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Attentats à Paris : cette guerre qui ne dit que trop son nom

Saturday 21 November 2015 at 17:50

Source : L’avenir.net, Thierry Dupiereux, 14-11-2015

La France en état d’urgence ou en état de guerre? Les apparences sont parfois trompeuses.-AFP

Le mot est écrit et prononcé à foison depuis hier soir. «Guerre » s’impose dans le vocabulaire post-attentat. Drôle de guerre en vérité qui recouvre beaucoup de choses au point de devenir une abstraction mise à toutes les sauces rhétoriques.

C’était assez prévisible. Suite aux attentats parisiens, les «philosophes people » que sont Bernard-Henri Levy et Michel Onfray ne pouvaient se priver de prêcher la bonne parole dans un tweet concis et percutant.

Pour BHL, le message tenait en quelques mots: «Charlie était un symbole. Là, c’est une guerre». Onfray, lui s’est montré plus disert, aux limites de ses 140 signes réglementaires: «Droite et gauche qui ont internationalement semé la guerre contre l’islam politique récoltent nationalement la guerre de l’islam politique ».

On connaît les bagarres «intellectuelles » qui opposent les deux hommes. On notera tout de même que dans ce cas-ci, tous les deux se sont mis à un certain diapason lexical où le mot «guerre » est lourd de sens.

« Les pires actes de violence en France depuis la Seconde Guerre mondiale ! »

 

Le terme de «guerre » a aussi été lâché par François Hollande. « Un acte de guerre » a-t-il déclaré. « Oui, nous sommes en guerre » a confirmé Manuel Valls aux journaux télé de 20h00. Dans la rue également, le mot circule, car c’est à de «véritables scènes de guerres » qu’ont été confrontés les Parisiens. Le Premier ministre britannique David Cameron n’a pas été en reste qualifiant les événements de la nuit dernière comme les «pires actes de violence en France depuis la Seconde Guerre mondiale ».

Côté belge on épinglera, le message de la présidente du Sénat, Christine Defraigne envoyé à son homologue français, Gérard Larcher où l’élue MR affirme que  «la Belgique se réveille, elle aussi, prête au combat, prête à soutenir, là où elle le peut, l’offensive lancée par sa voisine, littéralement sur pied de guerre ».

D’autres prononcent encore le mot, mais pour l’éluder. C’est le cas du chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy qui a estimé que nous n’étions pas «face à une guerre de religion, mais face à une lutte entre la civilisation et la barbarie ».

Tous ces exemples placent, au gré des discours, la guerre en tant que métaphore, état de fait, référence historique ou encore message politique. L’utilisation intensive du terme interpelle car dans une guerre, il y a généralement plusieurs camps, clairement identifiés. Ici ce n’est pas le cas et le mot guerre se trouve un peu vidé de sa substance.

« GUERRE n.f.: lutte armée entre États, considérée comme un phénomène historique et social . »

 

Faire la «guerre», bien, mais contre qui exactement? Hier, l’EI a présenté son attaque parisienne comme une riposte à la participation française contre Daech en Syrie. Après l’attentat, Bachar al-Assad, le président syrien, ennemi de Daech lui aussi, mais sévèrement critiqué par Paris, a pris le contre-pied de la compassion diplomatique généralisée en estimant que la France avait contribué à «l’expansion du terrorisme », un terrorisme contre lequel Bachar affirme aussi être en guerre. Les fronts de celles-ci sont définitivement loin d’être clairs.

La guerre contre le terrorisme en soi, n’existe pas. Ce mot dans son acceptation première est une «lutte armée entre états, considérée comme un phénomène historique et social » (Larousse). Il est à manier avec précaution parce qu’il induit certains effets collatéraux comme la suppression (momentanée) de certaines libertés, le renforcement des pouvoirs de l’exécutif, l’instauration de règles spéciales…

Ainsi lorsque François Hollande lâche que c’est un «acte de guerre », il n’est pas anodin que dans la foulée, les préfets évoquent des «couvre-feux » ou des «restrictions de libertés individuelles ». Il y a une suite logique, sémantique.

« On ne rend pas service à la population en utilisant ce terme »

 

La guerre contre le terrorisme  s’est substituée à la lutte antiterroriste comme cela avait été le cas sous l’administration Bush au lendemain des attentats contre les Twin Towers. C’est comme si le degré de riposte avait monté d’un cran et qu’on allait voir ce qu’on allait voir, laissant maladroitement et paradoxalement entendre que jusqu’ici, tout n’avait pas été fait pour enrayer le terrorisme.

Alors, contre-productive l’utilisation du mot guerre? Contacté ce samedi, Michel Liégeois, spécialiste en relations internationales et défense de l’UCL, n’est pas loin de le penser. «On ne rend pas service à la population en utilisant ce terme. C’est simplifier à outrance un conflit complexe asymétrique, multiforme avec un mot inapproprié. Disons qu’on en escompte peut-être une mobilisation générale derrière le chef de l’État».

Et si ce mot n’était finalement utilisé que de guerre lasse?

Source : L’avenir.net, Thierry Dupiereux, 14-11-2015

 

L’editorial du Guardian: Nous devons rester fermes après les attaques de Paris

Source : The Guardian, 16-11-2015

 

Vigile à Kathmandu, Nepal, au mémoire des victimes des attaques de Paris. Photograph: Sunil Sharma/Demotix/Corbis

Avant d’évoquer quoi que que soit d’autre, parlons des victimes. Au milieu du bruit qui suit un épouvantable acte de violence, au milieu du vacarme des débats et des argumentaires, il est facile de ne plus entendre la seule douleur de l’événement. Paris déplore la perte d’au moins 132 personnes qui, ce vendredi, se livraient à des activités inoffensives et heureuses: manger ensemble, regarder ensemble un match de football, écouter de la musique ensemble. Ils sont morts aujourd’hui, assassinés dans des circonstances absolument terrifiantes. Les survivants, les blessés, les Français tous ensemble, déjà blessés par les attaques meurtrières de Janvier, sont sous le choc. Dans leur perte, leur deuil, leur douleur, nous sommes avec eux.

Le Président Français a répondu aux tueries parisiennes en les qualifiant de déclaration de guerre. Cela semble incontestable. Parler des tirs et des explosions de vendredi soir comme de simples crimes, comme s’ils n’étaient qu’une suite de meurtres commis par des gangs urbains, passe à côté de quelque chose d’important. Ces meurtres ont été coordonnés, méticuleusement planifiés et, selon des témoins visuels, effectués avec une précision froide et militaire. François Hollande n’a pas, pour rien, parlé de confrontation avec « l’armée » d’EI (Etat islamique).

Et même si EI voulait réellement que cette nuit de massacre soit une déclaration de guerre, cela ne signifie pas que la France – ou le reste du monde-doive lui retourner le compliment. Parce que cela serait en effet un compliment. Déclarer la guerre à EI reviendrait à le flatter, lui accorder la dignité qu’il recherche avidement. Ce serait lui accorder le statut d’Etat, qu’EI revendique mais ne mérite pas. Cela reviendrait à confronter cette organisation meurtrière selon des termes qu’elle choisit elle-même, plutôt que selon nos propres termes.

De plus, ce type de rhétorique a un passé récent malheureux. En 2001, George W Bush a également étiqueté 9/11 comme une déclaration de guerre. Mais ce registre de guerre, autorisant implicitement son lot de mesures extrêmes, a conduit les USA et leurs alliés à prendre plusieurs décisions désastreuses.

Leur impact se ressent aujourd’hui encore, presque 15 ans plus tard. On peut inclure dans cette catégorie la chute orchestrée de l’Irak et l’incubation d’EI qui s’en est suivie.

Le vocabulaire de guerre posent un autre problème également: qui en est réellement partie prenante? M. Hollande parlait au nom de la France. Mais le massacre de Paris fut également perçu comme une attaque contre l’Europe, y compris contre les valeurs européennes. Il est clair qu’EI ne se confine pas à cette cible, car il attaque tous ceux qui tentent de faire barrage à son appel destructif à la haine sectaire. Jeudi dernier, une bombe a tué 43 personnes à Beyrouth. Le lendemain matin, un kamikaze a tué 18 personnes à Bagdad. Les deux attaques ont été attribuées à EI. Et il y a à peine quinze jours, un avion russe transportant 224 personnes a été détruit en vol dans le ciel égyptien, à nouveau, apparemment, un acte d’EI ou de ses affiliés. Et il ne faut pas oublier que les victimes les plus nombreuses d’EI ne sont pas des Occidentaux mais les musulmans qui ont la malchance de vivre dans giron mortel de ce groupe au Moyen-Orient.

Alors comment faut-il répondre? Il y a déjà eu un appel, qui ne fera sans doute que s’amplifier, à changer certains aspects de la démocratie, et tout particulièrement de la vie européenne, qui nous rendent vulnérables aux attaques. Il est naturel et humain qu’en présence d’une menace, on veuille fermer les frontières, interrompre la vague de réfugiés, et renforcer les pouvoirs de ceux qui nous protégeraient.

Dans ce climat, il peut être impopulaire d’appeler à la réflexion et l’examen. Mais si l’on a le sentiment que les valeurs de l’Europe sont en danger, alors la dernière façon de protéger ces valeurs seraient de les démanteler. Le message moral pour que l’Europe soit un lieu de refuge doit rester inchangé malgré ce qui s’est passé vendredi. L’allégation selon laquelle l’un de meurtriers serait venu en Europedéguisé en réfugié est éminemment suspecte, la prétendue preuve qu’un passeport syrien a été retrouvé reste hautement discutable. Beaucoup de ceux qui fuient la Syrie le font pour fuir EI. A tout prendre, ces réfugiés pourraient potentiellement représenter un atout majeur dans la lutte contre ce groupe meurtrier.

En Grande Bretagne, certains verront dans la nouvelle loi de Theresa May, édictant de nouveaux pouvoirs d’investigation, une mesure encore plus urgente désormais, après le drame à Paris. Mais jusqu’à ce qu’il soit démontré que la surveillance de masse aurait pu faire la différence dans le scénario mortifère qui vient de ce produire, cet argument doit rester là où il est. Notre point de vue de départ demeure que la surveillance de masse, celle de chacun d’entre nous, n’est ni nécessaire ni efficace. Quand les agences de renseignement recherchent une aiguille dans une botte de foin, rajouter du foin n’est pas la solution. Lorsqu’elles ont besoin d’enquêter sur un individu ou un groupe, elles doivent s’assurer d’avoir au préalable – et normalement elles l’obtiennent- l’autorisation légale de le faire. Par ailleurs, s’il était besoin de le répéter, les sociétés européennes ne défendent pas leurs valeurs lorsqu’elles se retournent contre leurs citoyens musulmans – au contraire, elles violent ces valeurs.

Ce qui nous ramène à la Syrie. La défaite d’EI en Syrie ne fera pas totalement disparaître la menace de la violence djihadiste, mais elle constitue une étape indispensable pour avancer vers cet objectif. Cela nécessite sûrement une action militaire, mais cela ne signifie pas que l’Occident doive prendre en charge tous les combats. La reconquête de Sinjar au Nord de l’Irak, où EI a dû reculer vendredi dernier, est à ce propos pleine d’enseignements. La combinaison d’avions militaires américains dans le ciel et de combattants kurdes au sol s’est révélée décisive. Mais le cœur de la réponse doit aussi être diplomatique.

Les pourparlers de Vienne samedi dernier ont rassemblé des protagonistes disparates, notamment la Russie, les USA, l’Iran et l’Arabie Saoudite. Il se peut qu’aujourd’hui – dans la mesure où la Russie réalise que son soutien acharné à Bashar al-Assad se paie d’un lourd tribut – ces pays arrivent à se montrer enfin à la hauteur. Le moment est peut-être venu d’aligner des intérêts auparavants conflictuels. Nous exhortons les autorités de tous ces pays à saisir ce moment – au nom de la Syrie, au nom des innocents morts à Paris, au nom de notre avenir commun.

Source : The Guardian, 16-11-2015

 

ATTAQUES DE PARIS : FAUT-IL PARLER DE “GUERRE” ?

La presse étrangère plus prudente que les médias français

Source : Suite de l’article à lire sur Arrêt sur images, Vincent Coquaz, 16-11-2015

Peut-on vraiment parler de “déclaration de guerre” comme l’a fait François Hollande pour qualifier la série d’attentats du vendredi 13 novembre à Paris et Saint-Denis ? Et peut-on qualifier de “scènes de guerre” ou même de “situation de guerre“, comme on a pu le lire dans la plupart des médias, ces attaques qui ont causé la mort d’au moins 129 personnes ? Contrairement aux médias français, la presse étrangère (et une poignée de spécialistes français) s’interrogent depuis vendredi.
Un acte de guerre.” C’est en ces termes que François Hollande a qualifié les attaques de Paris et de Saint-Denis du vendredi 13 novembre 2015, qui ont fait au moins 129 morts, lors de sa première allocution. “Nous sommes en guerre“, insistait-il aujourd’hui, devant le Congrès réuni à Versailles. “Oui nous sommes en guerre, et nous frapperons cet ennemi, Daesh“, insistait Manuel Valls le lendemain. Un terme repris par certains dirigeants étrangers, dont Jan Jambon ministre de l’intérieur belge. Et un terme repris surtout sans distance par la quasi-totalité de la presse française.

Pourtant, certains experts, du djihadisme ou des terrains de guerre, s’interrogent depuis vendredi sur la pertinence de ce terme. Le mot “guerre” pose par exemple problème au photographe de l’AFP, Dominique Faget, l’un des premiers journalistes sur place vendredi soir et qui a photographié pendant plusieurs heures “les rescapés et les victimes qui ont réussi à s’enfuir du Bataclan“.
 
Source : Suite de l’article à lire sur Arrêt sur images, Vincent Coquaz, 16-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/attentats-a-paris-cette-guerre-qui-ne-dit-que-trop-son-nom-par-thierry-dupiereux/