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De Paris à Sydney, le terrorisme est l’héritage des bévues coloniales, par Stephen Kinzer

Monday 16 February 2015 at 01:44

Par Stephen Kinzer, article initialement paru en anglais sur le site du Boston Globe.

Stephen Kinzer est un journaliste américain qui a été en poste dans diverses régions du monde, notamment en Amérique centrale (Honduras) et en Turquie : il a dirigé de 1996 à 2001 le bureau du New York Times à Istanbul.

18 Janvier 2015


« Bien des problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui », déclarait le ministre des affaires étrangères britannique Jack Straw une décennie plus tôt, « sont une conséquence de notre passé colonial ». Euphémisme diplomatique typique. Les guerres au moyen-orient, et leurs récentes retombées à Sydney, Ottawa et Paris, sont l’héritage de bévues coloniales inconsidérées. Elles nous enseignent que bien que le déploiement extérieur de forces puisse permettre de contrôler des terres lointaines pour un certain temps, la finalité s’avère souvent tragique.

En 1921 la diplomate et espionne britannique Gertrude Bell a écrit qu’elle était « horriblement occupée à faire des rois et des gouvernements ». Cela semblait assez romantique. Bell parlait arabe, charmait les scheiks, et pouvait monter à dos de chameau pendant des heures. Nicole Kidman l’incarne dans la super-production prévue pour plus tard dans l’année.

Bell a été une architecte-clé du monde de Sykes-Picot, du Moyen-Orient de la majorité du 20ème siècle. Aux côtés de diplomates comme Mark Sykes et François Georges-Picot – qui dessinèrent arbitrairement les lignes qui définirent les nouveaux pays arabes d’après la première guerre mondiale – d’aventuriers comme T.E. Lawrence, et d’une poignée d’hommes d’état à Londres et à Paris, elle a créé l’ordre qui s’effondre actuellement dans une violence inconcevable. Si un film sur Bell avait été tourné une génération plus tôt, il aurait peut-être été possible de lui donner une fin heureuse. Aujourd’hui, ses camarades colonialistes et elle-même semblent avoir créé une bombe à retardement dont l’explosion secoue actuellement les nations. L’effondrement de l’ordre Sykes-Picot, c’est la grande histoire géopolitique de notre temps.

Mark Sykes - François Picot

Mark Sykes – François Picot

C’est une erreur de considérer séparément – individuellement – les divers conflits politiques et militaires qui font actuellement trembler le Moyen-Orient. Ils font tous partie d’une lutte globale visant à redéfinir la carte de la région. Cette carte sera bien différente de celle que Bell et ses camarades impérialistes nous avaient léguée.

Certains pays du Moyen-Orient sont condamnés. Ils sont des accidents malheureux de l’histoire. Lamentablement, leur effondrement nécessitera des années, et d’immenses coûts en souffrance humaines.

La Syrie, qui fut créée comme protectorat Français, n’existe plus qu’en tant que nom. L’Irak, initialement dominé par l’Angleterre est probablement le prochain sur la liste. La façon dont furent créés ces pays – par des étrangers qui ne s’intéressaient qu’à leurs propres intérêts – garantissait à peu près leur effondrement.

Ailleurs dans le quartier, le Yémen est dans la tourmente. Le Bahreïn n’est discret que parce que son gouvernement sunnite a temporairement réussi à supprimer la majorité chiite. Même le sultanat d’Oman, dans sa longue stabilité, risque de connaitre des troubles une fois que son sultan souffrant ne sera plus.

Le Liban et la Jordanie, deux petits pays qui ont émergé des spasmes impériaux des années 1920, peuvent survivre aux années de guerre à venir, mais c’est loin d’être garanti. Dans la ceinture externe de la région, le futur à long terme de la Libye est lugubre, et les perspectives du Pakistan sont hautement incertaines.

Le candidat à l’effondrement le plus fascinant est l’Arabie Saoudite. Pendant plus d’un demi-siècle les leaders Saoudiens ont manipulé les États-Unis en nourrissant notre addiction au pétrole, prodiguant de l’argent aux politiciens, aidant aux financements des guerres américaines, et achetant à hauteur de milliards de dollars en armement aux compagnies états-uniennes. Aujourd’hui le sol commence à se dérober sous leurs pieds.

Gertrude Bell - espionne britannique

Gertrude Bell – espionne britannique

Le roi Abdallah d’Arabie Saoudite a près de 90 ans et est malade.  L’un de ses demi-frères va probablement lui succéder [NB. C'est fait...], mais cela marquera la fin de la lignée des fils du dirigeant fondateur, Ibn Saud. Après cela, une bataille de pouvoir au sein de la famille royale est probable. Personne ne peut prévoir ni son intensité ni son degré de violence, mais la perspective d’une crise arrive à un moment particulièrement mauvais. La région est en flammes et le prix du pétrole s’effondre. Il serait stupide de penser que l’Arabie Saoudite aura encore la forme qu’elle a actuellement d’ici la prochaine génération.

Dans une région pleine de faux-pays inventés, une puissance musulmane est sûre de survivre : l’Iran. L’opposé d’un faux pays. L’Irak, la Syrie, le Liban, la Jordanie et l’Arabie Saoudite ont moins d’un siècle. L’Iran existe – avec quasiment les mêmes frontières et plus ou moins le même langage – depuis 2500 ans. Les colonialistes n’ont jamais réussi à le diviser et il siège aujourd’hui comme un ilot de stabilité dans une région d’activité volcanique instable.

L’arrogance des colonialistes du Moyen-Orient est facilement observable du point de vue de l’histoire. Lawrence a admis avant sa mort qu’ils avaient commis des « erreurs évidentes ». Gertrude Bell a écrit, « je ne participerai plus jamais à la création de rois ; c’est bien trop de pression ». Aucun des deux n’aurait pu prévoir l’horreur qu’entraineraient leurs décisions. Le chaos actuel est le résultat de leur ingérence ignorante. Une leçon pour les étrangers qui tentent aujourd’hui de façonner le Moyen-Orient.

Stephen Kinzer

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Paris est un avertissement : il n’y a pas de cloison étanche entre nous et nos guerres. (The Guardian), par Seumas MILNE

Les attaques en France sont le contrecoup des interventions dans le monde arabe et musulman. Ce qui arrive là-bas, arrive aussi ici.

La réponse officielle de l’Occident à chaque attaque terroriste d’inspiration djihadiste, depuis 2001, a été de jeter de l’huile sur le feu. Ça a été le cas après le 11 septembre, quand George Bush a lancé sa guerre contre le terrorisme, dévastant des pays entiers et répandant la terreur dans le monde. Ça a été le cas en 2005, après les bombes de Londres, quand Tony Blair a réduit les libertés publiques et envoyé des milliers de soldats anglais en mission impossible en Afghanistan. Et ça a été le cas, la semaine dernière, après les horribles massacres à Charlie Hebdo et dans un supermarché juif de Paris.

En écho à la rhétorique de Bush, la réaction de l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, aux attaques contre “nos libertés” a été de déclarer une “guerre des civilisations”. Au lieu d’être simplement là avec les victimes – et, aussi, par exemple, avec le grand nombre de victimes de Boko Haram au Nigéria – on a élevé le magazine satirique, et sa manière de représenter le prophète Mouhammad, au rang de symbole sacré de la liberté occidentale. La sortie, mercredi, d’une édition de Charlie Hebdo sponsorisée par l’état est devenu le dernier test en date du “qui n’est pas avec nous est contre nous” dans l’engagement à “nos valeurs”, tout cela pendant que les députés français votaient, par 488 votes pour et un seul contre, la poursuite de la campagne militaire en Irak. Si l’on en juge par le bilan des 13 dernières années, cela se révélera être une décision dangereuse, et pas seulement pour la France.

Absolument rien ne justifie l’assaut meurtrier des journalistes de Charlie Hebdo, et encore moins celui des victimes juives sélectionnées sur le seul critère de leur identité religieuse et ethnique. Ce qui est devenu terriblement évident la semaine dernière, en revanche, c’est le fossé qui sépare la manière dont est perçue la position officielle de l’état français en matière de politique intérieure dans le pays et à l’étranger ainsi que par de nombreux citoyens musulmans du pays. Cela est vrai de l’Angleterre aussi bien sûr. Mais ce qui est salué par la France blanche comme une laïcité dénuée de tout préjugé racial, garantissant l’égalité à tous, est vécu par de nombreux Musulmans comme de la discrimination et comme un déni de leurs liberté fondamentales.

Dans un pays où les femmes sont embarquées dans des cars de police à cause de la manière dont elles s’habillent, la liberté d’expression peut aussi donner l’impression d’être à sens unique. Charlie Hebdo prétend pratiquer “l’offense égalitaire”, en insultant toutes les religions. Mais la réalité, comme un de ses anciens journalistes l’a souligné, était que le journal souffrait d’une “névrose islamophobe” et que son fonds de commerce était l’attaque raciste de la minorité la plus marginalisée de la population. Il ne s’agissait pas simplement de “représentations” du prophète, mais d’humiliations pornographiques à répétition.

Malgré tous les beaux discours sur le fait que la liberté d’expression est un droit non négociable en France, la négation de l’Holocauste y est illégale et les spectacles du comédien noir antisémite Dieudonné y ont été interdits. Mais c’est avec le même aveuglement dont les milieux progressistes français ont fait preuve en ne se rendant pas compte que l’idéologie laïque, qui servait autrefois à lutter contre le pouvoir des puissants, servait aujourd’hui à contrôler le segment le plus faible de la population, que le droit de cibler une religion et de l’insulter à qui mieux mieux a été élevé au statut de valeur libérale fondamentale.

Tout le monde a pu constater l’absurdité de la situation à la manifestation “Je suis Charlie”, à Paris, dimanche. Une marche supposée défendre la liberté d’expression était menée par des rangs serrés de va-t-en guerre et d’autocrates : des leaders de l’OTAN et de celui d’Israël, Binyamin Netanyahou, au roi Abdullah de Jordanie et au ministre des Affaires Etrangères égyptien qui, tous autant qu’ils sont, ont harcelé, jeté en prison et assassiné des pléthores de journalistes tout en commettant des massacres et en lançant des interventions armées qui ont fait des centaines de milliers de morts, bombardant, en chemin, les stations de TV de la Serbie jusqu’à l’Afghanistan.

La scène était d’un ridicule achevé. Mais elle mettait aussi en lumière le rôle central de la guerre contre le terrorisme dans les atrocités commises à Paris, et la manière dont les rangs serrés de meneurs de la manif, sont en train de la récupérer pour faire avancer leur agenda personnel. Bien sûr, le cocktail de causes et de motivations qui a présidé aux attaques est complexe : il va de l’héritage de la sauvage brutalité coloniale en Algérie, à l’idéologie takfiri djihadiste, en passant par la pauvreté, le racisme, la criminalité.

Mais ces attaques n’auraient certainement pas eu lieu si les puissances occidentales, dont la France, n’avaient pas attaqué le monde arabe et musulman pour le mettre au pas et le réoccuper. Cette guerre contre le terrorisme dure depuis 13 ans – même s’il y a eu des tentatives bien antérieures de contrôler la région – et sème massivement la destruction et la terreur.

C’est ce que les meurtriers disent eux-mêmes. Les frères Kouachi se sont radicalisés à la guerre d’Irak et ont été entraînés au Yémen par al-Qaida. Cherif Kouachi a dit clairement que les attaques avaient pour but de venger les “enfants des Musulmans en Irak, Afghanistan et Syrie”. Ahmed Coulibaly a dit qu’elles étaient une réponse aux attaques de la France contre Isis tout en affirmant que le massacre du supermarché avait pour objet de venger les morts de Musulmans de Palestine.

Ces assassinats gratuits sont bien sûr tout à fait contre-productifs et nuisent aux causes qu’ils sont censés promouvoir – et le fait que les victimes soient choisies en fonction d’un cadre religieux réactionnaire, donne à penser que ces assassinats sont une sorte de produit mutant des guerres culturelles européennes. Mais ces attaques n’existaient pas avant 2001. Les bombes de 1995 à Paris qui semblent me contredire, étaient en fait une retombée directe de la guerre civile en Algérie et du rôle qu’y jouait la France. Par contre, la guerre de l’Union Soviétique en Afghanistan, il y a 30 ans, a favorisé le développement d’une forme de fondamentalisme violent qui revient en boomerang frapper le cœur de l’occident.

La France est célèbre pour avoir refusé de prendre part à l’agression étasuno-anglaise contre l’Irak. Mais depuis elle a rattrapé le temps perdu en envoyant des troupes en Afghanistan, en intervenant dans un pays africain après l’autre : de la Libye et du Mali à la Côte d’Ivoire et à la République centrafricaine, en bombardant l’Irak et en soutenant les rebelles syriens. Comme l’Angleterre, la France a armé les autocrates du Golfe et basé des troupes chez eux, et dernièrement, le président français a déclaré qu’il était le “partenaire” du dictateur égyptien Sissi et qu’il était “prêt ” à bombarder à nouveau la Syrie.

L’ancien premier ministre français, Dominique de Villepin, chef de file du camp opposé à la guerre en Irak, a dit, cette semaine, qu’Isis était “l’enfant monstrueux” de la politique occidentale. Les guerres occidentales dans le monde musulman “nourrissent toujours de nouvelles guerres” et “elles nourrissent le terrorisme chez nous”, a-t-il écrit, pendant que “nous simplifions” ces conflits “en ne regardant que le symptôme islamiste ”.

Il a raison – mais il ne fait pas partie des leaders qui ont mené la marche en rangs serrés et qui vont utiliser ces attaques pour justifier d’autres interventions militaires. Etant donné les événements de la dernière décennie, les Européens ont de la chance d’avoir eu si peu d’attentats terroristes. Mais le prix à payer est la perte des libertés, la montée de l’antisémitisme et l’islamophobie rampante. Plus nous laissons cette guerre s’éterniser, plus la menace s’alourdit. Dans un monde globalisé, il n’y a pas moyen de s’isoler. Ce qui arrive là-bas, finit par arriver ici aussi.

Seumas Milne

Traduction : Dominique Muselet

»» http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jan/15/paris-warning-no-…

Source: http://www.les-crises.fr/le-terrorisme-est-l-heritage-des-bevues-coloniales/