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En Syrie, une expérience de démocratie directe, égalitaire et multiconfessionnelle tient tête à l’Etat islamique, par Rachel Knaebel

Sunday 8 November 2015 at 00:10

Une jolie histoire pour une fois…

Source : Bastamag, 10/07/2015

 

Les médias occidentaux relaient abondamment les décapitations, les appels au meurtre et les exactions perpétrés par Daech, le pseudo « Etat islamique ». Pourtant, face à cette barbarie, les populations kurdes, arabes ou yézidis de la région de Rojava, au nord de la Syrie, mettent en oeuvre un autre modèle de société, émancipateur, égalitaire, multiconfessionnel, et très démocratique. Une expérience qui pourrait même servir d’inspiration pour ramener la paix dans la région. En attendant, les Kurdes et leurs voisins combattent pour défendre cette utopie concrète, sans véritable soutien international. Entretien avec des chercheurs et activistes qui en reviennent.

Photo : © Michalis Karagiannis

Les raisons d’espérer sont rares en provenance de Syrie. Mais en janvier 2015, le monde découvre, ébahi, les images de femmes kurdes en treillis qui participent à la résistance puis à la libération de la ville syrienne de Kobané. Un mouvement démocratique et anti-patriarcal vient de défaire les forces ultra-réactionnaires de l’État islamique, victorieuses ailleurs. Deux modèles de société radicalement différents se font face. Car le Kurdistan syrien fait l’expérience depuis 2011 d’une révolution démocratique inédite.

Assez vite débarrassé des forces du régime de Bachar el-Assad, le mouvement de libération kurde y a développé une organisation politique basée sur la démocratie directe, l’organisation en communes et la libération des femmes. Malgré la guerre, les attaques de l’État islamique (EI), l’embargo turc, sur fond d’indifférence de la communauté internationale, la région poursuit la mise en pratique de ce confédéralisme démocratique, un modèle de société multiconfessionnelle et multi-ethnique, sans État, pour l’émancipation de tous. Entretien avec Ercan Ayboğa et Michael Knapp, co-auteurs de Revolution in Rojava, ouvrage d’enquête militante sur cette révolution en cours au milieu du chaos syrien.

Basta ! : Ce qui se passe depuis 2011 dans la région syrienne de Rojava (au nord de la Syrie, à la frontière avec la Turquie), représente-t-il le contre-modèle absolu de la violence de l’État islamique ?

Ercan Ayboğa [1] : L’État islamique représente la ligne la plus réactionnaire qui existe aujourd’hui et en Syrie et au Moyen Orient, plus réactionnaire encore qu’Al-Qaïda, et le pôle le plus opposé au mouvement de Rojava. Il y a d’un côté le modèle de société de Rojava, une démarche démocratique et émancipatrice, et de l’autre, l’EI, extrêmement réactionnaire, hiérarchique, misogyne, absolument anti-démocratique, violent, et qui exploite les populations.

Michael Knapp : Rojava ressemble évidemment à une antithèse de l’EI. Mais c’est beaucoup plus profond. L’EI est aussi l’expression du jeu des forces présentes au Moyen Orient. Rétrospectivement, vu de l’Occident, on peut avoir l’impression que le mouvement de Rojava est né en opposition à l’EI. Mais en fait, c’est plutôt l’EI qui a été renforcé par des puissances comme la Turquie, entre autres pour détruire ce projet de Rojava.

Comment le projet démocratique du mouvement kurde s’est-il mis en place en Syrie, malgré la guerre civile ? Un compromis a-t-il dû être passé avec le régime de Bachar el-Assad ? 

Michael Knapp : Quand la guerre civile a commencé en Syrie, le mouvement kurde n’a pas voulu s’allier à l’opposition. Il soutenait bien évidemment l’opposition démocratique, celle qui misait sur une sortie de crise politique et pas sur une escalade de la violence. Mais il voyait aussi que les forces d’opposition étaient soutenues par la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et les pays occidentaux. C’est pour ça que le mouvement kurde a décidé de prendre une troisième voie.

Du point de vue militaire, les forces combattantes d’autodéfense kurdes sont allées encercler les casernes du régime et leur ont dit : soit vous partez, soit on vous combat. Souvent, les soldats du régime se sont retirés relativement pacifiquement, pensant que les forces kurdes n’allaient pas combattre aux côtés de l’Armée syrienne libre. Le régime a donc préféré poster ses soldats ailleurs. Même s’il y a eu des combats autour des puits de pétrole. C’est dans ce vacuum que le modèle de Rojava a pu prendre naissance.

Les membres de la coalition nationale syrienne et de l’armée syrienne libre reprochent parfois aux structures d’auto-organisation de la région de collaborer avec le régime. Mais il faut comprendre que le mouvement kurde suit un principe d’autodéfense légitime et de primat de la politique civile. Cela veut dire qu’aussi longtemps qu’on n’est pas attaqué, il faut tout résoudre politiquement. C’est aussi la politique suivie par la guérilla du Nord-Kurdistan (Kurdistan turc).

Comment s’organise maintenant la vie politique dans la région ?

Michael Knapp : C’est complexe et dynamique à la fois. L’organisation s’adapte aux besoins. Les assemblées des conseils sont le moteur de tout. Il y a plusieurs niveaux de conseils : de rue, de quartier, de la ville… Chaque niveau envoie ensuite des représentants dans les structures du niveau supérieur : des conseils de rue aux conseils de quartiers, des conseils de quartiers aux conseils des villes, puis vers les conseils des cantons et jusqu’au conseil populaire de Rojava. Les communautés s’organisent aussi en commissions à ces différentes niveaux, pour la sécurité, l’économie, la justice…

Les commissions forment comme des ministères au niveau de la région. Les conseils sont toujours doubles, avec un conseil mixte et un conseil des femmes. Le conseil des femmes a droit de veto. Et dans tous les conseils mixtes, il y a une règle de parité, un quota de 40 % au moins pour chaque genre, et le principe d’une double direction, élue, avec une femme et un homme. Si dans une ville, il y a une communauté yézidie ou des communautés arabes, par exemple, ils ont aussi droit à une co-présidence dans les conseils. On a donc souvent une présidence de conseil triple voire quadruple.

Parallèlement aux conseils, il existe un parlement, parce qu’il y a encore des gens qui sont membres de partis et qui doivent aussi pouvoir s’organiser et être représentés. Dans ce parlement, il y a les partis, mais une partie des sièges sont réservés à des organisations de la société civile, associations de défense des droits de l’homme, de la communauté yézidie… Malheureusement, il n’a pas encore été possible de tenir des élections au niveau de toute la région pour désigner par le vote les membres de ce Parlement, à cause de la guerre.

D’où vient ce modèle de l’auto-organisation et de confédération démocratique ? 

Ercan Ayboğa : Des structures d’auto-organisation communalistes sont nées au Nord-Kurdistan, en Turquie, en 2007-2008. Ces expériences se sont ensuite transmises à Rojava à partir de 2011. Le projet de confédération lui-même vient du KCK (Union des communautés du Kurdistan), une branche du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) créée en 2005. L’idée était de démocratiser le mouvement de libération kurde, de s’éloigner d’une structure de parti pour aller vers un mouvement porté par la société toute entière. Le mouvement a profité des héritages historiques comme la Commune de Paris (1871), mais surtout du mouvement zapatiste au Mexique. Avant, le PKK avait une démarche marxiste-léniniste. Le parti a lancé des discussions sur le « confédéralisme » démocratique au début des années 2000.

L’écologie joue-t-elle un rôle dans ce mouvement ?

Michael Knapp : L’écologie en est un point central. Pour développer le projet du confédéralisme démocratique, Öcalan (le leader du PKK, emprisonné en Turquie depuis 1999) s’est saisi du principe de l’écologie sociale du militant américain Murray Bookchin. Avec l’idée que le capitalisme est un système qui conduit à la destruction de la planète, et qu’il faut donc construire une économie basée sur une production régionale, écologique et décentralisée.

Quelles sont les structures d’émancipation des femmes à Rojava, à côté des conseils de femmes et des brigades féminines des forces d’auto-défense ? 

Ercan Ayboğa : Dans chaque ville, il y a une maison des femmes. C’est un centre politique, mais aussi un centre de conseil, avec des séminaires, des cours, du soutien. Il y a aussi de nombreuses coopératives de femmes, des boulangeries, des coopératives textiles, de produits laitiers…

Michael Knapp : Le mouvement de libération des femmes profite aussi aux autres communautés, par exemple aux communautés suryoyes (chrétiens) et arabes. Sur la zone près de la frontière irakienne, il y avait des groupes arabes très conservateurs mais qui sont entrés en conflit avec l’EI et ont demandé aux unités kurdes des les aider à s’en libérer. Du coup, beaucoup se sont joints au mouvement. J’ai vu des unités de formations de ces hommes. Il ne s’agissait pas seulement de savoir-faire militaire, mais aussi de discussions sur les droits des femmes et sur la démocratie directe.

Nous avons aussi rencontré des jeunes femmes des communautés arabes qui ont rallié les forces combattantes d’autodéfense [2]. Elles nous ont dit qu’il y a deux ans, elles ne sortaient pas de leur maison, et maintenant, elles protègent la frontière les armes à la main. Ce modèle de confédéralisme démocratique n’est pas identitaire. C’est pour ça qu’on peut espérer qu’à plus grande échelle, il puisse aussi représenter un modèle de résolution des conflits ailleurs au Moyen Orient.

Comment s’organise l’économie ?

Michael Knapp : C’est très difficile notamment à cause de l’embargo imposé par la Turquie. Dans le canton de Jazirah par exemple [La région de Rojava a été découpée en trois cantons : Kobané, Jazirah et Afrin, ndlr] il y a, comme ressources, du pétrole et des céréales. Mais il n’y a pas de raffinerie et presque pas de moulins. Nous avons vu des silos assez pleins pour nourrir toute la Syrie pendant dix ans. Mais les céréales ne peuvent pas être transformés sur place. Une économie collectivisée se développe pourtant, avec des coopératives, qui raffinent, comme elles peuvent, le pétrole, des coopératives agricoles…

Ercan Ayboğa : Les coopératives jouent un rôle toujours plus important à Rojava. Elles sont soutenues par les conseils. Mais l’économie privée est aussi possible, ce n’est pas interdit.

Le mouvement reçoit-il des soutiens de l’étranger, du Kurdistan turc, irakien, ou de la communauté internationale ?

Ercan Ayboğa : Il y a quelques médicaments et des outils qui arrivent du Nord-Kurdistan, en Turquie. Mais la Turquie ne laisse passer que peu de choses. Le soutien du Nord-Kurdistan reste néanmoins très important. Les administrations auto-organisées du Nord-Kurdistan soutiennent vraiment Rojava. La ville de Diyarbakir a par exemple envoyé à Kobané des machines de construction, des ingénieurs, un soutien technique. Mais pas officiellement. Sinon, de l’aide arrive d’ailleurs, d’ONG, mais c’est très peu. La communauté internationale dit qu’elle a besoin de l’autorisation du gouvernement syrien pour envoyer de l’aide vers Rojava. Mais les gens à Rojava attendent évidemment plus de soutien international parce qu’ils considèrent qu’ils combattent pour l’ensemble du monde démocratique.

Michael Knapp : Rojava n’a presque pas de moyens financiers, et ne reçoit pas d’aide humanitaire. La communauté internationale dit que le problème, c’est que ce n’est pas un État. Manifestement, aux yeux de la communauté internationale, le système d’auto-organisation de Rojava n’a pas à être soutenu.

Pourtant, les forces combattantes kurdes d’autodéfense ont à leur actifs plusieurs succès militaires contre le pseudo État islamique…

Michael Knapp : Dans ces forces d’autodéfense, les gens combattent pour survivre, pour des convictions, et pour un projet de société. Certains ont longtemps combattu au Nord-Kurdistan auparavant. Ils ont déjà beaucoup d’expérience militaire. Mais leur armement est vraiment modeste, en comparaison à celui de l’EI par exemple.

Recueilli par Rachel Knaebel

Source : Bastamag, 10/07/2015

 

Source: http://www.les-crises.fr/en-syrie-une-experience-de-democratie-directe-egalitaire-et-multiconfessionnelle-tient-tete-a-letat-islamique-par-rachel-knaebel/


Les va-t-en guerre irresponsables d’octobre, par Daniel Lazare

Saturday 7 November 2015 at 03:47

Source : Daniel Lazare, Consortiumnews.com, le 16/10/2015

Exclusif : Dans les hautes sphères de Washington, avec ses guerriers de salon réclamant une confrontation avec la Russie à cause de la Syrie, les possibilités d’un conflit échappant à tout contrôle augmentent de jour en jour. Dans quelques années, les historiens seront ébahis de constater l’incapacité à trouver un compromis, à coopérer et à désamorcer la situation, comme le décrit Daniel Lazare.

Par Daniel Lazare

Des rapports relatant que des avions de guerre américains et russes ont volé à moins de 10 ou 20 milles les uns des autres – seulement quelques secondes à ces vitesses supersoniques – illustrent combien la situation militaire est devenue dangereuse en Syrie. De même sont dangereux les appels d’al-Nosra, affilié syrien d’al-Qaïda, aux djihadistes du Caucase, pour qu’ils tuent des Russes en représailles de chaque mort syrienne.

Comme le conflit continue de s’intensifier, le danger de voir l’incendie s’étendre encore augmente d’autant plus. Dans quelques années, les historiens considérant les événements des “Canons d’Octobre 2015″ pourraient les voir comme quelque chose de cet ordre :

Comme le krach de 2008, le conflit militaire qui s’est embrasé hors de tout contrôle dans le Moyen-Orient à la fin de 2015 a été l’un de ces événements qui sont compréhensibles avec le recul, alors qu’ils sont une surprise totale au moment où ils se produisent. La crise a commencé plusieurs années auparavant, lorsque des manifestations du printemps arabe en Syrie ont ouvert la possibilité d’une révolte généralisée menée par les Frères Musulmans et autres fondamentalistes. Mais lorsque le président Bashar al-Assad a pris des mesures pour réprimer cette révolte, les États-Unis l’ont accusé de bloquer les aspirations démocratiques légitimes de son peuple et ont exigé qu’il démissionne.

Le roi Salman d’Arabie Saoudite et son entourage arrivent pour saluer le président Barack Obama et la Première Dame Michelle Obama à l’aéroport international King Khalid à Riyad en Arabie saoudite, le 27 janvier 2015. (Photo officielle de la Maison Blanche par Pete Souza)

Il fallait s’y attendre, depuis que les États-Unis ont soutenu un “changement de régime” en Tunisie et en Égypte – ainsi qu’en Libye, où les avions de l’OTAN fournirent aux rebelles l’aide décisive dont ils avaient besoin pour renverser le dictateur de longue date Mouammar al-Kadhafi. Mais le problème en Syrie était que si le gouvernement d’Assad était assurément répressif, l’opposition armée était encore pire. Au nom de la démocratie, le gouvernement étatsunien s’est retrouvé à faire parvenir des armes et des fonds non seulement aux Frères Musulmans, mais également à toute une brochette d’extrémistes sunnites violents, ayant l’intention d’imposer une dictature écrasante à une population aux religions diverses.

Ayant de plus en plus peur d’un “croissant chiite” s’étirant du Liban au Yémen, les sunnites fondamentalistes d’Arabie Saoudite et d’autres richissimes États pétroliers arabes sont également intervenus, inondant les rebelles avec “des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes militaires,” comme l’a dit plus tard le vice-président Joe Biden, dans un effort pour promouvoir “une guerre par procuration entre sunnites et chiites” visant à renverser le gouvernement d’Assad prétendument dominé par les chiites.

Les conséquences ont été de faire grimper le sectarisme à des hauteurs stratosphériques. En mars 2011, les Saoudiens et les Émirats Arabes Unis ont envoyé des troupes au Bahreïn pour protéger la famille royale sunnite contre les protestations de la part de 70% de la majorité chiite du royaume insulaire. Quatre ans plus tard, les Saoudiens, avec huit autres États arabes sunnites, ont déclaré la guerre contre les rebelles chiites houthi au Yémen, lançant des raids aériens nocturnes et plus tard une invasion terrestre qui, avec l’appui technique des Américains, a tué plus de 2300 civils et provoqué des millions de sans-abri.

La péninsule arabique était encerclée par les incendies allumés au fur et à mesure que les sunnites affrontaient leurs rivaux chiites dans un nombre croissant de lieux. Les Saoudiens, dépendant d’un courant religieux wahhabite sunnite, ont porté la responsabilité première de cette débâcle. Mais les États-Unis ont attisé les flammes en fournissant un soutien militaire à ses alliés de Riyad dans un effort pour contrôler l’Iran, que Washington continuait à considérer comme l’ennemi numéro un au Moyen-Orient.

Au milieu de cette violence, l’intervention russe, commencée le 30 septembre 2015, a eu l’effet d’une bombe. L’initiative a été condamnée par l’OTAN, mais a reçu un large soutien de la critique qui se plaignait depuis longtemps que tout en attaquant l’organisation terroriste connue comme Al-Qaïda dans une demi-douzaine d’autres pays, les États-Unis étaient restés silencieux alors que l’aide coulait jusqu’à Al-Nosra, la filiale d’Al-Qaïda en Syrie, et même l’État Islamique, un groupe dissident dont le penchant pour la violence était encore plus extrême.

Même le New York Times connu pour ses œillères a observé qu’ISIS (également identifié comme ISIL, État islamique, et Daesh) a continué à obtenir le soutien de “donateurs privés, principalement au Qatar, au Koweït et en Arabie saoudite”. Puis, cinq ans après, l’actuelle secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a accusé dans une note diplomatique secrète les Saoudiens privés de “constituer la plus importante source de financement des groupes terroristes sunnites dans le monde entier”, il est alors apparu que le royaume était encore en train de procurer des fonds à des groupes terroristes, y compris à l’État Islamique.

Une coalition pleine de trous

Ainsi, non seulement la coalition anti-État Islamique américaine était pleine de trous, mais ses efforts pour soutenir les rebelles « modérés » contre l’État islamique se sont révélés factices, car il était depuis longtemps évident que les différentes factions coopéraient sur le champ de bataille et partageaient les armes. Comme l’a souligné un expert : “Le problème est ce nombre kaléidoscopique de groupes d’opposition qui sont constamment en train de passer des accords les uns avec les autres. Tout le monde a été associé à Al-Qaïda à un moment donné.”

Par conséquent, la décision de la Russie de lutter contre tous les rebelles syriens – ISIS, Al-Qaïda et “l’Armée Syrienne Libre” de la même façon – a rencontré des applaudissements dans de nombreux milieux mais pas dans les couloirs du pouvoir de Washington. Un Barack Obama humilié n’avait pas d’autre choix que d’arrêter un très moqué programme de 500 millions de dollars destiné à l’entraînement de rebelles devant lutter contre l’État islamique, et qui avait généré seulement quelques dizaines de combattants rapidement capturés ou tués par Al-Nosra.

Le président Obama aurait dû à ce moment se retirer complètement ou même choisir de se joindre aux forces russes contre les fondamentalistes. Mais la pression d’Israël, de l’Arabie Saoudite et la présence dans son propre pays, en ce qui concerne la politique étrangère, d’un groupe puissant de plus en plus belliqueux, a rendu tout ceci rien moins qu’impossible.

Avec Steve Kroft du programme d’information de CBS “60 Minutes” raillant Obama à cause de sa « faiblesse » en Syrie – « Il remet en question votre leadership, Monsieur le Président. Il est en train de remettre en question votre leadership », a déclaré Kroft en parlant du président russe Vladimir Poutine – Obama bientôt au placard. [Pour plus d'informations sur l'intervention extraordinaire de Kroft, voir "Asticoter Obama pour plus de guerres." De Consortiumnews.com]

En peu de temps, les rebelles ont joui d’une abondance exceptionnelle d’aide militaire américaine, comprenant des missiles filoguidés de haute technologie, des armes légères et des munitions larguées par des avions-cargos américains. “En nous bombardant, la Russie bombarde les treize pays « amis de la Syrie »”, jubile un commandant rebelle, parlant des États-Unis et des aux autres nations qui avaient appelé au renversement d’Assad en 2011. Une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie a commencé à prendre forme.

Bien que la Maison Blanche ait rechigné à fournir les rebelles avec des systèmes de défense anti-aérienne portatifs, la pression a augmenté de la part des politiciens et des experts néoconservateurs. Un éditorial envoyé à CNN par le sénateur John McCain, président de la commission sénatoriale des services armés et restant une voix des plus influentes sur les questions de sécurité nationale, écrit le 13 octobre 2015, a été particulièrement glaçant. Il a appelé Obama à infliger une sévère leçon à la Russie et à Poutine sans se soucier des conséquences :

“Il y a ici une occasion … d’imposer à un adversaire qui veut saper les États-Unis partout un coût significatif. C’est une occasion d’affaiblir un dirigeant anti-américain qui nous verra toujours comme un ennemi. … Nous ne pouvons craindre d’affronter la Russie en Syrie, comme s’y attend Poutine. Son intervention a fait grimper les coûts et les risques d’une plus grande implication des États-Unis en Syrie, mais ceci n’a pas rendu caduques les mesures que nous devons prendre. En fait, il les a rendues plus impératives.

“Nous devons agir maintenant pour défendre les populations civiles et nos partenaires de l’opposition en Syrie. Comme le général David Petraeus et d’autres l’ont préconisé, nous devons établir des enclaves en Syrie où les civils et l’opposition modérée au dirigeant syrien Bashar al-Assad et à l’État Islamique peuvent trouver une plus grande sécurité. Ces enclaves doivent être protégées avec une plus grande puissance aérienne américaine et coalisée et probablement par des troupes étrangères au sol. Nous ne devrions pas exclure que les forces américaines puissent jouer un rôle limité dans ce contingent terrestre. Si al-Assad continue de bombarder les civils en Syrie, nous devons détruire la capacité de son armée de l’air à être en mesure de le faire.

“Nous devons confirmer notre politique de façon à contrer les ambitions de Poutine et à modifier son comportement. Si la Russie attaque nos partenaires de l’opposition, nous devons imposer des coûts plus élevés aux intérêts de la Russie – par exemple, en frappant des dirigeants syriens importants ou des cibles militaires. Mais nous ne devrions pas limiter notre réponse à la Syrie. Nous devons accroître la pression sur la Russie ailleurs. Nous devons fournir des armes défensives et d’aide connexe aux forces ukrainiennes afin qu’elles puissent prendre un plus grand ascendant sur les forces russes. … Et si Poutine continue à frapper les civils syriens et nos partenaires de l’opposition, nous devrions rendre les sanctions ciblées envers la Russie encore plus agressives. Les bas coûts de l’énergie donnent des coups de boutoir à l’économie et à la monnaie russe. Nous devrions augmenter la douleur.”

Hausse de la tension Arabie Saoudite-Iran

C’était la logique de l’escalade continuelle. Un journaliste novice aurait pu remarquer que les tensions augmentaient en même temps entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le conflit entre les deux États remonte à la révolution iranienne de 1979, qui a enflammé l’imagination des militants musulmans à travers le monde et menacé de démasquer les saoudiens comme des corrompus et des soutiens complaisants au statuquo.

Mais plus les saoudiens cherchaient à redorer leur crédibilité musulmane en recrutant des milliers de moudjahidines pour combattre les “infidèles” soviétiques en Afghanistan et en dépensant des dizaines de milliards de dollars pour diffuser leur vision ultraconservatrice de l’Islam, plus la rivalité entre sunnites et chiites s’intensifiait.

“Le moment n’est pas si loin au Moyen-Orient, Richard, où ce sera littéralement ‘que Dieu aide les chiites’.” a déclaré le prince saoudien Bandar ben Sultan à Sir Richard Dearlove, directeur des services secrets britanniques, ou MI6, avant le 11 Septembre. “Plus d’un milliard de sunnites en ont tout simplement assez d’eux.”

Le prince Saud al-Faisal, ancien ministre pendant longtemps, a fait remarquer au secrétaire d’état américain John Kerry que “Daesh est notre réponse a votre soutient au Da’wa”, le parti islamiste chiite que l’invasion américaine a aidé à installer en Irak.

Daesh était méchant quand il menaçait la monarchie saoudienne, mais quelque peu moins lorsqu’il guerroyait contre le chiisme. Mais 2015 a marqué un tournant. Une fois qu’ils ont commencé à bombarder les rebelles Houthi au Yémen – un instrument des Iraniens, aux yeux des Saoudiens – les Saoudiens ont encouragé le clergé wahhabite à dénoncer leur ennemi de l’autre côté du détroit d’Ormuz en des termes de plus en plus acides. Un jour après le déclenchement de la guerre, par exemple, la chaîne d’information d’État a accordé du temps d’antenne à un mollah radical nommé Saad ben Atiq al-Ati qui a déclaré que le Yémen était destiné à être “purement monothéiste”, qu’il “ne pouvait pas être pollué ni par les Houthis, ni par les Iraniens”, et que “nous nettoyons le pays de ces rats”.

Les officiels iraniens ont répondu en accusant les Saoudiens de “suivre les pas du sioniste Israël” et en prédisant que “la maison saoudienne tomberait bientôt”. Mais le ton est devenu encore plus agressif après la bousculade du 24 septembre à La Mecque, ayant tué 1453 personnes, dont un tiers d’iraniens.

Parmi les plaintes comme quoi la police saoudienne a été grossière et indifférente, refusant aux pèlerins, même âgés, de quitter le lieu malgré la température extrême, l’Ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême iranien, a appelé l’Arabie Saoudite à présenter des excuses au “monde musulman” pour avoir permis que survienne ce désastre, tout en promettant une “réaction sévère et dure” si le royaume ne renvoyait pas rapidement les corps de ceux qui avaient été tués.

Certains autres dirigeants iraniens ont été encore plus incendiaires. Au lieu du langage diplomatique, le président Hassan Rouhani a averti que l’Iran pourrait utiliser “le langage de l’autorité” dans ses relations avec les Saoudiens. Mohammad Ali Jafari, commandant des Gardiens de la Révolution Islamique, a promis de “faire répondre la dynastie saoudienne des crimes qu’elle a commis”, ajoutant :

“Le monde musulman est fatigué des trahisons et de l’ignorance des Saoudiens… incluant le massacre du peuple du Yémen, les déplacements des populations pauvres de Syrie, la répression au Bahreïn, les massacres ethniques en Irak, la création de tensions ethniques et le soutien au terrorisme. Les Saoudiens devraient être balayés par la colère des musulmans.”

Mohsen Rezaei, le prédécesseur de Jafari à la tête des Gardiens de la Révolution Islamique, a prévenu Riyahd : “Ne jouez pas avec le feu, parce que le feu vous brûlera … ne suivez pas l’exemple de Saddam [Hussein], qui n’avait plus d’issue de secours lors de la guerre Iran-Irak.”

Cela équivaut à une déclaration de guerre. Jafari est allé jusqu’à comparer les Saoudiens à Abu Lahab, qui, selon la tradition musulmane, était un oncle du prophète Mahomet qui s’était élevé contre la cause musulmane. C’est l’équivalent d’un pape qualifiant de “Judas”, ou même de “Satan”, le chef de l’Église orthodoxe russe.

Comment ce jeu se terminera-t-il ?

La direction que prend cette histoire semble bien trop claire. Une possibilité est un affrontement entre l’Arabie Saoudite et les forces iraniennes dans le détroit d’Ormuz, une voie d’acheminement vitale du pétrole, une répétition par certains aspects de la guerre Iran-Irak des années 80, mais avec des F-15 chasseurs-bombardiers entre les mains des Saoudiens et, du côté iranien, des missiles Shabab 3.

Certes, il y a des faits qui ont tendance à calmer le jeu. Avec un déficit budgétaire de 20% en raison d’une chute vertigineuse des prix du pétrole, Riyad est sous une pression croissante. En septembre 2015, un prince saoudien aîné a écrit deux lettres condamnant la guerre au Yémen et appelant le roi Salman, un jusqu’au-boutiste aux liens étroits avec les oulémas wahhabites, à se retirer. Les rumeurs d’une révolution de palais se répandent.

Un État normal pourrait en conséquence rentrer ses griffes. Mais l’Arabie Saoudite est une des entités politiques les plus bizarres de l’histoire, une kleptocratie géante régie par de très riches “pompes à fric”, comme les capitalistes rentiers furent surnommés.

En conséquence, son comportement en devient de plus en plus imprévisible, c’est pourquoi il est impossible d’exclure la possibilité d’une certaine sorte de provocation militaire envers l’Iran. Depuis des années les États-Unis ont encouragé les États du Golfe à “recycler” leurs profits pétroliers en armes de dernière technologie. Les Arabes ont suivi le conseil américain à la lettre, et maintenant la région est proche de l’explosion.

Source : Daniel Lazare, Consortiumnews.com, le 16/10/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-va-t-en-guerre-irresponsables-doctobre-par-daniel-lazare/


Rapport final du crash du MH17

Saturday 7 November 2015 at 01:54

Pour ceux que ça intéresse, voici la traduction des conclusions de la commission technique d’enquête sur le crash du MH17.

En résumé, l’avion a été abattu par un missile sol-air, et on ne sait pas de quel camp il a été tiré. Il y aura ensuite le rapport de la commission d’enquête judiciaire.

Mais à ce stade, et en ayant une pensée pour les victimes de ce drame, j’avoue que le résultat m’intéresse assez peu, je crains qu’on n’ait jamais de preuve convaincante du coupable. Surtout, ce genre de cas illustre une dérive actuelle, qui consiste à voir des personnes, après une petite période légitime de débat et de réflexion, à insister, à dépenser une énergie folle durant des mois voire des années après les faits à essayer de trouver la vérité sur un sujet qui, finalement et hélas, n’intéressera presque plus personne (regardez, les mensonges autour de la guerre d’Irak et son bilan ça intéresse qui ?). Sachant que si la vérité n’est pas sortie au bout de 15 jours avec des experts et témoins sur place, il est peu probable qu’elle sorte 2 ans après par des investigations citoyennes à l’autre bout du monde…

Sur le fond, rien n’a changé :

Enfin, c’est mon simple petit avis.

Bref, on n’est guère plus avancé. Donc on ne parlera plus trop de ce drame sur ce blog – il y a bien d’autres sujets bien plus importants qu’un atroce fait divers.

On reparlera en revanche bientôt de la propagande de guerre autour de ce drame, et des mensonges manipulatoires.

Une chose m’a frappé dans cette enquête et dans les débats : l’avion a été abattu par un Buk, les seules dont est sûr qu’elles possèdent non pas 1 mais plusieurs Buks, ce sont les forces armées ukrainiennes, qui ont, hasard, déjà abattu par erreur un avion civil – et je n’ai jamais vu personne enquêter sur elles, savoir où étaient leurs Buks, vérifier si un missile était manquant, etc. Silence total, on préfère échafauder des théories sur la présence d’un Buk pro-Donetsk assez fantôme…  (et qui est en effet peut être le coupable, mais enfin, c’est une étrange façon d’enquêter…).

À suivre, donc, pour la critique des pseudo-experts…

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Source : Onderzoeksraad, 10/2015

Conclusions et Recommandations

10 CONCLUSIONS

Les résultats de l’enquête sur l’accident du vol MH17 du 17 juillet 2014 nous conduisent à proposer les conclusions suivantes.

10.1 Conclusions principales

  1. Causes de l’accident

a. Le 17 juillet 2014, la Malaysia Airlines effectuait le vol MH17 sur un Boeing 777-200 enregistré sous le numéro 9M-MRD, en croisière près des frontières ukrainiennes et russes, à 33 000 pieds d’altitude, sous l’autorité du contrôle aérien ukrainien (Ukrainian Air Trafic Control), et était commandé par un équipage compétent et qualifié.

b. A 13h20:03 (15h20:03 CET) [heure d'Europe centrale, NdT], une ogive a explosé à l’extérieur et au-dessus du côté gauche du cockpit du vol MH17. C’était une ogive de type 9N314M portée par un missile de série 9M38, comme ceux installés sur les lanceurs sol-air de type Buk.

c. Les autres scénarios ayant pu provoquer la désintégration de l’avion ont été examinés, analysés et éliminés devant les éléments de preuve disponibles.

d. La déflagration a tué les trois occupants du cockpit et endommagé la structure à l’avant de l’appareil, ce qui a provoqué une désintégration en vol. La rupture a répandu des débris sur une surface de 50 kilomètres carrés entre le village de Petropavlivka et le village de Hrabove. La totalité des 298 passagers ont perdu la vie.

  1. Conclusions concernant le plan de vol du MH17

a. Les services de contrôle aérien impliqués n’ont pas évalué correctement les risques qu’ils prenaient à faire survoler un conflit armé dans l’est de l’Ukraine par un avion civil.

- Pendant la période précédant le crash du vol MH17, le conflit armé à l’est de l’Ukraine s’était étendu à l’espace aérien. Augmentant en conséquence les risques encourus lors d’un survol de la zone par un avion civil.

- Les déclarations des autorités ukrainiennes qui signalaient que des avions militaires avaient été abattus le 14 et 16 juillet, et qui mentionnaient que les systèmes d’armement étaient capables d’atteindre l’altitude de croisière des avions civils, constituaient une raison suffisante pour fermer par précaution l’espace aérien au-dessus de l’est de l’Ukraine.

- Les autres parties impliquées – les opérateurs, les États dans lesquels ils sont basés et les tierces parties comme l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) – n’ont pas identifié les risques potentiels pour l’aviation civile posés par un conflit armé dans l’est de l’Ukraine. Les opérateurs, comprenant Malaysia Airlines, ont supposé que la partie ouverte de l’espace aérien ukrainien était sûre. Ces États n’ont pas émis d’avertissement spécifique sur les risques encourus par l’aviation civile pendant la période où le conflit s’étendait à l’espace aérien. L’OACI n’a pas jugé utile d’interroger l’Ukraine, ni d’offrir une assistance.

  1. Conclusions concernant les vols au-dessus des zones de conflit

a. Le système actuel de responsabilités pour la sécurité de l’aviation civile ne fournit pas d’éléments suffisants pour évaluer correctement les risques liés au survol des régions en conflit.

b. L’évaluation des risques pour l’aviation civile utilisant l’espace aérien au-dessus de zones de conflit ne devrait pas seulement tenir compte des risques existants, mais aussi inclure les risques dont l’intention ou les possibilités sont incertaines.

10.2 Etayage des conclusions (les causes e l’accident)

La cause identifiée par la Dutch Safety Board est étayée par les découvertes suivantes.

  1. Moment de l’interruption du vol

La détermination du moment de l’interruption du vol de l’avion est soutenue par les découvertes suivantes :

a. L’enregistrement des voix dans le cockpit et les enregistrements des données de vol se sont interrompues brutalement à 13h20:03 (15h20:03 CET) pour cause d’arrêt de l’alimentation électrique.

b. La balise de détresse s’est activée automatiquement environ deux secondes après la cessation de l’enregistrement des voix du cockpit et des données de vol.

c. Les données brutes du radar secondaire de surveillance du service de contrôle aérien ukrainien et la reprise par radar à écran vidéo des données combinées primaire et secondaire des services de contrôle aérien de la fédération de Russie ont montré que le vol MH17 était en trajectoire rectiligne au niveau de vol FL330 jusqu’à 13h20:03 (15h20:03 CET).

d. Les données brutes du radar secondaire de surveillance venant du contrôle aérien ukrainien ont montré que le vol MH17 n’a transmis aucune donnée de surveillance secondaire depuis 13h20:03 (15h20:03 CET).

e. La reprise par le contrôle aérien de la fédération de Russie des données combinées des radars primaire et secondaire ont montré que les traces de la trajectoire de l’avion à partir de 13h20:03 (15h20:03 CET) étaient le résultat de la chute libre et de la chute de débris.

  1. Le pic sonore

L’enregistreur des voix du cockpit a enregistré un pic sonore de 2,3 millisecondes. La triangulation du signal a montré que le bruit venait de l’extérieur de l’avion, commençant d’une position au-dessus du côté gauche du cockpit, se propageant d’avant en arrière.

  1. Pas d’autre avion

Il n’y a pas eu de preuve d’un autre aéronef, civil ou militaire, à proximité immédiate du vol MH17. Selon les données radar, trois autres avions étaient dans le secteur 4 du centre de contrôle de Dnipropetrovsk à l’heure du crash, tous des avions de catégorie transport commercial aérien. Deux volaient cap à l’est, un volait cap à l’ouest. Tous étaient sous le contrôle du radar de Dnipro. A 13h20 (15h20 CET) la distance entre le plus proche de ces avions et le vol MH17 était de 33 km.

  1. Les dommages au cockpit et les blessures à l’équipage

Les dommages observés à l’avant du fuselage et la zone du cockpit de l’avion et les blessures de l’équipage de vol et de l’équipage cabine présents dans le cockpit montrent qu’il y a eu de multiples impacts d’un grand nombre de fragments venant d’un point extérieur et au-dessus du côté gauche du cockpit. Le schéma des dommages observés à l’avant du fuselage et dans la zone du cockpit de l’avion ne sont pas cohérents avec les dommages qui pourraient être provoqués par un mode de défaillance connu de l’avion, ses moteurs ou ses systèmes.

  1. Fragments venant d’un endroit

L’avion a été frappé par un grand nombre de petits fragments de différentes formes et tailles (cubiques et en forme de nœud-papillon) se déplaçant à grande vitesse. La direction de l’ensemble des fragments perforants et non-perforants vient d’un seul endroit à l’extérieur gauche et au-dessus du cockpit. Les fragments ont endommagé le côté gauche du cockpit, le tube d’admission d’air du moteur gauche et le bout de l’aile gauche.

  1. Dispersion par fragmentation ou fragments préformés

Les objets qui ont frappé l’avion depuis l’extérieur avec une force puissante, comme ceux trouvés dans les débris de l’avion et dans les corps de l’équipage du cockpit, étaient faits d’acier pur. Quelques-uns de ceux-ci ont de toute évidence transpercé la carlingue de l’avion et/ou les verrières du cockpit. Les objets trouvés sont faits de fragments préformés. L’emplacement, la forme et les limites des dommages sur l’épave du vol MH17, le nombre et la densité des impacts sur l’épave et les objets trouvés de différentes formes et tailles correspondent aux dommages par impacts multiples de fragments préformés contenus dans l’ogive 9N314M portée par le missile de série 9M38 installé sur le lance-missile sol-air Buk.

  1. Les fragments de missile

Nombre d’objets plus gros trouvés sur le sol et quelques fragments trouvés dans les débris de l’avion ont été suspectés d’appartenir à un missile. Des prélèvements de peinture effectués sur ces pièces supposées de missile trouvées dans la zone de l’épave correspondent à celles trouvées sur les objets étrangers extraits de l’avion. Les pièces du missile ont présenté également les traces d’un type d’explosif (le RDX), lesquelles sont identiques aux traces trouvées dans les débris.

  1. L’explosion

La simulation de l’explosion après la détonation de l’ogive 9N314M a révélé une onde de choc près du cockpit. La simulation a montré que l’explosion aurait causé des dommages structurels à plus de 12,5 mètres du point de détonation. Ce qui était cohérent avec les dommages trouvés sur les débris de l’avion.

  1. La séquence de cassure

Après l’impact initial, l’avion s’est brisé de la manière suivante :

a. Il y a eu une séparation presque instantanée du cockpit et de la partie arrière du fuselage quand les fragments préformés ont pénétré le cockpit. Le cockpit a parcouru 2,3 km depuis la dernière position indiquée sur l’enregistreur de vol.

b. L’avion sans sa partie avant a continué de voler sur une trajectoire indéterminée sur environ 8,5 km vers l’est avant de se briser davantage. La section centrale a voyagé plus loin que la partie arrière du fuselage. Cette partie centrale s’est retournée. Des débris ont pris feu.

c. Le temps écoulé entre le début de l’éclatement et l’impact avec le sol n’a pu être déterminé précisément, mais on a estimé que les parties centrale et arrière de l’avion ont mis entre 1 et 1,5 minute pour atteindre le sol. Les autres, les pièces plus légères auront mis plus de temps.

  1. Les armes utilisées

L’avion a été frappé par une ogive 9N314M du type de celles portées par la série de missiles 9M38 et lancées par un système lance-missile sol-air Buk. Cette conclusion s’appuie sur la combinaison suivante : le pic sonore enregistré, les dommages par impacts multiples trouvés sur les débris, causés par l’explosion et les impacts de fragments, les fragments en forme de nœud-papillon et de cubes trouvés dans le cockpit et les corps des membres de l’équipage de cockpit, les blessures subies par les trois membres de l’équipage de cabine dans le cockpit, l’analyse de la rupture en vol, l’analyse des résidus d’explosif et de peinture, ainsi que la taille et la forme distinctive de quelques-uns des fragments.

  1. La trajectoire du missile

La zone de départ possible d’une ogive 9N314M portée par un missile de série 9M38 comme ceux installés sur le système lance-missile sol-air Buk pourrait mesurer autour de 320 km² situés dans l’est de l’Ukraine. Des recherches plus poussées sont requises pour déterminer l’emplacement du lancement. De tels travaux sortent du mandat de la Dutch Safety Board, en termes de l’annexe 13 et du Kingdom Act “Dutch Safety Board”.

Source : Onderzoeksraad, le 10/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Pas grave, Libération a déjà enquêté et conclu :
Hélène Despic-Popovic : dur métier , “journaliste” à Libération… (je rappelle bien que la commission n’a pas dit qu’il avait été tiré par les “prorusses”(sic.))
Je précise aussi que le constructeur des Buks a mené une enquête, et a fait exploser un Buk près d’un vieil avion. Ses conclusions (à prendre avec prudence) sont que le Buk utilisé sur le MH17 était un vieux modèle, retiré des forces russes en 2011, mais actif dans les forces ukrainiennes.
Enfin, les passionnés liront cet intéressant article d’analyse contradictoire détaillée.

Source: http://www.les-crises.fr/accident-du-vol-malaysia-airlines-mh17/


L’armement américain transforme la Syrie en champ de bataille par procuration avec la Russie par Anne Barnard et Karam Shoumali

Saturday 7 November 2015 at 01:50

Source : The New York Times, le 13/10/2015

Par Anne Barnard et Karam Shoumali

Des soldats syriens attaqués dimanche dans la province de Hama. Les forces gouvernementales y ont fait une avancée lundi, soutenues par la force aérienne russe. Crédits : Alexander Kots/Komsomolskaya Pravda, via Associated Press

Beyrouth, Liban – Les chefs des insurgés affirment recevoir pour la première fois d’importantes livraisons de missiles antichars de fabrication américaine, depuis que la Russie a entamé ses frappes aériennes pour soutenir le gouvernement syrien.

Avec l’accroissement de la puissance de feu des rebelles, et avec une Russie intensifiant progressivement ses frappes aériennes contre les opposants au gouvernement, le conflit syrien est à deux doigts de se transformer en guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie.

Ce niveau de soutien accru a rehaussé le moral des deux camps, élargissant les buts de guerre, radicalisant les positions politiques, et rendant un accord diplomatique de moins en moins envisageable.

Les missiles antichars américains TOW ont commencé à arriver dans la région en 2013, par le biais d’un programme clandestin des États-Unis, de l’Arabie Saoudite et d’autres alliés en vue de soutenir des groupes insurgés entraînés par les États-Unis pour combattre le gouvernement syrien.

Les armes sont acheminées sur le terrain par les alliés des Américains, mais ce sont les États-Unis qui valident leur destination. Ce qui suggère a minima que les renforts actuels bénéficient de l’approbation tacite des Américains, à présent que le président Bachar el-Assad bénéficie du soutien aérien russe.

« Nous avons obtenu ce que nous demandions en très peu de temps », a déclaré dans une interview l’un des commandants [rebelles], Ahmad al-Saud. Il a ajouté qu’en seulement deux jours, son groupe, Division 13, avait détruit sept chars et véhicules blindés avec sept TOWs : « sept sur sept ».

Vidéo d’un groupe rebelle syrien tirant un missile TOW sur un char dans la province de Hama, le 7 octobre. Vidéo de Division 13

Le moral est également en hausse du côté gouvernemental. L’armement comme le moral ont « monté en flèche », selon une source gouvernementale, du fait du renouveau de l’alliance entre la Russie, l’Iran et la milice libanaise chiite du Hezbollah qui se bat pour le compte de Damas.

Au lieu d’une pâle lumière au bout du tunnel, selon la même source gouvernementale, évoquant la situation militaire sous couvert de l’anonymat, l’alliance envisage ce qui ressemble davantage à une victoire. Le but consiste à regagner le terrain qui jusqu’alors avait été considéré comme définitivement perdu, écarter définitivement la possibilité de l’éviction de M. Assad, et obtenir une résolution politique de la situation bien plus avantageuse, une fois que « de nouveaux faits auront été obtenus sur le terrain ».

Mais si les frappes russes contre les insurgés syriens se sont intensifiées, il en a été de même des attaques de ces mêmes insurgés, observables sur des vidéos en ligne. Les missiles TOW remplissent les airs avec leur traînées brillantes, à la recherche des véhicules made in Russia utilisés par les forces gouvernementales, et les réduisant en cendres.

Au moins 34 vidéos de ce genre ont été publiées dans les cinq derniers jours depuis les champs de bataille dans les provinces de Hama et d’Idlib, où des TOW ont aidé à amortir la première attaque au sol des forces gouvernementales syriennes appuyées par la puissance aérienne russe.

Le groupe rebelle syrien Fursan al Haq a diffusé une vidéo de ses combattants lançant un TOW sur un tank gouvernemental dans le nord de la province de Hama le 7 octobre. Vidéo par ShaamNetwork S.N.N.

Un officiel d’un groupe rebelle combattant à Hama a qualifié l’approvisionnement de “carte blanche”.

“Nous pouvons en avoir autant que nous en avons besoin et dès que nous en avons besoin”, a-t-il dit, demandant à ne pas être identifié pour éviter les représailles des groupes insurgés islamistes rivaux qu’il a critiqués. “Il suffit de demander.”

Il a dit croire que l’entrée de la Russie dans le conflit a fait la différence.

“En nous bombardant, la Russie bombarde les 13 pays ‘amis de la Syrie’”, a-t-il dit, faisant référence au groupe formé par les États-Unis et leurs alliés qui ont appelé à l’éviction de M. Assad après sa répression contre les manifestations politiques en 2011.

Le programme de la CIA qui a fourni les TOW (acronyme pour “missile filoguidé à suivi optique lancé par tube”) est distinct – et significativement plus important – du programme raté du Pentagone à 500 millions de dollars qui a été annulé la semaine dernière après avoir seulement formé une poignée de combattants. Ce fut un échec en grande partie parce que peu de recrues acceptaient son but de combattre seulement l’organisation militante de l’État Islamique et non M. Assad.

Les commandants rebelles ont tiqué à la demande de rapports sur la fourniture de 500 TOW depuis l’Arabie saoudite, disant que c’était un nombre insignifiant comparé avec ce qui était déjà disponible. En 2013 l’Arabie saoudite en a commandé plus de 13 000 exemplaires. Étant donné l’obligation pour les contrats d’armement américains de révéler l’”utilisateur final”, les insurgés déclarent qu’ils ont été fournis avec l’approbation de Washington.

De même, des vidéos crues montrant la nouvelle puissance de feu russe ont été diffusées par des combattants pro-gouvernementaux et des journalistes évoluant à leur côté.

Les hélicoptères de combat russes volent à basse altitude au-dessus des champs, apparemment assez près pour toucher le sol, puis prennent de l’altitude pour éviter les barrages de roquettes, fusées éclairantes et les tirs de mitrailleuse lourde. Des explosions touchent des villages éloignés, avec des colonnes de fumée s’élevant sur des blocs de maisons, déclarent des témoins qui narrent les progrès contre les « terroristes ».

Il semble que ce soit des techniques perfectionnées en Afghanistan, où l’armée d’occupation soviétique a combattu les insurgés fournis en missiles anti-aériens par les États-Unis. Ce sont certains de ces insurgés qui ont formé plus tard Al-Qaïda.

Les soldats syriens et les forces pro-gouvernementales dans le village de Atshan, province de Hama, dimanche. Crédit SANA, par l’intermédiaire de l’Agence France-Presse – Getty Images

Ce spectre plane sur la politique américaine, et a empêché les insurgés syriens de recevoir ce qu’ils désirent le plus : des missiles antiaériens pour arrêter les frappes aériennes de l’État, l’une des plus grandes causes de morts civils de cette guerre.

Maintenant il veulent les utiliser aussi contre les chasseurs russes.

M. Saud, de la Division 13, a dit que lui et d’autres officiers ont renouvelé leur demande d’armes antiaériennes il y a dix jours auprès des officiers de liaison travaillant avec eux dans un centre opérationnel en Turquie.

“Ils nous ont dit qu’ils transmettraient nos demandes dans leur pays”, ajoute-t-il. “Nous comprenons que ça n’est pas une décision facile lorsqu’il s’agit d’armes antiaériennes ou d’une no-fly zone, surtout maintenant que l’espace aérien syrien est rempli de chasseurs venant de différents pays.”

La Russie et les États-Unis ont tous deux déclaré qu’ils combattent l’État Islamique, aussi connu sous le nom de Daesh ou ISIS, mais les deux grandes puissances soutiennent les camps opposés de la bataille opposant M. Assad et les Syriens rebellés contre son autorité.

Avec le soutien aérien russe, le gouvernement de M. Assad essaie de reprendre le territoire gagné dans les provinces Idlib et Hama par les insurgés, dont le front Al-Nosra affilié à Al-Qaida et les groupes soutenus par les États-Unis, se désignant eux-mêmes comme l’Armée Syrienne Libre – mais pas Daesh dont les principales forces sont dans le nord et l’est de la Syrie jusqu’en Irak, mais n’a qu’une présence discrète dans l’ouest du pays.

Au lieu de cela, les progrès sur place, qui ont généré la menace la plus immédiate pour M. Assad, sont venus d’une coalition d’insurgés islamistes appelée l’Armée De Conquête, comprenant le Front Nosra, mais s’opposant à l’État Islamique.

Progressant aux côtés des groupes islamistes, en les aidant parfois, un certain nombre de groupes relativement laïques, comme l’Armée Syrienne Libre, ont acquis une nouvelle importance et un nouveau statut en raison de leur accès aux missiles TOW.

Même en plus faibles quantités, les missiles jouent un rôle majeur dans l’avancée des insurgés, ce qui a engendré une menace pour le pouvoir de M. Assad. Alors que cela peut ressembler à un développement intéressant pour les décideurs politiques états-uniens, en pratique cela pose un nouveau dilemme, étant donné que le Front Nosra a été parmi les groupes bénéficiant de cette puissance de feu renforcée.

Il s’agit d’une alliance tactique que les commandants de l’Armée Syrienne Libre décrivent comme un mariage de raison inconfortable, car ils ne peuvent pas opérer sans le consentement de l’inévitable front Al-Nosra. Assad et ses alliés prennent cet arrangement pour preuve qu’il n’y a que peu de différences entre les groupes d’insurgés, les appelant tous terroristes, et les désignant donc pour cibles légitimes.

De toute façon, l’Armée Syrienne Libre nouvellement renforcée, restée longtemps un acteur marginal alors que les groupes islamistes montaient en influence, joue maintenant un rôle plus important.

“Les groupes islamiques nous ont toujours étiquetés agents, infidèles et apostats à cause de nos accords avec l’Ouest,” déclare Mr Saud. “Mais maintenant il se rendent compte combien nous sommes efficaces grâce à nos accords avec l’Ouest.”

Plusieurs unités soutenues par les Américains ont été sous le feu direct des Russes. Mais ils affirment avoir conservé leur territoire, avec l’aide de missiles TOW, mieux que leurs homologues islamistes.

Dans un des derniers envois d’aide américaine aux groupes armés évoluant en Syrie, des avions-cargos américains ont largué dimanche pour la première fois des munitions d’armes légères aux combattants arabes syriens en lutte contre l’État Islamique, a déclaré lundi un porte-parole militaire, le colonel Steve Warren.

Il a refusé d’identifier les groupes ou leurs emplacements, mettant en avant la sécurité opérationnelle, mais a indiqué que des responsables américains les avaient contrôlés. Les destinataires probables étaient une coalition de groupes kurdes et arabes qui étaient aux prises avec des combattants de l’État Islamique dans le nord la Syrie aux côtés des milices kurdes, qui se fait appeler désormais la Coalition Arabe Syrienne.

Les troupes gouvernementales syriennes ont progressé lundi vers une autoroute d’importance stratégique tenue par les insurgés, en prenant plusieurs villages dans la province de Hama avec l’aide de frappes aériennes russes, selon les médias officiels syriens et russes, des activistes anti-gouvernementaux et des combattants.

Mais les lignes de front sont restées fortement disputées, selon les militants, chaque partie faisant large usage de ses nouvelles armes.

Anne Barnard témoignait depuis Beyrouth, et Karam Shoumali d’Istanbul. Maher Samaan a contribué à la rédaction depuis Beyrouth, et Eric Schmitt depuis Washington.

Source : The New York Times, le 13/10/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/larmement-americain-transforme-la-syrie-en-champ-de-bataille-par-procuration-avec-la-russie-par-anne-barnard-et-karam-shoumali/


Crédit Mutuel, Censure, TAFTA : Guerre contre le journalisme ?, par Thinkerview

Friday 6 November 2015 at 05:08

Interview par l’excellente chaine Youtube Thinkerview de Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci ; ils sont rédacteur en chef / journaliste du documentaire sur le Crédit mutuel dont la diffusion sur Canal+ a été censurée par Vincent Bolloré.

Source: http://www.les-crises.fr/credit-mutuel-censure-tafta-guerre-contre-le-journalisme/


Pièces à convictions : Enquête sur le Crédit Mutuel

Friday 6 November 2015 at 03:08

On peut enfin voir l’enquête sur le Crédit mutuel, et c’est pas grâce à Bolloré

Source : Richard Sénéjoux, pour Télérama, le 7 octobre 2015.

Avec Bolloré, c'est Canal moins d'investigation.

Si le film “Evasion fiscale, enquête sur le Crédit mutuel” est diffusé à la télévision, c’est grâce à France 3 qui a tenu bon face à Vincent Bolloré. Car l’industriel, lui, l’avait interdit sur Canal+. Merci le service public.

Tout commence par un coup de fil. Début mai, le président du conseil de surveil­lance de Vivendi, Vincent Bolloré, qui n’a pas encore entamé la purge que l’on sait à Canal+, appelle le directeur de la chaîne, Rodolphe Belmer. Il exige la déprogrammation d’un documentaire sur le Crédit mutuel, dont la diffusion est prévue le 18 mai dans le cadre de Spécial investigation. Sans aucune explication. Le magazine Society puis Mediapart révéleront par la suite que la banque est un partenaire financier important du groupe Bolloré.

Une censure directe et brutale

Le film Evasion fiscale, enquête sur le Crédit mutuel a pourtant été validé par le comité éditorial de la chaîne cryptée, puis par la direction juridique. Sa diffusion est annoncée dans les gazettes, dont Télérama. Les équipes de Spécial investigation, qui l’ont commandé à la société de production Zodiak, ne sont au courant de rien. On a affaire à une censure directe et brutale. « A l’ancienne », dit-on chez le producteur, où on n’en revient pas. Outrée par le procédé, Zodiak décide pourtant de ne pas ébruiter l’affaire. La priorité ? « Sauver le film », c’est-à-dire lui trouver un autre diffuseur. France 3 se dit intéressée. Mais pour ça, il faut que Canal+ libère les droits — ce que s’évertuera à faire Rodolphe Belmer jusqu’à son éviction, début juillet.

A qui appartient le film ?

C’est le point central de l’affaire : à qui appartient le film ? Un pré-accord a bien été passé entre le producteur et Canal+. Mais aucun euro n’a été versé, ce qui peut être vu comme une forme de désengagement. L’un des patrons de Zodiak, Renaud Le Van Kim, le signifiera par écrit à France Télévisions : le documentaire est bien libre de droits. A France 3, on décide de le programmer à la rentrée, dans la case de Pièces à conviction. Et on part en vacances.

Coup de théâtre début septembre

France Télévisions reçoit une nouvelle lettre de Zodiak (dont Renaud Le Van Kim a entre-temps été démissionné), qui dit… exactement l’inverse de la précédente : les droits appartiennent à ­Canal+, donc impossible de vous livrer le film. Les raisons de ce revirement ? D’abord, le producteur travaille beaucoup avec Canal+, pour qui il coproduit par exemple la série événement Versailles, à l’antenne en novembre. Jamais bon de fâcher un gros client. Surtout, quelques jours avant ce dernier courrier, Vivendi a pris des parts dans la maison mère de Zodiak, Banijay. Vous voyez le tableau : après avoir interdit d’antenne le documentaire sur Canal+, Vincent Bolloré voudrait profiter de cette (nouvelle) casquette pour empêcher sa diffusion sur France 3 ! Dans les hautes sphères de France Télévisions, on s’interroge. C’est vrai, il y a un risque juridique. Mais la nouvelle patronne du service public, Delphine Ernotte, tient bon et maintient la diffusion. Elle l’annonce même publiquement, sur les ondes de France Inter. En tout début de mandat, elle joue sa crédibilité. Belle mission de service (et de salubrité) public.

Informer va-t-il devenir un délit dans le groupe Canal ?

En revanche, on est franchement inquiet pour l’avenir de l’enquête journalistique sur Canal+. Outre la censure Crédit mutuel, un reportage sur l’Olympique de Marseille a été retiré du site de replay de la chaîne, MyCanal. Un documentaire inédit sur François Hollande et Nicolas Sarkozy avait été déprogrammé sans motif, avant d’être reprogrammé sans plus d’explications. Un autre sur BNP-Paribas, autre partenaire financier de Bolloré, a été gelé. Les équipes de Spécial investigation pensent que leurs jours sont comptés. Avec les multiples intérêts de Vincent Bolloré (énergie, gestion de ports en Afrique, transport, plantations, logistique, batteries et voitures électriques, publicité, médias…), c’est l’indépendance éditoriale de tout le groupe Canal+, propriétaire aussi d’i>Télé, qui est menacée. Le collectif « Informer n’est pas un délit » s’est mobilisé pour interpeller le CSA et les pouvoirs publics.

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P.S. : ce documentaire a été diffusé le 7 octobre.

Le 16 octobre, le mandat du sympathique Michel Lucas, qui a traité les lanceurs d’alerte de “racketteurs”, et qui est accusé dans le reportage d’avoir fait censurer ce documentaire sur Canal Plus, a été renouvelé pour 5 ans…

Plus c’est gros, plus ça passe…

Source: http://www.les-crises.fr/pieces-a-convictions-enquete-sur-le-credit-mutuel/


Revue de presse internationale du 06/11/2015

Friday 6 November 2015 at 00:01

Une revue internationale bien variée avec encore plusieurs articles en version française. Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-06112015/


L’Euro-zone franchit le Rubicon : la gauche anti-austérité se voit interdire le pouvoir au Portugal, par Ambrose Evans-Pritchard

Thursday 5 November 2015 at 04:45

C’est quand même stupéfiant… Même Poutine ne fait pas ça ;)

EDIT : j’ai vu plusieurs fois en commentaire la phrase de Juncker “Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens”.

Mais elle est assez logique dans la vision des fédéralistes. Car :

  • ou bien, vous n’êtes pas fédéraliste, et cette phrase est scandaleuse, mais dans ce cas, vous arrêtez aussi l’euro and co, car ce sont des instruments fédéralistes ;
  • ou bien vous êtes fédéraliste, et dans ce cas c’est logique, tout comme il ne peut y avoir de choix démocratique de la région d’Alsace contre la politique nationale française (ou le Nebraska sur la politique US). Mais dans ce cas, il faut arrêter les simagrées, et expliquer aux pays que ce sont désormais de simples régions qui n’ont pas leur mot à dire sur ces sujets – c’est la petite difficulté des européistes…

Source : Ambrose Evans-Pritchard, The Telegraph, le 23/10/2015

 Une crise constitutionnelle se profile alors que la gauche anti-austérité se voit refuser le droit parlementaire à former un gouvernement que lui donne sa majorité

Le président du Portugal : « Il n’y a pas pire moment pour un changement radical des fondations de notre démocratie. »

Par Ambrose Evans-Pritchard

Le Portugal entre politiquement dans une passe dangereuse. Pour la première fois depuis la création de l’union monétaire européenne, un État membre a explicitement pris le parti d’interdire à des partis eurosceptiques d’occuper le pouvoir, au nom de l’intérêt national.

Anibal Caravaco Silva, président de la république portugaise, a refusé la constitution d’un gouvernement mené par une coalition de gauche, alors que celle-ci a rassemblé une majorité absolue au parlement portugais, et a obtenu mandat pour mettre en pièces la politique d’austérité léguée par la Troïka UE-FMI.

Il a jugé trop risqué de laisser le bloc de gauche ou les communistes s’approcher du pouvoir, répétant que les conservateurs devraient faire bloc en tant que minorité pour contenter Bruxelles et rassurer les marchés financiers étrangers.

La démocratie doit passer après le plus grand impératif que constituent les règles de l’euro et l’appartenance à l’UE.

« En 40 ans de démocratie, aucun gouvernement au Portugal n’a jamais dépendu du soutien de forces anti-européennes, c’est-à-dire de forces ayant fait campagne pour l’abrogation du Traité de Lisbonne, du Paquet fiscal, du Pacte de stabilité et de croissance, ainsi que pour le démantèlement de l’union monétaire et la sortie du Portugal de l’euro, en plus de la volonté de dissoudre l’OTAN », a déclaré M. Caraco Silva.

« Il n’ y a pas pire moment pour un changement radical des fondations de notre démocratie. »

« Après avoir mené un coûteux programme d’aide financière, marqué par de nombreux sacrifices, il est de mon devoir, dans le cadre de mes pouvoirs constitutionnels, de faire tout mon possible pour empêcher que de mauvais signaux soient envoyés aux institutions financières, aux investisseurs et aux marchés », a-t-il dit.

M. Cavaco Silva a avancé que la grande majorité des Portugais n’avaient pas voté pour les partis désireux de revenir à l’escudo, ou partisans d’une confrontation douloureuse avec Bruxelles.

Ce qui est vrai, mais il a omis le cœur du message adressé lors des élections qui se sont tenues il y a trois semaines : ils ont également voté pour la fin des réductions salariales et de l’austérité de la Troïka. Les partis de gauche, à eux tous, ont atteint 50,7% des suffrages. Menés par les socialistes, ils ont le contrôle de l’Assemblée.

Le chef de file des conservateurs, Pedro Passos Coelho, est passé en premier et par conséquent est le premier en lice pour former un gouvernement, mais la totalité de la coalition de droite a seulement empoché 38,5% des suffrages. Elle a perdu 28 sièges.

Le leader socialiste, Antonio Costa, a réagi avec colère, condamnant l’acte du président : « une grave erreur » qui menace d’engloutir le pays tout entier dans une tempête politique.

« Il est inacceptable que les pouvoirs exclusifs du parlement soient ainsi usurpés. Les socialistes n’ont aucune leçon à recevoir de la part du professeur Cavaco Silva en matière de défense de notre démocratie », a-t-il déclaré.

M. Costa a exprimé sa volonté d’accélérer la formation d’une coalition des trois gauches, et a averti le gouvernement-croupion de droite qu’il subirait immédiatement une motion de défiance.

De par la constitution du Portugal, il ne peut y avoir de nouvelles élections avant le second semestre de l’année prochaine, ce qui risque de paralyser le pays pendant près d’un an, le lançant droit vers une confrontation avec Bruxelles, et menace en fin de compte de rallumer la crise de la dette souveraine dans ce pays.

Le marché des obligations a réagi calmement aux évènements qui se sont produits à Lisbonne, mais ce n’est plus vraiment un instrument de mesure précis depuis que la Banque Centrale Européenne (BCE) éponge la dette portugaise par assouplissements quantitatifs (QE).

Le Portugal n’est plus sous le régime de la Troïka et n’est plus confronté à l’imminence d’une crise des crédits, ses réserves de liquidités s’élevant à plus de 8 milliards d’euros. Il n’en reste pas moins que, selon le FMI, le pays reste en situation de « grande fragilité » en cas de nouvelle crise ou si le pays ne mène pas à bien les réformes, qui semblent actuellement « au point mort ».

La dette souveraine s’élève à 127% du PIB, le total de la dette est de 370% du PIB, une situation pire que celle de la Grèce. Le passif extérieur dépasse 220% du PIB.

 

Le FMI a prévenu que le « miracle de l’exportation » du Portugal reposait sur une base fragile, les bénéfices affichés étant gonflés par des réexportations sans grande valeur ajoutée. « Un rééquilibrage durable de l’économie n’est pas encore intervenu », selon le FMI.

« Le président a engendré une crise constitutionnelle », selon Rui Tavares, parlementaire écologiste radical. « Ce qu’il nous dit, c’est qu’il ne permettra jamais la formation d’un gouvernement comprenant des gens de gauche et des communistes. Les gens sont abasourdis par ce qui s’est passé ».

Selon M. Tavares, le président a invoqué le spectre des communistes et le bloc de gauche comme un « homme de paille », pour empêcher toute prise du pouvoir par la gauche tout court, en sachant parfaitement que les deux parties avaient accepté de renoncer à leurs revendications pour une sortie de la zone euro, un retrait de l’OTAN, ainsi que la nationalisation des poids lourds de l’économie, dans le cadre d’un accord de compromis pour fonder la coalition.

Le président Cavaco Silva pourrait avoir raison en estimant qu’un gouvernement socialiste rassemblant les communistes précipiterait le pays dans une confrontation majeure avec les mandarins austéritaires de l’UE. Le maître-plan de M. Costa pour une relance keynésienne – qui inclurait principalement des dépenses pour l’éducation et la santé – est totalement incompatible avec le paquet fiscal de l’UE.

Le Secrétaire Général du Parti Socialiste Portugais, Antonio Costa, samedi dernier, après la publication des résultats.

Cette clause stupide du traité oblige le Portugal à réduire sa dette à 60% du PIB sur les vingt prochaines années dans un piège austéritaire perpétuel, et ce alors que le reste de l’Europe méridionale tente de faire de même, le tout dans un contexte de récession mondiale puissante.

Cette stratégie consistant à se débarrasser du lourd fardeau de la dette du pays en se serrant la ceinture en permanence porte largement son propre échec en son sein, puisque la stagnation du PIB en chiffres bruts aggrave le rapport dette sur PIB.

Pas plus qu’elle ne présente la moindre pertinence. Le Portugal aura besoin d’un effacement de sa dette lorsque la prochaine récession frappera pour de bon. Il n’y a absolument aucune chance pour que l’Allemagne accepte d’établir une harmonisation fiscale dans l’Union Monétaire Européenne (EMU) assez tôt pour l’empêcher.

Ce que le Portugal doit faire pour liquider la dette (source : Deutsche Bank)

La principale conséquence de cette prolongation de l’agonie, c’est la profonde atonie du marché du travail, et des taux d’investissement bas qui ne laissent aucun avenir.

M. Cavaco Silva utilise de fait son mandat pour imposer un programme issu d’une idéologie réactionnaire, dans l’intérêt des créanciers et de l’establishment de l’EMU, en maquillant le tout, avec un culot remarquable, en défense de la démocratie.

Les socialistes et les communistes portugais ont enterré la hache de guerre de leurs divisions pour la première fois depuis la révolution des Œillets et le renversement de la dictature de Salazar dans les années 70, et ont leur refuse néanmoins le droit parlementaire de former un gouvernement représentant une majorité.

Voilà une dangereuse démarche. Les conservateurs portugais et leurs alliés médiatiques font comme si la gauche n’avait aucun droit à exercer le pouvoir et devait être tenue sous contrôle par tous les moyens possibles.

Rien que de très familier – et glaçant – dans ce réflexe, pour qui connaît l’Histoire de la péninsule Ibérique au XXe siècle, ou celle de l’Amérique latine. Que ce soit fait au nom de l’euro est entièrement conforme à ce que l’on attend.

Le parti grec Syriza, premier gouvernement de gauche radicale en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, a été écrasé et soumis pour avoir osé se mesurer à l’idéologie de la Zone euro. A présent, la gauche portugaise passe par une variante du même hachoir à viande.

Les socialistes européens se trouvent face à un dilemme. Ils prennent enfin conscience de la déplaisante vérité : l’union monétaire est une entreprise autoritaire de droite, qui a échappé à la bride de la démocratie ; et cependant, s’ils agissent en conséquence, ils risquent de se voir interdire tout accès au pouvoir.

Bruxelles a vraiment créé un monstre.

Source : Ambrose Evans-Pritchard, The Telegraph, le 23/10/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/leuro-zone-franchit-le-rubicon-la-gauche-anti-austerite-se-voit-interdire-le-pouvoir-au-portugal-par-ambrose-evans-pritchard/


Portugal : le président impose un gouvernement de droite, mais la gauche se rassemble, par Romaric Godin

Thursday 5 November 2015 at 03:56

On notera la formidable analyse du Monde, comme d’hab :

Eh oui, 104 siège sur 230, ils ont gagné, et encore mieux, “se maintiennent au pouvoir” – ce qui va être simple comme on le voit sur le graphique…

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Portugal : le président impose un gouvernement de droite, mais la gauche se rassemble, par Romaric Godin

Source : Romaric Godin, La Tribune, 23/10/2015

Pedro Passos Coelho reste premier ministre du Portugal (Crédits : HUGO CORREIA)

 Le président de la république portugaise a confirmé dans son poste le premier ministre sortant Pedro Passos Coelho. Mais la gauche majoritaire va déposer une motion de censure et a fait le plein de ses voix pour la présidence de la chambre;

Le président de la République portugais, Anibal Cavaco Silva, a donc décidé de passer jeudi soir en force. Alors que les leaders des trois formations de gauche (Partis socialiste et communiste et bloc de gauche) majoritaires au parlement lui ont affirmé mardi et mercredi qu’ils étaient « en mesure de former un gouvernement stable », il a finalement décidé de confirmer le premier ministre sortant, Pedro Passos Coelho, à la tête du gouvernement.

Provoquer une scission au PS

Ce dernier se retrouve donc à la tête d’un gouvernement minoritaire soutenu uniquement par l’alliance de droite Portugal à Frente (PàF) qui a obtenu le 4 octobre dernier 38,4 % des voix et 107 des 230 sièges de l’Assemblée de la République, le parlement monocaméral portugais. La stratégie d’Anibal Cavaco Silva, lui-même ancien premier ministre conservateur de 1985 à 1995 consiste donc à passer en force pour éviter une alliance des trois forces de gauche qui, pourtant, serait sur le point d’être finalisée. Son idée est de provoquer une scission interne au Parti socialiste (PS) en invitant la droite de ce parti à ne pas voter la motion de censure qui va être inévitablement déposée contre Pedro Passos Coelho.

Utiliser l’euro comme levier

Pour les convaincre de pratiquer cette rupture, le président de la République a joué sur l’Europe. « L’observation des engagements internationaux est décisif et cruciale pour le financement de notre économie et la croissance de l’emploi. Hors de l’euro, le futur du Portugal sera catastrophique », a indiqué Anibal Cavaco Silva qui tente donc de transformer le choix de gouvernement en un choix pour ou contre l’euro. « C’est aux députés de décider en conscience et en prenant en compte les intérêts supérieurs du Portugal, si le gouvernement doit ou ne doit pas assumer pleinement les fonctions que je lui confie », a-t-il indiqué. La stratégie de la droite, appuyée par le président de la République est donc de faire de la motion de censure un vote sur l’euro et l’UE afin de convaincre la portion la plus europhile du PS de s’abstenir.

Les conditions de la censure

Pour éviter la censure, le gouvernement portugais doit éviter qu’une majorité absolue des députés vote cette motion, selon l’article 195 de la Constitution, soit 116 voix. Les trois partis de gauche détiennent ensemble 122 sièges. L’abstention de 7 députés PS sur 86 serait donc suffisante. Compte tenu de l’attitude encore incertaine du parti animaliste PAN, qui dispose d’un siège, il faudrait la défection de huit députés PS pour que le gouvernement de droite survive à cette motion. C’est ce que la dramatisation de l’enjeu vise à obtenir.

Le PS affirme sa détermination

La balle est désormais dans le camp d’Antonio Costa, le leader du PS, qui va devoir convaincre l’ensemble de ses troupes, et notamment sa droite, de voter la censure et de respecter la discipline du parti. Antonio Costa pourra avancer qu’il a déjà obtenu du Bloc de gauche (BE) et du parti communiste (PCP) l’acceptation du « cadre budgétaire européen » et qu’il fera du maintien dans l’euro la condition sine qua non de la coalition future. En tout cas, dès ce vendredi 23 octobre à deux heures du matin, le PS a répondu vigoureusement à la décision du président de la République. La Commission politique du parti a décidé de demander au groupe parlementaire socialiste de déposer une motion de censure. Parallèlement, elle a donné le feu vert officiel à Antonio Costa pour achever les discussions avec le PCP et le BE.

Rien ne dit que les élus PS suivront tous la discipline de parti, mais vendredi, la gauche a envoyé une réponse claire en élisant un député PS à l’Assemblée de la République, Ferro Rodrigues. Ce dernier a obtenu 122 sièges et a donc fait le plein des voix de gauche. De bon augure pour la motion de censure qui sera déposée par Antonio Costa. Et un désaveu pour Anibal Cavaco Silva.

Dans ces deux partis, on se dit déterminés à faire tomber Pedro Passos Coelho, mais cela ne dépend guère d’eux, mais plutôt des députés PS. Leur rôle sera plutôt désormais de donner des gages de leur bonne volonté et de leur refus de sortir de l’euro, de l’UE et de l’OTAN dans le cadre du prochain gouvernement à la droite du PS. D’une certaine façon, la décision d’Anibal Cavaco Silva pourrait aider Antonio Costa à contenir les exigences de ses deux partenaires de gauche pour arracher l’accord de tout le groupe parlementaire PS.

Tenir neuf mois

Le calcul du président de la République peut paraître à courte vue, car sans majorité, le gouvernement aura une marge de manœuvre réduite. Même si, en effet, il n’y a pas de majorité absolue pour renverser le gouvernement, ce dernier risque de ne pas disposer d’une majorité relative pour faire adopter ses voix, sauf si les défections atteignent plus de 15 députés. Mais Anibal Cavaco Silva vise à gagner du temps pour permettre une dissolution dès qu’elle sera possible, autrement dit six mois après l’élection présidentielle prévue en janvier. L’article 172 de la Constitution interdit toute dissolution six mois et après une élection présidentielle.

Instrumentalisation de l’euro

D’un point de vue européen, la situation portugaise ne manque pas d’intérêt. La droite portugaise tente en effet de contourner le vote du 4 octobre en instrumentalisant l’euro et l’UE. En faisant de la motion de censure un vote pour ou contre l’euro, l’hôte du palais de Belém tente de donner à la droite la majorité que les urnes ne lui ont pas accordé. Il s’agit, en réalité, de briser toute possibilité de constitution d’une politique alternative à celle menée depuis quatre ans par Pedro Passos Coelho, en créant une identité entre politique différente et appartenance à l’euro. C’est un jeu qui, à moyen terme, semble très périlleux.

Source : Romaric Godin, La Tribune, 23/10/2015

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Source : Romaric Godin, La Tribune, 04/11/2015

Portugal : l’accord à gauche est difficile à trouver

Les trois partis de gauche portugais n’ont toujours pas trouvé d’accord, notamment en raison de la résistance des Communistes. Si aucun accord n’est signé avant le début de la semaine prochaine, la droite gardera le pouvoir.

La droite portugaise peut encore espérer rester au pouvoir. Lundi, le gouvernement dirigé par le premier ministre Pedro Passos Coelho, nommé premier ministre la semaine passée par le président de la République Anibal Cavaco Silva, se présentera devant l’Assemblée de la république, le parlement unicaméral du pays. Ce gouvernement n’est soutenu que par les deux partis de droite, le Parti social-démocrate (PSD) et le Centre Démocrate-social-parti populaire (CDS-PP) qui s’étaient regroupés dans la coalition « Portugal d’abord » (Portugal à Frente, PàF) pour les élections du 4 octobre. Or, cette coalition n’a obtenu que 38,36 % des voix et 107 des 230 députés. Elle est donc minoritaire.

Vote de confiance mardi ou mercredi

La constitution portugaise prévoit cependant qu’un gouvernement minoritaire puisse gouverner le pays s’il n’existe pas de coalition alternative. Mardi ou mercredi, un vote de confiance sera organisé au parlement et, pour renverser le gouvernement, il faudra absolument réunir au moins 116 députés. En théorie, la gauche dispose de 122 sièges, soit largement de quoi faire tomber le 20ème gouvernement du pays depuis le retour de la démocratie. Sauf qu’il faut, pour cela, s’entendre. Et c’est ici que le bât blesse encore.

Le leader du Parti socialiste (PS), Antonio Costa, tente de trouver depuis un mois un accord avec les deux formations de gauche radicale, le Bloc de Gauche (BE) et l’alliance CDU centrée sur le parti communiste (PCP). Le PS dispose de 86 sièges, le BE de 19 sièges et la CDU de 17 députés. L’accord est très difficile à trouver, car les positions de la gauche radicale et celles du PS sont assez éloignées. Mais la décision d’Anibal Cavaco Silva de nommer Pedro Passos Coelho sans attendre l’issue des discussions à gauche et sa volonté de présenter un gouvernement de gauche comme un danger pour la participation du pays à la zone euro, a renforcé la détermination des trois partis.

L’accord entre le PS et le Bloc de gauche

Selon le Diario Económico, le quotidien des affaires lusitanien, le PS et le Bloc de Gauche, parti assez proche de Syriza dans sa version pré-mémorandum, se sont mis d’accord sur un programme de gouvernement mardi 3 novembre. Ce programme prévoit de revaloriser les salaires de la fonction publique, une baisse de la TVA dans la restauration, le dégel des pensions, l’augmentation des pensions les plus faibles et le relèvement progressif du salaire minimum jusqu’à 600 euros sur trois ans. Pour financer ces dépenses nouvelles, l’accord prévoit de ne plus baisser l’impôt sur les sociétés et de durcir les conditions pour les baisses de charges des entreprises. Le BE a renoncé, par ailleurs, à demander une baisse de la TVA sur l’électricité.

Le PCP doit faire un choix rapidement

Mais, désormais, le PS doit convaincre le PCP et rien n’est moins simple. Les Communistes portugais sont traditionnellement très eurosceptiques et ils hésitent clairement à participer à un gouvernement qui, c’est une condition posée par le PS, acceptera et respectera le « cadre budgétaire européen. » Le blocage vient clairement de là pour le moment. Le chef des députés socialistes, Carlos César, a clairement mis la pression sur les Communistes ce mercredi 4 novembre en insistant sur le fait qu’il fallait un accord « signé et écrit » pour les quatre prochaines années avant le vote de confiance pour espérer avoir un gouvernement de gauche au Portugal. L’enjeu est donc bien pour le PS d’obtenir un appui du PCP pour les quatre prochaines années : Antonio Costa ne veut pas se retrouver dépendant d’un soutien « lâche » des Communistes dans son prochain gouvernement.

La balle est donc désormais dans le camp du PCP. Car si aucun accord n’est possible à gauche, le PS a déjà prévenu qu’il ne renversera pas le gouvernement. Avec 102 députés, une alliance PS-BE ne pourra pas disposer d’une majorité, même relative. Et le PS préfère rester dans l’opposition que dépendre du PCP au jour le jour. Sans accord, le PS ne votera pas la censure de Pedro Passos Coelho qui pourra donc continuer à gouverner.

Le PCP doit donc désormais faire un choix. Depuis le 4 octobre, il a très rapidement fait savoir qu’il était favorable à une solution à gauche pour renverser le gouvernement de droite. Il s’est toujours dit disponible pour une telle option. Acceptera-t-il le prix de cette coalition de gauche, autrement dit de renoncer à plusieurs de ses revendications et à sa liberté d’action ? La réponse est encore incertaine et c’est un des éléments qui devrait déterminer la constitution ou non d’un gouvernement de gauche.

Le PS divisé

Ce qui est certain, c’est que la marge de manœuvre d’Antonio Costa est assez limitée. Il ne peut guère faire davantage de concessions aux Communistes, notamment sur le cadre européen, au risque de devoir faire face à sa propre opposition interne à la droite du PS. Il existe en effet dans ce parti un courant défavorable à l’accord à gauche, le courant « alternatif. » Antonio Costa a convoqué samedi un Comité national du PS, le jour même d’une réunion prévue par ce courant. S’il ne s’y rend pas avec un accord acceptable, sa position risque d’être affaiblie. Autrement dit, le temps presse pour le PCP de choisir entre le maintien d’un gouvernement de droite en restant libre dans l’opposition ou la mise en place d’un gouvernement de gauche avec une liberté limitée, mais avec un programme d’infléchissement de la politique d’austérité. Si aucun accord n’est trouvé ce week-end, le président Anibal Cavaco Silva aura réussi son pari : maintenir au nom de l’euro la droite minoritaire au pouvoir.

 

Source : Romaric Godin, La Tribune, 04/11/2015

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Et la dernière sortie de Farage au parlement pour finir :

Source: http://www.les-crises.fr/portugal-le-president-impose-un-gouvernement-de-droite-mais-la-gauche-se-rassemble-par-romaric-godin/


Catalogne : les positions se durcissent par Romaric Godin

Thursday 5 November 2015 at 01:40

Source : Romaric Godin, la Tribune 03/11/2015

Albert Rivera, président de Ciudadanos (à gauche) et Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol, à droite, sont favorables à une union sacrée contre les indépendantistes catalans. (Crédits : Reuters)

Alors que se forme en Espagne comme en Catalogne une véritable union sacrée anti-indépendantiste, les partis sécessionnistes sont déterminés à aller de l’avant. L’heure n’est plus aux demi-mesures.

Face à la déclaration commune des deux partis indépendantistes de Catalogne, qui proposent de rompre avec l’ordre constitutionnel espagnol, l’union sacrée contre l’indépendance de la Catalogne est proclamée en Espagne. Le président du gouvernement, Mariano Rajoy, qui tient des consultations depuis plusieurs jours avec les principaux partis du pays, a tenté de former une telle union baptisé « pacte d’Etat. » Avec un certain succès, puisqu’il semble que les trois formations actuellement en tête des sondages : le Parti populaire (PP) du chef du gouvernement, le parti des Citoyens (Ciudadanos ou C’s) d’Albert Rivera et les Socialistes du PSOE ont proclamé leur détermination à combattre la sécession de la Catalogne.

La montée de Ciudadanos, signe de l’importance de l’unité

Il est vrai que la défense de l’unité espagnole est en passe de devenir un point central de la campagne des élections générales du 20 décembre prochain et que la poussée de Ciudadanos, parti d’origine catalane et fervent défenseur de l’unité espagnole, met les deux partis traditionnels sous pression. Beaucoup pensent en effet que c’est l’unionisme de ce parti qui le fait monter dans les sondages. Or, les derniers sondages publiés lundi 2 novembre sont inquiétants pour les grands partis. Certes, pour TNS Demoscopia, le PP est largement en tête avec 26,7 % des intentions de vote, mais C’s dépasse désormais le PSOE avec 19,8 % contre 19,3 %. Quant à celui de Metroscopia, réalisé tous les mois pour El Pais, il donne les trois partis dans un mouchoir, avec le PP en tête à 23,5 % et C’s devant le PSOE, là aussi avec respectivement 22,5 % et 21 % d’intentions de vote.

L’impasse de la position du PSOE

Du coup, le leader socialiste, Pedro Sanchez se devait de rallier l’union sacré anti-indépendantiste, ce qu’il a fait lundi en insistant sur son accord avec le PP « et d’autres formations » pour « résister à l’indépendantisme. » Le candidat du PSOE à la Moncloa, le palais du président du gouvernement espagnol, a admis qu’il « partage la défense de l’intégrité territoriale, de l’unité de l’Espagne et des principes constitutionnels. » Mariano Rajoy ne pouvait rien espérer de mieux car, désormais, il peut se dire à la tête de la défense de ladite union sacrée, en tant qu’actuel président du gouvernement. Pedro Sanchez a tenté d’éviter ce piège en critiquant la politique du PP sur la Catalogne « qui est responsable de l’augmentation du sécessionnisme. » Mais face à la rébellion catalane, le temps n’est plus aux subtilités.

Certes, Pedro Sanchez refuse l’usage de l’article 155 qui peut suspendre l’autonomie de la Catalogne, mais sa situation n’est pas tenable et il va forcément devoir choisir si la situation se développe. Si, en effet, le Tribunal Constitutionnel (TC) sanctionne les décisions du parlement catalan et que Barcelone refuse de se soumettre à cette décision comme le prévoit la déclaration des deux partis indépendantistes, alors il n’y a aura que deux possibilités : accepter la rébellion catalane et donc un référendum d’autodétermination que Pedro Sanchez refuse et engager la discussion ou avoir recours à l’article 155. Cette dernière position est la position de Mariano Rajoy et Albert Rivera. On voit mal comment Pedro Sanchez pourrait alors la refuser. Il l’a du reste reconnu : les indépendantistes devront faire face à un « mur. »

Provocations unionistes

La droite unioniste représentée par le PP et C’s ont donc tout intérêt à jeter de l’huile sur le feu pour rendre la position « modérée » du PSOE inopérante, mais aussi pour couper le PSOE de sa gauche, car ni Podemos, ni Izquierda Unida (IU, « Gauche Unie », coalition des Verts et du parti communiste, entre autres), n’acceptent cette union sacrée. Alberto Garzon, le leader d’IU, a hier rejeté le pacte proposé par Mariano Rajoy et a demandé un référendum en Catalogne, tout en rappelant qu’il était opposé à l’indépendance.

Logiquement donc, C’s et le PP ne jouent guère l’apaisement. Lundi 2 novembre, le ministre des affaires étrangères PP José Manuel García-Margallo a appelé sur la chaîne Antenna 3 à « suffoquer le soulèvement » indépendantiste en Catalogne. De son côté, Albert Rivera, le président de Ciudadanos, a déclaré mardi 3 novembre, devant les entrepreneurs madrilènes que « l’estrellada », le drapeau indépendantiste catalan, était un « morceau de chiffon » et que les indépendantistes étaient « une bande organisée » qui cherche la déconnexion avec l’Espagne pour « couvrir leurs délits. » Albert Rivera faisait ainsi allusion à la famille de Jordi Pujol, ancien chef du gouvernement catalan de 1980 à 2003, qui n’était pas alors indépendantiste, et qui a organisé une vaste évasion fiscale de ses revenus et de ceux de sa famille. Avec de tels propos incendiaires, la possibilité d’un compromis semble bien loin.

Union sacrée anti-indépendantiste en Catalogne

Un premier exemple en acte de l’union sacrée a eu lieu au parlement catalan. Les trois formations unionistes, PP, C’s et PSOE, ont uni leurs forces pour tenter de bloquer l’adoption par l’assemblée régionale de la déclaration commune des deux partis indépendantistes, Junts pel Sí et la CUP. Ce mardi 3 novembre au matin, la présidente indépendantiste du parlement, Carme Forcadell, a convoqué l’assemblée des porte-paroles des groupes parlementaires, alors que le PP n’avait pas encore formé son groupe parlementaire. Cette convocation est en effet un préliminaire à la convocation de la première séance plénière au cours de laquelle la déclaration engageant la « déconnexion » avec l’Espagne sera votée. Or, le PP a joué l’obstruction en rechignant à former son groupe. Le but du PP était de repousser le plus possible le vote du texte indépendantiste, mais aussi assuré l’unité des unionistes.

Refus de reconnaître le parlement catalan

Car Carme Forcadell a passé outre cette obstruction et a convoqué l’assemblée des porte-paroles qui a été, en retour boycotté par les trois partis unionistes. Lesquels entendent désormais boycotter la première séance plénière, espérant ainsi disqualifier la majorité parlementaire indépendantiste et faire du parlement catalan le seul parlement des indépendantistes.

Les trois partis unionistes ont annoncé qu’ils déposeraient un recours devant le Tribunal Constitutionnel (TC) espagnol contre le débat sur la déclaration indépendantiste au parlement catalan. D’ores et déjà, tout se passe comme si les trois partis unionistes avaient décidé d’appliquer, avant l’heure, l’article 155 en ne reconnaissant pas le parlement catalan comme fonctionnel.

Le leader du PP catalan, Xavier Albiol, a même menacé les députés catalans du parlement : « celui qui permettrait que se tienne une manifestation illégale [la séance plénière du parlement catalan, Ndlr] en assumera la responsabilité.» A l’appel des indépendantistes de sortir de l’ordre constitutionnel espagnol, les unionistes ont répondu par le refus de reconnaître la légitimité du parlement catalan. Plus que jamais, le fossé se creuse. Et, côté unioniste, le PSC, branche catalane du PSOE, ne montre aucun signe de résistance ou de distance à l’offensive commune du PP et de C’s.

Durcissement des positions

Des deux côtés, les positions se durcissent donc. Les indépendantistes peuvent se prévaloir de leur majorité parlementaire pour appliquer leur programme. Carme Forcadell a lancé la procédure pour organiser une séance plénière et faire adopter la déclaration indépendantiste. L’usage de l’article 155 serait pour eux l’occasion de montrer, comme en 2010 lorsque le TC a censuré une grande partie du statut catalan de 2006, que tout dialogue est impossible avec Madrid et que l’indépendance est la seule voie possible. Ce serait alors le moyen de rallier à leurs positions une partie de la gauche et des chrétiens-démocrates catalans qui se situent encore dans une position intermédiaire entre indépendantisme et statu quo.

En face, les unionistes peuvent se prévaloir de la légalité constitutionnelle et espérer que les indépendantistes se comportent comme des « rebelles » pour pouvoir, dans le reste de l’Espagne, se présenter comme les défenseurs de l’unité nationale, et en Catalogne, comme les défenseurs de l’ordre et de la stabilité. Bref, la situation est plus tendue que jamais entre Barcelone et Madrid.

Source : Romaric Godin, la Tribune 03/11/2015

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Source : Romaric Godin, la Tribune 04/11/2015

Catalogne : les indépendantistes font-ils un “coup d’Etat” ?

Les partisans de l’unité espagnole crient au “coup d’Etat” contre le processus lancé par la majorité parlementaire indépendantiste en Catalogne. Cette stratégie est-elle justifiée et est-elle la bonne ?

La crise indépendantiste catalane entrera dans les prochains jours dans une phase aiguë. Les trois partis unionistes au parlement catalan (PSC socialiste, PP conservateur etCiudadanos) ont décidé de recourir au Tribunal Constitutionnel (TC) contre la résolution indépendantiste engageant un processus de « déconnexion » de la Catalogne à l’Etat espagnol. Cette décision pourrait engager les partis souverainistes à entrer dans une « désobéissance » face à Madrid que cette résolution revendique.

Ce qui s’engage en Catalogne désormais est un combat entre deux formes de légitimités. La première est celle des partis indépendantistes catalans qui revendique une légitimité démocratique à appliquer leur programme de « déconnexion » puisqu’ils disposent d’une majorité parlementaire. En face, les partis unionistes s’appuient sur la légitimité constitutionnelle et sur l’illégalité du processus indépendantiste. Ils répondent donc aux votes de la majorité parlementaire catalane par des procédures judiciaires, en attendant d’avoir recours aux moyens d’exécution des décisions des tribunaux espagnols, comme l’application de l’article 155 de la Constitution qui permet de suspendre l’autonomie catalane.

Les arguments des unionistes contre le « coup d’Etat catalan »

Dans cette lutte, l’idée des partis unionistes est de présenter les Catalans comme des « rebelles » et des « hors-la-loi. »Plusieurs politiques espagnols, notamment à droite, ont ainsi énoncé que la déclaration indépendantiste représentait un « coup d’Etat » en ce qu’elle brisait l’ordre constitutionnel espagnol. D’autant que les unionistes ne cessent de pointer le manque de légitimité de la majorité parlementaire indépendantiste. Les deux listes favorables à la sécession, Junts Pel Sí, qui regroupait le centre-droit, la gauche républicaine et les associations indépendantistes, et la CUP, parti sécessionniste de gauche radicale, ont en effet obtenu 47,8 % des voix. Il manque donc 80.000 voix aux partisans de l’indépendance pour être majoritaires. Or, puisque le président de la Generalitat (le gouvernement catalan), Artur Mas, avait proclamé que les élections régionales du 27 septembre étaient « plébiscitaires » autour de la question de l’indépendance, les listes indépendantistes, fussent-elles majoritaires en sièges, n’auraient pas de mandat suffisant pour briser la légalité espagnole. On serait donc bien en présence d’un « coup d’Etat. »

Une criminalisation de l’indépendantisme après-coup

Ces arguments ont cependant des points faibles. Le premier est que la lutte judiciaire contre un programme défendue par une majorité parlementaire qui tente de l’appliquer revient concrètement à criminaliser les idées indépendantistes. L’indépendantisme serait certes toujours une opinion permise, à condition qu’elle ne soit pas appliquée. Si ces idées deviennent majoritaires dans une assemblée parlementaire, cette idée devient immédiatement illégale. C’est bien, du reste, le but des partis unionistes qui cherchent ainsi à montrer le caractère « impossible » de l’indépendantisme afin de disqualifier le sécessionnisme dans les prochaines élections. L’ennui, c’est qu’il pourrait aussi disqualifier aussi bien l’unionisme dans sa volonté de contourner le choix démocratique catalan. Le compliment du « coup d’Etat » pourrait donc être retourné contre les unionistes, ce qui prouve l’impasse de cette stratégie.

L’échec de la stratégie judiciaire

Cette « judiciarisation » de la question catalane est menée depuis 2010 par le gouvernement espagnol qui a notamment fait interdire le référendum du 9 novembre 2014. Or, cette stratégie n’a pas réellement porté ses fruits. Malgré l’interdiction de ce référendum, les partis indépendantistes ont obtenu le 27 septembre 95.595 voix de plus que le oui à un Etat indépendant le 9 novembre. Cette stratégie n’est donc guère fonctionnelle sur le plan politique. Elle renforce en réalité l’idée que l’Etat espagnol continue à refuser d’entendre le message et la volonté des Catalans. Elle alimente le sentiment de mépris de l’Espagne envers le « peuple catalan » qui, en retour, est évidemment une chance pour les indépendantistes.

La majorité parlementaire est suffisante pour agir

Quant à l’absence de majorité en voix pour les indépendantistes, l’argument n’est pas davantage recevable. D’abord, parce que les unionistes n’ont pas reconnu le caractère plébiscitaire des élections du 27 septembre. Il est donc étrange de les voir utiliser aujourd’hui cet argument. Ensuite, parce qu’une majorité parlementaire qui dispose de la majorité des sièges est légitime en démocratie pour appliquer son programme. Les gouvernements qui disposent d’une majorité des sièges sans majorité des voix sont légion en Europe et ne font l’objet d’aucune contestation de légitimité. Mieux même, le président portugais essaie actuellement d’imposer un gouvernement minoritaire en voix et en sièges. Du reste, là aussi, l’argument peut se retourner contre les partis unionistes. Car si les indépendantistes n’ont pas eu la majorité des voix, les trois partis unionistes n’ont, le 27 septembre, que cumuler 39,17 % des voix, soit moins que la seule liste Junts Pel Sí (39,55 %). Le fait que ces trois listes clairement minoritaires tentent d’empêcher le fonctionnement du parlement catalan et de criminaliser ses décisions pourrait aussi relever du « coup d’Etat. »

Un résultat du 27 septembre peu clair

Mais surtout, si ces élections étaient plébiscitaires, c’était précisément parce que l’Etat espagnol avait fait interdire le référendum sur l’indépendance par le TC. C’était donc la « moins mauvaise des solutions » pour donner la parole aux électeurs, mais c’était une solution imparfaite en ce sens que la réponse issue de ces élections ne pouvait pas être claire pour deux raisons. La première est que, dans ce type de scrutin, des sujets non liés à l’indépendantisme pouvaient jouer dans le choix des électeurs pour un parti. Un indépendantiste pouvait ainsi, par exemple, choisir de voter pour un parti de gauche non indépendantiste pour ne pas cautionner la politique d’austérité d’Artur Mas, mais qui sait ce qu’il aurait voté dans le cadre d’un référendum ? Or, l’écart avec la majorité absolue est si faible que l’on ne peut exclure ici une « déviation. » Le deuxième élément est que plusieurs partis refusaient de se prononcer sur l’indépendance en tant que telle ou étaient favorables à une consultation légale. C’est le cas de l’alliance de gauche et des chrétiens-démocrates qui ont obtenu ensemble plus de 11 % des voix. Là encore, sur ces 11 %, combien d’électeurs auraient voté oui à un référendum sur l’indépendance ou se serait abstenus ? Impossible à dire. Impossible donc d’affirmer que l’ensemble de ceux qui n’ont pas voté contre les listes indépendantistes ont voté contre l’indépendance.

Refus espagnol du référendum

Du coup, la majorité parlementaire catalane peut prétendre avoir le droit d’appliquer son programme de déconnexion. D’autant que la désobéissance vis-à-vis de Madrid et du TC n’a qu’un but : pouvoir organiser un référendum légal en Catalogne sur l’indépendance malgré son illégalité en Catalogne. Un référendum qui ne peut être que le seul acte capable de justifier une indépendance, ou de l’enterrer. La détermination des unionistes à refuser ce référendum est donc assez suspecte. Là encore, elle souligne le refus d’écouter la volonté des Catalans et, surtout, ce qui est assez grave, elle souligne aussi le refus des partisans de l’union de défendre cette unité espagnole dans le cadre d’un processus démocratique clair, alors qu’il existe évidemment d’excellents arguments en faveur du maintien de la Catalogne en Espagne.

Il est frappant de constater que les grands partis espagnols refusent cette option référendaire qui a pourtant permis, au Royaume-Uni et au Canada, de défaire les mouvements indépendantistes québécois et écossais. Le refus d’un processus démocratique sur la question catalane, ne peut amener qu’à creuser encore le fossé entre la Catalogne et l’Espagne et, en Catalogne, entre les Catalans. C’est une stratégie très dangereuse pour l’avenir même de l’Espagne qui pourrait être identifiée par un nombre croissant de Catalans comme une « prison » et favoriser encore la radicalisation du mouvement indépendantiste.

La responsabilité de la communauté internationale

De ce point de vue, la responsabilité de deux acteurs semble lourde. Le premier est le PSOE, le parti socialiste espagnol qui s’est rallié à la position des deux partis de droite unionistes, le PP et Ciudadanos. En refusant le principe d’un référendum d’autodétermination, comme le reste de la gauche espagnole, le PSOE justifie la position du « coup d’Etat » catalan. Il contribue donc à rendre la situation plus difficile.

La deuxième responsabilité est celle de l’Europe et du reste du monde qui soutient la position unioniste en espérant que les indépendantistes abandonneront leurs projets, faute de soutiens extérieurs. Même le secrétaire générale de l’ONU, Ban Ki-Moon, a récemment refusé le droit à l’autodétermination des Catalans, suivant ainsi les pas de l’UE et de la plupart des grands pays. Mais là encore, cette manœuvre semble vouée à l’échec face à la légitimité démocratique des partis indépendantistes.

D’autant qu’elle est juridiquement faible : Ban Ki-Moon affirme que la Catalogne ne fait pas partie des « territoires reconnus par les autorités comme « non-autonomes. » Mais c’était le cas aussi de l’Ecosse, du Québec et du Monténégro, qui étaient des régions d’un Etat membre de l’ONU et où se sont déroulés des référendums d’autodétermination. Et, dans le cas monténégrin, malgré un référendum contesté par certains, l’ONU a reconnu le nouvel Etat sans difficulté. Bref, tout ceci semble d’abord des manœuvres d’intimidation qui, in fine, sont contre-productives. Alors que la stratégie judiciaire de criminalisation de l’indépendantisme catalan semble donc une impasse, l’attitude de la communauté internationale de « coller » à cette stratégie, relève de l’inconscience.

Source : Romaric Godin, la Tribune 04/11/2015

Source: http://www.les-crises.fr/catalogne-les-positions-se-durcissent-par-romaric-godin/