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[1 an déjà] L’histoire non révélée du massacre de la place Maïdan, par Gabriel Gatehouse

Saturday 21 February 2015 at 03:45

Bel article de la BBC pour l’anniversaire

Il y a environ un an, une journée sanglante sur la place principale de Kiev marquait la fin d’un hiver de manifestations à l’encontre du gouvernement de Victor Ianoukovitch, qui peu après quittait le pays. Plus de cinquante manifestants et trois policiers y ont péri. Comment la fusillade avait-elle commencé ? Les organisateurs de la manifestation ont toujours nié une quelconque implication – mais un homme a raconté une histoire toute différente à la BBC.

Très tôt, le matin du 20 février 2014, la place Maïdan est coupée en deux – d’un côté la police anti-émeute, de l’autre les manifestants.

Cela durait depuis plus de deux mois. Cependant, les événements allaient bientôt atteindre leur point culminant. Avant la fin de la journée, plus de 50 personnes allaient mourir, la plupart abattues dans la rue par les forces de sécurité.

La violence allait conduire à la chute du président pro-russe de l’Ukraine, Victor Ianoukovitch. Moscou considérera le 20 février comme un coup d’état armé, et utilisera ce point de vue pour justifier l’annexion de la Crimée et l’aide apportée aux séparatistes dans l’est de l’Ukraine.

Les meneurs de la manifestation, parmi lesquels certains détiennent aujourd’hui des positions clés au sein du pouvoir de la nouvelle Ukraine, font depuis porter inlassablement l’entière responsabilité de la fusillade sur les forces de sécurité agissant au nom du précédent gouvernement.

Mais un an plus tard, des témoins commencent  à présenter les choses sous un autre angle.

“Je ne tirais pas pour tuer”

“Je tirais vers le bas, à leurs pieds”, déclare un homme que nous nommerons Serguei, qui me dit avoir pris position au conservatoire de Kiev, une école de musique située au coin sud-ouest de la place.

“Bien sûr, j’aurais pu les atteindre au bras, ou n’importe où. Mais je ne tirais pas pour tuer.”

Sergei déclare qu’il avait été un des manifestants de Maïdan pendant plus d’un mois, et que ses tirs, visant la police sur la place et les toits d’un centre commercial sous-terrain, les avaient conduits à se replier.

Il y avait eu des tirs deux jours plus tôt, le 18 février. Le 19, un mercredi, avait été plus calme, mais dans la soirée, précise Serguei, il avait été mis en contact avec un homme qui lui proposait deux armes : la première, un fusil de chasse calibre 12, la seconde, un fusil de précision, un Saiga, tirant des balles à haute vélocité.

Il avait choisi cette dernière, dit il, et l’avait dissimulée dans le bâtiment abritant le bureau de poste, à quelques mètres du conservatoire. Les deux bâtiments étaient sous le contrôle des manifestants.

Voici comment les événements se sont déroulés le 20 février 2014.

Face aux attaques, la police s’est repliée depuis sa position près de la ligne de front vers la rue au nord de l’hôtel Ukraine.

Les manifestants se sont alors avancés vers la police, subissant les tirs des forces de sécurité en repli et de tireurs situés dans les bâtiments tout autour de la zone.

Plus de 50 personnes furent tuées, le plus lourd tribut payé depuis le début des affrontements entre manifestants et forces de sécurité pendant le Maïdan.

Quand les tirs ont commencé tôt dans la matinée du 20, explique Serguei, il a été escorté jusqu’au conservatoire, et a passé 20 minutes avant 7 heures du matin, tirant sur la police, à côté d’un second tireur.

Son récit est partiellement confirmé par d’autres témoins. Ce matin-là, Andriy Chevtchenko, qui était alors député de l’opposition et membre du mouvement Maïdan, a reçu un appel du chef de la police anti émeutes sur la place.

“Il m’appelle et me dit, Andriy, quelqu’un tire sur mes hommes. Et il ajoute que les tirs proviennent du conservatoire.”

Chevtchenko a contacté l’homme en charge de la protection des manifestants, Andriy Parubiy, réputé être le commandant du Maïdan.

“J’ai envoyé un groupe de mes meilleurs hommes au conservatoire pour déterminer la présence éventuelle de positions de tir”, déclare Parubiy.

Pendant ce temps, le député Andriy Chevtchenko recevait des coups de fil de plus en plus paniqués.

“Je recevais sans cesse des appels de l’officier de police, qui disait : j’ai trois personnes blessées, j’ai cinq personnes blessées, j’ai un mort. Et à un moment, il dit : je me retire. Et il dit : Andriy je ne sais pas ce qui va se passer. Mais j’ai senti clairement que quelque chose de mauvais allait arriver.”

Andriy Parubiy, maintenant vice-président du parlement ukrainien, dit que ses hommes n’ont pas trouvé de tireurs dans le bâtiment du conservatoire.

Mais un photographe qui a pu accéder au Conservatoire plus tard dans la matinée, juste après 8 heures, y a pris des photos d’hommes armés, bien qu’il ne les ait pas vus tirer.

Ce qui s’est passé sur la place Maïdan : l’histoire d’un photographe

Image prises par un photographe local au sein du conservatoire le matin du 20 février 2014

Le récit de Serguei diffère aussi de celui de Parubiy.

“Je ne faisais que recharger”, me dit-il. “Ils se sont précipités sur moi, m’ont mis le pied dessus, et dit “Ils veulent te parler, tout est ok, mais arrête de faire ce que tu es en train de faire.”

Serguei dit être convaincu que les hommes qui l’ont exfiltré venaient de l’unité de sécurité de Parubiy, bien qu’il n’ait pas reconnu leurs visages. Il a été escorté hors du conservatoire, conduit hors de la ville en voiture avant d’être relâché pour rentrer chez lui.

Entre-temps, trois policiers avaient été blessés mortellement et les meurtres de nombreux manifestants avaient commencé.

L’enquête officielle de Kiev s’est concentrée sur ce qui s’est produit ultérieurement – après que la police anti-émeute eut commencé à se retirer de la place. Dans la séquence vidéo, on les voit clairement tirer en direction des manifestants tout en se repliant.

Seulement trois personnes ont été arrêtées, toutes membres d’une unité spéciale de police anti-émeute. Et parmi ces trois, seulement deux – les officiers de rang inférieur – demeurent en prison. Le commandant de l’unité, Dmitry Sadovnik, a été libéré sous caution et a maintenant disparu.

Les trois policiers sont accusés de la mort de 39 personnes. Mais au moins une douzaine de manifestants supplémentaires ont été tués – ainsi que les trois policiers qui sont morts de leurs blessures.

Certaines victimes ont certainement été tuées par des tireurs, qui semblaient opérer depuis certains des bâtiments les plus élevés autour de la place.

Les avocats des victimes et les sources au sein du bureau du procureur général ont déclaré à la BBC que lorsqu’il s’agissait d’enquêter sur les morts qui ne peuvent avoir été causées par la police anti-émeute, leurs efforts étaient contrecarrés par les tribunaux.

“Si vous vous référez à l’époque de Ianoukovitch, c’était un peu le triangle des Bermudes : le bureau du procureur, la police et les tribunaux”, explique Andriy Chevtchenko. Tout le monde sait qu’ils coopéraient, qu’ils se couvraient mutuellement et que c’était la base d’une corruption massive dans le pays. Ces connections existent encore.

Les théories du complot abondent

Le procureur général, Vitaly Yarema, a été démis de ses fonctions cette semaine, au beau milieu de vives critiques de sa gestion de l’enquête.

En attendant, les théories du complot fleurissent.

“Je suis certain que la fusillade du 20 a été perpétrée par des tireurs embusqués venant de Russie et qui étaient contrôlés par la Russie”, dit Andriy Parubiy, l’ancien commandant de Maïdan.

“Les tireurs visaient à orchestrer un bain de sang à Maïdan.”

C’est une croyance largement répandue en Ukraine. En Russie, c’est plutôt le contraire – que la révolte à Maïdan était une conspiration occidentale, un coup d’état de la CIA conçu pour extraire l’Ukraine de l’orbite de Moscou. Aucune des deux parties n’apportent de preuves convaincantes de ce qu’elles avancent.

A Maïdan, l’écrasante majorité des manifestants était pacifique ; des citoyens sans armes, qui ont bravé des mois de froid intense pour réclamer le changement de leur gouvernement corrompu. Autant que l’on sache, tous les manifestants tués le 20 février étaient non armés.

Les dirigeants de Maïdan ont toujours maintenu qu’ils ont fait de leur mieux pour empêcher la présence d’armes sur la place.

“On savait que notre force était de ne pas utiliser la violence, et que c’eut été notre faiblesse que de commencer à tirer”, dit Andriy Chevtchenko.

Parubiy dit qu’il est possible qu’une poignée de manifestants armés soient venus à Maïdan comme une réponse spontanée à la violence des forces de sécurité survenue dans les jours précédant le 20 février.

“J’ai entendu dire que, après la fusillade du 18 février, il y avait des gars qui sont venus à Maïdan avec des fusils de chasse. On m’a dit que c’était parfois des proches ou des parents des victimes du 18 février. Donc je reconnais qu’il est possible qu’il y ait eu des gens avec des fusils de chasse à Maïdan. Quand les tireurs ont commencé à tuer nos gars l’un après l’autre, je peux imaginer que ceux qui avaient ces fusils de chasse aient riposté.”

Serguei, encore une fois, raconte une histoire différente. Il dit qu’il a été recruté comme tireur potentiel à la fin janvier, par un homme qu’il décrit comme un officier militaire à la retraite. Serguei était lui-même un ancien soldat.

“On a discuté, et il m’a pris sous son aile. Il a vu quelque chose en moi qui lui a plu. Les officiers sont comme des psychologues, ils peuvent voir qui est capable. Il me gardait à proximité.

L’ancien officier l’a dissuadé de se joindre à aucun autre groupe militant actif à Maïdan.

“Ton temps viendra”, a-t-il dit.

Etait-t-il en cours de préparation, psychologiquement, pour prendre les armes ?

“Nous ne nous sommes pas assis pour travailler sur un plan. Mais nous en avons parlé en privé et il m’a préparé à cela.”

On ne sait pas qui était celui qui a recruté Serguei, s’il appartenait à l’un des groupes notoirement actifs à Maïdan.

Et il y a beaucoup d’autres choses que nous ne savons pas, comme par exemple qui a tiré les premiers coups de feu le 20 février.

Quant aux théories du complot, il est possible que Serguei ait été manipulé, qu’il n’ait été qu’un pion dans un jeu bien trop grand pour lui. Mais ce n’est pas sa façon de voir les choses. Il était un simple manifestant, dit-il, qui a pris les armes en état de légitime défense.

“Je ne voulais tirer sur personne ou tuer personne. Mais c’était la situation. Je ne me sens pas comme une sorte de héros. C’est le contraire : j’ai du mal à dormir, je fais de mauvais rêves. J’essaie de me contrôler. Mais je ne gagne qu’à être nerveux tout le temps. Je n’ai rien dont je puisse être fier. C’est facile de tirer. Vivre après, c’est ça qui est difficile. Mais tu dois défendre ton pays.”

Source : BBC, le 12/02/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Source: http://www.les-crises.fr/1-an-deja-lhistoire-non-revelee-du-massacre-de-la-place-maidan-par-gabriel-gatehouse/