation avec les agents de la DST. On récoltait des preuves et dès que quelqu’un menaçait de passer à l’action, le lendemain à 6 heures du matin, on lui tombait dessus. Jamais, jamais une personne surveillée judiciairement n’a pu passer à l’action, jamais ! On ne peut pas en dire autant de ces djihadistes affiliés à EI dont on s’aperçoit que tous ou presque ont fait l’objet d’une surveillance, donc d’une fiche «S», ce qui ne les a pas empêchés d’agir.

Pourquoi alors avoir fait cette loi?
Le pouvoir exécutif veut avoir des services de renseignements tous puissants sur lesquels il a la main. Les juges spécialisés et leur liberté d’agir ont été écartés. C’est confortable pour un gouvernement, dangereux pour la société. Je crains que l’on en arrive de plus en plus à des méthodes extra-judiciaires, administratives, sans recours, arbitraires. Comme l’ont fait les Américains à Guantanamo. Ce chemin ferait selon moi le jeu de ceux que nous combattons en nourrissant les sentiments anti-occidentaux et anti-français.

Malgré la barbarie affichée, l’E.I continue à recruter, notamment Europe, comment l’expliquez-vous?
Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce que j’appelle la «démocratisation du djihad». Dans une situation de crise économique et morale, leur maîtrise d’internet qui ne date pas de hier leur a permis de répandre leur idéologie sans que personne ne songe jamais à l’entraver au nom de la liberté. Ils touchent des proies faciles : ces gens qui n’ont plus de perspectives, de rêves, de caps, que la société de consommation a laissé en marge. Passer à l’acte ensuite n’est pas compliqué. Un billet d’avion à 200 euros pour la Turquie, et c’est fait ! Ceux qui partent croient laisser derrière eux leurs «emmerdements», s’imaginent qu’ils vont trouver une vie «exaltante».

On voit aussi de plus en plus de Français convertis verser dans l’Islamisme radical…
C’est ce que j’appelle l’effet de mode. Ce n’est absolument pas rationnel. Le Jihad est devenu «branché». C’est fou à dire mais c’est vrai. Une gamine se met en scène sur Facebook avec une fausse kalach, ses copines suivent… C’est totalement déconnecté d’une quelconque réalité religieuse, mais une fois que ce pas est franchi, on rentre dans un processus de fascination, sans recul, on se prend au jeu, et surgit alors le risque de basculement. Tous ne partent pas pour les mêmes raisons, certains reviennent dégoutés, certains combattent, d’autres pas, certains se muent, formés par étapes, en terroristes potentiels. La faille essentielle de notre société c’est qu’elle offre un terrain favorable à une idéologie pouvant fabriquer des tueurs sans limites.

Sur quoi se fonde cette idéologie?
Les djihadistes se présentent comme les seuls vrais défenseurs d’un Islam opprimé par l’Occident. C’est ce que j’entendais sans arrêt lors des auditions. Ils évoquent les guerres d’Irak, le conflit israélo-palestinien, sélectionnent les arguments pour légitimer leur action.

OB : Donc on voit qu’on en sort en leur montrant qu’on n’opprime pas l’Islam à l’international. Résolvons déjà le conflit en Palestine on sera tranquilles pour 10 ou 20 ans… Essayons au moins…

Est-on à l’abri d’une campagne d’attentats sur notre sol ?
Non. Si l’on prend l’exemple des frères Kouachi, les auteurs de la fusillade de «Charlie Hebdo», ils étaient, au vu de ce que l’on sait, «en route» pour une campagne d’attentats. On y a échappé parce que, dans un accident de voiture, l’un des frères a perdu sa carte d’identité. C’est cela qui a permis de les identifier et de lancer la chasse à l’homme qui s’est soldée par la mort des deux terroristes, tués par le GIGN. Les Kouachi n’étaient pas partis pour une opération suicide ! S’ils avaient pu, ils auraient continué à frapper. Comme Nemmouche, le tueur du Musée juif de Bruxelles, comme Merah… L’an dernier, j’ai fait neutraliser un réseau de djihadistes très dangereux qui voulait créer un commando de dix “Merah” autonomes, opérant simultanément sur l’ensemble du territoire. L’idée que nous soyons un jour confrontés à une ou plusieurs campagnes d’attentats majeurs ne peut être écartée.

Ceux qui nous attaquent veulent nous faire le plus de mal possible. Et le faire dans la durée. Ils s’y préparent. Les Français vont devoir ­s’habituer non à la menace des attentats, mais à la réalité des attentats, qui vont à mes yeux immanquablement survenir. Il ne faut pas se voiler la face. Nous sommes désormais dans l’œil du cyclone. Le pire est devant nous.

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Marc Trevidic dit ses 4 vérités :

“Il faut lutter contre l’idéologie salafiste ; il faut être carré, droit dans ses bottes : on est copain avec des pays qui ont une idéologie très proche, comme l’Arabie, qui l’a diffusée sur la planète. Le crédo des Américains est d’être amis avec les fondamentalistes religieux s’ils sont libéraux économiquement. Nous devons lutter contre cette idéologie, et tous ceux qui la propagent ne sont pas nos amis !”

“C’est la stratégie de Ben Laden : Il faut que les populations musulmanes se soulèvent en France, et pour cela, il faut que les Français non-musulmans leur tapent dessus…”

Source: http://www.les-crises.fr/25092015-le-juge-marc-trevidic-les-jours-les-plus-sombres-sont-devant-nous/


Notre fiasco syrien, par Alain Juppé

Sunday 15 November 2015 at 02:30

Alain Juppé, dont on oublie le rôle prépondérant dans le fiasco syrien, a publié le 24 octobre une édifiante note-aveu sur la Syrie…

Source : Alain Juppé, sur Le Blog-Notes d’Alain Juppé, le 24 octobre 2015.

Notre fiasco syrien

Entendons-nous bien : VOTRE fiasco…

On lit souvent qu’en Syrie, la Russie avait une stratégie et pas nous. Ce n’est pas, selon moi, exact. L’objectif de Poutine, certes, était clair : maintenir au pouvoir, à tout prix, Bachar et son clan, alliés de toujours de Moscou dans la région et seuls à même, pour les Russes, d’assurer la stabilité du pays.

OK, OK. alors que je comprenne bien :

  1. Il y a un gouvernement légitime en Syrie
  2. Il maintient à l’évidence la stabilité en Syrie depuis des décennies – hélas sans démocratie
  3. Il est le dernier gouvernement laïc de la région
  4. Il n’est pas ennemi de  la Russie

DONC la Russie le soutient. Hmmm, pervers ces Russes…

Mais nous avions nous aussi, Américains et Européens, un objectif clair : éliminer Bachar, responsable à nos yeux de l’écrasement de son peuple, de la radicalisation de son opposition et finalement de la montée en puissance de Daech. Et faciliter la transition vers une Syrie sans Bachar.

OK. On est pour la Démocratie, DONC on décide qui peut diriger la Syrie et qui ne peut pas – pas les Syriens, car on sait mieux qu’eux (il n’y a pas d’ENA en Syrie).

Et comme ça avait si bien marché en Afghanistan puis en Irak, comme ça avait surperformé en Libye, comme c’est le Nirvana en Égypte, vous avez continué d’appliquer la même politique qui marchait, je comprends…

Et c’est “Bachar” qui radicalise sa sympathique opposition de frères musulmans et autres wahhabites moyenâgeux. Avant, ils étaient modérés – genre ils anesthésiaient un peu le cou avant de vous décapiter, quoi… Mais c’était avant…

Et donc si Daech monte, c’est la faute de “Bachar” puisqu’il les combat, mais pas la faute de ceux qui financent Daesh – Arabie, Qatar, Turquie, Occident, etc…

Bon, c’est vrai que l’armée d’Assad et ses milices citoyennes comptent près de 90 000 morts depuis le début (source : ONU), mais bon, c’est les méchants on vous dit…

Euh.. Hein ?

Nous ne nous sommes pas donné les moyens d’atteindre cet objectif.

Ah ben oui, il fallait envoyer 500 000 soldats…

Il est vrai que nous nous appuyions sur une opposition divisée, incapable de s’entendre sur un projet cohérent.

Oh, si, instaurer la charia est un objectif assez partagé chez eux…

Nous n’avons pas su la fédérer ni l’aider efficacement. En outre nous avons envoyé de mauvais signaux aux belligérants. Le pire est advenu quand le Président Obama a averti Damas que l’utilisation d’armes chimiques par son armée constituerait une ligne rouge que nous ne laisserions pas transgresser. La ligne a été franchie … et nous n’avons rien fait.

Bah, oui, surtout qu’on n’est pas sûr du tout qu’elle ait été franchie :

  • quand le MIT a démontré que le gouvernement américain mentait en affirmant avoir les preuves de la culpabilité du gouvernement…
  • quand le porte-parole du Comité de Coordination nationale pour le changement démocratique indiquait que “C’est un coup monté. On sait que les armes chimiques ont déjà été utilisées par Al-Qaïda”
  • qu’un député turc accuse son gouvernement islamiste d’avoir été impliqué dans l’attaque
  • que Georges Malbrunot et Christian Chesnot ont révélé que la conclusion du rapport rendu public par la France avait été “élaguée” par le conseiller spécial du ministre de la Défense pour manipuler l’oponion publique et la pousser à la guerre (case prison au fait ?). Une des hypothèses faite par les informateurs dans leurs rapports était la suivante : “Il est possible que des bombardements classiques de l’armée syrienne sur un laboratoire clandestin des rebelles ait provoqué une fuite de gaz.” Mais cette conclusion a été “purement et simplement coupée” du texte du rapport final. Bernard Squarcini, ancien directeur central du renseignement intérieur souligne les points faibles du rapport français et indique que “cette note de notes n’est pas conclusive”.

Ca faisait mauvais genre de recommencer le coup des armes de destruction massives…

Les frappes aériennes qui ont ciblé Daech en Irak et en Syrie ont tout juste stabilisé le front. L’engagement de nos troupes au sol a été, à juste titre, exclu. Dès lors la voie était libre pour la Russie qui est venue sauver le régime de Bachar de l’effondrement qui le menaçait, en bombardant massivement ses oppositions et pas seulement (pas principalement?) Daech. Une fois encore les démocraties ont fait la démonstration de leur faiblesse face aux régimes autoritaires.

Bah oui, on a laissé les Russes bombarder nos amis d’Al-Qaïda qui faisaient du “bon boulot” !!!!!!!!!!!! Lâches !

Et maintenant ? La diplomatie française est la dernière, ou presque, à s’en tenir à la ligne du refus de toute discussion avec Bachar qui était celle de N. Sarkozy et la mienne.

Ah oui, c’est sûr que si on en veut pas discuter avec le chef du gouvernement… Mais vous avez fait quelle école de Diplomatie, au fait ?

Par ailleurs, quand on a une position contraire à celle de 192 autres pays, des fois, on a tort… (oui, c’est dur à comprendre pour un énarque)

Dans le contexte actuel, cette ligne est devenue : ni Bachar ni Daech.

Génial, il y a une guerre civile entre Assad et Daesh, et on dit : on ne veut aucun d’entre-eux ! Du pur génie !

Le problème, c’est que nous sommes aujourd’hui les derniers et les seuls à tenir bon. Le Président Obama n’avait qu’un but : l’accord nucléaire avec l’Iran. Il l’a atteint. On parle beaucoup dans les chancelleries de contacts entre Russes et Américains pour trouver une sortie de crise en Syrie. Nos partenaires européens sont muets ou prêts au dialogue.

Du pur génie !

Quand je parle de morale et des crimes de Bachar, on me fait remarquer avec quelque condescendance que je suis bien le seul à croire à la morale en politique étrangère.

Oh non, moi, je ne vous jette pas la pierre. Mais dans ce cas-là, on est cohérent : on rompt les relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Chine, la moitié de l’Afrique, Israël, l’Égypte… Vous l’avez proposé ?

Plus sérieusement, non, il y a peu de morale en politique étrangère. Parce quand il y en a, ça finit souvent par la guerre et les morts… CQFD

Je crains que le moment ne soit donc venu de boire le calice jusqu’à la lie et de nous asseoir à Genève à la table de négociation avec Bachar. Peut-être trouvera-t-on le moyen de sauver la face.

Là, je salue la realpolitik (péniblement accouchée) dont est incapable Fabius.

Mais la vérité est bien celle-ci : Poutine a gagné.

Euh, non, Assad a gagné, car il a des alliés solides, c’est quoi encore cette obsession de Poutine… Et au pire, c’est la Russie qui a gagné, pas “Poutine”…

Pour combien de temps? Je souhaite bien sûr de tout coeur qu’un accord politique permette de rétablir la paix dans la région et que les millions de réfugiés chassés de Syrie puissent regagner leur terre. C’est notre intérêt direct. Mais les conditions d’une pacification durable ne seront pas faciles à réunir. Les Russes qui n’ont pas réussi à vaincre les Talibans en Afghanistan pourront-ils éradiquer Daech du Proche et Moyen Orient ?

Comment ça “les Russes”, on ne peut pas les aider ???

J’entends bien que les contextes sont très différents mais il faudra une forte coalition pour venir à bout d’un État islamique auto-proclamé dont les moyens sont considérables.

Oui, enfin, faut arrêter le délire, si l’Occident n’arrive pas à arrêter quelques dizaines de milliers de barbares, rendez l’argent des armées… Et prions pour qu’on n’ait pas à affronter un vrai ennemi…

Les pays arabes, Arabie Saoudite en tête, verront-ils durablement d’un bon oeil se constituer une alliance russo-iranienne dans la région ?

Non mais, leur oeil, il faut leur enlever à ces gouvernements pro-terrorisme, comme ils savent faire. Ainsi que le reste. Le regime change, c’est là-bas qu’il faut le mener. Vive l’Arabie libre !!!!

Bien d’autres questions sont posées par l’intervention russe et la diplomatie conquérante de Poutine.

Dixit le gars qui a rasé la Libye…

Elle n’est pas “conquérante” la Diplomatie russe, elle marche (car ils n’ont pas de BHL), c’est tout…

Il est vrai que beaucoup en France et en Europe sont plus réticents à se mettre dans la roue des États-Unis que dans celle de Poutine.

“beaucoup” ????? Au gouvernement ???? Des noms ?

Gaullisme sans doute mal compris.

Hein ?

Il n’est évidemment pas question de nous antagoniser avec la Russie qui est un voisin et un partenaire incontournable. Quand j’étais au Quai d’Orsay, entre 2011 et 2012, je n’ai jamais cessé de parler avec mon homologue Sergueï Lavrov. Pour expliquer et défendre la ligne de la France en rassemblant autour d’elle nos partenaires européens. Aujourd’hui l’Europe est hors jeu et la France seule.

Le problème n’est pas d’être seul, c’est d’être dans l’erreur. Il était seul le Général.

C’était du Gaullisme bien compris.

Alain Juppé

P.S. bon allez, un dernier mot, parce que vous semblez un bon gars au fond. Je vous plains de tout coeur ce soir. Comme je n’aimerais pas être à votre place, et me dire que si j’avais appliqué des principes élémentaires de diplomatie en 2011, si je n’avais écouté les BHL et autres néo-conservateurs pousse-aux-guerres, si j’avais sinon aidé Assad, mais au moins détourné mon regard, il aurait gagné rapidement, et 130 Français de plus vivraient ce soir – et 200 000 Syriens.

Votre métier M. Juppé, comme M. Fabius, est de protéger les Français, pas d’amener la Démocratie en Syrie, vous n’êtes pas Dieu le Père… (si j’ose dire)

Bonne nuit…

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Edit : tiens, j’ai vu que Juppé était intervenu hier soir :

Bravo ! – 4 ans pour comprendre qu’un dictateur laïc qui ne nous menace pas est largement préférable à des wahhabites adeptes du djihad… Ca fait cher la leçon de diplomatie quand même…

Source: http://www.les-crises.fr/notre-fiasco-syrien-par-alain-juppe/


Vos guerres, nos morts

Sunday 15 November 2015 at 00:16

Un pamphlet issu de la gauche très très radicale…

Source : Ludo Rossi, pour Anti-K, le 14 novembre 2015.

Nos morts sont insupportables, nous n’aurions pas du supporter vos guerres !

Le choc des barbaries mis en oeuvre partout dans le monde par des politiciens cyniques, n’épargne donc pas la France car elle y contribue ostensiblement.

Ces tragiques événements ne surviennent pas dans un ciel serein. Ils étaient parfaitement prévisibles et prévus. Les mises en garde ont été nombreuses mais elles n’ont pas été écoutées.

Ces attentats qui ont provoqué la mort et les blessures de tant d’innocents en France sont abominables, nous condamnons sans réserve tous les meurtres d’innocents, comme nous les condamnons partout où ils se produisent dans le monde, quelque soit la couleur de la peau ou la religion des victimes.

Les centaines des milliers de morts innocents en raison des guerres de tout type organisées par la France et ses alliés occidentaux, depuis des décennies ont des conséquences tout aussi dramatiques et insupportables.

Avec tous les hommes de bonne volonté, nous nos affligeons devant tant d’horreurs, nous les dénonçons mais sans en camoufler les causes comme le font les puissants et leur presse qui cherchent à occulter l’analyse et la compréhension des faits sous un flot d’émotions feintes.

Le terrorisme n’est pas tombé du ciel, il a été sciemment construit et nul n’ignore qui le met en scène, qui le manipule au gré de son intérêt et surtout qui le finance, hormis les ignorants volontaires.

Il n’y a jamais de paix sans justice.

Comme après « Charlie » nous allons assister à un déferlement de passions parmi lesquelles se feront entendre encore plus, le nationalisme, le racisme et l’islamophobie. Désigner, un ennemi commun, un bouc émissaire pour faire diversion est le projet de toute oligarchie qui veut faire corps autour d’elle en période de crise. Les fascistes de Daech sont le miroir des impérialistes et de leurs forces spéciales encore bien plus meurtrières.

Nous ne ferons pas de comptabilité macabre, nous n’exprimerons pas de compassion sélective avec les fauteurs de guerres. Les guerres sont toujours menées par des tyrans pour leurs intérêts de tyrans sur les dos des peuples.

Toutes sortes de méthodes sont mises en oeuvre, pour cacher aux peuples qui sont leurs véritables ennemis, elles ont fait la preuve de leurs efficacités dans un passé sinistre. Pourtant bien des apprentis-sorciers nous ressortent les vieilles rengaines de l’ennemi à combattre tous ensemble, le peuple uni derrière les multinationales et les politiciens qui les servent.

Les faux combats contre la violence par ceux qui veulent en ignorer la source tout en l’alimentant sont l’oeuvre de sinistres pompiers incendiaires. Ils sont les responsables de touTEs ces mortEs et blesséEs. Leurs mines défaites et leurs mains sur le cœur devant les caméras sont insupportables à voir, comme sont insupportables les nouvelles menaces de terroriser les terroristes, aussi inutiles lors de l’attentat de Charlie hebdo du 7 janvier, qu’elles le sont aujourd’hui. Elles sont tout juste utiles pour s’attaquer aux libertés et renforcer encore un état policier dans un tout autre but.

Ils n’empêcheront pas les attentats de demain si la même politique de chaos est poursuivie à l’identique que celle voulue et mise en place depuis des décennies par les impérialismes dont le français. Grand pourvoyeur en armes des dictateurs, il prend toute sa place dans ce dispositif des fauteurs de guerres.

Le peuple français, encore une fois, est victime d’un gouvernement impérialiste qui sème la misère et la terreur pour défendre le capital international sous les oripeaux d’un « socialisme » mille fois trahi. Et c’est la France qui est bien entendu une nouvelle fois frappée, en raison de ses interventions militaires directes ou indirectes qui suscitent des réactions de haine partout où elles sont menées.

la France paie cher les rodomontades guerrières du « socialiste » Hollande qui a voulu jouer au chef de guerre, tout comme son prédécesseur, tout aussi grotesque dans ses postures martiales.

Fauteur de guerres ailleurs, meurtrier d’innocents et responsable de la mort de nouveaux innocents ici, chez nous,  français ou immigrés de toutes générations. Et tout ça pour remonter dans les sondages … Hollande et toute sa clique, dégagez !

Sans doute, nous aurons des camarades, des amiEs, des proches parmi les victimes, même inconnuEs, elles et ils sont nos mortEs, nous les regretterons, nous les pleureront mais nous savons que c’est à cause de vos guerres et que vous êtes responsables de leur mort et de leurs blessures.

« Dès demain, fermeture de tous les équipements de la Ville: écoles, musées, bibliothèques, gymnases, piscines, marchés alimentaires » … Mais pas les grands magasins ni les supermarchés, car les « terroristes » n’auront sans doute pas la mauvaise idée de s’y rendre ! Les sempiternels moulinets inutiles des pompiers incendiaires …

Source: http://www.les-crises.fr/vos-guerres-nos-morts/


[2012] Fabius et les islamistes d’Al-Qaïda “qui font du bon boulot sur le terrain”

Saturday 14 November 2015 at 19:55

Je sors cet effarant article du Monde du 13/12/2012, réservé aux abonnés – indispensable à l’information du public.

Un rappel des protagonistes de la guerre en Syrie se trouve ici.

Rappelons enfin que les “gentils rebelles” de la Coalition nationale syrienne citée ici sont composés en majorité des frères musulmans et des conservateurs islamistes (source).

Observez-bien les dates dans cet article.

Pression militaire et succès diplomatique pour les rebelles syriens (13/12/2012)

LE MONDE | 13.12.2012 | Par Isabelle Mandraud (avec Gilles Paris)

Les opposants au régime de Bachar Al-Assad ne cessent de marquer des points. Sur le terrain, alors qu’un attentat a frappé, mercredi 12 décembre, le ministère de l’intérieur, à Damas, leur pression semble contraindre l’armée loyaliste à recourir pour la première fois depuis le début du soulèvement, en mars 2011, à des missiles balistiques.

C’est en tout cas ce qu’a déclaré, mercredi, le département d’Etat américain. “Je ne suis pas en mesure de confirmer quel type de missile, mais dis simplement que nous voyons actuellement que des missiles sont employés”, a déclaré la porte-parole de la diplomatie américaine, interrogée à propos d’une information du New York Times, affirmant que le régime de Damas avait tiré des missiles Scud sur les forces de l’opposition syrienne.

A Bruxelles, un responsable de l’OTAN, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, a confirmé le recours à ces armes : “Les renseignements alliés, les équipements de surveillance et de reconnaissance ont détecté le tir d’un certain nombre de missiles balistiques sans guidage et de courte portée cette semaine à l’intérieur de la Syrie.” Plus précis, il a assuré que “les trajectoires et les distances parcourues indiquent qu’il s’agissait de missiles Scud”.

TOUTE UNE SÉRIE DE DÉCISIONS  SUR LE PLAN HUMANITAIRE

C’est cependant sur le terrain diplomatique que l’opposition syrienne a engrangé cette semaine les résultats les plus probants. Réunis à Marrakech, mercredi, le groupe des “Amis de la Syrie”, qui rassemble plus d’une centaine de pays occidentaux et arabes, organisations internationales et représentants de l’opposition syrienne, a formellement reconnu la Coalition nationale de l’opposition syrienne comme “seule représentante” des Syriens, à la suite de la France, du Royaume-Uni, et des Etats-Unis.

Présent à Marrakech, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, s’est félicité de cette décision : “Créée il y a un mois, la Coalition nationale syrienne, qui réunit l’opposition et que la France a été la première à reconnaître, est aujourd’hui reconnue par plus de cent pays comme la seule représentante légitime du peuple syrien. C’est très important pour le peuple syrien.” “En plus, il y a toute une série de décisions qui ont été prises sur le plan humanitaire avec des apports de fonds importants, notamment de l’Arabie saoudite, qui a offert 100 millions de dollars pour aider la population syrienne”, a précisé le ministre.

“Nous avons eu le témoignage du nouveau président de la Coalition nationale syrienne, qui a beaucoup insisté sur le fait que, dans le futur gouvernement, toutes les communautés syriennes, majoritaires ou minoritaires, seront respectées, a ajouté M. Fabius.C’est un jour important. Il reste encore beaucoup de souffrance et beaucoup de travail pour que M. Bachar Al-Assad “dégage”, comme on dit maintenant. Je pense que c’est un jour d’espoir pour le peuple syrien.”

“EMBARGO MILITAIRE POUR TROIS MOIS, ET NON PLUS UN AN”

En revanche, la décision des Etats-Unis de placer Jabhat Al-Nosra, un groupe djihadiste combattant aux côtés des rebelles, sur leur liste des organisations terroristes, a été vivement critiquée par des soutiens de l’opposition. M. Fabius a ainsi estimé, mercredi, que“tous les Arabes étaient vent debout” contre la position américaine, “parce que, sur le terrain, ils font un bon boulot”“C’était très net, et le président de la Coalition était aussi sur cette ligne”, a ajouté le ministre.

La reconnaissance de l’opposition va-t-elle s’accompagner d’un soutien militaire, comme cette dernière le demande depuis le basculement du régime dans une répression tous azimuts ? “La décision a été prise de l’embargo militaire pour trois mois et non plus pour un an, comme c’était le cas jusqu’à présent”, a précisé M. Fabius. Une réflexion va être engagée “en concertation avec les Britanniques (…), mais nous allons regarder ça de près, car il ne s’agirait pas non plus que ces armes se retrouvent ensuite au nord du Mali.Tout cela sera discuté avec le futur ministre de la défense, qui sera notre référent”, mais qui n’a pas encore été désigné.

La double pression armée et diplomatique va-t-elle précipiter la chute de Bachar Al-Assad ? “Certains disent qu’il n’a plus d’argent, mais moi je n’en sais rien”, a indiqué Laurent Fabius.

Isabelle Mandraud (avec Gilles Paris), Le Monde

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Je le remets en image :

fabius bon boulot nosra

Bien.

On a donc notre ministre qui, lorsqu’on lui dit qu’une organisation vient d’être classée par les Américains comme terroriste, répond : “je ne comprends pas, mes nouveaux amis syriens démocrates sont vent debout et me disent qu’ils font du bon boulot”.

Il faut le faire – ce ne sont pas (que) des clowns sur ce sujet les Américains.

Je rappelle que tout devient très clair quand, comme indiqué, on sait que ces “amis” sont en majorité des frères musulmans et des conservateurs islamistes (source).

Le pompon : ce sont ces gens là qui sont depuis février 2012 pour la France les représentants officiels de la Syrie – alors qu’ils sont désavoués par tout le monde, y compris les restes de l’Armée syrienne libre

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Mais en rédigeant ce papier, j’ai creusé, en allant voir le détail de la classification par les États-Unis. Et ce n’est pas triste :

Classement comme organisation terroriste du Front al-Nosra en tant que pseudonyme d’Al-Qaïda en Irak, 11/12/2012

Donc le 11 décembre 2012, les États-Unis ne classent pas Al-Nosra comme une nouvelle organisation terroriste, ils indiquent que c’est simplement un pseudonyme pour Al-Qaïda en Syrie !

Et ils rappellent que le “bon boulot”, c’est 600 attaques, dont 40 suicides… Comme le 9 mai 2012 à Damas, 55 morts :

fabius bon boulot nosra

fabius bon boulot nosra

A cette époque, mai 2012, on sait que ce sont des barbares :

fabius bon boulot nosra

Tout ceci s’éclairera 3 mois plus tard : le 9 avril 2013, Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’État islamique d’Irak (EII), révèle le parrainage du Front al-Nosra par son organisation, caché jusqu’ici pour des raisons stratégiques et de sécurité selon lui, et le choix de Abou Mohammad Al-Joulani pour le diriger. Le Front al-Nosra et l’EII sont alors fédérés sous l’appellation « État islamique en Irak et au Levant » (EIIL). Mais Al-Joulani ne répond pas favorablement à l’appel d’al-Baghdadi, bien qu’il reconnaisse avoir combattu sous ses ordres en Irak, puis avoir bénéficié de son aide en Syrie. Finalement le chef d’Al-Nosra prête serment d’allégeance non par à l’EIIL mais à Ayman al-Zawahiri, émir d’Al-Qaïda. (Wikipedia)

Mais bon, il n’a peut-être pas Internet Fabius…

Mais il a en tous cas de drôles d’amis, et de drôles de conseillers…

Source: http://www.les-crises.fr/fabius-et-les-islamistes-d-al-qaida-qui-font-du-bon-boulot/


“Les États occidentaux ne peuvent combattre le jihadisme en soutenant ses parrains pétromonarchiques !”, par Maxime Chaix

Saturday 14 November 2015 at 17:32

Source : Maxime Chaix – qui a durement travaillé ces dernières années pour nous alerter sur les graves dérives pro-islamistes de nos dirigeants…

Maxime Chaix, 13/11/2015 – Source : maximechaix.info

En deuil et en colère. 

Depuis plusieurs années, j’ai pu comprendre, étayer et documenter le fait que les réseaux jihadistes sont non seulement des ennemis mortels des peuples à travers le monde, mais qu’ils sont aussi des forces clandestinement utilisées par les États occidentaux et leurs alliés du golfe Persique dans la satisfaction d’intérêts profonds inavouables. En mars dernier, dans un important article intitulé « L’État islamique, cancer du capitalisme moderne », Nafeez Ahmed avait résumé cette instrumentalisation récurrente de milices jihadistes par les principales puissances de l’OTAN et leurs partenaires afin de déstabiliser l’Afghanistan, la Bosnie, le Kosovo, la Libye puis la Syrie. Comme l’a souligné le journaliste Marc de Miramon dans L’Humanité en juillet 2015, « [p]our Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE, la “guerre de civilisation” et celle contre le “terrorisme” brandies par le gouvernement [français] comme par l’opposition de droite constituent une imposture qui en masque une autre, celle de l’alliance militaire entre les pays occidentaux et les parrains financiers du djihad. » Dans le contexte de cette interview, Alain Chouet désignait les pétromonarchies wahhabites, essentiellement l’Arabie saoudite et le Qatar, auxquelles la France vend des armements sophistiqués malgré leur soutien notoire aux principaux réseaux jihadistes – et pas seulement en Syrie. Soulignons-le : Monsieur Chouet est un ancien officier de renseignement qui a travaillé de nombreuses années en tant que chef du contre-terrorisme à la DGSE, les services secrets extérieurs français. Cet homme plus que tout autre sait de quoi il parle lorsqu’il affirme que nos « alliés » du Golfe sont « les parrains financiers du djihad ». Ainsi, son constat est aussi alarmant que révoltant en ce funeste 13-Novembre, dans notre France déjà meurtrie par les attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et de Montrouge.

En janvier 2015, à la suite de ces attentats abominables, j’avais écrit dans un élan de rage et de tristesse que « notre actuel ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a ouvertement soutenu en décembre 2012 le Front al-Nosra – c’est-à-dire la branche “syrienne” d’al-Qaïda. [À cette époque, cette organisation incluait Daech, ces deux factions s’étant séparées en avril 2013]. (…) [S]elon les informations du journal Le Monde, “la décision des États-Unis de placer Jabhat Al-Nosra, un groupe djihadiste combattant aux côtés des rebelles, sur leur liste des organisations terroristes, a été vivement critiquée par des soutiens de l’opposition [en Syrie]. M. Fabius a ainsi estimé, mercredi, que “tous les Arabes étaient vent debout” contre la position américaine, “parce que, sur le terrain, ils font un bon boulot”. “C’était très net, et le président de la Coalition était aussi sur cette ligne”, a ajouté le ministre.” (…) Plus grave encore : en août 2014, le journal Le Monde a révélé que le Président Hollande avait ordonné aux services spéciaux français de livrer clandestinement des armes de guerre à des rebelles “modérés” en Syrie – ce qui est contraire à la Charte des Nations Unies [et à l’embargo sur les armes alors en vigueur]. Malheureusement, il s’est avéré [que, selon le Canard Enchaîné du 21 janvier 2015la plupart] des armements livrés par les services français sont – d’une manière ou d’une autre – tombés entre les mains de groupes jihadistes, qui se réjouissent aujourd’hui de la vague d’attentats qui déstabilise la France en profondeur. » Et l’État français n’est pas le seul fautif dans ce fiasco syrien. Selon l’expert Joshua Landis, « entre 60 et 80 % des armes que les États-Unis ont introduites en Syrie [depuis 2011] sont allées à al-Qaïda et les groupes qui lui sont affiliés ».

À partir de l’année 2014, deux parlementaires de l’opposition ont successivement dénoncé le rôle trouble des services spéciaux français dans ce conflit, l’un d’entre eux ayant même déclaré en juin 2015 sur La Chaîne Parlementaire que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». En effet, d’après le député Claude Goasguen, « la France [appuie] des rebelles syriens, qui sont soi-disant des rebelles démocrates. (…) Qui a récupéré les rebelles syriens démocrates ? [Le Front] al-Nosra. Qu’est-ce que c’est qu’al-Nosra, al-Nosra c’est pas al-Qaïda ? (…) [C]ertains rebelles ont été récupérés par al-Qaïda avec des armes françaises[.] (…) Monsieur [le député (PS) Olivier Dussopt], nous continuons à fournir des armes à al-Nosra, par l’intermédiaire des rebelles syriens ! Je le dis, je l’ai dit à Monsieur le Drian en Commission de la Défense, je l’ai dit à Monsieur Fabius, comme tous les autres députés [sic]. Il va falloir éclairer tout ça ! L’attitude de la France en Syrie n’est pas nette ! » Comme je l’avais souligné à l’époque, ces révélations fracassantes du député Goasguen ont été quasiment ignorées par les médias français. J’avais également relevé le fait que ce « député LR accus[ait] l’actuel gouvernement de soutenir al-Qaïda en Syrie (Front al-Nosra), alors que la majorité précédente, dont il est issu, s’était accommodée du fait qu’al-Qaïda en Libye (GICL) avait été intégrée aux opérations de l’OTAN ! Voila à quel niveau notre État s’est abaissé, depuis quelques années, dans sa post-“politique arabe de la France”. Néanmoins, même en cas de changement de majorité, le prochain gouvernement continuera certainement de vendre des armements sophistiqués au Qatar et à l’Arabie saoudite – qui restent les principaux soutiens du jihadisme à travers le monde. »

Plus globalement, depuis le 11-Septembre, les intérêts profonds évoqués au début de cet article représentent un nombre inestimable de milliards de dollars de bénéfices pour différentes entreprises privées, principalement générés par la soi-disant « guerre “contre” le terrorisme ». Financées à perte par les contribuables occidentaux, ces interventions militaires catastrophiques et meurtrières ont engendré d’immenses profits pour les multinationales impliquées dans ce désastre mondial – tout en déstabilisant le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie centrale au point que les groupes extrémistes qui y sévissent aujourd’hui semblent inarrêtables. La catastrophe qu’a constitué jusqu’à présent cette soi-disant « guerre “contre” le terrorisme » est sans précédent : elle aurait tué au moins 1,3 millions de civils rien qu’en Irak et en « AfPak » depuis 2001, les foyers jihadistes se sont multipliés à travers le monde, et tant Daech qu’al-Qaïda semblent plus menaçants, fanatiques et enracinés que jamais. Affirmons-le clairement : dans le monde occidental, ce fléau jihadiste justifie des guerres à la légalité, à l’efficacité et à la légitimité douteuses, tout en accélérant un basculement autoritaire de nos États – ce qui s’est notamment traduit en France par la dangereuse « loi Renseignement ». À l’heure où j’écris ces lignes, le Président Hollande vient de décréter l’état d’urgence national, et nul doute qu’un durcissement sécuritaire majeur est en vue – sans parler d’une escalade militaire qui aggravera certainement ces conflits trop lointains et complexes pour que les citoyens s’y opposent. Au vu de l’échec retentissant de la « guerre globale “contre” le terrorisme », il serait peut-être temps de réfléchir collectivement à son utilité, au lieu de céder à la tentation de répondre à la violence par la violence.

Néanmoins, ces guerres auto-génératrices ne doivent plus masquer une réalité aussi cruelle que scandaleuse : depuis la fin des années 1970, des puissances occidentales majeures et leurs alliés du Golfe ont soutenu l’essor des principaux réseaux islamistes à travers le monde, que ce soit de manière directe ou non selon les circonstances et les acteurs concernés. En octobre 2015, après qu’une parlementaire états-unienne ait dénoncé sur CNN le soutien d’al-Qaïda par la CIA pour renverser Bachar el-Assad, un ancien officier de la CIA spécialisé dans le contreterrorisme m’a confirmé la collaboration de l’Agence avec cette nébuleuse terroriste pour faire tomber le gouvernement syrien. Récemment, j’ai étudié en profondeur l’implication massive et clandestinedes services spéciaux occidentaux et moyen-orientaux dans le soutien de réseaux jihadistes combattant le régime el-Assad, dont la branche « syrienne » d’al-Qaïda. Insistons sur ce point : cet engagement clandestin de l’Agence et de ses alliés contre le gouvernement syrien implique militairement la France. En effet, en la comparant à la guerre secrète de la CIA en Afghanistan, l’éditorialiste du Point Michel Colomès a récemment écrit que les « Américains et [les] Français, depuis l’entrée de la Russie dans la guerre syrienne, fournissent des armes à des islamistes réputés fréquentables. Ils ont la mémoire courte ». D’autres « islamistes réputés fréquentables » qui seraient revenus de Syrie sont-ils à l’origine de ces terribles attentats du 13-Novembre ? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question, mais il est clair que ces terroristes ont agi de façon coordonnée selon un mode opératoire clairement militarisé et jihadiste – deux, voire trois kamikazes ayant actionné leurs bombes devant notre Stade de France, symbole de l’unité, de la liesse populaire et du rassemblement.

Dans notre pays meurtri par ce funeste 13-Novembre, le fait que le gouvernement français soutienne des jihadistes à l’étranger, et qu’il commerce sereinement avec leurs principaux parrains étatiques est grave, dangereux et inacceptable ! Aucune raison d’État, aucun intérêt supérieur, aucun impératif économique, diplomatique ou géopolitique ne peuvent le justifier. Ce constat doit susciter la mobilisation générale de tous les citoyens français. Nous devons faire pression sur notre gouvernement afin qu’il cesse d’armer et de soutenir les États qui répandent le fléau jihadiste à travers le monde depuis des décennies, au premier rang desquels l’Arabie saoudite et le Qatar. En effet, comme l’avait déclaré Alain Chouet dans l’interview citée au début de cet article, « ce que nous appelons “salafisme”, en arabe, cela s’appelle “wahhabisme”. Et là nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste. »

Mes chers compatriotes, je vous remercie d’envoyer massivement cet article au Président de notreRépublique, à nos élus et à votre entourage, puisque l’État français et ses alliés occidentaux ne peuvent combattre le fléau jihadiste en soutenant ses parrains du golfe Persique. Ils ne pourront pas non plus lutter efficacement contre le terrorisme s’ils appuient clandestinement des réseaux islamistes pour renverser des gouvernements étrangers, comme en Libye puis en Syrie. Mobilisons-nous pour mettre en échec ces politiques profondes dangereuses et inacceptables !

Maxime Chaix, 13/11/2015 – Source : maximechaix.info

Source: http://www.les-crises.fr/les-etats-occidentaux-ne-peuvent-combattre-le-jihadisme-en-soutenant-ses-parrains-petromonarchiques-par-maxime-chaix/


Pierre Conesa : “C’est nous qui avons déclaré la guerre !”

Saturday 14 November 2015 at 14:15

La réaction de Pierre Conesa hier soir :

Pierre Conesa est ancien haut fonctionnaire du Ministère de la Défense (France).

Spécialiste des questions stratégiques internationales et en particulier militaires. Pierre Conesa est un praticien des relations internationales et stratégiques qu’il a pratiqué pendant une vingtaine d’années au ministère de la Défense dans différents services (autres qu’administratifs). Il a été à la création de la Délégation aux Affaires stratégiques comme sous directeur Questions régionales puis comme Adjoint au Directeur. Il a été rédacteur du Premier plan stratégique de soutien aux exportations d’armements, Adjoint au Directeur des Relations internationales de la Délégation Générale à l’Armement chargé de la politique d’exportations, puis chargé auprès du CEMA d’un rapport sur le Renseignement d’Intérêt militaire. Il a conçu le Campus de Défense de l’Ecole militaire. Il a dirigé pendant les huit dernières années un important cabinet d’Intelligence économique.

Il est par ailleurs maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA. Il est également consultant pour France 24, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.

Source: http://www.les-crises.fr/pierre-conesa-cest-nous-qui-avons-declare-la-guerre/


La France a fourni des armes aux islamistes syriens dès 2012, avoue François Hollande dans un livre

Saturday 14 November 2015 at 01:22

Bravo, c’était important d’envoyer des armes à des islamistes pour combattre Assad, qui ne nous avait jamais rien fait…

J’espère que ce soir au Bataclan, devant les victimes, Hollande a médité sur sa décision et sa politique depuis lors…

La France a fourni des armes à la révolution syrienne dès 2012

Source : Robin Ferner, pour Slate.fr, le 6 mai 2015

François Hollande avec Khaled Khodja, président de la coalition nationale syrienne. REUTERS/ Philippe Wojazer

François Hollande avec Khaled Khodja, président de la coalition nationale syrienne.

OB : coalition nationale syrienne, gangrénée par les Frères musulmans…

Le président français s’est confié au journaliste Xavier Panon, qui révèle que François Hollande a décidé de livrer des armes lourdes aux rebelles syriens, malgré l’embargo européen.

La France a fourni des armes à des groupes rebelles syriens dès 2012 alors que l’Union européenne avait imposé un embargo sur de telles livraisons. Et c’est le président Hollande qui le dit lui-même dans un livre à paraître le 13 mai aux Editions de l’Archipel, intitulé Dans les coulisses de la diplomatie française, de Sarkozy à Hollande, écrit par le journaliste Xavier Panon.

«Nous avons commencé quand nous avons eu la certitude qu’elles iraient dans des mains sûres», explique le chef de l’Etat à l’auteur du livre, en mai 2014. Les livraisons ont débuté dès la fin de l’année 2012, alors que l’embargo européen, établi à l’été 2011, est toujours en vigueur. Il ne sera levé qu’à la fin du mois de mai 2013.

Ce cavalier seul contraint l’Elysée à la prudence. Officiellement, la France se contente d’envoyer de l’équipement non-létal: gilets pare-balles, outils de communication cryptée, masques contre les armes chimiques, lunettes nocturnes. Mais c’est un tout autre matériel qu’elle dépêche sur place: canons de 20 mm, mitrailleuses, lance-roquettes, missiles anti-chars. Seuls les missiles anti-aériens restent tabous. François Hollande n’en enverra pas car ils s’avéreraient trop dangereux si des djihadistes venaient à s’en emparer.

Mille et une précautions

Les armes sont envoyées grâce aux soins de la DGSE (la Direction générale de la sécurité extérieure). Les Français marchent sur des œufs car il s’agit de s’assurer que les armes parviendront à la bonne destination… et que ces transferts ne seront pas surpris en flagrant délit par la communauté internationale. Les dates de livraison sont donc très irrégulières et les précautions nombreuses.

Il faut, tout d’abord, trouver des fournisseurs discrets, effacer les marques de la provenance des armes avant leur départ. Et puis, comment être certain qu’elles seront bien réceptionnées à l’arrivée par des hommes de l’armée syrienne libre, alors dirigée par le général Sélim Idriss, interlocuteur privilégié de l’Elysée? Les services français utilisent leurs propres réseaux, les autres leur paraissant moins fiables.

Sur la scène publique, la France s’enferre dans une valse-hésitation sur la question des armes. Une fois, le 15 mars 2013, l’Elysée tente de lever l’embargo européen et d’entraîner ses partenaires à envoyer des armes mais le 28, François Hollande rétropédale:

«Nous ne fournirons pas d’armes tant que nous n’avons pas la certitude que ces armes seront utilisées par des opposants légitimes et coupés de toute emprise terroriste.»

Si la diplomatie française est aussi embarrassée, c’est qu’elle se heurte aux atermoiements de ses alliés européens, mais aussi des Etats-Unis peu désireux de prendre part à un nouveau conflit au Moyen-Orient. D’autant que celui-ci devient de moins en moins lisible au fil des mois, au fur et à mesure de la montée en puissance des groupes djihadistes. L’affirmation sur le front anti-Bachar el-Assad d’islamistes radicaux comme les soldats deJabhat Al-Nosra par exemple fragilise la position française: il est désormais quasi impossible d’assumer la livraison d’armes en Syrie alors que ce sont les djihadistes qui tendent à incarner la révolution syrienne.

Dans son livre, Xavier Panon transcrit les propos d’un responsable du Quai d’Orsay:

«François Hollande et son ministre ont été bien imprudents sur la Syrie et l’embargo. Faute d’avoir la capacité d’influer réellement sur le rapport de forces, la posture reste morale. Or, la morale est rarement bonne inspiratrice en politique étrangère. Livrer des armes sans garantie de destination, c’est être cobelligérant. Il y a davantage de raisons de ne pas le faire que de le faire.»

L’action de la France semble, de toute façon, avoir eu peu de portée sur le terrain. En 2015, la Syrie est toujours enlisée dans une guerre meurtrière. Un conseiller de l’Elysée admet auprès de Xavier Panon:

«Oui, nous fournissons ce dont ils ont besoin, mais dans la limite de nos moyens et en fonction de notre évaluation de la situation. Dans la clandestinité, vous ne pouvez agir qu’à petite échelle. À moyens limités, objectifs limités. Au final, est-ce que notre aide permettra à la révolution de gagner? Non.»

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Comment et pourquoi la France a livré des armes aux rebelles en Syrie

Source : Le Monde.fr | 21.08.2014 Par Benjamin Barthe, Cyril Bensimon et Yves-Michel Riols

Le voile se lève doucement sur l’un des secrets les mieux gardés de la présidence Hollande : l’armement des rebelles syriens par la France. Après que le président de la république a reconnu, mardi 19 août, pour la première fois, dans une interview au Monde, l’existence de ces livraisons, de hauts responsables français ont confié au Monde quelques détails supplémentaires.

Selon une source officielle, plusieurs livraisons ont été effectuées l’an dernier par des voies clandestines. Le matériel comprenait notamment des mitrailleuses de calibre 12.7 mm, des lance-roquettes, des gilets pare-balles, des jumelles de visée nocturne et des moyens de communication, mais aucun « équipement qui aurait pu se retourner contre nous », tels que des explosifs. D’après cet interlocuteur, qui souhaite conserver l’anonymat, ces livraisons sont assez identiques à celles qui sont faites actuellement aux combattants kurdes des peshmergas. « Il s’agit d’armements immédiatement utilisables, qui ne nécessitent ni formation ni maintenance », dit-il.

L’ARMÉE SYRIENNE LIBRE, SEULE BÉNÉFICIAIRE

Seules les brigades affiliées à l’Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de l’insurrection anti-Assad, ont bénéficié de cette aide. Selon une source diplomatique, le Front islamique, une coalition de groupes armés d’inspiration islamiste, voire salafiste pour certains, n’a reçu aucune arme française.

Il est difficile de dater avec précision les premières livraisons, qui remonteraient, selon toute vraisemblance, à l’hiver ou au printemps 2013. Préalablement, les autorités françaises avaient élaboré une cartographie des groupes rebelles, en partenariat avec le général Salim Idriss, alors chef de l’ASL. Une mesure destinée à éviter que des armes françaises ne tombent dans de « mauvaises mains », à savoir des groupes djihadistes ou salafistes, en plein essor à l’époque. La traçabilité des armes a été testée à blanc lors de l’acheminement d’équipement non létal, comme des kits médicaux et des rations halal, jusqu’à des brigades de l’ASL.

Les livraisons s’accélèrent dans le courant de l’été 2013, après que l’Union européenne, le 29 mai, sous la pression de Paris et de Londres, eut décidé de lever son embargo sur les armes à destination de la Syrie. Deux mois plus tôt, François Hollande a laissé entendre que la France est de toute façon prête à armer les opposants au régime d’Assad, même en l’absence de consensus européen. « Si d’aventure, il devait y avoir un blocage d’un ou deux pays, alors la France prendrait ses responsabilité », déclare-t-il le 14 mars à l’issue d’un sommet à Bruxelles.

« RAMER DANS LE MÊME BATEAU »

La réunion du groupe des Amis de la Syrie, à Doha, au Qatar, le 22 juin, marque une étape importante. En réponse aux demandes pressantes de la Coalition nationale syrienne, la vitrine politique de l’opposition syrienne, ses parrains occidentaux et arabes se mettent d’accord sur un accroissement de l’aide militaire aux insurgés et sur une répartition des rôles dans cette perspective. « Il est urgent de fournir tout le matériel et l’équipement à l’opposition sur le terrain, chaque pays à sa façon », souligne le communiqué final. Le texte précise que tout « soutien militaire » doit transiter par l’Armée syrienne libre, dirigée par le général Idriss. « Une façon de dire aux Qataris et aux Saoudiens qu’ils doivent maintenant ramer dans le même bateau et ne plus soutenir des groupes rivaux de la rébellion », relève alors un proche du dossier.

A l’époque, un sentiment d’urgence anime les pays membres des Amis de la Syrie. Le 4 juin, à la suite de l’analyse d’un échantillon rapporté de la banlieue de Damas par un reporter du Monde, Paris a formellement accusé le régime syrien d’employer des armes chimiques contre ses adversaires. Il s’agit alors d’usages à faible dose, très différents de l’attaque au sarin du 21 août, qui allait faire des centaines de morts. Mais c’est déjà un franchissement de « la ligne rouge » fixée par les grandes capitales occidentales, et les autorités françaises estiment nécessaire de réagir. L’autre facteur déterminant dans la décision de Paris de contribuer à l’armement des rebelles tient à l’approche de la conférence de paix de Genève 2, réunissant représentants du régime et de la CNS. Paris et ses partenaires pensent qu’il est important de renforcer les capacités militaires de l’opposition, de façon à ce qu’elle n’arrive pas à la table des négociations dans une position de trop grande faiblesse.

LES LIVRAISONS D’ARMES N’ONT PAS CESSÉ

Des combattants de l’Armée syrienne libre, en avril 2013, à Alep.

Des combattants de l’Armée syrienne libre, en avril 2013, à Alep. Martin Forster/NurPhoto

Tous ses calculs ont fait long feu. « Genève 2 » a eu lieu en janvier-février 2014, sans le moindre résultat. Les efforts de structuration de l’ASL, engagée par le général Idriss, n’ont pas vraiment porté leurs fruits. En décembre 2013, des dépôts d’armes de l’ASL à la frontière syro-turque ont même été pillés par des combattants du Front islamique. Tandis que le régime se lançait dans une contre-offensive à Homs et autour de Damas, les rebelles islamistes prenaient l’ascendant sur leurs rivaux nationalistes dans le Nord. Autant d’événements qui ont dissuadé les autorités française d’amplifier leurs efforts. « C’est sûr que ces difficultés ne nous ont pas vraiment encouragés à aller plus loin », confie un diplomate.

Si l’on en croit les déclarations de François Hollande jeudi 21 août, les livraisons d’armes n’ont cependant pas cessé. L’ASL en a d’autant plus besoin qu’elle est désormais prise en tenaille dans le nord de la Syrie par les forces du régime d’un côté et par les combattants ultraradicaux de l’Etat islamique de l’autre.

« Nous ne devons pas relâcher le soutien que nous avions accordé à ces rebelles qui sont les seuls à participer à l’esprit démocratique », a déclaré le président français devant la presse, lors d’un déplacement dans le Sud. La France, a-t-il toutefois ajouté, ne peut « pas le faire seule » et « ça se fait en bonne intelligence avec l’Europe et les Américains ».

Source : Robin Ferner, pour Slate.fr, le 6 mai 2015

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Ici, un islamiste de la brigade salafiste Ahrar al-Sham avec un missile Milan français :

Source: http://www.les-crises.fr/la-france-a-fourni-des-armes-aux-islamistes-syriens-des-2012-2/


La guerre secrète multinationale de la CIA en Syrie et le chaos islamiste, par Maxime Chaix

Saturday 14 November 2015 at 01:04

Je ressors du coup cette longue mais très importante analyse pour comprendre ce que l’on vit…

Source : maximechaix.info, le 3 novembre 2015.

(Source : DeDefensa.org, 4 novembre 2015)

Le mythe de l’« inaction » militaire occidentale contre le régime syrien

Ces derniers mois, le secrétaire à la Défense Ashton Carter et le général Lloyd Austin – qui dirige les opérations du Pentagone au Moyen-Orient et en Asie centrale –, ont tous deux reconnu l’échec du programme de formation de rebelles « modérés » pour lutter contre Daech en Syrie. Monsieur Carter a d’abord affirmé devant le Congrès des États-Unis que seulement 60 combattants avaient été formés dans le cadre de cette opération, lancée en 2014 et budgétée à hauteur de 500 millions de dollars ; (1) puis le général Austin a estimé que seuls « 4 ou 5 » hommes entraînés par les militaires états-uniens étaient alors actifs sur le terrain. (2) À la suite d’un ultime revers, ce programme d’entraînement a été « suspendu » puis « réduit » en octobre 2015. (3) La presse internationale est donc unanime sur l’échec de cette politique. Néanmoins, il est possible que les chiffres ridicules avancés par le Pentagone aient eu un impact majeur sur l’opinion publique mondiale, que cet effet soit recherché ou non. En d’autres termes, ils ont certainement contribué à renforcer le mythe de l’« inaction » militaire des États-Unis et de leurs alliés occidentaux pour renverser Bachar el-Assad. (4)

Or, bien que les puissances de l’OTAN et leurs alliés n’aient pas lancé de guerre ouverte contre ce régime, je vais analyser l’implication massiveillégale et clandestine de la CIA dans la déstabilisation de la Syrie, cette politique profonde ayant mobilisé différents services spéciaux moyen-orientaux et occidentaux. (5) Aujourd’hui, nous n’avons aucune idée précise de l’ampleur de cette intervention de l’Agence dans cette guerre civile. Cependant, d’après un article du Washington Post publié en juin 2015, la CIA a mené depuis 2013 contre le régime el-Assad « l’une [de ses] plus grandes opérations clandestines », dont le financement annuel avoisine le milliard de dollars. (6) D’après ce journal, cette intervention secrète – qui aurait notamment permis de former 10 000 rebelles –, s’inscrit dans un « plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie », c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les factions extrémistes en Syrie. (7) Bien qu’il ait officiellement démarré à l’automne 2013, (8) nous verrons que l’engagement de la CIA dans ce pays avait été lancé en janvier 2012, et qu’il trouve ses origines profondes en 2011, dans le contexte trouble de la guerre de l’OTAN en Libye. (9) Ainsi, je décrirai ce qui s’apparente à une guerre secrète multinationale contre le régime syrien, les opérations de la CIA et de ses alliés étant distinctes du programme lancé en 2014 par le Pentagone afin de former des combattants pour lutter contre Daech. (10)

L’objectif de cet article n’est pas de défendre le régime el-Assad et ses soutiens étrangers, qui partagent une lourde responsabilité dans cette guerre civile meurtrière. (11) Néanmoins, je souhaite démontrer que les principales puissances occidentales – essentiellement les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France –, en sont militairement coresponsables du fait de leurs politiques profondes en Syrie. (12) Le but de cet article n’est pas non plus d’établir une vérité historique encore impossible à déterminer. En effet, j’étudierai essentiellement des opérations clandestines, qui sont protégées par le secret-défense et qui ne sont en principe pas revendiquées par les États qui en sont à l’origine. Or, ces actions confidentielles font parfois l’objet de fuites dans la presse, ou de confirmations officielles plutôt rares et bien souvent imprécises. Ainsi, en me basant sur des informations recoupées, je tenterai de démontrer que l’« inaction » militaire occidentale contre le régime syrien est un mythe entretenu par les médias (13) et les États clandestinement engagés dans ce conflit. Ce mythe déresponsabilise ces gouvernements, puisqu’il leur permet de nier, de déformer ou de minimiser l’ampleur de leurs interventions secrètes dans cette guerre civile (14) – notamment en rejetant la faute de l’essor de Daech et d’al-Qaïda en Syrie sur leurs alliés turcs et pétromonarchiques. Du fait du caractère confidentiel de leurs opérations, mon article relèvera de la « Politique profonde », telle que définie par l’auteur et ancien diplomatePeter Dale Scott : l’étude de « l’ensemble des pratiques et des dispositions politiques, intentionnelles ou non, qui sont habituellement refoulées dans le discours public plus qu’elles ne sont admises. » (15)

Malgré sa clandestinité et la confusion qui en résulte, je tenterai de démontrer en quoi cet engagement massif de la CIA et de services spéciaux alliés dans la déstabilisation de la Syrie pourrait être considéré comme une guerre secrète de grande ampleur, à l’image des politiques profondes de l’Agence au Nicaragua et en Afghanistan dans les années 1980. Et j’expliquerai en quoi cette intervention de la CIA et de ses partenaires a favorisé la montée en puissance de réseaux islamistes que l’Occident est censé combattre, parmi lesquels Daech et le Front al-Nosra, c’est-à-dire la branche syrienne d’al-Qaïda. Mais avant de développer ces arguments, analysons pourquoi le rôle des États-Unis et de leurs alliés occidentaux dans la guerre en Syrie est refoulé, déformé ou minimisé – donc globalement incompris.

Derrière l’« inaction » occidentale, une guerre secrète à grande échelle

Le 21 août 2013, la Ghouta de Damas est frappée par une attaque chimique faisant des centaines de morts, la « ligne rouge » décrétée par le Président Obama en 2012 étant tragiquement franchie. Affirmant détenir des preuves de la culpabilité du régime de Bachar el-Assad, Obama annonce une intervention militaire « punitive » et « limitée », qui aurait en fait été planifiée par son état-major pour être une « frappe monstrueuse ». (16) L’année suivante, une étude du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) montrera que les tirs de roquettes chimiques provenaient d’une zone contrôlée par les rebelles. (17) Cette même année, le grand reporter Seymour Hersh relayera les accusations d’un haut responsable du Renseignement états-unien, qui affirma sous couvert d’anonymat que les services spéciaux turcs, via le Front al-Nosra, auraient perpétré cette attaque chimique pour susciter une intervention militaire directe des États-Unis et de leurs alliés contre le régime el-Assad. (18)

Malgré le franchissement de sa « ligne rouge », le Président Obama décida au dernier moment  de demander l’approbation du Congrès pour lancer ces frappes, (19) ce vote ayant été repoussé puis annulé du fait de l’initiative russe de désarmement chimique. En analysant ce revirement, le spécialiste de la Syrie Fabrice Balanche expliqua que l’opposition frontale de la Russie à cette intervention aurait incité Washington à renoncer à attaquer directement le régime el-Assad. (20) Seymour Hersh affirma quant à lui qu’Obama fût dissuadé par son état-major de déclencher les hostilités, ces généraux craignant un embrasement généralisé du Moyen-Orient en cas d’intervention. (21) Quelles qu’en soient les raisons, ce recul présidentiel a renforcé de facto la perception erronée du rôle de l’Occident dans le conflit syrien, puisque les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ne sont pas intervenus directement, c’est-à-direouvertement, dans cette guerre civile.

Or, quelques jours après le revirement d’Obama annoncé le 31 août 2013, le Washington Post rapporta que les services spéciaux des États-Unis « commençaient » à armer les rebelles en Syrie, ce qui était en fait le cas depuis janvier 2012. (22) Néanmoins, les déclarations contradictoires sur la nature « létale » ou « non-létale » du soutien accordé aux rebelles « modérés » se succèderont, semant le trouble dans l’opinion publique et les médias. (23) Quoi qu’il en soit, l’option de l’intervention militaire directe fut abandonnée au profit de l’intensification d’une guerre secrète multinationale, qui trouve ses origines en 2011. (24)

Depuis cette année-là, Washington et ses partenaires occidentaux ont pu dissimuler l’ampleur réelle de leur engagement clandestin dans ce qui est devenu l’échiquier géopolitique syrien. J’ai détecté trois principales raisons expliquant pourquoi cette guerre secrète de la CIA et de ses alliés contre le régime el-Assad est incomprise, refoulée ou ignorée.

1. La clandestinité, donc la confidentialité

Coordonnées depuis des États limitrophes (Jordanie et Turquie), (25) et impliquant de nombreux pays hostiles à Bachar el-Assad, (26) les activités de la CIA visant la Syrie sont peu et mal documentées. Le fait qu’elles soient classifiées empêche les dirigeants états-uniens d’en exposer les détails, comme l’avait rapporté le Guardian en 2014. (27) Leur caractère clandestin est donc une source majeure de confusion, puisque les médias manquent d’informations et les responsables à Washington en parlent peu, et de façon imprécise ou trompeuse. (28) Il en va de même en France et en Grande-Bretagne. (29)

Des sources autorisées, dont Hillary Clinton, ont affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en 2012, (30) passant sous silence les trafics d’armes clandestins de la CIA lancés en janvier de cette année-là avec le Qatar, la Turquie, l’Arabie saoudite et le MI6 britannique. (31) Comme nous le verrons, ces opérations illégales de l’Agence se sont intensifiées en 2013, et elles ont approvisionné « presque exclusivement » des factions jihadistes. (32) Plus récemment, le sénateur John McCain a confirmé que la CIA était active en Syrie, mais il n’a donné aucun détail sur ces opérations. (33) D’autres sources gouvernementales de haut niveau, comme le Vice-président Joe Biden ou l’ancien chef d’états-majors interarmées Martin Dempsey, (34) ont désigné leurs alliés moyen-orientaux comme les financeurs des extrémistes sur le territoire syrien, omettant le fait que la guerre secrète de la CIA dans ce pays a impliqué jusqu’à présent (35) ces mêmes partenaires. Enfin, l’une des principales sources de confusion a été le Président Obama lui-même, puisqu’il a publiquement mis en doute l’efficacité des politiques de la CIA visant à soutenir clandestinement les insurrections – donnant ainsi la fausse impression de ne pas avoir lancé de guerre secrète contre el-Assad en Syrie. (36)

Il s’avère également que, depuis 2012, la plupart des articles de presse ont décrit une intervention limitée et inefficace de l’Agence. (37) Or, tout en alimentant cette notion d’« inefficacité », le Washington Post a révélé en juin 2015 que le coût annuel des opérations de la CIA en Syrie s’élevait à environ un milliard de dollars depuis 2013, et qu’au moins 10 000 rebelles auraient été formés par l’Agence. (38) En septembre 2014, des journalistes de McClatchyDC.com estimaient qu’environ 40 000 combattants étaient alors soutenus par les États-Unis et leurs alliés, en se basant notamment sur des informations du principal commandant de l’Armée Syrienne Libre (ASL). (39) Toujours d’après leWashington Postce programme clandestin de la CIA est cofinancé par un nombre indéterminé de milliards de dollars supplémentaires fournis par ses alliés turcs, saoudiens et qataris, qui soutiennent notoirement des groupes jihadistes sur le terrain. (40) Ces informations, que nous étudierons en détail, ne peuvent que bouleverser notre perception de l’engagement des États-Unis et de leurs partenaires dans la guerre en Syrie, et c’est le principal objectif de cet article.

2. Les rebelles « modérés » 

Autre source majeure de confusion : il ne peut être remis en question que la CIA et des services spéciaux occidentaux ont clandestinement armé et soutenu l’opposition décrite comme « modérée » depuis 2011, en coopérant avec leurs alliés moyen-orientaux. (41) Avant d’analyser cette notion controversée de « modération », affirmons d’emblée que l’engagement clandestin de la CIA et de ses alliés dans ce pays n’est pas le seul facteur de la montée en puissance des groupes extrémistes dans cette guerre civile. En effet, le principal expert du terrorisme au sein de la « CIA privée » (42) Stratfor écrivait dès janvier 2013 que,

« [d]ans le paysage chaotique de l’opposition syrienne, la convergence des objectifs et l’efficacité au combat des jihadistes ont fait en sorte que ces groupes attirent un grand nombre de nouvelles recrues. Mais ce ne fut pas le seul facteur de la radicalisation des rebelles syriens. Tout d’abord, la guerre – et en particulier un conflit brutal et interminable –, tend à radicaliser les combattants qui y sont impliqués. Songez à Stalingrad, aux luttes de la guerre froide en Amérique centrale, ou aux épurations ethniques dans les Balkans à la suite de la dissolution de la Yougoslavie ; ce degré d’adversité et de souffrance transforme des personnes neutres en extrémistes. En Syrie, nous avons observé de nombreux musulmans laïcs devenir des jihadistes intransigeants. Ensuite, le manque d’espoir pour une intervention occidentale a supprimé tout élan en faveur d’un ancrage laïc de l’opposition. » (43)

L’auteur de cet article ajouta néanmoins que, « [l]orsque ces facteurs idéologiques furent associés à l’introduction [massive] d’argent et d’armements pour soutenir des groupes jihadistes en Syrie l’année dernière [, c’est-à-dire en 2012], la croissance de ces milices s’est dramatiquement accélérée. Aujourd’hui, ces dernières ne sont pas seulement un acteur majeur sur le champ de bataille, mais elles sont également une force qu’il va falloir prendre en compte à l’avenir. » (44) Cette analyse, sur laquelle nous reviendrons, montrait dès janvier 2013 que les factions extrémistes allaient poser problème sur le long terme, comme en Afghanistan depuis les années 1980. Par ailleurs, elle décrivait déjà une guerre secrète multinationale en Syrie, qui alliait « Washington et Riyad » avec « des États européens » et « des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis  ». (45) Cependant, les principales puissances occidentales ont toujours affirmé soutenir des rebelles « modérés », et non des milices jihadistes.

Or, en observant deux précédents historiques, la « modération » des groupes armés durant les guerres secrètes de la CIA a été systématiquement invoquée par les autorités et les médias grand public. Le 4 mai 1983, alors qu’il abordait la question du soutien des Contras au Nicaragua, le « Président Reagan déclara (…) que [c]es groupes d’insurgés recevant de l’aide clandestine de la part de [la CIA] étaient des “combattants de la liberté” s’opposant à un gouvernement qui avait trahi ses principes révolutionnaires ». (46) À l’époque, cette expression « combattants de la liberté » était aussi utilisée par la presse et par l’administration Reagan pour décrire les moudjahidines soutenus par l’Agence en Afghanistan. (47) Or, ces derniers et leur réseau de soutien – le Maktab al-Khadamat (MAK) géré par Abdullah Azzam et Oussama ben Laden –, deviendront les talibans et al-Qaïda dans les années 1990. (48) Par ailleurs, les Contras commettront de nombreuses exactions dans la guerre secrète de la CIA au Nicaragua. (49) Aujourd’hui, les médias et les gouvernements occidentaux continuent d’affirmer que les rebelles soutenus par l’Agence et ses alliés en Syrie sont des « modérés ». Or, la prédominance de factions jihadistes dans l’opposition armée ne fait plus aucun doute.

Allant plus loin dans ce raisonnement, de nombreux experts ont affirmé que la distinction entre les « extrémistes » et les « modérés » dans le conflit syrien n’existait plus. En septembre 2014, l’ancien représentant au Congrès Dennis Kucinich avait rédigé cette analyse percutante pour critiquer le programme de formation du Pentagone aujourd’hui interrompu :

« Écrivant sur la connexion entre l’Arabie saoudite et l’État Islamique (EI), l’historien [et ancien officier du MI6] Alastair Crooke a récemment décrit les insurgés “modérés” en Syrie comme étant “plus rares que la licorne des légendes”. Les “modérés” ont conclu un pacte de non-agression avec l’EI. Les “modérés” ont capturé [James Foley,] un journaliste états-unien [,] et l’ont vendu à l’EI, qui l’a décapité. L’Arabie saoudite qui, avec le Qatar, a financé les jihadistes en Syrie, propose désormais de “former” les rebelles. Le Congrès est prié d’avaler cette recette douteuse : les sponsors des jihadistes radicaux vont former des jihadistes “modérés”. (…) Les soi-disant “rebelles” sont des mercenaires qui viennent de plus de 20 pays. Ils s’organisent et se réorganisent constamment en nouveaux groupes, qui offrent leur allégeance à quiconque les paye ou leur fournit des armes – et ce à tout moment. » (50)

Récemment, le grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient Richard Labévière a écrit que l’ASL « n’existe plus que sur le papier », expliquant que les rebelles « modérés » avaient été absorbés par le Front al-Nosra. (51) Peu après le lancement de l’intervention russe en Syrie, le célèbre journaliste d’investigation Gareth Porter a affirmé que l’opposition modérée – en tant que force offensive menaçant le régime el-Assad –, n’était qu’un mythe, s’étonnant que les médias continuent de présenter les rebelles appuyés par l’Agence comme des « modérés ». (52)

Or, après les premières frappes russes, le sénateur John McCain a déclaré que l’« Armée Syrienne Libre ou des groupes (…) armés et entraînés par la CIA » avaient été ciblés ; (53) en France, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a critiqué la Russie pour avoir frappé « des résistants », (54) malgré de sérieux doutes sur la modération des combattants actuellement soutenus par les États-Unis et leurs partenaires dans ce conflit. Par exemple, l’expert Alain Rodier a déclaré au Figaro qu’il était « tout à fait exact de dire que les Russes frappent à 80 % des mouvements autres que Daech. Il faut uniquement rajouter que la plupart dépendent d’al-Qaïda, vous savez, cette organisation à la base des attentats du 11 septembre 2001, de 2004 à Madrid et de 2005 à Londres… » (55)

Ainsi, cette distinction entre les « modérés » et les « extrémistes » est de plus en plus discutable, n’étant pas claire depuis le début de ce conflit. En effet, selon le Washington Post, de nombreux combattants « modérés » et affiliés à l’Armée Syrienne Libre (ASL) ont rejoint les rangs du Front al-Nosra ou de Daech après avoir été armés et/ou entraînés par des forces spéciales et des services secrets occidentaux, initialement en Libye. (56) En outre, certains des principaux commandants rebelles soutenus par les États-Unis ont affirmé transmettre des armes à ces deux organisations extrémistes, ou entretenir de bons rapports avec celles-ci. (57) D’après Charles Lister, un expert de la Brookings Institution pourtant hostile au régime de Bachar el-Assad, (58) « [l]a grande majorité de l’insurrection syrienne s’est étroitement coordonnée avec al-Qaïda depuis le milieu de l’année 2012 – ce qui a eu un impact considérable sur le terrain ». (59)

À cette époque, en juillet 2012, le prince Bandar était nommé à la tête des services spéciaux saoudiens, ce qui avait été analysé par la plupart des experts comme un signe de durcissement de la politique syrienne de l’Arabie saoudite. (60) Surnommé Bandar Bush du fait de sa proximité avec la dynastie présidentielle du même nom, il était ambassadeur à Washington à l’époque des attaques du 11-Septembre. Depuis plusieurs années, cet homme intimement lié à la CIA (61) est accusé par l’ancien sénateur de Floride d’avoir soutenu certains des pirates de l’air désignés coupables de ces attentats. (62) Jusqu’à ce qu’il soit poussé vers la sortie en avril 2014, le Guardian souligna que « Bandar avait dirigé les efforts saoudiens visant à mieux coordonner les livraisons d’armes aux rebelles combattant el-Assad en Syrie. Néanmoins, il a été critiqué pour avoir soutenu des groupes islamistes extrémistes, risquant ainsi le même “retour de bâton” que celui des combattants saoudiens d’Oussama ben Laden rentrant au pays après le jihad contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980 – une guerre sainte qui avait été autorisée officiellement. » (63)

En août 2012, quelques semaines après la nomination du prince Bandar à la tête des services saoudiens, Reuters révélait que le Président Obama avait signé un décret classifié autorisant une intervention clandestine prétendument « non-létale » de la CIA en Syrie. (64) Or, plusieurs sources convergentes ont indiqué que des opérations d’approvisionnement en armes avaient été lancées dès janvier 2012 par le général David Petraeus, (65) qui dirigeait alors la CIA. Aujourd’hui « à la retraite » dans un fonds d’investissement de Wall Street (KKR), ce dernier a publiquement exhorté l’administration Obama de soutenir des transfuges d’al-Qaïda pour combattre Daech. (66) À l’évidence, l’Agence et ses partenaires ont mené des politiques particulièrement troubles en Syrie, qui ont considérablement aggravé ce conflit.

En 2014, un parlementaire états-unien avait déclaré sous couvert d’anonymat que la CIA était « bien consciente que de nombreuses armes fournies [par l’Agence] avaient terminé dans de mauvaises mains. » (67) En octobre 2015, l’éminent expert de la Syrie Joshua Landis affirma qu’« entre 60 et 80 % des armes que les États-Unis ont introduites [dans ce pays] sont allées à al-Qaïda et les groupes qui lui sont affiliés ». (68) Or, cette politique clandestine et multinationale de soutien à l’insurrection s’est poursuivie jusqu’à présent, et elle n’a cessé de s’intensifier. La comparant à la guerre secrète de la CIA en Afghanistan, l’éditorialiste Michel Colomès a écrit que les « Américains et [les] Français, depuis l’entrée de la Russie dans la guerre syrienne, fournissent des armes à des islamistes réputés fréquentables. Ils ont la mémoire courte. » (69)

D’après le Washington Post, le député au Congrès Adam Schiff a indiqué en novembre 2014 avoir été « troublé par (…) l’exaspération des factions prétendument modérées vis-à-vis des frappes états-uniennes contre des positions d’al-Nosra, suggérant que les milices soutenues par les États-Unis considèrent cette organisation affiliée à al-Qaïda comme un allié contre le Président syrien Bachar el-Assad, et non comme un adversaire ». (70) Il a également déclaré être au courant que l’« opposition modérée se liguait avec al-Nosra ». (71) Ainsi, des sources parlementaires confirment que les États-Unis et leurs alliés ont consciemment soutenu des factions pas aussi « modérées » qu’elles nous ont été décrites par les médias, mais aussi par les dirigeants ayant imposé le renversement de Bachar el-Assad comme une priorité stratégique. (72)

3. La multinationalité et le « déni plausible »

Le caractère multinational des opérations anti-Assad a aussi été une source majeure de confusion. Tout d’abord, bien que de nombreux services occidentaux et moyen-orientaux aient été conjointement impliqués dans ce conflit, il reste difficile de penser cette guerre secrète sous un angle multinational. En effet, les médias et les spécialistes ont eu tendance à dissocier les politiques syriennes des différents États clandestinement engagés dans la déstabilisation de la Syrie. Il est vrai que le renoncement des États-Unis à intervenir directement a suscité de vives tensions diplomatiques avec la Turquie et l’Arabie saoudite. (73) Par ailleurs, l’hostilité du roi Abdallah à l’égard des Frères musulmans a engendré des dissensions majeures entre, d’un côté, le royaume saoudien et, de l’autre, le Qatar et la Turquie – ces tensions s’étant atténuées après l’intronisation du roi Salmane en janvier 2015. (74)

Du fait de ces divergences, les politiques syriennes des États hostiles au régime el-Assad ont été trop peu analysées sous leur angle multinational. Plus exactement, les opérations occidentales ont été dissociées de celles des pays moyen-orientaux. Or, les services spéciaux de ces différents États ont mené jusqu’à présent des actions communes et coordonnées, dans l’opacité abyssale de la classification. En janvier 2012, la CIA et le MI6 ont lancé des opérations clandestines d’approvisionnement en armes des rebelles entre la Libye, la Turquie et la Syrie, avec de l’aide et des financements turcs, saoudiens et qataris. (75) Comme nous l’avons souligné précédemment, il s’est avéré que ces armements ont été livrés « presque exclusivement » à des factions jihadistes, selon le parlementaire britannique Lord Ashdown. (76) D’après le grand reporter Seymour Hersh, « [l]’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison. » (77) Les actions de l’Agence en Syrie sont-elles mieux contrôlées aujourd’hui ? La question reste ouverte, mais la doctrine du « déni plausible » traditionnellement mise en œuvre par la CIA pourrait être un élément de réponse. (78)

En commentant la complexe affaire de Benghazi, un ancien expert du contre-espionnage à la CIA nommé Kevin Shipp souligna que, « dans les opérations de trafic d’armes que l’Agence souhaite pouvoir démentir, elle implique en général une tierce partie. “Le mode opératoire de la CIA nécessite un ‘intermédiaire’, donc on obtient du Qatar [qu’il] achemine les armes tout en lui facilitant le transport. Ainsi, la tierce partie sera tenue pour responsable [si l’opération est divulguée]”. » (79) Même si ce mode opératoire tend à brouiller les pistes, le rôle central de la CIA dans cette guerre secrète multinationale ne fait plus de doute. En octobre 2015, le New York Times expliqua que

« [l]es missiles antichars TOW de fabrication américaine ont fait leur apparition dans la région en 2013, à travers un programme clandestin [de la CIA] mené par les États-Unis, l’Arabie saoudite et d’autres alliés. Celui-ci vise à aider des groupes d’insurgés “sélectionnés” par l’Agence à combattre le gouvernement syrien. Ces armes sont livrées sur le terrain par des alliés des Américains, mais les États-Unis approuvent leur destination [– des autorisations qui sont en fait “implicites”, comme nous le verrons]. (…) Des commandants rebelles ont éclaté de rire lorsqu’on les a questionnés sur la livraison de 500 TOW en provenance d’Arabie saoudite, déclarant qu’il s’agissait d’un nombre ridicule comparé à ce qui est réellement disponible. En 2013, l’Arabie saoudite a commandé [à Washington] plus de 13 000 [TOW]. » (80)

Sans surprise, cet article limite le soutien états-unien à des rebelles « modérés », et le rôle de l’Agence dans les opérations de guérilla n’y est même pas évoqué. Or, l’Arabie saoudite, avec le Qatar et la Turquie, sont généralement accusés de soutenir al-Qaïda en Syrie, et nous verrons que la CIA coordonne ses opérations avec ces mêmes partenaires depuis deux centres de commandement situés sur les territoires turcs et jordaniens. Dans le cadre de ce programme multinational, des missiles antichars de fabrication états-unienne ont été livrés à al-Qaïda par des partenaires étrangers de la CIA. En effet, selon le journaliste Gareth Porter, « [l]a campagne d’Idleb [au printemps 2015] a été une conséquence directe d’une décision politique de l’Arabie saoudite et du Qatar – approuvée par les États-Unis –, de soutenir la création de l’“Armée de la Conquête” et de lui fournir du nouveau matériel militaire, qui fut un facteur crucial dans cette campagne : le missile antichars TOW. » (81) Il faut alors souligner que l’« Armée de la Conquête » est une coalition de milices majoritairement islamistes, dont l’une des principales forces est le Front al-Nosra, qui est la branche syrienne d’al-Qaïda. (82)

À la suite de l’entrée en guerre de la Russie, un ancien conseiller du Pentagone a confirmé au Washington Post que le recours à des partenaires étrangers impliquait le « déni plausible », ce qui permet de couvrir les opérations de la CIA en Syrie : « Fabriqués par Raytheon, les missiles [TOW] proviennent principalement des stocks du gouvernement saoudien, qui en avait acheté 13,795 en 2013 (…) Puisque les accords de vente nécessitent que l’acheteur informe les États-Unis de leur destination finale, l’approbation [de Washington] est implicite, selon Shahbandar, un ancien conseiller du Pentagone. D’après lui, aucune décision n’est requise de la part de l’administration Obama pour que ce programme puisse continuer. “II n’y a pas besoin d’un feu vert américain. Un feu orange est suffisant”. “Il s’agit d’un [programme] clandestin et il peut techniquement être démenti, mais c’est le propre des guerres par procuration.” » (83) Ainsi, la doctrine du « déni plausible », qui implique des tierces parties sur lesquelles on peut rejeter la faute, semble expliquer pourquoi le rôle de la CIA et de ses alliés occidentaux dans cette guerre secrète est refoulé, déformé ou minimisé.

Récemment, cette application de la doctrine du « déni plausible » par l’Agence dans cette guerre civile a été confirmée par l’expert britannique Nafeez Ahmed : « Les États-Unis ont fui leur responsabilité dans [le conflit syrien] en ayant recours à la plus traditionnelle des opérations de maquillage des faits : rendre leurs dénégations plausibles en rejetant la faute sur les autres. Depuis 2012, le programme d’approbation des rebelles, géré clandestinement par la CIA, est mis en œuvre en dehors de la Syrie, dans des pays partenaires comme l’Arabie saoudite, le Qatar, la Jordanie et la Turquie. Bien que les membres de la CIA et de l’armée américaine supervisent le programme, ils se fondent principalement sur les “renseignements” des pays alliés pour “l’approbation” des rebelles. » (84) Dans un contexte aussi trouble et opaque, l’engagement de l’Agence et de ses alliés occidentaux est officiellement limité au soutien de rebelles « modérés », alors que leurs partenaires moyen-orientaux sont continuellement accusés d’appuyer les extrémistes sur le terrain. Or, ces différents services spéciaux collaborent étroitement afin de combattre le régime de Bachar el-Assad. Le fait que si peu de journalistes et d’experts aient souligné ce paradoxe me semble pour le moins alarmant.

Au contraire, les médias et les spécialistes ont eu tendance à différencier les actions clandestines des États du Moyen-Orient de celles des puissances occidentales. Or, nous avons vu que, dès janvier 2013, la société privée de renseignement Stratfor décrivait une guerre secrète multinationale en Syrie, qui alliait « Washington et Riyad » avec « des États européens » et « des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis  ». (85) Et les opérations multinationales de la CIA se sont intensifiées à partir de 2013, (86) malgré le scepticisme affiché par le Président Obama sur l’efficacité des politiques de soutien clandestin aux insurrections. (87)

Par conséquent, j’ai développé une vision plus inclusive et globale des ingérences anti-Assad, qui ont été organisées dans les arcanes confidentiels et mal contrôlés des services spéciaux. (88)  Au vu des informations disponibles, j’ai pu déterminer que le gouvernement des États-Unis et ses partenaires avaient bel et bien lancé, dès 2011, (89) une guerre secrète multinationale en Syrie. Étant illégale et clandestine, cette intervention de l’Agence et de ses alliés est mal comprise et insuffisamment documentée. Par ailleurs, des obstacles juridiques et moraux pourraient expliquer la discrétion de Washington et de ses partenaires sur ces opérations, et notamment la sous-traitance de celles-ci aux services turcs, qataris et saoudiens – qui montrent moins de scrupules à soutenir directement des milices islamistes. (90) Ainsi, la spectaculaire montée en puissance de Daech et d’al-Qaïda dans le conflit syrien semble avoir été grandement encouragée par cette politique clandestine et multinationale, bien que l’extension correspondante du chaos islamiste ait été anticipée dès 2012 par le Renseignement militaire du Pentagone (DIA). (91)

Une guerre secrète multinationale coordonnée depuis la Jordanie et la Turquie

En août dernier, j’ai étudié les révélations du général Michael Flynn sur Al-Jazeera, en soulignant qu’elles n’avaient pas été relayées par les médias français. (92) Ancien directeur de la DIA, le général Flynn a confirmé qu’en 2012, la Maison Blanche savait que le « noyau dur » de la rébellion en Syrie était extrémiste, et que le soutien multinational à ces groupes pourrait engendrer l’émergence d’un « État Islamique » entre l’Irak et ce pays. (93) Or, le général Flynn n’a pas démenti les accusations du journaliste d’Al-Jazeera, qui affirma à plusieurs reprises durant son interview qu’en 2012, «les États-Unis aidaient [la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite] à coordonner les transferts d’armes vers [des] groupes (…) salafistes, les Frères musulmans [et] al-Qaïda en Irak » afin de déstabiliser la Syrie. (94) Il semble même avoir confirmé ces allégations, qui se basaient sur un rapport déclassifié de la DIA. (95) Sollicité durant l’écriture de cet article, le général Flynn n’a pas répondu à mes demandes de clarification.

Pour contextualiser cette interview, j’avais reproduit un argument clé de Nafeez Mosaddeq Ahmed, selon lequel « la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. (…) [D]es responsables américains du renseignement militaire (96) [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie [aux rebelles en Syrie], à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le Sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes. » (97) Bien que Nafeez Ahmed soit un spécialiste mondialement reconnu, un ami m’a fait remarquer que cet argument était insuffisamment documenté. Or, dans un article plus récent, le Dr. Ahmed a cité Charles Lister, un expert de la prestigieuse Brookings Institution. En mai dernier, cet analyste confirma que les États-Unis dirigent des opérations de guérilla depuis deux centres de commandement multinationaux en Turquie et en Jordanie. Et d’après cette source crédible, à partir du printemps 2015, les services spéciaux états-uniens ont appuyé directement des forces islamistes :

« En public, la ligne officielle consiste à dire que la stratégie de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie ne finance pas directement le Front al-Nosra, bien que cette coalition géopolitique ait conscience que ce groupe bénéficiera du soutien apporté à des factions islamistes rebelles.

En privé, de nombreux commandants de la rébellion en charge de l’opération (…) menée à Idleb [au printemps 2015] ont déclaré à Charles Lister, [un expert de la] Brookings Institution, “que la salle d’opérations dirigée par les États-Unis au sud de la Turquie, qui coordonne les approvisionnements d’aide létale et non-létale à des groupes d’opposition sélectionnés [par la CIA], a servi à faciliter [l’]engagement [des islamistes] dans cette opération à partir de début avril [2015]. Ces dernières semaines, ce centre de commandement, ainsi qu’un autre en Jordanie, qui couvre le Sud de la Syrie, semblent avoir considérablement intensifié leur aide et leurs transferts de renseignements à des groupes jugés non extrémistes [par la CIA]”.

En d’autres termes, la branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, et une autre milice étroitement liée à [cette nébuleuse terroriste], faisaient partie des factions “modérées” et “triées sur le volet” qui ont reçu des armes et du soutien de la part d’États du Golfe et de la Turquie, sous la supervision de personnel des renseignements militaires états-uniens sur le terrain. » (98)

Sollicité durant l’écriture de cette analyse, Nafeez Ahmed m’a indiqué que l’expression « personnel des renseignements militaires » des États-Unis désignait des officiers de la CIA collaborant avec le JSOC, le commandement des opérations spéciales du Pentagone. Ainsi, l’Agence et ses partenaires états-uniens et étrangers ont « facilité » au printemps 2015 les offensives des factions « islamistes » dans la province d’Idleb.

Nafeez Ahmed et Charles Lister désignent en fait l’Armée de la Conquête, une coalition de groupes jihadistes créée et soutenue par le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie au premier trimestre 2015. (99) Cette milice allie le Front al-Nosra et le groupe Ahrar al-Sham, une force rebelle salafiste fréquemment décrite comme « modérée ». (100) Précédemment, nous avons souligné que cette coalition extrémiste recevait, essentiellement par l’entremise de l’Arabie saoudite, des missiles TOW de fabrication états-unienne – dans le cadre d’un programme clandestin de la CIA. Il semblerait donc que ces livraisons d’armes aient été coordonnées depuis ces « salles d’opérations » en Turquie et en Jordanie. Dans son article, Nafeez Ahmed a rapporté d’autres révélations alarmantes de Charles Lister sur ces politiques profondes : (101)

« “Bien que ces centres d’opérations multinationaux aient d’abord demandé que les bénéficiaires des aides militaires cessent leur coordination directe avec des groupes tels que le Front al-Nosra”, écrivit Lister, “les dynamiques récentes à Idleb nous amènent à un constat différent. En effet, non seulement ces livraisons d’armes à des groupes soi-disant ‘triés sur le volet’ se sont multipliées, mais ces centres de commandement ont spécifiquement encouragé une plus étroite collaboration avec des islamistes commandant les opérations sur le front” [, les missiles TOW étant un élément essentiel de ces offensives (102)]. »

Contacté durant l’écriture de cet article, Charles Lister n’a pas répondu à mes sollicitations, sachant que je lui avais demandé la localisation de ces centres de commandement multinationaux. Néanmoins, la base opérationnelle de la CIA en Jordanie est située à Amman, selon différentes sources de la presse grand public, dont le New York Times. (103) À ma connaissance, l’existence de ce centre de commandement – plus connu sous l’acronyme MOC, pour Military Operations Center –, avait été révélée en décembre 2013. (104)

De plus, nous savons depuis juillet 2012 qu’une autre salle d’opérations multinationale avait été mise en place dans la ville d’Adana, au sud de la Turquie. (105)  Par la suite, deux autres centres de ce type ont été créés à Istanbul puis à Ankara. (106) Or, sachant que Monsieur Lister a fait référence à une « salle d’opérations dirigée par les États-Unis au sud de la Turquie », il est possible que ce « centre névralgique » soit celui d’Adana – ville qui abrite également une base aérienne de l’OTAN. Par ailleurs, bien que la CIA soit officiellement en charge de superviser les opérations clandestines des États-Unis en Syrie, des forces spéciales et des services secrets occidentaux participent à ce conflit de l’ombre, en étroite collaboration avec leurs homologues turcs, qataris, saoudiens, jordaniens et israéliens – voire avec d’autres agences. (107) Depuis 2013, cet engagement profond de la CIA et de ses alliés dans la guerre civile en Syrie s’est considérablement intensifié, et nous commençons tout juste à en mesurer l’ampleur. (108)

En Syrie, « l’une des plus grandes opérations clandestines » de la CIA

Contrairement au mythe de l’« inaction » occidentale contre le régime de Bachar el-Assad, la CIA a été massivement impliquée en Syrie, dans le cadre d’une intervention clandestine subventionnée par des budgets classifiés, mais également étrangers. Or, ces financements extérieurs et les milliards de dollars qu’ils mobilisent ne sont pas supervisés par le Congrès US, cette institution n’ayant pas le pouvoir d’exercer son contrôle sur des politiques ou des budgets étrangers. (109) Selon le Washington Post, ce programme de la CIA a été cofinancé par le gouvernement des États-Unis à hauteur d’environ un milliard de dollars par an depuis 2013 ; et cette politique s’est inscrite jusqu’à présent dans un « effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie », officiellement pour soutenir une coalition « modérée » depuis la Jordanie. (110)

Or, comme l’avons vu précédemment, de telles opérations sont également coordonnées par la CIA depuis le Sud de la Turquie, et elles impliquent actuellement les milices extrémistes de l’Armée de la Conquête. Le Washington Post n’a pas fait le lien avec ces actions dans le Nord de la Syrie, mais il a confirmé le caractère multinational de l’intervention de la CIA. Essentiellement, le volume de dépenses avancé par ce journal tend à confirmer une véritable guerre secrète, qui implique notamment « la gestion d’un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers [la Syrie]. » Voici donc un extrait de cet important article :

« Récemment, la Commission de la Chambre des Représentants sur le Renseignement a voté à l’unanimité pour supprimer jusqu’à 20 % des fonds classifiés alimentant un programme [secret] de la CIA, que certains hauts responsables états-uniens ont décrit comme l’une des plus grandes opérations clandestines de l’Agence, dotée d’un budget avoisinant le milliard de dollars par an. (…) Le coût de ce programme de la CIA n’avait pas été dévoilé auparavant ; et ces chiffres nous montrent à quel point l’attention et les ressources de l’Agence ont été redirigées vers la Syrie. Financées à hauteur d’un milliard de dollars [par an], les opérations liées à ce pays représentent un dollar sur quinze dans le budget général de la CIA, à en juger par les niveaux de dépenses révélés dans des documents obtenus par le Washington Post grâce à l’ancien consultant des renseignements états-uniens Edward Snowden. (…)

La CIA a refusé de commenter ce programme et son budget. Mais des hauts responsables états-uniens ont défendu l’ampleur de ces dépenses, déclarant que cet argent finançait bien plus que des salaires et des armes, et qu’il entrait dans le cadre d’un plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie pour soutenir une coalition de milices regroupées sous le nom de “Front du Sud” de l’Armée Syrienne Libre.

La majorité de cet argent dépensé par la CIA est dédiée au fonctionnement de camps d’entraînements secrets en Jordanie, à la collecte de renseignements pour soutenir les opérations des milices appuyées par l’Agence, ainsi qu’à la gestion d’un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers ce pays. » (111)

Comme je l’ai indiqué précédemment, les articles de presse et les déclarations publiques sur l’implication de la CIA en Syrie en ont presque systématiquement minimisé l’ampleur. (112) Or, cet engagement a été récemment décrit par leWashington Post comme l’une des priorités budgétaires de l’Agence. Et comme l’a révélé cet article, un nombre indéterminé de milliards de dollars provenant de « l’Arabie saoudite, [du] Qatar et [de] la Turquie » cofinancent ce programme. Il est néanmoins surprenant que le Post ait attribué ces budgets au seul soutien d’« une coalition de milices regroupées sous le nom de “Front du Sud” de l’Armée Syrienne Libre », tout en évoquant un « un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers [la Syrie] ». (113) Par ailleurs, cet article n’évoque pas le centre de commandement de la CIA basé au sud de la Turquie, dont nous avons étudié les opérations récentes impliquant al-Qaïda. Contactés durant l’écriture de cette analyse, les deux journalistes à l’origine de ces révélations du Washington Post n’ont pas répondu à mes demandes.

Néanmoins, leurs informations nous confirment l’existence d’une opération clandestine de grande ampleur, qui implique les trois États notoirement connus pour soutenir les groupes extrémistes dans ce conflit. Loin de nous permettre d’en tirer des conclusions définitives, ces révélations soulèvent des questions dérangeantes sur les politiques profondes de la CIA et de ses alliés en Syrie, en particulier si l’on prend en compte la doctrine du « déni plausible » étudiée précédemment.

Les précédents afghans et nicaraguayens

Récemment, la collaboration du MI6 avec des groupes jihadistes en Syrie a été reconnue par la justice britannique. (114) Dans l’Hexagone, deux députés de l’opposition ont dénoncé le rôle trouble des services spéciaux français dans ce conflit, l’un d’entre eux ayant même déclaré que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». (115) En janvier 2012, « trois mois et demi après que l’administration [Obama] eut annoncé pour la première fois une “aide non-létale” à l’opposition [en Syrie], la CIA commença à faciliter des livraisons aéroportées d’armements à la rébellion. En mars 2013, 160 vols étaient recensés et “environ 3,500 tonnes d’équipement militaire” avaient été livrés aux rebelles. La CIA aida les “gouvernements arabes à acheter ces armes”, et “enquêta sur les commandants rebelles et leurs groupes afin de déterminer lesquels devaient recevoir ces armements lorsqu’ils arrivaient à destination.” » (116)

Or, quelques mois après ces révélations, le parlementaire britannique Lord Ashdown dénonça le fait que ces armements livrés « avec l’aide » de la CIA étaient destinés à des jihadistes en Syrie. D’après lui, « “[ces rebelles] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire]. » (117)

Ainsi, à partir de l’année 2012, nous pouvions déjà parler d’une intervention clandestine multinationale à grande échelle – sur le modèle de l’Afghanistan dans les années 1980. En janvier 2013, le principal expert en terrorisme de la « CIA privée » Stratfor déclara que « le niveau d’ingérence extérieure en Syrie [était] comparable à celui observé contre l’URSS et ses alliés communistes à la suite de l’intervention soviétique en Afghanistan. Les soutiens étrangers [– désignés comme étant “les États-Unis, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et des États européens” –,] fournissent non seulement des entraînements, des renseignements et de l’aide, mais également des armes – des armes exogènes qui rendent évidents ces approvisionnements extérieurs. Par ailleurs, il est intéressant de constater que deux des principaux soutiens externes en Syrie sont Washington et Riyad, bien qu’ils soient alliés dans ce pays avec des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis, plutôt qu’avec le Pakistan [– en référence à la guerre secrète de la CIA, de l’ISI pakistanaise et du GID saoudien en Afghanistan dans les années 1980]. » (118)

Ainsi, dès le début de l’année 2013, l’une des principales firmes mondiales de renseignement privé comparait cet ensemble d’actions clandestines en Syrie à la guerre secrète menée par la CIA en Afghanistan dans les années 1980. Or, ces opérations se sont intensifiées cette même année 2013, lorsque la Maison Blanche a révélé à la presse le lancement d’un programme de soutien « létal » à l’insurrection, et ce malgré les mises en garde des juristes de la présidence. En effet, selon The New Republic,

« l’administration Obama envisagea d’armer et d’entraîner des rebelles syriens [officiellement en 2013]. (119) À cette époque, les conseillers juridiques de la Maison Blanche incitèrent le Président Obama à agir discrètement, car cette politique pouvait potentiellement violer le Droit international. Bien qu’Obama en appelait fréquemment au départ de Bachar el-Assad, les États-Unis n’étaient pas en guerre contre la Syrie. El-Assad était encore le leader souverain de ce pays, et aider les rebelles reviendrait à soutenir une insurrection. Ces juristes mirent en garde [l’administration Obama] sur le fait que cette intervention s’apparenterait à la politique de soutien des Contras menée sous la présidence Reagan dans les années 1980 – une [intervention] que la Cour Internationale de Justice qualifia de “violation [des] obligations internationales [des États-Unis,] en vertu des normes coutumières du Droit international imposant de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre État.” Par conséquent, Obama a discrètement œuvré via la CIAqui collaborait avec des alliés du Golfe tels que le Qatar et l’Arabie saoudite. » (120)

Cette discrétion de l’administration Obama tend à expliquer la confusion qui règne autour de cette guerre secrète, qui est donc illégale par essence. À l’image des opérations de la CIA au Nicaragua, en Afghanistan et dans bien d’autres pays, la vérité historique sur ces interventions clandestines sera difficile à établir. (121) À l’heure actuelle, l’ampleur et la nature de l’engagement de l’Agence et de ses partenaires en Syrie restent impossibles à déterminer. Cette confusion a été alimentée par les innombrables déclarations trompeuses des États-Unis et de leurs alliés occidentaux sur les aides accordées à l’insurrection, qui se limitaient officiellement à un soutien « non-létal » de l’insurrection – du moins jusqu’à l’automne 2013 et le revirement inattendu du Président Obama. Quoi qu’il en soit, cette guerre secrète multinationale reste une guerre à part entière – déstabilisante, insidieuse, ultraviolente et meurtrière. De ce fait, les gouvernements occidentaux qui l’ont alimentée ne peuvent continuer de fuir leur coresponsabilité dans ce drame, en accablant aussi bien leurs ennemis syriens, russes et iraniens que leurs alliés turcs et pétromonarchiques. (122)

La diplomatie doit et peut triompher des politiques profondes

À travers les informations analysées dans cet article, j’ai tenté de démonter la persistance et l’intensification, depuis 2011, d’une guerre secrète multinationale en Syrie. Cette intervention clandestine a impliqué des États occidentaux et moyen-orientaux, ces derniers appuyant ostensiblement des milices jihadistes. (123) D’après différentes sources, cette guerre secrète de la CIA a été coordonnée jusqu’à présent depuis deux centres de commandement dirigés par les États-Unis, et elle pourrait être la principale raison de l’intervention russe. (124) Par ailleurs, comme nous l’avons démontré, la « modération » des principales forces soutenues par les puissances occidentales et leurs partenaires en Syrie est une notion de plus en plus discutable. Quoi qu’il en soit, ces politiques profondes ont alimenté décisivement un chaos islamiste qui s’est imposé comme l’une des premières menaces globales. (125) Dans ce contexte périlleux, sachant que la Russie tente d’enrayer militairement ce processus, il faut impérativement éviter que les Syriens ne subissent un état de guerre permanent, à l’instar des Afghans depuis le lancement de la guerre secrète de la CIA en 1978. (126) En Occident, d’anciens militaires de haut rang, comme le général Vincent Desportes ou le général Michael Flynn, ont décrit l’intervention russe en Syrie comme une démarche qu’il fallait soutenir pour contrer le péril islamiste. (127)

Par conséquent, il est indispensable d’expliquer à l’opinion publique qu’aujourd’hui, les puissances occidentales et leurs alliés soutiennent en priorité l’Armée de la Conquête – une coalition extrémiste coagulée autour d’al-Qaïda. Et il nous faut comprendre que la démarche russe, certes non dénuée d’intérêts, vise avant tout à empêcher la destruction complète de l’État syrien et le chaos islamiste encouragé par les politiques profondes de la CIA et de ses alliés. En particulier, il faut nous libérer du manichéisme imposé par les médias et saisir enfin toute la complexité de la situation tragique que subit le peuple syrien. En effet, bien que Bachar el-Assad, soutenu dès le début de cette guerre civile par Moscou et Téhéran, partage une lourde responsabilité dans ce drame humain, le dénoncer comme étant la seule et unique cause des exodes massifs et des centaines de milliers de morts engendrés par ce conflit brutal est une dangereuse illusion. (128) D’après l’ancien ambassadeur belge en Syrie Philippe Jottard,

« [o]n compte quatre à cinq millions de réfugiés installés dans les pays limitrophes de la Syrie. Ceux d’entre eux qui prennent la route de l’Europe proviennent pour une part, mais pas seulement, de Turquie après qu’ils aient été chassés de chez eux par les combats. L’opposition en rend responsable les bombardements aériens menés par l’armée sur les zones rebelles alors que, selon Bachar el-Assad, les Occidentaux sont seuls responsables de la crise des migrants en raison de leur soutien au “terrorisme”. Quant aux déplacés internes qui constituent la moitié de la population restée au pays (soit huit millions et demi de déplacés), ils se sont réfugiés dans les zones gouvernementales devant l’avance des groupes rebelles. Ceci n’en fait pas nécessairement des partisans de Bachar el-Assad, mais à choisir ils préfèrent la sécurité fournie par l’armée régulière. Environ 60% de la population totale se trouvent encore dans les territoires sous contrôle du régime. Les revers récents subis par les forces loyalistes affaiblies par plus de quatre ans de guerre en dépit de l’aide fournie par leurs alliés russes, iraniens, chiites irakiens et libanais font craindre non pas leur effondrement, mais que des avancées majeures des rebelles terrifient la population et lancent une partie de celle-ci sur les routes de l’exil. » (129)

La réalité syrienne est donc bien plus complexe que ne l’affirment les promoteurs intransigeants d’un renversement de Bachar el-Assad, alors que les politiques profondes de la CIA et de ses alliés appuient al-Qaïda en Syrie. À la suite des premières frappes russes contre cette organisation, les gouvernements des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne ont cosigné une déclaration commune avec le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite. (130) Or, nous avons vu que ces trois États sont à l’origine de la création de l’Armée de la Conquête en Syrie – une politique discrètement approuvée et soutenue par Washington. (131) Comme nous l’avons indiqué, il s’agit d’une coalition de milices liées ou affiliées à al-Qaïda, qui constituait depuis le printemps dernier la principale menace contre le régime el-Assad. (132) Essentiellement, le fait que ce communiqué associe les quatre premières puissances occidentales avec les trois États unanimement désignés comme les soutiens d’al-Qaïda en Syrie a choqué bien peu d’observateurs, alors que les États-Unis et leurs alliés sont censés être en guerre globale contre cette organisation depuis le 11-Septembre. Ainsi, il ne semble pas illégitime de se demander pourquoi ces gouvernements n’ont-ils pas appelé Moscou à frapper al-Qaïda dans leur déclaration commune. Si l’on considère que la CIA mène une guerre secrète multinationale qui renforce la branche syrienne de cette nébuleuse terroriste, la réponse est sans équivoque.

Dans ce contexte, entre le chaos islamiste et la dictature, plusieurs millions de Syriens ont fait leur choix, sans nécessairement être des partisans de Bachar el-Assad. Ne pas prendre en compte cette réalité et amplifier la guerre secrète en Syrie reviendrait certes à combattre un régime criminel, mais surtout à favoriser la prise de Damas par des forces islamistes d’une puissance et d’une dangerosité sans précédent. Désignant Daech comme « l’ennemi numéro un », l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine a rappelé « qu’au moment de combattre Hitler, il [avait] fallu s’allier avec Staline ». (133) Il faut donc espérer que les dirigeants occidentaux fassent preuve de la même sagesse, et qu’ils comprennent qu’intensifier leur engagement clandestin en Syrie pour faire échec aux Russes et aux Iraniens serait une grave erreur. (134) Alors que les principaux acteurs de ce conflit se réunissent à Vienne, et que l’Arabie saoudite a accepté pour la première fois que l’Iran participe aux négociations, la diplomatie doit et peut triompher des politiques profondes. (135)

Maxime Chaix   http://maximechaix.info

Notes

1. « Les États-Unis n’entraînent qu’une soixantaine de rebelles syriens », LeMonde.fr avec AFP et Reuters, 08 juillet 2015. Bien que ses auteurs n’en aient probablement pas eu l’intention, le titre de cet article donne l’impression que les États-Unis n’ont formé qu’une soixantaine de rebelles pour combattre en Syrie. Nul doute que les innombrables articles publiés à travers le monde sur le fiasco de cette opération du Pentagone ont renforcé cette perception erronée. Or, je démontrerai que l’engagement clandestin de la CIA et de ses partenaires en Syrie a été à la fois massif, trouble et illégal, et qu’il pourrait s’apparenter à une véritable guerre secrète multinationale.

2. « Seulement “4 ou 5” rebelles formés par les Américains combattent », LeProgres.fr avec AFP, 16 septembre 2015. Ce titre est encore plus trompeur que le précédent. Détail intéressant : en fin d’article, on peut lire que « [l]a CIA anime parallèlement un programme clandestin d’entraînement de rebelles en Syrie ». Dans la plupart des récits médiatiques sur l’échec de cette opération du Pentagone, soit le vaste programme clandestin de la CIA n’est pas mentionné, soit il est brièvement évoqué, comme s’il s’agissait d’un détail insignifiant dans la guerre civile syrienne.

3. « Syrie: le Pentagone réduit son programme d’entraînement de rebelles », BFMTV.com avec AFP, 9 octobre 2015 : « Les États-Unis ne vont plus essayer d’entraîner des groupes syriens anti-État islamique mais se concentrer sur la fourniture d’équipement et d’armes à des chefs de groupes rebelles triés sur le volet, selon un responsable américain du ministère de la Défense. »

4. Armin Arefi, « Les forces en présence sur le territoire syrien », LePoint.fr, 17 septembre 2015. Dans cet article, la CIA et les services spéciaux occidentaux ne sont pas même évoqués parmi « les forces en présence sur le territoire syrien ». Nous verrons que de nombreuses autres sources refoulent ou minimisent cette intervention clandestine multinationale de la CIA, dont des médias importants et des hauts responsables à Washington.

5. Par « alliés moyen-orientaux » de la CIA, je fais essentiellement référence à l’Arabie saoudite, au Qatar, à la Turquie et à la Jordanie. Comme je le montrerai, ces deux derniers pays abritent chacun un centre de commandement des opérations multinationales de l’Agence, également appelé « salle d’opérations » (« operations room »). Et nous verrons que l’Arabie saoudite et le Qatar, avec la Turquie, ont été les principaux soutiens financiers et militaires des factions extrémistes en Syrie. Le Mossad est également actif dans cette guerre secrète multinationale, mais son rôle est plus discret que celui de la CIA et de ses partenaires. Il semblerait notamment que les services israéliens aient joué un rôle crucial dans les activités de collecte de renseignements de l’Agence en Syrie (Joseph Fitsanakis, « US spy agencies turn to Israel, Turkey, for help in Syria war », IntelNews.org, 24 juillet 2012). En revanche, l’armée israélienne a joué un rôle nettement plus visible dans ce conflit, à l’instar de l’armée turque. Voir notamment Robert Parry, « Should US Ally with Al Qaeda in Syria? », ConsortiumNews.com, 1er octobre 2015 : « [Branche syrienne d’]al-Qaïda, le Front al-Nosra a également bénéficié d’une alliance de facto avec Israël, qui a soigné des combattants d’al-Nosra pour les renvoyer ensuite combattre dans la zone du plateau du Golan. Israël a également mené des frappes aériennes en Syrie afin de soutenir les avancées d’al-Nosra, tuant notamment des conseillers du Hezbollah ou de l’Iran qui aidaient le gouvernement syrien. »

Par « alliés occidentaux » de la CIA, je désigne principalement les services spéciaux français et britanniques. Avec l’Agence, ils ont joué un rôle actif dans la déstabilisation de la Syrie, notamment dans la formation des rebelles (Julian Borger et Nick Hopkins, « West training Syrian rebels in Jordan », TheGuardian.co.uk, 8 mars 2013). Néanmoins, d’autres pays européens pourraient être impliqués dans ces opérations (Tolga Tanış, « There are 50 senior agents in Turkey, ex-spy says », HurriyetDailyNews.com, 16 septembre 2012). Dans la « salle d’opérations » multinationale basée en Jordanie, des officiers de services spéciaux et d’armées de près de 14 pays ont été recensés par un journal émirati à la fin de l’année 2013 (Phil Sands et Suha Maayeh, « Syrian rebels get arms and advice through secret command centre in Amman », TheNational.ae, 28 décembre 2013).

Enfin, par « services spéciaux », je ne signifie pas uniquement des services secrets, tels que la CIA ou le MIT, mais également des forces spéciales ou d’autres éléments militaires qui sont clandestinement impliqués dans cette guerre secrète. C’est le cas du JSOC, qui est le commandement des opérations spéciales du Pentagone (David S. Cloud et Raja Abdulrahim, « Update: U.S. training Syrian rebels; White House ‘stepped up assistance’ », LATimes.com, 21 juin 2013). Les forces spéciales britanniques et françaises sont également engagées dans cette guerre secrète (Borger et Hopkins, « West training Syrian rebels in Jordan »).

6. Greg Miller et Karen DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut », WashingtonPost.com, 12 juin 2015. Remarque importante : dans l’immense majorité des récits sur l’intervention de la CIA en Syrie, l’action de l’Agence est décrite comme « inefficace » et d’ampleur limitée (Voir par exemple Ben Hubbard, « Warily, Jordan Assists Rebels in Syrian War », NYTimes.com, 10 avril 2014). Or, l’importance de cet article duWashington Post réside dans le fait que, contrairement à ce qui était unanimement affirmé dans la presse, cet engagement de la CIA en Syrie n’est pas « limité » mais massif, et qu’il entre dans le cadre « d’un plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie » – c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les factions extrémistes en Syrie (cf. la note suivante).

7. Ibidem (accentuation ajoutée). Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voir Luc Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas », Liberation.fr, 14 mai 2015 ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS », CSPAN.org, 20 septembre 2014 : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?”Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; Éric Leser, « Sans la Turquie, Daech n’existerait pas », Slate.fr, 2 août 2015 ; « Le Qatar : “valet des Américains” ou “club Med des terroristes” ? », entretien avec Fabrice Balanche, Challenge.fr, 15 janvier 2015 : « [L]e Qatar a financé le Front Al-Nosra (ou Nosra) jusqu’à la scission intervenue en avril 2013. L’organisation, rattachée à Al-Qaïda, est pourtant inscrite sur la liste terroriste des États-Unis depuis le 20 novembre 2012 et la déclaration d’Hillary Clinton. Après la scission en avril 2013 – autrement dit la séparation entre Nosra dirigé par le syrien Al-Joulani et l’État islamique (EI) conduit par l’irakien al-Baghdadi – le Qatar a choisi de soutenir l’EI contrairement à l’Arabie Saoudite qui continue de financer Nosra. Néanmoins, la réalité est bien plus complexe encore. Si l’EI est une organisation soudée et structurée, les groupes de Nosra, bien qu’ils prêtent tous allégeance, semblent bien plus autonomes. Ainsi, le Qatar peut être également amené à financer un groupe de combattants se revendiquant de Nosra pour un intérêt particulier. De même, il existe différents clans en Arabie Saoudite, qui est loin d’être un royaume monolithique. Ces familles soutiennent aussi bien Nosra que l’EI » (accentuation ajoutée) ; etc.

8. Selon Vox.com et d’autres sources, l’« ordre secret » d’armer les rebelles a été approuvé en avril 2013, mais l’approvisionnement en armes et les entraînements se seraient concrétisés en septembre 2013, après qu’Obama eut repoussé l’intervention militaire directe en Syrie (Max Fisher et Johnny Harris, « Syria’s war: a 5-minute history », Vox.com, 14 octobre 2015). En septembre 2013, le Washington Post avait rapporté que les États-Unis commençaient à armer les rebelles, sans évoquer l’« ordre secret » d’Obama rapporté par Vox.com (Ernesto Londoño et Greg Miller, « CIA begins weapons delivery to Syrian rebels », WashingtonPost.com, 11 septembre 2013). En réalité, la CIA et le MI6 ont clandestinement armé les rebelles en Syrie depuis au moins janvier 2012, mais essentiellement via la logistique et les financements du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite (Adam Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government », FAIR.org, 20 septembre 2015).

9. Souad Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them », WashingtonPost.com, 18 août 2014) : « Au cours de nombreux entretiens menés ces deux derniers mois [avec des membres de l’État Islamique et du Front al-Nosra], ils ont décrit comment l’effondrement sécuritaire durant le Printemps arabe les a aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser en leur faveur la stratégie occidentale – c’est-à-dire le soutien et l’entraînement de groupes afin de combattre des dictateurs. “Des Britanniques et des Américains nous avaient [également] entraînés durant le Printemps arabe en Libye”, d’après un homme surnommé Abou Saleh, qui a accepté d’être interrogé si son identité restait secrète. [Ce dernier], qui est originaire d’une ville proche de Benghazi, affirma qu’un groupe de Libyens et lui-même avaient bénéficié dans leur pays d’entraînements et de soutien de la part de membres des forces [spéciales] et des services de renseignement français, britanniques et états-uniens – avant de rejoindre le Front al-Nosra ou l’État Islamique [en Syrie]. Interrogées pour cet article, des sources militaires arabes et occidentales ont confirmé les affirmations d’Abou Saleh, selon lesquelles des rebelles en Libye avaient bénéficié d’“entraînements” et d’“équipements” durant la guerre contre le régime de Kadhafi » (accentuation ajoutée).

10. Pour illustrer la confusion qui règne sur les politiques profondes de la CIA en Syrie, y compris chez les spécialistes, j’ai détecté une erreur factuelle dans un article du grand reporter Régis Le Sommier. Dans cette analyse, qui est pourtant d’une grande pertinence, il est écrit que « la CIA devait entraîner 15 000 rebelles “modérés” [sic]. Ils ne sont en fin de compte que 60, regroupés dans la Division 30. » (Régis Le Sommier, « Pourquoi Daech est là pour durer », ParisMatch.com, 11 septembre 2015). En réalité, le Pentagone, et non la CIA, avait été chargé par le Congrès en 2014 de former 15 000 combattants sur 3 ans pour lutter contre Daech (« Des soldats américains entraîneront des rebelles syriens », TDG.ch, 16 janvier 2015). D’après l’important article duWashington Post cité précédemment, l’Agence aurait formé non pas 60 mais 10 000 combattants pour lutter contre le régime de Bachar el-Assad (Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut »). Cette erreur factuelle de la part d’un journaliste aussi compétent me semble être symptomatique de la confusion qui règne autour du rôle de la CIA en Syrie.

11. Depuis le début du conflit, les forces loyalistes de Bachar el-Assad ont commis des exactions massives contre la population civile. Ces actes sont aussi inhumains qu’indéfendables. Or, ils le sont tout autant que les politiques étrangères occidentales ayant généré plusieurs millions de morts et de blessés rien qu’en Irak, en Afghanistan et au Pakistan depuis un quart de siècle. Voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Les victimes ignorées des guerres de l’Occident : 4 millions de morts en Afghanistan, au Pakistan et en Irak depuis 1990 », VoltaireNet.org, 11 avril 2015. Allons plus loin dans ce raisonnement. Selon l’intellectuel Andre Vltchek, « “[d]epuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme et le néocolonialisme occidentaux ont causé la mort de 50 à 55 millions de personnes” (…). À celles-ci, “mortes en conséquence directe de guerres déclenchées par l’Occident, de coups d’État militaires pro-occidentaux et d’autres conflits du même acabit”, s’ajoutent “des centaines de millions de victimes indirectes qui ont péri de la misère, en silence”. » (Nic Ulmi, « Noam Chomsky raconte “l’Occident terroriste” », LeTemps.ch, 12 juin 2015 [accentuation ajoutée]). Il me semblerait utile que les détracteurs les plus intransigeants de Bachar el-Assad – qui s’émeuvent à juste titre des exactions commises par le régime syrien –, en prennent conscience et fassent preuve de la même indignation à l’égard des politiques étrangères occidentales décrites dans cette note.

12. Comme je l’ai expliqué dans la première note, je tenterai de démontrer que l’engagement clandestin de la CIA et de ses partenaires occidentaux et moyen-orientaux en Syrie a été à la fois massif, trouble et illégal, et qu’il pourrait s’apparenter à une véritable guerre secrète multinationale. Ainsi, le caractère confidentiel de ces opérations explique pourquoi cette coresponsabilité est refoulée, incomprise ou minimisée en Occident.

13. Aux États-Unis, l’ONG FAIR – qui lutte contre la désinformation médiatique –, a souligné que « les activités clandestines pourtant bien documentées [de la CIA] en Syrie avaient été fréquemment ignorées lorsque les médias traitaient de l’approche “non-interventionniste” de l’administration Obama dans ce conflit (…) [U]n article duNew York Times (…) et un autre “article explicatif” de la guerre civile syrienne publié par Vox ont fait encore pire : ils n’ont pas seulement omis le fait que la CIA avait armé, entraîné et financé des rebelles depuis [janvier] 2012, mais ils ont lourdement sous-entendu qu’elle ne l’avait jamais fait. » (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government », [accentuation ajoutée]). En vérité, les services spéciaux occidentaux ont entraîné des rebelles en Libye dès 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda (Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them »).

14. Certains faiseurs d’opinion, comme Bernard Kouchner, nient toute coresponsabilité occidentale dans le drame syrien. Voir Maxime Chaix, « Non, Bernard Kouchner, Bachar el-Assad n’a pas “assassiné 230 000, 250 000 Syriens” », MaximeChaix.info, 13 octobre 2015. En général, les dirigeants politiques français ont admis avoir soutenu la rébellion « modérée et démocratique », comme François Hollande l’avait affirmé au journal Le Monde en août 2014 (« François Hollande confirme avoir livré des armes aux rebelles », LeMonde.fr, 20 août 2014). Or, deux députés français de premier plan ont accusé le gouvernement d’avoir clandestinement soutenu des rebelles pas aussi « modérés » qu’ils nous ont été présentés – l’un d’entre eux ayant même affirmé que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». Voir Maxime Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” », MaximeChaix.info, 1er juillet 2015. Dans ses mémoires, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused », Haartez.com, 6 juin 2014. Par conséquent, sachant que la CIA a été étroitement impliquée dans des opérations multinationales de trafic d’armes en faveur des rebelles, et ce depuis au moins janvier 2012, soit Hillary Clinton ment et protège Barack Obama, soit ce dernier ne maîtrise pas ses services spéciaux (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).

15. Je précise que mon ami et mentor intellectuel Peter Dale Scott – dont je suis le principal traducteur francophone –, n’a pas relu cette analyse avant sa publication. Par conséquent, les arguments défendus dans cet article n’engagent que moi. Pour lire une intéressante définition de la « Politique profonde » et des différents concepts développés par Peter Dale Scott, je vous recommande cet article – que j’ai récemment complété et actualisé : Bruno Paul, « La politique profonde et l’État profond », MaximeChaix.info, 29 juillet 2015.

16. Seymour M. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats », VoltaireNet.org (traduction : Institut Tunisien des Relations Internationales), 12 avril 2014 : « Au lendemain de l’attaque du 21 août [2013], Obama a ordonné au Pentagone de dresser une liste objectifs à bombarder. Au début, a déclaré l’ancien responsable du Renseignement, “la Maison-Blanche a rejeté 35 listes de cibles fournies par les chefs d’état-major sous prétexte que c’était insuffisamment ‘douloureux’ pour le régime d’Assad.” Les objectifs initiaux incluaient uniquement des sites militaires et aucune infrastructure civile. Sous pression de la Maison-Blanche, le plan d’attaque US a évolué vers une “frappe monstrueuse” : deux flottes de bombardiers B-52 ont été transférées vers des bases aériennes proches de la Syrie, et des sous-marins et des navires équipés de missiles Tomahawk ont été déployés. “Chaque jour, la liste de cibles s’allongeait”, m’a affirmé l’ancien responsable du Renseignement » (accentuation ajoutée).

Remarque importante : Seymour Hersh est un grand reporter mondialement renommé, qui est considéré commel’un des meilleurs journalistes aux États-Unis. Son analyse, et le rapport du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) cité dans la note suivante, mettent sérieusement en doute la responsabilité du régime el-Assad dans les attaques chimiques de la Ghouta. En 2014, Franz-Olivier Giesberg avait déploré que l’article de Seymour Hersh et le rapport du MIT n’avaient quasiment pas été repris dans la presse (Franz-Olivier Giesberg, « FOG : Ayons le courage de le dire… », LePoint.fr, 26 juin 2014).

17. Armin Arefi, « Attaque chimique en Syrie : le rapport qui dérange », LePoint.fr, 19 février 2014 : « Une étude du prestigieux MIT affirme que le massacre chimique d’août 2013 a été perpétré depuis une zone rebelle, contredisant les affirmations occidentales » (accentuation ajoutée).

18. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « Pendant des mois, il y avait eu une vive inquiétude parmi les dirigeants militaires et la communauté du renseignement sur le rôle joué dans la guerre par des voisins de la Syrie, en particulier la Turquie. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan était connu pour son soutien au Front Al-Nosra, une faction djihadiste de l’opposition rebelle, ainsi qu’à d’autres groupes rebelles islamistes. “Nous savions qu’il y en avait certains dans le gouvernement turc”, m’a dit un ancien haut responsable du renseignement états-unien qui a toujours accès aux dossiers, “qui ont cru qu’ils pouvaient choper Assad par les couilles en l’impliquant dans un attentat au gaz sarin à intérieur de la Syrie – et forcer Obama à réagir”. (…) Tandis que des bribes d’information et autres données étaient recueillies sur les attaques du 21 août, la communauté du Renseignement a vu des preuves venir étayer ses soupçons. “Nous savons désormais qu’il s’agissait d’une opération clandestine planifiée par les gens d’Erdoğan pour pousser Obama à franchir la ligne rouge”, a dit l’ancien responsable du Renseignement » (accentuation ajoutée).

19. Ibidem : « À fin août, le président avait donné aux chefs d’état-major une date limite pour le lancement des opérations. “L’heure H devait être au plus tard lundi matin [2 septembre], un assaut massif pour neutraliser Assad” a dit l’ex-responsable du Renseignement. Ce fut donc une surprise pour beaucoup quand, lors d’un discours à la Maison-Blanche dans le Jardin des roses, le 31 août, Obama déclara que l’attaque était repoussée, et qu’il se retournait vers le Congrès pour la soumettre à un vote » (accentuation ajoutée).

20. « Les enseignements de la guerre en Syrie », Reforme.net, 26 août 2015 : « “En 2011, les Occidentaux ont péché par leur assurance, attisée par leur succès initial en Libye, après l’intervention qui a abouti à la mort du colonel Kadhafi, [selon Fabrice Balanche]. Ce succès couronnait vingt années d’hégémonie occidentale sur le monde, depuis l’effondrement de l’URSS. Mais depuis le camouflet qu’a constitué pour eux l’intervention armée en Libye, les Russes ont décidé de défendre leurs intérêts de manière plus agressive, notamment au moyen de leur droit de veto à l’ONU. Et si les Occidentaux, États-Unis en tête, décident d’intervenir sans aval du Conseil de sécurité, le Kremlin a fait savoir qu’il ne resterait pas les bras croisés.” Selon le chercheur, c’est ce qui s’est passé, en septembre 2013, quand la flotte américaine s’est approchée des côtes syriennes, peu après les révélations de l’utilisation d’armes chimiques par Damas. En face, la Russie avait installé des batteries de DCA. Les Américains finirent par s’éloigner, mais l’affrontement direct fut évité de peu » (accentuation ajoutée).

21. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « Ce sont les chefs d’état-major qui ont conduit Obama à changer de cap. L’explication officielle de la Maison-Blanche pour la volte-face – telle que racontée par les médias – était que le président (…) a soudainement décidé de demander l’approbation de la frappe à un Congrès profondément divisé avec lequel il était en conflit depuis des années. L’ancien responsable du département de la Défense m’a dit que la Maison-Blanche [aurait] fourni une explication différente aux membres de la direction civile du Pentagone : la frappe avait été annulée suite à des analyses selon lesquelles, en cas [d’attaque états-unienne], “le Proche-Orient [s’embraserait]”. »

22. Londoño et Miller, « CIA begins weapons delivery to Syrian rebels ». En réalité, la CIA et le MI6 ont clandestinement armé les rebelles en Syrie depuis au moins janvier 2012, mais essentiellement via la logistique et les financements du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).

23. Je recommande vivement aux lecteurs anglophones l’analyse suivante de Joel Veldkamp, un étudiant du Centre des Études sur le Moyen-Orient de l’Université de Chicago. Résumant l’un de ses travaux universitaires, son article expose la succession de mensonges politiques et de déformations médiatiques sur l’engagement soi-disant « limité » des États-Unis en Syrie. Il montre comment la communication trompeuse de l’administration Obama a dissimulé, depuis 2012, des politiques profondes de guerre secrète dans ce pays. Enfin, je tiens à préciser que cet article a été publié sur le site de Joshua Landis, un professeur de l’Université d’Oklahoma qui est considéré comme l’un des principaux experts de la Syrie. Joel Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees », JoshuaLandis.com, 14 août 2015.

24. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi. En effet, en décembre 2011, ce dernier expliquait que des « [a]vions non immatriculés de l’OTAN [étaient] en train de se poser dans des bases militaires turques proches d’Alexandrette, vers la frontière syrienne, livrant des armes pillées dans les arsenaux de feu Mouammar Kadhafi. Ces avions acheminaient aussi des miliciens du Conseil National de Transition libyen ayant de l’expérience dans la mobilisation de volontaires locaux contre des soldats entraînés – un savoir-faire qu’ils ont acquis en combattant l’armée de Kadhafi. Alexandrette est également le siège de l’Armée Syrienne Libre, la branche armée du Conseil National Syrien. Des instructeurs des forces spéciales françaises et britanniques sont sur le terrain pour aider les rebelles syriens, tandis que la CIA et les forces spéciales états-uniennes fournissent des équipements de communication et des renseignements pour soutenir la cause des rebelles, permettant à ces combattants d’éviter les concentrations de soldats syriens » (accentuation ajoutée). Voir Philip Giraldi, « NATO vs. Syria », TheAmericanConservative.com, 19 décembre 2011.

25. Au sujet des centres de commandement multinationaux des opérations de la CIA en Turquie et en Jordanie, voir notamment Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » : « [L]es responsables américains du renseignement militaire [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie, à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le Sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes (…) » (accentuation ajoutée). D’autres sources analysant les activités de ces centres de commandement seront exposées dans cette analyse.

26. Concernant les « nombreux pays hostiles à Bachar el-Assad », voir la note 5.

27. Trevor Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA », TheGuardian.co.uk, 17 novembre 2014 : « [L]es informations sur les armes qui étaient déjà clandestinement acheminées en Syrie ont été dissimulées à la majeure partie du Congrès. John Kerry refusa de répondre aux questions sur les activités de le CIA en Syrie lorsqu’il fut interrogé par la Commission sénatoriale des Affaires étrangères, bien que des informations sur l’implication de l’Agence [dans ce pays] aient fait les gros titres pendant des années. “Je déteste dire cela”, déclara-t-il, “mais je ne peux ni confirmer ni démentir tout ce qui a été écrit à ce sujet, et je ne peux parler de toutpossible programme” » (accentuation ajoutée).

28. Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees ». Encore une fois, je recommande vivement cette analyse aux lecteurs anglophones. Pour compléter cette réflexion et mon propre article, l’analyse suivante est tout aussi importante : Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».

29. En général, les dirigeants politiques français ont admis avoir soutenu la rébellion « modérée et démocratique », comme François Hollande l’avait affirmé au journal Le Monde en août 2014 (« François Hollande confirme avoir livré des armes aux rebelles »). Or, deux députés français de premier plan ont accusé le gouvernement d’avoir clandestinement soutenu des rebelles pas aussi « modérés » qu’ils nous ont été présentés – l’un d’entre eux ayant même affirmé que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». Voir Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” »). Concernant la Grande-Bretagne, nous verrons que le soutien clandestin du MI6 en faveur de réseaux jihadistes en Libye et en Syrie a été discrètement reconnu par la justice.

30. Comme nous l’avons vu, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused ». Par conséquent, sachant que la CIA a été étroitement impliquée dans des opérations multinationales de trafic d’armes en faveur des rebelles, et ce depuis au moins janvier 2012, soit Hillary Clinton ment et protège Barack Obama, soit ce dernier ne maîtrise pas ses services spéciaux (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).

31. Pour des détails sur ces opérations, voir C.J. Chivers et Eric Schmitt, « Arms Airlift to Syria Rebels Expands, With Aid From C.I.A. », NYTimes.com, 24 mars 2013. Au moment où cet article fut publié, les livraisons d’armes aux rebelles étaient en train de s’intensifier, d’après le New York Times. Seymour Hersh a également révélé un rôle actif du MI6 britannique dans ces opérations, ce qui aurait permis à la CIA d’échapper à la supervision du Congrès (Hersh, « La ligne rouge et celle des rats »). Je reviendrai sur ce point crucial.

32. Robert Winnett, « Syria: 3,500 tons of weapons already sent to rebels, says Lord Ashdown », Telegraph.co.uk, 1erjuillet 2013. Cet article rapporte les propos alarmants du parlementaire britannique Lord Ashdown : « “[Les rebelles en Syrie] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire] » (accentuation ajoutée).

33. « Syrie : les Russes ont frappé les rebelles formés par la CIA (sénateur McCain) », LOrientLeJour.com avec AFP, 1eroctobre 2015.

34. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » : [L]a revendication de Joe Biden [selon laquelle] “nous ne pouvions pas convaincre nos collègues [turcs, qataris et saoudiens] de cesser [d’]approvisionner” [les islamistes] dissimule le fait que la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS », CSPAN.org, 20 septembre 2014 : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire de Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” Sénateur Graham : “Oui, mais est-ce qu’ils en embrassent la cause ? Ils (…) ont financé [Daech] car l’Armée Syrienne Libre ne pouvait pas combattre Assad, ils essayaient de battre Assad, et je pense qu’ils ont réalisé à quel point ces méthodes étaient folles. » Sans surprise, le sénateur Graham n’a pas dit un mot sur l’implication de la CIA et de ses partenaires occidentaux dans cette stratégie de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar.

35. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant ». Si l’on en croit la Brookings Institution, en avril 2015, « [l]a branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, et une autre milice étroitement liée à [cette nébuleuse terroriste], faisaient partie des milices “modérées” et “triées sur le volet” [par la CIA] qui reçoivent des armes et du soutien de la part d’États du Golfe et de la Turquie, sous la supervision de personnel des [services spéciaux] états-uniens sur le terrain » (accentuation ajoutée). Nous reviendrons en détail sur cette analyse.

36. Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA » : « Le plus choquant est peut-être de savoir que Barack Obama a lui-même lu l’étude de la CIA, et qu’il a conscience qu’armer les rebelles en Syrie – ou n’importe où ailleurs – était une idée incroyablement dangereuse. Parlant visiblement de cette étude, Obama déclara à David Remnick du New Yorker [en 2014] : “Très tôt dans ce processus, j’ai en fait demandé à la CIA d’analyser des exemples de réussites dans le financement et l’approvisionnement en armes des insurrections. Et ils n’ont pas réussi à m’en donner beaucoup.” » Cette posture « non-interventionniste » d’Obama a été récemment exagérée par certains médias. Voir Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».

37. Voir par exemple Adam Entous, « Covert CIA Mission to Arm Syrian Rebels Goes Awry », WSJ.com, 26 janvier 2015 : « Des hauts responsables [états-uniens] défendent la décision de maintenir un réseau d’approvisionnement en armes réduit [sic] et étroitement contrôlé [sic], citant leur préoccupation que des armements pourraient tomber entre de mauvaises mains. (…) En dépit des contrôles, des armes ont néanmoins basculé du mauvais côté. » Comme nous l’avons vu, et comme je le monterai en apportant d’autres sources, cet argument du « réseau d’approvisionnement en armes réduit et étroitement contrôlé » est grossièrement mensonger. Voir notamment Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees » ; Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».

38. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ». Bien que ce programme soit décrit comme « inefficace » par des parlementaires interrogés dans cet article, les journalistes citent pourtant des hauts responsables anonymes vantant les réussites de cette opération multinationale – tout en prenant soin de la limiter au soutien d’une milice « modérée » au sud de la Syrie. Nous allons voir que la réalité est bien plus complexe.

39. Roy Gutman et Mousab Alhamadee, « Tense relations between U.S. and anti-Assad Syrian rebels », McClatchyDC.com, 5 septembre 2014.

40. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ». Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voire Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS » : Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; etc.

41. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi (cf. note 24).

42. Adèle Smith, « Wikileaks dévoile les secrets de la “CIA privée” », LeFigaro.fr, 27 février 2012.

43. Scott Stewart, « The Consequences of Intervening in Syria », Stratfor.com, 31 janvier 2013 (accentuation ajoutée).

44. Ibidem (accentuation ajoutée).

45. Ibidem.

46. Steven R. Weisman, « PRESIDENT CALLS NICARAGUA REBELS FREEDOM FIGHTERS; News session transcript, page D22 », New York Times, 5 mai 1983 (accentuation ajoutée).

47. Peter Dale Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial : 50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis (Éditions Demi-Lune, Paris, 2010), p.174 : « Dans les années 1980, les Soviétiques se sont heurtés dès le départ à l’opposition des moudjahidines (appelés “combattants de la liberté” à Washington et “terroristes” à Moscou), qui furent armés, financés et entraînés dès 1978 – peut-être même plus tôt – par les services secrets combinés du Pakistan, de l’Arabie saoudite et la CIA » (accentuation ajoutée).

48. Ibidem, pp.167-93 (chapitre 6).

49. Gilles Bataillon, «Contras et reContras nicaraguayens (1982-1993) : réflexions sur l’action armée et la constitution d’acteurs politico-militaires», Cultures & Conflits (en ligne), hiver 1993 : « La multiplication des opérations armées [des Contras] sur l’ensemble du territoire à partir de 1982, les attaques systématiques des coopératives sandinistes, les exécutions sommaires de représentants et de responsables locaux du pouvoir sandiniste, ne visent pas seulement à affaiblir l’adversaire et à l’installer dans une position défensive. Elles visent tout autant à démontrer la matérialité du conflit ami/ennemi sur l’ensemble du territoire et à détruire, moins des objectifs économiques vitaux pour l’économie du pays (du moins de 1982 à 1985), que tout ce qui peut symboliser l’avènement d’un “monde nouveau”. Ainsi les groupes qui, venant des camps d’entraînement honduriens ou costariciens, cheminent jusqu’au centre du pays et y multiplient les coups de main contre les coopératives sandinistes, les postes militaires, les activistes du Front, cherchent tout autant à accréditer l’idée d’une guerre généralisée à l’ensemble du territoire qu’à mener des opérations en fonction de plans de bataille strictement militaires. De même leurs exactions sanglantes contre des coopérateurs, des activistes souvent adolescents, des femmes et parfois même des enfants ne s’inscrivent nullement au registre d’une quelconque efficacité guerrière, mais sont à mettre au compte de la volonté de multiplier les mises en scène du conflit ami/ennemi et son caractère inexpiable. »

50. Dennis Kucinich, « Le Congrès US autorise le soutien des “rebelles” », DeDefensa.org, 19 septembre 2014 (accentuation ajoutée).

51. Richard Labévière, « Diplomatie française : improvisations, revirements et amateurisme… », ProchetMoyen-orient.ch, 28 septembre 2015 : « Les yeux toujours rivés sur le baromètre intérieur, François Hollande demande instamment à Laurent Fabius d’organiser à Paris, le 8 septembre dernier, une conférence internationale pour venir en aide aux Chrétiens et autres minorités d’Orient. Celui-ci s’exécute à reculons, toujours partisan d’armer l’opposition syrienne “laïque et modérée” pour en finir avec Bachar, c’est-à-dire “les bons p’tits gars de Nosra”, comme il l’affirmait en décembre 2012 lors d’un voyage au Maroc. Rappelons que Jabhat al-Nosra, c’est tout simplement Al-Qaïda en Syrie, qui achète et absorbe, depuis plusieurs années, les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) qui n’existe plus que sur le papier. Rien appris, rien oublié ! Laurent Fabius persiste et signe. Cette conférence est un fiasco absolu. »

52. Gareth Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes », MiddleEastEye.net, 16 octobre 2015. Pour les lecteurs anglophones, cet article est à lire intégralement. En effet, son auteur réussit à expliquer que les États-Unis soutiennent des jihadistes via leurs alliés moyen-orientaux, mais sans l’affirmer directement. On peut le déduire rien qu’en lisant le titre de son analyse (« Obama n’admettra pas les vraies cibles des frappes aériennes russes »). Du grand journalisme, argumenté, subtil, et documenté.

53. « Syrie : les Russes ont frappé les rebelles formés par la CIA (sénateur McCain) », LOrientLeJour.com avec AFP, 1eroctobre 2015.

54. Ryad Ouslimani et Philippe Corbé, « Syrie : les Russes “ont frappé pour une bonne part des résistants”, selon Laurent Fabius », RTL.fr, 1er octobre 2015. Au lendemain des attentats de janvier 2014, je m’étais offusqué de la politique étrangère de la France en Syrie, et notamment des prises de position scandaleuses de Laurent Fabius quant au « bon boulot » d’al-Qaïda en Syrie (Voir Maxime Chaix, « Al-Qaïda : terroriste en France, alliée en Syrie », DeDefensa.org, 10 janvier 2014).

55. « Syrie : qui se cache derrière les rebelles », entretien avec Alain Rodier, Figaro.fr/Vox, 13 octobre 2015 (accentuation ajoutée). Ancien officier supérieur des services français, Alain Rodier est un expert du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), dont je recommande le site et les analyses.

56. Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them » (cf. note 9).

57. Steven Chovanec, « Why We Must Not Arm Even One More Syrian Rebel », LevantReport.com, 16 juillet 2015 : « En avril [2014], le leader du Front Révolutionnaire Syrien “modéré” et soutenu par les États-Unis a reconnu qu’al-Qaïda n’était  “pas [son] problème”, et que ses combattants menaient des opérations conjointes avec al-Nosra. “Si les gens qui nous soutiennent nous disent d’envoyer des armes à un autre groupe, nous les envoyons. Il y a un mois, [le Front al-Nosra,] nous [a] demandé d’envoyer des armes à Yabroud, donc nous avons envoyé beaucoup d’armes là-bas (…).” Le colonel Okaidi (…) est l’un des principaux commandants rebelles “modérés” à être soutenu par les États-Unis, et il est l’un des premiers bénéficiaires de l’aide occidentale. Dans une vidéo, qui a été authentifiée par [l’expert de la Syrie] Joshua Landis (…), [Okaidi] a déclaré lors d’une interview : “Ma relation avec les frères de l’EIIL [Daech] est bonne… Je communique tous les jours avec les frères de l’EIIL… Notre relation est bonne, elle est même fraternelle.” » Remarque importante : ne les ayant pas reproduites, j’ai néanmoins vérifié les sources de Monsieur Chovanec avant de traduire ces informations alarmantes.

58. Charles Lister, « The West is walking into the abyss on Syria », Brookings.edu, 28 septembre 2015. Dans cet article, Monsieur Lister souligne le récent fiasco du Pentagone dans l’entraînement des rebelles contre Daech, mais sans évoquer le programme de la CIA – ce qui donne l’impression que l’Agence et ses alliés ne sont pas intervenus dans ce conflit ; puis il attribue la responsabilité de la montée en puissance des factions jihadistes à Bachar el-Assad. Une ou plusieurs sources prouvant ses accusations auraient été appréciables.

59. Charles Lister, « Are Syrian Islamists moving to counterbalance Al-Qaeda? Will it last? », Brookings.edu, 23 mars 2015 (accentuation ajoutée). En écrivant cela, il souligne néanmoins qu’« en public »,  ce fait est « rarement reconnu explicitement ».

60. Voir par exemple Joseph Fitsanakis, « Analysis: Bandar’s return affirms hawkish turn in Saudi foreign policy », IntelNews.org, 26 juillet 2012 : « Bandar “veut voir l’Arabie saoudite gonfler ses muscles, en particulier si les Américains sont avec lui [au Moyen-Orient]”, selon [un spécialiste du Woodrow Wilson Center nommé] Ottaway. Et il y a des chances qu’ils le seront, au vu des contacts étroits du prince Bandar au sein de la communauté du Renseignement états-unien. Le commentateur saoudien Jamal Khashoggi a déclaré que le style de Bandar est “plutôt agressif, aux antipodes de celui des diplomates saoudiens, qui sont habituellement prudents ; et il sera libre de faire ce qu’il estime nécessaire”, en particulier dans le cas de la Syrie » (accentuation ajoutée).

61. Ibidem : « La rumeur veut que, durant le premier mandat de George W. Bush, George Tenet – qui était alors directeur de la CIA –, se serait saoulé dans la grandiose maison de Bandar à Washington. Il serait alors tombé tout habillé dans la piscine, avant d’être secouru par l’un des serviteurs de Bandar. Si cette histoire est vraie, elle indique un degré d’intimité plutôt dérangeant dans la relation du prince avec l’establishment de politique étrangère des États-Unis, sur lequel l’Arabie saoudite va sans aucun doute s’appuyer dans les prochaines années » ; voir Peter Dale Scott,L’État profond américain : la finance, le pétrole et la guerre perpétuelle (Éditions Demi-Lune, Plogastel-Saint-Germain, 2015), p.159 : « [I]l est compréhensible que George Tenet, le directeur de la CIA sous George W. Bush, ait suivi le précédent de [William] Casey [, le directeur de l’Agence sous Reagan,] en rencontrant une fois par mois environ le prince Bandar, l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis – mais sans révéler le contenu de leurs discussions aux officiers de la CIA chargés des questions saoudiennes » (accentuation ajoutée). Voir aussi la note précédente.

62. J’ai utilisé l’expression « désignés coupables » car – près d’une quinzaine d’années après les attentats du 11-Septembre –, la perspective d’un procès régulier et équitable des accusés du 11-Septembre illégalement détenus à Guantanamo continue de s’éloigner. N’en déplaise aux esprits conformistes, la vérité sur ces attaques est donc loin d’être établie. Voir par exemple : « La moitié des prisonniers de Guantanamo resteront enfermés “indéfiniment” », LeMonde.fr avec AFP, 1er septembre 2015. Voir également Bob Graham ; « Il faut rouvrir l’enquête du 11-Septembre! », HuffingtonPost.fr, 9 novembre 2012 ; concernant les accusations sur le rôle présumé du prince Bandar et de l’Arabie saoudite dans le 11-Septembre, voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Mille et un 11 septembre », MiddleEastEye.net, 15 septembre 2015 : « [L]es États-Unis savaient que le prince Bandar était lié aux attentats du 11 septembre, selon des fuites dans la presse au sujet des célèbres 28 pages classifiées du rapport de l’enquête du Congrès publié en 2002. Dans son livre Intelligence Matters (2004), le sénateur Bob Graham, vice-président de la commission d’enquête, évoque une note top-secrète de la CIA concernant deux pirates de l’air du 11 septembre, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, qui conclut qu’il y avait “des preuves irréfutables qu’il existe un soutien pour ces terroristes au sein du gouvernement saoudien”. »

63. Ian Black, « End of an era as Prince Bandar departs Saudi intelligence post », TheGuardian.co.uk, 16 avril 2014.

64. Joseph Fitsanakis, « Obama authorizes CIA to conduct ‘non-lethal covert action’ in Syria », IntelNews.org, 3 août 2012.

65. Pour des détails sur ces opérations, voir Chivers et Schmitt, « Arms Airlift to Syria Rebels Expands, With Aid From C.I.A. ». Au moment où cet article fut publié, les livraisons d’armes aux rebelles étaient en train de s’intensifier, d’après le New York Times. Seymour Hersh a également révélé un rôle actif du MI6 britannique dans ces opérations, ce qui aurait permis à la CIA d’échapper à la supervision du Congrès (Hersh, « La ligne rouge et celle des rats »). Je reviendrai sur ce point crucial.

66. A.F., « L’ancien patron de la CIA propose d’enrôler des combattants d’Al-Qaïda contre Daech », LeJDD.fr avec AFP, 2 septembre 2015.

67. Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA » (accentuation ajoutée).

68. Ken Dilanian (The Associated Press), « Officials: CIA-backed Syrian rebels under Russian blitz », MilitaryTimes.com, 10 octobre 2015 (accentuation ajoutée).

69. Michel Colomès, « Arrêtons de jouer les “bons” contre les “méchants” islamistes », LePoint.fr, 22 octobre 2015 : « On dit souvent que l’histoire bégaie. Obama et Hollande viennent d’en donner un exemple stupéfiant : pris de court le 30 septembre par la décision de Poutine de bombarder tous les ennemis de Bachar el-Assad, sans distinction d’appartenance, ils ont réagi en envoyant des armes à tous les groupes d’opposition au régime syrien, catalogués ou non comme islamistes. Du moment qu’ils combattent Daesh » (accentuation ajoutée).

70. Greg Miller et Karen DeYoung, « U.S. weighs expanded CIA training, arming of Syrian allies struggling against Assad », WashingtonPost.com, 14 novembre 2014 (accentuation ajoutée).

71. Ibidem.

72. Sur son blog, l’ancien ministre des Affaires étrangères Alain Juppé a publié une analyse qui – bien qu’elle déforme le rôle de l’Occident dans le conflit syrien –, a le mérite de souligner que la chute de Bachar el-Assad était bel et bien unobjectif stratégique des puissances occidentales. Voir Alain Juppé, « Notre fiasco syrien », Al1Jup.com, 24 octobre 2015.

73. Black, « End of an era as Prince Bandar departs Saudi intelligence post » : « Le départ de Bandar n’est pas vraiment une surprise. Dans un contexte de tensions sans précédent dans les relations entre Riyad et Washington, il y avait eu des signes indiquant qu’il était tombé en disgrâce et qu’il avait déjà été marginalisé sur la question syrienne (…) “L’approche de Bandar était très ‘tout noir ou tout blanc’”, selon un observateur bien informé. “Et il semble avoir trop promis au roi [Abdallah] en prédisant avec autant de confiance le départ d’el-Assad.” » Concernant les relations épineuses entre Ankara et Washington sur la question de la « ligne rouge » d’Obama, lire l’article de Seymour Hersh, « La ligne rouge et celle des rats ».

74. À la suite de l’intronisation du roi Salmane en Arabie saoudite, ce dernier s’est mis d’accord avec la Turquie et le Qatar pour unifier leurs efforts en Syrie et ainsi créer l’Armée de la Conquête. Voir Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas ». Selon le journaliste d’investigation Gareth Porter, cette décision politique de mettre en place l’Armée de la Conquête a été « approuvée par les États-Unis ». Voir Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes ».

75. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « L’ampleur de la coopération des États-Unis avec la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar dans le soutien à l’opposition rebelle en Syrie est encore à découvrir. L’administration Obama n’a jamais admis publiquement son rôle dans la création de ce que la CIA appelle une “ligne de rat” (…) [ou une “enfléchure”, traduction littérale de l’expression “rat line”, c’est-à-dire] une route clandestine vers la Syrie. La “ligne de rat”, autorisée au début de 2012, a été utilisée pour acheminer à l’opposition des armes et des munitions en provenance de la Libye via le Sud de la Turquie et à travers la frontière syrienne. (…) L’opération n’avait pas été divulguée au moment de sa mise en place aux commissions de Renseignement et dirigeants du Congrès, en violation des lois en vigueur depuis les années 1970. L’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison » (accentuation ajoutée).

76. Ibidem : « Beaucoup de ceux en Syrie qui ont finalement reçu les armes étaient djihadistes, certains affiliés à al-Qaïda. » ; Voir également Winnett, « Syria: 3,500 tons of weapons already sent to rebels, says Lord Ashdown ». Cet article rapporte les propos alarmants du parlementaire britannique Lord Ashdown : « “[Les rebelles en Syrie] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire] » (accentuation ajoutée).

77. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « L’opération n’avait pas été divulguée au moment de sa mise en place aux commissions de Renseignement et dirigeants du Congrès, en violation des lois en vigueur depuis les années 1970.L’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison. L’ancien responsable du Renseignement m’a expliqué que pendant des années il y a eu une exception reconnue dans la loi qui permet à la CIA de ne pas déclarer ses activités de liaison au Congrès. (Toutes les opérations secrètes de la CIA proposées doivent être décrites dans un document écrit et soumis à l’approbation des hauts dirigeants du Congrès) » (accentuation ajoutée).

78. Maurice Lemoine, « Loi du silence à la CIA », Le Monde Diplomatique, octobre 2009, p.26 : « Depuis sa création par le président Harry Truman, en 1947, les annales de la CIA regorgent de forfaits. Au moment de sa conception, rappelle Tim Weiner, journaliste au New York Times, le brigadier général John Magruder avait tracé la ligne : “Les opérations de renseignement clandestin impliquent d’enfreindre constamment toutes les règles. (…) Pas plus le Pentagone que le département d’État ne [peuvent] prendre le risque de couvrir de telles missions. Un nouveau service d’action clandestine [doit] donc s’en charger.” Allen Dulles, croisé de la guerre froide qui dirigera l’Agence, comme on appelle la CIA, de 1953 à 1961, affina la doctrine : “L’assassinat politique fait partie de notre panoplie (…) si le président l’autorise.Dans ce cas, nous devons tout faire pour préserver un “déni plausible” ; si la CIA est mise en cause dans un homicide à l’étranger, elle doit protéger le président en lui permettant de prétendre tout ignorer de l’opération » (accentuation ajoutée).

79. Jerome R. Corsi, « Generals Conclude Obama Backed Al-Qaida », 19 janvier 2015, WND.com (accentuation ajoutée). Remarque : WND.com est un site qui n’est pas nécessairement fiable. Néanmoins, le raisonnement de Kevin Shipp – en sa qualité d’ancien expert de la CIA –, me semble pertinent. Et comme nous le verrons, il est corroboré par d’autres sources.

80. Anne Barnard et Karam Shoumali, « U.S. Weaponry Is Turning Syria Into Proxy War With Russia », NYTimes.com, 12 octobre 2015 (accentuation ajoutée).

81. Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes » (accentuation ajoutée).

82. Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voire Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas ».

83. Liz Sly, « Did U.S. weapons supplied to Syrian rebels draw Russia into the conflict? », WashingtonPost.com, 11 octobre 2015 (accentuation ajoutée).

84. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « La guerre contre l’État islamique : un nouvel épisode de guerre froide », MiddleEastEye.com, 13 octobre 2015 (accentuation ajoutée).

85. Stewart, « The Consequences of Intervening in Syria ».

86. Voir la note 8. Observation complémentaire : 2013 est l’année de démarrage du programme clandestin et multinational de livraison des missiles antichars TOW à l’insurrection. Voir Barnard et Shoumali, « U.S. Weaponry Is Turning Syria Into Proxy War With Russia ».

87. Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA » : « Le plus choquant est peut-être de savoir que Barack Obama a lui-même lu l’étude de la CIA, et qu’il a conscience qu’armer les rebelles en Syrie – ou n’importe où ailleurs – était une idée incroyablement dangereuse. Parlant visiblement de cette étude, Obama déclara à David Remnick du New Yorker [en 2014] : “Très tôt dans ce processus, j’ai en fait demandé à la CIA d’analyser des exemples de réussites dans le financement et l’approvisionnement en armes des insurrections. Et ils n’ont pas réussi à m’en donner beaucoup.” » Cette posture « non-interventionniste » d’Obama a été récemment exagérée par certains médias. Voir Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».

88. Cette coopération inter-agences n’empêche pas des désaccords majeurs entre les gouvernements, notamment du fait de l’hostilité saoudienne aux Frères musulmans soutenus par la Turquie et le Qatar. Elle n’exclut pas non plus des politiques ou des opérations unilatérales, comme celles de la Turquie et d’Israël (Parry, « Should US Ally with Al Qaeda in Syria? »). Néanmoins, malgré des divergences politiques ou tactiques, le butstratégique des principaux acteurs de cette guerre secrète a été de renverser le régime de Bachar el-Assad. Or, la Russie, l’Iran et le Hezbollah se sont opposé à cet objectif commun, qui a été indirectement confirmé par Alain Juppé (cf. note 72). Enfin, de nombreuses sources confirment un rôle central de la CIA dans cette intervention clandestine, bien que nous ne puissions encore déterminer l’ampleur et la nature de cet engagement.

89. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi (cf. note 24).

90. David Ignatius, « Foreign nations’ proxy war in Syria creates chaos », WashingtonPost.com, 2 octobre 2014 : « “Cette salle d’opérations était le chaos”, selon un membre d’un service de renseignement arabe. Il affirma avoir mis en garde un officier qatari, qui lui répondit : “J’enverrai des armes à al-Qaïda si cela pourra contribuer” à renverser el-Assad. Cette détermination à faire tomber [ce dernier] par tous les moyens possibles et imaginables s’est avérée dangereuse. “Au fil du temps, les factions islamistes sont devenues de plus en plus fortes et imposantes, et l’ASL de plus en plus faible”, d’après cette source. L’engagement saoudien fut mené jusqu’à la fin de l’année 2013 par le prince Bandar ben Sultan, qui était alors le chef des services secrets saoudiens. Bandar était enthousiaste mais indiscipliné, ce qui a alimenté le chaos. » Dans cet article, David Ignatius minimise le rôle de la CIA et de ses alliés occidentaux dans le conflit syrien, et il attribue la responsabilité de ce chaos islamiste à la Turquie et aux pétromonarchies du Golfe.

91. Maxime Chaix, « La bannière étoilée derrière le drapeau noir », MaximeChaix.info, 20 août 2015 (articleinitialement publié sur DeDefensa.org).

92. Ibidem. Quelques semaines après la parution de mon article sur ce sujet, le grand reporter Régis Le Sommier a parlé de ces aveux du général Flynn dans son intéressante analyse citée précédemment (Voir Le Sommier, « Pourquoi Daech est là pour durer »). Dans cet article, Monsieur Le Sommier fait l’analogie entre le soutien des moudjahidines en Afghanistan dans les années 1980 et la guerre secrète actuelle en Syrie.

93. Ibidem.

94. Dans le contexte de cette interview, le présentateur d’Al-Jazeera parlait d’une politique commune des États-Unis et de leurs alliés pétromonarchiques, turcs et occidentaux, qui était citée plusieurs fois dans un document secret de la DIA transmis à l’administration Obama en 2012 – dont le général Flynn confirma la pertinence et l’authenticité. En d’autres termes, la montée en puissance de Daech et du Front al-Nosra dans le conflit syrien   semble être, en partie, la conséquence directe d’une guerre secrète multinationale, qui visait à renverser le régime el-Assad. Et le général Flynn déclara avoir tenté de dissuader l’administration Obama de poursuivre cette politique profonde. Voir Chaix, « La bannière étoilée derrière le drapeau noir ».

95. D’après le général Flynn, l’administration Obama aurait ignoré les mises en garde répétées de la DIA, prenant la « décision délibérée de faire ce qu’ils font ». Quiconque n’a pas conscience de l’implication clandestine des États-Unis dans ce conflit ne peut comprendre cette phrase. Or, sachant que le général Flynn est l’ancien chef de la DIA, « ce qu’ils font » semble faire référence au soutien clandestin et multinational de l’insurrection en Syrie par la CIA et ses partenaires – la politique d’Obama dans ce pays étant qualifiée par Michael Flynn de « très, très troublante ». Voir Chaix, « La bannière étoilée derrière le drapeau noir ».

96. Sollicité durant l’écriture de cette analyse, Nafeez Ahmed m’a indiqué que l’expression « responsables américains du renseignement militaire » désignait des officiers de la CIA collaborant avec le JSOC, le commandement des opérations spéciales du Pentagone.

97. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » : Joe Biden a même admis que ce financement était allé à al-Qaïda en Irak, qui a élargi ses opérations en Syrie en vertu de la stratégie secrète anti-Assad – avant de se métamorphoser en Daech (…) Mais la revendication de Joe Biden [selon laquelle] “nous ne pouvions pas convaincre nos collègues [turcs, qataris et saoudiens] de cesser de les approvisionner” dissimule le fait que la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. »

98. Ibidem. NB : Sachant que j’avais traduit ce passage avant la parution en français de cet article de Nafeez Ahmed, j’ai reproduis ma propre traduction dans la présente analyse.

99. Cette coalition a été créée après l’intronisation du roi Salmane, c’est-à-dire à partir de janvier 2015. Voir Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas ». Selon le journaliste Gareth Porter, « [l]a campagne d’Idleb [au printemps 2015] a été une conséquence directe d’une décision politique de l’Arabie saoudite et du Qatar – approuvée par les États-Unis –, de soutenir la création de l’“Armée de la Conquête” et de lui fournir du nouveau matériel militaire, qui fut un facteur crucial dans cette campagne : le missile antichar TOW. » (Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes »).

100. Robert S. Ford, l’ancien ambassadeur des États-Unis à Damas, a récemment défendu la nécessité d’établir un « dialogue » avec les salafistes d’Ahrar al-Sham, dont il a fait explicitement l’apologie. Voir Robert S. Ford et Ali El Yassir, « Yes, Talk with Syria’s Ahrar al-Sham », MEI.edu, 15 juillet 2015.

101. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » (NB : Même remarque que dans la note 98 concernant la traduction originale de cet article, que j’ai remplacée par la mienne dans la présente analyse.) Charles Lister nous offre une hypothèse intéressante pour expliquer les raisons de ce soutien direct,par les services spéciaux états-uniens et leurs partenaires, de factions islamistes liées ou affiliées à al-Qaïda : « L’explication la plus plausible pour une telle [politique profonde] est la pression exercée par la nouvelle alliance régionale nouée entre la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar. Par ailleurs, les États-Unis cherchent à prouver leur alignement continuel avec leurs alliés traditionnels du golfe Persique, dans le plus vaste contexte de leur rapprochement avec l’Iran.” » Néanmoins, contrairement à Monsieur Lister, ce soutien direct et multinational ne me semble pas être une nouveauté, comme j’ai tenté de le démontrer dans cet article.

102. Voir note 99.

103. Hubbard, « Warily, Jordan Assists Rebels in Syrian War » : « Lorsque les rebelles veulent retourner combattre en Syrie, les services secrets jordaniens leur donnent des créneaux spécifiques pour franchir sa frontière. Lorsqu[’ils] ont besoin d’armes, ils les demandent à une “salle d’opérations” à Amman où opèrent des agents de la Jordanie, de l’Arabie saoudite et des États-Unis. Ce centre coordonne également un programme de la CIA visant à entraîner des rebelles, qui fut autorisé par le Président Obama au mois d’avril [2013]. »

104. Sands et Maayeh, « Syrian rebels get arms and advice through secret command centre in Amman ». Cf. note 5.

105. « Obama signs secret order to aid Syria rebels », AlJazeera.com, 18 novembre 2013 : « Une source gouvernementale états-unienne a admis que, en vertu d’un ordre présidentiel, les États-Unis collaboraient avec un centre de commandement secret géré par la Turquie et ses alliés. La semaine dernière, Reuters a rapporté que la Turquie, ainsi que l’Arabie saoudite et le Qatar, avaient établi une base secrète près de la frontière syrienne afin d’offrir un soutien vital (…) aux opposants à Bachar el-Assad. Ce “centre névralgique” est basé à Adana, une ville du Sud de la Turquie située à environ 100 km de la frontière syrienne, qui abrite également İncirlik, une base aérienne US où les services secrets et l’armée des États-Unis maintiennent une importante présence. » ; Voir également Fitsanakis, « Obama authorizes CIA to conduct ‘non-lethal covert action’ in Syria » : « L’article de Reuters confirme des informations indiquant que le “centre névralgique” des opérations de la CIA dans et autour de la Syrie est situé dans à Adana, au sud de la Turquie – une ville qui abrite également İncirlik, une base aérienne de l’OTAN dirigée par les États-Unis. »

106. Ignatius, « Foreign nations’ proxy war in Syria creates chaos » : « Les efforts extérieurs visant à armer et entraîner les rebelles syriens commencèrent il y a plus de 2 ans à Istanbul, où un “centre d’opérations militaires” fut créé, d’abord dans un hôtel près de l’aéroport. (…) Espérant s’assurer le contrôle du front du Nord, la Turquie créa un nouveau centre d’opérations à Ankara, qui est connu sous l’acronyme “MOM”, ses initiales turques. »

107. Voir la note 5.

108. Voir notamment Hubbard, « Warily, Jordan Assists Rebels in Syrian War » : « Lorsque les rebelles ont besoin d’armes, ils les demandent à une “salle d’opérations” à Amman où opèrent des agents de la Jordanie, de l’Arabie saoudite et des États-Unis. Ce centre coordonne également un programme de la CIA visant à entraîner des rebelles, qui fut autorisé par le Président Obama au mois d’avril [2013]. Il était censé former 380 combattants et leur fournir des fusils d’assaut, des munitions et des armes antichars, afin qu’ils puissent retourner en Syrie pour entraîner leurs collègues.Mais des responsables et des leaders rebelles ont affirmé que le programme est en réalité bien plus restreint » (accentuation ajoutée). Comme dans l’immense majorité des analyses sur ce sujet, cet article minimise de façon suspecte l’ampleur de ce programme. Or, entre juin et octobre 2015, la presse a révélé que la CIA s’était engagée depuis 2013 dans 1) la fourniture massive de missiles TOW à l’insurrection ; 2) un « effort » de plusieurs milliards de dollars de la Turquie et des pays du Golfe complétant le milliard annuel de l’Agence pour ses opérations multinationales coordonnées en Jordanie ; 3) la formation d’au moins 10 000 combattants. Ces révélations confirment que l’ampleur réelle de la guerre secrète de la CIA en Syrie a été dissimulée par les autorités, notamment grâce à des articles de presse trompeurs comme celui qui est analysé dans cette note.

109. Comme nous l’avons vu précédemment (note 77), la CIA peut échapper à la supervision du Congrès des États-Unis grâce à la classification d’opérations de liaison impliquant des partenaires étrangers. Du fait de leur aspect multinational, nous ne connaissons pas clairement le cadre des opérations de la CIA en Syrie. Néanmoins, puisqu’il s’agit de budgets étrangers, le Congrès ne peut pas contrôler le « plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie » révélé par le Washington Post dans son article de juin 2015 (Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut »).

110. Chovanec, « Why We Must Not Arm Even One More Syrian Rebel » : « Actuellement, [l]e label [“modéré”] est appliqué au Front du Sud, qui est salué comme la nouvelle force modérée que les États-Unis peuvent soutenir moralement [et matériellement]. Néanmoins, cette milice est financée et appuyée par le Military Operations Center(MOC) à Amman, qui regroupe des agents des États-Unis, de la Jordanie, de l’Arabie saoudite, des Émirats Arabes Unis et d’autres gouvernements anti-Assad. Et selon l’expert de la Syrie Aron Lund, l’“adoption d’arguments fournis par le MOC” sur la modération des membres de cette alliance est probablement “plus opportuniste que sincère”. »

111. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ».

112. Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees ». Voir également la note 108.

113. Selon l’universitaire Joel Veldkamp, « [l]’ampleur de l’aide matérielle qui aurait été livrée à l’opposition armée en Syrie par les États-Unis et leurs alliés (…) ridiculise tout ce qui a été décrit dans les déclarations publiques du gouvernement [US]. En février 2014, The National, un journal d’Abou Dhabi, a rapporté que les États du Golfe – avec l’aide logistique des services secrets états-uniens –, avaient livré pour 1,2 milliard de dollars en armes et en équipements aux rebelles en Syrie rien que depuis juillet 2013 : “Ce chiffre devrait atteindre 2 milliards, puisque l’Arabie saoudite, qui d’après les rebelles supervise ces financements, compte injecter entre 400 et 800 millions de dollars supplémentaires au cours des prochains mois.” De tels chiffres doivent être accueillis avec prudence, mais l’ampleur de l’insurrection en Syrie donne de la crédibilité à ces sommes » (Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees » [accentuation ajoutée]). Ces financements – qui ne se limitent pas au Sud de la Syrie –, sont-ils inclus dans le « plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie » révélé par le Washington Post ?

114. Richard Norton-Taylor, « Terror trial collapses after fears of deep embarrassment to security services », TheGuardian.co.uk, 1er juin 2015 : « Les poursuites judiciaires contre un citoyen suédois accusé d’activités terroristes en Syrie ont été abandonnées à Old Bailey [, c’est-à-dire à la Haute Cour criminelle,] du fait que les agences britanniques de renseignement et de sécurité auraient été profondément embarrassées si le procès avait continué, révèle le Guardian. Les avocats de l’accusé ont démontré que les services spéciaux britanniques soutenaient les mêmes groupes d’opposition que lui, et qu’ils avaient pris part à une opération clandestine de fourniture d’armes et d’aide non-létale à ces factions (…) [L’accusé] avait combattu au sein du Front al-Nosra, un “groupe interdit qui est considéré comme étant al-Qaïda en Syrie”. Il avait été photographié se tenant au-dessus de plusieurs cadavres avec son doigt pointé vers le ciel”. Pour prouver le soutien du MI6 à des groupes extrémistes en Syrie, la défense s’est notamment basée sur l’article de Seymour Hersh, « La ligne rouge et celle des rats ».

115. Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” ». Voir également la note 14.

116. Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees ».

117. Winnett, « Syria: 3,500 tons of weapons already sent to rebels, says Lord Ashdown ».

118. Stewart, « The Consequences of Intervening in Syria ».

119. Comme nous l’avons vu, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused ». Or, selon Madame Clinton, ce refus date de 2012, c’est-à-dire lorsqu’elle était secrétaire d’État. Néanmoins, la journaliste qui a écrit cet article de New Republic affirme qu’Obama a envisagé d’armer les rebelles en 2013.

120. Jessica Schulberg, « Obama’s Going to Arm the Syrian Rebels? He’s Already Been Doing It Covertly for Over a Year », NewRepublic.com, 11 septembre 2014.

121. Concernant les politiques profondes de l’affaire Iran-Contra, voir la première partie de l’article de Peter Dale Scott, « Le réseau gouvernemental occulte liant l’assassinat de JFK, le Watergate, l’Irangate et le 11-Septembre », VoltaireNet.org, 7 mai 2015.

122. Arefi, « Les forces en présence sur le territoire syrien ». Nous avons vu que, dans cet article, la CIA et les services spéciaux occidentaux ne sont pas même évoqués parmi « les forces en présence sur le territoire syrien ». Or, j’ai souligné que de nombreuses autres sources refoulent ou minimisent cette intervention clandestine multinationale de la CIA, dont des médias importants et des hauts responsables politiques.

123. Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voire Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS » : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; Leser, « Sans la Turquie, Daech n’existerait pas » ; « Le Qatar : “valet des Américains” ou “club Med des terroristes” ? » ; etc.

124. Sly, « Did U.S. weapons supplied to Syrian rebels draw Russia into the conflict? » : « Les missiles antichars états-uniens fournis au rebelles syriens ont une grande influence dans la conduite de cette guerre – ce qui était inattendu. De ce fait, ce conflit ressemble à une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie, bien que le Président Obama ait exprimé le souhait d’éviter cette issue. (…) “L’un des principaux facteurs dans le calcul de la Russie a été la prise de conscience que le régime el-Assad était en train de s’affaiblir militairement, et qu’il risquait de perdre du terrain au nord-ouest de la Syria. Les missiles TOW ont joué un rôle démesuré dans cela”, d’après Oubai Shahbandar, un consultant basé à Dubaï qui a travaillé avec l’opposition syrienne [et le Pentagone].” Voir également Adam Entous, « U.S. Sees Russian Drive Against CIA-Backed Rebels in Syria », WSJ.com, 5 octobre 2015 : « La Russie a ciblé des groupes rebelles syriens soutenus par la CIA dans une série de frappes aériennes menées depuis plusieurs jours, ce qui a conduit les États-Unis à conclure qu’il s’agit d’une démarche intentionnelle de la part de Moscou, d’après des hauts responsables états-uniens. »

125. Fred Kaplan, « Une alliance avec la Russie et l’Iran contre Daech est devenue inévitable », Slate.fr, 29 septembre 2015 : « Dans son discours aux Nations unies, Obama a tenté de jouer sur les deux tableaux. Il a rejeté l’idée que combattre le terrorisme pourrait avoir pour effet de soutenir des “tyrans comme Bachar el-Assad, qui a largué des bombes pour massacrer des enfants innocents” au motif que “l’alternative est probablement pire”. C’est pour cette idée qu’avec d’autres, bon gré mal gré, il vient d’accepter. Obama et certains de ses alliés pensent que Daech est pire qu’Assad; et si l’écrasement de Daech implique le départ d’Assad à long terme (afin de priver les djihadistes d’un de leurs principaux cris de ralliement), il est probablement souhaitable de le soutenir à court terme –pour éviter un effondrement de la Syrie. »

126. Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial, p.174 : « Dans les années 1980, les Soviétiques se sont heurtés dès le départ à l’opposition des moudjahidines (appelés “combattants de la liberté” à Washington et “terroristes” à Moscou), qui furent armés, financés et entraînés dès 1978 – peut-être même plus tôt – par les services secrets combinés du Pakistan, de l’Arabie saoudite et la CIA » (accentuation ajoutée).

127. « Le général Flynn passe à l’Est », DeDefensa.org, 6 octobre 2015 : « [À] l’audition de ce que nous dit Flynn, on comprend nombre des observations qu’on vient de faire. L’ancien directeur de la DIA expose une position de quasi-complet soutien à la décision russe d’intervenir en Syrie. Il le fait en mettant en évidence des arguments qui sont complètement ignorés à Washington (…) : essentiellement, que la Russie est une grande puissance, qu’il est normal qu’elle ait sa politique extérieure et ses intérêts de sécurité nationale propre, que son intervention répond au fait qu’une “ligne rouge” a été franchie dans la situation en Syrie sous la forme de l’entraînement, de l’équipement et du déploiement d’un très fort contingent de terroristes venus des communautés musulmanes russes, essentiellement tchétchènes (…). Une telle compréhension et une telle prise en compte des arguments russes est extrêmement rare à Washington, surtout chez un militaire ayant occupé un poste comme celui de directeur de la DIA jusqu’en août 2014, c’est-à-dire un temps où la Russie était devenu l’“ennemi mondial n°1” du tout-Washington. » ; « Vincent Desportes : “La Russie est un allié objectif de la sécurité des Français” », FranceInter.fr, 29 octobre 2015.

128. Certains faiseurs d’opinion, comme Bernard Kouchner, nient toute coresponsabilité occidentale dans le drame syrien. Voir Chaix, « Non, Bernard Kouchner, Bachar el-Assad n’a pas “assassiné 230 000, 250 000 Syriens” ».

129. Philippe Jottard, « Syrie : “Il est trop commode de dénoncer uniquement la ‘monstruosité’ de Bachar el-Assad ou la barbarie de l’EI” », LeVif.be, 24 septembre 2015. Sans donner de chiffres précis, l’expert de la Syrie Fabrice Balanche a affirmé que « la grande majorité [des déplacés internes] vit dans les zones gouvernementales, comme le reconnaît l’office des Nations unies pour les affaires humanitaires (Ocha). Celle-ci est jugée plus sûre : les déplacés viennent y chercher à la fois la sécurité et un accès plus facile à l’aide humanitaire. » (Jean-Dominique Merchet, « Réfugiés : “Assad rééquilibre la population à son profit” », entretien avec Fabrice Balanche, LOpinion.fr, 15 octobre 2015).

130. « Syrie : Déclaration conjointe sur les actions militaires récentes de la Fédération de Russie (02.10.15) », Diplomatie.gouv.org, 2 octobre 2015 : « Nous, gouvernements de France, d’Allemagne, du Qatar, d’Arabie saoudite, de Turquie, du Royaume-Uni et des États-Unis d’Amérique faisons la déclaration suivante à la suite des récentes offensives militaires de la Fédération de Russie en Syrie : Nous exprimons notre vive inquiétude devant le renforcement de l’engagement militaire russe en Syrie et, en particulier les frappes de l’armée de l’air russe sur Hama et Homs hier qui ont tué des civils et ne visaient pas Daech. Ces opérations militaires constituent une nouvelle escalade et ne feront qu’attiser l’extrémisme et la radicalisation. Nous demandons instamment à la Fédération de Russie de mettre immédiatement fin à ses attaques contre l’opposition et la population civile syriennes et de concentrer ses efforts sur le combat contre Daech. »

131. Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes ».

132. Ibidem : « Cette victoire [de l’Armée de la Conquête] à Idleb [au printemps 2015] fut généralement décrite comme le plus important bouleversement dans le conflit syrien depuis au moins deux ans, et le défi le plus sérieux pour le régime el-Assad depuis le début de la guerre. »

133. Marc de Boni, « Védrine veut s’allier à Assad contre Daech, comme il a fallu s’allier avec Staline” », LeFigaro.fr, 28 septembre 2015 : « L’ancien ministre des Affaires étrangères plaide pour un rétablissement des rapports avec Moscou, et donc d’un dialogue avec le régime de Bachar el-Assad en vue de contenir l’État islamique. »

134. Alors que je finalise cet article, les États-Unis et l’Arabie saoudite annoncent qu’ils vont intensifier leur soutien militaire en faveur de la rébellion « modérée ». Voir Louisa Loveluck, « US and Saudis vow to step up war on Assad in defiance of Russia », Telegraph.co.uk, 25 octobre 2015.

135. Une touche d’espoir pour conclure cette analyse : « Réunion internationale à Vienne sur la Syrie, Téhéran invité pour la première fois », NouvelObs.com avec AFP, 29 octobre 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/maxime-chaix-la-guerre-secrete-multinationale-de-la-cia-en-syrie-et-le-chaos-islamiste/


[11/09/2001] Terrorisme, l’arme des puissants, par Noam Chomsky

Saturday 14 November 2015 at 00:10

11/09/2001 : une première réaction, par Noam Chomsky [rédigée le 12/09/2001]

Ces attaques terroristes sont des atrocités majeures. Il est possible qu’elles n’aient pas atteint le niveau de beaucoup d’autres, telles le bombardement par Clinton du Soudan, sans aucun prétexte crédible, détruisant la moitié de son industrie pharmaceutique et tuant une quantité inconnue de personnes (inconnue, puisque les Etats-Unis ont bloqué une enquête de l’ONU, et que personne ne veut la poursuivre). Sans parler d’autres drames bien plus graves qui viennent facilement à l’esprit. Mais aucun doute : ce qui vient de se passer est un crime atroce. Les premières victimes, comme d’habitude, ont été des travailleurs et des travailleuses : portiers, secrétaires, pompiers, etc. Cela annonce sans doute une tempête infernale contre les Palestiniens et autres peuples pauvres et opprimés. Et il en résultera aussi probablement des contrôles de sécurité serrés, avec beaucoup de ramifications envisageables pour saper les libertés publiques y compris au niveau international.

Ces événements révèlent dramatiquement la folie du projet de « défense anti-missile ». Cela était évident depuis le départ, et a été souligné à maintes reprises par les analystes en stratégie : si quiconque veut causer d’immenses dommages aux Etats-Unis, il est hautement improbable qu’il lance une attaque de missiles, garantissant ainsi sa destruction immédiate. Il y a une infinité de moyens plus simples et à peu près impossibles à contrer. Mais les événements de ce jour vont, selon toute probabilité, être exploités pour augmenter la pression en vue de développer ces systèmes et les mettre en place. Le prétexte de « Défense Nationale » est le cache-sexe de plans de militarisation de l’espace, et avec une bonne communication, même les arguments les plus creux auront un certain poids auprès d’un public effrayé.

En bref, ce crime est un cadeau à la droite extrême, ceux qui espèrent préserver leurs possessions par la force. Cela, même en laissant de côté les réactions prévisibles des Etats-Unis, et ce qu’elles déclencheront : possiblement d’autres attaques similaires à celle-ci, ou pires. Les perspectives sont encore plus sinistres aujourd’hui qu’elles semblaient l’être avant ces dernières atrocités.

Comment réagir ? Nous avons le choix. Nous pouvons exprimer notre horreur, elle est justifiée ; nous pouvons chercher à comprendre ce qui a pu engendrer ces crimes, ce qui implique de faire un effort pour se mettre dans la peau de ceux qui l’ont vraisemblablement commis. Si nous faisons ce dernier choix, nous ne pouvons faire mieux, me semble-t-il, que d’écouter les mots de Robert Fisk, dont la connaissance directe et en profondeur des affaires de la région est inégalée après de nombreuses années de remarquables reportages. En décrivant « la terrifiante cruauté d’un peuple écrasé et humilié », il écrit : « Ceci n’est pas la guerre de la démocratie contre la terreur, comme le monde sera prié de le croire ces prochains jours. C’est aussi l’histoire de missiles américains explosant dans des maisons palestiniennes, et d’hélicoptères américains lançant des missiles contre une ambulance libanaise en 1996, et d’obus américains s’écrasant sur un village du nom de Qana, et l’histoire de milices Libanaises payées et habillées par l’allié de l’Amérique (Israël) frappant et violant et assassinant tout sur leur passage dans des camps de réfugiés ». Et beaucoup plus encore. Je le répète, nous avons le choix : nous pouvons essayer de comprendre, ou le refuser et contribuer ainsi à rendre vraisemblable que bien pire nous attend.

© Noam Chomsky, source : www.noam-chomsky.fr

Terrorisme, l’arme des puissants, par Noam Chomsky [le 18/10/2001]

Il nous faut partir de deux postulats. D’abord que les événements du 11 septembre 2001 constituent une atrocité épouvantable, probablement la perte de vies humaines instantanée la plus importante de l’histoire, guerres mises à part. Le second postulat est que notre objectif devrait être de réduire le risque de récidive de tels attentats, que nous en soyons les victimes ou que ce soit quelqu’un d’autre qui les subisse. Si vous n’acceptez pas ces deux points de départ, ce qui va suivre ne vous concerne pas. Si vous les acceptez, bien d’autres questions surgissent.

Commençons par la situation en Afghanistan. Il y aurait en Afghanistan plusieurs millions de personnes menacées de famine. C’était déjà vrai avant les attentats ; elles survivaient grâce à l’aide internationale. Le 16 septembre, les Etats-Unis exigèrent pourtant du Pakistan l’arrêt des convois de camions qui acheminaient de la nourriture et d’autres produits de première nécessité à la population afghane. Cette décision n’a guère provoqué de réaction en Occident. Le retrait de certains personnels humanitaires a rendu l’assistance plus problématique encore. Une semaine après le début des bombardements, les Nations unies estimaient que l’approche de l’hiver rendrait impossibles les acheminements, déjà ramenés à la portion congrue par les raids de l’aviation américaine.

Quand des organisations humanitaires civiles ou religieuses et le rapporteur de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont demandé un arrêt des bombardements, cette information n’a même pas été rapportée par le New York Times ; le Boston Globe y a consacré une ligne, mais dans le corps d’un article traitant d’autre chose, la situation au Cachemire. En octobre dernier, la civilisation occidentale s’était ainsi résignée au risque de voir mourir des centaines de milliers d’Afghans. Au même moment, le chef de ladite civilisation faisait savoir qu’il ne daignerait répondre ni aux propositions afghanes de négociation sur la question de la livraison de M. Oussama Ben Laden ni à l’exigence d’une preuve permettant de fonder une éventuelle décision d’extradition. Seule serait acceptée une capitulation sans condition.

Mais revenons au 11 septembre. Nul crime, rien, ne fut plus meurtrier dans l’histoire – ou alors sur une durée plus longue. Au demeurant, les armes ont, cette fois, visé une cible inhabituelle : les Etats-Unis. L’analogie souvent évoquée avec Pearl Harbor est inappropriée. En 1941, l’armée nippone a bombardé des bases militaires dans deux colonies dont les Etats-Unis s’étaient emparés dans des conditions peu recommandables ; les Japonais ne se sont pas attaqués au territoire américain lui-même.

Depuis près de deux cents ans, nous, Américains, nous avons expulsé ou exterminé des populations indigènes, c’est-à-dire des millions de personnes, conquis la moitié du Mexique, saccagé les régions des Caraïbes et d’Amérique centrale, envahi Haïti et les Philippines – tuant 100 000 Philippins à cette occasion. Puis, après la seconde guerre mondiale, nous avons étendu notre emprise sur le monde de la manière qu’on connaît. Mais, presque toujours, c’était nous qui tuions, et le combat se déroulait en dehors de notre territoire national.

Or on le constate dès qu’on est interrogé, par exemple, sur l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et le terrorisme : les questions des journalistes sont fort différentes selon qu’ils exercent sur une rive ou l’autre de la mer d’Irlande. En général, la planète apparaît sous un autre jour selon qu’on tient depuis longtemps le fouet ou selon qu’on en a subi les coups pendant des siècles. Peut-être est-ce pour cela au fond que le reste du monde, tout en se montrant uniformément horrifié par le sort des victimes du 11 septembre, n’a pas réagi de la même manière que nous aux attentats de New York et de Washington.

Pour comprendre les événements du 11 septembre, il faut distinguer d’une part les exécutants du crime, d’autre part le réservoir de compréhension dont ce crime a bénéficié, y compris chez ceux qui s’y opposaient. Les exécutants ? En supposant qu’il s’agisse du réseau Ben Laden, nul n’en sait davantage sur la genèse de ce groupe fondamentaliste que la CIA et ses associés : ils l’ont encouragé à sa naissance. M. Zbigniew Brzezinski, directeur pour la sécurité nationale de l’administration Carter, s’est félicité du « piège » tendu aux Soviétiques dès 1978 et consistant, au moyen d’attaques des moudjahidins (organisés, armés et entraînés par la CIA) contre le régime de Kaboul, à attirer ces Soviétiques sur le territoire afghan à la fin de l’année suivante (1).

Ce n’est qu’après 1990 et l’installation de bases américaines permanentes en Arabie saoudite, sur une terre sacrée pour l’islam, que ces combattants se sont retournés contre les Etats-Unis.

APPUI À DES RÉGIMES BRUTAUX
Si l’on veut maintenant expliquer le réservoir de sympathie dont disposent les réseaux Ben Laden, y compris au sein des couches dirigeantes des pays du Sud, il faut partir de la colère que provoque le soutien des Etats-Unis à toutes sortes de régimes autoritaires ou dictatoriaux, il faut se souvenir de la politique américaine qui a détruit la société irakienne tout en consolidant le régime de M. Saddam Hussein, il faut ne pas oublier le soutien de Washington à l’occupation israélienne de territoires palestiniens depuis 1967.

Au moment où les éditoriaux du New York Times suggèrent qu’« ils » nous détestent parce que nous défendons le capitalisme, la démocratie, les droits individuels, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le Wall Street Journal, mieux informé, explique après avoir interrogé des banquiers et des cadres supérieurs non occidentaux qu’ils « nous » détestent parce que nous avons entravé la démocratie et le développement économique. Et appuyé des régimes brutaux, voire terroristes.

Dans les cercles dirigeants de l’Occident, la guerre contre le terrorisme a été présentée à l’égal d’une « lutte menée contre un cancer disséminé par des barbares ». Mais ces mots et cette priorité ne datent pas d’aujourd’hui. Il y a vingt ans, le président Ronald Reagan et son secrétaire d’Etat, M. Alexander Haig, les énonçaient déjà. Et, pour mener ce combat contre les adversaires dépravés de la civilisation, le gouvernement américain mit alors en place un réseau terroriste international d’une ampleur sans précédent. Si ce réseau entreprit des atrocités sans nombre d’un bout à l’autre de la planète, il réserva l’essentiel de ses efforts à l’Amérique latine.

Un cas, celui du Nicaragua, n’est pas discutable : il a en effet été tranché par la Cour internationale de justice de La Haye et par les Nations unies. Interrogez-vous pour savoir combien de fois ce précédent indiscutable d’une action terroriste à laquelle un Etat de droit a voulu répondre avec les moyens du droit a été évoqué par les commentateurs dominants. Il s’agissait pourtant d’un précédent encore plus extrême que les attentats du 11 septembre : la guerre de l’administration Reagan contre le Nicaragua provoqua 57 000 victimes, dont 29 000 morts, et la ruine d’un pays, peut-être de manière irréversible.

A l’époque, le Nicaragua avait réagi. Non pas en faisant exploser des bombes à Washington, mais en saisissant la Cour de justice internationale. Elle trancha, le 27 juin 1986, dans le sens des autorités de Managua, condamnant l’« emploi illégal de la force » par les Etats-Unis (qui avaient miné les ports du Nicaragua) et mandant Washington de mettre fin au crime, sans oublier de payer des dommages et intérêts importants. Les Etats-Unis répliquèrent qu’ils ne se plieraient pas au jugement et qu’ils ne reconnaîtraient plus la juridiction de la Cour.

Le Nicaragua demanda alors au Conseil de sécurité des Nations unies l’adoption d’une résolution réclamant que tous les Etats respectent le droit international. Nul n’était cité en particulier, mais chacun avait compris. Les Etats-Unis opposèrent leur veto à cette résolution. A ce jour, ils sont ainsi le seul Etat qui ait été à la fois condamné par la Cour de justice internationale et qui se soit opposé à une résolution réclamant… le respect du droit international. Puis le Nicaragua se tourna vers l’Assemblée générale des Nations unies. La résolution qu’il proposa ne rencontra que trois oppositions : les Etats-Unis, Israël et El Salvador. L’année suivante, le Nicaragua réclama le vote de la même résolution. Cette fois, seul Israël soutint la cause de l’administration Reagan. A ce stade, le Nicaragua ne disposait plus d’aucun moyen de droit. Tous avaient échoué dans un monde régi par la force. Ce précédent ne fait aucun doute. Combien de fois en avons-nous parlé à l’université, dans les journaux ?

Cette histoire révèle plusieurs choses. D’abord, que le terrorisme, cela marche. La violence aussi. Ensuite, qu’on a tort de penser que le terrorisme serait l’instrument des faibles. Comme la plupart des armes meurtrières, le terrorisme est surtout l’arme des puissants. Quand on prétend le contraire, c’est uniquement parce que les puissants contrôlent également les appareils idéologiques et culturels qui permettent que leur terreur passe pour autre chose que de la terreur.

L’un des moyens les plus courants dont ils disposent pour parvenir à un tel résultat est de faire disparaître la mémoire des événements dérangeants ; ainsi plus personne ne s’en souvient. Au demeurant, le pouvoir de la propagande et des doctrines américaines est tel qu’il s’impose y compris à ses victimes. Allez en Argentine et vous devrez rappeler ce que je viens d’évoquer : « Ah, oui, mais nous avions oublié ! »

Le Nicaragua, Haïti et le Guatemala sont les trois pays les plus pauvres d’Amérique latine. Ils comptent aussi au nombre de ceux dans lesquels les Etats-Unis sont intervenus militairement. La coïncidence n’est pas forcément accidentelle. Or tout cela eut lieu dans un climat idéologique marqué par les proclamations enthousiastes des intellectuels occidentaux. Il y a quelques années, l’autocongratulation faisait fureur : fin de l’histoire, nouvel ordre mondial, Etat de droit, ingérence humanitaire, etc. C’était monnaie courante alors même que nous laissions se commettre un chapelet de tueries. Pis, nous y contribuions de façon active. Mais qui en parlait ? L’un des exploits de la civilisation occidentale, c’est peut-être de rendre possible ce genre d’inconséquences dans une société libre. Un Etat totalitaire ne dispose pas de ce don-là.

Qu’est-ce que le terrorisme ? Dans les manuels militaires américains, on définit comme terreur l’utilisation calculée, à des fins politiques ou religieuses, de la violence, de la menace de violence, de l’intimidation, de la coercition ou de la peur. Le problème d’une telle définition, c’est qu’elle recouvre assez exactement ce que les Etats-Unis ont appelé la guerre de basse intensité, en revendiquant ce genre de pratique. D’ailleurs, en décembre 1987, quand l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution contre le terrorisme, un pays s’est abstenu, le Honduras, et deux autres s’y sont opposés, les Etats-Unis et Israël. Pourquoi l’ont-ils fait ? En raison d’un paragraphe de la résolution qui indiquait qu’il ne s’agissait pas de remettre en cause le droit des peuples à lutter contre un régime colonialiste ou contre une occupation militaire.

Or, à l’époque, l’Afrique du Sud était alliée des Etats-Unis. Outre des attaques contre ses voisins (Namibie, Angola, etc.), lesquelles ont provoqué la mort de centaines de milliers de personnes et occasionné des destructions estimées à 60 milliards de dollars, le régime d’apartheid de Pretoria affrontait à l’intérieur une force qualifiée de « terroriste », l’African National Congress (ANC). Quant à Israël, il occupait illégalement certains territoires palestiniens depuis 1967, d’autres au Liban depuis 1978, guerroyant dans le sud de ce pays contre une force qualifiée par lui et par les Etats-Unis de « terroriste », le Hezbollah. Dans les analyses habituelles du terrorisme, ce genre d’information ou de rappel n’est pas courant. Pour que les analyses et les articles de presse soient jugés respectables, il vaut mieux en effet qu’ils se situent du bon côté, c’est-à-dire celui des bras les mieux armés.

Dans les années 1990, c’est en Colombie que les pires atteintes aux droits humains ont été observées. Ce pays a été le principal destinataire de l’aide militaire américaine, à l’exception d’Israël et de l’Egypte, qui constituent des cas à part. Jusqu’en 1999, derrière ces pays, la première place revenait à la Turquie, à qui les Etats-Unis ont livré une quantité croissante d’armes depuis 1984. Pourquoi à partir de cette année-là ? Non pas que ce pays membre de l’OTAN devait faire face à l’Union soviétique, déjà en voie de désintégration à l’époque, mais afin qu’il puisse conduire la guerre terroriste qu’il venait d’entreprendre contre les Kurdes.

En 1997, l’aide militaire américaine à la Turquie a dépassé celle que ce pays avait obtenue pendant la totalité de la période 1950-1983, celle de la guerre froide. Résultats des opérations militaires : 2 à 3 millions de réfugiés, des dizaines de milliers de victimes, 350 villes et villages détruits. A mesure que la répression s’intensifiait, les Etats-Unis continuaient de fournir près de 80 % des armes employées par les militaires turcs, accélérant même le rythme de leurs livraisons. La tendance fut renversée en 1999. La terreur militaire, naturellement qualifiée de « contre-terreur » par les autorités d’Ankara, avait alors atteint ses objectifs. C’est presque toujours le cas quand la terreur est employée par ses principaux utilisateurs, les puissances en place.

Avec la Turquie, les Etats-Unis n’eurent pas affaire à une ingrate. Washington lui avait livré des F-16 pour bombarder sa propre population, Ankara les utilisa en 1999 pour bombarder la Serbie. Puis, quelques jours après le 11 septembre dernier, le premier ministre turc, M. Bülent Ecevit, faisait savoir que son pays participerait avec enthousiasme à la coalition américaine contre le réseau Ben Laden. Il expliqua à cette occasion que la Turquie avait contracté une dette de gratitude à l’égard des Etats-Unis, laquelle remontait à sa propre « guerre antiterroriste » et au soutien inégalé que Washington y avait alors apporté.

RÉDUIRE LE NIVEAU DE TERREUR
Certes, d’autres pays avaient soutenu la guerre d’Ankara contre les Kurdes, mais aucun avec autant de zèle et d’efficacité que les Etats-Unis. Ce soutien bénéficia du silence ou – le mot est peut-être plus juste – de la servilité des classes éduquées américaines. Car elles n’ignoraient pas ce qui se passait. Les Etats-Unis sont un pays libre après tout ; les rapports des organisations humanitaires sur la situation au Kurdistan appartenaient au domaine public. A l’époque, nous avons donc choisi de contribuer aux atrocités.

L’actuelle coalition contre le terrorisme comporte d’autres recrues de choix. Le Christian Science Monitor, sans doute l’un des meilleurs journaux pour ce qui concerne le traitement de l’actualité internationale, a ainsi confié que certains peuples qui n’aimaient guère les Etats-Unis commençaient à les respecter davantage, particulièrement heureux de les voir conduire une guerre contre le terrorisme. Le journaliste, pourtant spécialiste de l’Afrique, citait comme principal exemple de ce retournement le cas de l’Algérie. Il devait donc savoir que l’Algérie conduit une guerre terroriste contre son propre peuple. La Russie, qui mène une guerre terroriste en Tchétchénie, et la Chine, auteur d’atrocités contre ceux qu’elle qualifie de sécessionnistes musulmans, ont également rallié la cause américaine.

Soit, mais que faire dans la situation présente ? Un radical aussi extrémiste que le pape suggère qu’on recherche les coupables du crime du 11 septembre, puis qu’on les juge. Mais les Etats-Unis ne souhaitent pas avoir recours aux formes judiciaires normales, ils préfèrent ne présenter aucune preuve et ils s’opposent à l’existence d’une juridiction internationale. Mieux, quand Haïti réclame l’extradition de M. Emmanuel Constant, jugé responsable de la mort de milliers de personnes après le coup d’Etat qui a renversé le président Jean-Bertrand Aristide, le 30 septembre 1991, et présente des preuves de sa culpabilité, la demande n’a aucun effet à Washington. Elle n’est même pas l’objet d’un débat quelconque.

Lutter contre le terrorisme impose de réduire le niveau de la terreur, pas de l’accroître. Quand l’IRA commet un attentat à Londres, les Britanniques ne détruisent ni Boston, ville dans laquelle l’IRA compte de nombreux soutiens, ni Belfast. Ils cherchent les coupables, puis ils les jugent. Un moyen de réduire le niveau de terreur serait de cesser d’y contribuer soi-même. Puis de réfléchir aux orientations politiques qui ont créé un réservoir de soutien dont ont ensuite profité les commanditaires de l’attentat. Ces dernières semaines, la prise de conscience par l’opinion américaine de toutes sortes de réalités internationales, dont seules les élites soupçonnaient auparavant l’existence, constitue peut-être un pas dans cette direction.

© Noam Chomsky, source : www.noam-chomsky.fr


dessin cartoon 11 septembre 11 09

dessin cartoon 11 septembre 11 09

dessin cartoon 11 septembre 11 09

dessin cartoon 11 septembre 11 09

Source: http://www.les-crises.fr/11092001-terrorisme-larme-des-puissants-par-noam-chomsky/


Actu Portugal et Catalogne – 13 novembre

Friday 13 November 2015 at 03:18

Portugal : le gouvernement de droite est renversé

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10-11-2015

Le premier ministre portugais, Pedro Passos Coelho, est renversé. (Crédits : HUGO CORREIA)

Par 123 voix contre 107, la motion de censure contre le gouvernement minoritaire de Pedro Passos Coelho a été adoptée par le parlement. Le leader socialiste Antonio Costa pourrait former le prochain gouvernement avec l’appui de la gauche radicale.

Sans surprise, le 20ème gouvernement portugais depuis l’instauration de la Constitution portugaise de 1976, a été renversé par l’Assemblée de la République, le parlement du pays, après onze jours d’existence. Après plus de huit heures de débat et malgré une panne sur le vote électronique, 123 députés ont approuvé la motion de défiance déposée par le principal parti d’opposition, le PS. Il fallait 116 voix, soit la majorité absolue pour renverser le gouvernement. Les trois partis de la gauche radicale, le Bloc de Gauche (BE), le Parti communiste (PCP) et le parti écologiste (PEV) ont joint leurs voix au PS. Même le seul député du parti animaliste PAN a voté contre le gouvernement. Pour la première fois depuis la Révolution des Oeillets en 1974, la gauche portugaise a donc réussi à s’unir sur un projet gouvernemental.

Menaces à droite

Le gouvernement minoritaire de droite confirmé le 30 octobre par le président de la République Anibal Cavaco Silva, n’aura donc pas survécu à l’alliance des partis de gauche pour changer de politique. Les menaces du premier ministre sortant n’y auront rien changé. Il aura pourtant mis en garde contre la remontée des taux d’intérêt. Le titre à 10 ans portugais est passé de 2,31 % le 4 octobre, jour des élections législatives, à 2,84 % ce mardi 10 novembre. Les marchés s’interrogent en effet sur la stabilité et les intentions du prochain gouvernement de gauche, ainsi que sur la réaction de l’Europe.

Accord à gauche

Mais ces menaces n’ont eu aucune prise sur les députés de gauche, qui étaient décidés à renverser le gouvernement après leur accord difficile trouvé ce week-end. Les partis de gauche se sont mis d’accord sur un programme minimum qui prévoit notamment de rééquilibrer les efforts fiscaux, de relever le salaire minimum et de terminer le gel des pensions. Mais le PS s’est engagé également à respecter le cadre budgétaire européen. Antonio Costa, qui pourrait être, en tant que leader du PS, le chef du prochain gouvernement, a promis que la gauche resterait « plurielle », mais il a aussi promis la stabilité. Normalement, le prochain gouvernement sera un gouvernement socialiste soutenu de l’extérieur par la gauche radicale.

Le choix du président

La balle revient désormais dans le camp du président de la République Anibal Cavaco Silva qui, le 30 octobre, avait refusé d’écouter Antonio Costa qui lui jurait qu’un accord était possible à gauche. Cet accord existe désormais et on voit mal comment il pourrait refuser de nommer le leader du PS au poste de chef du gouvernement. Mais Anibal Cavaco Silva avait, le 30 octobre, justifié son choix par un risque sur les « engagements internationaux » du Portugal, notamment sa participation à la zone euro. Le PCP est ouvertement hostile à l’euro et le BE très dubitatif. Sa marge de manœuvre est cependant très limitée dans la mesure où le parlement ne peut être dissout dans les six mois qui suivent et précèdent l’élection présidentielle prévue en janvier. Antonio Costa pourrait donc devenir premier ministre du 21ème gouvernement constitutionnel du Portugal bientôt.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10-11-2015

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Chute du gouvernement au Portugal : risque du scénario grec

Source : Jacques Sapir, RT Français, 10-11-2015

Le Premier ministre portugais Pedro Passos Coelho pendant les débats au Parlement

 

Le gouvernement pro-austérité au Portugal devrait tomber sous la pression de la gauche, majoritaire au Parlement. En quoi cette situation rappelle-t-elle le scénario grec ? L’économiste Jacques Sapir s’explique pour RT France.

RT France : Qu’est-ce que la chute du gouvernement au Portugal pourrait changer pour le pays ?

Jacques Sapir : La chute du gouvernement du centre-droit était prévisible parce que le centre droit n’a plus de majorité au Parlement. Cette chute va entraîner une constitution du gouvernement de gauche qui va normalement commencer immédiatement le processus de renégociation sur sa dette. Il est clair que ce gouvernement de centre-gauche va se heurter aux institutions européennes et on voit qu’il y a désormais le risque d’un scénario à la grecque se produise au Portugal.

RT France : Est-ce que le nouveau gouvernement portugais pourrait faire face à l’UE et insister sur sa politique anti-austérité ?

Jacques Sapir : A l’évidence il y a un très gros problème dans la mesure où une partie du parti de gauche n’est pas en réalité disposé à aller jusqu’à une rupture avec les institutions européennes. Donc on ne peut pas exclure qu’il y ait aussi dans ce scénario à la grecque la même issue et que le gouvernement portugais finisse par capituler devant les exigences de l’Europe. Il faut comprendre que cette capitulation prendra un certain temps et de toutes les manières on voit en Grèce aujourd’hui que cette capitulation n’a rien réglé. Aujourd’hui, il y a à nouveau des problèmes importants entre le gouvernement grec et les institutions européennes, car ces dernières demandent au gouvernement de mettre en place des réformes que le gouvernement grec n’est simplement pas capable de réaliser. On comprend bien qu’il y a là un problème politique important, que ce problème politique venant s’ajouter au problème politique grec, puis au problème politique potentiel de l’Espagne et aux problèmes de la Grande Bretagne qui va tenir en 2016 un référendum sur son appartenance au sein de l’UE. L’ensemble de ces problèmes politiques créent un contexte très défavorable tant pour la zone euro que pour l’Union européenne.

RT France : Quelles similitudes pouvez-vous évoquer entre la situation en Grèce et au Portugal ?

Jacques Sapir : La principale ressemblance c’est que le Portugal comme la Grèce est un pays qui a terriblement souffert des politiques d’austérité qui ont été imposées au nom de l’euro par les institutions européennes. Mais les problèmes politiques ou sociaux qui sont soulevés au Portugal ne sont pas différents aux problèmes grecs. La seule véritable différence, c’est que la situation portugaise est peut-être non-désespérée, à la différence de la situation grecque. En effet, la dette portugaise reste sensiblement inférieure à celle de la Grèce. Mais si on regarde la situation politique, économique et sociale dans le pays, il est clair qu’on est en présence de cas de figure qui sont très similaires.

RT France : Le changement du gouvernement au Portugal peut-il changer quelque chose au niveau européen ? Est-ce que le pays peut sortir de la zone euro ?

Jacques Sapir : Ce n’est pas la possibilité la plus probable. Cependant, c’est toujours une possibilité ouverte dans la mesure où le pays rentre en conflit avec la Commission européenne et l’Eurogroupe. A partir de ce moment-là, il est clair que l’Eurogroupe refera le chantage qu’il a fait vis-à-vis de la Grèce jusqu’à la possible sortie de la zone euro. Même si les partis portugais ne souhaitent pas – ils l’ont dit – la sortie de la zone euro, on ne peut pas exclure néanmoins qu’il y ait une accumulation à la fois des maladresses et des conflits des deux côtés, on ne peut pas exclure qu’on aboutisse à la sortie de la zone euro. De toutes les manières, si on a cette situation de conflit entre le gouvernement portugais et l’Eurogroupe, il est évident qu’il y aura des conséquences importantes sur l’Espagne parce qu’on voit bien aujourd’hui que l’économie portugaise est largement intégrée dans l’économie espagnole et sauf s’il y a des troubles importants sur l’économie portugaise, cela aura nécessairement des conséquences sur l’économie espagnole.

RT France : Avec les déclarations du Premier ministre britannique David Cameron sur le référendum concernant sa sortie de l’UE, les crises que traverse l’UE avec la Grèce et le Portugal, est-ce que l’Union se trouve toujours dans une position de force ou risque-t-elle d’être déstabilisée ?

Jacques Sapir : La situation dans l’UE s’apparente en fait à la situation d’un bâtiment affecté par toute une série de petits tremblements de terre. Aucun de ces tremblements ne prend une allure catastrophique mais chacun de ces tremblements – la crise grecque, la crise portugaise, la possibilité d’une crise espagnole et l’éventuelle sortie de la Grande-Bretagne de l’UE – chacun de ces événements affaiblit un peu plus sa structure. Par ailleurs, on voit très bien qu’aujourd’hui l’UE n’est pas capable de gérer la question des migrants et des réfugiés, cela a aussi des conséquences sur la structure même de l’Union. On voit bien qu’il n’y a pas une crise qui pourrait emporter l’Union européenne, mais c’est bien l’addition globale de ces crises qui risque de provoquer une crise terminale ou une implosion de l’UE.

Source : Jacques Sapir, RT Français, 10-11-2015

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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Catalogne : le processus de sécession freiné par l’absence de gouvernement

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10-11-2015

Artur Mas n’a pas obtenu sa reconduction par le parlement catalan. (Crédits : © Susana Vera / Reuters)

Le président de la Catalogne, Artur Mas, n’a pas été réélu par le parlement, faute de soutien de la gauche radicale sécessionniste de la CUP. Cette désunion bloque le processus indépendantiste pour le moment.

Le président de la Generalitat, Artur Mas, n’a pas réussi son pari. Après près de neuf heures de débat parlementaire, où il s’est défendu des accusations de corruption et où il a tenté de se présenter comme la garantie de la poursuite du processus indépendantiste, le chef de l’exécutif catalan n’a pas obtenu les 68 sièges de la majorité absolue des sièges pour être réélu. Seuls les 62 députés de la liste indépendantistes Junts Pel Sí dont il était le candidat ont voté pour lui. L’autre parti favorable à la sécession avec l’Espagne, la gauche radicale de la CUP, qui dispose de 10 sièges, a refusé de voter en faveur la candidature d’Artur Mas qui, pour elle, représente un politicien responsable de l’austérité et corrompu. « Artur Mas n’a pas expliqué hier ce que demande le pays : soulever les tapis qui couvre la corruption », a justifié le leader la CUP, Antonio Baños qui a poursuivi : « je vote non parce qu’un homme doit se sacrifier pour le peuple. » La Catalogne n’a donc pas de gouvernement.

Processus indépendantiste déjà au point mort

Au lendemain du vote par Junts Pel Sí et la CUP de la déclaration qui enjoignait le futur gouvernement catalan d’engager un processus de « déconnexion » avec l’Espagne, le parlement catalan a donc été incapable de désigner un chef de gouvernement. Dès lors, bien davantage que toute action du gouvernement espagnol, c’est bien cette incapacité des indépendantistes à se mettre d’accord qui rend la déclaration du 9 novembre inopérante. Ce mardi 10 novembre, le processus de séparation avec l’Espagne est bel et bien au point mort. Le gouvernement d’Artur Mas n’est qu’un gouvernement intérimaire, il doit gérer les affaires courantes. Comment pourrait-il engager, sans l’appui du parlement, la feuille de route tracée par la déclaration votée lundi ?

Les compromis de Junts Pel Sí

A qui la faute de ce blocage ? Difficile à dire. Junts Pel Sí a toujours été clair sur la candidature d’Artur Mas et défend celle-ci au nom d’un certain poids international du personnage. Le groupe a fait beaucoup de concessions à la CUP en donnant une couleur très « sociale » à la déclaration commune votée le 9 novembre en donnant la priorité à la sécurité énergétique et au logement pour les familles les plus fragiles. Histoire de s’assurer qu’un nouveau gouvernement Mas ne sera pas un gouvernement « de droite. »

Les arguments d’Artur Mas…

Mais cet attachement au président sortant de Junts Pel Sí manque aussi de prendre en compte une nouvelle réalité politique de la Catalogne : l’indépendantisme a pris un tournant nettement à gauche le 27 septembre avec la poussée de la CUP. Conséquence : dans le spectre politique indépendantiste, Artur Mas est assez marginalisé par son positionnement centriste. Ceci est d’autant plus problématique qu’une candidature moins « marquée » aurait permis de ramener dans le camp sécessionniste une partie de la liste de gauche Catalunya Sí Que Es Pot (CSQEP) qui rassemble les Communistes, les Verts et Podemos.

… et leurs faiblesses

Lors du débat de ce mardi, le leader de CSQEP au parlement, Lluis Rabell, pourtant un de ceux qui avait défendu le « oui » à l’indépendance lors de la consultation du 9 novembre, a eu beau jeu d’insister sur le positionnement à droite d’Artur Mas, sur son opinion favorable au traité de libre-échange transatlantique ou sur ses coupes budgétaires, pour justifier le refus de voter pour lui. Pourtant, CSQEP est une liste fragile où le vote unanime des députés contre la déclaration de lundi n’y a été obtenu qu’en faisant pression sur un député et ne fait pas l’unanimité. Bref, disposer d’un autre candidat pouvait ouvrir des possibilités nouvelles au camp indépendantiste en élargissant sa base et en désamorçant l’argument de la majorité relative des voix.

Les arguments de la CUP…

Du côté de la CUP, l’intransigeance envers la candidature d’Artur Mas se justifie par sa volonté de créer, avec un Etat nouveau, une société nouvelle, plus sociale et moins corrompue. Comment la construire avec un président entouré par les affaires de corruption et, qui, partant, donne, comme ce mardi, des arguments rêvés, aux unionistes et particulièrement au Parti des Citoyens (« Ciudananos ») qui entend « régénérer » l’Espagne et accuse Artur Mas de chercher à échapper à la justice par l’indépendance ? La CUP avait, du reste proposé de voter pour un candidat de compromis, même issu de la CDC. Et Antonio Baños n’a pas fermé la porte mardi en insistant sur l’existence d’une « majorité indépendantiste » et il a refusé toute confrontation avec Junts Pel Sí.

… et leurs faiblesses

 Mais il est certain que la CUP, en refusant de donner son vote au leader du parti le plus puissant du parlement, bloque un processus qu’elle a défendu pendant la campagne avec ferveur, celui de l’indépendance, pour des raisons personnelles. Elle pourrait poser des exigences programmatique (elle l’a fait) pour accepter de voter Artur Mas, mais ce refus ressemble davantage à une obsession qu’à un prise en compte de la réalité. Le processus vers l’indépendance doit durer 18 mois. Pendant ces 18 mois, Artur Mas sera dépendant du vote de la CUP. Et cette dernière est si peu sensible à la « couleur » politique du président de la Generalitat, qu’elle a accepté de voter pour une autre personnalité de la CDC, le parti centriste d’Artur Mas. Si la CUP est prêt à voter pour un candidat d’un parti tâché par les accusations de corruption, pourquoi centrer la critique sur Artur Mas ?

D’autant que ce dernier s’est beaucoup « social-démocratisé » avec son alliance avec la gauche républicaine d’ERC. La vieille CDC n’est plus que l’ombre d’elle-même. Mardi au parlement, Artur Mas a beaucoup critiqué les coupes budgétaires de Mariano Rajoy et il s’est présenté comme le défenseur des investissements dans les infrastructures et de la santé publique.

Le calcul risqué d’Artur Mas

Désormais, les deux partis disposent de deux mois pour se mettre d’accord. Si le 10 janvier prochain, aucun président de la Generalitat n’est élu, le parlement catalan sera dissout automatiquement et les Catalans seront rappelés aux urnes en mars. Et beaucoup à Junts Pel Sí commence à considérer que ce scénario est inévitable. Artur Mas pourrait alors tabler sur un affaiblissement de la CUP, jugée responsable de l’enlisement, pour assurer à Junts Pel Sí la majorité absolue qui lui a manqué le 27 septembre. C’est un calcul fort risqué, car cette incapacité à s’entendre risque d’affaiblir l’ensemble du camp indépendantiste en montrant que les partis sécessionnistes sont incapables de s’entendre sur des questions simples. Ce serait aussi prendre le risque de voir la puissance montante du parti des Citoyens se renforcer et bloquer la majorité à Junts Pel Sí.

Mariano Rajoy, en position de force

Celui qui, sans doute, se réjouit le plus de ce blocage est le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy. Ce dernier peut montrer aux Espagnols son engagement pour l’unité du pays, en lançant la plainte contre la déclaration catalane au Tribunal Constitutionnel (TC). Ce mardi 10 novembre, le Conseil d’Etat espagnol a approuvé cette plainte, qui devrait être déposée mercredi, en estimant que le texte votée par le parlement de Barcelone contrevenait à trois articles de la Constitution espagnole. Le TC devrait censurer cette déclaration, mais Madrid n’a rien d’autres à faire puisque, faute de gouvernement, cette déclaration reste lettre morte. Là aussi, Mariano Rajoy peut attendre mars et faire campagne alors sur le « chaos » indépendantiste pour empêcher toute majorité sécessionniste et annuler par les urnes le vote du 9 novembre.

La proposition de la CUP

Les indépendantistes en sont conscients. Antonio Baños, de la CUP, a proposé une réunion des 72 députés indépendantistes dans une assemblée qui voterait à bulletin secret sur un candidat commun. Artur Mas a accepté. Reste à savoir si la CUP se soumettra à ce vote sans rechigner. Si c’est le cas, le processus indépendantiste pourrait rapidement reprendre du rythme…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10-11-2015

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Le Tribunal constitutionnel espagnol défie le parlement catalan

Source : La Tribune, Romaric Godin, 12-11-2015

Le Tribunal Constitutionnel espagnol a suspendu la décision du parlement catalan (Crédits : JUAN MEDINA)

La haute juridiction espagnole suspend la déclaration du parlement catalan qui lançait le processus d’indépendance. Et 21 personnes seront mises en demeure d’appliquer cette décision. Mais le gouvernement catalan a déjà annoncé qu’elle poursuivrait la “déconnexion”.

Le Tribunal Constitutionnel espagnol (TC) n’a pas tardé. Vingt-quatre heures après la transmission par le gouvernement de son recours contre la motion du parlement catalan voté lundi 9 novembre et demandant le début d’un processus de sécession vis-à-vis de l’Espagne, le TC a suspendu cette déclaration, à l’unanimité.

Il n’y avait là aucune surprise, car cette motion était évidemment en infraction avec plusieurs articles de la constitution espagnole. Du reste, c’était même son but principal : sortir du dialogue de sourds juridique avec Madrid pour discuter réellement de la question de l’indépendance.

La déclaration indépendantiste contre la décision du TC

Ce but est loin d’être atteint. D’autant que le TC a ajouté que sa décision sera notifiée personnellement à 21 personnes – les membres du bureau du parlement catalan et du gouvernement catalan – et d’avertir ces dernières que, si elles cherchent « par quelque moyen que ce soit d’ignorer ou d’éluder » cette décision, elles s’exposent « à la suspension de leurs charges et à d’éventuelles poursuites, y compris pénales ».

Bref, c’est un défi à la majorité parlementaire catalane qui est mise en demeure par le TC et, partant par le gouvernement espagnol, qui sera chargé d’appliquer la décision du TC, d’appliquer ou non le point 6 de la déclaration votée lundi, laquelle proclamait que « les décisions du parlement catalan prendraient le pas sur les décisions des institutions de l’Etat espagnol, en particulier le TC. »

C’est le point où en est la situation. Le TC a, conformément à l’article 161 de la Constitution espagnole, rendue caduque le lancement du processus de « déconnexion » lancé par le parlement catalan. Si le gouvernement catalan s’estime encore lié par cette déclaration en application de son point 6, l’épreuve de force entre Madrid et Barcelone sera lancée, car, désormais, l’exécutif catalan sera en état de désobéissance vis-à-vis de la Constitution espagnole. Le gouvernement espagnol sera alors chargé de faire appliquer la décision du TC. Il pourra se contenter de faire appliquer les sanctions envers les 21 personnes mises en demeure par le TC, ou, plus globalement de lancer le fameux article 155 et de suspendre l’autonomie catalane et ses institutions.

Un TC qui laisse une chance à la Catalogne ?

On notera cependant, comme le souligne le quotidien madrilène “El Pais”, que le TC s’est voulu plus modéré que le gouvernement qui, dans son recours, demandait une suspension immédiate des responsables catalans. En clair, le TC laisse une chance à l’exécutif catalan d’abandonner le projet de sécession, autrement dit d’abandonner le principal point de son programme électoral.

C’est un peu comme si le TC avait déclaré : «Tirez les premiers, messieurs les Catalans.» Comme souvent dans ce genre de situation, on cherche souvent à faire porter la faute au premier qui franchit la ligne rouge. Une suspension immédiate aurait été vue comme une provocation par les Catalans. Le TC préfère que ces derniers « désobéissent » pour que le gouvernement madrilène se retrouve en position de devoir se « défendre »…

Barcelone décidée à désobéir

En attendant, la Generalitat, le gouvernement catalan, a d’ores et déjà annoncé qu’elle n’appliquerait pas la décision du TC et que le « processus » se poursuivra.

« La volonté politique est d’appliquer le mandat du parlement et la résolution approuvée lundi », a indiqué Neus Munté, vice-présidente du gouvernement catalan.

C’est une déclaration importante, parce qu’elle nie la légitimité du TC sur l’action d’un gouvernement catalan jusqu’ici soucieux de légalité.

 La Generalitat affirme ainsi qu’elle se considère liée par l’article 6 de la déclaration du parlement et nullement par le TC. La désobéissance a donc commencé. Ceci est conforme au programme des partis indépendantistes qui avaient annoncé leur volonté de placer leur légitimité démocratique au-dessus de la légalité espagnole.

Trouver un gouvernement en Catalogne reste difficile

Mais pour que chacun soit en ordre de bataille, il manque encore une pièce importante : un gouvernement catalan légitime. Artur Mas n’a pas été élu mardi par le parlement catalan en raison du refus de la gauche radicale indépendantiste, la CUP, de voter en sa faveur. Il a encore échoué jeudi 12 novembre.

Mercredi 11 novembre, des discussions se sont tenues au Palau de la Generalitat, le siège barcelonais du parlement catalan, entre Artur Mas et la CUP. Le président sortant a proposé de disposer de moins de pouvoir en tant que président en s’adjoignant trois vice-présidents de trois secteurs différents de la liste indépendantiste Junts Pel Sí : Neus Munté, centriste comme Artur Mas mais appréciée à la CUP, Oriol Junqueras, leader de la gauche républicaine, et Raul Romeva, tête de liste de Junts Pel Sí et figure de la gauche catalane. Il a aussi proposé de soumettre son gouvernement à une motion de confiance en juillet 2016 pour confirmer la poursuite du processus.

Mais rien n’y fait. Malgré des dissensions internes, la CUP a annoncé jeudi qu’elle ne votera toujours pas en faveur d’Artur Mas. “Un non qui ne ferme pas la porte“, a indiqué le leader du parti, Antonio Baños. La décision du TC et l’injonction envoyée à 21 personnalités dont Artur Mas, pourrait changer la donne. Mais il faudra sans doute encore beaucoup de concessions de la part du président sortant.

Le choc se prépare, tandis que l’Europe change de trottoir

Si Artur Mas est finalement élu, le nouveau gouvernement, appuyé par la majorité indépendantiste, pourra appliquer la désobéissance prévue par la déclaration de lundi. Tout sera alors mis en place pour le choc entre Madrid et Barcelone.

Quand ce choc se produira-t-il? Madrid attendra-t-elle un acte concret de la Generalitat ? C’est probable. Quelle forme prendra alors la réponse espagnole ? La prise de contrôle de la police catalane est-elle possible et souhaitable ou provoquera-t-elle l’escalade ?

La situation se tend singulièrement en Catalogne, alors que, plus que jamais, les regards européens s’en détournent.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 12-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/actu-portugal-et-catalogne-13-11/