ploum.net

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

Printeurs 5

Friday 20 September 2013 at 14:50

liquid_nitrogen
Ceci est le billet 5 sur 8 dans la série Printeurs

Devant moi se dresse Georges Farreck, le grand, l’immense Georges Farreck, l’étoile d’Hollywood, l’archétype de la virilité tendre et romantique dans tous les blockbusters de cette dernière décennie. Georges Farreck, l’homme par qui j’ai découvert mon homosexualité. Georges Farreck sur l’image de qui je me suis masturbé durant toute mon adolescence. Georges Farreck, l’idéal masculin de toute une génération. Georges Farreck, l’homme dont les sites torche-culs se délectent à la moindre de ses incartades amoureuses. Georges Farreck, quoi !

— Bonjour Nellio.

Ma pomme d’Adam devient un sac de gravier qui me déchire la gorge en un incontrôlable mouvement de va-et-vient. Mes lèvres sont sèches, je secoue la tête. « Bonjour, je me suis beaucoup branlé sur vos films » me semble une bien piètre entrée en matière.

— Bon… jour…

De vieux réflexes prépubères sont sur le point de faire naître une érection. Alerte ! Les glandes explosent ! Mais, bon sang, c’est un homme comme un autre. Il me regarde, s’approche de moi. C’est Georges Farreck et il tient son visage à quelques centimètres du mien ! Eva éclate de rire.

— Regarde Nellio, regarde bien. Je sais ce que tu ressens.

Il me saisit la main. Mon cœur s’arrête, mon sexe se tord douloureusement dans mon pantalon. Doucement, il amène mes doigts dans ses cheveux, sur certains endroits de son visage.

— Regarde avec tes yeux, ton intelligence pas avec tes souvenirs ni tes sentiments.

Les cheveux sont grisonnants, irréguliers. Des pellicules s’effritent entre mes doigts. Près des paupières, de minuscules cicatrices disgracieuses témoignent des nombreuses retouches chirurgicales. Je découvre avec étonnement un léger strabisme. Par endroit, la peau est constellée d’irrégularités, de petites rougeurs. Je recule, effrayé.

— Vous n’êtes pas Georges Farreck ?
— Si, je suis Georges Farreck. L’humain appelé Georges Farreck. Acteur de profession et, accessoirement, très riche. Mais je ne suis pas le Georges Farreck que tu connais au visage lisse, parfait, celui qui n’apparaît que maquillé et retouché par ordinateur. Je ne suis pas le fantasme dont les publicités te martèlent le crâne. Ces publicités qui ont pris le contrôle de tes émotions, de tes glandes afin que tu dépenses ton argent dans n’importe quel film auquel je suis lié.
— Ou du café…
— Oui, il y a cette marque de café dont je suis l’égérie. Enfin, est-ce encore moi ? Ou est-ce un Georges Farreck auquel j’ai servi de modèle ?
— Mais pourquoi êtes-vous ici ? Comment connaissez-vous mon nom ?

Il me propose de prendre une chaise et se laisse lui-même tomber dans un fauteuil du salon avant de croiser ses jambes en une gestuelle élégante, calculée, presque chorégraphiée. Ses bras s’écartent sur les accoudoirs et un sourire ravageur se dessine sur son visage. Pas de doute, c’est Georges Farreck. Malgré ce qu’il vient de me dire, je me mords la lèvre inférieure et ferme les yeux. Georges Farreck !

— Cela fait longtemps que nous cherchons quelqu’un comme toi. Tu dois te douter que coordonner les résultats de dizaines d’équipes de chercheurs universitaires tout en gardant l’objectif ultime secret est un travail titanesque qui coûte très cher. Cela n’aurait pas été possible sans le soutien d’une personne ou d’une organisation extrêmement riche, quelqu’un qui profite du système mais qui, malgré tout, souhaite le changer. Ce généreux mécène, c’est moi !

Eva nous interrompt :
— Lorsque vous aurez fini de vous peloter et de vous lancez des œillades dans les fauteuils, on pourrait peut-être se mettre au travail ?

Elle est toujours aussi belle mais ses sourcils sur le point de se rejoindre semblent indiquer une contrariété. Je ne résiste pas et lui lance :
— Jalouse ? De moi ou de lui ?

Georges Farreck éclate de rire. Un rire franc et puissant qui me glisse le long de la nuque comme une coulée de cire chaude. Eva inspire profondément, faisant poindre ses petits seins sous son t-shirt. Curieusement, l’overdose de stimulation sexuelle semble s’annuler, s’équilibrer. Alors que mes gonades se battent en duel pour savoir qui de Georges ou d’Eva est le plus attirant, ma curiosité reprend le dessus.
— Au fond, je ne sais même pas pourquoi je suis là. Peut-être auriez-vous la bonté de m’expliquer à quoi rime toute cette histoire de rébellion ? Et puis, qu’est-ce qui vous prouve que je ne vais pas vous trahir ?
— Pas de soucis à ce niveau, me réplique Georges. Tu es quelqu’un de très actif sur les réseaux sociaux. Une de mes sociétés de production a envoyé aux services secrets une requête disant que tu étais soupçonné d’être en mesure de pirater mes films et demandant ton profil psychologique détaillé afin de préparer une mise en demeure préventive.
— Préventive ?
— Oui, une lettre menaçante disant que nous savions que tu n’avais pas encore piraté mais que tu étais capable de le faire et que tu étais dans notre collimateur.
— Mais c’est illégal pour une société privée d’obtenir un profil psychologique sans arrêt judiciaire !
— Oui, et alors ? Le département des renseignements coûte effroyablement chers. Le gouvernement le rentabilise en offrant ses services aux entreprises privées. Mais attention, pour respecter la loi à la lettre, les entreprises privées en question ont toujours un politicien élu dans leur conseil d’administration. De cette manière, il n’y a pas vente des données mais « synergie entre le public et le privé sous la responsabilité d’un représentant élu ». Enfin, bref, le plus important c’est que parmi tous les candidats que nous avons explorés, tu étais le plus loyal, sensible à notre cause et compétent techniquement.
— Mais de quelle cause parlez-vous exactement ?

Eva, qui était restée debout, me fait un signe de la main m’invitant à la suivre. Elle ouvre une porte qui donne sur un enchevêtrement de câbles. Quelques moniteurs éclairent la pièce d’une lueur blafarde. Un rack de serveurs clignote en une psychédélique sarabande. La surface des tables a disparu sous les claviers poisseux, les gobelets de café stratifiés et les improbables feuilles de notes. Je saisis, entre le pouce et l’index, une tasse en papier dont le premier usage doit probablement remonter au crétacé inférieur. Je la lève avec un clin d’œil vers Georges :
— Quoi d’autre ?

En réponse, il jette un regard désespéré à Eva. De concert, ils décident de faire comme s’ils n’avaient rien entendu. Se prendre un bide avec Georges Farreck : achievement unlocked. Eva retire la housse de ce que je reconnais comme étant un microscope électronique. Je siffle entre mes dents :
— Joli labo. Pour la déco, on dirait ma chambre. Vous n’avez pas un accélérateur de particules caché sous une table ?

Sans prendre la peine de me répondre, Eva dispose différentes poudres sur une surface plane parfaitement protégée et isolée du capharnaüm ambiant. Georges se tient sans rien dire derrière moi, les poings sur les hanches.
— Là, je dispose tout simplement une infime quantité de matériaux de base : du fer, de l’or, du cuivre, du silicium. Pas besoin que ce soit pur mais, dans un premier temps, c’est plus facile.

Elle déplace l’objectif du microscope, pianote sur un clavier. Une image apparaît sur un moniteur : la surface plane, agrandie des millions de fois. Eva ouvre un tiroir, une épaisse fumée en sort.
— Un accélérateur de particules, peut-être pas. Mais bien un frigo à azote liquide.

Sans un instant d’hésitation, elle enfile un épais gant, se saisit d’une petite pipette et dépose une goutte de liquide avant de le ranger et de refermer le container frigorifique. Sur l’écran, j’aperçois un point noir un peu trouble.
— Des centaines de scientifiques ont contribué, sans le savoir, à ce résultat. Ce que tu vois mesure un millier d’atomes ou à peine plus. C’est plus petit qu’une bactérie.

En quelques clics, elle règle la mise au point. Effectivement, une forme oblongue se précise. Une forme qui se déplace et qui entre en contact avec les matériaux saupoudrés par Eva. La frontière entre la forme et le matériau se fait floue.
— Il arrache des atomes, murmure Eva. Vas-y mon petit, vas-y !

L’étrangeté de ma situation me frappe. Je me tiens à côté d’une des plus grandes stars du cinéma en train de regarder la femme dont je suis éperdument amoureux, toujours affublée d’un maquillage anti-reco, encourager un assemblage d’atomes comme un chien à qui on aurait appris à faire le beau. J’avoue ne pas voir l’intérêt de tout cela jusqu’au moment où…
— Mais il grossit ! m’écrié-je.
— Non Nellio, regarde bien.

Je retiens mon souffle. Sur l’écran, le point noir me semble avoir presque doublé de surface mais je réalise qu’il s’agit de deux formes distinctes, deux formes parfaitement identiques qui commencent toutes les deux à s’attaquer au matériau restant. Je pousse un petit cri de surprise :
— Il s’est dupliqué !
— Disons plutôt qu’il a imprimé une copie de lui-même. C’est un peu différent. La duplication fait penser à une forme de mitose, ce n’est pas le cas ici.
— Mais c’est quoi ce projet ? Quel est votre objectif ? Quel rapport avec moi ?

La voix de Georges s’élève dans mon dos :
— C’est ce que nous appelons le projet von Neumann. Et c’est à ce stade que nous avons besoin de toi !

 

Photo par Daniel Go

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/printeurs-5/


Pourquoi vous êtes, sans le savoir, favorable au revenu de base

Thursday 19 September 2013 at 18:54

slow_job

Pensez-vous qu’il soit acceptable de laisser un humain mourir de faim ? À l’heure où l’humanité produit plus de richesses que jamais, je suis convaincu que la société se doit d’être solidaire avec ceux qui sont dans la difficulté. Le degré d’aide que la communauté doit apporter à ses déshérités varie certainement selon votre opinion politique ou philosophique mais nous pouvons certainement nous entendre sur un socle commun. Un minimum auquel chaque être humain doit avoir droit, quelles que soient les difficultés auxquelles il est confronté : de la nourriture, un logement, des vêtements. J’entends les geeks du fond crier « Et un accès Internet ».

Dans le pays où je vis, cette solidarité existe principalement sous la forme du chômage. Il est en effet considéré comme acquis que le seul moyen de subvenir à son existence est de travailler. Ceux qui ne travaillent pas n’ont pas de salaire et l’état leur fournit un remplacement, du moins s’ils prouvent qu’ils aimeraient travailler.

Le problème du chômage

Le chômage pose un problème fondamental qui est emblématique de notre société. Imaginons une personne qui, dans sa situation, peut obtenir un chômage de 1000 €. Cette même personne trouve un travail qui lui permet de gagner 1500 € par mois. Pour le travailleur, la différence entre le travail et le chômage est donc de 500 €. En vérité, elle n’est donc pas payée 1500 € mais bien 500 €. C’est en tout cas sa perception.

De l’autre, nous avons l’entreprise qui emploie cette personne. Afin de payer 1500 € par mois à l’employé, elle doit verser un salaire brut de 2500 €. Sans compter les lois sociales, les charges patronales, les assurances. Au total, l’entreprise paie donc 4000 €. Comme l’employé coûte également au quotidien (remboursements de frais, café, chauffage, électricité, eau), l’entreprise ne l’emploie que si son travail rapporte au moins 5000 € par mois.

Je simplifie mais l’échelle de grandeur est plus ou moins exacte : l’employé va produire 5000 € de travail mais n’en verra que… 500€ ! Si l’employé désire travailler à temps partiel, par exemple pour se consacrer à sa famille, il risque de toucher moins que le chômage à temps plein (situation réelle que je tiens de première main). Pour le patron, c’est encore pire vu que pour obtenir de l’employé la moitié du travail, il va devoir payer près de deux tiers d’un salaire normal. Ce n’est pas étonnant que le temps partiel soit si peu répandu !

Au total, l’employé et l’entreprise sont tous deux perdants. Mais qui est le gagnant ? Le gagnant est tout simplement l’État qui grossit et qui consomme une énorme quantité d’argent pour… mettre en place des administrations afin de vérifier qu’une personne a bien remplit les quinze formulaires qui prouvent qu’elle bénéficie du chômage. Une administration où l’on emploie des milliers de personnes pour tenter de faire trouver du travail à quelques autres. En désespoir de cause, on proposera aux chômeurs qui ne trouvent rien depuis des années de… devenir formateurs dans la recherche d’emploi auprès des autres chômeurs (situation réelle que je tiens de première main).

Le chômage remplit-il ses objectifs ?

Bref, une solution loin d’être idéale mais peut-être est-elle au moins efficace ? Pas vraiment… L’administration est tellement complexe que certaines personnes dans des situations précaires se voient exclure du chômage. D’autres s’en sortent tellement bien dans les rouages qu’ils touchent l’argent et vont vivre confortablement une partie du temps dans un pays où la vie est moins chère tout en respectant scrupuleusement la loi et les règles (situation réelle que je tiens de première main).

Les chômeurs sont donc stigmatisés en « profiteurs ». Comment pourrait-il en être autrement, ils gagnent à peine moins qu’un employé de supermarché qui travaille neuf à dix heures par jour et rentre chez lui exténué ?

Or le travail se fait rare. Pourquoi devrait-on en créer ? N’est-ce pas un succès de l’humanité que d’arriver à diminuer le travail ? Le chômage pousse à la création d’un travail artificiel, il encourage le creusage/rebouchage de trous, il permet à certains de jouer avec le système et exclut définitivement certains nécessiteux. Pire, pour certains travailleurs le chômage décourage d’entreprendre le moindre travail vu que travailler ne fait pas toujours gagner plus. Pire, il peut vous faire perdre vos allocations. Le postulat de départ d’être un outil pour fournir à chaque citoyen le minimum vital semble donc loin d’être atteint.

Simplifions le tout

Vous vous doutez bien que si je dénonce cette situation, c’est que j’ai une solution. Reprenons le problème initial : fournir à chaque citoyen le minimum vital. Eh bien voilà ! Elle est là la solution ! Il suffit de fournir à chaque citoyen un revenu minimal auquel il a droit quelle que soit sa situation. N’est-ce pas merveilleusement simple et élégant ?

Ce principe s’appelle le revenu de base ou revenu inconditionnel. Il est étudié et même recommandé par de nombreux économistes depuis des décennies. Il a l’immense mérite de simplifier notre vision de la société et de l’économie. Si, par exemple, le revenu de base est de 1000 € par mois, votre patron vous proposera un salaire de 500 € pour que vous ayez un total de 1500 €. Plus d’inégalités, plus de stigmatisation entre travailleurs et chômeurs. C’est également un grand promoteur du travail à temps partiel. Un mi-temps ? 250 € au lieu de 500 €, c’est parfaitement honnête, logique et compréhensible par tous.

Oui mais…

Je sais que l’idée fait peur. Après tout, elle chamboule des fondamentaux de notre société et notre éducation. Elle fait descendre le dieu travail de son piédestal.

Le coût, tout d’abord, semble très important pour l’État. Mais plusieurs simulations montrent que la simplification qui s’ensuivrait serait, au contraire, bénéfique (liens bienvenus). Imaginez en effet le nombre de primes, d’aides diverses, de revenus artificiels qui peuvent être supprimés si l’on postule un revenu de base ! Tout cela va de pair avec la réduction administrative. Beaucoup semblent également craindre l’arrêt total de l’économie car plus personne ne voudrait travailler.

Là, je vous arrête : le revenu de base est, comme son nom l’indique, une base. Demandez autour de vous qui serait prêt à arrêter de travailler et ne gagner qu’un revenu de base, c’est loin d’être la majorité. La diminution conséquente des salaires entrainera également les entreprises à embaucher plus facilement. Bref, cela relance notre économie.

Au final

Vous n’êtes toujours pas convaincu ? Réfléchissez sur le principe fondamental, imaginons que vous arriviez à mettre en place un chômage idéal qui n’exclut personne sauf les profiteurs qui n’en ont pas besoin. Cela parait utopique mais admettons.

Vous savez quoi ? Vous venez en fait de mettre en place l’équivalent d’un revenu de base. Un système ou tout le monde touche le minimum vital quoi qu’il arrive. Tout ce qu’on peut reprocher au revenu de base est, en fait, intrinsèque à tout système solidaire avec les plus nécessiteux.

Sauf que votre système est infiniment plus compliqué et plus coûteux. Il demande de mettre au travail une armée de personne (les fonctionnaires) qui sont payées par les impôts prélevés sur les salaires. Cela engendre donc un fort sentiment d’injustice auprès des travailleurs et cela plombe l’économie  à cause des charges salariales.

Le chômage, ou tout système de solidarité est, quand on y pense, une variation plus ou moins complexe autour du revenu de base. Si, comme moi, vous pensez qu’un être humain devrait avoir un toit et de quoi manger, vous êtes sans le savoir en faveur du revenu de base.

Il ne nous reste plus qu’à convaincre nos représentants.

 

Si vous êtes citoyen européen, prenez quelques secondes pour signer, c’est important et cela obligera le Parlement européen à débattre du revenu de base. Un million de signatures sont nécessaires et on est encore loin du compte. Faites suivre à vos amis, vos connaissances, sur les réseau sociaux. Par votre signature, vous ne vous engagez pas à soutenir le revenu de base : vous demandez juste à ce qu’il soit à l’ordre du jour du parlement européen. Même si cela vous parait utopique ou irréaliste, l’important est d’ouvrir le débat et d’élargir le champ des possibles.

Photo par B.C. Ministry of Transportation and Infrastructure

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/pourquoi-vous-etes-sans-le-savoir-favorable-au-revenu-de-base/


Qu’est-ce que la conscience ?

Saturday 14 September 2013 at 14:17

penseur_de_rodin

Mais au fond, qui suis-je ? Quel est cet univers magique où je suis ? Comment en ai-je conscience ? Qu’est-ce que la conscience ? Si l’on me retirait neurone après neurone, à partir de quand ne serais-je plus moi ?

Toutes ces questions, nous sommes nombreux à nous les poser, dès le plus jeune âge. C’est également un domaine de recherche scientifique très actif. Le neurologue Michael Graziano a récemment publié un article passionnant sur une nouvelle théorie de la conscience. Et j’ai été subjugué car cette théorie est belle, simple, intuitive et, surtout, explique beaucoup d’observations que nous faisons tous les jours.

Je vous recommande vivement cette lecture mais comme c’est en anglais, j’ai décidé de vous le résumer en y rajoutant mes propres commentaires et des informations issues de mes autres lectures.

Dans un autre article, dont je ne retrouve malheureusement plus la trace, j’avais lu que le système nerveux était essentiellement lié au mouvement. Tout être vivant qui se meut possède un système nerveux, même rudimentaire. À l’opposé, il n’existe pas d’être vivant statique possédant un système nerveux. Un exemple était donné avec une espèce marine qui, après s’être fixé sur un rocher de son choix, digérait son propre système nerveux, n’en ayant plus besoin.

La raison est relativement simple à comprendre : se mouvoir nécessite d’obtenir des informations sur le monde extérieur et sur sa propre situation dans ce monde extérieur. Le système nerveux est chargé de centraliser ces différentes informations. Comme elles sont extrêmement nombreuses, l’évolution a permis l’apparition d’un organe centralisateur assez développé : le cerveau. Le cerveau a lui-même développé un mécanisme permettant de filtrer les informations les plus importantes : l’attention.

Nous connaissons tous l’attention. Lorsque nous sommes absorbé, par exemple par un livre, nous n’entendrons pas un son qui, dans un autre contexte, nous aurait paru particulièrement fort. Le cerveau a tout simplement focalisé l’attention sur certaines informations. Cette capacité d’attention existe même chez les insectes et les crustacés.

Mais l’attention est une forme de contrôle du cerveau. Hors, tous les spécialistes en robotique vous le diront, pour pouvoir contrôler, il faut que le contrôleur dispose d’une modélisation du monde extérieur. Ainsi, l’ordinateur qui va contrôler un bras mécanique a besoin d’avoir une représentation virtuelle du bras en question, du hangar dans lequel il évolue et de la manière dont les moteurs influent sur le mouvement du bras.

Un modèle, par essence, n’est pas la réalité. C’est une représentation simplifiée, optimisée pour une utilisation particulière. Michael Graziano prend l’exemple des généraux qui déplacent des soldats de plombs sur une carte. Nous comprenons bien que les soldats de plomb ne sont pas réels, qu’ils ne sont qu’une représentation. Mais ils permettent aux généraux de prendre des décisions.

Le cerveau bâtit donc un modèle du monde extérieur (la carte utilisée par les généraux) et de notre propre corps (les soldats de plomb). Cependant, nos généraux ont besoin de se représenter eux-mêmes sur la carte afin d’éviter de se mettre en danger et de bien comprendre comment leur parviennent les informations. Disons qu’ils font cela avec une grosse épingle rouge. Pour Michael Graziano, notre conscience est cette épingle rouge : une représentation que le cerveau a de lui-même afin de pouvoir concentrer son attention de manière optimale.

Toute théorie de la conscience doit, pour être satisfaisante, répondre à deux questions : A) comment les informations du monde physique sont elles transmises à la conscience et B) comment la conscience est-elle transmise au monde physique. En effet, il est possible de dire « Je suis conscient », action qui requiert l’activation de muscles afin de déplacer de l’air. La conscience agit donc sur le monde physique. On remarque immédiatement que toute théorie invoquant une âme ou un principe immatériel bute justement sur ces questions d’interface. À titre personnel, j’appelle cela le « Paradoxe Bill Murray ».

Dans « Un jour sans fin », Bill Murray est condamné à revivre sans arrêt le même jour, même s’il se suicide. Il ne garde aucune marque physique, aucune cicatrice, ses cheveux et sa barbe ne poussent pas, prouvant sans contestation possible que le corps est le même chaque matin. Par contre, il apprend petit à petit à jouer du piano et se souvient des jours passés, signifiant que l’esprit, lui, est différent chaque matin. Or, pour transformer un corps qui n’a jamais touché un piano en un joueur aguerri, l’esprit doit forcément accomplir un changement physique sur ce dernier. Mais, comme je l’ai dit, tout semble indiquer que le corps n’a pas évolué. Le film démontre donc, par l’absurde, que la séparation corps/esprit n’est pas réaliste et que la définition du « moi » est intrinsèquement liée au corps. Oui, je le reconnais, c’est assez pénible de regarder un film en ma compagnie…

Mais clôturons ici ma parenthèse personnelle sur Bill Murray et revenons à nos question A) et B). La théorie de Graziano y répond parfaitement car la conscience n’est qu’une information comme une autre traitée par le cerveau, comme l’épingle rouge n’est qu’un élément parmi d’autres de la modélisation de nos généraux. Pour prendre un parallèle informatique, la conscience est un logiciel chargé de faire le tri entre les informations, celles-ci pouvant provenir de nos sens (monde extérieur), de notre système nerveux (notre corps) ou de nos souvenirs.

Mais qu’est donc la conscience finalement ? Qu’est donc ce « moi » ? Et bien tout simplement il s’agit de l’attention portée à la modélisation de notre corps. Lorsque nous sommes au cinéma, plongé dans un film palpitant, nous n’avons plus conscience d’être un corps assis dans un fauteuil. Nous n’avons plus conscience d’être nous-même, l’attention n’est plus portée sur notre corps. Par contre, lorsque nous devons attraper un objet, nous ne réfléchissons pas en termes de « fixer les deux yeux sur l’objet, mesurer l’angle entre les deux yeux, en déduire une estimation de la distance de cet objet, activer le muscle de l’épaule puis le biceps ». Nous pensons simplement « moi, en conscience, je prends l’objet ». Le moi est donc bien dans ce cas une simple attention portée à mon corps dans un espace physique. Ajoutons que la capacité de percevoir l’immensité, tant spatiale que temporelle, du monde, et le moi va logiquement se poser des questions « qui suis-je ? » ou « qu’est-ce que l’univers ? » dans le simple et unique but d’affiner son modèle, sa représentation du monde extérieur.

Tout ça pour ça ? Toute la philosophie réduite à un simple modèle ? N’est-ce pas un peu frustrant ? Peut-être, mais une théorie n’a pas besoin de satisfaire notre ego pour être vraie. Et puis, entre nous, je trouve ça justement magnifique, merveilleux de simplicité.

Là où la théorie devient vraiment intéressante c’est lorsqu’elle va plus loin, elle explique des phénomènes étonnants. Tout modèle est réducteur et simplificateur. Si notre conscience est un modèle, quelles sont les simplifications, les erreurs de ce modèle ?

Ici, deux erreurs sont pointées particulièrement du doigt par Graziano : tout d’abord, comme je l’ai dit en introduction de cet article, le système nerveux a pour vocation de nous déplacer dans un monde physique, matériel. Il s’ensuit que notre conscience a beaucoup de mal à accepter des concepts plus abstraits. Intuitivement, l’humain va associer une sensation physique à des phénomènes non palpables. L’exemple donné est celui de la vue. Nous savons tous que l’œil n’est, au fond, qu’un trou qui capte les photons. Mais nous avons tendance à percevoir la vision comme un rayon produit par les yeux. Superman a des rayons X qui lui sortent des yeux. Terminator a les yeux rouges qui brillent. Cela n’a aucun sens scientifique mais la vision est en fait trop complexe pour notre modèle interne du monde, aussi la simplifions-nous avec ce que nous pouvons appréhender. Cette erreur est tellement forte que nous avons parfois l’impression de sentir un regard se poser sur nous. Certaines personnes pensent pouvoir sentir qu’elles sont regardées. C’est évidemment faux mais, au fond, logique. Cette volonté d’attribuer une existence physique à tous les concepts trouve son apogée avec… l’âme, où la conscience se force à s’attribuer à elle-même une existence physique. La plupart de nos superstitions sont en fait l’attribution arbitraire de propriétés physiques à un concept abstrait : les « fluides vitaux », les « forces primales », la médecine par « les énergies ».

Une autre erreur est que les cerveaux évolués ont appris à reconnaître la conscience dans le monde extérieur. L’humain, animal social s’il en est, excelle dans cette capacité d’attribuer de la conscience à tout ce qui l’entoure. Lorsque nous assistons à un spectacle de ventriloque, nous savons intellectuellement que le singe est une peluche sur la main de l’artiste. Pourtant, nous ne pouvons nous départir de l’idée que le singe a une personnalité, une conscience. De la même manière, nous plaignons Tom qui n’arrive jamais à attraper la souris Jerry même s’il ne s’agit que de dessins sur une pellicule. En se baladant de nuit dans une forêt, nous aurons l’impression d’être guetté. Les arbres nous paraîtront menaçant car le manque de perception dû à l’obscurité nous fera percevoir, par défaut, une conscience dans ce qui bouge. Nous attribuerons aux arbres une volonté consciente de nous nuire. En informatique, il s’agit d’un faux positif. Notre cerveau préfère se tromper en attribuant une conscience à ce qui n’en a pas que, au contraire, ne pas attribuer de conscience à ce qui pourrait en avoir.

Si vous combinez l’ajout de propriétés physiques et d’une conscience à des concepts abstraits, vous avez la naissance des religions. Le dieu de la mer, le dieu du vent, le dieu des moissons. L’esprit des arbres, des objets ou des ancêtres. Et puis l’esprit de la terre ou de l’univers tout entier. Nous attribuerons une conscience à un ensemble de consciences. Et qui dit conscience dit volonté, volonté à laquelle il faut nécessairement se plier. Au fond, croire en un dieu omniscient et omnipotent n’est que recréer le concept d’âme à l’échelle de l’univers.

La science ne pourra jamais démontrer que l’âme et les dieux n’existent pas pour la simple et unique raison qu’il est impossible de prouver une inexistence. Par contre, la science a déjà réussi à prouver que les concepts de dieu et d’âme n’étaient pas nécessaires et, qu’au contraire, ils ne rentrent dans aucun modèle scientifique actuel. À présent, la science est en train de nous expliquer pourquoi nous avons une tendance parfaitement naturelle à y croire même si ce n’est pas rationnel ou logique.

L’être humain est tellement bien programmé à reconnaître la conscience autour de lui, atout évolutif indéniable pour un animal social, qu’il s’est créé un univers de consciences chapeauté par une conscience ultime. Avec pour résultat inattendu de parfois se mortifier ou tuer au nom de cette conscience qu’il croit percevoir. En programmation informatique, on appelle ça un bug.

 

Photo par Antoine Hubert

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/quest-ce-que-la-conscience/


Printeurs 4

Friday 13 September 2013 at 14:32

empty_street
Ceci est le billet 4 sur 6 dans la série Printeurs

Notre baiser est interrompu aussi soudainement qu’il a commencé. Eva me repousse d’un geste brusque.
— C’est bon, il est parti !

De sa poche, elle tire un petit spray de maquillage avec lequel elle commence à se dessiner de noires arabesques sur le visage. Elle me le tend :
— Tu connais des configurations anti reco ?
— Euh… oui mais je ne vois pas trop l’utilité. Cela fait depuis le début de la soirée qu’on passe devant toutes les caméras de sécurité.
— Ce quartier est plus ancien. Les caméras sont très rares. La municipalité envoie parfois des drones pour assurer « la sécurité » du voisinage. Mais, du coup, ils ne peuvent plus garantir une couverture totale. Pas assez de budget.
— Ah…

J’ai clairement entendu les guillemets d’ironie quand elle a parlé de sécurité. C’est un sujet récurrent, immortel, immuable. Une partie de la population exige plus de sécurité face à d’hypothétiques périls savamment mis en valeur tandis qu’une minorité est plus effrayée par les mesures sécuritaires que par les dangers à proprement parler. Mais si nous sommes nombreux, en ligne, à nous inquiéter sur les possibles dérives autoritaires du pouvoir en place, force est de constater que, jusqu’à présent, nous sommes encore dans une situation d’équilibre. Nous vivons bien, nous pouvons nous exprimer, l’injustice est réduite et les élections se déroulent sans grand soucis. Nul besoin de recourir à des mesures aussi paranoïaques que le maquillage. Après tout, si le gouvernement sait que je suis venu ici, grand bien lui fasse, je n’ai rien à cacher !

— Écoute Eva, es-tu vraiment sûre que tout ce cirque soit nécessaire ?
— Ton téléphone, fait-elle en pointant l’écran à mon poignet, éteins-le.
— Mais, écoute, c’est ridicule, …

Elle attrape mon poignet et détache l’écran du bracelet de support. D’un mouvement souple, elle le déplie en tablette et commence à pianoter d’une main.
— C’est quelle version ? Comment l’arrêtes-tu complètement, y compris les accessoires liés ?

Je lui reprends l’écran des mains, lui montre comment l’éteindre et le replie docilement. Un changement subtil vient de s’opérer autour de moi. Curieux, je me retourne. La rue est devenue plus sombre, plus menaçante, plus solitaire. Des ombres s’allongent et s’avancent, gagnant du terrain sur les quelques néons qui peinent à trouer la lourde noirceur de la nuit.
— Les pubs, me fait Eva.
— Quoi les pubs ?
— Les pubs que tu voyais dans les vitrines et sur les panneaux. Elles sont toutes projetées via tes lentilles. Ton forfait sans publicité ne couvre pas les publicités placées localement. Tu continuais donc à les voir. À ta tête, j’ai le sentiment tu n’as pas dû retirer tes lentilles depuis un bon moment.

Les murs semblent soudain affreusement nus. J’ai’impression d’avoir quitté une ville vivante, agitée, pour un chancre aux façades borgnes. Derrière les publicités désormais éteintes apparaissent des fenêtres poussiéreuses badigeonnées de peintures. Les attractifs éclats lumineux et colorés ont laissé la place à de sombres reflets, à de tristes ombres chinoises où se jouent d’effrayants pantomimes. Un frisson glacé me parcourt l’échine.

— Est-ce que tu as un autre modem sur toi ?
— Non, mes lentilles et mon neurex se sont éteints avec le téléphone. Pas de risque.
— Ok, alors maintenant on se dépêche. La disparition d’un téléphone entraîne parfois l’envoi d’un drone. Nous avons quelques minutes pour gagner mon appartement.

D’un pas rapide, nous nous éloignons tandis que je me barbouille le visage de maquillage. Sa démarche est souple, élancée. Je m’essouffle mais, malgré tout, je fais un effort pour ne rien laisser paraître. Je tente même de lancer une conversation sur un ton faussement serein.
— Cela donne l’impression d’être dans un film de science-fiction. Genre un bon vieux cyberpunk. Amusant, non ?

Elle me jette un regard noir. Bon, ce n’était pas drôle. Ou alors elle n’est pas versée dans le cyberpunk.
— Écoute Eva, tu ne penses pas sérieusement que toutes ces précautions soit réellement nécessaires ?
— Je ne t’ai pas convaincu ?
— Je ne sais pas. Le couplet des méchants riches qui exploitent les gentils pauvres, c’est un peu éculé, non ? Il n’y pas quelques humains méchants qui décident d’asservir l’humanité simplement pour assouvir leur soif de pouvoir. Chacun tente de tirer un bout de la couverture à lui mais il n’y a pas de volonté centralisée. Au fond, je pense que les humains sont tous convaincus d’agir pour le bien-être général. C’est toute l’humanité qui est responsable.

Nous arrivons devant la porte d’immeuble. Une ampoule blafarde tente de trouer l’obscurité moite de la rue. Elle acquiesce :
— Ton hypothèse n’est pas impossible. C’est même le pire scénario envisageable.
— Pourquoi le pire ?

Elle sort une vieille clé en métal et ouvre la porte. D’un geste, elle m’invite à entrer :
— Parce qu’alors ce n’est plus un petit groupe de corrompus qu’il nous faudrait combattre. Mais l’humanité toute entière !

Eva referme la porte derrière moi et m’attire dans une pièce du rez-de-chaussée. De surprise, je manque de tomber à la renverse tandis qu’elle me susurre à l’oreille :
— Bienvenue dans la rébellion !

 

Image par Kenneth Moyle

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/printeurs-4/


Objectif 1%

Wednesday 11 September 2013 at 19:24

objectif_lune

Pour les créateurs, internet est un moyen merveilleux de toucher directement une audience, sans passer par des intermédiaires qui prennent plus de 90% du prix. Plus besoin de passer par les limitations et le coût du support physique. Inutiles également les éditeurs, les producteurs, les comités de relecture : le public peut enfin être seul juge, libre de son choix.

Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

Et bien, pas vraiment. Je suis un consommateur avide de livres, d’articles, d’histoires, de musique, de nouvelles et de films. Je me procure le tout entièrement gratuitement sur internet. Je bloque toutes les publicités. Mais je paie malgré tout ma connexion internet qui, au fond, n’est qu’un intermédiaire.

Il s’en suit que, en théorie, 100% de ce que je dépense en médias va aux intermédiaires. La situation est donc, pour les créateurs, pire qu’avant.

Une licence globale ?

La solution de facilité, face à ce constat, serait de prélever un pourcentage sur ma connexion pour le distribuer aux créateurs. Mais qui déciderait quel créateur est éligible pour un paiement et dans quelle proportion ? Qui paierait ces décideurs ? Et quid de ceux qui voudraient payer plus ? Ou de ceux pour qui la connexion internet est déjà un luxe dispendieux ?

Non, la licence globale renforcerait les inégalités, tant au niveau du créateur que du consommateur.

1% de mon revenu

J’ai alors décidé de me fixer l’objectif suivant : donner, de manière récurrente et automatisée, 1% de mon revenu mensuel aux créateurs de contenus sur Internet. Je me suis fixé 1% mais j’espère pouvoir augmenter ce plafond en corrélation avec mon niveau de vie. Après tout, si vous gagnez 10.000€ par mois, vous pouvez sans doute vous permettre de donner plus que 100€ à la création. Peut-être 200 voire 500€.

Si vous vivez assez confortablement pour avoir de quoi payer vos factures et mettre un peu d’argent de côté je vous invite à soutenir la création à hauteur de 1% de vos revenus. Ou plus si vous le souhaitez. Après tout, 1% de votre temps ne représente qu’un quart d’heure par jour ! Si vous me lisez, il y a de fortes chances que vous passiez plus d’un quart d’heure par jour à consommer du contenu sur internet.

De quelle manière

Le moyen que vous choisirez importe peu. L’important est que ce soit régulier, que ça devienne un réflexe ou un automatisme et que ce soit à destination des producteurs de contenu. Personnellement, j’ai choisi de le faire principalement via Flattr, dont je vous ai déjà parlé. Je peux en effet fixer la somme mensuelle que je veux dépenser à 1% de mon revenu et soutenir des dizaines de créateurs différents chaque mois. Une autre alternative est Patreon, qui permet de soutenir régulièrement certains créateurs (comme moi, coucou!).

Cela n’empêche nullement de faire des dons ponctuels pour des projets crowdfundés, pour un événement spécial comme un concert ou pour une œuvre de charité. Personnellement, cela ne rentre pas dans mon 1% qui est destiné aux créateurs sur le web. C’est mon choix mais à vous de l’adapter à vos valeurs.

Cela ne touche qu’une poignée de créateurs

Quelle que soit la solution que vous choisirez, vous ne pourrez pas toucher tous les créateurs que vous appréciez. Personnellement, j’aime beaucoup de créateurs qui ne sont pas sur Flattr. Qu’à cela ne tienne, je pense qu’il est du devoir du créateur qui souhaite être rémunéré d’élargir ses horizons.

Choisissez la solution qui vous convient le mieux : Paypal, achat de supports physiques, bitcoins, Flattr, virements bancaires. Ou encore par un don mensuel à une organisation particulière, comme Framasoft. Ou un mélange de tout cela. Quoiqu’il en  soit, n’oubliez pas à prévenir les créateurs que vous souhaitez les soutenir en indiquant comment ils peuvent obtenir votre support. Je vous invite également à partager cet article (ou votre adaptation personnelle) autour de vous en indiquant le moyen que vous aurez choisi.

Mais au fond, pourquoi ?

Selon mon expérience personnelle, rendre mon blog payant est une expérience formidable. Chaque paiement reçu me motive à me dépasser, à trouver des nouveaux thèmes, des nouvelles manières d’écrire. Sans blog payant, je n’aurais probablement pas commencé à publier des histoires ou un feuilleton.

En contribuant à hauteur de 1%, vous encouragez moralement les créateurs. Peut-être leur permettrez-vous de réduire leur travail non-créatif pour se concentrer sur la création. Après tout, 1000 personnes qui donnent 1% de leur salaire pourraient permettre à 20 créateurs de se consacrer à leur art à mi-temps. N’est-ce pas une perspective incroyable ?

Après, vous vous dites certainement que, pour vous, ça ne fera pas de différence. Les autres donneront et vous aurez accès au contenu. Je vous arrête de suite, c’est dans votre propre intérêt. Des études scientifiques très sérieuses le prouvent : donner et être reconnaissant rend heureux.

Vous investissez déjà probablement un certain pourcentage de vos revenus dans une pension, une voiture, une maison. Et bien je vous invite à investir 1% dans votre bonheur. Et dans les contenus qui vous rendent heureux.

 

Photo par Epoxides

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/objectif-1/


La nouvelle salle de rédaction

Monday 9 September 2013 at 16:50

davanac

En ce matin d’avril 2014, le soleil semble enfin daigner pointer ses rayons sur le parking de Louvain-la-Neuve où nous attendons les derniers retardataires de l’équipe de rédaction. L’hiver n’est pas encore derrière nous, j’ai prévu un pull dans mon sac à dos.
— Alors chef, c’est quoi le programme de la journée ?
— Journée élections, Lio, journée élections ! Cela se rapproche à grand pas.

La porte du Van s’ouvre.
— Salut, fait le nouvel arrivant.
— Salut Xav, tu es le dernier, on peut lancer le briefing, installe-toi !
— J’ai apporté des spéculoos, je les mets dans le coffre.

Tandis que Xav pousse son sac et s’insère tant bien que mal entre Laurent et moi, Damien lance le briefing :
— Donc, comme on a dit, journée élections. Aujourd’hui, on se concentre sur le Brabant-Wallon. Pendant la matinée, nous allons rencontrer plusieurs élus et candidats que je vais interroger. Pendant ce temps là, Lio et Xav, vous fact-checkez autant que possible en utilisant Data.be. Vous comparez avec ce que la personne ou son parti a dit et a fait. Le but est de clairement highlighter qui doit voter et qui ne doit pas voter pour cette personne et ce parti, tout en bypassant le bullshit marketing.
— Mais on avait dit qu’on allait interroger des gens ?
— Ça, c’est pour après. On va interroger les électeurs mais avec un objectif très clair : tenter de comprendre ce qui motive leur choix et dans quelle mesure ce choix est influencé par les sondages et par la presse. Je veux une focalisation sur les petits partis : est-ce que les règlements comme celui de TVCom qui ne les laissent pas participer aux débats télévisés ont une réelle influence ?

Je grogne :
— Sans compter la disparition pure et simple des petits partis de la presse locale si ce n’est pour se moquer d’eux.
— Ben quand un groupe comme Tecteo, dirigé par des politiques, rachète une industrie en train de péricliter et en déficit comme l’est la presse papier, il faut bien qu’ils trouvent une compensation.

Des rires jaunes fusent. Damien nous reprend :
— Tâchez de rester neutres, surtout toi Lio. Pas de mise en avant du Parti Pirate. Le flux vidéo de vos Google Glass est transmis en direct au Van à Jonathan, qui fera le montage en temps réel pour l’envoyer sur l’Hangout On Air. Si vous avez un truc important, un scoop ou autre, vous pressez le bouton en haut à droite de votre Pebble. Cela enverra une alerte et placera un marqueur dans l’archive vidéo. Laurent, pendant ce temps là, tu nous fais de beaux plans aériens avec le drone pour meubler les temps morts. Martin, t’es responsable de la photo.
— Ok chef !
— Bon, réglez vos montres, il est exactement … NTP.
— Mouarf, tu vas nous la refaire à chaque fois celle-là ?
— Moi je ne comprends rien à vos blagues de geeks.

La camionette démarre, l’excitation est palpable.
— T’as vu les dernières stats de la page Facebook et des vidéos Youtube ?
— Non, pourquoi ?
— Je pense qu’on a dépassé les journaux papiers en termes d’audience. Les récapitulatifs sur Facebook sont à chaque fois partagés des milliers de fois.
— Mouarf, c’est Lab Davanac que Tecteo aurait du racheter.
— C’est vrai que ça éviterait de devoir courir après les dons en bitcoins et les flattrs pour arriver à payer l’essence.
— Ce ne sont pas des dons, c’est un prix libre, dis-je avec un ton didactique qui a le mérite d’énerver tout le monde.
— Et puis, à part l’essence, la 3G et les sandwichs, on n’a pas de frais. Pas de local, pas d’impression. On n’a même pas de site web, on est uniquement sur les réseaux sociaux.
— C’est marrant, dans All the President’s Men, la salle de rédaction est l’élément central du journalisme d’investigation. Aujourd’hui, on ne pourrait même pas se payer le premier mètre de moquette.
— On est pauvre, mais on est libre. Et on se marre. C’est le futur du journalisme.
— Je suis pas sûr que les journalistes qui sont restés dans le circuit traditionnel soient moins pauvres. Et ils doivent se marrer nettement moins.
— Après tout, le meilleur tarif pour une information indépendante n’est-il pas un prix libre ?

 

Ce texte n’est pas tout à fait une fiction. Ce jeudi 5 septembre 2013 a eu lieu le voyage inaugural du da.van.ac, une camionnette entièrement équipée par Damien Van Achter pour effectuer le type de missions décrit dans cette histoire. Dirigée par Damien, l’équipe de pilotes d’essai, composée de Martin, Xavier, Laurent, Jonathan et votre serviteur, a testé la connectique, l’accès internet, l’échange de fichiers en interne, la disposition idéale des sièges, l’utilisation des laptops sur l’autoroute. Nous avons également exploré les possibilités offertes par des jouets comme un drone ou une Pebble. Nous nous sommes formés au Bitcoin et à PGP. Il ne manquait plus que les Google Glass.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/la-nouvelle-salle-de-redaction/


Printeurs 3

Friday 6 September 2013 at 15:24

empty_street
Ceci est le billet 3 sur 6 dans la série Printeurs

Galamment, j’ouvre la portière du taxi qui s’est automatiquement glissé le long du trottoir lorsque nous sommes sortis du restaurant. Eva me regarde et soupire.
— Marchons ! Mon appartement n’est qu’à une demi-heure.
— Mais c’est dangereux ! Il fait nuit !

Une adolescence passée à programmer et à démonter les appareils électroniques, au grand dam de mes parents, le remontage m’intéressant nettement moins, m’a affublé d’un gabarit qui est sans doute aussi éloigné du type lutteur greco-romain que vous pouvez l’imaginer. En conséquence, je ne marche jamais dans les grandes villes la nuit. D’ailleurs, je n’en vois pas l’utilité : dès que je dois me rendre quelque part, un taxi m’attend. Parfois, le système n’a pas détecté à temps que j’allais sortir de chez moi. Je dois battre le pavé quelques minutes mais c’est relativement rare. Je monte dans le taxi et, si je ne donne pas de contre-indication, il démarre automatiquement vers ma destination la plus probable. C’est pratique, confortable, bon marché et, surtout, j’utilise mon temps dans le taxi pour lire ou coder. Chose que je n’ai jamais réussi à faire en marchant.

Pour les déplacements trans-urbains, le taxi me dépose à proximité du train ou de l’avion. Je passe le contrôle de sécurité, tout est automatique, pas de temps perdu. Depuis plusieurs années, les ingénieurs discutent afin d’embarquer les taxis directement dans les trains ou les avions mais, pour le moment, cela reste du domaine de la science-fiction.

Quoi qu’il en soit, il ne me viendrait jamais à l’idée de marcher ! Poser un pied devant l’autre pendant des kilomètres de trottoir ? Et pourquoi pas la diligence ou le cheval ?
— Eva, une jeune femme belle comme toi ne devrait pas se promener la nuit.
— Alors qu’un homme oui ? Je te rappelle que, d’après ton profil, tu es pédé monsieur le « macho-qui-protège-les-faibles-femmes » !

Boum, headshot, comme on dit chez nous. Respawn.
— Second essai : des jeunes gens comme nous ne devraient pas se promener la nuit.
— Tu as peur ?
— Oui, il y a encore eu un viol le mois passé. C’était sur tous les sites de news.
— Je vais te poser une simple question : connais-tu le nombre d’accidents de taxis sur le mois écoulé ?
— Euh, non, mais je…
— Est-ce que la probabilité d’être tué ou violé par des délinquants est plus importante que la probabilité d’être tué dans un accident de taxis ?
— Je n’en ai fichtrement pas la moindre idée !
— Sur quel raisonnement te bases-tu alors pour affirmer que marcher est plus dangereux que prendre le taxi ?
— Et bien cela me semble évident, non ?
— L’évidence, cela se mesure, cela s’observe. Si tu ne peux pas observer ni mesurer, mais que tu es intérieurement convaincu, cela s’appelle la foi. C’est le contraire de la réflexion.
— Mais ma foi doit se baser sur des faits. Il y a bien une raison à cette intime conviction.
— Me dit l’homo qui est tombé amoureux d’une femme au premier regard après le visionnage inconscient de quelques pubs. Tu refermes la porte de ce taxi et on y va à pied ou tu comptes continuer à exposer publiquement la médiocrité de tes préjugés ?

Je constate que ma mâchoire et la porte du taxi sont stupidement béantes. Je referme les deux et tente de me reconstruire une contenance. Cette femme est réellement un être hors du commun. Au lieu de provoquer ma colère, sa répartie, sa rapidité de réflexion m’interpellent. J’aimerais avoir ce don… Une seconde ! Et si nous avions tous cette capacité ? Et si nous nous efforcions de la détruire là où Eva n’a fait que la cultiver ? Cette pensée me semble effrayante. Nous nous mettons en marche.
— Tu sais Nellio, si j’ai pris l’habitude de marcher, c’est avant tout parce que mes parents n’avaient pas de quoi payer le taxi.
— Pourtant, ce n’est vraiment pas cher.
— Non. À la minute, c’est plus ou moins le même tarif que se passer des pubs. C’est un choix à faire.

Je médite en silence sur cette dernière phrase. L’air est doux, la nuit est fraîche. Eva frissonne. Je retire ma veste et la pose sur ses épaules.
— Pas besoin, on est presque ar…

Fermement, je maintiens le vêtement. Elle lutte un peu, par principe mais cède assez rapidement. On peut militer pour l’égalité des sexes tout en appréciant le charme désuet de cette absurde galanterie.
— En plus, dans les taxis, il y a des publicités diffusées qui…
— Chut !

Je lui impose le silence d’un doigt sur la bouche. J’ai envie de lui montrer les quelques étoiles qui percent entre les gratte-ciels mais je résiste à tomber dans un cliché aussi éculé. Le coup de la veste est déjà bien suffisant pour être catalogué parmi les ringards. En silence, nous continuons à marcher tandis que mon esprit se peuple de pensées affreusement hétérosexuelles.

Le taxi qui nous a dépassés ressemblait à tous les autres. Mais Eva a sursauté. Ses ongles s’impriment dans mon bras, m’attirent contre le mur. Elle semble inquiète. Moi qui commençais à me détendre et à apprécier la balade.
— Il revient ! Vite !

J’essaie de tourner la tête dans la direction qu’elle indique mais, d’une main ferme, elle me saisit la nuque et m’embrasse rageusement, presque violemment, en une étreinte aussi brusque que fougueuse. Nos dents s’entrechoquent, nos nez s’écrasent. Mon cerveau étonné se dit brièvement qu’elle doit avoir une bonne raison pour agir aussi étrangement. Mais il n’est guère besoin de posséder une raison pour justifier un baiser. Je ferme les yeux en bénissant cet étrange taxi…

 

Photo par Dimitris Agelakis

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/printeurs-3/


Regagnez votre vie, éteignez votre télé !

Thursday 5 September 2013 at 20:04

broken_tv

Il y a quelques années, alors que je passais des entretiens d’embauche, les recruteurs lisant mon CV me posaient invariablement la question : « Vous faites vraiment tout ça ? Comment trouvez-vous le temps ? ». La première fois, je m’y attendais pas et j’ai répondu sans réfléchir : « Je n’ai pas la télévision ! ». La réaction a été immédiate : « Oh ben alors, je comprends ».

Votre vie, c’est le temps

Une technique PNL souvent utilisée pour prendre conscience de l’importance du temps, c’est de le remplacer par le mot vie, utilisé comme un synonyme. Après tout, votre vie entière n’est qu’une période de temps. « Je n’ai pas le temps de m’occuper de cela » devient « Je n’ai pas la vie pour m’occuper de cela ». Faites l’exercice, vous verrez à quel point cela permet de recentrer ses priorités.

Or, la télévision est, dans son principe même, un dévoreur de temps. Placé devant une télévision, vous n’avez plus aucun contrôle sur le temps et, par extension, sur votre vie.

Lorsque je vois des parents installer leurs jeunes enfants devant une télévision, je ressens une bouffée de rage. Je vois ces vies pleines d’énergie se faire happer, aspirer par l’ogre télévision.

Garder le contrôle au plus profond de la procrastination

Les opposants à la télévision sont nombreux à souligner l’ineptie des émissions. Les partisans répondent en parlant des programmes culturels que, soit dit en passant, personne ne regarde mais que tout le monde utilise comme argument pour justifier l’existence du téléviseur chez soi. Je suis certain que la moitié de l’audimat du Juste Prix affirme, en public, « qu’il y a souvent des documentaires intéressants sur ARTE ».

Mais, en toute honnêteté, je peux passer un temps fou à regarder des vidéos stupides sur Youtube. J’adore regarder un film le soir. La différence fondamentale, c’est que je garde toujours le contrôle de ce que je fais : je passe les vidéos qui ne m’intéressent pas (celles où il n’y a pas de chats), je mets sur pause quand je le désire. Avant de décider de regarder un film, je regarde la durée afin de me faire une idée de l’heure à laquelle j’irai dormir. Même lorsque je suis absorbé par la procrastination et que je ne vois pas le temps passer, mon cerveau reste aux commandes.

Le dictateur idéal

Votre horaire personnel s’adapte à la télévision. Votre feuilleton commence à telle heure ? Vous adapterez toute votre vie de famille pour vous y plier ou pour ne pas rater le sacro-saint journal. Vous irez jusqu’à refréner vos besoins naturels les plus basiques afin de n’aller au petit coin que pendant la page de publicités.

Si vous tombiez, au hasard de Youtube ou Dailymotion, sur la vidéo d’un Star Academy, d’un Question pour un champion ou d’un Secret Story, le regarderiez-vous plus de deux minutes ? Probablement pas. Pourtant, lorsque ce choix nous est retiré, nous sommes fascinés, hypnotisés. Et notre vie s’écoule dans un passif abrutissement que nous n’avons pas choisi.

Ce qu’aucun dictateur n’a réussi, ce qui nous paraissait absurde dans les pires dystopies, la télévision le fait quotidiennement. Le contrôle total de nos vies jusque dans ses aspects les plus intimes, à un degré qui renvoie PRISM au rang de boy scout bienveillant.

Le vecteur de désinformation

Outre son contrôle sur nos vies, la télévision est également un mensonge. Par définition, un journal télévisé est une des sources principales de désinformation.

Nul besoin de tomber dans la théorie du complot, c’est la structure même du journal qui vous contrôle et vous assène l’importance de chaque information. De nouveau, le maître mot est le contrôle du temps. Si trois minutes sont consacrées à la guerre au Machinkistan et cinq minutes sont consacrées à la fête des grand-mères, inconsciemment cela vous donnera l’impression d’être au courant tout en vous convainquant que la fête des grand-mères est plus importante.

Un artiste est invité à parler de son dernier album ce qui lui donnera une importance hors du commun, près du triple du conflit Machinkistanais. L’information est donc de la promotion et du divertissement. Quand aux sujets qui ne sont pas abordés, il n’existent tout simplement plus. Regarder un journal télévisé, même réalisé par des journalistes honnêtes et compétents, est un formatage total, absurde et dangereux.

Internet offre toutes les informations dont vous pouvez rêver. Passez du temps sur ce qui vous intéresse, tâchez de trouver des sources divergentes. Ne vous inquiétez pas : si une information est vraiment importante, elle vous arrivera d’une manière ou d’une autre. Mais vous serez surpris de constater qu’en réclamant le contrôle de votre vie, des tas d’informations qui vous paraissaient primordiales deviennent une perte de temps. Lorsque je jette un œil sur la couverture d’un magazine people, je suis toujours surpris de constater que, souvent, je ne connais pas une seule des personnes dont la vie est étalée. Je n’ai aucune idée de qui ils sont. Et pourtant, je n’ai pas l’impression de rater quoi que ce soit de fondamental.

Redevenir citoyen

Lorsque je critique la société, nombreux sont ceux qui me demandent quelle solution j’ai à proposer. Aussi étonnant que ça puisse paraître, la première chose que je recommande est de se débarrasser de la télévision. Ne me faites pas le coup du « Mais moi je ne la regarde jamais », comme un fumeur qui prétend arrêter mais qui a un paquet dans sa poche. Si vous l’avez chez vous, alors vous l’utilisez.

Continuez à regarder tout ce que vous voulez, vos séries, vos documentaires mais faites-le par le web. Vous découvrirez à quel point il peut être difficile de retourner à une vie où vous devez prendre les décisions, choisir les moments à consacrer à vous divertir. Certains vont trouver des excuses, contrer mes arguments par tous les moyens. Mais, après tout, c’est votre temps, c’est votre vie…

Avant de changer la société, il faut avoir le courage de se changer soi-même. Nous sommes la société. Nous devons réclamer le contrôle de nos propres vies. Se passer complètement de télévision est l’un des premiers actes citoyens.

 

Image par Talkingplant

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/regagnez-votre-vie-eteignez-votre-tele/


Les oiseaux

Saturday 31 August 2013 at 12:44

oiseaux

Télécharger « Les oiseaux» :

Format .epub - Format .pdf

La tuyère de la fusée n’était pas encore refroidie que la porte du sas s’ouvrit. Précautionneusement, une silhouette en scaphandre descendit les échelons avant de faire quelques pas parmi les petites touffes d’herbe jaunâtre.

Après quelques vérifications de cadrans, la main gantée ouvrit la visière, dévoilant un jeune mais sec visage de femme serti d’un profond regard d’airain. Elle prit une prudente inspiration et, comme par inattention, laissa échapper un sourire.
— Tout ce qu’il y a de plus respirable, vous aviez raison docteur Wellincher. L’odeur de ce monde est même particulièrement agréable.

Tout explorateur spatial vous le confirmera : chaque planète possède son odeur propre. Alors même que les détecteurs chimiques donneraient des compositions d’atmosphère parfaitement identiques, un explorateur entraîné pourra instantanément vous dire sur quelle planète il se trouve pour peu qu’il l’ait déjà visitée.
— Cela sent bon, la température est très agréable et ce soleil violacé, bas sur l’horizon, est splendide. Venez donc me rejoindre.

Tandis que cinq formes humaines s’extirpaient à leur tour de la fusée, foulant au passage l’herbe calcinée par l’atterrissage, le commandant Ny continua son observation. Ils s’étaient posés dans une zone de végétation de type savane. Au Sud, de grands arbres espacés étaient visibles à moins d’une centaine de mètres. Sur l’horizon, l’œil exercé devinait les premiers contreforts d’une jeune chaîne de montagne. À l’Est commençait une forêt de buissons touffus d’un vert bleuâtre. Le soleil brillait dans un ciel bleu argenté où moutonnaient paisiblement quelques nuages épars.

Un grand homme au visage noir se porta à la hauteur du commandant.
— Difficile de croire que nous sommes sur la terrible Vogeloo, la planète d’où personne n’est revenu, n’est-ce-pas commandant ?
— Tout semble si paisible. Ce soleil splendide, cette atmosphère douce, cette sérénité. Un véritable paradis.
— Écoutez ! On entend même le chant des oiseaux.
— Le chant des oiseaux ? Pourquoi pas les tamtams et les ukulélés tant que vous y êtes ?
— Je vous assure commandant. Cela provient de ce bosquet de buissons, par là.

La jeune femme s’interrompit, tendant l’oreille.
— Ma parole, Vous semblez bel et bien avoir raison. Vous avez l’ouïe fine, docteur.
D’un geste, elle rassembla le reste du groupe.
— Grouchey, Bluton, vous gardez la fusée. Le reste avec moi, nous allons jeter un œil.

Les pépiements se faisaient de plus en plus distincts à mesure que les quatre explorateurs progressaient sur le sol sablonneux parsemé de végétation roussie par le soleil. Les buissons étaient espacés, entrecoupés de dégagements et de clairières dans lesquelles trônait parfois un grand arbre aux rares feuilles argentées. Le docteur Wellincher buta sur une racine apparente et, étalant sa prodigieuse masse dans le sol meuble, poussa un terrifiant juron, suave et fleuri comme seuls les véritables explorateurs spatiaux savent les inventer. Réagissant au vacarme, les buissons se mirent à bruire de milliers de battements d’ailes. Le fracas se répandit de buisson en buisson tandis que des nuées de volatiles s’envolaient en pépiant.

Médusé, le petit groupe les regarda voleter et tourner au dessus des arbres avant de se poser dans les buissons à quelque distance des intrus. Le tout n’avait pas duré plus d’une poignée de secondes.
— Des oiseaux ! Des milliers d’oiseaux ! On dirait presque des oiseaux terrestres, murmura le commandant Ny.
Crachant du sable, pestant, le docteur Wellincher se relevait.
— Merci pour l’aide ! Pouah ! Ce sable est aussi infect que le sable terrestre !
Un petit homme rond l’interpella. Ses cheveux rares se battaient en duel avec des petites lunettes d’écaille qui tressautaient à chaque reniflement de l’individu, ce qui arrivait à peu près toutes les inspirations.
— Docteur, vous qui êtes biologiste, sont-ce là des oiseaux de type terrestre ?
— Des oiseaux ? Je n’ai absolument rien vu.
— Bon sang, faites un peu attention. Nous sommes en « première », ouvrez l’œil.
— Désolé, monsieur le ministre. À chaque fois que je pose le pied sur une planète, je ne peux me retenir d’enfourner une pleine bouchée de sable. Que voulez-vous, j’aime ça. Vogeloo crisse particulièrement sous la langue. Je vous la recommande. Je vais même vous faire le plaisir de vous offrir…
— Cela suffit Wellincher ! Silence !
Bien qu’il la dépassa de près d’une tête, Wellincher n’aurait jamais discuté l’autorité du commandant Ny. Il se tut instantanément. Le petit bonhomme rond se contenta de grommeler dans son double menton. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que ce personnage n’était pas un véritable « explo ». Sa présence avait été imposée par le gouvernement central, commanditaire de la mission d’exploration de Vogeloo. Ny s’y était fermement opposée mais le gouvernement avait clairement fait comprendre qu’ils n’étaient pas les seuls explorateurs disponibles sur le marché.

Les pratiques de la confrérie des explorateurs spatiaux étaient bien connues. Vogeloo étant en dehors de tout couloir commercial et de toute sphère d’influence, nulle fédération ne pouvait en revendiquer la souveraineté. Aussi, la planète appartiendrait au premier qui s’y poserait. Et qui en reviendrait. Cette seconde condition paraissant, dans le cas de Vogeloo, bien plus difficile à remplir que la première.

Ne voulant point être aux prises avec un énième paradis fiscal se proclamant indépendant du gouvernement central, ce dernier avait résolu d’envoyer un de ses représentants sur place. Le fonctionnaire de seconde classe Napoge était un homme d’intérieur, passionné de sigillographie et de musique préhistorique. Sa présence dans la fusée était autant une corvée pour lui que pour le reste de l’équipe et une planète inexplorée le passionnait à peu près tout autant que l’étude du bourdonnement d’un moustique dans sa chambre au milieu de la nuit. Pour couronner le tout, les explorateurs s’ingéniaient à l’affubler du titre de ministre, ce qui était une violation flagrante du protocole de mission selon l’article quarante-deux, alinéa quatorze.
— Commandant ! Venez voir !
Navigatrice spatiale de talent, Van Oranleon était une jeune femme pleine de vitalité mais sans réelle expérience ni conscience du danger. Insouciante, elle avait poussé sa luxuriante chevelure rousse en exploration quelques bosquets plus loin.

La rejoignant, l’équipe s’arrêta, stupéfaite.

Devant eux, presqu’enfoui sous une mousse turquoise et sous les plantes grimpantes, un assemblage corrodé de sphères de plusieurs mètres de diamètre se dressait. Reliées entre elles par des tubes de la taille d’un homme, elles dégageaient un profond sentiment d’abandon que venaient atténuer les pépiements d’oiseaux. Le sang de Ny se glaça. Un instant, elle se sentit misérable, minuscule face à l’immensité temporelle qu’elle percevait dans les remugles de cet imposant vestige inhumain.
— Un vaisseau spatial ! proclama Wellincher.
— Sans aucun doute, répondit van Oranleon, mais un vaisseau non terrien. Il ne peut s’agir d’un vaisseau humain catalogué. Ancien ou actuel.
— Vous en êtes sûre ? s’enquit Ny. C’est pour le moins étonnant.
Examinant ce qui paraissait être une ouverture, le grand biologiste noir se permit de répondre :
— Commandant, je pense que vous pouvez vous fier au jugement de notre jeune recrue. Ce sas, car c’en est bien un, est dessiné pour une morphologie sensiblement différente de la morphologie humaine.
— Mais… mais… Jamais l’homme n’a rencontré d’intelligence dans l’univers ! Par toutes les galaxies, est-ce possible ?
— Possible, je ne le sais guère. Factuel, sans aucun doute. D’après la corrosion des alliages de titane et malgré son apparente conservation, j’estime l’âge de ce vaisseau à plusieurs millénaires. Cela doit être une nouvelle considérable pour votre gouvernement, n’est-ce pas monsieur le ministre ?

Napoge se curait le nez avec attention. Il leva la tête, émit un petit regard interrogateur puis se replongea avec ardeur dans son ouvrage, insensible au regard froid du biologiste.

Ny attrapa Wellincher par le coude.
— J’ai les coordonnées de tous les atterrissages officiels sur Vogeloo. Le plus proche de nous est à deux kilomètres. Celui-ci n’en fait certainement pas partie.
Van Oranleon s’extirpa avec difficulté de la sphère dans laquelle elle s’était glissée.
— En tout cas, il ne reste aucune trace des occupants. Pas même un fossile. Tout est propre à l’intérieur. Excepté une fine couche de sable, on ne trouve ni poussière ni insecte.

Sur le sommet de cette sphère, quatre oiseaux de couleurs différentes pépiaient à tue-tête en direction des explorateurs. Wellincher leur répondit en souriant.
— C’est gentil les gars, mais je ne comprends pas ce que vous voulez me dire.

Le ciel commençait à se parer de teintes plus sombres. Une brume bleutée se levait. Ny laissa échapper un soupir.
— Fini de rigoler, il est grand temps de rentrer à la fusée.
Wellincher l’interrompit.
— Dites commandant, vous ne trouvez pas qu’on est bien ici ? Elle n’est pas si mal cette planète après tout, non ?

*

Le feu de bois vogelien crépitait, jetant un éclairage mouvant sur les six visages de l’expédition. Emportées par l’air chaud, les escarbilles s’envolaient vers les rares mais brillantes étoiles du ciel de Vogeloo. Bluton réprima un sourire.
— Une fois rentré, nous devrons broder un peu sur la myriade de dangers rencontrés, sur les périls mortels que nous avons affrontés.
— Oui. Les oiseaux qui chantent, c’est un peu léger pour une planète réputée dangereuse, n’est-ce pas, Joe le monstre ? fit van Oranleon en s’adressant au timide oiseau bleu perché sur son épaule.
— Tchip ! répondit laconiquement celui-ci.
— Les oiseaux et la sérénité ! Une semaine à peine que nous sommes ici et j’ai l’impression d’y avoir vécu toute ma vie. Je ne me suis jamais senti aussi bien. Pour la première fois de mon existence, j’ai l’impression d’être enfin à ma place. Ny fixa Wellincher et lui répondit :
— Finalement, n’est-ce pas pour cela que nous sommes explorateurs spatiaux ? À la recherche éternelle d’un bonheur chimérique ?
La jeune van Oranleon ajouta :
— Cela est propre à l’humanité elle-même. Toujours plus loin. Toujours ailleurs. Toujours insatisfaite. Une tare qui nous a forcés au progrès, à l’innovation, à l’exploration. Aurions-nous essaimé la galaxie si nous nous étions contentés d’une vie tranquille consistant à élever des enfants entre deux repas avec des amis ?
— Et vous, ministre ? s’enquit Wellincher.
Le petit homme offrit son plus beau sourire béat.
— J’ai toujours eu le secret désir d’être envoyé en vacances aux frais du gouvernement. Me voilà exaucé. Il ne me manque plus que ma collection de sceaux pour faire de moi un homme comblé.
— Moi, fit Grouchey, j’envie ces oiseaux. Voler à l’infini dans le ciel, profiter du soleil. Pas de soucis, pas de pollution, pas de prédateurs. La liberté à l’état pur.
— C’est vrai, poursuivit Napoge en reniflant. Cela me plairait également de savoir voler.
— Je crois que nous sommes tous d’accord à ce sujet, fit Wellincher avec un clin d’œil. Je m’étais justement fait cette réflexion lorsque nous avons découvert le vaisseau de l’expédition EXPLO-1410. Tous ces oiseaux qui tournoyaient autour, cela me donnait fichtrement envie de les imiter.
— C’est tout de même bizarre que l’on n’ait pas retrouvé la moindre trace des occupants. Exactement comme pour le vaisseau de la mission EXPLO-1815. Ces missions sont récentes. Ils ne se sont pourtant pas volatilisés.
Ny l’interrompit.
— Ce mystère concernera les missions suivantes. Nous avons rempli notre contrat et nous repartons demain.
Un cri de désapprobation parcourut la petite assemblée.
— Oh non ! Pas déjà demain !
— Commandant, profitons-en encore un peu !
— Oh oui, encore une journée.
Ny se mordit la lèvre.
— Les gars, vous m’avez déjà dit ça hier. Ça commence à bien faire.
— Encore une journée, commandant. Juste une.
— C’est la troisième fois que j’entends ça.
— D’accord, on repart après-demain.
— D’accord, après demain. Allez, rentrons dans la fusée pour dormir.
— Dites commandant, on pourrait se faire un abri plus confortable, non ? On se sentirait un peu plus chez soi. Pourquoi ne pas construire une petite hutte ?

Une angoisse sourde bourdonnait dans les tempes de Ny. Étouffée par la béatitude et le bien-être, son instinct tentait désespérément de lui hurler quelque chose. Une hutte ? Alors que l’expédition devait déjà être repartie depuis trois jours ?
— Bonne idée Grouchey. Bonne idée. On s’occupera de ça demain.
Van Oranleon se porta à leur hauteur.
— Allez Joe le monstre, dit bonne nuit au commandant !
— Tchip, fit le volatile toujours perché sur l’épaule de sa nouvelle amie.

Alors qu’elle allait fermer le sas de la fusée, une silhouette ronde s’approcha de Ny.
— Fermez bien le sas, commandant !
— Bien sûr Napoge. Voilà qui est fait. Ne vous inquiétez… Napoge, vous allez bien ?
Le petit homme transpirait abondamment. Sa respiration était sifflante.
— Le… le gouvernement avait prévu cette éventualité.
— Quelle éventualité ?
— La situation présente. La fusée est programmée pour décoller automatiquement après une semaine. Cette nuit. Il n’y a aucun moyen de l’empêcher.
Ny hurla presque.
— Quoi ?
— J’ai essayé de trouver une parade. Je me sens si bien sur cette Vogeloo. Mais peut-être est-ce mieux ainsi. Sans doute s’agit-il d’un bonheur auquel nous n’avons pas droit.
Ny avait la lèvre qui tremblait. Les pensées se bousculaient dans sa tête. Sa mission, son bien-être, son instinct. Était-il possible que le bonheur soit à ce point dangereux ? Dans un dernier sursaut, elle se rua sur le sas.
— Ne vous inquiétez pas commandant. Le sas est bloqué. Nous décollerons bientôt. Ne prévenons pas les autres, ce serait pour eux une souffrance inutile.
Ny s’effondra. Au loin, très distinctement, elle entendit le chant des oiseaux.

*

Dans un silence religieux, la fusée gisait sur l’aire d’atterrissage terrestre. L’équipe de secours se tenait prête à intervenir.
— Toujours rien ?
— Non, toujours aucun contact radio. La fusée semble s’être posée en mode entièrement automatique. Allez-y, découpez le sas.

On ne retrouva nulle trace de l’équipage. Vogeloo confirma, une fois de plus, sa tristement célèbre réputation. Les secouristes signalèrent que, au moment de l’ouverture du sas, six oiseaux multicolores s’envolèrent en pépiant à travers le ciel terrestre.

Dans le poste de pilotage, ils trouvèrent un septième volatile qui semblait les attendre.
— Salut toi, lui fit un secouriste.
— Tchip, lui répondit l’oiseau bleu.
Lillois, le 27 juin 2010

Photo de Mike Baird.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/les-oiseaux/


Printeurs 2

Friday 30 August 2013 at 13:17

beijing
Ceci est le billet 2 sur 5 dans la série Printeurs

Mon dieu qu’elle est belle. Sans sourciller, elle étudie le menu. Bégayant, j’essaie tant bien que mal de lancer la conversation :
— Quel merveilleux hasard que nous nous soyons croisé.

Elle baisse le papier électronique qu’elle a dans les mains et me regarde :
— Il n’y a aucun hasard, j’avais besoin de toi.

Je m’interromps, la bouche pendante, les yeux grands ouverts. En une seule phrase, cette soirée vient de prendre un tour mystérieux et absolument imprévu.
— Comment ça « besoin de moi » ?
— Oui, de ton expérience avec l’impression 3D.
— Tu ne pouvais pourtant pas deviner que je t’inviterais au restaurant. Pourquoi ne pas m’aborder directement ?
— Il y avait trop de gens. Cela aurait paru suspect. Alors qu’un geek qui drague à une conf, quoi de plus normal ? J’ai donc programmé notre rencontre.

Je bondis et, d’un geste brusque, j’arrache mon neurex que je jette sur la table.
— Je le savais ! On peut donc les utiliser pour influencer les gens ! C’est criminel !

J’ai les mains qui tremblent, je suis sur le point de hurler. Dans le restaurant, un grand silence s’est fait et tout le monde a la tête tournée vers nous. Je remarque que les porteurs de lunettes, ceux qui ne sont pas encore passé aux lentilles, portent la main à une des branches pour activer l’enregistrement vidéo, au cas où il se passerait quelque chose de croustillant et susceptible d’attirer les spectateurs sur leur compte Youtube.

Eva a l’air étonnée. Elle pose une main apaisante sur mon épaule et m’encourage à me rasseoir.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Le neurex est un bête capteur électromagnétique. Il ne peut reconnaître qu’une dizaine d’instructions basiques et quelques pulsions ou états d’esprits, mais c’est tout. On n’a même pas encore réussi à dicter un texte ou une suite de chiffres avec. Comment veux-tu qu’il soit utilisable en écriture ? Ce serait comme vouloir graver un vieux DVD avec une lampe de poche.

Je prends une profonde inspiration.
— Écoute Eva, ce que j’ai ressenti en te voyant ce matin, je ne l’avais jamais vécu auparavant, pour aucun homme ou aucune femme. Pour tout te dire, tu n’es pas mon genre. Et pourtant je tuerais pour toi. Je suis follement amoureux de toi. Mon cœur s’emballe à chacun de tes messages, j’ai les mains moites à l’idée que tu sois en face de moi. Je te connais à peine et je pense que je t’aime.

Voilà, je l’ai dit. D’une traite, sans respirer. La bombe est lâchée. Elle va s’offusquer. Ou condescendante, m’expliquer qu’il faut apprendre à mieux se connaître. Au lieu de cela, elle éclate de rire. Un rire franc, cristallin.

— Cela fonctionne encore mieux que prévu, me sourit-elle.
— Mais quoi ? Comment ?
— La pub, tout simplement.
— Quelle pub ?
— Celle qui est projetée continuellement dans tes lentilles. Celle qui borde chacun des sites que tu visites. Celles qui te souffle une phrase entre deux chansons de ta playlist.
— Mais j’ignore la pub. Je n’y fais jamais attention. Je n’achète pas les produits que je vois, protestai-je avec véhémence !
— C’est justement parce que tu crois qu’elle ne fonctionne pas qu’elle est si puissante. Elle ne s’adresse pas à ton esprit analytique mais à ton inconscient. Ce n’est pas au Nellio intelligent, ingénieur et philosophe que la pub s’adresse. C’est au Nellio qui a peur du noir, qui ne peut s’empêcher de penser qu’il y a un dieu qui surveille nos actions. C’est au Nellio qui ressent un fourmillement dans l’entrejambe à la simple vision d’une paire de fesses que s’adresse la pub. Tu crois vraiment que tous les services que tu utilises pourraient être largement financés par quelque chose qui ne fonctionne pas ?

Je reste ébahi, sans voix. Trop d’idées se bousculent en ce moment dans mon cerveau pour pouvoir les analyser ou les comprendre. Péniblement, je tente d’articuler :
— Mais comment as-tu fait ?
— Ce n’est pas difficile. Les réseaux sociaux se battent pour te vendre de l’affichage. Afin de réduire les coûts, j’ai ciblé autant que possible ta tranche démographique, géographique et tout ce que tu veux avec le suffixe -ique. J’ai envoyé des dizaines d’annonces pour des services bidons mais qui, à chaque fois, mettaient en valeur, selon tes critères, une femme de mon genre. Il y a suffisamment d’études sur le sujet, ce fut assez facile.
— Mais d’autres ont du voir ces publicités !
— Peut-être qu’à l’heure actuelle, un jeune geek de ton genre se prend soudainement à fantasmer sur les femmes à la peau matte, répond-elle en rigolant.

Je repense à ces pubs pornographiques qui m’assaillaient. Dire que je pensais que les pubs lisaient mes pensées alors, qu’en vérité, elles se contentaient de les influencer. J’oscille entre la rage et l’incrédulité. Me mordant le poing, je sanglote d’une fureur à peine contenue :
— Mais pourquoi ? Pourquoi ?

Eva tourne la tête et regarde autour d’elle. Passant une main devant ses yeux, elle fait le signe traditionnel pour me demander confirmation du fait que je ne suis pas en train d’enregistrer. J’acquiesce, elle prend une profonde inspiration.
— Tu ne t’es jamais demandé pourquoi on pouvait payer pour ne pas avoir de publicité ?
— Et bien c’est juste une question de confort…
— Non Nellio. Les riches vivent dans un monde différent. Ils décident et nous imposent exactement leur volonté, comme je l’ai fait pour toi. La démocratie n’est plus qu’un leurre. Certaines publicités sont conçues pour nous donner une impression de libre arbitre. Et cela, depuis la plus tendre enfance. Remettre en question l’ordre établi n’est plus une pensée possible.
— Tu racontes n’importe quoi. Ça se saurait. Et puis, c’est un peu facile les méchants riches contre les gentils pauvres.
— Oui, en effet, il y a toute une gradation. Mais ceux qui vivent entièrement sans pub forment une caste à part. Ils ont leurs règles et sont très rares.

Rapidement, je fais le calcul dans ma tête. C’est vrai que vivre sans pub 24h sur 24 est un budget assez impressionnant. Mon salaire n’y suffirait pas. Étrangement, je me sens plus calme. Comme si elle venait de confirmer une idée que j’avais déjà au fond de moi.
— Tu ne devrais pas avoir trop de mal à accepter l’idée, me dit-elle. Je t’ai également préparé à ça.
— Mais… Mais comment sais tu tout ça ?
— Parce que mes parents ont tout sacrifié pour que j’aie une enfance sans la moindre pub. Pour faire des économies, je ne pouvais porter les lunettes que durant les périodes où ils achetaient la non publicité. Mes deux parents, eux, s’étaient configuré un affichage maximal. Ils ont sacrifié leur libre arbitre et leur santé mentale pour moi.

Peut-être est-ce le conditionnement ? Instinctivement, je pose ma main sur la sienne. Elle ne la retire pas et me regarde au plus profond des yeux. Comme une âme damnée, je plonge dans le ténébreux gouffre de son regard. Un murmure glacial s’échappe de ses lèvres :
— Je suis pauvre mais je sais penser comme une riche. Je vais changer le système

 

Photo par Trey Ratcliff.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce texte. Ce blog est payant mais vous êtes libre de choisir le prix. Vous pouvez soutenir l'écriture de ces billets via Flattr, Patreon, virements IBAN, Paypal ou en bitcoins. Mais le plus beau moyen de me remercier est de simplement partager ce texte autour de vous.

flattr this!

Source: http://ploum.net/printeurs-2/