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Chris Hedges et Sheldon Wolin à propos du totalitarisme inversé comme menace pour la démocratie

Tuesday 9 February 2016 at 05:14

Source : Naked Capitalism, le 29/10/2014

Sheldon Wolin

Ici Yves [Smith]. Nous vous présentons ce que nous considérons comme des passages remarquables d’une série importante de vidéos de Real News Network. Une discussion approfondie entre Chris Hedges et Sheldon Wolin sur le capitalisme et la démocratie. Aujourd’hui nous nous intéressons à ce que Wolin appelle le « totalitarisme inversé, » ou comment les grandes entreprises et le gouvernement travaillent ensemble pour garder le grand public en esclavage. Wolin traite de la façon dont la propagande et la suppression de l’esprit critique servent à promouvoir une idéologie pro-croissance, pro-entreprises, qui juge la démocratie superflue et potentiellement un obstacle à ce qu’ils considèrent être le progrès. Ils discutent aussi de la façon dont l’Amérique est gouvernée par deux partis en faveur des sociétés et comment le candidat du non, « populaire » comme dans populiste, est piétiné lourdement.

Chris Hedges

Chris Hedges, journaliste lauréat du prix Pulitzer : Bienvenue pour la quatrième partie de notre interview avec le professeur Sheldon Wolin, qui a enseigné la politique de nombreuses années à Berkeley et ensuite à Princeton. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages fondamentaux sur la philosophie politique, dont Politics and Vision et Democracy Incorporated.

J’ai voulu simplement parcourir vos deux livres, Politics and Vision et Democracy Incorporated, et j’ai pris des notes sur les caractéristiques de ce que vous appelez le totalitarisme inversé, que vous utilisez pour décrire le système politique sous lequel nous vivons actuellement. Vous avez déclaré que ce n’était qu’en partie un phénomène centré sur l’État. Que voulez-vous dire par là ?

Sheldon Wolin, professeur émérite en sciences politiques à Princeton : Eh bien ce que je veux dire par cela, c’est que l’une des caractéristiques frappantes de notre ère est que l’on peut constater à quel point ce qu’on appelle les institutions privées, les médias par exemple, sont capables de travailler pour tendre vers le même objectif de contrôle, d’apaisement, que ce qui intéresse le gouvernement, que l’idée d’une opposition sincère est généralement considérée comme subversive, et donc que la critique est maintenant une catégorie que nous devrions vraiment regarder et examiner, et voir si elle équivaut réellement à un peu plus qu’un léger reproche au mieux, et, au pire, à une manière de fournir une sorte de confirmation au présent système en montrant son ouverture d’esprit à l’autocritique.

Hedges : Et vous avez dit qu’il y a une sorte de fusion aujourd’hui, et vous parlez beaucoup des dynamiques internes des entreprises elles-mêmes, de la façon dont elles sont complètement hiérarchiques, même dans quelle mesure ceux qui sont à l’intérieur de ces structures institutionnelles sont poussés à s’identifier à une entreprise sur un plan presque personnel. Je parle en tant qu’ancien journaliste au New York Times, même nous, nous recevions des notes à propos de la famille du New York Times, ce qui est évidemment ridicule. Et vous parlez de la manière dont cet ensemble de valeurs ou cette structure du pouvoir, associé à ce type de propagande, vient tout juste d’être transféré à l’État, que l’État fonctionne désormais exactement de la même façon, de la même façon hiérarchisée, qu’il utilise les mêmes formes de propagande pour que le peuple abandonne d’un coup ses droits politiques mais s’identifie aussi à travers le nationalisme, le patriotisme et la convoitise de la superpuissance elle-même, que nous voyons maintenant dans tout le paysage politique.

Wolin : Oui. Non, je pense que c’est un élément très fort, en fait un élément décisif de notre situation actuelle. Il y a une sorte de conjoncture entre la manière dont les institutions sociales et éducatives ont façonné une certaines forme de mentalité parmi les étudiants, à l’intérieur de l’université, et ainsi de suite, et les médias eux-mêmes qui marchent mécaniquement du même pas dans la direction exigée par l’ordre politico-économique que nous avons actuellement, et le fait que la question fondamentale, je pense, était que nous avons vu ce même genre d’absorption de la politique et de l’ordre politique dans tellement de domaines apolitiques, économie, sociologie, religion même, que nous avons en quelque sorte perdu, il me semble, tout le caractère unique des institutions politiques, qui est qu’elles sont supposées incarner les espoirs substantiels des gens ordinaires, en termes du type de présent et d’avenir qu’ils souhaitent. Et c’est ce dont est censée s’occuper la démocratie.

Mais à la place nous l’avons maintenant subordonnée aux soi-disant demandes de la croissance économique, les soi-disant demandes d’une classe économique qui est chez elle avec les avancées scientifiques et technologiques qui sont appliquées par l’industrie, ce qui conduit l’élément politique du groupe dirigeant à être maintenant façonné et, en grande partie je pense, incorporé dans une idéologie fondamentalement apolitique, ou politique d’une manière antipolitique. Ce que je veux dire par là : c’est une combinaison de forces qui veulent vraiment exploiter la politique sans rechercher ni à la renforcer, ni à la réformer dans une forme significative, ni à la régénérer. Elle voit la structure politique comme une opportunité. Et plus elle sera perméable, mieux ce sera, parce que les groupes dominants ont aujourd’hui tellement d’instruments sous leur contrôle pour réaliser cette exploitation, la radio, la télévision, la presse papier, et autres, que c’est le meilleur des mondes pour eux.

Hedges : De fait, vous citez Nietzsche, en disant le degré de prescience de Nietzsche. Je crois que vous avez dit qu’il était meilleur prophète que Marx, je crois, si je me souviens bien, dans Politics and Vision, mais dans la façon dont Nietzsche a compris la désintégration de la démocratie libérale et de la classe libérale, et également compris la montée du fondamentalisme religieux en plein âge de la laïcité et la dangerosité de ce phénomène.

Wolin : Oui. Je pense que – de toute évidence, je pense que c’est vrai en ce qui le concerne, et je pense qu’il a été très perspicace en la matière. Il n’était pas, bien sûr, favorable à une telle évolution, mais il n’était pas non plus un partisan banal des élites historiques ou même des élites contemporaines, qu’elles fussent capitalistes ou nationalistes, comme c’était le cas en Allemagne.

Nietzsche essayait véritablement de faire émerger une notion de la valeur, de la valeur intrinsèque, de la vie politique. Et il y est parvenu, quoiqu’elle ne fût intelligible à ses yeux qu’en termes d’une sorte de dichotomie séparant l’élite de la masse. Et cela a été, je pense, l’échec de Nietzsche, parce qu’il a perçu tant sur les tendances au sein de notre société et de notre culture qui nous menaient à la ruine en tant que démocratie et qui devaient être corrigées, mais corrigées dans le but de promouvoir la démocratie ; Nietzsche, en revanche, tentait d’en faire des vecteurs de célébration ou d’encouragement de nouvelles élites. Et il ne pouvait tout simplement pas concevoir de société valable dans laquelle les élites n’auraient pas reçu le rôle premier et dirigeant. Il ne pouvait tout simplement pas le concevoir. Il restait dans la notion hégélienne du XIXe siècle, selon laquelle les masses sont ignorantes, intolérantes, réactionnaires, et ainsi de suite. A l’instar de tant d’excellents auteurs du XIXe siècle, il ne savait tout simplement pas quoi faire du « peuple, » entre guillemets.

Hedges : Marx inclus.

Wolin : Non, non, tout à fait. Ils ont soit tenté de neutraliser le peuple, soit de l’enrôler, mais jamais ils n’ont vraiment essayé de le comprendre.

Je pense que le meilleur – le meilleur courant politique, je pense, qui ait vraiment essayé de le comprendre a été, assez étrangement, le courant progressiste américain, qui était très enraciné dans l’histoire américaine, dans les institutions américaines ; mais il a vu assez clairement les dangers dans lesquels il se précipitait et la nécessité pour les éviter, de réformes politiques en profondeur, par des moyens démocratiques, non élitistes, et qui par-dessus tout exigeaient de l’Amérique qu’elle réfléchisse très sérieusement à son rôle dans les relations internationales, parce qu’il a vu qu’il y avait là un piège, tout comme un rôle agressif et dominant dans les relations économiques était un piège parce que ce qu’il exigeait, ce qu’il exigeait de la population en termes de façon de penser, d’éducation, de culture, et de ce qu’il exigeait en termes d’élites à même de diriger cette sorte d’éducation.

Et je pense que c’est pour cette raison que c’était un pessimiste au sens littéral sur ce qui pouvait advenir, et il n’avait rien vers quoi se tourner. Il n’avait pas grande confiance dans le peuple, et il en était venu à se méfier des élites. Je pense qu’en fin de compte il a adopté le point de vue selon lequel les élites devraient se replier et préserver la culture, la préserver dans ses manifestations les plus variées : la littérature, la philosophie, la poésie, et ainsi de suite.

Hedges : Mais il avait certainement compris ce qui était arrivé lorsque l’État s’est séparé de l’autorité religieuse -

Wolin : Oh, que oui.

Hedges : – que l’on verrait la montée de mouvements religieux s’opposer violemment à l’État laïque, primo ; et secundo que l’on assisterait à un effort effréné de l’État pour se faire sacraliser.

Wolin : Oui. Oui, ça c’est vrai. Il a essayé de le faire. Il l’a fait plutôt – beaucoup moins aux Etats-Unis, mais certainement il l’a fait en Allemagne, et à un certain degré en Italie, mais pas complètement.

Oui, je crois jusqu’à un certain point que le problème auquel s’est heurté Nietzsche est une exagération d’une position qui supposait une sorte de religiosité soutenue de la part des gens ordinaires dont je pense qu’elle n’est tout simplement pas vraie. Je ne veux pas dire qu’ils sont devenus sceptiques ou agnostiques ou quoi que ce soit d’autre de ce genre, mais je pense effectivement qu’il y a eu un relâchement et une diminution des engagements religieux et une sorte de marginalisation des groupes mystiques et -

Hedges : Faites-vous référence à la fin de la monarchie ?

Wolin : Non, la fin, vraiment, du rôle significatif de la religion dans la constitution de l’État moderne.

Hedges : Laquelle fin aurait été celle de la monarchie, n’est-ce pas ?

Wolin : C’aurait été la fin de la monarchie, sauf que celle-ci aurait gardé une sorte de rôle symbolique. Oui, elle aurait signifié la fin de la monarchie. Je pense que la monarchie demandera probablement toujours une sorte d’élément sacré. Certainement, les vestiges qu’il en reste dans des pays comme l’Espagne et la Grèce le montrent. Mais, non, la fin du rôle de la religion a sapé la monarchie. Il n’y a pas de discussion là-dessus. La plupart des évolutions contemporaines l’ont déstabilisée, et les rois ont principalement été des objets d’exhibition et guère plus.

Hedges : Vous dites également que le totalitarisme inversé est non seulement un signe de la démobilisation des citoyens, mais également qu’il ne s’exprime jamais en tant que concept idéologique, ou en tant qu’objet de débat public. Qu’entendez-vous par là ?

Wolin : Eh bien, ce que je veux dire, c’est qu’il n’a pas été cristallisé uniquement dans ces deux mots, qu’il est tout un processus opérationnel. Son fonctionnement est une combinaison d’éléments dont l’intrication et la cohérence n’ont jamais été proprement appréhendées ni débattues publiquement de manière durable. Et je pense que cela lui confère une sorte de qualité insidieuse, qui devient de plus en plus importante à mesure que les besoins d’une économie et d’un système éducatif modernes se manifestent, mais il n’a jamais suscité le genre de crise qui conduirait à une remise en question radicale. Il y a eu des critiques, il y a eu des récriminations et ainsi de suite, mais l’opposition ne s’est jamais concentrée sur cette cible de manière à présenter une véritable menace.

Hedges : Parce qu’il n’est jamais nommé explicitement.

Wolin : Il n’est jamais nommé.

Hedges : Il ne se présente jamais sous son nom.

Wolin : Non, non. Vous ne pouvez pas vous servir de ce nom. Je veux dire, c’est simple. Vous ne pouvez pas utiliser le terme capitalisme pour jeter l’opprobre sur lui.

Hedges : Vous avez déclaré que le totalitarisme inversé est alimenté par ceux qui détiennent le pouvoir ainsi que par les citoyens qui semblent tous bien souvent ignorants des conséquences en profondeur de leur action ou de leur inaction. Ce qui m’intéresse dans cette affirmation, c’est que vous dites que même ceux qui détiennent le pouvoir ne savent pas ce qu’ils font.

Wolin : Effectivement, je ne pense pas qu’ils le sachent. Je pense que c’est plus – je pense que cela se voit non seulement chez les membres du gouvernement, ceux que l’on appelle les conservateurs, mais également chez les libéraux. Et je pense que la cause n’est pas à chercher très loin. Les exigences du processus de prise de décision contemporain, c’est-à-dire, avoir réellement à décider d’actes législatifs ou exécutifs dans une société aussi politiquement et économiquement compliquée que la nôtre, dans une société politiquement et économiquement aussi compliquée que peut l’être le monde, demande une réflexion difficile. Extrêmement difficile. Et tout le monde est pris par les exigences immédiates, et c’est compréhensible. C’est une sorte de jeu où l’on essaie de maintenir les choses en l’état, de maintenir le bateau à flot, mais où l’on ne cherche pas sérieusement à changer de cap, sauf peut-être de manière rhétorique.

Je pense que les exigences du monde sont maintenant telles, et si dangereuses, avec toutes ces sortes d’armes et de moyens à la disposition de n’importe quel cinglé dans le monde, qu’il est extrêmement difficile pour un gouvernement de se détendre un moment pour penser à l’ordre social et au bien-être des citoyens d’une façon qui soit séparée des problèmes en puissance de sécurité de la société.

Hedges : Nous avons montré plus tôt comment, puisque des forces privées ont essentiellement pris le contrôle des systèmes non seulement médiatiques mais aussi éducatifs, elles ont effectivement détruit la capacité d’esprit critique à l’intérieur de ces institutions. Et ce qu’elles ont fait c’est éduquer une génération, probablement deux maintenant, de gestionnaires de systèmes, des gens dont l’expertise technique vise à garder le système tel qu’il a été construit, viable et à flot, pour que lorsqu’il y a une – en 2008, la crise financière mondiale, ils pillent immédiatement le Trésor américain pour réinsuffler vie au système grâce à un montant ahurissant de 17 000 milliards de dollars. Et quelles sont les conséquences ? Nous avons expliqué plus tôt comment même ceux au pouvoir ne comprennent pas souvent où ils vont. Quelles sont les conséquences aujourd’hui de ce manque de capacité à critiquer le système ou même à le comprendre ? Quelles sont les conséquences environnementales, économiques, démocratiques même, de nourrir et soutenir ce système de capitalisme institutionnel ou totalitarisme inversé ?

Wolin : Je pense que la seule question serait de quel intervalle de temps vous parlez. L’érosion de ces institutions que vous mentionnez est pour moi si continue que cela ne prendra pas longtemps avant que leur substance soit complètement vidée, et tout ce qu’il vous restera ce sont des organismes qui ne joueront plus le rôle qui était prévu, que ce soit le rôle de légiférer de façon indépendante, ou la critique ou la réactivité face à un électorat, donc je pense que les conséquences sont déjà avec nous.

Et bien sûr le décrochage des électeurs n’est qu’une indication, mais le niveau du débat public en est certainement une autre, et je vois cela comme un processus qui trouve maintenant de moins en moins de voix dissidentes et qui a une plateforme et un mécanisme concrets pour toucher le peuple. Ce n’est pas qu’il n’y ait personne qui ne soit pas d’accord, mais ont-ils des moyens de communiquer, de discuter de leurs points de désaccords et de ce qu’il peut être dit à propos de la situation contemporaine qui doit être traitée ? Le problème à l’heure actuelle, je pense, est que les instruments de relance sont dans un état de délabrement avancé. Et je ne vois aucune perspective immédiate, parce que -

Hedges : Vous voulez dire venant de l’intérieur du système lui-même.

Wolin : Venant de l’intérieur. Vous savez, il y a des années, disons au XIXe siècle, il n’était pas courant qu’un nouveau parti politique se forme et ait sinon un effet dominant, une certaine influence sur les affaires, comme l’a fait le Parti progressif. Aujourd’hui, ce serait aussi impossible que le plan le plus farfelu auquel vous puissiez penser. Les partis politiques sont tellement chers que je n’ai pas besoin de vous détailler les difficultés que rencontrerait quiconque voudrait essayer d’en organiser un.

Le bel exemple que nous avons aujourd’hui, j’y pense à l’instant, il a de nombreuses répercussions, est le rachat par les frères Koch du Parti républicain. Ils l’ont littéralement acheté. Littéralement. Ils avaient un montant spécifique qu’ils ont payé, et maintenant c’est à eux. Il n’y a jamais rien eu de semblable dans l’histoire des États-Unis. Evidemment, des intérêts économiques puissants influencent les partis politiques, en particulier les Républicains, mais ce genre de prise de contrôle grossière dans laquelle le parti tombe dans la poche de deux individus est sans précédent. Cela signifie que c’est sérieux. Cela veut dire qu’entre autres, il n’y a plus de parti viable d’opposition. Et même si beaucoup d’entre nous ne sont pas d’accord avec les républicains, il y a quand même une grande place pour le désaccord. Aujourd’hui il semble que tout cela soit fini. C’est maintenant devenu le véhicule particulier de deux personnes. Dieu seul sait ce qu’ils en feront, mais je ne me fais pas d’illusion si vous pensez que des résultats constructifs vont suivre.

Hedges : Et bien, est-ce que Clinton ne vient pas de changer le Parti démocrate en Parti républicain et forcer le Parti républicain à devenir fou ?

Wolin : Oui, c’est vrai. Le Parti démocrate fait aussi fausse route, à commencer par l’administration Clinton.

Mais j’ai toujours l’espoir, peut-être est-ce plus un espoir qu’un fait, j’ai toujours l’espoir que le Parti démocrate soit suffisamment disparate et désordonné pour que des dissidents aient la possibilité de faire entendre leur voix.

Cela ne durera peut être pas longtemps : pour rivaliser avec les Républicains, les Démocrates seront tentés de les imiter. Et cela signifie moins de démocratie interne, et plus de dépendance au financement d’entreprises.

Hedges : Ne serait-il pas juste de dire qu’après la nomination de George McGovern, le Parti démocrate a créé des mécanismes institutionnels pour qu’aucun candidat populaire ne soit plus jamais nominé à nouveau ?

Wolin : Oh, je pense que c’est vrai. L’épisode McGovern a été un cauchemar pour le parti, pour les responsables du parti. Et je suis sûr qu’ils ont fait le serment que plus jamais quelque chose comme cela ne puisse se reproduire. Et bien sûr, cela n’a jamais été le cas. Cela signifie aussi qu’avec, on a perdu avec l’unique chose qu’avait faite McGovern : raviver l’intérêt populaire pour le gouvernement. Par conséquent, les Démocrates n’ont pas seulement tué McGovern, ils ont tué ce pour quoi il s’est battu, ce qui était plus important.

Hedges : Et vous en avez vu une répercussion en 2000 lorsque Ralph Nader s’est présenté et a suscité le même genre d’enthousiasme de la base populaire.

Wolin : Oui, il en bénéficiait.

Hedges : Et comme si c’était l’establishment démocrate, durant la campagne présidentielle les Démocrates pro-Connolly se sont mis d’accord avec le Parti républicain pour détruire, en substance, leur propre candidat, vous avez vu que c’est le Parti démocrate qui a détruit la viabilité de Nader.

Wolin : Oui, c’est tout à fait vrai. Ce n’est pas surprenant parce que, je l’ai dit de nombreuses fois, les Démocrates jouent le même jeu que les Républicains et ont une nuance et un bagage historique qui les poussent à être un petit peu plus à gauche. Mais il me semble que les conditions actuelles dans lesquelles les partis politiques doivent manœuvrer, des conditions qui impliquent de grosses sommes d’argent, dont l’enjeu est colossal du fait du caractère de l’économie américaine d’aujourd’hui, qui doit être traitée soigneusement et avec prudence, et étant donné le rôle déclinant des États-Unis dans le monde des affaires, je pense qu’il y a toutes les raisons de croire que l’attitude prudente du Parti démocrate est emblématique d’un nouveau genre de politique où la marge de manœuvre et la place pour définir différentes positions significatives se réduisent beaucoup, vraiment beaucoup.

Merci beaucoup. Restez à l’écoute, bientôt la cinquième partie de notre interview avec le professeur Sheldon Wolin.

Source : Naked Capitalism, le 29/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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