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Un terrible dénouement, par Chris Hedges

Tuesday 8 September 2015 at 00:01

Source :  : http://partage-le.com/2015/09/un-terrible-denouement-chris-hedges/

Traduction: Nicolas Casaux

Édition & Révision: Héléna Delaunay

2 septembre 2015

Article original publié en anglais sur le site de truthdig.com, le 30 août 2015.
Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Récipiendaire d’un prix Pulitzer, Chris Hedges fut correspondant de guerre pour le New York Times pendant 15 ans. Reconnu pour ses articles d’analyse sociale et politique de la situation américaine, ses écrits paraissent maintenant dans la presse indépendante, dont Harper’s, The New York Review of Books, Mother Jones et The Nation. Il a également enseigné aux universités Columbia et Princeton. Il est éditorialiste du lundi pour le site Truthdig.com.

Le joug idéologique et physique de la puissance impériale États-unienne, soutenu par l’idéologie utopique du néolibéralisme et du capitalisme mondialisé, se désagrège. Beaucoup, dont nombre de ceux évoluant au cœur de l’empire états-unien, reconnaissent que chaque promesse faite par les partisans du néolibéralisme est un mensonge. La richesse mondiale, au lieu d’être équitablement répartie comme l’ont promis les partisans du néolibéralisme, a été siphonnée entre les mains d’une élite oligarchique vorace, entraînant ainsi d’immenses inégalités économiques. Les travailleurs pauvres dont les syndicats et les droits ont été éliminés et dont les salaires stagnent ou baissent depuis 40 ans, ont été condamnés à la pauvreté chronique et au chômage, transformant leur vie en une crise interminable, source d’un stress permanent. La classe moyenne s’évapore. Des villes qui produisaient et offraient autrefois des emplois en usine se changent en villes fantômes. Les prisons sont surpeuplées. Les corporations ont orchestré la destruction des barrières commerciales, engrangeant ainsi plus de 2.1 billions de dollars en profits dans des banques offshores pour éviter de payer des taxes. Et l’ordre néolibéral, malgré sa promesse de construire et de répandre la démocratie, a éviscéré les systèmes démocratiques, les transformant en Léviathans corporatistes.

La démocratie, particulièrement aux États-Unis, est une farce, vomissant des démagogues d’extrême-droite comme Donald Trump, qui pourrait devenir le candidat républicain à la présidentielle, et peut-être même le président, ou d’insidieux et malhonnêtes larbins corporatistes comme Hillary Clinton, Barack Obama, et, s’il tient sa promesse de soutien au candidat démocrate, Bernie Sanders. Les étiquettes « libéral » et « conservateur » sont dépourvues de sens dans l’ordre néolibéral. Les élites politiques, républicaines ou démocrates, servent les intérêts des corporations et de l’empire. Elles sont des facilitatrices, tout comme la majorité des médias et des universitaires, de ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle notre système de “totalitarisme inversé”.

En période de crise nationale et d’indignation publique, d’étranges et dangereux candidats émergent souvent. Ci-dessus, Donald Trump (à gauche), à droite, un épi de maïs (toute ressemblance est purement fortuite).

L’attraction exercée par Trump, comme celle de Radovan Karadzic, ou de Slobodan Milosevic, lors de l’éclatement de la Yougoslavie, s’explique par sa bouffonnerie, qui s’avère dangereuse, moquant la faillite totale de la charade politique. Elle expose la dissimulation, l’hypocrisie, la corruption légalisée. Nous percevons, à travers cela, une insidieuse — et pour beaucoup, rafraichissante — honnêteté. Les nazis utilisèrent cette tactique pour prendre le pouvoir lors de la république de Weimar. Les Nazis, même aux yeux de leurs opposants, avaient le courage de leurs convictions, quelle qu’ait pu être l’immondice de ces convictions. Ceux qui croient en quelque chose, aussi répugnante soit elle, se voient souvent respectés à contrecœur.

Ces forces néolibérales détruisent également rapidement les écosystèmes. La Terre n’a pas connu de perturbation climatique de cette envergure depuis 250 millions d’années et l’extinction permienne, qui a annihilé jusqu’à 90% de toutes les espèces. Un pourcentage que nous semblons déterminés à reproduire. Le réchauffement climatique est inarrêtable, avec la fonte rapide des calottes polaires et des glaciers, le niveau des mers s’élèvera d’au moins 3 mètres lors des prochaines décennies, noyant sous les eaux nombre de villes côtières majeures. Les méga-sécheresses laissent d’immenses parcelles de la Terre, dont des parties de l’Afrique et de l’Australie, la côte Ouest des USA et du Canada, le Sud-Ouest des USA, arides et en proie à d’incontrôlables feux de forêts. Nous avons perdu 7.2 millions d’acres à cause des nombreux incendies qui ont ravagé le pays cette année et les services forestiers ont d’ores et déjà dépensé 800 millions de dollars dans leurs luttes contre les incendies en Californie, à Washington, en Alaska et dans d’autres états. Le mot même de « sécheresse » fait partie de la supercherie, sous-entendant que tout cela est en quelque sorte réversible. Ça ne l’est pas.

Des migrants fuyant la violence et la famine régnant dans des pays comme la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, et Érythrée, affluent en Europe. 200 000 migrants, sur les 300 000 ayant rejoint l’Europe cette année, ont atterri sur les côtes grecques. 2500 sont morts depuis le début de l’année en mer, sur des bateaux surpeuplés et délabrés ou à l’arrière de camions comme celui que l’on a découvert la semaine dernière en Autriche, qui contenait 71 corps, dont des enfants. C’est le plus important flux de réfugiés en Europe depuis la seconde guerre mondiale, une augmentation de 40 % depuis l’an dernier. Et le flot ne fera que croître. D’ici 2050, selon nombre de scientifiques, entre 50 et 200 millions de réfugiés climatiques auront fui vers le Nord, pour échapper aux zones rendues invivables par les températures croissantes, les sécheresses, les famines, les maladies, les inondations côtières et le chaos des états en faillite.

La désintégration physique, environnementale, sociale et politique s’exprime également à travers une poussée de violence nihiliste motivée par la rage. Des tireurs fous commettent des massacres dans des centres commerciaux, dans des cinémas, des églises et des écoles aux États-Unis, Boko Haram et l’État islamique, ou ISIS, sont en pleine frénésie meurtrière. Des attentats suicides sont méthodiquement perpétrés et entraînent des chaos meurtriers en Irak, en Afghanistan, en Arabie Saoudite, en Syrie, au Yémen, en Algérie, en Israël et dans les territoires palestiniens, en Iran, en Tunisie, au Liban, au Maroc, en Turquie, en Mauritanie, en Indonésie, au Sri Lanka, en Chine, au Nigeria, en Russie, en Inde et au Pakistan. Ils ont frappé les États-Unis le 11 septembre 2001 et en 2010 lorsqu’Andrew Joseph Stack III a détourné un petit avion dans un bâtiment d’Austin, au Texas, qui abritait des agents du fisc. Le fanatisme est alimenté par la détresse et le désespoir. Ce n’est pas le produit de la religion, bien que la religion devienne souvent le vernis sacré de la violence. Plus les gens seront désespérés, plus cette violence nihiliste se propagera.

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », écrivait le théoricien Antonio Gramsci.

Ces « monstres » continueront à se propager jusqu’à ce que l’on reconfigure radicalement nos relations entre nous et nos relations avec les écosystèmes. Mais rien ne garantit qu’une telle reconfiguration soit possible, particulièrement si les élites parviennent à s’accrocher au pouvoir à l’aide de leur appareil de surveillance et de sécurité mondial, omniprésent, et de l’importante militarisation de leurs forces de police. Si nous ne renversons pas le système néolibéral, et ce, rapidement, nous libèrerons un cauchemar hobbesien de violence étatique croissante et de contre-violence. Les masses pauvres seront condamnées à la misère et à la mort. Certains tenteront de résister violemment. Une petite élite, vivant dans une version moderne de Versailles ou de la cité interdite, aura accès à des commodités refusées à tous les autres. La haine deviendra l’idéologie dominante.

L’attrait exercé par l’État islamique, qui compte plus de 30 000 combattants étrangers, s’explique en ce qu’il exprime la rage ressentie par les dépossédés de la Terre et en ce qu’il s’est libéré des entraves de la domination occidentale. Il défie la tentative néolibérale de transformation de l’opprimé en déchet humain. Vous pouvez condamner sa vision médiévale d’un état musulman et ses campagnes de terreur contre les shiites, les yazidis, les chrétiens, les femmes et les homosexuels — ce que je fais — mais l’angoisse qui inspire toute cette sauvagerie est authentique ; vous pouvez condamner le racisme des suprématistes blancs qui se rallient à Trump — ce que je fais — mais ils ne font eux aussi qu’obéir à leur propre frustration et désespoir. L’ordre néolibéral, en transformant les gens en main d’œuvre superflue et par extension en êtres humains superflus, est responsable de cette colère. Le seul espoir restant réside en une réintégration des dépossédés dans l’économie mondiale, afin de leur donner un sentiment d’opportunité et d’espoir, de leur donner un futur. Sans cela, rien n’endiguera le fanatisme.

L’État islamique, à l’instar des chrétiens de droite aux États-Unis, vise un retour vers une pureté inatteignable, un utopisme, un paradis sur terre. Il promet d’établir une version du califat du 7ème siècle. Les sionistes du 20ème siècle, en cherchant à former l’État d’Israël, ont utilisé la même stratégie en appelant à la re-création de la nation juive mythique de la Bible. ISIS, à l’instar des combattants juifs ayant fondé Israël, cherche à construire son état (maintenant de la taille du Texas) à travers la purification ethnique, le terrorisme et l’utilisation de combattants étrangers. Sa cause utopique, tout comme la cause républicaine de la guerre civile espagnole, attire des dizaines de millions de jeunes, en majorité des jeunes musulmans rejetés par l’ordre néolibéral. L’État islamique offre une vision recomposée d’une société brisée. Il offre un lieu et un sentiment d’identité — ce que n’offre pas le néolibéralisme — à ceux qui embrassent cette vision. Il appelle à se détourner du culte mortifère du moi qui est au cœur de l’idéologie néolibérale. Il met en avant le caractère sacré du sacrifice personnel. Et il ouvre une voie à la vengeance.

Jusqu’à ce que nous démantelions l’ordre néolibéral, afin de recouvrer la tradition humaniste rejetant la perception des êtres humains et de la Terre comme marchandises à exploiter, notre forme de barbarie industrielle et économique affrontera la barbarie de ceux qui s’y opposent. Le seul choix qu’offre la « société bourgeoise », comme le savait Friedrich Engels, est « le socialisme ou la régression vers la barbarie ». Il est temps de faire un choix.

Nous ne sommes pas, aux États-Unis, moralement supérieurs à l’État islamique. Nous sommes responsables de la mort de plus d’un millions d’Irakiens et de la migration forcée de plus de 4 millions d’autres. Nous tuons en plus grand nombre. Nous tuons avec encore moins de discernement. Nos drones, nos avions de combats, notre artillerie lourde, nos bombardements navals, nos mitrailleuses, nos missiles et forces prétendument spéciales — des escadrons de la mort dirigés par l’état — ont décapité bien plus de gens, enfants inclus, que l’État islamique. Lorsque l’État islamique a brûlé vif un pilote jordanien dans une cage, cela faisait écho aux agissements quotidiens des États-Unis, lorsqu’ils incinèrent des familles dans leurs maisons, avec les frappes aériennes. Cela faisait écho à ce que font les avions de combats israéliens à Gaza. Oui, ce que l’État islamique a fait était plus brutal. Mais moralement ça n’était pas différent.

J’ai un jour demandé au co-fondateur du groupe militant Hamas, le Dr Abdel Aziz al-Rantisi, pourquoi le Hamas cautionnait les attentats suicides, qui entraînaient la mort de civils et d’enfants israéliens, alors que les palestiniens dominaient du point de vue de la morale, en tant que peuple occupé. « Nous arrêterons de tuer leurs enfants et leurs civils dès qu’ils arrêteront de tuer nos enfants et nos civils », m’a-t-il répondu. Il souligna que le nombre d’enfants israéliens qui avaient été tués s’élevait à ce moment-là à deux douzaines, tandis que les pertes palestiniennes s’élevaient à plusieurs centaines d’enfants. Depuis 2000, 133 israéliens et 2061 enfants palestiniens ont perdu la vie. L’attentat suicide est un acte de désespoir. C’est, à l’instar des bombardements incessants de Gaza par Israël, un crime de guerre. Mais lorsqu’on le considère comme la réponse à une terreur étatique incontrôlée, il est compréhensible. Le Dr Rantisi fut assassiné en Avril 2004 par Israël qui fit tirer sur sa voiture à Gaza un missile Hellfire depuis un hélicoptère Apache. Son fils Mohammed, qui était dans le véhicule avec lui, fut aussi tué dans l’attentat. La spirale de violence qui en résulte, plus d’une décennie après ces meurtres, perdure encore.

Ceux qui s’opposent à nous offrent une vision d’un monde nouveau. Nous n’offrons rien en retour. Ils offrent un contrepoids au mensonge néolibéral. Ils parlent pour ses victimes, prisonnières de bidonvilles sordides au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord. Ils condamnent l’hédonisme grotesque, la société du spectacle, le rejet du sacré, la consommation débridée, la richesse personnelle en tant que fondement principal du respect et de l’autorité, la célébration aveugle de la technocratie, la réification sexuelle — y compris une culture dominée par la pornographie — et la léthargie (largement appuyée par l’abondance des médicaments) utilisée par tous les régimes agonisants, pour détourner l’attention des masses et leur confisquer le pouvoir. De nombreux djihadistes, avant de devenir de violents fondamentalistes, ont été victimes de ces forces. Il y a des centaines de millions de gens comme eux, qui ont été trahis par l’ordre néolibéral. Une véritable poudrière, et nous ne leur offrons rien.

« Quand sa rage éclate, il retrouve sa transparence perdue, il se connaît dans la mesure même où il se fait ; de loin nous tenons sa guerre comme le triomphe de la barbarie », a écrit Frantz Fanon dans Les Damnés de la Terre, « mais elle procède par elle-même à l’émancipation progressive du combattant, elle liquide en lui et hors de lui, progressivement, les ténèbres coloniales. Dès qu’elle commence, elle est sans merci. Il faut rester terrifié ou devenir terrible ; cela veut dire : s’abandonner aux dissociations d’une vie truquée ou conquérir l’unité natale. Quand les paysans touchent des fusils, les vieux mythes pâlissent, les interdits sont un à un renversés : l’arme d’un combattant, c’est son humanité. Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre. »

Ceux au pouvoir apprennent-ils l’histoire ? Ou peut-être est-ce ce qu’ils veulent. Une fois que les Damnés de la Terre se changeront en État islamique, ou adopteront la contre-violence, l’ordre néolibéral pourra supprimer les dernières entraves qui le retenaient et commencer à tuer en toute impunité. Les idéologues néolibéraux, après tout, sont eux aussi des fanatiques utopistes. Et eux aussi ne savent s’exprimer qu’à travers le langage de la force. Ils sont notre version de l’État islamique.

Le monde binaire que les néolibéraux ont créé — un monde de maîtres et de serfs, un monde où les damnés de la terre sont diabolisés et soumis par une perte de liberté, par « l’austérité » et la violence, un monde où seuls les puissants et les riches ont des privilèges et des droits — nous condamnera et nous entraînera vers une dystopie effrayante. La révolte émergente, mal définie, paraissant éparse, surgit des entrailles de la terre. Nous apercevons ses éclairs et ses tremblements. Nous voyons son idéologie pétrie de rage et d’angoisse. Nous percevons son utopisme et ses cadavres. Plus l’ordre néolibéral engendre de désespoir et de détresse, que ce soit à Athènes, à Bagdad ou à Ferguson, plus les forces de répression étatique sont utilisées pour étouffer l’agitation et extraire les dernières gouttes de sang des économies exsangues, plus la violence deviendra le principal langage de la résistance.

Ceux d’entre nous qui cherchent à créer un monde un tant soit peu viable disposent de peu de temps. L’ordre néolibéral, pillant la Terre et asservissant les vulnérables, doit être anéanti. Cela n’arrivera que si nous le confrontons en opposition directe, en étant prêts à entreprendre des actes de sacrifices personnels et de révolte prolongée qui nous permettent de faire obstruction et de démanteler tous les aspects de la machinerie néolibérale. Je crois que l’on peut accomplir cela à travers la non-violence. Mais je ne peux nier l’émergence inéluctable de la contre-violence, provoquée par la myopie et l’avarice des mandarins néolibéraux. La paix et l’harmonie n’embraseront peut-être pas la Terre entière si nous y parvenons, mais si nous ne destituons pas les élites dominantes, si nous ne renversons pas l’ordre néolibéral, et si nous ne le faisons pas rapidement, nous sommes perdus.

Chris Hedges

Source: http://www.les-crises.fr/un-terrible-denouement-par-chris-hedges/


Revue de presse du 07/09/2015

Monday 7 September 2015 at 00:01

Une revue avec notamment trois documents radiophoniques autour de Stiglitz (Médiathèque) et Onfray (Réflexion). Comme pour la revue internationale nous recherchons des volontaires pour assurer une veille sur des sites d’informations et la sélection d’articles pour cette revue. Vous pouvez postuler via la rubrique contact. Bonne lecture et bonne écoute.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-07092015/


Jacques Sapir, la polémique (II)

Sunday 6 September 2015 at 00:20

Intéressant débat entre deux intellectuels (attendons la réponse de Lordon), à chacun de se faire son avis.

Mais c’est rigolo, on ne parle jamais dans les médias de confusionnisme quand le PS vote la loi Macron ou quand l’UMP s’assoit sur le référendum de 2005…

Clarté, par Frédéric Lordon

Source : Frédéric Lordon, sur son blog La Pompe à phynances, le 26 août 2015.

La question de l’euro échappera-t-elle un jour à la malédiction du FN ? Sans doute tout la destinait-elle à y tomber, spécialement en une époque où se mêlent toutes les confusions et toutes les hystéries, au point de rendre presque impossible le moindre débat rationnel. Mais que dire quand ce sont certains des avocats mêmes de la sortie de l’euro qui ajoutent au désordre intellectuel et, identifiés à gauche, en viennent à plaider d’invraisemblables alliances avec l’extrême-droite ?

Le FN, ce terrible fléau, cette bénédiction

Sauf à vivre dans le monde des rêves habermassien, l’expérience élémentaire enseigne l’improbabilité du débat ordonné – qui appelle des prérequis institutionnels très particuliers, comme ceux des institutions scientifiques, pour avoir sa chance. Mais les défigurations qu’aura souffertes le débat sur l’euro resteront sans doute dans l’histoire contemporaine comme un cas extrême d’altération, et même d’aberration, offrant le spectacle d’un monde politique que toute rationalité argumentative semble avoir déserté. Il est certain que, prêts à tout pour défendre l’ordre social qui fait leur bonheur, les dominants sont notamment prêts aux travestissements les plus éhontés pour écarter toute alternative, invariablement présentée comme monstruosité. C’est bien pourquoi l’ordre dominant a impérativement besoin de ses monstres s’il veut soutenir – en y renvoyant systématiquement – le caractère monstrueux de tout ce qui n’est pas lui. Ainsi, par exemple, la Corée du nord est-elle moins l’anomalie de la mondialisation qu’elle n’est sa secrète bénédiction, sa monstrueuse, sa nécessaire altérité : comment mieux plaider l’irresponsabilité de la démondialisation qu’en l’enfermant dans l’unique figure possible de la Corée du nord (plaise au Ciel qu’elle dure encore longtemps), pour mieux asséner l’argument supposé rédhibitoire : « c’est ça que vous voulez ? ».

Mutatis mutandis le FN est, pour le débat de l’euro, l’équivalent fonctionnel de la Corée du nord pour celui de la démondialisation. Car, bien sûr, on n’aura pas la maladresse de dire qu’il n’y pas d’alternative : on dira qu’il y a celle-là… La suite s’en déduira d’elle-même. Leur opposition « radicale » de surface masque alors la profonde solidarité structurale des deux termes supposément en conflit – le FN et le grand parti unique eurolibéral – qui sont, là encore, une bénédiction l’un à l’autre, au point de les faire vivre dans un parfait rapport de symbiose fonctionnelle : le FN prospère du monopole de singularité que lui abandonne le parti unique d’en-face, lequel, usé jusqu’à la corde, ne se maintient plus qu’en renvoyant au monstre tout projet de faire autrement.

Car une chose est certaine, c’est qu’à part le terrorisme au FN, le parti eurolibéral – dans lequel on aura compris que PS et UMP sont deux parfaits substituts – n’a plus rien à dire. Il est rincé, à sec, lyophilisé, de la pensée en granules, du discours en poudre. À la vérité comment pourrait-on trouver quoi que ce soit à dire quand l’accablant spectacle donné depuis 2010 ne peut que réduire à rien, ou bien à un scandale supplémentaire, la défense d’un ordre européen qui s’est rendu haïssable, et sous tous les rapports : la catastrophe économique y est effrayante, les exigences même les plus formelles de la démocratie y sont foulées au pied, plusieurs pays ont été conduits à la crise humanitaire – en Europe ! Par l’Europe !

Par bonheur, quand il n’y a plus rien, il y a encore le FN. Et voilà aussi par quoi l’euro se maintient. Pour que le monstre remplisse son office cependant, il importe de lui faire absorber toute altérité possible, et de confondre toutes les alternatives en une seule, la sienne – monstrueuse. C’est bien pourquoi les idéologues eurolibéraux, journalistes embedded en tête, n’ont jamais rien eu de plus urgent que d’assimiler ainsi toute idée de sortie de l’euro au nationalisme xénophobe du Front National, d’égaliser strictement les deux termes, opportunément soudés dans la même indignité. Qu’importe les projets de gauche en cette matière : s’ils sont rouges, c’est qu’ils sont rouges-bruns – dans une expérience de pensée oulipienne, il faut imaginer le désarroi, peut-être même le sentiment d’impossibilité radicale, de Jean-Marie Colombani et Jean Quatremer invités à objecter à la sortie de l’euro sans dire une seule fois « rouge-brun » (ou « repli nationaliste », ou « tentation xénophobe »).

Des signifiants disputés

Le drame politique se noue véritablement quand la confusion n’est plus seulement alimentée par ce qu’on appellera la droite générale – où le PS se trouve évidemment inclus – mais depuis la gauche également, et sous deux formes diamétralement opposées : l’entêtement de la gauche alter-européiste à « changer l’euro », la perdition d’une autre gauche dans la tentation, pour le coup, oui, monstrueuse, de l’alliance avec le Front national.

À sa manière à elle, la gauche alter-européiste aura ajouté foi au discours eurolibéral de la droite générale en rabattant, exactement comme cette dernière, tout projet de sortie de l’euro sur le fléau du « nationalisme ». C’est qu’en des temps de vacillation intellectuelle, la catastrophe idéologique était vouée à se nouer autour de deux signifiants disputés : « nation » et « souveraineté ». Disputés en effet puisque, pour chacun de ces termes, l’unicité nominale masque une dualité de lectures possibles qui soutiennent des mondes politiques radicalement antinomiques. Entre la nation substantielle, confite en ses mythes identitaires et éternitaires, et la nation politique, rassemblant les individus dans l’adhésion à des principes, sans égard pour leurs origines, bref entre la nation de Maurras et celle de Robespierre, il n’y a pas qu’un gouffre : il y a une lutte inexpiable. Et de même entre la souveraineté comprise comme apanage exclusif des élites gouvernementales et la souveraineté conçue comme idéal de l’auto-gouvernement du peuple. « Nation » et « souveraineté » ne disent rien par eux-mêmes, ils ne sont que des points de bifurcation. Ils ne parlent que d’avoir été dûment qualifiés, et alors seulement on sait vers quoi ils emmènent.

Dans ces conditions, la faute intellectuelle de l’alter-européisme est triple : il a manqué à voir la dualité du signifiant « nation souveraine », abandonné à la droite d’en imposer sa lecture, et par cet abandon même trahi son propre legs historique : car en France la nation souveraine naît en 1789, elle se constitue comme universalité citoyenne, elle exprime le désir de l’autonomie politique, désir d’un peuple en corps de se rendre maître de son destin, bref elle est de gauche.

Et par l’effet d’une incompréhensible démission intellectuelle, elle n’est désormais plus que de droite… Il est vrai qu’un internationalisme mal réfléchi n’a pas peu contribué à faire méconnaître [1], en réalité à faire oublier, que la souveraineté comme auto-gouvernement suppose nécessairement la clôture relative – relative, car toujours ouverte à quelque degré sur son dehors – d’une communauté sur un ressort fini. Le genre humain unifié n’existe pas, il ne soutient aucune politique possible, ou bien à un terme (hypothétique) bien fait pour éternellement différer tout retour de la politique – essence du jacquattalisme et de ses rassurants messages : la mondialisation est notre horizon indépassable, certes elle nous a un peu débordés, mais le gouvernement mondial nous permettra d’en reprendre le contrôle… dès qu’il sera advenu ; en attendant : patience… et courage.

On dira que l’Europe se présente précisément comme une solution accessible de régulation de la mondialisation néolibérale. Sans même discuter qu’en cette matière l’Union européenne n’est pas faite pour réguler, mais pour relayer et amplifier, il faut avoir l’étroitesse de vue de l’européisme le plus béat, mais aussi bien de l’alter-européisme le plus angoissé, pour ne pas voir ce paradoxe élémentaire que le projet européen est national-souverainiste dans son essence ! Ne se propose-t-il pas de fonder sur un périmètre fini – car « l’Europe » s’arrêtera bien quelque part – une communauté politique souveraine, et par là une citoyenneté d’appartenance – européenne ? Soit, non pas du tout le « dépassement de l’Etat-nation », comme le bredouillent Habermas et ses épigones français, mais le simple redéploiement, éventuellement sous une autre forme, de son principe à une échelle étendue… Et les Etats-Unis d’Europe ne seront que le reflet transatlantique des Etats-Unis d’Amérique, dont on aura du mal à dire qu’ils dépassent quoi que ce soit en cette matière : ne sont-ils pas connus comme l’une des réalisations les plus agressives du souverainisme statonational ? – on mesurera par là le degré de confusion conceptuelle qui, de tous bords, afflige la question européenne.

Misère du mono-idéisme

La faute intellectuelle de l’alter-européisme est considérable mais, dans son errance, elle a sa part de dignité, et ce au nom de quoi elle a erré n’a jamais mérité que le respect. Celle de la gauche en perdition est inexcusable. Car, si on ne peut pas excuser la gauche de devenir de droite – à l’image du « parti socialiste » –, on le peut encore moins de dériver vers la droite de la droite, et jusqu’à se rapprocher de l’extrême-droite. Il est inutile de le dissimuler car l’évidence est là : il y a dans certains secteurs de la gauche, et depuis longtemps, une réelle disposition à ce dévoiement-là. L’union des « républicains des deux bords » appelée par Chevènement en 2002 en a été la première manifestation visible dans le champ politique. Logiquement, le durcissement de la crise a accéléré toutes les tendances, desserré toutes les retenues, et poussé au franchissement de tous les seuils.

Il y a bien des lignes de pente pour se perdre à l’extrême-droite, mais l’une d’entre elles vaut qu’on s’y arrête qui est moins immédiatement « politique », plus pernicieuse, et par là plus dangereuse : l’aveuglement du mono-idéisme. Le mono-idéisme, c’est l’empire de l’idée unique, le despotisme mental de la Cause au singulier absolu qui, affranchie de toute idée contradictoire, c’est-à-dire de toute régulation intellectuelle, imposera son primat et déploiera sans résistance ses conséquences jusqu’à l’aberration. Tout pour l’Idée unique, et cap au pire s’il le faut, voilà la devise implicite du mono-idéisme.

Férocement appliqué sur les bords les plus opposés d’ailleurs. Car il y a évidemment un mono-idéisme européiste. Dont la Cause est l’Europe, quelle qu’en soit la forme et quels qu’en soient les contenus – soit, littéralement, l’Europe à tout prix. Quel que soit le mouvement, il est déclaré bon s’il fait avancer l’Europe, et peu importe absolument dans quelle direction. L’Europe fait régner la concurrence libre et non faussée ? Peu importe puisque le droit de la concurrence est un droit européen, et qu’un droit européen en soi signifie un progrès de l’Europe. L’Europe soumet les économies à l’omnipotence des marchés financiers ? Peu importe puisque c’est le moyen de construire une monnaie européenne qui, par là, se justifie d’elle-même. L’Europe n’est plus qu’un empilement de traités austéritaires ? Mais ça n’est pas la question : l’essentiel est que l’Europe avance – et la direction de l’avancée est tout à fait secondaire. L’Europe intransitive, l’Europe pour l’Europe, sans considération de quelque autre chose, voilà la figure du mono-idéisme européiste. Les socialistes et les écologistes français votent le TSCG : parce qu’« il faut continuer de construire l’Europe ». Et l’on se demande immanquablement jusqu’où il faudrait aller dans l’ignoble pour déclencher enfin un réflexe de reprise, une fissure dans le mono-idéisme, le retour d’une autre idée. Soit l’Europe rétablissant le droit du travail des enfants – formellement une nouvelle avancée du droit européen, donc un progrès de « l’Europe » – : stop ou encore ?

En face, le mono-idéisme symétrique : sortir de l’euro quelles qu’en soient les voies. Si la sortie de l’euro a à voir avec la restauration de la souveraineté, peu importe de quelle souveraineté l’on parle. Et en avant pour le front indifférencié de « tous les souverainistes ». Nicolas Dupont-Aignan est « souverainiste » : il est donc des nôtres. Et puis après tout Marine Le Pen aussi, ne le dit-elle pas assez. Alors, logiquement, pourquoi pas ? Car voilà la tare majeure du mono-idéisme : il est conséquent sans entraves. Il suivra sa logique unique jusqu’où elle l’emmènera par déploiement nécessaire des conséquences qui suivent de la prémisse unique. Peu importe où puisque, l’Idée posée, on ne peut qu’avoir confiance dans la logique qui, ancillaire et neutre, vient simplement lui faire rendre tout ce qu’elle porte.

On l’a compris puisque la chose entre dans son concept même : le mono-idéisme suppose l’effacement radical de toutes les considérations latérales – de tout ce qui n’appartient pas à son Idée. Que, par exemple, le Front national – ses errances idéologiques en matière de doctrine économique et sociale l’attestent assez – ait pour seul ciment véritable d’être un parti raciste, que la xénophobie soit l’unique ressort de sa vitalité, la chose ne sera pas considérée par le souverainisme de la sortie de l’euro quand il se fait mono-idéisme. Puisque la Cause, c’est la sortie de l’euro, et que rien d’autre n’existe vraiment. On envisagera donc l’âme claire de faire cause commune avec un parti raciste parce que « raciste » est une qualité qui n’est pas perçue, et qui ne compte pas, du point de vue de la Cause. Voilà comment, de l’« union des républicains des deux bords », en passant par « le front de tous les souverainistes », on se retrouve à envisager le compagnonnage avec le Front national : par logique – mais d’une logique qui devient folle quand elle n’a plus à travailler que le matériau de l’Idée unique.

Le jugement de l’histoire

Il faut avoir tout cédé à une idée despotique pour que quelqu’un comme Jacques Sapir, qui connaît bien l’histoire, ait à ce point perdu tout sens de l’histoire. Car la période est à coup sûr historique, et l’histoire nous jugera. Si l’on reconnaît les crises historiques à leur puissance de brouillage et à leur pouvoir de déstabilisation – des croyances et des clivages établis –, nul doute que nous y sommes. Nous vivons l’époque de toutes les confusions : celle de la social-démocratie réduite à l’état de débris libéral, celle au moins aussi grave de révoltes de gauche ne se trouvant plus que des voies d’extrême-droite. Or on ne survit au trouble captieux de la confusion qu’en étant sûr de ce qu’on pense, en sachant où on est, et en tenant la ligne avec une rigueur de fer. Car en matière de dévoiement politique comme en toute autre, il n’y a que le premier pas qui coûte – et qui, franchi, appelle irrésistiblement tous les suivants. C’est pourquoi l’« union de tous les souverainistes » mène fatalement à l’alliance avec l’extrême-droite.

C’est pourtant une fatalité résistible : il suffit de ne pas y mettre le doigt – car sinon, nous le savons maintenant à de trop nombreux témoignages, c’est le bonhomme entier qui y passe immanquablement. Ici la rigueur de « ne pas mettre le doigt » n’a pas de meilleures armes que la robustesse de quelques réflexes – où en est-on sur la question du racisme –, et le décentrement minimal qui, ne cédant pas complètement au mono-idéisme, permet d’identifier les périls. La fermeté des concepts aussi : en l’occurrence ceux par lesquels on fait sens des signifiants « nation » et « souveraineté », faute desquels on est voué aux sables mouvants de la confusion puisqu’ici ce sont la droite et l’extrême-droite qui tiennent la lecture dominante, à laquelle on succombera nécessairement si l’on n’a pas une autre lecture à leur opposer fermement.

Mais on ne tient jamais si bien la ligne qu’en reconvoquant les leçons de l’histoire, notamment les souvenirs de quelques tragiques égarements du passé. C’est qu’on ne surmonte les emprises du présent et la difficulté à savoir ce qu’on y fait vraiment, c’est-à-dire l’absence de recul pour se juger soi-même à l’aune d’un sens de l’histoire qui n’a pas encore été délivré, on ne surmonte tous ces obstacles, donc, qu’en rapportant son action aux dilemmes que d’autres avant nous ont eu à trancher – certains bien, d’autres mal. Non pas que leur situation ait été en tous points semblables à la nôtre – elle ne peut pas l’être –, mais pour y puiser un sens accru du danger, de l’auto-examen, et de l’anticipation d’une histoire qui délivrera ses verdicts.

Il faut être inconscient pour ne pas mesurer le péril : si la période actuelle n’est pas l’exacte réplique des années 1930, elle lui emprunte suffisamment pour faire redouter que des causes semblables entraînent des effets semblables. On sait assez que l’extrême-droite profite du pire. Et, à part la nef des fous éditoriale qui, répétant en boucle « la réforme », n’en finit pas de demander plus du même, on sait aussi que la période n’engendre plus que du pire – mais il allait sans dire que, comme bras armé « intellectuel » du parti unique eurolibéral, l’appareil médiatique [2] est décisivement impliqué dans la symbiose fonctionnelle qui fait prospérer le FN. De ce terrible enchaînement, qui ne créé pas d’autre devoir que de s’y opposer – quoiqu’on voie de moins en moins ce qui pourrait venir le contrarier… –, chacun devra savoir ce qu’il y a fait, et quelle place il y a tenue.

Il est bien certain que la polémique livre son lot de mises en cause à la truelle : pour l’alter-européisme, en cela confondu avec l’européisme tout court, c’est d’envisager seulement la sortie de l’euro qui soutient un cas d’accusation… On pourrait bien plutôt soutenir que c’est d’en refuser la possibilité qui, abandonnant la question au FN et fixant les peuples dans une catastrophe eurolibérale en réalité inexpiable, livre à l’extrême-droite une ressource politique sans équivalent. La querelle cependant ne souffre plus aucune équivoque lorsqu’il devient explicitement question de faire cause commune, ou bout de chemin, ou n’importe quoi d’autre, avec le FN – et peu importent les codicilles tout à fait secondaires dont on enrobe l’idée : l’essentiel est dit.

Egaré pour rien

Mais il y a pire que l’égarement : l’égarement pour rien. Car voici la tragique ironie qui guette les dévoyés : le FN, arrivé au pouvoir, ne fera pas la sortie de l’euro. Il ne la fera pas car, sitôt que la perspective de sa réussite électorale prendra une consistance sérieuse, le capital, qui ne se connaît aucun ennemi à droite et aussi loin qu’on aille à droite, le capital, donc, viendra à sa rencontre. Il ne viendra pas les mains vides – comme toujours quand il a sérieusement quelque chose à réclamer ou à conserver. Aussi, contre quelques financements électoraux futurs et surtout contre sa collaboration de classe – car, comme s’en aperçoit, pour sa déconfiture, le pouvoir actuel avec son pacte de responsabilité en bandoulière, le capital a bel et bien le pouvoir de mettre l’économie en pannepar mauvaise volonté [3] – contre tout ceci, donc, le capital exigera le maintien de l’euro, son vrai trésor, sa machine chérie à équarrir le salariat. Croit-on que le FN opposera la moindre résistance ? Il se fout de l’euro comme de sa première doctrine économique – et comme de toutes les suivantes. Le cœur de sa pensée, s’il y en a une, est bien ailleurs : il est dans une sorte de néocorporatisme vaguement ripoliné pour ne pas faire trop visiblement années trente, et s’il est une seule chose à laquelle il croit vraiment, elle est sans doute à situer du côté du droit du petit patron à être « maître chez lui » (éventuellement additionné d’une haine boutiquière pour l’impôt qui nous étrangle).

Tragique destin pour tous ceux qui auront cru voir en lui la dernière église des vrais croyants et qui finiront à l’état de recrues scientologues, essorées et refaites, rendus par-là à avoir partagé, quoique depuis le bord opposé, la même croyance que les propagandistes eurolibéraux, la croyance du FN qui chamboule tout, quand il est si clair qu’il ne chamboulera jamais rien (à part les vies des immigrés, ou des fils d’immigrés, qui vivent en paix sur notre sol et qui, elles, seront bel et bien dévastées) : car enfin a-t-on jamais vu le parti de l’ordre perturber l’ordre ? Et croit-on que le parti des hiérarchies ait à cœur de déranger les hiérarchies – en l’occurrence celles du capitalisme ? Au moins les eurolibéraux ont-ils, pour ce qui les concerne, leurs intérêts obliques à entretenir cette effarante bêtise : c’est qu’il faut bien que le FN soit assimilé à une sorte de révolution pour mieux éloigner le spectre de toute révolution – soit encore et toujours le travail de la symbiose fonctionnelle, et l’éditorialisme, empressé d’accorder au FN sa revendication la plus centrale et la plus frauduleuse (« il va tout bousculer ! »), lui rend sans même s’en rendre compte le plus signalé des services.

À gauche, et à gauche seulement

Ceci d’ailleurs de toutes les manières possibles. Car on n’en revient pas du rassemblement parfaitement hétéroclite des visionnaires en peau de lapin occupés à déclarer caduc le clivage de la droite et de la gauche – jamboree de la prophétie foireuse où l’on retrouve aussi bien l’extrême-droite (mais c’est là une de ses scies de toujours) que l’extrême-centre, de Bayrou à Valls, pour qui la raison gestionnaire permet enfin de faire l’économie d’inutiles querelles (« idéologiques » disent les parfaits idéologues de « la fin des idéologies »). Malheureusement pour eux, le déni du réel s’accompagne immanquablement du retour du refoulé. « Ça » revient toujours. C’est même déjà revenu : en Grèce, sous le nom de Syriza – avant qu’un incompréhensible Tsipras ne sombre dans un tragique renoncement. Le tsiprasisme n’est plus qu’un astre mort, mais certainement pas la gauche en Grèce – et partant en Europe.

Or cette persévérance suffit à ruiner et les imputations immondes de l’européisme et les dévoiements d’une « gauche » qui croit pouvoir passer par la droite de la droite. Car de même qu’on ne prouve jamais si bien le mouvement qu’en marchant, on ne démontre pas plus irréfutablement la possibilité d’une sortie de gauche de l’euro… qu’au spectacle d’une incontestable gauche qui se propose de sortir de l’euro – drame de l’insuffisance intellectuelle : à certains, il faut le passage au concret pour commencer à croire vraiment à une possibilité que leur esprit ne parvient pas à embrasser tant qu’elle demeure simplement abstraite.

Dieu sait qu’il fallait être ou bien de la dernière mauvaise foi ou bien intellectuellement limité pour ne pas concevoir une sortie de gauche de l’euro – c’est-à-dire une vision de gauche de la souveraineté. Mais maintenant elle est là : une grosse minorité de Syriza, défaite par la trahison de Tsipras, mais décidée à continuer de lutter sous les couleurs nouvelles de la Gauche Unie, établit désormais in concreto l’existence de la « sortie de gauche » : une sortie que rien n’entache à droite, ni « repli nationaliste » puisque nous avons là affaire à des gens dont les dispositions internationalistes sont insoupçonnables, ni « dérive xénophobe » puisque pour le coup le seul point d’accord, mais absolu, au sein de Syriza, touche à la question de l’immigration, de son accueil et de sa régularisation. Et seuls les deux neurones de Jean-Marie Colombani, la haine incoercible de Quatremer pour tout ce qui est de gauche, mais aussi les préventions affolées de l’alter-européisme, pourront trouver justifié de s’exclamer au repli identitaire.

La gauche est là. Même réduite au dernier degré de la minorité institutionnelle, elle ne mourra pas. Elle vit en Grèce. Elle revivra ailleurs en Europe, et spécialement en France, pour peu qu’on s’y aperçoive, l’échec de Tsipras enfin médité, qu’elle n’a de salut qu’hors de l’euro – et bien sûr qu’en en sortant par son côté à elle. Mais il faut être en proie au fétichisme de la sortie pour ne plus désirer sortir que pour sortir, c’est-à-dire pour se préparer à sortir accompagnén’importe comment. Et avoir sérieusement oublié de se poser la seule question qui vaille, la question de savoir pour quoi faire, et par suite avec qui ? – la seule qui ramène quelque clarté et fasse apercevoir certaines improbables alliances pour ce qu’elles sont : aberrantes, dévoyées, et promises à la perdition, au double sens de l’égarement moral et de l’échec assuré.

Notes

[1] Voir à ce sujet « Leçons de Grèce à l’usage d’un internationalisme imaginaire (et en vue d’un internationalisme réel) », 6 avril 2015.

[2] Dont, à quelques exceptions minoritaires près, les différenciations internes sont tout à fait secondaires.

[3] Pour un développement un peu plus substantiel à propos de cette question, voir « Les entreprises ne créent pas l’emploi », 26 fevrier 2014.


Réponse d’Alexandre Tzara à Frédéric Lordon

Source : Reprise sur Et Pendant ce temps-là, le 28 août 2015.

Monsieur,

Je prends régulièrement plaisir à vous lire. Vous me semblez être un des rares et stimulants économistes de notre époque et vos articles sont précis, ciselés et convaincants, notamment en matière économique. Cependant un tel article me déçoit beaucoup de votre part. Non seulement je ne suis pas en accord avec vos conclusions sans nuances mais votre analyse est biaisée et souffre même de faiblesses méthodologiques. Je vais m’atteler à reprendre point par point votre argumentation afin d’en révéler les approximations et les omissions. Approximations et omissions qui, bien sûr, vont dans le sens de votre démonstration.

1) “Le FN, ce terrible fléau, cette bénédiction”

Que le FN serve d’épouvantail aux deux partis dominants est une analyse juste mais tout à fait convenue. Le FN joue au niveau électoral le rôle du fascisme sur le plan idéologique : le démon. La menace toujours mortelle et menaçante. Que les deux partis dominants se jouent du FN afin de mieux se maintenir au pouvoir, il faudrait être un grand naïf pour en douter. Les premiers à avoir instrumentalisé le FN sont les socialistes, sous Mitterrand. Je ne vous apprendrai rien dans ce domaine que vous ne sachiez déjà. En revanche vous allez beaucoup plus loin, vous déduisez de cette posture d’épouvantail une complicité, comme une alliance objective entre les deux partis de pouvoir et le FN. Voilà un développement argumentatif qui aurait mérité plus ample développement ! D’une part il est une différence entre instrumentaliser un parti comme négatif politique et idéologique (ce qui suppose que l’on a pas intérêt à ce qu’il parvienne au pouvoir ou menace le jeu d’alternance des deux partis en place) et en faire un instrument dont la venue au pouvoir ou l’accroissement excessif ne serait pas redouté. En l’occurrence, je rejoins sans problème l’idée que le PS a tout intérêt à ce que le FN constitue une troisième force politique, capable d’affaiblir la droite et donc de faciliter la venue au pouvoir de la gauche.

En revanche le passage du FN de la troisième à la deuxième position voire même la première non seulement affaiblit la droite mais bouscule le jeu installé du parlementarisme de notre Vème République fondé sur l’alternance entre deux partis recentrés, l’un en majorité, l’autre en opposition. Un FN très fort (comme c’est le cas aujourd’hui) met à mal ce confortable jeu de chaises tournantes. La gauche comme la droite s’en trouvent menacés. En un certain sens la stratégie adoptée par Mitterrand est allé bien au delà de ses espérances. Dans un deuxième temps je vous ferai remarqué qu’être l’épouvantail d’un échiquier politique n’induit pas une complicité entre l’épouvantail et les forces installées. Du moins pas forcément. Durant plusieurs décennies en Italie, entre les années 50 et les années 80-90, le Parti Communiste fut, pour le reste de la classe politique, l’épouvantail. Face au péril (réel ou fantasmé) du communisme, la DC et ses alliés ont adopté une stratégie de verrouillage des institutions, ceci avec les socialistes, dans la lignée de la tradition du Connubio. Exactement la stratégie de nos deux partis jusqu’à peu. En Italie les choses allèrent même encore plus loin avec la stratégie de la Tension qui visait à décrédibiliser le parti communiste, ceci en manipulant les néo-fascistes. Peut-on en déduire que le Parti communiste fut l’allié objectif voire même le complice de la droite italienne et lui en faire porter la responsabilité ? Donnez-moi donc votre avis sur la chose. C’est pourtant ce que vous faites concernant le Front National. C’est pour le moins très léger et peu convainquant.

2) “Des signifiants disputés”

Sans doute la partie la plus envolée et la plus stimulante intellectuellement de votre contribution. Et pourtant ici encore on peut trouver des failles inquiétantes dans votre argumentations.
Vous commencez par intégrer le PS à un ensemble appelé la “Droite générale”. Quelle est-elle ? Si l’on se base sur d’autres interventions de votre part on pourrait penser que vous considérez de droite les mouvements politiques libéraux. Le distinguo que vous établissez semble donc s’effectuer dans le champs de la pensée économique. Soit.

Cependant quelques lignes plus bas vous rompez avec ces premières lignes et, passant de la question économique à la question des référents de valeurs, vous dressez une opposition aussi caricaturale qu’idéelle entre deux conceptions de la nation que vous essentialisez et absolutisez. Opposer le modèle républicain, avec son universalisme comme horizon d’idéalité et sa conception subjectivisée de l’appartenance à une nation au modèle anti-républicain de la nation comme entité organique et objectivisée est tout à fait juste, mais demeure un peu primaire, un peu “brut” délivré comme tel. Ce sont des concepts-types. Vous avez choisi, sciemment, de ne citer que deux expressions extrêmes de ces théories. Pire, vous vous permettez de mettre sur le même plan deux théories de la Nation qu’un siècle sépare. Sans prendre la peine minimale de restituer le contexte général, intellectuel et politique de l’émission de l’une et l’autre. Vous mettez ici la déontologie de l’historien à rude épreuve. Sauf à tomber dans l’instrumentalisation politicienne ou dans la polémique, toute réflexion sérieuse se doit de considérer un concept non comme un objet parfaitement autonome mais comme une production située dans le temps et l’espace.

Or, et ceci me dérange vraiment dans votre article, à aucun moment vous ne prenez soin de rendre compte des transformations, bouleversements et recompositions des champs intellectuels et politiques français à la fin du XIXème siècle entre l’affaire Boulanger et la Grande Guerre. A cette occasion, les marqueurs identitaires de ce qui fait la gauche et de ce qui fait la droite se transforme en partie (bien que pas totalement). La pensée de Maurras se situe à ce moment, celui où une nouvelle droite émerge et réinvestit un concept surtout utilisé par la gauche. Tandis qu’à la gauche l’internationalisme se propage. Vous pouvez penser qu’une filiation directe lie les contre-révolutionnaires à Maurras, suivant en cela les travaux de l’historien Zeev Sternhell. Mais dans ce cas pourquoi ne pas citer plutôt Herder ou Burke plutôt que Maurras ? Hors le rapport traditionnaliste des contre-révolutionnaires à la nation n’induit pas nécessairement une posture défensive et aggressive, du fait de la place très importante du christianisme et de son message dans leurs écrits. Un siècle plus tard les maurrassiens sont catholiques par raison plus que de coeur. Vous négligez la capacité des objets Gauche et Droite à se redéfinir,se redéployer dans une relation dialectique d’opposition. Et vous le faites afin de présenter une image, mythique, de deux entités pures et absolument antinomiques et ceci depuis la Révolution française. Une lecture aussi tranchée que peu fondée historiquement barre la route à tout dialogue.

Précisément, la Révolution française tient dans vos propos une place importante. Je pense que vous avez raison d’y voir l’acte de naissance de la France politique moderne (ceci ne rentrant pas en contradiction avec les lignes précédentes). Ceci dit vous ne rendez compte que d’une certaine vision, un certain discours. Première difficulté : la vision de Robespierre peut-elle être considérée comme celle de tous les révolutionnaires de l’époque ? On observe qu’à côté de cette vision de la Nation tournée vers l’avenir étaient présents des stratégies de légitimation qui tout à l’inverse reposaient sur des mythèmes identitaires, bien loin d’un discours révolutionnaire “de gauche” que vous simplifiez au possible. Ainsi le pamphlet de l’abbé Siéyès “Qu’est-ce que le Tiers-Etat” justifiait-il l’exclusion de la Nation des nobles sur une dichotomie de race entre ces derniers et le Tiers-Etat. Les nobles seraient descendants des francs et les hommes du Tiers descendraient des Gaulois. Mieux, Siéyès justifie cette démarche d’exclusion sur la nécessité des Gaulois de redevenir maîtres sur “leurs” terres au nom de l’antériorité de l’arrivée des Gaulois sur celle des Francs. Voilà bien une argumentation qui n’est pas sans rappeler Maurras et celle des identitaires actuels ! Et n’allez pas me dire que Siéyès ne fut pas révolutionnaire. Sans être ni montagnard ni robespierriste il fut conventionnel et régicide. Vous le voyez votre présentation antinomique de deux définitions de la Nation, quasi éternelles, relève bien plus d’une reconstruction habile de votre part que d’un constat rigoureux historiquement. Les choses sont comme bien souvent beaucoup plus complexes et nuancées.

Par ailleurs on observe un décalage entre les discours les pratiques. Votre présentation de la vision de Robespierre est séduisante. Mais elle masque une autre réalité. Cette nation française en pleine naissance a dû lutter durement contre ses ennemis pour s’affirmer, s’imposer. Toute Révolution est guerre d’indépendance. Et là on retrouve la dichotomie Ami/Ennemi structurante et étudiée par Carl Schmitt. En 1794, en guerre face au reste de l’Europe, la France vit dans un climat xénophobe. On est bien loin de l’idéal universel que vous citez. On oppose le sans-culotte bien français et viril au contre-révolutionnaire efféminé et cosmopolite. Le cosmopolitisme est combattu comme contre-révolutionnaire. De même ordre est donné (il ne sera jamais appliqué) aux armées de mettre à mort les prisonniers de guerre anglais. Les révolutionnaires étrangers comme Anacharsis Cloots passent à la guillotine tandis que les montagnards constituent globalement le groupe dominant. L’historienne Sophie Wahnich a consacré une étude à ce paradoxe de la situation de l’étranger sous la Révolution : “L’impossible citoyen”. Je vous invite vivement à lire ce livre majeur si vous ne l’avez déjà fait. Il met le doigt sur les apories d’un modèle qui joue tout à la fois sur le réinvestissement de religiosité autour du concept de Nation et sur l’horizon d’idéalité de ce même concept et donc sa dissolution annoncée.

3) “Misère du mono-idéisme”

Pour moi la partie la plus faible de votre billet. Somme toute vous construisez de toute pièce un concept verbiageux pour rendre compte de quelque chose d’assez banal en politique : le réalisme. Soit la capacité de hiérarchiser les problèmes et les solutions qui s’imposent pour les résoudre. Somme toute, dès lors que la politique se définit en premier lieu comme l’art de définir l’ennemi (mais peut-être n’êtes-vous pas schmittien), il s’agit de hiérarchiser les dangers. Vous voyez du fétichisme là où il n’a pas lieu d’être. Les accords de la gauche sur les politiques libérales menées par l’Europe ne s’expliquent pas par ce biais mais bien plutôt par un réalisme de type gestionnaire qui les pousse à accepter les lois iniques d’un système non démocratique par peur de l’effondrement d’un système qui les fait vivre. Gauche et Droite se sont convertis au libéralisme et donc à l’Europe sur les ruines des idéologies alternatives du XXème siècle. Ils sont incapables de penser l’alternative. Pire, pour eux cet effondrement d’une structure politique équivaudrait à un retour à une forme d’état de nature entre les nations. Ils s’allient donc contre l’ennemi commun : la transformation radicale des modalités de réglementation et de domination politique. Votre concept de mono-idéisme est assez peu convainquant.

Dans votre deuxième sous-partie de cette partie vous placez sur le même plan Nicolas Dupont-Aignan et le Front National. Voici qui est bien curieux. Votre dualisme extrême vous oblige à ignorer la pluralité des droites existantes en France. Notamment ici vous oubliez un fait essentiel et structurant dans la vie politique française et ceci depuis bien longtemps : l’existence d’une droite gaulliste. Certes les débats furent vifs sur ce point entre René Rémond et Zeev Sternhell mais mettre dans le même sac les enfants de Maurras et ceux de De Gaulle relève d’un curieux numéro d’équilibriste. La conception de la Nation chez les gaullistes est plus proche de celle des fils de Robespierre. On peut même se demander si se n’est pas la droite qui est passée à gauche en acceptant la République, le jeu parlementaire et l’héritage de la Révolution. Ceci à la fin du XIXème siècle, reléguant la droite précédente dans les marges d’une droite radicale extra-parlementaire.
Toujours est-il que mettre sur le même plan Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan est une manœuvre grossière. Dans un entretien récent l’historien Michel Winock rappelait la filiation idéologique différente et même opposée de ces deux personnalités politiques.

Et justement tout ce que vous reprochez au Front National ce n’est pas un point précis de son programme, non, vous appuyez sur le fait qu’il est “raciste”, reprenant ici les critiques les plus stériles du personnel politique opposé au Front National. Stratégiquement, votre accusation n’est plus très efficace… Et même si l’on choisit de s’y attarder un peu on constate que vous traitez le Front National, dans tout votre article d’ailleurs, comme un bloc homogène. C’est tenir peu de cas des tensions multiples qui traversent ce partis en ce moment. Tensions qui le rendent tout à fait incapable de prétendre gérer un pays tant les modalités de réglementations des conflits dans ce conflits reposent sur un pur rapport de force familial. Bien entendu il serait aventureux de penser que le FN a totalement changé. Cependant l’arrivée de nombreux souverainistes de gauche avec Philippot ainsi que de profils comme celui du gaulliste Paul Marie-Couteaux (depuis éliminé) semble indiquer que plusieurs familles aux héritages divers cohabitent dans cette grosse PME familiale assez attrape-tout qu’est devenu le FN. Permettez-moi de prendre un exemple que je trouve révélateur. Lors de la Manif pour Tous le FN est parti en ordre dispersé. Au fond toute une partie de ce parti a refusé de s’opposer au mariage pour tous tandis que l’autre partie (derrière Marion Maréchal Le Pen) a choisi de s’y opposer vivement. Clairement à cette occasion les fractures internes ont été mises à jour.

Or, je pense que pourriez en convenir, un parti héritier de Maurras et des valeurs portées par sa tradition, aurait lutté de toutes ses forces contre un tel projet de loi. On observe depuis quelques années d’ailleurs un mécontentement croissant des milieux liés au FN à l’ancienne. Pour eux le parti est passé “à gauche”. Ainsi, le FN ne met-il pas en avant les thèmes chers aux identitaires tel que le Grand Remplacement, la défense de la Civilisation… Stratégie me répondrez-vous ? De la part de Marine Le Pen peut-être, mais il semble plus compliqué d’imaginer Florian Philippot, au vu de ses engagements passés et de sa vie, comme un maurassien identitaire dissimulé. Au fond deux voies semblent s’offrir à ce parti : celle de Marion et celle de Florian, avec Marine comme maîtresse de maison distribuant les points et infléchissant son discours au gré des situations.

Votre analyse me paraît donc ici aussi bien faible. L’opprobre que vous jeté sur les gaullistes souverainiste de droite est non seulement infondé mais mensonger au regard de l’histoire. Quant à Jacques Sapir, au fond il n’a jamais parlé que de liens possibles dans l’avenir avec le FN sur certaines questions tout en précisant que cela dépendait de la voie que prendrait ce parti. Ceci n’engage que peu et reconnaissons que la perspective d’une recomposition du FN autour de Philippot dans une filiation crypto-gaulliste, sans être très vraisemblable, n’est pas impossible.

4) “Le jugement de l’histoire”

Ici votre argumentation repose d’avantage sur des présomptions et des incantations que sur une analyse apaisée de la situation. Tout d’abord vous nous présentez comme une fatalité le passage d’un individu à l’extrême-droite et ceci définitivement dès lors qu’il commence à dialoguer avec elle. “Fatalité résistible”, fondée sur de “trop nombreux nombreux témoignages” dite-vous. Peut-être pensez vous à l’ouvrage de Philippe Burrin sur la dérive fasciste et à ses protagonistes : Déat, Doriot et Bergery. Certes, mais ce n’est nullement une fatalité. Je vais vous citer quelques noms d’hommes d’extrême-gauche ayant dialogué avec l’extrême-droite et qui n’ont pas succombé à la “tentation” si je puis dire voire même de ceux qui sont passés à l’extrême-droite puis sont revenus à l’extrême-gauche.

En 1911 fut fondé le Cercle Proudhon qui a permis à des socialistes révolutionnaires (Georges Sorel, Édouard Berth => son disciple) de dialoguer avec des maurrassiens de l’Action française. L’histoire de ce cercle est méconnue mais elle est pourtant éclairante. Sorel et Berth ne sont pas pour autant tombé dans le maurrassisme loin de là puisqu’ils ont plus tard salué la Révolution bolchevique. Signe qu’on peut dialoguer avec d’authentiques membres de la droite radicale (et Maurras en était un) sans se renier Monsieur Lordon. Exemple plus frappant encore ! Celui de Georges Valois. Anarchiste dans sa jeunesse, il adhère ensuite à l’Action française puis fonde en 1926 le premier parti fasciste de France : le Faisceau. Dans les années 1930 il retourne à gauche et se rapproche de Marceau Pivert, le leader de l’aile gauche de la SFIO (proche de certains trotskistes). Georges Valois est mort dans un camp de concentration nazi en 1945, comme tant d’autres héros morts pour la France. Dernier exemple : Paul Nizan. Dans les années 20 il adhère à l’Action française puis se rapproche du Faisceau de Georges Valois. A l’époque il admire le fascisme italien. Pourtant dans les années 1930 il devient membre du Parti Communiste et écrit son célébre livre sur les Chiens de garde. Son passé fasciste est moins connu de nos jours.

Tous ces exemples Monsieur pour bien montrer qu’il n’y a aucune fatalité à chuter et à rester à l’extrême-droite quand on dialogue avec elle. Vous pouvez donc dormir sur vos deux oreilles Monsieur Lordon, Monsieur Jacques Sapir n’est pas condamné à devenir maurrassien en dialoguant avec Nicolas Dupont-Aignan ou même avec Marine Le Pen.

Ces contre-exemples viennent infirmer ce que vous nous présentez comme une véritable loi dans le domaine de la politique. Le dialogue n’implique pas le reniement et la capitulation, simplement l’acceptation que les arguments du contradicteur valent la peine d’être discutés, affinés, appuyés ou contredites. Ce serait faire insulte à Monsieur Jacques Sapir que de le croire incapable de défendre ses propres idées.

5) “Égaré pour rien”

Là votre trame argumentative s’enrichit d’une perspective nouvelle et d’une approche spécifique. Cette perspective c’est celle du renoncement du FN à tenir ses promesses de manière volontaire. Votre approche, c’est celle d’une essentialisation du concept de “Capital”, je suppose dans une acceptation marxiste la plus rigide. Pour ce qui est de la capacité du FN à tenir ses promesses l’exemple d’Alexis Tsipras nous montre que la bonne volonté ne suffit pas. Mais oui vous allez plus loin, pour vous le FN est néo-corporatiste. Vous êtes au moins cohérent avec le début de votre post. L’Action française avait sur le plan économique un positionnement corporatiste marqué, je vous l’accorde. Mais là où le bas blesse c’est que pour tirer une conclusion aussi convaincue du vrai programme du FN (d’ailleurs quel texte officiel récent produit par ce parti pourrait le laisser penser ?) il faudrait déjà prouver qu’il est l’héritier de Maurras et juste de Maurras. Et là les faiblesses de votre analyse au point précédent se répercutent à ce niveau de votre développement. Que faire des nouveaux profils du FN tels que Philippot ? Serait-il corporatiste lui aussi ? De plus, là encore les idées changent. Si Maurras était corporatiste dans les années 30, ne peut-on envisager que ses héritiers aient abandonné cet aspect de sa pensée ? Tous les marxistes n’adhèrent plus à l’économiciste du Marx de la maturité (par exemple feu le philosophe marxiste italien Costanzo Preve que je vous invite à lire). Si les idées s’affinent et peuvent se transformer chez les héritiers de Marx, pourquoi pas chez ceux de Maurras ?

Vous parlez également du capital comme d’un sujet agissant de manière coordonnée, rationnelle. Alors peut-on inclure le petit patronat sous un tel concept ? Nous avons, à ma connaissance, un dense tissu de PME en France. Je vous laisse la possibilité ici de me réfuter vous devez mieux le savoir que moi. Mais il s’agit d’un réseau éclaté peu susceptible d’agir en commun. Dans le passé, peu de régime ou de partis ont été soutenus par l’action concertée, économique notamment, des petits patrons (ce qui ne veut pas dire que ces derniers n’aient pas des préférences politiques).

Alors il s’agit du grand patronat ? Celui qui a financé les fascistes italiens (Confindustria, Confagricoltura) et les nationaux-socialistes. Là encore votre incantation pour laisser croire à une situation pas si éloignée de celle des années 1930 tombe à l’eau. Lénine a écrit un très beau livre sur l’impérialisme et ses relations avec les logiques du capitalisme. Dans ces années le grand patronat recherchait une protection de son marché intérieur, garantie par le protectionnisme voire l’autarcie des régimes fascistes. De plus, l’impérialisme agressif et colonialiste des fascismes assurait à ces entreprises des situations de monopoles sur des espaces sauvegardés. A l’époque les modalités de déploiement de l’autorité étatique et de la domination monopolistique pouvaient parfaitement concorder.
Mais une analyse rigoureuse de votre part aurait exigé une étude des dynamiques propres au capitalisme de nos jours et aux nouvelles formes d’impérialismes.

Premièrement nous sommes, je crois, passé à un nouveau stade de l’expansion du capitalisme et de ses modalités d’action que Lénine n’avait pas perçu. Désormais les entreprises ne sont plus liées à des états, à des pays, elles sont trans-nationales. Elles jouent sur la globalisation et sur la parfaite libéralisation du marché des capitaux et sur la possibilité de mondialiser le processus productif lui-même, profitant des différences de législation et de niveau économique. Aujourd’hui plus besoin pour nos multinationales d’une conquête coloniale sur fond d’idéologie nationaliste pour se déployer et réaliser le maximum de leur profit. Bien au contraire… Nos multinationales profitent de notre système libéral européen et du discours dominant sur le développement économique des pays pauvres pour s’implanter mondialement. Comme Carl Schmitt l’avait bien compris, les nouvelles guerres asymétriques et le discours mondialiste dominant faisant de la croissance économique le but à rechercher à tout prix font le jeu de ce système capitaliste et lui permettent de diversifier et de complexifier son logiciel de domination.

Or ceci nécessite une libre circulation dans tous les domaines, y compris humains. La position du grand patronat allemand est significative à cet égard, il appelle à favoriser l’immigration, du moins pour peu qu’elle soit qualifiée. L’”Immigration choisie” sarkozyste est l’ultime avatar de cette posture libérale et cynique. A l’inverse je ne vois pas en quoi de nos jours le grand patronat aurait à se réjouir d’une venue au pouvoir du FN (pour le petit patronat c’est différent mais à travers le concept de capital je pense que vous parlez du grand patronat). Un parti qui aujourd’hui fait du protectionnisme et ferme les barrières migratoires d’un pays, mettant fin à la globalisation, va ainsi à l’encontre des intérêts du grand capital. Ce dernier l’a bien compris et le MEDEF a une position beaucoup plus dure envers le FN qu’envers… le PS. A moins que vous ne pensiez que le FN s’aligne sur une politique libérale, européenne et favorable à la globalisation et fera même dans la défense d’une “immigration choisie”. Mais dans ce cas en quoi serait-il encore d’extrême-droite ? Il deviendrait un parti comme les Républicains ou le PS… Très décevant certes pour ceux qui auraient cru en lui mais finalement nous avons déjà ces gens au pouvoir.. Non, la grande faille de votre argumentation est que vous essayez de nous faire croire que grand patronat et extrême-droite partagent les mêmes intérêts. Ce qui pouvait être vrai dans les années 1930 ne l’est plus aujourd’hui.

6) “A gauche, et à gauche seulement”

Pour finir voici vos espoirs, ce que vous nous proposez. La voie semble bien étroite permettez-moi de vous le dire. Vous en appelez à une alternative bien à gauche. Encore s’agirait-il de proposer une définition développée et argumentée de ce qu’est la gauche pour vous. Votre appel à Robespierre s’avère, comme je l’ai développé plus haut, assez faible sur le plan intellectuel, d’un manichéisme intéressé.
Vous citez Tsipras et son parti Syriza, vous semblez appuyer le travail qui fut le sien jusqu’à son renoncement. Dois-je vous rappeler que tout ce travail ne fut possible qu’avec l’alliance précisément des souverainistes de droite grec (les Grec Indépendants). Oui, les alliés de Nicolas Dupont-Aignan. Celui-ci même que vous rangez avec mépris dans le même sac que les héritiers de Maurras. Voilà une bien étrange démonstration que la votre qui, pour défendre une alternative à gauche et à gauche seulement, prend pour exemple un parti alternatif de gauche qui a accepté non seulement de dialoguer mais de s’allier avec un parti de droite. Votre exemple va à l’encontre de ce que vous entendez démontrer. Vous rendez vous compte seulement de l’incohérence d vos propos dans cette partie ? Prendre pour exemple une stratégie qui est l’inverse de celle que l’on défend relève ni plus ni moins du masochisme intellectuel et politique.

Concluons. Vous vous plaignez à la fois de la posture internationaliste des partis d’extrême-gauche qui empêche de permettre un retour à un niveau politique de décision national afin de battre en brèche la volonté politique libérale de nos élites européiste. Dans le même temps vous accusez également le PS d’avoir abandonné la gauche. Puis vous vous attaquez à Jacques Sapir et à ceux qui prônent un dialogue ou un rapprochement avec les souverainistes de droite tout en citant comme exemple de votre stratégie jusqu’au-boutiste un parti qui a choisi précisément l’alliance avec un parti de droite.

Quand on observe la situation des forces politiques en France aujourd’hui, autour de trois pôles : PS, LR, FN dont deux (PS, LR) partagent les mêmes valeurs, quand on observe l’état de la gauche critique, divisée et morcelée, on peut vite en conclure que votre post , qui refuse jusqu’au dialogue avec des néo-gaullistes comme Dupont-Aignan, ne peut aboutir qu’à une seule situation : le renforcement du contrôle des deux partis dominants sur la situation politique.

Je me permets en conclusion de vous rappeler une conférence où vous souteniez la “politique du pire” en appelant à voter pourquoi pas UMP plutôt que PS. Permettez-moi de vous faire remarquer que votre politique du pire est assez fade et très loin de ce qu’elle désigne réellement. Faire la politique du pire c’est croire au chaos régénérateur, penser qu’un effondrement total des mécanismes politiques des règlements des conflits permettra une perte dans le monopole dans la violence et ainsi à des forces radicales de se retrouver en situation de force. Ce fut la stratégie des contre-révolutionnaires français au début de la Révolution qui ont aidé les Jacobins contre les Feuillants. Certains ont payé par la suite de leur vie cette stratégie dangereuse. Votre version de la politique du pire n’est rien d’autre qu’un appel à l’alternance dans l’espoir (vain car nos institutions font que les partis modérés se renforcent dans l’alliance avec les plus radicaux) d’un renversement du rapport de force entre PS et gauche de la gauche. Il s’agit d’une petite combinaison politicienne pas d’une authentique “politique du pire”.

J’espère que ces lignes vous parviendront. Ne prenez pas ombrage de leur ton parfois passionné.

Alexandre Tzara

P.S. Commentaires fermés, par pitié pour les modérateurs bénévoles qui ont droit à leur week-end :)

Source: http://www.les-crises.fr/jacques-sapir-la-polemique-ii/


Revue de presse internationale été 2015

Sunday 6 September 2015 at 00:01

Voici un panel d’articles relevés par nos contributeurs cet été. Merci à eux. Nous avons besoin de volontaires pour étoffer l’équipe de la revue internationale qui manque de collaborateurs (veille de sites, sélection d’articles). Si vous appréciez cette revue, rejoignez-nous via la rubrique contact du blog. Bonne lecture !

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-ete-2015/


Jacques Sapir, la polémique (I)

Saturday 5 September 2015 at 02:20

Le texte de Stefano Fassina

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 24 août 2015.

Pour éclairer le débat qui a été lancé par l’interview que j’ai donné à FIGAROVOX, je publie la traduction de l’article de Stefano Fassina, appelant à la constitution d’une « alliance des fronts de libération nationale », qui a été établie par le Comité Valmy. Ce texte pose clairement le problème. Je rappelle que Stefano Fassina a été membre duParti Démocrate auquel appartient Matteo Renzi, l’actuel Premier ministre de l’Italie (parti qu’il a quitté le 23 juin dernier), qu’il fut vice-ministre des finances dans le gouvernement d’Enrico Letta, et qu’il fut un chroniqueur réputé de l’Unita. On pourra voir, dans ce texte, que je ne suis nullement l’inventeur de la formule « fronts de libération nationale ». Je reprends néanmoins cette formule et m’associe à l’appel de Fassina.

A - Fassina_daticamera

Pour une alliance de fronts de libération nationale

Stefano Fassina Membre du Parlement, ancien vice-Ministre des Finances

repris de la note publiée le mardi 11 août 2015 sur le site du Comité Valmy(http://www.comite-valmy.org/spip.php?article6218)

(Les intertitres sont de la responsabilité de RussEurope)

Le brulant compte grec a une valeur de politique générale. Commençons par le contenu de la Déclaration du Sommet de la zone Euro tenu le 12 juillet, avant de procéder à des évaluations politiques. Il est impossible de cacher l’aspect non durable des dispositions de perspectives économiques et financières. Malgré les ajustements remportés par la délégation grecque à Bruxelles, les mesures imposées sont brutalement de contraction, ainsi que régressives sur le terrain social.

Les mesures de compensation macroéconomique risquent d’être pratiquement inexistantes. Le financement prévu pour le troisième plan de sauvetage est consacré à la recapitalisation des banques et au paiement des dettes de la BCE, du FMI et de prêteurs privés. Rien ne va aux dépenses en capital, tandis que la crédibilité de la Commission Européenne pour aider le gouvernement grec à mobiliser jusqu’à 35milliards d’€ pour les investissements dans les 3 à 5 ans doit être évaluée au vu de son incapacité à trouver le minimum de ressources pour le “Plan Juncker”. Et enfin, l’engagement de la restructuration de la dette publique de la Grèce ouvre une perspective qui en aucun cas ne pourra avoir d’effets réels avant 2023, la fin de la période de grâce accordée par les États Européens pour leurs prêts respectifs.

Les leçons de la crise grecque

Quelles leçons pouvons-nous apprendre du cours de la Grèce ? Alexis Tsipras, Syriza et le peuple grec ont le mérite historique indéniable d’avoir arraché le voile de la rhétorique Européiste et de l’objectivité technique visant à cacher la dynamique dans la zone euro. Nous voyons maintenant le pouvoir politique et le conflit social entre l’aristocratie financière et les classes moyennes : l’Allemagne, incapable d’hégémonie, domine la zone euro et poursuit un ordre économique en fonction de ses intérêts nationaux et de ceux de la grande finance.

Il y a deux points à relever ici. Le premier : le mercantilisme néo-libéral dicté par et centré sur Berlin est insoutenable. De la dévalorisation du travail, comme alternative à la dévaluation de la monnaie nationale, en tant que principale voie à de vrais” ajustements, découle une insuffisance chronique de la demande globale, la persistance d’un chômage élevé, la déflation, et l’essor de la dette publique. Dans un tel cadre, au-delà des frontières de l’état-nation dominant, l’euro a conduit à vider la démocratie de sa substance, tournant la politique en administration pour le compte de tiers et de divertissements.

Peut-on faire marche arrière ?

Cette route est-elle réversible ? C’est le deuxième point. Il est difficile de répondre oui. Malheureusement, les corrections nécessaires pour rendre l’euro durable semblent être impossibles pour des raisons culturelles, historiques et politiques. Les opinions publiques ont des points de vue opposés et positions contradictoires, rendus de plus distants à cause de l’ordre du jour dominant dans la zone euro après 2008. Les opinions et les positions répandues chez les Allemands sont des faits. Le peuple allemand mérite le respect comme tout autre peuple. En Allemagne, comme partout, les principes démocratiques s’appliquent à l’intérieur de la seule dimension politique pertinente : l’état-nation.

Les deux premiers points de l’analyse conduisent à une vérité inconfortable : nous devons reconnaître que l’euro était une erreur de perspective politique. Nous devons admettre que, dans la cage néo-libérale de l’euro, la gauche perd sa fonction historique, et est morte en tant que force attachée à la dignité et à la pertinence politique du travail et à la citoyenneté sociale en tant que véhicule de démocratie effective. La non-pertinence ou la connivence des partis de la famille socialiste Européenne sont manifestes. En continuant à invoquer, comme ils le font, les États-Unis d’Europe” ou une réécriture pro-travail des Traités est un exercice virtuel conduisant à une perte continue de crédibilité politique.

Que faire ?

Qu’y a-t-il à faire ? Nous sommes à un tournant de l’histoire. D’une part, le chemin de continuité lié à l’euro, c’est l’acceptation de la fin de la démocratie de la classe moyenne et de l’état-providence : un équilibre précaire de sous-emploi et de colère sociale, menacé par des risques très élevés de rupture nationaliste et xénophobe. De l’autre, une décision partagée, sans actes unilatéraux, à aller au-delà de la monnaie unique et du cadre institutionnel lié, surtout pour fixer la responsabilité démocratique de la politique monétaire : une solution mutuellement bénéfique, malgré un chemin difficile, incertain, avec des conséquences douloureuses au moins dans la période initiale.

L’Allemagne l’a bien compris et, toujours consciente de son histoire, indique une voie de sortie afin éviter une rupture chaotique de la zone euro et des dérives nationalistes incontrôlables (déjà inquiétantes à la fois chez les Allemands et à leur égard) : un accord multilatéral visant à aller au-delà de la monnaie unique, comme illustré dans la proposition de “Grexit assisté”, écrit par le Ministre des Finances Schäuble et approuvé par la Chancelière Merkel. Cela implique de ne pas abandonner la Grèce à elle-même, mais “une sortie accompagnée par la décote de la dette publique (ce qui est impossible dans le cadre actuel des Traités) et d’aide technique, financière et humanitaire.”

Le choix est un choix dramatique. La route de la continuité est l’option explicite des “grandes” coalitions conservatrices et des dirigeants “socialistes” (en France et en Italie, par exemple). La route de la discontinuité peut-être la seule pour tenter de sauver l’Union Européenne, de revitaliser les démocraties bourgeoises et d’inverser la tendance de la dévaluation du travail. Pour une désintégration gérée de la monnaie unique, nous devons construire une large alliance de fronts de libération nationale, à partir des zones euro de la périphérie méditerranéenne, composée de forces progressistes ouvertes à la coopération avec l’aile droite démocratique des partis souverainistes. Le temps disponible est de plus en plus court.

Stefano Fassina,

Membre du Parlement, ancien vice-Ministre des Finances, Italie

(Traduction réalisée par le Comité Valmy)

Publié initialement sur le blogue de Yanis Varoufakis

(Fassina S., « For an alliance of national liberation fronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015,http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/)


Petit retour sur LA question qui fait toute la polémique du moment autour de Jacques Sapir

[Extrait de l'article de Jacques Sapir "Réflexions sur la Grèce et l'Europe"]

Comment reconstruire une alternative à la politique européenne actuelle ?

Si l’on considère cette alternative comme étant celle d’une rupture avec l’Euro, et je rappelle qu’il ne peut y avoir d’autre politique que sur la base d’une sortie de l’Euro, alors, cette alternative implique d’associer des forces de gauche à des forces souverainistes. Il faut noter, sur la question de l’Euro, une évolution importante au sein des forces de gauche, y compris en France si l’on observe bien les évolutions de J-L. Mélenchon et surtout d’Eric Coquerel, sur ce point. Ce fut aussi ce que disait un article dans The Guardian publié le 14 juillet 2015, soit au lendemain de la capitulation de Tsipras et appelant à une « sortie de gauche » ou « lexit ». C’est, implicitement, le sens de l’appel de Stefano Fassina, qui fut un des responsables du Parti Démocrate en Italie (et ancien vice-Ministre de l’économie du gouvernement Letta), appel qui a été relayé sur le blog de Yanis Varoufakis. C’était enfin aussi le sens de l’article d’Oskar Lafontaine, ancien responsable du SPD et membre fondateur de Die Linke, qui, en 2013, appelait à la dissolution de l’Euro. Depuis, le débat a été relayé par l’intervention de Mme Sahra Wagenknecht, co-présidente du groupe parlementaire du parti de gauche Die Linke au Bundestag dans le journal „Die Welt“. Mais, cette alternative n’aura de sens que si elle s’élargit à l’ensemble des forces qui, aujourd’hui, appellent à sortir de l’Euro. A partir du moment où l’on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, y compris avec des forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire. Vouloir se masquer cela aboutirait à une impasse. La véritable question qu’il convient de poser est donc de savoir s’il faut faire de ce démantèlement de l’Euro une priorité. Et, sur ce point, tant Fassina qu’Oskar Lafontaine et bien d’autres répondent par l’affirmative.

La présence de Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan lors de l’Université d’été de Debout la France est l’un des premiers signes dans cette direction. Mais, ce geste – qui honore ces deux hommes politiques – reste insuffisant. A terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée. Il faut comprendre que très clairement, l’heure n’est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours prononcées par les uns comme par les autres. La question de la virginité politique, question qui semble tellement obséder les gens de gauche, s’apparente à celle de la virginité biologique en cela qu’elle ne se pose qu’une seule fois. Même si, et c’est tout à fait normal, chaque mouvement, chaque parti, entend garder ses spécificités, il faudra un minimum de coordination pour que l’on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble. C’est la condition sine qua non de futurs succès.

Il faut cependant avoir conscience que la constitution des « Fronts de Libération Nationale » pose de redoutables problèmes. Ils devront inclure un véritable programme de « salut public » que les gouvernements issus de ces « Fronts » auront mettre en œuvre non seulement pour démanteler l’Euro mais aussi pour organiser l’économie le « jour d’après ». Ce programme implique un effort particulier dans le domaine des investissements, mais aussi une nouvelle règle de gestion de la monnaie, ainsi que de nouvelles règles pour l’action de l’Etat dans l’économie. De plus, ce programme impliquera une nouvelle conception de ce que sera l’Union européenne et, dans le cas de la France en particulier, une réforme générale du système fiscal. On glisse alors, insensiblement, d’une logique de sortie, ou de démantèlement, de l’Euro vers une logique de réorganisation de l’économie. Un tel glissement est inévitable, et nous avons un grand précédent historique, le programme du CNR (Conseil National de la Résistance) durant la seconde guerre mondiale. La Résistance ne se posait pas seulement pour objectif de chasser l’armée allemande du territoire. Elle avait conscience qu’il faudrait reconstruire le pays, et que cette reconstruction ne pourrait se faire à l’identique de ce que l’on avait en 1939. Nous en sommes là aujourd’hui.

L’idée de Fronts de Libération Nationale est donc certainement une idée très puissante, que ce soit en France ou en Italie. Mais, elle implique que, au moins à gauche, on se réapproprie la logique des « fronts » et que l’on comprenne que dans ce type de « front » peuvent subsister d’amples désaccords mais qui sont – temporairement – renvoyés au second plan par un objectif commun. La véritable question est celle de l’autonomie d’expression et d’existence des forces politiques de gauche au sein de ces fronts. Il faudra donc bien veiller à ce que les formes institutionnelles que pourraient prendre ces fronts ne soient pas contradictoires avec l’autonomie politique.


Et maintenant, l’après polémique

Sur la logique des “fronts”

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 23 août 2015.

Le débat suscité par l’interview accordé à FIGAROVOX s’avère extrêmement instructif en ceci que l’on peut y lire l’état de la (non) réflexion de certains. Je précise à nouveau que les différences entre le texte publié sur FIGAROVOX[1] et le texte du carnet (largement plus développé[2]) sont de ma volonté. J’ai considéré que l’interview était déjà bien longue. Mais, ce débat ne reflète pas (seulement) l’état intellectuel d’une partie des militants et sympathisants de la gauche. On peut y lire aussi de véritables interrogations quant à la stratégie politique que devrait adopter un « front de libération nationale » pour reprendre l’expression de Stefano Fassina[3] ou ce que j’appelle quant à moi un « front anti-Euro ». L’objet de cette note sera donc d’éclaircir ou de préciser certains points. Que l’on ne s’étonne pas si le vocabulaire employé pourra apparaître daté (pour ceux qui s’en souviendraient). C’est que la question des « fronts » a une longue histoire. Mais, que l’on ne se méprenne pas non plus sur ce vocabulaire. On n’en usera que ce qui sera nécessaire.

1 – Les caractéristiques de la période

Toute réflexion sur la stratégie politique s’enracine dans une analyse de la période tant politique qu’économique. Celle que nous vivons a pris naissance dans le basculement qui s’est produit dans les années 1970 et 1980 et qui a produit la financiarisation du capitalisme. Non que la finance ait été chose nouvelle. Mais, à travers les processus d’innovations financières qui se sont développés à partir de 1971-1973, la finance s’est progressivement autonomisée des activités productives dans une première phase, puis elle s’est constituée en surplomb par rapport à ces dernières dans une deuxième phase. Aujourd’hui, la finance prélève une rente de plus en plus importante sur les activités productives, et ceci se traduit par l’ouverture impressionnante de l’écart entre le 1% le plus riche de la population et le reste de cette dernière. En découle aussi ce que l’on a appelé les « trente piteuses » par opposition aux « trente glorieuses », et qui sont caractérisées par la montée d’un chômage de masse et une faible croissance.

Dans ce processus de financiarisation, un moment décisif en Europe a été la mise en place de l’Euro (pour l’appeler par son véritable nom : Union Economique et Monétaire ou UEM). Les institutions des économies qui ont adopté l’Euro s’en sont trouvées progressivement modifiées, que ce soit les institutions monétaires, qui furent les premières naturellement à être affectées, mais aussi les institutions productives (à cause de la distorsion importante de concurrence induite par un taux de change fixe sur le long terme) et enfin les institution sociales. Ce que l’on appelle aujourd’hui « l’austérité » n’est que le résultat de ce changement institutionnel. L’austérité est la fille légitime de l’Euro ; elle devenue depuis 2010 sa fille chérie. Après avoir tenté de ruser avec cette dernière dans les années 1999 à 2007, des pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie, le Portugal et la Grèce ont été contraints, à des rythmes et dans des conditions qui sont à chaque fois spécifiques, à entrer dans le carcan de l’austérité. La domination de la thématique austéritaire sur la vie politique de ces pays correspond aussi avec l’enracinement de la financiarisation que permet l’Euro.

Mais, l’Union Economique et Monétaire a induit aussi, et l’on peut aujourd’hui supposer que tel était bien l’objectif réel de ceux qui ont mis en place l’Euro, des changements importants dans la forme et les méthodes de la gouvernance politique. Le basculement vers un monde de déni systématique de la démocratie en découle. Il faut considérer que la monnaie unique n’est pas seulement un instrument de la financiarisation. Elle-même s’est progressivement autonomisée et est devenue un mode de gouvernement qui a des conséquences désormais chaque jour plus importante sur le fonctionnement politique des pays. Les parlements nationaux sont progressivement privés de leurs prérogatives souveraines, en particulier – mais pas uniquement – par le TSCG qui fut ratifié en septembre 2012. Cette dépossession de la souveraineté populaire et de la démocratie se fait au profit d’un seul pays, l’Allemagne. Elle a des conséquences politiques profondes à la fois sur les représentations des peuples et sur les mécanismes politiques tant dans les différents pays qu’entre ces derniers. C’est l’un des principaux facteurs promouvant des comportements anti-démocratiques dans les pays européens. L’une des conséquences de l’Euro est l’accentuation des effets de compétition et de concurrence entre les pays, effets qui désormais menacent directement la paix en Europe.

Ainsi, nous sommes à nouveau confrontés à des contradictions sociales extrêmement fortes, tant à l’intérieur de chaque pays qu’entre ces derniers. Nous sommes à nouveau confrontés à une période de troubles et de révolutions.

2 – Les taches de la période

Les institutions mises en place dans le cours de la période, et plus particulièrement dans la phase actuelle de domination de la finance, constituent un ensemble qui fait système. Mais, en Europe, on perçoit la place centrale qui est occupée par l’Euro. C’est ce qui fait de la destruction de l’Euro l’objectif stratégique aujourd’hui. Toute tentative visant à sortir de la financiarisation et de l’austérité en restant dans le cadre de l’Euro est vouée à l’échec. On a pu le constater avec les événements qui se sont déroulés en Grèce cette année. A partir du moment où le gouvernement grec acceptait de faire du maintien dans l’Euro la condition de sa politique, il mettait sa tête sur le billot, comme l’a montré le diktatqui lui fut imposé le 13 juillet. En s’attaquant à l’Euro directement, on ouvre au contraire une brèche dans le système institutionnel. L’Euro aboli, une partie des institutions existantes deviennent incohérentes (y compris des institutions de l’Union européenne) et leur remplacement ou leur évolution redevient possible. Mais, dire cela implique que l’on se situe dans l’univers des possibles et non de la certitude. L’abolition de l’Euro n’entraînera pas automatiquement ce résultat. Mais, tant que l’Euro restera en place aucun changement n’apparaît possible. La destruction de l’Euro est donc une conditionnécessaire mais non suffisante.

Il faut donc non pas se limiter à la seule destruction de l’Euro (qui est un préalable indispensable) mais aussi penser ce qui pourrait accompagner cette destruction et la reconstruction qui suivra. Cela implique un projet de reconstruction global de l’économie avec des implications dans le domaine monétaire et bancaire, dans celui de la production, des mesures sociales et environnementales, de la fiscalité, etc.… Il est aussi clair que la destruction de l’Euro impliquera de repenser les formes et les processus d’insertion de la France (ou de tout autre pays) à l’échelle internationale. La destruction de l’Euro conduira à la mise en œuvre d’une autre forme de politique étrangère ainsi qu’à une redéfinition de nos relations avec les pays européens. Ce projet est considérable. Il implique un niveau de consensus dans l’opinion, consensus qui ne pourra se construire que sur une convergence d’opinions, voire des accords précis sur un certain nombre de points. La lutte contre l’Euro impliquera une alliance quelle qu’en soit la forme (et elle pourrait se limiter à une forme implicite). Mais, cette alliance devra s’étendre aux mesures d’accompagnement immédiat de la destruction de l’Euro. C’est en cela que la meilleure analogie pourrait être avec le programme du CNR qui ne visait pas seulement à la libération du territoire mais posait aussi des objectifs de réformes importants de la société française.

3 – L’hypothèse de Stefano Fassina

En raison de sa place centrale dans le mécanisme de domination capitaliste actuel, et en raison de la sujétion dans laquelle est tenue la France (et la souveraineté populaire), cette lutte contre l’Euro peut s’apparenter à une lutte de libération nationale. Cette expression a été employée pour la première fois par Stefano Fassina. Il appelle à la constitution de « fronts de libération nationale » dans les différents pays qui ont été assujettis à la logique austéritaire et aux visées de l’Allemagne, et il est – en partie – rejoint sur ce terrain par Romano Prodi[4], l’ancien Premier-ministre italien.

Ce type de vocabulaire, s’il possède une capacité d’appel très important, pose néanmoins le problème de ce que l’on désigne sous le vocable de « logique frontiste ». Cette logique frontiste est combattue par ceux qui pensent que le problème se réduit à un affrontementglobal entre le capitalisme et les « révolutionnaires » et qui ne sont prêts à aucun compromis au nom de la cohérence de ce combat. L’argument le plus important contre la « logique frontiste » est que les compromis nécessaires que doivent passer des forces de gauche les empêchent de construire les mobilisations populaires qui sont leurs seuls points d’appuis. Les forces de gauche se trouveraient donc désarmées par une logique soumettant la dynamique générale du combat aux obligations de la constitution d’un « front ». Elles seraient amenées à perdre que ce soit avant d’avoir atteint le premier objectif ou immédiatement après la réalisation de cet objectif lors de la phase dite « d’exploitation » de la victoire initiale[5]. Dans cette critique de la logique frontiste, on devrait passer instantanément, et avec aussi peu de médiations que possible de l’objectif d’étape à l’objectif général. Mais, cette critique repose sur en réalité sur une théorisation de la Révolution russe qui n’a que peu de rapports avec ce que fut la pratique réelle des Bolcheviks. De fait, les objectifs qui assurèrent le succès du mouvement révolutionnaire furent essentiellement des objectifs réformistes, cimentés par le consensus nationaliste une fois l’intervention étrangère déclenchée contre la révolution.

Mais, il est aussi évident qu’une soumission trop étroite des diverses forces à l’objectif immédiat, l’incapacité (ou le manque de volonté) de penser « l’après » ont été des facteurs important d’affaiblissement de la lutte. Dans le cas des luttes menées contre la colonisation, les mouvements qui ont réussis sont ceux qui ont su associer la dynamique du combat immédiat pour l’indépendance à des perspectives de construction de la société postcoloniale. La validation d’une stratégie de « front » n’est donc pas une question de principe. Elle repose sur un certain nombre de règles que l’on peut énoncer ainsi :

4 – La logique des fronts

On discerne immédiatement qu’aucun parti ou mouvement ne pourra à lui seul porter le programme concernant « l’après ». La question des alliances se pose donc, et avec elle celle de leur forme. Les alliances peuvent être réduites au minimum dans certains cas (un pacte tacite de non-agression) comme elles peuvent être plus développées (participation commune à des structures politiques, voire à des gouvernements).

Cette question des alliances se pose dans l’immédiat, afin d’avoir la force nécessaire pour vaincre les obstacles de toutes sortes qui s’élèveront entre les forces anti-Euro et la destruction de ce dernier. Car, il ne faut avoir aucun doute sur le fait que dans la défense de l’Euro nous aurons une bonne partie des forces politiques traditionnelles, les banques et le grand patronat, mais aussi une large partie des « prescripteurs d’opinions » de la presse. Une partie importante de ces forces est transfrontière, qu’il s’agisse des partis politiques ou des milieux d’affaires. Ces forces susciteront toutes les formes de division possible. Cela veut dire que si la bataille se déroulera nominalement dans le cadre français, elle opposera en réalité des forces internationales au « front » qui combattra l’Euro.

Il devient évident, dans ces conditions, que l’un des points clefs de la réussite de ce front sera au contraire la capacité d’unir la population française et une partie de la petite bourgeoisie et de porter la division au sein de l’adversaire. Il faudra montrer en quoi une large majorité de la population bénéficiera de la suppression de l’Euro, qu’il s’agisse des catégories les plus défavorisées comme de certaines catégories de patrons de PME et PMI. L’absence ou la faiblesse des représentations politiques de ces dernières catégories implique que la bataille pour les gagner au « front » anti-Euro passera essentiellement par des thèmes idéologiques et par la capacité à maintenir l’activité courante à un niveau normal. Souvenons-nous de la pression très forte qu’a exercée la Banque Centrale Européenne sur la société grecque en organisant dans les faits une crise de liquidités dans ce pays. Mais, il faudra, aussi, diviser l’adversaire et le convaincre, dans ses représentations, qu’une destruction de l’Euro est inévitable afin d’engendrer en son sein des comportements de « sauve-qui-peut » qui désarticuleront rapidement sa capacité d’action et de réaction. Le phénomène des anticipations auto-réalisatrices doit pouvoir jouer au détriment de l’adversaire. Cela implique que des propositions comme celles d’un « plan A » rationnellement discuté (et qui peut avoir une certaine validité théorique), ou d’un référendum sur l’Euro devront être abandonnées très vite car de la rapidité des réactions et de l’avancement du « front » contre l’Euro dépendra largement sa victoire.

Une deuxième condition du succès est que le « front » ait une idée claire des mesures qui accompagneront la sortie de l’Euro que ce soit dans l’immédiat ou dans le moyen terme. Rien ne serait plus destructeur pour ce « front » que d’aller à la bataille sans avoir un accord, même implicite, sur ses mesures. Car, il faut savoir qu’une fois les opérations engagées, elles se dérouleront dans la temporalité des marchés financiers (même si ces derniers sont techniquement fermés en France), et que cette temporalité s’apparente à celle des opérations militaires. On l’a clairement vu lors de la crise de Lehman Brothers en 2008. Il est donc hors de question de s’engager dans cette bataille avec pour seule idée la « reconstitution de la souveraineté monétaire ». Il faudra pouvoir être rapidement beaucoup plus précis, même s’il n’est pas utile d’entrer aujourd’hui dans les détails. En un sens, la sortie de l’Euro se planifie comme une opération militaire, que ce soit à très court terme, mais aussi à moyen terme. Un accord, je la redis même implicite, sur les mesures à prendre sera l’une des conditions de réussite, ou d’échec, du front anti-Euro.

La troisième question qu’il faudra régler concerne à l’évidence la superficie de ce « front » et ses formes de constitution. De très nombreuses formules peuvent être imaginées, allant de la coordination implicite (pacte implicite de non agression) à des formes plus explicites de coopération. Rappelons ici que lors de l’élection présidentielle de 1981 les militants du RPR ont collé des affiches de François Mitterrand…On ne peut chérir éternellement les causes des maux dont on se lamente et, à un moment donné, la logique de la vie politique voudra que soit on sera pour la sortie de l’Euro soit on sera pour conserver l’Euro. Il n’y aura pas, alors, de troisième voie.

Il est évident que ces diverses formes d’ailleurs ne s’opposent pas mais peuvent se compléter dans un arc-en-ciel allant de la coopération explicite à la coordination implicite. Mais on voit bien, aussi, qu’à terme sera posée la question de la présence, ou non, dans ce « front » du Front National ou du parti qui en sera issu et il ne sert à rien de se le cacher. Cette question ne peut être tranchée aujourd’hui. Mais il faut savoir qu’elle sera posée et que les adversaires de l’Euro ne pourront pas l’esquiver éternellement. Elle impliquera donc de suivre avec attention les évolutions futures que pourraient connaître ce parti et de les aborder sans concessions mais aussi sans sectarisme.

Du point de vue des formes que pourraient prendre ce « front, la formule « marcher séparément et frapper ensemble » me semble la mieux adaptée. Ceci n’épuise pas – et de loin – la question de la superficie du « front ». Il faudra vérifier la possibilité de détacher du Parti « socialiste » certains de ses morceaux, vérifier aussi la possibilité de pouvoir compter avec des dissidents de l’UMP et des souverainistes issus des partis indépendants (et on note avec satisfaction les discussions entre Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Pierre Chevènement). Il faudra enfin, et ce n’est pas la moindre des taches, unifier la gauche radicale. Ces diverses taches n’ont plus été à l’ordre du jour depuis 1945 dans notre pays. La perte d’expérience est ici considérable, les réflexes sectaires sont largement présents mais, surtout, la prégnance d’une idéologie moralisante se faisant passer pour de la politique constitue le principal obstacle, et la force principale de nos adversaires.

Les raisons de potentiels désaccords seront extrêmement importantes dans ce « front », s’il se constitue. Mais, la véritable question est de savoir si les femmes et les hommes qui composeront ce « front » sauront dépasser leurs désaccords, quels qu’ils puissent être et aussi justifiés puissent-ils être, pour comprendre que l’objectif de sortie de l’Euro, avec tout ce qu’il implique (et que je ne rappelle pas) impose de mettre provisoirement ces désaccords de côté. C’est à cette aune là que nous verrons si le camp des forces anti-Euro est capable d’affronter les taches de la période.

[1] http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/08/21/31001-20150821ARTFIG00294-montebourgvaroufakis-sortie-de-l-euro-le-dessous-des-cartes-par-jacques-sapir.php

[2] http://russeurope.hypotheses.org/4225

[3] Fassina S., « For an alliance of national liberation fronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015,http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/

[4] Voir son éditorial d’Il Messagero du 8 aout 2015,http://www.ilmessaggero.it/PRIMOPIANO/ESTERI/europa_fermi_inaccettabile_blitz_tedesco/notizie/1507018.shtml

[5] On retrouve ici la critique Trotskiste du Frente Popular lors de la guerre civile espagnole, ou des fronts de libération nationale constitués durant la seconde guerre mondiale, avec en particulier la critique portée à l’encontre du PCF et du PCI pour la phase qui suivit immédiatement la Libération.


A nouveau sur les “fronts”

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 27 août 2015.

La question de la dynamique interne et des conditions de constitutions des « fronts » a été mise à l’ordre du jour par l’appel de Stefano Fassina. Le débat qui s’engage, s’il est volontairement pollué tant par des acteurs politiques dont on comprend bien qu’il ne va pas dans le sens de leurs intérêts que par des journalistes plus en quête de « buzz » que de véritable information, est un débat essentiel. Il est clair que la logique des « fronts » a une capacité d’attraction très importante. Il est aussi clair que cette formule politique correspond aux problèmes de l’heure, tels qu’ils ont été révélés (mais non créés) par la crise grecque de juin et juillet 2015. Mais il est tout aussi clair que la réflexion, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, est encombrée de toute une série d’erreurs et d’approximations.

On ne fait pas un front avec ses « amis » ou ses semblables politiques.

Il peut sembler trivial d’avoir à rappeler cela, mais il est important de s’imprégner de cette évidence. Un « front », et tout particulièrement un « front de libération nationale », implique la participation de courants extrêmement divers. La formule des « fronts de libération nationale » s’applique si l’on considère que le pays est en voie d’assujettissement par une puissance étrangère. Il est évident qu’elle implique des divergences importantes entre ses membres, comme ce fut le cas dans la Résistance.

Cette formule politique cependant ne fait pas l’unanimité dans la « gauche radicale ». Elle a été historiquement contestée, dans les années 1930, par Léon Trotski, qui lui opposait une formule bien plus restreinte, celle du « Front Unique Ouvrier ». Mais, cette formule ne vaut que si l’on se situe dans la perspective d’une révolution sociale et si l’on peut discerner ce qui constitue un « parti ouvrier », en sachant que cette définition n’a pas de sens véritablement sociologique. La formule du « Front Unique Ouvrier » est celle d’un front avec ses semblables politiques. On peut s’interroger sur la postérité de cette pensée, ou plus exactement des formules qu’elle a portée, mais hors du contexte tant historique que politique, d’origine. L’une des principales critiques au « Front Unique Ouvrier » est venue de l’expérience politique de la seconde guerre mondiale, que ce soit en Europe (et en France dans le cadre de la Résistance) ou en Asie. L’alliance du Parti Communiste chinois avec le Guomindang dans le « front uni antijaponais » (1936-1937 à 1945) est au contraire un exemple de cette logique des « fronts de libération nationale » et avait impliquée que les communistes dissolvent (du moins formellement…) la « République Soviétique Chinoise » qu’ils avaient constituée[1]. On rappellera que, de 1927 à 1936, la lutte armée avait été féroce entre le Guomindang et les communistes à partir de la rupture de la première alliance entre ces deux mouvements[2]. C’est ici clairement un « front » entre anciens ennemis. Contrairement aux analyses de Trotski, des « fronts » larges, non limités à la formule du « front unique ouvrier », ont pu obtenir des victoires significatives, que ce soit dans la seconde guerre mondiale ou dans la période des luttes anticoloniales. Il est d’ailleurs significatif que le mouvement trotskiste se soit déchiré après-guerre quant à l’analyse des différents fronts de libération nationale.

C’est donc implicitement à cette expérience générale, celle de la seconde guerre mondiales et des mouvements anticolonialistes, que fait référence la formule de Stefano Fassina. Inversement, ceux qui contestent la formule politique même du « front » devraient nous dire s’ils reprennent à leur compte l’analyse de Léon Trotski et comment ils intègrent la critique par la réalité de cette dite théorie.

L’exemple chinois montre bien que la formule politique des « fronts » n’implique nullement un accord étendu entre les membres du dit « front ». Il implique, par contre, un accord sur l’existence, ou non, d’une priorité. Que la direction du Parti Communiste chinois ait accepté de faire un front avec ceux qui, moins de dix ans avant, jetaient leurs militants dans les chaudières des locomotives, devrait inspirer un peu plus d’humilité (et de réflexion) à ceux qui s’offusquent de cette logique de « front ». On ne fait pas un « front de libération nationale » avec ses seuls amis, il vaut mieux le savoir. Inversement, ceux qui ont voulu à tout prix éviter de se salir les mains ont du le plus souvent se les couper. Ce qui implique cependant de penser, aussi rigoureusement que possible, les conditions dans lesquelles un tel « front » peut s’avérer nécessaire.

Le « front » et la question de l’opportunité.

Il est aussi que la formule d’un « front », comprise dans la logique d’un front de libération nationale, implique que l’on considère qu’une question, celle de la souveraineté de la Nation, est devenue dominante par rapport aux autres et que cette question, et sa résolution, est la condition nécessaire à ce que d’autres débats puissent être posés. De ce point de vue, la formule politique du « front » ne peut être dissociée de l’analyse politique de la situation. La formule du « front » n’existe pas en abstraction de cette réalité.

Ce qui fait aujourd’hui considérer la nécessité de cette formule c’est la compréhension que la question de l’Euro n’est pas une question seulement économique (elle l’est aussi, à l’évidence) mais qu’elle est devenue le pivot d’une recomposition antidémocratique de la gouvernance au sein de l’Union européenne et que l’Euro est la garantie de la domination de la finance sur la France. Si des pays qui n’ont pas adopté l’Euro peuvent connaître des politiques extrêmement néfastes, il faudrait ici démontrer comment un pays de la zone Euro a réussi à mener une politique alternative. La crise grecque a tranché la question.

Un collègue italien, le philosophe néo-marxiste Diégo Fusaro, parle de « l’Euro comme forme de gouvernance »[3]. C’est entièrement juste. La question de l’Euro est le surplomb de l’ensemble des politiques économiques et sociales dans les pays de la zone Euro mais, au delà, elle exprime et justifie la perte de la souveraineté par ces mêmes pays. On en a eu un exemple avec la ratification du TSCG en septembre 2012. C’est dire que cette question de l’Euro est une question éminemment politique. Le fait que ceci soit devenu une « connaissance commune » ou une « évidence » à la suite des événements de juin et juillet 2015, implique un changement dans les formules politiques. C’est le sens de l’appel de Stefano Fassina[4]. La situation créée par les institutions de la zone Euro, qu’elles soient de droit ou de fait (comme l’Eurogroupe) ne date pas de cette crise. Mais, la prise de conscience, et dans de nombreux pays, date en réalité de ce moment. C’est ce qui met la question des « fronts », qu’on les appelle des « fronts de libération nationale » comme Stefano Fassina ou des « fronts anti-Euro » comme je l’ai fait, à l’ordre du jour. Ce qui met cette question à l’ordre du jour est une réalité couplée avec une nécessité. De ce point de vue, la question du positionnement de untel ou untel est en réalité secondaire. C’est la question de l’analyse de la situation politique, et du débat qu’il convient d’avoir à son sujet, qui prime. Mais, il convient de savoir qu’il n’est nullement sûr que les acteurs arrivent à résoudre cette question. Auquel cas, la situation continue d’évoluer et les forces en présence de se transformer. La constitution d’un « front », dans ces conditions estaussi un moyen de chercher à transformer la situation, de la faire évoluer dans un sens positif.

Tout discours qui fait de la question de ces « fronts » un problème de principe est donc un discours vain, un discours vide de sens. Il n’y a pas de solution « morale » ou « principielle » a une question qui est politique. Par ailleurs, la question des « fronts » est aussi irréductible à une approche « moraliste ». Et il faut considérer que la domination des catégories morales (le « bien » / le « mal ») sur les catégories de l’analyse politique est le symptôme justement de cet situation d’assujettissement de la souveraineté populaire à un principe de « règles ».

Le front n’est pas qu’une question d’opportunité

Mais, la question de la constitution d’un « front » implique que l’on définisse non seulement ce contre quoi on veut lutter mais aussi les conditions de cette lutte. On le voit en particulier dans les « fronts de libération nationale » quand se pose la question de la négociation avec la puissance coloniale : faut-il négocier, quand, et à quelle conditions ? Ces questions sont importantes et elles déterminent la possibilité ou non, d’ouvrir le « front » à certaines forces, voire l’existence même de ces « fronts ». La question politique se pose donc au niveau de la constitution de ces « fronts », et se posera durant toute leur existence.

Cette question prend concrètement la forme du rapport à l’Euro ; est-on encore dans une logique de possible accommodements (voire « apaisement » en utilisant le sens « munichois » de ce mot[5]) avec l’Eurogroupe ou non. Il est important que cette base de départ soit rapidement clarifiée.

Mais, le rejet de l’Euro ne suffit pas. Il faut qu’il y ait un accord, au moins implicite, sur les mesures qui seront prises par la suite. Car, si l’Euro est aujourd’hui un problème politiqueson démantèlement implique une dimension technique évidente, et ces mesurestechniques ne pourront être mises en œuvre que sur la base d’un accord politique général. C’est la raison pour laquelle j’ai explicitement fait référence au Conseil National de la Résistance, car dans ce cas il était clair que l’objectif ne pouvait être la seule libération du territoire du joug nazi.

Cela implique clairement l’abandon pour tout parti qui prendre place dans ce « front » de toute référence à la « préférence nationale » hors, bien entendu, des secteurs régaliens ou nul ne la met en cause. L’idée de préférence nationale, hors le domaine des professions particulières (liées aux fonctions régaliennes de l’Etat qui incluent la sécurité, la justice et l’Education), est en réalité inconstitutionnelle si on regarde le préambule de la Constitution[6]. Il en va de même pour les droits que l’on appelle « sociaux » et qui sont la contrepartie de contributions des salariés et des employeurs. La raison conjoncturelle, liée à l’objectif du « front », est que, dans une logique de sortie de l’Euro, les mécanismes de retour à l’emploi doivent pouvoir jouer sans obstacle. Très concrètement, et au-delà des raisons principielles telles qu’elles sont exposées dans le préambule de la constitution, toute segmentation du marché du travail sous la forme de l’application de la « préférence nationale » conduirait à des pressions inflationnistes importantes qui pourraient compromettre les effets positifs attendus de la sortie de l’Euro.

C’est l’une des raisons pour lesquelles la participation du Front National à ce « front » n’est pas aujourd’hui envisageable, alors que celle du mouvement politique de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France, l’est pleinement. Mais, cela veut aussi dire qu’il faut être attentif aux évolutions politiques des uns et des autres et, en fonction de ces évolutions, être prêts à reconsidérer la question de la participation de tel ou tel parti ou mouvement à ce « front ». Ceci, d’ailleurs, vaut tout autant pour des fractions du Parti « Socialiste », si elles abandonnaient leur attachement religieux à l’Euro, et qui seraient naturellement partie prenante d’un tel « front ». Je rappelle ici, et encore une fois, que Stefano Fassina fut membre (et ministre) du parti de centre-gauche de l’actuel Premier ministre italien, Matteo Renzi.

[1] P. Van Slyke L., The Chinese Communist movement: a report of the United States War Department, july 1945, Stanford University Press, Hoover institution, San Francisco, 1968.

[2] Dont un rendu littéraire peut être lu dans La Condition Humaine d’André Malraux.

[3] Fusaro D., Il Futuro è nostro. Filosofia dell’azione, Bompiani, Milan, 2014

[4] Voir, http://russeurope.hypotheses.org/4235

[5] L’apaisement étant la politique de conciliation vis-à-vis d’Hitler qui fut celle de la Grande-Bretagne à propos de la Tchécoslovaquie.

[6] Article 5 du préambule : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Preambule-de-la-Constitution-du-27-octobre-1946


Inconséquences

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 29 août 2015.

Le débat qui s’est engagé au sujet de la possibilité, ou non, de constituer des « fronts » dans la lutte contre le système politique qui s’est constitué autour de l’Euro révèle les inconséquences d’un certain nombre d’intervenants. Ces inconséquences peuvent se situer au niveau de l’analyse, comme elles peuvent se situer au niveau de l’action politique. Ces inconséquences désarment ainsi les courants d’idées et les courants politiques, qui sont engagés dans le combat contre l’austérité et l’Euro.

Inconséquences analytiques

La première de ces inconséquences vient du fait de considérer l’Euro seulement comme une monnaie, et donc de n’aborder la question que sous l’angle économique. Non que ce dernier ne soit important. Les conséquences économiques de l’Euro sont pour certaines, immédiates et directes sur la croissance et le niveau d’activité économiques. Ce qui joue le rôle déterminant est ici le fait que l’Euro fonctionne en réalité comme un système de parités fixes entres les différentes économies, comme l’ancien étalon-or. Le système de l’étalon-or avait eu des conséquences catastrophiques dans les années 1930, et l’Euro a les mêmes conséquences aujourd’hui. Mais, ces conséquences viennent aussi de l’influence prise par la financiarisation qui a pris un nouveau tournant avec la mise en place de l’Euro. Ces conséquences là sont indirectes mais sont effectivement importantes. La crise de 2007-2008 n’aurait ainsi pas eu les mêmes conséquences en Europe sans l’Euro. La dimension simplement économique des conséquences de l’Euro pourrait donc justifier que l’on se prononce contre. Mais, c’est s’aveugler gravement que de ne pas voir que les implications de l’Euro vont bien au-delà de ces seuls faits.

L’Euro est un projet politique. Pour les promoteurs de la monnaie unique, et il ne s’en sont jamais cachés, il s’agissait de faire subir à l’Union européenne un saut décisif vers le fédéralisme, mais de le faire de manière implicite, sans jamais demander une validation démocratique dont ces mêmes promoteurs pressentaient qu’elle serait refusée. La nature antidémocratique du projet est inscrite dans ce dernier dès l’origine. Il s’agissait donc, dans l’esprit de ces promoteurs, de faire basculer de manière décisive les règles et les méthodes de gouvernement pour les pays qui l’adopterait. L’Euro, ce n’est donc pas seulement des institutions explicites comme la Banque Centrale Européenne ou implicites comme l’Eurogroupe. C’est aussi un principe de gouvernement qui, du fait desconséquences économiques de l’Euro s’affirme sous la forme d’une évidenceprogressivement à tous ceux qui l’acceptent. Elle les amène, ou les contraints à accepter, le démantèlement de l’ensemble des institutions sociales, qu’il s’agisse des différentes mesures prises depuis 1945 ou du Code du travail. L’Euro est donc à l’origine de la grande régression qui est en train de se produire sur le terrain social. Mais, l’Euro fonctionne aussi comme un cadre qui vide la démocratie de son contenu, et progressivement de son sens.

On peut voir, à partir de l’Euro, se matérialiser l’idée d’un gouvernement par les règles, gouvernement qui est celui des « experts » anonymes, de ces personnes grises et irresponsables qui exercent aujourd’hui une réalité de plus en plus importante du pouvoir. Ce principe de gouvernement constitue la plus formidable subversion de la démocratie auquel on ait assistée depuis 1945[1]. C’est la raison fondamentale de l’assaut frontal contre la souveraineté populaire et contre la démocratie auquel on a assisté lors de la crise grecque de juin et juillet dernier. Ce gouvernement par les règles est consubstantiel avec l’influence de ce que l’on appelle le « néo-libéralisme »[2]. Il va bien au-delà du simple ordo-libéralisme promu par l’Allemagne[3]. C’est commettre une erreur que de limiter la réflexion à ce seul aspect. L’ordo-libéralisme n’est que la forme particulière prise à un moment donné par ce gouvernement par les règles. Si le principe même du gouvernement par les règles impose de prendre des distances avec l’ordo-libéralisme, il convient de savoir que le système le fera sans remords ni regrets. L’Euro est en réalité une manifestation de ce que Michel Foucault appelait la « biopolitique », c’est à dire la disparition de la politique derrière des principes pseudo-naturels[4].

La nature éminemment politique de l’Euro constitue ses institutions, explicites ou implicites, en une totalité qui fait système. Il est donc profondément inconséquent de réduire la question de l’Euro à des questions économiques, aussi juste soient-elles, ou à des questions sociales.

Inconséquences analytiques (2)

Mais le problème des analyses inconséquentes de l’Euro ne s’arrête pas à la réduction de ce dernier au simple domaine économique ou social. Elles proviennent aussi du refus, ouvert ou inavoué, d’affronter les conséquences politiques et systémiques de l’Euro.

Dire que les institutions de la monnaie unique, que les institutions de l’Union Economique et Monétaire, sont un tout qui fait système a des implications directes et immédiates sur l’analyse que l’on doit avoir de la place de l’Euro. Remettre en cause l’Euro apparaît comme une remise en cause de l’ensemble des structures politiques de l’Union européenne. D’où, d’ailleurs, les crispations au-delà du rationnel de la part de ses partisans. Mais il y a une vérité ici. Si l’Euro éclate, il ne sera plus possible de faire la même Union européenne. Un éclatement de l’Euro entraînerait une crise profonde non seulement des institutions existantes, mais aussi de la dynamique politique que l’on a voulu mettre en place depuis le traité de Maastricht de 1993.

La question qui se pose alors est de savoir si cette dynamique pourrait encore présenter quelque chose de positif. Si on répond par la négative à cette question, un point dont je suis convaincu depuis 2005 depuis le rejet du projet de constitution européenne et le déni de démocratie qui suivit[5], on constate que toute possibilité de reconstruire dans le futur une forme de coopération entre les pays européens qui s’avère propice au progrès et à l’espoir pour les peuples de l’Europe, passe justement par la destruction de ces institutions, et du projet dont elles sont à la fois issues mais aussi porteuses. De cette constatation, il découle que lutter contre l’Euro c’est en réalité lutter pour quelque chose de bien plus vaste qu’une « simple » monnaie unique. Les enjeux de cette lutte dépassent considérablement la simple question monétaire. D’ailleurs, on ne s’est jamais étripé sur des points techniques ou économiques. C’est ce que ne comprennent pas certains qui s’avèrent incapables, pour une raison ou une autre, d’aller au bout du raisonnement. A vouloir limiter les enjeux aux simples dimensions économiques et techniques (qui existent bien par ailleurs) ils tiennent des discours désincarnés, sans rapport avec la réalité. Il est inconséquent de reconnaître les implications non-économiques de l’Euro et de refuser d’en tirer les conséquences quant au statut de la lutte contre l’Euro aujourd’hui. Il est, de même, inconséquent de reconnaître la centralité de la lutte contre l’Euro et de ne pas en penser les moyens.

Il vient un moment où le clerc doit sortir de sa tour d’ivoire, mais sans renoncer à son état de clerc. Et, l’une des conditions à cela est justement d’être capable de sortir de « l’entre soi » et de se frotter à l’autre, au risque de se piquer. De ce point de vue la volonté de garder à tout prix ses mains propres est plus révélatrice d’un narcissisme exacerbé que de tout autre chose.

Inconséquences politiques

Il n’y a pas que dans l’analyse où l’on trouve des positions inconséquentes. De fait l’inconséquence politique existe aussi, et elle est en réalité bien plus grave que l’inconséquence analytique.

La crise grecque fut-elle une simple péripétie ou a-t-elle constitué un point de rupture, une césure séparant une période d’une autre ? De très nombreux analystes pensent que nous sommes entrés dans une nouvelle phase avec les événements de juin et juillet 2015, et ils ont raison. L’assaut brutal mené par les institutions européennes contre un Etat souverain, l’absence de toute négociation réelle, et le déni de démocratie qui en a résulté ont bien provoqué un changement brutal des représentations à l’échelle européenne. On peut dire, et ce n’est pas faux, que l’ensemble des éléments conduisant à ces actes d’une brutalité inouïe étaient déjà en place en Europe depuis plusieurs années, et que certaines des méthodes avaient été employées contre le gouvernement chypriote en 2013. Mais, le niveau de violence, qu’elle soit symbolique ou réelle, le mépris affiché pour des actes démocratiques, ont franchi une nouvelle étape. Surtout, la représentation de ce qui se passait a eu un très large écho non seulement en Grèce mais dans toute l’Europe. On peut considérer que c’est le changement au niveau des représentations politiques qui a été réellement décisif. L’emploi de mots comme « trahison », « capitulation », ou « résistance », mots dont ont usé quasiment tous les commentateurs politiques, indique bien que quelque chose de décisif s’est produit tant en Grèce qu’à propos de la Grèce. Une accumulation quantitative se transforme en un changement qualitatif. Nous en sommes là.

A une nouvelle période correspond de nouvelles taches. Si la nature des objectifs reste la même, la disparition de l’Euro compris comme clef de voute d’un système profondément anti-démocratique fonctionnant au sein de l’Union européenne, la configuration politique nécessaire change. Elle impose désormais la constitution de « fronts », allant au-delà des alliances traditionnelles. C’est la constatation faite par Stefano Fassina[6], que j’ai reprise, et qui fut aussi reprise par un certain nombre d’acteurs. Cette notion de « fronts » impose, aux uns et aux autres de sortir de « l’entre soi ». Car, si une alliance repose sur de larges points communs, la dynamique des « fronts » réduits ces points communs au strict indispensable pour atteindre aux objectifs visés. Ne pas comprendre que le changement dans la situation politique impose un changement dans les formes d’action politique est justement une forme de cette inconséquence politique.

Mais, même chez des dirigeants politiques qui, semblait-il, avaient compris le sens de la nouvelle situation, on n’est pas à l’abri de formulations inconséquentes. Ainsi, chercher à revenir en arrière, comme l’a fait Eric Coquerel lors de la discussion que nous avons eu le jeudi 28 août sur « Arrêts sur Image », commencer à nier qu’une rupture se soit produite pour finir par l’admettre du bout des lèvres, c’est aussi une grave inconséquence politique. Que le Parti de Gauche veuille se coordonner avec d’autres formations européennes de la gauche radicale sur ce qu’il appelle le « plan B » se comprend parfaitement. Qu’il limite cette coordination à cette seule aire politique, qu’il ne pose pas la question d’une coordination allant au-delà de son aire politique traditionnelle, revient à refuser de traduire dans les actes les conséquences du changement de période. Or, la nouvelle période rend l’entre soi suicidaire.

La question des rapports avec des forces n’appartenant pas au même arc politique que le sien est donc posée. Car, on pressent bien qu’aucune force à gauche ne pourra atteindre par seule croissance interne ou par des alliances avec des proches la masse critique nécessaire pour se hisser au niveau des responsabilités de la période. Cette question n’est pas posée sans principes, et le premier doit être la vérification d’une compatibilité minimale des objectifs ce qui aboutira à exclure certaines forces, aujourd’hui le Front National. Mais, cette question ne doit pas être posée sans implications pratiques et concrètes. De ce point de vue, l’attitude du Parti de Gauche qui reconnaît par une main ce changement de situation, mais qui cherche à en limiter les conséquences de l’autre, pose un véritable problème. Et ce, d’autant plus, que les choses bougent par ailleurs. La présence de Jean-Pierre Chevènement à l’Université d’été de Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, le samedi 29, août est significative. Que Jean-Luc Mélenchon refuse de faire tribune commune avec Nicolas Dupont-Aignan, comme il avait été entendu il y a quelques jours montre que le sectarisme continue de polluer l’action politique. Car, tout le monde comprend que Mélenchon et Dupont-Aignan n’ont pas les mêmes idées sur bien des terrains, et peuvent même s’opposer de manière très violente l’un à l’autre. Mais, ce qu’impose cette nouvelle période dans laquelle nous sommes entrés est que l’on vérifie la possibilité d’un accord sur la question de l’Euro, c’est de savoir si des dirigeants politiques sont capables de discerner ce qui relève de la « cuisine » politique et ce qui relève de l’intérêt général. Laisser au sectarisme le choix du calendrier, c’est une troisième forme d’inconséquence politique.

Le problème, ici, est que l’accumulation des inconséquences, que ce soit celles des analystes et des intellectuels dont certains semblent plus préoccupés de leur virginité politique que du bien commun, ou que soit celles des dirigeants politiques, aura un coût politique énorme. Ces inconséquences empêchent aussi d’éduquer militants, adhérents et sympathisants aux taches qui se profilent et risquent fort de ne laisser le choix qu’entre l’impuissance totale ou la véritable confusion des motifs, car aucune limite ne sera plus possible alors. De ce point de vue, il est urgent de se remettre à faire de la politique dans le sens le plus noble de cette dernière.

[1] Voir Sapir J., Les économistes contre la démocratie, Paris, Le Seuil, 2002.

[2] Denord F., Néo-libéralisme version française, histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007

[3] Dont les racines sont étudiées dans Friedrich C-J, « The Political Thought of Neo-Liberalism », American Political Science Review, 1955, 49/2, pp. 509-525.

[4] Foucault M., Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard/Seuil, 2004.

[5] Sapir J., La fin de l’eurolibéralisme, Paris, le Seuil, 2006.

[6] Voir http://russeurope.hypotheses.org/4235


Remerciements

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 30 août 2015.

Les messages de soutien que j’ai reçus depuis une semaine sont bien trop nombreux pour que je puisse y répondre individuellement. Je présente donc mes remerciements à tous mes correspondants, que ces derniers m’aient contactés par message personnel sur tweeter, par messages facebook ou par le courriel. Dans la masse de ces messages, et je suis évidemment particulièrement sensible aux anonymes, à toutes ces personnes que je ne connais pas et qui prennent la peine de m’adresser un message, il y en a eu un grand nombre qui m’ont été envoyés par des responsables d’organisations de gauche. Qu’il s’agisse de responsables locaux, régionaux, municipaux de parti (comme le Parti de Gauche, le PCF, et diverses organisations politiques) ou de responsables syndicaux (SUD, CGT et Force Ouvrière), leurs témoignages ont été nombreux (actuellement plus de 160). Venant de l’ensemble du territoires (et même des DOM et TOM), ces témoignages là dessinent une carte des fractures économiques et sociales de la France. Ils viennent en priorité du Nord (jusqu’à l’Oise), de l’Est (jusqu’à la région lyonnaise), mais aussi du Sud-Ouest. Il n’y a rien d’étonnant dans cela. Les militants de ces régions sont en première ligne face à la désindustrialisation de l’économie française.

On peut aussi y voir la reconnaissance de la pertinence de ce que j’ai dit. Ces témoignages de sympathie montrent que ce que j’ai dit et écrit a été compris et que l’on trouve légitime que s’ouvre un débat sur l’existence d’un « front » anti-Euro. Non que, parmi tous ceux qui m’ont écrit pour me soutenir, on partage entièrement mes opinions. Il est normal, il est légitime, il est sain qu’il y ait des divergences, des demandes d’éclaircissements, voire des points de désaccords. C’est cela avoir un débat. Et certains pointent les erreurs et les inconséquences de mes contradicteurs, comme le fait, par exemple, Alexandre Tzara dans sa réponse à Fréderic Lordon. Réponse à Frédéric Lordon par Alexandre Tzara

Mais, dans la totalité de ces témoignages se dégage l’idée que l’on ne peut plus camper sur les positions précédentes. La compréhension que la période est désormais différente est ici générale. L’unanimité sur ce point est le signe de la grande maturité politique dont a fait preuve  la masse des gens qui m’ont témoigné leur soutien.

Que des journalistes à gages (et je ne dit pas aux ordres car ils ne connaissent même pas l’abnégation qu’il y a à servir) aient déformé mes propos est bien entendu scandaleux. Mais, cela n’est nullement étonnant. Je laisse ici ces personnes stagner dans les eaux croupies de la calomnie. Que des politiciens aux abois, comme MM. Cambadélis et Valls viennent joindre leur voix à ces journalistes à gages ne fait que confirmer la logique de notre système où l’entre soi domine entre monde politique, monde des médias et monde de la finance. C’est un jour comme un autre en France !

Que des universitaires les imitent est, à priori, plus surprenant. Mais, certains se sont déjà de longue date acclimatés à l’air du temps. L’approximation tient lieu d’argument et l’invective de raisonnement. Qu’ils rejoignent donc les journalistes et politiciens dans leurs communs marigots. Pour le reste, un débat est ouvert et les événements montrent que l’on avance. La réunion du 26 septembre entre Jean-Pierre Chevènement, Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Nicolas Dupont-Aignan le confirme. Elle sera la première concrétisation de ce qui n’est pas une alliance mais une conjonction de forces autour d’un objectif commun. Et peut-être est-ce justement cela qui met dans une telle rage ces dits politiciens et ces journalistes à gage pour que la bave de la calomnie leur vienne aux lèvres. Le « front » anti-Euro, ce « front de libération nationale » évoqué par Stefano Fassina, est en train de se mettre en place.

Rien ne sera facile, n’en doutons pas. Nous ne sommes qu’au début d’une longue évolution. Mais, des hommes politiques ont su trouver en eux la force de sortir de l’entre soi, de prendre la mesure de l’intérêt du plus grand nombre. Il convient de le souligner et il faut s’en réjouir.

P.S. Commentaires fermés, par pitié pour les modérateurs bénévoles qui ont droit à leur week-end :)

Source: http://www.les-crises.fr/jacques-sapir-la-polemique-i/


Henry Kissinger : briser la Russie est devenu l’objectif, alors que l’intégrer devrait être le but…

Saturday 5 September 2015 at 00:34

Un peu de réalisme diplomatique rafraichissant par cette vieille crapule de Kissinger…

Source : The National Interest, le 19/08/2015

Le rédacteur en chef du “The National Interest”, Jacob Heilbrunn, a interviewé Henry Kissinger début juillet à New York.

Jacob Heilbrunn : Pourquoi le réalisme serait-il aujourd’hui une approche plus difficile des affaires étrangères, ou en tout cas plus aussi importante que lorsqu’il y avait des personnages d’envergure tels que Hans Morgenthau, George F. Kennan, Dean Acheson, puis vous-même dans les années 70 – qu’est-ce qui a changé ?

Henry Kissinger : Je ne pense pas avoir beaucoup changé d’avis sur ce sujet depuis les années 70. J’ai toujours eu une large vision de l’intérêt national, et une grande part du débat opposant réalisme et idéalisme est artificielle. La manière dont le débat est habituellement présenté se divise en un groupe qui voit le pouvoir comme un facteur déterminant des politiques internationales et un autre, les idéalistes, qui pense que les valeurs de la société sont primordiales. Kennan, Acheson ou aucune des personnes que vous avez citées n’avaient un point de vue aussi simplifié. Le point de vue des différents réalistes est que, en analyse de politique extérieure, vous devez commencer par évaluer les éléments qui sont pertinents à la situation étudiée. Et, bien entendu, les valeurs font partie de ces éléments. Le vrai débat se situe entre la priorité relative et l’équilibre.

Heilbrunn : Une des choses qui m’a frappé dans votre nouvelle biographie écrite par Niall Ferguson est sa citation tirée de votre journal personnel en 1964. Vous y suggériez plutôt prophétiquement que “la victoire de Goldwater est un phénomène nouveau dans la politique américaine – le triomphe du parti idéologique dans le sens européen du terme. Personne ne peut prédire comment cela va se finir, puisque c’est sans précédent.”

Kissinger : Lors de la convention, il semblait réaliste, pour quelqu’un comme moi, qui était plus familier avec les politiques de Washington. Plus tard, j’ai eu à connaître Goldwater et l’ai respecté comme un homme intègre et de grandes convictions morales.

Heilbrunn : Certes, mais je m’interroge sur votre interprétation de cette force idéologique qui a émergé en 1964.

Kissinger : Il s’agissait d’une nouvelle force idéologique dans le parti Républicain. Jusqu’alors, le point de vue de Washington fondé sur les modèles européens édictés par l’Histoire dominait la politique des affaires étrangères, insistant sur la mission de l’Amérique d’imposer la démocratie – en employant la force si nécessaire. Ce point de vue n’admettait pas vraiment d’opposition. C’est devenu ensuite la caractéristique des extrémistes, de la gauche comme de la droite, changeant même de camp de temps à autre.

Heilbrunn : Ces extrêmes attaquèrent tous les deux avec véhémence l’administration Nixon.

Kissinger : Oui.

Heilbrunn : Je me souviens que vous avez indiqué dans vos mémoires que vous étiez encore plus étonné d’être ainsi attaqué par la droite…

Kissinger : J’étais complètement désemparé.

Heilbrunn : Pour prétendument ménager l’URSS.

Kissinger : Et certains comme Norman Podhorezt – qui est devenu un bon ami aujourd’hui – m’ont attaqué de la gauche et de la droite successivement.

Heilbrunn : J’avais oublié qu’il avait commis cet exploit. Au bout du compte, la détente a joué un rôle majeur dans le renversement de l’URSS, n’est-ce pas ?

Kissinger : C’est mon opinion. Nous considérions la détente comme une stratégie dans la conduite du conflit avec l’URSS.

Heilbrunn : Je suis surpris que cela n’ait pas suscité plus d’attention – en Europe la détente était vécue comme devant apaiser l’Europe de l’est et l’URSS, et surmonter le souvenir de la seconde guerre mondiale, alors qu’aux États-Unis nous avons une vision plus triomphaliste.

Kissinger : Vous gardez en tête Reagan qui commence ce processus avec son discours sur l’Empire du mal qui, à mon avis, a eu lieu alors que l’URSS était déjà bien sur la voie de la défaite. Nous étions engagés dans une lutte à long terme, faisant émerger des analyses qui s’opposaient. J’étais dans le courant dur de ces analyses. Mais je me rendais aussi compte de leur dimension diplomatique et psychologique. Nous devions mener cette guerre froide depuis une position dans laquelle nous n’étions pas isolés et depuis laquelle nous profitions des meilleures bases pour conduire des conflits inévitables. Nous avions l’obligation suprême d’éviter la guerre nucléaire qui menaçait la civilisation. Nous cherchions une position nous permettant d’utiliser la force si nécessaire mais toujours en dernier recours et ce de façon évidente (pour tous). Les néoconservateurs, eux, optèrent pour une politique plus absolutiste. Reagan a su exploiter tout le temps qui lui fut alloué à faire preuve de tactique avec talent, et je ne suis pas sûr que tout était planifié ou préconçu. Mais les résultats furent impressionnants. Je crois que la détente (en français dans le texte) fut un prélude indispensable.

Heilbrunn : La Chine est-elle aujourd’hui la nouvelle Allemagne de Guillaume II [1870-1918, NdT] ? Richard Nixon, peu de temps avant sa mort, dit à William Safire qu’il était nécessaire de s’ouvrir à la Chine, mais que nous avions peut-être enfanté un Frankenstein.

Kissinger : On peut dire d’un pays qui a dominé sa région depuis 3 000 ans qu’il est une réalité inhérente. L’alternative aurait été de laisser la Chine être de façon permanente soumise et de connivence avec l’URSS, faisant ainsi de l’Union soviétique – déjà un pays nucléaire de haut niveau – le pays dominant de l’Eurasie avec l’accord tacite de l’Amérique. Cependant, la Chine représente un défi fondamental à la stratégie américaine.

Heilbrunn : Et pensez-vous qu’ils agissent pour un monde centré sur la Chine, ou bien peuvent-ils être intégrés dans une sorte de cadre westphalien, comme vous l’avez souligné dans votre dernier livre, “L’ordre mondial”

Kissinger : Voilà le défi. C’est une question ouverte. C’est notre travail. Nous n’y brillons pas, parce que nous ne comprenons pas leur Histoire et leur culture. Je pense que le fondement de leur pensée est sino-centré. Mais cela peut avoir des conséquences aux répercussions mondiales. Par conséquent, le défi chinois est un problème bien plus subtil que celui de l’URSS. Le problème soviétique était principalement stratégique. Ceci est un enjeu culturel : est-ce que deux civilisations qui, pour l’instant du moins, n’ont pas la même façon de penser, peuvent arriver à un modus vivendi qui générerait un ordre mondial ?

heilbrunn : Comment estimez-vous les chances d’un véritable rapprochement sino-russe ?

Kissinger : Ce n’est pas dans leur nature, ni l’un ni l’autre -

Heilbrunn : Parce que les Russes souhaiteraient clairement développer des relations plus étroites.

Kissinger : Mais c’est en partie parce que nous ne leur avons pas laissé le choix.

Heilbrunn : Comment pensez-vous que les États-Unis puissent s’extirper de l’impasse ukrainienne – les États-Unis et l’Europe évidemment ?

Kissinger : L’enjeu n’est pas tant pour les USA de s’extirper de cette impasse ukrainienne que de résoudre cette crise en satisfaisant l’ordre international. Un certain nombre de choses doivent être reconnues. Premièrement, la relation entre l’Ukraine et la Russie revêtira toujours un aspect important dans l’esprit russe. Elle ne pourra jamais se réduire à des rapports ordinaires entre deux états souverains ; certainement pas du point de vue russe et probablement pas non plus du côté ukrainien. Donc ce qui se passe en Ukraine ne peut être résumé selon des principes qui fonctionnent en Europe occidentale, pas si près de Stalingrad ou de Moscou. Dans ce contexte, il convient d’analyser de quelle manière cette crise ukrainienne a émergé. Il est inconcevable que Poutine ait consacré 60 milliards d’euros à la transformation d’une station balnéaire en village olympique d’hiver pour ensuite déclencher une crise militaire une semaine après avoir, lors de la cérémonie de clôture, dépeint la Russie comme partie de la civilisation occidentale.

Nous devons donc nous demander comment cela a-t-il pu arriver ? J’ai vu Poutine fin novembre 2013. Il a évoqué beaucoup de problèmes. Il a évoqué l’Ukraine en dernier, en tant que problème économique, que la Russie résoudrait par le biais des taxes et des prix pétroliers. La première erreur fut l’attitude inconséquente de l’Union Européenne. Ils n’ont pas compris les conséquences de certaines de leurs propres exigences. La politique intérieure ukrainienne était telle qu’il était impossible pour Ianoukovich d’accepter les conditions de l’Europe et de pouvoir être réélu, et la Russie ne pouvait pas considérer ces conditions comme purement économiques. Donc le président ukrainien a rejeté les conditions de l’UE. Les Européens ont paniqué et Poutine s’est senti trop sûr de lui. Il a vu cette impasse comme l’occasion idéale pour mettre en œuvre immédiatement ce qui jusqu’alors n’était qu’un objectif à long terme. Il a offert 15 milliards de dollars à l’Ukraine pour qu’elle rejoigne son Union Eurasiatique. Pendant ce temps l’Amérique est restée passive. Il n’y a eu aucune discussion politique d’envergure avec la Russie ou avec l’Europe quant à ce qui se préparait. Chaque camp a agi de façon plus ou moins rationnelle, en fonction de sa petite conception personnelle et erronée de l’autre, pendant que l’Ukraine sombrait dans l’insurrection de la place Maïdan, exactement là où Poutine avait passé dix ans à faire reconnaître le statut de la Russie. Depuis Moscou cela donnait sans aucun doute l’impression que l’Occident avait exploité ce qui avait été conçu comme un festival russe pour extraire l’Ukraine de la sphère d’influence russe. Puis Poutine a commencé à jouer les tsars – comme Nicolas Ier il y a plus d’un siècle [sic]. Je ne veux pas justifier ces tactiques, mais juste les replacer dans le contexte.

Heilbrunn : Un autre pays semble avoir pris le leadership à l’évidence en Europe, et c’est l’Allemagne – par rapport à l’Ukraine comme pour la Grèce -

Kissinger : Ils ne souhaitent pas vraiment assumer ce rôle. Il est paradoxal de constater que 70 ans après avoir défait l’Allemagne et ses velléités de domination de l’Europe, ses vainqueurs semblent maintenant souhaiter que l’Allemagne, en grande partie à cause de ses résultats économiques, dirige l’Europe. L’Allemagne peut et doit jouer un rôle important dans la construction de l’Europe et au sein de l’ordre mondial. Mais ce n’est pas le partenaire idéal, à propos de la sécurité de l’Europe, pour négocier des frontières se trouvant à moins de 300 km de Stalingrad. Les États-Unis n’ont avancé aucun concept de leur propre chef, hormis celui qui voudrait que la Russie intégrât en fin de compte le concert des nations par une sorte de conversion automatique. Le rôle de l’Allemagne est déterminant mais la contribution américaine à la diplomatie ukrainienne est essentielle pour recadrer ce problème dans un contexte mondial.

Heilbrunn : Cette position est-elle une erreur ?

Kissinger : Si nous considérons la Russie comme une grande nation, nous avons d’abord besoin de vérifier si leurs préoccupations peuvent être conciliables avec nos impératifs. Nous devrions explorer les possibilités de créer un statut établissant une zone démilitarisée entre la Russie et les frontières actuelles de l’OTAN.

L’Occident hésite déjà à assumer le rétablissement de l’économie grecque. Ce n’est sûrement pas pour intégrer l’Ukraine unilatéralement. On devrait donc étudier l’éventualité d’une coopération entre l’Ouest et la Russie pour une Ukraine non alignée militairement. La crise ukrainienne tourne à la tragédie parce qu’on confond le besoin de l’Ukraine de restaurer à court terme son identité avec des intérêts internationaux à long terme. Je serais partisan d’une Ukraine indépendante dans les frontières actuelles. Je plaide pour ça depuis la chute du mur. Quand on entend que des escadrons musulmans se battent sous le drapeau ukrainien, on constate qu’on a perdu le sens des proportions.

Heilbrunn : C’est un désastre, à l’évidence

Kissinger : Pour moi ça l’est. Ça veut dire que briser la Russie est devenu l’objectif, alors que l’intégrer devrait être le but à long terme.

Heilbrunn : Mais nous observons plutôt un retour des néoconservateurs et des faucons libéraux, au moins à Washington DC, qui sont déterminés à briser le gouvernement russe.

Kissinger : Jusqu’à ce qu’ils en assument les conséquences. L’erreur de toutes les guerres américaines depuis la seconde guerre mondiale consiste en cette incapacité à penser une stratégie acceptable chez nous. Depuis la seconde guerre mondiale nous avons démarré cinq guerres avec un grand enthousiasme. Mais les faucons ne gagnent pas à la fin. A la fin ils sont minoritaires. Nous ne devrions pas nous engager dans des conflits internationaux sans être en mesure, dès le début, d’en décrire une conclusion et sans la volonté de soutenir l’effort nécessaire à l’accomplissement de cette conclusion.

Heilbrunn : Mais nous semblons plutôt ne jamais cesser de commettre cette erreur.

Kissinger : Parce que nous refusons d’apprendre de nos expériences. Parce que ces guerres sont déclarées par des personnes qui ne respectent pas les faits historiques. A l’école on n’apprend plus l’Histoire mais seulement une succession d’évènements. Ils traitent ces faits selon des thèmes, hors de leur contexte.

Heilbrunn : Ils les extirpent de tout contexte.

Kissinger : Plutôt de ce qui était le contexte alors – ils les replacent dans un contexte entièrement nouveau.

Heilbrunn : Le genre de livre que vous écrivez – par exemple votre premier ouvrage – ne passerait jamais dans un cours de sciences politiques aujourd’hui parce qu’il n’est pas rempli de théories abstraites. Il enseigne en fait une leçon sur le mode narratif.

Kissinger: C’est pourquoi on m’attaque à droite comme à gauche – parce que je ne corresponds à aucune de leurs catégorisations.

Heilbrunn : Restons dans l’Histoire, quelle est votre opinion sur le rôle de l’Allemagne en Europe aujourd’hui ? Vivons-nous le retour d’un nouveau “problème allemand”, l’Europe du sud la voit comme une puissance occupante, et des relents de nationalisme émergent en Allemagne même – cela ne voudrait-il pas dire qu’il y a une certaine résurgence ?

Kissinger : Eh bien, il y a des indices. Certaines classes d’âge en Allemagne, les classes d’âge en dessous de cinquante ans, se comportent parfois comme si le pays qui avait voulu refaçonner l’Europe par la force revendiquait à présent le droit de la redessiner par le jugement moral le plus absolu. Ce n’est pas juste d’induire en tentation l’Allemagne de cette façon. Rejeter la faute sur l’Allemagne plutôt que sur soi-même, c’est faire de la politique intérieure facile pour les pays d’Europe du sud. Quel est donc le péché des Allemands en Grèce ? Les Allemands affirment que sous couvert de plan de sauvetage, on perpétue l’irresponsabilité. Ils tentent d’établir un procédé responsable de redressement. Quand je considère le cauchemar qu’a constitué l’inflation dans leur Histoire, j’éprouve de la sympathie pour leur point de vue. Depuis le début de leur Histoire nationale en 1871, l’Allemagne n’a jamais eu à diriger un système international. De 1871 à 1890, Bismarck a réussi un tour de force [en français dans le texte] spectaculaire, mais qui n’était pas viable sur le long terme. Vous ne pouvez pas établir de grande politique si cela requiert un génie à chaque génération. Mais de 1890 à la fin de la seconde guerre mondiale – soit près d’un siècle – l’Allemagne s’est perçue comme assiégée par le monde qui l’entourait. L’Angleterre et la France ont bien plus d’expérience en matière de diplomatie internationale. J’ai donc de la sympathie pour les Allemands et leur dilemme. Ils peuvent aider, leur aide peut être décisive, mais ils ont besoin d’une infrastructure bien plus grande, bien plus mondialisée, à laquelle nous devons contribuer.

Heilbrunn : La génération atlantiste en Allemagne, et la vision qu’elle incarnait a pratiquement disparu.

Kissinger : Et c’est bien dommage.

Heilbrunn : Les plus jeunes hommes politiques de la CDU [Union Chrétienne-Démocrate] que j’ai pu rencontrer ne s’intéressent pas aux États-Unis, ce qui est un tournant spectaculaire, étant donné que toute la politique d’Adenauer était fondée sur l’ancrage à l’Ouest.

Kissinger : C’est en partie leur faute, et en partie la nôtre.

Heilbrunn : J’ai vu Robert McFarlane il y a peu, qui a travaillé pour vous, et sous Reagan également. Il m’a dit : « Le dernier président à avoir fait preuve de pensée stratégique était Richard Nixon. » Est-ce vrai ?

Kissinger : Je pense que c’est vrai. Il avait une vision stratégique d’envergure. A la fin du premier volume des mes mémoires, White House Years, j’ai posé la question ainsi : Que se serait-il passé si l’establishment que Nixon admirait et craignait tout à la fois lui avait montré un peu d’amour ? Se serait-il encore davantage replié sur le désert de sa rancœur, ou cela l’aurait-il libéré ? Je laisse la question ouverte.

Heilbrunn : Faites-vous remonter la plupart des problèmes de la politique étrangère américaine au Viêtnam, à cette fêlure dans le consensus en matière de politique étrangère ?

Kissinger : Je pense que le Viêtnam a été un prétexte. Cela a donné une légitimité à la contestation. Parce qu’après tout, il y a bien eu des manifestations aux Pays-Bas, qui n’avait aucun Viêtnam, et en France.

Heilbrunn : Nixon possédait clairement une énorme expérience en matière de politique étrangère avant de devenir président en 1969.

Kissinger : Et il faisait preuve de réflexion, et son profil psychologique le rendait réticent à avoir affaire à trop de personnes à la fois, il lui a donc fallu réfléchir, lire – il ne pouvait pas appuyer sur un bouton et obtenir une réponse de Google – et voyager. Il n’y avait aucune menace sur sa personne lorsqu’il voyageait à l’étranger, il était donc à l’aise dans nombre d’entretiens avec des chefs d’état étrangers.

Heilbrunn : Il a dû apprendre beaucoup d’Eisenhower également, je présume.

Kissinger : Vous savez, comme toujours chez Nixon, c’était un savant mélange de rancœur et d’admiration, donc rien n’était exempt d’ambiguïté.

Heilbrunn : Jugez-vous Barack Obama comme un réaliste – il renâcle à l’idée de s’impliquer en Ukraine, par exemple – ou pensez-vous qu’une telle réputation est surfaite ?

Kissinger : Eh bien, en ce qui concerne le niveau de vigilance, c’est un réaliste. Mais sa vision est bien plus idéologique que stratégique.

 

Source : The National Interest, le 19/08/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/henry-kissinger-briser-la-russie-est-devenu-l-objectif/


72 secondes de bonheur avec Michel Onfray

Friday 4 September 2015 at 16:25

(la tête de la journaliste, façon “Seeeeeeeerge, grouille pour couper, un type dit la vérité à l’antenne !!!”)

Merci Michel !

(L’interview complète est ici)

“En ces temps de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire” [Georges Orwell]

Source: http://www.les-crises.fr/72-secondes-de-bonheur-avec-michel-onfray/


“La mauvaise foi, la sottise et l’hypocrisie sont les reines de ce monde.”

Friday 4 September 2015 at 04:41

« La mauvaise foi, la sottise et l’hypocrisie sont les reines de ce monde. » [Henri-Frédéric Amiel, 1876]

Dans une rédaction ?

Pas Bon !

“Il n’y pas d’image, stupid !!!”

Pas Bon !

“Ben c’est des slaves du Donbass, stupid !!!”

Pas Bon !

“Sérieusement ? Un Africain ???? Stupid !”

faim dans le monde famine sous-alimentation nutrition insécurité alimentaire

Lire ce billet pour mémoire…

humour dessin cartoon faim dans le monde famine sous-alimentation nutrition insécurité alimentaire

Pas Bon !

“Euh, NON, on a dit pas les Palestiniens, stupid…!”

Pas Bon !

“MAIS QU’EST CE QUI N’EST PAS CLAIR AVEC “pas les Palestiniens”, stupid…!!!!!!!!!”

Pas Bon !

“T’ain, il me sort des Afghans tués par les Américains maintenant. Oh, t’es dingue ????”

Pas Bon !

“Bon, j’imagine qu’on ne t’a pas expliqué à  l’école de journalisme que si tu me sors maintenant un Libyen tué par nos avions, BHL va sans doute nous faire virer… ?”

Pas Bon !

“Rôôôô t’es con… Bon, grouille, on boucle bientôt… !”

Bon !!!!

“Aaaaaaaaaaaaaaah super !!! Tu vois quand tu veux, ça, ça va bien faire vendre, coco !”

Conclusion

Source: http://www.les-crises.fr/la-mauvaise-foi-la-sottise-et-lhypocrisie-sont-les-reines-de-ce-monde/


[Chienne de garde ?] “La « star » Varoufakis se cherche un destin”, par Marie Charrel

Friday 4 September 2015 at 01:43

Le Monde a décidé de financer une envoyée spéciale à Athènes : c’est bien.

Le Monde a choisi d’envoyer du lourd : Marie Charrel, 32 ans, lauréate de la catégorie “jeunes journalistes” du Prix du Meilleur Article Financier 2015, remis par Christian Noyer, tsar de la Banque de France… : c’est bien.

Le Monde a décidé d’envoyer son envoyée spéciale interviewer Yanis Varoufakis : c’est bien.

Résultat : on a donc un excellent article pour Paris-Match…

Pour continuer dans la série TD d’école de journalisme, je le commente ici en couleurs, selon le degré d’inutilité (rouge) et de désinformation (jaune).

Source : Marie Charrel, pour Le Monde, le 21 août 2015.

 La « star » Varoufakis se cherche un destin

L'ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, dans sa villa sur l'île d'Egine, le 19 août.

Une minuscule chapelle blanche assommée de soleil. C’est là, quelque part au milieu de l’île grecque d’Egine, qu’il nous a donné rendez-vous. On s’attend presque à le voir débarquer à moto, comme aux réunions de l’Eurogroupe à Bruxelles, où son style décontracté détonnait. Mais non. Yanis Varoufakis arrive à pied, tee-shirt Billabong, jean et baskets trouées d’adolescent. « Suivez-moi »,invite-t-il, avant de s’engager sur un chemin de terre sèche.

Celui-ci mène à une villa cerclée d’oliviers, offrant une vue plongeante sur la baie. La maison de vacances que sa femme et lui rejoignent pour fuir le tumulte d’Athènes. Un refuge seulement troublé par le chant des cigales. Et le clapotis de la piscine à débordement. « Avant toute chose, il faut boire », annonce l’ex-ministre des finances grec. « Il fait une chaleur à mourir. » Il prépare de grands verres d’eau qu’il sert sur un plateau coloré. Yanis Varoufakis a le sens de la mise en scène. Il sait que les médias adorent.

Je précise que la demoiselle est aussi écrivain de roman. Ça se sent. La journaliste, moins, quand même…

Dimanche 23 août il participera à la Fête de la rose de Frangy-en-Bresse, en Saône-et-Loire. Lui qui a démissionné du gouvernement d’Alexis Tsipras, le 6 juillet, sera la « guest star » d’Arnaud Montebourg, l’ex-ministre français du redressement productif. Varoufakis fascine une partie de la gauche radicale.

Presque sous entendu “10 % de 10 % des gens”, non ? Il n’intéresse personne d’autre évidemment, surtout pas les gens souhaitant connaitre la vision grecque sur 6 mois de négociation…

Le député le mieux élu de Grèce

Certains rêvent de voir en cet économiste de 54 ans, qui a enseigné à l’université d’Austin (Texas), le chef de file d’une gauche européenne anti-austérité. Lui appelle à la création « d’un réseau de progressistes désireux d’établir un dialogue démocratique dépassant les frontières ». Et assure qu’il ne s’imagine pas à la tête d’un tel mouvement. « Ce n’est pas la question. »

Si la popularité à l’international de « Yanis » est toujours à son comble, son avenir politique en Grèce est incertain« Toutes les options sont ouvertes », explique Nikos Sverkos, analyste politique à Efimerida ton Syntakton, un quotidien grec créé pendant la crise.

“Un quotidien de centre gauche”, donc opposé à Syriza, hein…

Et pour cause : jeudi 20 août, M. Tsipras a démissionné et annoncé des élections législatives anticipées, prévues le 20 septembre. Motif : Syriza, son parti, est au bord de l’explosion depuis le 14 août.

Ce jour-là, Varoufakis et la plate-forme de gauche, un courant dissident du parti, ont défié le premier ministre en votant contre le troisième plan d’aide au pays, jugeant qu’il conduirait l’économie dans l’impasse.

Je ne vois pas quelle personne avec un minimum de culture économique pourrait en effet trouver que prêter 80 milliards de plus à la Grèce, faisant passer sa dette à plus de 200 % du PIB, qui va encore s’effondrer vu les “réformes”, pourrait être une mauvaise idée. Il faudrait être un “adolescent”, hein…

Le plan a finalement été adopté grâce au soutien de l’opposition. Mais Tsipras, toujours populaire auprès des Grecs, compte bien se débarrasser des frondeurs en appelant aux urnes.

Vous aurez noté la reprise du qualificatif péjoratif français – ce sont des députés qui veulent rester fidèles à leur programme électoral, les “frondeurs” sont donc par définition les autres, si les mots ont un sens…

Dans ce tableau chaotique, l’ex-ministre des finances paraît bien isolé. Lui assure qu’il « est entré en politique pour y rester ». Certes, en janvier, il a été élu sous la bannière Syriza avec 135 000 voix – le meilleur score du Parlement. Mais il pourra difficilement rester dans le camp de M. Tsipras, dont il a perdu la confiance. Fera-t-il alliance avec les députés de plate-forme de gauche, qui ont annoncé le 21 août la création d’un nouveau parti ? Délicat. Car ce proeuropéen, qui fut conseiller du premier ministre socialiste Georges Papandréou entre 2004 et 2006, a peu en commun avec ces dissidents à tendance néomarxiste, qu’il juge un peu trop vieille gauche. Et ces derniers se méfient d’un allié qui pourrait se révéler encombrant.« Il prendrait toute la place », résume l’un d’eux.

Comment l’économiste trublion a-t-il pu susciter aussi vite la défiance de son propre parti ? « Tsipras l’a fait venir pour que sa notoriété mette le projecteur sur nos problèmes, mais son entêtement a fini par nous porter préjudice », regrette un membre de Syriza.

“Un membre de Syriza” : uns des conseillers pro-banques de Tsipras ? Un élu du comité central ? La concierge de la journaliste ? On ne saura pas.

“Un membre” d’une école de journaliste vient de se pendre en lisant cet article au fait…

« Ses coups de théâtre ont précipité la Grèce dans la récession et le contrôle des capitaux », assène de son côté Christina Tachiaou, députée de To Potami (centre gauche), l’un des partis d’opposition.

Ce centre-gauche qui a donc conduit la Grèce dans le gouffre, et maquillé les comptes, on est bien d’accord ?

Bon, donc en conclusion, on a affaire à un clown – qui est juste le député le mieux élu du Parlement, mais l’électeur est stupide, on le sait…

Varoufakis fut ministre comme il est économiste : provocateur et passionné. Sincère mais idéologue. Entier mais égocentrique.

Varoufakis fut ministre comme il est économiste : provocateur et passionné. Sincère mais idéologue. Entier, mais égocentrique.

Eh oui, la fille, elle a 5 cerveaux, elle a lu tous ses travaux économiques, a suivi son parcours, et en plus, c’est une pro du système politique grec… On a du bol de l’avoir trouvée…

« Il est brillant mais ce n’est pas un politicien : conclure des alliances et des compromis n’est pas son fort »,résume Yannis Koutsomitis, économiste indépendant. Spécialiste de la théorie des jeux, il pensait sortir gagnant du bras de fer engagé avec les institutions partenaires du pays, Fonds monétaire international, Banque centrale et Commission européennes. Il s’est trompé. « Il n’était pas là pour négocier, il voulait démontrer qu’il avait raison sur tout, en arrogant », se souvient une source proche des créanciers.

C’est amusant, j’ai diffusé hier la proposition de plan de réformes des Grecs, mais on n’a jamais eu l’analyse de l’UE en retour – s’il y en a eu une…

Beaucoup lui reprochent d’avoir privilégié les interviews paillettes au travail de terrain.

Encore du beau travail hautement sourcé…

“Beaucoup” estiment que le torchon qu’est devenu le Monde se fout de notre gueule – et pourrait avoir au moins la décence de changer de nom..

Il est vrai qu’en six mois il n’a pris aucune décision majeureà commencer contre les oligarques grecs, qu’il attaque à chaque discours.

Ah oui, un branleur, malhonnête intellectuellement et menteur quoi…

« 60 % des 403 mesures qu’il a validées sont des autorisations de voyages à l’étranger pour ses collaborateurs », détaille Achilleas Hekimoglou, journaliste au quotidien grec To Vima, qui a enquêté sur le sujet.

Ah, c’est un escroc donc…

Euh, au fait : 1/ c’est lui qui valide les autorisations de voyage, dans un pays en faillite, en négociation tendues avec Bruxelles ?? Pas son chef de cabinet ? 2/ les voyages, c’était pour les Caraïbes ou pour Bruxelles Paris et Berlin ?

Sinon, To Vima, journal proche du Pasok, est propriété de l’oligarque grec Chrístos Lambrákis, et journal que Courrier International qualifie de “farouchement anti-Syriza”.  Au Monde, on respecte la règle des trois tiers pour le parti majoritaire au Parlement grec : 1 tiers du temps de parole à ceux qui n’aiment pas Syriza, 1 tiers à ceux qui le détestent et 1 tiers à ceux qui le vomissent.

« Les institutions nous ont interdit d’adopter toute législation-clé avant la fin des négociations », s’offusque Varoufakis, un instant silencieux. « Nous avons tout de même créé un logiciel qui permettra d’identifier les évadés fiscaux. »

Quelle chochotte…

Ah, il n’a donc rien foutu, le salaud, mais bon, c’est vrai aussi qu’il n’en avait pas le droit… Il l’aurait fait, le Monde aurait dit que c’était donc un irresponsable malhonnête… Le Monde, à tous les coups tu perds !

« Il continue son show »

Avec un sens de la « provoc » n’enlevant rien à sa sincérité, l’économiste dénonce aujourd’hui ces institutions qui l’ont, dit-il, empêché de faire son travail.

On ne voit pas pourquoi il dit ça, c’est sûr… Quel provocateur ce type, qui voit juste son pays crever…

Oh, j’ai une idée ! La Grèce étant dans la zone euro, l’Europe la chance tout ça tout ça, pourrait-on passer la rédactrice au salaire moyen du journaliste grec tant qu’elle réside en Grèce (1 000 € max à vue de nez) ? Merci d’avance.

En particulier l’Eurogroupe : « Opaque, non démocratique, où des choix déterminants sont pris sans que les citoyens en soient informés. » Il appelle à plus de transparence, afin que « la volonté des peuples soit enfin respectée ».

Il n’en faudra pas moins, prévient-il, pour défaire le « plan » de celui qu’il appelle le« docteur Schaüble ». 

Sans doute parce que Schauble a un doctorat et qu’en Allemagne, ça ne s’emploie pas que pour le doctorat en médecine, je ne sais pas en Grèce…

Selon lui, le ministre des finances allemand rêve de pousser la Grèce hors de la zone euro.

Il me semble qu’il s’y est bien employé en juillet et qu’il l’a même fait écrire dans une des versions du plan…

Et ce, pour lancer un avertissement à Paris. « Sa véritable cible est la France et son Etat-providence, qu’il désire soumettre »,soutient-il. Une théorie face à laquelle un ancien conseiller du gouvernement grec soupire « Varoufakis n’est plus ministre, mais il continue son show. »

En tant que Français, il m’intéresse bien son show… Et “le conseiller”, on pourrait avoir son nom svp, pour savoir si c’est un proche des banques – ce qui est probable ?

Si cela ne lui assure pas un avenir en politique, il lui restera toujours l’économie.« Je le vois bien vendre son expertise d’ancien ministre lors de conférences à l’étranger, il est doué pour cela », analyse M. Sverkos.

Vendu va !

Le concerné avale une dernière gorgée d’eau, assure ne pas y songer. Sourire en coin, il confie néanmoins travailler sur un livre, « écrit avant d’entrer au gouvernement, retouché depuis ». Le sujet : l’histoire de l’euro. Il sera publié en janvier 2016 aux Etats-Unis. Juste à temps pour l’anniversaire de la première accession de Syriza au pouvoir.

C’est un dur métier, journaliste au Monde

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L’interview de Varoufakis que la journaliste a réalisée ce jour là est consultable ici. Je vous laisse la première phrase : “Provocateur, idéaliste, arrogant. Yanis Varoufakis, ex-ministre des finances grec, fascine autant qu’il agace.”

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Invité à définir une éthique de l’information,  Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde et du Monde Diplomatique, répondit : « Ce serait à la fois très simple et très compliqué. On peut employer tous les mots qu’on veut et retenir le mot « objectivité » pour dire avec honnêteté – ce qui n’est pas toujours facile, ce qui ne sera jamais facile – toute la vérité possible, en jugeant les événements pour eux-mêmes, et non pas avec l’éternel souci de faire de la copie, d’augmenter le tirage et de céder à telle ou telle influence. » [Paroles écrites, Paris, Grasset, 1991]

Par “chance” (pour certains), il est mort en 1989…

RIP

Source: http://www.les-crises.fr/chienne-de-garde-la-star-varoufakis-se-cherche-un-destin-par-marie-charrel/


[TRÈS RECOMMANDÉ] Notre Printemps d’Athènes, par Yanis Varoufakis

Thursday 3 September 2015 at 03:00

Je vous propose aujourd’hui un texte que j’ai trouvé globalement remarquable : il s’agit du discours de Yanis Varoufakis, tenu le 23 août 2015 à Frangy-en-Bresse, à l’invitation d’Arnaud Montebourg.

Quoi que vous pensiez du personnage, de sa vision et de sa politique, il FAUT le lire – oui, je sais c’est un peu long, mais bon, ça ne fait pas du tout mal à la tête… ;)  Merci aussi aux traducteurs pour leur précieux travail régulier…

Il s’agit du témoignage d’un des 3 acteurs-clés grecs pour la négociation de 2015. Il témoigne de ce qu’il a vu et vécu, et donne son analyse, sans aucune langue de bois, ce qui est rarissime. Bien entendu, on lira avec un peu de recul et d’esprit critique…

Le discours

Télécharger en pdf ici
Je compte sur vous pour diffuser ce document :
  • son adresse est : http://tinyurl.com/printemps-athenes-pdf
  • le lien de ce billet est : http://tinyurl.com/printemps-athenes
  • le lien du billet sur le travail des médias : http://tinyurl.com/la-fabrique-du-silence

La conclusion

Tordons rapidement le cou à un débat qui n’est pour moi pas central dans ce texte : la conclusion de Yanis Varoufakis est en gros qu’il faut “un réseau européen dont l’objet explicite soit la démocratisation de l’euro”.

Bon, qu’il en soit encore à ce genre d’absurdité (même s’il a bien montré qu’il était prêt à faire ce qu’il fallait pour se faire mettre dehors de l’euro par les autres pays) restera pour moi un mystère insondable de la “pensée” de la gauche radicale. Vouloir rendre l’euro démocratique, c’est un peu comme vouloir rendre le fascisme démocratique – merci de prévoir un délai, hein… Et en plus, sur le fond, l’euro est une absurdité, tout à fait identique à la distribution de sabots taille unique à toute la population – les pieds vont mieux quand ils ont une chaussure à leur pointure, comme une économie avec sa monnaie.

Je rappelle au passage ce mot du général :

Alain Peyrefitte– – Le traité de Rome n’a rien prévu pour qu’un de ses membres le quitte.

Général de Gaulle – C’est de la rigolade ! Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : « Je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp ! « Ce sont des histoires de juristes et de diplomates, tout ça.

Mais bon, il est facile d’être courageux dans son fauteuil de commentateur, c’est une autre paire de manches d’être à la place de Tsipras, quand l’UE vous menace en cas de défaut de bloquer l’accès des touristes à la Grèce ainsi que l’importation de produits grecs – et plus de touristes ni d’huile d’olive ne peut que conduire à des violences politiques majeures en Grèce, et probablement à un coup d’État. Après, évidemment, le bon choix est sans doute de démissionner, mais on tombe alors – hélas – sur la logique du pétainiste : “il vaut mieux que  je fasse moi-même, ce sera moins cruel que si d’autres le font” – ce qu’a d’ailleurs rapporté Varoufakis à propos de Tsipras.

Bref.

Je souhaitais aussi, en lien avec la vision de Tsipras, partager une citation de l’EXCELLENT livre d’Yves Benot, Massacres coloniaux: 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies française, hélas épuisé. Mais on en parlera un jour.

Je suis tombé sur cette citation à la fin du livre, qui traite d’un autre sujet, mais dont le lien avec la Grèce m’a semblé limpide :

Dans l’Hexagone, la République s’affirme antifasciste, invoque les principes de 1789, tandis qu’aux colonies, elle tolère le fascisme – fort bien identifié par Charles-André Julien -, qui lui sert à maintenir, sous couvert d’Union française, l’ancienne domination coloniale. [...] [Nous avons déjà évoqué] les communistes et l’aspect contradictoire de leurs positions. Ils sont engagés à fond dans le combat contre la guerre du Vietnam qui prend des formes d’actions de masse qu’ils étaient seuls à pouvoir animer et diriger. Ils restent à l’avant-garde dans toutes les campagnes contre les atrocités coloniales. Mais en même temps, ils continuent à s’accrocher à une Union française qui a perdu tout sens concret. [...] “

Et en effet :

Alors ami jeune qui lis ces lignes, prépare-toi, dans trente ans, il faudra te battre contre l’Union mondiale – et la gauche de gauche ne sera pas avec toi ! Mais bonne nouvelle, tu gagneras à la fin, car tes opposants auront comme d’habitude l’Histoire et l’Anthropologie contre eux…

Mais bref, outre ces remarques anecdotiques, je répète que ce n’est pas cette conclusion qui fait l’intérêt du texte…

Le reste du propos

Bien entendu, il y a 2 intérêts à ce texte. Le premier est évidemment le récit des négociations (au moins avec la vision grecque, mais elle est à l’évidence bien plus proche de la réalité que celle de Moscovici/Quatremer), tout ce qu’on n’a donc pas lu dans nos médias. Et une analyse impitoyable, prenons juste les titres :

Tu m’étonnes qu’on fasse passer le gars pour un extrémiste fou – va répondre à un tel réquisitoire, sinon en étant un peu convaincant..

Donc l’ancien ministre grec de l’économie parle d’un coup d’État dans son pays, indiquant :

“Notre Printemps d’Athènes a été écrasé, tout comme, autrefois, celui de Prague. Pas par des tanks, bien sûr, mais par des banques.” [Yanis Varoufakis, 23/08/2015]

C’est quand même proprement incroyable, et cela aurait du provoquer un énorme débat dans le pays – surtout quand on voit comme on est chatouilleux sur “les valeurs des principes républicains du respect de la Démocratie” tout ça tout ça, enfin, surtout en ce qui concerne la Russie par exemple…

Et donc, c’est là qu’on arrive au second intérêt de la chose : comment nos médias ont-ils accueilli ceci ?

Analyse complète à lire dans ce billet.

Source: http://www.les-crises.fr/notre-printemps-d-athenes-varoufakis/