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[Archive 2008] Courageuse petite Géorgie ? Non, aborder la situation à travers la grille d’analyse de la guerre froide ne tient pas, par Mark Almond

Sunday 14 September 2014 at 00:53

Mark Almond est maître de conférences en histoire à l’Oriel College de l’université d’Oxford. Je reprends ici un de ses intéressants articles de 2008 à propos de la russophobie déjà répandue à l’époque. Voir la page Wikipedia sur ce conflit.

Il serait simpliste de faire porter à la seule Russie la responsabilité des affrontements autour de l’Ossétie du Sud. L’Occident serait bien avisé de ne pas s’en mêler.

Pour beaucoup, voir des tanks russes franchir une frontière en plein mois d’août rappelle les tristes souvenirs de Prague en 1968. Ce réflexe de guerre froide est parfaitement naturel, mais, après deux décennies de retrait des Russes hors de leurs anciens bastions, il est trompeur. Tout événement dans l’ex-Union soviétique n’est pas une répétition de l’histoire soviétique.

Le conflit entre la Russie et la Géorgie au sujet de l’Ossétie du Sud a en réalité plus de points communs avec la guerre des Malouines de 1982 qu’avec un épisode de la guerre froide. Alors que la junte argentine, qui venait de récupérer Las Malvinas sans qu’une goutte de sang ne soit versée, se félicitait de l’approbation de sa population, Henry Kissinger anticipa la réaction britannique que personne ou presque ne prévoyait en déclarant : “Aucune grande puissance ne bat éternellement en retraite.” Peut-être que, aujourd’hui, la Russie a arrêté la longue retraite vers Moscou qui a débuté sous Mikhaïl Gorbatchev.

A la fin des années 1980, alors que l’URSS amorçait son déclin, l’Armée rouge se retira de plusieurs pays d’Europe orientale qui, à l’évidence, considéraient qu’elle n’était là que pour protéger des régimes communistes impopulaires. Ce retrait se poursuivit dans les nouvelles républiques de l’ex-URSS, et jusque sous la présidence de Vladimir Poutine, durant laquelle les troupes russes furent même évacuées de leurs bases en Géorgie.

Aux yeux de nombreux Russes, cette vaste retraite géopolitique de pays qui faisaient partie de la Russie bien avant l’instauration du régime communiste n’a amélioré en rien les relations du pays avec l’Occident. Plus la Russie se rognait les griffes, plus Washington et ses alliés dénonçaient les ambitions impériales du Kremlin.

Contrairement à ce qui se passait en Europe de l’Est, par exemple, les troupes russes sont aujourd’hui populaires dans des Etats sécessionnistes comme l’Ossétie du Sud ou l’Abkhazie. Le portrait de Vladimir Poutine y est plus largement affiché que celui du président de l’Ossétie du Sud, l’ancien champion de lutte soviétique E.Kokoïty. Les Russes y sont considérés comme une protection contre une éventuelle reprise du nettoyage ethnique pratiqué par les Géorgiens.

En 1992, l’Occident a appuyé Edouard Chevardnadze lorsqu’il a voulu rétablir le contrôle de la Géorgie sur ces régions. La guerre fut un désastre pour son pays. Le “nettoyage” opéré dans les régions rebelles entraîna la fuite de plus de 300 000 réfugiés, mais pour les Ossètes et les Abkhazes, c’est le pillage brutal auquel se livrèrent les troupes géorgiennes qui est resté gravé dans les mémoires.

Depuis lors, les Géorgiens n’ont cessé de ruminer leur humiliation. Tandis que Mikheïl Saakachvili n’a pas fait grand-chose pour les réfugiés depuis son accession au pouvoir au début de 2004 – si ce n’est les expulser de leurs hôtels du centre de Tbilissi pour favoriser le marché immobilier – , il a consacré 70 % du budget du pays aux dépenses militaires. En août 2008, il a décidé de montrer ses muscles.

Bien décidé à assurer l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN, le président géorgien a envoyé des troupes en Irak et en Afghanistan – et estimé du même coup qu’il bénéficiait du soutien américain. Les rues de la capitale géorgienne sont tapissées d’affiches du président américain au côté de son protégé géorgien. C’est une avenue George W. Bush qui mène à l’aéroport de Tbilissi. Mais Mikheïl Saakachvili a ignoré une autre maxime d’Henry Kissinger : “Les grandes puissances ne se suicident jamais pour leurs alliés.” Peut-être que ses alliés néoconservateurs à Washington l’ont également oubliée. Espérons que non.

Comme Galtieri en 1982, Mikheïl Saakachvili est confronté à une crise économique intérieure et à la désillusion de la population. Dans les années qui ont suivi ce que l’on a appelé la “révolution des roses”, le copinage et la pauvreté qui caractérisaient la période Chevardnadze n’ont pas disparu. En novembre 2007, les allégations de corruption et de favoritisme à l’égard du clan de la mère du président, ainsi que les soupçons de fraude électorale ont provoqué des manifestations de masse contre Mikheïl Saakachvili. Ses forces de sécurité – entraînées, équipées et financées par l’Occident – ont réprimé les protestataires. S’en prendre à l’ennemi commun des Géorgiens en Ossétie du Sud permettra sans doute, au moins sur le court terme, de les rassembler autour du président.

En septembre 2007, le président Saakachvili s’en est pris à celui qui avait été son plus proche allié durant la “révolution des roses”, le ministre de la défense Irakli Okruachvili. Les deux hommes s’accusèrent d’entretenir des liens avec la pègre et de se livrer à la contrebande. Quelle que soit la vérité, le fait que des hommes considérés par l’Occident comme des héros du grand ménage opéré après la période Chevardnadze s’accusent de délits aussi monstrueux devrait nous mettre en garde contre la tentation de choisir un héros local dans la politique caucasienne.

Les commentateurs géopolitiques occidentaux s’en tiennent à des simplifications de la guerre froide à propos de la Russie intimidant la courageuse petite Géorgie. Quiconque connaît un tant soit peu le Caucase sait que l’Etat qui se plaint d’être la victime de son grand voisin peut lui-même se comporter de manière tout aussi odieuse à l’égard de ses propres minorités. Les petits nationalismes sont rarement angéliques.

Pire encore, le soutien occidental à des programmes d’”équipement et entraînement” dans l’arrière-cour de la Russie ne contribue en rien à la paix et à la stabilité si des responsables locaux grandiloquents tels que M. Saakachvili les voient comme une promesse de soutien inconditionnel, même à l’occasion de crises qu’ils ont eux-mêmes provoquées. M. Saakachvili semble avoir pensé que le précieux oléoduc qui passe par son territoire, ainsi que les conseillers de l’OTAN mêlés à ses troupes, empêcheraient la Russie de réagir militairement à une incursion en Ossétie du Sud. Ce calcul s’est avéré désastreusement erroné.

La question à présent est de savoir si le conflit peut être contenu ou si l’Occident va s’y trouver entraîné. Jusqu’à présent, l’Occident a adopté des approches différentes à l’égard des sécessions dans les Balkans, où des micro-États obtiennent des ambassades, et dans le Caucase, où les frontières tracées par Staline sont considérées comme sacro-saintes.

Dans les Balkans, l’Occident a encouragé la désintégration de la Yougoslavie multiethnique, processus qui a culminé avec la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo en février. Si un micro-Etat dominé par la mafia tel que le Monténégro est capable d’obtenir la reconnaissance de l’Occident, pourquoi des Etats défectueux, prorusses et non reconnus ne pourraient-ils pas eux aussi aspirer à l’indépendance ?

Avec son extraordinaire complexité ethnique, la Géorgie est une post-URSS en miniature. Si les Occidentaux se sont empressés de reconnaître le droit des républiques non russes de se séparer de l’URSS en 1991, quelle logique y a-t-il à proclamer que des non-Géorgiens devraient demeurer au sein d’un micro-empire qui se trouve être pro-occidental ?

Les nationalismes des autres ressemblent aux histoires d’amour des autres, ou, à vrai dire, aux combats de chiens. Ce sont des choses dans lesquelles les gens avisés s’abstiennent d’intervenir. Une guerre dans le Caucase n’est jamais une croisade morale claire – mais combien de guerres le sont ?

© Marc Almond, The Guardian, 9 août 2008.

 

 

Source: http://www.les-crises.fr/courageuse-petite-georgie-non/