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Du tabou…

Monday 13 April 2015 at 01:10

J’ai été assez étonné que, dans la triste affaire Charlie Hebdo, on ait si peu parlé de la notion de tabou, qui est pourtant centrale en l’espèce.

Je vous propose du coup un extrait sur ce sujet du livre Totem et tabou, de Freud. En l’espèce, il traite peu de psychanalyse se basant sur les travaux de l’anthropologue Northcote W. Thomas et du psychologue Wilhem Wundt. Le livre date de 1913, donc j’imagine que d’autres travaux ont été menés depuis :) , mais cela représente une bonne base de réflexion…

Extraits du livre Totem et Tabou, de Sigmund Freud

Chapitre II. Le tabou et l’ambivalence des sentiments

Tabou est un mot polynésien, dont la traduction présente pour nous des difficultés, parce que nous ne possédons plus la notion qu’il désigne. Il était encore familier aux anciens Romains ; leur sacer était identique au tabou des Polynésiens. L’αγιος des Grecs, le Kodausch des Hébreux devaient avoir le même sens que le tabou des Polynésiens et les désignations analogues chez beaucoup d’autres peuples de l’Amérique, de l’Afrique (Madagascar), du Nord et du Centre de l’Asie.

Pour nous, le tabou présente deux significations opposées : d’un côté, celle de sacré, consacré ; de l’autre, celle d’inquiétant, de dangereux, d’interdit, d’impur. En polynésien, le contraire de tabou se dit noa, ce qui est ordinaire, accessible à tout le monde. C’est ainsi qu’au tabou se rattache la notion d’une sorte de réserve, et le tabou se manifeste essentiellement par des interdictions et restrictions. Notre expression ter­reur sacrée rendrait souvent, le sens de tabou.

Les restrictions tabou sont autre chose que des prohibitions purement morales ou religieuses. Elles ne sont pas ramenées a un commandement divin, mais se recommandent d’elles-mêmes. Ce qui les distingue des prohibitions morales, c’est qu’elles ne font pas partie d’un système considérant les abstentions comme nécessaires d’une façon générale et donnant les raisons de cette nécessité. Les prohibitions tabou ne se fondent sur aucune raison ; leur origine est inconnue ; incompréhensibles pour nous, elles paraissent naturelles à ceux qui vivent sous leur empire.

Wundt dit que le tabou représente le code non écrit le plus ancien de l’humanité. Il est généralement admis que le tabou est plus ancien que les dieux et remonte à une époque antérieure à toute religion. [...]

« Le châtiment pour la violation d’un tabou était considéré primitivement comme se déclenchant automatiquement, en vertu d’une nécessité interne. Le tabou violé se venge tout seul. Quand des représentations de dé­mons et de dieux, avec lesquels le tabou est mis en rapport, commencent à se former, on attend de la puissance de la divinité un châtiment automatique. Dans d’autres cas, à la suite probablement d’un développement ultérieur de la notion, c’est la société qui se charge de punir l’auda­cieux dont la faute met en danger ses semblables. C’est ainsi que le système de l’hu­ma­nité, dans ses formes les plus primitives, se rattache au tabou.

« Celui qui a violé un tabou est, de ce fait, devenu tabou lui-même. Certains dan­gers découlant de la violation d’un tabou peuvent être conjurés à l’aide d’actes de pénitence et de cérémonies de purification. [...]

Mais je crains qu’un exposé plus détaillé de ce que nous savons concernant le tabou ne serve qu’à compliquer davantage les choses qui, les lecteurs peuvent m’en croire, sont d’une obscurité désespérante. Il s’agit donc d’une série de limitations auxquelles ces peuples primitifs se soumettent ; ils ignorent les raisons de telle ou telle interdiction et l’idée ne leur vient même pas de les rechercher ; ils s’y soumettent comme à des choses natu­relles et sont convaincus qu’une violation appellerait automatiquement sur eux le châtiment le plus rigoureux. [...]

Ce qu’il y a de plus bizarre dans tout cela, c’est que celui qui a eu le malheur de violer une de ces prohi­bitions, devient lui-même prohibé et interdit, comme s’il avait reçu la totalité de la charge dangereuse. [...]

Nous avons une vague idée que le tabou des sauvages de la Polynésie ne nous est pas aussi étranger que nous étions disposés à le croire tout d’abord ; que les prohibitions, édictées par la coutume et par la morale, auxquelles nous obéissons nous-mêmes, se rapprochent, dans leurs traits essentiels, du tabou primitif et que l’explication de la nature propre du tabou pourrait projeter une certaine lumière sur l’obscure origine de notre propre « impératif catégorique ». [...]

« Le tabou provient de, la même source que les instincts les plus primitifs et les plus durables de l’homme : de la crainte de l’ac­tion de forces démoniaques ». [...]

Wundt nous apprend ainsi que le tabou est une expression et une conséquence de la croyance des peuples primitifs aux Puissances démoniaques. [...]

Celui qui abordera le problème du tabou, armé des données de la psychanalyse, c’est-à-dire des données fournies par l’examen de la partie inconsciente de notre vie psychique, s’apercevra, après une courte réflexion, que les phénomènes dont il s’agit ne lui sont pas inconnus. Il connaît des personnes qui se sont créé elles-mêmes des prohibitions tabou individuelles, prohibitions qu’elles observent aussi rigoureusement que le sauvage obéit aux prohibitions communes à sa tribu ou à sa société. Si notre psychanalyste n’était pas habitué à désigner ces personnes sous le nom de malades atteints d’une névrose obsessionnelle, il trouverait que le nom de « Maladie du tabou » convient très bien pour caractériser leur état. [...]

La première ressemblance, et la plus frappante, entre les prohibitions obsession­nelles (chez les nerveux) et la tabou consiste en ce que ces prohibitions sont aussi peu motivées que le tabou et ont des origines tout aussi énigmatiques. Ces prohibitions ont surgi un jour, et depuis lors l’individu est obligé de subir leur contrainte en vertu d’une angoisse irrésistible. Une menace extérieure de châti­ment est superflue, car le sujet possède une certitude intérieure (conscience) que la violation de la prohibition sera suivie d’un malheur intolérable. Tout ce que les malades obsédés sont à même de dire, c’est qu’ils ont un pressentiment indéfinissable que la violation serait une cause de préjudice grave pour une personne de leur entou­rage. Ils sont incapables de dire de quelle nature peut être ce préjudice, et encore ce renseignement si vague n’est-il obtenu que plus tard, lors des actions (dont nous parlerons plus loin) de préservation et d’expiation, et non à propos des prohibitions elles-mêmes. [...]

Le monde entier finit quelquefois par être frappé d’impossibilité. Les malades obsédés se comportent comme si les personnes et les choses « impossibles » étaient les sour­ces d’une dangereuse contagion, prête à s’étendre par con­tact à tout ce qui se trouve dans le voisinage.  [...]

Résumons les points sur lesquels porte la ressemblance entre les coutumes tabou et les symptômes de la névrose obsessionnelle. Ces points sont au nombre de quatre : 1° absence de motivation des prohibitions ; 2° leur fixation en vertu d’une nécessité interne ; 3° leur facilité de déplacement et contagiosité des objets prohibés ; 4° existence d’actions et de commandements cérémoniaux découlant des prohibitions. [...]

L’homme qui a enfreint un tabou devient tabou lui. même, car il possède la faculté dangereuse d’inciter les autres à suivre son exemple. Il éveille la jalousie et l’envie : pourquoi ce qui est défendu aux autres serait-il permis à lui ? Il est donc réellement contagieux, pour autant que son exemple pousse à l’imitation, et c’est pourquoi il doit lui-même être évité. [...]

On comprend, en outre, fort bien pourquoi la transgression de certaines prohibi­tions tabou présente un danger social et constitue un crime qui doit être puni ou expié par tous les membres de la société, s’ils veulent échapper à ses désastreuses consé­quences. [...]

Résumons maintenant ce que nous gagnons, au point de vue de l’intelligence du tabou, grâce à sa comparaison avec la prohibition obsessionnelle du névrosé. Le tabou est une prohibition très ancienne, imposée du dehors (par une autorité) et dirigée contre les désirs les plus intenses de l’homme. La tendance à la transgresser persiste dans son inconscient ; les hommes qui obéissent au tabou ont une ambivalence à l’égard de ce qui est tabou. La force magique, attribuée au tabou, se réduit au pouvoir qu’il possède d’induire l’homme en tentation ; elle se comporte comme une contagion, parce que l’exemple est toujours contagieux et que le désir défendu se déplace dans l’inconscient sur un autre objet. L’expiation de la violation d’un tabou par une renon­ciation prouve que c’est une renonciation qui est à la base du tabou.

 

Source: http://www.les-crises.fr/du-tabou/