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Défier l’orgueil du Président Poutine et tester sa paranoïa est une folie, par Simon Jenkins

Wednesday 6 August 2014 at 01:38

Sir Simon Jenkins est un journaliste anglais du Guardian, fait chevalier en 2004 pour “services rendus au journalisme”… Ce n’est donc pas un critique fanatique du système, ni un admirateur de Poutine… Cela rend son papier du 25 juillet particulièrement intéressant…

Le crash du vol MH17 était clairement un accident. Cette tragédie ne devrait pas être utilisée comme un prétexte pour punir la Russie.

Pourquoi la politique internationale régresse t-elle à un tel niveau de stupidité ? Dès que nous avons appris que l’avion de Malaysian Airlines avait été abattu au-dessus de l’Ukraine, nous savions qu’il s’agissait d’un accident. Quel que soit le commanditaire, il ne pouvait souhaiter une telle tragédie. Ce n’était pas un nouveau 11 septembre. C’était un gros raté, pas un complot.

Pourtant, la politique internationale adore les complots. Vladimir Poutine a rejeté la responsabilité sur le gouvernement ukrainien. L’Ukraine a accusé les rebelles pro-russes. L’ambassadeur américain des Nations Unies, Samantha Power “ne peut exclure” la responsabilité de Moscou. Londres a hurlé à l’assassin. Du sang a été versé. Il fallait qu’il y ait des accusations.

Ce qui s’est passé fut un accident effroyable dans un pays barbare, qui rend nécessaire la restauration de la dignité des victimes au plus vite. Pourtant, avant même que l’on ait rassemblé les corps, les politiciens se sont arrangés pour obtenir un durcissement des sanctions, la fin d’accords commerciaux, l’expulsion des oligarques et le gel de comptes bancaires. Rapidement ils en sont venus à se battre comme dans un panier de crabes. Barack Obama s’est comporté comme un froussard, François Hollande comme un conciliateur. David Cameron tint le rôle de l’hypocrite. Le philosophe Bernard-Henri Lévy lança ses foudres sur tout le monde “Ceci est l’esprit de Munich – la conciliation. Et c’est une honte.”

Ces moments sont dangereux. En 1914, le gouvernement autrichien déclara le meurtre insensé de l’archiduc Franz Ferdinand comme étant un “complot du gouvernement serbe” et partit en guerre. En 1983, les Russes abattirent un avion civil coréen qui s’était égaré au-dessus de la Siberie, tuant les 269 passagers à bord. C’était clairement un accident – le contrôle au sol des pilotes de chasse étant ivres et en état de panique. L’information fut passée sous silence et l’incident exploité pour susciter une des confrontations les plus effrayantes de la guerre froide.

Cinq ans plus tard ce fut au tour des États-Unis, lorsque le croiseur américain abattit un Airbus civil A300 iranien dans l’espace aérien iranien. La marine s’excusa maladroitement, tandis que l’Iran s’en saisit comme d’un crime d’agression injustifiée, aidée en cela par une Amérique qui récompensa ses marins par des médailles. Washington refusa d’admettre toute responsabilité légale, et mit huit ans à régler les 62 millions de dollars de dédommagement aux familles touchées.

Ce qui est terrifiant c’est de voir comment de tels incidents sont déformés dans la perspective d’une vengeance. Poutine s’est clairement montré imprudent sur la frontière ouest de la Russie en fournissant assez d’armements aux rebelles ukrainiens pour augmenter la probabilité d’accidents. Mais l’idée qu’il ait souhaité cette tragédie est aussi absurde que l’idée que Konstantin Tchernenko ait souhaité le massacre en Corée ou Ronald Reagan la descente d’un avion iranien.

Poutine a probablement été aussi horrifié que nous tous par le sort de l’appareil. Cela a perturbé les délicats jeux de pouvoir de la région et l’a contraint à une position défensive. Les renseignements provenant de Moscou suggèrent qu’il est blessé et en colère, s’en remettant au cercle de ses conseillers les plus offensifs et à leur rhétorique nationaliste. C’est le moment où Confucius nous exhorte à offrir à l’ennemi une voie de retraite. Au lieu de cela, les va-t-en-guerre de l’ouest prennent un malin plaisir à railler la paranoïa de Poutine comme pour le pousser à commettre quelque chose de pire encore.

Alors que je visitais la Russie dans les années 90 après sa défaite humiliante de la guerre froide, je trouvai ce territoire triste et dangereux, pas si différent de l’Allemagne en 1918. C’était alors comme si aucun diplomate occidental n’avait lu le Traité de Versailles, ou noté les avertissements de Keynes sur les conséquences de ce dernier. Beaucoup avait été fait afin de construire des liens entre l’ouest et l’est. L’énergie, les investissements et les contacts avaient été l’objet d’échanges dans les deux sens. Les entreprises occidentales avaient fricoté avec les oligarques et les kleptocrates. L’argent volé de la main du peuple russe s’était déversé dans les banques sans vergognes de Chypre et de Londres, ainsi que sur les marchés de l’immobilier suisse et britannique. Londres doit être classé parmi le plus gros receleur de tous les temps.

Jusqu’ici tout allait bien. Mais en même temps, l’OTAN et l’UE s’étendaient en Europe de l’Est vers la frontière russe, comme s’ils pointaient leurs canons aux portes de Moscou pour provoquer la Russie désormais vaincue. Les défenseurs de l’OTAN défendaient l’idée que tout pays, y compris la Lettonie, la Géorgie ou l’Ukraine, devait être libre de rejoindre le club de son choix (tout en refusant aux Criméens ce droit quand ils choisirent le camp opposé). Pourtant, il faut être idiot pour négliger la fierté russe et sa crainte de l’encerclement. Provoquer Poutine façon “post-guerre froide” était bon pour l’image des Occidentaux, mais c’était une politique exécrable.

On nous dit que l’Est de l’Ukraine ne représente que l’un des conflits que Poutine pourrait déclencher le long de la frontière russe, de la mer Baltique au Caucase. Partout, on trouve des minorités russes (voire des majorités) susceptibles de s’opposer aux autochtones non russes. Les responsables européens n’ont pas d’intérêt tangible à attiser de tels conflits – et pourtant c’est précisément ce qu’ils ont cherché à faire en Géorgie et en Ukraine.

Que la Grande-Bretagne — ou l’Amérique — essaie de dicter sa loi tout le long des frontières russes est complètement fou ; se servir d’un tragique accident aérien comme d’un casus belli l’est tout autant. Ce n’est pas autre chose qu’une agressivité primitive, un machisme de pauvre. Cela nous propulse, une fois encore, vers la solution confuse des sanctions économiques. Il est au-delà de toute hypocrisie de la part de l’Occident d’exiger des sanctions contre Moscou alors qu’il lui ne lui pose aucun problème d’acheter à la Russie du gaz et de lui vendre des armes, des navires, des appartements à Knightsbridge ou des places à Eton. Ce deux poids deux mesures est de notre fait. D’après la commission parlementaire sur les ventes d’armes, la Grande-Bretagne vend actuellement des armes pour une valeur de 12 à 27 milliards de Livres à des pays répertoriés par le Ministère des Affaires Etrangères comme « préoccupants au point de vue des droits de l’homme ». On ne renforcera pas la paix mondiale en augmentant les prix de l’énergie européenne, en rendant plus rares les prêts pour les entreprises russes ou Harrods moins accessible aux « copains de Poutine ». Poutine s’en moque éperdument.

Les sanctions économiques sont à la politique moderne ce que les régiments de cavalerie étaient à la guerre de tranchées : splendides mais inutiles. Leur continuel déploiement va à l’encontre des nombreuses études qui établissant qu’elles sont superficielles, cruelles voire contre-productives. Cependant combien de fois Cameron est-il sorti de son bunker Cobra pour menacer de « sanctions économiques plus sévères » quelque État voyou, sans que cela ait le moindre effet ? La rhétorique est toujours la même, il faut « envoyer un message », montrer sa détermination, faire payer un prix, ne pas laisser « le mal être impuni ». Comme si la Grande-Bretagne était une sorte de surveillant général désuet.

L’émergence à Moscou dans les années 90 d’un nationaliste, dur, philistin comme Poutine était presque une fatalité. Poutine est loin d’être un ange mais il dirige ce qui demeure une nation puissante. Il faut être fou pour envisager de blesser sa fierté ou de jouer avec sa paranoïa. Le seul pays qui sache cela et soit capable de garder la tête sur les épaules est dirigé par Angela Merkel. Dieu merci, l’Allemagne existe.

Simon Jenkins, The Guardian, 25 juillet 2014 – Traduction collective pour www.les-crises.fr 

Source: http://www.les-crises.fr/defier-l-orgueil-poutine/