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Email, mon amour !

Tuesday 30 June 2020 at 12:31

Je me suis surpris à envoyer un long email à une personne que je suis depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux. J’ai pris le temps de rédiger cet email. De le relire. De le corriger. De l’affiner. J’y exprime une idée simple que j’aurai pu lui envoyer sur Twitter, que ce soit en le mentionnant ou en messagerie privée. Je lui dis, tout simplement, que je ne souhaite plus interagir sur Twitter.

Le fait de prendre du temps, de réfléchir, de me relire m’a procuré un énorme plaisir. J’avais l’impression d’avoir apporté un petit quelque chose au monde, une clarification de mes idées, une main tendue, une piste de réflexion partagée. J’ai construit quelque chose d’intime, où je me révèle.

En tentant de regagner le contrôle de mon cerveau, j’ai retrouvé, sans le vouloir, l’art désuet de la relation épistolaire.

Nous avons oublié l’importance et la facilité de l’email. Nous l’avons oublié, car nous n’en avons pas pris soin. Nous laissons notre boîte aux lettres pourrir sous des milliers de messages non sollicités, nous perfectionnons volontairement l’art de remplir nos boîtes de courriels inutiles, inintéressants, ennuyeux sans plus jamais prendre le temps d’y déposer un courrier utile, écrit, intime.

Nous croyons que le mail est ennuyeux alors que ce sont nos pensées qui sont obscurément désertes. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément », disait Boileau. Force est de constater que nos cerveaux sont désormais d’infernaux capharnaüms assiégés par d’innombrables tentatives de les remplir encore et encore. Anesthésiés par la quantité d’informations, nous ne trouvons d’échappatoire que dans la consommation.

Souhaitant soigner ma dépendance à Twitter, j’avais décidé de ne plus suivre que quelques comptes sélectionnés dans mon lecteur RSS grâce à l’interface Nitter. En quelques semaines, une froide vérité s’est imposée à moi : rien n’était intéressant. Nous postons du vide, du bruit. Une fois ôtées les fonctionnalités affriolantes, les notifications, les commentaires, le contenu brut s’avère misérable, souffreteux. J’avais pourtant sélectionné les comptes Twitter de personnes particulièrement intéressantes et intelligentes selon mes critères. Las ! Nous nous complaisons tous dans la même fange d’indignation face à une actualité très ciblée, le tout saupoudré d’autocongratulation. Réduite à quelques caractères, même l’idée la plus enrichissante se transforme en bouillie prédigérée conçue pour peupler un hypnotique défilement intinterrompu.

Un soir, alors que je profitais de ma douche pour articuler un concept théorique qui m’occupait l’esprit, j’ai réalisé avec effroi que je pensais en threads Twitter. Mon esprit était en train de diviser mon idée en blocs de 280 caractères. Pour le rendre plus digeste, plus populaire. J’optimisais spontanément certaines phrases pour les rendre plus « retweetables ».

En échange d’un contenu de piètre qualité, Twitter déformait mes pensées au point de transformer mon aquatique méditation vespérale en quête semi-consciente de glorioles et d’approbations immédiates. Le prix payé est inimaginable, exorbitant.

Ayant bloqué tous les sites d’actualité depuis belle lurette, je décidai que Twitter et Mastodon allaient suivre le même régime que Facebook et Linkedin : ne plus suivre personne. Je nourris désormais ma sérendipité d’écrits plus longs grâce à l’ancienne magie vaudoue du RSS.

Libéré, aéré, le cerveau retrouve soudain de la souplesse, de l’amplitude. Au détour d’une blague dans un forum que je suis, je crois deviner qu’un politicien a été mis en prison. L’information m’agresse. Elle occupe une place imméritée dans mon cerveau. Je n’avais pas envie de savoir cet inutile artefact qui sera vite effacé de la conscience publique. Comme un ancien fumeur soudainement allergique à la fumée, mon cerveau ne peut plus supporter les déchets pseudo-informationnels dont nous sommes abreuvés par tous les pores, par tous les écrans, par toutes les conversations.

Une fois débarrassé de cette gangue d’immondices, je me surprends à penser. Mes doigts se surprennent à vouloir écrire plutôt qu’à rafraîchir une page et réagir avec une émotion préfabriquée. Au lieu d’une démonstration publique de mon égotique fierté travestie en succédané de communication, j’ai envie de forger des textes, des histoires, de faire passer une information dans un contexte plus large, de lui donner le temps d’exister dans l’esprit des récipients. Et tant pis si ces derniers sont moins nombreux, moins enclins à m’injecter leurs likes chargés de dopamine.

Devant ma boîte aux lettres, immaculées grâce à une stricte observance des mes règles inbox 0 et de désabonnement, je guetterai la réponse comme un adolescent attend le facteur lui tendant une enveloppe parfumée. Et si elle ne vient pas, ma vie continuera sans que je sois obnubilé par un compteur de vues, de likes ou de partages.

L’outil de communication décentralisé web 5.0, 6.0 et 12000.0 existe déjà. C’est l’email. Nous n’avons tout simplement pas encore vraiment appris à l’utiliser. Nous tentons vainement de le remplacer ou de l’améliorer à grands coups d’interfaces et de fonctionnalités multicolores, car il expose la vacuité de nos interactions. Il met à nu que nous devrions faire un effort, changer notre cerveau et notre volonté. Tant que nous nous évertuerons à produire et consommer le plus de bruit possible en insatiables gloutonneries, tant que nous mesurerons notre succès avec d’autocrates statistiques, aucun système ne nous permettra de communiquer. Parce que ce n’est pas ce que nous cherchons. Parce que nous nous sommes perdus dans l’apparence et la quantité, jetant aux oubliettes l’idée même de qualité. Nous critiquons la faiblesse d’esprit et le court-termisme de nos politiciens sans réaliser que nous moquons notre propre reflet.

Lorsque nous serons assez mûrs pour tout simplement vouloir échanger de l’information de qualité, nous découvrirons que la solution était sous nos yeux. Si simple, si belle, si élégante, si décentralisée.

L’email.

Photo by Matt Artz on Unsplash

Je suis @ploum, écrivain électronique. Printeurs, mon dernier roman de science-fiction, est disponible en précommande jusqu'au 24 septembre. Si vous avez apprécié ce texte, n'hésitez pas à me soutenir sur Paypal ou en millibitcoins 34pp7LupBF7rkz797ovgBTbqcLevuze7LF. Vos soutiens réguliers, même symboliques, sont une réelle motivation et reconnaissance. Merci !

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Source: https://ploum.net/email-mon-amour/


Rien ne sera jamais plus comme avant…

Monday 16 March 2020 at 20:53

Il y’aura un avant et un après Coronavirus

Quel moment étrange sommes-nous en train de vivre ? Une brève page d’humanité que nous vivons individuellement, confinés, et à l’échelle de la planète, connectés.

Depuis quelques jours, nous ne sortons plus de chez nous sauf pour prendre l’air, nous balader tout en saluant les passants du plus loin que nous puissions. Nous restons à la maison. Plus de réunion, plus de rendez-vous. Les enfants ne vont plus à l’école. Un week-end comme un autre. Mais un week-end qui va durer des semaines, un mois, peut-être plus.

Plus question d’aller au restaurant. Plus question de caser les enfants chez les grands-parents, plus question de regarder les résultats des courses cyclistes après une journée de boulot. Le temps semble s’être arrêté.

Difficile de penser à autre chose qu’à l’épidémie. Difficile de faire autre chose que de tenter de convaincre ceux qui pensent qu’on en fait trop, de s’inquiéter pour nos parents et, même si les statistiques sont en leur faveur, pour nos enfants. Difficile de ne pas penser à comment gérer les enfants si nous tombons tous les deux malades sans pouvoir faire appel aux grands-parents et si les provisions viennent à manquer.

Mais difficile également de ne pas réaliser que, dans notre position privilégiée, cette situation est un prix bien léger à payer si cela permet de sauver des vies.

À ceux qui parlent de catastrophisme, de paranoïa, je ne peux répondre que « quel est le coût d’avoir tort ? ». Est-il préférable de prendre trop de mesures pour une maladie bénigne ou, au contraire, de sous-estimer un fléau mortel ? Nous ne saurons jamais si nous en avons fait trop, mais nous pourrions regretter toute notre vie de ne pas en avoir fait assez.

Quoi qu’il en soit, la rapidité de réaction de l’humanité me convainc que rien ne sera plus jamais comme avant.

En quelques jours, porter un masque en public, habitude typiquement asiatique, est devenue une norme presque mondiale. Faire du télétravail et des téléconférences se révèle soudainement possible même chez les plus réfractaires. Quelques vieillards cacochymes qui toussent ont enfin réussi là où 20 années de réunions mondiales au sommet ont échoué : réduire la production mondiale de CO2 et de NO2.

Soudainement, les milliers d’avions en permanence dans le ciel ne se révèlent pas si indispensables que ça. Soudainement, les millions de tonnes de gadgets en plastique peuvent rester dans leurs conteneurs quelques mois de plus. Soudainement, nous pouvons vivre sans le nouvel iPhone.

La diminution de la pollution liée à cette quarantaine bientôt mondiale sauvera probablement plus de vies qu’elle ne protégera du Coronavirus.

Lorsque la menace s’éloignera, il faudra tout d’abord se battre avec des gouvernements qui auront du mal à rendre le pouvoir extrême qu’ils auront acquis en quelques semaines. Les luttes pour nos vies privées et pour nos libertés devront, pendant des décennies, affronter l’argument de la pandémie. Les abus seront nombreux, des régimes totalitaires se mettront en place insidieusement, profitant de l’aubaine, se camouflant sous des mesures de santé publique.

Mais même sans cela, nous ne reviendrons jamais à « la normale ».

Pour beaucoup, le télétravail sera désormais démontré comme efficace et faire chaque jour 2h de trajet ne se justifiera plus. Pour d’autres, il sera désormais impossible de camoufler que le monde se porte mieux sans leur creusage de trou, leur bullshit job. Certains métiers trop souvent oubliés seront enfin remis à l’honneur: personnel soignant, éboueurs, livreurs, postiers … On découvrira à quel point se passer d’enseignants, de restaurateurs et de personnel d’entretien est éprouvant. Peut-être aurons-nous appris, contraints et forcés, à vivre avec notre famille, à adopter un horaire et un mode de vie imposé par nos proches plutôt que par un patron obsédé de la pointeuse.

Nous commencerons à réfléchir sérieusement à l’idée de payer les gens un revenu de base pour rester à la maison, nous rendant compte que cela ne va pas détruire le monde, mais au contraire le sauver. Nous réaliserons que lorsque nos enfants nous accuseront de n’avoir rien fait pour le réchauffement climatique et que nous leur répondrons que c’était impossible, ils nous pointeront du doigt en disant : « Pourtant, en 2020, vous l’avez fait pour le Coronavirus ! ».

Nous attendons tous, avachis dans nos salons, le retour à la vie normale. Une vie normale qui ne reviendra plus, qui sera à jamais différente.

Oserons-nous encore un jour nous faire un bisou en nous croisant dans la rue, cette coutume qui parait tellement étrange, voire répugnante, pour certains Asiatiques ? Nous moquerons-nous encore de cette personne qui porte un masque dans la rue ? Serons-nous enfin convaincus que la santé n’est pas un bien et que le secteur ne doit pas être « rentable » ? Pourrons-nous enfin ne plus entendre ces abrutis criminels qui refusent tout vaccin et qui sont les bombes à retardement des prochaines épidémies ?

Car, oui, il y’en aura d’autres. Que ce soit dans un an, deux ans, dix ans ou cent ans. Une épidémie future que nous ne pourrons désormais plus nous empêcher d’attendre. De guetter. En prévision de laquelle nous garderons toujours un stock raisonnable de papier toilette, de masques et de gel désinfectant.

Nous ne pourrons également plus nous empêcher de réaliser que nous vivons avec nos proches, que nous les aimons et que, l’immense majorité du temps de notre vie, nous ne faisons que les croiser dans la cuisine et la salle de bain. Nous réaliserons enfin que ceux à qui nous tenons ne sont pas éternels, que nous les avons appelés plusieurs fois pendant la quarantaine alors que cela faisait peut-être 3 semaines, 6 mois ou 1 an que nous n’avions plus le temps de leur parler.

Ce tableur à compléter pour un client, ce rapport à terminer, cette réunion à organiser. Ces embouteillages journaliers pour s’asseoir face à un écran, cet ulcère évité de justesse. Ce match de foot au sommet à la télé. Ils étaient indispensables et, pourtant, nous avons pu soudainement nous en passer pendant plusieurs semaines. À quelles futilités consacrons-nous notre énergie, notre temps, notre vie ? Il sera désormais impossible de ne plus se poser la question.

Rien ne sera jamais plus comme avant.

Photo by Daniel Tafjord on Unsplash

Je suis @ploum, écrivain électronique. Printeurs, mon dernier roman de science-fiction, est disponible en précommande jusqu'au 24 septembre. Si vous avez apprécié ce texte, n'hésitez pas à me soutenir sur Paypal ou en millibitcoins 34pp7LupBF7rkz797ovgBTbqcLevuze7LF. Vos soutiens réguliers, même symboliques, sont une réelle motivation et reconnaissance. Merci !


Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Source: https://ploum.net/rien-ne-sera-jamais-plus-comme-avant/


Despair and Hope: From the Stupidity of Academic Bureaucracy to the Poetry of Bitcoin

Monday 24 February 2020 at 13:55

This is not a structured essay. By letting ideas flow, I want you to share my pain and enlightenment, to travel from the stupid administrative inefficiency of our time to Bitcoin, from the fake marketed revolutions to the real social innovation which is happening right in front of us and might be our only hope to save us from ourselves.

Update September 9th 2020 : this essay is dedicated to the memory of David Graeber

Rambling on my own academic condition

In his essay “The Utopia of Rules: On Technology, Stupidity, and the Secret Joys of Bureaucracy” (a must read), David Graeber brings an incredible insight on administrative societies and describes the root of all problems with two simple yet powerful sentences : Administration used to be a tool to conduct poetic endeavours. Today, poetry and imagination are there to serve the administration.

As I’m struggling with my PhD, not because of the research itself but because of the administrative stupidity, the book shed a new light on my suffering.

Yes, my PhD subject had been accepted by some committee. But for some reason, I’m not a PhD student because I missed the “student” part of it. Nobody told me that I had to also become a student. And when I understood it, the absurdity of the procedure made me throw my laptop in rage after two weeks of effort.

Suffice to say that I had to find a certificate of employment for all my jobs between my master thesis and now. That I had to find back every possible certificate, to scan them and to upload them in a buggy web interface. That this took me several weeks (given the number of documents) and that, on completion, it basically sent me an email with my uploads attached, telling me that I had to go in an office to hand a list of documents, on paper, which were basically the list I had uploaded (with several unexplainable differences).

Previously, I already had to present the original version of my diploma to an administrative service who… gave me the diploma 12 years before. I had to present it not only once but on three different occasions. Because I was a lecturer, a researcher and a PhD student. Thus three different persons called at three different times. The salt of the joke is that I asked what I could do if I would have lost the paper. The answer was straightforward : “As you are from this university, our service would be able to give you a copy.”

This deep and unexplainable absurdity was the inspiration behind my short story “Ticket to Hell” where an atheist man realises that, after our death, we go to the hell we feared the most. Being a true materialist atheist, he never feared any kind of hell and finds himself in a dedal of administrative procedures. Every sequence in the story is something I experienced first-hand. I had so many anecdotes that I could not even put them all in the story. I removed some as “too unbelievable”.

But what strikes me the most is not that we have completely absurd and stupid procedures. It’s the fact that nobody seems to realise it. When pinpointing absurdities, it looks like I’m always the one not understanding it. Or, when I really have the point, I get that terrible yet universal answer: “Well, that’s how it is. You will not change it, better get used to it.”

As Graeber points it out, all human structures are now huge marketing bullshit machines. Everything has to be sold, no new idea can’t be even envisaged if we are not sure we could sell them. And selling became an administrative procedure by itself.

Most academics now have a full-time job: sell their research to some anonymous bureaucrat in exchange of a grant.

Grants are so complex and need so much paperwork that, in my country, there are grants to make the work done to get a grant. I’m not making this up. I was really on a project to get a 25k€ grant that would enable us to work on getting a larger grant. The small grant was part of the project since the start because even bureaucrats realised how hard it was to get the grant. I simply refused to start to fill out paper to receive money to be able to fill out even more papers.

Universities employ staff paid full time to help academics get grants. I met one and he suggested me a grant that would fit perfectly my area of research. There was a catch: a sixty pages long form to fill.

Well, what could take so many pages to fill, I asked?

Not the research description, because nobody cared. But I had to explain what product my research would bring to the market in 2 to 4 years. I had to already give the name of companies which whom I would be partnering to distribute the product. And I had to give an estimation of how many jobs the product will create. A product that needed a scientific breakthrough I had yet to make.

As I was in shock, I looked at the man in front of me in the eyes.
— How did you arrive in this office? I don’t understand…
— Well, it’s not by choice. I’m an astrophysicist.
— What ? But why are you not doing cool astrophysical stuff?
— Because there’s no public money for astrophysics. So I had to get this job, there’s money for that.

Let’s sink that in. There’s not enough public money to pay scientists but there’s public money to help scientists fill paperwork to get public money? Getting a grant is hard, by design. But, as I realised, having a grant is even worse!

The grant I had for one year was subjected to a rule which plague most of the people in my situation: timesheets.

It means that, besides several regular reports (which seems sensible), I had to fill out a form on a very old and buggy platform. The kind of platform that requires Internet Explorer 6 and tenth click to edit a case.

How often?

Every day!

Every damn day you have to tell the platform exactly what you did on an hourly basis. As the platform was a pain to use, it was agreed to do it once a month. Filling your whole month should be taking “only a few hours”.

That’s silly in essence but the worst is yet to come: those timesheets are carefully studied by some bureaucrats. If they consider that what you fill is not really relevant to your research, they don’t pay the grant for that day. The fact that they have no way to understand your research is irrelevant.

But what’s a bit more fun is that the grant is paid to the university which pay you a salary based on a contract. So if you don’t fill the timesheet, you are paid but the university is losing money.

That’s why there are multiple levels of supervision. First, for every 3 to 10 researchers, there’s now a project manager. His job is to make sure every researcher does its administrative tasks. He also often carries some of the administrative tasks that are common to the team but, in the end, he can’t help the researchers more than telling what to do. And, more than often, he doesn’t know. When you are conducting research across multiple departments, you have to deal with multiple project managers that often have contradictive visions.

Then you have the department secretaries, checking that all boxes are green for every researcher. Which makes things funnier because it means, from time to time, filling an Excel sheet to send her the data you already filled in other platforms.

To summarise, it’s hard to find money to do research. But there’s money to pay people to help you get the grant, to pay people to manage the grant and pay people that spend their time trying to not pay the grant or, at least, making sure that being paid is not easy. Money from your taxes that goes to Europe that distribute it, in my case, to the Walloon region who give it to the university who give it to me with each layer taking a cut and trying to make things harder for the layer below.

Seems silly? It’s only the beginning…

To ensure that a timesheet is “good”, several categories of tasks are agreed before the research project starts. When doing your timesheet, you must choose one category for every day then explain what you did in that category that specific day. And it should make some sense. My project had initially 12 very specific categories. None of them were even remotely adapted to my work because the grant was a generic one given before I arrived. Remember those 60-page paper to get a grant? It’s just for the fun. A grant is very often taken by a professor who will spread it around his team. In my case, the grant was unused for several years so I had to write reports for a time before I arrived to make it look better.

But all of that is not an issue by itself as I was instructed several times that, in the timesheets, I was not allowed to read, to attend conferences or lectures nor to write articles during my time. I had to “discover”, “build” or “test”. Teaching was not an option either.

I was part of a meeting where the chief bureaucrat responsible for my grant and several others met with all the involved professors and researchers. Professors travelled from the whole south part of the country for this meeting. For one afternoon, those very bright minds (I was the only not PhD in the room) had mainly one subject of discussion: the format of the timesheets.

At one point, the professor responsible for everything told the bureaucrat as she was complaining about us not filling the timesheets correctly: “Nobody here denies the importance of timesheets but…”. I loudly said: “Yes, I do!” but I was quickly muffled by my colleague and I thought that I would stay calm as it was my very first month on the job.

This is simply not stupid or a loss of time. It’s barbaric, a torture of the mind. I was suffering like I never did. My wife made me get out of the job because I was always in a terrible mood. The job didn’t want me either.

As I asked my PhD supervisor, “but when do you research”. He answered, “weekends. During the week, you buy the legitimacy to research during your free time.”

To add pain to injury, nobody seemed to agree with me. It was seen as an inevitable duty which takes less time if you don’t complain. I ended writing a timesheet generator that would make random sentences that appeared to be linked to my project. When I told my colleagues, thinking they would appreciate it, they were angry. Some were even afraid of the reputation of the team. They told me it was lying.

“It’s lying anyway. You can’t get sick, you can’t read, you can’t write, you can’t attend lectures nor conferences. You even have to put yourself on holiday when you are at a public conference in case the bureaucrats realise that you were not in your office that day but that’s OK because you can timesheet some fake work when you are on private holiday given by the university. All of that is OK for you but generating it randomly is not?”

Apparently, it was not. Publishing this piece alone is very stressful because I fear that most people will see it an exaggeration. It sounds like a ramble from an eccentric lunatic who was unable to comply with rules that others have accepted for decades.

For David Graeber, every ground breaking invention comes from eccentric individuals that can’t fit well in a rigid structure. I’m probably one of those.

Not that I will ever make any groundbreaking things but, as Graeber said, the only way to foster innovation is to get ten eccentrics and let them do whatever they want. Nine of them will lose your time but the tenth will invent something worth everything else.

My suffering in this system makes me probably one of the nine others. If eccentrics cannot become researchers, what will you get from research? Answers is simple: papers. Lots of papers. Academics are not trying to invent or discover anything. They are mostly trying to get papers published. The word “paper” itself is an ode to an anti-poetic administrative society.

From Bitcoin to blockchain

It’s not by accident that Bitcoin was invented out of nowhere by the anonymous Satoshi Nakamoto. Bitcoin could not have been invented by a private company, not to mention academia. It had to spur out of its open source roots. But even open source projects quickly tend to become bureaucratic structures with processes and acclaimed leaders were marketing your contribution is nearly as important as the quality of your code.

By being anonymous then disappearing, Satoshi Nakamoto was truly groundbreaking. Bitcoin is now part of the common good. Everyone can use the code, improve it, try to convince people to use it. Through Bitcoin, the sociological concept of “fork”, were a team splits, each continuing the project with their own vision, became purely technological and functional. The only remaining centralised bit is the name. Who can use the name “Bitcoin”? That’s why we had Bitcoin Cash, Bitcoing Gold, Bitcoin SV and so on.

By replacing fiat money with a decentralised open source project, Bitcoin was set to destroy governments and bureaucracies. Other projects such as Aragon or Colony.io clearly try to replace a centralised structure by a lean, adaptative decentralised one.

Then came the term “blockchain”.

While Bitcoin was mostly seen as a shady scam, a way to buy drugs, even from academics in the field, blockchain quickly carried the impression of an apolitical neutrality. Blockchain is boring. Blockchain is heavily studied, theorised. Blockchain is exciting because it can carry smart contracts. It can be used to track land ownership and pieces of art. It can be used for logistics. Let me underline it once again : who find “contracts” and “logistics” exciting?

While Bitcoin was set to destroy bureaucracy, blockchain is set to serve it.

Bureaucratic capitalism, an oxymoron according to David Graeber, has always used the same strategy: if you can’t destroy it, embrace it. Even the word “revolution” is now a word used to describe a smartphone with a bigger screen. The picture of Che Guevara is one of the most popular images printed on t-shirts produced in China by underage children then sold at an expensive price to western consumers.

The revolution has been marketed.

Same happened for Bitcoin. From an anonymous subversive project with a clear political message (block zero includes a clear reference to the bailout of the banks), it has become an anonymous commercial technology developed by IBM and studied by scholars. All that was needed was to change the name to “blockchain”. Blockchain, which is supposed to represent a decentralised technology, even evolved itself to allow the distinction between permission-less and permissioned blockchains. The later meaning that a central authority has to give a permission to the user of that specific blockchain. Yes, you understand it right: blockchain decentralisation can now be centralised. It’s just a cool new name for “distributed database”.

The remaining true chaotic believers in Bitcoin or other cryptocurrencies have simply been bought. How can you make the revolution if you are insanely rich and profiting of it? Would you try to subvert a system with your bitcoins if the system offers you literally millions of dollars for them? Better sell at least some of them on an exchange and buy a Lambo while it’s the good timing.

By the way, those crypto-exchanges are heavily centralised and regulated. The cryptocurrency fanatics themselves are now impatiently waiting for regulations on their assets in the hope that this would send a green light to other investors and make the price skyrockets.

Another anecdote illustrates this heavy trend. The Counterparty project had the goal to make a decentralised and unregulated exchange based on the Bitcoin protocol itself. Technically, this is simply awesome. Unlike many ICO (Initial Coin Offering, the launch of a new cryptocurrency) that were simply scams or weak projects designed to get easy money from naive investors, Counterparty tried to build stuff in such a way that developers themselves would not have any economic advantages over other users. Most projects offer tokens that you can buy with bitcoins or dollars that are going to the developers. To buy XCP, the CounterParty token, you have to destroy bitcoins, ensuring they can’t be used by anyone else later.

This is deeply groundbreaking.

Interestingly enough, the XCP token was, for sometimes, listed on some centralised exchanges before being removed. When Counterparty or another similar project will succeed and blacklisting or forbidding it will not be enough, there will still be the solution to corrupt the believers in the project by making them rich.

After all, the strategy works well with artists and researchers. Silent them with stupid bullshit jobs, complex administrative procedures. If they still manage to get their voice heard, transform them into a product, make them rich, popular so they don’t want to change the system anymore. Or, at the very least, they don’t have the credibility to do it.

Killing innovation in the name of fostering it

The vast complexity of our society becomes understandable as soon as you accept that any system tries to survive by avoiding and killing any change. While the naive version is to actively prevent any change, which ultimately leads to revolution, bureaucratic capitalism is pretending to foster change, announcing that we are living in an age of unparalleled progress. But, to protect children, this progress should be regulated. A bit like religious inquisitors burning and killing people in the name of love, pretending that this is the only way to create heaven on earth.

Patents are a particularly crystal clear stance of such hypocritical nonsense. In most industries, patents are the very metric of innovation. The words “patent pending” are, for most consumers, the synonym with an innovative solution to a problem.

Yet, the very purpose of patent is to prevent someone else to make use of an invention. Bitcoin itself is using some algorithm called ECDSA while a better solution existed for the same task: Schnorr. Unfortunately, Schnorr was patented, demonstrating that a patent is a way to actively kill innovation or, at least, slow it enough. The work to migrate Bitcoin from ECDSA to Schnorr is an order of magnitude bigger than simply starting with Schnorr. All that energy and time could have been saved without patents.

Getting a patent involves a nightmare of paperwork and, besides counsel fees, involves paying quite a lot of money. This ensures that nobody could get a patent but big bureaucratic corporations.

Having a patent validated doesn’t mean anything. It facts, it means that some anonymous bureaucrat from the patent office didn’t find any clear previous prior art in other patents. A patent can still be invalidated in court. But who can afford legal fees to go in court? Big administrative corporations, of course.

In my career, I worked once for a multinational company in the automotive industry. As a creative R&D engineer, I was given a white card to come with a prototype for a new feature. In only a few weeks, I came up with an algorithm that would automatically guess your destination based on your habits. This simple tool could be used to automatically set up the navigation system of the car as soon as you enter it, greatly improving your experience and warning you about traffic on roads for which you would not take the time to enter the destination in the system (there was no smartphone at the time).

My prototype worked remarkably well and was tested with the data of multiple colleagues. But I was instructed to make a patent out of it. I even received some training to learn how to make my patent the vaguest, to sounds like it includes other stuff already patented elsewhere. That way, it could be used by the company to attack other companies or to defend against such attacks. As I found that unethical, I could not do the required work and my algorithm was never released. I was told explicitly that nothing could be released if not patented, that was a company policy.

Twelve years later, I’ve yet to see one navigation system in a car that can do something that a young engineer could invent in a few weeks and that was highly praised by the testers.

This tells a lot about the state of innovation: through patents, innovation has been transformed into a bureaucratic process mastered by lawyers. There are even academic masters in “innovation” to ensure that no idea can spur spontaneously. The inventors, the engineers are working for nothing unless they can find the tiny bit of innovation that please both the marketing department, the legal department and the whole hierarchy.

Innovation in the academia?

Let me tell you, again, two anecdotes. When I was a student, one of my philosophy professors asked me to take a philosophical stance on a given subject. I explained it successfully. He followed by asking who was the philosopher saying that. I said I was. He was angry and told me that the whole point of the course was not to take my own stance but to know what true philosophers think. My answer was immediate :
— Can you prove that I’m not a true philosopher?
This ended the examination with the lowest successful grade.

Another professor asked me to analyse a 20-page text that was handed to us two weeks before. As I took the text out of my bag, he told be I was supposed to have read the text before.
— Yes, of course, but I did not study it by heart. Did you really expect me to analyse a text without even looking at it?
— Well, that’s how we always did.
— I’m not asking you what you did but if you find it smart or not.
— That’s not the point.
— As it is a philosophical class, I think this is the very essence of the point.
— Forget it, tells me what you remember about the text.

So I did but I pointed out that the text was really badly written and some sentences were not clear. I cited a sentence I remembered as notable and which seemed in contradiction with some part of the text.

— This sentence is not in the text. It’s not what the text is about.
— Well, let me show you, I underlined it (I made the gesture of putting the text out of my bag)
— No! You can’t take the text! You could have notes on it! It’s forbidden! said the professor with a panicked voice.
— Well, then let me show the sentence on your copy of the text.
He hands me the paper. I’m surprised : it’s in English while the text he gave us was in French.
— I don’t understand, mine was in French.
— Indeed, reply the professor. I gave you a translation I found. I thought it would be easier for you. But I prefer to read it myself in the original version.
— Excuse-me but… did you ever read the translation before giving it to us?
— Not really…
— So, basically, you are trying to judge how I memorised a text you didn’t even read yourself?
— …
— I think there’s nothing to add.

I was so angry that I walked out of the room without an eye for the teacher. I was 20 and willing to learn philosophy. Once again, I received the minimal succesful grade. A way to not see me anymore in their classes.

Those anecdotes are not only about two professors. They are the very essence of our system. When I write a blog post detailing some ideas, the negatives reactions are always about the fact that I’m not original, just saying the same thing as someone else. Or that I’m saying the opposite of some famous people. Or that, if I can’t cite who told it before me, then I can’t say anything.

All academic social sciences seem plagued with the same disease. You can’t have any opinion before reading and knowing all the opinions of the “great predecessors”. And once you know them, you are not allowed to differ from what they say. And you are not allowed to think like them because that woul’d be plagiarism.

The summary is clear and is what my philosophy professors were trying to teach me: you are not allowed to think at all. You are only allowed to recite the “great ancients” and to analyse what they said. This is, of course, reminiscent of every decadent civilisation.

Academia has turned upside down. People don’t go to university to learn anymore but to get an administrative form (called “diploma”) that will allow them, they hope, to land a useless but prestigious punching card job with a good salary in an administrative society. They may also use the opportunity to meet other people and create a network. Learning? When some skills will be necessary, they will be learned on-the-fly on a day-to-day basis. At the cost of losing depth and the big picture of the knowledge. If really needed, reading a book worth more than spending hours on a chair listening to someone who has a full-time job getting grants for his/her PhD students and which was selected for that job because she was one of the best to find grants and to memorise answers to arbitrary questions at an exam.

We are not doing innovation, we are doing marketing everywhere.

It’s hard to convince ourselves that we live in an incredible age of innovation. After all, all great science-fiction achievements have been stopped with the 20th century. We have yet to go back to the moon. We are excited to follow a small robot on Mars, something that we did in the seventies. Sure, we have a better camera but that’s all. We are excited by electric cars, something that existed since the inception of cars themselves, only because we were holding back any innovation in that field. Imagine telling someone from 1970 that, 50 years later, we will get excited by electric cars, rocket that barely put satellites in orbit and having a phone in our pocket. A phone that takes all our attention all the time.

As Graeber pointed out, huge bureaucratic infrastructures have historically served for what he calls “poetic purpose”. Poetic is not good nor bad. It’s basically irrational. Like building pyramids, cathedral or rockets to kill other countries or send a handful of men on the moon.

But the bureaucracy is so efficient, so strong that, in order to preserve itself, it now kills any means of innovation, any sense of purpose. Something as seemingly important as “saving the planet so we can live on it” seems impossible because, well, we have to put the administrative procedures in place. Kyoto or Rio or Paris agreements are nothing but transforming the “saving the planet” purpose in a bunch of administrative forms. It simply can’t work.

Administration doesn’t want to change and, thus, doesn’t want to save the planet. It is quite simple to demonstrate it: vastly increasing taxes on fuel looks like a sensible way to reduce consumption of such fuel. This has never been done at a scale, not because of rational arguments but because “it might cost jobs, it might slow the economy”. Well, the whole point is that jobs and growth is what is killing the planet.

We have built a machine to create meaningless jobs in order to foster an arbitrary virtual metric and nobody, by design of the machine, can shut it down even if not doing it implies destroying the whole planet.

As administrative structures seem to go hand in hand with centralised power, our only hope to get back to innovation and to poetic technology is having a look at what can be decentralised.

And this is why Bitcoin is so exciting. Bitcoin is truly decentralised. The defunct Moonshot Express project aimed at sending a bitcoin wallet to the moon. Everybody could then decide to send money to that wallet. Claiming the money on the wallet would involve going to the moon and bringing back a small metal piece. That would be innovative, groundbreaking. Poetic.

In my lengthy introduction, I tried to demonstrate that even “scientific taxes” does not pay researchers. It is used to build a huge bullshit factory around the word “research”. The same applies for entrepreneurship and innovation. There are even grants to help startups get patents!

Thanks to projects like Moonshot Express, citizens could instead send their money directly to the moon, fostering informal technological cooperation. As the project r.loop demonstrated, open source enthusiasts are ready to switch from purely software project to literally rocket science. All in a pure decentralised way. Decentralisation is becoming the politically correct word for anarchism.

This will be heavily disruptive. As Ladrière and Simondon explored it, a technology is disruptive by essence. If it does not disrupt the society, this is not innovation but product marketing.

As the visionary Vinay Gupta pointed out, technologies like Bitcoin and Ethereum, once you remove the “blockchain” marketing crap, enables a new kind of projects were decentralised investors give resources and directions, hoping to get benefits or only for the sake of supporting the project. Transparency and collaboration become the new default. Which is the opposite of an administration which can survive only thanks to its opaqueness.

Unfortunately, we are still living in a bureaucratic world dedicated to marketing. Today’s innovation has been transformed in a pure marketing machine. A company doesn’t sell innovation anymore. It innovates in order to serve the marketing.

Kickstarter and other crowdfunding websites are the epitome of this 100% marketing, no product approach. On Kickstarter, the customer is sold products that don’t exist yet and that have never been tested.

All Kickstarter pages are basically the same with a clean-looking video, some sketches of the product and pictures of smiling people using a fake version of the product. The customer is then asked to pay in advance and to wait.

Which, of course, means that the product is often not completed successfully. But, when it does, one quickly realises that what was good on video is, in fact, unusable in real life. Software is crappy, with an unfinished proprietary cloud platform and no iteration. But that’s not a real problem because, most of the time, we forgot that we paid for a given project two years before. The product is less important than looking cool on social networks. I like to call that “false good idea”. It often ends with the following discussion:

— Wow, look at that cool project.
— Well, it looks cool at first glance but, think about it. This would be unusable in real life.
— Oh, you are so negative. The idea is cool.

The marketing approach is so systematic that there are marketing agencies specialised in Kickstarter marketing to get you contributors. They even go as far as producing your “product” with your logo on it.

We could see Kickstarter as a contribution to research. Giving money without expecting any return. But the worst of all is probably that, given free rein on imaginative products, all we see on Kickstarter are plastic smartphones holders, backpacks for laptops or GPS chips to spy our kids.

We are so used to the imaginary world of marketers that we pay for the right of dreaming to use a product for which we have no need (else, we won’t accept to wait for months or years). Driven by carefully designed dopamine rushes, we tend to spend every waking moment in the curated world of those targeted ads.

Can we still have creative ideas?

As Graeber points out, the Internet, like patents, kill every inspiration because “it has already been done and it failed. Or, worst, because it succeeded.” Or, as I learned through my career : “If nobody has done it, there’s probably a good reason.”

Inventing is impossible. Only selling is acceptable.

Blockchain was no exception with the ICO frenzy. While ICO was, at first, seen as a sensible way for a project to raise money, the ICO bubble made people realise that you only need to create a token (which is a few lines of codes in the Ethereum blockchain) and a good website to raise millions of dollars.

As I was explaining it to my circles, everybody asked me why I was not launching my own cryptomoney. ICO are not about the underlying project anymore anyway. It’s purely about selling yours as the next Bitcoin that will hit 10,000$, despites all the economic fallacies.

Given all those gigantic scams, guess what the public asked?

More regulations of the ICOs! More administrative procedures.

ICO are still an incredible way to fund a project and to bring new kind of governance to decentralised systems. If we get it right, Bitcoin and subsequent technologies could become the administrative layers that would render bureaucracy obsolete.

Bitcoin itself is a pure piece of poetic technology.

But do we really want to break free of our virtual dream world?

After all, the rise of administrative bureaucracy as a goal by itself is heavily correlated with the rise of television which, as pointed out by Michel Desmurget in TV Lobotomie, is highly correlated with an education crisis.

Now that we constantly have in our pocket a television tailored to our short term desires and tastes, now that we forgot how to focus, how to think by ourselves, how to be creative (we grow up surrounded by screens and, as pointed out by Desmurget, this has severe and long-lasting impact on our brains), are we even willing to make the new revolution?

Not by cutting heads but by throwing our screens filled with ads, by stopping to give our hours to meaningless work, by refusing to do stuff that doesn’t make sense, even if we are paid to do it (our jobs) or we are forced to do it (legal forms)?

Don’t count on “democracy”. Elections are only used to choose some public bureaucrats. Ballot is only one kind of administrative form. The whole social choice theory field demonstrated that there’s no objective election system. Arrow theorem can be oversimplified as “voters are not deciding anything, it’s the voting system that makes the result” or “give me the result you want, I will design a voting system that makes it appear as the legit result for every voter”. Nevertheless, academic discussions about voting systems are still limited to “how can we vote using Internet” or, worse, “how can we build a social media to make people vote” (I’m not making this stuff up, those were real discussions I was involved with academic people and high-ranking European politicians).

The future cannot be administratively reduced to votes. As Vinay Gupta likes to say, the future is like another country. We should have diplomatic relationship with the future and not only sending them our trash. We should have a system that envision the future as a part of ourselves, something fluid, lean, permanently changing. Unlike the “Let’s throw that for after the elections” philosophy.

We like to criticise politicians. But they are doing exactly what the system asked them to do. You can throw them all, nothing will change because they are puppets of the system. A good way to illustrate it is that, if you shut down all media, you will realise it’s impossible for the vast majority of the population to know what kind of ideology has won the latest elections and is running the system. If you except some edge cases (that might be very important, like if you are an immigrant without passport in a country suddenly ruled by the extreme right), the system is mostly running alone. The time of reaction between a political action and its effect (when there’s one) is simply superior to the time between two elections. And after an election, the winner usually takes the time to undo everything the president did. In the end, nothing changes. I’m from a small country called Belgium where the electoral game is so complex, forming a government requires agreement between so many parties that it is borderline impossible.

This led the country to become officially without government for very long times, sometimes more than a year. This is for example currently the case.

In reality, nobody realises it. Except for the media, which could as well be describing something happening on another continent. There’s one exception: bureaucrats, who ends up taking decisions or waiting for decisions about which form should go where. If you are not a bureaucrat and not waiting for money from them, life is in fact easier without a government.

Advertising and media, which are in fact the same stuff, are building a world where politicians are supposed to take important decisions, where we should vote and fill out forms to create jobs in order to buy more stuff that will create even more jobs and make us happy.

Screens are made addictives to forbid us to disconnect from this virtuality, to prevent us to dream about innovations and see the world with naked eyes. Resistance looks futile, our future is doomed. Our only hope lies in poetry.

If we throw away our screens, if we start to boycott every single media, if we refuse to do absurd jobs, if we hang marketers and advertisers then we will be able to see the poetry. A poetry which could, maybe, save us all.

Photo by Dmitry Ratushny on Unsplash

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Source: https://ploum.net/despair-and-hope-from-the-stupidity-of-academic-bureaucracy-to-the-poetry-of-bitcoin/


Se passer d’écran avec un téléphone e-ink

Wednesday 29 January 2020 at 16:35

Vivre au quotidien avec le téléphone Hisense A5

Tout ce qui fait de la lumière nous hypnotise. Nous pouvons rester des minutes entières à contempler le crépitement des flammes d’un feu de camp. Lorsque nous rentrons dans une pièce avec une télévision allumée, notre regard est immédiatement attiré, aspiré.

Se passer des réseaux sociaux comme je l’ai fait avec ma déconnexion ? Ce n’est qu’une petite partie du problème. Nous avons toujours en permanence un écran dans notre poche, un écran que nous avons envie de consulter au moindre signe d’ennui, de temps mort. Un écran qui nous satisfait plus que lire quelques pages d’un livre ou de prendre quelques secondes pour méditer.

J’ai réalisé que je n’étais pas addict aux applications sur mon téléphone ou mon ordinateur, mais bien à l’écran lui-même. Que je coupe une activité et je me retrouve, presque consciemment, à tenter d’imaginer ce que je pourrais bien faire pour justifier de passer du temps sur un écran.

Un phénomène que je n’ai pas du tout avec ma liseuse. L’écran est essentiellement réfléchissant. Il n’y pas de mouvements fluides, hypnotiques, d’images.

Logiquement, je me suis mis à la recherche d’un téléphone e-ink, un téléphone sans écran lumineux, sans couleur. Plusieurs modèles ont vu le jour dans les années 2013-2014, mais aucun ne semble avoir eu de succès. Le seul modèle qui semble exister est le Hisense A5, que j’ai décidé d’acheter.

Premier contact

Initialement annoncé à 100$, le Hisense A5 coûte en réalité plus de 200$ sur la majorité des sites d’import. Ajoutez à cela les frais de douane et on est plus proche des 250€. Mais je devais de toute façon remplacer mon téléphone défectueux.

Le Hisense A5 tourne sous Android, mais est fourni en deux langues : anglais et chinois. Pas d’autre choix. À noter que la traduction est incomplète. Les idéogrammes chinois apparaissent un peut partout. Ce n’est pas dramatique, mais certains mouvements lancent des applications en chinois que je n’ai pas réussi à désinstaller. Un peu embêtant.

Autre point d’attention : les services Google ne sont pas installés sur le téléphone. Cela tombe bien, car je voulais justement me passer de Google, mais cela vient avec quelques surprises sur lesquelles je reviendrai.

Un peu de bidouillage est donc nécessaire pour installer vos applications : installer F-Droid et, depuis F-Droid, installer Aurora Store qui permet d’installer n’importe quelle application de l’appstore Google.

L’écran e-ink à l’usage

Le fait d’avoir un écran e-ink est une expérience étonnante. On s’habitue très vite au noir et blanc. L’écran possède deux modes d’affichage (un plus net, mais plus lent, pour les photos, et l’un rapide, pour l’interaction quotidienne). Il est facile de passer d’un mode à l’autre grâce à un raccourci et c’est vraiment très utile.

Après quelques jours, le fait de voir les écrans des autres téléphones semble incroyablement agressif. Ça bouge, c’est coloré, c’est violent. Le téléphone e-ink est incroyablement zen.

Autre particularité de l’e-ink : il est assez lent. Pas question de faire défiler des flux ou des news à toute vitesse. Loin d’être un problème, c’est au contraire une fonctionnalité incroyable. Pendant un temps mort, j’ai le réflexe de prendre mon téléphone avant de me dire « Mais pourquoi je prends ce truc ? Qu’est-ce que j’ai envie d’y faire ? ». Le téléphone e-ink est donc un véritable sevrage !

Pocket, en mode tournage de page, est dans son univers. C’est à peu près la seule application qui donne envie d’être utilisée sur ce téléphone.

Pocket sur le Hisense A5

Pour les applications quotidiennes, le fait d’être en e-ink n’est pas particulièrement handicapant. On s’habitue très vite sauf pour les applications mal conçues dans lesquelles on ne fait pas la différence entre l’activation et la désactivation, le gris foncé (désactivé) et le bleu foncé (activé) apparaissant de la même manière. C’est particulièrement frappant dans Garmin Connect et cela me fait dire que ces applications ne sont pas utilisables par les personnes avec des troubles de la vue comme le daltonisme.

Photos et vidéos

L’appareil photo fonctionne très bien et prend des photos tout à fait correctes, voire belles… une fois affichée sur un autre appareil ! C’est d’ailleurs assez amusant de ne pas pouvoir juger immédiatement du résultat d’une photo. On retrouve un peu l’esprit des appareils argentiques : prendre moins de photos (parce que l’interface est moins réactive et décourage le mitraillage) et ne pas les regarder avant d’être rentré à la maison.

La peur de rater une bonne photo est également une addiction problématique de nos smartphones. Il suffit de voir la foule lors des événements importants : tout le monde regarde le monde à travers son smartphone ! Un écran e-ink, sans résoudre le problème, le rend moins prégnant. Une sorte d’équilibre que je trouve acceptable : on peut prendre des photos, mais cela ne remplace pas la réalité.

Ce sentiment est également présent en voyage, alors que je reçois des photos de ma famille. L’appel vidéo en noir et blanc saccadé renforce l’impression d’éloignement, de distance. Je trouve cela personnellement une bonne chose, car cela permet de se rendre compte de l’importance d’une présence réelle, que le chat et la vidéo ne sont que des succédanés.

Autonomie

La merveille de l’écran e-ink est qu’il ne consomme presque rien ! Lors d’une journée normale, connecté sur le wifi avec un usage léger, je consomme entre 10 et 15% de batterie. En voyage, après une très longue journée en permanence sur la 4G, avec utilisation intensive du GPS, appels vidéo, prises de photo, je n’ai jamais réussi à descendre en dessous de 50% de batterie. En étant attentif (usage limité, mode avion quand pas utilisé), on peut sans problème dépasser la semaine.

Bref, ce téléphone est l’arme absolue du baroudeur : énorme autonomie et obligation de rester en permanence connecté au monde réel autour de soi !

Nous en discutions avec Thierry Crouzet : ce téléphone pourrait bien être le compagnon ultime du bikepacker. Grande autonomie, impossibilité de passer la soirée à trier les photos de la journée et permet de remplacer la liseuse.

En usage courant, je préfère très largement ma liseuse Vivlio, avec écran large, boutons physiques et sans distraction. Mais, en bikepacking où la fatigue rend la lecture très sporadique, le Hisense A5 serait suffisant, permettant d’économiser une grosse centaine de grammes de bagages.

La vie sans Google

Comme je l’ai signalé, ce téléphone ne permet pas d’installer les services Google. Que sont les services Google ? Une couche logicielle qui permet de lier une application avec votre compte Google.

Cela signifie que vous pouvez installez des apps à travers l’Aurora store, mais uniquement des apps gratuites. Cela signifie également qu’il est impossible de se connecter avec son compte Google. Google Maps fonctionne très bien, mais pas avec votre compte (ne vous permettant pas de partager votre position avec vos amis ou d’utiliser vos favoris). Cela veut dire également pas d’import facile de mes contacts depuis mon téléphone précédent.

Personnellement les manques les plus difficiles et pour lesquels je n’ai pas encore de solution sont Google Agenda et Google Musique. Je peste également contre le manque de Google Photos qui me permettait d’accéder immédiatement à mes photos depuis mon ordinateur. J’utilise Tresorit, mais la fonctionnalité d’importation de photos n’est pas vraiment au point et ne semble pas fonctionner sur ce téléphone (tout comme celle de Dropbox).

Autre manque qui m’a surpris : Strava refuse de se lancer sans les Google Services ! Brain.fm me prévient également qu’il ne fonctionnera pas, mais, après avoir accepté l’erreur, se lance sans problème. J’avoue que je ne saurais pas me passer de Brain.fm même si j’ai l’impression que la qualité de son dans mon casque Bluetooth est inférieure à mon téléphone précédent.

Pour le reste, tout fonctionne plutôt bien, y compris Google Maps ou mes gadgets Bluetooth. Certaines applications peuvent cependant avoir de petits soucis : l’appli météo que j’utilise n’arrive pas à obtenir une position. Signal ne me notifie parfois de certains messages que lorsque je lance manuellement l’application. Brain.fm plante parfois si j’utilise d’autres applications pendant qu’il tourne. Et Strava ne se lance pas du tout !

Conclusion

À la lecture de ce qui précède, il est évident que ce téléphone est réservé aux geeks prêts à bidouiller et à faire des sacrifices.

Cependant, pour un téléphone qu’il faut bidouiller et un système Android pas du tout prévu pour un téléphone e-ink, il se comporte incroyablement bien. Contrairement à un LightPhone, très joli sur papier, mais incroyablement limité dans la vie quotidienne (pas d’application bancaire, pas de système d’authentification à deux facteurs, pas moyen de trouver rapidement une adresse), le Hisense A5 est un véritable téléphone.

Je suis persuadé que des interfaces spécifiquement conçues pour e-ink changeront complètement la relation que nous avons avec nos écrans. Je le vois d’ailleurs avec le Freewrite qui, malgré tous ses problèmes software, change ma relation avec l’écriture.

Je crois que je ne pourrais déjà plus revenir à un téléphone traditionnel. J’attends juste que Protonmail sorte son appli agenda pour Android, que je trouve une solution de rechange pour streamer ma musique et ce téléphone sera presque parfait !

Cela signifie également que lorsque je n’ai pas besoin de mon laptop, je me balade désormais sans le moindre écran couleur. Une véritable libération !

Je suis @ploum, écrivain électronique. Si vous avez apprécié ce texte, n'hésitez pas à me soutenir sur Paypal ou en millibitcoins 34pp7LupBF7rkz797ovgBTbqcLevuze7LF. Vos soutiens réguliers, même symboliques, sont une réelle motivation et reconnaissance. Merci !

Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Source: https://ploum.net/se-passer-decran-avec-un-telephone-e-ink/


Linux et minimalisme numérique

Monday 4 November 2019 at 08:33

Petite chronique d’un retour aux sources et à l’essentiel d’un libriste de cœur.

L’intoxication numérique n’est pas simplement liée à la consommation quotidienne de Facebook. Les outils que nous utilisons pour être « productifs » ont également un coût énorme sur notre énergie mentale. Comme le souligne Cal Newport dans ses livres Deep Work et Digital Minimalism, nous avons tendance à ne considérer que le bénéfice potentiel d’un outil, nonobstant les coûts. Ce qui nous mène forcément à la conclusion absurde qu’« avoir l’outil est mieux que de ne pas l’avoir du tout ».

Dans mon esprit, ce surplus de consommation numérique s’est cristallisé avec l’App Store d’Apple. À travers des jolies images et des jolies couleurs, l’App Store avait pour objectif de me faire installer une énième application qui me rendrait plus productif, une énième application certes très jolie, mais dans laquelle je devrais migrer mes données existantes avant d’apprendre à l’utiliser avant de recommencer avec une autre quelques mois plus tard.

Excédé également par la non-configurablité, mais également par les bugs de MacOS, j’ai décidé de regagner ma liberté, de retourner à mes amours. 5 ans de Mac étaient une belle expérience, mais fini de jouer, j’ai désormais envie de revenir aux choses sérieuses.

Plutôt que de tenter une migration app pour app, en trouvant une application équivalente à chacun de mes usages, j’en ai profité pour faire le tri, pour lister toutes les apps et services que j’utilisais afin de les réduire au minimum.

La philosophie

Si j’investis dans un nouveau laptop, la question principale à se poser est « pour en faire quoi ? ». On peut tout faire aujourd’hui avec un ordinateur. Mais quel est mon objectif principal outre faire tourner Linux ?

Dans mon cas, il est très simple : écrire. Que ce soit pour mes projets personnels ou professionnels, je ramène désormais tout à l’écriture (d’ailleurs, si vous cherchez un écrivain/scénariste/vulgarisateur/futurologue, je fais également du mercenariat).

Outre les incontournables mails et un navigateur web, tout ce qui n’est pas directement lié à l’écriture doit être considéré de trop. Je me suis octroyé un seul plaisir : la lecture des flux RSS.

Pour le reste, je m’interdis toute distraction sur ce nouvel ordinateur. Les réseaux sociaux et les médias seront même bloqués. L’idée est que mon cerveau comprenne instinctivement que ce laptop ne sait faire qu’une seule chose : servir de machine à écrire. Plutôt que de lutter en permanence contre la tentation de me distraire, je rends la distraction impossible sur une machine particulière.

Cela résout également pas mal de questions concernant la compatibilité avec tel ou tel logiciel vaguement dispensable. S’il n’est pas indispensable pour me faire écrire (et, au fond, rien n’est indispensable pour écrire dans un fichier Markdown), alors la question ne se pose pas : il n’a pas sa place sur ma machine..

Le laptop

Si Linux me manquait affreusement et que je ne risque pas de regretter une seule seconde MacOS, je ne peux pas en dire autant de la finesse, de la légèreté et de la qualité d’écran d’un macbook. 900 grammes sans ventilateur ni le moindre bruit, difficile de faire mieux.

Mon choix se porte finalement sur le Star Lite de Starlabs. 1,1kg, c’est un peu lourd, un peu plus épais avec un mauvais écran. Mais, avantage non négligeable, il coûte littéralement le quart du prix d’un macbook. À ce tarif, je ne m’attends pas à un miracle.

Je suis surpris cependant par l’aspect général. Pas de plastique, mais cette espèce d’aluminium qui semble très solide. Tellement solide qu’ouvrir le laptop requiert à chaque fois un véritable effort des deux mains. Une fois ouvert, l’écran est nettement moins bon, ultra-sensible aux reflets et bouge légèrement quand je tape au clavier. Le clavier, lui, est l’excellente surprise après des années sur un macbook : quel confort d’avoir de véritables touches ! Je regrette juste que les touches à droite soient fort petites, car, en Bépo, la touche la plus à droite est le W. Il m’arrive très régulièrement de taper un retour à la ligne au lieu d’un W. Mais je ne vais pas me plaindre : le macbook était devenu littéralement inutilisable à cause d’un bug, visiblement très répandu, qui déplace le curseur aléatoirement au cours de la frappe.

Niveau performances, je ne sais pas si c’est le matériel ou Linux, mais tout est parfaitement réactif dans i3. Le macbook consommait très souvent beaucoup de CPU, les sites étaient lents à ouvrir et Antidote était littéralement inutilisable. Rien de tout ça dans le Star Lite, je retrouve une expérience fluide et normale du web et je me réconcilie avec Antidote. Dans un Gnome-shell, c’est une autre histoire, spécialement avec le trackpad. Car le trackpad est une véritable catastrophe. De temps en temps, et je soupçonne que c’est lié à la charge CPU, il va se bloquer, devenir erratique ou très lent.

Mais j’ai décidé de vivre avec, car je souhaite utiliser de plus en plus le clavier. Le Star Lite dispose d’ailleurs d’une touche magique pour complètement désactiver le touchpad. J’adore !

Bref, le Star Lite est loin d’être parfait, mais il est petit, portable, relativement léger, résistant, assez performant pour mon usage minimal et pas cher. Bien que n’ayant pas de ventilateurs, il est cependant bruyant : la RAM cliquète comme sur un vieux desktop des années 90. Je croyais que ça n’existait plus… Ça et l’infernale diode blanche qui m’éblouit en permanence pour me dire que mon laptop est allumé !

Mon workflow de travail

Une conclusion s’est très vite imposée à mes yeux : je devais minimiser les différents stockages de mes données. Il m’est arrivé plus d’une fois de chercher un fichier dans Evernote alors qu’il était dans mon Dropbox ou dans Notions, de ne plus savoir exactement ce que j’avais installé sur ma machine ou de savoir que j’avais interagit avec un partenaire sur un projet, mais sans savoir si c’était sur Slack, Evernote, Google Drive ou par mail.

J’ai, ces dernières années, tenté de me débarrasser des fichiers, d’avoir tout dans Evernote ou tout autre service concurrent que je testais. Mais je réalise aujourd’hui que les mails et les fichiers sont deux piliers incontournables. Ils existeront toujours et je devrai toujours travailler avec. Du coup, comment ne pas ajouter d’autres piliers ?

C’est tout simple : je n’utiliserais désormais plus que des fichiers traditionnels organisés à ma façon. Finis les stacks, les notebooks, les notes. Si un logiciel ne me permet pas de gérer mes données dans des fichiers dans un format ouvert et une structure que je contrôle, je ne considère même pas son utilisation (exit donc Joplin ou Notable, qui sont pas mal mais forcent une structure de répertoires).

En partant du postulat que chaque projet est un répertoire, j’ai, après plusieurs essais et erreurs, fini par aboutir à la structure suivante en 5 répertoires très simples.

Archives : comme le nom l’indique, Archives contient tous les projets terminés ou abandonnés. À noter que, plutôt que de classer par “type”, je considère tout comme un projet. Les photos de mon mariage, par exemple, sont dans un dossier “Mariage” qui contient également le PDF des invitations, le tableur de la liste d’invités et toutes les autres archives. C’est simple, mais il m’a fallu casser l’inclinaison à mettre les photos dans “Photos”, les pdf dans “documents”, etc.

inbox : un répertoire essentiellement vide qui contient les fichiers temporaires ou en transit. Un billet de train, un PDF à imprimer, un document téléchargé que je n’ai pas encore classé, etc.

Workbox : contient les projets en cours qui ne nécessitent pas une attention soutenue. Ce sont plutôt des projets en arrière-plan permanent. Par exemple, le dossier SPRL contenant tout ce qui est relatif à notre société est dans Workbox. Un dossier Aida4 contient tout ce qui est relatif au brevet d’apnée sur lequel je travaille pour le moment. Ma migration vers Linux ou ma recherche de laptop étaient également dans ce répertoire.

Frigobox : répertoire particulier, il contient tous les projets sur lesquels je souhaite m’investir, mais que je m’interdis de faire pour le moment pour éviter la dispersion. La relecture de Printeurs pour en faire un ebook digne de ce nom est par exemple dans Frigobox. Plusieurs billets de blog sont également là-dedans.

Focusbox : les projets sur lesquels je souhaite me concentrer. Quand je suis sur mon ordinateur, c’est dans ce répertoire que je dois être et travailler. Idéalement un et pas plus de 3 projets dans ce répertoire.

Ces 5 dossiers sont synchronisés grâce à Tresorit. J’ai également 3 autres dossiers qui ne sont pas sur Tresorit : Download, un répertoire pour tout ce qui est temporaire et qui peut être perdu, devel, un répertoire qui contient les dépôts git sur lesquels je travaille et Dropbox, pour avoir accès à certaines applications qui nécessitent Dropbox (dans mon cas, c’est la synchronisation avec le Freewrite).

Depuis quelques mois, j’utilise cette organisation et je suis abasourdi par son efficacité. Je ne cherche plus un fichier, j’ai toujours sous la main ce dont j’ai besoin et les fichiers ne s’accumulent pas dans mon HOME.

Mon HOME. Tout simplement.

Logiciels

J’ai insisté sur mon désir de simplification. Comme je cherchais à passer un un tiling window manager, afin de faire tout au clavier et de ne plus avoir de bureau, je suis tombé sur Regolith Linux, un projet qui est exactement ce dont j’avais besoin, à savoir une version d’Ubuntu où le bureau GNOME a été remplacé par i3, mais en gardant certains avantages de GNOME et en étant très accessible aux débutants grâce à un affichage facile des raccourcis clavier. Un bonheur !

Hormis les traditionnels Firefox, Geary (pour les mails) et Feedreader (pour les RSS), le seul logiciel important installé sur ma machine est Zettlr.

Zettlr, combiné à mon organisation en répertoires, a réussi à remplacer pas moins de 4 logiciels macOS. Le fait que tous les répertoires de mon HOME soient dans Zettlr est primordial. Tout semble soudain incroyablement facile et simple.

Zettlr remplace tout d’abord Ulysses comme logiciel d’écriture et d’organisation de mes textes. Il remplace également Evernote comme logiciel de prise de notes. D’ailleurs, je n’ai jamais réussi de manière satisfaisante à trouver un workflow entre Evernote et Ulysses. Mais il remplace également DayOne. J’ai en effet décidé de transformer mon journal personnel en simples fichiers markdown (voir mon script d’export de DayOne vers Markdown). Et, last but not least, il remplace Things, le dernier gestionnaire de todo que j’avais testé.

En effet, plutôt que d’avoir des todos dans un logiciel séparé, je me contente désormais d’écrire le mot magique “TODO” dans le fichier du projet concerné. Bon, je l’avoue, j’utilise également un carnet papier (mais, de toute façon, je jonglais entre différents carnets papier, mon gestionnaire de todo, mes notes Evernote).

Zettlr ne remplace parfaitement aucun de ces logiciels. Mais, dans une volonté de minimalisme, j’ai décidé d’accepter cette “dégradation”, de perdre en fonctionnalités. Je me rends compte, après plus d’un mois à ce rythme, que c’est extrêmement libérateur pour l’esprit. Je courais après la solution ultime alors que, fondamentalement, le coût mental de n’importe quelle solution est bien plus élevé que le bénéfice éventuel.

Tout cela m’a même motivé de me remettre à Vim grâce au livre de Vincent Jousse « Vim pour les humains ». J’essaie de voir si je pourrais répliquer, dans Vim, les fonctionnalités de Zettlr, à savoir la navigation par projet, le mode distraction-free, la création simple d’un fichier dans un projet. Je réfléchis également à passer mes mails et mes flux RSS en ligne de commande, pour utiliser les raccourcis Vim. Chantier en cours, notamment en terme de lisibilité de ma console.

Le retour à la maison

Après 5 années sous MacOS, je ressens mon retour sous Ubuntu comme un véritable retour à la maison. Je n’ai jamais été chez moi sur un Mac. J’ai besoin que mes outils soient alignés avec mes valeurs. Je fais partie de la famille du libre, c’est identitaire chez moi et je dois l’accepter. J’ai trahi mes idéaux par semi-obligation professionnelle, confort et curiosité, mais je me rends compte que cela ne me plait pas.

Je repense à tous ces outils, parfois excellents, qui ont été créés, qui sont devenus une startup avant de disparaitre. Au lieu de créer ma startup, j’ai créé avec mon ami Bertrand le logiciel libre Getting Things GNOME. Je lui ai consacré plusieurs années de ma vie qui s’est traduit en un certain succès d’estime. Contrairement à une startup, je n’en ai jamais tiré le moindre profit financier, mais, aujourd’hui, je suis fier de constater que le logiciel possède encore des utilisateurs qui tentent de le faire revivre. C’est toute la différence entre le propriétaire et le libre : le libre a une chance de survivre à ses fondateurs. Mais les fondateurs, eux, n’ont aucune chance d’en tirer de gros bénéfices.

Aujourd’hui, ce que je cherche dans le libre c’est avant tout la liberté, la simplification. Une simplification dont Ubuntu s’éloigne à mes yeux beaucoup trop, notamment avec son système Snap qui me fait trop penser à l’App Store. Je lorgne pour revenir à mon premier amour libriste, Debian.

En attendant que Regolith fonctionne sous Debian, je liste tout ce que j’ai installé qui n’est pas disponible pour Debian. Mon objectif est de garder cette liste la plus courte possible. Je vous la partage.

En libre, et qui pourrait donc se retrouve dans Debian : Regolith, Zettlr, starlabs-power (optimisation pour la batterie de mon laptop), Signal, Protonvpn-cli, bitwarden et f.lux (redshift ne m’a pas vraiment satisfait). Si vous connaissez un développeur Debian, je serais heureux de donner un coup de main pour faire entrer Zettlr dans l’OS universel !

En non-libre : Tresorit, Protonmail-bridge, Antidote, Minetime (pas moyen de trouver un calendrier libre correct), Dropbox, Remarkable.

Pour les services non-libres, j’utilise également Adguard (sous forme d’extension Firefox), Brain.fm (j’adore ce service qui me simplifie la vie au point de ne pas avoir à choisir quelle musique écouter pour me concentrer).

C’est à la fois beaucoup et pas grand-chose quand je vois tous les services que j’ai résiliés durant ces derniers mois.

Les petits problèmes

Alors, certes, il me reste encore pas mal à faire pour configurer mon laptop aux petits oignons. Mais je crois que c’est le propre du libriste : ce ne sera jamais pleinement terminé. En fait, c’est un plaisir de mettre les mains dans le cambouis plutôt que de tester un énième logiciel propriétaire.

Attention, âmes sensibles s’abstenir de lire la suite, car la définition de plaisir chez un geek libriste est particulièrement retorse.

Dans mon planning, j’ai notamment mis d’arriver à faire une recherche de fichiers depuis Rofi, de travailler ma config Zsh, de faire une config mail Notmuch compatible avec Mutt et Astroid, de me trouver un calendrier en ligne de commande, de tester une vimification du browser (genre Tridactyl, mais faut que je puisse bépoïser tout ça), arriver à désactiver le screensaver quand le laptop est sur secteur (particulièrement ennuyeux quand je donne cours) et faire fonctionner autokey (ou toute autre solution équivalente). Arriver également à lister les TODOs dans mes différents fichiers, par exemple grâce à un plugin Vim.

Si vous n’êtes pas un geek linuxien un peu hardcore, le paragraphe précédent doit être du pur chinois pour vous. C’est normal, c’est signe que je suis revenu dans mon élément naturel !

Il y’a 15 ans, je lançais ce blog avec l’optique de convertir les windowsiens à Linux, j’abandonnais Debian et Fvwm pour Ubuntu et GNOME afin de me mettre dans la peau d’un utilisateur lambda. Peut-être qu’aujourd’hui, je peux redevenir moi-même. Et tant pis si personne d’autre n’arrive à utiliser mon laptop.

De toute façon, il est en Bépo…

Photo by Patrick Fore on Unsplash

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Source: https://ploum.net/linux-et-minimalisme-numerique/


Mon philou a fait plouf !

Wednesday 2 October 2019 at 23:25

Phil a fait son dernier plouf. Comme tout bon apnéiste, il a pris sa dernière inspiration.

Ce serait tellement facile de parler de ton sourire omniprésent. Tout le monde le fait. Alors je profite de ce blog pour raconter une histoire rare : la seule fois où je t’ai vu ne pas sourire.

Tu conduisais la camionette. On te disait tous que, avec une remorque bringuebalante, 130km/h, c’était un peu rapide. Tu nous répondais « Boaf » en riant. On t’a dit qu’il y’a avait un combi de flic derrière nous. Tu nous as répondu « Boaf » en riant. Le combi de flic nous a fait signe de nous ranger sur le bas côté. On a éclaté de rire. Sauf toi. Tu es descendu tout penaud te faire sermonner. Tu avais un petit d’air d’enfant qui se fait gronder, tu ne riais pas.

Dans la camionnette, par contre, on était tous hilares !

Quand tu as repris le volant, tu as quand même fait « Boaf » et ton sourire est revenu.

L’eau noire de nos carrières n’aura plus la même saveur sans toi pour les agiter en crawlant comme un phoque parce que « ça te décoince les trompes d’eustache ». Les billets de ce blog seront un peu plus seuls maintenant que tu ne les liras plus, que tu ne m’enverras plus tes commentaires plein de tendresse et de jeux de mots foireux.

Notre seul espoir c’est que, là-bas, tu arrives à les embobiner avec une combine foireuse dont tu as le secret pour qu’on te renvoie ici, avec nous. Genre le coup du bateau prêté par l’université que tu as démonté pour tenter de le faire fonctionner sans clé de contact avant que l’on comprenne que, si tu n’avais pas la clé, c’est parce que l’université n’était pas au courant de sa générosité à ton égard.

Je préfèrais quand t’étais à la bourre que quand tu pars à l’avance. Tout risque de tourner trop rond sans toi.

Putain Mon Philou, tu nous manques déjà…

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Sauvons la planète de l’écologie hystérique

Friday 27 September 2019 at 13:08

Régulièrement, des lecteurs me demandent pourquoi je ne traite pas d’écologie sur ce blog. Après tout, la planète est en danger, il faut agir. Pourquoi ne pas écrire sur le sujet ?

La réponse est toute simple : je parle d’écologie. Souvent. Presque tout le temps. Je milite pour sauver la planète, je raconte des histoires pour sensibiliser mes lecteurs.

Mais, contrairement à cette hérésie médiatique et millénariste qui s’est emparée de l’humanité, je ne cherche pas à effrayer. Je veux que les choses changent réellement en traitant le problème à la racine.

En hurlant, en manifestant, en lapidant le malheureux qui aurait encore des ampoules à incandescence, nous ne faisons que hâter notre perte. Nous sommes en train de détruire nos enfants, d’en faire des névrosés, des intégristes. Nous leur montrons l’exemple d’une jeune femme qui brosse l’école pour traverser l’atlantique sur le voilier d’un milliardaire afin de servir de faire-valoir ou de repoussoir électoral aux politiciens. Nous les culpabilisons en leur disant d’agir, de s’agiter médiatiquement, en les décourageant de prendre le temps pour apprendre et réfléchir. Récemment, une gamine de sept ans à qui je tentais vainement d’expliquer que couper un arbre n’était pas un crime, que c’était parfois bénéfique et nécessaire, m’a répondu : « De toutes façons, je préfère mourir que de polluer ».

C’est extrêmement grave. Nous imposons notre culpabilité, notre sentiment d’impuissance à nos enfants. Nous les transformons en ayatollahs d’une idéologie aveugle, irrationnelle, cruelle, inhumaine. Une religion.

La dangereuse violence du potager

Le discours collapsologiste devient la norme. Tout le monde veut apprendre à cultiver son potager, à chasser pour survivre.

Mais personne ne réfléchit qu’il y’a une raison toute simple pour laquelle nous sommes passé à l’industrialisation. Ce n’est pas par plaisir que l’homme a construit des usines. Mais parce que c’est plus efficace, plus performant. Que cela a permit à la majorité de l’humanité de ne plus crever de faim et de misère.

Ce pseudo moyen-âge idéalisé auquel beaucoup aspirent signifie, avant toute chose, la famine en cas de mauvaise récolte ou d’accident, la mort par maladie, le handicap à vie pour de simples fractures.

Nous oublions que les chasseurs-cueilleurs et même les paysans du moyen-âge disposaient de plusieurs hectares par individu, ce qui leur permettait de subsister de justesse. Pour revenir à cet état, il faudrait d’abord se débarrasser de l’immense majorité de l’humanité. Et cela se ferait tout naturellement grâce à la guerre et aux massacres pour conquérir les territoires fertiles.

Si vous croyez à l’effondrement, ce n’est pas la permaculture que vous devez apprendre mais le maniement des armes. Ce ne sont pas les conserves qu’il faut stocker mais les munitions. Au moyen-âge, les villages étaient régulièrement razziés ou sous la protection d’un seigneur qui levait d’énormes impôts. Dans le monde des collapsologues, le maraîcher d’aujourd’hui est donc le serf de demain. Militer pour un retour au potager individuel, c’est littéralement militer pour la guerre, la violence, la lutte pour des ressources rares.

Le réchauffement climatique est un fait établi, indiscutable. Il sera probablement pire que prévu. L’inaction politique est bel et bien criminelle. Mais en devenant tous des survivalistes, nous créons une prophétie autoréalisatrice. Nous nous concentrons sur l’obstacle à éviter.

Traiter le mal à la racine et non ses symptômes

Pourtant, malgré les changements désormais inévitables de notre environnement, l’écroulement de la société n’est pas inexorable. Au contraire, nous sommes la société et celle de demain sera ce que nous voulons qu’elle soit. Nous pouvons accepter la situation comme un fait, utiliser notre intelligence pour prévoir, mettre en place les infrastructures qui rendront le réchauffement moins tragique en réduisant le nombre de morts.

Ces infrastructures sont tant techniques (eau, électricité, internet) que politiques et morales. En créant des outils de gouvernance décentralisés, nous pouvons augmenter la résilience de la société, nous pouvons asseoir les principes collaboratifs qui nous feront vivre au lieu de survivre. En militant pour la libre circulation des personnes, nous pouvons tuer dans l’œuf les conflits le long d’arbitraires frontières. En luttant contre les ségrégations, nous éviterons qu’elles ne se transforment en un communautarisme violent lorsque les ressources se raréfieront.

Avant toute chose, nous devons apprendre à traiter les causes, à comprendre au lieu de nous voiler la face en rejetant la faute sur des concepts arbitrairement vagues comme « les politiques », « l’industrie », « les riches » ou « le capitalisme ».

Pourquoi consommons-nous autant de ressources ? Parce que nous y sommes poussés par la publicité. Pourquoi y sommes-nous poussés ? Pour faire tourner l’économie et créer des emplois ? Pourquoi voulons nous créer des emplois ? Pour consommer ce que nous croyons vouloir à cause de la publicité. Nous devons sortir de ce cercle vicieux, le casser.

Il faut arrêter de créer de l’emploi. Il faut travailler le moins possible, nous sommes déjà trop productifs. Il faut décrédibiliser la publicité et le marketing. Il faut apprendre à être satisfait, à avoir assez. Or, c’est impossible dans un monde où le produit le plus vendu est désormais la malléabilité de notre cerveau. À travers Facebook et Google, nous sommes en permanence scrutés et façonnés pour devenir de bons consommateurs émotionnellement réactifs. Nous militons contre le réchauffement climatique sur… des pages Facebook ! Ce qui va nous exposer à des publicités pour des projets Kickstarter de vélos pliants jetables fabriqués au Turkménistan et à des posts “likés” à outrance qui renforcent nos croyances, tuant tout recul, tout esprit critique.

Chronique d’un effondrement souhaité

Si notre priorité est réellement la santé future de nos enfants, la mesure la plus simple et efficace serait d’interdire immédiatement la cigarette dans l’espace public, y compris l’électronique dont on remarque qu’elle est extrêmement nocive et pousse à l’usage du tabac chez les jeunes.

La cigarette est un marché hyper polluant dont l’objectif est de polluer les poumons des clients et de leur entourage tout en polluant les nappes phréatiques et nos sols (avec les mégots). Or, combien de marcheurs pour le climat s’en sont grillé une, souvent juste à proximité d’enfants ?

Comment peut-on un instant imaginer être crédible en demandant un respect assez abstrait de la planète à une entité abstraite que sont « les politiques » lorsqu’on n’est concrètement pas capable de respecter son propre corps ni celui de ses propres enfants ?

Après la cigarette, il faudrait attaquer la voiture. Avec une solution toute simple : augmenter le prix de l’essence. Transformer l’essence en gigantesque taxe de la voiture. Les mesures factuelles le prouvent : la consommation ne dépend que du prix. Une voiture qui consomme moins roulera plus si le prix n’est pas augmenté. Mais les gilets jaunes nous ont démontré avec quelle énergie nous sommes capables de nous battre pour avoir le droit de polluer plus, de consommer plus, de travailler plus.

Ce que nous disons à nos enfants, c’est qu’ils sont coupables, qu’ils doivent sauver le monde que nous détruisons sciemment. Nous leur faisons peur avec le glyphosate, qui pourrait éventuellement être toxique, même si ce n’est pas certain sur de petites doses, en leur servant un steak de viande rouge bio qui lui, est un cancérigène certain.

Nous entretenons leur peur avec l’aluminium dans les vaccins, avec les ondes wifi, avec le nucléaire alors qu’une seule journée dans les embouteillages sur l’autoroute et une soirée avec des fumeurs sont probablement plus néfastes pour le cerveau que toute une vie avec une antenne wifi sur la tête. Tous les effets secondaires des vaccins ne pourront jamais faire autant de mal qu’une simple épidémie de rougeole.

Les scientifiques qui travaillent sur le nucléaire et qui ont des solutions concrètes aux inconvénients de cette technologie (le danger d’explosion, les déchets) s’arrachent les cheveux car ils ne peuvent plus avoir de budget, ce qui a pour effet de réactiver des vieilles centrales dangereuses ou, pire, des centrales à charbon qui tuent silencieusement des milliers de gens chaque année en polluant notre atmosphère.

Nos peurs hystériques sont en train de créer exactement ce que nous craignons. L’écologie collapsologiste met en place presque volontairement la catastrophe qu’elle prédit. Au nom de l’amour de la terre, les grands inquisiteurs nous torturent afin que nos souffrances psychologiques rachètent les péchés de l’espèce.

L’apocalypse instagramable

Voir des millions de gens marcher pour le climat m’effraie autant que voir d’autres se réchauffer autour de braseros dans leur gilets fluos. J’ai l’impression de voir un troupeau écervelé, bêlant à la recherche d’un chef. Un troupeau qui ne sera satisfait que par des mesures absurdes, médiatiques, spectaculaires. Un troupeau qui a trop de pain et demande de plus grands jeux (car, oui, l’obésité tue plus aujourd’hui que la malnutrition).

La réalité n’est malheureusement jamais spectaculaire. Réfléchir n’est jamais satisfaisant. C’est d’ailleurs la raison, bien connue des psychologues, pour laquelle les théories du complot ont tant de succès. Nous voulons du spectaculaire, du bouleversant. Et le tout sans changer nos habitudes. On veut bien acheter des ampoules plus chères et manifester mais si le changement climatique devient trop dérangeant, on se contentera de dire que c’est un hoax des gaucho-scientifiques. Ou que c’est la faute des politiques.

Sortir du tout à l’emploi, refuser le consumérisme, prendre du recul sur notre rapport à l’information, repenser nos modes de gouvernance. Prévoir des infrastructures d’eau potable et d’électricité mondiale. Décentraliser Internet. Tout cela, malheureusement, n’est pas assez likable. Mélanie Laurent ne pourrait pas en faire un film. Greta Thunberg ne pourrait pas justifier une traversée de l’atlantique.

C’est tellement plus facile de crier à la destruction totale, de trembler de peur, de se réjouir parce que tout un quartier a réussi à faire pousser cinq tomates, de payer pour avoir l’honneur de sarcler la terre du champs de Pierre Rabhi ou de prendre un selfie sur Instagram avec une « star de la méditation qui prie pour l’union des consciences » (je n’invente rien). Ça fait moins peur de mourir à plusieurs, chante très justement Arno.

C’est plus facile, cela nous donne bonne conscience au moindre effort. Malheureusement, c’est au prix de la santé mentale de nos enfants. Nous sommes en train de détruire psychiquement une génération parce que nous refusons de pousser la réflexion, d’accepter nos erreurs, d’évoluer, de penser plus loin que les grammes de CO2 émis par notre voiture de société.

Un péché héréditaire

Ma génération était à peine née lorsque quelques australiens demandèrent à nos parents comment ils pouvaient dormir alors que leurs lits étaient en train de brûler. 32 années plus tard, force est de constater que nous n’avons fait que transformer une évidence scientifique en hystérie collective. Que nous n’avons fait que reporter la culpabilité, en la décuplant, sur la génération de nos enfants. Avec un effet positif quasiment nul.

La maison brûle mais au lieu de leur apprendre à se servir d’un extincteur ou à sauter par la fenêtre, nous leur enseignons à courir en cercle en hurlant le plus fort possible tout en prenant des selfies. Nous leur faisons couper les robinets et nous leur apprenons à disposer des cristaux magiques qui, par leur « énergie vibratoire », devraient éteindre l’incendie.

Notre seul espoir est qu’ils s’en rendent compte avant d’être définitivement traumatisés. Qu’ils nous envoient paître plus rapidement que ce que nous avons fait avec nos parents. Qu’ils nous renvoient à la figure nos marches pour le climat, nos supermarchés bio avec des parkings pour SUV, nos pages Facebook pour gérer les potagers partagés et nos partis écologistes qui veulent avant tout créer de l’emploi et détruire le nucléaire. « Tu faisais quoi papy pour lutter contre le réchauffement climatique ? » « On allait marcher dans la rue pour que d’autres fassent quelque chose ».

Plutôt que de mettre la pression sur les générations suivantes et d’accuser les générations précédentes, ne pourrait-on pas prendre nos responsabilités intergénérationnelles et s’y mettre tout de suite ? Ensemble ?

Parler d’écologie ? C’est peut-être avant tout lâcher le plaisir immédiat de l’indignation facile et parler de notre consommation, de notre responsabilité à sélectionner ce que nous donnons à ingurgiter à notre cerveau.

Photo by Siyan Ren on Unsplash

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Source: https://ploum.net/sauvons-la-planete-de-lecologie-hysterique/


How I learn to stop worrying and love the decentralized future

Tuesday 17 September 2019 at 15:51

Even if everybody is not realizing it consciously, our world is becoming incredibly more virtual, borderless and decentralized. Fighting the trend may only make the transition more violent. We may as well embrace it fully and ditch our old paradigms to prepare for a new kind of society.

How we built the virtual world

Virtual reality is always depicted by science fiction as something scary, something not so far away that allows us to spend our time connected to imaginary worlds instead of interacting with the reality. An artificial substitute to a good old-fashioned life, a drug, an addiction.

Is it a dystopian prediction? Nowadays, white-collar workers spend most of their wake time interacting through a screen. Answering emails for work, chatting with colleagues on Slack, attending online meetings on Skype, looking at their friends Instagram during breaks and commutes, playing games and watching series in the evening.

The geographical position of the people with whom we interact is mostly irrelevant. That colleague might be just a few metres across the room or in the Beijing office of the company. That friend might be a neighbour or a university acquaintance currently on a trip to Thailand. It doesn’t matter. We all live, to different degrees, in that huge global connected world which is nothing but a virtual reality.

This can be observed in our vocabulary. While, only a few years ago, we were speaking of “online meetings”, “remote working” and “chatting on the Internet”, those have become the norm, the default. It has to be specified when it’s not online. Job offers should announce that “remote working is not possible for this position”. There are “meetings” and “on-premise events”. You would specify that you meet someone “in person”. Even the acronym “LOL” is now commonly used as a verbal interjection “in real life”. That “real life” expression which is often used as if our online life was not real, as if most of our wake time was imaginary. As an anecdote, the hacker culture coined the term AFK, “Away From Keyboard”, to counter the negative connotation implied by “non-real life” but we are now connected without keyboard anyway.

Blinding ourselves to post-scarcity

Part of the appeal of our online lives might lie in the limitless capabilities. In that world, we are not bounded by the finite resources of matter. We can be everywhere in the world at the same time, we can take part in many discussions, we can consume many contents, learn, entertain ourselves. In fact, we can even have multiple identities, be our different selves. At the same time!

While most of our economy is based on scarcity of goods, the online world offers us a post-scarcity society. As businesses move online, barriers and limitations are gradually removed. The only remaining scarce resource is our time, our attention. That’s why the online economy is now dubbed “economy of attention” even if a better word would probably be “economy of distraction”. But even in the craziest science-fiction books, post-scarcity is rarely imagined, The Culture, by Iain M. Banks, being one of the famous exceptions.

In that new world where geographical location and passport identity don’t really matter, we rely on some technical “tricks” to apply the old rules and pretend nothing has changed. Servers use IP addresses to guess the country of the client computer and follow the local legislation, not even considering that using a VPN is a common practice. State officials use the geographical location of a physical hard drive to know which regulation to follow, trying to blind themselves to the fact that most data are now mirrored around the world. They might also use the country of residence of the owner of those computers, company or individual, to claim taxes. Copyright enforcements and DRM are only legal and technical ways to introduce artificial scarcity paradigms in a post-scarcity environment.

But those are mainly gimmicks. The very concepts of country, local regulation, border and scarcity of information is not making sense any more for the rich and educated part of the population. This was already the case for quite some time for the very rich and their tax-evasion schemes but it is becoming every day more and more accessible for the middle class. History repeats itself: what starts as luxury become more common and affordable before becoming an evidence which has always been there.

One might even say that’s one reason borders are becoming so violent and reckless: they are mainly trying to preserve their own existence, from invasive, annoying and meaningless controls at airports to literally going to war against poor people. Refugees are running away from violence and poverty while we try to prevent them to cross an imaginary line which exists only in our imagination. Lines that were drawn at some point in history to protect some scarce resources which are now abundant.

Is it going too far to dream about a borderless post-scarcity world?

The frogs in the kettle of innovation

Innovation and societal change happen very rarely through a single invention. An invention only makes sense in a broader context, when the world is ready. The switch is often so subtle, so quick that we immediately forget about our old notions. Just like the frog in a boiling water kettle, we don’t realize that a change is happening. We are still telling our children to eat all their plate because people are dying of hunger. But what if we told them that there are currently more people dying from eating too much?

If you invented the road bike during the Middle Ages, it would have been perceived as useless. Your first bike prototype would not cope with the roads and paths of that time. And it would anyway probably cost a lot more than a horse, which was able to travel everywhere. After the era of the horse and the era of the car, we are witnessing that bike might become the best individual transportation platform inside a city. In fact, it is already the case in cities like Amsterdam or Copenhagen.

Are Danish and Dutch bikes different? Absolutely not. The cities are. They were transformed to become bike-friendly just like we purposely transformed our cities to become car-friendly at the start of the twentieth century. Urban planners, car makers and economic interests worked together for decades to create a world where a city without cars is unthinkable. From luxury goods, cars became affordable then obvious. A city without cars? It would be like a country without borders, a citizen without citizenship…

As recently as 15 years ago, mobile Internet was seen as a useless toy by most but a few elite. You could only access WAP specific websites and the connection was awfully slow. This didn’t matter because most of our phones had black and white screens unable to display more than a few lines of text. Even laptops were heavy, slower and more expensive than their desktop counterpart. Plugging in an RJ45 cable was required to access the Internet. They were available in most hotel rooms.

In 2007, Apple invented the first “smartphone” with a screen and without a keyboard (much to the laughs of Blackberry owners). There was not even apps at the time but, suddenly, the infrastructure came into place. 2G became 3G became 4G. The market asked for better coverage from mobile phone operators. Developers started to design “apps”. Websites became “alternative mobile version available” then “mobile first” then “responsive”. In less than a decade, we moved from “mobile Internet” being a useless geek dream to the default reality. Most Internet usage is mobile nowadays. If not on a mobile phone, people work on a very light laptop in a coffee shop, connecting through their phone network because the coffee shop’s wifi is not fast enough for them. My own internet connection has half the speed that 4G on my phone. The move was so quick, so efficient that we immediately forgot what it was like to not have mobile Internet. We switched from “crazy geek dream” to a “granted normality” without intermediary steps. From a luxury to affordability to obvious in only a few years.

Blockchains are the first seed of true decentralization

We are witnessing the same process with blockchains and decentralization initiatives. Most people are currently dismissing it as “a geek dream”, “a bike in the Middle Ages”. But the infrastructure is moving. Some of today’s solutions will be dismissed, like WAP websites. Some are temporary measures. But the whole world is moving toward more decentralization, fewer borders, less material constraints, less scarcity.

Blockchains and decentralized technologies are only a thin layer of innovations applied on the whole telecommunication stack. They are the icing of the cake which may kill forever the whole idea of our world being a scattered set of countries randomly spread around the globe.

With the invention of Bitcoin and other cryptocurrencies, states become powerless when it comes to controlling citizens wealth and collecting taxes. What is their added value in a world where decisions can be taken through new collective and decentralized governance mechanisms? Citizens are starting to choose their country of citizenship as a service, comparing offers and advantages. While places like Monaco, Panama and Switzerland have long been on this market as an “exclusive club for the rich elite”, Estonia is pioneering the “country for digital nomads” niche with its e-citizen program. Countries are mostly becoming identity providers. But this might be temporary as a state-certified identity may become the next RJ45 cable: useful only in some circumstances for a given set of people, unknown to others. Identity will move from “a name on a passport issued by an arbitrary state” to something a lot more subtle, more related to your reputation amongst your peers. Being stateless may become common.

Fighting decentralization or helping to build it?

This evolution might be exciting for technologists facing the painfully slow heaviness of a centralized administration designed in the 19th century, for activists fighting corruption. But it might also frighten the social-minded people who see the state as a tool of redistribution and protection of the minorities.

The danger would be to focus only on possible problems to fight this globalization trends as a whole, opposing the decentralization technologies themselves. Some may try to preserve the nation state paradigm at all cost with a simple argument : “We cannot let people decide by themselves”. In a way or another, every single argument against decentralization is a variation of this authoritarian thinking.

But don’t worry. By its very nature, decentralization is resilient. It cannot be stopped. Fighting it can only add more violence to the transition. Fear of decentralization will probably give fuel to opposition forces with specific interests like authoritarian states and centralized monopolies but, on the historical level, this will be nothing more than a hiccough.

The question we are facing is straightforward: how to build a decentralized and borderless future respectful of our values?

The answer is, of course, a lot more complicated as we have very different, sometimes conflicting set of values. One thing seems clear: we cannot blindly trust one centralized power to do it for us. As shown by the Trump election or the Brexit, the representative democracy paradigm itself is failing as it is now merely a game of stealing your attention to gain your vote. Decentralization will be built, well, it goes without saying, in a decentralized way. In fact, it is happening right now.

Where the states have failed

Decentralization is not “nice to have”. It is a mandatory requirement to address issues where states have demonstrated their incompetence. In the best scenarios, governments are making really slow progress while, in some case, they are simply worsening the situation or opposing any form of resolution.

Global warming is one of the failures of our heavy and slow nation-state world. Despite a palpable sense of urgency, there’s a shared feeling that “nothing has been done”, that the states cannot handle the situation. Heads of state are proud to sign an “agreement” with the name of a city but is it enough?

Governments and states were designed to handle local communities and to go at war with each other, not to manage a global society. Most public administrations are still following a military-like chain-of-command design. What can we expect when nearly 8 billion humans are relying on a few hundred brains to solve the most important global problems?

Historically, every centralized regime has died under its own weight and has been overthrown by chaotic and decentralized collective intelligence.

By investing and building more decentralized solution, we are effectively building a new society where horizontal collaboration is the new norm. We are translating our values into code with the hope that this will preserve those values as there might be no chiefs to impose them any more. Today’s decentralized software projects are, right now, writing in their code what they think an identity should be, what the relations between two humans should be, what the minimal rights should be, what is allowed or not. Sometimes it is highly explicit and even the goal of the project, such as Duniter, a cryptocurrency with a built-in basic income mechanism, sometimes it is subtle and implicit. In any case, the source code we are writing today is the constitution of tomorrow.

Solving the unsolvable, inventing tomorrow

Our societies evolved because we were living in an infinite world with very scarce resources to survive. Today, we are transitioning toward a world where the planet is the only scarce resource while everything else is abundant.

What we choose to work on is telling a story about the future we want to build. This is a deep responsibility and may explain why so much effort goes into decentralization.

Because the goal of decentralization is not to overthrow centralized regime but to collectively solve problems where our billions of brains are needed. The end of states, the evolution of identity and the post-scarcity society will only be consequences.

Photos by Matthieu Joannon, Alina Grubnyak, Alina Grubnyak again and Clarisse Croset on Unsplash

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Source: https://ploum.net/how-i-learn-to-stop-worrying-and-love-the-decentralized-future/


À la poursuite du minimalisme numérique

Monday 9 September 2019 at 13:18

Souvent galvaudé, essentiellement transformé en argument marketing, le mot « minimalisme » est difficile à définir. Il évoque à la fois un design épuré et une frugalité volontaire.

Mais c’est Cal Newport, dans son livre « Digital Minimalism », qui en donne une définition qui me convient et qui m’inspire. Le minimalisme, c’est la prise en compte du coût total de possession d’un bien ou d’un abonnement à un service.

Si l’on vous offre un objet, vous avez intuitivement l’impression d’être gagnant. Sans rien payer, vous êtes propriétaire de cet objet. Mais l’achat ne représente qu’une fraction du coût total de possession. Il va en effet falloir ranger cet objet, ce qui prend du temps et de l’espace. Il va falloir le gérer, ce qui est une charge mentale. L’entretenir, le nettoyer. Puis, fatalement, il va falloir vous en débarrasser, ce qui demande souvent un effort, une gestion et du temps. Parfois, il faut même payer même si d’autres fois, vous pouvez récupérer un peu d’argent en le revendant. Mais s’en débarrasser représente également une charge émotionnelle si l’objet était un cadeau ou si vous avez construit un attachement sentimental à cet objet. Une charge sentimentale qui peut devenir un fardeau.

En tout et pour tout, chaque objet que nous possédons a donc un coût énorme, même si nous ne l’avons pas payé. Mais il peut également avoir un bénéfice, c’est d’ailleurs tout l’intérêt de l’objet.

Le minimalisme consiste donc à évaluer le rapport coût total/bénéfice de chacune de nos possessions et se débarrasser de ce pour quoi le bénéfice n’est pas assez important. Le minimalisme, c’est donc lutter contre l’intuition que « posséder, c’est mieux que ne rien avoir », une logique consumériste inculquée à grand renfort de marketing dans nos malléables neurones.

Dans son best-seller, la grande prêtresse du rangement Marie Kondo ne dit pas autre chose. Sous prétexte de « rangement », elle passe 200 pages à nous convaincre de jeter, jeter et encore jeter (dans le sens « se débarrasser », donner étant acceptable, mais, aujourd’hui, même les associations de recyclage de vêtements croulent sous des tonnes de loques dont ils ne savent que faire ).

La subtilité de la définition du minimalisme de Cal Newport, c’est que la notion de coût et de bénéfice est intiment personnelle. Elle dépend de vous et de votre vie. Le minimalisme de l’un sera très différent de celui de l’autre. Il ne s’agit donc pas de réduire ou d’unifier, mais de conscientiser nos usages. En ce sens, le minimalisme devient alors l’opposé de l’extrémisme. Il est individualiste, devenant une sorte de quête de simplicité propre à chacun.

Mon expérience de bikepacking n’est finalement rien d’autre qu’une quête minimaliste exacerbée. En bikepacking, chaque gramme superflu se paye comptant. Outre le poids, l’encombrement est également un facteur important. Il est tout naturel que je cherche à appliquer les mêmes préceptes au monde numérique.

Dans le monde numérique, le coût est plus difficile à quantifier. Chez moi, il pourrait se résumer à l’adéquation à mes besoins, l’efficacité et le respect de mes valeurs éthiques.

Retour à Linux

Depuis 5 ans, j’utilise principalement un Mac, souvenir de mon dernier employeur. Si l’expérience fut intéressante, j’éprouve un besoin viscéral de retourner sous Linux. Tout d’abord parce que je trouve que MacOS est un système effroyablement mal pensé (apt-get, où es-tu ?), aux choix ergonomiques parfois douteux (la croix qui minimise l’app au lieu de la fermer) sans pour autant que ce soit plus stable et moins buggué qu’un Linux.

Mais la première des causes, c’est que je suis un libriste dans l’âme, que l’univers Apple et son consumérisme d’applications propriétaires va à l’encontre de mes valeurs.

Plutôt que de tenter de trouver des équivalents Linux à toutes les apps que j’utilise depuis ces dernières années, j’ai décidé de simplifier ma façon de travailler, de m’adapter.

Ainsi, j’ai remplacé Ulysses, Evernote, DayOne et Things par une seule application : Zettlr. Alors, certes, je perds beaucoup de fonctionnalités, mais le bénéfice d’une seule application est énorme. Pour être honnête, cette migration n’est pas encore complète. J’utilise encore rarement Evernote pour prendre une note sur mon téléphone (Zettlr n’a pas de version mobile) et je n’ai pas encore complètement fait mon deuil de certaines fonctionnalités de DayOne pour migrer mon journal (j’ai d’ailleurs réalisé un script DayOne vers Markdown).

La raison de cette procrastination ? Je n’ai tout simplement pas encore trouvé d’ordinateur qui me convient pour installer Linux. Car si je n’aime pas MacOS, il faut reconnaitre que le matériel Apple est extraordinaire. Mon macbook pèse 900g, avec un écran magnifique. Il se glisse dans l’espace d’une feuille A4 et tient toute une journée de travail sur une charge voire toute une semaine lorsque je suis en vacances et ne l’utilise qu’une heure ou deux par jour.

Et, non, Linux ne s’installe pas sur ce modèle (sauf si je suis prêt à me passer de clavier, de souris et à perdre la mise en veille).

J’ai donc regardé du côté de Purism, dont j’aime beaucoup la philosophie, mais leurs laptops restent bien trop gros et lourds. Sans compter que le chargeur n’est pas USB-C et je ne suis pas prêt à abandonner le confort d’un seul chargeur dans mon sac à dos.

Le Starlabs MK II Lite correspond à tous mes critères. Malheureusement, il n’est pas disponible. Je l’avais précommandé, mais, devant les retards à répétition, j’ai annulé ma commande (j’apprécie cependant la transparence et la réactivité de leur support).

J’attendais beaucoup du Slimbook Pro X qui s’est révélé beaucoup trop grand à mon goût, assez moche et potentiellement bruyant (le Macbook est fanless, un confort que je vais avoir du mal à abandonner).

Les marques « classiques » ne m’aident pas beaucoup. Le Dell XPS 13 semble correspondre à mes désirs (malgré qu’il possède un ventilateur), mais je n’arrive pas à le commander dans sa version Ubuntu. Car, oui, tant qu’à faire, j’aimerais au moins favoriser une marque qui fait nativement du Linux. Peut-être que j’en demande trop…

En attendant, je garde mon macbook dont le plus gros défaut, outre MacOS, reste le clavier inconfortable.

Clavier en mobilité

Pour l’écrivain que je tente d’être tous les jours, le clavier est le dispositif le plus important. C’est pourquoi je dis parfois que mon passage au Bépo a été un de mes investissements les plus fructueux. Dans ma quête de minimalisme, j’ai d’ailleurs arrêté de prendre des notes au stylet ou au dictaphone dans Evernote. Notes qui pourrissaient et que je devais convertir, des mois plus tard, en notes écrites. Vider mon Evernote de ses 3000 notes m’a fait prendre conscience de la futilité de l’exercice.

Soit je prends note directement avec un clavier pour commencer un texte, soit je fais confiance à mon cerveau pour faire évoluer l’idée. Dans mes 3000 notes Evernotes, j’ai retrouvé jusqu’à cinq versions différentes de la même idée, parfois séparées de plusieurs années. Prendre des notes rapides n’est donc pas une aide pour moi, mais une manière de me déculpabiliser. Devenir minimaliste est donc également un travail de lâcher-prise sur certaines fallacieuses impressions de contrôle.

Pouvoir écrire partout et être mobile est ma principale motivation d’avoir un laptop léger et petit. Mais le confort d’un véritable clavier me manque. J’ai adoré mes années sur un Typematrix. Lorsque je veux retrouver le plaisir d’écrire, je me tourne vers mon Freewrite, mais il est lourd, encombrant et particulièrement buggué.

Je rêve donc d’un clavier Bluetooth qui serait orthogonal, ergonomique, adapté au Bépo et portable. Je découvre plein de nouveautés sur le forum des bépoistes mais je n’ai pas encore trouvé la perle rare. Lors de mes trips vélos, j’utilise un simple clavier Moko qui, pour ses 25€, fait très bien son boulot et est limite plus agréable que le clavier natif du macbook.

Tout cela me fait réfléchir. Peut-être n’est-ce pas un laptop que je devrais acheter pour mettre Linux, mais une tablette connectée à un clavier Bluetooth ? Tant que je peux l’utiliser sur mes genoux dans un hamac, cela me semble en effet une solution acceptable. Dans cette optique, j’ai testé Ubuntu Touch sur une vieille tablette Nexus 7. Malheureusement, le système reste trop limité. Je regrette qu’Ubuntu Touch ne soit plus aussi activement développé, car j’adorerais avoir un téléphone « convergent » (qui peut se brancher sur un grand écran pour devenir un véritable ordinateur de bureau).

Le téléphone

Et justement, puisqu’on parle de téléphone. Mon OnePlus 5 commence à rendre l’âme (il n’accepte de charger que sporadiquement et son écran est fendu). Comment le remplacer ?

J’adore le concept Librem 5 de Purism. Mais je constate qu’abandonner Android n’est pas possible pour moi à cause de deux raisons majeures : les applications bancaires et les gadgets Bluetooth. Non, je ne veux pas abandonner ma montre profondimètre Garmin et mon GPS de vélo Wahoo. Ces deux appareils contribuent grandement à mon plaisir et mon bien-être dans la vie, le coût de garder Android me semble faible en comparaison. C’est d’ailleurs aussi une raison qui me fait abandonner l’idée d’un LightPhone (outre son cloud propriétaire).

Tant qu’à garder Android, pourquoi ne pas prendre le téléphone le plus léger et petit possible ? Et bien tout simplement parce que je n’en trouve pas. Je suis entré dans un magasin Fnac et j’ai découvert avec amusement qu’il était impossible de différencier les téléphones en exposition. Une longue file de rectangles noirs (ils étaient éteints) d’exactement la même taille ! J’avais l’impression d’être dans une parodie. Le Palm Phone, qui est une exception notable à ce triste conformisme, n’est disponible qu’aux US comme un téléphone de secours. Dommage…

Du coup, peut-être qu’opter pour un FairPhone 3 aurait du sens. J’avoue ne pas être 100% convaincu, ne sachant pas trop ce qui est réellement éthique dans leur démarche et ce qui est du marketing, une forme de green-fair-washing.

Une chose est sûre : je ne compte pas garder l’Android de Google. J’attends de voir ce que proposera /e/, mais, au pire, je me tournerai vers LineageOS.

La tablette

Même si, Android, ce n’est potentiellement pas si mal. Une tablette e-ink Onyx Boox est d’ailleurs annoncée sous Android 9.

Comme tablette e-ink, j’utilise pour le moment un Remarkable. Le Remarkable utilise un logiciel propriétaire, un cloud propriétaire et une app de synchronisation propriétaire dont la version Linux n’est plus mise à jour.

Pour être honnête, j’utilise peu le Remarkable, mais de manière efficace. Il sert à faire des croquis, prendre des notes en réunion ou, son usage principal chez moi, lire des papiers scientifiques et des mémoires que j’annote. Il a remplacé l’imprimante.

Passer à un concurrent tournant sous Android me permettrait de ne plus utiliser leur cloud et leur app propriétaire. Si, en plus, je pouvais connecter un clavier Bluetooth, je tiendrais là une machine à écrire de rêve.

Par contre, je refuse de me lancer dans les projets Kickstarter ou Indiegogo qui n’ont pas encore été rigoureusement testé. D’ailleurs, ma quête de minimalisme m’a conduit à supprimer mes comptes sur ces plateformes pour éviter la tentation de dépenser des sous dans des projets qui seront forcément décevant car ils ne font que vendre du rêve.

La liseuse

Évidemment, ce serait encore mieux de pouvoir connecter un clavier Bluetooth à ma liseuse, que j’ai toujours avec moi, quelle que soit la situation.

Il faut dire qu’après avoir passé en revue des tas de liseuses, j’ai enfin trouvé la perle rare : la Vivlio Touch HD (Vivlio = Pocketbook = Tea en ce qui concerne le hardware).

Fine, légère, disposant de bouton pour tourner les pages, d’un rétroéclairage anti-lumière bleue et quasi étanche, la liseuse permet, moyennant un peu de chipotage, d’utiliser l’app CoolReader qui me permet de lire en mode inversé (blanc sur fond noir). Seuls la prise de notes et le surlignage laissent fortement à désirer.

Mais une liseuse avec laquelle je peux facilement prendre des notes dans des passages de livres et sur laquelle je peux connecter un clavier, c’est mon rêve ultime. Je ne désespère pas.

Logiciels

Le minimalisme se révèle également dans le logiciel. Je vous ai déjà parlé de Zettr, qui remplace désormais 4 applications payantes à lui tout seul.

Mais comment tenter de favoriser l’open source, la simplicité et la compatibilité inter plateforme ? Comment protéger ma vie privée et mes données ?

Les no-brainers

Certaines solutions s’imposent d’elles-mêmes. Bitwarden, par exemple, remplace très avantageusement 1password, Dashlane ou LastPass (des solutions que j’ai toutes utilisées pendant plus d’un an chacune). À l’usage, Bitwarden est simple et parfait. Certes moins joli, mais tellement efficace. J’ai même migré certaines notes Evernote sécurisées dans Bitwarden. Bien sûr, j’ai pris la version payante pour soutenir les développeurs.

Outre l’open source, un aspect très important pour moi est la protection de mes données.

C’est la raison pour laquelle j’utilise principalement Signal pour clavarder. Je tente de convertir tous mes contacts (faites moi plaisir, installez Signal sur votre téléphone, même si vous ne pensez pas l’utiliser. Ça fera plaisir à ceux qui souhaitent protéger leur vie privée). Pour les réfractaires, je dois malheureusement encore garder un compte Whatsapp. Je conserve également un compte Facebook pour une seule et simple raison : participer au groupe de discussion des apnéistes belges. Sans cela, je ne serais pas informé des plongées ! Heureusement, mes amis d’Universal Freedivers postent de plus en plus systématiquement les infos sur leur blog, que je suis par RSS. Quand j’aurai la conviction de ne plus rater d’activités, j’effacerai définitivement mon compte Facebook (comme j’ai effacé mon compte Instagram et comme je compte bientôt supprimer mon compte Linkedin).

Mais je vous parlerai une autre fois de ma quête de suppression de comptes qui m’a emmené à effacer, un à un, près de 300 comptes éparpillés sur le net.

Parfois, un compte peut se révéler utile, mais ne l’est que rarement. C’est le cas d’Airbnb ou Uber. Ma solution est de désinstaller l’app et de ne l’installer qu’en cas de besoin. Cela me permet de ne pas être notifié des mises à jour, de ne pas être espionné par l’app, etc.

Le gros du boulot

Jusque là, c’est relativement simple. Le gros du boulot reste mon compte Google. J’ai déjà migré une bonne partie de mes mails vers Protonmail. Et je garde un œil sur son concurrent le plus actif : Tutanota.

Le gros problème de Protonmail et de Tutanota reste le manque d’un calendrier. Protonmail prétend y travailler depuis des années. Tutanota a même déjà un premier calendrier (trop) simpliste. C’est la dernière chose qui me bloque vraiment avec Google.

Il faut dire qu’un bon calendrier, ce n’est pas évident. Sous MacOS, j’utilise Fantastical et je n’ai pas encore trouvé d’équivalent sous Linux (notamment pour ajouter des événements en langage naturel). Peut-être Minetime.ai ? Mais de toute façon, je devrai composer avec le calendrier qu’offriront Tutanota ou Protonmail.

Dernier lien avec Google ? Ce n’est pas tout à fait vrai. Google Music est en effet un service que je trouve très performant. J’y ai uploadé tous mes MP3s depuis des années et je l’utilise gratuitement. Il fait des mixes aléatoires dans mes chansons préférées de manière très convaincante. J’ai bien tenté de jouer avec Funkwhale, mais on en est très loin (déjà, la plupart de mes musiques ne s’uploadent pas, car trop grosses…).

Google Maps reste également l’application la plus pratique et la plus performante pour tracer des trajets, même avec des transports en commun. Ceci dit, je guette Qwant Maps, car je préfère la qualité des données Open Street Maps (et non, OSMAnd n’est pas utilisable quotidiennement).

J’utilise également Google Photo, qui est incroyablement pratique pour sauvegarder toutes mes photos. Ceci dit, je pourrai m’en passer, car mes photos sont désormais également automatiquement sauvegardées sur Tresorit, un équivalent chiffré à Dropbox.

Une cible mouvante

Pour être honnête, j’espérais arriver un jour à une « solution parfaite » et vous décrire les solutions que j’avais trouvées. Je me rends compte que le chemin est long, mais, comme le disent mes framapotes, la voie est libre.

La voie est libre…

Mon idéal, mon objectif est finalement assez mouvant. Le minimalisme n’est pas un état que l’on atteint. C’est une manière de penser, de réfléchir, de conscientiser pour s’améliorer.

Je suis un libriste plein de contradictions et, plutôt que de le cacher, j’ai décidé d’être ouvert, de partager ma quête avec vous pour récolter vos avis, vos conseils et, qui sait, vous donner également des idées. Ce billet n’est finalement qu’une introduction à un chemin que j’espère partager avec vous.

Photo by Ploum on Unsplash

Je suis @ploum, écrivain électronique. Si vous avez apprécié ce texte, n'hésitez pas à me soutenir sur Paypal ou en millibitcoins 34pp7LupBF7rkz797ovgBTbqcLevuze7LF. Vos soutiens réguliers, même symboliques, sont une réelle motivation et reconnaissance. Merci !

Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Source: https://ploum.net/a-la-poursuite-du-minimalisme-numerique/


De la Méditerranée à l’Atlantique en VTT…

Monday 26 August 2019 at 12:46

Une palpitante aventure de Thierrix et Ploumix, irréductibles cyclixs qui résistent encore et toujours à l’empire d’Automobulus.

Coincé dans la chaussure de vélo à semelle en carbone ultra-rigide, mon pied glisse sur un rocher pointu. Mon gros orteil hurle de douleur en s’écrasant dans une fente. La pédale de mon vélo surchargé laboure mon mollet droit alors que ma monture me déséquilibre et m’envoie une enième fois au tapis. Je ferme les yeux un instant, je rêve de m’endormir là, au bord du chemin. J’ai faim. J’ai sommeil. J’ai mal dans toutes mes articulations et sur toute ma peau. Ma chaussette a été déchirée par une branche qui m’a entaillé la cheville. Les ronces ont labouré mes tibias. Je ne sais plus quel jour nous sommes, depuis combien de temps nous pédalons. Je serais incapable de donner ma position sur une carte. J’ai vaguement en tête les noms de hameaux que nous avons traversé ce matin ou hier ou avant-hier ou que nous espérons atteindre ce soir. Je les mélange tous. Mon estomac se révulse à l’idée d’avaler une enième barre d’énergie sucrée. À quand date mon dernier repas chaud ? Hier ? Avant-hier ?

Thierry m’a dit qu’on était là pour en chier avant de disparaitre à toute vitesse dans les cailloux, rapide comme un chamois dans des pentes pierrailleuses qui lui rappellent sa garigue natale. Il va devoir m’attendre. Loin de son agilité, je me traine, animal pataud et inadapté. Je souffre. J’ai poussé mon vélo dans des kilomètres de montées trop raides. Je le retiens maladroitement dans des kilomètres de descentes trop escarpées. Ça valait bien la peine de prendre le vélo.

Mon désespoir a évolué. J’espérais atteindre une ville digne de ce nom pour trouver un vrai restaurant. Puis j’ai espéré atteindre une ville tout court, pour remplir ma gourde d’eau fraiche non polluée par les électrolytes sensés m’hydrater mais qui me trouent l’estomac. J’en suis passé à espérer une route, une vraie. Puis un chemin sur lequel je pourrais pédaler. Voire un chemin tout court où chaque mètre ne serait pas un calvaire. Où les escarpements de rochers pointus ne laisseraient pas la place à des océans de ronces traversés d’arbres abbatus.

On est là pour en chier.

Je suis perdu dans la brousse avec un type que je n’avais jamais vu une semaine plus tôt. Le fils d’un tueur qui a la violence dans ses gênes, comme il l’affirme dans le livre qu’il m’a offert la veille de notre départ mais que, heureusement, je n’ai pas encore lu. Peut-être cherchait-il à m’avertir. Mais qu’allais-je faire dans cette chebèque ?

J’en chie. Et, pour être honête, j’aime ça.

Cette aventure, nous avons décidé de vous la raconter. Sans nous consulter. Chacun notre version personnelle. À vous de relever les incohérences, un jeu littéraire géant des 7 erreurs. Vous avez pu lire la version de Thierry. Voici la mienne.

Prologue

Tout a commencé des années plus tôt. Aucun de nous deux ne se rappelle quand. Thierry et moi nous lisons mutuellement, nous avons des échanges épistolaires sporadiques qui parlent de littérature, d’auto-édition, du revenu de base, de science-fiction. Je l’admire car sur un sujet que je traite en quelques bafouilles bloguesques, il est capable de pondre un livre, de le faire éditer. Je le lis avidement et suis flatté de découvrir avec surprise qu’il me cite dans « La mécanique du texte ». Nous avons la même culture SF, le même mode de fonctionnement. À l’occasion de son séjour en Floride, Thierry découvre le bikepacking, la randonnée en autonomie en vélo. Une discipline qui me fait rêver depuis pluiseurs années mais dans laquelle je n’ai jamais osé m’investir. Thierry, lui, s’y jette à corps perdu et partage ses expériences sur son blog.

Mon épouse me pousse à le contacter pour organiser un périple à deux. Elle sent mon envie. Thierry ne se fait pas prier. En quelques mails, l’idée de base est bouclée. Nous allons relier sa méditerrannée natale à l’atlantique en VTT. Il me conseille sur le matériel et se lance dans un travail de bénédictin pour écrire une trace, un itinéraire fait de centaines de sorties VTT publiées sur le net par des cyclistes de toute la France et qu’il aligne patiemment, bout à bout.

De mon côté, je ne m’occupe que de mon matériel et de mon entrainement. J’ai peur de ne pas être à la hauteur.

Dernier entrainement

27km, 633d+

Une vilaine insolation et un poil de surentrainement m’ont assommé depuis fin juillet. Nous sommes quelques jours chez mes cousins dans les Cévennes. Je n’ai plus roulé depuis 10 jours et une vilaine inquiétude me travaille : ne serais-je pas ridicule face à Thierry ? Moi qui n’ai jamais grimpé le moindre col, moi pour qui la montée la plus longue jamais réalisée en vélo est le mur de Huy.

Mon cousin Adrien me propose une balade. Il va me lancer sur le col de la pierre levée, près de Sumène. Nous partons, je suis heureux de sentir les pédales sous mes pieds. Le col se profile très vite. Après quelques dizaines de mètres, je trouve mon rythme et, comme convenu, j’abandonne Adrien. Je monte seul. Le plaisir est intense. Je suis tellement bien dans mon effort que je suis un peu déçu de voir le sommet arriver si rapidement. J’ai gravi un col. Certes, un tout petit, mais j’ai adoré ça. Les jambes en redemandent.

Mon premier col

Échauffement

54km, 404d+

Je stresse un peu à l’idée de rencontrer Thierry en chair et en os. Enfin, comme tous bons cyclistes, nous sommes plutôt en os qu’en chair.

Rencontrer des connaissances épistolaires est toujours un quitte ou double. Soit la personne se révèle bien plus sympa en vrai qu’en ligne, soit le courant ne passe pas du tout et la rencontre signifie le glas de tous nos échanges.

Je suis d’autant plus nerveux que je vais loger chez Thierry avec ma femme et mes enfants pendant trois jours. J’ai garanti à ma femme que c’était un type bien. En vérité, je n’en sais rien. De son côté, elle veut jauger l’homme à qui elle va confier son mari pendant 10 jours.

Au moment où je sonne au portail de la maison de Candice Renoir (dont je n’avais jamais entendu parler mais c’est ce qu’indique Google Maps), mon angoisse est à son paroxysme. Une inquiétude sociale permanente chez moi que je camouffle depuis plus de 30 ans sous une jovialité et un enjouement sincère mais énergivore.

Dès les premières secondes, je suis rassuré. Thierry est de la première catégorie. S’il pousse des coups de gueule en ligne (et hors-ligne), il est affable, spirituel, intéressant, accueillant. Il me fait me sentir tout de suite à l’aise. Par contre, le vélo passe avant tout. J’ai à peine le temps de sortir mon sac, d’embrasser mes enfants qu’il me fait sauter sur ma bécane pour aller découvrir la garigue avec Fred et Lionel, deux de ses comparses.

La route s’élève vite sur des pistes de gravel. Mon domaine. J’aime quand ça monte, quand le fin gravier roulant crisse sous les pneus. À la redescente, je déchante. Les passages plus caillouteux et plus techniques me forcent à mettre pied à terre.

– Heureusement qu’on a choisi un itinéraire roulant et non-technique.
– Parfois, on passe par là, me lancent-ils en pointant d’étroits sentiers ultra escarpés que je devine à peine dans la piquante végétation.

Mon vélo est un tout rigide. Je ne suis pas un vététiste. Je cumule les handicaps. Mais, heureusement, je compense. Je monte les bosses et je sais affronter le vent. Je tire donc notre mini-peloton dans une très longue ligne droite le long du canal du midi.

Je suis rassuré sur ma forme et mes jambes. Un peu moins sur ma technique. Mais je suis heureux comme un prince de partager une trace sur Strava avec Thierry et ses amis, d’avoir découvert la garigue.

Maintenant, 48h de repos ordonne Thierry. Ou plutôt 48h de préparation des vélos, du matériel, des dernières courses. 48h émotionnellement difficile pour le mari et le père que je suis car je ne sais pas quand je vais revoir ma famille. Le dernier soir, les enfants s’endorment difficilement. Ils sentent ma nervosité. Je suis réveillé à 6h. Le milieu de la nuit pour un nocturne comme moi. J’ai dormi quelques heures. Bien trop peu. J’embrasse mon ainée qui dort profondément. Ma femme et mon fils me font au revoir de la main. Je tente de graver cette image dans ma mémoire, comme un soldat qui part au front.

Jour 1 : premier col

116km, 2150d+

Au revoir !

Nous tournons le coin de la rue. Je ne suis pas de la race des marins qui partent plusieurs mois. Abandonner ma famille pour une dizaine de jours est plus difficile que je ne le pensais. Mais, très vite, le vélo prend le dessus. Nous roulons dans le territoire de Thierry. Il connait les chemins par cœur. J’ai l’impression d’une simple promenade, que nous serons rentrés pour midi.

Rapidement, nous arrivons à Pezenas pour prendre un petit déjeuner. Nous quittons les sentiers battus et rebattus de Thierry mais il est encore à l’aise, proche de son univers. Le chemin se révèle parfois très technique voire impraticable à vélo. Heureusement, ce n’est jamais que sur quelques centaines de mètres, je me m’inquiète pas outre-mesure car les kilomètres défilent.

Nous faisons une pause à Olargues. Je constate que nous n’avons rien mangé de chaud depuis la veille au soir. Dans une ruelle aveugle, un petit boui-boui à l’aspect miteux est le seul établissement ouvert. La patronne, une jeune femme énergique, nous accueille avec un énorme sourire en se pliant en quatre pour nous faire plaisir. Elle se propose de nous faire des crèpes salées avant de retourner sermoner son mari qui, très gentil, semble un peu empoté.

Depuis plusieurs kilomètres, un mur de montagnes se profile à l’horizon. Thierry ne cesse de me répéter que, ce soir, nous dormirons au sommet.

Ce soir, nous dormirons là bas en haut !

J’ai peur.

Je demande à Thierry de faire une pause dans un vague parc pour dormir un quart d’heure. Je me prépare mentalement. Je fais des exercices de respiration.

Nous repartons ensuite. Au pied des montagne, la trace de Thierry révèle sa première erreur majeure. Elle traverse ce qui, assurément, semble un verger puis un champs. De chemin, point. Heureusement, il ne s’agit que de quelques centaines de mètres durant lesquels je pousse mon vélo dans une brouissaille plutôt éparse.

Dans la broussaille…

Le champs débouche sur le hameau de Cailho, quelques maisons construites à flanc de montagne. Je ne le sais pas encore mais nous sommes déjà dans le col. Quelques lacets de bitumes plus loin, la trace s’enfonce dans un chemin de graviers. J’ai pris quelques mètres d’avance sur Thierry. Au premier virage, je m’arrête pour vérifier que nous sommes sur la même route. Dès que je l’aperçois derrière moi, je me remets à pédaler, à mon rythme.

Je pédale sans relâche. Dans les tournants caillouteux, mon vélo surchargé à parfois du mal à tourner assez sec mais je grimpe, les yeux rivés sur mon altimètre. Je sais que nous dormirons à 1000m ce soir. Nous ne sommes pas encore à 400m.

Alors, je pédale, je pédale. Je me mets au défi de ne pas m’arrêter. Défi que je rompt à 800m d’altitude pour ouvrir un paquet de bonbons powerbar et m’injecter une dose de glucose concentrée. Je repars immédiatement. Je souffre mais la dopamine afflue à torrent dans mon cerveau obnubilé par mon compteur et ma roue avant.

994m. 993. 992. 990. J’ai franchi le sommet. Je m’écroule dans l’herbe, heureux. J’ai grimpé un col de près de 1000m avec un vélo surchargé après 116km. J’ai adoré ça. Thierry me rejoint. Nous apercevons un magnifique lac entre les arbres. Vézoles. Notre étape.

Nous ne sommes pas seuls. Le site est fréquenté par de nombreux campeurs et randonneurs. Le temps de trouver un coin désert et nous plantons la tente avant que je m’offre un plongeon dans une eau à 23°C.

Nous n’échangeons pas plus de quelques phrases avant de nous retirer dans nos cocons. Ce n’est pas nécessaire. Nous sommes tous les deux heureux de la journée. En me glissant dans mon sac de couchage, je me sens fier d’être désormais un bikepacker. Je suis convaincu que nous avons passé le plus difficile. Ça va être du gâteau. J’écris dans mon journal que j’ai connu ma journée la plus difficile sur un vélo. J’ai l’impression d’être arrivé.

Il y’a un côté sauvage, hors du temps avec le bikepacking. Il n’y a plus de conventions, de civilisation. On mange dès qu’on peut manger et que l’occasion se présente. On dort quand on peut dormir. On souffre sans savoir quand ça s’arrêtera. On croise des gens, des villes qui ne sont que des instantanés dans un voyage qui semble sans fin. On est complètement seul dans sa douleur, dans son effort, dans son mental. Et on a la satisfaction d’avoir tout ce qu’il faut pour vivre sur soi. On avance et on n’a plus besoin de rien, de personne.

Quelle aventure !

Comme c’est la première fois que je monte cette tente, j’ai mal tendu certaines parties. La toile claque au vent toute la nuit. J’ai l’impression que l’on rôde autour de nos vélos. Je ne dors que d’un œil. Je suis aussi trop excité par notre performance. Je me réveille toutes les heures. Thierry lancera le signal du réveil un peu avant 7h. J’ai l’impression que je n’ai pas dormi pour la deuxième nuit consécutive.

Jour 2 : perdu dans la traduction

67km, 1630d+

Départ du lac de Vézoles. Petit-déjeuner prévu dans 13km à La Salvetat-sur-Agout. Une paille. Surtout que ça va descendre. Je pars à jeun. Grave erreur. La trace se perd dans des pistes noires VTT. Des montées et descentes infinies de pierrailles, du type de celles qu’on voit sur les vidéos Youtube de descente en se demandant « mais comment ils font ? ». Avec un vélo tout rigide chargé de sacs, le chemin tient du calvaire.

On est encore fringuants au départ !

Une des attaches de mon sac de guidon Apidura se rompt. Je suis déçu par la fragilité de l’ensemble. Thierry me confie qu’ils n’ont sans doute jamais fait de VTT chez Apidura. Lui-même a du pas mal bricoler son sac pour l’attacher. Avec un sac bringuebalant, le calvaire risque de se transformer en enfer. J’ai heureusement une illumination : j’ouvre le sac et m’empare de la ceinture de mon bermuda civil avec laquelle je fabrique une fixation qui se révélera bien plus stable et solide que l’attache originale. Nous repartons.

Souvent, la trace semble s’enfoncer dans les bois. Elle ne correspond plus à rien. Sur Google Maps ou Open Street maps, nous sommes dans une zone déserte. Après ma seconde chute, je constate que le jeune n’est pas une bonne idée. J’engouffre une barre d’énergie. Cela me permettra de tenir les 3h que nous mettrons à sortir de cet enfer et atteindre La Salvetat-sur-Agout.

Il est pas loin de 11h, la foule a envahi le village, c’est jour de marché. Nous nous attablons à la terrasse d’une boulangerie pour enfiler des pains au chocolat et des espèces de parts de pizzas carrées. Nous avons fait à peine 13km mais je me dis que, désormais, ça va rouler.

C’est d’ailleurs vrai pendant quelques kilomềtres. Nous traversons le lac de la Raviège. J’ai envie de me baigner mais il faut rouler.

Thierry me certifie que, les cailloux, c’est terminé. Je ne sais pas s’il y croit lui-même ou s’il tente de préserver mon moral.

Très vite, la trace redevient folle. Elle semble traverser en lignes droites des zones vierges sur tous les logiciels de cartographie. Mais elle ne nous laisse pas le choix : aucune route ne va dans la bonne direction.

Nous empruntons des sentiers qui semblent oubliés depuis le moyen-âge. La pieirraille alterne avec la végétation dense. Aucune ville, aucune agglomération. Les villages ne sont que des noms sur la carte avant de se révéler des mirages, un couple de maisons borgnes se battant en duel et nous ayant fait entretenir le faux espoir d’une terrasse de café.

Il est 14h quand, après un petit bout de départementale, nous arrivons à un restaurant que Thierry avait pointé sur l’itinéraire. Le seul restaurant à 20km à la ronde. Une pancarte indique « fermeture à 14h30 ». Nous nous asseyons, prêts à commander. Le serveur vient nous annoncer qu’il ne prend plus les commandes. Le ton est catégorique, je tente vainement de négocier.

J’apprendrai au cours de ce raid que la crèpe du permier jour aura été une exception. En France, le tout n’est pas seulement de trouver un restaurant. Encore faut-il que le restaurant soit ouvert et de tomber dans l’étroite fenêtre où il est acceptable de prendre les commandes. Certaines de nos expériences friseront le burlesque voire la tragi-comédie.

Il est 14h et nous devons nous contenter de 3 maigres morceaux de fromage.

Nous repartons. Il était dit que la journée serait placé sous le signe de l’enfer vert, de la brousse. L’après-midi ne fera pas exception.

Cela fait plusieurs kilomètres que la trace nous emmène sur une route au goudron transpercé par les herbes folles. Pas de croisement, pas d’embranchement. Mais, naïf, je suis persuadé qu’une route mène forcément quelque part.

Nous apprendrons à nos dépends que ce n’est pas toujours le cas. Après plusieurs centaines de mètres de descente, la route nous amène face à une maison faites de bric et de broc. Un chien nous empêche de continuer. Un homme barbu sort, peu amène.

— Vous êtes chez moi ! éructe-t-il.
— Nous suivons la route, explique Thierry. Il ajoute que nous n’avons pas vu d’embranchement depuis des kilomètres, que notre trace ne fait que traverser.

L’homme nous jauge.

— Vous n’avez qu’à remonter jusqu’aux abeilles. Il y’a un chemin.

Effectivement, je me souviens avoir croisé des ruches. Nous remontons péniblement la pente. Peu après les ruches, un semblant de chemin semble se dessiner pour peu que l’on fasse un réel effort d’imagination. Ce chemin n’existe sur aucune carte, aucune trace. En fait, il ne semble exister que comme une légère éclaircie entre les ronces.

D’ailleurs, au détour d’un virage, il se termine abruptement par des masses d’arbres abattus. Pas moyen de passer. J’aperçois, en contrebas, ce qui semble être la continuation du chemin. Nous traversons quelques dizaines de mètres de végétation pour le rejoindre avant de continuer. Après plusieurs centaines de mètres, flagellés par les ronces et les branches basses, nous avons la certitude d’avoir mis plus d’une heure pour contourner la maison de cet antipathique anachorète. Il nous faut désormais sortir du trou, escalader la paroi opposée.

Au beau milieu de la forêt, la trace nous fait traverser ce qui est assurément un jardin entouré de fils électriques. D’une maison de pierre jaillit la musique d’une radio.

— Ne t’arrête pas ! me souffle Thierry. Pas question de se faire détourner une fois de plus.

Nous enjambons les câbles, traversons l’espace à mi-chemin entre le jardin et la clairière, glissons sous la barrière suivante. Le chemin se termine abruptement et s’est écarté de notre trace. Je pars à pied, en éclaireur. Après quelques centaines de mètres dans les ronces et les arbrisseaux aux branches lacérantes, je découvre un chemin plusieurs mètres en contrebas. J’appelle Thierry. Nous faisons descendre les vélos. Le chemin est encombré d’arbres abattus.

Pas trop roulant…

Je suis épuisé. Nous ne faisons que monter et descendre de nos vélos, monter et descendre en altitude, monter et descendre des chemins creux. Il est déjà tard lorsque nous croisons une départementale flanquée de trois maisons que la carte intitule pompeusement « Sénégats ». Ici, tout groupe d’habitations a droit à son nom. Il faut dire qu’ils sont tellement rares.

La trace continue tout droit dans ce qui semble une pente abrupte. Je suggère de nous offrir un détour et d’escalader le tout par la départementale qui zigzague. Thierry interroge une passante au fort accent irlandais. Elle confirme que ça grimpe et qu’elle n’a jamais emprunté ce sentier jusqu’au bout, même à pied.

Nous prenons la départementale en nous interrogeant sur ce qui peut bien emmener une irlandaise ici, dans ce coin où la civilisation se résume à une étroite bande de bitume qui quadrille maladroitement un univers de creux, de trous où même la réception GSM se révèle sporadique.

Il est tard. Nous n’avons fait que 60km mais la question du ravitaillement se fait pressante.

Thierry a pointé Saint-Pierre-de-Trivisy. Une bourgade qui dispose, selon la carte, d’une station d’essence, d’un restaurant, d’une boulangerie et d’un camping. La grande ville !

Il est passé 18h quand nous arrivons. La station d’essence se révèle être un carrossier devant laquelle rouille une antique pompe. Les magasins de première nécessité ne sont pas encore arrivés jusque dans cette partie du pays. Le restaurant n’ouvrira que dans 48h. La boulangerie est logiquement fermée. Nous ne trouvons pas le camping, le désespoir m’envahit, la ville est déserte, glauque.

Soudain, un jeune couple apparait, sourire aux lèvres, un enfant en poussette. Ils ont l’air de vacanciers. Nous nous encquérons d’un endroit où manger. Ils nous suggèrent le snack du camping, juste derrière l’église.

Le camping se révèle un véritable centre de loisirs avec piscine et plaine de jeux. Le snack, lui, ne prend les commandes qu’à partir de 19h, Nous sommes trop tôt sauf pour les desserts. Qu’à cela ne tienne, nous commandons chacun deux crêpes comme entrée et, à 19h pêtante, deux entrecôtes frites. Le tout arrosé d’un dessert.

Vous êtes végétariens ? Pas aujourd’hui !

Jamais nourriture ne m’a semblé si délicieuse.

Le bikepacking, c’est aussi fuir la civilisation. Retourner à l’état sauvage. Les traversées de villages semblent incongrues. Pour chaque personne croisée, nous sommes une erreur, un aventurier. Nous sommes seuls, différents. Mais, après seulement 48h, la civilisation manque. Un vrai repas chaud, une douche, une toilette. Tout ce que nous considérons comme acquis devient un luxe. Même la nourriture ou l’eau fraiche se font rare. Lorsqu’une opportunité de manger apparait, on ne choisit pas. On prend tout ce qui passe car on ne sait pas quand sera la prochaine se présentera .

Fuir la civilisation et se rendre compte des ses bienfaits. Malgré la colère et la déception d’avoir fait si peu de kilomètres, le bikepacking me transforme !

En échange de 22€, le camping nous octroie le droit de planter nos tentes sur une fine bande d’herbe qui sert de parking jouxtant les sanitaires.

Nous voyant arriver avec notre barda, un campeur s’avance spontanément.

— Vous n’avez certainement pas envie de commencer à cuisiner. J’ai justement fait beaucop trop de pâtes. Et j’ai du melon.

Je suis touché par ce simple geste d’humanité. Mais je dois refuser à contrecœur en expliquant qu’on vient à l’instant de s’offrir une entrecôte.

Je commence à mieux maitriser le montage de ma tente et je m’endors presqu’instanément. Avant de glisser dans les bras de morphée, j’ai la conscience de constater que notre sympatique voisin ne partage pas que ses repas. Il aggrémente également le camping de ronflements gargantuesques. Mais je me détache du bruit et me laisse bercer.

Thierry n’arrivera pas à en faire autant. Il passera la nuit à siffler, taper dans les mains et puiser dans sa réserve sudiste de jurons pour le faire taire, le tout au plus grand amusement des deux filles du dormeur qui passent la nuit à glousser. Un orage violent déchire le ciel. Notre tonitruant voisin m’a justement confié que le camping avait été innondé deux jours auparavant. Je guette, vérifie mes sacs. Mais la tente tient parfaitement le coup. Au matin, elle sera déjà presque sèche et tout au plus devrais-je ajouter une goutte d’huile sur la chaine de mon vélo.

Nous repartons et, pour la première fois depuis le départ, je sens que la fatigue gagne également Thierry. Cela me rassure, j’avais l’impression d’avoir affaire à un surhomme. Mais il passe mieux les sentiers en cailloux que les ronflements d’un dormeur.

Jour 3 : les rivières ne sont pas un long fleuve tranquille

102km, 1700d+

Chaque jour se révèle fondamentalement différent. Alors que nous avions eu de la garrigue, des petites buttes sèches et de la caillasse le premier jour, des creux et des bosses vallonnées emplies de végétation le second jour, voici que les chemins se transforment en maigres routes, que les bosses se font plus pentues mais plus roulantes. Je suis dans mon élément, je roule, je prends du plaisir à escalader toutes ces pentes qui me semblent désormais courtes mais qui sont plus longues que tout ce que j’ai jamais fait autour de chez moi. Nous descendons à toute allure vers Albi, les kilomètres défilent. Thierry est moins à l’aise : si son VTT avec suspension à l’avant le faisait flotter dans la caillasse, il lui donne l’impression de coller au bitume. Mais les chemins sont encore nombreux. Les paysages sont sublimes, la civilisation est désormais omniprésente. Nous ne faisons que la contourner mais sa présence rassurante flotte autour de nous, spectre ricanant à notre naïve tentative de lui échapper.

Les tapes-culs !
L’écrivain-philosophe inspiré par le paysage

Nous traversons Albi en trombe, juste le temps de boire un verre au pied de la cathédrale. De retour dans les champs, la trace semble nous ammener au milieu des herbes face à un panneau qui proclame « Pas de droit de passage » avec une autorité de façade.

La journée précédente nous a servi de leçon. Si il n’y a pas l’air d’avoir de chemin, si Open Street Maps n’indique pas de chemin, alors ne nous acharnons pas et contournons l’obstacle. Cette stratégie nous permettra d’enfiler les kilomètres.

Dans les waides, comme on dit par chez moi…

Nous nous arrêtons pour déjeuner à Monestiés, village charmant et plein de caractère. Aux hameaux de maisons isolées ont en effet succédés ces petites bourgades semi-touristiques où l’on respire une atmosphère pseudo-médiévale pour mieux attirer les rédacteurs de guides du routard.

La terrasse du restaurant est agréable mais, bien entendu, nous sommes en dehors des heures de cuisine. Il faudra se contenter d’une assiette de charcuterie à la limite du comestible.

Mais j’ai pris le pli du véritable bikepacker : toute calorie est bonne à prendre, tu ne sais pas quand seras la suivante. La quantité prime sur la qualité, peu importe l’heure et l’endroit.

Nous continuons notre route jusque Laguépie, autre patelin pitoresque à cheval sur un embranchement de l’Aveyron.

Un bord de rivière a même été amménagé en coin baignade avec jeux gonflables et maitres nageurs. Alors que Thierry s’installe à la terrasse locale, je lui glisse :
– Tu me donnes 5 minutes ?

Sans attendre la réponse, j’enfile prestemment mon maillot et plonge sous son regard héberlué dans l’Aveyron. 4:49 plus tard, très exactement, j’en ressors et le rejoins. Il n’a pas envie de plonger. Il est en mode vélo, pas natation. Mais contrairement à lui, qui vit au bord de son étang, je ne laisse jamais passer une seule occasion de m’immerger. Nous repartons et Thierry me propose de suivre l’Aveyron pour éviter de grimper sur le plateau. Notre prochaine étape, Najac, est en effet au bord de la rivière.

Dans la flotte…

En longeant le cours d’eau, nous nous perdons un instant de vue. J’ai continué tout droit et j’ai loupé un embranchement. J’entends la voix de Thierry, sur la gauche, sur un chemin qui s’écarte fortement.
— Rho, c’est dur ici, il faut pousser, c’est de la pierre.
— Moi je suis sur une piste VTT balisée orange, c’est super roulant, lui répondis-je.

Il fait demi-tour pour me suivre. Je ne le sais pas encore mais je viens de commettre la pire erreur de la journée.

Loin de s’arrêter nettement, la piste orange devient simplement de moins en moins franche. Certains obstacles surgissent : la piste est effondrée et il faut descendre dans les cailloux jusqu’au niveau de la rivière pour réescalader ensuite et retrouver une piste qui, bien que balisée, est clairement de moins en moins pratiquable. Elle va jusqu’à disparaitre presque totalement. Nous peinons dans un enfer de caillasse et de végétation. À notre gauche, une falaise à pic. À notre droite, la rivière. Entre les deux, un vague espoir. Faire demi-tour ? Cela implique de repasser toutes les difficultés franchies. L’Aveyron fait des tours et des détours. Je pointe un pont sur la carte. Notre seule chance.

Ça commence à sentir le roussi…
Après ce passage, je n’aurai même plus la force de dégainer mon appareil photo, ça deviendra pire…

Tant bien que mal nous arrivons au fameux pont. C’est un chemin de fer qui passe une dizaine de mètres au-dessus de nos têtes. Thierry ne voit pas ce qu’on peut faire. Je prétends avoir deviné un chemin qui montait vers le pont. Nous faisons demi-tour et, cette fois, mon intuition se révèle juste. Nous débouchons sur un chemin de fer après quelques mètres d’orties et d’herbes folles. Nous traversons rapidement et franchissons le pont tout en restant à distance respectueuse des rails. Juste après le pont, un sentier nous conduit vers un chemin de halage en cailloux blancs. Une autoroute pour nos vélos. Najac se rapproche, nous sommes sortis de l’enfer. Il nous a fallu des heures pour franchir les quelques derniers kilomètres. Je suis épuisé.

Soudain, au détour d’une boucle de l’Aveyron, Najac se profile. Je sursaute.
— Tu vas me faire escalader ça ?

Najac

Car Najac est un véritable nid d’aigle perché sur un éperon rocheux. La trace nous emmène au village par un sentier moyen-âgeux aux rochers aussi acérés que la pente. Je pousse avec difficulté mon vélo sur un petit pont couvert d’herbes qui a sans doute vu passer Ramiro et Vasco avant moi.

Le village en lui-même est tout en pentes et escarpements. Mais sur une surface roulante, la pente ne me fait pas peur, nous roulons à la recherche d’un restaurant ouvert. Une habitante nous conseille un établissement. La terrasse est étroite mais dispose de plusieurs tables de libres. Nous nous installons. Il est 19h50 et le serveur vient nous informer qu’il ne prend plus les commandes.

C’est absurde. On dirait un gag à répétition. Heureusement, nous avons croisé un autre restaurant sur le chemin. Le personnel est plus accueillant mais le hamburger, franchement frugal, mettra très longtemps à arriver. À la table d’ầ côté, une parisienne se passionne pour nos aventures. Elle pose plein de questions et nous remerciera pour avoir passé une excellente soirée.

Je me rends compte à quel point le bikepacking fait de nous des voyageurs, des étrangers permanents. Alors que les automobilistes se téléportent sans attirer l’attention, nous avons vu chaque mètre de paysage depuis la méditerrannée. Nous sommes de passage. Nous pouvons effrayer comme passionner mais nous ne laissons pas indifférent.

Nous prenons un dessert. Il prendra encore plus de temps que le burger à arriver. Il fait nuit noire quand nous arrivons au camping qui borde l’Aveyron au pied de Najac. Toute cette escalade n’aura servi qu’à manger un piètre hamburger, je peste.

L’accueil du camping est fermé. Près des sanitaires, la musique joue à fond entrecoupée par une version maladroite du Connemara reprise sur un synthé bon marché. Des gosses hurlent et se poursuivent dans les douches et les toilettes en claquant les portes. N’ayant pas trouvé d’emplacement libre, nous jetons notre dévolu sur un maigre carré d’herbes devant une caravane qui semble à l’abandon. Je suis tellement fatigué que, toute la nuit, je stresse à l’idée que Thierry m’annonce qu’il est 7h. À 5h du matin, des camions déchargent de la pieraille à grand fracas pendant une demi-heure. À 7h, nous émergeons dans un camping trempé par l’humidité de la rivière. Nos vélos, no sacs, nos tentes semblent sortis du cours d’eau lui-même.

Alors que nous nous éclipsons en catimini, j’observe mes fêtards d’hier qui se rendent aux sanitaires. Je me demande s’ils apprécient ce genre de vacances où s’ils n’ont financièrement pas d’autre choix.

Jour 4 : Entre les ronces et les humains

100km, 1600d+

À peine sorti du camping et nous attaquons, à froid et à jeun, 5km d’ascension à 6% de moyenne. Je me sens plein d’énergie mais j’ai appris à me connaitre. Je me lève trop tôt, je dors trop peu. Mon énergie ne va pas durer. Une fois le col franchi, la somnolence s’empare de moi. Comme tous les matins, je vais devoir lutter jusque 11h-midi contre une irrépréssible envie de dormir. Le seul remède ? Dormir jusque 9h. Mais ce n’est malheureusement pas au programme.

Nous nous arrêtons dans une boulangerie borgne, dans un petit village. J’avale deux pains au chocolat pas très bons. Mon estomac commence à se plaindre de ce régime de barres d’énergie, de plateaux charcuterie/fromage et de pains au chocolat. Durant toute la matinée, j’ai des reflux acides particulièrement désagréables. J’espère prendre un thé à Villefranche-de-Rouergue, la grande ville du coin.

Mais la banlieue de Villefranche ne donne pas confiance. Nous arrivons sur une hauteur d’où nous surplombons la ville, grise, industrielle, morne. Si nous descendons dans le centre, sans certitude de dégotter une terrasse à cette heure matinale, il faudra tout remonter. Thierry propose de continuer. Je lui emboite la roue. Villefranche ne me revient pas. J’ai sommeil, j’ai de l’acide dans l’œsophage, les petits pains au chocolat sont sur le point de ressortir et je dis à Thierry :
— Je rêve d’un thé chaud. Un Earl Grey.
— Vu les bleds qu’on va rencontrer, y’a peu de chance.

Et puis se produit ce qu’il convient d’appeler, dans la tradition Boutchik, un miracle. Alors que nous traversons Laramière, un enième bled d’une dizaine de maison qui comporte plus de chèvres que d’habitants, je m’arrête à côté d’un panneau. Une cloche l’orne avec la mention : « Pour le bar, sonnez la cloche ».

Allez-y !

Je n’ai pas le temps d’essayer qu’un homme s’approche de nous, indécis.
– Vous venez pour le bar ?
– Vous avez du thé ?
– Euh, je vais voir. C’est une amie qui a ouvert le bar, elle est partie, je vais voir ce que je peux faire.

Miracle, il nous ramène un thé qui me semblera délicieux et qui calmera complètement mes aigreurs. Complètement baba-cool déjanté, le ding-dong bar, c’est son nom, requiert normalement une carte de membre mais bon, c’est pour le fun. Deux thés et deux parts de gâteau nous couteront la bagatelle de 2€. Sans oublier le passage par les toilettes sèches cachées derrière une planche branlante. Sans doute la partie la plus difficile pour moi. Défequer dans un trou que je creuse dans la forêt, ça me plait encore. Dans les campings où les restaurants, je désinfecte la planche et ça passe en essayant de ne pas trop réfléchir. Mais les toilettes sèches, j’ai vraiment du mal. Comme je suis tout le contraire d’un constipé, dans ce genre de raid je ne peux pas m’offrir de faire la fine fesse.

On n’en parle jamais mais chier est un des éléments les plus incontournables. Il y’a ceux qui peuvent se retenir plusieurs jours et, à l’opposé du spectre, moi, qui doit minimum aller avant de dormir, au réveil et deux ou trois fois sur le reste du parcours. Entre les toilettes publiques, celles des bars et les zones sauvages de forêt, il faut bien calibrer ses besoins. Tout comme pour la bouffe, je ne perds jamais une occasion de chier car je ne sais pas quand la suivante se présentera.

Soulagé, reposé avec une sieste de quelques minutes, je ressors requinqué du ding-dong bar avant de me rassasier avec un fish-and-chips potable au prochain bled. Passage par un dolmen et puis on réattaque les montées et les descentes, avec de véritables petits cols sur des chemins caillouteux et des passages à près de 20%. Je m’accroche, ce sont certainement les passages que je préfère. Surtout une fois au sommet. Tel un muletier, je constate que mon vélo avance mieux dans ce genre de situation quand je jure et crie. Mais c’est surtout du cinéma car j’adore ça.

Au détour d’un sommet, un splendide village moyen-âgeux nous apparait entre les arbres. Saint-Cirq-Lapopie. Thierry m’explique que c’est connu, c’est un joli village touristique. Je n’en avais jamais entendu parler et ne formalise pas. Nous descendons par un petit sentier de type GR, difficilement praticable en vélo et ne recontrons qu’un promeneur. Le chemin se termine abruptement. L’enfer se déchaine brusquement.

Vu de haut, cela a l’air magnifique !

Saint-Cirq-Lapopie n’est pas connu ni touristique. Il est très connu et très touristique. De notre sentier désert, nous débouchons dans une masse compacte d’humains suant, suintant, parlant fort, fumant, achetant des babioles hors de prix et se prenant en photo. Se glisser avec nos vélo jusqu’à une terrasse relève du parcours du combattant. À la moitié de notre glace, Thierry se lève, rapidement imité par moi. Un couple de fumeurs s’est installé à côté et l’air est devenu immédiatement irrespirable.
– C’est l’enfer, murmure Thierry.
– Je préfèrais la brousse du deuxième jour, rénchéris-je.

Dans notre misanthropie commune, nous nous comprenons sans avoir besoin d’en ajouter. Il est temps de fuir. Mais le sentier pour descendre de Saint-Cirq-Lapopie est un GR escarpé encombré de touristes à la condition physique parfois chancelante. Nous devons descendre très prudemment. Arrivé sur les rives du Lot, le même saint cirque (lapopie) continue pendant des kilomètres. Nous ramons à contrecourant d’un flot de touristes espérant à tout prix prendre le même selfie avant de redescendre.

Ce flot s’arrête brusquement avec la traversée d’un parking géant. Malheureusement, le chemin en fait autant. Les ronces et les cailloux me rappellent douloureusement l’épisode de Najac.

– Rha, dès qu’il y’a un peu moins de monde, on est envahi par les ronces.
– Les gens sont une forme de ronce.

Deux philosophes sur leurs vélos, c’est beau comme un quartrième de couverture de Musso. Tant bien que mal, nous suivons le cours du Lot. Plutôt mal que bien. Après un travers tout sauvage, nous récupérons un chemin nettement plus roulant. En bordure d’un champs, des arrosseurs éclaboussent dans notre direction. Thierry a peur d’être mouillé. Je ne peux retenir une exclamation moqueuse.

— Le sudiste a peur de quelques gouttes qui tombe du ciel ! Chez nous, tu ne ferais pas souvent du vélo si tu as peur d’être mouillé.

Je me dis que le chemin finira bien par arriver quelques part.

Et bien non. Après quelques kilomètres, deux voitures garées nous annoncent qu’il se termine en cul de sac. Sur le pas de la porte d’une maison esseullée, deux personnes nous regardent d’un air ébahi et nous informent qu’il faut faire demi-tour. Et que c’est loin. Mais Thierry ne veut pas aller aussi loin. Il a repéré un chemin en montée balisé VTT noir. J’avais espéré qu’il ne l’aurait pas vu.

– On va désormais éviter les rivières, me suggère-t-il.

C’est reparti pour de la pierraille avec 200m d’ascension sur un kilomètre. Je ne marche pas à côté de mon vélo, je tente vainement de le tirer alors que j’escalade ce qui a du être un chemin avant un glissement de terrain. Lorsque ça redevient roulant, il faut encore compter sur une petite centaine de mètre de dénivelé. Avant, ce n’est pas une surprise, de redescendre immédiatement vers Cahors.

Cahors où nous avons décidé de manger. Thierry a envie d’une pizza et, à peine entrés dans la ville, nous tombons sur une petite pizzéria qui répond à nos critères. Avant de m’installer, je m’attends à ce qu’on nous annonce que nous ne sommes pas dans les heures, que la lune n’est pas dans son bon quartier avec cet air typiquement français qui s’étonne même que vous osiez demander un truc aussi incroyable que de manger dans un restaurant.

Contre toute attente, nous sommes servis de manière rapide et très sympathique. L’explication tombe très vite du serveur : son beau-frère, kiné malvoyant, a décidé de plaquer son cabinet pour ouvrir une pizzéria. Et c’est aujourd’hui le premier jour.

Les pizzas étaient très bonnes mais Thierry ne veut pas s’éterniser. Il veut quitter la ville le plus vite possible pour trouver un endroit où dormir.

Nous sommes encore dans les maisons de Cahors que la trace bifurque vers un GR pierrailleux et vertigineux qui nous fait passer sous un pont d’autoroute. Le paysage est patibulaire, envahi de carcasses, de déchets. Au milieu d’un champs ferailles, un homme est assis. Devant nous, une meute de borders collies bloque le chemin et aboie. Certains grondent et montrent les dents. Je demande à l’homme d’appeler ses chiens.

Ça valait bien la peine de prendre le vélo, épisode 118…

Il fait un geste moqueur et rigole. Thierry se charge alors d’ouvrir le chemin en aboyant plus fort. C’est glauque et je propose de ne pas planter notre tente trop près.

Après une descente et une courte bosse, nous débouchons sur un plateau d’où s’élance justement un parapente.

Nous avons le souffle coupé. La vue est magnifique, presqu’à 360°. Nous dominons toute la vallé du Lot. C’est magnifique. Thierry propose de planter notre tente à cet endroit. Je propose quelques mètres en retrait, dans un creux protégé du vent par les buissons. J’ai l’intuition qu’un plateau qui sert de départ aux parapentes doit être légèrement venteux.

Je pars également vérifier la suite de notre trace pour éviter de discuter demain matin et pour passer le cap des 100km pour cette journée. Comme je le pensais, la trace descend le plateau suivant un GR presque vertical. Du genre « Au bord, tu ne vois le chemin qu’en te penchant. » Thierry me rassure, on retournera sur nos pas et on prendra une autre descente.

Nous profitons de la soirée face à ce paysage grandiose. Les villages s’allument dans la vallée, la nuit est magnifique.

Le roi du monde, le lendemain…

Je n’ai aucune idée de quel jour nous sommes, de quand nous sommes partis, de où nous sommes sur la carte. Nos aventures se mélangent. Je ne sais plus si un souvenir se rapporte à cet après-midi ou s’il est déjà vieux de trois jours. Sur mon téléphone, les photos des vacances avec ma famille semblent appartenir à une autre époque, une autre vie. Tout est tellement lointain. La déconnexion est totale. Mon cerveau ne pense qu’à pédaler. Pédaler, trouver à manger, pédaler. Planter la tente, pédaler. Une routine ennivrante.

Malgré quelques allées venues d’amoureux et de parapentistes désireux de passer, comme nous, la nuit sur le plateau, je passerai là une des nuits les plus paisibles.

Jour 5 : highway to sieste

62km, 900d+

Après une nuit dans le calme absolu au sommet de notre mamelon, à apprécier ma tente et mon sac de couchage, mon petit cocon, nous découvrons que la vallée est devenue une mer de nuages de laquelle nous émergeons. La vue est magnifique.

Pas trop envie de descendre là dedans moi…

Comme je l’avais prévu, la descente est difficile et se fait essentiellement à pied. Avant de croiser une route et de rouler dans la brume.

En plus des traditionnels pains au chocolat, le magasin dispose de quelques fruits. Je prends deux abricots et une banane. Des fruits sans saveur qui me sembleront délicieux avant de traverser un étroit pont, magnifique dans la brume, et de continuer à pédaler dans le froid.

La vue de mon guidon. T’as intérêt à en tomber amoureux car t’as le nez dedans en permanence !

Aujourd’hui, nous allons faire étape chez les beaux-parents de Thierry où sejournent sa femme et ses enfants. Il connait bien la région pour la parcourir en VTT. La fatigue aidant, il n’a pas trop envie de s’esquinter sur des difficultés qu’il connait. Et il souhaite arriver pour le déjeuner. Au lieu du VTT, nous passons par les routes où le vélo de Thierry a beaucoup moins de rendement. Je tente de l’aider en prenant de longs relais. J’aime sentir les kilomètres défiler. J’aime les petits coups de culs que l’on passe sur des petites routes. Je pédale avec plaisir, je grimpe. C’est dur, je souffre, mais la brieveté de l’étape rend tout psychologiquement plus facile. Nous arrivons finalement avant 13h, après 62km et presque 900m de dénivelé. Ça m’a semblé tellement facile comparé aux autres jours !

L’adrénaline tombe chez Thierry qui s’écroule à la sieste. Chez moi, elle est remplacée par l’adrénaline sociale. Peur de commettre un impair, peur d’être grossier chez des gens qui ne me connaissent pas et qui m’accueillent à bras ouverts.

Isa, la femme de Thierry, ne semble pas trop m’en vouloir de lui avoir piqué son mari pendant une semaine. Je suis très heureux de rencontrer ce personnage central du livre « J’ai débranché ».

Je prends une douche, fais une machine, nettoie mon vélo. Je vais dormir dans un vrai lit après un vrai repas. Des pâtes, un fruit ! C’est délicieux, j’en rêvais. Je vais faire une grasse mat. Tout cela me semble irréel. Dans mes souvenirs et les photos, les journées de notre périple se mélangent, se confondent. Tout n’est qu’un gigantesque coup de pédale. La seule chose qui me préoccupe, c’est le dénivelé qui reste. C’est de savoir si le chemin existe, si je vais passer. Si j’aurai assez d’eau pour la nuit. Si on va trouver à manger. Si j’ai de la batterie pour mon GPS.

Finalement, le camping sauvage est encore mieux que le camping. J’apprends même à apprécier de chier dans un trou que j’ai creusé.

Cela ne fait que 4 nuits que nous sommes partis… Je me sens tellement différent. Tellement déconnecté de tout le reste de l’univers.

Pourtant, ce n’est pas comme si j’avais envie de continuer ça pendant des mois. Nous sommes en mode extrême. La fatigue est partout. Je suis épuisé, mes fesses sont douloureuses, mon genou se réveille parfois, mes gros orteils sont en permanence engourdis, je rêve d’arriver à Biscarosse, de crier victoire.

Je rêve d’arriver. Mais je ne veux pas que cette aventure s’arrête…

Jour 6 : Mad Max Marmande

99km, 1150d+

Quel plaisir de dormir jusque 9h30. D’être cool, de prendre un petit déjeuner peinard. Je suis un peu gêné de m’immiscer dans la vie de famille de Thierry mais je profite pleinement de l’accueil chaleureux.

Départ à midi. Ça me convient super bien. Pas de gros coup de barre. Plein de petits coups de cul, des paysages toujours beaux même si moins spectaculaires. Et, petit à petit, l’univers se transforme. Tout est champs. Les chemins ne sont que de l’herbe entre deux cultures. Les routes sont fréquentées par des voitures qui roulent vite. Tout semble un peu à l’abandon, un peu sale. Les chiens aboient à notre passage voire nous courent après. Les habitants nous regardent d’un air soupçonneux depuis le pas de leur porte. Pas de galère si ce n’est des chemins coupés à contourner, quelques centaines de mètres à faire dans les labourés. Je regrette d’avoir un sac de cadre qui m’empêche d’épauler mon vélo et de profiter de mon entrainement de cyclocrossman.

Je prends un malin plaisir à chaparder quelques prunes sans descendre de mon vélo, sans m’arrêter. Si j’arrive à attraper la prune depuis le chemin, alors elle est à moi.

Nous n’étions pas en mode course et ça me convient très bien !

Marmande est une ville morte le 15 août. Tout semble fermé. Tout est sale, craignos. On croise un camping car et une voiture de l’équipe nationale belge de cyclisme. Je reconnais Rick Verbrugghe au volant. Je découvre que le tour de l’avenir partait aujourd’hui de Marmande. Cela ne semble pas avoir laissé la moindre gaité. Nous repérons une sorte de boulangerie puis un petit snack crado. Nous espérons trouver mieux. Tout est fermé. Une brasserie propose une carte alléchante. Mais pas de surprise : nous ne sommes pas dans les heures pour commander à manger. Nous retournons vers la boulangerie qui se révèle presque vide.

En désespoir de cause, nous nous rabattons sur l’infâme durum. À la guerre comme à la guerre et Marmande ressemble à une ville bombardée, détruite.

La finesse de la gastronomie locale…

Mon fessier est de plus en plus douloureux. Les jambes tournent bien mais le postérieur sera content de voir arriver la fin du périple. Dès que la route est plate, que le bas de mon dos repose sur la selle, je me mets à crier de douleur. Les applications de crème sont devenues de plus en plus fréquentes. Thierry n’en mène pas plus large, il sert les dents.

Où dormir. Tout est craignos, les terrains sont occupés par des fermes et leur matériel mal entretenu. Les odeurs autour du canal sont pestilentielles.

Thierry pointe un bois sur la carte. Nous nous y enfonçons au hasard. Au milieu, un champ a priori inoccupé. Nous y plantons notre tente entre deux nuées de moustiques. On verra bien demain…

Dernier campement

Je vois que Thierry en a marre. Cela ne l’amuse plus comme terrain. Il veut du VTT, de la pieraille. La pause de famille lui a certainement fait plus de tort que de bien. Contrairement à moi, il a retrouvé ses tracas quotidiens. Il a cassé son rythme. Son postérieur a juste eu le temps de devenir vraiment douloureux sans qu’ils puisse se reposer. De mon côté, même si mon postérieur est également douloureux, je retrouve des chemins comme je les aime, des sentiers creux entre les champs comme ceux qui parcourent mon Brabant-Wallon natal.

Je lui dit qu’on est là pour en chier.

Il ne répond pas.

Chacun son tour.

Jour 7 : un océan de monde

138km, 740d+

L’humidité est affreuse, pénétrante. En se réveillant au milieu du champs, nous retrouvons nos tentes, nos sacs et nos vélos comme passés à la lance d’incendie.

Je constate que nous avons traversé la fameuse frontière pain au chocolat/chocolatine. Elle s’était matérialisée discrètement par des étiquettes « chocolatines » dans les magasins mais, aujourd’hui, pour la première fois, le vendeur m’a repris quand j’ai demandé des pains au chocolat. « Vous voulez dire des chocolatines ? ». J’ai failli lui répondre « Ben oui, des couques au chocolat ! ».

Le programme initial de notre tour prévoyait de pousser jusqu’à Arcachon, de loger dans le coin avant de redescendre jusque Biscarosse le long de l’Atlantique. Mais les fesses de Thierry sont d’un autre avis. Arriver le plus vite possible et en ligne droite. Surtout que les chemins ne sont guère amusants. Du plat, toujours du plat. Si nous étions de véritables écrivains, nous parlerons de morne plaine, d’onde qui bout dans une urne trop pleine, de nous, héros dont Toutatis trompe l’espérance. Nous nous contentons de pester et de jurer.

La pause terrasse, c’est sacré !

Pause déjeuner à Saint-Symphorien. Il est 11h35. Nous souhaitons commander.
— Pas avant midi ! nous semonce un antipathique amphytrion.
Il faudra bien attendre midi quart pour qu’il daigne sortir son carnet de commande. Les paysages ont changé mais les coutumes de l’hospitalité française semblent immuables. Alors que nous partons, un couple de cyclistes âgé s’arrête. Je les admire. Mari et femme, plus proche des 80 ans que des 70 et pourtant toujours vétu en lycra sur des vélos de sports. Le gérant du restaurant n’aura pas la même sympathie que moi. À peine ont-ils posés leurs vélos qu’il leur annonce qu’il n’y a plus de tables ou plus de repas. Contemplant leur déception, je me contente de réenfourcher ma bécane pour repartir. Chaque pause m’offre quelques kilomètres de répit avant que mon fessier se rappelle à moi.

Sur mon GPS, quelque soit le niveau de zoom, nous sommes une petite flèche sur une longue ligne droite sans rien à droite ni à gauche. Une ligne droite qui se perd à l’horizon, c’est désespérant. Rien pour nous distraire de la douleur qui nous lacère le fessier.

Même le GPS est une longue ligne droite !

— À la prochaine zone d’ombre sur la route, je m’arrête pour remettre de la crème, dis-je.

Plusieurs kilomètres plus loin, rien n’a changé. Nous n’avons pas été dans l’ombre une seule fois. Je finis par m’arrêter au soleil tellement la douleur est intense. Je m’invente le jeu de rester en danseuse sur toute la longueur de ces patibulaires arroseurs automatiques, espèce de mats pour câble à haute tension vautrés dans des champs arrides.

Une ligne droite toute plate, le plus psychologiquement éprouvant !

Pour faire un peu d’animation, le bitume se transforme en sable. Si c’est un peu technique au début, j’en suis vite réduit à pousser ma bécane avant de repartir en pédalant dans les bruyères du bas-côté.

Par deux fois, une biche me regardera passer, curieuse, pas du tout effrayée. Je me dis que les chasseurs doivent s’en donner à cœur joie.

Bienvenue dans les landes !

La longue ligne droite finit abruptement par quelques centaines de mètres d’un single track tortueux et nous débouchons dans la ville de Biscarosse.

Nous n’avons pas choisi Biscarosse au hasard mais parce que c’est là qu’habitent mes cousins Brigitte et Vincent qui disposent de deux qualités : Premièrement, ils acceptent de nous accueillir, Thierry et moi. Deuxièmement, je les apprécie énormément et c’est une excellente excuse pour les revoir. Ce que j’avais oublié, malgré plusieurs séjours chez eux, c’est que Biscarosse est très grand et que leur maison est à près de 15km de la plage.

Thierry avait émis l’idée de s’arrêter chez mes cousins et de faire, symboliquement, les derniers kilomètres jusqu’à l’Atlantique le lendemain. Voire de pousser jusqu’à Arcachon. Son fessier n’est plus de cet avis. Nous prenons un thé glacé dans une terrasse du bourg et nous décidons de pousser jusqu’à la mer avant de revenir, de cloturer notre raid aujourd’hui.

Cette dernière pause terrasse est à l’image des commandes que l’on peut faire en bikepacking :
— 2 grand thés glacés, 2 bouteilles d’eau, 3 muffins au chocolat, 1 cookies et 2 grands smoothies.
— Vous êtes combien ?
— Deux, pourquoi ?

J’avoue éprouver un plaisir total à ne plus respecter aucune convention culinaire. Manger n’importe quand, n’importe comment, en grande quantité et en suivant uniquement mes envies. Le bonheur.

Nous repartons par la piste cyclable, que je connais pour l’avoir empruntée lors de mes visites précédentes. Malheureusement, je n’étais jamais venu en août et je suis sidéré par la foule de vélo chargés de parasols et de matelas pneumatiques qui l’encombre. Elle se révèle aussi plus longue que dans mes souvenirs. Heureusement, elle est également vallonnée, ce qui me procure un certain plaisir. Dans la bosse la plus raide, un jeune vététiste en tenue du club d’Arcachon et son père tentent de nous dépasser. J’ai beau avoir 120km au compteur et 10kg de sacs, je refuse de laisser filer. Je règle le fils tandis que Thierry règle le père. À une dizaine de mètres du sommet, j’entends le gamin gémir et craquer derrière moi. Je ressens une bouffée de fierté parfaitement puérile.

En arrivant dans Biscarosse-plage, je réalise que ce que nous avons vécu à Saint-Cirq-Lapopie n’était qu’un des premiers cercles de l’enfer. Les rues sont bondées. La plage est bondée. La mer est bondée jusqu’à une dizaine de mètres. L’horreur.

We did it !

— Tu ne vas quand même pas te baigner ? me demande Thierry tout en connaissant d’avance la réponse.
— Je vais me gêner. J’ai fait 650 bornes pour ça.

J’enfile mon maillot et me fraie un passage jusque dans les vagues. Dont je ressors presqu’immédiatement. Un bain de foule plutôt qu’un bain de mer.

Entre deux baigneurs, on peut même entrapercevoir de l’eau…

Sur mon GSM, Brigitte nous conseille de rentrer par la route plutôt que par la piste cyclable car c’est plus court. J’ai le souvenir d’une route très dangereuse mais nous suivons son conseil. Un cabriolet décapotable nous dépasse à toute allure en nous frôlant. Je me dis que ça ne va pas être de la tarte, dix bornes sur une nationale de ce type.

Mais quelques kilomètres plus loin, les voitures s’arrêtent. L’embouteillage du retour de la plage. Rouler à côté des voitures arrêtées devient jouissif. C’est avec un grand sourire que nous arrivons dans le centre de Biscarosse. Un cycliste arrive derrière moi et semble vouloir nous dépasser. Je m’arrête. C’est Vincent, mon cousin ! Je suis heureux de le voir. Nous lui emboitons la roue mais il fonce à toute allure dans la circulation Biscarossienne, nous entrainant dans un gymkhana infernal. À un carrefour où la circulation redevient fluide, Thierry reconnait le cabriolet qui nous avait dépassé. Nous avons été plus rapide que lui !

Une fois hors de la circulation, Vincent fonce à toute allure. Je me porte à sa hauteur :
— Tu as décidé de nous achever sur la fin ?
— Ben je ne sais pas à quelle vitesse vous roulez, fait-il, à peine essoufflé.
— On ne fait pas 140 bornes à ce rythme-là en tout cas !

C’est enfin l’arrivée chez eux et un dernier déclipsage de pédale. Je congratule Thierry et regarde mon vélo, posé à côté de moi. Une trace, c’est une partition. Nos vélos sont nos instruments. J’éprouve pour le mien ce qu’un violoniste doit éprouver pour un stradivarius. C’est un compagnon, une extension de moi. Je le touche, le caresse, le remercie pour la ballade.

J’ai déjà envie de le réenfourcher pour de nouvelles aventures.

Entre les vélos, une réelle amitié !

Derniers tours de roue et retour

25km, plat.

Thierry reprend le train le lendemain, après avoir empaqueté son vélo avec du plastique culinaire. La SNCF annonce avec fracas sur son site que certains TGV permettent de transporter un vélo monté. Je n’en trouve aucun. La mort dans l’âme, je dois me résigner à faire subir à mon fidèle compagnon un traitement qui me fait mal au cœur. Contrairement à Thierry, je ne démonte pas le guidon mais me contente de le tourner à 90°. Une idée de Vincent pour que je puisse facilement transporter mon « paquet » dont une seule roue est encore utilisable.

Tout y est !
Emballé, c’est pesé !

Mon vélo étant déjà démonté, Vincent me prête un VTT pour un dernier tour de roues dans la région. J’essaie même son fatbike durant quelques centaines de mètres. Les jambes ont envie de tourner mais les fesses, elles, souffrent encore beaucoup trop. Vincent a déjà une expérience de bikepacking, je tente de le motiver à remettre le couvert. Je sens qu’il n’est pas loin de craquer.

Vincent n’a pas l’air de suer ? Il avait un moteur sur son fatbike !

Le lundi, Vincent me dépose à la gare d’Ychoux. Un train pour gagner Bordeaux. Un TGV pour Paris en compagnie d’un autre cycliste monté à Ychoux avec moi. Nos vélos s’entassent sur une montagne de bagages. Arrivés à Paris, nous apprendrons que ces bagages appartiennent à une mère de deux jeunes enfants qui a éffectué le voyage par terre, ses enfants dans les bras. Sans le vouloir, j’ai entraperçu un papier qu’elle montrait au contrôleur et qui déclarait « Procédure de demande d’asile ». Je n’ose imaginer la vie de cette femme. Même si j’ai ma part de soucis et de problèmes, je me sens tellement chanceux d’être à la place que j’occupe. Arrivés à Paris, elle ne sais pas comment atteindre ses bagages, sous nos vélos, avec ses deux enfants dans les bras. Avec l’aide de l’autre cycliste, nous lui descendons tout son matériel et montons sa poussette. Pas le temps de trainer car j’ai une heure, montre en main, pour aller de la gare Montparnasse à la gare du Nord. Avec un vélo démonté. La traversée de la gare Montparnasse est déjà, en soi, une aventure. Mais, tout au long de mon trajet, je recevrai des nombreuses marques de gentillesses et d’aide de jeunes au look de racaille. Dans la rame de métro, un jeune beur en training se lève spontanément pour laisser sa place à une grosse dame en tailleur. Elle refuse, il insiste et ajoute qu’il descend à la prochaine.

Dans le TGV…
Le métro parisien…

J’ai le soupçon que les vrais parisiens sont tous en vacances.

À la descente du métro, j’entends des hurlements. Sur le quai d’en face, une quarantaine de noirs entourent un blanc en hurlant et en gesticulant. Je vois tomber de la chemise du blanc des boulettes de plastique noir. Sa chemise a été arrachée ou il l’a enlevée, révélant des tatouages qui me semblent d’inspiration extrême droite (croix celtique et caractères gothiques). Il pleure à chaudes larmes, non pas de douleur, il n’est clairement pas blessé, mais d’humiliation. Il pleure comme un enfant, sans retenue. Deux gardes de la sécurité blasés lui ordonnent de circuler. Je m’invente une histoire de dealers et de guerre de clans pour expliquer les images que j’ai entraperçues avant de me ruer vers le quai du Thalys.

Une sueur froide m’envahit en constatant qu’il y’a un portique de sécurité. Si je dois déballer mon vélo, ça ne va pas être de la tarte. Heureusement, un cerbère muni d’une mitraillette me jette à peine un regard. Je rentre avec mon vélo. Moi qui ai vécu pendant une semaine avec le strict minimum, je suis effaré par la quantité de bagages qu’emmènent les autres passagers. Je ne savais pas qu’il existait d’aussi grosses valises. Des valises que les propriétaires n’arrivent même pas à hisser dans le train tellement elles sont lourdes.

Dans le Thalys…

C’est le retour à Bruxelles puis à Ottignies. Dans le dernier train, je remonte mon vélo, prêt à pédaler immédiatement vers ma famille. Mais j’étais attendu, il sera dit que mon vélo avait fini son travail. Malgré les nombreux changements et la complexité de la traversée de Paris, cela fait à peine 6h que j’ai quitté Brigitte et Vincent. Je me sens reposé. Tout le contraire d’un trajet en voiture.

L’accueil !

Quelques impressions

Je rêvais de faire du bikepacking et la réalité s’est montrée à la hauteur. J’adore cette discipline. Une grande partie de ce succès doit certainement être attribuée à Thierry pour son travail sur la trace. Nous nous sommes également révélés similaires et complémentaires. J’ai aimé pédaler avec lui, je rêve de recommencer. J’aurais bien pédalé un jour ou deux de plus. Je ne sais pas s’il est du même avis mais je le remercie pour cette expérience.

Si j’aurais bien pédalé un jour ou deux de plus, je ne me sens pas encore prêt pour des périples de 3000 bornes…

Le bonheur c’est aussi de n’avoir souffert d’aucun problème mécanique. Mon vélo, réglé par Pat de chez Moving Store avant le départ, a été parfait. Tout au plus dois-je déplorer une certaine mollesse des freins les derniers jours. Peut-être qu’il aurait fallu purger le liquide de frein avant le départ. Mon Salsa Cutthroat s’est révélé en difficulté dans la pieraille mais, en contrepartie, parfaitement à l’aise partout ailleurs. Il faut dire que la mentalité du pilote y est également pour beaucoup. Il m’est arrivé quelques fois de suivre machinalement Thierry, abruti par la fatigue et de descendre à toute vitesse sans m’en rendre compte. Dès que je réalisais ce que je faisais, je freinais et je devais reprendre le reste de la descente à patte. Le seul réel défaut de mon vélo, outre la fragilité de sa peinture, est la cablerie externe. C’est dommage en 2019 et ça a posé de petits problèmes en s’accrochant dans les ronces des chemins. Un attache de cable s’est même cassée.

L’engin, dans les moments difficiles…

Physiquement, ma condition s’est révélée parfaite. Après le col du premier jour, je n’ai que rarement dépassé 140 de pulsations, je n’ai jamais été dans l’effort intense. Tout au plus dois-je noter un engourdissement des gros orteils, engourdissement qui perdure encore à ce jour, et une légère douleur dans les paumes. Je devrais changer de gants.

Et de selle. Car le pire fut sans conteste mon fessier. Charles, de Training Plus, a réglé mon vélo au quart de poil. Aucune douleur lombaire, aucune douleur de genoux (mes points sensibles). Mais il faut que je discute avec lui de choix de selle, cet arcane du vaudou cycliste.

Le plus dur dans le bikepacking est certainement le retour. À peine rentré, un mail de Thierry m’attendait dans ma boîte. Une phrase : « Le plus difficile, c’est de retrouver d’autres projets ».

Oui, j’ai envie de repartir. Dans sa cabane, mon destrier piaffe d’impatience. Mais je suis heureux de retrouver ma famille après tout ce temps, de serrer dans mes bras ma femme qui m’a poussé à entreprendre ce rêve. Et, je dois l’avouer, de retrouver les touches de mon clavier.

Je garde cependant une séquelle de ces nuits sous la tente, à l’aventure. Je ne sais plus dormir les fenêtres fermées… Je rêve déjà de repartir pédaler, de planter ma tente quelque part dans la nature.

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Source: https://ploum.net/de-la-mediterranee-a-latlantique-en-vtt/