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Actu’Ukraine 05/11/2015 – agriculture

Thursday 5 November 2015 at 00:01

ACTU’UKRAINE DU 26 AU 1er NOVEMBRE 2015

FOCUS : AGRICULTURE, MYTHES ET RÉALITÉS

Une importante réforme agraire entrera en vigueur au début de l’année 2016. Le FMI pense que le secteur agricole permettra à l’Ukraine de se sortir de la crise et de contribuer au remboursement de la dette. D’autres observateurs sont plus pessimistes. Étudions un peu le sujet.

Le drapeau

Le drapeau jaune et bleu est souvent associé à un champ de blé mûr sous un ciel clair. Mais, dans les régions de l’ouest, situées au bout de la chaîne des Alpes, qui ont plus de pâturages que de grands champs de céréales, ces couleurs vexillologiques évoquent plutôt celles des anciens blasons de Lviv et de Przemysl visibles sur le champ de la bataille de Tannenberg/Grunwald, au nord de la Pologne, en 1410.

La steppe

Cosaques dans la steppe, peinture de Serhii Vasylkivsky, 1890.

Dans les régions du sud-est, on peut penser que la couleur jaune du drapeau symbolise la steppe plutôt que les champs de blé.

Les quatre types de paysage, établis par Global Water Partnership (slideshare.net)

A l’origine, le mot “steppe” ne s’appliquait qu’au paysage du sud-est de l’Ukraine, puis fut employé pour d’autres endroits semblables (encyclopediaofukraine). La steppe ukrainienne se situe à l’extrémité occidentale d’une longue bande de terre qui s’étend jusqu’en Mongolie, et d’où sont arrivés les fameuses troupes de la Horde d’or (Золотая Орда) au XIIIe siècle.

Les 14 biomes définis par le WWF. Le sud-est de l’Ukraine fait partie d’un macro-éco-système qui traverse l’Asie jusqu’à la Mongolie.

La steppe correspond au biome (macro-éco-système) nommée “prairie, savanes et terrres arbustives tempérées“. Ce sont des espaces qui ne sont pas toujours faciles à cultiver. Par exemple, en France, le plateau du Larzac et le causse Méjean entrent dans cette catégorie.

Ce n’est pas seulement le manque de précipitations qui pénalise le sud-est de l’Ukraine, mais aussi les températures qui peuvent descendre à -30 degrés, détruisant 30% de la production agricole, comme ce fut le cas en janvier 2012 (boursorama.com). Des gelées à Paques ne sont pas rares comme ce fut le cas en 2010. Et à l’inverse la température peut monter à plus 35 degrés pendant plusieurs jours, comme ce fut le cas en août 2012.

La terre noire

Carte de localisation du tchernoziom, établie par l’entreprise française Betenagro implantée en Ukraine depuis 1992 (betenagro.com).

La terre noire, aussi appelée par son nom russe, tchernoziom (чернозём), serait très avantageuse pour l’agriculture, un peu comme le loess que l’on trouve dans le bassin parisien ainsi qu’en Ukraine. Mais la terre noire de qualité ne se trouve qu’au centre du pays comme le montre la carte.

L’Ukraine et la France, deux grands pays agricoles d’Europe

La surface cultivée en Ukraine est de 26 millions d’hectares (betenagro.com) (le chiffre de 42 millions ha est souvent indiqué, mais il ne s’agit que d’une évaluation théorique) contre 32 millions d’hectares en France bien que la France soit un peu plus petite. La production de céréales en 2014 s’est élevé à 63 millions de tonnes (lepoint.fr), contre 70 millions de tonnes en France en 2009 (fr.wikipedia). Avec ces chiffres, on remarque déjà que le rendement agricole ukrainien est assez bon, puisqu’il n’est pas loin de celui de la France.

L’Ukraine est au premier rang européen pour la production d’œufs avec 1,15 million de tonnes, et se situe entre l’Espagne et l’Italie pour la production de chair de volaille avec 1,32 million de tonnes (lafranceagricole.fr).

L’Ukraine exporte vers l’UE sans droit de douane

Le Parlement européen a adopté, le 3 avril 2014, une proposition de la Commission visant à supprimer les droits de douane sur les importations ukrainiennes de plus de 80 % des produits agricoles en provenance d’Ukraine. Cette mesure n’oblige pas l’Ukraine à rendre la pareille en supprimant ses droits de douane sur les produits originaires d’UE mais la contraint à ne pas les augmenter (lafranceagricole.fr). Parmi les 20% restant taxés se trouvent les produits laitiers, pour lesquels la levée des droits de douane devrait avoir lieu d’ici la fin de 2015, selon le ministre de la Politique agraire de l’Ukraine en visite à Berlin le 22 octobre 2015 (interfax.com.ua).

Les grandes entreprises agricoles

(Source : globalresearch.ca)

L’optimisme du FMI et du ministre Pavelenko

Ces graphiques viennent de la page 40 sur 173 du rapport du FMI No 15/69 publié en mars 2015 (imf.org). Le deuxième graphique à gauche compare les performances de l’agriculture, du bâtiment et des travaux publics, et du commerce de détail.

Le FMI place beaucoup d’espoirs dans l’agriculture parce que les autres secteurs vont plus mal. Page 94 du rapport No 15/69 est indiqué : “We recognize that agriculture has become one of the most profitable sectors of the Ukrainian economy.” Et en page 2 de l’annexe : “The decline in production was observed in almost all basic industries. Industrial output fell by 10.1 percent; construction by 21.7 percent; retail by 8.6 percent; and wholesale trade by 15 percent. The largest contraction in industrial output was recorded in the Donetsk and Luhansk regions, by 31.5 percent and 42 percent respectively. In those regions infrastructure and production capacity has been destroyed to a significant extent. On the positive side, a record high harvest of cereals increased agriculture output by 2.8 percent.” (imf.org). Le FMI demande une réforme au gouvernement de Kiev afin qu’il procède à de grandes privatisations et à une forte augmentation des taxes. “La contribution de l’agriculture au PIB est de 10%, mais seulement 1% des recettes fiscales sont générées par cette activité.” constate un représentant du FMI (rusvesna.su).

Le ministre de la politique agricole, Olexiï Pavlenko (Павленко), estime que la production céréalière pourrait grimper de 63 millions en 2014 à 100 millions de tonnes par an d’ici 2020 (lafranceagricole.fr). Pavlenko est ministre seulement depuis le 2 décembre 2014. Il succède à Ihor Chvaïka, qui était membre de Svoboda. Pavlenko ne fait pas de politique. Il a étudié à Kiev et aux Pays-Bas en 2001-2002, avant de devenir chef d’entreprise. Il a probablement été choisi par les Américains car il est membre de la Young Presidents’ Oragnisation, une association texane assez fermée regroupant de jeunes présidents d’entreprise.

La France paye un conseiller auprès du ministre ukrainien de la politique agricole depuis 2010, Henri Barnabot, originaire de Lectoure dans le Gers (ladepeche.fr et agronews.ua). Son avis est que le “secteur a théoriquement la capacité de doubler sa production d’ici dix ou quinze ans, mais il y a au moins deux problème à régler : le système de crédit et la corruption.” (lexpress.fr). Il travaille en collaboration avec le projet ukraino-suisse Fibl pour une agriculture biologique. Les Ukrainiens ont du mal à s’y intéresser, sauf quand Barnabot leur parle de subventions (agronews.ua).

Un autre français vivant en Ukraine, Jean-Jacques Hervé, tient des propos très positifs : “L’Ukraine n’est pas seulement un grand pays agricole, c’est une superpuissance verte qui, bientôt, rayonnera dans le monde.” (lexpress.fr). Il est présenté comme étant un “éminent spécialiste des questions agricoles éminent spécialiste des questions agricoles ukrainiennes”, mais en réalité, il est avant tout un salarié du Crédit Agricole à Kiev, qui cherche à vendre des crédits aux investisseurs.

Le pessimisme des céréaliers

“Presque toutes les entreprises agricoles d’Ukraine ont des problèmes” (“Almost all agricultural companies in Ukraine are in trouble”) déclare Michael Bleyzer, patron du 5e groupe agricole d’Ukraine, le 5 mai 2015 (agrogeneration.com).

“Nous avons travaillé avec zéro bénéfice” déclare Olexandre Verjikhovski, chef d’AgroKIM, à une centaine de kilomètres au nord de Kiev (lafranceagricole.fr).

“Les investisseurs étrangers rechignent à placer des fonds dans le secteur agricole ukrainien. Personne ne veut prendre de risques”, déclare Olexandre Pyssanka, ingénieur agronome (lafranceagricole.fr).

Les agriculteurs viennent manifester de temps en temps devant le parlement de Kiev, par exemple le 10 août 2015 pour demander l’extension du moratoire sur la vente des terres agricoles qui doit se terminer au 1er janvier 2016 (rusvesna.su).

La situation est aggravée par les agissements des pilleurs, comme par exemple un groupe de Praviï Sektor qui récolte le tournesol d’un terrain qui ne lui appartient pas dans la région de Dnipropetrovsk (youtube et rusvesna.su).

Agrogénération

Vers 2007 naît la société Agrogénération, financée par plusieurs investisseurs français pour l’exploitation de 22.000 hectares qui viennent de 3 anciens kolkhozes en Ukraine de l’ouest. “Les émirats, les Libyens, les Américains sont déjà là”, explique Pierre Begoc du cabinet de conseil Agritel. Le fondateur de Poweo, Charles Beigbeder, frère aîné de l’écrivain, se lance dans l’aventure en expliquant : “Nous voulions produire des biocarburants, avec AgroFuel. Depuis nous avons abandonné le projet de transformation et nous nous sommes concentrés sur l’amont, la production de céréales pour l’alimentation animale et humaine. Nourrir la planète sera le grand défi de demain.”. Son adjoint, Charles Vilgrain précise : “Nous nous appuyons sur le groupe industriel céréalier français Champagne Céréales qui assure notamment le négoce. C’est du long terme. Il peut y avoir de mauvaises années. Nous atteindrons l’équilibre en 2010″ (lefigaro.fr).

La société Agrogénération fait son entrée à la bourse de Paris en mars 2010. Le cours de son action atteint son plus haut le 20 août 2010 à 2,50 euros, puis décline régulièrement. Les résultats sont négatifs (-5,6 millions d’euros en 2012), mais il n’est pas facile d’interpréter ce chiffre car la société acquiert de nouveaux terrains. Elle possède 50.000 hectares en 2012, quand un important actionnaire, Vivescia, ex Champagne céréales, se prépare à se retirer, alors que SygmaBleyzer se prépare à arriver. Michael Bleyzer est un Américain d’origine ukrainienne, qui a fait fortune au Texas, et qui s’est mis à investir dans les pays de l’Est, en Roumanie, au Kazakhstan, et en Ukraine où il possède déjà 70.000 hectares près de Kharkov/Khariv. Agrogénération émet des obligations en juillet 2012 au taux nominal de 8%, et d’autres obligations en avril 2013 pour compenser le départ de Vivescia. Bleyzer, via sa filiale Harmelia, devient majoritaire, détenant 62% des parts. Le résultat à la fin de 2013 est de -22,5 millions d’euros. Vers le début d’EuroMaidan, le 15 novembre 2013, l’action ne vaut plus que 1,34 euros, et 1,00 euro le 2 mai 2014. Le paiement, du coupon des obligations qui doit avoir lieu en mai 2014, est retardé. Le cours de l’action baisse encore jusqu’à 50 centimes d’euro le 31 octobre 2014, avant de se stabiliser un peu au-dessus de 40 centimes. Fin décembre 2014, Agrogénération est contraint de s’adresser au tribunal de commerce de Paris pour avoir l’autorisation de mettre en oeuvre des mesures de sauvegarde. Le résultat net de l’année est de -21,7 millions d’euros. La solution qui est trouvée consiste à convertir la dette des obligations classiques qui doivent être remboursées en cash, par une dette d’OSRANEs (Obligations Subordonnées Remboursables en Actions Nouvelles ou Existantes) en 2019. Agrogénération obtient le soutien d’Alfa-Bank Ukraine (laquelle est soutenue par le FMI) de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement). La conversion est réalisée le 31 mars 2015.

Les chiffres des rendements agricoles (rdt et yield) sont particulièrement intéressants (agrogeneration.com/2014 pdf et agrogeneration.com/2015 pdf) :

Rapport de gestion du 5 juin 2014, page 3.

Rapport de gestion du 5 juin 2014, page 4.

Rapport du 26 octobre 2015, page 4.

“L’optimum est à 53 quintaux [5,3 t] équivalent blé à l’hectare”, “43 quintaux [est] près de l’équilibre financier” déclarait Charles Beigbeder en 2010 (lefigaro.fr). Or les chiffres des tableaux montrent que les rendements sont insuffisants. De plus, ils n’augmentent pas, malgré tous le savoir-faire et toute la technologie occidentale, qui est mise en oeuvre depuis plusieurs années.

Conclusion : L’agriculture ukrainienne est un secteur difficile. Croire qu’il y aurait un fort potentiel à cause de la supériorité occidentale serait faire preuve d’arrogance. Le climat continental et la steppe peuvent contrarier les espoirs de rendements de ceux qui ne connaissent pas le terrain.

 

LUNDI 26 OCTOBRE 2015

Après les élections régionales de dimanche 25 octobre. Il y a tellement d’infos diverses qu’il est difficile de faire une synthèse. Nous nous contenterons de dresser une liste d’exemples, révélatrice de la situation politique du pays au niveau régional.

- Le parti “Bloc d’opposition” dénonce des falsifications à Odessa aussi (pravda.com.ua).

- Grigorij Touka, gouverneur de l’oblast de Lougansk, n’exclut pas que les élections tenues à Roubijnoe et à Severodonetsk doivent être annulées (pravda.com.ua).

- Iouri Loutsenko, chef du groupe parlementaire du Bloc Petro Porochenko à la Rada, promet un bon “nettoyage” du parti à la suite des prestations lamentables de ses membres aux élections régionales (pravda.com.ua).

- Dans l’oblast de Kiev, le ministère de l’intérieur a ouvert quatre procédures pour violation des lois électorales (pravda.com.uamvs.gouv.ua).

- Lundi 26 octobre, la coalition décidera de ce qu’il convient de faire pour les élections régionales de Marioupol (rappelons qu’à la suite d’une multitude d’incidents, ces élections pourraient être remises au 15 novembre prochain) (pravda.com.ua, ukranews.com).

- Annulation des élections locales à Lisitchansk dans l’oblast de Lougansk (pravda.com.ua).

- Le Comité des électeurs d’Ukraine évoque de très fortes menaces sur l’honnêteté des décomptes aux élections (pravda.com.ua). Anatoli Boïko, président de l’organisation “Comité des électeurs ukrainiens” pour l’oblast d’Odessa, a déclaré : “Nous constatons l’absence massive de copies des procès-verbaux de décompte des voix dans les bureaux de vote”  (ukrinform.ru).

- Dans l’oblast de Kiev, l’OPORA affirme que toute la population d’un village a voté sans avoir à présenter de papiers d’identité (pravda.com.ua). Il s’agit de Pотiеvка, un village de la région de Biélotsierkovski, où 465 électeurs sur 590 inscrits ont voté, un score élevé quand la participation d’ensemble n’a pas dépassé 36%.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe juge que les élections régionales ukrainiennes se sont bien déroulées “hormis quelques anomalies par rapport au droit”, d’après le média Eurointegration.

L’OSCE a vu des pilleurs ukrainiens dans un camion militaire

Le 25 octobre 2015, à 41 km au nord-ouest de Donetsk, les observateurs de l’OSCE rencontrent un groupe de 16 femmes et 8 hommes qui disent avoir été forcés de quitter la ville de Peski, en zone gouvernementale près de l’aéroport de Donetsk. Ils se plaignent du pillage de leurs biens et de l’occupation de leurs maisons. Un peu plus tard, à 6 km à l’ouest de Peski, les observateurs de l’OSCE voient un camion militaire venant de Peski contenant 4 personnes emportant des meubles, des matelas et des encadrements de fenêtre. Arrivés à Peski, les observateurs trouvent des maisons ouvertes avec des vêtements par terre, des photos, et d’autres objets personnels éparpillés. Ils notent aussi la présence de militaires installés dans des maisons privées (osce.org).

 

MARDI 27 OCTOBRE 2015

Une interview du procureur général Chokine

Le procureur général Victor chokine (Шокин) explique que ce n’est pas facile de lutter contre la corruption (ukranews.com). Il raconte qu’il gène beaucoup de personnes, qu’il doit se déplacer en voiture blindée car il reçoit des menaces. Il justifie la création de nouveaux fichiers des propriétaires de biens immobiliers et de véhicules en disant que ceux qui n’ont rien à cacher n’ont rien à craindre. Par ailleurs, il dément la rumeur d’un conflit avec le ministère des affaires étrangères, Pavel Klimkin (pravda.com.ua).

Un haut-fonctionnaire kievien arrondissait ses fins de mois

Le Parquet général a découvert qu’un ancien haut-fonctionnaire de la Police routière de l’oblast de Kiev, Alexandre Iershov, régnait sur des parkings, des kiosques à journaux et des salons de coiffure (pravda.com.ua). Iershov se servait d’organisations caritatives : “Mouvement contre les dangers de la route” et “BDP-Universal”. Il a été limogé après la publication d’un article montrant le train de vie luxueux que menaient sa fille et sa famille (pravda.com.ua, les photos publiées dans l’article parlent d’elles-mêmes).

Cargill va s’implanter à Odessa avec l’argent de la BERD 

La BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) s’apprête à financer la construction d’un terminal céréalier près d’Odessa, qui sera exploité par le géant américain de l’agroalimentaire, Cargill (interfax.com.ua).

 

MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

Odessa, arrestations en marge des élections

Ce mercredi, vers trois heures du matin, la milice a arrêté deux candidats à la députation membres du parti “Confiance dans l’action”, Dmitri Pestrouïev et Oleg Kireïev (pravda.com.ua et zn.ua).

Le ministère de la santé n’aura plus le droit d’acheter les médicaments

Lors d’une assemblée du gouvernement mercredi 28 octobre, Arseni Yatseniouk a annoncé que le ministère de la santé va être privé de l’une de ses fonctions, l’achat de médicaments. Ce serait, semble-t-il,une mesure destinée à limiter les tentations de certains de se servir au passage dans l’argent public en prenant leur “commission”. C’est une agence spéciale qui aura cette charge.

 

JEUDI 29 OCTOBRE 2015

Justice

Le ministre de l’intérieur, Arsen Avakov, déclare sur sa page facebook qu’il faudrait révoquer tous les juges d’Ukraine et les remplacer par des juges neufs et plus jeunes (pravda.com.ua).

L’adjointe du ministre, Natalia Sevostianova, déclarait en avril 2015 que 70% des décisions de justice en Ukraine ne sont absolument pas respectées, en tout impunité (replyua.net). Au nombre des raisons pour lesquelles les agents de l’état ne contrôlent pas l’application des décisions du tribunal, Sevostianova a cité des traitements peu élevés, avec pour conséquence une absence de motivation au travail. La collaboratrice du ministre a également fait remarquer que l’application des décisions de justice est un processus opaque, sur lequel on informe très mal le public. L’activité de l’organisme lui-même ne possède pas de fondements législatifs effectifs et manque complètement de coordination électronique avec les autres organes du pouvoir.

Le premier ministre Arseni Yatseniouk avait décidé en mars 2015 de les augmenter (unn.com.ua) “Nous allons donner des salaires élevés à ces juges d’instruction qui instruisent des affaires particulièrement importantes. Le ministre Avakov a proposé 30.000 gryvnas par mois”. En septembre 2015 Porochenko s’est décidé à une réforme radicale du système judiciaire (novosti.dn.ua).

 

Baisse de la monnaie après les élections

Ce graphique de Yahoo Finance montre que le dollar est passé de 21,043 UAH pour 1 USD le dimanche 18 octobre à 23,000 UAH le jeudi 29 octobre. Il montre aussi la très forte hausse qui s’était produite le 5 février 2015 passant de 16,210 à 33,910 le 27 février, avant de redescendre et de se stabiliser entre 20 et 23 UAH depuis le 5 mars.

Des mouvements de change se produisent souvent après des élections, et c’est le cas actuellement. Depuis le début de la semaine, le dollar a augmenté de 196 kopecks sur le graphique ci-dessus. Le ministre du Développement économique et du Commerce, le lituanien Aivaras Abromavicius, a déclaré “Nous stabilisons pleinement la situation Мы полностью стабилизировали ситуацию” (capital.ua). Trois semaines plus tôt, le 7 octobre, des craintes avaient commencé à apparaître après le message pessimiste de Serguiï Arbuzov (Арбузов), Premier ministre par intérim du 28 janvier au 22 février 2014, qui avait souligné que le FMI prévoyait une inflation de 50% en 2015, ce qui implique une baisse de la hryvna (capital.ua). La hausse est encore plus forte sur le marché noir, puisque le dollar s’y achète à 24,62 UAH (capital.ua). Il est normal d’avoir des taux de change différents selon les courtiers, mais cela devient anormal quand l’écart avec le cours officiel devient important. La présidente de la Banque nationale d’Ukraine (Нацбанк Украины), Valeria Gontareva (Гонтарева), ne parle pas de lutter contre l’inflation, mais de renforcer le contrôle du marché des changes. Actuellement, le marché “gris” ou “noir” est principalement dû à 4 institutions non-bancaires : La Financière Ukrainienne (Украинская финансовая), Absoliout Finance (Абсолют Финанс), GGLA (ГГЛА) seulement à Kiev, et Finod (Финод) à Odessa. Les Ukrainiens y échangent leur argent bien que le dollar y soit plus cher, parce qu’ils ne sont pas limités à 3000 UAH (115 euros), et parce que les formalités administratives y sont réduites (capital.ua).

Pas d’accords pour la restructuration de la dette ukrainienne envers la Russie

Le 9 octobre 2015, à l’issue du sommet de Lima, un accord semblait avoir été trouvé, mais il n’en est rien. La Russie se dit prête à porter l’affaire devant les tribunaux, qui seraient anglais en l’occurrence, si l’Ukraine ne rembourse pas les Eurobonds en décembre 2015 comme prévu. Outre les ennuis judiciaire, le défaut pourrait poser des problèmes lors de l’émission de nouvelles obligations alors que Kiev en aurait besoin en décembre pour obtenir une tranche de 1,7 milliards de dollars du FMI, une aide de l’UE de 670 millions de dollars, et un prêt du Japon de 300 millions de dollars (interfax.com.ua). Mais le porte parole du FMI, Gerry Rice, a déclaré à Washington que le FMI pourrait accorder la tranche malgré un défaut sur la dette russe, en changeant une règle du FMI qui exclut la possibilité d’un financement supplémentaire en cas d’une dette envers les créanciers officiels (interfax.com.ua et imf.org).

 

VENDREDI 30 OCTOBRE 2015

Jet de grenade à Lviv

Une grenade a été jetée dans la cour de la maison du maire de Lviv, Andriï Sadoviï, jeudi vers 23 heures (pravda.com.ua). Un homme a aussitôt été arrêté par les vigiles. Il s’appelle Alexandre Zhivinski et avait sur lui trois grenades. C’est un membre du bataillon “Aïdar”, unité qui a déjà beaucoup fait parler d’elle sur le plan de la violence envers les civils. Interrogé, l’homme a déclaré qu’il avait fait cela pour protester contre le “pouvoir des gens aisés”, mais qu’il n’avait rien contre Sadoviï lui-même. Neuf mois plus tôt, le 26 décembre 2014, un ou plusieurs inconnus avaient déjà lancé contre cette maison une grenade qui avait causé des dégâts matériels. Il n’y avait pas eu d’arrestation. Donc il est possible que l’auteur fut le même.

Elections régionales (suite)

A Odessa, la victoire de Guénadi Troukhanov a fortement mécontenté le gouverneur de l’oblast, Mikheïl Saakashvili, ainsi que son conseiller Alexandre Borovik, qui était candidat à la mairie. Borovik a tenté d’obtenir un recomptage des voix, mais le tribunal d’Odessa qu’il avait saisi a rejeté sa demande (pravda.com.ua).

Le maire de Lviv, Andriï Sadoviï, qui est en même temps le chef du parti Samapomichtch déclare que son parti a dépensé 80% de son budget pour soutenir la candidature de Sergueï Goussovski à la mairie de Kiev, objectif qu’il n’a pas atteint, puisqu’il ne participera même pas au second tour. Selon Sadoviï, il aurait mieux valu qu’il se présente, car les élections de cette année, avec la formule selon laquelle elles se déroulaient, demandaient une expérience particulière (sous-entendu : que Goussovski ne possédait pas).

Explosion d’un dépôt de munitions des FAU

Au moins deux morts et huit blessés graves, dont 4 civils, à la suite d’une explosion et d’un incendie dans un dépôt contenant 3.500 tonnes de munitions, dans la ville de Svatovo, au nord de Severodonetsk en zone gouvernementale de l’oblast de Lougansk. En tout, 35 immeubles ont été endommagés (interfax.com). Le SBU qualifie cet événement d’acte terroriste (novosti.dn.ua).

Les USA ne sont pas contents de leur protégé

L’ambassadeur des USA en Ukraine, Geoffrey Payett, a parlé à Kiev lors de l’inauguration d’une conférence pour hommes d’affaires “USA-Ukraine” (pravda.com.ua). “Il faut que le Parquet général cesse de saboter les réformes, de protéger les procureurs de son effectif qui sont corrompus, comme par exemple les “procureurs à brillants” qui ont été arrêtés en juillet, et aussi arrêter de bloquer les enquêtes pénales pour corruption, connivence et arrangements politiques”, a déclaré Payett. “Le parquet général d’Ukraine se refuse à lutter contre la corruption intérieure qui sabote les réformes que mènent les autorités”, a-t-il déclaré aussi.

 

SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

A Kiev, le second tour des élections opposera Vitali Klitscho et Borislav Bereza

Vitali Klitschko arrive en tête avec 353 312 voix (40,6%). Borislav Beriosa arrive second avec 77 029 voix (8,8%). Pas très loin derrière, se trouvent l’ancien maire de Kiev, Olexandre Pmieltchenko avec 73 725 voix (8,5%),  Vladimir Bondarenko, candidat de Baktivchina, avec 68.460 voix 7,9%, et Sergueï Gousovski, candidat de Samopomichtch avec 67.197 voix, soit 7,7%. Borislav Beriosa du Parti des citoyens résolus, est un ex-commandant du bataillon de volontaires Dniepr-1. Le 4 novembre 2014, il avait promis qu’avec son bataillon, il prendrait Moscou. Il fut chef du département de l’information de Praviï Sektor de février à décembre 2014.

Analyse des élections par Xavier Moreau

 

DIMANCHE 1er NOVEMBRE 2015

Un site ukrainien spécialement dédié aux pétitions

Le pouvoir ukrainien vient de mettre en ligne un site destiné à recueillir les pétitions électroniques et les communications provenant des citoyens. (pravda.com.ua). Ce portail, nommé “Е-петиция” (E-Pétition), commencera de fonctionner le 2 novembre. Adresse : https://petition.kievcity.gov.ua/ Cette ouverture fait suite à une décision prise le 8 octobre dernier par le Conseil de Kiev. Après son enregistrement sur le site, une pétition devra atteindre 10.000 signatures dans un délai de trois mois à partir de sa publication pour pouvoir être examinée. Ensuite, les organismes ou les personnes en position de responsabilité à qui elle est adressée l’examineront. Par la suite, elle sera étudiée par les commissions permanentes du Conseil de Kiev concernées, puis en séance plénière par le Conseil lui-même. Si une pétition n’atteint pas la quantité requise de signatures électroniques, son auteur pourra la proposer à nouveau sur le site.

Blanchiment d’argent à Nikolaïev

Le SBU a encore fermé un “centre de conversion”, officine qui utilise des systèmes de fausses factures ou d’entreprises fictives pour obtenir de l’argent liquide. Celui-ci avait un “chiffre d’affaires ” de 300 millions de hryvnas (epravda.com.ua). Nous avions publié une nouvelle à ce sujet il y a quelque temps.

 

Source: http://www.les-crises.fr/actuukraine-05112015/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 4 November 2015 at 04:19

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: “Les marchés entendent ce qu’ils veulent entendre” – 02/11

Olivier Delamarche VS Marc Riez (1/2): La FED montera-t-elle ses taux avant la fin de l’année ? – 02/11

Olivier Delamarche VS Marc Riez (2/2): L’économie européenne est-elle passée d’un sommeil profond à une somnolence ? – 02/11

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: “Les banques centrales sont obligées d’inventer des concepts” – 28/10

Philippe Béchade VS Stanislas De Bailliencourt (1/2): “Les banques centrales sont obligées d’inventer des concepts pour masquer le fait que les QE n’ont aucun des effets annoncés” – 28/10

Philippe Béchade VS Stanislas De Bailliencourt (2/2): Le moment est-il opportun pour investir en Bourse ? – 28/10

Les indés de la finance: “La meilleure performance enregistrée par le Cac 40 au mois d’octobre relève du miracle pur”, Philippe Béchade – 30/10

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir: “il y a toujours une très fort…” – 03/11

Les points sur les “i”: Jacques Sapir: “La Chine est consciente de la nécessité de faire baisser la pollution aux aérosols” – 03/11


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-04112015/


Grèce : comment renflouer les banques ? Par Romaric Godin

Wednesday 4 November 2015 at 02:39

et hop, 14 milliards d’euros, et un risque ENORME pour les gros investisseurs privés too big to fail, qui appelleront à l’aide en cas d’inévitable problème…

Source : Romaric Godin, La Tribune, 02/11/2015

Les banques grecques auront besoin de 14,4 milliards d’euros. (Crédits : Reuters)

La BCE a estimé les besoins de capitaux des banques grecques à 14,4 milliards d’euros. Un mécanisme complexe devrait être choisi pour préserver les intérêts des investisseurs privés et des contribuables européens. 

Les banques grecques ont jusqu’à vendredi 6 novembre pour faire connaître les moyens par lesquels elles entendent trouver 14,4 milliards d’euros nécessaires à leur recapitalisation. Samedi 31 octobre, la BCE – agissant en tant que superviseur unique bancaire de la zone euro – a en effet publié le résultat de sa revue de la qualité des actifs (Asset Quality Review ou AQR). Dans le scénario de base, conforme aux prévisions macroéconomiques du mémorandum signé à la mi-août entre la Grèce et ses créanciers, les besoins des banques grecques sont estimés à 4,4 milliards d’euros. Dans un scénario plus difficile, la BCE estime ce besoin est estimé à 14,4 milliards d’euros. C’est ce chiffre qui sera retenu comme référence pour recapitaliser les banques grecques.

La mécanique du renflouement

Cette estimation correspond aux attentes du marché et est nettement inférieure à la somme de 25 milliards d’euros que les créanciers avaient mis à disposition des banques grecques dans le cadre du mémorandum. Selon les informations publiées dans la presse grecque et internationale ce week-end, la recapitalisation du secteur devrait être réalisée en trois parties. Les levées de fonds privées et certaines ventes d’actifs (notamment, selon le site grec Macropolis, d’une partie importante de la filiale turque de la Banque Nationale de Grèce, Finansbank) devraient rapporter 4,4 milliards d’euros.

Parallèlement, le Mécanisme européen de Stabilité (MES) devrait verser au Fonds hellénique de stabilité financière (HFSF) 10 milliards d’euros pour compléter les besoins bancaires. Mais 25 % seulement de cette somme prendra la forme d’une prise de participation du HFSF dans les banques. Les 75 % restants prendront la forme d’un instrument financier, les « Contigents convertibles », plaisamment appelées « CoCos » sur les marchés. Ces « CoCos » sont des obligations dites « hybrides » : ce sont des prêts comptabilisés comme du capital. Pourquoi ? Parce que, dans certaines situations précisées par contrat, ces obligations sont automatiquement converties en capital, autrement dit en actions.

Pourquoi les CoCos ?

Pourquoi avoir recours aux « CoCos » qui, sur les marchés, sont considérés comme des titres assez risqués pour les investisseurs ? Pour deux raisons. La première répond à l’obsession des créanciers : épargner l’engagement des contribuables. Si la situation des banques grecques reste sous contrôle, autrement dit si le « scénario central » se confirme, cette somme sera remboursée au HFSF puisqu’il s’agit d’obligations, et donc au MES. In fine, la somme directement et effectivement versée dans le secteur financier hellénique ne sera donc que de 2,5 milliards d’euros. Deuxième raison : en réduisant la recapitalisation directe par l’État, on réduit la dilution des autres actionnaires des banques grecques et on les incite de cette façon à abonder dans l’augmentation de capital privé. On espère ainsi pouvoir réduire les besoins couverts par le HFSF et donc par le contribuable européen.

Préserver les investisseurs privés

Les discussions de cette semaine viseront donc à établir la part des Cocos dans le montant mis à disposition du HFSF. Plus il sera important, plus les investisseurs privés seront prompts à réinvestir dans les banques grecques. Les banques, de leur côté, ont fait savoir qu’elles désiraient avoir le plus possible recours aux fonds privés. Samedi, un des investisseurs d’Eurobank, une des quatre banques grecques, le milliardaire étatsunien William Ross, a prévenu qu’il ne voulait pas investir dans une banque « nationalisée. » Il a donc demandé l’usage des Cocos. La justification de William Ross est intéressante, car elle place le problème sur le plan de la responsabilité morale de la situation. « Puisque ce sont les actions du gouvernement grec qui ont conduit à la mise en place du contrôle des capitaux et que cette mise en place à conduit à ce besoin de capital, cela n’aurait aucun sens pour le gouvernement de diluer les actionnaires des banques », a-t-il expliqué.

Le gouvernement grec marginalisé

Pour William Ross, c’est donc l’action du gouvernement grec qui a conduit à ce besoin de recapitalisation. Il est donc logique que ce gouvernement paie pour ces nouveaux besoins (les fonds du HFSF sont des prêts du MES à Athènes), mais sans nuire aux intérêts des investisseurs privés qui n’ont aucune responsabilité dans la situation. Cette lecture est, en réalité, aussi celle des créanciers de la Grèce. Dans le projet de loi sur la recapitalisation bancaire qui a été imposée par le mémorandum et qui sera votée samedi selon la procédure d’urgence, la marge de manœuvre de l’Etat grec est réduite à néant. Le conseil du HFSF comprendra ainsi trois représentants des créanciers, un de la Banque de Grèce et deux du gouvernement, qui sera donc minoritaire. Il n’y a donc en réalité aucun risque de « nationalisation » comme le prétend William Ross.

La question de la responsabilité

Quant à la question de la responsabilité, elle est évidemment sujette aux interprétations des uns et des autres. L’AQR de la BCE évalue la dégradation des créances douteuses des banques grecques, autrement dit des prêts susceptibles de ne pas être remboursés à 7 milliards d’euros supplémentaires par rapport au précédent AQR réalisé voici un an. A cela s’ajoute la perte de valeur des « collatéraux », autrement dit des titres utilisés par les banques pour couvrir son passif. Enfin, la BCE précise que les besoins ont été « amplifiés » par les modifications méthodologiques de ces revues. L’essentiel de cette dégradation est dû, comme le dit William Ross, à l’imposition du contrôle des capitaux et les trois semaines de fermeture des banques décidées par le gouvernement grec le 28 juin. L’économie grecque s’est alors mise à l’arrêt, provoquant ces dégradations.

La responsabilité des créanciers

Mais la réalité est évidemment plus complexe. Ce contrôle des capitaux est le fruit du refus de la BCE d’augmenter les liquidités d’urgence aux banques grecques. Et ce refus lui-même s’inscrit dans le bras de fer entre la Grèce et ses créanciers et, notamment, par la décision d’Alexis Tsipras d’appeler à un référendum sur les propositions des créanciers. Ce serait donc en raison de ce référendum que les banques doivent aujourd’hui être recapitalisées. Mais, là encore, ce serait oublier plusieurs éléments. D’abord, le fait que la Grèce avait fait entre le pré-accord du 20 février et le 27 juin avait proposé plusieurs éléments de compromis, tous rejetés.

Le dernier plan grec, datant du 22 juin, incluait même des baisses de pensions, longtemps réclamées par les créanciers. Mais ces derniers voulaient une victoire politique, ils sont donc rejeté ce plan comme les autres, alors même que, via des rumeurs et des informations quotidiennes sur les retraits, les banques se vidaient de leurs dépôts. Les créanciers ont clairement utilisé l’arme des banques – le point faible de la Grèce – contre Athènes, et c’est bien la raison principale pour laquelle il faut renflouer ces établissements aujourd’hui. Du reste, la BCE qui avait la maîtrise du HFSF, encore doté alors de 11 milliards d’euros, avant le 30 juin, a refusé de renflouer les banques grecques comme elle en avait le droit après l’accord du 20 février. Elle a préféré utiliser la liquidité d’urgence comme moyen de pression. De ce point de vue, l’engagement des contribuables de la zone euro est logique : ils paient là le prix de la stratégie politique de leurs dirigeants qu’ils ont démocratiquement choisis.

La responsabilité des investisseurs privés

Par ailleurs, William Ross et les autres investisseurs privés ont fait confiance à l’AQR de la BCE d’automne 2014. Or, cet AQR s’est révélé inopérant face au scénario du risque politique, ce qui, du reste, devrait rendre cet exercice sujet à caution pour l’avenir. Les investisseurs privés ont donc sous-estimé le risque d’une erreur de la BCE et la fragilité réelle du secteur financier grec. Ils n’ont pas évalué le risque politique, pourtant évident dans un pays soumis à une politique d’austérité rejetée par la population. En sous-estimant le risque politique et la fragilité des banques grecques, ils ont sous-estimé l’utilisation par les créanciers des banques grecques comme une arme contre le pouvoir politique grec. Bref, l’investissement de William Ross était un investissement bien hardi. Il serait donc logique qu’il fût dilué. Au final, le scénario officiel de la responsabilité unique du gouvernement Tsipras I arrange tout le monde et permet de ménager les intérêts des uns et des autres, Etat grec excepté, évidemment.

Débat sur les expulsions

Car, en marge de cette question de la recapitalisation des banques demeure la question des expulsions des ceux qui ne peuvent honorer les traites de leurs crédits immobiliers. Les créanciers voudraient abaisser le niveau à partir duquel on peut expulser, fixé aujourd’hui à des biens supérieurs à 250.000 euros. Le but des créanciers est simple : en expulsant davantage, on peut réduire les besoins des banques puisque davantage de créances douteuses sont « réalisées. » On réduit donc les besoins de fonds européens et on laisse plus de place aux investisseurs privés. C’est aujourd’hui un des points principaux d’achoppement de la discussion entre le gouvernement grec et ses créanciers.

Mais le temps presse. D’abord parce que sans banques fonctionnelles, l’économie grecque ne repartira pas. Ensuite, parce que la recapitalisation des banques doit être achevée avant le 31 décembre. Pour une raison simple : au-delà de cette date s’appliquera la directive de résolution de l’union bancaire. Or, dans cette directive, ce sont les créanciers des banques – donc les investisseurs privés – qui seront mis à contribution. On aura compris que ce n’est pas la stratégie menée. C’est même ce que l’on cherche à éviter. D’où ce paradoxe : les créanciers de la zone euro, qui prétendaient que l’Union bancaire était une solution, cherchent aujourd’hui à éviter l’application de cette union.

 

Source: http://www.les-crises.fr/grece-comment-renflouer-les-banques-par-romaric-godin/


L’Empire le plus bête du monde, par Dmitri Orlov

Wednesday 4 November 2015 at 00:07

 Un article pour sourire un peu, mais qu’on lira avec le recul habituel…

Source : Club Orlov, le 06/10/2015

 

Je ne peux pas m’empêcher de remarquer que ces dernières semaines l’Empire est devenu extrêmement bête – si stupide que je pense qu’il mérite le titre d’Empire le plus bête du monde. Certains pourraient prétendre qu’il a été stupide par le passé, mais les récentes évolutions semblent montrer un saut gigantesque dans son degré de bêtise.

La première très grosse bêtise a fait surface quand le général Lloyd J. Austin III, le chef du commandement central des États-Unis, a indiqué à un comité sénatorial que seul un très petit nombre de combattants syriens entraînés par les États-Unis – pas plus de cinq peut-être – combattaient encore. La facture pour les entraîner et les équiper a été de 500 millions de dollars. Cela fait 100 millions par combattant mais tout va bien tant que les sous-traitants militaires sont payés. Les choses sont devenues encore plus embarrassantes quand il s’est avéré par la suite que ces quelques rares combattants s’étaient fait cambrioler par ISIS/Al-Qaïda (quelle que soit la manière dont ils s’appellent) et avaient perdu armes et véhicules.

Général Ausin

 

Le Général Austin reprend le rôle du Lt. Général Casey dans le film Mars Attacks de Tim Burton ! C’était déjà un rôle très stupide, mais son rôle actuel constitue une nette progression, en termes de niveau hiérarchique comme en termes de degré de bêtise.

Lieutenant Général Casey
Mars Attacks!

L’épisode de stupidité suivant s’est déroulé devant l’assemblée Générale des Nations-Unies quand Obama, qui s’est exprimé durant 30 minutes au lieu des 15 accordées (M. le stupide Président sait-il au moins lire une montre ?), a réussi la performance d’utiliser tout ce temps pour ne dire absolument rien de sensé pour qui que ce soit.

Mais c’est le discours de Poutine qui a exposé aux yeux de tous la bêtise de l’Empire, lorsqu’il a sermonné les ÉU pour avoir fait du Moyen-Orient le théâtre d’un bain de sang avec leurs interventions maladroites. La phrase, maintes fois relayée « Comprenez-vous ce que vous avez fait ? » n’est cependant pas tout à fait exacte. La phrase russe « Вы хоть понимаете теперь, чего вы натворили? » peut être plus précisément traduit par « Comment ne pouvez-vous pas, même aujourd’hui, comprendre quelle monstrueuse pagaille vous avez provoquée ? » Les mots ont leur importance. Ce n’est pas de cette manière qu’on s’adresse à une super puissance devant une assemblée de leaders mondiaux ; c’est ainsi qu’on réprimande un enfant stupide et capricieux. Aux yeux du monde entier, cela donne l’image d’un Empire plutôt idiot.

Ce qui s’est produit ensuite est l’annonce par la Russie du début de sa campagne de bombardements contre toutes les types de terroristes en Syrie (et peut-être en Irak aussi, la demande irakienne est dans la boite mail de Poutine). Ce qui est remarquable avec cette campagne de bombardements, c’est qu’elle est entièrement légale. Le gouvernement syrien, légitimement élu, a demandé l’aide de la Russie. La campagne a été approuvée par le parlement russe. De l’autre côté, la campagne de bombardement menée par les États-Unis est totalement illégale. Il n’existe que deux possibilités pour bombarder légalement le territoire d’un autre pays : 1 – une demande provenant du gouvernement de ce pays. 2 – une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU. Les ÉU n’ont obtenu ni l’une, ni l’autre.

Pourquoi est-ce important ? Parce que l’ONU, avec son Conseil de Sécurité, a été créée pour éviter les guerres, en empêchant les nations d’entrer dans des conflits militaires sans devoir assumer toutes sortes de répercussions économiques et politiques. Après la Seconde Guerre mondiale, on s’est dit que les guerres étaient horribles et que quelque chose devait être fait pour les éviter. Mais les États-Unis estiment que cela n’est pas vraiment nécessaire. Lorsqu’un correspondant de presse russe (Gayane Chichakyan de RT) a demandé au porte-parole de la Maison Blanche sur quelle base légale les ÉU bombardaient la Syrie, il a commencé par faire semblant de ne pas comprendre la question, puis bredouillé de manière incohérente, en apparaissant plutôt ridicule. Voyez-vous, les États-Unis aiment faire la guerre (ou plus précisément, leurs sous-traitants militaires aiment faire la guerre, parce que cela leur permet de s’enrichir et de contrôler une grande partie du gouvernement américain). Mais les États-Unis ne peuvent gagner aucune guerre, ce qui rend l’ensemble de leur effort de guerre plutôt stupide (de manière meurtrière).

Malgré les réticences américaines, l’ONU empêche les guerres de fait. Récemment, elle a empêché les États-Unis de mettre en place une « frappe limitée contre le régime Assad en réponse à l’utilisation éhontée d’armes chimiques ». Cela a été facilité par le jeu adroit de la diplomatie russe, qui a abouti à ce que la Syrie abandonne volontairement son stock d’armes chimiques. Négligeant la diplomatie, les ÉU ont tiré quelques missiles de croisière en direction de la Syrie, mais les Russes les ont promptement éliminés du ciel, obligeant le Pentagone à repenser de façon majeure sa stratégie, et, bien sûr, ridiculisant les États-Unis.

Mais une fois qu’on s’est ridiculisé soi-même, pourquoi s’arrêter ? Effectivement, Obama n’affiche aucunement l’intention d’en rester là. A peu près toute l’assemblée générale de l’ONU savait que l’attaque chimique du gouvernement syrien contre son propre peuple n’avait jamais existé. Les produits chimiques ont été fournis par les Saoudiens et involontairement utilisés par les rebelles syriens contre eux-mêmes. Mentir, lorsque tout le monde sait que vous mentez, et sait que vous savez que vous mentez : est-il possible d’ être plus stupide encore ?

OK. Et à quoi bon parler continuellement, à tort et à travers, de « la liberté et la démocratie » au Moyen-Orient, après avoir plongé toute la région dans le chaos à travers leurs interventions de lobotomisés ? La seule voix de la raison aux États-Unis semble être celle de Donald Trump, qui a récemment déclaré que le Moyen-Orient était plus stable sous Saddam Hussein, Moammar Khaddafi et Bachar al-Assad. C’était effectivement le cas. Le fait que le seul politicien non-stupide qui reste aux États-Unis soit Trump – ce sac à fric pompeux – place très haut le niveau de bêtise de l’ensemble du pays.

Parler à tort et à travers de « la liberté et la démocratie » au Moyen-Orient est également stupide car l’ensemble de la région est tribal – l’a été depuis quelques milliers d’années, et le sera pour quelques milliers d’années encore. Dans chaque localité, une tribu est au-dessus des autres. Si l’idée est de la découper en unités territoriales souveraines (aucune d’entre elles ne se désigne en tant que nation, car chacune finit par être multinationale), alors chaque unité territoriale s’avérera être gouvernée par une tribu pendant que les autres renâcleront. Faire des bourdes et exploiter la grogne pour provoquer un « changement de régime » – et automatiquement l’ensemble de la région s’enflamme.

Israël en est un bon exemple : une tribu y fait la loi, les Juifs. Ils peuvent flinguer ou bombarder n’importe qui d’autre dans la plus totale impunité. Le pays est considéré comme « démocratique » pour la bonne raison que les Juifs ont le droit de vote, ce qui est très bien pour les Juifs. Les Alaouites de Syrie peuvent voter eux aussi – et voter pour Bachar al-Assad ; pourquoi est-ce que cela ne suffit pas ? À cause de l’hypocrisie des Américains et de leur « deux poids, deux mesures ».

Et ainsi de suite. L’Arabie Saoudite est aux mains d’une tribu, la Maison des Saoud, et tout les autres sont privés de droits civils. L’Irak était autrefois dirigé par les Sunnites de la tribu de Saddam Hussein, mais les Américains les ont délogés, et ce qui en reste est maintenant dirigé par les Chiites du Sud, tandis que les Sunnites en sont partis et ont rejoint Daesh. Tout cela peut paraître super simple, mais pas pour les Américains, parce que cela va à l’encontre de leur idéologie, selon laquelle l’ensemble du monde doit être remodelé à leur image. Et donc ils continuent d’essayer de le faire (ou prétendent essayer de faire, car les résultats ne comptent pas vraiment, tant que les fournisseurs d’armes et de mercenaires continuent à être payés) et ils n’ont visiblement pas l’air de se préoccuper le moins du monde de l’air particulièrement stupide que cela leur donne.

Et ainsi se dessine le schéma typique : les États-Unis bombardent un pays jusqu’à en faire un tas de ruines fumantes, préparent une invasion terrestre, mettent en place un régime fantoche, et, plus ou moins rapidement, se retirent. Le régime fantoche s’écroule, et vous voilà face soit à un chaos ingouvernable ou à une forme passablement vilaine de dictature, soit un peu des deux : un État inexistant, comme la Libye, le Yémen, une bonne partie de l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie. Peu importe au fond un tel résultat (du moins tant que les vendeurs d’armes continuent à être payés), dans la mesure où le leitmotiv de l’Amérique semble être : « Ayons l’air de crétins et continuons comme ça ». Détruisez un pays – et en avant pour la prochaine campagne de bombardements.

Mais c’est ici que l’ensemble en devient absolument stupide : ils ne peuvent pas même y parvenir en Syrie. Cela fait un an maintenant que les Américains bombardent Daesh ; et dans le même temps, Daesh est devenu plus fort et contrôle davantage de territoire. Mais ils ne se sont pas allés jusqu’à renverser Assad ; au lieu de ca, les gars de Daesh passent leur temps à se pavaner dans le désert en haillons noirs et baskets blanches, à prendre des selfies, exploser des sites archéologiques, réduire les femmes en esclavage et décapiter tous ceux dont la tête ne leur revient pas.

Mais il semble à présent que les Russes ont réussi en cinq jours ce que les Américains n’ont pas réussi en un an, et les gars de Daesh s’enfuient en Jordanie ; d’autres veulent aller en Allemagne et demandent l’asile. Ce qui a rendu les Américains furieux, parce que, voyez-vous, les Russes bombardent “leurs” terroristes – ceux que les Américains avaient recrutés, équipés et entraînés… puis bombardés ? Je sais, c’est débile – mais vrai. Les Russes ne connaîtront rien de tel, parce que leur approche est la suivante : si cela a l’air d’un terroriste, cancane comme un terroriste, alors c’est un terroriste, donc on le bombarde.

Mais on peut comprendre que cette perspective n’emporte pas l’adhésion des Américains : là, ils avaient soigneusement déversé des tonnes d’armes et matériel, en bombardant soigneusement dans les coins de façon à ne rien endommager, et voilà que les Russes déboulent et réduisent le tout en fumée ! Les Saoudiens sont absolument blancs de rage, étant donné qu’ils en avaient payé la majeure partie. Et en plus, les terroristes sont leurs frères wahhabites ou takfiris – ceux-là mêmes qui se plaisent à déclarer à bien d’autres musulmans qu’ils les considèrent comme des infidèles, en violation de leur propre Charia. Cela vous rappelle quelqu’un ? Quelqu’un de particulièrement débile ?

Mais il semble qu’il n’y ait rien que les Américains puissent faire pour arrêter les Russes, ou les Chinois, qui eux aussi veulent un morceau de Daesh comme part du gâteau, ou encore les Iraniens et les combattants du Hezbollah, prêts à marcher et à nettoyer ce qu’il restera de Daesh une fois que les missions de bombardement auront détruit tout le matériel de guerre qu’il avait amassé. Et il est donc temps pour les Américains de déclencher une guerre de l’information en accusant les Russes de causer des pertes civiles.

Bien sûr, en dignes Américains, il leur faut entreprendre cette guerre de l’information de la façon la plus débile possible. D’abord, faire état de vos informations sur des morts civiles avant même que les avions russes n’aient décollé. Oups ! Ensuite, vous inondez les médias sociaux de photos truquées d’enfants blessés, préparées à l’avance, avec des acteurs en casques blancs payés par George Soros. Et ensuite, lorsqu’on vous demande des preuves, refusez d’en fournir la moindre.

Jusqu’ici, tout va bien ; mais essayons de nous montrer encore plus stupides. Juste après avoir crié haut et fort que les Russes tuent des civils, les Américains détruisent un hôpital en Afghanistan dirigé par Médecins Sans Frontières, en dépit d’avoir été informés de sa localisation précise avant et pendant le bombardement. « Ne tuez pas de civils… voilà, comme ça ! » Peut-on se montrer plus débile que cela ? Bien sûr on peut : les États-Unis peuvent se mettre à mentir crûment et ouvertement : « Il y avait des Talibans cachés dans cet hôpital » – non, il n’y en avait pas. « Les Afghans nous ont dit de bombarder cet hôpital ! » – non, ils ne l’ont pas fait. Bombarder cet hôpital était un authentique crime de guerre – dixit l’ONU. Les Russes vont-ils se mettre à accepter des leçons de la part de criminels de guerre ? Ne soyez pas stupides, voyons !

Il est difficile de l’admettre, mais tout semble possible à présent. Ainsi, les États-Unis semblent ne plus avoir la moindre politique étrangère : la Maison Blanche dit une chose, le Département d’État une autre, le Pentagone une troisième ; Samantha Power, à l’ONU, fait sa propre politique étrangère via Twitter, et le sénateur John McCain veut armer les rebelles syriens pour qu’ils descendent les avions russes (Tous les cinq ? Ne sois pas stupide, John !). En réaction face à une telle confusion, les hommes politiques à la botte des États-Unis dans l’Union Européenne commencent à s’agiter de façon incontrôlable et ne respectent plus le scénario, pour la bonne raison que le centre nerveux à Washington ne leur envoie plus de signes cohérents.

Comment tout cela va-t-il finir ? Eh bien, puisque nous sommes en train de devenir tous stupides, qu’il me soit permis de faire une humble suggestion : les États-Unis devraient bombarder tout ce qui se trouve à l’intérieur du périphérique à Washington, plus quelques comtés de Virginie. Cela devrait sensiblement diminuer le potentiel de débilité du pays. Et si cela ne marche pas, et alors ? Après tout, il est clair que ce n’est pas le résultat qui compte. Tant que les marchands d’armes sont payés, tout va bien.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lempire-le-plus-bete-du-monde-par-dmitri-orlov/


La France a fourni des armes à la révolution syrienne dès 2012, explique François Hollande dans un livre

Tuesday 3 November 2015 at 02:29

Source : Robin Ferner, pour Slate.fr, le 6 mai 2015.

François Hollande avec Khaled Khodja, président de la coalition nationale syrienne. REUTERS/ Philippe Wojazer

François Hollande avec Khaled Khodja, président de la coalition nationale syrienne.

Le président français s’est confié au journaliste Xavier Panon, qui révèle que François Hollande a décidé de livrer des armes lourdes aux rebelles syriens, malgré l’embargo européen.

La France a fourni des armes à des groupes rebelles syriens dès 2012 alors que l’Union européenne avait imposé un embargo sur de telles livraisons. Et c’est le président Hollande qui le dit lui-même dans un livre à paraître le 13 mai aux Editions de l’Archipel, intitulé Dans les coulisses de la diplomatie française, de Sarkozy à Hollande, écrit par le journaliste Xavier Panon.

«Nous avons commencé quand nous avons eu la certitude qu’elles iraient dans des mains sûres», explique le chef de l’Etat à l’auteur du livre, en mai 2014. Les livraisons ont débuté dès la fin de l’année 2012, alors que l’embargo européen, établi à l’été 2011, est toujours en vigueur. Il ne sera levé qu’à la fin du mois de mai 2013.

Ce cavalier seul contraint l’Elysée à la prudence. Officiellement, la France se contente d’envoyer de l’équipement non-létal: gilets pare-balles, outils de communication cryptée, masques contre les armes chimiques, lunettes nocturnes. Mais c’est un tout autre matériel qu’elle dépêche sur place: canons de 20 mm, mitrailleuses, lance-roquettes, missiles anti-chars. Seuls les missiles anti-aériens restent tabous. François Hollande n’en enverra pas car ils s’avéreraient trop dangereux si des djihadistes venaient à s’en emparer.

Mille et une précautions

Les armes sont envoyées grâce aux soins de la DGSE (la Direction générale de la sécurité extérieure). Les Français marchent sur des œufs car il s’agit de s’assurer que les armes parviendront à la bonne destination… et que ces transferts ne seront pas surpris en flagrant délit par la communauté internationale. Les dates de livraison sont donc très irrégulières et les précautions nombreuses.

Il faut, tout d’abord, trouver des fournisseurs discrets, effacer les marques de la provenance des armes avant leur départ. Et puis, comment être certain qu’elles seront bien réceptionnées à l’arrivée par des hommes de l’armée syrienne libre, alors dirigée par le général Sélim Idriss, interlocuteur privilégié de l’Elysée? Les services français utilisent leurs propres réseaux, les autres leur paraissant moins fiables.

Sur la scène publique, la France s’enferre dans une valse-hésitation sur la question des armes. Une fois, le 15 mars 2013, l’Elysée tente de lever l’embargo européen et d’entraîner ses partenaires à envoyer des armes mais le 28, François Hollande rétropédale:

«Nous ne fournirons pas d’armes tant que nous n’avons pas la certitude que ces armes seront utilisées par des opposants légitimes et coupés de toute emprise terroriste.»

Si la diplomatie française est aussi embarrassée, c’est qu’elle se heurte aux atermoiements de ses alliés européens, mais aussi des Etats-Unis peu désireux de prendre part à un nouveau conflit au Moyen-Orient. D’autant que celui-ci devient de moins en moins lisible au fil des mois, au fur et à mesure de la montée en puissance des groupes djihadistes. L’affirmation sur le front anti-Bachar el-Assad d’islamistes radicaux comme les soldats deJabhat Al-Nosra par exemple fragilise la position française: il est désormais quasi impossible d’assumer la livraison d’armes en Syrie alors que ce sont les djihadistes qui tendent à incarner la révolution syrienne.

Dans son livre, Xavier Panon transcrit les propos d’un responsable du Quai d’Orsay:

«François Hollande et son ministre ont été bien imprudents sur la Syrie et l’embargo. Faute d’avoir la capacité d’influer réellement sur le rapport de forces, la posture reste morale. Or, la morale est rarement bonne inspiratrice en politique étrangère. Livrer des armes sans garantie de destination, c’est être cobelligérant. Il y a davantage de raisons de ne pas le faire que de le faire.»

L’action de la France semble, de toute façon, avoir eu peu de portée sur le terrain. En 2015, la Syrie est toujours enlisée dans une guerre meurtrière. Un conseiller de l’Elysée admet auprès de Xavier Panon:

«Oui, nous fournissons ce dont ils ont besoin, mais dans la limite de nos moyens et en fonction de notre évaluation de la situation. Dans la clandestinité, vous ne pouvez agir qu’à petite échelle. À moyens limités, objectifs limités. Au final, est-ce que notre aide permettra à la révolution de gagner? Non.»

Source: http://www.les-crises.fr/la-france-a-fourni-des-armes-a-la-revolution-syrienne-des-2012-explique-francois-hollande-dans-un-livre/


Général Desportes : « Au rythme actuel, l’armée française sera bientôt épuisée »

Tuesday 3 November 2015 at 02:00

Intéressante interview, même s’il y a des points critiquables, mais vu le profil du personnage, cela reste encourageant… :)

Source : Jacques Hubert-Rodier et Anne BauerLes échos , 26/10/2015

Le général Vincent Desportes. – Catherine Hélie/Gallimard

 

Vincent Desportes lance un cri d’alarme sur la réduction des moyens militaires dans un ouvrage intitulé « La dernière bataille de France » (Le Débat-Gallimard).

Ancien élève de Saint-Cyr et général de division de l’Armée de Terre, le général Vincent Desportes s’est fait le grand défenseur de son corps d’armée dans les opérations extérieures de la France. Ses critiques de la stratégie américaine – donc française – en Afghanistan lui avaient valu d’être débarqué en 2010 du commandement du Collège interarmées de défense.

L’armée française a-t-elle aujourd’hui les moyens de faire face aux menaces ?

Nous sommes dans une situation extrêmement critique. D’un côté, les menaces s’accroissent, le feu a pris tout autour de l’Europe, de l’Ukraine au Sahel en passant par le Moyen-Orient. De l’autre, les capacités de notre défense sont constamment réduites : moins 25 % sous Nicolas Sarkozy et à peu près la même chose sous François Hollande, selon l’actuelle loi de programmation militaire, même après la légère rectification décidée par le Président. Vérifiez vous-même. Si cette pente vertigineuse n’est pas sérieusement redressée, les armées françaises vont tout simplement disparaître : le dernier soldat français défilera sur les Champs-Elysées le 14 juillet 2040.

Ce qui est terrible, c’est que l’institution militaire, silencieuse par nature, est incapable de se défendre elle-même, comme peuvent le faire d’autres corps sociaux, médecins, architectes, avocats disposant « d’Ordres » dont c’est la mission. Des voix citoyennes doivent s’élever, au nom de la Nation. Mon devoir était de pousser un cri d’alarme. C’est l’objet de cet ouvrage, hélas plus réaliste que pessimiste.

Pourquoi ce grand écart entre missions et moyens ?

L’Europe a tué l’idée de guerre dans l’esprit des citoyens européens. Ils ont cru que le « soft power » pourrait remplacer le « hard power ». Nous avons intellectuellement « quitté l’histoire » en imaginant être parvenus dans un monde post-moderne qui avait définitivement éliminé la guerre et la barbarie.

Si la guerre a disparu, pourquoi conserver des armées ? Les citoyens se sont désintéressés de la défense dont les investissements sont devenus peu à peu illégitimes. En aval, on a pu, sans coût politique, rogner sur les budgets de défense pour redistribuer aux corps sociaux qui, eux, descendent dans la rue.

Le 29 avril, le président Hollande a annoncé une rallonge budgétaire de 3,8 milliards d’euros sur quatre ans pour la défense. Est-ce suffisant ?

C’est un frémissement positif mais insuffisant. Il s’agit simplement d’un ralentissement de la diminution du budget des armées… et surtout d’une manœuvre de communication. Mais ce geste symbolique – qui doit être salué – ne rétablit pas l’outil militaire à la hauteur des menaces et des ambitions de la France. Il est vrai qu’en 2016, on va recruter, et que le budget a été renforcé de 600 millions pour passer de 31,4 milliards d’euros dans la Loi de programmation initiale à 32 milliards. Mais la déflation des effectifs reste programmée et va reprendre. Les hausses sérieuses de budget ne sont prévues qu’après 2017 ! Autant dire que le gouvernement fait des promesses pour un avenir que personne ne connaît.

Quel serait le budget militaire idéal ?

Il n’y a évidemment pas de jauge absolue, tout dépend des ambitions, des menaces et de la façon dont on emploie le budget. Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que l’armée française est largement suremployée par rapport à ses capacités. Elle s’use. Elle ne peut plus se reconstituer (formation, entraînement, remise en condition…) entre deux engagements. Elle risque de se retrouver dans la même situation que l’armée britannique qui, malgré un budget supérieur au nôtre (plus de 40 milliards d’euros), est aujourd’hui incapable d’aller opérer au sol sur les théâtres extérieurs.

Pourquoi la Grande-Bretagne est-elle dans cette situation ?

Son armée a été surengagée par rapport à sa capacité. Presque simultanément, elle a déployé jusqu’à 40.000 soldats à Bassora en Irak et jusqu’à 10.000 dans le Helmand en Afghanistan, un effort très au-delà de ses possibilités et qui l’a profondément usée. Résultat, si l’armée britannique bombarde encore ici et là, il n’y a plus désormais aucun contingent britannique significatif engagé dans des opérations extérieures. L’armée britannique s’est détruite par sur-emploi et mettra a minima quatre ou cinq ans à se reconstruire. Pour tenir dans la durée, les armées américaines considèrent qu’on ne peut déployer au maximum qu’un soldat sur sept, sans épuiser le capital.

Et l’armée française, est-elle épuisée ?

En France, on applique un ratio de un sur six, largement dépassé aujourd’hui. Au rythme actuel, elle sera bientôt épuisée, particulièrement dans les forces terrestres. Nous sommes toujours capables de réussir des opérations coup de poing comme l’opération Serval, lancée en janvier 2013 au Mali pour arrêter la percée djihadiste. Mais on ne sait plus s’engager efficacement sur le long terme alors que tous les conflits auxquels nous prenons part sont des conflits longs.

Il y a des choix à faire : de la présence sous la Tour Eiffel, ou de l’efficacité opérationnelle en Syrie et au Sahel ? Les 7.000 soldats français déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle n’ont qu’une plus-value très limitée au regard des inconvénients majeurs de ce déploiement avant tout politique. Employer un soldat, dont la formation est très onéreuse, dans le rôle d’un employé de société de gardiennage est un véritable gâchis, au plan opérationnel et au plan budgétaire. Impôts dilapidés, dégradation continuelle des capacités opérationnelles individuelles et collectives… Sentinelle casse un outil qu’on regrettera très vite. Il est tout à fait légitime d’utiliser les soldats français pour la protection du territoire national, mais à condition de tirer le meilleur parti de leurs compétences spécifiques. L’armée n’est pas un stock de vigiles à déployer devant les lieux de culte !

La France a la chance d’avoir une belle armée, capable du meilleur. C’est la seule qui puisse encore défendre l’Europe. Il faut précieusement prendre soin de ce capital inestimable sans oublier que reconstruire une armée est extrêmement long et complexe. L’armée irakienne formée à coup de milliards de dollars par les Américains s’est « débandée » face à Daech. De même, l’armée malienne formée par la Mission européenne n’a guère résisté aux premiers coups de feu des Touaregs. Idem pour l’armée afghane, on l’a encore vu récemment à Kunduz devant les talibans…

Mais avec l’Europe de la Défense, ne peut-on pas mutualiser les moyens militaires ?

Notre horizon doit être l’Europe de la Défense. Mais, à ce jour, nous ne sommes parvenus à rien de sérieux. Le meilleur exemple de l’inanité de l’Europe de la défense, ce sont les Groupements tactiques de 1.500 hommes, parfaitement équipés et entraînés… mais qui n’ont jamais été utilisés, ni au Mali, ni en République centrafricaine alors que l’occasion en était clairement donnée.

A l’heure de la montée des dangers, la France ne doit surtout pas se départir des moyens de défense qu’elle possède encore. C’est pourquoi ces questions ne sont pas de nature budgétaire mais d’abord un problème de vision, de sens de l’Etat et de volonté politique.

Et l’Otan ?

Malheureusement, aujourd’hui, il faut le dire, l’Otan est préjudiciable aux intérêts de la défense européenne : la survie de cette organisation d’un autre âge est la première cause de l’effondrement des budgets européens de défense. Les Européens rêvent toujours du soldat Ryan… qui ne reviendra jamais plus les défendre. Le « pivot » américain vers le Pacifique n’est pas une vue de l’esprit : il est une tendance lourde, irréversible.

L’intérêt bien compris des Américains serait d’imposer l’autonomie aux Européens, mais, par courte vue, ils craignent une Europe-puissance qu’il faudrait admettre à part entière dans la gestion des affaires du monde. L’Otan ? Oui, mais profondément transformée, sans « primus inter pares » et dans laquelle les Européens seraient au minimum « l’actionnaire majoritaire ».

La France est-elle vraiment menacée ?

Ce n’est pas parce que la France, tout au bout de sa péninsule européenne, se croit protégée, qu’elle l’est. Au contraire. Après les Etats-Unis, elle est pour les djihadistes le deuxième « Grand Satan ». Les menaces sont concrètes. Quand l’armée française s’engage au Mali, elle va détruire des djihadistes qui ont l’intention de semer la terreur en France. L’intention de Daech est de perpétrer des attentats de masse sur le territoire national : la destruction de l’Etat islamique est dans l’intérêt immédiat des Français. Cela rend bien secondaires beaucoup d’autres considérations.

Mais ces menaces ne sont-elles pas avant tout du domaine de la police ?

Il y a un continuum entre sécurité et défense, mais l’une et l’autre sont complémentaires et nécessaires. Nos frontières sont poreuses, et plus on traitera la menace « à l’avant », moins on aura à le faire sur le territoire national. Ne rêvons pas d’une ligne Maginot antiterroriste : toutes les forteresses ont vocation à être détruites ou contournées. Cette « défense de l’avant », il faut sans relâche en expliquer la nécessité aux Français : plus les théâtres d’opérations sont lointains, moins le citoyen les relie à sa propre sécurité.

Pourtant, il n’y a pas d’autre solution que d’aller là où se trouvent les sources de la violence, et les tarir. L’erreur majeure serait de confondre « continuum » et « fusion ». Il faut consolider la coopération entre défense et sécurité, mais les missions et les moyens doivent rester spécifiques.

Vous êtes donc d’accord avec les opérations lancées de l’autre côté de la Méditerranée ?

Ce n’est pas la multiplication des interventions qui fait une stratégie. La France s’engage partout, mais on a du mal à identifier clairement une stratégie dans toutes ses dimensions. Elle pare au plus pressé, basculant ses efforts au gré des départs de feu sans jamais parvenir à traiter les problèmes « au fond ». Faute de pouvoir envoyer sur les théâtres des contingents adaptés aux enjeux, on projette des forces, on s’active au mieux, mais on ne travaille pas dans la durée ; souvent, on perd la nuit ce qu’on avait gagné dans les combats du jour.

C’est le Sisyphe interplanétaire, version casque lourd. On le voit en République centre-africaine, en Afghanistan et dans le désastre de Libye. Dans mon livre, j’affirme qu’on a transformé nos armées en « kit expéditionnaire », toujours à la peine pour transformer les gains tactiques en succès stratégique. Faute de budget, de moyens, l’armée française est capable de gagner des batailles, mais plus des guerres, car cela supposerait d’assurer la permanence des effets. Pensez qu’au Sahel, 3.500 soldats sont mobilisés sur un territoire plus vaste que l’Europe !

Alors que c’est un point fort de la France, vous remettez aussi en cause l’inflation technologique militaire. Pourquoi ?

Parce que l’effet délétère des coupes budgétaires sur nos forces est d’autant plus violent qu’il se couple avec un armement toujours plus sophistiqué et donc toujours plus coûteux. Or, cette inflation technologique – par elle-même réductrice des parcs et flottes – se traduit in fine par la contraction des formats et déflation des effectifs, une logique perverse… La technologie est utile. Cependant, l’hyper-sophistication produit des armées excellentes dans la bataille, au niveau technique, mais médiocres dans la guerre, au niveau stratégique. Quel triste exemple que l’Afghanistan, où la coalition internationale mobilisait les deux-tiers des budgets militaires du monde, où le différentiel technologique était le plus élevé de toute l’histoire militaire, sans qu’aient pu être vaincus quelque 30.000 talibans équipés de kalachnikovs !

La technologie ne confère pas hélas le don d’ubiquité qui serait fort utile vu la multiplicité de nos théâtres d’opération. Quand la France acquiert une frégate de dernière génération pour un milliard d’euros, elle se prive de quelque 10 navires plus modestes mais qui seraient plus efficaces pour surveiller son espace maritime, le deuxième du monde !

Faut-il alors remettre en question la dissuasion nucléaire ?

Du moins faut-il veiller à ce qu’elle ne devienne pas notre nouvelle ligne Maginot. Cette arme de non-emploi n’est utile que si on dispose d’une armée d’emploi, seule à même de prévenir son contournement et de faire face aux multiples enjeux sécuritaires infra-nucléaires. Or, le nucléaire, qui mobilise environ 20 % du budget d’investissement des armées, est une des premières victimes de l’inflation technologique ; il pourrait rapidement atteindre 30 % des dépenses militaires compte tenu des renouvellements de programmes prévus dans les dix ans à venir.

Il est temps de maîtriser une dérive perverse pour la défense française et d’envisager enfin la défense de manière globale. En ce sens, la sacralisation actuelle du nucléaire est une des plus graves menaces sur la sécurité des Français.

Pourra-t-on gagner la lutte contre Daech ?

Seulement si on trouve la stratégie commune, donc le but à atteindre. Pour l’heure, faute de savoir ce qu’on veut faire dans un Moyen-Orient qui a enterré les accords Sykes-Picot [délimitant une frontière entre l’Irak et la Syrie, NDLR], on mène une guerre de « containment » pour gagner du temps, le temps nécessaire pour déterminer le compromis possible entre les différentes parties prenantes, Iran, Arabie Saoudite, Irak, Turquie, Israël, etc.

Mais sans accord entre Obama et Poutine, sans reconnaissance des intérêts légitimes des uns et des autres, on ne pourra pas définir un objectif commun et donc nous continuerons à perdre du terrain comme nous le faisons, malgré toute notre force militaire, depuis l’été 2014.

La Russie n’est donc pas notre adversaire ? Fallait-il alors lui vendre les navires Mistral ?

Je pense qu’il ne fallait pas lui  livrer les Mistra l, car il faut fixer des limites à Vladimir Poutine : il n’en respectera la France que davantage. C’est important ! D’autant plus que c’est le même Poutine qui fixe à présent le tempo des relations internationales.

Et lui, il a une vision : replacer la Russie au cœur du jeu international, préserver ses intérêts au Sud de la Méditerranée et sa base militaire de Tartous en Syrie, et enfin se défendre des mouvements djihadistes sur la frontière sud de la Russie. Son intervention a rebattu les cartes. Vendre ces navires à l’Egypte n’est pas un mauvais choix : cet Etat doit rester solide et ne pas devenir une zone de guerre comme ses voisins.

Le gouvernement a-t-il tort de réclamer le départ de Bachar al-Assad ?

La première vertu du stratège, c’est le réalisme. La mission première d’un chef d’Etat est d’assurer la sécurité de ses citoyens, pas de faire de la morale. Désormais les choses sont cependant plus claires :  Bachar al-Assad est militairement soutenu par la Russie et il fera donc partie du compromis à trouver pour sortir de cette crise.

Le rendez-vous de New-York lors de l’assemblée générale de l’ONU a été un grave échec. Il aurait fallu que les Etats-Unis, la Russie, la France fassent cause commune pour éteindre le feu, et donc lutter contre Daech. Après, il sera toujours temps de négocier, sachant que le président russe est évidemment plus attaché à sa base de Tartous qu’à Assad.

Faut-il envoyer des troupes au sol ?

Eventuellement, mais seulement quand on aura clairement déterminé l’état final recherché : en stratégie, la question des moyens est toujours une question de deuxième ordre, même si elle interagit avec la question de la finalité. Des troupes, mais quelles troupes ? Quelles nationalités ? Quelles religions ? Questions complexes. Quel volume de forces et quels risques, pour un engagement forcément très long, dans de vastes espaces ?

En 2003, l’armée américaine en Irak a mis un an pour reconquérir le Tigre et l’Euphrate avec 150.000 hommes. Elle a mis finalement neuf mois pour faire tomber Falloujah avec 40.000 hommes, dont 15.000 Américains. En comparaison, l’armée française a pu mobiliser un maximum de 5.000 hommes au Mali !

La France devait-elle en 2011 contribuer au renversement du colonel Kadhafi ?

A part Nicolas Sarkozy, qui défend, encore aujourd’hui, cette intervention ? Cet engagement n’était pas nécessaire. Je suis très critique quant à cette opération, mais pas plus que ceux qui savent que, dans la guerre, ce qui compte ce n’est pas l’intention initiale mais le résultat final. Et les conséquences de cette intervention, c’est non seulement la destruction de la Libye, mais aussi les migrants et le chaos que l’on a installé durablement au Sahel, et, pour bonne part, la consolidation de Boko Haram.

Autant, clairement, le 31 août 2013, il fallait lancer l’opération prévue contre les troupes de Bachar al-Assad, autant en Libye, il eut été infiniment plus sage de s’arrêter au but initialement fixé – arrêter la poussée blindée devant Benghazi – et ne pas laisser dériver dramatiquement la mission.

Propos recueillis par Anne Bauer et Jacques Hubert-Rodier 

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On pourra aussi l’écouter ici sur France Inter ou là au club de la presse Europe 1.

Vincent Desportes : “La Russie est un allié objectif de la sécurité des Français”

Source: http://www.les-crises.fr/general-desportes%e2%80%89-%e2%80%89au-rythme-actuel-larmee-francaise-sera-bientot-epuisee%e2%80%89/


Revue de presse du 03/11/2015

Tuesday 3 November 2015 at 01:21

Une revue francophone qui s’échappe exceptionnellement du week-end avec au sommaire de faux vrais chiffres, de vraies fausses informations, de vrais faux stagiaires, de fausses vraies retraites, de vraies fausses vitrines, de vraies fraudes mais pas tant que ça, de vraies amendes, de faux dividendes, de faux savoirs (enfin pas “utiles”), et de l’argent virtuel (pour nous bientôt en tout cas)… Bonne lecture.

P.S. nous avons besoin de butineurs pour nous aider à réaliser cette revue – n’hésitez pas à nous écrire

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-03112015/


Le parti de la liquette par Frédéric Lordon

Monday 2 November 2015 at 03:02

par Frédéric Lordon, 9 octobre 2015

Source : Le Monde diplomatique

« Le Salaire de la peur », de George Clouzot
1954

Si l’on avait le goût de l’ironie, on dirait que le lamento décliniste ne se relèvera pas d’un coup pareil, d’une infirmation aussi catégorique ! Coup d’arrêt au déclin ! Mais l’ironie n’enlève pas la part de vérité, fut-elle ténue : un pays où les hommes du capital finissent en liquette est un pays qui a cessé de décliner, un pays qui commence à se relever. Car, dans la tyrannie du capital comme en toute tyrannie, le premier geste du relèvement, c’est de sortir de la peur.

Le salaire de la peur

Le capitalisme néolibéral règne à la peur. Il a été assez bête, demandant toujours davantage, pour ne plus se contenter de régner à l’anesthésie sucrée de la consommation. La consommation et la sécurité sociale étaient les deux piliers de sa viabilité politique. Le voilà qui s’acharne à détruire le second – mais Marx ne se moquait-il pas déjà « des intérêts bornés et malpropres » de la bourgeoisie, incapable d’arbitrer entre profits financiers immédiats et bénéfices politiques de long terme, acharnée à ne rien céder même quand ce qu’il y a à céder gage la viabilité de longue période de son règne ?

Sans doute, en comparaison, l’ankylose par le gavage marchand continue-t-elle de recevoir les plus grands soins. Tout est fait d’ailleurs pour convaincre l’individu qu’en lui, seul le consommateur compte, et que c’est pour lui qu’on commerce avec le Bangladesh, qu’on ouvre les magasins le dimanche et… que « les plans sociaux augmentent la compétitivité pour faire baisser les prix ». « Oubliez le salarié qui est en vous » est l’injonction subliminale mais constamment répétée, pour que cette identité secondaire de producteur disparaisse du paysage.

Comme on sait, le refoulé a pour propre de faire retour, et les identités sociales déniées de revenir. Dans le plus mauvais cas privativement, et ce sont des individus séparés-atomisés, qui chacun par devers eux se souviennent que le Bangladesh est aussi le lieu de destination de la délocalisation qui a fait leur plan social, ou que la consommation « libérée » des autres fait leur astreinte du dimanche à eux. Dans le meilleur des cas collectivement. Car c’est collectivement, d’une part qu’on sort de la peur, et d’autre part qu’on a quelque chance de faire paraître sur la scène publique qu’il y a des producteurs, contre tout le travail idéologique qui s’efforce de les faire oublier pour que rien ne vienne troubler la félicité des consommateurs.

L’accès à la consommation élargie aura sans doute été l’opérateur passionnel le plus efficace de la stabilisation politique du capitalisme. Mais, sauvé des eaux au sortir de la séquence Grande Dépression-Guerre mondiale, le capitalisme n’a pas manqué de se réarmer dans le désir de la reconquête, et d’entreprendre de revenir sur tout ce qu’il avait dû lâcher pendant les décennies fordiennes… et à quoi il avait dû son salut. Néolibéralisme est le nom de la reconquista, le nom du capitalisme sûr de sa force et décidé à obtenir rien moins que tout. Le capital entend désormais se donner libre cours. Toute avancée sociale est un frein à ôter, toute résistance salariale un obstacle à détruire. Dans une conférence mémorable (1) et qui mériterait bien quelques tours de JT, Alexandre de Juniac observe que, la notion d’« enfant » ayant historiquement varié, l’interdiction de leur mise au travail est une question qui mériterait elle-même d’être remise au travail. Et de faire part, puisqu’il disserte sur la relativité de la notion d’« acquis sociaux », des réflexions de son collègue de Qatar Airways qui le plaint beaucoup d’avoir eu à essuyer une grève : « M. de Juniac, chez nous on les aurait tous envoyés en prison ».

Si donc la mobilisation productive doit se faire sous le coup de la terreur, ainsi sera-t-il. En réalité le capitalisme néolibéral n’a pas à forcer son talent, car la terreur est le fond inaltérable du capitalisme tout court. Seul le recouvrement de la stabilisation macroéconomique (relative…) et de ce qui reste de protection sociale empêche de voir le roc ultime sur lequel le capital a assis son pouvoir : la prise d’otage de la vie nue. Réalité pourtant massive dont les salariés font la douloureuse expérience lorsque l’employeur, dont ils dépendent en tout et pour tout, décide qu’ils sont surnuméraires. En tout et pour tout en effet, puisque le salaire, condition de la vie matérielle dans ses nécessités les plus basales, est, par-là, la condition de la vie tout court, le prérequis à tout ce qui peut s’y construire. Et qu’en être privé c’est frôler l’anéantissement social – parfois y tomber carrément.

Comme de juste, la menace qui fait tout le pouvoir du capital et de ses hommes, menace du renvoi des individus ordinaires au néant, cette menace n’a pas même besoin d’être proférée pour être opératoire. Quoi qu’en aient les recouvrements combinés de la logomachie managériale, de l’idéologie économiciste et de la propagande médiatique, le fond de chantage qui, en dernière analyse, donne toute sa force au rapport d’enrôlement salarial est, sinon constamment présent à l’esprit de tous, du moins prêt à resurgir au moindre conflit, même le plus local, le plus « interpersonnel », où se fait connaître dans toute son évidence la différence hiérarchique du supérieur et du subordonné – et où l’on voit lequel « tient » l’autre et par quoi : un simple geste de la tête qui lui montre la porte.

Il faut donc, en particulier, toute l’ignominie du discours de la théorie économique orthodoxe pour oser soutenir que salariés et employeurs, adéquatement rebaptisés sous les étiquettes neutralisantes d’« offreurs » et de « demandeurs » de travail – car, au fait oui, si dans la vraie vie ce sont les salariés qui « demandent un emploi », dans le monde enchanté de la théorie ils « offrent du travail » ; autant dire qu’ils sont quasiment en position de force… –, il faut donc toute la force de défiguration du discours de la théorie économique pour nous présenter l’inégalité fondamentale de la subordination salariale comme une relation parfaitement équitable entre co-contractants symétriques et égaux en droit.

De part et d’autre du revolver

La réalité du salariat c’est le chantage, et la réalité du chantage c’est qu’il y a une inégalité entre celui qui chante et celui qui fait chanter – on ne se porte pas identiquement à l’une ou l’autre extrémité du revolver. Même les salariés les plus favorisés, c’est-à-dire les plus portés à vivre leur enrôlement sur le mode enchanté de la coopération constructive, et à trouver scandaleusement outrancier qu’on en parle dans des termes aussi péjoratifs, même ces salariés sont toujours à temps de faire l’expérience du voile déchiré, et de l’os à nouveau découvert. Car c’est bien sûr à l’épreuve, non pas des temps ordinaires, mais du différend que se montrent les vrais rapports de pouvoir. Et que se posent à nouveau des questions – les questions élémentaires de la relation salariale – comme : jusqu’où puis-je porter la contestation devant mon supérieur, avec quel ton puis-je lui parler, quelle latitude réelle ai-je de refuser ce qu’on (il) m’impose de faire et que je ne veux pas faire et, pour finir : ce différend s’accomplit-il vraiment dans les mêmes conditions que celui que je pourrais avoir avec quelqu’un dont je ne dépendrais pas et dont je n’aurais rien à craindre – en situation d’égalité. L’individu qui plie n’en a-t-il pas toujours sourdement conscience du seul fait de se dire que « dans d’autres conditions, ça ne se passerait pas comme ça » ? La dépendance vitale et, subséquemment, la peur, voilà la vérité ultime du salariat telle qu’elle se dévoile inévitablement, non pas quand tout va bien, mais à l’épreuve du différend, dont le mode de résolution ultime a un nom : l’obéissance.

Et cependant l’époque se gargarise d’« égalité démocratique » quoiqu’elle laisse prospérer en son sein toute une organisation collective de la vie matérielle dont l’ultime ressort est la peur. Pourquoi, en dernière analyse, le capital règne-t-il sur les individus ordinaires ? Parce qu’il a les moyens de leur faire courber la tête. Le socioéconomiste Albert Hirschmann a résumé d’une trilogie frappante, mais peut-être insuffisante, les attitudes possibles de l’individu en situation institutionnelle : loyaltyvoiceexit.  Loyalty comme son nom l’indique ; voice quand on choisit de l’ouvrir – mais jusqu’où, quand l’institution est l’entreprise capitaliste ? – ; exit quand on ne se sent plus le choix que de prendre le large – mais à quel coût quand « le large » signifie l’abandon du salaire qui fait vivre ?

En vérité il faudrait augmenter la trilogie d’une quatrième figure qu’on pourrait baptiser guilt.  Guilt, c’est le mouvement de retournement contre soi par lequel le salarié introjecte la violence institutionnelle-capitaliste qui lui est faite en se mettant en cause lui-même. Guilt connait deux modalités. Therapy (2) – le salarié se pense comme insuffisant et entreprend de se soigner : se vivant comme mal adapté, il se rend à l’idée que ce n’est pas l’environnement odieux auquel il est sommé de s’adapter qui doit être changé, mais lui-même, et qu’il lui appartient de faire le chemin de l’adaptation – terrible fatalité de l’émiettement individualiste du salariat puisqu’il est bien certain que, seul, nul moyen n’existe de changer l’« environnement », et que nulle idée politique d’un tel changement ne peut naître : il ne reste plus que soi à mettre en cause. Et la vérole du coaching prospère sur ce désespérant terrain.

Therapy donc, et puis suicide. Soit le fin fond de la violence introjectée. Tragique retournement par lequel les individus, privés des ressources collectives de lutter contre l’ennemi du capital, se font, par défaut, les ennemis d’eux-mêmes, et, dit-on, « se tuent », quand en vérité c’est bien autre chose qui les a tués. Quand le discours managérial ne fait pas du suicide une « mode », à l’image de l’excellent président de France Télécom qui voyait la défenestration comme une tendance, le discours médiatique, spécialisé dans l’inconséquence et la déploration sans suite, se contente de chialer un peu, de faire une manchette qui dit que c’est bien triste, puis de ne rien mettre en cause de sérieux, de n’avoir aucune suite dans les idées, et de passer aussi vite que possible à autre chose. Après quoi la violence d’une chemise en lambeaux lui semble intolérable.

Les responsables structuraux

Sans doute la conscience immédiate se cabre-t-elle spontanément à la seule image générique d’une violence faite à un homme par d’autres hommes. Mais précisément, elle ne se cabre que parce que cette image est la seule, et qu’elle n’est pas mise en regard d’autres images, d’ailleurs la plupart du temps manquantes : l’image des derniers instants d’un suicidé au moment de se jeter, l’image des nuits blanches d’angoisse quand on pressent que « ça va tomber », l’image des visages dévastés à l’annonce du licenciement, l’image des vies en miettes, des familles explosées par les tensions matérielles, de la chute dans la rue. Or rien ne justifie le monopole de la dernière image – celle du DRH. Et pourtant, ce monopole n’étant pas contesté, l’image monopolistique est presque sûre de l’emporter sur l’évocation de tous les désastres de la vie salariale qui, faute de figurations, restent à l’état d’idées abstraites – certaines d’avoir le dessous face à la vivacité d’une image concrète. Et comme le système médiatique s’y entend pour faire le tri des images, adéquatement à son point de vue, pour nous en montrer en boucle certaines et jamais les autres, c’est à l’imagination qu’il revient, comme d’ailleurs son nom l’indique, de nous figurer par images mentales les choses absentes, et dont l’absence (organisée) est bien faite pour envoyer le jugement réflexe dans une direction et pas dans l’autre. Dans son incontestable vérité apparente, l’image isolée du DRH est une troncature, et par conséquent un mensonge.

La presse unanime

Sans doute, à froid et à distance des situations, la pensée renâcle-t-elle, elle aussi, à l’imputation personnelle d’effets qui devraient être mis au compte d’une structure impersonnelle – car, analytiquement parlant, c’est toute la structure des rapports sociaux du capitalisme qui est à l’œuvre dans la « situation Air France », bien au-delà d’un DRH qui passe par là au mauvais moment. Mais c’est que, si l’on n’y prend garde, « l’analyse » a vite fait de tourner à l’asile des dominants, et l’impersonnalité des structures au dégagement de toutes les contributions personnelles : « le système s’impose par sa force propre et personne n’y peut rien ». Le terme de l’analyse c’est toujours l’abstraction du « système », bien faite pour saper la question de la révolte qui est toujours concrète : car comment se révolter concrètement contre une abstraction ? En réalité, l’explosion colérique se moque bien de ces subtilités : elle prend ce qui lui tombe sous la main – le mobilier de la sous-préfecture ou la limouille du DRH.

La vue structurale des choses cependant n’est pas entièrement condamnée à l’impossibilité des mises en cause individuelles. Qui peuvent être de trois sortes. Car si l’on veut se donner la peine d’y regarder de plus près, des individus particuliers, on en distinguera bien quelques-uns. Il y a ceux qui ont fait les structures, ceux qui les font tourner, enfin ceux qui les célèbrent et, les célébrant, s’efforcent de barrer toute tentative de les changer.

Il y a d’abord en effet que les structures ne tombent pas du ciel : elles ont été faites de main d’homme – en tout cas de certains hommes. Qui a fait la libéralisation financière depuis le milieu des années 1980 ? Qui a poussé les feux de toutes les déréglementations européennes ? Qui a signé les traités commerciaux internationaux ? Qui usine le TTIP ? Qui envisage de faire sauter les protections du droit du travail ? En résumé, qui a installé les structures de la violence néolibérale ? Qui a mis en place les cadres institutionnels libérant de toute retenue la valorisation du capital et lui ouvrant des latitudes stratégiques, c’est-à-dire des possibilités de brutaliser, sans précédent : chantage à la compétitivité, menace de la délocalisation, démantèlement des formes institutionnalisées de la résistance salariale – contre-pouvoirs syndicaux, règles du licenciement, organisation de la négociation sociale, etc. ? Voilà bien des questions précises auxquelles on peut tout à fait donner des réponses précises, c’est-à-dire des noms – spécialement en ce moment.

Il y a ensuite que, ces structures en place, elles n’œuvrent pas toutes seules : les rapports qu’elles déterminent sont effectués – par des individus concrets. En partie dépassés par les structures dont ils sont les opérateurs, parfois secrètement réticents à ce qu’elles leur font faire, parfois collaborateurs zélés de leur effectuation. Aussi ceux qui ajoutent leur touche particulière odieuse à l’effectuation de rapports odieux sont-ils sans doute spécialement (auto-)désignés à l’imputation personnelle des effets de structure impersonnels… Les salariés ne s’y trompent pas d’ailleurs qui savent le plus souvent distinguer le malgré-lui modérateur du vrai salaud.

Les artisans de l’impasse – les vrais fauteurs de violence

Il y a enfin, en apparence les plus distants mais peut-être les pires, les célébrants de la structure, les conservateurs symboliques de l’état des choses. Eloignés du théâtre des opérations à un point qui semble rendre absurde leur mise en cause, il faut pourtant les remettre en première ligne de la responsabilité. Accompagnant depuis des décennies toutes les transformations, présentées comme « inéluctables », d’où le capital a tiré une emprise sans précédent sur la société, ils ont interdit que cette emprise soit reconnue, et nommée, pour ce qu’elle est : une forme de tyrannie ; ils ont systématiquement empêché que s’en élabore dans la société une contestation institutionnalisée, c’est-à-dire une mise en forme symbolique et politique des tensions que ce capitalisme ne pouvait manquer de faire naître, et sont par-là les vrais agents de la fermeture.

Tautologiquement, des colères qui ne se trouvent plus aucune solution de symbolisation, n’ont plus accès qu’à des expressions désymbolisées : l’explosion de rage. Mais à qui doit-on ces impasses dont ceux qui s’y trouvent coincés n’ont plus que la ressource de faire péter un mur pour en sortir ? À qui sinon à ceux qui ont aménagé l’impasse même, bétonné le débat, répété l’inéluctable état des choses, pédagogisé sa nécessité, ridiculisé, disqualifié et finalement fait barrage à toute idée critique, donc empêché toute formation d’une perspective politique alternative qui aurait fait réceptacle ?

De ce point de vue, et quelque désaccord qu’on ait avec lui, on pourra tenir pour exemplaire le traitement ignoble, notamment iconographique, réservé à Jean-Luc Mélenchon dans Libération, et d’ailleurs dans toute la presse de droite complexée qui le vomit à un point inimaginable, précisément parce qu’il est le seul acteur significatif du champ politique à y faire entendre le point de vue de l’oppression salariale, et rendre au moins concevable qu’une ligne politique soit tirée à partir de là (quant à sa réalité, c’est une autre affaire, et on jugera(it) sur pièce). S’il y a quelque chose comme des « responsables structuraux » de la violence, les gate-keepers médiatiques en font assurément partie. Avec au surplus cette ironie amère que ceux qui ont fermé tous les degrés de liberté du système, ne laissant plus ouverte que l’alternative de la chape ou de l’explosion, sont ceux-là mêmes qui viennent faire la leçon outragée quand « ça explose ».

Forcément cette presse de gauche de droite, puisque c’est par définition à la presse de gauche que revenait de créer les espaces organisés de la critique et par là les conditions de possibilité de la symbolisation politique, cette presse-là, passée à droite et démissionnaire de sa fonction historique, tombe au dernier degré de l’embarras quand il lui faut faire face à de telles éruptions de colère. On voit d’ici la balance de précision où a été pesé l’éditorial de Libération, qui s’efforce de tenir ensemble la condamnation des « inadmissibles violences » et la compassion pour les salariés restructurés, qui va même jusqu’à parler de « la violence des plans sociaux » (3) mais pour soigneusement éviter, dans le parfait équilibre des violences symétriques, de prendre le moindre parti net, essence du joffrinisme qui a pour seule ligne directrice le louvoiement, la conciliation apparente des inconciliables – mais le parti pris réel, car il y en quand même bien un, quoique inavouable quand on s’accroche ainsi à son étiquette de « gauche » alors qu’on est finalement aussi à droite, le parti pris foncier pour l’ordre social présent, jugé bon dans sa globalité, sans doute perfectible de ci de là, mais grâce au ciel le rosanvallonisme ou le pikettisme sont là pour nous fournir les rustines.

Voilà donc ce que jamais on ne lira nettement dans Libération ni dans aucun de ses semblables : que cette image des deux hauts cadres en liquette est un symptôme de plus, après beaucoup d’autres restés ignorés, d’un monde à changer d’extrême urgence. Que, faute de toute solution politique d’un tel changement, solution que des organes comme Libération se sont appliqués à empêcher d’advenir, cette image est au total porteuse d’espoir : car c’est l’image du corps social qui, par ses propres moyens, commence à sortir de son tréfonds d’impuissance, qui n’a plus peur de la tyrannie du capital. On ne lira pas non plus dans Libération que les détails de la situation n’ont pas grande importance, ni le salaire des pilotes ni l’état financier d’Air France, car, dans l’époque qui est la nôtre, l’important est le salariat qui relève la tête, quelle qu’en soit la fraction, l’exemple ainsi donné aux autres, et que ceci est un bon signe. On n’y lira pas enfin que Manuel Valls est le méta-voyou, celui qui non seulement prend le parti des voyous, mais traite de voyous les victimes des voyous.

Le parti du capital

Au vrai c’est toute la droite générale, celle qui va du PS à l’UMP, organes médiatiques inclus, qui, dans un spasme réflexe a refait son unité, comme toujours quand un événement à fort pouvoir de classement la soumet de nouveau à l’épreuve – référendums européens, conflits sociaux durcis, etc. Bien sûr, dans la droite générale, il y a la composante honteuse, qui préférera s’abstenir de paraître. A côté des habituels L’OpinionLe FigaroLes EchosLe Parisien, dont les unes sont toutes plus gratinées les unes que les autres, la presse de droite complexée fait courageusement la sienne sur un écrivain suédois disparu – abstention qui a malheureusement tout le poids d’un parti. Le parti pris d’un certain parti, qui est ce parti informel de l’ordre social capitaliste, parti agglomérant bien sûr des partis politiques au sens classique du terme, on a dit lesquels, mais également tous ceux qui concourent activement à sa reproduction symbolique, économistes, éditorialistes, faux intellectuels, à commencer par ceux qu’on pourrait appeler les objecteurs cosmétiques, spécialistes de la critique secondaire, passionnés de l’inessentiel, stratèges de l’évitement (4) , en tout cas tous bien occupés à fermer le champ du pensable, pour donner comme impensable que les choses soient fondamentalement autres qu’elles ne sont.

C’est qu’en effet, de ceux qui installent les structures à ceux qui les font tourner en passant par ceux qui les déclarent nécessaires (quand ils ne les disent pas admirables), tout ça fait du monde ! Un parti de fait. Le parti du capital. Car on peut bien appeler « parti du capital » l’ensemble de ceux qui approfondissent le règne du capital, qui s’abstiennent de lui opposer la moindre critique sérieuse, et qui barrent résolument la route à ceux qui auraient le projet de le faire. Le parti du capital va donc bien au-delà des seuls capitalistes, mais se scandalise uniement lorsque des têtes se relèvent.

Pour ce grand parti informel, nul doute que les images d’Air France n’ont rien que de glaçant. C’est qu’elles lui tendent le miroir de son devenir possible : en parti de la liquette, grand rassemblement des candidats à la guenille car, avéré l’inexistence des solutions institutionnelles d’endiguement à froid du capital et de son emprise totalitaire sur la société, la probabilité des solutions à chaud va croissant chaque jour. À ce stade d’ailleurs, ça n’est même plus une question de préférence ou de jugement : c’est une question entièrement positive. Quoi qu’on en pense, la tyrannie, la maltraitance que rien n’arrête, finissent toujours, privées de régulation externe et incapables de contenir leur propre tendance interne à l’abus, par franchir un de ces seuils invisibles où la peur des maltraités se retourne en fureur. Il ne faudra pas venir chialer ce jour-là qu’il y a du verre brisé et « d’inadmissibles violences » comme dirait l’éditorialiste de Libération. Car quand le couvercle de la cocotte ne peut plus que sauter, il saute ! Et les vrais coupables sont ceux qui ont installé la gazinière, monté le feu, et célébré la nouvelle cuisine.

Dernière station avant l’autoroute

Battue par trois décennies de néolibéralisme, la société en arrive à un point à la fois de souffrance et d’impossibilité où la question de la violence en politique va devoir se poser à nouveaux frais, question tabouisée par excellence et pourtant rendue inévitable au point de faillite de tous les médiateurs symboliques où nous sommes. Les galéjades habermassiennes de « l’agir communicationnel » paraissant maintenant pour ce qu’elles sont – une illusion de démocratie discursive recouvrant les rapports de force réels, la surdité arrogante des dominants et l’imposition sans appel de leur ordre (on ne s’étonnera pas qu’elles soient régulièrement célébrées dans Le Monde) –, le compte des solutions de transformation sociale réelle est vite fait. Comme s’il s’efforçait inconsciemment de rejoindre son concept, le parti de la liquette, fermant toute autre possibilité, crée la situation de l’épreuve de force. Il finira bien par l’avoir.

Epreuve de force et épreuve de vérité. Car la presse tombe le masque quand l’ordre de la domination capitaliste est réellement pris à partie, fut-ce très localement, et qu’il l’est de la seule manière que les dominés aient à leur disposition, puisque abandonnés de tous, sans le moindre espoir que leur parole soit portée ni dans le cénacle des institutions politiques ni dans l’opinion publique par un canal médiatique mentalement et financièrement inféodé, privés donc de tous les recours de la lutte symbolique, ils n’ont plus que leur bras pour exprimer leur colère.

On ne dira jamais assez combien c’est la réduction au dénuement symbolique qui jette les individus dans l’action physique – désymbolisée. Pas plus qu’on ne rappellera jamais assez que des hommes ou des femmes, qui n’ont somme toute que le désir de vivre paisiblement et de jouir d’une stabilité matérielle minimale, qui n’ont en réalité aucune préférence pour la lutte et encore moins pour la violence, car ils n’aspirent qu’à la tranquillité, ces hommes et ces femmes, donc, ne sortent de leurs gonds que parce que quelque chose, ou quelqu’un, les en a fait sortir.

C’est peut-être une économie générale de l’offense qui commence à se manifester ici, dans laquelle il n’y aura pas à payer que l’état objectif de la violence sociale capitaliste, mais également, petit supplément qui fait parfois les grandes révolutions, cette inimitable touche d’arrogance ajoutée par les dominants aux structures de leur domination. Et c’est vrai que le parti du capital, futur parti de la liquette, n’en aura pas manqué. Depuis les rires gras de l’assistance patronale de Royaumont entendant de Juniac briser quelques « tabous » de son cru, comme le travail des enfants ou l’emprisonnement des grévistes, jusque, dans un autre genre, aux selfies rigolards venant couronner des années de consciencieux efforts pour expliquer aux peuples européens dévastés par l’austérité qu’ils l’avaient bien cherchée (5) .

Quand la loi a démissionné, les dominants ne connaissent qu’une force de rappel susceptible de les reconduire à un peu de décence : la peur – encore elle. C’est bien celle que leur inspirait le bloc soviétique qui les a tenus à carreaux pendant les décennies fordiennes. À des individus que le sens de l’histoire n’étouffe pas, la chute du Mur et l’effacement du mouvement communiste n’ont rien signifié d’autre qu’« open bar ». Dans cette pensée dostoïevskienne du pauvre, ou plus exactement du nouveau riche, « si le communisme est mort, alors tout est permis ». L’instance externe de la peur effondrée, et l’instance interne de la contention – le pouvoir politique – passée avec armes et bagages du côté des forces qu’elle avait à contenir, la peur ne retrouvera plus d’autre origine que diffuse et immanente : elle viendra du bas – du bas qui se soulève.

Les dévots qui se sont engagés corps et âme dans la défense d’un ordre ignoble et forment sans le savoir l’avant-garde de la guenille, sont encore trop bêtes pour comprendre que leur faire peur en mots – ou bien en tartes à la crème – est la dernière solution pour leur éviter de connaître plus sérieusement la peur – dont ils ne doivent pas douter qu’elle viendra, aussi vrai qu’une cocotte sans soupape finit par exploser. Aussi s’empresseront-ils d’incriminer les « apologètes de la violence » sans même comprendre que signaler l’arrivée au point de violence, le moment où, du fond de l’impasse, elle va se manifester, est le plus sûr moyen, en fait le seul, de forcer la réouverture de perspectives politiques, et par là d’écarter l’advenue de la violence.

Frédéric Lordon

 

Source: http://www.les-crises.fr/le-parti-de-la-liquette-par-frederic-lordon/


Le déclin des intellectuels français par Sudhir Hazareesingh

Monday 2 November 2015 at 01:02

Par SUDHIR HAZAREESINGH

Source : Politico, le 22/09/2015

Michel Houellebecq

Paris a cessé d’être un centre majeur d’innovation dans les sciences humaines et sociales.

Une des inventions les plus caractéristiques de la culture française moderne est « l’intellectuel ».

En France, les intellectuels ne sont pas seulement des experts dans leurs domaines particuliers, comme la littérature, l’art, la philosophie et l’histoire. Ils parlent aussi en termes universels et l’on attend d’eux qu’ils donnent des conseils moraux sur des questions générales, sociales et politiques. En effet, les plus éminents intellectuels français sont des figures presque sacrées, qui devinrent des symboles mondiaux des causes qu’ils ont soutenues – ainsi la puissante dénonciation de l’intolérance religieuse par Voltaire, la vibrante défense de la liberté républicaine par Rousseau, l’éloquente diatribe de Victor Hugo contre le despotisme napoléonien, le plaidoyer passionné d’Émile Zola pour la justice pendant l’Affaire Dreyfus et la courageuse défense de l’émancipation des femmes par Simone de Beauvoir.

Par-dessus tout, les intellectuels ont fourni aux Français un sentiment réconfortant de fierté nationale. Comme le dit le penseur progressiste Edgar Quinet, non sans une certaine dose de fatuité bien gauloise : « La vocation de la France est de s’employer à la gloire du monde, pour d’autres autant que pour elle, pour un idéal qui reste encore à atteindre d’humanité et de civilisation mondiale. »

* * *

Cet intellectualisme français s’est aussi manifesté à travers un éblouissant éventail de théories sur la connaissance, la liberté et la condition humaine. Les générations successives d’intellectuels modernes – la plupart d’entre eux formés à l’École Normale Supérieure de Paris – ont très vivement débattu du sens de la vie dans des livres, des articles, des pétitions, des revues et des journaux, créant au passage des systèmes philosophiques abscons comme le rationalisme, l’éclectisme, le spiritualisme, le républicanisme, le socialisme, le positivisme et l’existentialisme.

 

Cette fiévreuse activité théorique atteint son apogée dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale avec l’apparition du structuralisme, une philosophie globale qui soulignait l’importance des mythes et de l’inconscient dans la compréhension humaine. Ses principaux représentants étaient le philosophe Michel Foucault, homme de culture et d’influence, et l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, tous deux professeurs au Collège de France. Parce qu’il partageait son nom avec celui d’une célèbre marque de vêtements américains, Lévi-Strauss reçut toute sa vie des lettres lui commandant des blue-jeans.

Le symbole suprême de l’intellectuel « Rive Gauche» fut le philosophe Jean-Paul Sartre, qui mena le rôle de l’intellectuel public à son paroxysme. L’intellectuel engagé avait le devoir de se consacrer à l’activité révolutionnaire, de remettre en cause les orthodoxies et de défendre les intérêts de tous les opprimés. Le rayonnement de Sartre tient beaucoup à sa manière d’incarner l’intellectualisme français et sa promesse utopique d’un avenir radieux : son ton radical et polémique et sa célébration de l’effet purificateur du conflit, son style de vie insouciant et bohème qui rejetait délibérément les conventions de la vie bourgeoise, et son mépris affiché pour les institutions établies de son époque, qu’il s’agisse de l’État républicain, du Parti communiste, du régime colonial français en Algérie ou du système universitaire.

Voltaire

Selon ses termes, il était toujours « un traître » – et cet esprit d’anticonformisme était au centre de l’aura des intellectuels français modernes. Et bien qu’il détestât le nationalisme, Sartre contribua inconsciemment à ce sentiment français de grandeur par son incarnation de la prééminence culturelle et intellectuelle, et par sa supériorité facile. En effet, Sartre était sans aucun doute une des figures françaises les plus célèbres du 20e siècle et ses écrits et polémiques furent ardemment suivis par les élites culturelles à travers le monde, de Buenos Aires à Beyrouth.

* * *

La Rive gauche d’aujourd’hui n’est plus qu’un pâle reflet de cet éminent passé. À Saint-Germain-des-Prés, les boutiques de mode ont remplacé les entreprises de la pensée. En fait, à de rares exceptions près, comme le livre de Thomas Piketty sur le capitalisme, Paris a cessé d’être un centre majeur d’innovation en sciences humaines et sociales.

Les traits dominants de la production intellectuelle française contemporaine sont ses penchants superficiels et convenus (qu’incarne un personnage comme Bernard-Henri Lévy) et son pessimisme austère. Aujourd’hui, en France, les pamphlets en tête des ventes de littérature non-romanesque ne sont pas des œuvres offrant la promesse d’une nouvelle aube, mais de nostalgiques appels à des traditions perdues d’héroïsme, comme « Indignez Vous! » (2010) de Stéphane Hessel, et des monologues islamophobes et pleurnichards répercutant le message du Front national de Marine Le Pen sur la destruction de l’identité française.

Deux exemples récents sont « L’Identité Malheureuse » (2013) d’Alain Finkielkraut et « Le Suicide Français » d’Eric Zemmour (2014), tous deux imprégnés d’images de dégénérescence et de mort. L’œuvre la plus récente dans cette veine morbide est « Soumission » de Michel Houellebecq (2015), un roman dystopique qui met en scène l’élection d’un islamiste à la présidence française, sur fond d’une désintégration générale des valeurs des Lumières dans la société française.

* * *

Comment expliquer cette perte de repères française ? Les changements du paysage culturel environnant ont eu un impact majeur sur la confiance en soi française. La désintégration du marxisme à la fin du 20e siècle a laissé un vide qui n’a été rempli que par le post-modernisme.

Mais les écrits de gens comme Foucault, Derrida et Baudrillard aggravèrent le problème, par leur opacité délibérée, leur fétichisme du jeu de mots insignifiant et leur refus de la possibilité d’un sens objectif (la vacuité du post-modernisme est brillamment parodiée dans le dernier roman de Laurent Binet, « La septième fonction du langage », une enquête criminelle autour de la mort du philosophe Roland Barthes en 1980).

Mais la réalité française est elle-même loin d’être réconfortante. L’enseignement supérieur français, surpeuplé et sous-financé, part en lambeaux, comme l’indique le rang relativement bas des universités françaises dans le classement académique des universités mondiales de Shanghai. Le système est devenu à la fois moins méritocratique et plus technocratique, produisant une élite manifestement moins sophistiquée et intellectuellement créative que celle de ses prédécesseurs du 19e siècle et du 20e siècle : le contraste à cet égard entre Sarkozy et Hollande, qui peuvent à peine s’exprimer en français, et leurs prédécesseurs à la présidence, éloquents et cérébraux, est saisissant.

Sans doute la raison la plus importante de cette perte de dynamisme intellectuel française est le sentiment croissant qu’il y a eu un recul important de la puissance française sur la scène mondiale, dans ses dimensions basiquement matérielles, mais aussi culturelles. Dans un monde dominé politiquement par les États-Unis, culturellement par les sournois « Anglo-Saxons » et en Europe par le pouvoir économique de l’Allemagne, les Français luttent pour se réinventer.

Peu d’auteurs français contemporains – avec l’exception notable de Houellebecq – sont très connus hors de leurs frontières, pas même de récents prix Nobel comme Le Clézio et Patrick Modiano. L’idéal de la francophonie n’est qu’une coquille vide, et derrière ses beaux discours, l’organisation a peu de résonance réelle parmi les communautés francophones du monde.

Ceci explique pourquoi les intellectuels français semblent si sombres quant à leur avenir national et sont devenus d’autant plus égocentriques, et de plus en plus tournés vers leur passé national : comme l’historien français Pierre Nora l’a déclaré plus franchement, la France souffre « de provincialisme national ». Il est intéressant de noter, dans ce contexte, que ni l’effondrement du communisme dans l’ancien bloc soviétique, ni le printemps arabe, n’ont été inspirés par la pensée française – en opposition totale avec la philosophie de libération nationale qui a soutenu la lutte contre le colonialisme européen, qui fut façonnée de manière décisive par les écrits de Sartre et Fanon.

En effet, alors que l’Europe cafouille honteusement dans sa réponse collective à l’actuelle crise des réfugiés, force est d’admettre que la réaction qui a été le plus en accord avec l’héritage rousseauiste d’humanité et de fraternité cosmopolite des Lumières n’est pas venue de la France socialiste, mais de l’Allemagne chrétienne-démocrate.

Sudhir Hazareesingh est enseignant en sciences politiques au Balliol College, à Oxford. Son nouveau livre, « How the French think: an affectionate portrait of an intellectual people » [« Comment pensent les Français : un portrait affectueux d'un peuple intellectuel »], est publié par Allen Lane à Londres et Basic Books à New York. La version française est publiée par Flammarion sous le titre « Ce pays qui aime les idées ».

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-declin-des-intellectuels-francais-par-sudhir-hazareesingh/


L’industrie des médias censure le rapport du Pentagone qui révèle le rôle des États-Unis dans la création de l’État Islamique. Par Jay Syrmopoulos

Monday 2 November 2015 at 00:10

Par Jay Syrmopoulos

Source : The Free Thought Project.com, le 02/06/2015

Dans un article répercuté à travers le monde, le journaliste primé la semaine dernière et chercheur docteur Nafeez Ahmed a révélé des informations ahurissantes sur la complicité américaine dans la création et l’ascension de l’État Islamique, ainsi qu’elles ont été trouvées dans un rapport des Services de Renseignements de la Défense (DIA) récemment déclassé.

Lisez l’article censuré par l’industrie des médias sur le rapport secret du renseignement américain révélant qui a réellement créé Daech http://www.middleeasteye.net/columns/pentagon-confirms-west-gulf-states-and-turkey-created-islamic-state-608321312

Le rapport du Pentagone dit que les pays occidentaux, du golfe et la Turquie avaient prévu l’émergence de l’État Islamique

Un rapport de l’intelligence américaine révèle que l’aide occidentale aux rebelles syriens a favorisé et encouragé la naissance de l’”État Islamique”, ce que le Pentagone ne nie pas.

Une chose peut-être plus terrifiante que le rapport lui-même est que cette information a été occultée par tous les media grand public du monde.

Ce silence en dit long sur l’importance de cette information. Il illustre la complicité des média anglophones, en collusion avec les gouvernements, pour garder les populations dans l’ignorance de la violence de la realpolitik américaine.

J’ai discuté avec les journaux nationaux intéressés par cette réalité, ils conclurent que c’était trop ‘difficile’ d’en parler à un stade aussi tardif.

Ce rapport stupéfiant, daté d’août 2012, a prouvé que la croissance et l’expansion de Daech était un résultat direct des armes envoyées aux islamistes anti-Assad par les États-Unis, dans le cadre de leur objectif stratégique de renversement du régime d’Assad en Syrie.

Le rapport affirme que “les principales forces conduisant l’insurrection en Syrie” sont composées “des Salafistes, des Frères Musulmans, et d’al-Qaïda en Irak”, et montre explicitement quels étaient les éléments qui donnaient vraiment son impulsion à l’insurrection.

Quoique les États-Unis aient gardé leur ligne officielle selon laquelle, en Syrie, seuls des rebelles modérés reçoivent des armes, des personnalités politiques, du candidat à la présidence Rand Paul déclarant que les “faucons” du Congrès étaient responsables de la montée de Daech au vice président Joe Biden affirmant (à partir de 1:30:00) qu’il n’y avait pas de “rebelles modérés” en Syrie, disent autre chose.

Ahmed déclare que “le document secret du Pentagone donne la confirmation extraordinaire que la coalition menée par les États-Unis contre Daech s’était réjouie trois ans auparavant de l’émergence d’une ‘principauté salafiste’ extrémiste dans la région, ce qui constituait un moyen d’affaiblir Assad.”

Dans un entretien avec Josh Cook de Truth In Media, Ahmed déclare :

“J’ai parlé à un des principaux journaux ici au Royaume-Uni et ce qui était intéressant c’est qu’ils étaient assez favorables à l’idée d’une enquête sur le sujet, mais qu’ils ne se sentaient pas en état de la réaliser. On ne les a pas non plus dissuadés de la publier. Le journaliste auquel j’ai parlé est un journaliste expérimenté, pour lequel j’ai beaucoup de respect, et il était très intéressé par ce que je lui disais. Il m’a écouté intensément – je pouvais vraiment sentir sa peur, que je n’aurais pas dû parler de ça, les choses allaient trop loin – le document est-il vraiment solide ? Il n’était pas confiant.

“Il y a, je pense, comme une acceptation tacite dans les média grand public, qu’il y a certaines choses que nous ne sommes pas autorisés à dire. En l’occurrence l’idée que quelque chose d’aussi abject que Daech ait vraiment pu être prévu ou favorisé délibérément, c’est ce que le rapport implique assez clairement.

“C’est presque trop”, a t-il dit. Ça va à l’encontre de tant de choses que l’on considère comme acquises. Tant de suppositions sur la sorte de suprématie, non seulement américaine, mais de tout l’Occident, et sur la bienveillance de notre gouvernement assurant que nous ne ferions jamais de pareilles choses… C’est un grand saut.”

“D’une certaine manière je pense que les journalistes ont peur et s’inquiètent de repousser les limites à un tel point. Il est préoccupant que règne un silence absolu sur cette question, spécialement dans les médias anglophones. Ce qui pose de vraies questions sur ce qui se cache derrière ce silence.”

Les gens ont le droit d’être informés des agissements d’un gouvernement qui agit en leur nom et la presse a le devoir de dévoiler ce qui est intentionnellement caché au public par ceux qui sont au pouvoir.

Lorsque la presse a peur ou est complice en cachant ces faits au public américain, alors nous, en tant que nation, courons de bien plus grands dangers que tout ce que peut représenter Daech.

S’il vous plaît partagez cet article afin d’aider à ce que cette information vitale soit connue du plus de personnes possible, car les gens ont le droit de savoir ce que leur gouvernement entreprend en leur nom.

Ecoutez l’interview complète avec le Dr Nafeez Ahmed ci-dessous.

Joshua Cook Interviews Investigative Journalist Dr. Nafeez Ahmed On DIA Report And Media Cover – Up

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Un rapport du Pentagone prédisait que le soutien des Occidentaux aux rebelles islamiques créerait l’État Islamique (Daech) par Naafez Ahmed

Par Naafez Ahmed

Source : Medium, le 22/05/2015

La coalition anti-Daech a soutenu sciemment des extrémistes violents afin d’isoler Assad et de renverser l’expansion chiite.

Un cabinet d’avocats proche des conservateurs, Judicial Watch, a obtenu la déclassification d’un document secret du gouvernement américain qui démontre que les Occidentaux se sont alliés délibérément avec al-Qaïda et avec d’autres groupes extrémistes pour renverser le dictateur syrien Bachar al-Assad.

Le document révèle qu’en collaboration avec les pays du Golfe et la Turquie, les Occidentaux ont délibérément soutenu des groupes islamistes violents afin de déstabiliser Assad, et que ces “sponsors” voulaient la création d’une “Principauté Salafiste” pour “isoler le régime syrien”.

D’après ce document, déclassifié depuis peu, le Pentagone avait anticipé l’émergence probable de l’État Islamique en tant que conséquence directe de cette stratégie et mis en garde sur le risque de déstabilisation de l’Irak. Bien que le soutien à l’”opposition syrienne” – qui inclut al-Qaïda en Irak – par les Occidentaux, les pays du Golfe et la Turquie ait été pressenti comme susceptible de provoquer l’émergence d’un “État Islamique” en Irak et en Syrie (ISIS), ce document ne fait nulle part état d’une quelconque décision pour arrêter cette politique de soutien aux rebelles syriens. Au contraire, l’émergence d’une “Principauté Salafiste” affiliée à al-Qaïda est décrite comme une opportunité stratégique pour isoler Assad.

Hypocrisie

Ces révélations contredisent la ligne officielle des gouvernements occidentaux en ce qui concerne leur politique en Syrie et soulèvent des questions quant au soutien secret par les Occidentaux à ces groupes extrémistes violents à l’étranger, alors qu’ils utilisent la peur du terrorisme pour justifier l’instauration de la surveillance de masse excessive et la réduction des libertés individuelles dans leurs pays.

Parmi la liasse de documents obtenus par Judicial Watch, et ce au terme d’une bataille juridique, dévoilée plus tôt cette semaine, figure celui émanant de la DIA [Defense Intelligence Agency, Agence du renseignement de la Défense, NdT] classé “secret” du 12 août 2012.

La DIA produit des synthèses de renseignements destinées aux planificateurs, aux responsables politiques et pour les opérations du ministère de la Défense américain et à la communauté du renseignement.

Jusqu’ici, les médias se sont concentrés sur le fait que l’administration Obama était forcément au courant que les rebelles syriens recevaient des armes du bastion terroriste libyen.

Quelques journaux ont parlé de cette prédiction propre à la communauté américaine du renseignement concernant l’émergence de ISIS. Jusqu’à présent, aucun n’a exposé les faits détaillés et troublants qui montrent comment les Occidentaux ont sciemment encouragé cette rébellion sectaire dirigée par al-Qaïda.

Charles Shoebridge, un ancien agent du renseignement de l’armée britannique et de la police anti-terroriste londonienne, a déclaré :

“Étant donné la tendance politique de l’association qui a obtenu ces documents, il n’est pas surprenant de constater que toute la communication qu’on leur a accordée jusqu’à aujourd’hui concerne leur tentative d’embarrasser Hillary Clinton à propos de l’attaque du consulat américain à Benghazi en 2012. Pourtant, ces documents-là ont suscité bien moins de publicité alors qu’ils posent des questions cruciales a propos des gouvernements et des médias de l’Ouest, et sur leur soutien à la rébellion en Syrie.”

Les Islamistes occidentaux

Le document de 2012 récemment déclassifié par la DIA confirme que le composant principal des forces rebelles anti-Assad à ce moment (2012) sont les insurgés islamistes affiliés à des groupes qui conduiront à l’émergence de ISIS. Malgré tout, ces groupes continueront de recevoir le soutien des militaires occidentaux et de leurs alliés régionaux.

Notant que “les Salafistes (sic), les Frères Musulmans et AQI [al-Qaïda en Irak] sont les principales forces dirigeant l’insurrection en Syrie”, le document dit aussi : “l’Ouest, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l’opposition, alors que la Russie la Chine et l’Iran “soutiennent le régime” [de Assad].

Le document de 7 pages de la DIA établit que al-Qaïda en Irak (AQI), précurseur de “l’État Islamique en Irak” (ISI), qui est devenu “État Islamique en Irak et Syrie”, “soutient l’opposition syrienne depuis le début, idéologiquement et à travers les médias.”

Le rapport du Pentagone resté secret jusqu’alors notait que “l’émergence de l’insurrection en Syrie” a pris une “direction de plus en plus sectaire”, attirant le soutien de “puissances sunnites tribales” dans la région.

Dans un paragraphe titré “Futures hypothèses sur la crise” le rapport de la DIA prédit que tant que le régime d’Assad survivra, conservant le contrôle du territoire, la crise continuera à croitre vers une guerre par procuration” (“proxy war”).

Le document recommande aussi la création de “zones de sécurité assurées par la communauté internationale, similaires à ce qui s’est établi en Libye à Benghazi, choisi pour abriter le centre de commandement du gouvernement temporaire.”

En Libye, des rebelles anti-Kadhafi, la majorité étant affiliée à al-Qaïda, étaient protégés par ces zones de sécurité de l’OTAN (autrement dénommées “zones d’exclusion aérienne”).

“Sponsors cherchent entité ISIS”

Néanmoins, “les pays Occidentaux, les États du Golfe et la Turquie soutiennent les efforts “des forces d’opposition syriennes” qui luttent pour “contrôler les zones orientales (Hasaka et Der Zor), adjacentes aux provinces de l’Ouest irakien (Mosul et Anbar)” :

“… il y a la possibilité d’établir une Principauté Salafiste déclarée ou non déclarée en Syrie orientale (Hasaka et Der Zor) et ceci est exactement ce que les puissances qui soutiennent l’opposition veulent, pour isoler le régime syrien, qui est considéré comme un prolongement stratégique pour l’expansion Chiite (l’Irak et l’Iran).”

Le document secret du Pentagone fournit ainsi la confirmation extraordinaire que la coalition menée par les États-Unis combattant actuellement ISIS, avait il y a trois ans accueilli l’apparition d’une “Principauté Salafiste” extrémiste dans la région comme une façon de fragiliser Assad et de bloquer l’expansion stratégique de l’Iran. D’une façon cruciale, l’Irak est considéré comme une partie intégrante de cette “expansion chiite.”

L’établissement d’une telle “Principauté Salafiste” en Syrie orientale, affirme le document de la DIA, est “exactement” ce que “les puissances qui soutiennent l’opposition [syrienne] veulent.” Plus tôt, le document décrit à plusieurs reprises ces “puissances” comme “l’Ouest, les pays du Golfe et la Turquie.”

Plus loin, le document révèle que les analystes du Pentagone étaient parfaitement conscients des risques sinistres de cette stratégie, pourtant ils ont continué.

L’établissement d’une telle “Principauté Salafiste” en Syrie orientale, selon eux, créerait “les conditions idéales pour que AQI retourne dans ses vieilles bases de Mosoul et Ramadi.” L’été dernier, ISIS a conquis Mosoul en Irak et ce mois-ci vient aussi de prendre le contrôle de Ramadi.

Une telle entité quasi-étatique fournira :

“… un élan renouvelé de la possibilité d’unifier le jihad parmi les Sunnites d’Irak et de Syrie et le reste des Sunnites dans le monde arabe contre ce qu’il considère leur ennemi. ISI pourrait aussi déclarer un État Islamique par son union avec d’autres organisations terroristes en Irak et la Syrie, qui créera un grave danger pour l’unité de l’Irak et la protection de son territoire.” Ce document (DIA 2012) est un Rapport d’actualisation du Renseignement (IIR), pas une “Evaluation finale du renseignement” établie, mais son  contenu est contrôlé avant la distribution. Le rapport a été distribué partout dans la communauté du renseignement des USA, y compris au  Département d’État, à l’État-major, au ministère de la Sécurité Intérieure, la CIA, au FBI, parmi d’autres agences.

En réponse aux nombreuses questions sur sa stratégie, le gouvernement anglais a simplement nié toute connaissance du rapport du Pentagone révélant le soutien délibéré par les Occidentaux aux groupes violents extrémistes en Syrie. Un porte-parole des affaires étrangères a dit :

“al-Qaïda et ISIL sont des organisations terroristes proscrites. Le Royaume-Uni s’oppose à toutes les formes de terrorisme. AQ et ISIL et leurs filiales représentent une menace pour la sécurité nationale du Royaume-Uni. Nous prenons part militairement et politiquement à la coalition qui combat ISIL en Syrie et en Irak, et nous travaillons avec nos partenaires internationaux pour contrer la menace par AQ et autres groupes terroristes de la région. En Syrie nous avons toujours soutenu les groupes modérés qui s’opposent à la tyrannie d’Assad et à la brutalité des extrémistes.”

La DIA n’a pas répondu aux demandes de commentaires.

Adéquation stratégique pour un changement de régime

Analyste des enjeux de sécurité, Shoebridge, qui a enquêté sur le soutien par les Occidentaux aux groupes islamiques terroristes en Syrie depuis le début de la guerre, a montré que le rapport secret du Pentagone recèle des contradictions flagrantes au cœur même des déclarations officielles.

“Depuis les premières années de la crise en Syrie, les gouvernements américain et anglais et presque tous les principaux médias occidentaux ont présenté les rebelles en Syrie comme modérés, libéraux, laïques, démocratiques, et donc méritant le soutien des Occidentaux. Etant donné que ces documents décrédibilisent le bien fondé de ces affirmations, le fait que maintenant ces médias n’en rendent pas compte, malgré leur immense importance, est significatif.”

D’après Brad Hoff, un ancien Marine engagé lors des premières années de la guerre en Irak, l’un des premiers intervenants après le 11 septembre au quartier général des Marines à Quantico de 2000 à 2004, le rapport du Pentagone tout juste sorti contient un incroyable aveu :

“Le renseignement américain avait prédit l’émergence de l’État Islamique en Irak et au Levant (ISIL ou ISIS) mais au lieu d’identifier clairement le groupe en tant qu’ennemi, le rapport définit ce groupe terroriste comme faisant partie du dispositif stratégique américain.”

Hoff, rédacteur en chef de “Levant Report” – journal en ligne animé par des éducateurs, professeurs résidant au Texas et ayant une expérience directe du Proche-Orient – remarque que le rapport de la DIA établit que l’émergence d’une telle entité politique extrémiste salafiste dans la région constitue un “outil pour changer le régime en Syrie”.

Le rapport de la DIA montre, dit-il, que l’émergence de ISIS n’a été rendue possible que dans le contexte de l’insurrection syrienne – “Aucune mention n’est faite du retrait des troupes américaines d’Irak, évènement catalyseur pour l’émergence de l’État Islamique, et qui fait l’objet d’une polémique entre d’innombrables politiciens et autres pontes.” Le rapport démontre que :

“L’instauration d’une ‘Principauté Salafiste’ dans l’est de la Syrie est ‘exactement’ ce que souhaitent les puissances extérieures (les occidentaux, les pays du Golfe et la Turquie) soutenant l’opposition et ce pour affaiblir le gouvernement Assad.”

L’émergence d’un quasi État Salafiste qui pourrait se développer en Irak, fracturant le pays, était donc clairement prévu par le renseignement américain comme probable – mais néanmoins stratégiquement utile – et constitue la contrepartie négative de l’engagement des Occidentaux afin d’”isoler la Syrie”.

Complicité

Des observateurs critiques de la stratégie conduite par les États-Unis dans la région n’ont cessé de soulever des questions quant au rôle des alliés occidentaux fournissant un soutien considérable aux groupes islamistes terroristes pour déstabiliser le régime Assad.

Il est communément admis que le gouvernement américain n’avait pas une compréhension suffisante de l’origine des groupes rebelles anti-Assad, qui étaient supposés être contrôlés et scrupuleusement sélectionnés afin que seuls les “modérés” soient soutenus.

Cependant, le rapport du Pentagone récemment révélé prouve sans ambiguïté que des années avant que ISIS ne lance son offensive en Irak, le renseignement américain était parfaitement conscient que les militants islamistes constituent le cœur de l’insurrection sectaire syrienne.

Malgré cela, le Pentagone a continué à soutenir l’insurrection islamiste, même en sachant que cela provoquerait probablement l’établissement d’un bastion salafiste extrémiste en Syrie et en Irak.

Shoedbridge m’a dit, “Les documents montrent que non seulement le gouvernement américain connaissait au moins depuis août 2012 la nature extrémiste résultant de la rébellion en Syrie” – soit l’émergence de ISIS – “mais que ceci était considéré comme un atout pour les affaires étrangères des États-Unis. Ce qui suppose aussi de consacrer des années d’efforts afin de tromper délibérément l’opinion publique occidentale, via la complaisance médiatique, qui firent croire que l’opposition syrienne est majoritairement ‘modérée’.”

Annie Machon, une ex-agente du renseignement au MI5 qui avait vendu la mèche dans les années 90, révélant que le MI6 avait financé al-Qaïda pour tuer l’ancien dirigeant Kadhafi, a commenté ces révélations :

“Ce n’est pas une surprise pour moi. Dans chaque pays il existe plusieurs agences de renseignement qui s’affrontent pour des objectifs différents.”

Elle a expliqué que l’opération du MI6 en Libye en 1996, qui provoqua la mort de civils innocents, “s’est déroulée au moment précis où le MI5 montait une nouvelle section chargée d’enquêter sur al-Qaïda.”

Machon a ajouté que cette stratégie s’est répétée à grande échelle lors de l’intervention de l’OTAN en 2011 en Libye où la CIA et le MI6 :

“… soutenaient ces mêmes groupes libyens qui provoquèrent la faillite de l’État, des meurtres de masse, l’exode et l’anarchie. Donc l’idée selon laquelle des personnes provenant de l’institution militaire et du renseignement américain auraient empêché le développement de ISIS après qu’ils eurent échoué à faire intervenir l’OTAN une nouvelle fois fait partie d’un modèle bien établi. Et ils restent indifférents à l’ampleur des souffrances humaines provoquées, considérées comme faisant partie du jeu.”

Diviser pour mieux régner

Plusieurs membres du gouvernement américain ont avoué que leurs alliés les plus proches dans la coalition anti-ISIS financent des groupes extrémistes islamistes violents, groupes faisant maintenant partie intégrante d’ISIS.

Joe Biden, actuel vice-président US, a admis il y a tout juste un an que l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Qatar et la Turquie avaient fourni des centaines de millions de dollars aux rebelles islamistes en Syrie, et que ceux-ci se sont métamorphosés en ISIS.

Mais il a refusé d’admettre ce que ce document confidentiel du Pentagone prouve – à savoir que l’entière stratégie était dirigée, appliquée et contrôlée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, Israël et d’autres puissances occidentales.

La stratégie paraît correspondre au scénario annoncé récemment par un rapport de la Rand Corp commandité par l’armée américaine.

Le rapport, publié 4 ans avant celui de la DIA, appelé “Profiter du conflit entre Chiites et Sunnites en prenant parti pour les régimes sunnites conservateurs de façon décisive et en travaillant avec eux et contre tous les mouvements chiites dans le monde musulman.”

Les États-Unis auraient besoin de contenir “la puissance iranienne” dans le Golfe “en renforçant les régimes traditionnels sunnites comme l’Arabie Saoudite, l’Égypte et le Pakistan.” Simultanément les États-Unis doivent maintenir “une relation forte et stratégique avec le gouvernement irakien Chiite” malgré son alliance avec l’Iran.

Le rapport RAND confirma que la stratégie du “Diviser pour Régner” était déjà à l’œuvre, “créant des divisions dans le camp jihadiste. De nos jours cette stratégie s’applique à nouveau en Irak au niveau tactique.”

Le rapport relève que les USA ont conclu une “alliance provisoire”avec des groupes de rebelles nationalistes affilés à al-Qaïda – qui les ont combattus pendant quatre ans – par la fourniture d’armes et de financement. Bien que ces nationalistes “aient coopéré avec al-Qaïda contre les forces US”, ils sont maintenant soutenus pour exploiter “la menace commune qu’al-Qaïda fait maintenant peser sur tout le monde.”

Le document DIA 2012, cependant, démontre plus loin que, tout en payant d’ex-membres d’al-Qaïda en Irak prétendument renégats pour justement combattre al-Qaïda, les gouvernements occidentaux armaient dans le même temps les insurgés d’al-Qaïda en Syrie.

La révélation d’un document interne des renseignements US selon lequel la coalition menée par les États-Unis, supposée combattre “l’État islamique” aujourd’hui, a sciemment permis l’émergence d’ISIS, soulève des questions troublantes sur les récents efforts du gouvernement pour justifier l’extension des mesures anti-terroristes.

A l’aube de la montée d’ISIS, de nouvelles mesures intrusives pour combattre l’extrémisme, comprenant la surveillance de masse, un plan orwellien de “prévention des risques” et même le projet d’autoriser les gouvernements à censurer les stations de radio, sont mis en place des deux côtés de l’Atlantique. Sont ainsi ciblés, de manière disproportionnée, les activistes, les journalistes et les minorités ethniques, particulièrement les minorités musulmanes.

Et pourtant le nouveau rapport du Pentagone révèle que, contrairement aux affirmations des gouvernements occidentaux, la cause fondamentale de la menace est la conséquence de leur politique profondément inepte consistant à financer secrètement le terrorisme islamique pour des objectifs géopolitiques douteux.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lindustrie-des-medias-censure-le-rapport-du-pentagone-qui-revele-le-role-des-etats-unis-dans-la-creation-de-letat-islamique-par-jay-syrmopoulos/