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En solidarité avec une presse libre : quelques nouveaux dessins blasphématoires, par Glenn Greenwald

Friday 16 January 2015 at 02:30

Glenn Grennwald est le journaliste et avocat américain qui a révélé l’affaire Snowden, ayant receuilli ses confidences. Il a du se réfugier au Brésil, et son compagnon a été arrêté quelques heures par la police britannique… (il a bien morflé pour la liberté d’expression, lui, par rapport aux intellectuels germanopratins)

Voici sa vision (très américaine) de l’affaire Charlie.

P.S. pour toutes les caricatures qu’il montre, je vous renvoie sur la source originale de The Intercept (à la fin) - des fois que des crétins interprètent mal le message du billet (et comme ces dessins me font vomir, je ne souhaite pas les montrer sur le blog).

Je rappelle que l’antisémite est une horreur.

Défendre la liberté de la presse et la liberté d’expression, c’est à dire défendre le droit à la diffusion des idées considérées par la société comme les plus repoussantes, a été l’une de mes principales passions au cours de ces 20 dernières années : auparavant en tant qu’avocat, et maintenant comme journaliste. Aussi je considère comme positif qu’un grand nombre de personnes invoque ce principe haut et fort, comme cela s’est produit au cours des dernières 48 heures, en réponse à l’horrible attaque contre Charlie Hebdo à Paris.

Habituellement, défendre le droit à la liberté d’expression est une tâche bien plus solitaire. Par exemple, la veille des meurtres de Paris, j’ai écrit un article à propos des multiples affaires dans lesquelles des musulmans sont poursuivis et même emprisonnés par des gouvernements occidentaux pour leurs propos politiques en ligne – attaques qui ont provoqué relativement peu de protestations, y compris de la part des champions de la libre parole qui ont été si véhéments cette semaine.

J’ai déjà couvert des cas où des musulmans étaient emprisonnés pendant de nombreuses années aux États-Unis pour des affaires comme la traduction et la publication de vidéos “extrémistes” sur Internet, la rédaction d’articles académiques en soutien aux groupes palestiniens, l’expression de critiques acerbes à propos d’Israël, et même l’inclusion d’une chaîne du Hezbollah sur un bouquet câblé. Et tout ça n’est rien comparé aux nombreux cas où les gens ont perdu leur emploi ou ont vu leur carrière stoppée pour avoir exprimé des critiques sur Israël ou (beaucoup plus dangereux mais aussi plus rare) sur le judaïsme. Je veux espérer que ces célébrations de la liberté d’expression cette semaine vont aboutir à une opposition générale contre toutes les atteintes répétées et de plus en plus fréquentes aux droits politiques fondamentaux en Occident, et pas seulement à certains, déterminés de façon arbitraire.

Au centre du combat pour la liberté d’expression, il y a toujours eu la distinction entre le droit de disséminer une idée X et partager l’idée X, distinction que seuls les plus limités d’entre nous sont incapables de comprendre. Distinction qui défend le droit d’exprimer des idées repoussantes tout en étant capable de condamner l’idée elle-même. Ce n’est pas contradictoire : l’ACLU (l’Union américaine des libertés civiles) défend vigoureusement le droit des néonazis de défiler au milieu d’une communauté pleine de survivants de l’holocauste à Skokie, dans l’Illinois, mais ne se joint pas à la marche ; ils condamnent plutôt à haute voix l’idée en question comme grotesque, alors même qu’ils défendent le droit de l’exprimer.

Mais cette semaine de la défense du droit à la liberté d’expression a été si enflammée qu’elle a vu se développer un principe inédit : défendre la liberté d’expression, ce serait désormais défendre non seulement le droit à exprimer un discours, mais aussi son contenu même. De nombreux auteurs ont ainsi demandé ceci : pour exprimer « leur solidarité » avec les dessinateurs assassinés, il ne faudrait pas seulement condamner les attaques et défendre le droit des dessinateurs à publier, mais publier et même glorifier ces dessins. « La meilleure réponse à l’attaque de Charlie Hebdo est d’intensifier la satire blasphématoire », a déclaré le rédacteur en chef de The Slate, Jacob Weisberg.

Certains des dessins publiés par Charlie Hebdo sont non seulement offensants mais fanatiques, comme celui caricaturant les esclaves sexuelles africaines de Boko Haram en reines de l’assistanat (ci-dessus). D’autres sont allés bien plus loin que dénigrer la violence des extrémistes agissant au nom de l’Islam, ou représenter Mahomet par des images dégradantes (ci-dessus), mais contenaient bel et bien un flot de railleries à l’encontre des musulmans en général, lesquels en France n’ont aucun pouvoir mais représentent plutôt dans leur ensemble une population immigrante marginalisée et discriminée.

Mais peu importe : leurs dessins étaient “nobles” et devraient être célébrés – non seulement pour une question de liberté d’expression, mais pour leur contenu. Dans un article titré « Le blasphème dont nous avons besoin », Ross Douthat du New York Times a soutenu que « le droit de blasphémer (et donc d’offenser) est essentiel à l’ordre libéral » et « que cette forme de blasphème [qui provoque la violence] est précisément celle qui doit être défendue, parce que c’est celle qui sert clairement au bien commun d’une société libre ». Jonathan Chait du New York Magazine a déclaré que : “on ne peut pas défendre ce droit [de blasphémer] sans en défendre la pratique”. Matt Yglesias de Vox a eu une position bien plus nuancée mais a conclu malgré tout que “blasphémer le Prophète a fait passer ces publications d’un acte sans intérêt à un acte courageux et même nécessaire, pendant que l’observation que le monde se porterait mieux sans ces provocations devient une forme d’assentiment.”

En conformité à ce nouveau principe de solidarité avec le droit à la liberté d’expression et avec une presse libre vivante, nous publions quelques dessins blasphématoires ou offensants envers la religion et ses adeptes :

(dessins censurés, conforment à la loi)

(P.S. je rappelle que je condamne ce dessin, c’est une simple démonstration par l’absurde de l’auteur)

Et voici quelques dessins loin d’être blasphématoires ou fanatiques et pourtant très pointus et pertinents du dessinateur brésilien brillamment provocateur Carlos Latuff (reproduits avec son accord) :

L’heure est à la célébration de mon brave et noble combat pour la liberté d’expression, n’est-ce pas ? Ai-je porté un coup puissant pour la liberté politique et démontré ma solidarité avec la presse libre en publiant des dessins blasphématoires ? Si, comme le disait Salman Rushdie, il est vital que toutes les religions soient sujettes à un profond et courageux irrespect, ai-je fait ma part pour soutenir les valeurs occidentales ?

La première fois qu’on m’a demandé de publier ces dessins antimusulmans, le cynique en moi a pensé qu’en fait il ne s’agissait peut-être que de sanctionner une forme de discours blessant à l’encontre des religions et de leurs adeptes, tout en protégeant des groupes plus en odeur de sainteté. En particulier, l’Occident a passé des années à bombarder, envahir et occuper des pays musulmans, et à tuer, torturer et emprisonner sans procès des musulmans innocents. Et le discours antimusulman a été un élément vital pour que ces politiques continuent à recevoir du soutien.

Donc il n’est pas surprenant, au contraire, de voir un grand nombre d’Occidentaux célébrant les dessins antimusulmans – non pas sur la base de la liberté d’expression, mais en raison de leur approbation du contenu. Défendre la liberté d’expression est toujours facile lorsque vous aimez la substance des idées ciblées, ou ne faites pas partie (ou ne détestez pas explicitement) le groupe qui est ainsi vilipendé.

Ainsi, il va de soi que si un écrivain spécialisé dans des pamphlets ouvertement anti-noirs ou antisémites avait été assassiné pour ses idées, il n’y aurait pas de large appel à la republication de sa daube en “solidarité” avec sa liberté d’expression. En fait, Douthat, Chait et Yglesias ont chacun pris la peine d’expliquer expressément qu’ils n’appelaient à la publication de telles idées insultantes qu’uniquement dans le cas limité où en réponse, des menaces étaient proférées ou des actes de violence perpétrés – ce qui signifiait pour eux en pratique, pour autant qu’il me semble : les discours contre l’Islam. Douthat a même mis des italiques pour souligner combien était limitée sa défense du blasphème : “ce genre de blasphème en particulier est le genre qu’il est nécessaire de défendre”.

Il faut reconnaître un point valide dans l’argumentation de Douthat-Chait-Yglesias : quand les médias s’interdisent de publier des informations parce qu’ils ont peur (et non par désir d’éviter de publier des éléments gratuitement insultants), comme ont reconnu qu’ils le faisaient avec ces dessins plusieurs médias parmi les plus importants de l’Occident, cela est réellement gênant et devient une véritable menace à l’encontre de la presse libre. Mais il existe tout un tas de tabous pernicieux en Occident qui provoquent de l’autocensure ou de la suppression forcée d’idées politiques, avec des poursuites judiciaires suivies d’emprisonnement ou encore la ruine de carrières professionnelles. Pourquoi les violences perpétrées par des musulmans sont-elles les plus menaçantes ? (Et là je ne parle pas du fait de savoir si les médias doivent ou non publier les dessins parce qu’ils font l’actualité – je m’interroge dans le cas où on veut qu’ils soient publiés absolument, par approbation, par “solidarité”).

Quand nous avons parlé de publier cet article pour exposer cette réflexion, notre intention était d’embaucher deux ou trois dessinateurs pour faire des dessins se moquant du judaïsme et ridiculisant les figures sacrées pour les juifs, à la manière dont Charlie Hebdo l’a fait pour les musulmans. Mais cette idée a fini au panier, du fait qu’aucun grand dessinateur occidental n’oserait jamais mettre son nom au bas d’un dessin antijuif, même s’il était réalisé de manière satirique – parce que le faire aurait détruit instantanément et définitivement leur carrière, dans le meilleur des cas.

On a des commentaires (et des dessins) anti-Islam et anti-musulmans en veux-tu en voilà dans les médias occidentaux ; le tabou qui est au moins aussi fort, sinon plus, sont les images et les dessins anti-juifs. Pourquoi Douthat, Chait, Yglesias et leur compagnons de croisade pour la liberté d’expression n’appellent-ils pas à la publication d’éléments antisémites, par solidarité ou comme manière de se dresser contre cette répression ? Oui, c’est vrai que des journaux comme le New York Times ne publient que très rarement de telles représentations, sauf pour illustrer l’obscurantisme haineux et le condamner – et non pour le publier “en solidarité” ou parce qu’il mérite une diffusion sérieuse et respectueuse. Avec tout le respect que je dois à la grande dessinatrice Ann Telnaes, ce n’est simplement pas vrai que Charlie Hebdo “tapait sur tout le monde indistinctement“.

Tout comme pour Bill Maher, Sam Harris et d’autres maniaques anti-islam, tourner en dérision le judaïsme, les juifs et/ou Israël est quelque chose qu’ils feront rarement (sinon jamais). S’ils y sont obligés, ils peuvent sortir quelques rares cas isolés dans lesquels ils ont balbutié une espèce de critique du judaïsme ou des juifs, mais le gros de leurs attaques est réservé aux musulmans et à l’islam, et non aux juifs et au judaïsme. Parodie, liberté d’expression, athéisme laïque : ce sont les prétextes. Diffusion de message anti-musulmans : c’est le but principal et le résultat obtenu. Et cette diffusion – cette affection toute particulière pour les discours insultants et anti-islam – coïncident comme par hasard et nourrissent l’agenda diplomatique va-t-en-guerre de leurs gouvernements et de leur culture.

Pour comprendre à quel point cela est vrai, pensez au fait que Charlie Hebdo – ceux qui “tapent sur tout le monde indifféremment” et qui défendent toutes les sortes de discours insultants – a viré l’un des auteurs en 2009 pour une phrase que certains ont trouvé antisémite. L’auteur a ensuite été inculpé d’incitation à la haine raciale, et gagné un jugement contre le magazine pour licenciement abusif. Est-ce que vous appelez cela “taper sur tout le monde sans distinction” ?

Et menacer d’avoir recours à la violence pour répondre à des idées insultantes n’est pas non plus l’apanage des extrémistes qui revendiquent leurs actions au nom de l’Islam. En 1998, La pièce de Terence McNally qui mettait en scène un Jésus gay, était régulièrement annulée par les théâtres suite à des alertes à la bombe. Larry Flynt fut paralysé suite à l’agression d’un suprématiste blanc évangéliste qui s’était offusqué de la publication dans Hustler d’images pornographiques de couples mixtes. Les Dixie Chicks subirent un déluge de menaces de mort et bénéficièrent d’une protection imposante après avoir publiquement critiqué George Bush et la guerre en Irak, ce qui les contraint finalement à s’excuser par peur de représailles. La violence provoquée par les fanatiques juifs et chrétiens est monnaie courante, depuis l’assassinat de médecins pratiquant l’avortement, l’explosion de bars gays jusqu’à l’occupation brutale depuis 45 ans de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, en partie liée aux croyances religieuses (aussi bien aux USA qu’en Israël) qui font d’Israël la Terre promise selon la loi divine.

Et tout cela est indépendant de la violence d’état systématique qui a été maintenue en Occident, au moins en partie, par le sectarisme religieux. David Brooks du New York Times déclare aujourd’hui que la tendance antichrétienne est tellement répandue aux USA (dont le peuple n’a jamais élu un président non chrétien) que l’Université de l’Illinois a renvoyé un professeur qui enseignait la position de l’église catholique romaine sur l’homosexualité. Il a oublié cependant de mentionner que cette même université vient tout juste de mettre fin au contrat d’enseignement du Pr Steven Salaita en raison de tweets postés durant l’attaque israélienne sur Gaza, que l’université jugea trop virulents à l’encontre des leaders juifs, et que l’invitation à s’exprimer du journaliste Chris Hedges à l’université de Pennsylvanie venait d’être annulée pour le délit d’opinion d’avoir fait des comparaisons entre Israël et l’Etat Islamique.

C’est un vrai tabou, une idée refoulée, aussi puissant et absolu que n’importe lequel aux États-Unis, à tel point que Brooks ne reconnaîtra pas même son existence. C’est certainement plus un tabou aux États-Unis que la critique des musulmans et de l’Islam, que l’on entend si fréquemment dans les milieux dominants – y compris au sein du Congrès américain – qu’on ne le remarque qu’à peine désormais.

Cela souligne le point clé : Il y a de multiples manières de réprimer des idées et des points de vue en Occident. Quand ceux qui demandent la publication de ces caricatures anti-islam commenceront aussi à demander la publication de ces idées, je croirai à la sincérité de leur très sélective approche des principes de la liberté d’expression.

On peut défendre la liberté d’expression sans avoir à publier et encore moins adhérer aux idées offensantes en question. Mais si ce n’est pas le cas, ayons une application équitable de ce nouveau principe.

Photo de Joe Raedle/Getty Images ; Recherches supplémentaires faites par Andrew Fishman

Source : Glenn Greenwald, The Intercept, le 09/01/2014 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Disclaimer : le site www.les-crises.fr condamne fermement le racisme et l’antisémitisme, l’appel à la haine, le terrorisme, et toute forme de violence.

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P.S. pour finir, une petite vidéo du Monde :

http://www.dailymotion.com/video/x1x8uyo_glenn-greenwald-le-terrorisme-est-un-pretexte_news

Glenn Greenwald, journaliste à l’origine d’une bonne partie des révélations sur la NSA et auteur du livre Nulle part où se cacher (éd. Lattès), débat avec Marc Trévidic (juge antiterroriste), Alain Chouet (ex-DGSE) et Hubert Védrine (ancien ministre des affaires étrangères). Le terrorisme est-il un alibi bien pratique ou un argument justifié ? Pour M. Greenwald, « le terrorisme est un prétexte » permettant aux dirigeants occidentaux d’« exploiter les craintes » pour accroître leurs prérogatives. En cela, les attentats du 11 septembre 2001 furent « un coup de pouce », selon M. Trévidic, alors que, comme l’assure M. Chouet, « il ne faut pas penser que le terrorisme est la pire des menaces ».
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/pixels/video/2014/05/28/glenn-greenwald-le-terrorisme-est-un-pretexte_4427665_4408996.html#ReDYZh3wAxuvGO7U.99

Source: http://www.les-crises.fr/en-solidarite-avec-une-presse-libre-quelques-nouveaux-dessins-blasphematoires-par-glenn-greenwald/