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[Invité] La banque comme régulateur de la puissance publique, par Rémy Mahoudeaux

Thursday 14 August 2014 at 00:14

Dans la torpeur estivale, cette information aurait pu passer complètement inaperçue. C’est un article daté du 9 Août 2014 signé du bureau éditorial du New York Times (1) relayé sur un réseau social qui a attiré mon attention sur cet événement. 11 banques parmi les plus importantes de la planète (2) ont vu leurs copies du « testament bancaire » retoquées le 6 août. Vous savez, ce document imposé par le Dodd Franck Act ou autres lois Moscovici et sensé fournir la « recette » du démantèlement au moins pire des intérêts des créanciers et de l’écosystème en cas de crash de l’établissement financier testateur.

J’ai déjà publiquement abondé il y a plus d’un an (3) dans le (bon-) sens d’Olivier Berruyer sur le sujet du testament bancaire : « Plutôt que de savoir quoi faire si Fukushima se reproduit, je préfère empêcher que Fukushima se reproduise ». Il est inutile de s’attarder sur l’opportunité de ce document : utile ou non, il est obligatoire. Mais là, les « exécuteurs testamentaires » que sont la Federal Reserve et la Federal Deposit Insurance Corporation, tentant de valider ex ante les informations de la version 1.0 de ces testaments, jugent ces documents non réalistes et insuffisamment étayés (4). Il est donné aux cancres une année de plus pour produire un codicille acceptable et satisfaire cette prescription. Soit 5 ans au lieu de 4. Mais pas question de bousculer de 100 bp l’exigence de leur ratio Tier 1 dans l’attente d’une copie qui obtiendrait la moyenne, ou de leur coller une amende dont la démesure outre-Atlantique esbaudit l’observateur européen.

Cette année supplémentaire indigne les signataires de l’article, et, de mon point de vue, ils ont raison. Pendant cette année, ces banques qui font partie de la trentaine de banques systémiques mondiales vont continuer à s’exposer et exposer leur écosystème sans satisfaire une des contraintes réglementaires qui devrait s’imposer à elles et (théoriquement) réduire la portée du désastre induit par leurs éventuelles défaillances, le sinistre maximum possible en jargon d’assureur. Nonobstant l’inefficacité dont j’affuble cette disposition, ne s’agit-il pas d’une distorsion conséquente à la concurrence par rapport aux autres établissements systémiques ayant fait correctement ce travail ?

Mon opinion d’iconoclaste : cette généreuse clémence qui confine au laxisme est un symptôme de cette inversion de fait que j’ai formulé dans mon titre : la banque est devenue le régulateur de la puissance publique, quand bien même une bonne théorie d’économie politique nous dirait que c’est l’inverse qui devrait être la norme. Un citoyen, ennemi de la finance ou non, ne saurait s’en réjouir.

Autre sujet d’agacement, la relative discrétion des médias français. Le sujet n’est certes pas passionnant, le reste de l’actualité est chargé, et je suis sans doute plus sensible que d’autres à la régulation bancaire, mais j’ai parfois le sentiment que nos médias sont plus complaisants quand il faudrait qu’ils soient pugnaces. L’absence de banque française prise la main dans le pot de miel explique peut-être ce relatif silence, mais le constat qu’un tiers des banques systémiques mondiales s’avère incapable de produire un testament qui tienne la route devrait (de mon point de vue) être terrifiant, ou alors ils partagent mon scepticisme sur l’utilité du testament bancaire et se taisent pour des raisons que j’ignore.

Bref, si vous pensez que Dodd Frank Act et ses avatars locaux protégeront l’économie mondiale des crises financières, vous êtes peut-être naïf, ou alors victime d’une information défaillante. La mansuétude sans contrepartie dont ces banques semblent bénéficier me fait penser à une cour de récréation où l’on pourrait lever le pouce pour dire qu’avant, ça ne comptait pas, c’était pas du jeu. Il serait opportun que la finance mondiale se fasse imposer un Glass Steagall Act pour éviter qu’au lendemain d’une prochaine crise, un Vincent Auriol ne soit tenté de mettre sa menace à exécution (5).

(1) http://www.nytimes.com/2014/08/10/opinion/sunday/too-big-to-regulate.html?_r=0
(2) Bank of America, Bank of New York Mellon, Barclays, Citigroup, Credit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Morgan Stanley, State Street & UBS
(3) http://www.finyear.com/Banque-pensee-unique_a25090.html
(4) « unrealistic or inadequately supported »
(5) « Les banques, je les ferme, les banquiers, je les enferme. »

Rémy Mahoudeaux
Managing Director, RemSyx

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Je complète par ce papier de François Garçon, Enseignant-chercheur, sur le Nouvel Obs

Le patron de la BNP “affecté” par l’amende record des USA : l’ENA-pipeau a encore frappé

LE PLUS. BNP Paribas a été condamnée fin juin à une amende de 6,5 milliards d’euros pour avoir violé les embargos américains contre le Soudan, Cuba et l’Iran. “Très affecté” par la sanction, le patron de la banque, Baudoin Priot, envisagerait de céder sa place. Quand les médias arrêteront-ils de le couvrir d’éloges ? Coup de gueule de François Garçon.

Ce grand patron “à la française”, autrement dit sorti de l’ENA et rapidement hélitreuillé à la tête d’un groupe de 180.000 personnes par un pair sorti de la même colonne de distillation (bonnes notes au lycée (!?), concours imbécile mais “méritocratique”, haute fonction publique, ignorance totale du milieu PME) à, de surcroît, eut la consécration journalistique : en 2009, le journal “La Tribune” le consacrait “stratège de l’année” pour avoir racheté Fortis Banque et, l’année suivante, il était élu “meilleur dirigeant bancaire européen”.

En 2012, c’est au tour du magazine “Challenges” de le célébrer comme “patron le plus performant“. En 2011, avec sa rémunération fixe et ses bonus, l’intéressé empochait 2,47 millions d’euros.

L’avez-vous reconnu ? Il s’agit de Baudoin Prot, patron de la BNP, dont la banque, nous dit “Le Monde”, connaît “des ennuis judiciaires” aux États-Unis. Ennui, nous dit “Littré”, signifie “contrariété”, voire “grand chagrin”.

La banque savait les risques qu’elle prenait 

En l’occurrence, cette contrariété et ce grand chagrin se traduisent par un chèque en dollars avec un 9 suivi de neuf zéros. Neuf milliards de dollars. Alors que le président collectionnait les médailles, la BNP, “sa” banque, celle dont Baudoin Prot était le patron, commerçait activement (et en dollars) avec Cuba et le Soudan, l’un des plus innommables régimes sur la planète.

À écouter nos benêts banquiers français, ils ignoraient que jongler avec la monnaie américaine plaçait automatiquement les transactions concernées sous la juridiction de ce pays !

Il est aujourd’hui admis que, depuis juin 2006, la banque savait les risques qu’elle prenait en enfreignant sciemment la législation américaine. Pire, on apprend encore que lorsque les autorités américaines ont engagé des poursuites contre la banque française, elle s’est empressée de détruire des documents qu’elle jugeait, sans doute à juste titre, compromettants.

Si à cela l’on ajoute les gémissements de Michel Sapin, déplorant l’hégémonie du dollar, puis l’humiliation de François Hollande intercédant auprès d’Obama pour que l’IRS américain revoie à la baisse sa sanction contre la banque française (à quoi Obama aurait répondu qu’en vertu de la séparation des pouvoirs, une telle démarche était impensable aux États-Unis), il n’est pas illégitime de s’interroger sur ce qui reste de “l’autorité morale” de la France.

Cessons donc de consacrer les patrons français !

Pour revenir à Baudoin Prot, et si l’on en croit le “JDD”, “son entourage le dit très affecté par la sanction”. Pardi, on le serait pour moins !

Après la faillite du Crédit Lyonnais sous la direction d’un autre inspecteur des finances, ou l’affaire Kerviel à la Société Générale, banque dirigée par un clone des précédents, cet énième cataclysme bancaire illustre l’incurie de cette vaste famille de dirigeants français qui, de l’entreprise, n’ont jamais connu que leur stage pipeau à l’ENA.

Cette engeance régale la presse qui, en retour, l’invite sur ses plateaux de radio ou de télévision, où elle se rengorge.

Que cette presse cesse donc de consacrer les “patrons de l’année”, ceux qui n’ont jamais rien créé, qui sont aux antipodes du modèle justement célébré de patrons anglo-saxons ou germaniques, sortis du rang, ayant monté leur entreprise pour ensuite la faire prospérer. Dommage d’être tant fasciné par ce modèle d’entrepreneurs hors de France pour, sitôt qu’on y revient, se rabattre sur l’archétype du technocrate interchangeable.

Le patronat français du CAC 40 est un patronat de réseau, réseau qui s’encalmine sitôt sorti de France. L’arrogance acquise pendant leurs formations stériles, organisées autour de concours imbéciles et de classements de sortie, s’avère une calamité. Peut-être viendra le jour où l’on s’en rendra enfin compte.

Enfin, tant de banquiers ont été célébrés pour leurs performances financières de l’année écoulée pour se découvrir, l’année suivante, de pendables imbéciles, ne conviendrait-il pas, comme dans le cas de sportifs dopés et démasqués, de procéder à la restitution des médailles et autres hommages dont ces patrons sont l’objet et dont ils sont si friands ?

Source : Nouvel Obs

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Et un peu de Lordon pour finir :

Source: http://www.les-crises.fr/la-banque-comme-regulateur-de-la-puissance-publique/