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La catastrophe euro, par Paul Krugman

Friday 26 September 2014 at 02:18

« L’euro, une catastrophe »

Blog New York Times, 21 août 2014
Paul Krugman

Matt O’Brien fait remarquer que l’Europe va plus mal aujourd’hui que pendant la Grande Dépression. Pendant ce temps François Hollande – dont la pusillanimité et l’empressement à adopter une politique d’austérité voue à l’échec son quinquennat et même peut-être le projet européen dans son ensemble – déclare avec hésitation qu’en fin de compte davantage d’austérité n’est pas une bonne solution.

Simon Wren-Lewis pense que le choix européen de l’austérité était un événement contingent ; grosso modo la crise grecque a renforcé le camp des partisans de l’austérité à un moment critique. Je ne pense pas que l’explication soit si simple ; d’après moi, il y avait une atmosphère profondément anti-keynésienne en Europe bien avant la crise grecque, et la macro-économie, telle qu’est elle pratiquée par les économistes anglo-saxons, n’a jamais réellement eu de partisans au sein des allées du pouvoir en Europe.

Quelle qu’en soit l’explication nous sommes maintenant, comme le dit O’Brien, face à une des plus grandes catastrophes de l’histoire économique.


« Pire que les années 30 : la récession européenne est bel et bien une vraie dépression économique »

Blog Washington Post, Wonkblog, 20 août 2014
Matt O’Brien

La Plus Grande Dépression Européenne
Ordonnée : évolution du PIB, niveau 100 au début de la crise
Abscisse : nombres d’années depuis le début de la crise
Légende : en gris, Bloc Sterling (1929-38), en rouge, Japon (1992-2001), en jaune, Bloc Or (1929-38), en noir, zone Euro (2007-14)
Sources : Maddison Project, Eurostat

Comme je l’expliquais la semaine dernière il est temps d’appeler les choses par leur nom et de définir la zone euro en termes clairs : une des pires catastrophes de l’histoire économique.
Il y a eu quantités de catastrophes ces dernières années. Je ne parle pas simplement de la Grande Récession, mais aussi de la manière dont nous nous sommes efforcés de remonter la pente depuis cet événement. Les Etats-Unis ont connu leur plus faible reprise économique depuis la Seconde Guerre Mondiale. La Grande-Bretagne a connu sa plus faible reprise de tous les temps. Mais après six ans et demi l’Europe se distingue en n’ayant quasiment pas connu de reprise du tout. Et comme vous pouvez le voir dans le graphique ci-dessus, le résultat est en passe de devenir plus grave que lors de la pire période des années 30.

J’ai extrait le graphique ci-dessus d’un texte de Nicholas Crafts, et j’ai un peu prolongé la période pour placer la dépression économique européenne dans une perspective encore plus déprimante. Le PIB européen n’est pas encore revenu à son niveau de 2007 et manifestement il n’y reviendra pas dans un avenir proche. En effet alors que l’on n’était même pas certain que la dernière récession était terminée, on s’est aperçu que le PIB de la zone euro avait de nouveau cessé de croître lors du deuxième trimestre. Et même l’Allemagne s’en sort mal : son PIB a chuté de 0,2 % par rapport au dernier trimestre.

Ce désastre est la conséquence d’une politique économique. Trop d’austérité fiscale et trop peu de stimulation monétaire ont handicapé la croissance comme quasiment jamais auparavant. L’Europe fait pire que le Japon pendant sa « décennie perdue », pire que le Bloc Sterling pendant la Grande Dépression, et à peine mieux que le Bloc Or de l’époque – mais cet aspect positif est bien fragile, car, au train où vont les choses, d’ici un an la zone euro fera pire que le Bloc Or.

Comment se fait-il que l’Europe donne l’illusion que la Grande Dépression représentait le bon vieux temps de la croissance ? Tout simplement en ignorant tout ce que nous avons appris de cette Grande Dépression.

A l’époque, il y eu deux catégories de pays : ceux qui quittèrent l’étalon-or, et ceux qui furent sur le point de le quitter. Mais ils restèrent longtemps « sur le point » de quitter l’étalon-or. Car les gouvernements étaient sentimentalement attachés à l’or même si, comme Barry Eichengreen l’a montré, renoncer à l’étalon-or permettait de retrouver le chemin de la croissance. Les gouvernements assimilaient tout simplement l’étalon-or à la civilisation, ils étaient donc prêts à sacrifier leurs économies sur l’autel de la civilisation. Ce qu’ils firent effectivement. Même si, in extremis, il y eut des limites.

Par exemple la Grande-Bretagne refusa de remonter ses taux d’intérêt pour défendre l’étalon-or en 1931 car le chômage atteignait déjà 20%. Elle préféra dévaluer sa monnaie, et les autres pays du Bloc Sterling – la Suède, la Finlande, le Danemark, le Portugal et le Canada – suivirent son exemple (politique très positive). L’ironie de l’affaire, bien entendu, est que cette faiblesse les rendit plus forts. L’abandon de l’étalon-or leur permit de pratiquer une politique de stimulation budgétaire et monétaire qui fit rapidement redémarrer l’économie.

Il y eut aussi les jusqu’au-boutistes. Les pays qui possédaient de grandes réserves d’or, comme la France, avaient la possibilité de conserver l’étalon-or s’ils le souhaitaient, ce qu’ils firent. Ils alignèrent les budgets d’austérité les uns après les autres comme des offrandes au Dieu tout puissant de l’or et ils en payèrent le prix économique. Ils ne connurent jamais de crash économique comme les Etats-Unis, mais ne connurent jamais non plus de reprise. Le cercle vicieux des baisses de prix, de la hausse du chômage et de l’austérité budgétaire croissante les confina dans un déclin sans fin. Jusqu’à ce que la France et les autres pays du Bloc Or, qui à son apogée comprenait la Belgique, la Pologne, l’Italie, les Pays-Bas et la Suisse, abandonnèrent en octobre 1936 leurs illusions dignes de celles du roi Midas. Une reprise économique s’ensuivit.

Comme je l’ai déjà dit, l’euro n’est rien d’autre qu’un étalon-or paré d’une autorité morale. Et c’est cette question morale qui est au cœur du problème. Les Européens ne pensent pas que l’euro représente la civilisation, mais plutôt la défense de celle-ci. C’est un monument de papier dédié à la paix et à la prospérité qui a rendu cette dernière impossible. Les eurocrates qui ont voué leurs vies à le construire ne le détruiront jamais alors même que ses défauts de construction rendent une reprise économique impossible.

Tout comme durant les années 30, l’Europe est coincée dans un système de taux de changes fixes qi ne lui permet pas d’imprimer et de dépenser sa monnaie, ou bien de la dévaluer. Mais contrairement à ce qui s’était passé à l’époque, l’Europe pourrait ne jamais sortir de ce système. C’est une fidélité à une politique désastreuse que même les partisans du Bloc Or n’auraient pu imaginer. Le dernier espoir de l’Europe étant la BCE, cela signifie que l’Europe est probablement condamnée.

Pour être honnête, la BCE sous la direction de Draghi a fait tout ce qu’elle a pu dans le cadre des contraintes légales et politiques qui lui sont imposées. Mais on ne juge pas le chômage sur un graphique. Et ces contraintes ne sont pas sur le point de disparaître, pas suffisamment en tout cas, pour éviter une ou deux décennies perdues. La BCE va probablement continuer à faire le strict minimum : un peu d’assouplissement quantitatif à contrecœur qui cessera dès que l’Allemagne sera engagée sur la voie de la reprise économique.

Ils ont fait un désert et l’ont baptisé « zone euro ».

Matt O’Brien est l’auteur du Wonkblog (ndt : littéralement, le « blog de l’intello») qui traite de politique économique. Il était auparavant rédacteur en chef associé au magazine The Atlantic.


« La France prend acte de sa faiblesse économique et accuse les politiques d’austérité »

The New York Times, 20 août 2014
Liz Alderman

Un marché à Toulouse. Le président François Hollande a annoncé de nouvelles mesures de stimulation de la croissance économique.
Crédit Balint Porneczi/Bloomberg News, via Getty Images

Alors que l’Europe est confrontée à la possibilité d’une troisième récession en cinq ans, la France apparaît aujourd’hui de plus en plus comme le maillon faible des 18 pays de la zone euro.

Après avoir souligné pendant des mois qu’une sortie de la longue crise de la dette était à portée de main, François Hollande a fait mercredi dernier une déclaration bien plus pessimiste. Il a déclaré que les politiques d’austérité que la France a été contrainte d’adopter pour satisfaire les objectifs de réduction des déficits de la zone euro rendaient le retour à la croissance impossible.

Les responsables français expliquent que la France – deuxième économie de la zone euro derrière l’Allemagne – ne va plus essayer d’atteindre cette année les objectifs de réduction des déficits pour éviter d’aggraver la situation économique. Ils ont annoncé que même en abandonnant ces objectifs il était peu probable que la France sorte prochainement de la longue période de stagnation qu’elle connaît ou qu’elle réduise rapidement son taux de chômage, supérieur à 10 %.

“Le diagnostic est clair” a déclaré François Hollande dans une interview publiée mercredi dans le journal « Le Monde”. « Les politiques d’austérité de ces dernières années ont créé un problème de demande dans toute l’Europe et produit un taux de croissance qui ne permet pas de réduire le chômage ».

C’est le désaveu français publique le plus franc de la politique d’austérité que l’Allemagne a longtemps infligée aux pays de la zone euro – politique qui peut faire échouer la reprise dans la zone euro selon des déclarations récentes de la chancelière allemande elle-même, Angela Merkel.

François Hollande a réuni ses ministres à l’Elysée mercredi et annoncé de nouvelles mesures de stimulation de la croissance économique – mesures qui suivent toute une série de mesures similaires mises en place depuis le mois de janvier. Elles comprennent des baisses d’impôts pour les contribuables les plus modestes et des dispositions pour relancer le secteur moribond de la construction immobilière, secteur qui est à son plus bas niveau depuis 15 ans.

« Nous devons faire davantage et agir plus rapidement » a déclaré François Hollande dans son interview au « Monde ». « Je veux accélérer les réformes pour donner un coup de fouet à la croissance le plus rapidement possible ».

Il s’exprimait après avoir pris connaissance d’indicateurs qui montrent que la zone euro dans son ensemble trébuche à nouveau, contrastant avec la forte reprise aux Etats-Unis. Les responsables de la politique monétaire mondiale, réunis cette semaine à la conférence annuelle de la Federal Reserve à Jackson Hole, dans le Wyoming, vont analyser les voies divergentes suivies par les Etats-Unis et l’Europe, et les conséquences qu’elles vont avoir pour l’économie mondiale.

Moins d’une année après sa deuxième récession depuis la crise financière de 2008, les pays de la zone euro n’ont pas enregistré de croissance d’avril à juin d’après les statistiques officielles de l’Union Européenne. Même en Allemagne, qui il y a quelques mois seulement semblait donner le signal de départ d’une reprise économique dans la zone euro, le PIB s’est contracté de 0,2 % lors du deuxième trimestre après une longue année de croissance.

Les économistes se demandent si la croissance forte des années antérieures à 2008 reviendra un jour – ou bien si un nouveau paradigme, connu sous le nom de « stagnation séculaire », ne s’est pas mis en place, empêchant toute reprise économique forte de la croissance et de l’emploi. « Il est trop tôt pour affirmer qu’une stagnation séculaire va se mettre en place” écrit Nicholas Craft, professeur d’économie et d’histoire économique à l’Université de Warwick, dans un article publié récemment par le « Centre for Economic Policy Research » à Londres. « Mais il est évident que les Européens devraient craindre cette stagnation bien davantage que les Américains. Les effets dépressifs d’une croissance plus faible du potentiel de productivité vont se faire sentir plus profondément en Europe ».

Comme beaucoup de pays de la zone euro, la France a été contrainte après la crise financière de mettre en place des mesures d’austérité pour réduire sa dette et son niveau de déficit, dans une période où les marchés financiers imposaient des taux d’intérêt élevés aux pays qui semblaient vivre au-dessus de leurs moyens.

L’année dernière, François Hollande a annoncé des hausses d’impôts et 50 milliards d’euros (66 milliards de dollars) de baisse de la dépense publique, étalées jusqu’en 2017, ce qui a ralenti l’économie. Et en se fixant comme objectif de déficit budgétaire annuel 3 % du PIB, niveau requis pour les pays de la zone euro, il s’est aussi engagé à réduire le déficit de la France à 3,8 % en 2014, contre 4,3 % en 2013.

Les taux d’intérêt français ont dégringolé à des niveaux historiquement bas depuis le début de la crise. Mais les entreprises et l’industrie françaises ont eu du mal à retrouver leur niveau d’activité d’avant la crise, rendant plus ardue la tâche du gouvernement de trouver des recettes fiscales pour réduire le déficit. Espérant compenser le ralentissement économique, François Hollande a annoncé en janvier de nouvelles baisses d’impôts pour les entreprises afin de les inciter à embaucher.

Mais la semaine dernière le ministre de l’Economie, Michel Sapin, a prévenu que la croissance serait si faible que le gouvernement n’allait même plus essayer de tenir son objectif de déficit. Il a déclaré que la croissance française serait de 0,5 % seulement cette année, c’est-à-dire moitié moins que prévu, et aurait du mal à atteindre à atteindre 1 % l’année prochaine. D’autres économies dévastées, dont la Grèce et l’Espagne, ont souffert alors qu’elles ont taillé dans les dépenses et augmenté les impôts en période de récession pour respecter les critères de déficit prévus par l’Union Européenne.

L’annonce de François Hollande mercredi dernier contrastait fortement avec les discours qu’il tenait il y a encore quelques mois, dans lesquels il insistait sur le fait que la reprise économique était à portée de main. Malmené par des sondages négatifs record, le Parti Socialiste a aussi essuyé une défaite cuisante lors des élections européennes de juin dernier.
Les électeurs déçus par sa politique économique se sont tourné vers le Front National et l’UMP, le parti de droite de l’ancien président Nicolas Sarkozy, parti qui a été secoué par de nombreux scandales. Mercredi dernier Alain Juppé, un ancien Premier Ministre au plus haut dans les sondages, a annoncé qu’il se présenterait aux élections pour la présidence de l’UMP.
Cela va constituer pour François Hollande une nouvelle épreuve difficile alors qu’il s’expose déjà à un retour de manivelle de la part membres de l’aile gauche du Parti Socialiste qui répugnent à mettre en place toute nouvelle mesure d’austérité qui pourrait contrarier les électeurs.

Mercredi dernier, François Hollande a demandé aux dirigeants de l’Union Européenne de faire de la croissance leur priorité, expliquant qu’augmenter les impôts tout en réduisant les dépenses en période de récession s’est avéré désastreux pour relancer l’économie européenne.

Mais certains ont analysé sa déclaration comme un simple stratagème de relations publiques.

« Même s’ils appliquent quantités de mesures douloureuses, ils vont devoir expliquer aux Français pourquoi l’économie ne va pas bien et même se dégrade davantage », souligne Famke Krumbüller, un analyste spécialiste de l’économie européenne au Groupe Eurasia à Londres.

Le résultat, dit M. Krumbmüller, c’est que François Hollande essaye faire porter le chapeau à l’Europe, plutôt que d’essayer de s’attaquer à des réformes autrement plus difficiles comme la rigidité du marché du travail en France, dont les employeurs disent qu’elle freine les embauches et l’investissement.

« Le message est que nous avons fait notre job, maintenant c’est au tour de l’Europe de faire le sien, à savoir favoriser la croissance », explique M. Krumbmüller. «En substance, ce discours signifie que nous avons fait tout ce que nous pouvions vu les circonstances actuelles, et que nous n’en ferons pas davantage »


L’intégrisme de l’équilibre budgétaire

Social-Europe, lundi 18 août 2014
Simon Wren-Lewis

Les européens, et plus particulièrement les élites européennes, regardent avec amusement et inquiétude les attitudes populaires sur la science aux Etats-Unis. En Europe il n’y a pas réulièrement des tentatives pour remplacer dans les manuels scolaires la théorie de l’évolution par celle du « dessein intelligent ». Le déni du changement climatique ne rencontre pas d’écho dans les mouvements politiques majoritaires en Europe comme aux Etats-Unis (à l’exception peut-être de la Grande-Bretagne). Pourtant l’Europe, et plus spécialement ses élites politiques, semble paralysée par un credo tout aussi peu rationnel et beaucoup plus dangereux dans l’immédiat. Ce credo est que la politique budgétaire devrait être durcie en période de trappe monétaire.

La reprise économique est aujourd’hui forte en Grande-Bretagne, mais cela ne doit pas masquer le fait que c’est la reprise d’après-récession la plus faible depuis des siècles. La politique d’austérité n’en est peut-être pas le principal facteur, mais elle a certainement joué son rôle. Pourtant le gouvernement qui a initié cette politique d’austérité, au lieu d’essayer de masquer cette erreur, est sur le point de la commettre de nouveau. Que le gouvernement ait réellement l’intention d’agir ainsi, ou bien que cela ne soit qu’un stratagème pour l’aider à gagner les prochaines élections, signifie dans les deux cas de figure que la réalité n’a pas émoussé sa foi dans cette doctrine.

L’Europe a souffert d’une deuxième récession à cause de la combinaison de politiques d’austérité budgétaire et de politiques monétaires inadaptées. Pourtant les responsables de la politique monétaire, plutôt que de prendre des mesures sérieuses pour résoudre le problème d’un PIB en berne et d’une inflation à peine supérieure à zéro dans la zone euro, ont décidé de rester les bras croisés et de continuer à vanter les mérites des politiques d’austérité. (Chère BCE, vous adorez les réformes structurelles. Au vu de vos résultats, il serait peut-être temps de d’appliquer ces réformes à vous-mêmes). Dans les grandes économies comme la France ou les Pays-Bas, l’absence de croissance rend inatteignables les objectifs de réduction des déficits, et la réglementation budgétaire médiévale de la zone euro requiert alors d’accentuer les politiques d’austérité. Comme le faisait remarquer Wolfgang Munchau, éditorialiste au Financial Times (le 15 août dernier), les journaux allemands se préoccupent davantage des déficits français que d’une possible déflation.

Il y a maintenant un consensus quasiment universel parmi les économistes pour dire qu’un resserrement de la politique budgétaire tend à réduire significativement la production économique et à augmenter le chômage lorsque les taux d’intérêt sont à leur plus bas niveau : le débat se réduit à savoir dans quelles proportions cela se produit. Quelques personnes affirment que la politique monétaire à elle seule pourrait encore retourner la situation bien que les taux d’intérêt soient au plus bas, mais la possibilité que la BCE suive leurs conseils est égale à zéro.

Paul de Grauwe l’explique de manière fort éloquente :
« Les responsables politiques européens font tout ce qui en leur pouvoir pour tuer dans l’œuf la reprise économique, ils ne devraient donc pas être surpris par l’absence de reprise. C’est l’intégrisme de l’équilibre budgétaire, et cet intégrisme est devenu parole d’évangile ».

On enseigne encore les théories keynésiennes en Europe, ce n’est donc pas comme si cette science n’était pas diffusée. Je trouve qu’il n’y a pas tellement de différence entre les raisonnements des économistes novices ou un peu plus expérimentés de la BCE et de la Commission Européenne par rapport à ceux du FMI, exception faite d’une connaissance plus aigüe des réalités politiques. Je pense que le problème est le même que celui qui existe aux Etats-Unis, mais à un degré différent.

Une erreur fréquemment commise par les universitaires consiste à croire que des théories allant de soi dans leurs milieux vont se diffuser dans le débat politique, alors même que ces théories comportent un fort élément idéologique ou bien quand des intérêts financiers significatifs d’un groupe donné sont en jeu. En fait il y a une communauté de conseillers politiques qui s’interpose entre les experts et les hommes politiques, et bien que certains dans cette communauté de conseillers soient réellement soucieux de la réalité, d’autres sont plus en phase avec une certaine vision idéologique, ou avec des intérêts financiers, ou bien encore avec ce qui est bien accueilli par une partie de l’opinion publique. Certains membres de cette communauté sont même parfois des économistes, mais des économistes qui, s’ils ont jamais maîtrisé la macroéconomie, semblent très heureux d’avoir oublié tout ce qu’ils savaient.

Alors pourquoi « l’intégrisme de l’équilibre budgétaire » semble-t-il plus prévalent en Europe qu’aux Etats-Unis ? Je ne pense pas qu’il y ait une différence entre les deux continents au niveau de ce qui est enseigné dans les cours de macroéconomie. Certains pointeront du doigt la prégnance de l’ordo-libéralisme en Allemagne mais ce n’est pas très différent de la prégnance du néo-libéralisme au sein de la communauté des conseillers politiques aux Etats-Unis. Peut-être faut-il voir la plus grande capacité des universitaires américains (et de l’un d’eux en particulier) de passer outre le barrage de la communauté des conseillers politiques en utilisant les médias, les traditionnels comme les plus modernes. Cependant je pense qu’un facteur très important est simplement l’expérience récente.

Les Etats-Unis n’ont jamais connu de crise de financement de leur dette. Les « garde-fous » que constituent les marchés obligataires ne se sont jamais manifestés. En revanche ils l’ont fait dans la zone euro et cela a laissé des cicatrices durables sur les responsables politiques européens, cicatrices dont joue la communauté des conseillers politiques et qui rend impuissants tous ceux qui s’opposent à des politiques d’austérité. Je n’écris pas cela pour absoudre les motivations des intégristes de l’équilibre budgétaire mais plus simplement pour expliquer que cela rend plus difficile de faire accepter en Europe la science économique et ses évidences. La différence entre l’intégrisme qui nie la théorie de l’évolution des espèces et l’intégrisme qui nie les principes de macroéconomie est que ce dernier fait des dégâts ici et maintenant.

Simon Wren-Lewis est un professeur d’économie à l’Université d’Oxford et chargé de recherches au Collège Merton d’Oxford.
Ce blog est écrit tant pour les économistes que pour le grand public.

Source: http://www.les-crises.fr/la-catastrophe-euro-par-paul-krugman/