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8013 La situation des librairies

Thursday 17 July 2014 at 01:24

Après le billet sur le projet de loi, dernier billet d’analyse de notre série, avant le dénouement final… :)

Analysons aujourd’hui la situation des libraires.

Les librairies françaises

Nous avons vu dans ce billet qu’il y avait en France environ 25 000 points de vente de livres, dont 15 000 avaient une activité régulière de vente de livres.

Sur ce nombre, il ne restait en 2012 que 3 000 librairies, qui sont spécialisées dans l’activité de distribution de livres (sont donc exclues les grandes surfaces culturelles et alimentaires, les maisons de la presse, la vente à distance…). Sur ce nombre, on compte environ 800 à 900 librairies indépendantes non diversifiées.

Les librairies disposaient en 2012 de 16 000 références actives en moyenne.

Elles représentent environ 20 % des ventes de livres, dans un contexte d’érosion de leur activité et de pertes de parts de marché.

lieux achat du livre

lieux achat du livre

Les 1 000 premiers détaillants (qualifiés de “1er niveau” – libraires et GSS) représentent 60 à 75 % du chiffre d’affaires des éditeurs.

Rappel de la chaîne du livre

Nous avons également vu l’économie du prix du livre :

prix du livre

De par la loi sur le prix unique, le fonctionnement est celui-ci :

  1. l’éditeur fixe le prix de vente de son livre par le libraire (par exemple 20 €) ;
  2. il négocie ensuite avec lui le prix auquel il lui vend son livre (par exemple 13 €), ce qui revient à négocier la marge commerciale, c’est-à-dire le rabais accordé sur le prix de vente final (ici 35 %, pour le libraire).

Le libraire doit donc payer ses frais avec cette marge commerciale.

Résultats financiers du panel

Xerfi a réalisé une étude très intéressante sur les librairies indépendantes pour le Syndicat de la Librairie Française, qui sert de base à l’analyse.

Xerfi a analysé les résultat globaux de la branche des 800 librairies, ainsi que les résultats détaillés d’un panel représentatif de 260 librairies présentes entre 2005 et 2012 (on a donc les résultats moyen d’un libraire ayant au moins 8 ans).

Pour analyse plus fine, Xerfi a scindé le panel entre les petites librairies (P), les moyennes (M) et les grandes (G) :

situation économique  des librairies

Le chiffre d’affaires

Voici l’évolution du CA :

situation économique  des librairies

situation économique  des librairies

situation économique des librairies

On constate que le panel a vu son activité se contracter de 1,5 % en moyenne, et que les petites librairies ont mordu la poussière avec une baisse de 4 % (donc près de -6 % en termes réels…). Elles sont en grave crise, 2012 ayant été la 5e année de suite de baisse d’activité.

Depuis 2005 (base 100 de CA), l’évolution a été la suivante :

situation économique des librairies

Seules les grandes librairies ont progressé sur la période.

Voici le détail suivant les secteurs :

situation économique des librairies

On retrouve bien la nette progression des ventes sur Internet, et la chute d’activité dramatique des petits libraires.

Voici l’évolution annuelle moyenne des ventes entre 2006 et 2012 :

situation économique des librairies

À -4 % par, la situation ne peut perdurer très longtemps…

La marge commerciale

Voici l’évolution de la marge commerciale – dont de la part accordée par les éditeurs :

situation économique  des librairies

On note que la marge moyenne a contenance à croître, et se situe entre 33,5 et 34,5 %.

On constate de façon inattendue que ce sont les petites librairies qui ont la plus forte marge. On s’attend à ce qu’elles aient évidemment les plus gros besoins, mais on constate que les éditeurs jouent le jeu, et les soutiennent malgré leur faible pouvoir de négociation pour qu’elles ne disparaissent pas.

Il y a aussi un effet de composition différente du type d’ouvrages vendus, avec des marges différentes – les plus grandes vendant plus d’ouvrages scolaires ou aux collectivités.

Les charges externes : loyers et le transport

Les libraires ont deux types principaux de charges externes : les loyers et les frais de transport. On regroupe le tout dans le poste Autres Achats et Charges Externes :

situation économique des librairies

Rappelons que les librairies font en moyenne 146 m², contre 154 m² en 2008 – dont 75 % sont réservés à la vente de livres.

On voit que l’effet taille est manifeste : les grandes librairies ont toujours 3 points de CA de charges en moins, ce qui fait environ 10 % de la marge commerciale !

On note aussi l’évolution défavorable : les loyers sont de plus en plus chers, ainsi que le transport (hausse des tarifs des transporteurs, augmentation de taux de retour de 22 % en 2004 à 26 % en 2012 – à la charge des libraires).

Rappelons que plusieurs pays voisins ont un tarif Livres, qui diminue fortement le coût d’expédition – La Poste ayant supprimé les avantages du secteur depuis une quinzaine d’années :

situation économique  des librairies

(Source : Rapport Gaymard sur le livre, 2009)

Les charges internes : salaires

Outre l’achat des livres, les frais de personnel sont le premier poste de charge des libraires :

situation économique des librairies

Rappelons que les librairies comptent 3 employés en moyenne, contre 3,9 personnes en 2008.

On voit que les frais sont ici plus faibles chez les petites librairies. Mais c’est en fait en trompe l’œil, car le dirigeant, parfois seul dans la boutique, n’est pas toujours salarié, ou le salaire peut servir de variable d’ajustement pour équilibrer l’exercice… La situation est encore pire pour l’ensemble des petites librairies de la branche (et pas seulement du panel, où elles ont plus de 8 ans) : 14,8 % contre 17,5 pour les grandes et moyennes librairies.

Les résultats

On a au final pour l’EBE (= CA – charges – frais de personnel, avant les amortissements) :

situation économique des librairies

On note que les petites et moyennes librairies sont dans une situation critique – les petites ayant en plus joué sur le salaire du dirigeant…

Le résultat courant avant impôt (RCAI = EBE – amortissements – opérations financières [= intérêts versés]) :

situation économique des librairies

Le RCAI a été divisé par 3 pour les petites et moyennes librairies, et par 2 pour les grandes !

Le résultat net hors éléments exceptionnels (RNHE = RCAI – Impôt sur les sociétés) :

situation économique des librairies

Là encore, la réalité est pire que ce panel ne montre ; à l’échelle de la branche, le taux de RCAI des petites librairies est négatif (-0,4%) – et ce, bien que de nombreux dirigeants de ces petites librairies aient baissé leur rémunération pour limiter leurs pertes…

Le résultat net y compris éléments exceptionnels (RN = RNHE + éléments exceptionnels [= vente d'actifs, abandons de créances]) :

situation économique  des librairies

Les éléments exceptionnels ont un peu amélioré la situation des P et M, mais ces mesures ne peuvent être pérennes…

Résultats financiers de la branche des libraires

Si on analyse cette fois la branche entière, on a les résultats synthétiques suivants :

situation économique  des librairies

Le plus important est le taux de résultat net hors éléments exceptionnels des petites librairies, qui atteint l’incroyable niveau de -0,6 %, ce qui veut dire qu’en moyenne, l’activité est totalement déficitaire malgré les gros efforts et sacrifices des dirigeants de ces petites structures…

situation économique  des librairies

On note bien que tout se joue en fait dans la ligne “Loyer + Transport”, où les libraires perdent 5 points de marge sur ce poste par rapport aux grandes librairies – et doivent faire de gros efforts sur les rémunérations pour limiter ensuite les pertes.

Si on prend toutes les entreprises de la branche, on arrive à un résultat net de 0,6 %, qui est haut la main le plus faible des commerces de détail :

situation économique des librairies

Comme on achète souvent des lunettes pour lire, à quand une taxe sur les opticiens pour financer les libraires ? :)

Nous proposerons dans le prochain billet des solutions plus sérieuses que celle-là – et que celle du gouvernement…

La situation est en effet très sérieuse pour les petites librairies, qui ne pourront résister longtemps, plombées principalement par leur taille trop réduite qui ne leur permet pas de faire des économies d’échelle suffisantes…

Source : étude Xerfi 2013

Sources plus anciennes : étude Xerfi 2010, étude 2004, étude Librairies dans le monde

P.S. un coup de gueule pour finir. Xerfi a fait un travail très utile, en compilant les résultats obtenus via les greffes des tribunaux de commerce – où le dépôt des comptes est obligatoire et les comptes publics depuis des décennies, sous peine d’amende. On voit tout l’intérêt que cela représente quand on utilise ces données, pour analyser un secteur, le comprendre, et donc prendre les bonnes décisions.

Sauf que Jean-Marc a annoncé tout crânement dans sa politique de simplification administrative qu’il allait supprimer cette atroce contrainte pesant sur les TPE  (bah oui, mettre le compte dans une enveloppe timbrée et la poster, quelle galère ! Mieux vaut perdre de l’information statistique publique précieuse, surtout en temps de crise).

“Dès aujourd’hui, nous décidons la suppression de l’obligation de rendre publics les comptes pour 1,4 million de TPE, une charge inutile”.[Jean-Marc Ayrault, 17/04/2013, La Tribune] [NB cela permet surtout à une entreprise de savoir si son client ne va pas faire faillite avant de la payer, l’entraînant avec lui – mais il ne doit pas pouvoir comprendre ces étranges notions…)

Donc Xerfi ne pourra probablement pas remettre cette étude à jour dans 2 ou 4 ans.

Chapeau l’artiste !

Source: http://www.les-crises.fr/situation-des-librairies/