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Bruits de bottes après le 13 novembre

Monday 16 November 2015 at 20:10

CC – Photo by Céline from Dublin, Ireland

Nous sommes en guerre, nous disent les politiques et quelques intellectuels. C’est un mot très connoté. Difficile à assumer. Généralement, la guerre, c’est la faute de l’autre. De celui qui est méchant. Celui que l’on pointe du doigt, celui qu’il faut détruire. Car une fois enclenchée, il n’y a a priori d’autre sortie d’une guerre que l’éradication de l’ennemi contre lequel on est en guerre. Et l’éradication totale, cela peut aussi s’appeler génocide.

Peut-on éradiquer l’état islamique, notre ennemi désigné et auto-désigné ? Qu’est-ce que l’état islamique ? Des combattants ? Une administration ? Une sorte de « clergé » ? C’est sans doute plutôt une idée. Mortifère sans doute, mais juste une idée. Et peut-on vraiment tuer une idée ?

Un peu d’histoire contemporaine

La guerre totale contre le terrorisme de la part des nations (principalement) occidentales, ce n’est pas une nouveauté. Cela a commencé en 2001, après les attentats aux Etats-Unis. Le concept même de « guerre contre la terreur » a été énoncé par le grand penseur George W. Bush. Toutes sortes de pays se sont joints à cette guerre. Les uns ont laissé la CIA opérer ses enlèvements extra-judiciaires, les autres ont aidé à installer des prisons fantômes, d’autres encore ont partagé leurs informations, tous ont fermé les yeux sur la torture, sur l’emprisonnement extra-judicaire. Ce qui n’est pas sans conséquences.

La guerre (avec des avions et des soldats) a été poursuivie par Nicolas Sarkozy en Libye, puis par François Hollande au Mali et en Syrie.

Que reste-t-il de tout cela, quasiment quinze ans plus tard ?

Un Afghanistan dans une situation catastrophique. Un Irak devenu un sanctuaire des terroristes que l’on combattait. Une Libye devenue un sanctuaire du même type. Une Syrie qui a suivi le même chemin. Une organisation, l’état islamique, plus puissante que la précédente (Al-Qaïda). Toutes ces guerres ont été perdues.

Combien de kilos de bombes, de renseignement récolté et exploité, combien de meurtres d’innocents sur la route de l’éradication des terroristes ? Pour aboutir à quoi ?

Le cycle de la violence

Combien de morts innocents…? Ce point est essentiel.

Il est assez naturel de se sentir envahi par la haine ou le ressentiment après l’acte barbare du 13 novembre 2015.

De la même manière, lorsqu’un innocent est tué dans un bombardement dans les pays visés par la guerre contre le terrorisme, ses proches développeront une détestation des auteurs du bombardement, même s’ils n’étaient pas hostiles a priori.

Refuser ce cycle est une voie plus complexe que celle qui consiste à se laisser porter par les bruits de botte.

Le cycle de la violence ne s’éteint pas de lui-même. Tu nous tue, je vous tue, etc. Le Groupe Sinsemilla avait mis en chanson ce « non-sens » :

Ils ont tué l’un des miens
Comme ça, pour rien
Ils ont tué l’un des miens
Pas un soldat, un gamin

J’entends la douleur
Résonner les pleurs
Et si je ne pleure pas ce frère,
C’est que je laisse monter la colère
Car s’ils ont tué l’un des miens
Demain, l’un des leurs mourra de mes mains

J’rentre dans la danse
Du non-sens
Un fou de plus dans la transe
J’rentre dans la danse du non-sens
Et sourit la démence

J’ai tué l’un des leurs
Ou plutôt l’une, une soeur
J’ai tué l’un des leurs
J’ai choisi la vengeance pour apaiser mon coeur

J’entends la douleur
Résonner les pleurs
Seul ne pleure pas son frère
Qui laisse monter la colère
Car si j’ai tué l’un des siens
Demain, l’un des miens mourra de ses mains

Il rentre dans la danse
Du non-sens
Un fou de plus dans la transe
Il rentre dans la danse du non-sens
Et sourit la démence

C’est juste une histoire sans fin
Il a tué l’un des miens. J’ai tué l’un des siens
C’est juste une histoire sans fin …

C’est juste une histoire sans fin
Il a tué l’un des miens. J’ai tué l’un des siens
C’est juste une histoire sans fin …

J’entre dans la danse
Du non-sens
Un fou de plus dans la transe
J’entre dans la danse du non-sens
Et sourit la démence

C’est juste une histoire sans fin
Il a tué l’un des miens. J’ai tué l’un des siens
C’est juste une histoire sans fin …

C’est juste une histoire sans fin
Il a tué l’un des miens. J’ai tué l’un des siens
C’est juste une histoire sans fin …

Il a tué l’un des miens. J’ai tué l’un des siens
Il a tué l’un des miens. J’ai tué l’un des siens

L’alternative est complexe mais elle existe :

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Le cycle infernal de la violence génère de nouveaux guerriers. Une roue qui tournerait sans fin.

Mais sur cette route, combien de victimes innocentes qui doivent leur sort aux va-t-en-guerre ?

Ici aussi il convient de convoquer l’Histoire. Ne pas se laisser séduire par les discours guerriers d’hommes politiques ou de penseurs qui ont soit leur propre agenda, soit refusent l’effort et le temps de la réflexion. Cet effort et ce temps sont pénalisants en termes politiques. Qui aurait pu croire en pleine guerre du Liban -où des membres d’une même famille pouvaient s’entre-tuer- que ce conflit pourrait prendre fin ? Qui aurait pu croire que le conflit en Irlande pourrait trouver une issue ? Et pourtant…

Ces conflits ont-il été réglé par un tapis de bombes ? Ou par le dialogue ?

Si les dirigeants politiques avaient la présence d’esprit d’écouter les voix dissonantes, ils essayeraient peut-être d’insuffler du dialogue, de la diplomatie. Nombreuses sont les voies à explorer. Le conflit entre Israël et les Palestiniens par exemple. Ce conflit ne se réglera pas  par des bombes dans des bus de Tel-Aviv ou par des bombardements au phosphore sur Gaza. Mais bien par le dialogue politique. Par des pas des uns vers les autres, par des concessions mutuelles.

Le règlement de ce conflit serait probablement une meilleure arme pour lutter contre le terrorisme que les bombardements aveugles en Afghanistan ou en Syrie.

Les libertés individuelles

La lute pour la Démocratie, ce n’est pas que l’aspiration à une revanche, ce n’est pas que le refus courageux des effets de la peur et de la sidération provoquées par ces actes barbares. C’est aussi de se manifester comme un « exégète amateur » face à ceux qui rognent chaque jour un peu plus les libertés individuelles.

Savoir dire non, pas en mon nom, et le faire savoir.

La Démocratie est un contrat social reposant sur une confiance mutuelle entre citoyens et « dirigeants » à qui les premiers délèguent leur pouvoir. Une Démocratie qui considère tout citoyen comme un délinquant en puissance, qui instaure une surveillance généralisée, mute. Elle devient autre chose.

L’exemple américain depuis 2001 est patent. d’autant que, comme l’ont déclaré les responsables du renseignement devant le Congrès, l’arsenal immense de moyens de surveillance mis en place n’a pas été utile dans la lutte contre le terrorisme. Seule certitude,  cette dérive qui mène à la légalisation de la torture, à l’incarcération extra-judiciaire sans perspective de procès équitable, c’est définitivement un autre régime qui ne dit pas son nom.

Il est peut-être temps de faire savoir à à ceux qui instaurent et maintiennent le système que dans ces conditions, une fois le contrat social brisé, nous ne voterons plus ? Quel qu’en soit le coût.

 

 

Source: https://reflets.info/bruits-de-bottes-apres-le-13-novembre/


La vente d’armes numériques à des dictateurs ne nuit pas à la renommée…

Monday 16 November 2015 at 19:54

qosmamesysLe fait qu’Amesys ou Qosmos fassent l’objet d’une instruction devant le pole spécialisé dans les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et génocide du tribunal de grande instance de Paris, le fait que Qosmos soit placé sous le régime du témoin assisté dans cette affaire ne semble rebuter personne. Business as usual et invitations à discuter tranquillement de l’avenir du numérique…

Amesys s’installe un peu plus au Canada et l’on apprend que l’entreprise bénéficie de fonds publics là-bas aussi (après la BPI via Bull en France). Tout va bien, continuons le business, il ne s’est rien passé.

En France, surprise, qui est invité à discuter de la transformation numérique au sein de la DigiWorld Week à Montpellier ? Thibaut Bechetoille lui-même. Le patron de Qosmos. Tout sourire…

bechetoille-montpellier

 

Source: https://reflets.info/la-vente-darmes-numeriques-a-des-dictateurs-ne-nuit-pas-a-la-renommee/


La République des lettres et la République des nombres

Monday 9 November 2015 at 11:41

R-lettres-en-datavizLe concept de République des lettres, même s’il n’a jamais vu le jour en tant que tel, représente une certaine idée de l’Europe et de son rayonnement. Plus de 6 siècles après l’invention de cet « idéal politique et sociétal », la République des nombres l’a supplanté. Dans les esprits et dans les faits. La République des nombres, une certaine idée de la gouvernance par les statistiques, les algorithmes et leurs impressionnants modèles informatiques…

Le concept de République des lettres  a fait l’objet de nombreuses discussion, débat, essais. Elle reste surtout une utopie, vers laquelle aurait pu se diriger le vieux continent. Marc Fumaroli a publié cette année un essai à ce propos :

« La «République des lettres» est l’utopie d’une Europe lettrée, chrétienne et irénique, fondée sur le culte du savoir, de l’éloquence et de l’échange intellectuel qui aurait dominé, si même de façon souterraine ou invisible, le monde de l’esprit entre, disons, Pétrarque et la fin du XVIIIe siècle. « 

La République des lettres, cet que promeuvent des humanistes pour la première fois en 1417…

Son antithèse absolue, sa face sombre et opposée pourrait être la République des nombres. Cette gouvernance technocratique et bureaucratique, sans idéal, vouée à déshumaniser tous les pans des sociétés européennes, et au delà.

La science appliquée comme religion

Le culte voué aux sciences est devenu massif en l’espace de quelques décennies. La capacité des sciences à s’appliquer à tous les pans de l’existence par l’émergence permanente de nouvelles technologies joue énormément dans ce phénomène. Les sciences fondamentales se sont fondues progressivement, à leur corps défendant, dans une grande farandole industrielle, et si elles perdurent un tant soit peu, leur obligation de résultats est devenue une constante. « La théorie scientifique pure, un peu, mais si une application industrielle peut en découler » pourrait presque définir l’orientation globale des « deux sciences », celle dite appliquée, et l’autre, la fondamentale. Les progrès de la miniaturisation et des capacités de calculs informatiques possibles grâce à la physique quantique ont donc débouché sur un nouveau monde. Electronique,  infiniment petit et… modèles informatiques statistiques et prédictifs.

Cette invasion généralisée des sciences appliquées, de la miniaturisation électronique, des algorithmes, dans l’espace quotidien est une première dans l’histoire de l’humanité. Transports, communications, médecine, éducation, agriculture… Toutes les activités humaines sont touchées.

Les habitants des pays développés ne peuvent plus se passer des sciences appliquées, et si le terme de « culte » peut paraître fort, il est pourtant largement proche de la réalité. Les rituels de connexions aux espaces numériques de communication sont similaires à ceux des cultes religieux. La croyance, le sentiment de puissance, d’élévation et d’apaisement de l’angoisse que procurent les technologies numériques correspondent en tous points à ce qu’offrent les monothéismes.

Les nombres, la maîtrise et le contrôle

La description du monde qui nous entoure est devenue une succession de nombres. Plus rien n’échappe à cette mise en nombres. La baisse, l’augmentation de tout phénomène, tout changement, sont retranscrits en nombres : chômage, cancers, accidents, croissance économique, élections, sexualité, travail, éducation, intentions… Cette obligation à effectuer une « numération de toute chose » mène à plusieurs phénomènes d’importance. Le premier est le sentiment d’une maîtrise des environnements. Connaître avec précision la teneur d’un phénomène, à la décimale près, n’est pas la même chose que de s’en « faire une idée ».

La sensation de maîtriser un quelconque sujet par la numération est au cœur du fonctionnement politique, social, économique des sociétés modernes. Cette numération se teinte d’un vernis de science en tant qu’elle procède de démarches intellectuelles scientifiques ou assimilées. Une fois la maîtrise (ou une sensation) assurée par les nombres, vient le contrôle. Le nombre est un moyen de formaliser n’importe quel concept sans avoir besoin, le plus souvent, de développer des idées. Ou des idéaux.

« La science est une chose merveilleuse… tant qu’il ne faut pas en vivre ! »

(Albert Einstein)

Le contrôle possible grâce aux nombres est simple. Sans part d’ombre visible, sans subjectivité, sans aucun besoin de justifier ses actes. Le nombre est une valeur à lui tout seul, qui remplace toute autre valeur, comme celles développées par le concept de République des lettres, dont une centrale : la valeur morale dite humaniste.

Quand le politique oublie la cité et ses idéaux

Une République des nombres est un espace démocratique, au sens du « respect » (apparent au moins) des libertés individuelles, mais géré par des machines. Cette phrase peut choquer, puisque des hommes et des femmes sont élus et sont censés diriger et représenter l’ensemble de la population. La réalité de la République des nombres, que nous vivons aujourd’hui, est pourtant celle d’une gestion par des machines.

Les politiques, élus  ou nommés, sont des êtres humains « mécaniques » dans leurs discours et soumis dans leurs décisions aux résultats des machines. Aux nombres que ces machines recrachent.  Aux prédictions qu’elles génèrent.

Quelques exemples de la réalité gestionnaire et statistique actuelle peuvent aider à mieux cerner ce phénomène. Le logiciel américain Predpol a fait grand bruit par ses capacités de prédiction des crimes. En apparence, puisque des chercheurs, interrogés par nos confrères d’InternetActu démontrent « l’invention de l’eau chaude » que ces algorithmes représentent. Sur le site stratégie.gouv.fr, un ingénieur se questionne sur les dérives possibles de l’utilisation des big data dans la gouvernance politique, avec comme exemple, la nouvelle mise en œuvre d’un logiciel de prédiction des crimes et délits pour la gendarmerie nationale :

« La gendarmerie envisage de se doter d’un outil informatique identifiant, à partir d’un traitement statistique de millions de données relatives aux crimes et délits, les lieux et les moments où la délinquance a le plus de chance de se produire. Les conséquences des erreurs de ce dispositif seraient, aux dires des promoteurs de ce projet, limitées et rapidement corrigeables. Cet exemple, parmi d’autres, montre combien le phénomène de massification des données, dit big data, fait miroiter chez les décisionnaires publics de nouvelles perspectives d’amélioration et de gains de performance. Cependant, ils risquent ainsi de se dessaisir radicalement de certaines de leurs prérogatives les plus fondamentales. »

Les algorithmes de prédiction des crimes, de surveillance de la population aux fins déclarées de lutte contre le terrorisme — comme la production de statistiques et de tentatives de modélisation de tous phénomènes — ont en commun une volonté politique : celle de ne plus avoir besoin… de volonté. La machine et ses résultats viennent cautionner le politique, qui peut se réfugier derrière la qualité scientifique (ou supposée comme telle) des problème chiffrés et dont les solutions sont données par la machine. Les idéaux, la cité dans sa dimension purement humaine ne peuvent être mis normalement en nombre.  S’ils le deviennent, ce qui est en train de survenir, c’est leur disparition intrinsèque qui est assurée. Et l’émergence d’autre chose.

Déshumanisation généralisée

La République française des nombres que dirige François Hollande est une continuation caricaturale de celle de Nicolas Sarkozy. Ce dernier voulait redonner du pouvoir d’achat, et déclarait, par exemple, des objectifs chiffrés sur les reconduites aux frontières des étrangers en situation irrégulières. La gestion numéraire de la société, basée sur les sondages d’opinion ou des projections électorales tenaient une part importante de la « gestion » du président français de 2007 à 2012. Mais François Hollande est allé plus loin, puisque la réussite entière de son quinquennat se base, d’après lui-même, sur… l’inversion d’une courbe. Celle du chômage.

François Hollande ne jauge la société qu’à l’aune des résultats chiffrés : la croissance doit atteindre 1,5%, le déficit doit s’abaisser à 3%, les émissions de gaz à effet de serre doivent baisser de tant de % avant telle date, etc…

Tel un super chef comptable, satisfait des résultats obtenus, le chef de l’Etat observe les 65 millions de nombres bien rangés dans leurs cases que constituent les « citoyens » français : entrepreneurs, fonctionnaires, salariés, chômeurs, membres de la classe moyenne, de la classe populaire, exclus, immigrés, d’origine immigrée, des banlieues, du monde rural, de la classe supérieure.…

Courbes, modèles, projections, calculs, graphiques, sondages, tout n’est que nombre pour François Hollande, qui, en permanence, se félicite des bons résultats chiffrés, ou se plaint des mauvais. Il n’y a aucun être humain dans la société dirigée par le président social-démocrate, et donc aucun projet de société. Seul compte… le résultat comptable.

Cette nouvelle République peut être considérée, dans ses fondamentaux, comme une injure à ceux de l’ancienne : la Liberté est battue en brèche dans une société de surveillance, de contrôle numérique et de réactions politiques aux seules statistiques, l’égalité n’a aucun sens dans l’automatisation du décisionnel grâce à des algorithmes discriminants, ou de projections informatiques non-contestables de par leur caractère « scientifique », quant à la fraternité, il semble difficile de la chiffrer, tant le concept est humain et échappe aux machines ou aux résultats de savants calculs…

Questionnements indispensables ?

Le caractère déshumanisant de cette nouvelle gouvernance algorithmique ne peut être camouflé par des discours laissant croire que des idéaux ou des valeurs fondent les décisions politiques. Sans projet autre que celui de l’atteinte d’objectifs chiffrés, la société n’est plus gouvernée. Elle est gérée. Mécanisée.

L’individu, membre de cette société peut-il accepter que celle-ci n’ait plus aucun projet autre que celui d’inverser des courbes ou de réduire des facteurs ? Peut-on humainement accepter de voir les vies humaines transformées en nombres et modifiées par des décisions issues de modèles informatiques imparfaits, non-maitrisé et non-désirés ? Et même s’ils l’étaient : les citoyens peuvent-ils accepter que des intelligences artificielles leur dictent leurs conduites ?

Les questionnements sur la République des nombres sont nombreux. Le contraste entre une véritable démocratie vivante et humaine — de débats, d’idées et d’idéaux, de promotion des valeurs humanistes — et cette République des nombres, est tel, qu’il semble difficile que son acceptation, à termes, se fasse sans heurts. La crise de crédibilité politique (française ou européenne) en cours n’est-elle pas d’ailleurs liée directement à cette gouvernance ?

Le regain du « sentiment religieux » actuel, dans une partie de la population ne pourrait-il pas, lui aussi être causé  par un rejet de ce nouveau modèle ? Sans pour autant condamner la technologie ou la science, mais plutôt par le biais d’un repli religieux dénonçant inconsciemment le détournement des sciences effectué à des fins de gouvernance désincarnée et mécanique ?

Et fondamentalement : les esprits seraient-ils tellement habitués à cette gestion, confortés par le culte du numérique et de l’efficience technologique qu’ils n’auraient plus aucune volonté, au point de se soumette passivement au règne des nombres ? Ces esprits pourraient-ils croire être en mesure de changer la société en s’appuyant sur les nombres et en votant pour ceux qui prétendent résoudre les problèmes grâce à ces mêmes nombres ?

Source: https://reflets.info/la-republique-des-lettres-et-la-republique-des-nombres/


Loi numérique, loi gauche

Monday 9 November 2015 at 09:14

Vendredi soir, le 6 novembre, Axelle Lemaire a été reçue par Rue89 pour papoter loi numérique (mais pas que). Une vraie loi de gauche pas de droite, avec de la citoyenneté, de l’émotion, et du parler vrai dedans.

Les internautes sont gentils

Sur la consultation elle-même, Axelle Lemaire dit avoir eu des « sueurs froides » mais que, finalement, bah ça s’est plutôt bien passé. Les « internautes », une fois n’est pas coutume, ont été sages comme des images. Un de ces quatre il faudra que quelqu’un m’éclaire sur la différence entre un « internaute » et une personne, parce que j’avoue que ça m’échappe, bref. Elle nous explique que, sur les 8500 contributions, seuls « six commentaires » ont été placés dans la « corbeille », ce qui laisse entendre que l’on a tenu compte de toutes les autres. Si l’on considère que toutes les contributions non retenues – bonnes ou mauvaises – sont dans les faits poubellisées, ce sont donc près de sept cent articles et mille quatre cent propositions qu’il conviendrait de comptabiliser, pas six. Pour être vraiment honnête, il faudrait également tenir compte des milliers de contributions de la consultation organisée par le CNNum et de ses soixante-dix recommandations dont on ne retrouve que peu de traces dans le projet de loi. De la com’, c’est de bonne guerre, ok.

La ministre nous apprend ensuite que le prince Manuel, bah il est un tout petit peu à fond sur le concept. Bon, peut-être pas sur tous les « textes » législatifs, faut pas exagérer non plus. Tu m’étonnes. Tu fais travailler la foule gratos, tu ne retiens que ce qui t’arrange et, au passage, tu fais une opération de communication en faisant croire que c’était vraiment ultra-démocratique. Tout bénef.

Après la méthode, la ministre embraye sur les participants. Au niveau démagogie ça se pose là. Les « geeks et les spécialistes du droit numérique », on s’en fout. Ce n’est pas comme si c’était une loi sur le numérique et qu’on pouvait légitimement supposer que ceux-là savaient un brin de quoi ils parlaient, après tout. Ce n’est pas non plus comme si il existait une diversité d’opinion chez ces gens là, hein ? Et puis, de toute façon, ils sembleraient qu’ils aient participé majoritairement de manière « anonyme », preuve s’il en est de leur mauvaise foi. Les chercheurs, eux, avait un avis qui comptait. Malheureusement, ils n’ont pas l’habitude « d’être en interaction avec des responsables publics ». Comprenne qui pourra. Le contributeur idéal fût donc, par opposition, le citoyen tout court. Celui qui n’a pas trop de connaissances ou de compétences sur la consultation idoine, celui pour qui les questions abordées sont nouvelles. En clair, celui qui ne va probablement pas trop emmerder le monde, c’est tellement plus pratique.

Article 8, levez-vous

Les lobbies ? Oui, il y en avait, bien sûr ! Et oulala, ils étaient « ultra-réticents », particulièrement ceux de la culture. Suprise-surprise. Mais ne vous inquiétez pas, le gouvernement a tenu bon. Enfin, suite à une réunion à Matignon, il a quand même vaporisé feu l’article 8, relatif aux communs. Et hop, l’acrobatique Axelle Lemaire nous déclare que c’est parce qu’il faut du temps, pour expliquer aux lobbies que la notion de communs « n’empiète pas sur le code de la propriété intellectuelle ».

Ça n’empiète tellement pas sur le code de la propriété intellectuelle que c’est le CSPLA qui s’y est collé pour voler au secours des lobbies. CSPLA, si vous l’ignorez, c’est juste l’acronyme de Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Rien à voir avec la propriété intellectuelle, c’est évident. Avec le courage politique, en revanche, peut-être. Au diable les mauvais esprits et le ministère de la culture, « le débat avance », c’est le principal…

C’est une victoire

Autre sujet brièvement abordé, le libre accès aux publications scientifiques et, par réciproque, la possibilité pour les chercheurs de publier plus librement leur travaux. Là, notre ministre n’y va pas par quatre chemins : « c’est une victoire ».

C’est drôle, parce que si l’on y prête un peu d’attention, on a le sentiment que le résultat est beaucoup plus mitigé, et que le lobbies ont au contraire négocié des contreparties à la réduction des délais d’embargo sur les publications. Lesquels embargos sont maintenus, contrairement à ce que souhaitaient les chercheurs (et ceux qui les lisent, merci les copains).

Ex-Libriste

Concernant le logiciel libre dans l’administration, la ministre nous précise qu’il est difficile d’en imposer l’utilisation, ou même d’élaborer un système de quotas. L’utilisateur a ses petites habitudes dans le logiciel propriétaire, l’argument peut s’entendre. Faudrait pas le brusquer. « Le choix qui a été fait », nous dit Axelle Lemaire, est donc tout naturellement « celui de la promotion ». Il vaut mieux un bon non-choix que rien du tout, me direz-vous. Oui.

Mais c’est oublier que, du côté des logiciels serveur et réseau, le logiciel libre propulse à peu près tout l’Internet et le Web. Dans bon nombre de situations, ces technologies sont, en pratique, des standards, et les champions de l’interopérabilité. Il serait donc assez logique que les administrations s’alignent.

Surtout, c’est envisager le logiciel libre sous le seul angle de l’utilisation, de la consommation. Au contraire, l’État pourrait ou devrait soutenir son développement. Caramba, encore raté.

Haro sur les boîtes noires

Un nouvel article a fait son apparition dans le projet de loi, classé dans la catégorie « grandes avancées ». Il vise à ce que les personnes concernées par des décisions administratives puissent prendre connaissance, lorsque des algorithmes (des programmes informatiques) ont été impliqués dans le processus de décision, du fonctionnement de ces programmes et des critères pris en compte.

Si l’on passe outre l’ironie de la situation – on songe aux algorismes de la loi renseignement (ironie bien sûr relevée par la rédaction de Rue89) – l’idée est assez bonne. Nous sommes, en tant qu’individus, de plus en plus l’objet de décisions prises, souvent à notre insu, par des programmes informatiques. Dans l’administration bien sûr, mais aussi lorsque nous utilisons les moteurs de recherche, que nous demandons un prêt bancaire, que nos primes d’assurance sont évaluées, etc. La transparence devrait être la règle pour éviter la perte de contrôle.

Il y a ici deux cas de figure. Dans le premier cas, ce sont des algorithmes déterministes qui sont impliqués. On sait donc plus ou moins facilement décrire les règles, les causes et les paramètres qui ont conduit à la décision. Il serait donc préférable de communiquer ces règles, et de laisser les algorithmes en dehors de tout ça, ils n’y sont pour rien.

Si au contraire, il s’agit de traitements pour lesquels il est plus complexe de déterminer une causalité, par exemple certains types de programmes d’intelligence artificielle, ils ne seront probablement pas compréhensibles sans avoir des connaissances significatives sur le sujet. La bonne approche serait donc que le fonctionnement de ces algorithmes fasse l’objet d’une publication détaillée, qui pourrait être analysée par des spécialistes, des associations de la société civile ou de consommateurs, etc. La ministre semblait avoir anticipé la question, la réponse laisse rêveur :

Ce n’est pas une publication. On reste sur une relation individuelle avec l’administration : le droit d’en demander la communication. Je n’ai pas encore vu à quoi cela pouvait ressembler concrètement.

Facile pourtant… Il suffirait qu’Axelle Lemaire pose la question à un algorisme ?

Neutralité pas nette

Place au plat de résistance : la neutralité du net. Pour Axelle Lemaire, elle fait partie des « valeurs universelles », et « c’est ce gouvernement qui l’a inscrite dans la loi ». Inscrite dans la loi. Négligeons le passage à l’Assemblée Nationale et au Sénat, la ministre a raison, de toute façon la plupart des parlementaires n’y entrave rien. Vous noterez aussi que, cette fois-ci, elle s’inclut explicitement dans le gouvernement, nous y reviendrons. Le sujet est l’occasion d’une envolée lyrique de la ministre :

Ce sont les gouvernements les plus sociaux-démocrates ou socialistes qui mettent en avant les enjeux de respect de la vie privée.

La neutralité du net est un principe selon lequel les opérateurs réseau et FAI ne doivent ni favoriser ni pénaliser certains contenus ou applications. Ils se contentent de les acheminer sans discrimination de nature, d’origine ou de destination. J’ai beau me concentrer à m’en faire des noeuds au cerveau, je ne vois pas bien le rapport avec la vie privée.

netneut

Allons-y pour les « valeurs universelles ». La neutralité du net a fait l’objet de débats au niveau européen, ces articles du projet de loi numérique sont des adaptations d’un règlement européenn. Ce dernier prévoit des exceptions au principe de neutralité censées correspondre à des contextes particuliers. La Quadrature du Net, qui maîtrise son sujet, a proposé un amendement visant à les définir plus finement, et à éviter que le principe de neutralité ne soit vidé de sa substance, que l’exception ne remplace la règle.

La notion de service spécialisé désigne un service de communications électroniques optimisé pour des contenus, applications ou services spécifiques, ou une combinaison de ceux-ci, fourni au travers de capacités logiquement distinctes, reposant sur un contrôle strict des accès, offrant une fonctionnalité nécessitant une qualité supérieure de bout en bout, et qui n’est pas commercialisé ou utilisable comme produit de substitution à un service d’accès à l’internet

La proposition est limpide : la première partie (jusqu’à « une combinaison de ceux-ci ») vise à définir les services spécialisés, la seconde à en fixer les limites pour éviter les abus. C’est donc cette seconde partie qui garantit le principe de neutralité. L’amendement a été retenu par le cabinet de la ministre, mais dans la version du projet de loi, le second morceau s’est envolé :

Des services autres que des services d’accès à internet
optimisés pour des contenus, applications ou services spécifiques ou une combinaison de ceux-ci, peuvent également être fournis dans les conditions prévues par le même règlement.

Oubli, boulette rédactionnelle, ou volonté délibérée, il n’en reste pas moins que les « valeurs universelles » ont pris quelques tonnes de plomb dans l’aile.

Loi rance

À propos de la loi renseignement, Axelle Lemaire « renvoie la balle » aux opposants. Bizarre, dans la mesure où elle y était elle-même opposée. « J’ai défendu des arguments pendant ce débat », nous dit elle, en se désolidarisant du gouvernement dont elle fait la promotion plus tard quand il est question de soit-disant neutralité du net. Mais ces arguments, pas question de les « étaler sur la place publique », ils n’avaient rien de politique, j’imagine. Le texte aurait même évolué favorablement du fait de ses « interventions ».

Ce sont donc les autres opposants qui sont à blâmer, c’est pragmatique. Ils devraient faire leur examen de conscience et « constater le fait qu’ils ont échoué à convaincre l’opinion publique et les parlementaires« . La procédure accélérée, l’instrumentalisation du terrorisme, les consignes de vote, on oublie.

Pire, les geeks lui reprocheraient méchamment « de ne pas avoir démissionné« . Vous vous rendez compte ? Si démission il y avait eu, nous aurions pu rater cette merveille de loi numérique, cette consultation pas du tout téléphonée.

Alors, la loi renseignement, les opposants peuvent bien lui « reprocher jusqu’en 2037« .

Chiche.

Source: https://reflets.info/loi-numerique-loi-gauche/


Gouvernance élective par sondages : le retour de Nicolas

Tuesday 3 November 2015 at 18:33

Sarkozy-tuvasvoirquandjevaisrevenir

Le jour de la sortie du sondage dévoilant que « 40% des Français seraient pour un gouvernement autoritaire », l’ex de l’Elysée a dégainé ses propositions… sécuritaires au Parisien. Extrait :

« Il n’y a plus d’autorité de l’Etat. La semaine dernière encore, une trentaine d’activistes ont empêché des fonctionnaires de police de perquisitionner, à Tarnac, le domicile d’une personne suspectée d’activités terroristes. Les policiers n’ont pu exercer leur mission faute de soutien de leur autorité, alors qu’ils étaient mandatés par la justice de la République. C’est une énième illustration de l’affaiblissement de l’Etat et de son autorité, qui vient après le scandale des deux cadres d’Air France molestés, ou encore le blocage de l’autoroute A1 ou le saccage de la gare de Moirans (Isère) par des gens du voyage. »

Sarko dégaine les propositions sécuritaires de son futur gouvernement autoritaire quand un sondage démontre que la part de la population en accord avec la mise en place d’un « gouvernement autoritaire » augmente.

Avec Sarko 2, être suspecté de terrorisme à Tarnac équivaut à molester un DRH ou bloquer une autoroute. Avec Sarko 2, il n’y aura, semble-t-il, aucune pitié, pour personne, et surtout pas pour ceux qui défient l’autorité de… Sarko 2.

La prison pour les piétons qui ne traversent pas sur les clous sera-t-elle automatisée par reconnaissance vidéo ?

Le rétablissement de l’autorité de l’Etat contre les délinquants en col blanc ne semble pas, par contre, au programme de Sarko 2. On se demande bien pourquoi…

Source: https://reflets.info/gouvernance-elective-par-sondages-le-retour-de-nicolas/


Djihad et terrorisme : analyser les discours propagandistes

Friday 30 October 2015 at 14:11

Le leader de l'Etat islamique, Abou Bakr al Baghdadi, affirme, dans une déclaration qui lui est attribuée jeudi, que son "califat" gagne du terrain dans le monde arabe et appelle ses partisans à allumer les "volcans du djihad" dans plusieurs pays, dont l'Arabie saoudite. /Capture d'écran du 5 juillet 2014/REUTERS

Le leader de l’Etat islamique, Abou Bakr al Baghdadi, affirme, dans une déclaration qui lui est attribuée jeudi, que son « califat » gagne du terrain dans le monde arabe et appelle ses partisans à allumer les « volcans du djihad » dans plusieurs pays, dont l’Arabie saoudite. /Capture d’écran du 5 juillet 2014/REUTERS

A l’heure des spots télévisuels gouvernementaux pour prévenir la radicalisation des jeunes Français (c’est-à-dire tenter d’éviter qu’une partie de la jeunesse bascule vers un extrémisme religieux menant au djihadisme), de nombreux signaux laissent entrevoir une forme plus ou moins subtile de propagande au sein de nombreuses sphères de la société. La guerre des propagandes a débuté, et ne pas se préoccuper de ce qu’elle véhicule en termes d’influence des esprits, ce qu’elle modifie dans la société,  est préoccupant. Photographie de la lutte d’influences en cours. Et de ses effets.

Le Califat

Ce qui est appelé ISIS dans le monde anglo-saxon, ou encore « Syrak » par les forces d’interventions américaines, Daech par les responsables politiques français ou le « Groupe Etat islamique » par les journalistes hexagonaux, est en réalité perçu dans de nombreuses populations non-occidentales, comme étant le Califat. Ce terme de Califat est celui utilisé par les djihadistes qui le constituent, mais n’est pas un simple qualificatif, comme aimeraient le laisser croire les puissances occidentales qui lui ont déclaré la guerre.

Le Califat est un véritable Etat, qui se crée par annexion de territoires, avec une administration qui se met en place, des impôts collectés, des écoles, hôpitaux, des fonctionnaires rémunérés, une armée de soldats avec des soldes, une économie qui prospère. Le Califat n’est pas perçu, globalement, comme étant un simple Etat guerrier à travers le monde , puisqu’il représente [aussi] la concrétisation de prophéties religieuses. Une partie des croyants musulmans ou convertis de fraîche date, de partout dans le monde sont attirés par l’aspect prophétique que revendique le Califat.

Les prophéties

La propagande de cet Etat — déjà constitué et en cours d’expansion territoriale —  vers l’extérieur est connue, et passe par des vidéos très modernes, quasi hollywoodiennes, d’appels à venir participer à une guerre en cours, au Levant (le Cham, la Syrie), qui scelle la « fin du monde », et annoncée dans des textes prophétiques coraniques, nommés Hadiths. Ces prophéties sont l’équivalent de l’Apocalypse de Jean pour les Chrétiens, avec le retour d’un prophète, le Mahdi (un grand Himam, un chef politique et docteur religieux) , puis d’un antéchrist, le Dajjal. De la même manière que l’Apocalypse de Jean est interprété par des courants fondamentalistes chrétiens comme étant « en cours de réalisation » — avec l’interprétation d’événements cataclysmiques, politiques,  réels et potentiellement décrits dans l’ouvrage — les djihadistes du Califat estiment que les écrits prophétiques des Hadiths sont en train de se réaliser, par des événements extérieurs ainsi que par leurs actions propres. L’aspect heroic-fantasy de ces appels à rallier le Caifat est souligné par plusieurs analystes qui y voient un facteur attractif certain auprès des jeunes occidentaux.

Visions et mots décalées

La perception extérieure d’événements politiques, sociaux, militaires lointains, issus de cultures différentes peut être fortement décalée, voire tronquée. Une part non négligeable des populations de pays du moyen-Orient ou d’Afrique sub-saharienne voient l’Occident comme une somme de pays moralement décadents, politiquement totalitaires à leur égard, voire terroristes dans certains cas. Les paysans d’Afghanistan qui observent les missiles Hellfire fuser du ciel et déchiqueter des femmes, des enfants, des vieillards, ne peuvent envisager les pays du Nord autrement que comme des pays terroristes.

Dans le même temps, en France, les termes pour définir les acteurs des événements d’Irak et de Syrie changent au gré de l’engagement politique. Les mercenaires qui tuent, violent, pillent, torturent, sont un temps des « rebelles » qu’il faudrait aider quand ils s’attaquent à Bachar el Assad, puis sont pointés du doigt comme des « intégristes » et des « djihadistes » lorsqu’ils rallient le Califat et continue à s’attaquer à… Bachar el Assad. Ce sont pourtant les mêmes, dans leur grande majorité.

Les mots « terroristes », « Groupe Etat islamiste », « djihadistes » sont propagandistes au même titre que ceux d' »infidèles », « ennemis de Dieu », « mécréants », etc… Les « deux mondes » qui s’opposent ne font qu’une seule chose : définir l’autre selon des termes qui confortent leurs propre croyances et leurs propres intérêts politiques.


Stop-Djihadisme – Véronique raconte le départ… par gouvernementFR

Cette vidéo gouvernementale n’informe pas. Elle appelle à compatir au sort de cette mère et se méfier de l’attitude de ses propres enfants adolescents ou jeunes adultes. Comment le gouvernement français compte-t-il enrayer l’attrait pour le djihadisme s’il persiste à vouloir présenter la situation sur un seul mode compassionnel et sans décrire la réalité ?

Propagande vs propagande

Les populations occidentales savent aujourd’hui que l’intervention militaire de 2003 en Irak n’avait pas pour objectif d’apporter la « démocratie » ou « la paix » dans ce pays. De la même manière, il est établi que Saddam Hussein ne soutenait pas, n’était pas l’allié d’Al Qaïda. Quand les responsables politiques pointent la barbarie des djihadistes du Califat, ceux-ci répondent avec les mêmes termes, pointant les destructions sauvages du « grand Satan », les mensonges et les ravages militaires de cet ennemi qu’est l’Occident.

La propagande djihadiste repose sur une manipulation très fine de réalités géopolitiques concrètes corrélées à des promesses religieuses prophétiques en cours de réalisation. L’appel à venir se battre, aider à faire émerger un messie et participer au grand combat de la fin des temps, celui de l’apocalypse, qui verra les méchants punis, et les « soldats de dieu », récompensés, est difficile à contrer avec des mots creux et sur-utilisés comme ceux de « terroristes » ou « djihadistes ». Pour de nombreux musulmans de pays pauvres — qui ne cautionnent pas les actes de violences extrêmes comme l’esclavage des femmes, perpétrés par l’armée du Califat — l’instauration de la charia (la loi islamique), par exemple, est souvent perçue comme une « bonne chose ».

L’asservissement aux puissances occidentales, qu’il soit économique, politique ou même culturel, est un problème fondamental pour ces populations pauvres du Sud. Instaurer une loi religieuse, qui respecte la tradition — la charia — est vu par le Nord comme une horreur, mais à l’inverse, très souvent, comme un moyen de se préserver, de retrouver de la souveraineté, pour le Sud musulman. Chacun tente alors de faire admettre son erreur de jugement à l’autre. Propagande versus propagande : le match ne peut être que nul.

Imposer sa vision du monde, dans un monde en perdition

Refuser d’admettre la réalité du monde et la retravailler à des fins partisanes ne peut qu’inciter des jeunes gens sans repères, perdus au sein d’une société sans projet, dirigée par des personnalités politiques décrédibilisées, à basculer du côté de l’intégrisme pseudo religieux du Califat. L’attraction exercée par cet Etat-secte apocalyptique ne devrait pas être combattue par des méthodes propagandistes, pour une raison simple :  l’information circule et la réalité de ce qu’est le Califat peut être très facilement connue des jeunes occidentaux. Cet article de la revue Books, à propos de la poésie djihadiste est très instructif.  Il démontre que le Califat islamique porte des valeurs et une culture qui se propagent et attirent, loin au delà de l’Irak et de la Syrie. Par la tradition arabe de la poésie. Et l’internationalisme.

Ma patrie est le pays de la vérité,
Les fils de l’islam sont mes frères…
Je n’aime pas plus l’Arabe du Sud
que l’Arabe du Nord.
Mon frère qui vit en Inde, tu es mon frère,
comme vous, mes frères des Balkans,
d’Ahwaz et d’Aqsa,
d’Arabie et de Tchétchénie.
Si la Palestine hurle,
ou si l’Afghanistan pousse un cri,
Si le Kosovo
ou l’Assam ou le Pattani est lésé,
Mon cœur se tend vers eux,
brûlant d’aider ceux qui sont dans le besoin.
Il n’y a pas de différence entre eux,
voici ce qu’enseigne l’islam.
Nous sommes un seul corps,
voilà notre heureuse croyance…
Nous différons par la langue et la couleur,
Mais nous avons le même esprit.

Le Califat n’est pas un groupe, ni une petite armée de djihadistes, mais bien plus que cela. Dépeindre le Califat avec les seuls termes de « barbares », de « terroristes », est le meilleur moyen de démontrer que ceux qui l’activent, ont gagné la bataille des esprits, puisqu’ils peuvent aisément démontrer qu’ils ne sont ni des « barbares » ni des « terroristes », ces termes n’ayant aucun sens dans la situation actuelle.

« Barbare » renvoie à l’histoire européenne, et dans un jugement moral, n’a pas beaucoup d’influence : chacun est le barbare de l’autre (il suffit de se replonger dans les exactions américaines à Guantanamo, ou Abou Graib). Quant à terroriste, il est difficile de décrire une armée, équipée, payée, comme une « armée terroriste ». L’armée du Califat ne fait rien d’autre que ce que toutes les armées ont fait au cours du temps : envahir un territoire et l’annexer. Puis le défendre. Quant à appeler à condamner des opération à l’extérieur, elles sont, malheureusement le pendant des assassinats par drones commandés depuis la Maison blanche ou de façon plus discrète, par l’Elysée.

C’est donc une guerre qui a débuté en Irak et en Syrie, et non une « opération militaire » ou « des frappes ». Une guerre contre un Etat, le Califat. Il serait intéressant de décrire la réalité de ce qu’il se passe vraiment en Syrie et en Irak, de parler des fameuses promesses apocalyptiques, du discours véhiculé par ce nouvel Etat. Que des érudits de l’islam parlent clairement des hadiths ? Démontrer que le délire prophétique du Califat n’est ni plus ni moins que l’équivalent de celui des sectes apocalyptiques chrétiennes qui annoncent la fin du monde depuis des lustres. Démontrer le délire moyen-âgeux et sectaire du Califat serait sûrement plus constructif que tenter vainement de dire qu’y aller est faire un acte de « terrorisme ». Acte de terrorisme qui peut attirer les esprits fragiles ou en révolte, qui plus est…

Parler du Califat, dans une forme propagandiste, en occultant la réalité de ce qu’il est, représente, est un choix politique. La propagande, même lorsqu’elle elle veut le « bien » des gens, est un outil à double tranchant, qui peut se retourner contre celui qui l’utilise. Ce qui semble bien être le cas en France, aujourd’hui.

Pjilippe-Joseph Salazar, rhétoricien et philosophe a sorti un ouvrage à ce propos il y a un mois : Paroles armées. Cette interview donnée à TV5Monde résume cette problématique d’occultation de la réalité et de compréhension tronquée de la propagande.

 

 

Un extrait d’ interview donnée sur le site d’information de TV5Monde, sur l’utilisation des mots, établit, d’après lui, pourquoi les dirigeants français refusent de nommer le Califat et le décrire pour ce qu’il est :

Le groupe Etat islamique, les terroristes de Daech :

Que pensez-vous de ces dénominations qui sont désormais rentrées dans le langage médiatique et politique ?

L’utilisation de ces termes est une tendance, de nouveau, à vouloir démontrer qu’on a le contrôle de la situation. On cherche, ce qu’on appelle le juste milieu. C’est la tendance générale des gouvernants, que j’appelle les gestionnaires. Ce juste milieu signifie que l’on exprime une opinion raisonnable, qui n’est pas excessive. Le problème de dénomination du Califat est une affaire assez française, mais si nous sommes en guerre avec des alliés, tout le monde devrait utiliser le même terme. Lorsque l’on parle du Groupe Etat islamique, c’est absurde, puisqu’on ne peut pas être en guerre contre un groupe. Le droit international définit la guerre contre un Etat, pas contre un groupe. Je vous cite un extrait du Discours sur la première décade de Tite-Live, de Machiavel :

« Partout où il faut délibérer sur un parti où dépend le salut de l’Etat, il ne faut être arrêté par aucune considération de justice ou d’injustice, d’humanité ou de cruauté, de gloire ou d’ignominie, mais rejetant tout autre parti, s’attacher qu’à celui qui le sauve et maintient sa liberté. Les Français ont toujours imité cette conduite et dans leurs actions et dans leurs discours, pour défendre la majesté de leur roi et la puissance de leur royaume. »

On voit là la perception qu’avait l’Europe de la France à la Renaissance : la primauté de l’intérêt national. Cet extrait de Machiavel définit aussi très bien les Etats-Unis, qui peuvent déclarer la guerre à n’importe qui.

En France on ne peut plus considérer que la patrie, la nation, l’Etat soient en danger, nous sommes devenus aveugles à ce genre de notion en vivant dans une paix perpétuelle. Donc, nous ne pouvons pas nommer ceux qui partent combattre pour le Califat comme des combattants et des traîtres. Ceux qui restent sur le territoire mais combattent pour le Califat sont des partisans. Autant nommer les choses. Mais on ne veut pas nommer les choses.

Daech c’est un acronyme d’une expression arabe. Mais est-ce péjoratif ? A moins de connaître l’arabe, pourquoi se poser cette question ? Le processus à mon avis est le suivant : pour vendre une marque, un slogan, il y a une valeur d’appel. EI, ISIS, c’était compliqué, ça ne passait pas bien, et puis ISIS il y a la déesse égyptienne. Donc Daech, c’est pas mal, il y a la consonne explosive au début, ça finit en « ch« , ça fait arabe . Cameron a essayé de proposer Daech à la BBC, qui a dit « non« . Mais des militaires interviewés au Sénat américain ont dit « The Califate« . Les Américains disent le Califat, ils adorent les noms un peu grandioses. Mais ce que nos dirigeants français ne comprennent pas, c’est qu’il est beaucoup plus noble, et séducteur en quelque sorte, que la République se batte contre le Califat islamique plutôt  que contre un machin qui s’appelle Daech.

Je donne toutes les références des archives administratives dans mon livre, et le Califat est un Etat : il a un territoire, une population, il administre, il gère, il y a des hôpitaux, des écoles, il a une monnaie. Lors d’une audition du général Gomart, qui est le patron du renseignement militaire, devant une commission sénatoriale celui-ci a dit : « Nous avons affaire là  à un proto-Etat« . Mais on ne peut pas le dire en France, parce que la population musulmane, qu’on le veuille ou non, peut être à ce moment là, face à un choix  draconien.

 

Source: https://reflets.info/djihad-et-terrorisme-analyser-les-discours-propagandistes/


Pénétrer dans la zone d’Eurotunnel : dix ans de prison !

Thursday 29 October 2015 at 12:20

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(source: Reuters)

Symptomatique. Un projet de loi sur le « droit des étrangers en France », dont la discussion en « procédure accélérée » a débuté cet été au mois de juillet, vient d’être subrepticement rebaptisé, lors de son passage en première lecture au Sénat, comme « portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration ». Cela a le mérite de la franchise. Car la question des « droits » des personnes étrangères s’est le plus souvent résumé à en réduire la portée ou à rendre leur garantie de plus en plus complexe.

Ceux qui auraient pensé qu’un tel débat parlementaire, au moment d’une des crises migratoires les plus majeures de l’histoire de l’Union européenne, ait pu être influencé par la détresse de dizaines de milliers de réfugiés débarquant en Europe peuvent aller se rhabiller. Rien n’a été adopté qui aille dans le sens de mesures renforçant la solidarité.

Comme lors de la réforme du droit d’asile, qui a donné lieu l’an dernier à une nième loi encore plus dure que la précédente, c’est la logique de la forteresse qui l’emporte – et cela entre en résonance avec le document révélé par Statewatch et mis en lumière par Reflets sur le recours croissant aux contrôles biométriques aux frontières.

Cet examen au Sénat a donné l’occasion à la majorité de droite d’alourdir encore plus la balance. La palme démago revient sans conteste à Natacha Bouchard, la maire de Calais qui gesticule depuis tant d’années pour se faire une place au chaud parmi les fans de Marine Le Pen.

Cazeneuve et Bouchard (AFP)

Elle est à l’origine d’un amendement vraiment tordu, finalement voté par la majorité sénatoriale avec la passivité du gouvernement. Il s’agit de modifier le code pénal pour protéger le tunnel sous la manche des hordes de migrants ! Son idée ? Punir de 7 ans de prison et de 100.000 € d’amende tout acte de « destruction, dégradation ou détérioration » si cela porte atteinte à « un point d’importance vitale pour la défense nationale ou un site sensible, dont l’indisponibilité risquerait de diminuer d’une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la Nation ».

La sénatrice le dit clairement face à ses collègues en séance:

Cet amendement a pour objet de renforcer la gravité de certaines atteintes aux biens qui seraient préjudiciables à la défense ou à la sécurité économique, en cette période très difficile liée aux flux migratoires, laquelle ne va pas devenir plus calme.

Le tunnel sous la Manche subit, en particulier, régulièrement des attaques et des intrusions de la part de migrants qui mettent en danger les installations de cette infrastructure, reconnue d’importance vitale pour l’économie franco-britannique, mais n’entrant pas forcément dans le cadre des intérêts fondamentaux de la nation […].

Avec cette subtile modification, pénétrer dans le périmètre de sécurité du tunnel (comme ici début septembre) suffirait amplement à être considéré comme une menace sur « un site sensible dont l’indisponibilité risquerait de diminuer d’une façon importante le potentiel de guerre ou économique ». Notez bien les mots employés : « potentiel de guerre ou économique ». Rien de moins : les hordes de migrants mettent donc en danger la capacité de riposte française en cas de guerre ! Mais en guerre contre la Perfide Albion, ou contre ces mêmes réfugiés qui ne font que fuir d’autres guerres, bien réelles celles-là ?

Encore mieux : le code pénal prévoit déjà que ce crime monte à 10 ans ferme et 150 000 € si ces actes sont commis en groupe (« par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice »). Cela veut dire, avec cet amendement Bouchard, que n’importe quel acte de dégradation qui se passe dans la zone d’Eurotunnel, même des actes mineurs (découper un grillage, ouvrir une brèche dans une tôle de chantier…), pourrait valoir à ses auteurs une peine de 10 ans ferme. Et pas besoin de se déplacer en meute déterminée, à deux aussi ça marche (« auteur ou de complice »). Il parait que la loi ne doit pas être « disproportionnée » pour être juste et efficace – la bonne blague !

Lors des discussions la secrétaire d’État Clotilde Valter (non, pas de l’immigration, mais de « la réforme de l’État et de la simplification »…) a bien tenté de contrer à cet amendement scélérat. Mais les arguments déployés en sont resté à la forme (« Le Conseil constitutionnel pourrait y voir là un cavalier législatif »), pas au fond. Mis au vote, cet amendement a donc été adopté grâce à la majorité de droite (devenu l’article 30 bis A du projet voté par le Sénat) – même s’il sera sans doute censuré comme contraire à la constitution dans quelques semaines.

Délit de refus biométrique : vive la triple peine!

Bouchard s’est offert une autre tribune à l’occasion de ce projet de loi. Elle a failli voler la vedette au gouvernement, qui a, pour le coup, innové dans le code pénal. Voilà la « triple peine » qui sanctionne de prison ferme tout étranger qui ferait obstacle à l’inquisition biométrique. Car c’est de ça dont il s’agit dans l’article 23 bis adopté par l’Assemblée, suite à un amendement du gouvernement qui n’a pas même été discuté en séance. Il institue un nouveau délit de « refus de fichage », à l’instar de ce qui existe depuis plus de dix ans pour rendre le « prélèvement biologique » et le fichage ADN obligatoire – tout en laissant entendre, perfidement, que la personne aurait le choix d’accepter ou de refuser que sa salive alimente le Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG); le « refus de prélèvement » étant donc un délit pénal et continu (pouvant même persister même si le délit ayant conduit au prévenu de se voir fiché a obtenu non-lieu ou relaxe).

Article 23 bis

Le deuxième alinéa de l’article L. 611 3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Le refus de se soumettre à ces opérations est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. »

Bref, quand on est étranger en France, que l’on cherche à obtenir (ou renouveler) un titre de séjour, ou que l’on soit arrêté pour « séjour irrégulier » et menacé d’expulsion, on doit céder ses empreintes digitales et son visage numérisé ; la procédure date des années 90, et le fichier central a, depuis, pris le nom d’ADGREF2 (on en parlait ici sur Reflets).

Triple peine, car une personne sans papiers en règle peut se retrouver en rétention (primo) et finir expulsé (secundo), et s’il refuse la biométrie on pourra le poursuivre, pour ce seul fait, de manière continue (tertio). Le gouvernement se justifie en expliquant que ce recensement biométrique est « une obligation européenne » et qu’elle « permet une action plus efficace en faveur du démantèlement des filières de l’immigration irrégulière » – et pour « garantir l’effectivité de ces dispositions » il fallait donc prévoir « les sanctions encourues pour l’étranger refusant de se soumettre à ces opérations ».

C’est là que la bande à Bouchard entre en scène. L’amendement proposé sur ce nouvel article est de rendre obligatoire la prise d’empreintes (« doivent » et non « peuvent », comme le dit la loi pour l’instant). La sénatrice du Nord sous-titre son propos : « Cela permettra à la fois de gérer la situation de façon plus humaine [sic] et de pouvoir engager des poursuites à l’égard des auteurs d’actes délictueux. »

Le problème, c’est que cet amendement ferait disparaître la fameuse disposition visant à punir le « refus de se soumettre aux opérations » biométriques. L’amendement Bouchard sera donc retoqué. Valter n’en a pas moins rappelé que « les empreintes digitales et les photographies sont des éléments d’identification indispensables », mais que « cependant, ces techniques sont soumises aux règles de protection de la vie privée. Le Conseil constitutionnel a habilité l’autorité administrative à y recourir, mais dans le cadre d’un examen au cas par cas de leur caractère nécessaire. Le recours systématique que vous proposez serait donc contraire à la jurisprudence constitutionnelle. » Un simple détail pour la maire de Calais.

(source: AFP)

Les réfugiés sont des fraudeurs en puissance

Dans la même rubrique « surveiller et punir », l’article 25 de ce projet de loi, non modifié par l’Assemblée, concerne l’euphémisme « droit de communication ». Il s’agit de permettre aux agents de l’Ofpra, qui instruisent les demandes de titres de séjour, de fouiner dans un maximum de bases de données – état civil, pôle emploi, aide sociale, sécurité sociale, établissements scolaires et d’enseignement supérieur, banques, fournisseurs d’énergie- télécoms-internet, établissements de santé publics et privés, greffes des tribunaux… – à la recherche d’indices pour d’éventuels fraudeurs… Sans que le secret professionnel – sauf le secret médical… – ne puisse s’y opposer.

Comme l’a rappelé la sénatrice EELV Éliane Assassi, d’après le Défenseur des droits (avis du 3 septembre – PDF) cet article 25 « est sans doute la disposition la plus contestable du texte en ce qu’elle atteste de la forte suspicion à l’égard des étrangers et constitue une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles et au secret professionnel ».

Acharnement sur les mineurs étrangers isolés

Dans le même ordre d’idées, l’article 28 bis A créé un nouveau délit autour de l’utilisation de faux papiers (« le fait d’utiliser un document d’identité ou de voyage appartenant à un tiers ») si l’étranger y a eu recours pour tenter d’obtenir un titre de séjour. Peines lourdes: 5 ans et 75.000€ d’amende. Et, bien entendu, cela passe à 7 ans et 100.000€ « lorsque ces infractions sont commises de manière habituelle ». Bizarre, car le code pénal ne punit que d’un an de prison et 15.000€ le fait d’usurper l’identité d’un tiers. Pour les réfugiés en détresse, les peines sont donc 5 fois plus lourdes! Des sénateurs et sénatrices illuminées ont bien tenté de souligner cette aberration, notamment « à l’égard des jeunes étrangers isolés ». « Dans les faits, indique le communiste Christian Favier, ce délit pourrait être constitué lorsque ces jeunes entrent en France après avoir fait des demandes de visa sous une autre identité ou après avoir indiqué, par exemple en Italie ou en Espagne, être majeurs, afin d’être autorisés à poursuivre leur trajet. »

La sous-ministre Valter, bombardée pour l’occasion cheftaine de la police de l’immigration, n’y voit rien à redire. Inflexible: « il est inopportun de permettre à des personnes d’entrer sur le territoire ou de s’y maintenir en utilisant des documents d’identité appartenant à des tiers. Cette suppression [de la mesure] affaiblirait incontestablement un axe important de notre politique, à savoir la lutte que nous menons avec détermination contre les filières d’immigration clandestine. » Toujours la même rengaine : pour gagner face aux « passeurs », « trafiquants d’êtres humains » ou autres « mafieux de l’immigration », on criminalise la personne, le réfugié ou l’exilé, victime à la fois des mêmes passeurs et des cerbères de la Forteresse Europe. Déplorable.

Enfin, le recours aux scandaleux « tests osseux » pour déterminer d’âge d’une personne en demande d’asile ou de titre de séjour, a été maintenu par le Sénat. Comme si les réfugiés mineurs mentaient sciemment sur leur âge pour bénéficier d’une meilleure protection. Ces techniques humiliantes – et scientifiquement très peu fiables – sont pourtant interdites dans de nombreux pays et dénoncées par les ONG depuis des années, comme cela a été rappelé début octobre.  Une pétition pour les éradiquer a recueilli 13.000 signatures il y a quelques mois. Une quarteron de sénateurs a encore tenté de proposer un amendement pour les supprimer définitivement des procédures d’immigration. Comme l’ont rappelé les ONG, « sur la base de ces tests aux résultats incertains, ce sont des dizaines de jeunes, garçons et filles, qui, accusés d’avoir menti sur leur âge, ont été condamnés à des peines de prison et à des dédommagements de dizaines voire de centaines de milliers d’euros à verser à l’aide sociale à l’enfance (ASE) qui les avait pris en charge » (lire ici des témoignages accablants sur ce que risquent les jeunes étrangers). Alors que ces tests ont des marges d’erreurs pouvant aller jusqu’à 2 ans!

Mais Clotilde Valter joue son rôle à la perfection:

Le recours à des tests médicaux présente l’intérêt de donner un âge approximatif fiable [faux, comme l’ont montré d’innombrables études sur la question!]. Mais, dans le cadre de l’appréciation des résultats, il faut tenir compte d’une marge d’erreur. En effet, il n’y a pas pour l’heure de certitude.

À ce stade du débat, le Gouvernement est à la fois défavorable à une interdiction pure et simple de la pratique des tests osseux, car cela le priverait d’un outil utile pour lutter contre les fraudes, et favorable à un encadrement de cette pratique. En outre, je tiens à insister sur le fait que cette méthode est autorisée par les directives européennes.

Le Gouvernement a déjà pris des mesures visant à encadrer cette pratique, et il souhaite qu’elles figurent dans la loi.

Il est question d’encadrer ces pratiques dans une proposition de loi relative à la protection de l’enfance (examen en cours), mais les ONG sont persuadées que c’est une diversion:

« L’interdiction des tests de maturation osseuse […] a été proposée par des députés PS et EELV lors de l’examen [de cette proposition de loi], mais leurs amendements n’ont pas été retenus. Au contraire, le gouvernement a fait adopter un amendement, déposé en dernière minute et défendu par Laurence Rossignol, inscrivant dans la loi cette pratique aux conséquences dramatiques pour les jeunes concernés : exclusion de toute prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance, mise à la rue immédiate, interruption de la scolarité ou de la formation en cours, impossibilité de régularisation sans secours ni protection d’aucune sorte et sans titre de séjour. »

Cette loi honteuse sur l’immigration sera sans doute adoptée telle quelle par la dernière navette, une commission mixte Assemblée/Sénat qui se réunira en décembre prochain.

Source: https://reflets.info/eurotunnel-dix-ans-de-prison/


Cryptographie : on va tous mourir ! (encore)

Monday 26 October 2015 at 15:45

End of the worldLa cryptographie, c’est la pierre angulaire de tout ce qui est plus ou moins sécurisé sur l’Internet numérique digital 2.0. C’est une science qui n’intéressait pourtant, jusqu’à récemment, qu’une poignée d’initiés à la pilosité faciale plus ou moins époustouflante. Depuis les révélations d’Edward Snowden, la vie privée, la confidentialité, la sécurité des communications jouissent d’une exposition médiatique grandissante.

L’ennui, c’est que lorsque des chercheurs ou spécialistes découvrent une faille d’importance, la matière étant complexe, ils ont de plus en plus besoin de faire le buzz pour être entendus au delà d’un public averti. Publier un papier académique au format PDF ne suffit plus : il faut faire du marketing, à grand renfort de « marques » (Shellshock, Poodle, Heartbleed, etc.), de logos sanguinolents ou de sites web (plutôt bien foutus, d’ailleurs).

Y a pas de fumée sans FUD

Or donc, courant mai, une équipe de chercheurs a publié un travail vraiment remarquable (no joke) sur une faille de sécurité et sur la manière dont la NSA en a très probablement tiré parti. Le papier a ensuite été complété en octobre, présenté dans une conférence et les auteurs ont obtenu une récompense bien méritée. Ça, c’est pour le côté positif.

Dans la foulée, on a vu fleurir des articles sensationnalistes aux titres clickbait, pleins de FUD, d’approximations, d’incompréhensions ou de contre-vérités qui nous annoncent la fin du monde, ou en tout cas son équivalent Internet (« HTTPS/VPN/SSH est tout cassé, on va tous mourir ! »). Je ne vous le cache pas, ça m’énerve. Parmi ces articles, mon préféré c’est celui-ci. Pour ne citer qu’un bout du chapeau :

la NSA serait parvenue à décrypter des milliers de milliards de données à travers le monde grâce à l’échange de clés Diffie-Hellman, une méthode de décryptage très complexe.

D’abord, on se demande bien ce que ça veut dire, « des milliers de milliards de données », et les chercheurs n’étaient pas deux, comme c’est mentionné dans l’article, mais quatorze. Sympa pour les autres. Dans la catégorie mékéskidi, « le piratage du décryptage des données » devrait finir la saison dans le haut du classement. Ensuite, l’échange de clés Diffie-Hellman (DH pour les intimes) n’est pas une méthode de chiffrement, et encore moins une méthode de décryptage. Enfin et surtout, DH est considéré comme sûr quand il est configuré correctement, ce que nombre d’auteurs oublient bien soigneusement de mentionner.

Diffie, Hellman… et Michel

Notre protagoniste, Michel, aime bien se tirer le portrait. Du coup, sa tante Brigitte lui a offert une magnifique perche à selfie télescopique. Et depuis, c’est le moins que l’on puisse dire, Michel est à fond dedans. Il s’auto-immortalise dès qu’il en a l’occasion, c’est devenu une passion. À tel point qu’il a fini par avoir sa petite notoriété dans le milieu de l’égoportait, le gredin.

Michel et POTUS

Michel et POTUS

Assez fier de lui, il a décidé de poster ses derniers chefs-d’oeuvre sur Facebook. Lorsque Michel va se connecter pour envoyer ses photos, le transport d’informations entre son smartphone et le serveur va être chiffré. Mais pour ce faire, il faut que Michel et Facebook trouvent un moyen de s’entendre, au préalable, sur une clé, un secret partagé qui servira au chiffrement de la session.

Facebook propose à Michel un paramètre public, un nombre qui peut être librement échangé sur les réseaux. Pour simplifier, nous allons utiliser l’analogie des couleurs (également utilisée par la page Wikipedia en anglais). Notre paramètre public est ici le violet (8388736 sous sa forme numérique). Chacun va ensuite choisir une couleur qu’il gardera secrète ; Michmich le jaune (16776960), Facebook le rouge (16711680). Puis ils mélangent leur couleur secrète à la couleur publique, le violet. Michel obtient du brun tout moche, Facebook une sorte de fuschia foncé du plus vilain effet. Chacun transmet via Internet son mélange à l’autre, qui le recombine alors avec sa couleur secrète. À la sortie, ils obtiennent tous deux la même couleur, un orange foncé (13980971), qu’ils vont pouvoir utiliser comme clé de chiffrement.

Échange de clés Diffie-Hellman

Échange de clés Diffie-Hellman

Les couleurs secrètes n’ont jamais circulé sur les réseaux, seuls les produits du mélange avec la couleur publique. Si un indiscret voulait s’emparer de la clé de chiffrement pour chiper les selfies de Michel, il lui faudrait donc deviner les couleurs secrètes à partir des teintes ayant circulé sur le réseau : le brun et le fuschia. Dans notre exemple, c’est très facile, car la fonction de mélange de couleurs est facilement réversible ; elle fonctionne à peu près de la même façon dans les deux sens. C’est pour cette raison que DH utilise une méthode mathématique qu’il est facile de jouer en marche avant, mais très difficile à dérouler en marche arrière. Les chercheurs estiment que pour réussir à casser un échange DH (1024 bits) en un an, le coût serait de quelques centaines de millions de dollars. Une broutille, hein ?

Alors, vous dites-vous, il est où le problème ?

La méthode utilisée pour casser DH se décompose en deux phases. La première, le précalcul, est la seule qui nécessite un temps de calcul et des investissements significatifs, la seule qui soit difficile et coûteuse pour une organisation du type NSA. Cette étape dépend principalement de l’originalité d’un très grand nombre premier, défini sur chaque serveur, le « groupe Diffie-Hellman ». La seconde phase, dite de « descente », est infiniment plus facile et rapide. Ainsi, si un grand nombre de serveurs utilisent le même nombre premier, le même « groupe », la NSA n’aura à faire le plus gros du boulot, c’est à dire le précalcul, qu’une seule fois. Elle pourra ensuite très facilement casser tous les échanges individuels quand l’envie lui en prend.

Et c’est tout bêtement là où le bât blesse : bon nombre de logiciels sont installés avec des groupes Diffie-Hellman « par défaut », identiques d’un serveur à l’autre. Les opérateurs de certains systèmes ont oublié de générer des groupes Diffie-Hellman originaux (et suffisamment larges), ou ignoraient qu’il était recommandé de le faire. L’opération prend quelques minutes, mais il semble qu’à ce jour un nombre significatif de serveurs soit encore vulnérable.

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Dans ce type d’articles anxiogènes, comme celui que je cite en introduction, articles souvent truffés d’erreurs, on ne trouve aucune mention que des solutions existent (alors que c’est non seulement clairement mentionné par les chercheurs, mais qu’ils proposent de surcroît un guide pour les administrateurs système). On n’y fait que constater les problèmes, quand ils n’y sont pas amplifiés sans vergogne. Ce qu’on y lit, en creux, c’est la toute puissance de la NSA (ou d’organisations du même tonneau), et, par réciproque, l’impuissance de la cryptographie. Or, jusqu’à nouvel ordre, en réalité c’est tout le contraire. La force de la cryptographie moderne est la règle, sa faiblesse l’exception.

La sécurité, la vie privée, la confidentialité des échanges sont des sujets sérieux. Ce serait franchement une bonne idée d’arrêter d’écrire n’importe quoi, de repenser la manière de communiquer sur ces questions de sécurité informatique en général, et de crypto en particulier. D’arrêter de tomber dans le sensationnel et de faire preuve de pédagogie, de livrer une information précise et lisible sur les maux et les remèdes. Peut-être aussi serait-il intéressant de mettre à disposition des opérateurs de services, et de leurs utilisateurs, des informations et des outils qui leur permettent, au cas par cas, d’évaluer facilement le niveau de sécurité auquel ils peuvent s’attendre, ainsi que les risques auxquels ils s’exposent.

Et les selfies de Michel seront bien gardés.

Source: https://reflets.info/cryptographie-on-va-tous-mourir-encore/


Les Européens n’ont pas à connaître la position de la France sur les frontières intelligentes

Monday 26 October 2015 at 11:55

EU FlagsNous vous parlions il y a quelques jours de la contribution française à la création des frontières « intelligentes ». Statewatch avait récupéré un document exposant la position française. Nous avions immédiatement demandé via le formulaire ad hoc au Conseil une copie de ce document.

Nous avons reçu une réponse à notre demande. Et, elle est, comment dire, assez instructive.

Après nous avoir remercié pour notre demande, le « Directorate-General Communication and Document Management – Directorate Document Management – Transparency and Access to Documents Unit » (ouf…) nous le dit tout de go : « I regret to inform you that access to document 12272/15 cannot be given for the reasons set out below. »

Nous ne saurons donc pas si le document de Statewatch est véridique ou non. Même si bien entendu, nous pensons qu’il l’est. Le contenu du courrier que nous avons reçu et le refus de diffuser ce document est par ailleurs en soi, une piste qui milite pour une authentification du contenu dévoilé par Statewatch.

Mais revenons aux raisons évoquées par le Conseil pour refuser de communiquer aux électeurs un document élaboré par des personnes à qui ces électeurs ont délégué leur pouvoir :

This document contains some information put forward by the French authorities on the question of the free movement of persons within the Schengen area. This issue is the subject of considerable debate and constitutes a politically sensitive topic with regard to the differences of viewpoints to which it gives rise.

In addition, the requested document deals with questions related to the existing Schengen framework which were discussed at the European Council and Council’s level and which will also be on the agenda of the Justice and Home Affairs Council in December 2015.

This issue is thus still under discussion within the Council.

Release to the public of the information contained in this note would affect the negotiating process and diminish the chances of the Council reaching an agreement.

Disclosure of the document at this stage would therefore seriously undermine the decision making-process of the Council. As a consequence, the General Secretariat has to refuse access to the document at this stage.

Having examined the context in which the document was drafted and the current state of play on this matter, on balance the General Secretariat could not identify any evidence suggesting an overriding public interest in its disclosure.

We have also looked into the possibility of releasing parts of the document. However, as the information contained in the document forms an inseparable whole, the General Secretariat is unable to give partial access.

Sachez-le, le secrétariat général du Conseil ne voit pas, lui, en quoi cela pourrait avoir un intérêt de laisser les électeurs européens se faire une idée personnelle de la position de la France en matière de systématisation des contrôles biométriques en Europe. Circulez ! Ou retournez commenter #ONPC sur Twitter. L’Europe s’occupe des choses sérieuses, des choses de grandes personnes, mais dans son coin. Sans vous.

 

Source: https://reflets.info/les-europeens-nont-pas-a-connaitre-la-position-de-la-france-sur-les-frontieres-intelligentes/


Le monde orwellien de l’information, c’est maintenant (#1984)

Wednesday 21 October 2015 at 13:24

slogans-84Le journalisme est une pratique professionnelle très large. Il n’y a pas un type de journaliste, une sorte de modèle qui donnerait le « La » à tous les autres. Certains relayent les informations de [la centrale française de l’information] l’AFP, et les « habillent », d’autres mettent bout-à-bout des actualités récupérées par des confrères. Il y a des journalistes assis, d’autres debout, en mouvement, des journalistes qui analysent, qui n’analysent pas, qui creusent ou non, enquêtent, fouillent, vont sur le terrain, ou au contraire, relayent principalement le message de groupes d’intérêts.

Toutes ces formes de journalisme créent ce que l’on nomme « l’information ». Et dans un monde complexe, hétérogène, aux politiques d’influence d’une puissance historique incomparable, recouvert de technologies [de l’information] en perpétuelles améliorations, le journalisme continue, malgré tout, à pratiquer son activité de manière [majoritairement] uniforme. Majoritairement, mais pas intégralement, puisque des hisoires commencent à être racontées avec l’aide de nouveaux acteurs — qui peuvent être nommés de façon large — les hackers.

Poitras et Greenwald, avec les révélations d’Edward Snowden en sont un exemple frappant. Reflets, avec les affaires Amesys, Qosmos, en est un autre. Ces nouvelles manières d’aborder les réalités  — beaucoup par et — grâce à Internet, offrent une autre vision du monde qui nous entoure. Elles critiquent la réalité établie, celle qui est servie par « l’information ». Personne ne pouvait imaginer il y a un peu plus de 2 ans, que la planète entière était sous écoute américaine (et d’autres grandes nations), même si cette possibilité était pointée par Reflets, depuis 2011, inlassablement, avec entre autres les ventes d’armes numériques de la France à la Lybie, la Syrie — et d’autres nations très peu démocratiques.

La réalité commune, véhiculée par l’information des journalistes, n’est donc pas fixe. Mais elle a la peau dure. Le rapprochement avec le monde d’Orwell commence à émerger, et étrangement — alors que chacun pouvait le penser au départ — ce n’est pas grâce à une surveillance permanente des individus par un œil étatique invisible (Big Brother) et omniprésent. Le monde d’Orwell est en place, mais c’est avant tout celui de la fabrication et de la refabrication de la réalité qui le définit. Par le biais de l’information.

La guerre c’est la paix (créer le chaos c’est la sécurité)

Les attentats de janvier 2015 ne sont pas survenus au gré de circonstances équivoques, par la simple volonté d’illuminés vengeurs qui ne supportaient pas des caricatures vieilles de 10 ans, d’un journal satirique en cours d’effondrement économique pour cause de manque de lecteurs. Cette histoire de liberté d’expression bafouée ne fut qu’un paravent pour éviter de parler de politiques françaises lourdes de conséquences.

La première de ces politiques est la participation militaire de la France à des bombardements en Irak depuis l’automne précédent. La seconde est la politique de rapprochement avec Israël, marquée par un discours du chef de l’Etat français soutenant – durant l’été 2014 — les bombardements aveugles d’un Nethanyaou plus martial que jamais, et causant par des bombardements aveugles la mort de plus de 2000 Palestiniens de la bande de Gaza, dont un nombre impressionnant d’enfants.

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« La guerre c’est la paix » était le slogan d’un ministère de la société de Big Broter imaginée par Georges Orwell dans 1984. Le « chaos c’est la sécurité » pourrait dire Hollande, qui prétend protéger la France en envoyant son armée pilonner des territoires partout où des fondamentalistes appellent leurs « frères », en Occident, à causer le maximum de morts dans les populations des pays engagés militairement contre eux.

La cause et l’effet sont évidentes, elles ne sont pourtant pas fortement discutées : la réalité ne semble pas vouloir plonger dans les racines des événements. Au contraire, elle semble devoir être l’événement, et lui seul. Une forme d’amnésie permanente de « l’information au présent simple », avec laquelle l’histoire est évacuée.

L’ignorance c’est la force (et la distraction assurée)

« Notre ennemi, c’est la finance, mais ce sont aussi les djihadistes, bien que nos alliés soient des bourreaux qui ont financé ces mêmes djihadistes et participent au grand désordre financier mondial. Quand nous soutenons la dictature militaire égyptienne en leur vendant de l’armement, nous soutenons la démocratie et les révolutions arabes, parce que nous sommes le pays des Droits de l’homme qui aide les dictatures à torturer ses opposants politiques grâce à nos technologies duales de surveillance numérique. Nous soutenons la transition écologique grâce à l’énergie nucléaire — qui exploite nos ex-colonies riches en uranium, aux populations affamées — énergie que nous allons pourtant réduire, tout en déclarant la guerre aux centrales à charbon, car la planète se réchauffe dramatiquement par notre faute, par la croissance économique, que nous souhaitons pourtant la plus forte possible. »

Discours imaginaire de François Hollande.

La réalité commune, celle du monde qui nous entoure est forgée — au XXIème siècle — non pas par une observation personnelle d’un environnement local, ou par la lecture approfondie de documents fabriqués par des personnes observatrices et analystes d’événements locaux, dans la durée, mais par un flot ininterrompu d’informations. Cette information est rapide, fabriquée par des acteurs plus ou moins indépendants, plus ou moins présents lors des événements. Sa principale vocation est d’appeler à réagir, émotionnellement le plus souvent.

Présenter des événements inquiétants, violents, perturbants, gênants, qui appellent les spectateurs à la fascination et au dégoût, tel est le principe de l’information actuelle. Le but étant de faire commerce de cette information, il est crucial qu’elle « fasse événement », soit forte, et surtout, qu’elle soit une nouveauté. D’où le remplacement nécessaire d’une information forte par une autre, quand la première commence à se dégonfler, à perdre de son intensité. Cette faculté de l’information à ne jamais revenir sur les origines des événements, de ne jamais traiter les causes et les effets (faculté qui existait auparavant mais pas dans des proportions aussi importantes, cf l’info en continu) de ce qu’elle montre, mène à des manipulations par omissions, certainement inconscientes de la part des journalistes, mais qui posent de véritables problèmes. Démocratiques.

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Comment les citoyens peuvent-ils débattre, échanger, chercher à connaître la réalité de la façon la plus honnête qui soit, demander à leurs représentants d’améliorer, faire progresser leur société (ou d’autres plus lointaines), s’ils sont en permanence floués, assommés par des réalités/vérités qui remplacent et annulent les anciennes ?

L’information, c’est l’affirmation

Une quinzaine d’articles publiés sur Reflets (du même auteur que cet article) — plus ou moins satiriques — à propos du changement climatique, ont tenté de réfléchir et faire réfléchir sur cette capacité à revisiter l’histoire que la société de l’information actuelle pratique intensivement. Le but de ces articles, malgré les apparences, n’était pas moins d’invalider purement et simplement les thèses sur le réchauffement anthropique — démonstration impossible s’il en est à l’échelle d’un journaliste — que de pointer le traitement quasi hallucinatoire de ce sujet.

L’intérêt principal de l’information sur le changement climatique est sa capacité à refaire sa propre histoire, à oublier ses erreurs, approximations, ses prédictions fausses, et recréer de façon continue une cohérence illusoire dans sa vocation unique. Cette « vocation », l’objectif de l’information sur le climat, n’est pas de parler du climat en tant que tel, mais des catastrophes que celui-ci, en se modifiant à cause de l’activité humaine, va provoquer. De façon « certaine ». D’où les annonces permanentes de prévisions d’augmentation de la température du globe, à 10 ans, 15 ans, 30, 50 ou 100 ans.

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Si l’information d’il y a 15 ans, pour la période actuelle, s’avère fausse, à propos de la hausse générale de température prévue, cette information n’est pas ou peu franchement traitée, et quand c’est le cas, elle est balayée d’un revers de main par un expert officiel du « consensus », qui quand il admet que la hausse n’est pas franchement là (le hiatus), laisse entendre que, certes, la chaleur n’est pas autant là que prévu, mais qu’elle existe quand même (théorie de la chaleur captive des océans). De la même manière, les années plus chaudes sont relayées de façon massive, mais lorsque des années plus froides surviennent, cette information n’est pas relayée, ou cataloguée dans le registre « météo ». Une année très chaude est une information climatique, une année froide est de la météo, et écartée. Ou bien encore, elle trouve une explication par le « forçage naturel » du climat.

Le principe de l’histoire [de l’information] revisitée en permanence — pour le traitement du changement climatique — est central. Le terme de réchauffement a d’ailleurs été modifié en « changement », en quelques années (alors que le phénomène de réchauffement est le cœur du sujet, les conférences le stipulent toutes, comme les différents rapports du GIEC). La courbe qui a affolé la communauté scientifique (courbe de Mann en crosse de hockey) dans les années 2000, bien que déclarée fausse, tronquée, et admise comme telle par la communauté scientifique (puis corrigée) — n’a rien changé à l’information sur l’évolution du climat [et des prévisions de changements de température au cours du temps]

Tout comme les 9 mensonges d’Al Gore dans son film « Une vérité qui dérange » (et reconnus comme tels par un tribunal anglais) ne l’ont pas empêché d’obtenir un Nobel de la paix. Les mêmes types d’information contenues dans le le film d’Al Gore, circulent toujours, sont relayées.

Cette information revisitée, ré-évaluée en permanence — quasi amnésique — est logique puisque le but n’est pas d’informer sur le réchauffement climatique, mais de démontrer — à tout prix — la réalité d’un réchauffement anthropique. Ceux qui se penchent sur les ré-écritures de cette histoire, sur les prévisions ratées, sur les jeux de données choisis de façon univoque [avec l’écartement des études ou jeux de données ne collant pas bien avec la démonstration anthropique], ou simplement qui pointent des incohérences ou émettent des doutes sur la connaissance parfaite du climat par la science actuelle — sont donc taxés de climato-sceptiques.

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Ce qui ne signifie rien en soi, puisque personne « ne doute de la réalité du climat ». Mais le terme a cette capacité à créer deux camps : ceux du consensus scientifique sur le changement climatique anthropique (le consensus scientifique n’existe QUE pour le changement climatique, et nulle part ailleurs en sciences) et les climato-sceptiques. Le premier camp est celui de ceux qui veulent sauver l’humanité de ses propres errements, et l’autre, ceux de ceux qui osent douter, questionner l’information sur le changement climatique. Le procès de Gallilée n’est pas loin. Sachant que de nombreux « climato-sceptiques » sont avant tout des chercheurs qui tentent [encore] de comprendre quelque chose qui ne leur semble pas « fini » en l’état de la science. Les modèles, les informations manquantes, les méthodes, la manière de « prendre la température de la planète » etc…

La plupart ne contestent pas la hausse de 0,8°c en 150 ans. Ni le ralentissement de cette progression depuis 17 ans. Ils ne cherchent pas non plus forcément à démontrer qu’il n’y a aucune influence de l’homme dans cette élévation, mais contestent les rapports du GIEC et son discours univoque, tout comme l’information générale actuelle sur le réchauffement climatique anthropique. Mais cette (petite) information qui met en cause la validité intégrale des rapports du GIEC et de son relais journalistique, qui doute de l’influence unique des gaz à effets de serre dans le réchauffement, n’a simplement plus droit de cité, elle est désormais condamnée, suspecte, considérée comme propagandiste. Le plus étonnant (et ironique) est de voir les pires propagandistes de la planète, à la tête des plus grandes nations, des plus grandes entreprises, des plus grands médias, pointer du doigt une fraction d’individus comme étant ceux pratiquant la propagande.

La liberté c’est l’esclavage

L’intégrisme est devenu un fonctionnement partagé par le plus grand nombre. Intégrisme religieux, politique, intellectuel, informatif. La capacité des individus de la société de l’information à douter, questionner [l’information] se raréfie et mène à une radicalisation des esprits. Le flot continu d’actualités anxiogènes, décousues mais martelées en permanence semble forcer les spectateurs du monde à tenir une position radicale face à celui-ci.

Le doute et le questionnement n’ont donc plus véritablement de valeur : ils mèneraient à une forme d’inconsistance, de mollesse dangereuse, d’un manque de positionnement affirmé. La servitude à l’information est devenue la règle, que cette information soit médiatique ou par échanges de points de vue, d’opinions sur les réseaux [informatiques].

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L’éducation est censée avoir progressé et pourtant le nombre d’adultes ne connaissant l’histoire de leur propre pays, ou du monde, que par fragments totalement superficiels est devenu la norme. Jamais la liberté de déplacement, d’apprentissage, de s’informer n’a été aussi grande qu’aujourd’hui pour les populations occidentales, et jamais le servage (aux technologies, à la distraction, à la consommation industrielle) de ces mêmes populations n’a été aussi important. L’homme et la femme actuels des pays industrialisés sont pourtant convaincus de leur libre arbitre, de leur capacité à s’émanciper par l’accès aux technologies de l’information, à s’affirmer par celles-ci, alors qu’en réalité, il n’ont jamais été autant asservis. Leur autonomie est réduite à très peu de choses, leur indépendance, quasi nulle. Paris, si elle n’est plus ravitaillée de l’extérieur, possède une autonomie alimentaire de 5 jours. Elle était de 60 jours en 1960 avec la ceinture verte, qui a disparu. Les réseaux de téléphonie mobile s’arrêtent ? C’est la panique pour une grande majorité des individus actuels qui dépendent à tous les niveaux de leurs smartphones.

Un télécran pour tous ?

Le principe d’une surveillance constante de la population par un dictateur via des écrans nommés « télécrans » et placés dans les logements, les entreprises, les lieux publics, était inquiétant dans le roman « 1984 ». Mais s’il était difficile d’imaginer une population acceptant de se soumettre à ce diktat de l’image, imposé par un pouvoir un place, la réalité de 2015 a trouvé bien plus fin et acceptable : le télécran auto-géré, auto-imposé et valorisé.

La dictature la plus insidieuse et la plus durable est celle des esprits, et elle passe par l’enfermement volontaire d’une majorité des individus dans un écosystème informatif propagandiste et délassant, le tout sous surveillance d’une administration invisible mais en capacité légale et affichée de fouiller la vie privée de tout un chacun. Sachant que les citoyens en redemandent, consomment chaque jour un peu plus de leur télécran, les pouvoirs en place ne peuvent qu’être incités à utiliser cet outil de contrôle pour affirmer et maintenir leur position. Orwell était bien en dessous des possibilités totalitaires qu’une société technologiquement avancé peut mettre en place. Bien en dessous…

Le monde orwellien est celui de 2015. Il est le monde orwellien de l’information .

Source: https://reflets.info/le-monde-orwellien-de-linformation-cest-maintenant-1984/