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Les racines du racisme aux États-Unis par Noam Chomsky

Thursday 12 November 2015 at 00:01

Source : George Yancy, Le grand soir, 20-08-2015

Noam CHOMSKY

J’ai réalisé une série d’interviews sur la thème de la race pour la revue The Stone. Je réalise cette huitième interview avec Noam Chomsky, linguiste, philosophe de la politique, et l’un des plus célèbres intellectuels au monde. Il a écrit de nombreux ouvrages, comme récemment, avec André Vltchek, « L’Occident terroriste – d’Hiroshima à la Guerre des drones ».

George Yancy

George Yancy : Lorsque je vois le titre de votre livre « L’Occident terroriste », me vient à l’esprit le fait que beaucoup de noirs aux États-Unis ont été pendant fort longtemps terrorisés par le racisme blanc. Cela va de la violence arbitraire jusqu’au lynchage de plus 3000 noirs (dont un certain nombre de femmes) dans la période qui va de 1882 à 1968. Du coup en 2003, lorsque des actes inhumains ont été commis dans la prison d’Abou Ghraib, je n’avais pas été surpris. Je me souviens que lorsque les photos sont apparues le président George W. Bush avait dit : « Cela ne représente pas les États-Unis que je connais ». Mais est-ce que ce ne sont pas les États-Unis que les noirs ont toujours connus ?

Noam Chomsky : Les États-Unis que les noirs ont toujours connus ne sont pas très jolis. Les premiers esclaves noirs ont été amenés aux colonies il y a 400 ans. Nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier que pendant cette longue période les Afro-Américains, en dehors de quelques exceptions, n’ont eu que quelques décennies pour intégrer pleinement la société états-unienne.

Nous ne pouvons pas non plus nous permettre d’oublier que les abominables camps de travail esclavagistes du nouvel « Empire de la liberté » étaient une source de richesse essentielle pour la société américaine, avec ses privilèges, mais aussi pour l’Angleterre et le continent. La révolution industrielle avait comme ressource principale le coton, lequel était pour une bonne part produit dans les camps de travail esclavagistes des États-Unis.

Comme on le sait maintenant, ces derniers étaient très rentables. La productivité augmentait encore plus vite que dans l’industrie, grâce à la technologie du fouet et pistolet, l’efficace pratique de la torture, comme l’a montré Edward E. Baptist dans sa récente étude « The Half Has Never Been Told ». Le résultat ce n’est pas seulement la grande richesse accumulée par l’aristocratie des planteurs, mais ce sont aussi les manufactures états-uniennes et britanniques, le commerce, et les institutions du capitalisme d’État moderne.

Il est bien connu, il devrait être bien connu, que les États-Unis se sont développés en rejetant radicalement les principes d’ « économie saine » que prônaient les grands économistes à l’époque. Les derniers venus dans la course au développement connaissent bien ces principes aujourd’hui. Par contre les colonies américaines dès leur libération ont suivi le modèle de l’Angleterre : l’État intervint puissamment dans l’économie, notamment avec de hauts tarifs douaniers pour protéger l’industrie naissante, surtout le textile, puis plus tard pour l’acier, puis ensuite pour le reste de la même façon.

Il y avait aussi un « tarif virtuel ». En 1807 le président Jefferson a signé une loi interdisant l’importation d’esclaves. La Virginie, l’État de Jefferson, était le plus riche et le plus puissant des États. Cet État avait suffisamment d’esclaves. En fait, il commençait à produire cette précieuse marchandise pour les territoires esclavagistes en expansion au sud. Interdire l’importation de ces machines à récolter le coton représentait donc un avantage considérable pour l’économie de la Virginie. On le comprenait bien. Parlant au nom des importateurs d’esclaves, Charles Pinckney signalait : « La Virginie tire avantage de l’arrêt de l’importation. Ses esclaves prendront de la valeur, et elle en a plus que de besoin ». C’est comme ça que la Virginie est en effet devenue un grand exportateur d’esclaves vers la société esclavagiste en expansion.

Certains des propriétaires d’esclaves, comme Jefferson, mesuraient la grave entorse à la morale sur laquelle l’économie était alors basée. Jefferson redoutait la libération des esclaves, parce qu’ils avaient « 10 000 souvenirs » des crimes subis. La crainte que les victimes puissent se soulever et prendre leur revanche est fortement ancrée dans la culture états-unienne, et ce jusqu’à nos jours.

Le treizième amendement a formellement mis fin à l’esclavagisme, mais une décennie plus tard« l’esclavage sous un autre nom » est apparu. (« L’Esclavage sous un autre nom », « Slavery by Another Name », est le titre d’un livre important aussi, écrit par Douglas A. Blackmon [et dont est tiré un documentaire de 2012, ndt]).

La vie des noirs a été criminalisée par des codes excessivement répressifs qui les visaient particulièrement. Alors une forme d’esclavage encore plus rentable était disponible pour l’agrobusiness, les mines, l’acier – plus précieuses parce que l’État, et non plus les capitalistes, était responsable de maintien de la force de travail réduite en esclavage. Cela signifiait que les noirs étaient arrêtés sans raison valable, les prisonniers étaient mis au travail pour les intérêts du business. Ce système a offert une contribution majeure pour le rapide développement industriel de la fin du XIXème siècle.

Ce système est demeuré sans guère de changement jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. L’industrie de guerre a alors eu besoin de travailleurs libres. Nous avons eu ensuite quelques décennies de développement rapide, et relativement égalitaire, l’État jouant un rôle encore plus important qu’auparavant. Un homme noir pouvait obtenir un travail décent dans un industrie où il existaient des syndicats, acheter une maison ; il pouvait envoyer ses enfants faire des études supérieures, et quelques autres types d’opportunités nouvelles. Le mouvement des droits civils a apporté encore de nouvelles ouvertures, mais avec des limitations. Dans sa lutte contre le racisme du nord Martin Luther King a échoué, il n’a pas non plus pu développer un mouvement des pauvres.

La réaction néolibérale, commencée à la fin des années 1970, accentuée à partir de Reagan, a frappé les plus pauvres et les plus opprimés dans la société. Les grandes majorités ont aussi été touchées, elles ont subi une stagnation relative, voire un recul, cependant que la richesse se concentrait entre quelques mains. La lutte de Reagan contre la drogue, profondément raciste dans sa conception et dans son exécution, a donné un nouveau phénomène Jim Crow, expression de Michelle Alexander pour dépeindre la criminalisation de la vie sociale afro-américaine. C’est une évidence si on regarde les taux d’incarcération et leur impact dévastateur sur la société noire.

La réalité est bien sûr complexe, on ne peut pas présenter les choses trop simplement. Mais c’est malheureusement une première approche tout à fait juste de l’un des deux crimes fondateurs de la société états-unienne – l’autre étant l’extermination des nations indigènes et la destruction de leurs civilisations riches et sophistiquées.

George Yancy : Même si Jefferson avait saisi les turpitudes morales sur lesquelles l’esclavage était basé, dans ses « Notes sur l’État de Virginie », il dit que les noirs sont limités en terme d’imagination, et inférieurs aux blancs en terme de raisonnement. Il ajoute que les orangs-outans préfèrent les femmes noires que leurs propres femelles. Ces mythes, ainsi que les codes noirs postérieurs à la guerre de sécession, ont eu pour fonction de poursuivre l’oppression et le contrôle des noirs. Quels sont d’après vous les mythes et codes contemporains employés pour maintenir l’oppression et le contrôle des noirs aujourd’hui ?

Noam Chomsky : Hélas Jefferson était loin d’être isolé. Inutile de reparler du répugnant racisme qui existait dans des cercles éclairés jusqu’à tout récemment. Pour ce qu’il en est des « mythes et codes contemporains », je m’en remettrai aux voix, nombreuses et éloquentes, qui observent et font l’expérience de cet amer résidu d’un passé honteux.

Le mythe le plus écœurant c’est peut-être que rien de tout cela n’est arrivé. Le titre du livre d’Edward E. Baptist n’est on ne peut plus pertinent – les conséquences de tout cela sont peu connues, peu comprises.

Il existe aussi une variante assez courante de ce qui a été parfois appelé « l’ignorance volontaire » de ce qu’il n’est pas convenable de savoir : « Oui dans le passé de mauvaises choses sont arrivées, mais laissons tout cela derrière nous, et marchons vers un glorieux futur, partageant l’égalité des droits et des opportunités pour tous les citoyens ». Les choquantes statistiques quant à la vie des Afro-américains peuvent être comparées à d’autres résidus amers d’un passé honteux, des lamentations à propos de l’infériorité culturelle des noirs, ou pire, en oubliant comment nos richesses et nos privilèges sont dus dans une bonne mesure à des siècles de torture et de dégradation. Nous en sommes les bénéficiaires, alors qu’ils restent victimes. Ainsi de la compensation qui conviendrait, très partielle et désespérément inadéquate, elle reste entre le trou de la mémoire et l’anathème.

Jefferson, c’est à son crédit, au moins reconnaissait que l’esclavage, dans lequel il était impliqué, constituait « d’une part le despotisme le plus implacable, et d’autre part la soumission la plus dégradante ». Au Memorial Jefferson à Washington on peut lire ses mots : « Je frémis pour mon pays quand je pense que Dieu est juste et que sa justice ne peut pas dormir pour toujours ». Ces mots, nous devrions les garder à l’esprit, tout comme les réflexions de John Quincy Adams concernant le crime fondateur, et qui a duré des siècles, le sort de « cette malheureuse race des indigènes américains, exterminés de façon si impitoyable et avec une cruauté si perfide… parmi d’autres pêchés de ce pays, pour lesquels je crois que Dieu nous appliquera son jugement un jour ». Ce qui compte c’est notre jugement.

Tout cela a été effacé depuis si longtemps. On préfère en général éviter d’y penser.

George Yancy : Cette « ignorance volontaire » des vérités qui dérangent concernant la souffrance des Afro-américains peut également être employée pour parler du génocide des indigènes américains. C’est le taxonomiste suédois Carl von Linné au 18ème siècle qui a considéré que les indigènes américains étaient porteurs de certains traits, ils étaient ainsi « enclins à la colère », un mythe bien utile qui justifie le besoin pour les indigènes américains d’être « civilisés » par les blancs. Dans ce cas ce sont aussi des mythes. Comment l’ « amnésie » des États-Unis a contribué à des formes de racisme orientées seulement contre les indigènes américains à l’époque actuelle, et pour la poursuite de leur génocide ?

Noam Chomsky : Ce mythe si commode existait bien avant, et il est encore présent de nos jours. L’un des premiers mythes a été formellement créé juste après la Charte donnée à la colonie de la baie du Massachusetts par le roi d’Angleterre en 1629. Cette Charte stipulait que la conversion des Indiens au christianisme « est la fin principale de cette plantation ». Les colons ont aussitôt élaboré le Seau de la colonie, sur lequel on voit un Indien avec une lance pointée vers le bas en signe de paix, avec une parole qui émane de sa bouche sollicitant les colons : « Venez et aidez-nous ». C’est peut-être le premier cas d’ « intervention humanitaire » – et, curieusement, elle s’est achevée comme beaucoup d’autres.

Des années plus tard, Joseph Story, juge à la cour suprême méditait sur « la sagesse de la Providence » qui a fait disparaître les indigènes comme « des feuilles fanées à l’automne » alors que les colons les avaient « constamment respectés ». Inutile de dire, les colons qui n’avaient pas choisi de pratiquer l’ « ignorance volontaire » étaient beaucoup mieux renseignés. Et les plus informés, comme le général Henry Knox, le premier secrétaire à la Guerre des États-Unis, décrivait « l’extirpation totale de tous les Indiens dans les parties les plus peuplées de l’Union [par des moyens] plus destructifs pour les indigènes que les actes des conquistadors au Mexique et au Pérou ».

Know signalait ensuite qu’ « un historien, dans le futur, pourrait dépeindre sombrement cette destruction de la race humaine ». Peu d’historiens l’ont fait, très peu. C’est le cas de l’héroïque Helen Jackson, qui en 1880 a raconté de façon détaillée cette « triste expérience de confiance trahie, de traités violés et d’actes violents et inhumains qui fera rougir de honte ceux qui aiment ce pays ». Le livre de Jackson, si important, ne s’est guère vendu. On ne l’a guère prise en compte, ou bien on la contredisais. On préférait la version de Theodore Roosevelt, expliquant que « l’expansion des personnes de sang blanc, ou européen, durant les quatre derniers siècles… a apporté des bénéfices durables pour la plupart des gens qui habitaient là où l’expansion s’est produite », particulièrement pour ceux qui ont été extirpés ou expulsés, déclassés, miséreux.

Le poète national, Walt Whitman, illustre bien la perception générale lorsqu’il écrit : « Le nègre [« nigger »] comme l’Indien [« injun »] sera éliminé ; c’est la loi des races, de l’histoire… Des rats supérieurs arrivent, alors les rats inférieurs sont éliminés ». Ce n’est qu’en 1960 que l’ampleur de ces atrocités et leur description commencent à pénétrer l’université et, dans une certaine mesure, la conscience populaire, mais il reste encore fort à faire.

Ce n’est qu’un petit exemple de l’horrible histoire de l’anglosphère et de son impérialisme type colonie de peuplement, un type d’impérialisme qui mène assez naturellement à l’ « extirpation totale » de la population indigène – et à l’ « ignorance volontaire » de la part des bénéficiaires de ces crimes.

George Yancy : Votre réponse soulève la question de la colonisation comme forme d’occupation. James Baldwin dans son essai de 1966 « Reportage en territoire occupé » écrit : « Harlem est quadrillé par la police comme un territoire occupé ». Cette phrase me fait penser à Ferguson (Missouri). Certains des protestataires à Ferguson ont même fait la comparaison avec la bande de Gaza. Que pensez-vous de cette comparaison des occupations ?

Noam Chomsky : Toutes les comparaisons sont possibles. Lorsque je suis allé à Gaza il y a quelques années, ce qui m’est très vite revenu à l’esprit c’est mon expérience de la prison (pour désobéissance civile souvent) : la sensation, très étrange pour des gens ayant eu des vies privilégiées, d’être totalement sous le contrôle d’une autorité externe, arbitraire et, si tel est son souhait, cruelle. Mais les différences entre les deux cas sont, bien entendu, énormes.

D’une façon plus générale je suis assez sceptique quant à la valeur des comparaisons du genre que vous mentionnez. Il y aura bien sûr des points communs à beaucoup de cas d’autorité illégitime, de répression, de violence. Parfois elles éclairent, comme lorsque Michelle Alexander fait une analogie avec Jim Crow, dont je parlais plus haut. Parfois elles peuvent faire disparaître des différences importantes. Je ne vois franchement rien de plus à dire d’intéressant. Chaque comparaison doit être évaluée au cas par cas.

George Yancy : Ces différences sont grandes, je ne veux certainement pas toutes les citer. Dans l’après-11 septembre se crée une ambiance propice aux comparaisons. Certains pensent que les musulmans d’origine arabe ont pris aux Afro-américains leur place de paria aux États-Unis. Qu’en pensez-vous ?

Noam Chomsky : Le racisme anti-arabe et anti-musulman a une longue histoire, et il existe pas mal d’écrits à ce propos. Les études de Jack Shaheen sur les stéréotypes dans les médias télévisuels, par exemple. Et il ne fait aucun doute que c’est en augmentation ces dernières années. Rien que pour donner une exemple saisissant : l’un des films qui bat actuellement des records de spectateurs est décrit dans la section Art du New York Times de cette façon : « un film patriotique, familial ». Il s’agit d’un sniper qui affirme être lors de l’invasion états-unienne le champion des assassinats d’Irakiens. Il décrit fièrement ses cibles comme des « sauvages, méprisables, malfaisants… vraiment la seule façon de décrire ce que nous affrontions là-bas ». Il faisait précisément référence à son premier meurtre, une femme portant une grenade alors qu’elle se trouvait face à une attaque des forces états-uniennes.

Ce qui est important ce n’est pas seulement la mentalité du sniper, mais la réaction chez nous devant de tels exploits, lorsque nous envahissons et détruisons un pays étranger, distinguant difficilement un « raghead » d’un autre [« raghead », terme péjoratif pour parler d’une personne portant turban]. Cette perception remonte aux « Indiens sauvages et cruels » dont parle notre Déclaration d’Indépendance et à la sauvagerie diabolique de tous ceux qui se sont trouvés sur notre chemin depuis lors, particulièrement lorsqu’un élément « racial » peut être évoqué. Par exemple, Lyndon Johnson avertissait que si nous baissions notre garde nous nous trouverions à la merci de « n’importe quel nain jaune portant un petit couteau ». Cependant à l’intérieur des États-Unis bien qu’il y ait des incidents déplorables, le racisme anti-arabe et anti-musulman dans la société a été assez limité, je crois.

George Yancy : Dernièrement la réalité du racisme (anti-noir, anti-arabe, anti-juif, etc.) est très prégnante. Bien qu’il n’y ait pas de solution unique au racisme, dans ses différentes manifestations, que croyez-vous nécessaire pour en finir avec la haine raciale ?

Noam Chomsky : Il est facile de recourir aux réponses habituelles : éduquer, rechercher et régler ce qui se trouve aux origines de la maladie, s’assembler dans des entreprises communes – les luttes au travail ont été un exemple important –, etc. Les réponses sont justes et elles ont apporté beaucoup. Le racisme est loin d’être éradiqué, mais il n’est plus ce qu’il était il n’y a pas si longtemps, grâce à de tels efforts. C’est un long chemin, difficile. Pas de baguette magique, autant que je sache.

Noam Chomsky
George Yancy

27 mai 2015

Traduction (août 2015) : Numancia Martinez Poggi

Source : George Yancy, Le grand soir, 20-08-2015


Source: http://www.les-crises.fr/les-racines-du-racisme-aux-etats-unis-par-noam-chomsky/


Quand Philippe de Villiers déballe tout…

Wednesday 11 November 2015 at 02:30

Philippe de Villiers vient de sortir son livre « Le moment est venu de dire ce que j’ai vu », où, débarrassé de son statut d’homme politique, il parle sans filtre, sans volonté de plaire.

Je ne partage pas tout – en particulier les propos sur l’islam ou sur certaines valeurs -, mais le contenu sur la partie “vie politique” est d’une très grande pertinence, ce qui rejoint ce que j’ai pu constater moi-même…

Source: http://www.les-crises.fr/quand-philippe-de-villiers-deballe-tout/


Pourquoi la nouvelle coalition au Portugal est une chance pour l’Europe, par Romaric Godin

Wednesday 11 November 2015 at 01:30

Source : La TribuneRomaric Godin, 09/11/2015

Le Portugal va connaitre l’alternance à gauche. (Crédits : © Hugo Correia / Reuters)

Le gouvernement portugais de droite devrait chuter mardi 10 novembre, renversé par une alliance de gauche. Ce nouveau gouvernement représente une nouvelle chance pour la zone euro. Saura-t-elle la saisir ?

L’annonce de la probable constitution d’une majorité de gauche au Portugal aura surpris plus d’un observateur qui, au lendemain du 4 octobre, avait annoncé la « victoire » de la droite comme celle de la politique d’austérité et qui avait présenté ce vote comme un « modèle. » En réalité, le Portugal est bel et bien en passe de proposer un modèle, mais certainement pas celui que les partisans des dévaluations internes et des « réformes structurelles » s’imaginaient alors.

Cette alliance portugaise modifie en effet le paradigme dominant au sein de la politique européenne. Au parlement européen comme dans la plupart des pays de la zone euro, les politiques de dévaluation interne bénéficient de l’appui des conservateurs et des sociaux-démocrates (qui, au Portugal sont représentés par le PS, le parti social-démocrate (PSD) étant un parti de centre-droit). Le Portugal ne faisait nullement exception à la règle jusqu’ici. En 2010, c’est le gouvernement PS de José Sócrates qui avait demandé un programme à la zone euro. Le PS avait accepté, avant les élections de 2011 qui l’ont chassé du pouvoir, de respecter les demandes de la troïka.

En finir avec le « chantage »

La décision de son leader d’aujourd’hui, Antonio Costa, de chercher une alliance avec la gauche radicale pour imposer un véritable tournant dans la politique économique du pays, est donc lourde de sens. Elle signifie que cette division construite depuis 2010 entre les « pro-européens », favorables à l’austérité, et les « Eurosceptiques » qui cherchent une autre voie, division qui est fort dangereuse pour l’Europe elle-même, n’est pas une fatalité. Le PS portugais entend ne pas abandonner son attachement à la construction européenne, mais il entend aussi prouver que celle-ci n’est pas incompatible avec une autre politique économique alternative. Autrement dit, Antonio Costa tente de sortir de l’habituel « chantage » consistant à accepter l’euro avec l’austérité ou à le rejeter. C’est, du reste, ce « chantage » qu’avait tenté d’opposer le président de la République Anibal Cavaco Silva en imposant un gouvernement de droite pour « sauvegarder les engagements internationaux du Portugal. » En refusant cette logique et en décidant de s’unir contre le gouvernement de droite, la gauche portugaise veut redonner sa place à la politique. Le fait qu’un parti social-démocrate – au sens européen -  adhère à cette ambition est important : il ramène l’austérité à un choix conservateur.

La fin d’une rupture historique

Ce choix est d’autant plus significatif qu’il prend place dans un pays où la division de la gauche est très profonde et très ancienne. Le PS portugais est un des premiers à avoir initié le « virage social-démocrate » et à avoir adopté la « rigueur. » Dès 1976, son leader Mario Soares, avait repoussé les demandes « révolutionnaires » du parti communiste et des mouvements de gauche issus de la Révolution des œillets. Il avait aussi pris des mesures de rigueur drastiques pour stabiliser l’inflation et l’escudo. Il en est résulté une division profonde avec le parti communiste (PCP) et le reste de la gauche radicale. Pour prendre conscience de cette division, il faut se souvenir qu’en 1983, le PS avait emporté les élections sans majorité absolue et avait alors préféré s’allier au PSD à droite qu’avec le PCP. On mesure donc d’autant plus ce qu’a pu représenter pour la direction du PCP, vendredi 6 novembre, l’acceptation de cette alliance avec le PS. De fait, la capacité de la gauche portugaise à s’unir montre qu’une véritable barrière psychologique et historique a été franchie. C’est dire combien cette coalition était difficile à construire.

L’austérité profondément rejetée

Cette alliance n’a, en réalité, été possible que parce que, pendant que les observateurs internationaux et les ministres de l’Eurogroupe tressaient les louanges de la politique du gouvernement du premier ministre sortant Pedro Passos Coelho, les Portugais rejetaient profondément sa politique. Si ce rejet a été visible à l’été 2013 lors des grandes manifestations, il a été un peu oublié par la suite, le calme étant revenu dans les rues portugaises. Mais ceci n’a jamais signifié qu’il a existé une adhésion de la majorité des Portugais à une politique qui limitait l’espoir des plus fragiles à retrouver un emploi précaire et mal payé ou à émigrer. Comme les Grecs en 2015, les Portugais ont majoritairement rejeté la politique d’austérité puisque l’alliance de droite au pouvoir a perdu 700.000 voix et que l’opposition a été majoritaire. C’est ce fait que l’alliance de gauche vient sanctionner. En cela, il est beaucoup plus significatif de la volonté des Portugais qu’un gouvernement minoritaire destiné à ne rassurer que l’Eurogroupe.

Equation complexe

Evidemment, tout reste à faire pour la gauche portugaise. L’expérience de Syriza en Grèce prouve que sa tâche sera difficile. Le prochain gouvernement sera un gouvernement PS, avec un soutien sans participation de la gauche radicale. Il devra réaliser un programme de rééquilibrage de l’effort budgétaire entre les entreprises et les plus fortunés, vers les classes les plus défavorisées. Il devra aussi reconstituer la demande intérieure du pays qui est absolument ravagée par l’austérité. Bref, rééquilibrer aussi le modèle économique. Le tout, et sur ce point le PS s’est montré très clair, dans le cadre budgétaire européen. L’équation ne sera certainement pas aisée à résoudre. Mais le Portugal n’est pas la Grèce.

Le Portugal n’est pas la Grèce

Le Portugal n’est plus sous programme, à la différence de la Grèce. Il ne dépend donc pas des fonds de la zone euro pour se financer. Certes, en retour, il dépend davantage des marchés où il se refinance. Et, déjà, on a constaté une tension autour du 10 ans portugais. Ce taux est passé de 2,35 % avant les élections à 2,73 % ce lundi 9 novembre. Une hausse certes notable qui dénote une certaine nervosité, mais on est loin des taux d’il y a un an encore (3,23 %). En réalité, ce niveau de taux est très faible pour un pays comme le Portugal et tout à fait soutenable. Il est peu probable que Lisbonne perde l’accès aux marchés pour la bonne raison que ces titres sont soutenus par la politique de rachat de la BCE et que cette dernière va s’intensifier sans doute dans les mois à venir. Du coup, le 10 ans portugais peut apparaître comme un titre sûr et plutôt rentable à une époque où le Bund allemand est de 0,69 %, celui de la France de 1,02 % et même celui de l’Espagne de 1,95 %. Bref, le danger est faible. Sauf, évidemment, si la BCE décide d’exclure le Portugal de ses rachats. Mais il faudra trouver un prétexte valable puisque, à la différence de la Grèce, il n’y a pas de programme pour le justifier. La marge de manœuvre de Lisbonne n’est donc pas si étroite, même si l’économie portugaise est très affaiblie.

Confrontation en vue avec la Commission

La plus lourde tâche sera de parvenir pour la gauche à mener une politique qui change réellement le quotidien des Portugais alors que la Commission européenne et l’Eurogroupe seront certainement sans pitié face à cette tentative inédite de rupture par un parti social-démocrate de l’alliance pro-austérité. Bruxelles va certainement faire pression sur Lisbonne pour que l’essentiel du programme du nouveau gouvernement soit abandonné, en commençant par les choix budgétaires. Le Portugal doit s’attendre à une offensive sans doute sévère. D’autant que, les cas espagnol et italien l’ont prouvé, Bruxelles cherche à prouver à Wolfgang Schäuble, qui veut lui ôter la surveillance budgétaire, qu’elle n’est pas laxiste. Antonio Costa devra donc se montrer solide. Il a une bonne raison pour cela : selon Público, le vote du budget par les deux partis de la gauche radicale n’est pas chose acquise. La pression sera donc maintenue. Et le futur premier ministre sait que s’il est renversé par sa gauche, ce sera le retour de la droite au pouvoir. Il devra donc choisir entre contenter Bruxelles et partir ou engager un bras de fer avec la commission et rester.

Le comportement des Sociaux-démocrates décisif

Dans ce cadre, le comportement des partis sociaux-démocrates européens sera décisif. Cette famille politique est, pratiquement partout en Europe (à l’exception de l’Italie), en pleine crise par son alignement sur les politiques d’austérité. L’alliance portugaise représente l’opportunité de refonder une véritable alternative. Si les gouvernements sociaux-démocrates abandonnent Antonio Costa comme ils ont abandonné Alexis Tsipras, alors preuve sera faite encore une fois que, dans la zone euro, l’alternative économique n’est pas possible. L’euro sera alors clairement en danger, car son identification avec l’austérité sera une nouvelle fois, après le cas grec – que l’on peut toujours prétendre particulier – prouvée.

Finalement, la gauche radicale portugaise, en acceptant les conditions socialistes, a décidé d’ignorer le précédent grec en “essayant” une nouvelle fois de changer la donne dans l’euro. Le Portugal tente donc d’effacer le traitement “politique” de la crise grecque.  Il est donc de l’intérêt des sociaux-démocrates de soutenir l’alternance au Portugal et de le faire non pas seulement par des mots comme le PS français l’a fait samedi, mais par des actes, au Conseil européen. L’expérience portugaise est une nouvelle opportunité. L’Europe saura-t-elle le saisir ?

 

Source: http://www.les-crises.fr/pourquoi-la-nouvelle-coalition-au-portugal-est-une-chance-pour-leurope-par-romaric-godin/


Grèce : Alexis Tsipras déjà dos au mur, par Romaric Godin

Wednesday 11 November 2015 at 00:30

Source : La Tribune,  Romaric Godin,  09/11/2015

Alexis Tsipras tente de résister aux créanciers (Crédits : ALKIS KONSTANTINIDIS)

L’Eurogroupe de ce lundi 9 novembre doit refuser la libération d’une tranche de 2 milliards d’euros à Athènes, plaçant Alexis Tsipras dans une position délicate.

Alexis Tsipras va devoir prouver sa capacité de résistance à la volonté des créanciers. Alors qu’en moins de deux semaines, le premier ministre grec a fait voter deux lois « omnibus » contenant de nombreuses réformes, alors qu’il a accepté de faire voter une loi sur les banques ôtant à l’Etat grec tout moyen de contrôle sur ses dernières, l’Eurogroupe (réunion des ministres des Finances de la zone euro) de ce soir devrait refuser le déblocage de la tranche de 2 milliards d’euros du programme « d’aide. »

Faciliter les expulsions pour mieux renflouer les banques

Pourquoi ? Parce que le gouvernement grec refuse d’accéder à la demande des experts du « quartet » (la troïka formée de la Commission européenne, de la BCE et du FMI augmentée du MES) qui veulent faciliter les expulsions de la résidence principale.

Jusqu’ici, les Grecs qui ne parvenaient plus à payer leurs traites immobilières étaient protégés lorsque la valeur estimée du bien était inférieure à 250.000 euros. Les créanciers voudraient abaisser ce seuil pour que les banques puissent récupérer une partie des prêts et « réalisent leurs pertes. » Ainsi, le renflouement des établissements bancaires sera plus aisé et moins coûteux pour le contribuable européen.

L’ennui, c’est que ces expulsions risquent de provoquer des situations sociales dramatiques. De nombreux Grecs profitaient de cette tolérance pour continuer à disposer d’un logement, malgré le chômage ou des baisses drastiques de salaires. Les expulser signifierait les pousser à la pauvreté et au déclassement dans un pays où les perspectives d’emplois sont quasiment nulles. Le gouvernement d’Alexis Tsipras refuse donc, depuis deux semaines, de se soumettre à cette exigence qui est devenue une condition pour débloquer la tranche de 2 milliards d’euros.

Augmenter le volume de saisies pour dettes envers l’Etat (impôts…)

L’autre point de discordance réside dans le système d’étalement des paiements dus au Trésor grec. Selon Athènes, le montant de ces créances s’élève à 72 milliards d’euros.

En mars, pour apurer cette créance au mieux et sans peser sur l’activité, le gouvernement Tsipras avait mis en place un étalement en 100 mensualités des dettes envers l’Etat. Une décision qui avait permis de voir les remboursements s’améliorer rapidement.

Mais, là aussi, cette mesure n’est pas du goût des créanciers qui estiment que l’Etat devrait faire valoir ses créances avec plus de vigueur, notamment avec des saisies. Sauf que de telles pratiques ne manqueraient pas d’aggraver les faillites et la situation conjoncturelle de l’économie grecque.

Démontrer que le gouvernement ne peut pas défendre les Grecs

Malgré la signature du troisième mémorandum et la bonne volonté affichée -et largement prouvée- de l’exécutif grec qui s’est fait réélire sur le respect de ses engagements, les créanciers ne cessent de mettre à l’épreuve le gouvernement d’Alexis Tsipras.

L’objectif politique qui a déterminé toute la stratégie des créanciers entre janvier et juillet, et qui visait à « neutraliser » le gouvernement grec, semble toujours d’actualité. Tout se passe en effet comme si, en réclamant des mesures socialement violentes, ils cherchaient réellement à réduire à rien non seulement la capacité d’action de ce gouvernement, mais aussi ce qu’il lui restait d’engagement électoral.

Car, lors de l’élection du 20 septembre, Syriza, le parti d’Alexis Tsipras, avait cherché à convaincre les électeurs qu’il était capable de défendre les intérêts des Grecs contre les exigences des créanciers. Il est, à présent, mis en demeure de le prouver.

Logique politique ? ou financière à court terme…?

Le pourra-t-il ? Rien n’est moins sûr. Le ministre grec de l’Economie, Georges Stathakis, assure que l’Eurogroupe de ce lundi 9 novembre au soir permettra de « trouver un accord politique. » On se croirait revenu aux plus belles heures de la « négociation » du printemps, lorsque, devant les portes closes de l’Eurogroupe, Alexis Tsipras s’en allait chercher à Berlin un « accord politique » avec Angela Merkel.

Mais le temps est-il encore aux « accords politiques » alors que le mémorandum, lui, prévoit que le gouvernement grec doit accepter toute mesure jugée nécessaire et que l’Eurogroupe a toujours refusé la logique du compromis, autrement dit, la logique politique, en restant à sa propre logique financière à court terme. Laquelle, évidemment, plaide en faveur des mesures du « quartet. »

Ce soir, on mesurera le poids du soutien de la France à Athènes

Le gouvernement grec est donc pris au piège. Ses moyens de pression sur les créanciers sont faibles. Certes, il semble pouvoir s’appuyer sur la France dont le gouvernement soutient une ligne modérée qui consiste à s’en tenir aux seules mesures du mémorandum. Michel Sapin, le ministre français des Finances, lui aussi, a défendu l’idée d’un accord dès ce lundi.

« La Grèce a fait des efforts considérables et c’est un peu étrange de lui demander toujours plus », a indiqué le locataire de Bercy, qui a dit « comprendre » la résistance grecque.

Cette position française semble ne pas s’imposer à l’Eurogroupe, ce qui permet de mesurer l’influence de Paris dans cette instance. En réalité, l’Allemagne qui a régulièrement fait savoir depuis quelques semaines qu’elle était prête à davantage de souplesse si la Grèce gardait sur son sol plus de migrants, ne semble pas vouloir bouger.

Pour le moment, aucun signe concret de bienveillance de la part de Berlin n’a été signalé. Bien au contraire. Wolfgang Schäuble, avant la réunion de l’Eurogroupe, s’est inquiété de la lenteur des mesures grecques, notamment la formation du fonds de privatisation. Et de conclure qu’il “n’y a que peu de chance qu’on parvienne ce soir à un accord.”

Et Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, de prévenir qu’il fallait réaliser les mesures “bancaires” pour ne pas mettre en péril la recapitalisation des banques. Avant lui aussi d’exclure toute libération des 2 milliards d’euros ce lundi.

Marges de manœuvre réduites

Si l’alliance franco-hellénique ne permet pas de réduire les exigences ds créanciers dans les semaines à venir, le gouvernement grec n’aura guère de moyens de pression concrets. Si les créanciers maintiennent leur position, Alexis Tsipras devra choisir entre la soumission et la faillite. Il choisira sans doute la première. La Grèce doit en effet payer 1,2 milliard d’euros au FMI avant la fin décembre. Surtout, le programme accepte un déficit avant service de la dette de 0,5 % du PIB cette année, soit environ 900 millions d’euros.

Concrètement, ceci signifie que, si les 2 milliards d’euros ne sont pas versés, la Grèce devra renoncer à payer le FMI et sans doute faire des économies supplémentaires.

Compte tenu de la situation encore très fragile de l’économie hellénique, le gouvernement grec ne peut guère espérer engager une vraie résistance contre la volonté des créanciers, sauf à aggraver encore l’incertitude des agents économiques. Bref, la résistance grecque ne pourra guère durer.

Le choix du 13 juillet dans sa dure matérialité

Alexis Tsipras découvre donc concrètement le prix de son choix du 13 juillet. Il dépend de la bonne volonté des créanciers.

Si l’Eurogroupe entend les arguments de Michel Sapin, il peut obtenir gain de cause et sans doute, dans ce cas, l’Allemagne, cherchant à tout prix à freiner le flot des réfugiés, aura poussé à plus de flexibilité.

Mais les arguments propres à Alexis Tsipras et à la Grèce n’auront pas été entendus en tant que tels. La situation grecque joue désormais un rôle mineur dans les décisions des créanciers qui sont plus occupés à choisir sur la priorité de leurs propres intérêts. Sans compter que les créanciers tentent aussi d’arriver en position de force dans le cadre des négociations sur la dette. Un Tsipras trop discipliné serait bien trop en position de force. Il s’agit de poursuivre le “storytelling” de la Grèce rétive aux réformes pour ne pas accorder à Athènes ce qu’elle veut dans la renégociation de la dette.

Source : La Tribune,  Romaric Godin,  09/11/2015

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Et en effet, cela n’a pas été versé !

L’Eurogroupe donne une semaine à la Grèce pour réformer  (sic)

Les responsables de la zone euro ont refusé de débourser une tranche d’aide de 2 milliards d’euros à la Grèce, estimant qu’elle avait pris du retard par rapport à ses engagements en matière de réformes.

Nouvelle passe d’arme entre les Européens et la Grèce. Lundi 9 novembre, les pays de la zone euro ont indiqué qu’ils ne verseront pas d’argent pour recapitaliser les banques grecques, tant que les réformes attendues n’auront pas été mises en œuvre.

« Nous avons demandé à « l’Euro Working Group » (l’instance réunissant les directeurs du Trésor de la zone euro)de se retrouver au plus tard la semaine prochaine pour faire le point sur la mise en place de mesures » en Grèce, a expliqué Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe.

La Grèce doit encore passer par des étapes difficiles pour surmonter sa situation financière compliquée. Elle attend le déblocage rapide d’une tranche d’aide de 2 milliards d’euros.

FACILITER LES SAISIES IMMOBILIÈRES

La principale réforme attendue porte sur les saisies immobilières, un sujet politiquement difficile pour la coalition gouvernementale d’Alexis Tsipras, dominée par le parti de la gauche radicale Syriza.

Les créanciers réclament des mesures pour faciliter les saisies immobilières, mais Athènes veut maintenir certaines dispositions permettant de protéger la majorité des ménages endettés. Les discussions portent concrètement sur la valeur plafond en dessous de laquelle une résidence principale ne pourra pas être saisie, et sur les revenus des ménages concernés.

LES BANQUES GRECQUES ONT BESOIN DE 14,4 MILLIARDS D’EUROS

Outre un accord sur le premier volet de mesures demandé, Athènes devra également mettre en place dès cette semaine des réformes concernant son secteur financier, condition sine qua non pour entamer le processus de recapitalisation des banques grecques, dont la situation financière s’est fortement dégradée avec la crise et la fuite des capitaux.

La zone euro a mis de côté une enveloppe de 10 milliards d’euros pour les banques grecques, dans le cadre du plan d’aide de 86 milliards décidé cet été, mais compte également sur l’intervention d’investisseurs privés.

Selon un bilan réalisé par la Banque centrale européenne, les quatre principales banques privées grecques (Alpha Bank, Eurobank, NBG et Piraeus Bank) ont besoin d’au plus 14,4 milliards d’euros.

En plus de ces étapes, le gouvernement grec devra également adopter d’ici à la fin de l’année un deuxième train de réformes.

L’autre grande échéance pour Athènes sera la conclusion d’une première évaluation de son programme de réformes, effectuée par ses créanciers (UE et FMI) et espérée avant fin 2015. Une fois cette étape franchie, les discussions sur une restructuration de la colossale dette grecque pourront débuter.

Alain Guillemoles, La Croix (avec AFP)

Source: http://www.les-crises.fr/grece-alexis-tsipras-deja-dos-au-mur-par-romaric-godin/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Seux)

Wednesday 11 November 2015 at 00:09

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: Emploi aux USA: “Quand vous faites le cumul, vous avez…”

Olivier Delamarche VS Pascale Auclair (1/2): Les derniers chiffres de l’emploi des États-Unis vont-ils influencer la Fed à remonter ses taux en décembre ? – 09/11

Olivier Delamarche VS Pascale Auclair (2/2): Pourquoi les banques centrales sont-elles toujours aussi proactives ? – 09/11

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: FED: “Madame Yellen perd de la crédibilité” – 04/11

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): La hausse du CAC 40 va-t-elle se prolonger ? – 04/11

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): La consommation des ménages européens repart à la hausse – 04/11

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir: USA: “On ne sait pas où se situe la vérité des chiffres” – 10/11

Jacques Sapir VS Philippe de Cholet (1/2): Comment se porte l’économie mondiale ? – 10/11

Jacques Sapir VS Philippe de Cholet (2/2): Comment les marchés appréhendent-ils les différentes contraintes économiques ? – 10/11

IV. Dominique Seux

France Inter : “L’Allemagne concentrée sur la question des réfugiés” (L’Édito Éco) : magnifique de propagande !

Voici cependant le genre de chose qu’on entend AUSSI désormais en Allemagne… (même si c’est probablement très exagéré…)


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-11-11/


L’appel au boycott est désormais interdit en France…

Tuesday 10 November 2015 at 02:25

Eh bien, c’est nouveau, ça vient de sortir, l’appel au boycott de produits d’un pays étranger est désormais illégal en France, comme vient de le décider la Cour de Cassation.

Elle n’a pas jugé en espèce (cela n’a rien à voir avec Israël), mais en principe : vous ne pouvez plus non plus appeler au boycott de produits américains ou russes si vous voulez protester contre le gouvernement de ces pays… Ou contre l’Afrique du Sud de l’apartheid !

Les juges de première instance avaient pourtant bien pointé l’importance politique de la chose en démocratie, mais cela a été balayé par les juges suprêmes au motif que le boycott était une “incitation à opérer une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes, en l’espèce les producteurs de biens installés en Israël” – ce qui est en effet l’objet même d’un boycott ! Je ne savais pas que nos lois nationales réduisaient désormais nos droits pour ne pas causer de torts économiques à des citoyens étrangers – c’est nouveau ça vient de sortir.

C’est pourtant l’arme la plus puissante dont disposaient les consommateurs-citoyens – relire l’article boycott de Wikipedia

Espérons que la Cour européenne des Droits de l’Homme agira.. (une des rares instituions à garder…)

L’arrêt de la Cour de Cassation concernant le boycott

Source : Legifrance, le 20 octobre 2015.

“Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X…, Mme Y…, MM. Y…, Z…, A…, Mme B…, M. C…, Mmes D…, et E…, ont été interpellés, le 22 mai 2010, à Illzach (68) dans les locaux du magasin ” Carrefour “, alors qu’ils participaient à une manifestation appelant au boycott des produits en provenance d’Israël, en portant des vêtements comportant la mention ” Palestine vivra, boycott Israël “, en distribuant des tracts sur lesquels on lisait : ” Boycott des produits importés d’Israël, acheter les produits importés d’Israël, c’est légitimer les crimes à Gaza, c’est approuver la politique menée par le gouvernement israélien “, mention suivie de l’énumération de plusieurs marques de produits commercialisées dans les grandes surfaces de la région, et en proférant les slogans : ” Israël assassin, Carrefour complice ” ; qu’à la suite de ces faits, ils ont fait l’objet de citations à comparaître devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion, une nation ; que le tribunal a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, et débouté les associations parties civiles de leurs demandes ; que toutes les parties et le ministère public ont relevé appel du jugement ;

Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris, et déclarer les prévenus coupables, l’arrêt retient que ceux-ci, par leur action, provoquaient à discriminer les produits venant d’Israël, incitant les clients à ne pas acheter ces marchandises en raison de l’origine des producteurs et fournisseurs, lesquels, constituant un groupe de personnes, appartiennent à une nation déterminée, en l’espèce Israël, qui constitue une nation au sens de l’article d’incrimination et du droit international ; que les juges ajoutent que la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’opinion et d’expression dès lors qu’elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l’incitation à opérer une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes, en l’espèce les producteurs de biens installés en Israël ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, qui répondaient aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors qu’elle a relevé, à bon droit, que les éléments constitutifs du délit prévu par l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 étaient réunis, et que l’exercice de la liberté d’expression, proclamée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, peut être, en application du second alinéa de ce texte, soumis à des restrictions ou sanctions qui constituent, comme en l’espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui.

 


Appel au boycott des produits israéliens : une décision de la Cour de cassation inquiétante pour la liberté d’expression

Source : Association France Palestine Solidarité, le 24 octobre 2015.

La Cour de cassation vient de rendre sa décision dans l’affaire d’appel au boycott par des militants de Mulhouse. Elle confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar de novembre 2013, qui condamnait les militants, après leur relaxe en 1ère instance par le tribunal correctionnel de Mulhouse en décembre 2011.

C’est une décision inquiétante pour la liberté d’expression et nous exprimons tout notre soutien et toute notre solidarité aux militants de Mulhouse visés par cette décision.

Le conseiller rapporteur désigné par la Cour de cassation avait pourtant laissé la porte ouverte à la cassation de la décision de la cour de Colmar, en préparant deux projets d’arrêts en novembre 2014, l’un pour l’autre contre, soumis à la décision de la Cour de cassation. Mais l’avocat général avait ensuite clairement pris parti et recommandé le rejet du pourvoi, en juin 2015. Ceci en contradiction avec nombre de tribunaux et cours d’appel qui ont jugé que :

« Cet appel au boycott est en réalité une critique passive de la politique d’un État, critique relevant du libre jeu du débat politique qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique. Ainsi dès lors que le droit de s’exprimer librement sur des sujets politiques est une liberté essentielle dans une société démocratique, cet appel au boycott entre dans le cadre normal de cette liberté » (Tribunal de Pontoise décembre 2013)

« Attendu qu’il résulte ensemble des articles 1382 du code civil et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que le principe de la liberté d’expression ne peut subir que les restrictions rendues nécessaires par la défense des droits d’autrui ; que relève de l’exercice de la liberté d’expression la provocation d’autrui à se détourner d’un produit ou « appel au boycott »(TGI de Paris janvier 2014)

=> [Olivier Berruyer] : ils sont fortiches les juges de première instance, contrairement à ceux de la Cour de Cassation…

C’est donc le représentant de l’Etat qui aura eu le dernier mot.

Ce même Etat, qui, malgré les déclarations multiples de Madame Taubira sur le caractère politique de l’appel au boycott, qui ressort donc de la liberté d’expression, n’a toujours pas abrogé la circulaire inique de Madame Alliot Marie, qui appelait les procureurs de France à poursuivre tous les militants qui appelaient au boycott des produits israéliens.

Il deviendrait donc impossible en France de mettre en cause la politique de l’Etat d’Israël ? La France, le pays des Droits de l’Homme, serait donc l’exception européenne, le seul pays où les militants du Droit international seraient poursuivis devant les tribunaux ?

Nous assistons actuellement à une offensive systématique de l’Etat d’Israël, de ses ambassades et de ses réseaux de soutien, qui veulent faire taire toute opposition à la politique criminelle de cet Etat. Même la timide tentative européenne de rappeler les règles du droit en matière de différenciation des produits des colonies, encouragée par 16 pays européens, engagée depuis des années et toujours retardée, fait l’objet d’une campagne hystérique d’intimidation par le gouvernement israélien, qui déclare que toute mesure dans ce sens serait de l’antisémitisme !!!

La contestation de la politique d’un Etat qui bafoue toutes les règles du droit international et qui opprime un autre peuple est un droit absolu, nous entendons bien nous battre pour le faire respecter et nous appelons tous les démocrates à se joindre à notre combat.

Avec nos amis de Mulhouse, nous nous réservons la possibilité d’utiliser toutes les voies de droit, nationales et européennes, pour que la liberté d’expression soit respectée. Et nous renouvelons solennellement notre appel au gouvernement français pour qu’il abolisse enfin et sans délai les circulaires Alliot-Marie / Mercier.

Nous continuerons bien sûr nos campagnes de Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre la politique de colonisation, d’occupation et d’apartheid menée par l’Etat d’Israël, et pour faire respecter le droit international. Nous appelons nos concitoyens à nous rejoindre nombreux pour la journée d’action du 7 novembre, au cours de laquelle nous demanderons, devant les magasins Carrefour et plus généralement les chaînes de grande distribution, qu’ils cessent de vendre des produits provenant des colonies israéliennes en territoire palestinien occupé.


Le boycott anti-israélien est «illégal» en France

Source : Alexandre Hervaud, pour Libération, le 28 octobre 2015.

A quelques pas de «Tel-Aviv sur Seine», un membre du BDS à «Gaza Plages», le 13 août à Paris.

La Cour de cassation a confirmé la semaine dernière la condamnation d’une douzaine de militants de la campagne BDS. Des voix s’élèvent pour protester contre «une atteinte à la liberté d’expression».

Le boycott anti-israélien est «illégal» en France

La semaine dernière, la Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français, a confirmé la condamnation de douze militants de Mulhouse (Haut-Rhin) qui avaient participé en 2009 et 2010 à des actions appelant au boycott de produits israéliens. Les militants avaient invité à deux reprises les clients d’un supermarché alsacien à ne pas acheter des produits israéliens dans le cadre de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions).

Comme Libé le rappelait cet été, cette initiative lancée en 2004 entend convaincre les citoyens de ne plus recourir aux marques et financements israéliens tant que l’Etat hébreu n’infléchira pas sa «politique coloniale». Cette campagne controversée, attisée par l’opération «Tel-Aviv sur Seine», avait par la suite donné lieu à un échange dans nos pages par tribunes interposées entre Laurent Joffrin et le cofondateur du mouvement.

Le journal l’Alsace rappelle que les militants concernés avaient été relaxés par le tribunal de grande instance de Mulhouse en décembre 2011 puis condamnés par la cour d’appel de Colmar fin 2013 pour «provocation à la discrimination nationale, raciale et religieuse». Avec, à la clé, le versement de 32 000 euros d’amende, dommages et intérêts et frais de procédure. Dans un communiqué, les militants, «abasourdis», écrivent : «Après cette condamnation, il serait devenu impossible, aujourd’hui, de boycotter l’Afrique du Sud pour lutter contre l’apartheid ? Pourtant, dans les années 70-80, le boycott de l’Afrique du Sud mené contre cet Etat raciste a été un des facteurs essentiels qui ont mené à l’abolition de l’apartheid, victoire du progrès de l’humanité.»

Restriction de la liberté d’expression

«Qu’on se le dise une bonne fois pour toutes : le boycott des produits israéliens est illégal !» s’enthousiasme en revanche l’avocat Pascal Markowicz, membre du comité directeur du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Pour lui, «la juridiction suprême de notre ordre judiciaire [confirme] donc que la liberté d’expression peut être soumise à des restrictions ou sanctions qui sont des mesures nécessaires dans une société démocratique, pour la défense de l’ordre et la protection des droits d’autrui». Cette notion de liberté d’expression à géométrie variable a fait bondir le journaliste américain Glenn Greenwald, à qui l’on doit les révélations sur la surveillance massive de la NSA via les documents fuités par Edward Snowden.

Sur son site The Intercept, Greenwald, qui dénonce depuis des mois «la fraude» de la manifestation du 11 janvier d’une France pas si Charlie que ça, écrit : «Où sont les néo-défenseurs de la liberté d’expression qui proclamaient après l’attentat de Charlie Hebdo que la défense de cette liberté était si vitale pour tout ce qui est juste et bon dans le monde occidental ? Pourquoi est-ce que le hashtag #JeSuisBDS ne fait pas le buzz pour défendre ces activistes qui ont été persécutés et poursuivis en France pour leurs opinions politiques ?» Et Greenwald de répondre lui-même à ses propres questions : «La réponse est simple : beaucoup de ceux qui se sont drapés d’une posture de défenseurs de la liberté d’expression plus tôt cette année – à commencer par la France et le reste de l’Occident  n’y croient pas vraiment. C’est pourquoi tous ces pays ne restent pas seulement silencieux face à un tel assaut contre la liberté d’expression, mais ils commettent eux-mêmes agressivement de tels abus.»

Comme un écho à la tribune massivement relayée de Greenwald, l’ONG américaine Freedom House vient de publier son rapport annuel sur le degré de liberté numérique de 65 pays du monde (disponible ici en PDF).Telerama relève ainsi que, si la France est toujours considérée comme«libre» en matière d’expression numérique, elle est en revanche le pays occidental dans lequel la liberté s’est le plus dégradée depuis un an. Au niveau mondial, seule la Libye fait pire. D’après le rapport, «la situation en France a décliné principalement suite aux mesures problématiques adoptées dans la foulée des attentats de Charlie Hebdo, à l’image de l’interdiction des contenus pouvant être qualifiés d’apologie du terrorisme, les poursuites d’internautes et l’augmentation significative de la surveillance».


Solidarité avec les condamnés: boycotter l’apartheid n’est pas illégal!

Source : Boycott – Désinvestissement – Sanctions, le 29 octobre 2015.

Communiqué de la Campagne BDS France, le 29 octobre 2015

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En 2009 et 2010, douze personnes dans un supermarché de Illzach (près de Mulhouse) participent à des actions de sensibilisation en distribuant des tracts appelant au boycott (*) de certains produits pour des raisons politiques, des actions comme il en existe de nombreuses autres du même type en France. Ils tiennent à informer les consommateurs des problèmes éthiques que posent l’achat de produits provenant d’Israël: leur production est indissociable de la situation d’apartheid vécue par le peuple palestinien, de la spoliation de ses terres, du refus du retour des refugiés, en dépit d’un droit reconnu par les Nations Unies, et d’autres violations du droit international commises par l’Etat israélien.

Alors que les actions de boycott de produits représentent un droit des citoyens, et une expression politique comme dans le cas du boycott des produits d’Afrique du Sud ou de Russie, une circulaire écrite par Mme Alliot-Marie, alors ministre de la justice, recommande au Ministère public de poursuivre spécifiquement les personnes qui appellent au boycott d’Israël. Cette circulaire fut médiatiquement justifiée au nom d’un soi-disant antisémitisme de la campagne de boycott des produits israéliens, alors qu’il ne s’agit aucunement de boycotter des produits “cacher”, comme elle le prétend, mais d’une position politique appelant à boycotter des produits issus d’une politique coloniale contraire au droit international.

Malgré cette pression ministérielle, le tribunal de Mulhouse déclare ces douze personnes innocentes. Le ministère public fait appel de cette décision, et la cour d’appel de Colmar déclare ces mêmes douze personnes coupables d’appel public à la discrimination basée sur la nationalité.

Appelée à trancher, la Cour de cassation a confirmé la semaine dernière l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Colmar. La Cour de cassation estime que, dans le cas présent, la liberté d’expression invoquée mérite d’être restreinte pour préserver l’ordre public et protéger les droits des producteurs israéliens.

Cette décision marque un triste jour pour la démocratie française, où l’appel au boycott d’un Etat criminel qui viole les droits humains ne va plus de soi. Un triste jour où la liberté d’expression dont se gargarise notre gouvernement est sérieusement limitée en détournant la loi de son esprit dès qu’elle s’attaque à un partenaire politique du pouvoir en place.

La Campagne BDS a été initiée en 2005 par 170 organisations de la société civile palestinienne qui appellent à faire respecter le droit international. Cette campagne progresse dans le monde entier, et l’Etat israélien, qui intensifie ses provocations et ses persécutions contre le peuple palestinien, est de plus en plus isolé dans l’opinion publique. Puisqu’il viole constamment le droit international, c’est l’Etat d’Israël qu’il faut condamner, et non pas les militants de BDS.

La Campagne BDS France, qui demande l’abrogation de la circulaire Alliot-Marie, apporte tout son soutien aux personnes condamnées, et les soutiendra dans toutes les décisions qu’elles seront amenées à prendre prochainement.

La Campagne BDS France appelle toutes les personnes, en France comme partout dans le monde, à continuer de mettre en oeuvre la décision du peuple palestinien: promouvoir une campagne de Boycott-Désinvestissement-Sanctions contre l’Etat d’Israël, jusqu’à ce qu’il respecte le droit international et les principes universels des droits humains.

Pour tout citoyen de conscience, soucieux des droits et de la dignité des peuples, BDS est non seulement un droit, mais aussi un devoir moral !

#JeSuisBDS

La Campagne BDS France
www.bdsfrance.org

(*)Eléments juridiques additionnels:

Comment assumer de protéger les droits de producteurs qui vendent des produits qui n’ont été ni cultivés ni fabriqués par eux et encore moins chez eux ?

La campagne BDS souligne que la Cour de Justice européenne dans son arrêt Brita rappelle que les producteurs israéliens «ne peuvent bénéficier ni du régime préférentiel en vertu de l’accord euro‑méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et l’État d’Israël, d’autre part, ni de celui instauré par l’accord d’association euro‑méditerranéen intérimaire relatif aux échanges et à la coopération entre la Communauté européenne, d’une part, et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)». Dès lors, pourquoi le ministère public et la cour de cassation n’ont ils pas suivi ce jugement qui constitue une jurisprudence ?

Elle rappelle aussi que la Cour internationale de Justice, dans son avis contre la construction unilatérale du mur, affirme que « (….) tous les Etats sont dans l’obligation… de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction(…) ; tous les Etats parties à la IV convention de Genève (…) ont en outre l’obligation dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire(…)». Dès lors, favoriser les producteurs israéliens revient à violer ses obligations internationales.

La Campagne BDS France suit solidairement, l’appel lancé par les organisations palestiniennes visant à sanctionner l’Etat d’Israël qui viole, en toute impunité, les normes impératives du droit international et du droit international humanitaire. Cette campagne s’inscrit dans des actions pacifiques et se conforme à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, telle qu’énoncée par l’ONU et s’appuie entre autres sur l’arrêt Brita rendu par la cour de Justice européenne. Dans ce cadre, elle appelle tous les défenseurs des droits humains en France, comme ailleurs, à soutenir la lutte du peuple palestinien pour son droit inaliénable à l’autodétermination et à mener campagne pour l’information des consommateurs sur les produits étiquetés « Israël », alors qu’ils viennent de Palestine. Ces défenseurs sont conscients que l’Etat d’Israêl prive l’ensemble du peuple palestinien de ses droits économiques. Ce vol organisé doit être dénoncé.

Les actions de boycott sur des produits «volés» représentent un droit des citoyens, qui, épris de justice, sont conscients que la paix et la sécurité internationales ne peuvent s’obtenir que si tous les peuples bénéficient de leur droit inaliénable à l’autodétermination et à une souveraineté pleine et entière. Cette arme pacifique a été utilisée, avec succès, contre l’Afrique du sud qui maintenait la grande majorité de sa population dans une situation d’apartheid, violant les piliers de la Charte des Nations unies, la non-discrimination avec son corollaire l’égalité. Aujourd’hui, c’est cette même arme qu’ont utilisée les douze défenseurs des droits de Mulhouse et qu’utilisent tous ceux qui croient en l’égalité entre Etats. Le boycott, dans les cas graves de violations des droits humains, constitue un droit politique de conscience citoyenne…

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Liberté d’expression. Pourquoi les actions de boycott deviennent-elles illégales ?

PATRICK LE HYARIC, LUNDI, 9 NOVEMBRE, 2015, L’HUMANITÉ
Par Patrick le Hyaric, directeur de l’Humanité. Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre dernier, la France risque de devenir l’un des seuls pays au monde où le simple appel au boycott comme moyen d’action devient illégal.

Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre dernier, la France risque de devenir l’un des seuls pays au monde où le simple appel au boycott comme moyen d’action devient illégal. En effet, la haute juridiction vient de confirmer la condamnation par la cour d’appel de Colmar de 12 militants. Il leur est reproché d’avoir participé, le 26 septembre 2009 puis le 22 mai 2010, à une manifestation devant un magasin du groupe Carrefour près de Mulhouse. Celle-ci appelait au boycott de produits en provenance d’Israël et notamment ceux issus des terres colonisées et occupées, en violation du droit international. À l’occasion de cette initiative, aucune dégradation n’a eu lieu, aucune entrave au fonctionnement du magasin ni à la liberté du commerce n’a été constatée, aucune plainte du magasin lui-même n’a été déposée, aucun propos antisémite n’a été tenu.

Un appel aux citoyens à exercer leur liberté 
lors de choix d’achat

Cela n’empêche pas la cour d’y voir un acte constitutif d’un délit de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». On croit rêver au pays des droits de l’homme, dans ce pays où le temps n’est pas si lointain où toutes les forces politiques et les médias expliquaient qu’ils avaient contribué à la libération de Nelson Mandela et à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Reconnaissance, tardive pour certains, d’un mouvement international de boycott des produits sud-africains, utilisé comme action politique, d’une grande efficacité pour obtenir la libération de ce pays. Le même mode d’intervention citoyenne a été utilisé contre la junte birmane ou même contre le Mexique pour obtenir la libération de Florence Cassez. Aucun n’a fait l’objet de poursuites et c’est heureux ! Jamais un gouvernement français n’avait promulgué des circulaires, comme celles des anciens ministres M. Mercier et Mme Alliot-Marie en 2010, demandant aux procureurs de poursuivre avec fermeté les militants de l’application du droit international en Palestine.

En Israël même, cette question fait débat. Votée en juillet 2011 avec une seule voix de majorité à la Knesset, la loi punissant « toute personne ou entité appelant à un boycott économique, culturel ou académique » des colonies israéliennes en Cisjordanie est toujours suspendue par la Cour suprême de Tel-Aviv. Comment, dans ces conditions, justifier un arrêt de la Cour de cassation française, en l’occurrence plus royaliste que le roi ? Sinon par la volonté politique d’étouffer une mobilisation qui utilise le mouvement de boycott pour que s’applique… le droit international. Ce dernier, fondé à l’initiative de 171 organisations internationales, est un appel aux citoyens à exercer leur liberté lors de choix d’achat. Il n’entrave donc en rien la liberté du commerce tandis que les importateurs ou les sociétés étrangères qui tirent profit de territoires occupés s’exonèrent sans sourciller du droit international.

C’est d’autant moins défendable que des États, dont le nôtre et l’Union européenne, utilisent l’arme de l’embargo comme outil de combat politique et diplomatique. Il est urgent de réclamer avec force au gouvernement qu’il fasse annuler les circulaires des ministres de droite Mercier et Alliot-Marie. Le Parlement devrait être saisi de cette atteinte caractérisée à la liberté d’expression et de manifestation. Les juristes, qui vont en appeler à la Cour européenne des droits de l’homme, méritent d’être soutenus. C’est de la liberté d’expression dont il s’agit !

Source: http://www.les-crises.fr/lappel-au-boycott-est-desormais-interdit-en-france/


Le militantisme contre Israël criminalisé au pays de Charlie Hebdo et de la « liberté d’expression », par Glenn Greenwald

Tuesday 10 November 2015 at 02:01

Source : Traduit par Boycott Désinvestissement Sanctions, écrit par Glenn Greenwald, pour The Intercept, le 27 octobre.

La marche post-Charlie Hebdo pour la « liberté d’expression » de Paris était une escroquerie, pour de multiples raisons, ainsi que je l’ai écrit à ce moment-là. Elle fut conduite par des dizaines de dirigeants du monde, dont bon nombre emprisonnent, voire tuent, des gens pour avoir exprimé des opinions interdites. Cette marche a été saluée par beaucoup d’Occidentaux qui feignent d’être bouleversés uniquement lorsque des atteintes à la liberté d’expression sont le fait de Musulmans, mais non – ce qui est bien plus fréquent – de leurs propres gouvernements contre les Musulmans.

Le pire est que la marche s’est déroulée dans un pays qui est l’un des pays occidentaux les plus hostiles à la liberté d’expression, comme la France l’a démontré dans les jours qui ont suivi la marche, en arrêtant et en poursuivant en justice des Musulmans et d’autres militants contre Israël, pour leurs opinions politiques. Un livre remarquable, un best-seller du philosophe français Emmanuel Todd, sorti cette année, avance que cette marche « pour la liberté d’expression » a été un simulacre inspiré par des sentiments politiques divers – xénophobie, nationalisme et préjugés antimusulmans – qui n’avait rien à voir avec la liberté d’expression.

L’absurdité de l’autocélébration française de la liberté d’expression a été sous le feu de l’actualité avec une décision, cette semaine, de la cour de cassation de cette nation, qui est une attaque directe au droit d’expression libre. La cour de cassation a confirmé la condamnation pénale de 12 militants politiques pour le « délit » consistant à réclamer des sanctions et le boycott contre Israël comme moyen de mettre fin à des décennies d’occupation militaire de la Palestine. Qu’ont fait ces délinquants français ? Ceci :

Ils sont arrivés au supermarché en tee-shirts portant « Palestine vivra, boycott Israël ». Ils ont aussi distribué des tracts expliquant que « acheter des produits israéliens équivaut à légitimer les crimes à Gaza ».

Un Égyptien porte le logo de BDS (Boycott Désinvestissement Sanction), une campagne lancée par des militants palestiniens pour boycotter Israël et les produits israéliens, 20/04/15. Photo: Amr Nabil/AP

En France — autoproclamée Terre de la Liberté – faire cela fait de vous un criminel. Ainsi que l’a rapporté The Forward, le tribunal a cité la loi de la République Française sur la liberté de la presse, qui prescrit une peine de prison ou une amende qui peut aller jusqu’à 45 000 € pour « provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers une personne ou un groupe à raison de l’origine, l’appartenance ou la non-appartenance à un groupe ethnique, une nation, une race ou une religion déterminée ». BDS étant discriminatoire « par nature », selon le tribunal, c’est un délit de s’y référer.

Le jugement du tribunal français s’inscrit dans une tendance d’échelle mondiale. Tandis que de plus en plus de gens de par le monde reconnaissent la nature criminelle et brutale du gouvernement israélien, ses soutiens ont, de façon croissante, littéralement essayé de criminaliser le militantisme contre l’occupation israélienne. Pour cette raison, les militants « pro-Israël » ont fêté cette semaine cette attaque française contre les droits élémentaires à la liberté d’expression.

Pascal Markowicz, avocat principal du CRIF, l’organisation qui coiffe les communautés juives de France, a publié ce décret de célébration (c’est lui qui souligne) : « BDS est ILLÉGAL en France ». Les déclarations invoquant le boycott ou les sanctions », a-t-il ajouté, « sont complètement illégales. S’ils [les militants BDS] disent que leur liberté d’expression a été violée, désormais, la plus haute instance juridique de France en a décidé autrement ».

Joël Rubinfeld, coprésident du Parlement Juif Européen et Président de la Ligue Belge contre l’Antisémitisme, a déclaré à Haaretz en février dernier qu’il voulait que d’autres pays suivent le modèle français de criminalisation du militantisme contre l’occupation israélienne. Après qu’un tribunal de niveau inférieur ait condamné les militants BDS, Rubinfeld s’est écrié : « le gouvernement français et la détermination judiciaire dans le combat contre la discrimination, la loi Lellouche en particulier, sont des exemples pour la Belgique et d’autres pays où le BDS discriminatoire existe ».

Ainsi qu’Haaretz l’a développé dans son article de février, la « loi Lellouche » brandie par Rubinfeld est « ainsi nommée d’après le député juif [de France] qui l’a soumise en 2003 » et « la loi est un des outils législatifs les plus puissants au monde pour combattre le mouvement croissant Boycott, Désinvestissement Sanctions (BDS), qui a catapulté la France à l’avant-garde du combat contre ce mouvement par des voies légales ». Avant cette dernière affaire pénale, ce sont « approximativement 20 militants anti israéliens qui ont été condamnés en France, en vertu de la loi dite Lellouche ».

L’odieuse campagne visant à mettre hors la loi le militantisme contre l’occupation israélienne s’étend bien au-delà de la France. En mai, la chaîne CBC a relaté la menace de la part des autorités canadiennes de poursuivre des militants BDS en vertu de lois sur « les discours de haine » et, après que ces officiels aient nié l’avoir fait, nous avons obtenu et publié les mails prouvant que c’était bien le cas. Haaretz en février a décrit cet événement troublant au Royaume Uni : « en 2007, le syndicat britannique de l’enseignement supérieur,University and College Union, a dit avoir abandonné le projet de boycotter les institutions israéliennes après que des conseillers juridiques aient dit que cela violerait les lois anti discrimination ». En 2013, les autorités de New York se sont associées à une campagne menée par Alan Dershkowitz pour lancer des menaces sur le financement du Brooklyn College, coupable d’accueillir des orateurs pro-BDS.

Évidemment, une excellente tribune libre publiée cette semaine dans le Washington Post par un ex soldat de l’armée israélienne, Assaf Gavron, montre comment ces attaques sur les critiques à l’égard d’Israël s’étendent maintenant aux citoyens israéliens eux-mêmes. Gavron décrit comment « le débat au sein d’Israël est plus militant, menaçant et intolérant que jamais », et que « les quelques dissidents qui tentent d’exprimer la contradiction – en posant des questions, en protestant, en prenant une couleur différente de celle de ce consensus artificiel – sont, au mieux, ridiculisés et méprisés et, au pire, menacés, diffamés et attaqués physiquement ».

Les défenseurs d’Israël raffolent de l’équation « critique d’Israël = antisémitisme » et nient ensuite sentencieusement que quiconque fasse cela. Mais la criminalisation du plaidoyer pour BDS – par la menace de fortes amendes et de peines de prison pour manifester contre la politique du gouvernement israélien – en est un exemple on ne peut plus flagrant. Ainsi qu’il est écrit dans Haaretz, « le coup de filet a aussi pris des protestataires BDS dont les actions visaient Israël, et non les Juifs ».

Méditez sur le côté pernicieux de la chose. Il est parfaitement légal de demander des sanctions contre l’Iran, la Russie ou le Soudan, ou n’importe quel autre pays. Les sanctions et le boycott contre ces pays sont certes non seulement fréquents dans les pays de l’Ouest mais ils font partie de leur politique officielle. Mais il est illégal – criminel – de prôner le boycott et des sanctions contre un pays : Israël. Il faut atteindre des sommets d’autoritarisme, voire de fascisme pour détourner le droit pénal et proscrire la promotion de politiques et d’actions lorsqu’elles mettent en cause un pays et un pays seulement. En réponse aux célébrations de ce jugement par Avi Mayer, un extrémiste israélien populaire sur twitter, j’ai constamment posé cette question mais n’ai jamais obtenu de réponse [voir l'échange de tweets].

Il devrait aller de soi que des opinions personnelles sur l’intérêt ou la validité de BDS comme politique sont tout à fait hors de propos ici. Il est évident que la croyance en la liberté d’expression invite à défendre aussi vigoureusement le droit d’exprimer des points de vue avec lesquels on est en accord que ceux que l’on désapprouve fortement. La question, manifestement, n’est pas de savoir si BDS est une politique convaincante mais si des gens doivent être criminalisés pare qu’ils la défendent. Extrémiste et oppressive comme elle est, la criminalisation du militantisme BDS se développe dans de multiples lieux du monde.

Où sont tous les nouveaux militants de la libre expression qui ont insisté après les meurtres de Charlie Hebdo sur le fait que la défense de la liberté d’expression était tellement vitale à tout ce qui est juste et équitable dans le monde occidental ? Pourquoi un hashtag #JeSuisBDS ne s’impose-t-il pas dans la défense de ces militants qui ont été persécutés – poursuivis – par la France pour leurs opinions politiques ? La réponse est claire : nombre de ceux qui se sont drapés dans l’étendard de « la liberté d’expression » au début de l’année – à commencer par la France elle-même et par extension tout l’Occident – ne croient pas sincèrement dans ce droit. C’est pourquoi ces pays non seulement gardent le silence face à une attaque aussi fondamentale contre la liberté d’expression, mais perpétuent ces abus agressifs.

Source: http://www.les-crises.fr/le-militantisme-contre-israel-criminalise-au-pays-de-charlie-hebdo-et-de-la-liberte-dexpression/


Catalogne : le parlement lance le processus d’indépendance, par Romaric Godin

Tuesday 10 November 2015 at 01:30

Source : La Tribune, Romaric Godin, 06/11/2015

Lundi, le parlement catalan devrait lancer le processus de “déconnexion” de l’Espagne. (Crédits : Reuters)

Le parlement catalan devrait lundi adopter une déclaration ouvrant le processus d’indépendance. Madrid réagira rapidement. Mais la clé de la crise réside aussi dans la capacité des sécessionnistes à s’unir.

La première session plénière du nouveau parlement catalan élu le 27 septembre prochain aura bien lieu lundi 9 novembre. Et l’on y discutera bien de la motion des deux partis indépendantistes prévoyant le lancement d’un « processus de déconnexion avec l’Espagne » et la désobéissance aux décisions des instances espagnoles. Le recours des partis unionistes catalans auprès du Tribunal constitutionnel espagnol (TC), qui visait à interdire le débat sur cette déclaration a été rejetée jeudi 5 novembre au soir.

Pas d’interdiction des débats

Le TC a jugé qu’il ne pouvait avoir recours à une interdiction préventive des débats. « Le parlement est le siège naturel du débat politique », ont indiqué les juges qui ont précisé que « l’éventuel résultat du débat parlementaire ne doit pas être une condition par anticipation à ce débat. » Bref, les députés régionaux catalans peuvent discuter de la motion indépendantiste. Ils peuvent même voter sur cette motion. Mais ceci n’exclut pas la capacité qu’aura ensuite le TC de juger cette motion illégale, ni celle de l’Etat espagnol ensuite de faire respecter la décision du TC. Or, de ce point de vue, l’illégalité de la motion ne fait aucun doute dans la mesure où elle s’oppose à l’article 2 de la Constitution espagnole qui proclame « l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. »

Une épreuve de force inévitable

Ce vendredi 6 novembre, sur la radio espagnole Cadena Ser, une des membres du TC, Encarnación Roca, a d’ailleurs clairement affirmé que si « le gouvernement catalan (en réalité, le parlement, NDLR) approuvait lundi la résolution, ce que nous ferons, en accord avec notre propre Constitution, sera de la suspendre parce que il ne nous restera pas d’autres solutions. » La messe semble donc dite, car, au même moment, les partis indépendantistes faisaient enregistrer leur motion auprès du bureau du parlement régional où ils disposent de la majorité absolue. Or, si l’exécutif catalan respecte la résolution du parlement et donc décide de désobéir au TC, le gouvernement espagnol n’aura pas d’autres recours que l’article 155 de la constitution qui permet d’avoir tous les moyens pour faire rentrer les pouvoirs régionaux dans le respect de la loi fondamentale. Ce vendredi, le gouvernement de Madrid a indiqué qu’il se réunira dès le vote de la déclaration catalane pour agir.

La faiblesse de Madrid

On se dirige donc logiquement vers une véritable épreuve de force entre Madrid et Barcelone. Dans ce cadre, l’Etat espagnol dispose d’une faiblesse fondamentale : celle de l’application concrète de l’article 155 en cas de désobéissance déterminée du gouvernement catalan. L’usage de la force est une option peu crédible, d’abord parce qu’elle alimenterait l’indépendantisme en mettant à jour la violence de l’Etat espagnol, ensuite parce que les moyens de coercition de l’Etat en Catalogne sont faibles. Il faudrait donc organiser une « conquête » de la région, ce qui n’est pas crédible. Le ministre de l’Intérieur espagnol José Fernández Díaz l’a d’ailleurs reconnu cette semaine en déclarant qu’il « n’enverra pas la garde civile défiler sur la Diagonal (la grande avenue barcelonaise, NDLR). »

Tout acte supplémentaire, comme la suspension des droits et libertés permise par l’article 55 de la constitution espagnole ou l’état d’exception permis par l’article 116, pour appliquer l’article 155 conduirait à la même impasse. Concrètement, l’article 155 pourrait donc n’avoir comme résultat que d’invalider juridiquement aux yeux de l’Espagne les lois catalanes. Cela n’irait pas sans problème pour la Catalogne, notamment dans ses relations internationales, mais cela reviendrait en réalité à réaliser de facto cette « déconnexion » voulue par les indépendantistes catalans. Bref, c’est un casse-tête pour Madrid, quoi qu’en disent les ministres espagnols qui, en cette période de campagne électorale, aiment à se poser en position de force face aux « rebelles » catalans.

La division des indépendantistes autour du « cas » Artur Mas

Mais, en réalité, la principale chance des unionistes résident dans les faiblesses des indépendantistes. Et la principale de leurs faiblesses, c’est leur désunion. Si les deux partis sécessionnistes, Junts Pel Sí (qui regroupe la gauche républicaine, le centre-droit du président catalan Artur Mas et les associations souverainistes) et la gauche radicale indépendantiste de la CUP, se sont mis d’accord sur la motion déjà citée et s’ils disposent de la majorité parlementaire, ils se déchirent encore sur la question centrale de l’élection du président de la Generalitat, le gouvernement régional.

Le refus de la CUP

Au centre de cette querelle, il y a la figure d’Artur Mas, le président sortant. Cet homme est à la tête de l’exécutif catalan depuis 2010. Pour la CUP, il est une figure détestée qui incarne l’application des mesures d’austérité qu’il a mises en place à partir de 2011. La CUP, qui a été un des grands vainqueurs des élections du 27 septembre, a fait campagne sur le refus de soutenir Artur Mas et avait précisément refusé d’entrer dans Junts Pel Sí entre autres pour ne pas s’allier avec ce dernier. Cette détermination est encore plus forte depuis qu’a éclatée voici quelques semaines, un nouveau scandale de corruption sur les marchés publics où serait impliqué le parti d’Artur Mas, la CDC. Pour la CUP, Artur Mas, dauphin désigné de Jordi Pujol, l’ancien président de la Generalitat qui avait mis en œuvre un système d’évasion fiscale vers Andorre, est l’incarnation du « vieux monde » dont précisément l’indépendance doit permettre de se débarrasser. Le parti de gauche radicale ne veut donc pas soutenir Artur Mas, même pour ouvrir un processus de sécession, car ce serait donner raison aux critiques unionistes qui estiment que l’indépendance est un moyen pour la « bande à Mas » d’éviter de répondre devant la justice espagnole. Mercredi 4 novembre, la CUP a annoncé officiellement qu’elle ne votera pas pour Artur Mas.

Artur Mas déterminé

Mais, en face, Artur Mas ne veut pas renoncer à la présidence de la Generalitat. Il est, il est vrai, l’artisan de l’élection du 27 septembre et de la conversion d’une grande partie des Catalans à l’indépendantisme. C’est lui qui a fait évoluer la CDC de l’autonomiste Jordi Pujol vers le sécessionnisme. C’est lui qui a œuvré pour le lancement d’élections « plébiscitaires » centrées sur l’indépendance et c’est lui qui est à l’origine de la coalition Junts Pel Sí. Parmi les engagements de cette liste, il y avait le maintien d’Artur Mas à la présidence. Ce dernier se juge d’autant plus légitime qu’il se présente désormais comme un martyr de l’indépendance depuis qu’un tribunal l’a inculpé pour l’organisation de la consultation du 9 novembre 2014 sur l’indépendance. Bref, pas un des deux camps ne veut céder. Et sans la CUP, Artur Mas n’a aucune chance d’être élu.

Deux mois pour trouver un accord, ou de nouvelles élections…

Or, sans accord, il est clair que la situation sera beaucoup plus difficile pour le gouvernement catalan, qui ne sera qu’un gouvernement intérimaire. Comment un tel gouvernement pourrait faire front efficacement à la réaction espagnole ? D’autant que l’article 67.3 du statut d’autonomie catalan prévoit qu’après deux mois à compter du premier vote d’investiture, le président de la Generalitat n’est pas élu, le parlement est dissout et de nouvelles élections doivent être organisées. Dans ce cas, il y a fort à parier que le camp indépendantiste paierait cher sa désunion auprès de la population…

Ceci donne il est vrai deux mois à la CUP et à Junts Pel Sí pour trouver un compromis. Ce ne sera pas aisé, car chacun campe sur ses positions, tout en assurant travailler à un accord. Dans la motion commune déposée vendredi, une annexe nouvelle à ce texte prévoit de nombreuses mesures sociales sur la sécurité de l’accès à l’énergie pour les plus pauvres, la scolarité ou encore l’assurance d’un système de santé de qualité. Ce sont autant de concessions faits par Junts Pel Sí à la CUP. Mais sera-ce suffisant ? Ce qui est certain, c’est qu’on voit mal Artur Mas s’effacer au profit d’un partenaire de consensus. Le déclic pourrait donc venir d’un événement extérieur et de la réaction de l’Etat espagnol.

Dialectique des événements

En cas d’application de l’article 155, la CUP pourrait, face à la menace, oublier ses exigences et faire front au moins temporairement en investissant Artur Mas. Mais, du coup, Madrid appliquera-t-il cet article au risque de souder des Indépendantistes divisés ? S’il y a des actes ouverts de désobéissance, l’article 155 sera incontournable légalement. Et même un gouvernement catalan intérimaire pourrait se considérer comme tenu par la déclaration votée par le parlement et demandant la désobéissance au TC. Dès lors, en appliquant cette désobéissance, Artur Mas pourrait s’attacher la CUP. De même, le résultat des élections espagnole du 20 décembre et la possible arrivée au pouvoir du parti des citoyens, Ciudadanos, farouchement unioniste, dans une coalition à Madrid pourrait ressouder le camp indépendantiste en Catalogne. Bref, la situation est donc très tactique. Elle va évoluer dans cette dialectique entre réponse de l’Espagne et jeu interne à l’indépendantisme catalan.

Absence de soutien international

Reste un autre élément : les indépendantistes, surtout ceux de Junst Pel Sí, espéraient beaucoup de la « communauté internationale » et de l’Europe pour soutenir leur cause face à l’Espagne. Cette solidarité internationale semble ne pas être en mesure de se dessiner pour l’instant. Contrairement à ce que l’on lit parfois en France, l’UE ne défend pas le régionalisme face aux Etats et la version officielle demeure qu’en cas d’indépendance, la Catalogne sortira de l’UE et, de facto, de la zone euro. Aucun pays européen n’a, pour le moment, fait mine de soutenir même la discussion. La crise catalane est vue comme un phénomène interne, ce qui incite naturellement Madrid à « régler » ce problème par les moyens légaux à sa disposition sans faire de concessions. Les indépendantistes ne pourront donc sans doute compter que sur leurs propres forces. Raison de plus, sans doute pour s’unir.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 06/11/2015

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Catalogne : le parlement lance le processus d’indépendance par Romaric Godin

Source : LaTribune, Romaric Godin, 09/11/2015

Un drapeau indépendantiste catalan à une fenêtre barcelonaise. Le parlement catalan a ouvert la voie à l’indépendance. (Crédits : Reuters)

Le parlement catalan a adopté une résolution demandant le lancement d’un procession de “déconnexion” avec l’Espagne. Mais la désunion du camp indépendantiste pourrait faire échouer cette ambition.

Un an jour pour jour après la « consultation » sur l’indépendance de la Catalogne interdite par le Tribunal Constitutionnel, le nouveau parlement élu de Catalogne a engagé le processus de sécession de la région avec l’Etat espagnol. 72 députés sur 135, soit l’intégralité des élus des deux listes indépendantistes, ont en effet voté un texte présenté par ces mêmes listes. Ce document demande au prochain gouvernement catalan d’initier une politique de « déconnexion » avec l’Espagne pour “créer un Etat catalan en forme de république” et d’engager des négociations dans ce sens avec Madrid.

Appel à la désobéissance

Mais l’élément le plus explosif de cette motion est l’appel à la désobéissance du gouvernement catalan. Même si le mot n’est pas écrit dans la motion votée, cette dernière demande à l’exécutif de « remplir seulement les normes et mandats venant de cette Chambre, légitime et démocratique, afin d’assurer les droits fondamentaux qui pourraient être affectées par les décisions des institutions de l’Etat espagnol » (point 8). Le point 5 indique que « le processus de déconnexion démocratique ne se soumettra pas aux décisions des institutions de l’Etat espagnol. »

Un référendum en ligne de mire

Autrement dit, le texte approuvé aujourd’hui par un parlement régional de l’Etat espagnol reconnaît l’illégalité de sa décision dans le cadre espagnol et place sa légitimité au-dessus de la constitution de 1978. Sans être la déclaration unilatérale d’indépendance que demandait initialement le parti de gauche radicale CUP, c’est donc un geste extrêmement fort qui engage un processus de rupture. « Avec cette résolution, nous donnons solennellement un départ à la construction d’un Etat catalan », a indiqué à la tribune du parlement Raul Romeva, la tête de liste de Junts pel Sí, la principale liste indépendantiste.

Pour autant, la nuance n’est pas faible. Si le parlement catalan refuse la légalité espagnole, c’est pour parvenir à imposer ce qui est impossible dans le cadre de cette légalité : un référendum sur l’indépendance. Celui du 9 novembre avait été interdit par le Tribunal Constitutionnel et avait dû se muer en « consultation citoyenne » pour l’organisation de laquelle les dirigeants catalans sont aujourd’hui poursuivis par la justice espagnole. Et si les indépendantistes n’ont pas obtenu la majorité des voix, ils entendent organiser un processus qui puisse déboucher sur un vote clair et définitif par référendum, ce qui est la procédure couramment utilisé dans ces cas dans d’autres pays (ex-Yougoslavie, Canada, Ecosse).

La réaction de Madrid

Que va-t-il se passer à présent ? Vendredi 6 novembre, le gouvernement espagnol avait promis de réagir vite. Il a tenu parole. Mariano Rajoy, le président du gouvernement catalan a lancé dès ce lundi midi la procédure pour promptement porter cette motion devant le Tribunal Constitutionnel (TC) pour que ce dernier en constate l’inconstitutionnalité, ce qui ne fait aucun doute, pas même à ses rédacteurs. Une fois cette illégalité proclamée, le bras de fer entre Madrid et Barcelone sera engagée. Car le gouvernement catalan sera mis au défi de respecter ou l’ordre constitutionnel espagnol ou l’ordre démocratique purement catalan revendiqué par la motion de « son » parlement. S’il fait le second choix. Autrement dit, si le gouvernement régional décide de se considérer comme lié par la motion et engage effectivement la création de structures pour un nouvel Etat, alors la rupture sera consommée. Un nouvel acte s’ouvrira alors.

L’article 155

Madrid peut réagir à cette désobéissance par la mise en place de l’article 155 de la Constitution espagnole qui prévoit que « si une communauté autonome (région) ne remplit pas les obligations que la Constitution lui imposent ou si elle agit de façon à porter gravement atteinte à l’intérêt général de l’Espagne, le gouvernement espagnol, après avoir préalablement mis en demeure le président de la Communauté autonome et si cette mise en demeure n’aboutit pas, pourra, avec l’approbation de la majorité absolue du Sénat, prendre les mesures nécessaires pour la contraindre à respecter ces obligations ou pour protéger l’intérêt général mentionné. »

Cette procédure est souvent comprise comme la possibilité donnée à l’Etat central de suspendre l’autonomie régionale et, donc, le gouvernement et le parlement local. Il présente cependant quelques difficultés concrètes de mise en œuvre. Notamment, la convocation du Sénat, alors que les Cortès, le parlement espagnol, ont été officiellement dissouts fin octobre. Madrid soutient cependant que les Cortès restent légalement en fonction jusqu’à la convocation du nouveau parlement le 14 janvier. Il pourrait donc être possible de convoquer le Sénat.

Cet article avait été rédigé en 1978 en ayant à l’esprit les événements du 6 octobre 1934 où le président de la Generalitat Lluis Companys avait proclamé un « Etat catalan dans la république ibérique » avant que l’intervention de l’armée espagnole mette fin à cette tentative de sécession. C’est donc un article prévu pour les événements comme ceux que l’on vit aujourd’hui.

La désunion indépendantiste bloque l’application de la motion

Selon le quotidien madrilène El Mundo, le gouvernement de Mariano Rajoy prévoit cependant d’avancer progressivement. Il y a tout intérêt, car la motion votée au parlement catalan pourrait, dans un premier temps, rester lettre morte. En effet, pour l’appliquer, il faut un gouvernement catalan issu du parlement qui l’a votée. Or, pour le moment, il n’y a pas d’accord entre les deux listes constitutionnels : Junts Pel Sí et la CUP, sur le nom du futur président de la Generalitat, autrement dit du président catalan. Junts Pel Sí est une alliance électorale qui a été construite par le centriste Artur Mas, président sortant, autour de sa candidature. Mais la CUP rejette cette candidature en raison des soupçons de corruption qui l’entourent et de l’application par son gouvernement de sévères mesures d’austérité qui répercutaient en Catalogne la politique de Mariano Rajoy. « Il faut laisser derrière nous la Catalogne des coupes budgétaires, des privatisations et de la corruption », a déclaré la numéro 2 de la CUP Ana Gabriel devant le parlement ce lundi.

Pour le moment, la situation est bloquée. La CUP a refusé de voter pour Artur Mas et propose un candidat de compromis, Neus Munté, la vice-présidente du gouvernement et membre du même parti qu’Artur Mas. Mais cette dernière a refusé, se disant « à 100 % à côté d’Artur Mas. » Le vote présidentiel aura lieu mardi 10 novembre. S’il débouche sur un échec (Junts Pel Sí ne dispose pas de la majorité absolue sans la CUP), les négociations continueront, mais il n’y aura en Catalogne qu’un gouvernement intérimaire. Et si le 10 janvier, il n’y a pas de nouveau président, il y aura de nouvelles élections en mars en Catalogne.

Réaction progressive de Madrid

Selon des titres de presse catalane, c’est le scénario voulu par Artur Mas. Mais, selon El Mundo, ce serait aussi celui de Mariano Rajoy. Le gouvernement catalan provisoire ne pourrait en effet pas se lancer dans la « désobéissance » dans une telle situation. Dans ce cas, il suffirait d’attendre mars et de vaincre les indépendantistes dans les urnes pour refermer la page sécessionniste et enterrer la déclaration de ce 9 novembre. Le gouvernement de Madrid a donc tout intérêt à ne pas engager de provocations pour le moment, notamment à user de l’article 155. Tout acte de ce type conduirait en effet à unifier le camp indépendantiste.

Les plans de Madrid pour contrôler la police catalane

Cependant, El Mundo indique qu’en cas d’élection d’un président et de lancement concret du processus indépendantiste, le gouvernement envisage d’agir progressivement pour faire céder l’exécutif catalan. D’abord, en coupant les transferts financiers vers la Catalogne. Mais il s’expose alors à la prise de contrôle de l’administration fiscale par la Generalitat pour empêcher les impôts catalans de remonter à Madrid. Ensuite, en portant plainte contre le président régional et contre la présidente du parlement catalan.

Ce n’est qu’ensuite, si rien ne change, que Madrid entend utiliser l’article 155 avec un geste fort : la prise de contrôle de la police catalane, les Mossos D’Esquadra. Selon les données de Madrid révélées par El Mundo, seuls 300 des 17.000 Mossos seraient prêts à refuser cette prise de contrôle par le ministère espagnol de l’intérieur, la masse restera fidèle à l’Espagne. Un chiffre qui semble sans doute exagéré, mais qui fera son effet certainement sur une partie de la population catalane. Une fois les forces de l’ordre contrôlées, la suspension des institutions catalanes pourrait paraître aisée. Si, évidemment, les Catalans ne descendent pas dans les rues pour défendre leurs institutions…

En tout cas, le journal conservateur madrilène assure que la Commission européenne et les Etats de l’UE soutiendront Madrid et « les moyens employés pour soutenir la légalité. » L’Europe a donc fait son choix et les indépendantistes catalans ne pourront compter pour avancer que sur leur propre détermination.

Le 20 décembre changera-t-il la donne ?

Reste une inconnue : le résultat des élections espagnoles du 20 décembre. Mais ces plans ne devraient guère être remis en cause par une nouvelle majorité. Pour le moment, le Parti populaire de Mariano Rajoy et le parti des Citoyens (Ciudadanos) d’Albert Rivera, farouchement unioniste, semblent en mesure de gouverner ensemble. Or, le programme de ce dernier parti, révélé dimanche, va dans le sens d’une réduction de l’autonomie régionale. Sans doute sera-t-il même partisan d’une méthode plus directe contre l’indépendantisme. Quoi qu’il arrive, le PSOE, le parti socialiste espagnol, semble s’aligner sur le PP et Ciudadanos. Le 20 décembre, à moins d’une poussée aujourd’hui improbable de la gauche radicale, ne changera rien. Reste une hypothèse: si Ciudadanos lance la surenchère sur l’article 155 en critiquant la prudence de Mariano Rajoy, il pourrait décider ce dernier à agir plus rapidement. Et donc à changer la donner. Car le cas catalan est devenu un enjeu majeur de la campagne espagnole.

Source : LaTribune, Romaric Godin, 09/11/2015

 

Source: http://www.les-crises.fr/catalogne-le-parlement-lance-le-processus-dindependance-par-romaric-godin/


Actu’ Ukraine 10/11/2015

Tuesday 10 November 2015 at 00:01

ACTU’UKRAINE DU 2 AU 8 NOVEMBRE 2015

L’actualité de la semaine est dominée par l’ouverture de trois procès d’opposants à Porochenko : Gennady Korban, proche de Kolomoïski ; Gennady Kernes, maire de Kharkov ; et Elena Lukash, ancienne ministre de la Justice sous Ianoukovitch. Par ailleurs, Donetsk et Gorlovka sont bombardés de plus en plus fréquemment.

LUNDI 2 NOVEMBRE 2015

Arrestation de Gennady Korban et d’autres adjoints de Kolomoïski


Courte vidéo qui montre Gennady Korban en colère, en train de jeter de jeter des livres, quelques heures avant son arrestation. Il est le bras droit d’Igor Kolomoïski et le chef du parti UKROP. Aux élections municipales de Kiev, il n’arrive qu’en dixième position avec 2,61% des voix. Auparavant, en juillet 2015, il s’était présenté aux élections à Tchernihiv et n’était arrivé qu’en deuxième position avec 14,76% des voix, contre Serhiy Berezenko du Bloc Porochenko qui avait obtenu 35.90% des voix.

La vidéo montre l’arrestation de Gennady Korban, le samedi 31 octobre. Pendant les premières minutes, on voit Boris Filatov qui parlemente avec les forces Alpha du SBU. Quand le SBU commence à utiliser un bélier, Gennadi Korban ouvre la porte et se rend. La perquisition de son appartement aurait permis de trouver 1,3 millions de dollars, des hrynas et des fusils (youtube). Il est accusé d’organisation d’un groupe criminel, de kidnapping, et de détournement de fonds destinés aux bénévoles de l’ATO (rusvesna.su).

Ses partisans protestent samedi devant le bâtiment de l’administration régionale à Dnepropetrovsk. Ils sont environ un millier, dont 300 en tenue militaire, selon l’OSCE (osce.org). Victime d’un malaise lundi, Korban est hospitalisé (pravda.com.ua). Il est tout de même présenté devant le tribunal. Mais lors de sa sorite, ses partisans tentent de le libérer en bloquant la voiture où il se trouve (pravda.com.ua, youtube). Mardi, ses partisans sont 1800 à manifester à Kiev devant le centre de détention où il a été placé (osce.org).

Vendredi, Korban est mis en liberté provisoire. Il est ramené chez lui à Dnepropetrovsk, où il devra porter un bracelet électronique (youtube).

Le procureur général de l’Ukraine Viktor Chokin annonce qu’un autre proche de Kolomoïski, Mikhail Koshlyak, a aussi été arrêté. Il était prévu que d’autres le soient mais ils se sont enfuis (rusvesna.su). En effet, trois personnes ont quitté précipitamment l’Ukraine : Sviatoslav Oleïnik, ancien vice-gouverneur, Alexandre Lazorko, ex-directeur de Ukrtransnaft, et Timour Novikov, juriste (pravada.com.ua, pravda.com.ua, pravda.com.ua).

Procès du maire de Karkhov/Kharkiv

Le procès du maire récemment réélu de Kharkov/Khariv, Gennady Kernes, et de ses gardes, a commencé à Poltava. Ils sont accusés d’avoir usé de violences en février 2014, à l’encontre deux militants nommés Alexandre Koutianin et Serguei Ryapolov, qui sont des proches d’Anton Gerachenko (poltava.to).

Les extrémistes d’Odessa perturbent une commémoration des victimes du 2 mai

A Odessa, une réunion en mémoire des victimes brûlées il y a un an et demi est perturbée par des activistes d’AutoMaidan (youtube et timer-odessa.net).

Un million de tonnes de charbon extraites dans la DNR en octobre

Les mineurs de la république de Donetsk extraient de plus en plus de charbon : 739.000 tonnes en juillet, 811.000 en août, 965.000 en septembre, et 1.392.000 en octobre (rusvesna.su).

 

MARDI 3 NOVEMBRE 2015

Bousculade puis coup de bouteille sur la tête au parlement

Au parlement, le député Andreï Teterouk (Тетерук) du parti du Front populaire se fait bousculer par Aleksandra Koujel (Кужель) du parti Batkivschina et anciennement du parti des Régions, qui cherche à l’empêcher de terminer son discours sur la corruption. Deux jours plus tard, après la fin d’une séance du parlement, Teterouk s’énerve contre Koujel et lui asséne un coup sur la tête avec une bouteille en verre (rusvesna.su). Plus tard, Teterouk présente ses excuses. Mais Batkivschina refuse de prendre part aux réunions tant que Teterouk n’est démis de son mandat de député (ria.ru). Le Bloc Porochenko céde et présente une résolution pour la “démission volontaire” d’Andrey Teterouk (capital.ua). Teterouk est né à Vinnitsa, a fait l’école militaire supérieure de Moscou, est devenu colonel. Il a servi en Egypte, au Kosovo, et au Donbass, où il a réussi à quitter le chaudron d’Illovaisk avec 70 de ses hommes. Il avait pointé de nombreuses erreurs des forces armée ukrainiennes, dont l’utilisation de téléphones portables.

Elections régionales (suite)

Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

Cette vidéo explique le rôle de la commission des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, et présente son directeur, Nils Muižnieks qui est un Américain, fils d’immigrés lettons. Il se présente en affirmant travailler de manière indépendante, mais en réalité il est assez anti-russe. Il ne reconnait pas les référendums de Crimée et du Donbass. Il s’inquiète des procédures judiciaires qu’engagent les pro-russes en se servant des lois de défense des droits de l’homme. Il critique le Donbass pour son isolation, mais il finit par admettre que cette isolation est provoquée par le gouvernement ukrainien. Cependant, dans un communiqué de presse, il demande aux autorités ukrainiennes la dissolution de toutes les formations militaires qui ne sont pas intégrées aux Forces armées ukrainiennes et continuent leur activité au Donbass. Il demande également que soient abolies les restrictions de déplacement imposées aux populations le long de la ligne de démarcation, limitations qui aggravent les conditions de vie déjà précaires des civils (coe.int). Cela est confirmé par l’OSCE qui constate de très longues files d’attente. Par exemple le 6 novembre au checkpoint de Maiorsk, l’OSCE a observé 469 véhicules civils en attente dans un sens, et 503 dans l’autre sens (osce.org).

Prêt de 560 millions de dollars par la Banque mondiale

La BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement, aussi appelée Banque Mondiale) accorde à l’Ukraine les 560 millions de dollars qu’elle avait demandé pour l’amélioration de son réseau routier. Ce financement permettra notamment de payer des travaux sur les 140 kilomètres de l’autoroute M03 entre Poltava et Kharkov dont la durée du trajet devrait être abaissée de 140 minutes à 96 minutes (kmu.gov.ua).

MERCREDI 4 NOVEMBRE 2015

Corruption du procureur de Tcherkassy

A Tcherkassy, un procureur est arrêté pour avoir touché un pot-de-vin de mille dollars d’un entrepreneur local afin de bloquer une procédure judiciaire contre celui-ci (
sbu.gov.ua).

La directrice de l’innovation du bureau des brevets, Ukrpatent, Nelia Polonskaya, a avoué avoir détourné 150 millions de hrynas (6,2 millions d’euros) entre 2010 et 2015 (capital.ua).

D’autres cas de corruption sont rapportés sur le site du procureur général de l’Ukraine (gp.gov.ua).

Trois balles tirées dans les vitres du bureau du procureur général Viktor Chokine

Le procureur général militaire Matioss raconte que le 3 novembre vers 21 h 52, alors que Chokine tenait dans son bureau une réunion avec plusieurs collaborateurs, un sniper a tiré trois balles dans les vitres. Heureusement, il s’agissait de vitres blindées, de sorte que ces tirs n’ont blessé ni tué personne.
Nous avons déjà parlé de Chokine dans l’Actu’Ukraine du 5 novembre : “Une interview du procureur général Chokine” (golos.ua).

JEUDI 5 NOVEMBRE 2015

Arrestation de l’ancienne ministre de la Justice

L’ancienne ministre de la Justice Elena Lukash (Лукаш) a été enlevée par le SBU alors qu’elle préparait son dîner. Elle est accusée de détournements de fonds publics et de falsification (zn.ua). Après une nuit d’interrogatoire, elle a finalement pu parler un peu à la presse pour dire que les plaintes contre elles sont artificielles et fabriquées. Elle est surprise qu’on l’arrête maintenant alors que ça fait un an et demi qu’elle vit à Kiev sans se cacher. Elle avait été accusée d’être impliquée dans les fusillades de militants sur place de l’Indépendance à Kiev du 18 au 22 février 2014 (interfax.com.ua). Finalement, elle a été remise en liberté provisoire contre le paiement d’une caution de 5,1 millions de hrynas (210.000 euros). Elle fait partie des personnes sanctionnées par l’Union Européenne et le Canada (interfax.com.ua).

Augmentation record du prix des légumes de saison en octobre

Au mois d’octobre, les légumes composant ce que l’on nomme “le mélange pour le bortsch” (pommes de terre, choux, carottes, betteraves, et oignons) ont augmenté de façon importante. “En un mois, cet ensemble a augmenté une fois et demi, malgré la période de ramassage, durant laquelle le prix des légumes diminue traditionnellement en raison d’une offre accrue”, a déclaré la directrice du projet “APK-Inform, légumes et fruits”, Tatiana Guetman. Ce serait dû à la sécheresse et à la spéculation (epravada.com.ua, article avec des graphiques).

Porochenko et Christine Lagarde se sont parlé

Porochenko a discuté avec Christine Lagarde au téléphone dans le but de mettre au point les efforts à faire par l’Ukraine pour satisfaire aux conditions du FMI (pravada.com.ua). Lagarde a félicité Porochenko pour les résultats aux élections, et Porochenko a félicité et remercié Lagarde pour le “soutien sans faille du FMI à l’Ukraine” (president.gov.ua).

Le gazoduc qui passe par l’Ukraine lui rapporte 2 milliards de dollars par an

Arseni Yatseniouk, en déplacement à Riga, a déclaré que lorsque le gazoduc North Stream 2 sera construit, il privera l’Ukraine de 2 milliards de dollars de profit, la Slovaquie de 0,8 milliard, et la Pologne de 0,4 milliard. Ce gazoduc en mer Baltique est un projet d’un consortium réunissant : Gazprom, E.ON, BASF/Wintershall, OMV, Engie, et Shell (interfax.com.ua).

Les USA veulent le retour de la Crimée en Ukraine

Le port de plaisance de Balaklava en Crimée.

A Washington, l’ancienne secrétaire adjointe à la Défense pour la Russie, l’Ukraine et l’Eurasie, Evelyn Farkas, déclare que les Etats-Unis continueront à faire pression sur la Russie pour que la Crimée soit attachée de nouveau à l’Ukraine, confirmant des propos similaires de Barack Obama (tass.ru).

Porochenko est convaincu que l’Ukraine entrera dans l’OTAN d’ici 6 à 8 ans, ce qui lui permettra de prendre la Crimée (capital.ua).

 

VENDREDI 6 NOVEMBRE 2015

Célébration du 72ème anniversaire de la libération de Kiev

Quelques dizaines de téméraires du Parti socialiste progressiste d’Ukraine de Natalia Vitrenko, du Parti communiste ukrainien, de la jeunesse communiste, d’autres organisations de gauche et d’organisations religieuses orthodoxes ont défilé à Kiev avec les drapeaux rouges, des rubans de St Georges et des pancartes avec les inscriptions : “Les traîtres d’hier au service de Hitler, aujourd’hui, au service d’impérialisme des Etats-Unis”, “Le Nurenberg ukrainien est inévitable !”, “Gloire aux libérateurs de Kiev”. Les participants ont tenu un meeting devant la Flamme Eternelle et ont déposé des gerbes de fleurs au monument du général Vatoutine (politnavigator).

Réunion au format Normandie à Berlin

Les ministres des affaires étrangères, Luranet Fabius, Pavlo Klimkin, Franz-Walter Steinmeier et Seguei Lavro se sont réuni à Berlin (dw.com).

SAMEDI 7 NOVEMBRE 2015

Le bureau du procureur anti-corruption sera financé par l’Union Européenne

L’ambassadeur de l’Union Européenne à Kiev, Jan Tombiński, a confirmé que l’UE ne bloque pas son aide financière pour cet organe anti-corruption qui sera créé en décembre 2015 (ria.ru).

DIMANCHE 8 NOVEMBRE 2015

La Russie a prêté 11,4 milliards de dollars à l’Ukraine

Les filiales ukrainiennes de trois banques russes (Сбербанк, ВТБ, украинский Проминвестбанк) ont prêté pour 8,4 milliards de dollars et craignent de ne pas les récupérer (capital.ua). Cela s’ajoute aux 3 milliards de dollars en Eurobonds que la Russie a prêté à l’Ukraine avant le changement de pouvoir et qui doivent commencer à être remboursés le 20 décembre 2015.

Augmentation des bombardements de Donetsk

Les observateurs de l’OSCE notent de plus en plus d’incidents (osce.org). Le centre de Dontesk a même été touché par des MLS-Grad (novorossia.today).

Le président de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, Ilkka Kanerva, s’est dit préoccupé par la montée de violence ces derniers jours en Ukraine orientale (interfax.com.ua).

Source: http://www.les-crises.fr/actu-ukraine-1112015/


[Recommandé ] Ce que signifie le socialisme, par Chris Hedges

Monday 9 November 2015 at 04:48

Source : Chris Hedges,  Le Partage, 03/10/2015

 

Article original publié en anglais sur le site de truthdig.com, le 20 septembre 2015.

Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Récipiendaire d’un prix Pulitzer, Chris Hedges fut correspondant de guerre pour le New York Times pendant 15 ans. Reconnu pour ses articles d’analyse sociale et politique de la situation américaine, ses écrits paraissent maintenant dans la presse indépendante, dont Harper’s, The New York Review of Books, Mother Jones et The Nation. Il a également enseigné aux universités Columbia et Princeton. Il est éditorialiste du lundi pour le site Truthdig.com.


Nous vivons une époque révolutionnaire. L’expérience politique et économique qui a tenté d’organiser le comportement humain autour des diktats du marché mondial a échoué. La prospérité promise qui devait élever les niveaux de vie des travailleurs grâce aux retombées économiques, s’avère être un mensonge. Une toute petite poignée d’oligarques disséminés à travers la planète ont amassé une fortune obscène, tandis que la machine d’un capitalisme corporatif débridé pille les ressources, exploite une main-d’œuvre désorganisée et bon marché et crée des gouvernements corrompus et malléables qui abandonnent le bien commun au nom du profit corporatiste. L’implacable course au profit de l’industrie des énergies fossiles détruit l’écosystème, menaçant la viabilité de l’espèce humaine. Et il n’existe plus au sein des structures de pouvoir aucun mécanisme pouvant enclencher une véritable réforme ou mettre un terme à l’attaque corporatiste. Ces structures ont capitulé devant le contrôle corporatiste. Les citoyens ont perdu leur raison d’être. Ils ou elles peuvent participer à des élections lourdement mises en scène, mais les exigences des corporations et des banques sont prépondérantes.

L’histoire a prouvé dans une large mesure que la prise de pouvoir par une toute petite cabale, qu’il s’agisse d’un parti politique ou d’une clique oligarchique, mène au despotisme. Les gouvernements qui servent exclusivement un groupe d’intérêt restreint et poussent l’appareil étatique à favoriser les intérêts de ce groupe ne sont plus en mesure de réagir de façon rationnelle en temps de crise. Servant aveuglément leurs maîtres, ils approuvent le pillage des trésors de l’état servant à renflouer des sociétés financières et des banques corrompues tout en ignorant le chômage et le sous-emploi chroniques, ainsi que la stagnation ou la baisse des salaires, la servitude écrasante des dettes, l’effondrement des infrastructures, et les millions de personnes qui se retrouvent démunies et souvent sans-abri, victimes de saisies et d’emprunts immobiliers illusoires.

Une classe libérale décadente, prônant des valeurs qu’elle ne fait rien pour défendre, se discrédite elle-même ainsi que les prétendues valeurs libérales d’une démocratie citoyenne en se voyant rejetée avec ces mêmes valeurs. A ce moment-là, une catastrophe politique, économique ou naturelle — en un mot une crise — déclenchera des troubles, mènera à l’instabilité et verra l’état mettre en place des formes de répression draconiennes pour maintenir « l’ordre ». Voilà ce qui nous attend.

Comme l’a écrit Friedrich Engels, nous nous dirigerons soit vers le socialisme soit vers la barbarie. Si nous ne démantelons pas le capitalisme nous tomberons dans le chaos hobbesien des états défaillants, des migrations de masse — auxquelles nous assistons déjà — et de guerre sans fin. Les populations, particulièrement dans les pays du Sud, subiront la misère et un taux de mortalité élevé dû à l’effondrement des écosystèmes et des infrastructures, à une échelle qui n’a pas été atteinte depuis peut-être la peste noire. Aucun arrangement n’est possible avec le capitalisme mondial. Si nous ne renversons pas ce système il nous broiera. Et en ces temps de crise nous devons nous souvenir de ce que signifie être socialiste et de ce que cela ne signifie pas.

En tout premier lieu, tous les socialistes sont sans équivoque antimilitaristes et anti impérialistes. Ils savent qu’aucune réforme sociale, politique, économique ou culturelle n’est possible tant que les militaristes et leurs alliés corporatistes de l’industrie de guerre continueront de piller le budget de l’état, provoquant la faim chez les pauvres, la détresse des travailleurs, l’effondrement des infrastructures, le sabrage des services sociaux au nom de l’austérité. La psychose de la guerre permanente, qui a corrompu la classe politique après la première guerre mondiale avec la guerre interne et externe contre le communisme, et qui s’est muée aujourd’hui en guerre contre le terrorisme, est utilisée par l’état pour nous dépouiller de nos libertés civiques, réorienter nos ressources vers la machine de guerre et criminaliser la contestation démocratique. Nous avons dilapidé des billions de dollars et de ressources en guerres futiles et interminables, du Vietnam au Moyen-Orient, à une époque de crise écologique et financière. La folie de la guerre sans fin est un des signes d’une civilisation mourante. Un avion de combat F-22 Raptor coûte 350 millions de dollars. Nous en possédons 187. Un missile de croisière Tomahawk coûte 1,41 millions de dollars. Nous en avons lancé 161 lorsque nous avons attaqué la Libye. Cette seule attaque de la Libye nous a coûté un quart de milliard de dollars. Nous dépensons un total estimé à 1,7 billions de dollars par an pour l’effort de guerre, bien plus que les 54% officiels de dépenses discrétionnaires, soit environ 600 milliards de dollars. Aucun profond changement n’est possible sans démanteler la machine de guerre.

Nous sommes en guerre de manière quasi ininterrompue depuis la première guerre du Golfe en 1991, suivie par la Somalie en 1992, Haïti en 1994, la Bosnie en 1995, la Serbie et le Kosovo en 1999, l’Afghanistan en 2001, où nous nous battons depuis 14 ans, et l’Irak en 2003.  Et nous pouvons y rajouter le Yémen, la Libye, le Pakistan et la Syrie, ainsi que la guerre par procuration menée par Israël contre le peuple palestinien.

Le coût humain est épouvantable. Plus d’un million de morts en Irak. Sans compter les millions de déplacés ou de réfugiés. L’Irak ne sera plus jamais un état unifié. Et c’est notre industrie militaire qui a créé cette pagaille. Nous avons attaqué un pays qui ne nous avait pas menacés, et n’avait nullement l’intention de menacer ses voisins, et nous avons détruit une des infrastructures les plus modernes du Moyen-Orient. Nous y avons amené non seulement la terreur et la mort — dont les escadrons de la mort Shiite que nous avons armés et entraînés — mais aussi des pannes de courant, des pénuries alimentaires et l’effondrement des services les plus élémentaires, du ramassage des ordures jusqu’au traitement de l’eau et des eaux usées. Nous avons démantelé les institutions irakiennes, dissous leurs forces de sécurité, provoqué la crise de leur service de santé et généré une pauvreté et un chômage massifs. Et de ce chaos ont surgi des rebelles, des gangsters, des réseaux de kidnapping, des djihadistes et des groupes paramilitaires voyous — dont les mercenaires que nous avons engagés, comme l’actuelle armée en Irak. Gary Leupp dans un article de Counterpunch titrant « Comment George Bush a détruit le temple de Baal » ne s’est pas trompé en écrivant :

« Bush a détruit la loi et l’ordre qui avaient permis aux filles de se rendre à l’école, tête nue et vêtues à la mode occidentale. Il a détruit la liberté des médecins et autres professionnels de faire leur travail et a poussé un nombre considérable d’entre eux à quitter leur pays. Il a détruit des quartiers entiers obligeant les habitants à fuir pour sauver leur vie. Il a détruit la communauté chrétienne, qui est tombée de 1,5 millions en 2001 à peut-être 200 000 dix ans plus tard. Il a détruit le sécularisme, idéologie qui était largement répandue, inaugurant une ère de sectarisme âprement contesté. Il a détruit le droit de diffuser du rock’n’ roll ou de vendre de l’alcool et des DVD.

Il a détruit la stabilité de la province d’Anbar en semant le chaos qui a permis à Abou Moussab al-Zarqawi d’établir — pour la première fois — une branche d’Al-Qaïda en Irak.

Il a détruit la stabilité de la Syrie lorsque  » Al-Qaïda en Mésopotamie » (que nous appelons maintenant ISIS) s’est repliée dans ce pays voisin au cours du « soulèvement » de 2007. En créant des vacances de pouvoir et en générant de nouvelles branches d’al-Qaïda, il a détruit la communauté Yazidi qui avait jusque-là échappé au génocide et à l’esclavage. En facilitant l’apparition de ISIS, il a détruit la perspective d’un « printemps arabe » paisible en Syrie, trois ans après la fin de son mandat.

L’ouvrage le plus complet de ce joyau splendide dans un site antique et préservé, mélangeant des influences artistiques romaine, syrienne et égyptienne, n’est plus qu’un tas de ruines. »

Les champs de bataille à l’étranger servent de laboratoires aux architectes du massacre industriel. Ils perfectionnent les instruments du contrôle et de l’annihilation sur les stigmatisés et les indigents. Mais ces instruments finissent par regagner le cœur de l’empire. Alors que les corporatistes et les militaristes étripent la nation, transformant nos sites industriels en déserts et abandonnant nos citoyens à la pauvreté et au désespoir, les méthodes d’assujettissement familières à ceux qui se trouvent à l’autre bout du monde reviennent vers nous — surveillance généralisée, usage inconsidéré de la force meurtrière dans les rues de nos villes contre des citoyens non armés, privation de libertés civiques, dysfonctionnement du système judiciaire, drones, arrestations arbitraires, détentions et incarcérations de masse. L’empire finit par s’imposer à lui-même la tyrannie qu’il impose aux autres, nous rappelle Thucydide. Ceux qui tuent en notre nom à l’étranger tuent bientôt en notre nom sur le sol national. La démocratie est anéantie. Comme le déclarait le socialiste allemand Karl Liebknecht lors de la première guerre mondiale : « L’ennemi principal est dans notre pays ». Si nous ne détruisons pas les machines de la guerre sans fin et ne neutralisons pas ceux qui en tirent profit, nous en serons les prochaines victimes ; de fait, nombre de ceux qui appartiennent à nos communautés marginales le sont déjà.

Vous ne pouvez pas être socialiste et impérialiste. Vous ne pouvez pas, ainsi que Bernie Sanders l’a fait, soutenir les guerres de l’administration Obama en Afghanistan, en Irak, en Libye, au Pakistan, en Somalie et au Yémen et être socialiste. Vous ne pouvez pas, ainsi que Sanders l’a fait, voter pour tous les budgets alloués à la défense, y compris des projets de loi et des résolutions habilitant et autorisant Israël à se livrer au lent génocide du peuple palestinien, et être socialiste. Et vous ne pouvez pas glorifier les entrepreneurs militaires, ainsi que Sanders l’a fait, sous prétexte qu’ils génèrent des emplois dans votre État. Il est possible que Sanders possède parfaitement la rhétorique de l’inégalité, mais il est membre à part entière du Caucus démocrate, qui s’agenouille devant l’industrie de guerre et ses lobbyistes. Et aucun mouvement populaire authentique ne naîtra jamais dans les entrailles du Parti démocrate qui tente actuellement de faire taire Sanders afin de s’assurer que son favori accède à l’investiture. Aucun élu n’ose défier aucun système d’armement même s’il est coûteux et superflu. Et Sanders qui vote avec les démocrates à 98 %, évite de se confronter au maître de la guerre.

Sanders, bien entendu, comme tous les élus, profite de ce pacte faustien. La direction du Parti démocrate du Vermont, en échange de sa soumission, n’a appuyé la candidature d’aucun candidat contre Sanders depuis 1990. Sanders soutient des candidats démocrates quelle que soit la dose de néolibéralisme qu’ils tentent de nous imposer, y compris Bill Clinton et Barack Obama. Et Sanders, de mèche avec les démocrates, est le premier obstacle à l’édification d’un troisième parti dans le Vermont.

Il existe une raison pour laquelle aucun membre de la classe politique dominante, Sanders inclus, n’ose dire un mot contre l’industrie de la guerre. Si vous le faites, vous finissez comme Ralph Nader, rejeté dans un désert politique. Nader n’avait pas peur de dire la vérité. Et je crains que ce ne soit dans le désert que résident en ce moment les vrais socialistes. Les socialistes comprennent que si nous ne démantelons pas l’industrie de la guerre, rien, absolument rien, ne changera ; en effet, les choses ne feront qu’empirer.

La guerre n’est qu’un business. Les guerres impérialistes s’emparent des ressources naturelles pour le compte des corporations et garantissent les profits de l’industrie des armes. Ceci est aussi vrai pour l’Irak que ce le fut lors de nos campagnes de génocide contre les Indiens. Et, ainsi que l’avait déclaré A. Philip Randolph, c’est seulement lorsqu’il est impossible de tirer profit de la guerre que les guerres sont considérablement écourtées, lorsqu’elles ne sont pas complètement arrêtées. Aucun de ceux qui siègent au conseil d’administration de General Dynamics n’espère la paix au Moyen-Orient. Personne au Pentagone, particulièrement les généraux qui construisent leurs carrières en livrant et en dirigeant des guerres, ne prie pour une cessation des hostilités.

La guerre, camouflée par le langage hypocrite du nationalisme et par l’euphorie qui accompagne la célébration fanatique de la puissance et de la violence, est utilisée par les élites au pouvoir pour contrecarrer et détruire les aspirations des hommes et des femmes qui travaillent et pour détourner notre attention de notre aliénation.

« A travers l’histoire, les guerres ont toujours été menées pour la conquête et le pillage… Voilà en quoi consiste la guerre, en un mot », déclarait pendant la première guerre mondiale le socialiste Eugene V. Debs (cinq fois candidat à l’élection présidentielle). Les maîtres ont toujours déclaré les guerres ; les classes asservies les ont toujours menées.«

Debs, qui avait obtenu un million de voix en 1912, a été condamné à 10 ans de prison pour cette déclaration. Le juge qui le condamna dénonça « ceux qui tentent d’arracher l’épée des mains de leur nation alors qu’elle est en train de se défendre contre une puissance étrangère et brutale. »

« J’ai été accusé de faire obstruction à la guerre », déclara Debs au tribunal. « Je le reconnais. J’abhorre la guerre. Je m’opposerais à la guerre même si je devais être le seul à le faire ».

Debs, qui devait passer 32 mois en prison, jusqu’en 1921, a aussi prononcé un credo socialiste au moment de sa condamnation après avoir été reconnu coupable de violation de l’ « Espionage Act. »

« Votre honneur, il y a des années de cela, j’ai reconnu mon affinité avec tous les êtres vivants, et je fus convaincu que je n’étais pas meilleur d’un iota du plus misérable sur Terre. Je dis alors, et je le dis maintenant, que tant qu’il y aura une classe inférieure, j’en suis, et tant qu’il y aura un élément criminel, j’en suis, et tant qu’il y aura une âme en prison, je ne serai pas libre ».

La classe capitaliste et ses semblables dans l’establishment militaire a réalisé ce que John Ralston Saul nomme un coup d’état au ralenti. Les élites utilisent la guerre, ainsi qu’elles l’ont toujours fait, comme soupape de sécurité en cas de lutte de classes. La guerre, d’après W.E.B Du Bois, crée entre les oligarques et les pauvres une communauté artificielle d’intérêt qui détourne ces derniers de leurs centres d’intérêts naturels. La réorientation des émotions et des frustrations d’ordre national vers la lutte contre un ennemi commun, le jargon du patriotisme, le racisme endémique qui alimente toutes les idéologies qui soutiennent la guerre, les liens fallacieux noués par le sens de la camaraderie, tout cela séduit ceux qui se situent en marge de la société. En temps de guerre, ils éprouvent un sentiment d’appartenance. Ils ont l’impression de posséder un endroit à eux. On leur offre la possibilité de devenir des héros. Et les voilà partis, comme des moutons menés à l’abattoir. Le temps qu’ils comprennent, il est trop tard.

« Le totalitarisme moderne peut intégrer les masses dans la structure politique d’une manière si complète, à travers la terreur et la propagande, qu’elles deviennent les architectes de leur propre asservissement », écrivait Dwight Macdonald. « Cela n’amoindrit pas l’esclavage mais l’accentue bien au contraire — un paradoxe qu’il serait trop long de développer ici. Le collectivisme bureaucratique, et non le capitalisme, est l’ennemi futur le plus dangereux du socialisme. »

« La guerre », ainsi que l’écrivait Randolph Bourne, « est la santé de l’état ». Elle autorise l’état à s’arroger un pouvoir et des ressources qu’une population ne permettrait jamais en temps de paix. C’est la raison pour laquelle l’état de guerre doit s’assurer que nous ayons toujours peur. Seule la violence constante produite par la machine de guerre, nous affirme-t-on, peut assurer notre sécurité. La moindre tentative de mettre un frein aux dépenses et à l’extension du pouvoir profitera à l’ennemi.

Ce sont les militaristes et les capitalistes qui, à la fin de la deuxième guerre mondiale, ont comploté pour réduire les acquis de la population active sous le New Deal. Ils ont recouru à la rhétorique de la guerre froide pour mettre en place une économie axée sur la guerre totale, même en temps de paix. Cela a permis à l’industrie de l’armement de continuer à fabriquer des armes, avec des profits garantis par l’état, et cela a permis aux généraux de continuer à régner sur leurs fiefs. Grâce aux relations incestueuses entre les corporatistes et les militaristes, des généraux et des officiers à la retraite se sont vus proposer des postes lucratifs dans l’industrie de guerre.

Aujourd’hui, la principale activité de l’état consiste à fabriquer des systèmes d’armement et à livrer des guerres. Cette activité n’est plus un moyen parmi d’autres de promouvoir l’intérêt national, comme l’a souligné Simone Weil, mais est devenue le seul et unique intérêt national.

Ces corporatistes et ces militaristes sont les ennemis des socialistes. Ils ont financé et mis sur pied des mouvements, au début du XXe siècle, qui exigeaient la mise en œuvre de réformes au sein même de ces structures capitalistes — et qui s’exprimaient avec le langage de la « politique du productivisme » en éludant le langage de la lutte des classes et en ne parlant que de croissance économique et de partenariat avec la classe capitaliste. La NAACP, par exemple, a été créée pour éloigner les Afro-Américains du parti communiste, la seule organisation radicale au début du XXe siècle qui ne pratiquait pas de discrimination. L’AFL-CIO (American Federation of Labour and Congress of Industrial Organizations) [ le principal regroupement syndical des Etats-unis] a été achetée (plus tard) par la CIA pour pousser à écraser et à supplanter les syndicats radicaux au plan national et international. L’AFL-CIO est aujourd’hui, comme la NAACP, victime de sa propre corruption et de sa sénilité bureaucratique. Ses leaders touchent des salaires mirobolants tandis que sa base qui s’amenuise est dépouillée de ses avantages et de toute protection. Les capitalistes n’ont plus besoin de ce qu’on qualifiait autrefois de syndicalisme « responsable » —  ce qui revenait à dire syndicalisme malléable. Et après que les capitalistes et les militaristes aient éliminé les mouvements radicaux et les syndicats, ils ont achevé ceux qui les avaient naïvement aidés à le faire. C’est pour cette raison que moins de 12 % de la population active de notre pays sont syndiqués et que nous avons des disparités de revenu si considérables et une situation de chômage et de sous-emploi chroniques. L’excédent de main-d’œuvre cherchant désespérément du travail et peu disposée à s’opposer aux patrons pour conserver un emploi est le rempart du capitalisme.

Les radicaux, tels que le syndicat « Industrial Workers of the World » (IWW), ou Wobblies, fondé en 1905 par Mother Jones et Big Bill Haywood, ont été détruit par l’état. Des agents mandatés par le ministère de la Justice ont effectué des descentes simultanées à travers le pays sur 48 lieux où se réunissaient des IWW et ont procédé à l’arrestation de 165 leaders syndicaux de l’IWW. Cent un d’entre eux ont été traduits en justice, dont Big Bill Haywood, et ont témoigné pendant trois jours. L’un des leaders s’est adressé à la cour en ces termes :

« Vous me demandez pourquoi l’IWW ne fait pas preuve de patriotisme envers les Etats-unis. Si vous étiez un clochard sans couverture, si vous aviez quitté votre femme et vos gosses pour aller chercher du boulot dans l’Ouest et que vous n’aviez jamais retrouvé leur trace; si votre boulot n’avais jamais duré suffisamment de temps pour que vous soyez habilité à voter; si vous dormiez dans une taudis infecte et peu accueillant, et que vous arriviez à vous en sortir en mangeant la nourriture la plus infâme qui soit;  si des shérifs criblaient de balles vos boîtes de conserves et renversaient votre bouffe par terre; si les patrons baissaient votre salaire à chaque fois qu’ils pensaient vous avoir soumis; si il y avait une loi pour Ford, Suhr et Mooney et une autre pour Harry Thaw; si chaque représentant de la loi, de l’ordre et de la nation vous tabassait, vous expédiait en prison, et que les bons chrétiens applaudissaient et les encourageaient, comment pourriez-vous imaginer qu’un homme subissant tout cela puisse faire preuve de patriotisme?

Cette guerre est une guerre de businessman et nous ne voyons pas pourquoi nous irions nous faire descendre dans le but de sauvegarder la charmante situation dont nous jouissons actuellement. »

Il fut un temps où les Wobblies organisaient des grèves réunissant des centaines de milliers de travailleurs et où ils prêchaient une doctrine de lutte des classes sans compromis. Il ne reste rien de tout cela. En 1912, le parti socialiste comptait 126 000 membres, 1200 postes administratifs dans 340 municipalités, 29 hebdomadaires en anglais et 22 dans d’autres langues ainsi que trois quotidiens en anglais et six dans d’autres langues. Dans ses rangs, on trouvait des métayers, des employés de l’industrie vestimentaire, des cheminots, des mineurs, des personnes travaillant dans l’hôtellerie, des dockers et des bûcherons. Lui aussi a été liquidé par l’état. Les leaders socialistes ont été emprisonnés ou expulsés. Les publications socialistes telles que « The Masses » et « Appeal to reason » furent interdites. L’assaut, renforcé plus tard par le Maccarthysme, nous a dessaisis du vocabulaire dont nous avons besoin pour comprendre cette réalité qui est la nôtre, pour décrire la guerre des classes que mènent contre nous nos oligarques corporatistes.

Nous renouerons avec ce militantisme, cet engagement sans faille envers le socialisme, sinon, le système que le philosophe politique Sheldon Wolin nomme « totalitarisme inversé » établira l’état sécuritaire et de surveillance le plus efficace de l’histoire de l’humanité, une sorte de néo-féodalisme. Nous devons cesser de dépenser notre énergie dans les campagnes de la politique dominante. Le jeu est truqué. Nous reconstruirons nos mouvements radicaux ou nous deviendrons les otages des capitalistes et des industries de guerre. La peur est le seul langage que comprend l’élite au pouvoir. Il en est ainsi de la sombre réalité de la nature humaine. C’est pourquoi Richard Nixon fut notre dernier président libéral. Nixon n’était pas un libéral [personnellement]. Il était dénué d’empathie et dépourvu de conscience. Mais il avait peur des mouvements. On n’effraie pas l’ennemi en se vendant. On effraie l’ennemi en refusant de se soumettre, en se battant pour sa vision et en s’organisant. Il ne nous appartient pas de prendre le pouvoir. Il nous appartient de construire des mouvements pour contrôler l’exercice du pouvoir. Sans ces mouvements, rien n’est possible.

« Vous obtiendrez la liberté en faisant savoir à votre ennemi que vous feriez tout ce qui est en votre pouvoir pour obtenir votre liberté; ce n’est qu’alors que vous l’obtiendrez », disait Malcom X. « Si vous agissez ainsi, ils vous traiteront de « Negro enragé » ou plutôt de « Noir enragé », car ils ne disent plus « Negro ». Ou bien ils vous qualifieront d’extrémiste ou de révolutionnaire ou de traître ou de rouge ou de radical. Mais si vous êtes suffisamment nombreux et que vous restez radicaux suffisamment longtemps, vous obtiendrez votre liberté. Ne cherchez donc pas à vous faire les amis de ceux qui vous privent de vos droits. Ce ne sont pas vos amis, non, ce sont vos ennemis. Traitez-les comme tels et combattez-les, et vous obtiendrez votre liberté ; et quand vous aurez obtenu votre liberté, votre ennemi vous respectera. Et je dis cela sans haine. Il n’y a pas de haine en moi. Je n’ai pas la moindre haine pour qui que ce soit. Mais j’ai du bon sens. Et je ne laisserai pas un homme qui me hait me dire de l’aimer ».

Le New Deal qui, selon les dires de Franklin Delano Roosevelt, membre fondateur de la classe oligarchique, a sauvé le capitalisme, a été mis en place en raison de la menace sérieuse que représentaient les socialistes qui étaient alors puissants. Les oligarques avaient compris qu’avec la chute du capitalisme — un état de fait que nous connaitrons, je le pense, de notre vivant — une révolution socialiste était vraiment possible. Ils étaient terrifiés à l’idée de perdre leur richesse et leur pouvoir. Roosevelt, dans une lettre à un ami en 1930, avait déclaré qu’il n’y avait « aucun doute pour moi qu’il soit temps que dans ce pays nous devenions plutôt radicaux pour au moins une génération. L’histoire montre que lorsqu’un tel phénomène se produit, les nations échappent aux révolutions ».

En d’autres termes, Roosevelt est allé voir ses amis oligarques et leur a demandé de lui remettre un peu de leur argent s’ils ne voulaient pas perdre tout leur argent dans une révolution. Et ses amis capitalistes se sont exécutés. Et c’est ainsi que le gouvernement a créé 15 millions d’emplois, la sécurité sociale, les allocations chômage et les projets de travaux publics.

George Bernard Shaw l’avait bien compris dans sa pièce « Major Barbara ». Le plus grand des crimes c’est la pauvreté. C’est le crime que tout socialiste est en devoir d’éradiquer. Ainsi qu’écrivait Shaw :

« Tous les autres crimes sont des vertus en comparaison ; tous les autres déshonneurs ne sont que galanterie à côté. La pauvreté ravage toutes les villes, répand de terribles pestilences, foudroie l’âme même de quiconque s’en approche de suffisamment près pour la voir, l’entendre et la sentir. Ce que vous appelez crime n’est rien : un meurtre par ci et un larcin par-là, un coup par ci et une malédiction par là. Quelle importance ont-ils? Ce ne sont là que des accidents et des troubles courants de l’existence ; Il n’y a pas cinquante véritables criminels à Londres. Mais il existe des millions de gens pauvres, de gens pitoyables, de gens sales, mal nourris et mal vêtus. Ils nous empoisonnent moralement et physiquement ; ils tuent le bonheur de la société ; ils nous contraignent à supprimer nos propres libertés et à élaborer des cruautés contre nature de peur qu’ils ne se soulèvent contre nous et qu’ils ne nous entraînent au fond de leur abîme. Seuls les idiots craignent le crime ; nous craignons tous la pauvreté ».

Nous devons cesser de compter pour notre salut sur des dirigeants forts. Les gens forts, comme l’a dit Ella Baker, n’ont pas besoin de dirigeants forts. Les hommes politiques, même les bons, jouent le jeu du compromis et sont trop souvent séduits par les privilèges du pouvoir. Sanders, autant que je sache, a débuté sa vie politique en tant que socialiste dans les années 60, alors que cela constituait à peine une position politique audacieuse, mais s’est rapidement aperçu qu’il n’allait pas bénéficier d’un siège s’il demeurait socialiste. Il veut son ancienneté au Sénat. Il veut sa présidence du comité. Il veut pouvoir conserver son siège sans être contesté. C’était un calcul judicieux sur le plan politique. Mais ce faisant, il nous a sacrifiés.

Jeremy Corbyn, le nouveau chef du parti travailliste [britannique], nous offre exemple différent. Il a été marginalisé au sein de son propre parti pendant trois décennies parce qu’il est resté fidèle aux principes centraux du socialisme. Et tandis que le mensonge du néolibéralisme, défendu par les deux partis dirigeants, devenait apparent, les gens ont su à qui ils pouvaient accorder leur confiance. Corbyn n’a jamais manoeuvré pour faire évoluer sa carrière. Et c’est pourquoi l’establishment a si peur de lui. Ils savent qu’il ne leur est pas possible de suborner Corbyn, pas plus qu’il n’était possible de suborner Mother Jones ou Big Bill Haywood. L’intégrité et le courage sont des armes puissantes. Nous devons apprendre à les utiliser. Nous devons défendre ce en quoi nous croyons. Et nous devons accepter les risques voire le ridicule qui accompagnent cette prise de position. Nous ne nous imposerons d’aucune autre manière.

En tant que socialiste je ne me préoccupe pas de ce qui est opportun et de ce qui est populaire. Je me préoccupe de ce qui est juste. Je me préoccupe de rester fidèle aux idéaux fondamentaux du socialisme, ne serait-ce que pour préserver la pérennité de cette option pour les générations futures. Et ces idéaux sont les seuls qui rendront possible l’avènement d’un monde meilleur.

Si vous n’appelez pas à un embargo sur les armes ainsi qu’au boycott, au désinvestissement et aux sanctions contre Israël, vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’exigez pas le démantèlement de notre establishment militaire, qui orchestre la surveillance systématique par le gouvernement de chaque citoyen et stocke toutes nos données personnelles à perpétuité dans les banques informatiques du gouvernement, et si vous n’abolissez pas l’industrie de l’armement tournée vers le profit, vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’appelez pas à la poursuite judiciaire de ces leaders, y compris George W. Bush et Barack Obama, qui s’engagent dans des actes agressifs de guerre préventive, ce qui constitue un acte criminel au regard des lois de Nuremberg, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne vous tenez pas aux côtés des opprimés à travers le monde vous n’êtes pas socialiste. Les socialistes ne trient pas sur le volet qui, parmi les opprimés, il est de bon ton de soutenir. Les socialistes comprennent que vous devez vous tenir aux côtés de tous les opprimés ou d’aucun d’eux, qu’il s’agit là d’un combat à l’échelle mondiale pour la survie contre une tyrannie corporatiste à l’échelle mondiale. Nous vaincrons lorsque nous serons unis, que nous percevrons le combat des travailleurs de Grèce, d’Espagne et d’Égypte comme étant notre propre combat.

Si vous n’exigez pas le plein emploi et la syndicalisation des milieux professionnels vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’exigez pas un système de transports collectifs peu coûteux, particulièrement dans les quartiers pauvres, vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’exigez pas un système de santé universel à payeur unique et l’interdiction des corporations de soins de santé à but lucratif, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne portez pas le salaire minimum à 15 dollars de l’heure vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’êtes pas disposé à accorder un revenu hebdomadaire de 600 dollars aux chômeurs, aux handicapés, aux parents au foyer, aux personnes âgées et à ceux qui ne sont pas en mesure de travailler vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’abrogez pas les lois anti-syndicales, comme le « Taft-Hartley Act »(loi de 1947 qui régit les relations entre syndicat et patronat), et les accords de libre-échange internationaux comme le TAFTA, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne garantissez pas une pension de retraite à tous les américains, vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’appuyez pas l’octroi d’un congé maternité de deux ans, ainsi que la réduction de la semaine de travail sans perte de salaire et d’avantages sociaux, vous n’êtes pas socialiste.

Si vous ne supprimez pas le « Patriot Act » et la section 1021 du « National Defense Authorization Act » (loi sur l’autorisation de défense nationale) ainsi que l’espionnage des citoyens par le gouvernement et l’incarcération de masse, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne mettez pas en place des lois interdisant toute forme de violence masculine contre les femmes et qui criminaliseraient le proxénétisme et la traite des prostituées sans criminaliser les victimes exploitées, vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’êtes pas pour le droit des femmes de contrôler leur propre corps, vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’êtes pas pour l’égalité totale de notre communauté LGBT, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne déclarez pas que le réchauffement climatique est une urgence nationale et mondiale et que pour sauver la planète, il faudra réinvestir dans les énergies renouvelables à travers des investissements publics et mettre un terme à notre dépendance aux énergies fossiles, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne nationalisez pas les services publics, dont les chemins de fer, les compagnies énergétiques et les banques, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne soutenez pas des aides financières gouvernementales pour les arts et la radiodiffusion publique en vue de créer des lieux où la créativité, l’expression libre et les voix dissidentes puissent être vues et entendues, vous n’êtes pas socialiste.

Si vous n’annulez pas notre programme d’armement nucléaire pour construire un monde sans nucléaire, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne démilitarisez pas notre police, c’est-à-dire que la police ne portera plus d’armes lorsqu’elle patrouillera dans nos rues mais dépendra d’unités spéciales armées qui n’interviendront qu’au cas par cas, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne soutenez pas des programmes de formation et de réhabilitation gouvernementaux destinés aux pauvres et aux prisonniers, ainsi que l’abolition de la peine de mort, vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’accordez pas la pleine citoyenneté aux travailleurs sans papiers, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne décidez pas un moratoire sur les saisies immobilières, vous n’êtes pas socialiste. Si vous n’offrez pas la gratuité scolaire de la petite enfance à l’université et que vous n’effacez pas toutes la dette étudiante, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne fournissez pas de soins psychiatriques gratuits et gérés par l’état, particulièrement à ceux qui sont enfermés dans nos prisons, vous n’êtes pas socialiste. Si vous ne démantelez pas notre empire et que vous ne rapatriez pas nos soldats et nos Marines, vous n’êtes pas socialiste.

Les socialistes ne sacrifient pas les faibles et les vulnérables, surtout les enfants, sur l’autel du profit.  Et la mesure d’une société prospère pour un socialiste ne se fait pas en fonction du PNB ou des hausses de la Bourse mais du droit de chacun, surtout des enfants, de ne jamais se coucher le ventre vide, de vivre en sécurité, d’être nourri et instruit et de grandir pour s’épanouir.

Le travail n’est pas uniquement une question de salaire. C’est aussi une question de dignité et d’estime de soi.

Je ne fais pas preuve de naïveté quant aux forces déployées contre nous. Je connais la difficulté de notre lutte. Mais nous ne réussirons jamais si nous tentons de composer avec les structures du pouvoir actuelles. Notre force réside dans notre fermeté et notre intégrité. Elle réside dans notre aptitude à nous tenir à nos idéaux ainsi qu’à notre détermination à nous dévouer pour ces idéaux. Nous devons refuser de coopérer. Nous devons marcher au son d’une musique différente. Nous devons nous rebeller. Et nous devons comprendre que la rébellion ne s’effectue pas pour ce qu’elle accomplit mais pour qui elle nous permet de devenir. La rébellion, dans cette sombre époque, nourrit l’espoir et la capacité d’aimer. La rébellion doit devenir notre vocation.

« Vous ne devenez pas « dissident » uniquement parce que vous avez un beau jour décidé de vous engager dans cette voie fort insolite », disait Vaclav Havel quand il combattait le régime communiste en Tchécoslovaquie. Vous y êtes amené par votre sens des responsabilités conjugué à un ensemble complexe de circonstances extérieures. Vous êtes banni des structures existantes et placé dans une position de conflit vis-à-vis de ces mêmes structures. Cela commence par une tentative de faire votre travail correctement et puis vous finissez par être considéré comme un ennemi de la société. …Le dissident ne joue absolument aucun rôle dans le domaine du pouvoir proprement dit. Il ne recherche pas le pouvoir. Il n’a nullement l’intention de briguer un poste et de recueillir des voix. Il ne cherche pas à séduire le public. Il n’offre rien et ne promet rien. Il peut offrir — à tout le moins — sa propre peau et cela uniquement parce qu’il ne dispose pas d’un autre moyen de faire entendre la vérité qu’il défend. Ses actions ne font qu’articuler sa dignité en tant que citoyen, quel que soit le prix à payer. »

Ces forces néolibérales sont en train de détruite la terre à toute vitesse. Les calottes polaires et les glaciers fondent. Les températures et le niveau des mers s’élèvent. Des espèces disparaissent. Des inondations, des ouragans monstrueux, des méga-sécheresses et des incendies de forêts ont commencé à dévorer la planète. Les grandes migrations de masse prévues par les scientifiques ont commencé. Et même si nous mettions fin à toutes les émissions de CO2 aujourd’hui, nous subirions quand même les conséquences catastrophiques du changement climatique. Et surgissant de ce monde en désintégration, apparaît la violence nihiliste caractéristique des sociétés qui s’effondrent — des tueries de masse sur notre sol et des persécutions religieuses, des décapitations et des exécutions commises par des individus que le néolibéralisme et la mondialisation ont diabolisés, attaqués et réduits à l’état de déchets humains.

Je ne peux vous promettre que nous allons gagner. Je ne peux même pas vous promettre que nous allons survivre en tant qu’espèce. Mais je peux vous promettre que défier ouvertement et de manière constante le capitalisme mondial et les marchands de la mort, tout en construisant un mouvement socialiste, constitue notre seul espoir. Je suis parent, comme beaucoup d’entre vous. Nous avons trahi nos enfants. Nous avons gâché leur avenir. Et si nous nous soulevons, même si nous échouons, les générations futures, particulièrement ceux qui nous sont chers, pourront dire que nous avons essayé, que nous nous sommes dressés et que nous nous sommes battus pour leur survie. L’appel à la résistance, qui ne se fera pas sans désobéissance civile et sans emprisonnement, est finalement un appel à la moralité. La résistance ne réside pas dans ce que nous accomplissons mais dans ce qu’elle nous permet de devenir. Finalement, je ne combats pas les fascistes parce que je vais les vaincre. Je combats les fascistes parce que ce sont des fascistes.

Chris Hedges


Traduction: Héléna Delaunay

Source : Chris Hedges,  Le Partage, 03/10/2015

Source: http://www.les-crises.fr/ce-que-signifie-le-socialisme-par-chris-hedges/