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Revue de presse internationale été 2015

Sunday 6 September 2015 at 00:01

Voici un panel d’articles relevés par nos contributeurs cet été. Merci à eux. Nous avons besoin de volontaires pour étoffer l’équipe de la revue internationale qui manque de collaborateurs (veille de sites, sélection d’articles). Si vous appréciez cette revue, rejoignez-nous via la rubrique contact du blog. Bonne lecture !

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-ete-2015/


Jacques Sapir, la polémique (I)

Saturday 5 September 2015 at 02:20

Le texte de Stefano Fassina

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 24 août 2015.

Pour éclairer le débat qui a été lancé par l’interview que j’ai donné à FIGAROVOX, je publie la traduction de l’article de Stefano Fassina, appelant à la constitution d’une « alliance des fronts de libération nationale », qui a été établie par le Comité Valmy. Ce texte pose clairement le problème. Je rappelle que Stefano Fassina a été membre duParti Démocrate auquel appartient Matteo Renzi, l’actuel Premier ministre de l’Italie (parti qu’il a quitté le 23 juin dernier), qu’il fut vice-ministre des finances dans le gouvernement d’Enrico Letta, et qu’il fut un chroniqueur réputé de l’Unita. On pourra voir, dans ce texte, que je ne suis nullement l’inventeur de la formule « fronts de libération nationale ». Je reprends néanmoins cette formule et m’associe à l’appel de Fassina.

A - Fassina_daticamera

Pour une alliance de fronts de libération nationale

Stefano Fassina Membre du Parlement, ancien vice-Ministre des Finances

repris de la note publiée le mardi 11 août 2015 sur le site du Comité Valmy(http://www.comite-valmy.org/spip.php?article6218)

(Les intertitres sont de la responsabilité de RussEurope)

Le brulant compte grec a une valeur de politique générale. Commençons par le contenu de la Déclaration du Sommet de la zone Euro tenu le 12 juillet, avant de procéder à des évaluations politiques. Il est impossible de cacher l’aspect non durable des dispositions de perspectives économiques et financières. Malgré les ajustements remportés par la délégation grecque à Bruxelles, les mesures imposées sont brutalement de contraction, ainsi que régressives sur le terrain social.

Les mesures de compensation macroéconomique risquent d’être pratiquement inexistantes. Le financement prévu pour le troisième plan de sauvetage est consacré à la recapitalisation des banques et au paiement des dettes de la BCE, du FMI et de prêteurs privés. Rien ne va aux dépenses en capital, tandis que la crédibilité de la Commission Européenne pour aider le gouvernement grec à mobiliser jusqu’à 35milliards d’€ pour les investissements dans les 3 à 5 ans doit être évaluée au vu de son incapacité à trouver le minimum de ressources pour le “Plan Juncker”. Et enfin, l’engagement de la restructuration de la dette publique de la Grèce ouvre une perspective qui en aucun cas ne pourra avoir d’effets réels avant 2023, la fin de la période de grâce accordée par les États Européens pour leurs prêts respectifs.

Les leçons de la crise grecque

Quelles leçons pouvons-nous apprendre du cours de la Grèce ? Alexis Tsipras, Syriza et le peuple grec ont le mérite historique indéniable d’avoir arraché le voile de la rhétorique Européiste et de l’objectivité technique visant à cacher la dynamique dans la zone euro. Nous voyons maintenant le pouvoir politique et le conflit social entre l’aristocratie financière et les classes moyennes : l’Allemagne, incapable d’hégémonie, domine la zone euro et poursuit un ordre économique en fonction de ses intérêts nationaux et de ceux de la grande finance.

Il y a deux points à relever ici. Le premier : le mercantilisme néo-libéral dicté par et centré sur Berlin est insoutenable. De la dévalorisation du travail, comme alternative à la dévaluation de la monnaie nationale, en tant que principale voie à de vrais” ajustements, découle une insuffisance chronique de la demande globale, la persistance d’un chômage élevé, la déflation, et l’essor de la dette publique. Dans un tel cadre, au-delà des frontières de l’état-nation dominant, l’euro a conduit à vider la démocratie de sa substance, tournant la politique en administration pour le compte de tiers et de divertissements.

Peut-on faire marche arrière ?

Cette route est-elle réversible ? C’est le deuxième point. Il est difficile de répondre oui. Malheureusement, les corrections nécessaires pour rendre l’euro durable semblent être impossibles pour des raisons culturelles, historiques et politiques. Les opinions publiques ont des points de vue opposés et positions contradictoires, rendus de plus distants à cause de l’ordre du jour dominant dans la zone euro après 2008. Les opinions et les positions répandues chez les Allemands sont des faits. Le peuple allemand mérite le respect comme tout autre peuple. En Allemagne, comme partout, les principes démocratiques s’appliquent à l’intérieur de la seule dimension politique pertinente : l’état-nation.

Les deux premiers points de l’analyse conduisent à une vérité inconfortable : nous devons reconnaître que l’euro était une erreur de perspective politique. Nous devons admettre que, dans la cage néo-libérale de l’euro, la gauche perd sa fonction historique, et est morte en tant que force attachée à la dignité et à la pertinence politique du travail et à la citoyenneté sociale en tant que véhicule de démocratie effective. La non-pertinence ou la connivence des partis de la famille socialiste Européenne sont manifestes. En continuant à invoquer, comme ils le font, les États-Unis d’Europe” ou une réécriture pro-travail des Traités est un exercice virtuel conduisant à une perte continue de crédibilité politique.

Que faire ?

Qu’y a-t-il à faire ? Nous sommes à un tournant de l’histoire. D’une part, le chemin de continuité lié à l’euro, c’est l’acceptation de la fin de la démocratie de la classe moyenne et de l’état-providence : un équilibre précaire de sous-emploi et de colère sociale, menacé par des risques très élevés de rupture nationaliste et xénophobe. De l’autre, une décision partagée, sans actes unilatéraux, à aller au-delà de la monnaie unique et du cadre institutionnel lié, surtout pour fixer la responsabilité démocratique de la politique monétaire : une solution mutuellement bénéfique, malgré un chemin difficile, incertain, avec des conséquences douloureuses au moins dans la période initiale.

L’Allemagne l’a bien compris et, toujours consciente de son histoire, indique une voie de sortie afin éviter une rupture chaotique de la zone euro et des dérives nationalistes incontrôlables (déjà inquiétantes à la fois chez les Allemands et à leur égard) : un accord multilatéral visant à aller au-delà de la monnaie unique, comme illustré dans la proposition de “Grexit assisté”, écrit par le Ministre des Finances Schäuble et approuvé par la Chancelière Merkel. Cela implique de ne pas abandonner la Grèce à elle-même, mais “une sortie accompagnée par la décote de la dette publique (ce qui est impossible dans le cadre actuel des Traités) et d’aide technique, financière et humanitaire.”

Le choix est un choix dramatique. La route de la continuité est l’option explicite des “grandes” coalitions conservatrices et des dirigeants “socialistes” (en France et en Italie, par exemple). La route de la discontinuité peut-être la seule pour tenter de sauver l’Union Européenne, de revitaliser les démocraties bourgeoises et d’inverser la tendance de la dévaluation du travail. Pour une désintégration gérée de la monnaie unique, nous devons construire une large alliance de fronts de libération nationale, à partir des zones euro de la périphérie méditerranéenne, composée de forces progressistes ouvertes à la coopération avec l’aile droite démocratique des partis souverainistes. Le temps disponible est de plus en plus court.

Stefano Fassina,

Membre du Parlement, ancien vice-Ministre des Finances, Italie

(Traduction réalisée par le Comité Valmy)

Publié initialement sur le blogue de Yanis Varoufakis

(Fassina S., « For an alliance of national liberation fronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015,http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/)


Petit retour sur LA question qui fait toute la polémique du moment autour de Jacques Sapir

[Extrait de l'article de Jacques Sapir "Réflexions sur la Grèce et l'Europe"]

Comment reconstruire une alternative à la politique européenne actuelle ?

Si l’on considère cette alternative comme étant celle d’une rupture avec l’Euro, et je rappelle qu’il ne peut y avoir d’autre politique que sur la base d’une sortie de l’Euro, alors, cette alternative implique d’associer des forces de gauche à des forces souverainistes. Il faut noter, sur la question de l’Euro, une évolution importante au sein des forces de gauche, y compris en France si l’on observe bien les évolutions de J-L. Mélenchon et surtout d’Eric Coquerel, sur ce point. Ce fut aussi ce que disait un article dans The Guardian publié le 14 juillet 2015, soit au lendemain de la capitulation de Tsipras et appelant à une « sortie de gauche » ou « lexit ». C’est, implicitement, le sens de l’appel de Stefano Fassina, qui fut un des responsables du Parti Démocrate en Italie (et ancien vice-Ministre de l’économie du gouvernement Letta), appel qui a été relayé sur le blog de Yanis Varoufakis. C’était enfin aussi le sens de l’article d’Oskar Lafontaine, ancien responsable du SPD et membre fondateur de Die Linke, qui, en 2013, appelait à la dissolution de l’Euro. Depuis, le débat a été relayé par l’intervention de Mme Sahra Wagenknecht, co-présidente du groupe parlementaire du parti de gauche Die Linke au Bundestag dans le journal „Die Welt“. Mais, cette alternative n’aura de sens que si elle s’élargit à l’ensemble des forces qui, aujourd’hui, appellent à sortir de l’Euro. A partir du moment où l’on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, y compris avec des forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire. Vouloir se masquer cela aboutirait à une impasse. La véritable question qu’il convient de poser est donc de savoir s’il faut faire de ce démantèlement de l’Euro une priorité. Et, sur ce point, tant Fassina qu’Oskar Lafontaine et bien d’autres répondent par l’affirmative.

La présence de Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan lors de l’Université d’été de Debout la France est l’un des premiers signes dans cette direction. Mais, ce geste – qui honore ces deux hommes politiques – reste insuffisant. A terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée. Il faut comprendre que très clairement, l’heure n’est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours prononcées par les uns comme par les autres. La question de la virginité politique, question qui semble tellement obséder les gens de gauche, s’apparente à celle de la virginité biologique en cela qu’elle ne se pose qu’une seule fois. Même si, et c’est tout à fait normal, chaque mouvement, chaque parti, entend garder ses spécificités, il faudra un minimum de coordination pour que l’on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble. C’est la condition sine qua non de futurs succès.

Il faut cependant avoir conscience que la constitution des « Fronts de Libération Nationale » pose de redoutables problèmes. Ils devront inclure un véritable programme de « salut public » que les gouvernements issus de ces « Fronts » auront mettre en œuvre non seulement pour démanteler l’Euro mais aussi pour organiser l’économie le « jour d’après ». Ce programme implique un effort particulier dans le domaine des investissements, mais aussi une nouvelle règle de gestion de la monnaie, ainsi que de nouvelles règles pour l’action de l’Etat dans l’économie. De plus, ce programme impliquera une nouvelle conception de ce que sera l’Union européenne et, dans le cas de la France en particulier, une réforme générale du système fiscal. On glisse alors, insensiblement, d’une logique de sortie, ou de démantèlement, de l’Euro vers une logique de réorganisation de l’économie. Un tel glissement est inévitable, et nous avons un grand précédent historique, le programme du CNR (Conseil National de la Résistance) durant la seconde guerre mondiale. La Résistance ne se posait pas seulement pour objectif de chasser l’armée allemande du territoire. Elle avait conscience qu’il faudrait reconstruire le pays, et que cette reconstruction ne pourrait se faire à l’identique de ce que l’on avait en 1939. Nous en sommes là aujourd’hui.

L’idée de Fronts de Libération Nationale est donc certainement une idée très puissante, que ce soit en France ou en Italie. Mais, elle implique que, au moins à gauche, on se réapproprie la logique des « fronts » et que l’on comprenne que dans ce type de « front » peuvent subsister d’amples désaccords mais qui sont – temporairement – renvoyés au second plan par un objectif commun. La véritable question est celle de l’autonomie d’expression et d’existence des forces politiques de gauche au sein de ces fronts. Il faudra donc bien veiller à ce que les formes institutionnelles que pourraient prendre ces fronts ne soient pas contradictoires avec l’autonomie politique.


Et maintenant, l’après polémique

Sur la logique des “fronts”

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 23 août 2015.

Le débat suscité par l’interview accordé à FIGAROVOX s’avère extrêmement instructif en ceci que l’on peut y lire l’état de la (non) réflexion de certains. Je précise à nouveau que les différences entre le texte publié sur FIGAROVOX[1] et le texte du carnet (largement plus développé[2]) sont de ma volonté. J’ai considéré que l’interview était déjà bien longue. Mais, ce débat ne reflète pas (seulement) l’état intellectuel d’une partie des militants et sympathisants de la gauche. On peut y lire aussi de véritables interrogations quant à la stratégie politique que devrait adopter un « front de libération nationale » pour reprendre l’expression de Stefano Fassina[3] ou ce que j’appelle quant à moi un « front anti-Euro ». L’objet de cette note sera donc d’éclaircir ou de préciser certains points. Que l’on ne s’étonne pas si le vocabulaire employé pourra apparaître daté (pour ceux qui s’en souviendraient). C’est que la question des « fronts » a une longue histoire. Mais, que l’on ne se méprenne pas non plus sur ce vocabulaire. On n’en usera que ce qui sera nécessaire.

1 – Les caractéristiques de la période

Toute réflexion sur la stratégie politique s’enracine dans une analyse de la période tant politique qu’économique. Celle que nous vivons a pris naissance dans le basculement qui s’est produit dans les années 1970 et 1980 et qui a produit la financiarisation du capitalisme. Non que la finance ait été chose nouvelle. Mais, à travers les processus d’innovations financières qui se sont développés à partir de 1971-1973, la finance s’est progressivement autonomisée des activités productives dans une première phase, puis elle s’est constituée en surplomb par rapport à ces dernières dans une deuxième phase. Aujourd’hui, la finance prélève une rente de plus en plus importante sur les activités productives, et ceci se traduit par l’ouverture impressionnante de l’écart entre le 1% le plus riche de la population et le reste de cette dernière. En découle aussi ce que l’on a appelé les « trente piteuses » par opposition aux « trente glorieuses », et qui sont caractérisées par la montée d’un chômage de masse et une faible croissance.

Dans ce processus de financiarisation, un moment décisif en Europe a été la mise en place de l’Euro (pour l’appeler par son véritable nom : Union Economique et Monétaire ou UEM). Les institutions des économies qui ont adopté l’Euro s’en sont trouvées progressivement modifiées, que ce soit les institutions monétaires, qui furent les premières naturellement à être affectées, mais aussi les institutions productives (à cause de la distorsion importante de concurrence induite par un taux de change fixe sur le long terme) et enfin les institution sociales. Ce que l’on appelle aujourd’hui « l’austérité » n’est que le résultat de ce changement institutionnel. L’austérité est la fille légitime de l’Euro ; elle devenue depuis 2010 sa fille chérie. Après avoir tenté de ruser avec cette dernière dans les années 1999 à 2007, des pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie, le Portugal et la Grèce ont été contraints, à des rythmes et dans des conditions qui sont à chaque fois spécifiques, à entrer dans le carcan de l’austérité. La domination de la thématique austéritaire sur la vie politique de ces pays correspond aussi avec l’enracinement de la financiarisation que permet l’Euro.

Mais, l’Union Economique et Monétaire a induit aussi, et l’on peut aujourd’hui supposer que tel était bien l’objectif réel de ceux qui ont mis en place l’Euro, des changements importants dans la forme et les méthodes de la gouvernance politique. Le basculement vers un monde de déni systématique de la démocratie en découle. Il faut considérer que la monnaie unique n’est pas seulement un instrument de la financiarisation. Elle-même s’est progressivement autonomisée et est devenue un mode de gouvernement qui a des conséquences désormais chaque jour plus importante sur le fonctionnement politique des pays. Les parlements nationaux sont progressivement privés de leurs prérogatives souveraines, en particulier – mais pas uniquement – par le TSCG qui fut ratifié en septembre 2012. Cette dépossession de la souveraineté populaire et de la démocratie se fait au profit d’un seul pays, l’Allemagne. Elle a des conséquences politiques profondes à la fois sur les représentations des peuples et sur les mécanismes politiques tant dans les différents pays qu’entre ces derniers. C’est l’un des principaux facteurs promouvant des comportements anti-démocratiques dans les pays européens. L’une des conséquences de l’Euro est l’accentuation des effets de compétition et de concurrence entre les pays, effets qui désormais menacent directement la paix en Europe.

Ainsi, nous sommes à nouveau confrontés à des contradictions sociales extrêmement fortes, tant à l’intérieur de chaque pays qu’entre ces derniers. Nous sommes à nouveau confrontés à une période de troubles et de révolutions.

2 – Les taches de la période

Les institutions mises en place dans le cours de la période, et plus particulièrement dans la phase actuelle de domination de la finance, constituent un ensemble qui fait système. Mais, en Europe, on perçoit la place centrale qui est occupée par l’Euro. C’est ce qui fait de la destruction de l’Euro l’objectif stratégique aujourd’hui. Toute tentative visant à sortir de la financiarisation et de l’austérité en restant dans le cadre de l’Euro est vouée à l’échec. On a pu le constater avec les événements qui se sont déroulés en Grèce cette année. A partir du moment où le gouvernement grec acceptait de faire du maintien dans l’Euro la condition de sa politique, il mettait sa tête sur le billot, comme l’a montré le diktatqui lui fut imposé le 13 juillet. En s’attaquant à l’Euro directement, on ouvre au contraire une brèche dans le système institutionnel. L’Euro aboli, une partie des institutions existantes deviennent incohérentes (y compris des institutions de l’Union européenne) et leur remplacement ou leur évolution redevient possible. Mais, dire cela implique que l’on se situe dans l’univers des possibles et non de la certitude. L’abolition de l’Euro n’entraînera pas automatiquement ce résultat. Mais, tant que l’Euro restera en place aucun changement n’apparaît possible. La destruction de l’Euro est donc une conditionnécessaire mais non suffisante.

Il faut donc non pas se limiter à la seule destruction de l’Euro (qui est un préalable indispensable) mais aussi penser ce qui pourrait accompagner cette destruction et la reconstruction qui suivra. Cela implique un projet de reconstruction global de l’économie avec des implications dans le domaine monétaire et bancaire, dans celui de la production, des mesures sociales et environnementales, de la fiscalité, etc.… Il est aussi clair que la destruction de l’Euro impliquera de repenser les formes et les processus d’insertion de la France (ou de tout autre pays) à l’échelle internationale. La destruction de l’Euro conduira à la mise en œuvre d’une autre forme de politique étrangère ainsi qu’à une redéfinition de nos relations avec les pays européens. Ce projet est considérable. Il implique un niveau de consensus dans l’opinion, consensus qui ne pourra se construire que sur une convergence d’opinions, voire des accords précis sur un certain nombre de points. La lutte contre l’Euro impliquera une alliance quelle qu’en soit la forme (et elle pourrait se limiter à une forme implicite). Mais, cette alliance devra s’étendre aux mesures d’accompagnement immédiat de la destruction de l’Euro. C’est en cela que la meilleure analogie pourrait être avec le programme du CNR qui ne visait pas seulement à la libération du territoire mais posait aussi des objectifs de réformes importants de la société française.

3 – L’hypothèse de Stefano Fassina

En raison de sa place centrale dans le mécanisme de domination capitaliste actuel, et en raison de la sujétion dans laquelle est tenue la France (et la souveraineté populaire), cette lutte contre l’Euro peut s’apparenter à une lutte de libération nationale. Cette expression a été employée pour la première fois par Stefano Fassina. Il appelle à la constitution de « fronts de libération nationale » dans les différents pays qui ont été assujettis à la logique austéritaire et aux visées de l’Allemagne, et il est – en partie – rejoint sur ce terrain par Romano Prodi[4], l’ancien Premier-ministre italien.

Ce type de vocabulaire, s’il possède une capacité d’appel très important, pose néanmoins le problème de ce que l’on désigne sous le vocable de « logique frontiste ». Cette logique frontiste est combattue par ceux qui pensent que le problème se réduit à un affrontementglobal entre le capitalisme et les « révolutionnaires » et qui ne sont prêts à aucun compromis au nom de la cohérence de ce combat. L’argument le plus important contre la « logique frontiste » est que les compromis nécessaires que doivent passer des forces de gauche les empêchent de construire les mobilisations populaires qui sont leurs seuls points d’appuis. Les forces de gauche se trouveraient donc désarmées par une logique soumettant la dynamique générale du combat aux obligations de la constitution d’un « front ». Elles seraient amenées à perdre que ce soit avant d’avoir atteint le premier objectif ou immédiatement après la réalisation de cet objectif lors de la phase dite « d’exploitation » de la victoire initiale[5]. Dans cette critique de la logique frontiste, on devrait passer instantanément, et avec aussi peu de médiations que possible de l’objectif d’étape à l’objectif général. Mais, cette critique repose sur en réalité sur une théorisation de la Révolution russe qui n’a que peu de rapports avec ce que fut la pratique réelle des Bolcheviks. De fait, les objectifs qui assurèrent le succès du mouvement révolutionnaire furent essentiellement des objectifs réformistes, cimentés par le consensus nationaliste une fois l’intervention étrangère déclenchée contre la révolution.

Mais, il est aussi évident qu’une soumission trop étroite des diverses forces à l’objectif immédiat, l’incapacité (ou le manque de volonté) de penser « l’après » ont été des facteurs important d’affaiblissement de la lutte. Dans le cas des luttes menées contre la colonisation, les mouvements qui ont réussis sont ceux qui ont su associer la dynamique du combat immédiat pour l’indépendance à des perspectives de construction de la société postcoloniale. La validation d’une stratégie de « front » n’est donc pas une question de principe. Elle repose sur un certain nombre de règles que l’on peut énoncer ainsi :

4 – La logique des fronts

On discerne immédiatement qu’aucun parti ou mouvement ne pourra à lui seul porter le programme concernant « l’après ». La question des alliances se pose donc, et avec elle celle de leur forme. Les alliances peuvent être réduites au minimum dans certains cas (un pacte tacite de non-agression) comme elles peuvent être plus développées (participation commune à des structures politiques, voire à des gouvernements).

Cette question des alliances se pose dans l’immédiat, afin d’avoir la force nécessaire pour vaincre les obstacles de toutes sortes qui s’élèveront entre les forces anti-Euro et la destruction de ce dernier. Car, il ne faut avoir aucun doute sur le fait que dans la défense de l’Euro nous aurons une bonne partie des forces politiques traditionnelles, les banques et le grand patronat, mais aussi une large partie des « prescripteurs d’opinions » de la presse. Une partie importante de ces forces est transfrontière, qu’il s’agisse des partis politiques ou des milieux d’affaires. Ces forces susciteront toutes les formes de division possible. Cela veut dire que si la bataille se déroulera nominalement dans le cadre français, elle opposera en réalité des forces internationales au « front » qui combattra l’Euro.

Il devient évident, dans ces conditions, que l’un des points clefs de la réussite de ce front sera au contraire la capacité d’unir la population française et une partie de la petite bourgeoisie et de porter la division au sein de l’adversaire. Il faudra montrer en quoi une large majorité de la population bénéficiera de la suppression de l’Euro, qu’il s’agisse des catégories les plus défavorisées comme de certaines catégories de patrons de PME et PMI. L’absence ou la faiblesse des représentations politiques de ces dernières catégories implique que la bataille pour les gagner au « front » anti-Euro passera essentiellement par des thèmes idéologiques et par la capacité à maintenir l’activité courante à un niveau normal. Souvenons-nous de la pression très forte qu’a exercée la Banque Centrale Européenne sur la société grecque en organisant dans les faits une crise de liquidités dans ce pays. Mais, il faudra, aussi, diviser l’adversaire et le convaincre, dans ses représentations, qu’une destruction de l’Euro est inévitable afin d’engendrer en son sein des comportements de « sauve-qui-peut » qui désarticuleront rapidement sa capacité d’action et de réaction. Le phénomène des anticipations auto-réalisatrices doit pouvoir jouer au détriment de l’adversaire. Cela implique que des propositions comme celles d’un « plan A » rationnellement discuté (et qui peut avoir une certaine validité théorique), ou d’un référendum sur l’Euro devront être abandonnées très vite car de la rapidité des réactions et de l’avancement du « front » contre l’Euro dépendra largement sa victoire.

Une deuxième condition du succès est que le « front » ait une idée claire des mesures qui accompagneront la sortie de l’Euro que ce soit dans l’immédiat ou dans le moyen terme. Rien ne serait plus destructeur pour ce « front » que d’aller à la bataille sans avoir un accord, même implicite, sur ses mesures. Car, il faut savoir qu’une fois les opérations engagées, elles se dérouleront dans la temporalité des marchés financiers (même si ces derniers sont techniquement fermés en France), et que cette temporalité s’apparente à celle des opérations militaires. On l’a clairement vu lors de la crise de Lehman Brothers en 2008. Il est donc hors de question de s’engager dans cette bataille avec pour seule idée la « reconstitution de la souveraineté monétaire ». Il faudra pouvoir être rapidement beaucoup plus précis, même s’il n’est pas utile d’entrer aujourd’hui dans les détails. En un sens, la sortie de l’Euro se planifie comme une opération militaire, que ce soit à très court terme, mais aussi à moyen terme. Un accord, je la redis même implicite, sur les mesures à prendre sera l’une des conditions de réussite, ou d’échec, du front anti-Euro.

La troisième question qu’il faudra régler concerne à l’évidence la superficie de ce « front » et ses formes de constitution. De très nombreuses formules peuvent être imaginées, allant de la coordination implicite (pacte implicite de non agression) à des formes plus explicites de coopération. Rappelons ici que lors de l’élection présidentielle de 1981 les militants du RPR ont collé des affiches de François Mitterrand…On ne peut chérir éternellement les causes des maux dont on se lamente et, à un moment donné, la logique de la vie politique voudra que soit on sera pour la sortie de l’Euro soit on sera pour conserver l’Euro. Il n’y aura pas, alors, de troisième voie.

Il est évident que ces diverses formes d’ailleurs ne s’opposent pas mais peuvent se compléter dans un arc-en-ciel allant de la coopération explicite à la coordination implicite. Mais on voit bien, aussi, qu’à terme sera posée la question de la présence, ou non, dans ce « front » du Front National ou du parti qui en sera issu et il ne sert à rien de se le cacher. Cette question ne peut être tranchée aujourd’hui. Mais il faut savoir qu’elle sera posée et que les adversaires de l’Euro ne pourront pas l’esquiver éternellement. Elle impliquera donc de suivre avec attention les évolutions futures que pourraient connaître ce parti et de les aborder sans concessions mais aussi sans sectarisme.

Du point de vue des formes que pourraient prendre ce « front, la formule « marcher séparément et frapper ensemble » me semble la mieux adaptée. Ceci n’épuise pas – et de loin – la question de la superficie du « front ». Il faudra vérifier la possibilité de détacher du Parti « socialiste » certains de ses morceaux, vérifier aussi la possibilité de pouvoir compter avec des dissidents de l’UMP et des souverainistes issus des partis indépendants (et on note avec satisfaction les discussions entre Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Pierre Chevènement). Il faudra enfin, et ce n’est pas la moindre des taches, unifier la gauche radicale. Ces diverses taches n’ont plus été à l’ordre du jour depuis 1945 dans notre pays. La perte d’expérience est ici considérable, les réflexes sectaires sont largement présents mais, surtout, la prégnance d’une idéologie moralisante se faisant passer pour de la politique constitue le principal obstacle, et la force principale de nos adversaires.

Les raisons de potentiels désaccords seront extrêmement importantes dans ce « front », s’il se constitue. Mais, la véritable question est de savoir si les femmes et les hommes qui composeront ce « front » sauront dépasser leurs désaccords, quels qu’ils puissent être et aussi justifiés puissent-ils être, pour comprendre que l’objectif de sortie de l’Euro, avec tout ce qu’il implique (et que je ne rappelle pas) impose de mettre provisoirement ces désaccords de côté. C’est à cette aune là que nous verrons si le camp des forces anti-Euro est capable d’affronter les taches de la période.

[1] http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/08/21/31001-20150821ARTFIG00294-montebourgvaroufakis-sortie-de-l-euro-le-dessous-des-cartes-par-jacques-sapir.php

[2] http://russeurope.hypotheses.org/4225

[3] Fassina S., « For an alliance of national liberation fronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015,http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/

[4] Voir son éditorial d’Il Messagero du 8 aout 2015,http://www.ilmessaggero.it/PRIMOPIANO/ESTERI/europa_fermi_inaccettabile_blitz_tedesco/notizie/1507018.shtml

[5] On retrouve ici la critique Trotskiste du Frente Popular lors de la guerre civile espagnole, ou des fronts de libération nationale constitués durant la seconde guerre mondiale, avec en particulier la critique portée à l’encontre du PCF et du PCI pour la phase qui suivit immédiatement la Libération.


A nouveau sur les “fronts”

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 27 août 2015.

La question de la dynamique interne et des conditions de constitutions des « fronts » a été mise à l’ordre du jour par l’appel de Stefano Fassina. Le débat qui s’engage, s’il est volontairement pollué tant par des acteurs politiques dont on comprend bien qu’il ne va pas dans le sens de leurs intérêts que par des journalistes plus en quête de « buzz » que de véritable information, est un débat essentiel. Il est clair que la logique des « fronts » a une capacité d’attraction très importante. Il est aussi clair que cette formule politique correspond aux problèmes de l’heure, tels qu’ils ont été révélés (mais non créés) par la crise grecque de juin et juillet 2015. Mais il est tout aussi clair que la réflexion, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, est encombrée de toute une série d’erreurs et d’approximations.

On ne fait pas un front avec ses « amis » ou ses semblables politiques.

Il peut sembler trivial d’avoir à rappeler cela, mais il est important de s’imprégner de cette évidence. Un « front », et tout particulièrement un « front de libération nationale », implique la participation de courants extrêmement divers. La formule des « fronts de libération nationale » s’applique si l’on considère que le pays est en voie d’assujettissement par une puissance étrangère. Il est évident qu’elle implique des divergences importantes entre ses membres, comme ce fut le cas dans la Résistance.

Cette formule politique cependant ne fait pas l’unanimité dans la « gauche radicale ». Elle a été historiquement contestée, dans les années 1930, par Léon Trotski, qui lui opposait une formule bien plus restreinte, celle du « Front Unique Ouvrier ». Mais, cette formule ne vaut que si l’on se situe dans la perspective d’une révolution sociale et si l’on peut discerner ce qui constitue un « parti ouvrier », en sachant que cette définition n’a pas de sens véritablement sociologique. La formule du « Front Unique Ouvrier » est celle d’un front avec ses semblables politiques. On peut s’interroger sur la postérité de cette pensée, ou plus exactement des formules qu’elle a portée, mais hors du contexte tant historique que politique, d’origine. L’une des principales critiques au « Front Unique Ouvrier » est venue de l’expérience politique de la seconde guerre mondiale, que ce soit en Europe (et en France dans le cadre de la Résistance) ou en Asie. L’alliance du Parti Communiste chinois avec le Guomindang dans le « front uni antijaponais » (1936-1937 à 1945) est au contraire un exemple de cette logique des « fronts de libération nationale » et avait impliquée que les communistes dissolvent (du moins formellement…) la « République Soviétique Chinoise » qu’ils avaient constituée[1]. On rappellera que, de 1927 à 1936, la lutte armée avait été féroce entre le Guomindang et les communistes à partir de la rupture de la première alliance entre ces deux mouvements[2]. C’est ici clairement un « front » entre anciens ennemis. Contrairement aux analyses de Trotski, des « fronts » larges, non limités à la formule du « front unique ouvrier », ont pu obtenir des victoires significatives, que ce soit dans la seconde guerre mondiale ou dans la période des luttes anticoloniales. Il est d’ailleurs significatif que le mouvement trotskiste se soit déchiré après-guerre quant à l’analyse des différents fronts de libération nationale.

C’est donc implicitement à cette expérience générale, celle de la seconde guerre mondiales et des mouvements anticolonialistes, que fait référence la formule de Stefano Fassina. Inversement, ceux qui contestent la formule politique même du « front » devraient nous dire s’ils reprennent à leur compte l’analyse de Léon Trotski et comment ils intègrent la critique par la réalité de cette dite théorie.

L’exemple chinois montre bien que la formule politique des « fronts » n’implique nullement un accord étendu entre les membres du dit « front ». Il implique, par contre, un accord sur l’existence, ou non, d’une priorité. Que la direction du Parti Communiste chinois ait accepté de faire un front avec ceux qui, moins de dix ans avant, jetaient leurs militants dans les chaudières des locomotives, devrait inspirer un peu plus d’humilité (et de réflexion) à ceux qui s’offusquent de cette logique de « front ». On ne fait pas un « front de libération nationale » avec ses seuls amis, il vaut mieux le savoir. Inversement, ceux qui ont voulu à tout prix éviter de se salir les mains ont du le plus souvent se les couper. Ce qui implique cependant de penser, aussi rigoureusement que possible, les conditions dans lesquelles un tel « front » peut s’avérer nécessaire.

Le « front » et la question de l’opportunité.

Il est aussi que la formule d’un « front », comprise dans la logique d’un front de libération nationale, implique que l’on considère qu’une question, celle de la souveraineté de la Nation, est devenue dominante par rapport aux autres et que cette question, et sa résolution, est la condition nécessaire à ce que d’autres débats puissent être posés. De ce point de vue, la formule politique du « front » ne peut être dissociée de l’analyse politique de la situation. La formule du « front » n’existe pas en abstraction de cette réalité.

Ce qui fait aujourd’hui considérer la nécessité de cette formule c’est la compréhension que la question de l’Euro n’est pas une question seulement économique (elle l’est aussi, à l’évidence) mais qu’elle est devenue le pivot d’une recomposition antidémocratique de la gouvernance au sein de l’Union européenne et que l’Euro est la garantie de la domination de la finance sur la France. Si des pays qui n’ont pas adopté l’Euro peuvent connaître des politiques extrêmement néfastes, il faudrait ici démontrer comment un pays de la zone Euro a réussi à mener une politique alternative. La crise grecque a tranché la question.

Un collègue italien, le philosophe néo-marxiste Diégo Fusaro, parle de « l’Euro comme forme de gouvernance »[3]. C’est entièrement juste. La question de l’Euro est le surplomb de l’ensemble des politiques économiques et sociales dans les pays de la zone Euro mais, au delà, elle exprime et justifie la perte de la souveraineté par ces mêmes pays. On en a eu un exemple avec la ratification du TSCG en septembre 2012. C’est dire que cette question de l’Euro est une question éminemment politique. Le fait que ceci soit devenu une « connaissance commune » ou une « évidence » à la suite des événements de juin et juillet 2015, implique un changement dans les formules politiques. C’est le sens de l’appel de Stefano Fassina[4]. La situation créée par les institutions de la zone Euro, qu’elles soient de droit ou de fait (comme l’Eurogroupe) ne date pas de cette crise. Mais, la prise de conscience, et dans de nombreux pays, date en réalité de ce moment. C’est ce qui met la question des « fronts », qu’on les appelle des « fronts de libération nationale » comme Stefano Fassina ou des « fronts anti-Euro » comme je l’ai fait, à l’ordre du jour. Ce qui met cette question à l’ordre du jour est une réalité couplée avec une nécessité. De ce point de vue, la question du positionnement de untel ou untel est en réalité secondaire. C’est la question de l’analyse de la situation politique, et du débat qu’il convient d’avoir à son sujet, qui prime. Mais, il convient de savoir qu’il n’est nullement sûr que les acteurs arrivent à résoudre cette question. Auquel cas, la situation continue d’évoluer et les forces en présence de se transformer. La constitution d’un « front », dans ces conditions estaussi un moyen de chercher à transformer la situation, de la faire évoluer dans un sens positif.

Tout discours qui fait de la question de ces « fronts » un problème de principe est donc un discours vain, un discours vide de sens. Il n’y a pas de solution « morale » ou « principielle » a une question qui est politique. Par ailleurs, la question des « fronts » est aussi irréductible à une approche « moraliste ». Et il faut considérer que la domination des catégories morales (le « bien » / le « mal ») sur les catégories de l’analyse politique est le symptôme justement de cet situation d’assujettissement de la souveraineté populaire à un principe de « règles ».

Le front n’est pas qu’une question d’opportunité

Mais, la question de la constitution d’un « front » implique que l’on définisse non seulement ce contre quoi on veut lutter mais aussi les conditions de cette lutte. On le voit en particulier dans les « fronts de libération nationale » quand se pose la question de la négociation avec la puissance coloniale : faut-il négocier, quand, et à quelle conditions ? Ces questions sont importantes et elles déterminent la possibilité ou non, d’ouvrir le « front » à certaines forces, voire l’existence même de ces « fronts ». La question politique se pose donc au niveau de la constitution de ces « fronts », et se posera durant toute leur existence.

Cette question prend concrètement la forme du rapport à l’Euro ; est-on encore dans une logique de possible accommodements (voire « apaisement » en utilisant le sens « munichois » de ce mot[5]) avec l’Eurogroupe ou non. Il est important que cette base de départ soit rapidement clarifiée.

Mais, le rejet de l’Euro ne suffit pas. Il faut qu’il y ait un accord, au moins implicite, sur les mesures qui seront prises par la suite. Car, si l’Euro est aujourd’hui un problème politiqueson démantèlement implique une dimension technique évidente, et ces mesurestechniques ne pourront être mises en œuvre que sur la base d’un accord politique général. C’est la raison pour laquelle j’ai explicitement fait référence au Conseil National de la Résistance, car dans ce cas il était clair que l’objectif ne pouvait être la seule libération du territoire du joug nazi.

Cela implique clairement l’abandon pour tout parti qui prendre place dans ce « front » de toute référence à la « préférence nationale » hors, bien entendu, des secteurs régaliens ou nul ne la met en cause. L’idée de préférence nationale, hors le domaine des professions particulières (liées aux fonctions régaliennes de l’Etat qui incluent la sécurité, la justice et l’Education), est en réalité inconstitutionnelle si on regarde le préambule de la Constitution[6]. Il en va de même pour les droits que l’on appelle « sociaux » et qui sont la contrepartie de contributions des salariés et des employeurs. La raison conjoncturelle, liée à l’objectif du « front », est que, dans une logique de sortie de l’Euro, les mécanismes de retour à l’emploi doivent pouvoir jouer sans obstacle. Très concrètement, et au-delà des raisons principielles telles qu’elles sont exposées dans le préambule de la constitution, toute segmentation du marché du travail sous la forme de l’application de la « préférence nationale » conduirait à des pressions inflationnistes importantes qui pourraient compromettre les effets positifs attendus de la sortie de l’Euro.

C’est l’une des raisons pour lesquelles la participation du Front National à ce « front » n’est pas aujourd’hui envisageable, alors que celle du mouvement politique de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France, l’est pleinement. Mais, cela veut aussi dire qu’il faut être attentif aux évolutions politiques des uns et des autres et, en fonction de ces évolutions, être prêts à reconsidérer la question de la participation de tel ou tel parti ou mouvement à ce « front ». Ceci, d’ailleurs, vaut tout autant pour des fractions du Parti « Socialiste », si elles abandonnaient leur attachement religieux à l’Euro, et qui seraient naturellement partie prenante d’un tel « front ». Je rappelle ici, et encore une fois, que Stefano Fassina fut membre (et ministre) du parti de centre-gauche de l’actuel Premier ministre italien, Matteo Renzi.

[1] P. Van Slyke L., The Chinese Communist movement: a report of the United States War Department, july 1945, Stanford University Press, Hoover institution, San Francisco, 1968.

[2] Dont un rendu littéraire peut être lu dans La Condition Humaine d’André Malraux.

[3] Fusaro D., Il Futuro è nostro. Filosofia dell’azione, Bompiani, Milan, 2014

[4] Voir, http://russeurope.hypotheses.org/4235

[5] L’apaisement étant la politique de conciliation vis-à-vis d’Hitler qui fut celle de la Grande-Bretagne à propos de la Tchécoslovaquie.

[6] Article 5 du préambule : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Preambule-de-la-Constitution-du-27-octobre-1946


Inconséquences

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 29 août 2015.

Le débat qui s’est engagé au sujet de la possibilité, ou non, de constituer des « fronts » dans la lutte contre le système politique qui s’est constitué autour de l’Euro révèle les inconséquences d’un certain nombre d’intervenants. Ces inconséquences peuvent se situer au niveau de l’analyse, comme elles peuvent se situer au niveau de l’action politique. Ces inconséquences désarment ainsi les courants d’idées et les courants politiques, qui sont engagés dans le combat contre l’austérité et l’Euro.

Inconséquences analytiques

La première de ces inconséquences vient du fait de considérer l’Euro seulement comme une monnaie, et donc de n’aborder la question que sous l’angle économique. Non que ce dernier ne soit important. Les conséquences économiques de l’Euro sont pour certaines, immédiates et directes sur la croissance et le niveau d’activité économiques. Ce qui joue le rôle déterminant est ici le fait que l’Euro fonctionne en réalité comme un système de parités fixes entres les différentes économies, comme l’ancien étalon-or. Le système de l’étalon-or avait eu des conséquences catastrophiques dans les années 1930, et l’Euro a les mêmes conséquences aujourd’hui. Mais, ces conséquences viennent aussi de l’influence prise par la financiarisation qui a pris un nouveau tournant avec la mise en place de l’Euro. Ces conséquences là sont indirectes mais sont effectivement importantes. La crise de 2007-2008 n’aurait ainsi pas eu les mêmes conséquences en Europe sans l’Euro. La dimension simplement économique des conséquences de l’Euro pourrait donc justifier que l’on se prononce contre. Mais, c’est s’aveugler gravement que de ne pas voir que les implications de l’Euro vont bien au-delà de ces seuls faits.

L’Euro est un projet politique. Pour les promoteurs de la monnaie unique, et il ne s’en sont jamais cachés, il s’agissait de faire subir à l’Union européenne un saut décisif vers le fédéralisme, mais de le faire de manière implicite, sans jamais demander une validation démocratique dont ces mêmes promoteurs pressentaient qu’elle serait refusée. La nature antidémocratique du projet est inscrite dans ce dernier dès l’origine. Il s’agissait donc, dans l’esprit de ces promoteurs, de faire basculer de manière décisive les règles et les méthodes de gouvernement pour les pays qui l’adopterait. L’Euro, ce n’est donc pas seulement des institutions explicites comme la Banque Centrale Européenne ou implicites comme l’Eurogroupe. C’est aussi un principe de gouvernement qui, du fait desconséquences économiques de l’Euro s’affirme sous la forme d’une évidenceprogressivement à tous ceux qui l’acceptent. Elle les amène, ou les contraints à accepter, le démantèlement de l’ensemble des institutions sociales, qu’il s’agisse des différentes mesures prises depuis 1945 ou du Code du travail. L’Euro est donc à l’origine de la grande régression qui est en train de se produire sur le terrain social. Mais, l’Euro fonctionne aussi comme un cadre qui vide la démocratie de son contenu, et progressivement de son sens.

On peut voir, à partir de l’Euro, se matérialiser l’idée d’un gouvernement par les règles, gouvernement qui est celui des « experts » anonymes, de ces personnes grises et irresponsables qui exercent aujourd’hui une réalité de plus en plus importante du pouvoir. Ce principe de gouvernement constitue la plus formidable subversion de la démocratie auquel on ait assistée depuis 1945[1]. C’est la raison fondamentale de l’assaut frontal contre la souveraineté populaire et contre la démocratie auquel on a assisté lors de la crise grecque de juin et juillet dernier. Ce gouvernement par les règles est consubstantiel avec l’influence de ce que l’on appelle le « néo-libéralisme »[2]. Il va bien au-delà du simple ordo-libéralisme promu par l’Allemagne[3]. C’est commettre une erreur que de limiter la réflexion à ce seul aspect. L’ordo-libéralisme n’est que la forme particulière prise à un moment donné par ce gouvernement par les règles. Si le principe même du gouvernement par les règles impose de prendre des distances avec l’ordo-libéralisme, il convient de savoir que le système le fera sans remords ni regrets. L’Euro est en réalité une manifestation de ce que Michel Foucault appelait la « biopolitique », c’est à dire la disparition de la politique derrière des principes pseudo-naturels[4].

La nature éminemment politique de l’Euro constitue ses institutions, explicites ou implicites, en une totalité qui fait système. Il est donc profondément inconséquent de réduire la question de l’Euro à des questions économiques, aussi juste soient-elles, ou à des questions sociales.

Inconséquences analytiques (2)

Mais le problème des analyses inconséquentes de l’Euro ne s’arrête pas à la réduction de ce dernier au simple domaine économique ou social. Elles proviennent aussi du refus, ouvert ou inavoué, d’affronter les conséquences politiques et systémiques de l’Euro.

Dire que les institutions de la monnaie unique, que les institutions de l’Union Economique et Monétaire, sont un tout qui fait système a des implications directes et immédiates sur l’analyse que l’on doit avoir de la place de l’Euro. Remettre en cause l’Euro apparaît comme une remise en cause de l’ensemble des structures politiques de l’Union européenne. D’où, d’ailleurs, les crispations au-delà du rationnel de la part de ses partisans. Mais il y a une vérité ici. Si l’Euro éclate, il ne sera plus possible de faire la même Union européenne. Un éclatement de l’Euro entraînerait une crise profonde non seulement des institutions existantes, mais aussi de la dynamique politique que l’on a voulu mettre en place depuis le traité de Maastricht de 1993.

La question qui se pose alors est de savoir si cette dynamique pourrait encore présenter quelque chose de positif. Si on répond par la négative à cette question, un point dont je suis convaincu depuis 2005 depuis le rejet du projet de constitution européenne et le déni de démocratie qui suivit[5], on constate que toute possibilité de reconstruire dans le futur une forme de coopération entre les pays européens qui s’avère propice au progrès et à l’espoir pour les peuples de l’Europe, passe justement par la destruction de ces institutions, et du projet dont elles sont à la fois issues mais aussi porteuses. De cette constatation, il découle que lutter contre l’Euro c’est en réalité lutter pour quelque chose de bien plus vaste qu’une « simple » monnaie unique. Les enjeux de cette lutte dépassent considérablement la simple question monétaire. D’ailleurs, on ne s’est jamais étripé sur des points techniques ou économiques. C’est ce que ne comprennent pas certains qui s’avèrent incapables, pour une raison ou une autre, d’aller au bout du raisonnement. A vouloir limiter les enjeux aux simples dimensions économiques et techniques (qui existent bien par ailleurs) ils tiennent des discours désincarnés, sans rapport avec la réalité. Il est inconséquent de reconnaître les implications non-économiques de l’Euro et de refuser d’en tirer les conséquences quant au statut de la lutte contre l’Euro aujourd’hui. Il est, de même, inconséquent de reconnaître la centralité de la lutte contre l’Euro et de ne pas en penser les moyens.

Il vient un moment où le clerc doit sortir de sa tour d’ivoire, mais sans renoncer à son état de clerc. Et, l’une des conditions à cela est justement d’être capable de sortir de « l’entre soi » et de se frotter à l’autre, au risque de se piquer. De ce point de vue la volonté de garder à tout prix ses mains propres est plus révélatrice d’un narcissisme exacerbé que de tout autre chose.

Inconséquences politiques

Il n’y a pas que dans l’analyse où l’on trouve des positions inconséquentes. De fait l’inconséquence politique existe aussi, et elle est en réalité bien plus grave que l’inconséquence analytique.

La crise grecque fut-elle une simple péripétie ou a-t-elle constitué un point de rupture, une césure séparant une période d’une autre ? De très nombreux analystes pensent que nous sommes entrés dans une nouvelle phase avec les événements de juin et juillet 2015, et ils ont raison. L’assaut brutal mené par les institutions européennes contre un Etat souverain, l’absence de toute négociation réelle, et le déni de démocratie qui en a résulté ont bien provoqué un changement brutal des représentations à l’échelle européenne. On peut dire, et ce n’est pas faux, que l’ensemble des éléments conduisant à ces actes d’une brutalité inouïe étaient déjà en place en Europe depuis plusieurs années, et que certaines des méthodes avaient été employées contre le gouvernement chypriote en 2013. Mais, le niveau de violence, qu’elle soit symbolique ou réelle, le mépris affiché pour des actes démocratiques, ont franchi une nouvelle étape. Surtout, la représentation de ce qui se passait a eu un très large écho non seulement en Grèce mais dans toute l’Europe. On peut considérer que c’est le changement au niveau des représentations politiques qui a été réellement décisif. L’emploi de mots comme « trahison », « capitulation », ou « résistance », mots dont ont usé quasiment tous les commentateurs politiques, indique bien que quelque chose de décisif s’est produit tant en Grèce qu’à propos de la Grèce. Une accumulation quantitative se transforme en un changement qualitatif. Nous en sommes là.

A une nouvelle période correspond de nouvelles taches. Si la nature des objectifs reste la même, la disparition de l’Euro compris comme clef de voute d’un système profondément anti-démocratique fonctionnant au sein de l’Union européenne, la configuration politique nécessaire change. Elle impose désormais la constitution de « fronts », allant au-delà des alliances traditionnelles. C’est la constatation faite par Stefano Fassina[6], que j’ai reprise, et qui fut aussi reprise par un certain nombre d’acteurs. Cette notion de « fronts » impose, aux uns et aux autres de sortir de « l’entre soi ». Car, si une alliance repose sur de larges points communs, la dynamique des « fronts » réduits ces points communs au strict indispensable pour atteindre aux objectifs visés. Ne pas comprendre que le changement dans la situation politique impose un changement dans les formes d’action politique est justement une forme de cette inconséquence politique.

Mais, même chez des dirigeants politiques qui, semblait-il, avaient compris le sens de la nouvelle situation, on n’est pas à l’abri de formulations inconséquentes. Ainsi, chercher à revenir en arrière, comme l’a fait Eric Coquerel lors de la discussion que nous avons eu le jeudi 28 août sur « Arrêts sur Image », commencer à nier qu’une rupture se soit produite pour finir par l’admettre du bout des lèvres, c’est aussi une grave inconséquence politique. Que le Parti de Gauche veuille se coordonner avec d’autres formations européennes de la gauche radicale sur ce qu’il appelle le « plan B » se comprend parfaitement. Qu’il limite cette coordination à cette seule aire politique, qu’il ne pose pas la question d’une coordination allant au-delà de son aire politique traditionnelle, revient à refuser de traduire dans les actes les conséquences du changement de période. Or, la nouvelle période rend l’entre soi suicidaire.

La question des rapports avec des forces n’appartenant pas au même arc politique que le sien est donc posée. Car, on pressent bien qu’aucune force à gauche ne pourra atteindre par seule croissance interne ou par des alliances avec des proches la masse critique nécessaire pour se hisser au niveau des responsabilités de la période. Cette question n’est pas posée sans principes, et le premier doit être la vérification d’une compatibilité minimale des objectifs ce qui aboutira à exclure certaines forces, aujourd’hui le Front National. Mais, cette question ne doit pas être posée sans implications pratiques et concrètes. De ce point de vue, l’attitude du Parti de Gauche qui reconnaît par une main ce changement de situation, mais qui cherche à en limiter les conséquences de l’autre, pose un véritable problème. Et ce, d’autant plus, que les choses bougent par ailleurs. La présence de Jean-Pierre Chevènement à l’Université d’été de Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, le samedi 29, août est significative. Que Jean-Luc Mélenchon refuse de faire tribune commune avec Nicolas Dupont-Aignan, comme il avait été entendu il y a quelques jours montre que le sectarisme continue de polluer l’action politique. Car, tout le monde comprend que Mélenchon et Dupont-Aignan n’ont pas les mêmes idées sur bien des terrains, et peuvent même s’opposer de manière très violente l’un à l’autre. Mais, ce qu’impose cette nouvelle période dans laquelle nous sommes entrés est que l’on vérifie la possibilité d’un accord sur la question de l’Euro, c’est de savoir si des dirigeants politiques sont capables de discerner ce qui relève de la « cuisine » politique et ce qui relève de l’intérêt général. Laisser au sectarisme le choix du calendrier, c’est une troisième forme d’inconséquence politique.

Le problème, ici, est que l’accumulation des inconséquences, que ce soit celles des analystes et des intellectuels dont certains semblent plus préoccupés de leur virginité politique que du bien commun, ou que soit celles des dirigeants politiques, aura un coût politique énorme. Ces inconséquences empêchent aussi d’éduquer militants, adhérents et sympathisants aux taches qui se profilent et risquent fort de ne laisser le choix qu’entre l’impuissance totale ou la véritable confusion des motifs, car aucune limite ne sera plus possible alors. De ce point de vue, il est urgent de se remettre à faire de la politique dans le sens le plus noble de cette dernière.

[1] Voir Sapir J., Les économistes contre la démocratie, Paris, Le Seuil, 2002.

[2] Denord F., Néo-libéralisme version française, histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007

[3] Dont les racines sont étudiées dans Friedrich C-J, « The Political Thought of Neo-Liberalism », American Political Science Review, 1955, 49/2, pp. 509-525.

[4] Foucault M., Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard/Seuil, 2004.

[5] Sapir J., La fin de l’eurolibéralisme, Paris, le Seuil, 2006.

[6] Voir http://russeurope.hypotheses.org/4235


Remerciements

Source : Jacques Sapir, sur son blog RussEurope, le 30 août 2015.

Les messages de soutien que j’ai reçus depuis une semaine sont bien trop nombreux pour que je puisse y répondre individuellement. Je présente donc mes remerciements à tous mes correspondants, que ces derniers m’aient contactés par message personnel sur tweeter, par messages facebook ou par le courriel. Dans la masse de ces messages, et je suis évidemment particulièrement sensible aux anonymes, à toutes ces personnes que je ne connais pas et qui prennent la peine de m’adresser un message, il y en a eu un grand nombre qui m’ont été envoyés par des responsables d’organisations de gauche. Qu’il s’agisse de responsables locaux, régionaux, municipaux de parti (comme le Parti de Gauche, le PCF, et diverses organisations politiques) ou de responsables syndicaux (SUD, CGT et Force Ouvrière), leurs témoignages ont été nombreux (actuellement plus de 160). Venant de l’ensemble du territoires (et même des DOM et TOM), ces témoignages là dessinent une carte des fractures économiques et sociales de la France. Ils viennent en priorité du Nord (jusqu’à l’Oise), de l’Est (jusqu’à la région lyonnaise), mais aussi du Sud-Ouest. Il n’y a rien d’étonnant dans cela. Les militants de ces régions sont en première ligne face à la désindustrialisation de l’économie française.

On peut aussi y voir la reconnaissance de la pertinence de ce que j’ai dit. Ces témoignages de sympathie montrent que ce que j’ai dit et écrit a été compris et que l’on trouve légitime que s’ouvre un débat sur l’existence d’un « front » anti-Euro. Non que, parmi tous ceux qui m’ont écrit pour me soutenir, on partage entièrement mes opinions. Il est normal, il est légitime, il est sain qu’il y ait des divergences, des demandes d’éclaircissements, voire des points de désaccords. C’est cela avoir un débat. Et certains pointent les erreurs et les inconséquences de mes contradicteurs, comme le fait, par exemple, Alexandre Tzara dans sa réponse à Fréderic Lordon. Réponse à Frédéric Lordon par Alexandre Tzara

Mais, dans la totalité de ces témoignages se dégage l’idée que l’on ne peut plus camper sur les positions précédentes. La compréhension que la période est désormais différente est ici générale. L’unanimité sur ce point est le signe de la grande maturité politique dont a fait preuve  la masse des gens qui m’ont témoigné leur soutien.

Que des journalistes à gages (et je ne dit pas aux ordres car ils ne connaissent même pas l’abnégation qu’il y a à servir) aient déformé mes propos est bien entendu scandaleux. Mais, cela n’est nullement étonnant. Je laisse ici ces personnes stagner dans les eaux croupies de la calomnie. Que des politiciens aux abois, comme MM. Cambadélis et Valls viennent joindre leur voix à ces journalistes à gages ne fait que confirmer la logique de notre système où l’entre soi domine entre monde politique, monde des médias et monde de la finance. C’est un jour comme un autre en France !

Que des universitaires les imitent est, à priori, plus surprenant. Mais, certains se sont déjà de longue date acclimatés à l’air du temps. L’approximation tient lieu d’argument et l’invective de raisonnement. Qu’ils rejoignent donc les journalistes et politiciens dans leurs communs marigots. Pour le reste, un débat est ouvert et les événements montrent que l’on avance. La réunion du 26 septembre entre Jean-Pierre Chevènement, Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Nicolas Dupont-Aignan le confirme. Elle sera la première concrétisation de ce qui n’est pas une alliance mais une conjonction de forces autour d’un objectif commun. Et peut-être est-ce justement cela qui met dans une telle rage ces dits politiciens et ces journalistes à gage pour que la bave de la calomnie leur vienne aux lèvres. Le « front » anti-Euro, ce « front de libération nationale » évoqué par Stefano Fassina, est en train de se mettre en place.

Rien ne sera facile, n’en doutons pas. Nous ne sommes qu’au début d’une longue évolution. Mais, des hommes politiques ont su trouver en eux la force de sortir de l’entre soi, de prendre la mesure de l’intérêt du plus grand nombre. Il convient de le souligner et il faut s’en réjouir.

P.S. Commentaires fermés, par pitié pour les modérateurs bénévoles qui ont droit à leur week-end :)

Source: http://www.les-crises.fr/jacques-sapir-la-polemique-i/


Henry Kissinger : briser la Russie est devenu l’objectif, alors que l’intégrer devrait être le but…

Saturday 5 September 2015 at 00:34

Un peu de réalisme diplomatique rafraichissant par cette vieille crapule de Kissinger…

Source : The National Interest, le 19/08/2015

Le rédacteur en chef du “The National Interest”, Jacob Heilbrunn, a interviewé Henry Kissinger début juillet à New York.

Jacob Heilbrunn : Pourquoi le réalisme serait-il aujourd’hui une approche plus difficile des affaires étrangères, ou en tout cas plus aussi importante que lorsqu’il y avait des personnages d’envergure tels que Hans Morgenthau, George F. Kennan, Dean Acheson, puis vous-même dans les années 70 – qu’est-ce qui a changé ?

Henry Kissinger : Je ne pense pas avoir beaucoup changé d’avis sur ce sujet depuis les années 70. J’ai toujours eu une large vision de l’intérêt national, et une grande part du débat opposant réalisme et idéalisme est artificielle. La manière dont le débat est habituellement présenté se divise en un groupe qui voit le pouvoir comme un facteur déterminant des politiques internationales et un autre, les idéalistes, qui pense que les valeurs de la société sont primordiales. Kennan, Acheson ou aucune des personnes que vous avez citées n’avaient un point de vue aussi simplifié. Le point de vue des différents réalistes est que, en analyse de politique extérieure, vous devez commencer par évaluer les éléments qui sont pertinents à la situation étudiée. Et, bien entendu, les valeurs font partie de ces éléments. Le vrai débat se situe entre la priorité relative et l’équilibre.

Heilbrunn : Une des choses qui m’a frappé dans votre nouvelle biographie écrite par Niall Ferguson est sa citation tirée de votre journal personnel en 1964. Vous y suggériez plutôt prophétiquement que “la victoire de Goldwater est un phénomène nouveau dans la politique américaine – le triomphe du parti idéologique dans le sens européen du terme. Personne ne peut prédire comment cela va se finir, puisque c’est sans précédent.”

Kissinger : Lors de la convention, il semblait réaliste, pour quelqu’un comme moi, qui était plus familier avec les politiques de Washington. Plus tard, j’ai eu à connaître Goldwater et l’ai respecté comme un homme intègre et de grandes convictions morales.

Heilbrunn : Certes, mais je m’interroge sur votre interprétation de cette force idéologique qui a émergé en 1964.

Kissinger : Il s’agissait d’une nouvelle force idéologique dans le parti Républicain. Jusqu’alors, le point de vue de Washington fondé sur les modèles européens édictés par l’Histoire dominait la politique des affaires étrangères, insistant sur la mission de l’Amérique d’imposer la démocratie – en employant la force si nécessaire. Ce point de vue n’admettait pas vraiment d’opposition. C’est devenu ensuite la caractéristique des extrémistes, de la gauche comme de la droite, changeant même de camp de temps à autre.

Heilbrunn : Ces extrêmes attaquèrent tous les deux avec véhémence l’administration Nixon.

Kissinger : Oui.

Heilbrunn : Je me souviens que vous avez indiqué dans vos mémoires que vous étiez encore plus étonné d’être ainsi attaqué par la droite…

Kissinger : J’étais complètement désemparé.

Heilbrunn : Pour prétendument ménager l’URSS.

Kissinger : Et certains comme Norman Podhorezt – qui est devenu un bon ami aujourd’hui – m’ont attaqué de la gauche et de la droite successivement.

Heilbrunn : J’avais oublié qu’il avait commis cet exploit. Au bout du compte, la détente a joué un rôle majeur dans le renversement de l’URSS, n’est-ce pas ?

Kissinger : C’est mon opinion. Nous considérions la détente comme une stratégie dans la conduite du conflit avec l’URSS.

Heilbrunn : Je suis surpris que cela n’ait pas suscité plus d’attention – en Europe la détente était vécue comme devant apaiser l’Europe de l’est et l’URSS, et surmonter le souvenir de la seconde guerre mondiale, alors qu’aux États-Unis nous avons une vision plus triomphaliste.

Kissinger : Vous gardez en tête Reagan qui commence ce processus avec son discours sur l’Empire du mal qui, à mon avis, a eu lieu alors que l’URSS était déjà bien sur la voie de la défaite. Nous étions engagés dans une lutte à long terme, faisant émerger des analyses qui s’opposaient. J’étais dans le courant dur de ces analyses. Mais je me rendais aussi compte de leur dimension diplomatique et psychologique. Nous devions mener cette guerre froide depuis une position dans laquelle nous n’étions pas isolés et depuis laquelle nous profitions des meilleures bases pour conduire des conflits inévitables. Nous avions l’obligation suprême d’éviter la guerre nucléaire qui menaçait la civilisation. Nous cherchions une position nous permettant d’utiliser la force si nécessaire mais toujours en dernier recours et ce de façon évidente (pour tous). Les néoconservateurs, eux, optèrent pour une politique plus absolutiste. Reagan a su exploiter tout le temps qui lui fut alloué à faire preuve de tactique avec talent, et je ne suis pas sûr que tout était planifié ou préconçu. Mais les résultats furent impressionnants. Je crois que la détente (en français dans le texte) fut un prélude indispensable.

Heilbrunn : La Chine est-elle aujourd’hui la nouvelle Allemagne de Guillaume II [1870-1918, NdT] ? Richard Nixon, peu de temps avant sa mort, dit à William Safire qu’il était nécessaire de s’ouvrir à la Chine, mais que nous avions peut-être enfanté un Frankenstein.

Kissinger : On peut dire d’un pays qui a dominé sa région depuis 3 000 ans qu’il est une réalité inhérente. L’alternative aurait été de laisser la Chine être de façon permanente soumise et de connivence avec l’URSS, faisant ainsi de l’Union soviétique – déjà un pays nucléaire de haut niveau – le pays dominant de l’Eurasie avec l’accord tacite de l’Amérique. Cependant, la Chine représente un défi fondamental à la stratégie américaine.

Heilbrunn : Et pensez-vous qu’ils agissent pour un monde centré sur la Chine, ou bien peuvent-ils être intégrés dans une sorte de cadre westphalien, comme vous l’avez souligné dans votre dernier livre, “L’ordre mondial”

Kissinger : Voilà le défi. C’est une question ouverte. C’est notre travail. Nous n’y brillons pas, parce que nous ne comprenons pas leur Histoire et leur culture. Je pense que le fondement de leur pensée est sino-centré. Mais cela peut avoir des conséquences aux répercussions mondiales. Par conséquent, le défi chinois est un problème bien plus subtil que celui de l’URSS. Le problème soviétique était principalement stratégique. Ceci est un enjeu culturel : est-ce que deux civilisations qui, pour l’instant du moins, n’ont pas la même façon de penser, peuvent arriver à un modus vivendi qui générerait un ordre mondial ?

heilbrunn : Comment estimez-vous les chances d’un véritable rapprochement sino-russe ?

Kissinger : Ce n’est pas dans leur nature, ni l’un ni l’autre -

Heilbrunn : Parce que les Russes souhaiteraient clairement développer des relations plus étroites.

Kissinger : Mais c’est en partie parce que nous ne leur avons pas laissé le choix.

Heilbrunn : Comment pensez-vous que les États-Unis puissent s’extirper de l’impasse ukrainienne – les États-Unis et l’Europe évidemment ?

Kissinger : L’enjeu n’est pas tant pour les USA de s’extirper de cette impasse ukrainienne que de résoudre cette crise en satisfaisant l’ordre international. Un certain nombre de choses doivent être reconnues. Premièrement, la relation entre l’Ukraine et la Russie revêtira toujours un aspect important dans l’esprit russe. Elle ne pourra jamais se réduire à des rapports ordinaires entre deux états souverains ; certainement pas du point de vue russe et probablement pas non plus du côté ukrainien. Donc ce qui se passe en Ukraine ne peut être résumé selon des principes qui fonctionnent en Europe occidentale, pas si près de Stalingrad ou de Moscou. Dans ce contexte, il convient d’analyser de quelle manière cette crise ukrainienne a émergé. Il est inconcevable que Poutine ait consacré 60 milliards d’euros à la transformation d’une station balnéaire en village olympique d’hiver pour ensuite déclencher une crise militaire une semaine après avoir, lors de la cérémonie de clôture, dépeint la Russie comme partie de la civilisation occidentale.

Nous devons donc nous demander comment cela a-t-il pu arriver ? J’ai vu Poutine fin novembre 2013. Il a évoqué beaucoup de problèmes. Il a évoqué l’Ukraine en dernier, en tant que problème économique, que la Russie résoudrait par le biais des taxes et des prix pétroliers. La première erreur fut l’attitude inconséquente de l’Union Européenne. Ils n’ont pas compris les conséquences de certaines de leurs propres exigences. La politique intérieure ukrainienne était telle qu’il était impossible pour Ianoukovich d’accepter les conditions de l’Europe et de pouvoir être réélu, et la Russie ne pouvait pas considérer ces conditions comme purement économiques. Donc le président ukrainien a rejeté les conditions de l’UE. Les Européens ont paniqué et Poutine s’est senti trop sûr de lui. Il a vu cette impasse comme l’occasion idéale pour mettre en œuvre immédiatement ce qui jusqu’alors n’était qu’un objectif à long terme. Il a offert 15 milliards de dollars à l’Ukraine pour qu’elle rejoigne son Union Eurasiatique. Pendant ce temps l’Amérique est restée passive. Il n’y a eu aucune discussion politique d’envergure avec la Russie ou avec l’Europe quant à ce qui se préparait. Chaque camp a agi de façon plus ou moins rationnelle, en fonction de sa petite conception personnelle et erronée de l’autre, pendant que l’Ukraine sombrait dans l’insurrection de la place Maïdan, exactement là où Poutine avait passé dix ans à faire reconnaître le statut de la Russie. Depuis Moscou cela donnait sans aucun doute l’impression que l’Occident avait exploité ce qui avait été conçu comme un festival russe pour extraire l’Ukraine de la sphère d’influence russe. Puis Poutine a commencé à jouer les tsars – comme Nicolas Ier il y a plus d’un siècle [sic]. Je ne veux pas justifier ces tactiques, mais juste les replacer dans le contexte.

Heilbrunn : Un autre pays semble avoir pris le leadership à l’évidence en Europe, et c’est l’Allemagne – par rapport à l’Ukraine comme pour la Grèce -

Kissinger : Ils ne souhaitent pas vraiment assumer ce rôle. Il est paradoxal de constater que 70 ans après avoir défait l’Allemagne et ses velléités de domination de l’Europe, ses vainqueurs semblent maintenant souhaiter que l’Allemagne, en grande partie à cause de ses résultats économiques, dirige l’Europe. L’Allemagne peut et doit jouer un rôle important dans la construction de l’Europe et au sein de l’ordre mondial. Mais ce n’est pas le partenaire idéal, à propos de la sécurité de l’Europe, pour négocier des frontières se trouvant à moins de 300 km de Stalingrad. Les États-Unis n’ont avancé aucun concept de leur propre chef, hormis celui qui voudrait que la Russie intégrât en fin de compte le concert des nations par une sorte de conversion automatique. Le rôle de l’Allemagne est déterminant mais la contribution américaine à la diplomatie ukrainienne est essentielle pour recadrer ce problème dans un contexte mondial.

Heilbrunn : Cette position est-elle une erreur ?

Kissinger : Si nous considérons la Russie comme une grande nation, nous avons d’abord besoin de vérifier si leurs préoccupations peuvent être conciliables avec nos impératifs. Nous devrions explorer les possibilités de créer un statut établissant une zone démilitarisée entre la Russie et les frontières actuelles de l’OTAN.

L’Occident hésite déjà à assumer le rétablissement de l’économie grecque. Ce n’est sûrement pas pour intégrer l’Ukraine unilatéralement. On devrait donc étudier l’éventualité d’une coopération entre l’Ouest et la Russie pour une Ukraine non alignée militairement. La crise ukrainienne tourne à la tragédie parce qu’on confond le besoin de l’Ukraine de restaurer à court terme son identité avec des intérêts internationaux à long terme. Je serais partisan d’une Ukraine indépendante dans les frontières actuelles. Je plaide pour ça depuis la chute du mur. Quand on entend que des escadrons musulmans se battent sous le drapeau ukrainien, on constate qu’on a perdu le sens des proportions.

Heilbrunn : C’est un désastre, à l’évidence

Kissinger : Pour moi ça l’est. Ça veut dire que briser la Russie est devenu l’objectif, alors que l’intégrer devrait être le but à long terme.

Heilbrunn : Mais nous observons plutôt un retour des néoconservateurs et des faucons libéraux, au moins à Washington DC, qui sont déterminés à briser le gouvernement russe.

Kissinger : Jusqu’à ce qu’ils en assument les conséquences. L’erreur de toutes les guerres américaines depuis la seconde guerre mondiale consiste en cette incapacité à penser une stratégie acceptable chez nous. Depuis la seconde guerre mondiale nous avons démarré cinq guerres avec un grand enthousiasme. Mais les faucons ne gagnent pas à la fin. A la fin ils sont minoritaires. Nous ne devrions pas nous engager dans des conflits internationaux sans être en mesure, dès le début, d’en décrire une conclusion et sans la volonté de soutenir l’effort nécessaire à l’accomplissement de cette conclusion.

Heilbrunn : Mais nous semblons plutôt ne jamais cesser de commettre cette erreur.

Kissinger : Parce que nous refusons d’apprendre de nos expériences. Parce que ces guerres sont déclarées par des personnes qui ne respectent pas les faits historiques. A l’école on n’apprend plus l’Histoire mais seulement une succession d’évènements. Ils traitent ces faits selon des thèmes, hors de leur contexte.

Heilbrunn : Ils les extirpent de tout contexte.

Kissinger : Plutôt de ce qui était le contexte alors – ils les replacent dans un contexte entièrement nouveau.

Heilbrunn : Le genre de livre que vous écrivez – par exemple votre premier ouvrage – ne passerait jamais dans un cours de sciences politiques aujourd’hui parce qu’il n’est pas rempli de théories abstraites. Il enseigne en fait une leçon sur le mode narratif.

Kissinger: C’est pourquoi on m’attaque à droite comme à gauche – parce que je ne corresponds à aucune de leurs catégorisations.

Heilbrunn : Restons dans l’Histoire, quelle est votre opinion sur le rôle de l’Allemagne en Europe aujourd’hui ? Vivons-nous le retour d’un nouveau “problème allemand”, l’Europe du sud la voit comme une puissance occupante, et des relents de nationalisme émergent en Allemagne même – cela ne voudrait-il pas dire qu’il y a une certaine résurgence ?

Kissinger : Eh bien, il y a des indices. Certaines classes d’âge en Allemagne, les classes d’âge en dessous de cinquante ans, se comportent parfois comme si le pays qui avait voulu refaçonner l’Europe par la force revendiquait à présent le droit de la redessiner par le jugement moral le plus absolu. Ce n’est pas juste d’induire en tentation l’Allemagne de cette façon. Rejeter la faute sur l’Allemagne plutôt que sur soi-même, c’est faire de la politique intérieure facile pour les pays d’Europe du sud. Quel est donc le péché des Allemands en Grèce ? Les Allemands affirment que sous couvert de plan de sauvetage, on perpétue l’irresponsabilité. Ils tentent d’établir un procédé responsable de redressement. Quand je considère le cauchemar qu’a constitué l’inflation dans leur Histoire, j’éprouve de la sympathie pour leur point de vue. Depuis le début de leur Histoire nationale en 1871, l’Allemagne n’a jamais eu à diriger un système international. De 1871 à 1890, Bismarck a réussi un tour de force [en français dans le texte] spectaculaire, mais qui n’était pas viable sur le long terme. Vous ne pouvez pas établir de grande politique si cela requiert un génie à chaque génération. Mais de 1890 à la fin de la seconde guerre mondiale – soit près d’un siècle – l’Allemagne s’est perçue comme assiégée par le monde qui l’entourait. L’Angleterre et la France ont bien plus d’expérience en matière de diplomatie internationale. J’ai donc de la sympathie pour les Allemands et leur dilemme. Ils peuvent aider, leur aide peut être décisive, mais ils ont besoin d’une infrastructure bien plus grande, bien plus mondialisée, à laquelle nous devons contribuer.

Heilbrunn : La génération atlantiste en Allemagne, et la vision qu’elle incarnait a pratiquement disparu.

Kissinger : Et c’est bien dommage.

Heilbrunn : Les plus jeunes hommes politiques de la CDU [Union Chrétienne-Démocrate] que j’ai pu rencontrer ne s’intéressent pas aux États-Unis, ce qui est un tournant spectaculaire, étant donné que toute la politique d’Adenauer était fondée sur l’ancrage à l’Ouest.

Kissinger : C’est en partie leur faute, et en partie la nôtre.

Heilbrunn : J’ai vu Robert McFarlane il y a peu, qui a travaillé pour vous, et sous Reagan également. Il m’a dit : « Le dernier président à avoir fait preuve de pensée stratégique était Richard Nixon. » Est-ce vrai ?

Kissinger : Je pense que c’est vrai. Il avait une vision stratégique d’envergure. A la fin du premier volume des mes mémoires, White House Years, j’ai posé la question ainsi : Que se serait-il passé si l’establishment que Nixon admirait et craignait tout à la fois lui avait montré un peu d’amour ? Se serait-il encore davantage replié sur le désert de sa rancœur, ou cela l’aurait-il libéré ? Je laisse la question ouverte.

Heilbrunn : Faites-vous remonter la plupart des problèmes de la politique étrangère américaine au Viêtnam, à cette fêlure dans le consensus en matière de politique étrangère ?

Kissinger : Je pense que le Viêtnam a été un prétexte. Cela a donné une légitimité à la contestation. Parce qu’après tout, il y a bien eu des manifestations aux Pays-Bas, qui n’avait aucun Viêtnam, et en France.

Heilbrunn : Nixon possédait clairement une énorme expérience en matière de politique étrangère avant de devenir président en 1969.

Kissinger : Et il faisait preuve de réflexion, et son profil psychologique le rendait réticent à avoir affaire à trop de personnes à la fois, il lui a donc fallu réfléchir, lire – il ne pouvait pas appuyer sur un bouton et obtenir une réponse de Google – et voyager. Il n’y avait aucune menace sur sa personne lorsqu’il voyageait à l’étranger, il était donc à l’aise dans nombre d’entretiens avec des chefs d’état étrangers.

Heilbrunn : Il a dû apprendre beaucoup d’Eisenhower également, je présume.

Kissinger : Vous savez, comme toujours chez Nixon, c’était un savant mélange de rancœur et d’admiration, donc rien n’était exempt d’ambiguïté.

Heilbrunn : Jugez-vous Barack Obama comme un réaliste – il renâcle à l’idée de s’impliquer en Ukraine, par exemple – ou pensez-vous qu’une telle réputation est surfaite ?

Kissinger : Eh bien, en ce qui concerne le niveau de vigilance, c’est un réaliste. Mais sa vision est bien plus idéologique que stratégique.

 

Source : The National Interest, le 19/08/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/henry-kissinger-briser-la-russie-est-devenu-l-objectif/


72 secondes de bonheur avec Michel Onfray

Friday 4 September 2015 at 16:25

(la tête de la journaliste, façon “Seeeeeeeerge, grouille pour couper, un type dit la vérité à l’antenne !!!”)

Merci Michel !

(L’interview complète est ici)

“En ces temps de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire” [Georges Orwell]

Source: http://www.les-crises.fr/72-secondes-de-bonheur-avec-michel-onfray/


“La mauvaise foi, la sottise et l’hypocrisie sont les reines de ce monde.”

Friday 4 September 2015 at 04:41

« La mauvaise foi, la sottise et l’hypocrisie sont les reines de ce monde. » [Henri-Frédéric Amiel, 1876]

Dans une rédaction ?

Pas Bon !

“Il n’y pas d’image, stupid !!!”

Pas Bon !

“Ben c’est des slaves du Donbass, stupid !!!”

Pas Bon !

“Sérieusement ? Un Africain ???? Stupid !”

faim dans le monde famine sous-alimentation nutrition insécurité alimentaire

Lire ce billet pour mémoire…

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Pas Bon !

“Euh, NON, on a dit pas les Palestiniens, stupid…!”

Pas Bon !

“MAIS QU’EST CE QUI N’EST PAS CLAIR AVEC “pas les Palestiniens”, stupid…!!!!!!!!!”

Pas Bon !

“T’ain, il me sort des Afghans tués par les Américains maintenant. Oh, t’es dingue ????”

Pas Bon !

“Bon, j’imagine qu’on ne t’a pas expliqué à  l’école de journalisme que si tu me sors maintenant un Libyen tué par nos avions, BHL va sans doute nous faire virer… ?”

Pas Bon !

“Rôôôô t’es con… Bon, grouille, on boucle bientôt… !”

Bon !!!!

“Aaaaaaaaaaaaaaah super !!! Tu vois quand tu veux, ça, ça va bien faire vendre, coco !”

Conclusion

Source: http://www.les-crises.fr/la-mauvaise-foi-la-sottise-et-lhypocrisie-sont-les-reines-de-ce-monde/


[Chienne de garde ?] “La « star » Varoufakis se cherche un destin”, par Marie Charrel

Friday 4 September 2015 at 01:43

Le Monde a décidé de financer une envoyée spéciale à Athènes : c’est bien.

Le Monde a choisi d’envoyer du lourd : Marie Charrel, 32 ans, lauréate de la catégorie “jeunes journalistes” du Prix du Meilleur Article Financier 2015, remis par Christian Noyer, tsar de la Banque de France… : c’est bien.

Le Monde a décidé d’envoyer son envoyée spéciale interviewer Yanis Varoufakis : c’est bien.

Résultat : on a donc un excellent article pour Paris-Match…

Pour continuer dans la série TD d’école de journalisme, je le commente ici en couleurs, selon le degré d’inutilité (rouge) et de désinformation (jaune).

Source : Marie Charrel, pour Le Monde, le 21 août 2015.

 La « star » Varoufakis se cherche un destin

L'ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, dans sa villa sur l'île d'Egine, le 19 août.

Une minuscule chapelle blanche assommée de soleil. C’est là, quelque part au milieu de l’île grecque d’Egine, qu’il nous a donné rendez-vous. On s’attend presque à le voir débarquer à moto, comme aux réunions de l’Eurogroupe à Bruxelles, où son style décontracté détonnait. Mais non. Yanis Varoufakis arrive à pied, tee-shirt Billabong, jean et baskets trouées d’adolescent. « Suivez-moi »,invite-t-il, avant de s’engager sur un chemin de terre sèche.

Celui-ci mène à une villa cerclée d’oliviers, offrant une vue plongeante sur la baie. La maison de vacances que sa femme et lui rejoignent pour fuir le tumulte d’Athènes. Un refuge seulement troublé par le chant des cigales. Et le clapotis de la piscine à débordement. « Avant toute chose, il faut boire », annonce l’ex-ministre des finances grec. « Il fait une chaleur à mourir. » Il prépare de grands verres d’eau qu’il sert sur un plateau coloré. Yanis Varoufakis a le sens de la mise en scène. Il sait que les médias adorent.

Je précise que la demoiselle est aussi écrivain de roman. Ça se sent. La journaliste, moins, quand même…

Dimanche 23 août il participera à la Fête de la rose de Frangy-en-Bresse, en Saône-et-Loire. Lui qui a démissionné du gouvernement d’Alexis Tsipras, le 6 juillet, sera la « guest star » d’Arnaud Montebourg, l’ex-ministre français du redressement productif. Varoufakis fascine une partie de la gauche radicale.

Presque sous entendu “10 % de 10 % des gens”, non ? Il n’intéresse personne d’autre évidemment, surtout pas les gens souhaitant connaitre la vision grecque sur 6 mois de négociation…

Le député le mieux élu de Grèce

Certains rêvent de voir en cet économiste de 54 ans, qui a enseigné à l’université d’Austin (Texas), le chef de file d’une gauche européenne anti-austérité. Lui appelle à la création « d’un réseau de progressistes désireux d’établir un dialogue démocratique dépassant les frontières ». Et assure qu’il ne s’imagine pas à la tête d’un tel mouvement. « Ce n’est pas la question. »

Si la popularité à l’international de « Yanis » est toujours à son comble, son avenir politique en Grèce est incertain« Toutes les options sont ouvertes », explique Nikos Sverkos, analyste politique à Efimerida ton Syntakton, un quotidien grec créé pendant la crise.

“Un quotidien de centre gauche”, donc opposé à Syriza, hein…

Et pour cause : jeudi 20 août, M. Tsipras a démissionné et annoncé des élections législatives anticipées, prévues le 20 septembre. Motif : Syriza, son parti, est au bord de l’explosion depuis le 14 août.

Ce jour-là, Varoufakis et la plate-forme de gauche, un courant dissident du parti, ont défié le premier ministre en votant contre le troisième plan d’aide au pays, jugeant qu’il conduirait l’économie dans l’impasse.

Je ne vois pas quelle personne avec un minimum de culture économique pourrait en effet trouver que prêter 80 milliards de plus à la Grèce, faisant passer sa dette à plus de 200 % du PIB, qui va encore s’effondrer vu les “réformes”, pourrait être une mauvaise idée. Il faudrait être un “adolescent”, hein…

Le plan a finalement été adopté grâce au soutien de l’opposition. Mais Tsipras, toujours populaire auprès des Grecs, compte bien se débarrasser des frondeurs en appelant aux urnes.

Vous aurez noté la reprise du qualificatif péjoratif français – ce sont des députés qui veulent rester fidèles à leur programme électoral, les “frondeurs” sont donc par définition les autres, si les mots ont un sens…

Dans ce tableau chaotique, l’ex-ministre des finances paraît bien isolé. Lui assure qu’il « est entré en politique pour y rester ». Certes, en janvier, il a été élu sous la bannière Syriza avec 135 000 voix – le meilleur score du Parlement. Mais il pourra difficilement rester dans le camp de M. Tsipras, dont il a perdu la confiance. Fera-t-il alliance avec les députés de plate-forme de gauche, qui ont annoncé le 21 août la création d’un nouveau parti ? Délicat. Car ce proeuropéen, qui fut conseiller du premier ministre socialiste Georges Papandréou entre 2004 et 2006, a peu en commun avec ces dissidents à tendance néomarxiste, qu’il juge un peu trop vieille gauche. Et ces derniers se méfient d’un allié qui pourrait se révéler encombrant.« Il prendrait toute la place », résume l’un d’eux.

Comment l’économiste trublion a-t-il pu susciter aussi vite la défiance de son propre parti ? « Tsipras l’a fait venir pour que sa notoriété mette le projecteur sur nos problèmes, mais son entêtement a fini par nous porter préjudice », regrette un membre de Syriza.

“Un membre de Syriza” : uns des conseillers pro-banques de Tsipras ? Un élu du comité central ? La concierge de la journaliste ? On ne saura pas.

“Un membre” d’une école de journaliste vient de se pendre en lisant cet article au fait…

« Ses coups de théâtre ont précipité la Grèce dans la récession et le contrôle des capitaux », assène de son côté Christina Tachiaou, députée de To Potami (centre gauche), l’un des partis d’opposition.

Ce centre-gauche qui a donc conduit la Grèce dans le gouffre, et maquillé les comptes, on est bien d’accord ?

Bon, donc en conclusion, on a affaire à un clown – qui est juste le député le mieux élu du Parlement, mais l’électeur est stupide, on le sait…

Varoufakis fut ministre comme il est économiste : provocateur et passionné. Sincère mais idéologue. Entier mais égocentrique.

Varoufakis fut ministre comme il est économiste : provocateur et passionné. Sincère mais idéologue. Entier, mais égocentrique.

Eh oui, la fille, elle a 5 cerveaux, elle a lu tous ses travaux économiques, a suivi son parcours, et en plus, c’est une pro du système politique grec… On a du bol de l’avoir trouvée…

« Il est brillant mais ce n’est pas un politicien : conclure des alliances et des compromis n’est pas son fort »,résume Yannis Koutsomitis, économiste indépendant. Spécialiste de la théorie des jeux, il pensait sortir gagnant du bras de fer engagé avec les institutions partenaires du pays, Fonds monétaire international, Banque centrale et Commission européennes. Il s’est trompé. « Il n’était pas là pour négocier, il voulait démontrer qu’il avait raison sur tout, en arrogant », se souvient une source proche des créanciers.

C’est amusant, j’ai diffusé hier la proposition de plan de réformes des Grecs, mais on n’a jamais eu l’analyse de l’UE en retour – s’il y en a eu une…

Beaucoup lui reprochent d’avoir privilégié les interviews paillettes au travail de terrain.

Encore du beau travail hautement sourcé…

“Beaucoup” estiment que le torchon qu’est devenu le Monde se fout de notre gueule – et pourrait avoir au moins la décence de changer de nom..

Il est vrai qu’en six mois il n’a pris aucune décision majeureà commencer contre les oligarques grecs, qu’il attaque à chaque discours.

Ah oui, un branleur, malhonnête intellectuellement et menteur quoi…

« 60 % des 403 mesures qu’il a validées sont des autorisations de voyages à l’étranger pour ses collaborateurs », détaille Achilleas Hekimoglou, journaliste au quotidien grec To Vima, qui a enquêté sur le sujet.

Ah, c’est un escroc donc…

Euh, au fait : 1/ c’est lui qui valide les autorisations de voyage, dans un pays en faillite, en négociation tendues avec Bruxelles ?? Pas son chef de cabinet ? 2/ les voyages, c’était pour les Caraïbes ou pour Bruxelles Paris et Berlin ?

Sinon, To Vima, journal proche du Pasok, est propriété de l’oligarque grec Chrístos Lambrákis, et journal que Courrier International qualifie de “farouchement anti-Syriza”.  Au Monde, on respecte la règle des trois tiers pour le parti majoritaire au Parlement grec : 1 tiers du temps de parole à ceux qui n’aiment pas Syriza, 1 tiers à ceux qui le détestent et 1 tiers à ceux qui le vomissent.

« Les institutions nous ont interdit d’adopter toute législation-clé avant la fin des négociations », s’offusque Varoufakis, un instant silencieux. « Nous avons tout de même créé un logiciel qui permettra d’identifier les évadés fiscaux. »

Quelle chochotte…

Ah, il n’a donc rien foutu, le salaud, mais bon, c’est vrai aussi qu’il n’en avait pas le droit… Il l’aurait fait, le Monde aurait dit que c’était donc un irresponsable malhonnête… Le Monde, à tous les coups tu perds !

« Il continue son show »

Avec un sens de la « provoc » n’enlevant rien à sa sincérité, l’économiste dénonce aujourd’hui ces institutions qui l’ont, dit-il, empêché de faire son travail.

On ne voit pas pourquoi il dit ça, c’est sûr… Quel provocateur ce type, qui voit juste son pays crever…

Oh, j’ai une idée ! La Grèce étant dans la zone euro, l’Europe la chance tout ça tout ça, pourrait-on passer la rédactrice au salaire moyen du journaliste grec tant qu’elle réside en Grèce (1 000 € max à vue de nez) ? Merci d’avance.

En particulier l’Eurogroupe : « Opaque, non démocratique, où des choix déterminants sont pris sans que les citoyens en soient informés. » Il appelle à plus de transparence, afin que « la volonté des peuples soit enfin respectée ».

Il n’en faudra pas moins, prévient-il, pour défaire le « plan » de celui qu’il appelle le« docteur Schaüble ». 

Sans doute parce que Schauble a un doctorat et qu’en Allemagne, ça ne s’emploie pas que pour le doctorat en médecine, je ne sais pas en Grèce…

Selon lui, le ministre des finances allemand rêve de pousser la Grèce hors de la zone euro.

Il me semble qu’il s’y est bien employé en juillet et qu’il l’a même fait écrire dans une des versions du plan…

Et ce, pour lancer un avertissement à Paris. « Sa véritable cible est la France et son Etat-providence, qu’il désire soumettre »,soutient-il. Une théorie face à laquelle un ancien conseiller du gouvernement grec soupire « Varoufakis n’est plus ministre, mais il continue son show. »

En tant que Français, il m’intéresse bien son show… Et “le conseiller”, on pourrait avoir son nom svp, pour savoir si c’est un proche des banques – ce qui est probable ?

Si cela ne lui assure pas un avenir en politique, il lui restera toujours l’économie.« Je le vois bien vendre son expertise d’ancien ministre lors de conférences à l’étranger, il est doué pour cela », analyse M. Sverkos.

Vendu va !

Le concerné avale une dernière gorgée d’eau, assure ne pas y songer. Sourire en coin, il confie néanmoins travailler sur un livre, « écrit avant d’entrer au gouvernement, retouché depuis ». Le sujet : l’histoire de l’euro. Il sera publié en janvier 2016 aux Etats-Unis. Juste à temps pour l’anniversaire de la première accession de Syriza au pouvoir.

C’est un dur métier, journaliste au Monde

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L’interview de Varoufakis que la journaliste a réalisée ce jour là est consultable ici. Je vous laisse la première phrase : “Provocateur, idéaliste, arrogant. Yanis Varoufakis, ex-ministre des finances grec, fascine autant qu’il agace.”

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Invité à définir une éthique de l’information,  Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde et du Monde Diplomatique, répondit : « Ce serait à la fois très simple et très compliqué. On peut employer tous les mots qu’on veut et retenir le mot « objectivité » pour dire avec honnêteté – ce qui n’est pas toujours facile, ce qui ne sera jamais facile – toute la vérité possible, en jugeant les événements pour eux-mêmes, et non pas avec l’éternel souci de faire de la copie, d’augmenter le tirage et de céder à telle ou telle influence. » [Paroles écrites, Paris, Grasset, 1991]

Par “chance” (pour certains), il est mort en 1989…

RIP

Source: http://www.les-crises.fr/chienne-de-garde-la-star-varoufakis-se-cherche-un-destin-par-marie-charrel/


[TRÈS RECOMMANDÉ] Notre Printemps d’Athènes, par Yanis Varoufakis

Thursday 3 September 2015 at 03:00

Je vous propose aujourd’hui un texte que j’ai trouvé globalement remarquable : il s’agit du discours de Yanis Varoufakis, tenu le 23 août 2015 à Frangy-en-Bresse, à l’invitation d’Arnaud Montebourg.

Quoi que vous pensiez du personnage, de sa vision et de sa politique, il FAUT le lire – oui, je sais c’est un peu long, mais bon, ça ne fait pas du tout mal à la tête… ;)  Merci aussi aux traducteurs pour leur précieux travail régulier…

Il s’agit du témoignage d’un des 3 acteurs-clés grecs pour la négociation de 2015. Il témoigne de ce qu’il a vu et vécu, et donne son analyse, sans aucune langue de bois, ce qui est rarissime. Bien entendu, on lira avec un peu de recul et d’esprit critique…

Le discours

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La conclusion

Tordons rapidement le cou à un débat qui n’est pour moi pas central dans ce texte : la conclusion de Yanis Varoufakis est en gros qu’il faut “un réseau européen dont l’objet explicite soit la démocratisation de l’euro”.

Bon, qu’il en soit encore à ce genre d’absurdité (même s’il a bien montré qu’il était prêt à faire ce qu’il fallait pour se faire mettre dehors de l’euro par les autres pays) restera pour moi un mystère insondable de la “pensée” de la gauche radicale. Vouloir rendre l’euro démocratique, c’est un peu comme vouloir rendre le fascisme démocratique – merci de prévoir un délai, hein… Et en plus, sur le fond, l’euro est une absurdité, tout à fait identique à la distribution de sabots taille unique à toute la population – les pieds vont mieux quand ils ont une chaussure à leur pointure, comme une économie avec sa monnaie.

Je rappelle au passage ce mot du général :

Alain Peyrefitte– – Le traité de Rome n’a rien prévu pour qu’un de ses membres le quitte.

Général de Gaulle – C’est de la rigolade ! Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : « Je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp ! « Ce sont des histoires de juristes et de diplomates, tout ça.

Mais bon, il est facile d’être courageux dans son fauteuil de commentateur, c’est une autre paire de manches d’être à la place de Tsipras, quand l’UE vous menace en cas de défaut de bloquer l’accès des touristes à la Grèce ainsi que l’importation de produits grecs – et plus de touristes ni d’huile d’olive ne peut que conduire à des violences politiques majeures en Grèce, et probablement à un coup d’État. Après, évidemment, le bon choix est sans doute de démissionner, mais on tombe alors – hélas – sur la logique du pétainiste : “il vaut mieux que  je fasse moi-même, ce sera moins cruel que si d’autres le font” – ce qu’a d’ailleurs rapporté Varoufakis à propos de Tsipras.

Bref.

Je souhaitais aussi, en lien avec la vision de Tsipras, partager une citation de l’EXCELLENT livre d’Yves Benot, Massacres coloniaux: 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies française, hélas épuisé. Mais on en parlera un jour.

Je suis tombé sur cette citation à la fin du livre, qui traite d’un autre sujet, mais dont le lien avec la Grèce m’a semblé limpide :

Dans l’Hexagone, la République s’affirme antifasciste, invoque les principes de 1789, tandis qu’aux colonies, elle tolère le fascisme – fort bien identifié par Charles-André Julien -, qui lui sert à maintenir, sous couvert d’Union française, l’ancienne domination coloniale. [...] [Nous avons déjà évoqué] les communistes et l’aspect contradictoire de leurs positions. Ils sont engagés à fond dans le combat contre la guerre du Vietnam qui prend des formes d’actions de masse qu’ils étaient seuls à pouvoir animer et diriger. Ils restent à l’avant-garde dans toutes les campagnes contre les atrocités coloniales. Mais en même temps, ils continuent à s’accrocher à une Union française qui a perdu tout sens concret. [...] “

Et en effet :

Alors ami jeune qui lis ces lignes, prépare-toi, dans trente ans, il faudra te battre contre l’Union mondiale – et la gauche de gauche ne sera pas avec toi ! Mais bonne nouvelle, tu gagneras à la fin, car tes opposants auront comme d’habitude l’Histoire et l’Anthropologie contre eux…

Mais bref, outre ces remarques anecdotiques, je répète que ce n’est pas cette conclusion qui fait l’intérêt du texte…

Le reste du propos

Bien entendu, il y a 2 intérêts à ce texte. Le premier est évidemment le récit des négociations (au moins avec la vision grecque, mais elle est à l’évidence bien plus proche de la réalité que celle de Moscovici/Quatremer), tout ce qu’on n’a donc pas lu dans nos médias. Et une analyse impitoyable, prenons juste les titres :

Tu m’étonnes qu’on fasse passer le gars pour un extrémiste fou – va répondre à un tel réquisitoire, sinon en étant un peu convaincant..

Donc l’ancien ministre grec de l’économie parle d’un coup d’État dans son pays, indiquant :

“Notre Printemps d’Athènes a été écrasé, tout comme, autrefois, celui de Prague. Pas par des tanks, bien sûr, mais par des banques.” [Yanis Varoufakis, 23/08/2015]

C’est quand même proprement incroyable, et cela aurait du provoquer un énorme débat dans le pays – surtout quand on voit comme on est chatouilleux sur “les valeurs des principes républicains du respect de la Démocratie” tout ça tout ça, enfin, surtout en ce qui concerne la Russie par exemple…

Et donc, c’est là qu’on arrive au second intérêt de la chose : comment nos médias ont-ils accueilli ceci ?

Analyse complète à lire dans ce billet.

Source: http://www.les-crises.fr/notre-printemps-d-athenes-varoufakis/


[Journalisme ?] La fabrique du silence

Thursday 3 September 2015 at 02:15

La propagande, c’est évidemment des messages plus ou moins mensongers, mais c’est aussi une stratégie d’imposition du silence sur les éléments dérangeants. En voici un bel exemple…

Et c’est particulièrement dangereux chez nous, parce qu’un lecteur allemand des années 40 ou un lecteur soviétique des années 1970 savait bien qu’il ne pouvait pas trop compter sur sa presse, alors que ce n’est pas le cas en France…

Dernier point, sur ma vision, puisqu’on me demande souvent : il est à mon sens très peu utile de faire de la “politique” – au sens de vouloir défendre des options politiques alternatives, genre sortir de l’euro, de l’UE… – dans un tel contexte. Le premier combat à mener est un combat pour le droit à une information de qualité, honnête, pluraliste, donc digne d’une démocratie. Le reste viendra ensuite…

P.S. article pour TD en école de journalisme (naaaaon, je plaisante…)

“La vérité, c’est que la population occidentale s’est habituée à penser que ses médias sont dignes d’une grande démocratie. Même si nous savons que ce n’est pas le cas, nous persistons inconsciemment à croire que leur couverture de l’actualité est supérieure à ce qui se fait dans les autres régions du monde. [...] Permettez-moi d ‘affirmer que la télévision et les journaux chinois sont beaucoup plus critiques du système économique et politique de leur pays que nos chaînes le sont du nôtre. [...]

Les Occidentaux font preuve d’une crédulité ahurissante à l’égard de la propagande. Ayant grandi en Europe de l’Est, je suis à même de savoir qu’on ne croyait en rien les discours officiels du gouvernement. C’est pourquoi, d’une certaine façon les gens étaient très conscients de ce qui se passait dans le monde et dans leur pays. [...] Pour avoir vécu sur tous les continents, je peux affirmer que les “Occidentaux” forment le groupe le plus endoctriné, le moins bien informé et le moins critique de la Terre, à quelques exceptions près, bien sûr, comme l’Arabie saoudite. Mais ils sont convaincus du contraire : ils se croient les mieux informés, les plus “libres”.” [André Vltchek, L'occident terroriste avec Noam Chomsky, 2015]

Nos médias : la fabrique du silence

Voyons comment nos médias ont rapporté l’incroyable discours de Varoufakis à Frangy, véritable bombe, dont rien que les titres auraient mérité de sacrés débats (si évidemment on était en Démocratie) :

Festival !

Le Monde

Titre : Montebourg-Varoufakis, deux révoltés de la politique européenne à « Frangy-en-Grèce »

1ère phrase :

“Un groupe de musique répète sous le chapiteau planté en plein milieu du stade communal. “

Du lourd donc. Eh, on ne déplace pas pour rien l’envoyé spécial du “journal de référence” (arf)

Pour le reste : le journal parle de la rencontre avec Mélenchon à Paris le matin, puis de la réunion à Frangy, mais celle de 2014 !

Alors on va faire un peu de quantitatif, à la Chomsky.

L’article fait 1230 mots ; on commence à parler de Frangy 2015 à partir du 415e – au 2e tiers de l’article donc.

Enfin, “commence….” :

Le millésime 2015 de Frangy n’est pas à la fête. La pluie, qui tombe drue toute une partie de la journée, y est sans doute pour beaucoup

Du très très lourd donc… Le Monde, “station météo de la veille de référence.”

Et ça continue :

Les rangs militants sont aussi plus clairsemés que lors des rendez-vous précédents. Plusieurs élus socialistes du département n’ont pas fait le déplacement, refusant de participer à une réunion qui cible largement le gouvernement et l’exécutif français. Les « frondeurs » du PS ne sont pas venus non plus, sans doute embarrassés pour beaucoup de s’afficher avec M. Varoufakis, qui multiplie désormais les critiques contre le premier ministre grec, Alexis Tsipras.

Parmi les proches de M. Montebourg qui sont venus l’entourer figurent le sénateur socialiste de Saône-et-Loire Jérôme Durain, la députée PS de Moselle Aurélie Filippetti, ou le député MRC Jean-Luc Laurent. « Il y a une ligne gouvernementale qui existe, celle de François Hollande et de Manuel Valls, mais il n’est pas interdit de réfléchir à d’autres idées alternatives, c’est le rôle de Frangy, qui a toujours été un lieu de débats », explique M. Durain. Cécile Untermaier, la députée PS du cru, doit faire face à une situation délicate, devant à la fois marcher avec M. Montebourg, sans pour autant critiquer trop violemment le gouvernement. « François Hollande a eu raison de tenir bon » dans la négociation européenne, tente-t-elle d’expliquer à la tribune, provoquant les huées de la foule…

Passionnant tout ça, surtout dans un article de 1 200 mots…

Mais il y a mieux :

Non loin du stand où sont mis en vente les derniers ouvrages de MM. Montebourg et Varoufakis, un groupe de militants de la Convention pour la VIe République débat de la situation européenne. Le ton général est largement antiallemand. « La politique de Schäuble est inadmissible, d’ailleurs sa mère s’appelait Göhring, ça en dit long », s’emporte une femme contre le ministre des finances du gouvernement d’Angela Merkel, avant de proposer que « l’Allemagne sorte de l’Europe »« Il ne faut pas tout mélanger, notre problème ce n’est pas l’Allemagne, mais la droite allemande. Il y a Die Linke et une partie du SPD qui sont très fréquentables », tente de lui répondre son voisin plus mesuré.

Tactique simple : on trouve une crétine, et on rapporte ses propos dans le Monde donc, ce qui disqualifie assez facilement la réunion… Par chance, il n’y a en effet jamais de blaireaux dans le public dans les meetings PS et UMP.

On est déjà au 760e mot, le dernier tiers de l’article sur Frangy 2015 approche, on n’a toujours pas parlé des discours… – c’est un métier journaliste au Monde

830e mot : victoire, on parle de Varoufakis :

Le Grec [sic.] regrette, lui aussi, « l’impuissance » et « les silences » de la France lors des négociations au sein de l’Eurogroupe ces derniers mois. Ses mots sont durs contre le pouvoir français : « Cela me rappelle ce que m’a dit un jour à Paris Michel Sapin : La France n’est plus ce qu’elle était », raconte-t-il à propos du ministre des finances du gouvernement Valls. [...]

L’un comme l’autre fustigent l’absence, selon eux, de démocratie dans le fonctionnement des institutions européennes. [...] « Je suis là parce que notre printemps d’Athènes a été écrasé tout comme le printemps de Prague. Ce n’était pas par des chars, mais par des banques », ajoute M. Varoufakis. [...]

Mais le réseau des « progressistes européens » qu’appelle de ses vœux M. Varoufakis n’est guère plus détaillé.

Voilà, c’est tout… 130 mots dont 40 de Varoufakis sur 1 230 , pour un discours qui en faisait 10 600 – c’est un métier, journaliste au Monde

On dira que le journaliste a été plus honnête que la moyenne, et qu’il a repris la phrase la plus dure de Varoufakis. C’est vrai. Mais enfin, présentée comme ça, sans contexte, une phrase aussi dure a clairement tendance à ridiculiser son auteur.

Un peu comme certains grands sites, qui laisseront passer en commentaire d’incroyables “M. le journaliste est un crétin.” mais pas des commentaires polis mais argumentés expliquant et sourçant les erreurs dudit journaliste… Bref de la fausse liberté d’expression, dont l’outrance ne met pas en danger le média.

Au 1 090e mot, fin de l’analyse des discours. On passe au sérieux :

« Montebourg président ! », scandent quelques militants au passage du candidat à la primaire socialiste de 2011.

c’est un métier journaliste au Monde

Bravo donc à Bastien Bonnefous !

Libération

(bon, on va faire plus simple pour les autres… Mais c’est à peu près pareil.)

A Frangy, Montebourg et Varoufakis accueillis comme des rock-stars

1/ ça a l’air gentil, mais traiter des hommes politiques de “rock-stars” c’est évidemment les dé-crédibiliser dans leur fonction politique.

2/ la preuve en titre, les gens sont “éberlués”

Dictionnaire Larousse, être éberlué : Manifester un vif étonnement ; être ébahi

(on ne saura pas trop pourquoi mais passons…)

3/ mais bon, on ne saura pas si Frangy, c’était un flop ou si les gens étaient “en nombre” (mais tout va bien, c’étaient des “curieux” comme pour le tour de France, pas des militants / citoyens engagés)

Et ça continue…

Première phrase : “Accueillis comme des rock-stars. Sous une cohue invraisemblable de caméras et de photographes…”

Il faudra qu’on m’explique pourquoi, c’est la norme pour tout évènement qui intéresse la presse – c’est vrai que c’est une folie, mais c’est toujours comme ça pour tous… Ce n’était rien comparé à Valls arrivant à La Rochelle… Continuons :

Sous le regard éberlué des curieux venus en nombre, les «deux enfants terribles de l’Europe» ont mis une vingtaine de minutes pour parcourir une centaine de mètres et rejoindre la mairie, où l’édile de Frangy les attendait pour un «accueil républicain».

Eh oui, ce sont des enfants on vous le dit… Et terribles en plus…

Enfin, le scoop :

Plus tôt dans la journée les deux trublions ont été rejoints par Aurélie Filipetti, pour aller manger sous le chapiteau.

Du très  lourd… Les rock-stars enfants terribles sont aussi des trublions…

Dictionnaire Larousse, trublion : Individu qui sème délibérément le trouble, le désordre.

Il me semble que c’est justement la définition de l’action de l’Union européenne en Grèce, mais passons… Suite :

Denis Lamard, président de l’association des Amis de la rose a ensuite remis deux bouteilles de rouge et de blanc à Yanis Varoufakis, ainsi qu’un tablier et un jean «made in France». Avant que tous se lancent dans le rituel du ban bourguignon.

Du très très lourd on vous a dit…

L’article étant écrit à 14h00, avant le discours, on a une suite le soir du même envoyé spécial :

Fête de la rose : Frangy en Grèce

Accueillis comme des rock stars. Sous une cohue de caméras et de photographes, Arnaud Montebourg et Yánis Varoufákis ont fait leur apparition à midi, dimanche, dans la petite bourgade de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire). Sous le regard des curieux venus en nombre, les deux anciens ministres ont mis plus de vingt minutes pour rejoindre la mairie, où l’édile de Frangy les attendait pour un «accueil républicain».

C’est toujours important de passer la deuxième couche rapidement…

Avec l’ancien ministre grec, Montebourg trouve un allié de poids dans sa lutte contre l’austérité. Les deux prônent une réorientation de la politique économique européenne. C’était le sens des discours tenus dans l’après-midi. Montebourg a tapé fort sur les institutions européennes

suivent quelques mots de Montebourg, avec surtout un important ” Mais malgré sa véhémence et son discours de plus en plus eurosceptique, il ne franchit jamais le pas d’une sortie de l’euro” (OUF !!!), et…

Rien.

RIEN ! Le journaliste ne parle même pas du discours de Varoufakis !!! Juste “une réorientation de la politique économique européenne.” – 7 mots encore mieux résumé que par le Monde ! Pour le prochain discours, je propose “il a parlé” – dur de faire en 2 mots sinon…

Bref, article incroyable…

C’est AUSSI un métier, journaliste à Libération. Bravo donc à Jérémie Lamothe !

P.S. on a aussi dans ce journal un remarquable :

Frangy : Montebourg «rock star» ou marchand de meubles

mais c’est juste une reprise de l’AFP…

P.P.S. : mais aussi un très beau Varoufakis, un «dandy un peu irresponsable» pour Le Guen

 

A écouter, c’est court :


Varoufakis, un «dandy un peu irresponsable…

«Je constate avec effarement de voir la gauche radicale courir après une sorte de dandy un peu irresponsable de l’économie grecque. […] Aujourd’hui, on vient soutenir celui qui fragilise Monsieur Tsipras, qui fragilise le redressement de la Grèce.» [Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement]

Dictionnaire Berruyer, irresponsable : 1. personne ne défendant pas le néo-libéralisme 2. Par extension, toute personne non aimée par le gouvernement. Synonyme : dictateur.

 

P.P.P.S. incise quand même, spécial Montebourg :

«Il y a eu un échec des stratégies d’austérité mise en place par la Commission européenne et quelques Etats, notamment l’Allemagne, a critiqué Arnaud Montebourg. Il n’y a pas une démocratie de l’Europe, il y a une Euro-oligarchie. Nous devons maintenant créer l’Euro-démocratie.»

Meuh non, comme il n’y aura jamais d’Euro-démocratie, ce qu’un enfant de 15 ans comprend, il faut détruire l’Euro-Oligarchie, et surtout l’instrument politique qui permet son existence et son influence…

«Aucun pays n’est porteur de l’intérêt général européen, a prévenu Arnaud Montebourg. L’Allemagne défend son intérêt national, nous n’avons pas le même. Il va falloir mettre tout ça sur la table à un moment donné.»

Idem. Tu mets tout ça sur la table, tu constates comme tu le dis qu’on a des intérêts nationaux divergents pour plein de raisons, tu remballes donc ce qu’il y a sur la table, vous vous claquez la bise, et vous vous quittez bon amis, chacun défendant son intérêt national de son côté comme 180 autres pays – ce qui est le rôle d’un politique…

Le Figaro

Un beau : Montebourg et Varoufakis, deux trublions en vedette à Frangy

Une analyse plus équilibrée, et un peu plus d’informations dans le Figaro :

La réunion du duo Montebourg – Varoufakis provoque des remous chez les socialistes. «Que les vedettes soient deux ministres virés de leurs gouvernements respectifs me pose question. Si c’est pour écouter le discours ultracritique de quelqu’un qui avait annoncé qu’il s’est retiré de la politique, très peu pour moi», dénonce dans Le Parisien le député PS de Saône-et-Loire Christophe Sirugue. «Les hauts responsables socialistes sont de plus en plus fades et ternes. Il n‘aiment pas ceux qui obligent à réfléchir et qui sont des poils à gratter», répond un proche d’Arnaud Montebourg, Patrice Prat. «Des personnalités fortes peuvent déranger car elles nous obligent à sortir de notre torpeur estivale», ajoute le député du Gard, estimant que Yanis Varoufakis est «une belle source d’inspiration pour réorienter l’Europe».

«Cela m’intéresse de savoir ce qu’une personne comme lui a à nous dire», estime de son côté Jérôme Durain, un autre fidèle soutien d’Arnaud Montebourg. Le sénateur de Saône-et-Loire préfère de son côté mettre en avant «le lieu de débat politique» offert par Frangy. «Sur le plan de sauvetage de la Grèce ou sur le fonctionnement de l’Eurogroupe, il y a des sujets de fonds». «Il n’est pas illégitime d’inviter Yanis Varoufakis. Ce sera un moment utile pour relancer le débat sur l’Europe», abonde le député frondeur de la Nièvre Christian Paul. L’ex-premier signataire de la motion B ne sera toutefois pas présent à Frangy dimanche, contrairement à son collègue Pouria Amirshahi, à Aurélie Filippetti, au président du MRC Jean-Luc Laurent et au porte-parole d’EELV Julien Bayou.

Pour ce premier billet, Julien Chabrout s’en sort mieux que les 2 précédents.

Pour le papier sur les discours, c’est Solenn de Royer qui s’y colle : Montebourg et Varoufakis, deux rock stars contre l’austérité européenne

Si François Hollande était sorcier, c’est un sort qu’il aurait pu jeter. Car, pour la fracassante rentrée politique de son ancien ministre et principal détracteur, Arnaud Montebourg, c’est une pluie battante qui s’est invitée dimanche, à Frangy-en-Bresse, gâchant en partie la journée. [...]

Assurément, c’est le rendez-vous de deux trublions, deux frondeurs, farouches adversaires de l’austérité. [...]

Dimanche, les deux hommes, qui se sont vus avec leurs compagnes cet été en Grèce, ont été accueillis comme des rock stars

Bon, ça commence mal…Mais on a un joli :

Montebourg explique qu’il est «fier» d’accueillir Varoufakis – lui, tout de noir vêtu - «qui s’est battu contre l’austérité». «Son témoignage de ce qui s’est passé à l’intérieur de l’Eurogroupe est fondamental pour nous. C’est un message à tous les dirigeants européens.»

Ah oui, en effet, évidemment que Varoufakis avait des choses importantes à dire ! C’est bien de piquer la curiosité du lecteur !

Après le traditionnel banquet (poulet de Bresse), agrémenté d’un ban bourguignon raté et d’un vibrant sirtaki, Montebourg et Varoufakis ont plaidé pour une réorientation de la politique économique en Europe

Grrrr…

L’enfant terrible d’Athènes, qui a évoqué son souhait de fonder un mouvement progressiste européen, s’est montré plus virulent à la tribune, accusant les créanciers de la Grèce d’avoir réprimé le «printemps d’Athènes», comme jadis le printemps de Prague. «Ce n’était pas avec des chars mais avec des banques.» Il a raconté les coulisses des négociations bruxelloises, sous le joug du «docteur Schäuble» et il s’en est pris au ministre français, Michel Sapin, à qui il a reproché son «silence assourdissant» à plusieurs moments clés des négociations. « Cela correspondait finalement à ce que Michel m’avait dit à Paris: “la France n’est plus ce qu’elle était” .»

Bon, elle a recopié le Monde apparemment… :)

Et c’est tout… :(

L’Obs

Varoufakis superstar à “Frangy-en-Grèce”

Première phrase : “Sur les tables de la Fête de la Rose à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), la “cuvée de l’Europe” a remplacé la “cuvée du redressement” ”

Suivent :

Aujourd’hui, la star s’appelait bien Varoufakis

Tout de noir vêtu, du costume cintré aux chaussures Doc Martens, le Grec que l’on dirait tout droit sorti d’une superproduction hollywoodienne fait la promotion de ses idées tous azimuts.

A Frangy, il a répété ses mantras pour le plus grand bonheur des supporteurs montebourgeois.

(Dictionnaire Larousse, mantra : Dans l’hindouisme et le bouddhisme, syllabe ou phrase sacrée dotée d’un pouvoir spirituel. (???))

C’est à la tribune qu’il s’est lâché, assurant que la Grèce avait toujours proposé à ses partenaires européens “des changements structurels en profondeur” lors de chaque réunion, distillant nombre d’anecdotes sur la fermeté allemande où l’impuissance française, comme ce constat qu’aurait dressé Michel Sapin devant lui : “La France n’est plus ce qu’elle était.”

Selon lui, ce n’est rien moins que la démocratie qu’on assassine.

Notre printemps d’Athènes a été écrasé comme le printemps de Prague, pas avec des chars mais par des banques”, a-t-il attaqué.

Avant d’ironiser : “Si les élections ne changent rien, pourquoi ne pas inscrire dans les traités une clause qui dirait que la démocratie est suspendue ?”

Débarqué mais pas désarmé, Varoufakis propose ses solutions. Sur la forme, une coalition des progressistes européens. Sur le fond, un plan d’aide pan-européen. L’auditoire n’en saura pour l’instant pas beaucoup plus mais, malgré la pluie et une traduction approximative, a applaudi chaque ébauche de proposition, chaque amorce de proposition. Ce dimanche, Montebourg l’a martelé, sourire aux lèvres, on était à “Frangy-en-Grèce”.

Bon, un peu mieux pour ce Julien Martin quand même…

Cette fois, c’est une «cuvée Europe Frangy 2015» qui est en vente sous les stands : 8 euros la bouteille, 40 euros la caisse de six.

Europe 1

Reportage photo du Lab Politique d’Europe 1.

Petite phrase piquante pas vue ailleurs :

Yanis Varoufakis, lui, se déclare en faveur d’une “alliance des Européens à travers tout le spectre politique”, “tant qu’ils partagent une idée radicale, c’est-à-dire la démocratie”. Et Montebourg de lancer : “Quand des institutions ne sont pas démocratiques, la démocratie ne risque pas de triompher. C’est le cas de la zone Euro. On vote, mais ça ne sert à rien. [...]

Vous votez pour la gauche française et vous vous retrouvez avec le programme de la droite allemande au pouvoir.”

et petite info cachée :

On apprend aussi (rapport à la suite) :

Le début du discours de ce dernier est toutefois *légèrement* perturbé par un problème technique, le volume sonore de la traduction n’étant pas assez fort. Dans l’assistance, certains s’époumonnent pour demander un réglage. Un petit moment de solitude interrompu grâce à l’intervention héroïque de Superman

Bon, Europe 1 sans grand intérêt (désolé Etienne Baldit), pas d’info sur le discours à part ça…

Oups, si, j’oubliais :

(y’a pas que la pelouse Adrien, le journalisme, la Démocratie et, accessoirement, moi, aussi…)

Le Point

À “Frangy-en-Grèce”, Varoufakis érigé en symbole de “liberté”, heureusement vite cadré par : “Les deux agitateurs anti-austérité se sont retrouvés sur les terres d’Arnaud Montebourg, martelant encore qu’une autre politique est possible.” (les fous !)

Hmmm, agitateur, c’est nouveau ça…

Début : “La fameuse « cuvée du redressement », dont Arnaud Montebourg voulait envoyer « une bonne bouteille au président » l’année dernière, est remplacée par « la cuvée de l’Europe ». Le soleil, qui tapait fort sur les convives, s’est retranché derrière des nuages gris. La pluie tombe par intermittence sur le stade de foot de Frangy-en-Bresse, où sont installés des stands vendant des produits « made in France »

Puis

“Les deux trublions se succèdent à la tribune, livrant une charge anti-austérité – Montebourg nuance le cas français, parlant « d’austérité light ». Mais Varoufakis sort l’artillerie lourde. Le Grec raconte longuement les négociations au Conseil européen avec la troïka sur le sort de la Grèce et résume ainsi ce qui s’est soldé par un accord : « Notre printemps d’Athènes a été écrasé comme le Printemps de Prague, pas avec des chars mais avec des banques. » Fustigeant l’inaction de la France, il livre cette confidence du ministre des Finances français Michel Sapin : « La France n’est plus ce qu’elle était. »”

Moi, il faudrait qu’on m’explique qui a demandé aux journalistes d’utiliser “trublions” pour parler de deux importants ex-ministres. Parce que là, ce n’est pas naturel… Ou sur qui ils copient… Parce que là, contrairement à l’habituelle recopie AFP, on a affaire à plusieurs envoyés sur place – et qui en rajoutent par rapport aux dépêches.

Bon, ok, là ça ressemble au papier du Monde… On a même droit au…

Les oreilles des dirigeants allemands ont dû siffler d’autant plus que la présence de Varoufakis a attiré des militants radicaux, bien au-delà du Parti socialiste. Résultats, à Frangy-en-Bresse, ce dimanche matin, au cours d’un débat organisé entre militants sur le thème « Quelle boussole politique pour les jeunes Européens aujourd’hui ? » une femme s’est emparée du micro pour déclarer : « La politique de Schäuble est inadmissible. Sa mère s’appelait Göhring (Gertrud Göhring, NDLR), ça en dit long. » La même d’enchaîner : « On parle de la Grèce, mais je propose que ce soit l’Allemagne qui sorte de l’Union européenne. » « Il ne faut pas tout mélanger, notre problème ce n’est pas l’Allemagne, mais la droite allemande », a dû recadrer l’animateur du débat.

=> brrrrr, c’étaient même des ouvriers si ça se trouve, pouarff

Bon, bref, pas très glorieux pour Charlotte Chaffanjon…

L’Express

MAIS j’ai gardé le meilleur pour la fin (il faut bien récompenser les 4 lecteurs intégraux de ce billet !). LA, pour être exacte : Marie Simon, envoyée spéciale de l’Express, qui nous a pondu ce bijou de journalisme du XXIe siècle :

“Frangy-en-Grèce”: le tandem Montebourg-Varoufakis peine à enthousiasmer ; A Frangy-en-Bresse, hellénisée en l’honneur de Yanis Varoufakis invité par Arnaud Montebourg, les deux “ex” ont appelé à l’édification d’une “nouvelle Europe” plus démocratique. Sans déchaîner les foules, et sous la pluie

Amusant, je ne classe pourtant pas dans la gauche radicale, mais il n’a cependant pas peiné du tout à m’enthousiasmer ce type…

Début :

“Plus fort! Non, moins fort! On n’entend rien!” Les quelque 1000 personnes réunies sur la pelouse détrempée située derrière la mairie de Frangy-en-Bresse, ce dimanche après-midi, n’ont pas compris un mot du discours de Yanis Varoufakis, emmêlé dans la traduction simultanée. Du moins au début. Il a fallu que son hôte, Arnaud Montebourg, intervienne pour mettre fin à ce moment de flottement. Brièvement, l’ex-ministre des Finances grec, s’exprimant en anglais, a dû se demander ce qu’il faisait là. Lost in translation…

A l’image de ce petit accroc sans conséquence,

Et ça continue :

Yanis Varoufakis a porté ses coups habituels. Contre le système bancaire, justement, mais aussi la zone euro, le “Docteur Schaüble”, son ancien homologue allemand dont il dénonce l’intransigeance. “Le printemps d’Athènes a été écrasé comme le printemps de Prague. Pas besoin d’envoyer des chars quand on a les banques…”, accuse-t-il encore, mettant Paris en garde. La France, qui “n’est plus ce qu’elle était”, est leur “prochaine cible”.

Encore un beau résumé – c’est vrai qu’il est lourdingue Varoufakis à vouloir défendre son pays qui crève…

Varoufakis trop professoral, Montebourg trop seul?
Mais le show annoncé n’a pas eu lieu. Les médias internationaux censés les suivre jusqu’au fin fond de la Bourgogne étaient discrets (ou absents), lors de ce rendez-vous champêtre. Peut-être Yanis Varoufakis avait-il déjà tout dit dans Le Monde Diplomatique, sur France 2, dans Le Monde, L’Obs, ou dans le Journal du Dimanche… Peut-être aussi le professeur d’économie d’Austin (Texas) préfère-t-il lancer ses piques sur son blog que depuis une tribune. Qui plus est quand la traduction simultanée ne l’aide guère. Arnaud Montebourg, lui, maîtrise l’art oratoire et sa parole est plus rare

T’ain, elle a fait Sciences-po Paris la fille, et voilà comment elle traite un très important discours !

Alors c’est vrai qu’il y a plus sexy comme discours, mais ceux-ci peuvent également avoir leur intérêt, plus que n’importe quel discours d’Hollande par exemple… Mais il est vrai que c’est bête, ce n’est pas avec ces discours qui font appel à l’intelligence et aux valeurs qu’on finit Président, et qu’on couche avec des journalistes…

Sinon pour les journalistes présents, vu sur Europe 1 donc :

La big loose quoi…

Yanis Varoufakis et Arnaud Montebourg n’ont rien promis. Mais leurs solutions, trop abstraites ou académiques sans doute, ont laissé l’auditoire dans l’attente.

Le “printemps de Frangy”, que le Grec appelait de ses voeux, n’a pas eu lieu.

Chapeau donc à Marie Simon !

Bonus :

(Et pareil, j’schuis sûr qu’il y a des ouvriers en jogging là-dedans… Alors oui, cool, on sent tout le mépris de la journaliste parisienne, inconsciente en plus de l’importance profonde de certains propos. Elle a peut-être une grand-mère journaliste qui se foutait bien de la gueule d’un colonel qui parlait sans arrêt dans le vide du problème des chars en 1937… )

Épilogue

Le très grand philosophe Bertrand Russell (dont nous reparlerons bientôt, père spirituel de Noam Chomsky, donc mon grand-père spirituel :) ) a joliment dit :

« Les hommes naissent ignorants et non stupides. C’est l’éducation qui les rend stupides. » [Bertrand Russell, (1872-1970)]

Je rajouterais : “ainsi que le journalisme moderne” – il me semble qu’on en a une jolie preuve ici…

Par chance, il faut des millions pour créer un journal, et je ne connais pas de milliardaire amoureux de la recherche de la Vérité… ;)

“Journaliste, je dépends de ceux qui possèdent les journaux. Attendre des représentants du capital qu’ils vous fournissent gracieusement des armes – c’est-à-dire en l’occurrence des journaux – pour s’élever contre une forme de société qui leur convient, et une morale qui est la leur, cela porte un nom : l’imbécillité. Mais la plupart de ceux qui travaillent dans les grands journaux sont, en gros, d’accord avec cette société et cette morale. Ils ne sont pas achetés ; ils sont acquis. La nuance est importante. Ceux qui ne sont pas achetés peuvent, en théorie, créer d’autres organes pour exprimer leurs vues. En pratique, les fonds nécessaires à la création d’une telle entreprise ne se trouvent pas dans les poches des révolutionnaires”. [Françoise Giroud]

 

P.S. Billet dédié à Noam Chomsky, qui a ouvert la voie… Ainsi qu’à la joyeuse équipe d’Acrimed, qui fait cet épuisant boulot (7 heures environ pour ces 2 billets pour info) au quotidien…

Source: http://www.les-crises.fr/journalisme-la-fabrique-du-silence/


Irène Frachon et les trente mousquetaires contre la “propagande” de Servier

Wednesday 2 September 2015 at 04:00

Parce que la propagande, ça ne touche pas que l’économie et la géopolitique…

Notre système est une publicité pour la nationalisation d’une partie de certains secteurs…

Au passage, je cherche une étude (ou livre ?) de Jean de Kervasdoué qui montre (évidement) que les labo pharmaceutiques développent des produits là où il y a des marchés rentables, et pas là où il y a des besoins… Merci !

Source : Anne Crignon, pour L’Obs, le 26 août 2015.

La pneumologue à l’origine de l’affaire du Mediator rappelle au corps médical le comportement inacceptable de Servier, resté leur interlocuteur “comme si de rien n’était”.

Michel Serres, Didier Sicard et Axel Kahn font partie des signataires de l'appel d'Irène Frachon. (AFP / MONTAGE OBS)

Michel Serres, Didier Sicard et Axel Kahn font partie des signataires de l’appel d’Irène Frachon. (AFP / MONTAGE OBS)

Le manifeste des Trente : c’est le nom du site que lance ce soir, mercredi 26 août, le docteur Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest à l’origine de l’affaire Mediator. Trente médecins, philosophes et autorités morales se joignent à elle pour “rappeler au laboratoire Servier et à la profession médicale leurs obligations légales et morales”.

Des leaders d’opinion comme André Grimadi, ancien chef du service de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière ou le généticien Axel Kahn ; d’autres comme Christian Lehmann, médecin-bloggeur estimé, Michel Serres le philosophe, Roland Gori le psychanalyste ou Didier Sicard, spécialiste d’éthique médicale. Il y a aussi Eric Giacometti, auteur de polars avec Eric Ravenne, mais qui avant de quitter la presse fut l’un des rares journalistes français à enquêter dans l’ombre de l’industrie pharmaceutique et rendre publiques dans “Le Parisien”, des années avant “l’affaire”, d’effrayantes informations sur la maison Servier. Quant à Dominique Dupagne, généraliste et fondateur du très fréquentable site d’informations de santé indépendant Atoute.org, il est pour l’occasion “Monsieur web” parmi les trente mousquetaires d’Irène Frachon.

Les signataires en appellent à Hippocrate. Non à l’habituel Primum non nocere (Avant tout, ne pas nuire) mais au serment suivant, inscrit au fronton du manifeste : “J’interviendrai pour protéger les personnes si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité.” Ils incitent les partenaires de Servier, autrement dit les médecins et les sociétés savantes, à s’interroger sur le bien fondé de leurs collaborations.

Contre la “propagande” de Servier

Annette Beaumanoir, l’une des Trente, explique :

Pour avoir dirigé pendant 25 ans un service hospitalier j’ai pu mesurer l’impact de la  ’propagande’ (c’est le mot qui convient)  exercée sur le personnel  médical par les firmes pharmaceutiques.”

Elle poursuit :

Cette pratique commerciale, souvent déguisée en participation à l’éducation des médecins, obéit à des techniques publicitaires éprouvées dont l’influence sur leurs décisions thérapeutiques échappe à certains médecins, qui collaborent (j’en ai été rarement mais trop souvent) sans s’en rendre compte des procédés qu’ils condamnent.

J’approuve donc les termes du manifeste que j’ai signé en m’adressant mentalement à des  collègues et  amis dont je connais la probité et que je me désole de voir inconsciemment écornée par un manque de sévérité vis-à-vis de Servier.”

Les malades du Mediator sont depuis cinq ans traités avec une désinvolture sidérante, sur fond de ce que le docteur Frachon appelle “un déni du crime”.Ils sont maltraités par le fabricant dans leur démarche indemnitaire tandis que lui, comme avant l’affaire, demeure un sponsor majeur. Régulièrement, la presse reçoit des communiqués vantant la signature de partenariats avec des chercheurs étrangers. Un non-averti prendrait presque l’industriel pour un humaniste.

C’est au début de l’été, faisant suite à une nouvelle dérobade, que le docteur Frachon a eu l’idée de lancer ce manifeste. Servier a en effet refusé d’indemniser une patiente pourtant identifiée par le collège d’experts adossé à l’Oniam, comme ayant subi plusieurs opérations du cœur pour une valvulopatie au Mediator. Cette femme est irrémédiablement handicapée, essoufflée à vie. Le fabricant invoque “le manque de temps” pour examiner son dossier. L’ONIAM, organisme d’état chargé d’indemniser les victimes,  devrait, c’est  le principe, être ensuite remboursé par Servier. Et  voici qu’il  se heurte à son tour à une machine de guerre.  Pour le docteur Frachon, c’est la goutte d’eau.

Les victimes, leurs familles, leurs médecins-traitant, leurs défenseurs, des journalistes aussi, observent que la justice dans l’affaire Mediator est un fiasco. Les Trente dénoncent une “guérilla juridique qui désespère les malades dont certains sont mourants”. Faire traîner une procédure est facile quand on est riche à milliards et qu’on peut s’offrir les meilleurs avocats du moment, comme maître Temime, qui multiplient les actes de procédure pour asphyxier l’instruction. Ces juristes-là savent pousser légalement jusqu’à l’absurde les moyens existant pour gagner du temps. Les avocats de Servier ont si bien travaillé que la justice est bloquée.

Comme si de rien n’était

En dépit de tout cela, le corps médical se comporte envers le laboratoire comme si de rien n’était, comme si rien n’était arrivé. C’est là le cœur du manifeste. Les éléments sont pourtant nombreux pour affirmer que le fabricant avait conscience de laisser en circulation une molécule-soeur de ces amphétamines coupe-faim retirées du marché dans les années 90 pour cause de toxicité cardiaque. C’est ce que montre un article de “Pratiques ou les cahiers de la médecine utopique” paru l’hiver 1977 dans lequel le rédacteur parle – déjà – de dissimulation.

A se demander si cette étrange indulgence du milieu à l’égard de Servier ne serait pas, là encore, une histoire d’argent. Fondée par huit ingénieurs soucieux de rendre public le montant des sommes versées  par l’industrie pharmaceutique aux médecins, l’association Regards citoyens a recensé “les cadeaux et contrats” des praticiens entre janvier 2012 et juin 2014.

Le géant suisse Novartis (58 milliards de chiffre d’affaires) arrive premier avec la somme de 18,29 millions d’euros. Et qui est en deuxième position ? Le petit français Servier (4 milliards d’euros) avec 13,22 millions. A titre de comparaison, Sanofi, le numéro un français du médicament avec un chiffre d’affaires de plus de 33 milliards ne verse “que” 7 millions d’euros. Servier donne des millions aux médecins tandis qu’il renâcle à payer pour les cœurs abîmés des patients  Est-ce acceptable ?


La preuve des mensonges de Servier

Source : Anne Crignon, pour L’Obs, le 4 novembre 2011.

Dès 1977, la revue médicale “Pratiques” dénonçait l’escroquerie sur la nature du Mediator. Comment Servier pouvait-il ignorer ce que des médecins écrivaient déjà noir sur blanc ? Par Anne Crignon.

Molécule du Mediator dans "Pratiques" de février 1977. (Scan "Pratiques" - DR)

Molécule du Mediator dans “Pratiques” de février 1977. (Scan “Pratiques” – DR)

A l’hiver 1977, ”Pratiques ou les cahiers de la médecine utopique“, la revue du Syndicat de la médecine générale, publie un article de trois pages sur une pilule inconnue nommée Mediator, présentée  comme une nouveauté. Nouveau, ce médicament ? Pas vraiment, à en croire les rédacteurs de “Pratiques” qui – déjà – flairent l’arnaque.

“Mediator nous a demandé dix ans de recherche”, annonce le laboratoire Servier. A d’autres,  répliquent en substance les médecins de la revue : “Pourquoi Servier ne nous dit-il pas que son Mediator est, sur le plan chimique, un dérivé de l’amphétamine et un dérivé d’un autre produit de son laboratoire, l’anorexigène Pondéral ?”,  écrivent-ils. En d’autres mots, c’est un coupe-faim, et non pas un simple antidiabétique, dénoncent-ils plus de trente ans avant qu’éclate le scandale Servier.

L’article de la revue “Pratiques” de février 1977 intitulé : “les laboratoires Servier pour le Médiator” :

Et c’est cette vérité, dissimulée pendant trente ans, qui sera rétablie en 2008 par Irène Frachon au CHU de Brest, et ce malgré les mensonges réitérés du fabriquant.

Exhumée par Irène Frachon, la parenté entre la structure chimique de l'amphétamine et celle du Mediator.

Exhumée par Irène Frachon, la parenté entre la structure chimique de l’amphétamine et celle du Mediator. (Irène Franchon – DR)

Tout aussi stupéfiante, la clairvoyance du rédacteur de “Pratiques” qui redoute des complications sanitaires à venir : “Pour un  produit à vocation internationale qui se veut être prescrit des années en continu, écrit-il, il est indispensable que les prescripteurs soient prévenus de ce tout petit détail [le Mediator est une amphétamine et un coupe-faim: NDLR]. Pour mieux surveiller les réactions des malades par exemple. Les laboratoires Servier sont trop expérimentés en matière de lancement de produit pour ne pas y avoir pensé.  Alors… dissimulation volontaire ?”

Ainsi, la question à laquelle s’efforcent de répondre aujourd’hui trois juges d’instruction parisiens est posée dès 1977 par la revue on ne peut plus sérieuse d’un syndicat de généralistes.

Concernant la valeur thérapeutique du Mediator, “Pratiques” est tout aussi  sceptique. Le journal  incite les généralistes à ne pas se laisser embobiner par le baratin de Servier et ses longs argumentaires étayés de références biochimiques. “Ca fait sérieux ça fait honnête, poursuit le rédacteur. Mais il ne faut pas se laisser impressionner par la grandeur des mots. Les malades ne sont pas traités par des démonstrations chimiques, sur leur luxueux papier mais par des produits efficaces. “La revue estime que les généralistes ne disposent pas d’éléments nécessaires pour savoir si le médicament est efficace ou non. Et surtout, ils se méfient beaucoup d’un laboratoire  “champion de la promotion médicale,  c’est à dire de la publicité, de la relance postale, des courriers luxueux sur papier glacé, de la visite médicale”. Servier est – déjà – en 1975 au premier rang parmi les laboratoires pour le budget alloué aux visiteurs médicaux. Et l’article de “Pratiques” s’achève ainsi : “Et dans quelques années,  quand on commencera à avoir un petit bout de vérité, ça en fera des millions de boites de Médiator vendues. Et avec cet argent, les laboratoires Servier auront bien vécu.” CQFD.

Source: http://www.les-crises.fr/irene-frachon-et-les-trente-mousquetaires-contre-la-propagande-de-servier/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Gysi)

Wednesday 2 September 2015 at 00:32

Je profite de leur retour pour remercier Maxime pour le travail qu’il effectue sur les Miscellanées – sans lui je les aurais probablement arrêtées…

P.S. perso [Pas possible aujourd'hui]

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche : La seule inquiétude de Delamarche : le niveau de bêtise atteint par la banque centrale chinoise

Olivier Delamarche VS Marc Riez (1/2): Les marchés doivent-ils craindre le ralentissement de l’économie chinoise ? – 31/08

Olivier Delamarche VS Marc Riez (2/2): L’économie américaine doit-elle craindre le ralentissement économique chinois ? – 31/08

II. Philippe Béchade

La minute de Béchade: La période qu’on vit est pratiquement inédite

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (1/2): Comment expliquer la nervosité des marchés ? – 26/08

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (2/2): Quels seraient les impacts du relevement des taux américains sur les marchés mondiaux ? – 26/08

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir VS Bruno Fine (1/2): Les marchés s’orientent-ils vers une tendance baissière durable ?- 01/09

Jacques Sapir VS Bruno Fine (2/2): Les politiques des banques centrales sont-elles toujours efficaces ? – 01/09

IV. Gregor Gysi

Grèce : Le chef de la gauche allemande dénonce le pillage de l’État Grec par l’Allemagne

Extraits de l’intervention de Gregor Gysi, chef de Die Linke (La gauche) devant le Bundestag le 18 août 2015, où il fustige le pillage de la Grèce par le gouvernement allemand, à commencer par la vente des 14 aéroports régionaux bradés à une société publique allemande pour un prix démesurément bas.


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

Vous noterez au passage que les médias parlent bien plus volontiers de “migrants” que de “réfugiés”, “familles” etc., formule bien plus déshumanisant – je pense que les médias n’ont pas osé utiliser “voyageurs” ou “globe-trotters”… Quand des personnes fuient l’Ukraine, je ne lis jamais que ce sont des “migrants”…

 

 

Quelqu’un a t il déjà lu “francophobe” pour un européiste ?

 

 

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-gysi/