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Carnet de juillet 2015, par Tariq Ali

Friday 21 August 2015 at 00:16

Source : London Review of Books, le 30/07/2015

Dans les premières heures du 16 juillet, le parlement grec a voté massivement le renoncement à sa souveraineté afin de devenir un appendice semi-colonial de l’UE. Une majorité du Comité central de Syriza avait déjà pris position contre la capitulation. Il y avait eu un début de grève générale. Tsipras avait menacé de démissionner si une cinquantaine de ses députés votaient contre lui. Six se sont abstenus et 32 ont voté contre lui, y compris Yanis Varoufakis, qui avait démissionné comme ministre des finances après le référendum, parce que, dit-il, “certains participants à l’Euro-groupe avaient exprimé le désir qu’il soit « absent» des réunions”. Maintenant, le parlement a effectivement déclaré le résultat du référendum nul et non avenu. Dehors, Place Syntagma, des milliers de jeunes militants de Syriza ont manifesté contre leur gouvernement. Ensuite, les anarchistes sont arrivés avec des cocktails Molotov et les policiers anti-émeute ont répondu avec des grenades lacrymogènes. Tout le monde a quitté la place et, vers minuit, le silence était de retour. Il est difficile de ne pas se sentir déprimé par tout cela. La Grèce a été trahie par un gouvernement qui, lorsqu’il a été élu il ya seulement six mois, offrait de l’espoir. Lorsque je suis parti de la place vide, le coup d’état de l’UE m’a ramené à d’autres souvenirs.

Je suis d’abord allé en Grèce à Pâques 1967. L’occasion était une conférence de paix à Athènes pour honorer le député de gauche Grigoris Lambrakis, assassiné par les fascistes à Salonique en 1963, tandis que la police assistait à la scène sans intervenir, fait plus tard immortalisé dans le film Z de Costa-Gavras. Un demi-million de personnes ont assisté à ses funérailles à Athènes. Lors de la conférence, de folles rumeurs ont commencé à se répandre autour de la salle. Sur le podium, un moine bouddhiste du Vietnam ne pouvait pas comprendre pourquoi les gens avaient cessé de l’écouter. Quelqu’un, dont la famille avait des accointances dans l’armée, avait signalé que l’armée grecque, soutenue par Washington, était sur le point de lancer un coup d’état pour éviter des élections qu’ils craignaient de voir remportées par la gauche. Les délégués étrangers ont été invités à quitter sur-le-champ le pays. Je pris un vol de retour pour Londres en début de matinée. L’après-midi même les tanks occupaient les rues. La Grèce est restée sous les colonels les sept années suivantes.

Je suis allé à Athènes ce mois-ci pour la même raison : parler à une conférence, laquelle était ironiquement intitulée « La montée de la démocratie ». En attente d’un ami dans un café à Exarchia, j’ai entendu des gens discuter du moment où le gouvernement tomberait. Tsipras a encore des partisans qui sont convaincus qu’il triomphera lors de la prochaine élection. Je n’en suis pas si sûr. Il a été peu glorieux depuis six mois. Les jeunes gens qui ont voté pour Syriza en grand nombre et qui sont sortis pour faire campagne avec enthousiasme pour le « non » au référendum tentent de saisir ce qui est arrivé. Dans le café bondé, ils débattaient furieusement. Au début du mois, ils fêtaient le « Non ». Ils étaient prêts à faire plus de sacrifices, à risquer la vie hors de la zone euro. Syriza leur a tourné le dos. La date du 12 juillet 2015, lorsque Tsipras a accepté les termes de l’UE, deviendra aussi infâme que le 21 avril 1967. Les tanks ont été remplacés par les banques, comme Varoufakis l’a dit après qu’il ait quitté le poste de ministre des finances.

La Grèce, en fait, a beaucoup de tanks, parce que les industries d’armement, allemandes et françaises, désireuses de se débarrasser du surplus de matériel dans un monde où les guerres sont menées par des bombardiers et des drones, corrompent les politiciens. Au cours de la première décennie de ce siècle la Grèce a été parmi les cinq principaux importateurs d’armes, principalement les entreprises allemandes Ferrostaal, Rheinmetall et Daimler-Benz. En 2009, un an après le crash, la Grèce a dépensé 8 milliards d’euros – 3,5 pour cent du PIB – pour la défense. Le ministre grec de la défense de l’époque, Akis Tsochatzopoulos, qui a accepté des pots de vin énormes de ces sociétés, a été reconnu coupable de corruption par un tribunal grec en 2013. Prison pour les Grecs, petites amendes pour les patrons allemands. Rien de tout cela n’a été mentionné par la presse financière ces dernières semaines. Nécessité de présenter la Grèce comme le seul transgresseur. Pourtant  une preuve concluante a été produite à un tribunal comme quoi le plus grand fraudeur d’impôts du pays est Hochtief, l’entreprise allemande géante de construction, qui gère l’aéroport d’Athènes. Elle n’a pas payé la TVA depuis vingt ans, et doit 500 millions d’euros pour les seuls arriérés de TVA. Elle n’a pas non plus payé les cotisations dues à la sécurité sociale. Les estimations suggèrent que la dette totale de Hochtief pour le Trésor public pourrait dépasser le milliard d’euros.

C’est souvent en temps de crise que les politiciens radicaux découvrent combien ils sont inutiles. Paralysés par la découverte que ceux qu’ils pensaient être leurs amis ne l’étaient pas du tout, ils s’inquiètent de semer leurs électeurs et perdent leur sang-froid. Lorsque leurs ennemis, surpris qu’ils aient concédé plus que la livre de chair exigée, en demandent encore plus, les politiciens piégés se tournent finalement vers leurs partisans, pour découvrir que les gens sont très en avance sur eux : 61 pour cent des Grecs ont voté le rejet de l’offre de sauvetage.

Ce n’est plus un secret ici que Tsipras et le cercle de ses proches attendaient un « Oui » ou un « Non » étriqué. Pris par surprise, ils ont paniqué. Une réunion d’urgence du cabinet les a montrés en pleine retraite. Ils ont refusé de se débarrasser des placements de la BCE en charge de la Banque d’état grecque, et rejeté l’idée de nationaliser les banques. Au lieu de suivre les résultats du référendum, Tsipras a capitulé. Varoufakis a été sacrifié. Les ministres de l’UE le détestaient parce qu’il leur parlait comme un égal, et son ego était un défi pour Schäuble.

Pourquoi Tsipras tint-il un référendum, après tout ? « Il est si difficile et idéologique », se plaignit Angela Merkel à ses conseillers. Si seulement. C’était un risque calculé. Il pensait que le camp du oui gagnerait, prévoyait de démissionner et de laisser l’UE diriger le gouvernement. Les dirigeants de l’UE ont lancé une vive campagne de propagande et de pression sur les banques grecques, afin de restreindre l’accès aux dépôts, avertissant qu’un vote « non » signifiait le Grexit. L’acceptation de Tsipras de la démission de Varoufakis était un signal précocement envoyé à l’UE comme quoi il était sur le point de céder. Euclid Tsakalotos, son successeur aux manières douces, a bénéficié rapidement de l’approbation de Schäuble : c’était quelqu’un avec qui il pouvait faire affaire. Syriza a tout accepté, mais lorsque il a été demandé plus, il a été donné plus. Cela n’a rien à voir avec l’économie, et tout à voir avec la politique. Ils ont crucifié Tsipras, a dit un fonctionnaire de l’UE au FT (Financial Times). La Grèce avait vendu sa souveraineté pour un troisième plan de sauvetage du FMI, et une promesse d’aider à la réduction du fardeau de la dette – Syriza avait commencé à ressembler à un ver remontant du cadavre du Pasok discrédité.

Lui aussi fut autrefois un parti de gauche. En 1981, quand il est arrivé au pouvoir, son leader, Andreas Papandreou, était très populaire, et dans les six premiers mois au pouvoir, il entreprit de réelles réformes – et non les régressions que les néolibéraux appellent aujourd’hui “réformes”. Beaucoup d’étudiants radicalisés par la lutte contre la dictature, ainsi que de nombreux intellectuels marxistes qui avaient contesté l’hégémonie américaine, ont afflué pour le rejoindre. En quelques années, certains des plus connus d’entre eux avaient été intégrés moralement et politiquement dans les nouvelles structures de pouvoir du pays que Papandreou inséra dans l’UE. Les années passant, le Pasok dégénéra. Dans ce siècle, il devint pratiquement impossible de le distinguer de son vieux rival, la Nouvelle Démocratie.

Syriza est l’enfant de la crise actuelle et des mouvements qu’elle engendre. Un instrument politique était nécessaire afin de contester les partis existants, et Syriza était cela. Les objectifs que Tsipras a maintenant abandonnés furent inscrits dans le programme de Thessalonique, republié ci-dessous, programme que le parti a accepté à l’unanimité en septembre de l’année dernière.

Lors de leur premier voyage à Berlin, le 20 février de cette année, M. Schäuble a exposé clairement à Tsipras et Varoufakis que leur programme était incompatible avec l’appartenance à la zone euro. Tsipras a accepté de mettre ce programme de côté, et a offert quelques « concessions » : la troïka – les auditeurs représentant la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne, et le FMI – a été remplacée par une structure censée être plus responsable, dont les bureaucrates ne seraient pas autorisés à entrer dans les ministères grecs. Cela a été revendiqué par Tsipras et Varoufakis comme une victoire. La vérité est tout à l’opposé. Il est maintenant reconnu que Schäuble a offert un Grexit organisé, à l’amiable, et un chèque de 50 milliards d’euros. Cela a été refusé au motif que cela semblait être une capitulation. C’est une logique bizarre. Cela aurait préservé la souveraineté grecque, et si Syriza avait pris en charge le système bancaire grec, une reprise aurait pu être planifiée sur ces bases. L’offre a été répétée plus tard. « Combien voulez-vous pour quitter la zone euro ? » a demandé Schäuble à Varoufakis, juste avant le référendum. Encore une fois, Schäuble a été snobé. Bien sûr, les Allemands ont fait l’offre selon leur propre point de vue, mais un Grexit organisé aurait été beaucoup mieux pour la Grèce que ce qui est arrivé.

Quand le capitalisme est entré en crise en 2008, l’ampleur de la catastrophe fut telle que Joseph Stiglitz était convaincu que c’était la fin du néolibéralisme, que de nouvelles structures économiques seraient nécessaires. Erreur, hélas, sur ces deux points. L’UE a rejeté toute idée de relance, sauf pour les banques, dont l’insouciance, soutenue par les politiciens, avait en premier lieu été responsable de la crise. Les contribuables, en Europe et aux États-Unis, ont donné des milliards aux banques. La dette grecque, par comparaison, était peu de chose. Mais l’UE, ne voulant pas opérer de changement capable d’endommager le processus de financiarisation, avait insisté que c’était la seule manière d’avancer. La Grèce, le maillon faible de la chaîne de l’UE, s’en est allée en premier, suivi par l’Espagne, le Portugal, l’Irlande. L’Italie était au bord. La troïka a dicté les politiques à suivre dans tous ces pays. Les conditions en Grèce ont été horribles : un quart de million de Grecs dut recourir à l’aide humanitaire pour acheter de la nourriture, payer le loyer et l’électricité ; le pourcentage d’enfants vivant dans la pauvreté a bondi de 23 pour cent en 2008 à 40 pour cent en 2014 et, maintenant, est proche de 50 pour cent. En mars 2015 le chômage des jeunes s’élevait à plus de 49 pour cent, 300 000 personnes n’avaient pas accès à l’électricité et l’institut de médecine préventive Prolepsis a constaté que 54 pour cent des Grecs étaient sous-alimentés. Les pensions ont diminué de 27 pour cent entre 2011 et 2014. Syriza soutient que cela constituait une punition collective, et qu’un nouvel « accord », visant à apporter une certaine amélioration des conditions de vie quotidienne, était nécessaire.

L’UE a maintenant réussi à écraser l’alternative politique que Syriza représentait. L’attitude allemande envers la Grèce, bien avant la montée de Syriza, a été façonnée par la découverte qu’Athènes (aidée par Goldman Sachs) avait trafiqué ses livres afin d’entrer dans la zone euro. Ceci est incontestable. Mais cela n’est-il pas dangereux, et erroné, de punir le peuple grec – et continuer à le faire même après qu’il ait rejeté les partis politiques responsables de ces mensonges ? Selon Timothy Geithner, l’ancien secrétaire au Trésor des États-Unis, l’attitude des ministres européens des finances au début de la crise a été : « Nous allons donner une leçon aux Grecs. Ils nous ont menti, ils ont tout aspiré, ils étaient prodigues, ils ont profité de tout ça, et nous allons les écraser. » Geithner dit qu’en réponse il leur a dit, « Vous pouvez mettre votre pied sur le cou de ces gars si c’est ce que vous voulez faire », mais il a insisté pour que les investisseurs ne soient pas punis, ce qui signifiait que les Allemands devaient assumer une grande partie de la dette grecque. Comme les banques françaises et allemandes avaient le plus d’exposition à la dette grecque, leurs gouvernements ont agi pour les protéger. Renflouer les riches est devenu la politique de l’UE. La restructuration de la dette est en cours de discussion, maintenant, avec la fuite du rapport du FMI, mais les Allemands sont en tête de la résistance. « Aucune garantie sans contrôle », la réponse de Mme Merkel en 2012 demeure en vigueur.

La capitulation signifie davantage de souffrances, mais elle a aussi conduit plus largement à des questions sur l’UE, ses structures et ses politiques. Pour les Grecs de pratiquement toutes les sensibilités politiques, l’UE fut considérée comme une famille à laquelle il fallait appartenir. Elle s’est avérée être une famille très dysfonctionnelle. Je ne pensais pas voter au référendum sur l’UE en Grande-Bretagne quand il aura lieu. Maintenant, je le ferai. Je vais voter « non ».

17 Juillet

Le Programme de Thessalonique

Nous exigeons des élections législatives immédiates et un fort mandat de négociation dans le but de :

Rayer la plus grande partie de la valeur nominale de la dette publique de sorte qu’elle devienne supportable, dans le contexte d’une « Conférence européenne de la dette ». Cela s’est produit en Allemagne en 1953. Cela peut aussi advenir pour le Sud de l’Europe et la Grèce.

Inclure une « clause de croissance » pour le remboursement de la part restante, de sorte que cela soit financé par la croissance, et non par le budget.

Inclure une période significative de grâce (« moratoire ») dans le service de la dette afin d’épargner des fonds pour la croissance.

Exclure l’investissement public des restrictions du Pacte de Stabilité et de Croissance.

Un « New Deal européen » de l’investissement public, financé par la Banque européenne d’investissement.

L’assouplissement quantitatif par la Banque centrale européenne des achats directs d’obligations souveraines.

Enfin, nous déclarons, une fois encore, que la question de l’emprunt forcé sur la Banque de Grèce par l’occupation nazie est pour nous ouverte. Nos partenaires le savent. Cela deviendra la position officielle du pays dès nos premiers jours au pouvoir.

Sur la base de ce plan, nous allons nous battre pour une solution socialement viable au problème de la dette de la Grèce, afin que notre pays soit en mesure de rembourser la dette restante dès la création de nouvelles richesses, et non à partir des excédents primaires, ce qui prive la société de tout revenu.

Avec ce plan, nous mènerons avec sécurité le pays à la reprise et à la reconstruction productive par :

L’augmentation immédiate des investissements publics d’au moins 4 milliards d’euros.

L’inversion progressive des injustices du mémorandum.

La restauration progressive des salaires et des pensions, de manière à augmenter la consommation et la demande.

La stimulation des petites et moyennes entreprises, par des incitations à l’emploi, et la subvention de l’énergie pour l’industrie, en échange d’emplois et de clauses environnementales.

L’investissement dans la connaissance, la recherche, les nouvelles technologies, afin que les jeunes scientifiques, qui ont massivement émigré au cours des dernières années, reviennent chez eux.

La rénovation de l’état-providence, la restauration de la primauté du droit, la création d’un état méritocratique.

Nous sommes prêts à négocier et nous travaillons à la construction d’alliances les plus larges possibles en Europe.

Le présent gouvernement de Samaras est de nouveau prêt à accepter les décisions des créanciers. La seule alliance qu’il se soucie de construire est avec le gouvernement allemand.

Ceci est notre différence et cela est, à la fin, le dilemme :

La négociation européenne par un gouvernement Syriza, ou l’acceptation des termes des créanciers de la Grèce par le gouvernement Samaras.

Source : London Review of Books, le 30/07/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/carnet-de-juillet-2015-par-tariq-ali/