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[Vidéo] Au nom du père, du fils et du djihad

Sunday 23 October 2016 at 04:00

Excellent documentaire à voir en replay jusqu’à mardi…

Il montre toute la complexité de la situation syrienne, les crimes de toutes part (du gouvernement, des terroristes, des islamistes non terroristes…) qui font se demander quelles solutions il peut y avoir là-dedans – et donc qu’est-ce qu’on va faire là-dedans ?

Ce documentaire (de 110 min.) raconte l’itinéraire d’une famille franco-syrienne, les Ayachi. Bassam, le père, s’est installé en France à la fin des années 60. Cet homme érudit a épousé une Française, bientôt convertie, avec laquelle ils élèveront leurs enfants dans la religion. Quand la révolution éclate en Syrie, le fils aîné Abdelrahman, et, plus tard, son père Bassam partent sur la terre de leurs ancêtres faire le djihad contre Bachar el-Assad et Daech. En Syrie et en Belgique où vivent les autres membres de la famille, le réalisateur Stéphane Malterre filme durant trois ans le destin controversé des Ayachi, marqué par des événements tragiques.

Infrarouge – France 2 – 18/10/16

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Ce film raconte l’itinéraire d’une famille franco-syrienne, les Ayachi, dont le père et le fils ont quitté la France pour rejoindre la terre de leurs ancêtres et faire le  jihad contre Bachar el-Assad et Daech.

Bassam, le père s’est installé en France à la fin des années 60. Érudit, l’homme a épousé une française, bientôt convertie, avec laquelle ils élèveront leurs enfants dans la religion. Quand la révolution éclate en Syrie, le fils aîné, Abdel Rahmane, et plus tard son père, Bassam, partent sur la terre de leurs ancêtres faire le jihad contre Bachar el-Assad et Daech.

En Syrie et en Belgique où vivent les autres membres de la famille, le réalisateur Stéphane Malterre filme durant trois ans le destin controversé des Ayachi marqué par des évènements tragiques. Chronique d’une guerre meurtrière et d’une relation père-fils, ce documentaire brosse une incroyable saga entre Orient et Occident, reflet sidérant de l’actualité.

Aussi controversée soit-elle, la famille Ayachi reste fascinante. Fascinante car elle demeure debout en dépit de ses multiples contradictions, au gré des époques, des modes et de l’histoire. C’est l’aîné, Abdel Rahmane Ayachi, que le réalisateur Stéphane Malterre commence à filmer en Syrie, où ce Franco-Syrien est venu combattre le régime en place. À la mort de ce dernier, Stéphane Malterre se rend en Belgique et montre le reportage à la famille. À ce moment, il réalise que les Ayachi sont connus, très connus. Notamment par la figure du père, Bassam, appelé également Cheikh Bassam, qui a marqué les esprits partout où il est passé.

De l’insertion à la radicalisation

De la Syrie à… la Syrie, en passant par Aix-en-Provence, Djeddah, Molenbeek et Bari, Bassam Ayachi a essaimé ses discours religieux et/ou antigouvernementaux. Fuyant le régime d’Hafez el-Assad, Bassam s’exile en France et est ébloui par la révolution qui s’y déroule : mai 68. Une révolution non sanglante menée sans armes par un peuple qui défie le pouvoir en place. À Aix-en-Provence, où il poursuit ses études, il fait la connaissance de Pascale, étudiante également, qu’il épouse rapidement. Elle se convertit à sa demande. Plus tard, ils partent en pèlerinage à la Mecque, et la famille, qui s’est agrandie, s’installe plusieurs années à Djeddah, où Bassam Ayachi travaille pour une entreprise française. En parallèle, il prêche dans une mosquée des discours hostiles à la famille royale. En 1979, mêlé de près à un groupe de rebelles antimonarchistes qui prend en otage des centaines de pèlerins à la Mecque, Bassam est expulsé de l’Arabie saoudite après avoir purgé huit mois de prison. De retour à Aix-en-Provence, il prône le vivre-ensemble, l’insertion voire l’assimilation, et crée par la suite une mosquée, où il prêche des sermons «pas politiques mais historiques ou moraux».

Dans les années 90, la famille s’installe à Molenbeek, où vit une importante communauté musulmane. Bassam Ayachi prend la tête du CIB, le Centre islamique belge. Ses prêches changent de ton et versent dans le radicalisme. L’homme éveille la curiosité de la police. En témoigne son autre fils, Abdallah : «Mon père avait une image en France d’un imam cool, et quand on est allés en Belgique, c’était plus l’image d’un intégriste, et ça dérange le gouvernement.» Le CIB est suspecté d’être un terreau de jihadistes, d’autant que Bassam Ayachi a marié l’un des futurs assassins du commandant Massoud. «Avec l’assassinat de Massoud, c’est là qu’ont démarré les problèmes», révèle Abdallah. Son père est longtemps soupçonné d’être l’instigateur d’une filière de moudjahidines en lien avec des organisations terroristes. Mais la police ne trouve pas de preuves le mettant en cause, et le CIB sera fermé en 2010. Entre-temps, le fils aîné, Abdel Rahmane Ayachi, informaticien doué très demandé, bascule dans un radicalisme plus virulent que son père, ce qui lui vaudra procès et condamnations. Il part une première fois en Syrie dans les années 2000 et y retourne lors du printemps arabe en 2011, à la tête de l’une des coalitions salafistes, «Suqur as-Cham».

Quand l’élève dépasse le maître

Deux figures charismatiques se distinguent donc dans la famille Ayachi, le père et le fils. L’un a façonné l’autre, et le second a dépassé le premier. Si Bassam est suspecté d’être à la tête d’une filière islamiste, le fils, lui, prend les armes. Il se bat contre le régime de Bachar el-Assad pour instaurer un État islamique. Il ne craint pas une issue fatale, il la recherche même. Plus tard, sa mort en martyr parachève une vie sous le signe de la religion. Abdel Rahmane, le fils prodige, a ébloui le père. Ce qui pousse ce dernier à continuer la lutte. « Il m’a dépassé. Maintenant, c’est moi qui dois y aller. » Il est désormais juge dans un tribunal islamique dans les lieux mêmes où son fils a perdu la vie lors d’un assaut.

Au nom du père, du fils et du jihad retrace les vies hors normes de certains membres d’une famille, régies plus précisément par le salafisme, un mouvement religieux de l’islam sunnite. Le documentaire dévoile les contradictions de cette famille, oscillant entre douleur et fierté, libre arbitre et fatalisme. Abdel Rahmane déclare face caméra : « Je me sens aussi bien Français que Syrien. Je suis né et j’ai grandi en France. Je ne peux pas ne pas me sentir Français. » Il se bat néanmoins en Syrie pour un État islamique. Le père prône le vivre-ensemble en France, mais ses propos ont un ton bien plus radical en Belgique. Il a été suspecté, emprisonné mais est sorti blanchi. Le père continue la lutte de son fils, une lutte engagée également contre Daech dont il honnit l’état d’esprit. Stéphane Malterre pointe toutes ces contradictions et les retourne contre ses interlocuteurs qui, habilement, les éludent ou trouvent une réponse qui leur correspond.

Les images saisissantes du conflit syrien soulignent le courage du réalisateur, parfois en premières lignes, aux côtés des combattants. Il révèle ainsi les liens entre les différentes factions en place contre le régime syrien. Les images apocalyptiques ne présagent rien de bon quant à l’issue du conflit, d’autant plus que l’ombre de Daech plane à la fois sur ces combattants rebelles et sur le régime de Bachar el-Assad.

un film inédit écrit et réalisé par Stéphane Malterre

La case Infrarouge invite les téléspectateurs à réagir et commenter les documentaires en direct sur twitter via le hashtag #infrarouge (Source : France 2)

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Le remarquable documentaire “Au nom du père, du fils et du dihad” diffusé par France 2 est désormais disponible en replay. Nous avons demandé à son réalisateur Stéphane Malterre de commenter trois extraits, sur des aspects névralgiques et complexes qu’il soulève.
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Dans ce premier extrait, Abdelrahmane Ayachi, le fils, expose sa conception du jihad et rappelle certaines règles, comme l’interdiction de placer « une bombe au milieu d’un marché » qui entraînerait la mort de nombreux civils. Où se situait le curseur pour ce combattant armé franco-syrien, mort en 2013, entre jihad et terrorisme ?

Dès ma rencontre avec lui, je lui ai posé cette question en lui rappelant que le mot « djihad » en Occident est synonyme de « terrorisme ». A l’époque, on ne parlait pas encore de Daech, mais de Jabhat al-Nosra, groupe lié à al-Qaida en Syrie. Lui, en revanche, appartenait au groupe Suqur al-Sham, composé de Syriens nationalistes, à l’époque affilié à l’Armée syrienne libre. C’est très clair : Suqur al-Sham, qui combattait notamment aux côtés de brigades laïques, n’a jamais été estampillé « terroriste » par aucune organisation internationale, et c’est encore le cas aujourd’hui. Suqur al-Sham s’inscrit dans un mouvement populaire révolutionnaire, ce qui n’est pas le cas de Daech. Toutes ces nuances sont fondamentales, car elles diffférencient un groupe terroriste d’un groupe islamiste non-terroriste. Pour Abdelrahmane, le djihad était un combat contre le régime de Bachar El-Assad, et uniquement contre ce régime. Il n’avait rien à voir avec un quelconque combat contre l’Occident, et était totalement opposé à toute forme d’attentats en Europe. Citant au passage les conventions de Genève et le traitement des prisonniers de guerre, Abdelrahmane a rappelé quelques-unes de leurs règles : ils ne commettent pas d’attentat-suicide et ne tuent pas les prisonniers, ni d’innocents. Abdelrahmane Ayachi se battait certes au nom d’une idéologie fondamentaliste, mais en aucun cas au sein d’un groupe terroriste. J’ai pu lui poser toutes ces questions sans le moindre problème : il admettait la contradiction.

Dernier point pour ôter tout doute : cet homme s’est activement impliqué dans les recherches pour retrouver James Foley après son kidnapping par l’Etat islamique. Comme l’explique la journaliste australienne Tracey Shelton qui a travaillé au sein du pool mis en place par le GlobalPost (site américain d’actualité internationale auquel le journaliste freelance collaborait, NDLR) et le cabinet américain Kroll de détectives privés, Abdelrahmane Ayachi a accompagné et protégé les journalistes américains qui recherchaient leur confrère sur le terrain.
Depuis son retour en Syrie, Bassam Ayachi a été nommé juge dans un petit tribunal islamique. Il revendique une justice fondée sur la charia. Une fonction effrayante… Jusqu’où son pouvoir s’étend-il et quelle justice exerce-t-il ?

D’un point de vue occidental, le tribunal islamique, c’est « au secours » ! Effectivement, cela inquiète au plus haut point. Dans un pays où la vie humaine ne vaut pas cher et où tout le monde peut se faire rançonner, butter, ou kidnapper, pour un oui ou pour un non. Tout le monde est armé. C’est la jungle ! La violence qu’on peut ressentir en découvrant ce tribunal est le miroir de celle qui règne à l’extérieur. Il n’y a pas d’Etat en Syrie.

En cette période de guerre et d’anarchie, les groupes rebelles ont commencé à se tourner vers des cheikhs locaux, comme Bassam Ayachi. En tant que membre d’une famille descendant du Prophète, dont les ancêtres ont rendu la justice dans la région d’Idlib à l’époque ottomane, ce dernier a été nommé « chef de tribunal » dont l’autorité a été reconnue par une quinzaine de groupes armés locaux.

La question cruciale, c’est de savoir comment lui et ses compagnons appliquent la charia. Je lui pose mille questions : ordonnez-vous qu’on coupe la main des voleurs ? Etes-vous favorable à ce qu’on lapide une femme adultère ? Sa réponse est clairement négative. Dans les zones sous contrôle de la rebellion, les tribunaux islamiques n’appliquent pas la charia de façon stricte mais a minima. Contrairement aux tribunaux de Daech qui appliquent une justice expéditive très violente, dans la majorité de ces tribunaux, on n’applique pas les hududs (c’est-à-dire les peines légales prescrites par le Coran ou la Sunna). Autrement dit, on ne coupe pas les têtes, on ne lapide pas la femme adultère, on ne coupe pas la main du voleur… En revanche, si un crime a été commis, on exécute l’accusé. Bassam Ayachi a été confronté une fois à une telle situation, mais le coupable a vu sa sentence commuée en diyya, « le prix du sang » (compensation financière expiatoire que verse l’auteur d’un crime à la famille de sa victime, NDLR). Allez jeter un œil sur toutes ces questions dans le livre Syrie : Anatomie d’une guerre civile des chercheurs Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay (éditions CNRS, mai 2016, ndlr).

Dans cette scène, Bassam Ayachi recherche, avec ses hommes, la dépouille de son fils pour l’enterrer décemment. Qualité des images, esthétisation du paysage, père, sourire aux lèvres, qui saisit une motte de terre en guise de symbole : n’est-ce pas livrer une image romantique de ce vieil homme aux cheveux blancs ?

C’était un moment fort : nous étions sur un champ de bataille, là où est mort son fils. Je voulais qu’il y ait une certaine solennité dans cette séquence, sans tomber dans le pathos. La famille de Bassam Ayachi m’a dit qu’il était dévasté depuis la perte de son fils. Mais pour ce fondamentaliste, ayant toujours professé un certain nombre de valeurs, le djihad consistant à défendre sa terre est un devoir. Cela fait partie des fondamentaux pour un mulsuman ultra-orthodoxe comme lui. Devant la caméra, le père ne peut pas dire que « le prix à payer est trop lourd ». Il affirme : « Cela en valait la peine, mon fils est mort sur le chemin d’Allah en faisant son devoir. »  Tout parent normalement constitué ne dirait pas les choses ainsi. Cela peut choquer, mais ne me surprend pas car c’est dans la logique de ce qu’est Bassam Ayachi. A la fin de la séquence, son émotion est pourtant palpable, quand il me fait un petit clin d’œil en disant « Allez, on s’en va… ».

Quant aux paysages, c’est la réalité. Il n’y a aucune volonté d’esthétiser de ma part. La plupart des reportages sur la Syrie filment des combats urbains. Quand vous tournez à Alep ou dans Homs, vous êtes au milieu de débris. Là, nous sommes dans la région d’Idlib, une zone rurale. Les combattants sont des paysans, des éleveurs de poule, des cultivateurs de champs d’abricots. Il y a des couchers de soleil magnifiques sur les champs d’olivier. Cela ne ressemble pas à un paysage de guerre. Et pourtant, la ligne rouge est bel et bien au milieu des blés : on ne voit pas le danger, on ne le sent pas, mais au détour d’un champ, on peut se retrouver dans l’axe de tir d’un mortier de l’armée ou d’un sniper.

Source : Télérama, 20/10/2016

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