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Je suis un lobby

Friday 9 January 2015 at 10:27

carte-presse

J’étais journaliste. Je croyais en avoir fini avec ça, coupable d’avoir franchi la ligne blanche de la « Communication » et sanctionné donc, en toute connaissance de cause, par un retrait de carte de presse. Il y a bien maintenant dix ans de ça.

Mais depuis hier, voilà que je le redeviens. Non pas pour avoir repris quelque engagement auprès de quelque média que ce soit, mais parce qu’en 24 heures j’ai tout entendu au sujet des journalistes. « Salauds ». « Lobby ». « Désinformation ». « Abruti ou ignorant »… Chacun y va de sa petite leçon moralisatrice sur la façon dont il faut ou non traiter l’info. On se gave de I-télé et on le recrache sur Facebook. On fourre tout le monde dans un grand sac, on prend un grand bâton façon Piñata, et puis on tape dessus.

Alors j’ai renfilé ma vieille peau. Et j’ai commencé à répondre à ceux qui associaient les mots « journalistes » et « connards », « média » et « lobby », que j’étais journaliste. « Ah mais toi c’est pas pareil« .

C’est drôle comme ça sonne familier ce genre de phrase. Il y a donc les bons Noirs, les bons Arabes, les bons Juifs, et maintenant, on peut s’offrir un bon Journaliste dans son carnet d’adresses.

La carte d’identité oubliée dans la voiture des tueurs ? Personnellement je ne suis pas à la source de l’info et je n’ai aucun début d’idée sur la valeur de cette information. Mais je la vois qui tourne sur les rezosocios … « ‘on vous l’avait bien dit » « on nous prend pour des cons« … Le GIGN à Reims « ben voyons on peut filmer le GIGN maintenant ? On vous l’avait bien dit, on nous prend pour des cons« . Encore ces lobbies de désinformateurs… On nous cache rien, on nous dit tout…

Bon, je ne vais pas défendre l’ensemble d’une profession où l’on croise quand même quelques sacrés numéro, je ne suis pas avocat. Mais à l’inverse ? Et si personne n’avait rien dit, rien écrit ? J’entends déjà – procès d’intention assumé – les récriminations… « On nous cache tout… on nous dit rien« … On connaît la rengaine.

La morale au bout de tout ça ? Ben… C’est qu’il me semble étrange d’arborer un logo « je suis Charlie » et de dézinguer du journaliste à tout va. Ceux qui sont morts hier en conférence de rédaction étaient, eux aussi, de ces journalistes qu’on pleure autant qu’on les dézingue aujourd’hui, sans nuance. Or, chacun est libre de sélectionner ses lectures, de trouver des sources d’infos fiables, des journalistes crédibles, il y en a. L’inconvénient, sans doute, aussi, c’est que pour lire de la bonne info, il va peut-être falloir se payer un abonnement à un vrai média. « Quoi payer pour de l’info ? « . Ben oui… Etonnant, non ?

Source: http://reflets.info/je-suis-un-lobby/


Je ne suis pas Charlie Hebdo, mais je suis Charlie Hebdo

Thursday 8 January 2015 at 00:36

http://en.wikipedia.org/wiki/Cabu#mediaviewer/File:Cabu_20080318_Salon_du_livre_3.jpg

Photo : Georges Seguin (Okki)

C’est le type d’article que l’on voudrait ne jamais écrire. Il sera forcément gauche, incomplet. La tuerie dans la rédaction de Charlie Hebdo est inqualifiable. Toutes nos pensées vont aux familles des victimes. Parmi les victimes, Cabu et Bernard Maris étaient des gens que j’avais souvent croisés. Je ne suis pas Charlie Hebdo parce que je n’adhérais pas à sa ligne éditoriale. Mais je suis Charlie Hebdo parce que le meurtre d’un être humain est inexcusable. Peut-être encore plus lorsque le meurtrier veut ainsi lutter contre les arguments de sa victimes. C’est une preuve d’inhumanité. Celui qui ne peut dialoguer autrement que par la violence démontre son incapacité à raisonner, le propre de l’être humain. Pour avoir longuement échangé par le passé avec Bernard Maris, pour avoir plusieurs fois discuté avec Cabu au Canard Enchaîné, ces hommes  étaient des esprits brillants et leurs idées, que leurs meurtriers croient tuer, leur survivront. Depuis ce matin je pense à leurs épouses, à leurs familles, à leurs amis.

Bernard Maris

Bernard Maris

Comme je pense aux familles d’enfants juifs, de militaires, tués par Mohammed Merah et de bien d’autres victimes moins connues, d’attentats par des fanatiques qui croient pouvoir kidnapper un Islam qui leur échappe. Et ce, à la consternation totale des musulmans.

Ce soir, on associe cette tuerie à la liberté de la presse que l’on voudrait assassiner. Mais ce n’est pas que cela. Les meurtriers s’en sont pris à une rédaction comme d’autres avant à des enfants parce que Juifs, aux visiteurs du musée juif de Belgique.

Ce n’est pas tant un attentat contre la presse, c’est un attentat de plus contre le pacte républicain. Celui qui nous permet de vivre ensemble, dans une société apaisée.

Honoré

Honoré

La presse, précisément aurait dû, depuis de longues années déjà, s’indigner lorsque des brèches étaient portées au pacte républicain, et au premier chef, celle ignominieusement ouverte par Nicolas Sarkozy avec son cynique et opportuniste débat sur l’identité nationale en octobre 2009.

C’est en effet à cette période qu’une certaine parole s’est libérée, décomplexée. Ce débat a été clivant -un mot cher à Nicolas Sarkozy, pour la société française, la divisant encore plus qu’elle ne l’était jusque là. Plus récemment encore, le temps de parole indécent accordé par la presse et particulièrement la télévision à un Eric Zemmour, pour monter l’audience, a également contribué à briser ce pacte républicain, à radicaliser les positions.

charb-directeur-de-charlie-hebdo

Charb

Cette tuerie ne fera bien entendu que renforcer ce clivage. On entend déjà pointer les discours qui créent un amalgame entre Islam et terrorisme. Chacun devrait pourtant savoir, l’Histoire aidant, que le terrorisme, l’inhumanité de ses acteurs n’a pas de couleur, pas de religion. Les motivations des auteurs d’attentats sont si diverses et inexcusables que tenter de désigner une communauté comme en étant à l’origine est stupide et à nouveau, un peu plus clivant, menaçant encore plus le pacte républicain.

« Celui qui tue un homme, tue toute l’humanité » (Coran, sourate 5, verset 32)…

Tignous

Tignous

Michel Renaud

Michel Renaud

Source: http://reflets.info/je-ne-suis-pas-charlie-hebdo-mais-je-suis-charlie-hebdo/


Tout à cacher

Tuesday 6 January 2015 at 21:24

teckel-mort

Photo : Seth Casteel – http://www.littlefriendsphoto.com

 

Contrairement à ce que le titre de cet article pourrait laisser croire, il ne vise pas à contredire le contenu de l’article de Laurent Chemla paru sur Reflets aujourd’hui. Je n’ai jamais lu un article de Laurent Chemla avec lequel je sois en désaccord. Même pas un petit bout d’article. C’est dire. Au contraire, je pense que ses articles sont trop rares et qu’il devrait en publier bien plus. Non, ce titre vise à vous donner une autre perspective. Celle de quelqu’un qui pense que l’on a tout à cacher. Non pas parce que l’on se laisse aller à des activités que la loi, l’éthique ou la morale réprouvent. Mais parce que dans « vie privée », il y a le mot « privée ». Et que ce qui nous différencie, nous les êtres humains, c’est justement notre vie privée. Nous départir ce cela, c’est renoncer à notre unicité.

J’avais pris il y a trois ans le thème des zoophiles à tendance teckels morts pour parler de « vie privée » à PSES.

Imaginons que vous n’ayez « rien à cacher ».

Premier point, les entreprises se réjouissent que vous n’ayez rien à cacher. Elles n’ont pas pour objet central de vous fournir un bien ou un service. Ni de faire le bonheur de leurs salariés. L’éthique n’est pas une valeur fondatrice pour une entreprise. Son but premier est « de faire des profits ». De là découlent pas mal de comportements qui surfent souvent avec les limites de l’éthique communément partagée. Vos données, même si vous pensez qu’elles sont personnelles, les intéressent énormément. Et dépenser des fortunes pour les protéger, une fois ces données acquises, est le dernier de leurs objectifs. Cela coûte cher et ne rapporte rien (dans les lignes du bilan annuel). En attendant, vous publiez gratuitement, volontairement ou pas, des données que ces entreprises exploitent pour s’enrichir sur votre dos. Une démarche étonnante.

Les Etats s’intéressent à vos données ou à celles de vos contacts. Laurent Chemla vient de l’expliquer sur Reflets avec clarté. Snowden l’a également fait savoir et lorsque l’on se penche sur l’étendue des données qui peuvent intéresser la NSA comme les métadonnées de Angry Birds ou de WoW, on peut être inquiets.

Donc, vous n’avez rien à cacher. Même en sachant tout cela, parce que comme l’explique Jean-Marc Manach, et nous sommes en désaccord sur ce point, la DGSE (ou la NSA) se cogne de savoir ce qui se passe à Romorantin.

Vous êtes un être humain, et donc, vous m’êtes semblable. Nous sommes fabriqués avec les mêmes « matériaux ». Même chair, mêmes os… Nos squelettes sont tous « blancs », que nous soyons blancs ou de couleur. Les mêmes… Sauf… en ce qui concerne notre vie privée. Notre vie intime, nos pensées, nos données personnelles forment notre unicité. Les rendre publiques, nous en départir, volontairement ou pas, c’est se déposséder de ce qui nous distingue les uns des autres. Nous rendre tous « semblables ».

Quand bien même ! Vous n’avez toujours rien à cacher.

Pourquoi pas ? Mais réfléchissons un peu tout de même. Est-ce qu’il y a une limite à ce que vous seriez d’accord pour dévoiler publiquement ?

Le sexe par exemple. C’est perso ou pas ?

En 2012, les identifiants et les mots de passe d’utilisateurs de Youporn ont été diffusés sur Pastebin.

youpornDu coup, tout le monde peut découvrir si vous êtes fans de zoophilie, tendance teckels morts.

Bien entendu, chacun fait ce qu’il veut sous la couette, mais certains ne sont pas tolérants sur ce sujet en particulier. Une hypothétique ligue de défense des animaux morts pourrait s’offusquer.

« Je m’en fiche », nous direz-vous, « je n’ai pas de compte Youporn ! ».

Tu as vu mon gros sextoy ?

Prenons un exemple moins rare. Vous n’avez pas de compte Youporn, vous n’êtes pas fan de zoophilie, tendance teckels morts. Mais…

Il quelques années, alors que la vente de sextoys par Internet devenait très à la mode au point de déclencher (merci les attaché(e)s de presse) des articles dans toute la presse féminine, votre serviteur et l’un de ses amis co-journaliste à Transfert, avions regardé comment les sites de vente à distance de sextoys protégeaient les données personnelles de leurs clients.

Bingo, en cliquant sur « http://www.le-sex-shop-qui-va-mal.fr/mail.txt », vous pouviez accéder à la liste des clients, avec leurs noms, prénoms, e-mails.

Google étant déjà à l’époque notre ami, il suffisait de trois clics pour identifier les clients en question. Encore une fois, chacun fait ce qu’il veut sous la couette. Mais chacun a le droit de garder pour lui le fait qu’il achète (ou pas) des sextoys sur http://www.le-sex-shop-qui-va-mal.fr/.

Surtout si « chacun » a utilisé son mail professionnel pour passer commande…

lesexshopquivamal

Bien entendu, il y en a parmi nous, les êtres humains, qui ne se sentent concernés ni par le premier, ni par le deuxième exemple.

Mais parmi ceux-là, combien répondent à des offres d’emploi ou postulent spontanément, combien utilisent des dizaines d’applications kikoulol qui parlent en leur nom? Combien achètent et vendent par Internet ? Combien utilisent des « services en ligne 2.0″ qui permettent de disposer d’une projection digitale de leurs êtres ? Et croyez-nous sur parole, nous les vieux dinosaures, ces projections digitale s’expriment, avec ou sans l’accord de leurs propriétaires. Enfin, ces projections ne sont pas le reflet des êtres réels. Loin de là. Elles peuvent même donner une vision biaisée de leurs propriétaires.

Qui es-tu pour prendre mon unicité ?

Une fois acquise l’idée que les entreprises ou les Etats ont une fâcheuse tendance à s’approprier nos données sous couvert de « promesse produit », de « marketing ciblé », de « lutte contre le terrorisme », on en passe, il convient de se demander si cette razzia est légitime.

Sommes-nous uniquement des portefeuilles à qui il faut vendre n’importe-quoi à tout prix, y compris celui de nos données personnelles ? Somme-nous tous des terroristes ? Les entreprises et les Etats sont-il légitimes lorsqu’ils nous dépossèdent de ce qui fait notre unicité ?

D’une part la Déclaration universelle des Droits de l’Homme pense que non (article 12) et d’autre part, nous ne sommes des terroristes que si une enquête judiciaire et un procès contradictoire viennent le prouver. Le tout sans se baser sur des écoutes partielles, pour la plupart illégales, ne reflétant qu’une vision partiale de notre personnalité.

Source: http://reflets.info/tout-a-cacher/


Rien à cacher

Tuesday 6 January 2015 at 18:14

3ba7670202c02965f33d3cc610134cee Quand on est, comme moi, un vieil activiste désabusé, il y a des lieux et des moments où on s’attend à déposer les armes.

Se reposer l’esprit en assistant à un débat réunissant des gens qui partagent nos idées. Écouter tranquillement sans avoir à repérer les pièges et les non-dits. Lâcher prise.

Et puis, paf le chien.

La question – l’éternelle question quand on parle de défense de la vie privée – était « mais que dire à ceux qui n’ont rien à cacher ? ».

La réponse m’a laissé sur ma faim.

 

La grande question

Non qu’elle fut mauvaise: il s’agissait d’expliquer qu’on a toujours besoin d’un espace privé pour s’interroger, pour plonger en soi-même, pour se forger une intime conviction hors de la pression du regard de l’autre. Il est toujours utile de le rappeler.

Il s’agissait, aussi, de rappeler qu’on ne vivra pas dans la même société quand, par exemple, nos assurances et nos banques sauront tout de nos questions en ligne sur le cancer. Nous y sommes presque.

En tout état de cause, c’était une bonne réponse. Elle aurait même été excellente jusqu’aux révélations d’Edward Snowden.

Mais aujourd’hui ?

Si les révélations d’Edward Snowden nous ont appris une chose, ce n’est pas que les états nous espionnent.

Ils l’ont toujours fait.

Ce n’est pas non plus que nos communications électroniques sont écoutées: cela nous le savions au moins depuis 1999 et la description par Duncan Campbell du programme Echelon dans un rapport au Parlement Européen.

Tout au plus avons nous eu confirmation de ce que beaucoup supposaient, et pris conscience de l’ampleur des écoutes et de la complicité des grands opérateurs américains dans la surveillance massive organisée par la NSA.

Mais ce qui constitue la vraie nouveauté, l’information principale du programme PRISM et de ses suites, c’est que l’information recherchée n’est pas ce que nous disons, mais à qui nous le disons. Le contenu de nos conversations reste intéressant bien sûr (surtout pour les entreprises qui ont intérêt à tout savoir de nos vies), mais pas tellement pour les états. Ce que veulent les états, c’est tout savoir de nos réseaux.

Ce sont nos « metadatas » qu’ils stockent, pour ensuite pouvoir, quand bon leur semble, décider qui surveiller plus spécifiquement.

 

Les contenants, pas les contenus

Le 18 décembre dernier, j’entendais un auditeur dire à Jean-Jacques Urvoas, sur France Inter, qu’il « doutait que les américains s’intéressent au contenu de son smartphone ». Et il a bien raison: le contenu de son smartphone, les américains s’en cognent.

Par contre, savoir où se trouve ce smartphone, avec qui il communique, et quand, ça c’est quelque chose qui, même pour un américain, a pas mal de valeur.

Parce que, qui sait, il est utilisé pour publier un « selfie » sur Facebook, pris devant une « personne d’intérêt » qui ne se doute de rien et qu’on pourra ensuite localiser précisément, à tel lieu et à tel instant, via la reconnaissance faciale (ou même – plus moderne – la reconnaissance par réflexion cornéenne). C’est devenu automatisable.

Parce que, allez savoir, le vieux pote devenu haut fonctionnaire, qui reprend contact après des années, est sous surveillance active, et que le simple fait que notre auditeur en ait été proche un jour pourra permettre de déterrer des informations compromettantes.

Ou bien encore, si notre auditeur est journaliste, parce que la source qu’il croit si bien protéger n’avait pas non plus désactivé son téléphone lors de leur rencontre et qu’il suffira de croiser les informations des deux appareils pour savoir qui était présent lors de l’interview secrète.

Ou même tout simplement pour comprommettre notre auditeur innocent, le jour où il sera lui-même devenu, par les aléas de la vie et de l’évolution normale de sa carrière, une personne d’intérêt: ce jour là, il aura sans doute des choses de son passé à cacher, qu’il pensait innofensives sur le moment mais qui pourront toujours servir un jour. Du genre « vous étiez à ce moment à cet endroit en compagnie de telle et telle autres personnes, qui depuis ont commis un attentat ».

Qui sait ?

 

La bonne question

C’est pour cette raison que j’ai beaucoup de mal à supporter les réponses habituelles à La Grande Question du Je N’ai Rien À Cacher. Parce que la question n’est plus « pourquoi doit-on se protéger », mais bien « pourquoi doit-on protéger ceux avec qui on échange ».

Parce que, le jour où notre auditeur sera devenu « intéressant », il sera bien content de savoir que ceux avec qui il échangeait en toute innocence des années plus tôt avaient sécurisé leurs communications, désactivé la géolocalisation de leurs smartphones et évité de le prendre en photo bourré pour se foutre de sa gueule sur Facebook.

Ou pas.

Si je me bats – depuis bientôt 18 mois – pour faire exister un projet comme Caliopen, ce n’est pas (contrairement à ce que beaucoup croient, hélas et par manque d’explications assez claires de ma part) pour permettre à chacun de mieux se protéger.

Eh non.

C’est pour mieux protéger les autres.

 

Don’t shoot the rhino

y6ej1qcwlcgtowjwz3ukUne image, peut-être plus parlante que mes histoires de selfies piégés et d’attentats futurs, est celle qui demande aux visiteurs de cette réserve – où vivent des rhinocéros – de ne pas diffuser les photos qu’ils prennent sur les réseaux sociaux, ou sinon de désactiver la géolocalisation de leurs appareils.

Parce que celles-ci pourront, sinon, servir à indiquer aux braconiers où et quand vont les animaux qu’ils vont abattre pour leurs cornes.

C’est pour cette raison que, quelles que soient leurs qualités, je ne prête que peu d’intérêt à la majorité des initiatives de messageries sécurisées « post-snowden ». Non qu’elles soient inutiles, loin de là, mais simplement parce qu’elles répondent à un problème du siècle dernier.

Oui, se protéger soi-même est utile. Mais quand l’énorme majorité de nos correspondants ne le sont pas, alors nous sommes autant à l’abri de la surveillance que nos amis rhinocéros. Or – et même si c’est triste il faut se rendre à l’évidence – l’énorme majorité de nos contemporains ne va pas quitter Gmail, ne va pas cesser de publier des photos sur Facebook, ne va pas désactiver la géolocalisation de ses smartphones, ni rien de tout ça.

Parce que l’énorme majorité de nos contemporains n’a « rien à cacher » et qu’à ce jour personne ne lui explique que ce qu’elle a à cacher, c’est nous.

Vous avez un compte sur Fastmail ou Protonmail ? Grand bien vous fasse: vous faites partie de la minuscule minorité qui, quand elle s’envoie des emails à elle-même, protège sa vie privée (mais qui la dévoile dès lors qu’elle échange avec ses proches restés chez Google, ou via Facebook ou Twitter). Votre réseau de connaissance est tout aussi public que celui du reste du monde surveillé. Et le pire, peut-être, c’est que vous vous croyez à l’abri.

Protéger son email alors qu’on continue de dialoguer par SMS, IRC, Jabber, Facebook et Twitter ? Sérieusement, qui peut croire que ça va géner les NSA de ce monde ?

Si Caliopen est utile un jour, ce ne sera pas parce qu’il protègera ses utilisateurs, mais parce qu’il leur fera prendre conscience de la portée de leurs actes quand ils échangent avec des proches peu ou pas protégés. Mais ce ne doit pas être une fin en soi.

 

Vie privée SGDG

Dans son dernier article sur Rue89, Amaelle Guiton rappelle superbement que la sécurité informatique n’a pas besoin d’être parfaite pour être utile. Un point manque, cependant, dans son texte, et que je voudrais rappeler à mon tour: la surveillance de masse n’est pas qu’une question technique. C’est aussi une question économique.

Quelles que soient les capacités de déchiffrement de la NSA, il lui en coûtera toujours plus pour réunir des informations sur chacun d’entre nous si nous augmentons notre niveau de protection que si nous ne le faisons pas.

Si – un jour – suffisamment de monde utilise des outils de cryptographie. Si – rêvons un peu – un projet comme Caliopen permet un jour de faire prendre conscience à un nombre assez important d’utilisateurs que leur protection passe par la protection de leurs proches, alors peut-être peut-on espérer que ce coût augmentera assez pour que les bailleurs de fonds des grandes oreilles jettent l’éponge et qu’elles retournent à des pratiques d’espionnage plus ciblées (parce que – et là cessons de rêver – nul ne sera jamais à l’abri d’une surveillance ciblée).

Et si, au passage, nous réapprenons, tous, la valeur de notre vie privée et les risques que sa perte fait peser sur nos sociétés, alors, qui sait, peut-être que notre futur n’est pas si sombre.

 
Et un [edit] pour ajouter ceci à la demande générale (OWI !).

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Source: http://reflets.info/rien-a-cacher/


12 cigarettes (4)

Tuesday 6 January 2015 at 15:38

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Partie 4 : dernière bouffée
Les dernières bouffées de la dernière cigarettes sont particulières. Elle ne sont plus vraiment agréables, et pourtant, je les apprécie quand même. Je sais qu’il n’y en aura plus d’autres, jusqu’au matin. C’est une sorte de sevrage, une conclusion entre moi et la tige de papier-tabac. Je sais que je vais mourir, et même si cette cigarette m’épuise, me blesse la gorge et les poumons, elle est une dernière chance d’être présent au monde. J’aime la douleur de la fin de la dernière cigarette. Quand la fumée s’efface, le monde fait de même. Jusqu’au matin.

*  *

—  « Il a découvert quelque chose d’incroyable. Quelque chose qui démontrait ce qu’était réellement l’univers, la théorie unificatrice que tous les physiciens cherchent depuis 150 ans. Mais il ne l’a pas trouvé de façon théorique. Non, il a trouvé la réponse dans le code. Il a trouvé la clef, dans le code quantique, avec le calculateur. »
Le médecin psychiatre attendait, l’air pensif. Il avait déclenché une alarme de niveau 1 avec le pad. La sécurité était prévenue que quelque chose se tramait, ils ne feraient rien, mais se tiendraient prêts au cas où il enclencherait le niveau 2. La femme parlait de façon détendue, mais sa voix trahissait une émotion profonde. Son histoire devenait surréaliste. Peut-être une psychose ? Ou bien…
— « Vous avez travaillé là-bas pour connaître cette histoire ? »
— « Ma propre histoire est sans importance, vous vouliez connaître la sienne, mieux savoir qui il était, n’est-ce pas ? »
— « Oui, c’est vrai, mais… »
— « Alors laissez-moi parler de lui. »
Le médecin se redressa un peu et tapa avec trois doigt sur le bureau un texte qui s’afficha instantanément sur le pad : « comportement agressif — difficulté avec l’autorité – Instabilité émotionnelle ? »
— « Excusez-moi, je vous en prie, continuez… »
— « Je ne vais pas vous donner tous les détails scientifiques, vous devez savoir que la physique quantique est d’un abord plutôt ardu, mais disons que la découverte fondamentale démontrée par le programme quantique était entre autres que la matière n’existait pas. Même si les chercheurs s’en doutaient depuis longtemps, puisque le photon est par exemple à la fois une particule et une onde. Cette démonstration informatique avait des répercussions très profondes. Au point qu’il a même été demandé d’arrêter le programme… »
Le médecin profita de la pause qu’elle effectuait pour poser sa question :
—  « J’entends bien ce que vous me racontez, mais cela ne donne pas beaucoup plus d’indications sur mon patient, vous comprenez. Vous me disiez vous même que son métier n’était pas important au début de notre discussion, et là, vous me parlez des activités professionnelles qu’il avait il y a 7 ans. C’est intéressant la physique quantique, les calculateurs, les théories scientifiques, mais je ne sais toujours pas mieux qui il est. Vous pouvez m’en dire plus à son propos ? Quel homme il était ? »
Elle hocha la tête.
— « Je comprends votre agacement. Le problème est que je n’ai pas tous les éléments intimes que vous désireriez avoir, je sais des choses, mais je n’étais pas avec lui, donc… Disons qu’il était passionné, entièrement captivé par son programme. Il ne sortait plus du bâtiment de recherche, il dormait avec le calculateur, il respirait avec lui.  Lorsque les responsables ont vu ce qu’il avait créé ils lui ont demandé d’arrêter. D’arrêter le programme. Il n’a pas pu. Je pense que c’est la raison qui explique sa présence ici. Il est venu de lui-même, je crois, n’est-ce pas ? »
— « Je ne peux pas vous révéler ce type d’information. Je vous en prie, continuez. »
— « Vous savez que les particules élémentaires n’ont pas de masse ? La découverte de ce que les scientifiques ont nommé la particule de Dieu, le Boson de Higgs a permis de relancer la recherche sur le fonctionnement de l’univers…»
Le médecin hocha la tête pour marquer son assentiment.
— « Les particules élémentaires n’ont pas de masse, parce qu’en réalité, tout n’est qu’information. L’univers entier n’est qu’information, rien d’autre. Et ce qu’il a fait, c’est de le démontrer avec le C-Quantum. »
Le médecin haussa un sourcil.
— « Et comment a-t-il fait ? »
Elle sourit, presque malicieusement :
— « Il a créé l’univers. »
Le doigt du médecin hésitait à valider le passage en alerte niveau 2. Il balançait entre plusieurs attitudes. La femme attendait, comme si elle savait ce qu’il était en train de penser et d’hésiter à faire, se dit-il. Dehors, la température était de 20° Celsius, le ciel était d’un bleu profond. Une allumette s’enflamme. Une cigarette s’allume. Un homme regarde le ciel à travers une petite fenêtre dans une pièce aux murs blancs. Il tire une bouffée. Tout est parfait. Immanquablement.

Source: http://reflets.info/12-cigarettes-4/


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Il y a des dizaines de raison qui expliquent le mécontentement des Français à l’encontre du président François Hollande. Les commentateurs, les sondeurs tentent d’ailleurs en permanence de faire la synthèse de ce désenchantement français avec de savantes analyses qui n’expliquent peut-être pas tout. L’une des raisons qui n’est pas abordée à propos du désamour des Français à l’égard de François Hollande, est peut-être logée dans un phénomène inconscient mais important, celui d’une sensation de vide. Un vide à plusieurs niveaux.

Mais qui est-il, et que fait-il ?

La Vème République a été taillée sur mesure pour le Général De Gaulle en 1958. Cette République, présidentielle, concentre donc par essence le pouvoir entre les mains d’un homme, le président. Ce qu’il dit, exprime, fait, son attitude — ont une grande influence sur la confiance du pays. Tant auprès des électeurs que des acteurs économiques, sociaux, institutionnels. Et la confiance est devenue une sorte de poumon des démocraties post-industrielles mondialisées.

l-agenda-du-type-qui-squatte-l-elysee

François Hollande renvoie des sentiments déplaisants au public, dans une large mesure, lors de ses interventions. L’avant dernière en date était télévisuelle, et représente à elle seule la singularité du système politique français et de son chef de l’Etat. Le président énonçait ses vœux pour l’année 2015. Dans un décor vieux de plusieurs siècles, couvert de dorures monarchiques, à l’Elysée, le président de la cinquième économie mondiale a parlé à « son peuple », assis derrière un grand bureau en bois précieux…totalement vide. Impressionnante vacuité du monarque républicain qui n’offre comme image de son travail que celle d’un bureau vide. Pas d’ordinateur, ni dossiers, ni papiers, rien. Un bureau, le même que celui où était assis le Général De Gaulle en 1958. Sans rien dessus.

Théorie de la vacuité

Il y a plusieurs explications possibles à cette incroyable attitude présidentielle en total décalage avec l’époque, les mœurs, et surtout  la réalité de cette moitié de deuxième décennie du XXIème siècle. Soit François Hollande est une marionnette qui n’existe que parce qu’il est obligé d’apparaître et de laisser entendre qu’il travaille (comme un chef d’Etat doit le faire) — mais a oublié d’essayer même de le démontrer — soit François Hollande vit dans un autre siècle. Le précédent. Soit les deux. Mais ce qui reste stupéfiant, et ne peut que créer un malaise, une grogne, de l’agacement, voire de la colère, c’est la parfaite inconscience de cet homme élu par des millions de personnes. Hollande parle comme un homme qui vivrait ailleurs, dans une autre sphère, un autre temps. Il répète, scande des phrases lisses, communiquées par avance et entièrement accolées à des réalités purement statistiques. C’est un jeu que pratique François Hollande — un jeu qui passe par des sondages d’opinion, des informations considérées comme importantes par les spin doctor — un jeu de dupes avec la foule.

spin-doctor
Le président français est un mauvais comédien, c’est certain. Il énonce son désir de dynamisme derrière un bureau vide. Il est très difficile de travailler tout en étant dynamique avec un bureau vide. De devoir écouter des conseillers qui passent leurs journées à fouiller l’information pour tenter de faire passer des pilules et faire basculer les sondages ou tenter d’inverser des courbes. Une sorte de management à distance. Un homme qui n’a jamais dépassé l’époque des machines à écrire et du stylo à plume s’essaye à diriger un pays qui a basculé dans l’ère des réseaux informatiques d’information ? Vacuité d’un énarque diplômé en 1980, à l’époque de la télématique, face au fourmillement des espaces numériques ?

Deux heures au micro de France Inter : il baille

Bien entendu, se focaliser sur des détails comportementaux d’un chef d’Etat est réducteur. Mais quand la politique ne fait plus de politique, qu’elle ne fait que remplir du vide avec du vide, que reste-t-il en terme de compréhension, de sens ? Les différentes réformes dont parle François Hollande à chaque fois qu’il intervient dans l’espace médiatique ont toutes été analysées à la loupe et ne parviennent à convaincre personne. Ce ne sont pas des réformes, mais des aménagements techniques que n’importe quel gouvernement technocratique pourrait opérer.

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Celui qui se veut leur instigateur, le président, vient donc faire une sorte de service après-vente, ou avant-vente, comme n’importe quel commercial pourrait le faire pour le compte d’une entreprise qui tente de vendre ses produits au plus offrant. François Hollande se pose des questions à lui-même à l’antenne de France Inter, et y répond, exactement comme le faisait Nicolas Sarkozy. La seule nuance est la forme, le plus souvent interrogative, tandis que l’ancien président était un féru de la forme interro-négative. Une rhétorique pratique pour ne pas développer une réponse directement reliée à une question, puisque l’on reformule sa propre interrogation. Le discours du vide dans l’auto-questionnement sur le néant. Au point de bailler très fortement au micro. Il faut dire que tout ça est très fatiguant, à la limite de l’ennui absolu. Pour lui, comme pour les auditeurs.

Simplification : et si on simplifiait Hollande ?

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Le président de la simplification — dont l’ennemi était la finance — celui qui une fois président refuse d’appliquer son programme, n’est pas très content qu’on lui rappelle ses renoncements. Il parle du « travailler plus, en travaillant le dimanche », de la « loi de dérégulation d’Emmanuel Macron », des « pactes de baisse des charges sur les entreprises » comme si tous ces aménagements législatifs (normalement propres à la droite) des fonctionnements du XXème siècle allaient faire basculer la société dans le XXIème. Ce qui est le plus étonnant, c’est que l’homme qui travaille derrière un bureau vide sans ordinateur est certainement l’un des derniers à vivre encore au XXème siècle. Et si François Hollande veut simplifier, il serait peut-être intéressant de lui proposer une simplification centrale et incontournable : celle de la constitution et du présidentialisme. Evacuer ce président ou le remettre à une place bien moins centrale, laisser la population participer à la vie démocratique et exprimer de façon plus ouverte ses choix, moderniser tous les appareils d’Etat et remettre les élus à une place qu’ils devraient avoir : celle de simples citoyens qui durant un seul et unique mandat, peuvent être au service de la collectivité.

Le président du grand bureau vide en bois précieux est-il en mesure d’entendre ce types de changements, lui qui se définit encore comme le « président du changement » ? Rien n’est moins certain. A moins que la situation de François Hollande ne finisse par se simplifier de façon dramatique ? C’est quand on est acculé qu’on peut donner le meilleur de soi-même. Oui, mais si l’on est vraiment en charge des affaires. Ce qui reste à démontrer.

Source: http://reflets.info/le-president-du-bureau-vide-et-le-monde-du-xxieme-siecle/


12 cigarettes (3)

Sunday 4 January 2015 at 19:32

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Partie 3 : volutes

Il y a mille et une manière de fumer. La tenue de la cigarette, par exemple. Elle peut se faire entre le majeur et l’index, ou bien entre le pouce et l’index. La main tournée vers le haut ou bien vers le bas. Les bouffées peuvent être rapides et courtes, ou anxieuses ou bien encore longues et apaisées : chaque fumeur crée son univers de fumée avec ses propres règles. Les volutes de fumées ne sont jamais les mêmes. Jamais. Aucune n’est identique. La sensation change — elle aussi — au cours du temps, et c’est lorsque j’enflamme la septième cigarette qu’une véritable mutation s’opère, pour moi, en moi. La fumée de cette septième cigarette n’est plus la même, mon goût est modifié par l’accumulation des saveurs des six autres et une fatigue commence à se faire sentir. Mêlée d’un apaisement. Je la fume plus lentement. Je sens la fumée s’accrocher dans ma gorge un peu irritée, la chaleur de chaque bouffée est plus intense. Je vois le monde à travers le voile bleu qui sort de ma bouche, il s’efface un peu, s’éloigne. Puis la brûlure caractéristique de la dernière bouffée conclut la septième cigarette. Je sais qu’il me reste moins que la moitié de mon existence. Immanquablement.

*  *

Le médecin se décida à poser la question, il commençait à s’impatienter, tout en sachant très bien qu’il devait en savoir plus.
— « Nous sommes-nous déjà rencontrés ? »
Elle savait qu’il lui demanderait ça. La sensation de déjà-vu l’avait envahi. Immanquablement.
Sa réponse, préparée d’avance, était un élément crucial.
— « Non. Mais oui, en quelque sorte. »
— Je ne comprends pas. Comme la date de demain. Vous ne m’aidez pas, et je ne sais pas si nous allons… »
Il fallait qu’elle l’empêche de se rétracter. Immédiatement.
— « Je vais vous l’expliquer, si vous acceptez d’entendre des choses qui pourraient vous paraître délirantes. Et je sais bien que c’est votre métier de traiter le délire, ce n’est donc pas évident pour moi, vous comprenez. Vous acceptez d’entendre mes explications ? »
Il soupira. La rampe de leds clignota un peu comme sous l’effet d’une baisse de tension électrique. Le visage de la femme avait changé sous l’effet du clignotement lumineux. Il était plus masculin. Plus acéré. L’inquiétude commençait à s’insinuer en lui, mais sa curiosité était piquée au vif. Le médecin déglutit et lui répondit de la façon la plus posée qu’il pouvait. Il avait eu affaire à des personnes bien plus inquiétantes au cours de carrière, se dit-il intérieurement :
— « Bien entendu. Je vous écoute. »
— « La date de demain est importante pour lui, et en réalité pour nous, mais c’est lui qui l’a déterminée. Vous comprendrez quand je vous aurai expliqué mieux qui il est, et ce qu’il a fait. Nous ne sommes jamais rencontrés, docteur, et vous pourriez passer le restant de vos jours à chercher — façon de parler — si vous m’avez déjà vue auparavant, et vous n’arriveriez à rien. Le seul problème, est qu’en vous, quelque chose vous dit que vous me connaissez, et — peut-être même — que c’est surtout cet instant que vous connaissez déjà. » Elle avait accentué le « déjà » final, qui fit cligner un œil du médecin. Il pencha la tête de côté :
— « Un déjà-vu, vous voulez dire ? »
— « Oui, appelons-le ainsi, si vous voulez. Vous connaissez ce moment, vous avez l’impression de revoir la scène, comme si c’était un film, n’est-ce pas ? Ne me répondez pas, ce n’est pas important. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, comme je vous le disais, et pourtant, nous avons déjà vécu cet instant… disons… un milliard de fois ? Il faut que je refasse le calcul. Mais je sais que je dois vous expliquer qui il est. Sinon, ça ne servira à rien. Sinon, nous recommencerons. »
Le médecin se sentait très mal à l’aise. Il fit un geste de la main pour lui demander d’interrompre son monologue et lui demanda d’une voix un peu tremblante :
— « Je peux prendre quelques notes ? Vous enregistrer ? »
— « Tout ce que vous voulez, docteur. »
Il sortit un pad, le manipula rapidement, et reprit contenance, un sourire figé sur les lèvres.
— « Je vous écoute. »
— « Tout a débuté il y a 7 ans, en 2035, au CERN. Il travaillait sur le nouveau C-Quantum. Il était très doué, certainement le plus doué. Vous connaissez les calculateurs quantiques, docteur ? »
Il hocha la tête.
— « C’était un mathématicien, devenu codeur quantique. Il y a très peu de personnes capables de programmer ces ordinateurs. Très peu. » Elle sentit sa lèvre inférieur se mettre à trembler alors qu’elle finissait sa phrase. L’émotion commençait à l’envahir. Il fallait qu’elle se contrôle.
Le médecin tapotait devant le pad. Il s’arrêta et attendit.
La fumée de cigarette emplissait l’espace de la chambre d’isolement, quelques dizaines de mètres plus loin.

Source: http://reflets.info/12-cigarettes-3/


12 cigarettes (2)

Friday 2 January 2015 at 19:16

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Partie 2 : Petite enfance

La première bouffée de la première cigarette plonge le fumeur dans un chaos de sensations. La tête tourne, la gorge s’enflamme, le monde s’amplifie comme si la fumée le rendait plus réel. C’est un moment étonnant, et j’aime le revivre, chaque matin. Je découvre le monde. Ma naissance est celle du monde, je me confonds avec lui et cette première fumée d’origine. La petite boite en argent ne contient plus que 11 cigarettes. Le ciel a changé de couleur. Il est bleu. Jusqu’à ce que j’allume la deuxième cigarette. Celle de la petite enfance. A 10h. Cette deuxième cigarette est toujours âcre, bien que mon palais ait gardé le goût de la première. Elle dégage plus d’arôme, se diffuse plus profondément en moi. Je crois que je l’apprécie encore plus que la première. La deuxième cigarette, celle de la petite enfance est une cigarette de l’exploration. Des sens, de l’espace. Je regarde la porte blanche qui ferme la pièce à travers le nuage de fumée et je souris. Il ne peut plus rien m’arriver. Ni à moi ni à personne. Je ferme les yeux et aspire une nouvelle bouffée.

*   *

— « Vous pouvez m’expliquer pourquoi nous ne pouvons rien, comme vous dites, pour les cigarettes ? »
Elle s’était reprise, avait calmé sa respiration. Elle ne devait pas s’emballer, elle le savait. Combien de fois avait-elle répété cette situation ? 20, 30, 50, 100 fois ? Elle devait réussir. Immanquablement. elle regarda le médecin droit dans les yeux et lui parla d’une voix calme. La plus apaisante qu’elle pouvait.
— « Il y a cette boite en argent qui contient les 12 cigarettes et les 12 allumettes. Vous la trouvez tous les matins remplie, n’est-ce pas ? »
Le médecin sembla hésiter, puis répondit comme à contrecœur :
— « Oui »
— « Et ça ne vous inquiète pas ? Vous ne trouvez pas ça étrange, inquiétant ? »
— « Comment pouvez-vous savoir ? »
— « Je vous le dirai quand j’aurai la garantie d’avoir un accès jusqu’à lui. Mais vous ne m’avez pas répondu : vous n’êtes pas inquiet pour les cigarettes ? »
Le médecin cligna des yeux. Une goutte de sueur perlait du haut de son front, elle commença à glisser vers le sourcil gauche. Il n’y avait aucun bruit. Il lui répondit d’une voix neutre. Peut-être trop neutre.
— « Je ne suis pas là pour parler de mes émotions, vous le savez bien. Il fume les cigarettes, et je n’ai pas de doute sur le fait qu’il les fumera encore demain »
Elle répondit du tac au tac :
— « Et bien moi, je crois que c’est là que vous trompez gravement, docteur, justement »
— « Pourquoi ? »
— « Parce que nous sommes le 3 février. Et que par conséquent, demain nous serons le 4…»

Le médecin regarda plus attentivement le visage de la femme assise en face de lui et se dit que ses traits lui disaient quelque chose. Mais quoi ? Une rencontre ? Le réseau ? Une publicité ? Peut-être autre chose. Comme un déjà-vu. Oui, c’était certainement ça. Un déjà-vu.
La troisième cigarette devait être déjà allumée. Avant 11 heures. Immanquablement.

Source: http://reflets.info/12-cigarettes-2/


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Ken Follet, dans ce troisième tome, s’attache à la deuxième moitié du vingtième siècle et nous livre une fresque de l’affrontement des deux blocs et du monde terrifiant que cette guerre froide laisse entrevoir. Malgré la dangerosité de la situation, les identités s’affirment et les minorités de tout bord luttent fermement pour leur égalité et leur liberté.

Quand la non violence semble être la solution

Aux Etats-Unis, la société s’apprête à changer mais cela ne se fait pas sans résistance. Du côté de la population noire, la colère gronde et l’injustice devient insupportable. L’affaire Rosa Parks, la création de la SCLC par Martin Luther King, la naissance du mouvement de Malcolm X, le décret par J.F Kennedy instaurant la discrimination positive sont autant de signes qui laissent envisager l’arrêt de la ségrégation raciale.

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Mais, comme toute photographie, le positif a son négatif.

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Le I have a dream de Martin Luther King se transforme en cauchemar. Malcolm X, Martin Luther King assassinés, les blacks semblent revenir au point de départ. La non violence a montré ses limites, le black power s’affirme et se renforce. Les présidents successifs ont usé et abusé des messages contradictoires, tendant la main pour la retirer aussitôt pour brandir le poing et déployer une répression ultra violente.

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Finalement, des décrets interdisant la discrimination raciale rentrent en vigueur, non sans mal. Qui aurait cru qu’un black serait élu en 2008 au plus haut poste des Etats-Unis ?

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Malgré toute la symbolique de cette élection, les choses ne sont encore pas si simples, il suffit de voir les statistiques sociologiques et socio-professionnelles dans certaines villes des States pour s’en convaincre.

Si Woodstock m’était conté

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Parallèlement, une autre lutte pour les libertés fait rage, d’abord aux Etats-Unis puis dans toute l’Europe. La jeunesse se sent oppressée, les femmes demandent plus de droits, particulièrement celui de pouvoir maîtriser leur sexualité et leur reproduction et plus largement d’être respectées à l’égal des hommes, les drogues se consomment librement sur fond de musique psychédélique. Le flower power est en plein essor.

Ken Follet partage avec nous cette jeunesse considérée dépravée par certains, jeunesse en mal de liberté, qui a su par une incroyable créativité artistique, imposer son monde, un nouveau monde où l’amour prévaut sur la guerre, où le sexe se libère.

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Le droit à l’avortement, la contraception, la liberté de choix sexuel, sont autant d’acquis sur lesquels nous vivons actuellement. Mais ces acquis sont fragiles, et il n’est pas tout à fait certain que nous ayons su en faire bon usage. Que dire de l’image de la femme aujourd’hui ? que conclure de certaines images publicitaires ?

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Another brick in the wall

A la lecture de cette trilogie, de nombreuses questions se posent. Ken Follet décrit de manière très émouvante la chute du mur de Berlin, cette incroyable liberté que les berlinois de l’Est, et les populations des satellites de l’URSS ont pu savourer. Le bloc soviétique s’effondre sur fond de musique, de rires et de joie. Nous avons tous encore ces images incroyables de jeunes berlinois démontant le mur, brique par brique.

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Le sieur Gorbatchev sort grandi de cet épisode comme étant l’homme de la Perestroïka, Perestroïka qu’il a désirée certes mais qui s’est aussi imposée à lui tant l’URSS était en piteux état. Il n’est même pas certain que cette victoire soit celle d’un peuple opprimé, ne serait-elle pas simplement la victoire d’un capitalisme anthropophage et liberticide ?

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Nous sommes maintenant en 2015 et les constats ne sont pas très positifs. Ces élans de liberté du siècle dernier semblent évaporés dans l’ambiance délétère actuelle. Les injustices se succèdent, la violence identitaire transpire partout dans le monde, le fascisme pointe son nez, jusque chez nous. Le racisme se banalise, devient la norme. N’avons-nous vraiment retenu aucune leçon d’histoire ?

Il est légitime de se demander si en fin de compte nous ne sommes pas juste une autre brique dans ce mur de violence et d’intolérance.

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Source: http://reflets.info/de-la-fragilite-de-la-liberte-fin-dream-sex-and-hope/


12 cigarettes (1)

Thursday 1 January 2015 at 18:17

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Partie 1 : la naissance

Je fume 12 cigarettes par jour.
Pas une de plus, pas une de moins.
Chaque cigarette a un sens précis, une valeur, un goût, un temps, un espace qui lui est propre.
Chaque cigarette raconte sa propre histoire, exhale une saveur unique. C’est un plaisir qui ne se partage pas, qui ne concerne que le fumeur et sa tige de papier-tabac. Un univers se crée dès que la cigarette est allumée, un univers de fumée opaque qui protège le fumeur du monde glacial qui l’entoure. Une douce chaleur envahit son palet, des picotements diffus et excitants se répandent sur sa langue, pénètrent ses cloisons nasales, envahissent le corps du fumeur et lui apportent l’apaisement tant attendu. L’esprit se vide, se mélange aux sensations, vogue, puis une pensée se forme, précise, claire, efficace. La conscience du fumeur s’exacerbe au moment de l’inhalation, qui peut alors pénétrer plus profondément en lui-même, ressentir plus intensément sa propre présence, la présence des autres. Chaque instant partagé avec la cigarette a une valeur, un goût, un temps, un espace qui lui est propre. C’est pour cela qu’il est nécessaire de ne fumer qu’un nombre établi de cigarettes chaque jour. Sans cela, la distorsion guette, la confusion prend place, le fumeur est lui-même aspiré comme la fumée qu’il inspire.
Je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse fumer n’importe comment, sans rigueur, aléatoirement, comme une mécanique emballée. Ça doit être très désagréable. Improbable. Chaotique. Je ne pourrais pas fumer ainsi.
Mes douze cigarettes me sont livrées chaque matin à huit heures. Elles n’ont pas de marque. Pas de filtre non plus. Juste le papier blanc et le tabac couleur de blé. Je prends toujours la première à gauche du boîtier en argent, entre le pouce et l’index. Je l’observe, la roule doucement entre mes doigts puis la pose à côté du boîtier. Mes yeux se portent sur le ciel plaqué derrière la fenêtre, je sens presque immanquablement qu’il va changer lorsque j’aurai avalé la première bouffée. Si chaque cigarette a un sens précis, celle du matin correspond à ma naissance. La nuit est une mort, le matin une naissance. Il y a douze allumettes dans le boîtier d’argent. Une pour chaque cigarette, bien entendu. Je n’ai jamais échoué dans l’allumage de chacune d’entre elles depuis que je fume. Et je fume depuis très longtemps. Il y a toujours le son de l’allumette qui s’enflamme, plein de nuances : les allumettes ne s’enflamment jamais exactement de la même manière, ne produisent jamais exactement le même bruit. Chaque cigarette a un sens.
J’allume ma première cigarette qui représente ma naissance. Le ciel s’obscurcit, le monde disparaît, je suis dans les ténèbres. La lumière jaillit : je nais

*  *

— « Comment je l’ai connu ? C’est une question gênante, je ne sais pas si je vais pouvoir vous répondre comme ça. C’est difficile à dire, et vous allez penser que je vous mens, ou bien que j’ai la mémoire fragile. Je ne peux pas le dire précisément. En fait j’ai l’impression de l’avoir toujours connu, comme si… il n’y avait pas de début précis. Oui, ça me revient, je sais pourquoi j’ai cette sensation : je rêvais de lui avant de le rencontrer, et vous savez, parfois, on confond les rêves et la réalité, on n’arrive pas à savoir ce qui est du rêve et ce qui est de la réalité. Donc, quand je l’ai vu, je ne savais pas si c’était dans un rêve ou bien dans la réalité. »
La pièce était éclairée par une rampe de leds blanches au plafond et n’avait aucune fenêtre. C’était un peu oppressant. La femme d’une quarantaine d’années avait arrêté de parler et attendait visiblement que le médecin en blouse blanche — assis de l’autre côté du sommaire bureau de métal qui les séparait — lui réponde. Il avait posé ses mains bien à plat devant lui, sur le bureau. Il reprit la parole alors qu’elle hésitait à lui demander si sa réponse lui convenait.
— « Mais vous ne pouvez me préciser quand vous l’avez rencontré, comment son identité vous est connue ? »
— « Non, je ne crois pas l’avoir rencontré, mais je le connais. C’est pour cela que je vous demande une visite, vous comprenez ? »
Le médecin la fixait, droit dans les yeux. Quel âge pouvait-il avoir ? 35 ? 40 ? 45 ? Pas de rides prononcées, pas de cheveux bancs, mais on sentait une assurance dans sa voix, et sa façon de se tenir… c’était un homme sans âge. C’est ce qu’elle conclut. Il lui répondit, en souriant un peu, du coin droit de la bouche.
— « Oui, je comprends. Nous vous avons reçue, et vous devez le savoir, parce que vous avez des éléments de compréhension à propos de ce patient… si particulier. Mais avant de savoir si vous pouvez le rencontrer, nous avons besoin de mieux comprendre vos motivations. C’est une nécessité, et je vous rappelle que nous ne vous avons jamais promis que vous le rencontreriez. Vous vous en souvenez ? »
Elle acquiesça.
— « Bien. Voyons en premier lieu ce que vous savez de son passé. Nous savons qu’il a un métier, le connaissez-vous ? »
— « Oui. Mais ce n’est pas ça qui importe, vous le savez bien, docteur. »
— « Pourquoi donc, d’après vous ? »
— « Parce que ce qui importe, c’est où nous sommes, et la date. »
Le médecin inspira un peu plus fort. Ses mains étaient toujours posées à plat, mais un léger tressaillement fit se soulever quelques uns de ses doigts.
— « Vous savez donc pour les cigarettes ? »
elle éclata de rire.
— « Bien sûr ! Et vous n’y pouvez rien, docteur, absolument rien ! »
Le médecin se recula sur sa chaise et se massa les yeux, puis les tempes. Il ne savait pas si ce qu’il était en train de faire, pouvait jouer positivement ou négativement. Il se demanda si ce n’était pas une erreur d’avoir accepté de recevoir cette femme. Il était 10h. La deuxième cigarette était allumée. Immanquablement.

Source: http://reflets.info/12-cigarettes-1/